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1 La théorie de la décision Elisabeth Pacherie [email protected] http://pacherie.free.fr/COURS/AGREG/AgregAction.htm Remerciements à Pascal Engel et Mikael Cozic La théorie de la décision (TD): problèmes théoriques Prendrai-je mon parapluie aujourd'hui? – La décision dépend de quelque chose que je ne sais pas, s'il va pleuvoir ou non. Je cherche à acheter un appartement, achèterai-je celui-ci? L'appartement a l'air bien, mais peut-être trouverai-je quelque chose de mieux pour le même prix si je continue à chercher. Quand arrêter la procédure de recherche? Vais-je fumer encore une cigarette? – Une seule cigarette n'est pas un problème, mais si je prends cette décision un nombre suffisant de fois, je risque d'en mourir. Le jury doit décider si l'accusé est ou non coupable – Il peut commettre deux erreurs: condamner un innocent ou acquitter un coupable. Quels principes le jury doit-il appliquer s'il considère que la première erreur est plus grave que la seconde? Un comité doit prendre une décision, mais ses membres ont des avis divergents – Quelles règles devraient-il suivre pour s'assurer qu'ils aboutissent à une conclusion même s'ils sont en désaccord? Un sujet interdisciplinaire La théorie moderne de la décision s'est développée dans le courant du XXème siècle. Plusieurs disciplines ont contribué à son développement: économie, statistiques, psychologie, philosophie, sciences sociales, sciences politiques. La théorie de la décision peut être vue comme une théorie normative (comment les décisions devraient être prises pour être rationnelles) ou comme une théorie descriptive (comme nous prenons en fait nos décisions). Elle est en général considérée sous l'angle normatif par les philosophes qui s'intéressent aux fondements généraux de la rationalité. Frank RAMSEY Truth and Probability 1927 Leonard SAVAGE The Foundations of Statistics 1951 Richard JEFFREY The Logic of Decision 1965 John VON NEUMANN et Oskar MORGENSTERN Theory of Games and Economic Behavior 1944 Peter Gärdenfors & Nils- Eric Sahlin, 1988, Decision, Probability and Utility, Cambridge UP. Une anthologie qui reprend plusieurs des grands textes fondateurs et des articles illustrant les développements récents de la théorie de la décision. Les étapes des processus de décision Les processus de décision prennent du temps et peuvent être divisés en plusieurs étapes. Le modèle de Condorcet (1993): 1. Discussion des principes qui serviront de base à la discussion, des différents aspects du problème et des conséquences des différentes manières de prendre la décision. 2. Clarification de la question et des options, combinaison des options entre elles pour les ramener à un plus petit nombre d'options plus générales. 3. Choix entre les options définies en 2.

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La théorie de la décision

Elisabeth [email protected]

http://pacherie.free.fr/COURS/AGREG/AgregAction.htm

Remerciements à Pascal Engel et Mikael Cozic

La théorie de la décision (TD): problèmes théoriques

• Prendrai-je mon parapluie aujourd'hui? – La décision dépend de quelque chose que je ne sais pas, s'il va pleuvoir ou non.

• Je cherche à acheter un appartement, achèterai-je ce lui-ci? –L'appartement a l'air bien, mais peut-être trouverai-je quelque chose de mieux pour le même prix si je continue à chercher. Quand arrêter la procédure de recherche?

• Vais-je fumer encore une cigarette? – Une seule cigarette n'est pas un problème, mais si je prends cette décision un nombre suffisant de fois, je risque d'en mourir.

• Le jury doit décider si l'accusé est ou non coupable – Il peut commettre deux erreurs: condamner un innocent ou acquitter un coupable. Quels principes le jury doit-il appliquer s'il considère que la première erreur est plus grave que la seconde?

• Un comité doit prendre une décision, mais ses membre s ont des avis divergents – Quelles règles devraient-il suivre pour s'assurer qu'ils aboutissent à une conclusion même s'ils sont en désaccord?

Un sujet interdisciplinaire

• La théorie moderne de la décision s'est développée dans le courant du XXème siècle.

• Plusieurs disciplines ont contribué à son développement: économie, statistiques, psychologie, philosophie, sciences sociales, sciences politiques.

• La théorie de la décision peut être vue comme une théorie normative (comment les décisions devraient être prises pour être rationnelles) ou comme une théorie descriptive (comme nous prenons en fait nos décisions).

• Elle est en général considérée sous l'angle normatif par les philosophes qui s'intéressent aux fondements généraux de la rationalité.

