L'Enseignement de Krishnamurti, Par M. Jalambic

8/2/2019 L'Enseignement de Krishnamurti, Par M. Jalambic

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412 REVUE THROS OPHIQUE

----.-.....~.

L 'en se igneme nt de Kr i shnamur t i

L'enseignement que donne Krishnamurti diff'ere tota-'

Iement de ceque la plupart des Theosophes aUendaient.

Pendant dix-sept ans, ils avaient vu en lui I'Instructeur

de Ia nouvelle sous-race. La Theosophie declare que

races et sous-races se sue-cedent et qu'a l'aurore decha-que sous-race apparait l'Instructeur qui doit en guider

I'evolution, Or, Ia sixieme sons-race de la cinquiemerace point d e j a a l'horizon en Californie; les temps sontdone revolus et Krishnaniurti est sans doute I'Instruc-.teur attendu.

Or, Krishnumurti ne parle ni de races ni de sous-

races; ilrefuse Ie titre de nouveau Messie et meme celui

d'Instructeur. II ne veut pas fonder de religion nouvelle,

pas rnerne une religion dont la seule nouveaute serait,

comme beaucoup Ie pensaient, de rapprocher toutes lesreligions existantes par cc qu'il y a de fondamental en

chacune et de commun ientre elles. Krishnamurti de-

clare n'avoir aucun lien avec l'Eglisecntholique Jibe ..

rule, qui pnrnissait un cadre tout prepare pour Ie .

- _ , ~ ' .



, L'ENSEIGNEMENT DE KRISHNAMURTI 413

nouvea u Messie -. un certain nombre de ses apotresavaient meme d e j a e t e designes, Krishnamurti, non seu-lement ne veut pas fonder de religion nouvelle, mais

encore i1condamne toutes les religions passees ou pre-sentes. Toutes, dit-il, sont des obstacles, des entraves it

ce qu'Il nomme Ia Liberation. II dissout meme l'Ordre

de I'Etoile, organisme cree pour Ie servir.

On s'explique aisement, devant ces faits, que beau-coup de theosophes soient troubles et deroutes, Mais il

y a, dans leurcas, plus encore 'que leur etonnement etleur deception. II y a la difflculte ·qu'ilseprouvent it

comprendre quel peut etre Ie sens de l'enseignement

de Krishnamurti. _ .

Get enseignement, nous I'avons dit, n'est pas ce qu'onattendait, mais qu'est-il en lui-meme ? Qu'est-ce que

cette Liberation, leitmotiv d u o maitre, libera tion quiseule donne acces au Royaume du Bonheur?

Beaucoup ne comprennent pas et s'en rendent compte;

d'autres crolent -comprcndre et sc trornpcnt si on en

juge par les questions toujours les memes posees a

Krishnamurti et les reponses vives au bien lasses etdecouragees de celui...i.

Peut-etre Ies considerations suivantes apporteront-

elles quelque aide a ceux pour qui comprendre est unenecessite ·et qui cherchent anxieusement, douloureuse-

ment.

Le point capital de la pensee de Krishnamurti, Ie

coeur de son enseignement nous parait etre Ia distinc-

tion, l'opposition qu'il etablit entre la Vie et la Forme,

la Vie principe de tout ce qui est, Ia Forme, oeuvre, pro ...duit de Ia Vie, c'est la distinction du Soi, de I'Atrnan

et du soi ou personnalite (etymologie : persona, mas-que) de I'Absolu et de sa manifestation, de l'Espri t et

de Ia nature. Cette distinction, cette opposition sup-

pose que ron voit clairement Ies caractercs des deux

termes ainsi distingues et opposes. Or, cette vue nettemanque it la plupart d'entre nous. Sans nous ranger tous

dans la phalange' nornbreuse de ceuxqui se refusent it

admettre autre chose que ce qui tombe sous leurs sensou leur intelligence, des savants qui neconnaissent que

les fa i ls et leurs rapports, des psychologues pour qui

r t . mr 1 1 1I111:l inc n'cst que Ia somme des eta ts de con-S('I('JlCl', 1)(·lIs{'(~s. l'l1IofioIlS, (1{~ter l11innt i()ns , des Bond ...

