Krishnamurti, par Carlo Suarès

8/2/2019 Krishnamurti, par Carlo Suars

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p t

1932

LE S DIT IO NS A DY A R

?

par Carlo SUARS


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KRISHNAMURT I


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Carlo SUARS

K R IS H N A M U R T I

1932

L.ESDITIONSADYAR


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P a r C a r lo SUARS

AUX EDITIONS ADYAR :

LHomme et le Moi. Sur des notes prisesau cours de confrences et causeries de Krishna-

m u r t i .............................................................. 5 fr.

CHEZ JOSE CORTI :

La Comdie psychologique. Prcde deA Prsent (les tches immdiates de la penservolutionnaire) ........................................ 18 fr.

c o p y r i g h t 1932

bg LES EDITIONS ADYAR

Tous droits de traduction rservspour tous pays.


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I. - LE MESSAGE ................................. .................. 9

II. L H U M A IN ............................................................ 33

%III. D E S TR U C TIO N E T N O N -D E S T R U C T IO N

DU MOI ...................................................... 49

IV. LE C H A N T D A M O U R ........................................ 57

V. 1 9 2 7 . L E C R I DE L I B R A T IO N ................ 83

VI. 1928. LA CO NQ UT E DU NON PO UVO IR 105

VII. 1929. - L A D E S T R U C T IO N D E 8 T E M P L E S 133

VIII. 1930. - E X P R IE N C E E T C O N D U IT E .... 175

IX. L H O M M E D AN S L A N A T U R E E T L A SO

C IT 203

X. L A C T IO N P U R E .................................................. 237


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Pour les citations marques par un * se reporter en fin de Vouvrage.


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LE MESSAGE4

s o n dbut, le message de Krishnamurti futun appel simple et direct participer une vie libre , un appel empreint

damour et sadressant lamour. Il fut le chantquadresse un homme dlivr de ses chanes la

vie impersonnelle et infinie. Aujourdhui Krishnamurti, aiguisant sa pense, la projette dans ledomaine psychologique. Son message rpondds lors aux questions que se pose la conscienceau sujet de sa fonction: sa fonction, dit-il eivsubstance, est de dtruire lillusion du moi ,

de librer lhomme de la conscience de soi. Ilexplique ainsi les contradictions fondamentalesde nos civilisations: elles existent du fait que cescivilisations sont construites sur lillusion du moi . Parce que lhomme est isol dans sa conscience, parce quil croit la ralit de son moi , il cre les conflits, les divisions, la dou

leur. Lignorance nest pas autre chose que laconscience de soi. Cest delle que nat la peur,et de la peur, les religions, le principe dautorit,les morales tablies, lexploitation spirituelle etmatrielle, les castes, les classes, les frontires.

Cest de tout cela que nous devons nous librer.

Le message de Krishnamurti tient tout entier enune phrase: Vhomme doit se librer. Cest celaque Krishnamurti revient toujours, sans se lasser.


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10 KRISHNAMURTI

Le moi, bien quil soit un fait, est une illusion. Tout le problme humain consiste se dlivrer de cette illusion. Cependant, pour ceux qui

sont envots par elle, lide seule de sen dlivrer leur appara t aussi fantastique que lhistoirede lhomme qui devient invisible. En effet, demme quun tre non encore conscient de soi nepeut comprendre un message se rapportant cette conscience, de mme l'homme plong dans

lillusion du je suis ne peut mme pas concevoir quun tat puisse exister o lhomme nestplus un moi. Aux temps prhistoriques, leje de lhomme des clans ne stait pas encoredtach de la conscience du groupe, par laffirmation je suis moi. Tout lordre social taitbas sur cette conscience de groupe. Lre histo

rique est celle de laffirmation de la ralit desmoi. Toutes les civilisations sont bases surcette illusion. Aujourdhui, la nature humainedoit faire un nouveau pas. La conscience, endpassant le stade de la conscience individuelle,doit se librer (comme on dissipe un rve) du

moi et de ses uvres, cest--dire de la totalit des valeurs du pass.Et de mme que le passage de la conscience de

groupe la conscience individuelle fut marqupar des rvolutions gigantesques, dont le souvenir est symbolis par la guerre des Dieux contre

les Titans, de mme les convulsions de notremonde actuel marquent le passage de la conscience de soi une dlivrance du soi, qui est lhu


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LE MESSAGE 11

main dans sa clart. Et cette dlivrance est uneguerre entre lHumain et les Dieux. La criseeffroyable de nos civilisations est une des faces

de cette crise de lHumain, de ce changementdtat de la nature humaine, que la Nature sefforce damener. Les guerres et les rvolutionsque nous vivons, et qui se prparent, terribles,tendent chasser le cauchemar millnaire, aucours duquel les hommes, isols dans leur

moi , ont cherch en vain leur raison dtreet leur essence. Mais celle priode est terrible,parce que devient terrible, dans son pouvante,le moi pourchass, le moi traqu danssa contradiction intrieure, et dans celle detoutes ses uvres. Le moi se lve en congrgations innombrables pour sefforcer dcraser

dans le sang, lhumain, la vie, qui surgit de tousles cts.

Le moi , cette illusion, ne veut pas se laisser dtruire. Il saccroche son rve, ses religions, son univers hirarchis, ses idalshroques et moraux, toutes les affirmations

de son gocentrisme, tout ce qui peut lentretenir dans son affirmation inhumaine.En termes trs simples, Krishnamurti, dont la

pense calme et claire est ne de lamour, dchire les voiles de linconscience.

*JUA

o


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sente aujourdhui nous, est clair, simple,prcis :

Il existe une Vrit inconditionne, totale, ab

solue, qui est la Vie elle-mme. Cette Vrit vivante est dynamique, positive, mouvante, elleest le Maintenant ternel, le Prsent qui ne cessede se renouveler, de se donner naissance chaque instant.

Le Prsent est en toute chose. Tout est rel.

Dans ce monde rel, les hommes attribuent cependant aux choses des valeurs irrelles, car aulieu de percevoir linstant prsent, ils interposent entre le Maintenant et eux-mmes leur je irrel, comme un arrire-plan, avec sesinnombrables crations. Leur conscience individuelle nest faite que dacquisitions, de pass. Le je est incapable dtre au tre chose que dupass, il ne peut donc pntrer dans le Prsent,qui est la seule Eternit. Ce quil appelle sonavenir nest quune projection de son pass, dansson imagination. Lego na pas de futur.

Ltat de Connaissance est un tat o lhomme

est libr de son pass, cest--dire de sa conscience de soi. Quelque paradoxal que cela puisseparatre premire vue, cet tat est le seul quisoit naturel lhomme vraiment digne de cenom. Tout ce qui appartient au moi nestencore que sous-humain. Lhomme libr de son

moi a libr ses facults dintellect etdamour. Maintenant elles fusionnent en uneaction puretimpersonnelle, en une adhrence au


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LE MESSAGE 13

Prsent, qui est la fois amour et intelligence,qui est intuition. L* illumination est la dcouvertede la vraie valeur de chaque chose.

%***

Voil, dans sa simplicit, lessentiel de ce message. Krishnamurti la vcu, il le vit constamment. Ceux qui le connaissent ont pu le constater : cet homme est compltement libr du

moi . En lui, le personnage, lenlit nest plusl. De ce fait il devient insondable. Aussi bien,nest-il point question de camper ici un personnage qui nexiste pas, mais de prsenter un message. Celui-ci, si on prtend ne ltudier quecomme du dehors, sans y participer, demeure tout jamais incomprhensible. Si on le vit, ilse recre en nous, il consomme en nous la totalit de notre pass, donc aussi du pass humain.Il ramne tout ce pass, semblable un rve,dans le prsent qui est un veil. Il ramasse enun point, plus petit quune pointe dpingle, lensemble de toutes les recherches millnaires de

lhomme au sujet de son essence, et de lessencede lUnivers.

Du point de vue social, comme du point devue individuel, ce message est complet en soi.Il donne la valeur fondamentale dune civilisation enfin humaine. La fonction de la vraie civi-

lisation est de permettre Vhomme de se dve-lopper librement, et de se dbarrasser du sens du moi *. Nos civilisations, bases sur lillusion du


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moi, prtendent dvelopper lindividu. Maislindividu ne peut se dvelopper rellementquen se librant du sens du moi . Le moi

tant imparfait, ne deviendra jamais parfait.Ses innombrables acquisitions, matrielles ouspirituelles, lui donnent lillusion du progrs,mais le moi , qui est le pass, ne progressera

jam ais vers le Prsent. Loin de s'acheminer verslEternit, le moi est au contraire constamment en lutte contre le Prsent, cette Eternit

qui est en lui. Sa souffrance est cette rsistancequil oppose lEternit. Au con traire ,. si le moi cessait de rsister, sil se soumettait son dynamisme intrieur, il librerait en lui uneforce explosive, qui le ferait voler en clats.

Semblable une coquille, le moi enferme

une vie impersonnelle, qui pour natre doit lebriser.Or, toutes les civilisations qui sont bases sur

la ralit du moi , sefforcent de maintenirintactes les coquilles, au dtriment de la vie impersonnelle qui naspire qu natre. De l toutes

leurs contradictions. Loin dtre une tincellede vie, le moi soppose la Vie. Il dguisecette lutte goste, il la masque : son beau, sonvrai, son bien, sa morale, sa religion, sa charit,son idal, sa foi, sa vertu, son progrs, sonamour, et tout ce quil invoque, tout ce quoiil sefforce, tout cela nest pas autre chose que

le dguisement de sa soif gocentrique de durer,de se prolonger, de samplifier.


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LE MESSAGE 15

Krishnamurti, en dnonant toutes ces comdies que joue le moi en lutte contre lEternit, naccepte pas une seule valeur qui, sous

une forme quelconque, dans une civilisationquelle quelle soit, se prte ce dsir qua le


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16 KRISHNAMURTI

pourra-t-on jamais la draciner? Nest-ce pointl un remde utopique? Si la cause de la douleur est le je , les hommes pourront-ils ja

mais cesser de souffrir? Est-il raisonnable dedire des hommes, dont la vie entire est uniquement base sur le sentiment quils ont de laralit de leur moi , que tout ce qui appartient la conscience de ce moi est irrel? Enadmettant mme que Krishnamurti se soit enti

rement libr de son moi (ce qui, pour peuprs tout le monde, semble aussi fantastique quelhistoire de lhomme qui na plus son ombre),en admettant que cette libration soit du domaine du possible, peut-on y parvenir? Existe-t-il une voie qui nous fera passer de ltat disolement o se trouve la conscience lintrieur

de notre moi , ltat de libration?LLa voie vers l'tat de plnitude est dans la

pleine conscience de soi. Cet tat exige la cessa-

tion totale du moi, la libration de Vgotisme,parce que Vego est le sige de la conscience indi-

viduelle; et tant qu'existe Vego, la personnalit,

Vindividualit pour moi ces trois mots sontsemblables il est impossible de raliser la pl-nitude absolue. Cette ralisation est impossibleaussi longtemps que Von est inconscient. Elle ne

peut tre obtenue que lorsqu'on devient pleine-

ment responsable, c'estdire pleinement cons-cient de soi. C'est travers la flamme de laconscience de soi que rside l'tat de plnitude.