Frank RAMSEYTruth andProbability1927

Leonard SAVAGEThe Foundations of Statistics 1951

Richard JEFFREYThe Logic of Decision1965

John VON NEUMANN et Oskar MORGENSTERN

Theory of Games and EconomicBehavior 1944

Peter Gärdenfors & Nils-Eric Sahlin, 1988, Decision, Probability and Utility, Cambridge UP.

Une anthologie qui reprend plusieurs des grands textes fondateurs et des articles illustrant les développements récents de la théorie de la décision.

Les étapes des processus de décision

• Les processus de décision prennent du temps et peuvent être divisés en plusieurs étapes.

• Le modèle de Condorcet (1993):1. Discussion des principes qui serviront de base à la

discussion, des différents aspects du problème et des conséquences des différentes manières de prendre la décision.

2. Clarification de la question et des options, combinaison des options entre elles pour les ramener à un plus petit nombre d'options plus générales.

3. Choix entre les options définies en 2.

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Modèles séquentiels modernes

• John Dewey , 1910

1. Sentiment d'une difficulté

2. Définition de la nature de la difficulté

3. Suggestion de solutions possibles

4. Evaluation de la suggestion

5. Observations et expériences supplémentaires conduisant àaccepter ou rejeter la solution

• Brim & al , 1963

1. Identification du problème

2. Obtention d'informations nécessaires

3. Production de solutions possibles

4. Evaluation de ces solutions

5. Sélection d'une stratégie de mise en oeuvre

• Herbert Simon , 1960

1. Intelligence: Identification du problème et obtention d'informations nécessaires

2. Design: suggestion d'actions possibles

3. Choix: sélection d'une des actions

La théorie de la décision

• La théorie de la décision, appelée aussi théorie du choix rationnel, se focalise sur la dernière étape du processus de délibération: le choix entre les différentes options.

• La théorie de la décision chercher à formaliser le principe préthéorique suivant:

(CD RAT) Le choix d'un agent est rationnel si, étant donné ce qu'il croit et étant donné les moyens dont ils dispose, l'action choisie est celle qui lui permet de réaliser au mieux ses désirs.

La théorie de la décision

Le principe (CD RAT) se laisse analyser en deux composantes:

1. Les conditions du choix : ce que l'agent croit, ce qu'il désire, le répertoire d'actions dont il dispose.

2. Un critère de rationalité : une action satisfait le critère, si elle entretient une certaine relation, à déterminer, avec les conditions de choix.

La théorie de la décision

• La théorie de la décision va chercher à formaliser le principe (CD RAT) en procédant à certaines idéalisations.

• Outre l'idéalisation consistant à s'en tenir à l'explication de l'action en termes simplement de croyances et de désirs, la théorie de la décision a aussi une manière bien particulière de représenter les désirs et les croyances des agents.

• Pour montrer comment opère la formalisation, nous allons considérer comment se construisent les modèles de choix, par ordre croissant de généralité:– Choix en situation de certitude– Choix en situation d'incertitude

Actes et conséquences

• Dans une situation donnée, un agent peut entreprendre différentes actions.

• Chaque action a des conséquences C1, C2, C3, …• Deux cas :

– L'agent sait quelles sont les conséquences;– L'agent ne sait pas quelles sont les conséquences

(elles sont seulement probables).• On parle de choix en situation de certitude, lorsque

l'agent ne souffre d'aucune incertitude sur les conséquences de ses actions possibles. On appelle modèle élémentaire de choix le modèle qui capture la décision de l'agent dans ce genre de situation.

Modèle élémentaire de choix(MEC A) L'agent peut choisir entre les éléments

d'un ensemble d'actions réalisables A.(MEC C) A chaque action réalisable a Є A

correspond une conséquence C (a) Є C(MEC P) les préférences de l'agent sur les

conséquences constituent un préordre total:– Elles sont complètes– Elles sont transitives

(MEC RAT) L'agent choisit, s'il en existe au moins une, une des actions dont la conséquence est maximale.

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Modèle élémentaire de choix• (MEC RAT) L'agent choisit, s'il en existe au moins

une, une des actions dont la conséquence est maximale.

• Ce critère de rationalité est un critère d'optimalité. Pour cette raison le modèle élémentaire de choix est souvent appelé modèle optimisateur ou modèle de rationalité optimisatrice.