, .~. ~., I • - 1.• lh " .• -, ••.. ~ ISJI".J.



414 REVUB THEOSOPHIQUS

dhistes qui rejettent le soi, l'Atman et ne connaissent

que les « formations » des rnaterialistes plusoumoins

averes qul dernaudent, non sans quelque ironie ':

« Qu'est-ce done "que I'Esprit? », sans nous ranger tousdans cette multitude, nous participons peut-etre tous,

a quelque degre, ; a .l'etat vd'esprit vqu l lui est propre.

Ainsi prenons, it titre d'exemple,quelques vers d'une

des dernieres poesies de Krishnamurti :

« Desire is life,

« And the freedom of life is the freedom from' desire.« Thought is life

(~And the union uiitk life is the glory of a boudless[mind. »

(Le desir est vie,Et ila liherte de la vie est la liberation du desir,

La pensee est vie,

Et I'union avec la vie est la gloire d'un esprit affranchi

. de ses limi ta tions.)

La pIupart d'entre nous ne pourront rendre compte

qu'avecpeine

de ce qu'est ce desir-qui est vie etdont

Ia vie doit s'emanciper - cette penseequi .est egalcmcnt

vie, alors que l'union avec Ia vie sera Ia gloire d'un es-

prit qui ne connait pas la limitation.

Si nos explications sont hesitantes, c'est que nous 'ne

voyons pas nettement Ie sens de I'idee exprimee. NOllS

sen tons seulement qu'il y a lit un appel des 'puissances

superieures ·de I'ame a Ia partie inferieure.

Peut-etre comprendrions-nous plus, aisement la dis-

tinction de la Vie et de Ia Forme, de ce qui cree et de'cequi est cree si Ia pensee occidentale chretienne avail

conserve la conception de saint Paul reconnaissant dans

I'homme l'esprit, l'ame et Ie corps. Mais c'est justement

parce que la distinction entre l'esprit et fame est deli...

cate a saisirque Ie dogme chretien, s'adressant aux

- masses, a Iaisse se perdre cette notion capitale, Comme

. les eaux souterraines convergent dans les profondeurs

du sol' pour n'apparaitre a I'oeil de tous qu'a leur point

d'emergence, Ia ou la source jaillira, ainsi I'esprifvca-che dans les profondeurs de l'etre, ne semontrera .que

dans ses ceuvres, ses manifestations, dans les faits de .

conscience qui constituent l'ame,

La « Vir », « I'Ahsolu », « I'Esprit », Ie « Soi ou I 'A t ..

' . _ • ~ • \ '_IJ! - - ~'I " ,: t "



L'ENSEIGNEMENT DE KRISHNAMURTI 415

man » et nous ajouterons Dietl, De penvent tomber sousIa prise de l'entendement, de I'intelligence et, par Ia,

sont proprement incornprehensihles, Qui dit Absolu dit

sans limite; qui dit intelligence dit faculte de saisir desrapports entre des donnees qui, it titre de donnees, sont

necessairement distinctes et separees, II y a done .incom-pa tibilite Iogique entre ces deux notions. Ne cherchonspas ..it comprendre par l'entendementce qu'est Ia Vh~,

l'Absolu, ee pole positif qui s'oppose au pole negatif',la Forme, Ie Relatif. L'ceuvre est vaine et condamnee

d'avance. •

« Pour Dieu rneme cette antinomie subsiste. Dieu ne

peut pas se iconnaitre absolument lui-merne. La con-naiss.mce absolue de I'Absolu est impossible ... parce que

cette realisation de l'Absolu en idees le detruit, Ie laisse

·echapper. » (LAGNEAU, Celebres lecons, p. 56.)

