Krishnamurti, par Devika Elisabeth Berthout

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    Krishnamurti

    Lorsqu' vingt ans, en tudiant chez Assagioli, je dcouvris les livres

    de Krishnamurti, je sus que cet homme tait dans le vrai et je

    l'aimai beaucoup. Mais face cette vrit si vidente, je me sentais

    comme devant une paroi de verre entirement lisse, qui ne m'offrait

    aucune prise me permettant de la traverser pour passer de ma ralit la sienne. J'en parlai bien sr avec Assagioli, qui me rpondit qu' ses

    yeux Krishnamurti avait raison dans ce qu'il affirmait et tort dans ce

    qu 'il niait (comme beaucoup de philosophes, jugeait-il). 11 trouvait

    excessif et non justifi son refus farouche de la valeur de tous les

    matres, techniques et traditions, qu'il attribuait une raction son

    histoire personnelle (il avait d se librer de l'emprise des thosophes

    et du rle d'instructeur mondial qu'ils voulaient lui attribuer). Ayant

    alors accept la conduite d'un guide et l'exploration des techniques depsychosynthse qu'il me proposait, je m'en tins cela et cessai de lire

    Krishnamurti qui, pensai-je, n'tait pas pour moi. Je le dfendis pour

    tant mordicus (en particulier propos de son livre "Se librer

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    du connu"29, dont le thme me convainquait) face aux critiques de

    Jess (lequel critiquait alors tout ce qui n'ta it pas Diel, y compris St.

    Franois et St. Exupry, ma grande indignation!, ce qu'il cessa de

    faire par la suite) qui l'accusait de ne pas transmettre de mthode

    introspective. Une fois encore, j'optai pour la mthode qui me semblait plus fconde pour ma vie ce moment-l.

    Lorsque je dcouvris Bhagwan, il m'apparut l'vidence que ces

    deux hommes tmoignaient d'un mme tat de conscience, libre de

    toute forme et de tous nos conditionnements psychiques et mentaux,

    dans la ralisation de l'unit et du silence de l'ternit.

    Aussi fus-je trs consterne de savoir que Krishnamurti assimilait

    Bhagwan l'un de ces "gourous" qu'il abhorrait, et il me fallut le

    temps de digrer le style paradoxal de Bhagwan pour accepter sesdclarations sur Krishnamurti: le reconnaissant la fois comme un

    tre illumin et comme un chec, sur le plan de la transmission pda

    gogique de son exprience. Je repris la lecture de ses livres, et je dois

    dire qu'aprs ceux d'Osho, ce sont ceux qui me touchent le plus

    notre poque. Je suis bien contente aussi qu'un monument sa

    mmoire figure en bonne place l'Ashram de Poona!

    Grce un couple d'amis qui tait intimement li Krishnamurti

    (traduisant ses confrences, envoyant leurs enfants dans son cole deBrockwood, le recevant chez eux, et sjournant dans sa maison de

    Saanen) j'eus le privilge de pouvoir le rencontrer personnellement et

    j'en garde un lumineux souvenir. Nous avions djeun tous ensemble,

    de la faon la plus ordinaire, puis, mes amis m'ayant organis ce ren-

    dez-vous pour lucider ce qu'ils considraient comme mon problme

    Bhagwan, nous passmes seuls au salon pour nous entretenir en tte-

    -tte. Je portais alors la couleur orange et Krishnamurti m'expliqua

    pourquoi je ferais mieux de laisser "tomber tout cela tout de suite."Puis i l m'avoua honntement : " Je ne connais pas cet homme