Devenez donc pleinement conscients de vos


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LE MESSAGE 17

actions, de vos penses, de vos sentiments; ne lesdtruisez pas, ne /es contraignez pas rpondre un idal, ne /es suffoquez pas en obissant

une autorit. 7/ ne peut pas \exister dautoritdans le domaine de la conscience. Personne ne

peut vous dire si vous tes conscients ou incons-

cients; vous seuls pouvez le savoir. Devenez plei-

nement responsables envers vousmmes, et danscette pleine responsabilit est Vextase complte.

Lorsque la flamme de la conscience de soi estralise, on devient pleinement responsable en-vers soimme, et cest alors que se dissipe totalement, que disparat lego, lindividualit; cettedisparition est Vextase de ce qui est complet ensoi. Je maintiens que cest travers la cessationde la conscience de soi que lon trouve cette

ultime Ralit, car la conscience individuelle estle sige des qualits, des luttes, des divisions.Cette Ralit peut tre dcouverte par tous ceuxqui cherchent en toute sincrit*.

Ainsi, cest la conscience de soi qui, si on la dveloppe lexIronie, finit par dtruire le moi.

Nous sommes loin des mtaphysiques et des yogas. Tout le mylhe mtaphysique est bas surune sublimation du moi . Mais un moi sublime nest encore quinconscient. Il ne sagitpoint, pour Krishnamurti, de conqurir une vrit, de se soumettre un entranement intellectuel, de pntrer dans une doctrine, mais aucontraire, de devenir pleinement responsableenvers soi-mme, dans ses actions, ses penses,

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ses sentiments. Le moi nest fait que dacquisitions, dinconscience. Il doit apprendre sedvorer lui-mme. Tout ce que les hommes ont

organis comme vrit soppose cette libration. Ces organisations promettent au moi un avenir. Elles sont donc simplement lexpression de rinconscience, qui construit des symbolesdans le but de se protger.

La voie vers la libration, quindique Krish

namurti, est donc le dveloppement de la pleineconscience de soi.' Lorsque cette pleine conscience est atteinte, elle nexiste plus: bien que le moi soit un fait, on saperoit quil ntaitquune illusion.

Lhomme pleinement libr est donc librde tout inconscient, de tout subconscient, commede toute conscience individuelle. Il cesse cemoment-l dexister en tant quentit. Il devientle Prsent en acte.

Mais, peut-on encore demander, cet tat nest-il pas du domaine du fantastique? Et en admettant encore une fois que lon puisse tendre vers

cet tat (car, objecte-t-on toujours, que resterait-il dun homme qui rellement naurait plus son moi ?), nest-ce pas une position follementparadoxale que celle de Krishnamurti qui, endpit de tous, affirme que seul est vraiment humain cet tat, qu bien examiner, il a lair

dtre seul au monde connatre dans sa plnitude absolue?Ceux qui ont pu rencontrer Krishnamurti et


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LE MESSAGE 19

lentendre parler, ne peuvent douter de sa sincrit, de son dsintressement, de son extrmesimplicit. Les esprits les plus mal disposs son gard ont d constater sa bonne foi. Par ailleurs, cet homme, porteur dun message qui jusquici, pour ses centaines de milliers dauditeurs, semble peu prs incomprhensible (carchacun y prend ce quil veut, linterprte safaon, lui donne un sens particulier, tout en re

fusant de laccepter en entier jusqu ses consquences extrmes, ou de le rejeter totalement), cet homme qui soppose tout ce quoilon peut penser, cet homme droutant, indfinissable, insaisissable, est en mme temps leplus accessible, le moins tranger qui soit. Ilest le camarade, lami vigilant, sans cesse alert.Rien ne lui chappe, pas une nuance, pas uneexpression. Les mots, avec lui, deviennent peuprs inutiles : on sent quil vous a compris,quil vous a prvenu, devanc. Si on le revoitaprs une absence, ds le premier regard il connat le chemin que Poil a parcouru, il la devin.

On peut cependant ignorer sa clairvoyance : ilnintervient que si on le veut. Mais alors, toutdun coup, on devient le centre de son univers.Rien nexiste plus pour lui, que cet tre humain,quavec une intensit indescriptible, il essaie deramener son essence. La rponse nappartient

jamais Krishnamurti. Elle est la rponse quelon ne savait pas se donner soi-mme. Sonamour uniquement intelligence, son intelligence


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20 KRISHNAMURTI

uniquement amour, ont incit ltre qui a faitappel lui, se rpondre soi-mme.

Quon y prenne bien garde. Cet amour nesadresse pas au personnage qui est l, au moi qui cherche une marque particuliredaffection. Pour tous ces moi avides de sefaire prfrer, Krishnamurti est horriblementdcevant. Lhomme dont ce moi avait crutre aim, son message, que ce moi avait

cru comprendre, svanouissent, disparaissentaussitt que le moi se ressaisit et se refermesur lui-mme.

Lhomme et son message appartiennent tousdeux la mme nature. Ils sont, tous deux, la fois prsents et absents. Trs simplement pr

sents, et absents dune manire indescriptible,mais que connaissent fort bien ceux quil a entrans dans la folle aventure de sa libration.Cette absence est prcisment labsence du moi , dans lunivers duquel chacun est aucontraire fermement tabli.

De quelle nature est donc son univers lui?Il est vident, pour les milliers de personnesqui lont approch, que Krishnamurti est tonnamment humain. Humain dans le sens le plussimple et le plus immdiat. Des milliers de personnes ont le sentiment que Krishnamurti estleur ami le plus intime, lhomme qui les aime

le mieux, qui les comprend le mieux. De l penser quil a avec eux des affinits particulires, il ny a quun pas. Krishnamurti, compris


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LE MESSAGE 21

par X... ou Y..., est toujours, invariablement, unemanation pure et simple de X... ou de Y... quilui attribue ses propres ides et ses propres opi

nions. Deux personnes qui,* ensemble, causentavec lui, se font sur ses ides et sur ses opinions des conceptions totalement diffrentes. Plus chacun le sent accessible, plus ildevient la fois universel.

Ainsi donc, Krishnamurti est son propre mes

sage. Dans sa prsence, les mots deviennentd'une importance secondaire. On ne la jamaissi bien compris que lorsquon ne sest pas laissaccrocher par ses mots, mais lorsquon sest efforc, au contraire, de le saisir travers eux.La rponse indiscutable aux questions que lonpose au sujet de la vraisemblance de son message, cette rponse cest donc lui. Mais encorefaut-il examiner ce message soigneusement,lanalyser, et voir sil possde un quilibre quilui est propre, indpendamment de lhommequi lapporte. Un tel examen est ncessaire, etil est grand temps quon le fasse, car il se peut

que de grands vnements soient proches, quivoudront touffer les appels de lhumain. Il sepeut que les circonstances bientt ne permettront plus lattention de se porter sur ces problmes essentiels, mais prcipiteront les gensvers dautres combats, des combats sanglants.

Ce serait dommage. On ne saurait rien construire sans fondations. Les fondations dune uvre vraiment humaine doivent sappuyer sur


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22 KRISHNAMURTI

lhumain. Lhumain est une fusion des facultshumaines, libres de toute conscience de soi. Iciil convient de marquer la position de Krishna

murti, dans le dbat qui spare les philosophesen spiritualistes et matrialistes. Les uns dduisent de leurs points de vue empiriques que lesides mnent le monde; dautres, de crainte dentre pas assez matrialistes, pensent rsoudrecertains problmes en les niant. Krishnamurti,qui nest pas un philosophe, mais un homme quisest libr de son moi , ne parle, loccasion, de psychologie que pour frapper le moi dirralit. Cest une position qui, si elle taitmieux comprise, et si on tentait de lexprimenter, ne tarderait pas apporter dans le domainede la pense une arme redoutable la rvolu

tion.Voici cette position, en quelques pages, quiamorcent tous les thmes du message de Krishnamurti. On y verra, non point un dveloppement, mais quelques indications essentielles etbrves, dont lavantage sera dindiquer des voiesde recherches ceux qui sefforcent de sexplo-rer eux-mmes, et dexplorer en mme temps lesvaleurs des civilisations dont ils ne veulent plustre les complices.

Afin de comprendre la cause et le sujet de ladouleury voyons ce que c'est que le je . Moncorps peroit au moyen de ses sens, Vouie, lavue, Vodorat, le got, le toucher. Appelons sen-

sations ce groupe de perceptions. Ensuite, il y


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LE MESSAGE

a la facult de comprendre, la facult de crerdes images par l'imagination, il y a la pense,et il y a la conscience. Si je divise ainsi

Vhomme, ce n'est pas pour^en faire un systme,mais par commodit. Tous ces lments : lecorps, la sensation, la perception, la pense, laconscience, s'en vont former le je. Ce n'est

pas le je qui les cre, ce n'est pas le je quipense, qui sent, qui peroit, qui est conscient. Le

. je commence acqurir, saisir, s'appro-prier des lments, et ces appropriations crentla conscience de soi. Ainsi toute conscience desoi est de l'acquisition.

Le je n'existe pas par luimme, il n'existeque par la sensation. De mon point de vue, iln'y a pas vrai dire de je , mais de la sen-

sation, un corps, de la perception, de la pense ,de la conscience, qui crent le je ; et parceque ce je ne peut vivre que dans un tat desparation (1), il doit acqurir et possder. Ainsila conscience, ce je , doit saisir, s'emparerdes objets, acqurir, et en opposition cela, la~~~

mort apparat comme un anantissement. Ce je avide et possessif croit qu'au moyen detoutes ses possessions accumules, il pourra ac-qurir le bonheur et la plnitude. De son dsirde possder surgissent l'ide du prolongementdu je et sa peur de l'anantissement. Ainsile je est cr par la pense, il n'existe pas

(1) Ltat disolement du je humain, qui se peroit entant quentit : Je-suis-moi . G. S.