Mais si l'intelligence, notre phare dans Ie domaine de

Ia limitation, ne peut nous aider a franchir Ia frontiere

de ce domaine, ily a, en nous, une puissance qui, d'unjet vigoureux; penetre dans ,Ie- royaume de l'Absolu, del'Esprit;c'est la tendance,

« Desire is life »

-dit Krishnamurti. II suffit de s'observer meme tres su ...

perflciellement pour constater que c'est Ie besoin, l'ap ..

petit, l'aspiration, Ia tendance, en un mot, qui nous por-tent it agir. Notre action sera d'autant plus energique

que notre tendance sera plus forte. Les Maitres chre-

Hens de la vie spirituelle declarant quece sont les

grands pecheurs qui ont en eux l'etoff'e des plus grands

saints. Un ouvrier fut appele un jour dans un monas-tere de femmes cloitrees pour execu ter quelques tra-

vaux de son metier. A la vue de ces femmes, a l'abridu besoin.. qui lui parurent paisibies et heureuses, il

fut pris d'une rage haineuse, et, cedant it une impulsionmorbide, il aha ttit la prieure -d'un coup de revolver it

bout portant. Je tro-uvai l'aumonicr consterne sans

.doute, tres emu, mais plein de pith~ pour Ie meurtrier.

« Que cet homme a dft souffrir d'ignorer Ies joies spiri- .tuelles qui seules auraient pu sa tisfaire sa nature! ))

Ce n'est pas Ie poteau sur Ia route, Ie 'poteau indica-tour du chemin a suivre qui nous donnera la force de

parcour'ir In distance qui nous separe de notre but; ce



/

416 , REVUE THEOSOPHIQUE

n'est pas I e precepte qui DOUS donnera l'energie d'aller

de l'avant. Tout ce qui nous est exterieur n'est que Ie

poteau indicateur qui nous dit I'experience d'autrui.

C'est en nousqu'est le moteur, et 'c~ moteur c'est la

tendance,c'est la Vie,c'est l'Esprit.

L'experience seuIe est notre maitre. Si nous sommes

decus apres avoir atteint un but ardemment poursuivi,

ce qui est Ie sort de chacun de noUS, nous nous ressai-sissons et nous fixant un but' plus haut, nous repartonspleins d'une ardeur nouvelle. Et ainsi, d'etape en etape,

nous parcourons toutes les routes qui s'ouvrent devant

nous, en quete de ce que nous ignorons dans notre con-

science limitee, en quete de l'Inflni et de l'Eternel.« Ah I Ie desir est jeune comme Ie premier rayon de

[I'aube

, « Et triste comme un cortege funebre vers la tombe .

.. • " II II III to " III ', " •• I II II , .

« Ah! tous les desirs qu'on satisfait parce qu'on es-

[compte Ie bonheur!

« Taus les sacrifices qu'on accomplit enchcrchant le

[bonheur l

« Toutes les mortifi.ca tions qu'on s'impose par soif du

[bonheur l

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , " .

« Tout au fond, dans la vase, la graine du lotus est

[en genese,

« Le doux parfum se cache au coeur de la fleur, »

J. KRISHNAMURTI.

« Nous avons done en nous Ia tendanc.e

ades Inani-

festations iridefinies. D'ou vient cette tendance, que sup-

pose-t-elle?

« Elle suppose le sentiment de notre insuffisance,

c'est-a-dire de notre dependance, l'attachement non anotre etre, mais a I'etre. » (LAG~EAU, Ecriis, p. 355.) ,

« L'appetit est a la fois desir et instinct; c'est l'atta-,chement d'un etre a I'etre, I'action par laquelle l'etre

universel signale sa presence et sollicite son developpe-

ment dans l'etre individuel. ) ilbid., p. 18.)Pourquoi I'Absolu qui est Tout, la plenitude de toute .

chose, se manif'este-t-il, se soumettant pour cela a Ialimitation, en quelque sorte au morcellement de lui-:

mcmc? C'est Ia « Loi de l'Etre », nons dit Ie philnsophe



LtENSEIGNEMENT DE KRISHNAMURTI 417

Lagneau. De meme qua c'est une resistance placee sur

un courant electrique qui permet a celui-ci de se trans ...former en lumiere et en chaleur, de meme c'est par

I'ohstacle, l'obstacle du tempset de I'espace que I'Ab- '

solu prend 'conscience de Iui-meme, peut se connaitre

Iui-meme. Brahma sommeille, dit Ie philosophe hindou,

durant les pralayas, periodes de non manifestation. II

ne peut, en efi'et,y avoir de conscience que la O U appa-rait Ie changemcnt, la modification.' .