• Le critère établit une connexion entre le choix de l'agent et la situation de choix. Il fournit une solution à la situation de choix, solution que pourrait prédire un modélisateur s'il connaissait les informations requises concernant la situation de choix.

Modèle élémentaire de choix• Selon le principe préthéorique (CD RAT) les actions sont évaluées

selon leur capacité à réaliser les désirs des agents. Dans le modèle MEC, cette idée est représentée en distinguant les actions de leurs conséquences. Le modèle élémentaire de choix fait donc sien un principe conséquentialiste:

"Délibérer, c'est évaluer les différentes actions réalisables en fonction de leurs conséquences" (Jeffrey, 1965: 1)

• Les désirs sont exprimés par une relation de préférence sur les conséquences possibles des différentes actions réalisables et cette relation est dotée d'une structure forte puisqu'elle est complète et transitive– Complétude: une relation de préférence définie sur un ensemble

de C de conséquences est complète ssi quels que soient x et y éléments de C, x ≥p y ou y ≥p x.

– Transitivité: une relation de préférence définie sur un ensemble de C de conséquences est transitive ssi quels que soient x, y et z éléments de C, si x ≥p y et y ≥p z, x ≥p z.

Modèle élémentaire de choix• Ces deux hypothèses de complétude et de transitivité sont des

idéalisations communes en théorie de la décision, mais elles sont aussi problématiques.

• Dans la vie réelle, très souvent nos préférences sont incomplètes sans que ce soit gênant: L'électeur qui sait pour qui il va voter dans une élection multi-partis peut le faire sans avoir à définir un ordre de préférences complet sur les candidats pour lesquels il ne votera pas.

• La transitivité sur les préférences non-strictes peut donner lieu à des paradoxes sorites.

• Soit 1000 tasses de café, de T0 à T999. La tasse T0 ne contient pas de sucre, la tasse T1 contient un grain de sucre, T2 contient 2 grains de sucre et ainsi de suite.

• Supposons que vous ne fassiez pas la différence entre T0 et T1 et plus généralement entre Tn et Tn+1, vous avez alors Tn ≥p Tn+1 et Tn+1 ≥p Tn, mais en vertu du principe de transitivité, vous aboutissez à T0 ≥p T999 et T999 ≥p T0!

Préférences et utilités

• Les préférences de l'agent sont couramment représentées par une fonction d'utilité qui fournit un index numérique des valeurs assignées aux différentes conséquences.

• Une fonction d'utilité u de l'ensemble des conséquences vers l'ensemble des réels représente une relation de préférence ≥p sur C ssi quels que soient x et y éléments de C, x ≥p y ssi u (x) ≥ u (y).

• La représentation d'une relation de préférence est unique à une transformation croissante près, le concept d'utilité ainsi introduit est donc simplement ordinal.

Choix en situation d'incertitude

• Il est clair que la plupart de nos décisions se prennent dans une situation où les conséquences des différentes actions faisables ne sont pas connues avec certitude:

• "Il n'y a pas besoin d'insister sur l'importance d'une théorie réaliste qui soit capable d'expliquer comment les individus choisissent entre différentes actions quand les conséquences de ces actions leur sont imparfaitement connues. Il n'est pas exagéré de dire que le choix de n'importe quel être humain satisferait cette description si on prêtait attention à ses implications ultimes." (K. Arrow)

Actes, conditions et conséquences

Exemple 1: NAGER ticket 2€ par jour / 3 € weekend

Payer 4 €pour 2 jours de natation

Payer 2 €pour 1 jour de natation

Payer 0 €pour 0 jour de natation

Billet journée

Payer 3 €pour 2 jours de natation

Payer 3 €pour 1 jour de natation

Payer 3 €pour 0 jour de natation

Billet week-end

2 jour de beau temps

1 jour de beau temps

0 jour de beau temps

EtatActe

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Exemple 2: Dissuasion nucléaire

Age d'orGrosse catastrophe

Désarmer

Statu quoExtinction de la vie humaine

Poursuivre armement nucléaire

PaixGuerreEtatActe

Exemple 3: quel vin apporter?

Vin rouge et boeuf

Vin rouge et poulet

Vin rouge

Vin blanc et boeuf

Vin blanc et poulet

Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

Conséquences, préférences et probabilités

• Dans les 3 exemples qui précèdent, les matrices, dits matrices de décisions ou de conséquences, présentent les conséquences possibles des différentes actions en fonction des "états du monde".