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par luimme. Pour les ncessits de son con-fort, et de sa dure dans son isolement*le je demande que la pense soit standardise, avec

tout ce que cela implique comme consquences,et il lude tout changement. Nous voyons en-suite la standardisation de la morale, avec tou-

tes ses lois dont le but est d'empcher le je de devenir trop avide d'acquisitions, et dont lersultat est la peur, la peur de la pense indpen-

dante qui porte Vhomme devenir sa propre loi.De tout cela il rsulte naturellement qu'on

place l'individualisme l o il ne devrait pastre, c'estdire qu'on pense que parce que l'in-

dividu est une entit spare, et que la qualitde l'individu est sa facult d'acquisition, on doitdonc dvelopper cette qualit dans le travail.

Vous pensez que, grce son travail, l'individuacquerra de plus en plus de choses pour luimme, qu'il possdera de plus en plus de qua-

lits, d'amis, d'objets. Vous appuyez sur le bn-

fice que l'individu retirera de son travail. Maisle travail doit tre collectif et non pas indivi-

duel. Il est ncessaire d'tablir pour tous unplan de travail collectif, il ne faut pas que cha-

cun travaille pour soi. Nous devons faire desplans de travail pour la totalit du genre hu-

main, et dans une telle organisation, il ne peuty avoir de place ni pour des pays, ni pour desnationalits, ni pour des peuples (1).

(1) Encore moins pour des distinctions de castes ou declasses sociales. Ces distinctions sous-humaines, Krishnamurti ne cesse de slever contre elles, avec vhmence.


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LE MESSAGE 25

D'autre part, il y a Vindividu qui doit se d-livrer luimmet par son propre effort, de sonje , de la conscience de soi. Pour cela on ne

peut gure avoir d'autorits. L'autorit doitexister dans le travail organis. L'autorit doittre place dans son vritable domaine, et non ~

pas dans un domaine qui ne lui appartient pas,ainsi qu'on le fait prsent (1). Vous avez desautorits spirituelles, c'estdire que vous sui-

vez quelqu'un, un sauveur, un gourou. Mais au-cune autorit ne peut intervenir dans votre dli-vrance du sens du m o i, car la Vrit estune perception purement individuelle, et danscette perception vous devez devenir une loi pourvousmmes, et ne suivre personne.

Parce qu'on place l'individualit l o ellene doit pas tre, on est partag entre l'ided'anantissement et celle de continuit. L'espritest constamment occup par le je .* Estceque je continuerai toujours exister? Estce que

je possde assez de biens, de pouvoir, de gloire,de confort?... Ce je , constamment, treint

des objets, augmente ses possessions, se dve-loppe, et ce dveloppement est entirement ba-

s sur des sensations. Le je existe dans cetteconsciencel, qui dpend des sensations, doncvous avez l'esprit rempli de tous ces dsirs, et

(1) Selon Krishnamurti, la seule autorit quil accepte,celle qui rgle le travail en commun, doit tre confre parla masse. Ce point est dune importance qui nchappera personne.


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26 KRISHNAMURTI

vous imaginez que plus vous acquerrez de cho-

ses, plus vous serez heureux. Examinez les sys-tmes suivant lesquels vous vivez, et vous verrezqu'ils sont tous bass sur cette idel. Pendantque vous tes emprisonns dans cette divisiondu vtre et du mien , vous avez beau-coup de faons de vous dcevoir. Mais lorsquevous avez l'esprit libre du je , vous pouvezcommencer vous renouveler, vous recrer

vousmmes.Je rpte que commencer avoir la connais-sance, c'est savoir que la cause et le sujet de lasouffrance est le je . Lorsque vous n envisa-gez plus la vie du point de vue du je , vousn'y voyez plus d'oppositions, gains et pertes,destruction et construction, continuit et anni-hilation, possession et renoncement, dtache-ment et attachement.

La conscience individuelle du je doit tredlivre; mais vous ne pouvez pas la dlivrer enlui faisant oublier le je , en l'intressant autre chose: c'est alors que vous commencez

mditer, suivre des autorits, accomplir dsuvres, servir. Je ne vous dis pas de ne passervir, mais lorsque vous serez dlivrs de laconscience individuelle, vous servirez et vousaiderez naturellement, avec grce et efficacit.

La vraie comprhension est le fait d'tre dli-

vr de la conscience de soi. Ne croyez pas cepen-dant que vous allez pouvoir raliser la joie ul-

time d'en tre dlivrs, sans d'abord passer


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LE MESSAGE 27

travers la flamme de la conscience de soi. C'est travers la souffrance, la douleur, le plaisir,c' est en devenant pleinement responsables enversvousmmes, que vous comprendrez Vultime

Ralit, que vous serez dlivrs et du sens du moi et de la responsabilit. Alors le je est compltement effac en tant qu'individu; ilny a plus quune plnitude, et cette plnitude,complte en soi, est ternellement existante, elle

est permanente non pas dans le temps, mais enellemme. Vous devez librer votre esprit detout attachement. Vous ne pouvez pas le libreren vous rfugiant dans les opposs. Dans Veffortque vous faites pour tre complets, le dtache-

ment survient tout naturellement, mais vous ne

l'obtiendrez pas en luttant artificiellement contrerattachement. Etre dtach ne veut pas dire treindiffrent, mais commencer savoir de quoi est

faite la conscience individuelle.C'est le je qui divise la vie. Dans la cons-

cience de soi et dans son isolement, il cre desdivisions. Mais ce n'est pas en tuant votre facultde sentir que vous pourrez vous librer. Si l'onrecherche la plnitude non pas ce qui estcomplet par opposition avec ce qui est incom-

plet, mais ce qui est en soi sa propre ternit on fait cesser toutes les oppositions, et alorson se libre de l'ide que le temps peut conduire

la Ralisation.Lorsqu'on est libr du dsir de parvenir

un but, libr de l'ide de progrs, libr des


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opposs et de la sensation, alors commence lavraie solitude. Celleci n'est pas l'oppos d'untat que l'on partage avec d'autres : la vraie so-litude n'est pas un isolement. C'est un tat danslequel, bien qu'on rflchisse, examine et choi-sisse encore, on est tranquille et harmonieux .On dort efre d'esprit rapide, comme une eau quicourt, e qui ne peufjamais croupir. De la lib-ration du sentiment de soi liait Vharmonie, ef

par ceffe harmonie on arrive la pleine rali-sation de cette plnitude dans laquelle ni lanaissance ni la mort n'existent, ni l'annihilation,ni /a dure. Etant complet, on nesf pZus conditionne par /e temps *.

La conscience individuelle doit tre dlivre.

Cette phrase revient avec insistance. Elle estdailleurs fluide. Tantt cest lhomme qui doitse dlivrer de la conscience de soi, tantt cestla conscience qui doit se dlivrer du je , tanttcest la conscience individuelle du je qui doittre libre. On verra plus loin que, de mme quepour Krishnamurti les mots ego, personnalit,individualit sont semblables, ainsi le moi est la fois le je , le soi, la monade et tout ce quoi on voudra penser qui se rapporte laconscience de soi, et la dlivrance est la foiscelle du je , du sens du moi , et de la conscience elle-mme. Cette extrme fluidit, irri

tante pour un philosophe qui exige que soientbien dfinis tous les mots quon emploie, et quilsne soient pas confondus, est peut-tre ce quoi


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LE MESSAGE 29

sattache le plus Krishnamurti, de propos dlibr, dans toutes ses causeries. Il invente des

catgories de mots interchangeables, dans le butdexpliquer quelque chose qui dpasse chacunde ces mots.

Les mots peuvent devenir des cages. Si vousdsirez rcolter la signification de ce que je dis,vous devez la chercher travers Villusion desmots. Il est trs difficile de transmettre par desmots ce que je veux dcrire, de sorte que j'em-

ploie des sries diffrentes de mots et de phrases,qui peuvent sembler contradictoires; mais, sivous les examinez de prs, vous verrez que tousces mots se rapportent la Ralit fondamen-

tale. Ma difficult consiste prsenter cette Ra-

lit fondamentale, n'en pas altrer la puret, ne pas la recouvrir de mots. Mais, malgr tout,les mots crent des malentendus, de sorte que

fa i l'air de me contredire, de nier, puis d'af-firmer...

Vous avez une tendance, peuttre naturelle,

ramasser une ph rase dans ce que je dis, et vous concentrer sur elle, au lieu d'essayer decomprendre la signification de Vensemble. Ainsi,par exemple, j'ai parl du dtachement. Par dtachementje n'entends pas ce qui s'oppose l' attachement. Je ne considre pas que lavie se compose d'opposs. Je ne me dis pas que

je dois tre attach ou dtach, mais en essayantde dcouvrir la Vrit, j'arrive un tat d'espritdans lequel les opposs n'existent plus *.


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30 KRISHNAMURTI

Ainsi cette dialectique arienne est bien voulue, et tant pis pour les esprits trop logiques qui

refuseront cette gymnastique. Il ne sagit pointici de comprendre une doctrine, mais de se comprendre soi-mme, et cela sans emprunter aucunsentier battu, pas mme celui de Krishnamurti.De la sorte, lauditeur ou le lecteur est chaqueinstant oblig de fournir lui-mme leffort qui leportera comprendre. A aucun moment il 11e

lui est donn limpression qu 011 le prend parla main pour le conduire. Il nest pas men. Ilne risque pas dtre pris dans une successiondadhsions passives o, son corps dfendant,il finira par se rendre. Cest bien le contraire quise produit ici : aussitt quon sem pare dune

forme du discours, on perd la ralit de son contenu, aussitt quon sempare de sa ralit cesont les mots qui ont disparu.

La raison de cet trange phnomne est aussisimple quest simple le message de Krishnamurti.Pour celui qui na pas prouv, vcu la libra

tion du moi , ces mots nont pas de sens. Pourcelui qui la vcue, les mots nont plus une trsgrande importance. Ny a-t-il pas dissue cettedifficult? Et cette Ralit fondamentale, dontparle Krishnamurti, quon ne peut connatre quepar cette perte du soi, nest-elle pas elle-mmeun mythe?

Elle nest pas un mythe, parce quelle portedes fruits rels. Cette Ralit surgit, arme deses valeurs individuelles et sociales intimement


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LE MESSAGE 31

unies, et ces valeurs pourront porter lindividuau plein panouissement de ses facults, pendant

quil organisera une socit sur une base o nesubsisteront plus de contradictions.Et aprs tout, puisque nous sommes parvenus

un chaos, serait-il tellement tonnant quensurgisse une nouvelle conception de lhumain?