Ainsi l'AbsoIu, l'Esprit cree l'etreconscient, une mul-

titude d'etres qui, a des degres divers et par leur mul-:titude meme, s"efforceront de refleter l'Inflni.

Quel est Ie sens de cette activite creatrice de l'Absolu ?Est-ce celui du jeu oucelui du travail? Du jeu, simple

deploiement d'activite, exuberance, execs, pourrait-on

dire, d'une activite qui se deploie pour Ia seule joie de

se deployer, de se depenser ? Est-ce celui du travail qui'

ne diff'ere du jeu que paree qu'il est un moyen pour

atteindre un but qui lui est etranger? La fillette qui en-

file des perles pour le seul plaisir et fait ainsi un [oli

objet, bracelet oucollier, joue. L'ouvriere qui fait des

couronnes mortuaires enfile des perIes, elle aussi, rnaisc'est pour gagner sa vie, et pour clle les heures se succe-

dent Iongues, monotones, souvent fatigantes; elle tra-

vaille. '

L'activite creatrice de I'Absolu est sentie differem-

ment par l'Orient et par I'Occident, Pour l'Orient, elle

est un Iibre deploiemen t d'activite, Dieu epanche v e n

quelque sorte I'inflnitc de sa puissance dans Ie [eu-

creation. L'Occident 'y verrait plutot un travail dont ilcherche Ie but. « Dieu travailla six jours, dit la Genese,et se reposa Ie septieme. » « Pourquoi, dit Ie catechismecatholique, Dieu nous a-t-il crees iet mis au monde ?

Heponse : Pour le connaitre, I'aimer, Ie servir et parce moyen obtenir la vie eternelle .. » L'oeuvre sortie des

mains de l'ouvrier est desormais distincte de lui, I'es-

pri t, en I'homme, est separe de Dieu, de sa source.

« Arriere, s'ecrie Ie philosophe Fichte, Ie fantome d'une

creation de ce qui n'etait pas en Dieu eternel et neces-

saire, d'une separation et d'une expulsion du sein de

I'etre de Dieu ·qui DOUS rejette dans le neant, » L'idcal

('h)'("1ion sera la f'raternite ou les f'reres.unalgre los liens

q H i 1(ls unlsscn t, sent des personnes distinctes, scparees;



418. .REVUE' THEOSOPHIQUE

celui des races d'Orient est l'unite .0'0 les etres sont unpar I'unite de leur essence. Aussi I'Oriental s'efforce-t-il de retrouver I'Absolu dont ilemane, de se perdre

en lui en echappant Ie plus pos-sible aux limitations quicreent son existence. Son but, c'est Ia Liberation, libe-

ration de tout ce qui Ie separe de I'Eternel et de 1'In-flni.. Echapper au temps et it I'espace, vivre dans I'eter-nel et I'inflni, telle est bien la « Libera tion » exaltee

par Krishnarnurti.

L'Occidental, par son obelssance i t la Ioi, qui lui estpresentee comme donnee par Dieu, par ses vertus, vou-

dra conquerir Ie ciel, Ia recompense promise it ses m e -

rites. Notons toutefois que lcs mystiques .. de toutes lesreligions, soit de l'Orient, soit de I'Occident, soupirentapres I'unite, .

« Le mystique est l'homrne contemplatif qui vit ell-tierement par le dedans, tout entier dans la «substance»et pour la « substance », I'hornme don t Ia conscience

a pris racine dans l'Atman et qul, par consequent, estcornpletement vrai et repand son interieur en effusionstout it fait spontanees, Un tel etre ne peut renier au-

cune manifestation de la vie. Dans chacune d'elles ilvoit 'a l'ceuvre la force divine. » (KEYSERLING, Journal devoyage d'uii philosophe, p. 111.)