• Pour analyser une décision, il nous faut outre cette matrice elle-même, des informations sur la valeur attribuée aux différentes conséquences et des informations sur les états du monde

Le vin qui va

Va bienbizarreVin rouge

Va malVa bienVin blanc

BoeufPouletEtatActe

Chiffrons les utilités

10Vin rouge

-11Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

Chiffrons les probabilités

0,50,5Vin rouge

0,50,5Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

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Comment calculer l’action la meilleure ?

• On multiplie la probabilité et l’utilité de chaque conséquence;

• Puis on additionne les résultats pour chaque rangée;

• On obtient ainsi l'utilité espérée ou l'espérance mathématique de l'acte.

Calcul de l'utilité espérée

-10Vin rouge

-11Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

0,50,5Vin rouge

0,50,5Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

X

1

- 0,5

Boeuf

10Vin rouge

00,5Vin blanc

ΣPouletEtat

Acte

Utilité Espérance

Utilité

espérée=

CE QU’ IL FAUT FAIRE dans le cas considéréA CONSOMMER AVEC MODERATION

Dépendance

• Il peut se faire que les états et donc les conséquences dépendent de l’acte.

• Dans les exemples antérieurs on suppose que les conséquences de l’acte sont indépendantes du choix de l’agent.

• Mais on pourrait supposer que les hôtes fassent du poulet ou du bœuf SELON la vin apporté par leur invité.

Dans ce cas le calcul donne

-10Vin rouge

-11Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

10Vin rouge

01Vin blanc

BoeufPouletEtatActe

X

1

0

Boeuf

10Vin rouge

11Vin blanc

ΣPouletEtat

Acte

Utilité Espérance

Utilité

espérée=

Qu’est-ce que l’utilité espérée ?• Actes : A 1, A2 , ….. A n • Conséquences : C1, C2, ….C n • Utilité d’une conséquence : U (C) • Probabilité de la conséquence: P (C) (plus

exactement c’est une probabilité conditionnelle : probabilité de la conséquence étant donné l’acte P ( C / A))

• Utilité espérée d’une action ou espérance mathématique:

UE ( A) = Σ [ P (Ci) X U (Ci) ]c'est-à-dire la somme des produits des utilités par les probabilités.

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Utilité objective et utilité subjective

• Dans ses premières versions, la théorie de utilité espérée ne faisant pas référence aux utilités au sens moderne mais à des conséquences monétaires. La recommandation était de jouer à un jeu s'il accroissait votre richesse et sinon de ne pas le faire.

• Or cette conception de l'utilité a des conséquences paradoxales.

Le paradoxe de Saint-Petersbourg

• En 1713, Nicolas Bernoulli posa le problème suivant.

• Considérons le jeu suivant : on lance en l'air une pièce de monnaie. Si face apparaît, la banque paie 2 euros au joueur, et on arrête le jeu. Sinon, on relance la pièce. Si face apparaît, la banque paie 4 euros, et on arrête le jeu. Sinon, on relance la pièce. Si face apparait, la banque paie 8 euros au joueur, et ainsi de suite. Donc, si face apparaît pour la première fois au n-ièmelancer, la banque paie 2n euros au joueur.

Le paradoxe de Saint-Petersbourg

• L'utilité espérée si l'on joue à ce jeu est donc:½ x 2 + ¼ x 4 + 1/8 x 8 ….. + 1/2n X 2n + …

• Cette somme est infinie!• Si l'on applique le principe de maximisation de la

richesse espérée, un agent rationnel devrait donc être prêt a payer n'importe quel montant fini pour avoir l'opportunité de jouer à ce jeu. Il devrait notamment être prêt à payer tout sa fortune pour pouvoir y jouer une fois.

• Mais évidemment, il s'agit d'une décision qu'aucun acteur rationnel ne prendrait.

Le paradoxe de Saint-Petersbourg• En 1738, Daniel Bernoulli (un cousin de Nicolas) a

proposé ce qui est encore aujourd'hui la solution conventionnelle au paradoxe de Saint-Petersbourg.

• L'idée centrale de sa solution était de remplacer la maxime de maximisation de la richesse espérée par la maxime de maximisation de l'utilité subjective espérée.

• L'utilité subjective qu'une personne attache à la richesse ne s'accroît pas linéairement avec la le montant de cette richesse, mais son utilité s'accroît àun taux décroissant. Vous attachez plus de valeur àun gain de 1000 € si vous n'avez pas le sou qu'au même gain de 1000 € si vous êtes déjà millionnaire.