Dhabitude, comprendre une ide, cest la rattacher des ides que lon avait dj. Ici, il

ne sagit point dides, mais dun nouvel tathumain, dun tat qui est diffrent de tout ce quoi on a lhabitude de penser. Ici, comprendre,cest pntrer dans cet tat. Le message de Krishnamurti nous indique que cet tat existe, et peutnous inciter le dcouvrir.


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IIj %LHUMAIN

L

a Ralit essentielle dont parle Krishnamurti, qui seule peut donner lhommela connaissance et le bonheur, cette Vrit

qui est le Prsent, et que lhomme ne peut paspercevoir parce que sa conscience est prisonnire de son moi, cet Absolu, lhomme peutet doit laccomplir en lui, mais il ne peut le fairequen abandonnant ce que depuis des millnairesil simagine tre sa propre essence, son je.

On a vu que cet abandon de la conscience de tsoi conduit un tat particulier, et que cet tat,dans lequel Krishnamurti affirme se trouver, etdans lequel il est assez clair quil se trouve rellement, en juger par son comportement, est crateu r de nouvelles valeurs individuelles et socialesdont quelques traits indiqus plus haut marquentdj dinnombrables points de dpart. Ainsi cettat nous dmontrera sa ralit par ses consquences, et rpondra la question qui sest poseau sujet de son authenticit.

Mais cela ne sera point suffisant. Mme nele considrer que dun point de vue objectif, le

message de Krishnamurti devra se coordonnersous notre examen. Nous ferons leffort de noussoumettre son expression particulire, mais

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par contre, il devra tre organique, il ne devracomporter aucun paradoxe.

Or, le message de Krishnamurti sappuie surune affirmation qui semble paradoxale. En effet,on peut dj prvoir quun effort bien dirignous ferait comprendre la possibilit de cettelibration, et mme peut-tre goter cette libration elle-mme. Mais le point qui, jusquici,demeure opaque, est lincroyable insistance aveclaquelle Krishnamurti affirme que cette libration, laquelle on a dj du mal croire, est la porte de tout le monde, et quelle est le seultat naturel et normal de lhomme : lhomme,dit-il, dans le vrai sens de ce mot, est un tre

w

qui na pas dego.

Cette affirmation est contraire toutes les vidences, sauf peut-tre celle-ci : Krishnamurti estlhomme le plus simple et le plus naturel quelon puisse jamais rencontrer. A ct de lui, tousles autres hommes que lon a lhabitude de voir

jouent des personnages, consciemment ou incon

sciemment. Et, en effet, il suffit quune personneappartienne un groupement, quel quil soit,dont elle emprunte les ides, les opinions, lescroyances ou les attitudes et les gestes, pourquelle ne soit pas pleinement et naturellementelle-mme, dans ce quelle a dunique, puisquelle

joue un personnage. Or, toutes les personnes queFon rencontre sont marques dun conformismegrgaire de cette nature, de caste, de classe, deconfession, de race, de nation ou de famille. En


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outre,' les personnes dont on dit quelles sont naturelles sont bien plutt ltat nature ,

ce qui revient dire quelles sont inconscientes,donc conformistes sans mme le savoir. Pouravoir raison contre Krishnamurti, il faut doncsoutenir que ltat naturel o se trouvent leshommes est un tat dans lequel aucun individunest naturel. En dautres termes, il faut soutenirque dans leur tat naturel, les hommes ne peu

vent pas se dlivrer de leur inconscience, et quesi par hnsnrd un homme y parvient, il devientune exception parmi tous les autres hommes,tout en devenant le seul homme qui soit vraiment naturel, parce quil est tout fait simpleet absolument authentique.

Mais, l nest pas encore tout. Car si lon peutencore imaginer que ltat naturel des hommesdevrait tre, bien quil ne le soit pas, cet tat oils ne sont plus des personnages, de l affirmerque lhomme vritable na pas dego, nest-cepoint malgr tout dpasser la mesure? On pourrait la rigueur, dit-on Krishnamurti, appelernaturel cet tat limite, dans lequel il affirme setrouver, mais lvidence la plus clatante nousmontre bien que cet lat nest certainement pasnormal, ainsi quil laffirme.

Cette objection, tous ceux qui lapprochent lalui font, mme ses familiers, ceux qui le connais

sent depuis de nombreuses annes: Vous parlez dune chose impossible, et vous

dites quelle est accessible tout le monde. Vous


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niez lvidence. Vous voyez bien que vous tesle seul de votre espce. En admettant que ce quevous dites est vrai, que nous devrions arriver,peut-tre, un jour, cet tat, vous forcez votrepense de la faon la plus vidente, vos mots nepeuvent que dpasser mille fois votre pense,lorsque vous vous obstinez appeler normal, endpit de toute la population du globe, ce qui, auxtermes du bon sens le plus lmentaire, est mani

festement ltat le plus anormal que lhommepuisse concevoir.

A cela, il ne cesse de rpondre qu cet tatnormal, chacun peut arriver pleinement, quelque soit le degr dvolution mentale, affective,etc., auquel il se trouve.

En dautres termes, il sobstine ne placeraucune distance entre un tre humain, quel quilsoit, et son essence, tandis que chacun sobstine en placer une. Le temps, lvolution, lacquisition intellectuelle ou morale, les uvres et,moins que tout, les prires et la foi, ne nousrapprocheront jamais du Prsent, de la Vie, dela Vrit. Cela, on peut la rigueur le comprendre. Mais ce que les hommes ont en vaincherch pendant des millnaires, est-il raisonnable de dire quil est normal de le possder?

Et pourtant, cest bien cela que Krishnamurtiveut dire. Et si nous voulons essayer de com

prendre son message, nous devons lexaminerdans la totalit de son affirmation, pousse auplus haut point de son paradoxe. Lexaminer


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lorsquil affirme que tout homme libr atteintla Vrit, comme un Christ ou un Bouddha ;

lorsquil affirme que cet achvement, cet accom-plissement n'est pas rserv une petite lited!initis ou de surhommes , mais qu elle peuttre atteinte par chacun ; lorsquil affirme encore que Vhomme doit se dbarrasser compl-tement du je et se librer de la grande illu-sion de la sparation, et que ds lors il est libre,IL EST ENFIN HOMME *. i

Si nous voulons essayer de comprendre Krish-namurli, nous devons commencer par admettredabord quil sait ce quil dit, et que lorsquildfinit ainsi lhomme, lhomme normal, lhommequi est enfin homme, il entend exactement dire

ce quil dit et pas moins. Nous devons cesser decroire quil est port exagrer par son dsir denous inciter accomplir un effort sur nous-mmes, comme on encouragerait quelquun entreprendre un voyage difficile en lui montrantquaprs tout, il est tout naturel de russir.

Parmi ceux qui tudient le plus son message,nombreux sont ceux qui pensent que ces assertions, Krishnamurti se trouve oblig de les faire cause de la nature mme de son enseignement.Sil disait en effet que cet tat dont il parle estanormal, il crerait une cole pour lites, et leseul mot lite lui fait horreur, car ceux quicroient appartenir une lite, ou possder soitquelque avantage dans une hirarchie, soit uneautorit quelconque dans le domaine psycholo


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gique, ne peuvent appuyer cette croyance quesur lillusion de leur moi , qui est prcisment

ce que combat Krishnamurti. On pense donc queKrishnamurti est consquent avec lui-mme,mais que bien quil soit pouss user de la seulemthode qui ne soppose pas son message, bienquil soit oblig de laire semblant de croire queneffet ceci sadresse tous, bien quil nait aucunmoment le droit de se dmentir ce propos, ses

auditeurs, eux, savent bien ce qui en est!... Ilsont compris lartice !...

Ils nont rien compris. Car si Krishnam urtiusait dun seul terme dans le but de forcer, neserait-ce quimperceptiblement sa pense, il neserait quun imposteur.

Cest ainsi quon veut rejeter, neutraliser sonmessage. On en fait un idal inaccessible. On lerelgue dans le domaine de limpossible. Il estbien plus commode, en effet, dadmirer Krishnamurti dmesurment, de le placer sur un pidestal, de le mettre compltement part de toutle genre humain, que dexaminer srieusementla possibilit de lui donner raison en se librantsoi-mme. En somme, on professe daccepter sonmessage, mais non point la possibilit de sa russite. Celle-ci, malgr son insistance vhmente,on sobstine limaginer dans un avenir utopique. Ou bien on tombe dans le travers oppos:

sur sa trace, dinnombrables librs surgissent, qui par leurs affirmations gocentriques netrompent personne. Le commencement de la


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sagesse, en cette affaire, est dignorer avec srnit aussi bien notre propre position par rapport la libration dont parle Krishnamurti, que laposition des autres. Ce nest ,que lorsquon cessede se situer, aussi bien par rapport lui quepar rapport aux autres, que lon peut commencer examiner de sang-froid ce quil dit.

Or, si lon examine non seulement ce quil dit,mais les questions quon lui pose, et la faon

trs particulire quil a de rpondre ces questions, on constate toujours, dune part chezlui une ralit, toujours l dans sa totalit paradoxale, qui nous prouve, qui nousdmontre comme par une magie, que tout ce quiest manifestement normal (au sujet du moi )est anormal, et que ce qui est plus quanormal,impossible, est la seule chose normale qui soit;dautre part, on constate que cette ralit, linterlocuteur la reoit dans le domaine du moi .Alors aussitt le moi divise cette ralit endeux, car ntant lui-mme quune contradictionil ne peut considrer les choses que par oppo

sitions: le bien et le mal, la matire et lesprit,etc... Linterlocuteur fait aussitt rebondir laquestion en prenant pour ralit cette dformation. Krishnamurti, inlassablement, la ramne ausein de sa propre ralit, dont la prsence estinexplicablement absente parce quelle est unesynthse, o ne subsiste plus aucune opposition.

De mme que lui, toujours pleinement alert,lucide, rapide, mobile, concentr sur le prsent


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avec une intensit indescriptible, nest jamais l, aucun instant, en tant que moi et que cetteapparente impossibilit est la meilleure preuvede son admirable humanit, de mme on prouve examiner son message, et lexprimenter, quece qui apparat tout dabord comme le paradoxele plus insens exprime au contraire une ralit.Ainsi donc, au lieu desquiver la difficult, aulieu de chercher dabord nous mellre daccord

avec Krishnamurti sur des points accessoires,qui nont aucune importance, il nous est beaucoup plus utile daffronter tout de suite ce qui,dans son message, nous semble le plus difficile admettre, et surtout en nous gardant bien denattnuer la difficult, sous prtexte que Krishnamurti exagre.