Toutes Ies religions ant leurs mystiques. Saint Jeande la Croix, Ie grand docteur mystique catholique,nomme « Union transformante » I'etat de I'ame qui

se perd en Dieu, Mais la Voie mystique ne convientqu'a nne elite infime; I'immense majorite ne peutquit-ter 1a region de la vertu proprement dite, celle des actescoriduisant au salut. Aussi, l'Occident faconne par une. theologie plus que millenaire, vit-il dans I'action, c'est-·a-dire dans Ie monde de la manifestation, tandis que

I'Oriental, Ie Yogi s'efforce, par la contemplation, d'elar-gir 'sa conscience pour se plonger dans l'Absolu.

La religion sera chose tres diff'erente en Orient eten Occident. En Occident le dogme sera une verite ensoi; Ie chretien doit croire i t Ia divinite de la personne

du Christ. L'Oriental ne confond pas' le plan de la ma-nifestation etcelui de I'Absolu. « Les plus grands, parmiles Hindous, saven t que' to ute materialisation reli-gieuse est d'origine humaine. }) (KEYSERLING, OUV. cite,p. 284.) « Ils n'ont [amais commis notre erreur typique

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L'ENSEIGNE.MENT DE KRISHNAMURTI' 419

consistant a prendre metaphysiquernent au serieux une

formation intellectuellequelconque. » (lb. p. 303.)

Peut-etre la divergence entre Annie Besant et Krish-

namurti,qui trouble enoe moment les theosophes,

tient-elle i t . ce ,que chacun d'eux, par s a race, met l'ac-cent plus ou rnoins incoasciemment sur l'une des deux

faces rcelle de l'Absolu, celle de Ia manifestation. « Ce

n'est pas seulement une minorite qui peut atteindre Ie

but, dit Krishnaji, tous les hommes Ie peuvent it n'im-

porte quel stade d'evolution., .. » « Mais, dit A. Besant,

Ie sauvage est-il icapable de faire cela? II me semble

que non, pas plus que le 'bouton d'une flenr ne peut

devenir fruit en une heure. Il est probable que je nesaisis pas ce que Krishnaji veut dire. » (Bulletin de

t'Etoile, juin 1929, p. 2Qft) A. Besant est dans le domaine

de la manifestation. Elle voit dans I'espace et dans le

temps, 'qui sont les conditions elementaires de la nlatt~-'

rialite.Krishnamurti est hors de la manifestation; il

voit dans l'eternel ou tout est actuellement present; il

est en dehors et au-dessus des lois qui reagissent le

cree, L'Esprit, la Vie c'est lui-meme, II a vu Ia lumiere

de Brahma, it est lib e r e . « Un jour, a l'improviste, brus ..quernent, IaIumiere de Brahma jaillira dans I'esprit de

l'homme, etcette Iumiere eteint tous les problemes hu-

mains. » (KEY SERl.!NG, ouv. ,CI, p. 373,)

( As the Eastern breeze,

« That suddenly springs into being,

( And calms the weary world"

« So have 1realized. »

« Cornme la hrise d'Orient,« Nail soudain

'{Et rafraichit Ie monde Iasse,(\ Ainsi ai-je atteint Ia realisation. })

.( M y soul grasped the infinite simpliciiu of Truth.

( 1lost musel] in that happiness. »-

((Mon arne put saisir Ia simplicite infinie de la Verite.« Je me perdis dansce bonheur. »

Chacun de nous, etant une etineelle divine, (( en

sait plus que ce qu'il croit savoir », Le christianisme

n'cfit pas sans cela trouve dans les masses l'nccucil qu'IlH rccu, Chacun peut et doit se Iiherer. « Ouivcelui qui



REVUE THEOSOPHIQUE

d'une maniere tout a fait desinteressee recherche la

spiritualisation peut, non seulement parcourir taus les

sta.des en une seule vie, mais iI peut meme trouver Iadelivrance definitive pendant son existencecharnelle-

(en devenant un Jivanmukta). A coup sur, il Ie peut,'car precisernent icette delivrance, tout a fait indepen-dante des hasards de Ia.vie et de Ia mort, consiste dansl'union de la conscience avec le principe de la Vie. ))(KEYSERLING, p. 154.)