    (Bhagwan), je ne l'ai jamais rencontr et n'ai lu aucun de ses livres, je

    n'ai donc pas d'opinion" (j 'en fus ravie). Puis il ajouta: "Mais je

    connais des personnes dignes de foi qui m'ont parl de choses inac

    ceptables" (je fus navre de ces interfrences...). "Dans ce cas, conti-

    nuai-je, je crois que cela ne sert rien que nous continuions parler

    de lui et de son enseignement, mais qu'il serait plus profitable que

    nous partagions nos propres expriences." Nous en tombmesd'accord, et c'est ce que nous fmes durant le reste de l'aprs-midi. Je

    fus trs mue d'entendre de vive voix ce que j'avais si souvent lu et de

    me sentir comme accueillie dans son espace intrieur de clart et de

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    beaut. Mais je fus aussi frappe par sa tristesse et son srieux tendu

    concernant l'tat du monde, et je dois dire que je prfre encore la

    royale hilarit de Bhagwan sur l'absurdit du cauchemar et de la stupi

    dit humaine - qui n'est pourtant pas exempte de compassion, ni du

    sentiment de l'urgence, selon son habitude paradoxale...

    Comme je faisais part une amie sannyasin de la peine que j'avais

    comprendre comment il se faisait que deux hommes si semblables

    ne se reconnaissent pas, elle me rpondit: "c'est peut-tre simplement

    pour qu'une fois de plus, tu sois renvoye toi-mme". Et je me satis

    fais maintenant encore de cette sage invitation. Plus tard, je fus trs

    touche par la lecture de sa biographie, par Mary Lutyens33 o je

    retrouvai beaucoup de mes propres interrogations. Quel mystre

    entoure ces tres "veills", si divers dans leur expression et si semblables dans leur conscience fondamentale. Quelles diffrences de

    style entre un Bhagwan, un Krishnamurti, un Ramakrishna, un

    Ramdas, un Ramana Maharshi, un Meher Baba, une Ma Ananda Mai,

    un Deshimaru, (pour ne citer que ceux qui me sont le plus familiers),

    et pourtant comme il est vident qu'ils ont rejoint la mme Source. Je

    suis interpele par l'intense qute de Mary Lutyens, qui a t si proche

    de Krishnamurti et qui est habite par cette lancinante question: "Qui

    est Krishnamurti?" J'y retrouve un cho ma propre question: "Quiest Bhagwan?" Question que je sais insoluble tant que je ne saurai pas

    QUI je suis... Je sais bien que je puis abandonner toutes questions sauf

    cette unique ncessaire, laquelle je suis seule pouvoir rpondre,

    non par des mots mais par ce que je deviens. Savoir si Krishnamurti

    est une "anomalie biologique" dont l'exprience reste inaccessible aux

    humains "normaux" que nous sommes, ou si une commune nature

    humaine nous permet de vrifier par nous-mmes ce qu'il essaie de

    transmettre, savoir ce qui vient de lui ou d'une entit extrieure,toutes ces interrogations formules par Mary me semblent tre encore

    des faux-fuyants, des "ruses du mental" pour nous empcher d'inves

    tir toute notre nergie dans notre propre exprience. Chercher per

    cer le mystre dun autre tre avant d'avoir sond le ntre est une

    vaine dmarche, et croire qu'on pourra formuler cela par des mots est

    bien illusoire. Mieux vaut rester ouvert au silence, et laisser les choses

    se drouler comme elles viennent, dans une totale capitulation, et un

    joyeux abandon, de notre logique et de nos formules. Mais je trouveaussi que c'est dur parfois de renoncer "comprendre", tant que

    quelque chose en nous (ou nous?) ne change pas radicalement de

    niveau, par cette "mutation" interne que nous ne pouvons rien "faire"

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    pour provoquer, mais laquelle nous pouvons rester patiemment dis

    ponibles, dans la confiance du non-attachement... Et en attendant -

    sans attendre - qu 'elle se produise, quoi de mieux faire que de rester

    aussi atte ntif que possible ce qui se passe dans l'instant?

    Rester en compagnie de ces mes libres, accepter d'tre provoqu

    par leur exemple, labour par leur dfi, est une stimulation bnfique

    - jusqu' ce que nous osions tout lcher face l'inconnu de notre soli

    tude...