Imaginons alors ceci: imaginons une poqueextrmement primitive, aux premiers ges dunehumanit encore grgaire, des masses humainesnon encore veilles la conscience du moi .Cet tat, semblable celui de lenfant, fut certainement pendant des millnaires ltat naturel et

normal des hommes des clans, dont la vie psychologique ne stait pas condense, ramasse endes centres de conscience isols, mais flottaitpour ainsi dire en une notion collective duje . Telles taient les poques totmiques. Ceshommes ne pouvaient en aucune faon avoir lesens du moi lintrieur de laffirmation jesuis un moi .

Cet tat nous est dautant plus facile com


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prendre que chaque enfant le vit. Si lon pose lenfant une question quelconque au sujet de

la ralit de son moi et de sa conscience, ilne comprend mme pas de quoi il est question.Le passage de lenfant, de ltat o il nest pasencore un moi ltat o il saperoit quilest un moi saccompagne parfois dun chocpsychologique trs intense. Cest ainsi que legrand romantique allemand Jean-Paul a not

dans son journal quun jour, tout enfant, cetteide tomba brusquement en lui, comme un clairvenant du ciel: Je suis un moi , et que cetteconstatation lui donna un choc et une motiondune intensit indescriptible. Jamais plus ilnoublia cette naissance de la conscience de soi.Cet instant ainsi vcu laccompagna toute sa vie,comme une rvlation, et fut vritablement unervlation extraordinaire, qui ne cessa jamais derecrer son tre, et de lui inspirer toutes sesuvres.

Imaginons donc une humanit qui nauraitjamais encore prouv celte rvlation du je

suis un moi , et imaginons que parmi cettefoule, encore ltat psychologiquement prindividualis, cette rvlation commence par seproduire chez un individu. Cet homme se mettrait affirmer que ltat naturel et normal deshommes est de possder un moi , que chacun

peut et doit faire leffort de se concentrer ensoi-mme afin de provoquer cette tincelle de laconscience de soi. La foule Pcouterait sans com


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prendre. Elle prouverait, lentendre, lmoi,la fascination dune vrit qui nest pas encore,mais qui doit tre. Elle sentirait instinctivementque cet homme a raison, que lhumanit dont ilparle st plus vraie, plus relle, plus conscienteque la leur. Chacun prouverait, son appel,lappel intrieur du moi qui ne serait pasencore n, mais qui aspirerait natre. Et pourtant, tout en le comprenant, 011 ne le compren

drait pas; tout en percevant la prsence de cetteralit, la ralit serait absente. Chaque individu,ntant pas encore un moi , sefforcerait dapprhender la vrit en termes dune consciencede groupe, de la faire rentrer l o prcismentelle nest pas, o elle nest plus, l o tout soppose elle. Et le porteur du message, lannonciateur de ce nouvel tat de lhumain, ne trouverait pas de mots adquats cet tat, puisquetous les mots dj existants se rapporteraient ltat antrieur, dont il aurait dj, lui, bris lachrysalide. Il sattacherait dsosser les mots, leur faire perdre leurs attaches avec cet univers

psychologique qui leur donna naissance. Il naura it quun but : amener, malgr les mots, sesauditeurs pntrer au sein de la nouvelle ralit, dune ralit soudain devenue la seuleralit vraiment humaine, au milieu de la totalit du genre humain, devenu maintenant prhumain.

Cet homme qui, aux lointains prhistoriques,aurait affirm des multitudes, qui nauraient


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rien compris, que le seul tat vraiment naturelet normal pour lhomme est de possder unmoi, comme il aurait sembl paradoxal! Etpourtant nous voyons bien aujourdhui, quentermes du moi , ces hommes prhistoriques, la conscience non encore individualise, ntaientpas encore vraiment des hommes. Cet illumin des poques lointaines serait, nos yeuxactuels, le premier homme vritable. Il ne serait

pas un phnomne, il serait un homme quelconque, un homme comme tous les hommes, unhomme normal.

On rsout ainsi le paradoxe apparent de laposition de Krishnamurti. Il appartient unehumanit qui est sortie de la coquille du moi ,de cette coquille qui ntait que prnatale. Pourlui, cet tat est le seul qui soit naturel et normal.Pour lui, tout ce qui appartient au moi nestencore que prhumain. Tout ce que, plongsdans cet tat, les hommes ont pens et construit,sagesses, civilisations, traditions millnaires,porte la marque de lauto-destruction, car ces

uvres sont bases sur le moi. Mais si lonsait lire les documents humains, on voit que toutce que les hommes ont lait de rel travers lessicles, ils lont fait dans des moments o, ensortant deux-mmes, ils se sont dlivrs, neserait-ce que fugitivement, de leurs moi. Cettat dillumination et de connaissance auquelsont parvenus quelques rares hommes dans lhistoire, est le seul tat que lon puisse vraimentappeler humain.


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On voit que Krishnamurti nentre dans aucunedes catgories o lon voudrait ranger leshommes. Ce nest pas un pote, ni un philosophe,ni encore moins un fondateur de religion, bienque des religions furent toujours fondes sur deshommes de son espce. La lucidit de son message, dpouill de tout fatras mythique, de touteattitude dvotieuse, ou religieuse, ou mtaphysique, en un mot de toute inconscience, son

appel notre plus haute intelligence, qui estaussi amour, nous permettent enfin de saisir cetteRalit que des hommes ont en vain tent, pendant des sicles, de capter dans son absolue simplicit.

Et, de mme que Jean-Paul eut une rvlation la perception immdiate, comme un clair, duje suis un moi , de mme, pour ceux qui nepeuvent plus supporter langoisse et la torturedtre enferms dans la coquille inconsciente deleur moi ; pour ceux qui veulent affronter lapeur, et lisolement total, et la grande aventuredabandonner le moi sa destruction; pour

ceux qui ne se rfugient ni dans des religions,ni dans des systmes, ni dans des uvres, afindapaiser le moi tout en labritant contrelEternit qui le ferait voler en clats; pourceux-l, le message de Krishnamurti, dans sonabsolue simplicit, peut bien tomber comme unervlation.

Rvlation psychologique, intrieure, qui agitdu dedans comme un explosif: le moi, sous


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son choc rpt, se fissure, puis ses fissures slargissent, puis deviennent bantes, puis bientt

ldifice entier du moi et de ses ralitsscroule en secouant ltre tout entier. Rvlation sociale, qui sajoute aux conqutes de larvolution, qui frappe dirralit, et dtruit, lesfondements de tous les ordres hirarchiques, destraditions, des castes, des classes sociales, delexploitation de lhomme par lhomme.

Si lon comprend que tout ce qui existe autourde nous est bas sur cette absurdit quest lacroyance la ralit du moi ; si lon comprend que les plus grands philosophes, que lesplus grands savants ne sont jamais encore parvenus se librer totalement du mythe du je

suis ; on commence alors entrevoir la portedu message de Krishnamurti, et la raison pourlaquelle il est si difficile den discerner la nature.

Nous ne sommes encore qu lincertaine aurore dune re absolument nouvelle, libre desmythes. Cette fois-ci, lhumain nat enfin, qui nese laissera plus touffer par linconscience. Il

sexprime clairement, et en toute simplicit. II estlucide; il adhre aux moindres dtails de la viequotidienne. Il est dans la rue. Il appartient auxmasses. Chacun le peut comprendre, et surtoutceux dont le moi ne sest pas empar dinnombrables privilges, dacquisitions intellec

tuelles, matrielles ou morales.Cest de chacun de nous que peut surgir laVrit. Personne nen est le dpositaire. Elle nest


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pas transmissible. Krishnamurti sadresse tous,et si son message est trop simple, donc incom

prhensible pour les pontifes de toutes les hirarchies, qui, naturellement, il convient de nepas le comprendre, il est limpide pour ceux quien toute simplicit dsirent se dlivrer deux-mmes, et dlivrer les hommes de lexploitation.

Toutes ces remarques au sujet de la nature

du message de Krishnamurti ne doivent trequune premire orientation, une indicationrapide. On aurait grandement tort de vouloirsituer, cataloguer ce message, par rapport destapes de lvolution de la conscience. Lexempledes hommes prhistoriques na t amen que

pour bien montrer quil sagit ici dun nouveltat humain, dune nouvelle perception de lanature humaine, et non point dun systme philosophique, ou de religion. Mais, alors que les tatsauxquels nous pouvons penser sont tous encoredes tats de la conscience, ici Krishnamurtiaffirme que toute conscience nest jamais quune

limitation, et que la Vrit dont il parle est unedlivrance de toute conscience, un absolu.Lhomme libr de la conscience de soi a rejointla Vie universelle, il est cette Vie en acte, il estlaccomplissement de la totalit de la Vie, et laconsommation du Temps. Krishnamurti nindi

que donc pas une tape, mais un absolu, et cetabsolu nest pas une fin, mais une ternelle naissance. Il napporte pas un message destin


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montrer un chemin aux hommes; on ne peutmme pas dire de lui quil soit en avance sureux, car dans cette Ralit dont il parle, le tempsni lvolution nont plus de sens. Vouloir le situerdans la chane dune volution quelconque, cestencore une faon de le relguer dans lavenir,en dautres termes, de rejeter son message.Krishnamurti affirme que la Vrit dont il parlenest pas relative, mais absolue. On a certaine

ment le droit de ne pas lcouter, mais non pointcelui de dformer sa pense, de la ramener des valeurs de temps et de relativit, en croyantainsi la rendre plus acceptable, en croyant lexpliquer.


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IIIDESTRUCTION ET NON-DESTRUCTION

DU MOI

Lo r s q u e Krishnamurti se libra de la conscience de soi, il commena par chanter sa

dlivrance. Mais cette expression lyriquene fut quun phnomne dordre secondaire. Ledrame se joua dans la vie quotidienne, dans lesrapports entre Krishnamurti et les milliers depersonnes qui faisaient profession de lcouter.Des malentendus qui, depuis des annes, staient

levs autour de lui, finirent par se condenser endes orages pouvantables. Le dsarroi de consciences dchires et, dautre part, lattitude deKrishnamurti, illustrrent un dbat sans douteunique dans lhistoire. Mais, avant dexaminerce dbat, il convient de prciser un point essentiel de renseignement de Krishnamurti qui, si

nous le comprenons pleinement, nous rvle lanature mme de cet enseignement, dans sesinnombrables consquences. Ce point touchedirectement chaque tre humain, puisquil serapporte la destruction ou la conservationde ce que chacun tient pour lessence mme deson tre : le moi . Consciemment ou inconsciemment, chacun de nous, dans la recherche dela connaissance, aussi bien que dans les ques

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tions sociales, prend position en fonction de ceproblme du moi . Dans le monde entier,

aujourdhui, les crises des consciences et lescrises sociales sont, en dernire analyse, centresautour de cet angoissant dbat au sujet du moi humain, et de la fonction de la conscience.