• C'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'utilité marginale.

Le paradoxe de Saint-Petersbourg

• Plus précisement, Daniel Bernoulli a proposé que l'utilité de votre prochain incrément de richesse est inversement proportionnel au montant que vous possédez déjà, si bien que l'utilité de la richesse est une fonction logarithmique du montant de la richesse:

• (1/2 x log 2) + (1/4 x log 4) + (1/8 x log 8) + … + (1/2n x log 2n) + …

Le paradoxe de Saint-Petersbourg• Une personne qui aurait une telle fonction

d'utilité peut fort bien être réticente à mettre en jeu toute sa fortune dans le jeu de Saint-Petersbourg.

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Risque et incertitude

• Les situations d'incertitude sont habituellement divisées en situations de risque et en situations d'incertitude stricto sensu.

• En situation de risque, l'agent fait face à un phénomène aléatoire, par exemple un lancer de dé, le tirage d'une boule dans une urne, etc., dont il connaît une loi de probabilité objective, tandis qu'en situation d'incertitude stricto sensu, il ne dispose de rien de tel.

Risque et incertitude

• "A propos de la distinction certitude-risque-incertitude, supposons qu'un choix doit être fait entre deux actions. Nous dirons que nous sommes dans le domaine de la décision en:(a) Certitude si l'on sait que chaque action conduit invariablement à une certaine issue (…)(b) Risque si chaque action conduit à une issue particulière parmi un ensemble d'issues, chaque issue se produisant avec une probabilité connue. On suppose que les probabilités sont connues du décideur. (…)(c) Incertitude si l'une ou l'autre des actions a pour conséquence un ensemble d'issues dont les propriétés sont inconnues voir non signifiantes." (Luce & Raiffa, 1957: 13)

Risque et incertitude

• Dans les faits, nous sommes souvent dans une situation intermédiaire entre (b) et (c).

• Par exemple, en prenant mon parapluie ce matin, je ne savais pas quelle était la probabilitéexacte qu'il pleuve, mais je savais qu'elle était d'au moins 20%.

• On range communément ces situations d'information partielle avec les situations d'incertitude.

• Les situations d'incertitude complète sont aussi appelées situations d'ignorance.

Probabilités objectives et subjectives

• La distinction entre risque et incertitude est souvent mise en rapport avec la distinction entre probabilités objectives et subjectives.

• Probabilités objectives et subjectives renvoient à deux types d'interprétations du calcul des probabilités.– Selon l'interprétation objective, les probabilités constituent les

principes fondamentaux de certaines propriétés objectives. Ainsi selon l'interprétation fréquentiste, elles mesurent les fréquences relatives d'issues dans la répétition d'événements similaires.

– Selon l'interprétation subjective (Ramsey, de Finetti, Savage), les probabilités sont conçues comme le degré de croyance d'un agent vis-à-vis d'événements possibles; Les axiomes des probabilités sont alors conçues comme les lois de la croyance partielle.

Probabilités objectives et subjectives

• Le principe de Miller permet le passage des probabilités objectives aux probabilités subjectives.

• On suppose que l'agent endosse les distributions de propriétés dont il est informé et donc que:– Si l'agent sait que s'il entreprend l'action A, il

aura P(x) chances d'obtenir la conséquence x,

– Alors l'agent croit au degré P(x) que s'il entreprend l'action A, il obtiendra l'effet x.

Un agent rationnel maximiseson utilité espérée

Il est un bon bayésien

Thomas Bayes, An Essay towards solving a problemIn the doctrine of chances 1763

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Est-il rationnel d’être rationnel?

LE PARI DE PASCAL

Le pari

" Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est.

Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ;

si vous perdez, vous perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter."

Blaise PASCAL 1623 - 1662 ( Pensées )Respire un boncoup, çate passera!

Le silence deces espaces infinism’effraie

Il faut parier • Oui, mais il faut parier. Cela n'est pas

volontaire, vous êtes embarqués. Lequel prendrez-vous donc? Voyons; puisqu'il faut choisir voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre: le vrai et le bien, et deux choses à engager: votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude, et votre nature deux choses à fuir: l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée puisqu'il faut nécessairement choisir, en choisissant l'un que l'autre. Voilàun point vidé.

De deux choses l’uneOu Dieu existe

J’existe!J’existe!

Tu existes?