Krishnamurti ne voit dans les religions diverses, les

associations de toutes sortes que des « hequilles » pour'

soutenir Ies faibles, bequilles auxquelles ils se fient -etqui retardent leur progres en diminuant leur effort. IIne faudrait pas nier toutefois que ces « hequilles »,.

ces moyens, ne puissent etre utiles, peut-etre meme ne-.

cessaires a beaucoup, tout au moins provisoirement.

Mais ily a plus. Si l'Absolu ne prend conscience de

Iui-meme que par la manifestation, c'est sans doute quec'est Ie meilleur moyen qu'il ait de se rendre intelligible _c

it l'homme. Ce qui est capital, c'est de ne jamais oublierque la forine provient toujours de l'homme.

L'Absolu et sa manifestation, Ie Createur et la crea-ture, I'ideal et le reel, ce sont l'avers et Ie revers d'uneseule et merne medaille, dont Ies faces ne se differen--

cient que pour l'entendement humain. L e u r identite,

c'est Dieu meme, dit Ie philosophe Lagneau, 11.va sansdire que nous ne devons mettre sous le vocable Dieu

que I'idee que nous avons nous-mernes .coneue ; iln'y

a pas de notion de Dieu qui puisse s'imposer du de-.

hors it tous les esprits et, main-s que toute autre, celle

d'un Dieu personnel fait it l'image de I'homrne, « CetAbsolu qui ne peut pas etre realise sans contradiction,c'est Dieu merne, qui, s'aimant de l'amour inflni dans

les creatures qu'il determine, entretien t par -cela memeet son propre eire, et l'etre de ces creatures. » ( L A G N E A u ,

Existence de- Dieu, _ p . 99.)

Ainsi se concilient les deux points de vue d'A. Besantet de Krishnamurti qui, pour beaucoup, d'abord, sem-

blent s'exclure,

Ces deux points de vue. se concilient non seulement

en droit, mais aussi en fait.

En voici un ternoignage souverain. Ce sont des ex-traits d'une conference donnee par A. Besant le 7 juil-'

_ , ,; I..;· ". I~,~ :1. ,;,." " ,. .It. ,_•. ,

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L'ENSEIGNEMENT DE KRISHNAMURTI 421

let 1928 aux membres de 1a Societe Theosophique de

Londres

« Lorsque vient l'Instructeur du monde, 11 approfon-dit la vie, apporte 'une vie nouvelle, une vie vigoureuseet se deharrasse de tout ce qui ne s'accommode pas,

avec son oeuvre, Actuellement, de nouvelles formes se-

rant creees pour sa propre expression. Et ainsi, Iors-que des gens disent ou ecrivent au sujet de contra die..tions existant entre Krishnamurti et Ie docteur Besant,nous en rions l'un et I'autre, parce que nous savons quenos points de vue ne se contredisent nullement. .. C'estIe manque de comprehension qui cree les divisions, qui

DOllS empeche de percevoir les besoins d'autrui par-ceque nous ne les avons pas nons-memes ... Ainsi, je vousprie de ne pas ajouter foi aux histoires de querelIe, desepara tion ou a des propos depourvus de sens ... Si mesmethodes peuvent diff'erer de celles de Krishnamurti,

'car les besoins des gens sont divers, iln'y a qu'une seuleVie a laquelle tous deux nous participons, _et cette Vien'est pas separation : elle est Amour. )) (Bulletin Theo-sophique, annee 1928, nv 8, p. 173 et suivantes.)

Ces quelques Iignes si simples d' A. Besant sont uneaffirmation precise et irrecusable. Elles donneront Iadouceur de la paix et de la confiance absolue i t tousceuxqui, refusant de s'enroler dans un des deux partis

qui s'opposent, n'auront pas leur vision obscurcie parIa poussiere et la f'umee de la lutte.