Or, il apparat clairement de chaque mot et

de chaque geste de Krishnamurti que ce problme fut, par lui, rsolu dans sa totalit, lorsde sa ralisation finale qui, au dbut de 1927,le libra du sens du moi . Ds ce moment-l,malgr la faiblesse technique de son expression,et bien que nous ne trouvions pas encore tracedanalyse psychologique dans son enseignement,

nous constatons que pas une seule fois Krishnamurti ne dvie de la ligne trs prcise qui rsultede sa solution du problm. Si lon peut dtacher de ses discours des phrases absolument contradictoires, ces mmes phrases, ramenes danslensemble de son message, et confrontes avec

sa propre attitude, deviennent parfaitementcohrentes.Ainsi : mon dsir, mon ardente aspiration

fut... de ne plus me sentir spar, de n'tre plusune entit isole, possdant un moi spar.Quand je fus capable de dtruire ce moi com-

pltement, je pus m'unir avec mon BienAim *.

Et, plus tard: la plupart des personnes s*ima-ginent que la perfection veut dire la destructiondu moi , tandis que cest le contraire. La per


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fection veut dire la purification du moi qui, son tour, veut dire le dveloppement de l'uni-cit individuelle... *. %

Cette apparente contradiction a dj t explique plus haut, au sujet de la conscience de soi:ce nest quen dveloppant celle-ci son maximum quon arrive dpasser toute conscience desoi. De mme, cest en dveloppant au maximum

ce quil a dabsolument unique, que chaque moi se fera briser en tant quentil, en tantque cenlre isol de conscience, en tant que coque(comme une coquille duf par le poussin quinat), par la Vie impersonnelle, qui se libre delui, et qui na jamais cess dtre une forcedclatement, emprisonne dans la conscience du moi .

Tout lenseignement de Krishnamurti est bassur la connaissance de cette contradiction intrieure du moi . Cette contradiction est lessence mme du moi. Sa dcouverte abolittous les problmes que sest poss le moi

pendant des sicles. Lanalyse de la comdiepsychologique que se joue lentit, prisonnirede sa propre conscience, nous montrera plus loinque cette rupture du moi par la victoire decette force dynamique qui est en lui, est unencessit vitale, semblable la rupture de lacoquille de luf la naissance du poussin. Le

moi, cependant, ne veut pas se soumettre cette ncessit. Il soppose au contraire lternit qui est en lui. Il se raidit contre elle, afin

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de durer en tant que conscience isole. Il soppose sa vie intrieure qui ne peut natre quen

le faisant clater. De l ses souffrances. De lses contradictions, et celles de ses uvres. Il veutsapproprier lternit. Mais rien de ce qui appartient au moi, rien de ce qui appartient laconscience de soi, cette coque, ne peut treternel.

Le moi , tant isol, a peur. Et, parce quila peur, il veut se persuader quil ne mourra pas.Afin de senraciner dans cette persuasion, il sapplique touffer en lui le dsir et le doute, forcesdynamiques qui le mettent en pril. Ds quilparvient striliser en lui, dtruire cette Vieimpersonnelle et dynamique, sa peur se calme

dfinitivement dans la conviction inbranlablede son ternit en tant que conscience isole.Cest cela la vritable destruction de la Vie. Ellesobtient par la foi, lobissance, les dogmes, lesdisciplines prescrites, les soumissions des autorits spirituelles, la rpression des dsirs, etc.,et en change de cette destruction de la Vie, le moi se durcit dans lillusion dtre indivisible, et simagine sa plus grande satisfaction possder limmortalit quil ne peut dailleurs concevoir que comme une dure indfinie.

Par contre, les armes que, ds le premier jourde son enseignement, Krishnamurti a incit

prendre sont: le doute; la dsobissance spirituelle; la recherche du secret dsir de ltre (cesecret dsir tant sa propre essence, qui soppose


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sa conscience isole); le non-conformisme; larecherche dune certitude intrieure par le rejt

de toutes les vrits organises ; etc.Ainsi, la contradiction nest pas dans son enseignement, mais dans le moi . Si, par une srie daffirmations, dactes positifs, lhomme sempare de lessentiel, alors ce qui nest pas essentielse dtache de lui et disparat. En semparant delessentiel, le moi finit par se faire dtruire,

et cette destruction tant laboutissement dactespositifs, est elle-mme positive. Par contre, parune srie dactes ngatifs, renoncements, obissances, sacrifices, soumissions, etc., le moi nepeut aboutir qu un tat ngatif.

En somme, le moi qui cherche perdre sa

vie dans lespoir de la retrouver, ne retrouve endernire analyse quune conscience isole, dautant plus dangereuse pour lindividu et le socialquelle est plus subtile; et conscience de soi sousnimporte quelle forme, veut dire exploitationde lhomme par lhomme. Par contre, le moi qui cherche trouver sa vie, parce quil veut

perdre le sentiment de soi qui est la source detoute souffrance, libre en fin de compte la Vieuniverselle, toujours prsente et toujours renouvele. Un tel homme, libr de soi-mme, nestplus une entit, un moi qui projette son ombre sur les autres moi . Il est devenu comme

rien. Et ce rien est cependant lessence de la Vie.Si lon veut comprendre, non seulement renseignement parl de Krishnamurti, mais sa ma



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nire de vivre, dagir, de se comporter, qui estaussi un enseignement, on doit attribuer sesexpressions des significations qui se rapportent

cette libration de la conscience de soi. Chaquemot quil emploie doit tre envisag sous cet aspect, car il devient vident quen tenant prsentes lesprit lune et lautre direction que peutprendre le moi , on trouve chaque instantdes mots auxquels on peut donner deux dfini

tions qui sopposent.Ainsi, la mort du moi peut tre prise dansson sens religieux habituel, et vouloir dire l-touffement de son essence vitale, au bnfice dela conscience de soi, cette coque qu tort on croittre la personnalit; ou, au contraire, elle peuttre, dans le sens que lui donne Krishnamurti,la mort de la soi-conscience isole, de la coque,au moyen du dveloppement de la personnalit,la personnalit tant la faon particulire dontla mort de cette conscience isole, de la coque,chacun se dlivrera de son propre moi . Lesactes, les tats, les qualits qui se rapportent

ces processus absolument opposs: purification,libration, ternit, ralit, bonheur, etc., assument donc des sens qui sopposent chaque fois,quil est impossible de dfinir chaque fois, maisqui peuvent tre clairs une fois pour toutespar une notion de la direction gnrale du message. Cette mme notion peut nous faire dcouvrir, si nous y rflchissons, ses consquences etses dveloppements innombrables, infinis, dans


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tous les domaines, sans quil nous soit ncessairede tous les demander Krishnamurti lui-mme.Nous pouvons utiliser cette comprhension, non

seulement comme un instruisent de connaissance, mais aussi comme un instrument de critique pour toutes les valeurs dites spirituelles dupass.



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LE CHANT DAMOUR 57

IV %

LE CHANT DAMOUR

Kr i s h n a m u r t i na pas toujours parl aussiclairement. Il a commenc trs jeune

parler et crire, mais les nombreuxdocuments de cette premire priode, livres,brochures, notes, sils nous rvlent dj quelques traits de son caractre, ne nous clairentpas beaucoup sur son message actuel. Pour comprendre celui-ci sans commencer par le dformer au contact des nombreuses mtamorphosesqui lui donnrent naissance, il convient de nelexaminer qu partir de 1927, poque o Krishnamurti sest, selon son expression, pleinementralis.

Mais mme depuis 1927, son message sesttransform. On peut aisment y trouver des con

tradictions, par exemple entre telle affirmationfaite en 1928 et telle au Ire de 1931. Ceci sexplique par la nature mme du message. Ce messagenest pas le rsultat scientifique de recherchesde laboratoire, ni le rsultat dtudes de bibliothque. Krishnamurti, qui on enseigna ds sapremire enfance adorer telle image, puis telleautre image, naccepta jamais le repos et loublique lui offraient ces illusions. Il tait assoiff


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dternit, mais dune ternit vivante, en contact direct avec la vie quotidienne. Aussi, est-ceson prodigieux amour pour la Vie, pour la Vie

dans le sens la fois le plus universel et le plussimple de ce mot, quil puisa la capacit de nepas sarrter lombre des temples.

Infiniment plus attir par lexpression dun visage, par un geste, par tout ce qui est humain,que par des abstractions, son plus grand dsir

fut de se faire instruire par tout et par tous, afinde sunir cette vie qui fuyait, et quon lui prsentait sous forme dimages et de divinits. Unamour passionn pour tout ce qui est vivant,pour le monde entier, pour chacun, pour chaquechose. Le doute : une volont terrible, indestructible, de douter de tout, de ne se laisser emprisonner par rien ni par personne. Enfin, la rvolte, suscite par la souffrance infinie qui sattacha lui pendant toute son enfance et sa jeunesse. Voil ce qui le porta la Connaissance.On comprend que son exprience dcisive futtout autre chose quune dcouverte intellectuelle.

Et lorsque, soudain, il sentit son tre psychologique, dans sa totalit, fondre pour ainsi direau sein de cette vie, de cette vie impersonnelle,norme, universelle quil avait toujours cherche, on comprend que cet branlement, quecette mtamorphose, que cette mort totale du moi au sein du Prsent ternel, sexprimatout dabord comme elle put, en utilisant unetechnique peu prs nulle, une dialectique

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inexistante, et des images, des conceptions quiappartenaient encore au pass.

Le moi a disparu, mais il a disparu dansune permanence. Il ny a pas eu rupture, arrt,mais une continuit. La vie psychologique toutentire se trouve transpose dans un monde osubsiste, mais transfigur, recr, le monde ancien. Pendant trs longtemps, lhomme croitdonc quil sagit dune union. Krishnamurti

nchappe pas cela. Cest par amour pour lavie quil sest laiss dtruire par elle, en tant que moi isol. La premire expression est unhymne de joie, un admirable chant damour,dans lequel il ny a aucune place pour la moindre notion psychologique au sujet du phnomnequi a pu se produire. Mais dj, dpassant deloin toutes les expriences mystiques que nousconnaissions, Krishnamurti, malgr les innombrables ttonnements de sa pense, dcouvre immdiatement une vie ddivinise, dmythi-se , si lon peut dire. Il sait dj quaucunevoie, quaucim sentier, quaucune mystique,

quaucun yo.