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Ou il n’existe pasIl n’y a aussi que deux

possibilités : Ou croyez en Dieu

Ou vous n’y croyez pas

Il n’y a pas une tierce possibilité

Agnosticisme, scepticisme :suspension du jugement

Donc

1) Les possibilités sont exhaustives et exclusives: Dieu est, Dieu n’est pas.

2) Les actes sont exhaustifs et exclusifs: croire, ne pas croire.

(Cela ne suppose-t-il pas que la croyance est un acte ? Oui, c’est une action, une décision)

On gagne tout

• Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez vous gagnez tout, et si vous perdez vous ne perdez rien: gagez donc qu'il est sans hésiter. Cela est admirable. Oui il faut gager, mais je gage peut-être trop. Voyons puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une vous pourriez encore gager, mais s'il y en avait 3 à gagner?

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Éternité de vie de bonheur• Il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de

jouer) et vous seriez imprudent lorsque vous êtes forcé àjouer de ne pas hasarder votre vie pour en gagner 3 à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie de bonheur. Et cela étant quand il y aurait une infinité de hasards dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous agirez de mauvais sens, en étant obligé à jouer de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d’une infinité de hasards il y en a un pour vous, s’il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner: mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti partout où est l'infini et où il n'y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain. Il n'y a point à balancer, il faut tout donner.

infinité de vie

infiniment heureuse à gagner

Matrice de décision pascalienne

Statu quomisèreNe pas croire en Dieu

Vie finie,dans l'erreur

Vie éternelleCroire en Dieu

Dieun’existe pas

Dieu existeactes

États

Que préférez vous ?

Éternité de joie

Ou bien

Éternité de misère

Ou bien

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11

Vous avez tout intérêt

vie finiey

infinité de misère

- ∞∞∞∞

Pas croire

vie finiex

éternité de joie

∞∞∞∞

croire

Dieun'existe pas

Dieu existe

A ce stade il semble que l’argument soit

• L’utilité de croire en Dieu est tellement supérieure à celle de ne pas croire , quoi qu’il en soit de son existence ou pas, que l’on a de toutes manière intérêt à croire en Dieu.

Mais ce n’est pas si simple car (1)

• Si l’on ne fait pas d’hypothèse sur la probabilité de l’existence de Dieu, l’argument est invalide.

• Car la rationalité n’exige pas de vous que vous pariiez sur l’existence de Dieu si vous attribuez à cette existence la probabilité de 0.

• Bref, il faut que vous assigniez une probabilité NON NULLE à son existence.

Et (2) il faut assigner ces probabilités

< 0,…………………… 1>

Donc il faut faire intervenir l’utilité espérée

Pascal semble supposer

1. que la probabilité de l’existence de Dieu est de 1/ 2;

2. que l’existence de Dieu procure une récompense infinie.

• "Voyons. puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'àgagner deux vies pour une, vous pourriez encore gagner."

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Supposons les probabilités défavorables (mais pas nulles

ou infinitésimales):

0,999999990,00000001Croire ou pas

Pas Dieu Dieu

Même dans ce cas

UE (croire) =(0,0000001 ×××× ∞∞∞∞) + (0,9999999 ×××× x ) = ∞∞∞∞

infinité de bonheur en vue

UE ( ne pas croire) = (0,0000001 ×××× - ∞∞∞∞) + - (0,9999999 ×××× y ) = pas lourd en vue

En d’autres termes

• Le résultat le pire associé à parier pour l’existence de Dieu (statu quo) est au moins aussi bon que le résultat le meilleur associé à ne pas parier en l’existence de Dieu (statu quo).

• Et si Dieu existe le résultat du pari pour Dieu (éternité de joie) est strictement meilleur que le résultat de ne pas parier pour lui (éternité de misère).

L’infini c’est l’infini: y a pas mieux

Donc l’argument est

1. La rationalité requiert que la probabilitéassignée à l’existence de Dieu soit positive, et pas infinitésimale.

2. La rationalité requiert que l’on maximise son utilité espérée.

3. Conclusion: La rationalité requiert que vous pariiez sur l’existence de Dieu.

4. Conclusion: vous devez parier sur l’existence de Dieu.

Plus exactement

y - ∞ou z(quantitéfinie)

Parier contre

x∞Parier pour

Dieu n’est pas

Dieu est

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donc

• UE( parier pour Dieu) =

(∞ × p) + (x × (1 − p)) = ∞ wow !

• UE ( ne pas parier pour Dieu) =

( z × p) + (y × (1 − p) ) beurk !