C'est dans fame humaine que Ies deux forces con-

traires, Ia Vie et la Forme .se livrent Ie grand combat.Chacun de nos actes, qu'il soit d'ailleurs bon DU mau-

vais, laisse en' nous une disposition a se reproduire.C'est Ie phenomena de l'habitude. L'Esprit, des qu'il se

manifeste, entre dans un domaine ou Ia force de l'iner-tie pesera sur lui et tendra .3 . l'etouff'er. L'acte se renou ..

vellera avec une facilite .d'autant plus grande qu'il auraete accompli plus souvent. II se forme ainsi en nous

un mecanisme qui tend a fonctionner sans nous.

La Vie, I'Esprit se retire et laisse Ia place it l'auto-

matisme it la nature. L'esprit a cree la nature, 1a na-ture dent .Ia force initiale, l'Esprit, s'est peu it peuretiree, obeit aux lois qui regissent Ie monde materiel,

luis necessaires d'ou toute liberte est exclue. Ainsi

l'houunc perd son rang de crcateur et devient creature;

" ,~ .,



422

i-I descend du royaume de I'esprit dans celui de Ia ma.-tiere; ilperd s a Iiberte originelle et devient I'esclave de.ses habitudes, de .son Karma, diseot Ies Hindous. « Cha-que individualite humaine est, durant ses existences,

le champ d'une .lutte entr.e S9n Iibre arbitre, dont leprincipe « Vie » est la source, et le determinisme que

son Karma fait peser sur elle. Tels sont les deux ac..·

teurs du drame xlont chaque existence est un aete et.dont Ie denouement, ou eojeu de la lutte, sera : soitl'ascension de I'etre au-dessus de la region ou 'Karmaopere, soit son asservissement final i t Karma, aux lois.de la matiere, c'est-a-dire it .la rnort. » (CHEVRIER, Essai

"de Doctrine occulte, p. 25.) Ce n'est done que par la -

Iutte, par l'effort,qne nous demeurerons vivants etlibres. ( Toute vie est nne action par laquelle l'etres'arrache ace qu'il est, pour etre quelque chose qu'iln'est pas encore, ce qu'il tend a etre.OJ ....Vivre de la Vie.universelle, c'est vivre. » (LAGNEAU, Celebres lecons;p. 60.)

Dans ce royaurne de la Vie nous nous sentirons unis .i t

tout ce qui est. Meme dans Ie monde rna teriel, dans la

nature, I'iutelligence retrouve, par l'universalite des loisphysiques, l'empreinte de' I'unite de l'esprit. Dans Ie

domaine spirituel, I'unite ap.p.arait comme la substance-meme de l'esprit. « Comme il n'est point de mouvement

qui ne depende .de taus les mouvements. qui se -sont [a-mais accomplis et qui ne doive contribuer a taus ceuxqui jamais s'accompliront, iln'est point de pensee en

Iaquelle .n e retentisse plus au moins obscurement toutce qui f'ut, et qui ne doive subsister et se propager elle-

meme, sans s'eteindre jamais, comme en vibrations eter-nelles. Chaque ameest un foyer ou se reflechit de toutesparts, SOllS mille angles diff'erents, I'universelle Iumiere

et non seulement chaque arne mais chacune des pen-sees, chacun des- sentiments par lesquels se .produit sans

cesse, du fond de I'inflni, son immorselle personnalite, »

(RAVAISSON, Philosophic en France, p. 238.)

Ainsi l'egoisme qui nous isole, Ia lachete qui nous

livre pieds et poings lies a l'Inertie sont la source pro-

fonde de tout mal. .« Le mal c'est I'egoisme, qui est aufond lachete, L a laehete, elle, a deux faces, recherchedu plaisir et fuite de I'effort. Agir, c'est la combattre ..Toute autre action est illusoire et se detruit, Serious- .

• .• • " : r t I , , _



L'ENSEIGNEMENT DE: _KRISHNAMURTI

nous seuls au monde, n'aurions-nous plus personne nt"

rien i t quoi nous donner, que la loi resterait la meme,

~t que vivre recllement serait toujours prendre la peine

de vivre.» (LAGNEAU,

Existence de Dieu, p. 152.)Krishnamurti, fils de Brahmane, nous donne I'ame

de sa race en faisant de la distinction de l'Esprit et de

.la Forme l'unique chose necessaire au salut, de I'affran-

chissement, de la liberation de la Forme, Ie salut merne .