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taie et dcisive. Ds lors on assiste lvolutionque subit cet homme, envahi par la Ralit vi

vante qui la dpossd de son moi . Il lui fauttrois quatre ans pour lentement, patiemment,se recrer une nouvelle intelligence, une nouvelle faon de penser, une technique. Le chantdamour, ladmirable explosion de lyrisme, lafracheur de ce nouveau printemps, qui directement faisaient appel la joie, au bonheur,

lenthousiasme irraisonns, se sont transformsaujourdhui en un message lucide, dont la claireintelligence sallie lamour.

Aujourdhui, le message arrive sa plnitude.On peut penser quil se dveloppera, quil portera dinnombrables fruits. Mais il est dj as

sez intelligent et intelligible pour quon puisselexaminer du point de vue de la raison. Si jusquici seuls ont pu comprendre un peu Krishnamurti ceux qui ont simplement prouv delamour pour son admirable humanit; si jusquici on a pu, dans le domaine de lintelligence,reprocher son message de trop ressembler

une eau claire (et il est bien dommage que ceuxqui prisent tant lintelligence naient pas su voirdans cette eau claire la source de toute intelligence); si en somme cet vnement psychologique quest Krishnnmurti sest jusquici drob la raison, il nen est plus de mme maintenant, car il sest forg son instrument danalyse,sa technique, son intelligence.

Mais cette intelligence, cre par lamour,


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cette intelligence elle-mme se drobera noussi nous prtendons la situer dans des catgories,

larrter dans son mouvement, la dissquer, latuer en somme dans un systme. Elle fait appel une intuition qui, loin dtre uniquement crbrale, est une fusion de Pintelligence et delamour, o aucun moment ces deux facultsne se dissocient.

Cest cause de cette fusion que lon ne doitpas se borner tudier la partie la plus rcentedu message de Krishnamurti, celle qui depuis1930 ou 1931 analyse les fonctions de la conscience, mais connatre aussi ladmirable landamour qui porta cet homme sanantir lui-mme.

On constate tout dabord que Krishnamurti,ds lge de dix ou douze ans, devint le centredun mouvement considrable. Lorsquil eut environ quinze ans, en 1911, ce mouvement sorganisa dans Patiente du message quil allait apporter. Cette attente inlassable, constante, vigilante, aboutit un drame en 1927, et une destruction de tous les Temples, eu 1929. Cette attente, ce messianisme qui staient cres autourde lui, furent jusquici interprts, expliqus,comments de mille faons, sauf de la faon laplus simple et la plus naturelle, qui pourtant

apparat avec vidence ceux qui connaissentKrishnamurti.Lexplication naturelle de ce phnomne est


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que sil fut dcouvert , et si on crut ds sonenfance quil parviendrait exprimer un jour

une Ralit nouvelle, dont personne encore nepouvait souponner la nature, cest tout simplement parce que ds sa premire enfance il futenflamm, dvor par une aspiration si folle,si ardente, si absolue, si intensment concentre,que cest autour de son propre dsir, de sa

propre recherche, que se mirent graviter lesrves, les mythes et les poursuites, de ceux quefrappa la violence contenue, et le caractre absolu de sa recherche. Cest donc uniquement enlui quil faut voir la cause du mouvement qui secra autour de lui. Autour de son rve se cristallisrent des rves innombrables, aulour de son

dsir de dlivrance, se cristallisrent dinnombrables dsirs de mettre en cage la Vrit...

J'ai toujours dans cette vie et peuttre dansdes vies passes, dsir une chose : chapper,tre au del de la souffrance, au del des limi-

tations, dcouvrir mon Gourou, mon BienAim,qui est votre Gourou, votre BienAim, le Gou-rou, le BienAim qui existe en chacun, quiexiste sous chaque pierre, dans chaque brind'herbe qu'on foule aux pieds. Mon dsir, monardente aspiration, fut de m'unir Lui afin dene plus me sentir spar, de n'tre plus une en-

tit isole, possdant un moi spar. Quandje fus capable de dtruire ce moi complte-ment, je pus m'unir avec mon BienAim. Et


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puisque fa i trouv mon BienAim ma V-rit je veux vous le donner*...

A travers toutes les images, travers tous lesmythes qui vinrent lentourer, lenvelopper, leconseiller, donner des formes ce qui nen avaitpoint, des doctrines ce qui voulait briser tou- *tes les doctrines; travers les conseils, les protections, les adorations, les confusions dorgani

sations internationales, de hirarchies occultes,de magies; travers toutes les difficults quecrent aux Indes les castes, les traditions, lessuperstitions, les prjugs et les normes vaguesde dvotion toujours prtes surgir des foules; travers le chaos indescriptible de civilisations

dracines, emportes la drive; travers etmalgr toutes les coalitions, les pressions, lesexploitations inconscientes ou conscientes, cetenfant, solitaire dans des multitudes, sut porter sa fin sa dlivrance, sans jamais un seul instant vaciller dans son intention.

Tous les texles que nous possdons de lui,

aussi loin qu'ils puissent remonter, tmoignentde cette inbranlable volonl, de celle folle obstination dcouvrir, par ses seuls moyens, sansle secours daucune doctrine, sa propre essence,quil savait tre lessence de toute chose, labsolue Vrit.

Ecoutons-le en 1926, donc avant sa complte. ralisation :

Vous comprenez tous,je crois, que pour crer


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et lon doit crer si lon veut vivre on doitlutter et tre mcontent. Or, pour faire fructifier

la lutte et le mcontentement, chacun doit dve-lopper son propre point de vue, ses tendances,ses propres capacits; et cest dans ce but que

je dsire veiller en chacun de vous la Voix, leTyran, le seul guide qui pourra vous aider crer. Mais, presque tous, vous prfrez copier,suivre. Cest un chemin bien plus facile... Ensuscitant cette voix jusqu ce quelle deviennele seul Tyran, le seul appel auquel nous puis-sions obir, nous devons en mme temps savoirquel est le but que nous voulons atteindre, ettravailler sans relche lobtenir. Or, quel estce but? Pour moi, je sais que je veux atteindre

la Vrit Ultime. Je veux atteindre un tat danslequel je possderai par moimme la certitudedavoir conquis la Vrit, de lavoir atteinte,den tre lincorporation... Voil mon but. La

premire chose faire est de rendre perma-nente en soi cette Voix qui slve de temps autre... et ceci implique une vie conforme sesdits... Voil pour moi lessentiel. Je refuseraidobir qui que ce soit tant que je naurai pasle sentiment que cette personne a raison, quelleque soit cette personne. Je ne veux pas mabri-

ter derrire lcran qui cache la Vrit...

...Si vous avez de Venthousiasme, alors lIn-

tuition, cette Voix que chacun ardemment d-sire entendre, deviendra votre Matre, la seuleautorit dans votre vie...

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...Je me suis dit : je ne veux rien de plus dans ma vie que d*avoir la capacit de perdre le sens

du moi spar*... sAinsi, non seulement Krishnamurti sait exac

tement ce quil veut, mais encore sait-il ce quildoit faire pour lobtenir : veiller cette voix intrieure, ce Tyran, ce qui nous est absolumentpersonnel, cette intuition cratrice, qui doit

faire de nous plus que des gnies ordinaires ,lincorporation de notre essence, cette voix dontlappel deviendra irrsistible, qui un jour nousordonnera de tout abandonner pour la suivre.En somme, par un procd tonnamment lucidedauto-fcondation, Krishnamurti installe en lui-mme son propre but, ce Tyran irrsistible, qui

ne cessera de le harceler sans lui donner uneminute de rpit, et pour cela il le cre, puis ilse sert de ce but lui-mme comme moyen pourlatteindre! Plus tard, il indiquera en effet ceprocd : utiliser la fin comme moijcn, et ilparviendra mme susciter cette mme cra

tion chez les autres.Cette volont indomptable, il l'exprimait dj, lorsque, petit enfant moiti mourant defaim, il aspirait une seule chose, la Vrittotale, absolue, quil tait dcid trouver, et trouver tout seul, sans le secours de qui quece ft, sans jamais se soumettre, sans jamais

renoncer, sans jamais sarrter en chemin! Alge de dix ans, il tait dj dvor par cetteincroyable vocation de labsolu.

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Quimporte, lorsquil parvient enfin au but de/

toutes ses recherches, quil commence par chan

ter le Soi, le Bien-Aim; quimporte le nom quildonne au tout qui est en tout! Sil chante sonunion avec la Vie, avec son Bien-Aim, comprenons dj, lorsquil scrie : ...vous me deman-dez : Qui tesvous? Je suis toute chose, parceque je suis la Vie , comprenons que ce je nest plus celui de lentit, du moi, et queKrishnamurti nest dj plus l:

Si je dis,. et je le dirai, que je suis un avec leBienAim, cest parce que je le sens et que jele sais. Jai trouv ce que jai tant dsir, nousnous sommes unis, et partir de maintenant ilny aura pas de sparation, parce que mes pen-ses, mes dsirs, mes aspirations ceux de monmoi individuel ont t dtruits.

Ainsi je puis dire que je suis un avec le BienAim, quel que soit le nom par lequel vous lin-

terprtiez, que ce nom soit Bouddha, ou Sei-gneur Maitreya, ou Shri Krishna, ou Christ *.

Depuis son enfance, on lui avait appris adorer des images, mais son seul dsir, sa seule aspiration, pendant toutes ces annes de souffrances et de luttes, avaient l de supprimerlobjet de sa recherche, par lidentification :

Je me disais : aussi longtemps que je les ver-

rai du dehors, comme dans une image, commeune chose objective, je serai isol, je serai loindu centre; mais quand jaurai la capacit,


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quand j'aurai la force, quand j'aurai la dter-minationt quand je serai purifi et ennobli,alors cette barrire, cette sparation dispara-tront. Je ne fus pas satisfait tant que cette bar-rire ne fut pas dmolie, tant que cette spa-ration ne fut pas dtruite. Tant que je n'ai paspu dire avec certitude, sans me laisser aller une fausse motion, ou de l'exagration dans

le but de convaincre les autres, que j'tais uniavec mon BienAim, je n'ai jamais parl. Jedisais de vagues gnralits qui contentaienttout le monde *.