Objections

Diderot (pensées philosophiques)

L’argument est neutre, il peut être utilisé par un imam tout aussi bien

Mais ce que l’on veut c’est un pari sur la foi chrétienne

Différentes matrices pour différentes personnes

l’utilité du salut n’est pas la même selon les personnes

Le libertin s’en fiche La matrice devrait avoir plusieurs colonnes : plusieurs Dieux

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La foi n’est pas volontaireRéponse de Pascal :• Il est vrai. Mais apprenez au moins que votre impuissance

à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'argumentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par oùils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira.

Le bayesianisme

1763 An Essaytowards solving

a problem in the doctrine of

chances

• On appelle théorie de la décision bayésienne ou bayésianisme la théorie de l'utilité espérée avec utilités subjectives et probabilités subjectives.

Les principes du bayésianisme

• Le sujet bayésien a un ensemble cohérent de croyances probabilistes. Cohérence signifie ici cohérence formelle ou respect des lois mathématiques de la probabilité.

• Exemples:– Il est incohérent de croire à la fois p avec une probabilité subjective

.5 et non-p avec une probabilité .6.– Il est incohérent de croire à la fois p avec une probabilité subjective

.5 et p et q avec une probabilité .6.• Le sujet bayésien a un ensemble complet de croyances

probabilistes. Autrement dit, à chaque proposition il assigne une probabilité subjective.

• Quand il acquiert de nouvelles informations, le sujet bayésien modifie ses croyances en accord avec ses probabilités conditionnelles, notées P(A | B).

• L'agent rationnel choisit l'option qui maximise son utilitéespérée.

Mesure du degré de croyance

• Ramsey :• Croire que P c’est exprimer son degré de

croyance que P (son degré de confiance en la probabilitésubjective de P)

Degré de croyance • Les cotes qu’on serait disposé à accepter

sur des paris au sujet de P .

• Croire que la probabilitéqu’il pleuve est de 50% c’est accepter des paris à 1 contre 1 qu’il pleuvra

• Croire que la probabilitéqu’il pleuvra est de 75%, c’est accepter un pari à3 contre 1 qu’il pleuvra.

Paris hollandais (Dutch book)

• Supposez, par exemple, que votre degré de croyance en une proposition p soit le double de votre degré de croyance en sa négation, non p , et que votre degré de croyance en une autre proposition q soit le même que votre degré de croyance en sa négation.

• Supposons aussi que p implique q . Comme une proposition ne peut pas être plus probable que la proposition qu’elle implique, vos degrés de croyance violent le calcul des probabilités.

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• Si vous acceptez des enjeux dans un pari qui reflètent ces degrés incohérents de croyance — par exemple si vous jouez à 2 contre 1 la vérité de p et à 1 contre 1 la vérité de q — vous serez à la merci d’un pari hollandais, dans lequel votre adversaire pourra faire un ensemble de paris contre vous que vous perdrez systématiquement.

• Par exemple votre adversaire parie 15 € sur la véritéde q et 10 € sur la fausseté de p .

• Si q est vrai, vous perdrez 15 € sur q . • Vous pourrez toujours gagner le pari de 10 € sur p ,

mais même si c’est le cas, vous perdrez toujours 5 €. • D’un autre côté, si q est faux, vous gagnerez 15 € sur

votre adversaire qui a parié sur q . • Mais puisque p implique q, p est faux. Donc vous

perdrez 20 € sur votre adversaire sur p . En ce cas aussi vous perdrez de l’argent.

Probabilités conditionnelles

• La plupart des probabilités que nous évaluons dans la vie quotidienne sont conditionnelles

• Quelle est la probabilité que Genève devienne une ville tropicale ? Faible.

Mais si le réchauffement climatique continue jusqu’à faire

des Alpes un désert ?

P ( Genève tropicale | le réchauffement climatique continue)

Pile ou face?

La probabilité qu’une pièce tombe sur pile est de 1/ 2.

Quelle est la probabilité que deux lancers tombent pile?P (pile et pile)

P (A & B) = P (A) x P( B) = 1/2 x 1/2 = 1/ 4

Quelle est la probabilité que le second lancer tombe pile, étant donné que le premier est tombé pile?

P ( A | B) = P (A & B) = 1/ 4 = 1/2

P (B) 1/ 2

Conditionnalisation.