.Mais ilnous donne aussi son arne propre, individuelle.S'il est vrai, comme Ie disaient les Stoiciens, que la

matiere soit un ether detendu, et I'Esprit, lacause pre-

miere, un ether ernbrase, au maximum de tension, nous

.reconnaitrons que c'est par nne des plus puissantes ten-.sions qui aient peut-etre jamais e te atteintes que Krish ...namurti estce ·qu'il est. Sa personne est tendue, sui-

vant ses propres _expressions, « comme Ie tigre pret abondir, comme I'aigle sur Ie point de s'envoler, commeI'arc au moment d'envoyer sa fleche, )) Cette tension'

.a etechez lui, comme c'est d'a illeurs la loi generale,

Ie fruit de la lutte contre l'obstacle, L'obstacle a e te sadouleur de la mort de son Frere. C'est la douleur qui a

.fait jaillir du fond de son etre l'e.tincelle creatrice :

« Dans rna recherche« Je t'ai trouue

« 0 Seigneur de mon

« En Toi seul

"ame,

« Poi vu le visage de 'mon frere-.

. « En Toi seul

« 0 mon efernel Amour« I'ai coniemple le visage

" « De tous les vivants et de taus les morts. »

(Poemes de KRISHNAMURTI, Nitya.)·

« Ma ooix est la voix de la comprehension« Nee de I'injinie douleur. »

KRISHNAMURTI.

Comment vivrons-nous Ia parole que nous apporteKrishnam urti ?

Nous TIenous contenterons pas de la lire, si, par lire,

on cntend pa:r:c.ourir un texte d'un regard plus ou moinsnttcnt if; nous TIe l'etndierons pas, nous ne la mcditerons

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424 REVUE THEOSOPHIQUE

pas, si mediter n'est qu'enchainer des idees les unes aux

autres par Ie seul exercice de I'tntelligence-proprement

dite. Nous appliquerons Ia methode hindoue :

« L'eleve doit s'absorber en elle (nne sentence) jus-qu'a ce qu'elle ait pris entlerement possession de son

arne ... » II ne s'agit pas d'un travail de Ia pensee, mais ..

d'un approfondissement du moi » « L'occidental va de

pensee en pensee, induisant, differenciant, integrant;

l'Hindou, lui, d'etat en etat. )) (KEYSERLING, OUV. C. p. 305,.306.) -

Nous nous baignerons done dans la parole de Krish-

namurti, Ia laissant penetrer pen a peu tous nos etats

de conscience, les elargissant, les approfondissant sans·cesse pour les rapprocher, sans d'ailleurs esperer attein-

dre jamais Ie but, de l'Eternel, de l'absolu. NOllS entre-

rons ainsi dans ce que Krishnamurti nomme: « Le .Royaume du Bonheur » . « La preuve de I'existence de '

Dieu, dit Lagneau, c'est le bonheur qui rend possible Ia

vie morale et 'en resulte, » (Existence de Dieu, p. 123.)Ce .bonheur est hi seule certitude que nous puissions

avoir d'etre dans Ie vrai, mais elle est souveraine. Plus

I'ame s'eleve « plus elle devient c-apable de jouissancessuperieures et, dans ce sentiment de joie qui results de

Ia formation de la nature morale en nous, se trouve en

definitive Ia derniere garan tie de Iacertitude », (LAGNEAU,

Celebres lecons, p. 60.)A chacun de nous d'en f'aire I'experience. Et ce n'est

pas a une existence apres- la mort que nous devons re-mettre notre union avec Dieu.

Un ouvrage sur Platon, paru tout dernierement, se ter-

mine par ces mots :({Car cette presence de l'Eternel, et j'ose dire cette

fnmiliarite avec l-'Eternel; enfin cet autre monde qui est

ce monde, cette autre vie qui est cette vie, c'est propre ...

ment Platon. » (ALAIN, Otize chapitres sur, Platon.)

Nous dirons, avec Ia meme verite,c'est proprement

Krishnam urti.

M . JA LAMBIC .

L'Enseignement de Krishnamurti, Par M. Jalambic

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