Ainsi, non seulement son dsir de parvenir cette Ralit ultime ne le porta pas se dce

voir, mais, au contraire, il le rendit lucide. Nepas se dcevoir, et parvenir la Ralit, sontsynonymes.

Lorsque je commenai penser par moimme, il y a de cela quelques annes, je metrouvai en tat de rvolte. Je n'tais satisfait par

aucun enseignement, par aucune autorit. Jevoulais dcouvrir par moimme ce que l'Ins-tructeur du Monde signifiait pour moi, et quelletait la Vrit qui se cachait derrire cette

forme. Avant cela, avant d'avoir acquis cettecapacit de penser par moimme, je consid-rais comme une affaire entendue le fait quemoi, Krishnamurti, j'tais le vhicule del'Instructeur du Monde, parce que tant de per-sonnes me le disaient. Mais quand je commen

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ai penser, je voulus savoir ce quon entendaitpar Instructeur, ce quon entendait par cet em-ploi dun vhicule par lInstructeur, et ce quonentendait par Sa venue dans le monde.

Je vais tre vague exprs; je pourrais tretout fait explicitet mais ce nest pas mon in-tention de ltre. Car une fois que lon a dfiniune chose, elle est morte. Si lon rend une chose

trop dfinie du moins cest ce que jaffirme on lui donne une interprtation qui dans les-prit des autres assumera une forme prcise, etds lors ils seront lis cette forme, dont ils de-vront ensuite se librer...

Je nassumerai aucune autorit pour vous par-ler. Vous navez pas obir, mais comprendre.

Il ne sagit pas dautorit, de rgles suivreaveuglment, bien que ce soit cela que vousvouliez. Vous voulez que jtablisse une loi,vous voulez que je dise que je suis ceci ou cela,

pour que vous puissiez ensuite travailler pourmoi. Mais ce nest pas pour cela que je parle ,

cest pour que nous puissions nous comprendreles uns les autres et nous aider mutuellement...

Quand jtais un petit enfant, je voyais Shri Krishna avec sa flte, tel quil est reprsentpar les Hindous, parce que ma mre tait uneadoratrice de Shri Krishna. Elle me parlait delui, de sorte que je m tais cr dans mon espritune image de lui avec sa flte, enveloppe detoute la dvotion, de tout lamour, des chants,de latmosphre de ravissement qui laccompa-


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gnent toujours vous n'avez aucune ide dece que tout cela reprsente pour les enfants aux

Indes...

Puis, on lui prsenta dautres images, et finalement ce fut le Bouddha quil vit.

Ce fut une lutte constante, pour dcouvrir laVritt car je n'tais satisfait par l'autorit, lesimpositions, les incitations de personne. Je vou-

lais dcouvrir la Vrit par moimme, et natu-rellement je dus souffrir pour la clicrcher.,.

Quelle tait cette Vrit? Ctait tout : tout la fois, tout ce qui se cachait derrire chaqueimage; et quelque chose de plus que ces images.

Je me disais : tant que je ne serai pas unavec tous les Instructeurs, cela me sera gal desavoir s'ils sont tous diffrents, ou si Shri Krish-na, le Christ, le Seigneur Maitreya sont uneseule et mme chose... J'adorais une image, et

pourtant je n'tais pas satisfait, et cause demon mcontentement, de mon inquitude, de

mes angoisses, je fus capable de m'identifier cette image, de devenir cette image ellemme...

Je n'aurais pas pu dire l'anne dernire, ainsique je le dis maintenant, que je suis l'Instruc-

teur; car si je l'avais dit je n'aurais pas t sin-

cre, cela n'aurait pas t vrai. Parce que jen'avais pas encore runi, ce momentl, laSource et le But, je ne pouvais pas dire quej'tais l'Instructeur. Mais maintenant je le dis.


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Je suis devenu un avec le BienAim, fa i trendu simple... *.

Aux Indes il arrive souvent que le merveilleux sinstalle tout naturellement dans la viequotidienne. Ces images quon lui apprenait adorer, le Shri Krishna avec sa flte, dont luiparlait sa mre, et quadorent tous les petitsHindous, puis diffrents Mai 1res, puis finalementle Bouddha : loules ces images, le jeune Krish

namurti les voyait rellement dans son rvemerveilleux, elles vivaient avec lui, elles lui parlaient, mais finalement, pouss par son ardentdsir de dcouvrir la Vrit absolue que voi-

laient ces images, il passa rellement, littralement travers leurs cadres, il sidentifia littralement elles. Ce nest que plus tard, aprsque se fut accomplie lidentification, lunion,quil comprit que ces images navaient tquune extriorisation de lui-mme, de sa propre essence quil poursuivait.

Il raconta alors peu prs lhistoire suivante:un jour un disciple alla trouver un Sannyasi

et lui demanda de lui enseigner la Vrit. LeSannyasi lenferma dans une cave. Mdite profondment, lui dit-il, et au bout

dun an tu verras apparatre le Matre.Au bout dun an, il demanda au disciple si le

Matre lui tait apparu. Oui, rpondit-il. Mdite alors pendant un an, et le Matre

te parlera.


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Un an plus tard, le Matre avait parl. Maintenant, dit le Sannyasi, pendant un an

coute ce que te dira le Matre.

Et pendant un an le disciple recueillit les enseignements du Matre. Et lorsque cette troisime anne fut coule, le Sannyasi alla trouverle disciple, et lui dit :

Maintenant que tu as vcu avec le Matre,et quil ta parl, et que tu as recueilli son en

seignement, mdite jusqu ce quil ny ait plusde Matre. Alors lu connatras la Vrit.

La diffrence entre ce disciple et Krislina-murti fut que celui-ci dut dcouvrir tout seul,et en dpit de tous, que le Matre ntait autreque lui-mme. Sa rencontre avec la dernire

image, celle quenfin il parvint transpercer,limage adorable du Bouddha, il la vcut vritablement, et ce fut un moi indescriptible, uneextase.

...Je rvais, assis dans une chambre silen-cieuse. L'aube tait immobile, sans un souffle.

Les grandes montagnes bleues se dressaient,froides et claires sur le ciel obscur. Autour dela cabane de bois sombre, des oiseaux noirs et

jaunes saluaient le soleil.

J'tais assis par terre, jambes croises, je m-ditais. J'oubliai les montagnes bleues quclai-rait le soleil, les oiseaux, l'immense silence, etle soleil dor.

Je perdis la sensation de mon corps. Mes


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membres taient immobiles, dtendus, en peu#.Une grande joie, dune profondeur insondable,remplissait mon cur. Mon esprit tait ardem-ment alert, concentr. Ayant perdu le mondetransitoire, ftais plein de force.

Comme la brise dOrient qui surgit soudainet apaise le monde harass, l, en face de moi ,assis, les jambes croises, tel que le monde Le connat, dans Sa robe jaune, simple et magni-

fique tait le Matre des Matres... *.Limage vcut avec lui. Laccompagna. Mais

malgr sa flicit, il ne sy reposa point. Il cherchait toujours. Il doutait. Il voulait briserlimage. Passer au travers. Il voulait parvenir lessence des choses. A labsolu. Un jour...

...Il marcha vers moi et demeura immobile.Mon cur et mon me devinrent plus vaillants.Les arbres et les oiseaux coutrent en un si-

lence inattendu. Il y eut du tonnerre dans lesdeux puis une paix totale.

Je vis quyil me regardait, et mon regard de-

vint vaste. Mes yeux virent, et mon esprit com-prit. Mon cur embrassa toute chose. Car unnouvel amour tait n en moi.

Une nouvelle gloire fit frissonner mon tre,car il marcha devant moi, et je suivis, la ttehaute. Les grands arbres, je les vis travers lui,sfagiter doucement en signe de bienvenue, la

feuille morte, la boue, Veau tincelante et les


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branches dessches. Les villageois, lourdementchargs, marchrent travers Lui sans le sa-

voir, en bavardant et en riant. Les chiens, travers Lui, coururent vers moi en aboyant. Unemasure devint un lieu enchant, son toit rougeen fusion dans le soleil couchant. Le jardin taitcelui d'un conte de fes, les fes taient les

fleurs.

Je Le vis debout, contre le sombre ciel dusoir, dans Sa gloire ternelle. Il marcha devantmoi, sur l'troit petit sentier, me regardant tou-

jours, pendant que je suivais.

Il fut la porte de ma chambre, je passai travers Lui.

Purifi, avec dans mon cur un chant nou-veau, je demeure.

Il est devant moi pour toujours. O que je re-

garde, Il est l. Je vois toute chose traversLui. Sa gloire m'a rempli, a veill une gloireque je n'avais jamais connue. Une paix ternelleest ma vision. Glorifiant toute chose, Il est tou-

jours devant moi .

Il est identifi limage, mais ce nest pasencore assez. Limage est en lui, elle le remplit,mais ce nest pas encore suffisant. Le doute nesapaise pas. Il mdite encore, il cherche. Il veuttre sa propre essence... Et enfin, un jour, laRalit est l, dans sa nudit, toutes les imagesont disparu. Lessence des choses se peroit elle-


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mme. Son cur dborde de flicit et de tendresse. Une joie indescriptible le transporte,et une compassion infinie pour ceux qui ne pos

sdent pas en eux cet amour ineffable. Cetamour est si grand quil est tout. Et en mmetemps, cest la solitude. Il veut donner son bien tous les hommes, rpandre sur eux cette ter-

N

nit damour, sur chacun deux, un un. Latransfiguration le brle, lincendie, le fait vibrer

avec une telle intensit que son corps tropmince, trop rac, semble chaque instant surle point de se briser. Et pourtant cette intensitest la fois si contenue quune paix infinie sendgage. Autour de lui on lcoute, on se laisseemporter par une vague motion, ou bien onhausse les paules. On ne comprend pas. Cest

dj un tranger. Mais quimporte? .

Depuis que nous nous sommes rencontrs, mon BienAim, je n'ai jamais connu la soli-tude.

Je suis un tranger parmi tous les peuples,dans tous les pays. Au milieu d'une multitude dtrangers, je suis rempli comme par le par-

fum du jasmin. Ils m entourent, mais je ne con-

nais pas la solitude.

Je pleure pour les trangers; comme ils sontseuls! Remplis dune immense solitude, pou-vants, ils amnent eux dautres trangers,qui sont dans une solitude gale la leur.


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Je suis un hte dans ce monde de choses pas-sagres, dlivr de ces chanes compliques. Jene suis d'aucun pays, aucune frontire ne mecontient. %

Krishnamurti, par Carlo Suarès

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Transcript of Krishnamurti, par Carlo Suarès