• P (A | B) = P (A & B) / P ( B) (à condition que P (B) ne soit pas = 0)

• La probabilité a posteriori de A étant donnée,

• B = la probabilité a priori de A et de B /la probabilité a priori de B

Théorème de Bayes• Le théorème de Bayes énonce des probabilités

conditionnelles.• Soit A et B deux évènements, le théorème de Bayes

permet de déterminer la probabilité de A sachant B, si l’on connaît les probabilités:– de A, – de B, et – de B sachant A.

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Ramsey

« Comme une observation change (en degré au moins) mon opinion au sujet du fait observé, certains de mes degrés de croyance après les observations sont nécessairement incompatibles avec ceux que j’avais avant. Il nous faut, par conséquent, expliquer exactement comment l’observation devrait modifier mes degrés de croyance ; de toute évidence si P est le fait observé, mon degré de croyance en Q après l’observation devrait être égal à mon degré de croyance en Q étant donné P auparavant, ou par la loi de multiplication au quotient de mon degré de croyance en P & Q par mon degré de croyance en P. Quand mes degrés de croyance changent de cette manière, on peut dire qu’ils changent de manière cohérente. » (Truth and probability)

Le théorème de représentation

• La plus importante source de plausibilité de la théorie Bayésienne est le théorème de représentation de Savage.

• Savage est parti d'une relation de préférence faible ≥entre alternatives et a proposé un ensemble d'axiomes sur cette relation de préférence qui représentent ce qu'il considère comme des demandes raisonnables sur la décision rationnelle.

• Le théorème de représentation énonce que pour toute relation de préférence ≥ satisfaisant les axiomes, il existe une fonction de probabilité et une fonction d'utilitételles que, pour toutes les alternatives, a1 et a2, a1 ≥ a2 si et seulement si UE (a1) ≥ UE (a2).

Le principe de la chose sûre

• Le principe de la chose sûre est le plus important des axiomes de Savage.

• Soient A1 et A2, deux alternatives et S un état de la nature où la conséquence de A1 est la même que la conséquence de A2. Autrement dit la conséquence dans l'état S est une chose sûre, indépendante du fait que nous choisissions A1 ou A2.

• Le principe de la chose sûre énonce que si la chose sûre est changée, mais que rien d'autre ne l'est, cela ne doit pas affecter le choix entre A1 et A2

Le principe de la chose sûre

riengâteauB

rienfruitA

FacePileEtatActe

glacegâteauB

glacefruitA

FacePileEtatActe

Matrice 1 Matrice 2

Le principe énonce que si vous préférez A à B dans la première matrice, vous devez aussi préférer A à B dans la seconde.

Objections au bayésianisme

Le paradoxe d’Allais

"La logique mène à tout à condition d'en sortir,..."

Alphonse Allais1855-1905

Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de

repos, la fatigue sera vaincue.

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mais l’auteur du paradoxe n’est pas Alphonse

Ah ! fallaitAh ! fallait--il que je vous visse,il que je vous visse,FallaitFallait--il que vous me plussiez,il que vous me plussiez,Qu'ingQu'ingéénument je vous le disse,nument je vous le disse,Que fiQue fièèrement vous vous tussiez.rement vous vous tussiez.

FallaitFallait--il que je vous aimasse,il que je vous aimasse,Que vous me dQue vous me déésespsespéérassiez,rassiez,Et que je vous idolâtrasse,Et que je vous idolâtrasse,Pour que vous m'assassinassiez.Pour que vous m'assassinassiez.

Mais Maurice Allais

Maurice Allais 1911-

M. Allais, Le comportement de l’homme rationnel devant le risque: critiques des postulats et axiomes de l’Ecole Américaine, Econometrica, 21,

1953. Repris dans Sahlin & Gardenförs eds, Decision, probability and utility, Cambridge 1988

Le choix

S1 choisir entre:- Loterie A: 100 000 000 € avec prob 1 (sûre) - Loterie B: 500 000 000 € avec prob 0,10

100 000 000 € avec prob 0,89 0 € avec prob 0,01

S2 choisir entre - Loterie C 100 000 000 € avec prob 0,11

0 € avec prob 0,89 - Loterie 4 500 000 000 € avec prob 0, 10

ou rien avec prob 0,90

Le choix

0100 000 000500 000 000Situation B

100 000 000100 000 000100 000 000Situation A

S3 (.01)S2 (.89)S1 (.10)

00500 000 000Situation D

100 000 0000100 000 000Situation C

S3 (.01)S2 (.89)S1 (.10)

La plupart des gens choisissent loterie A plutôt que B

On préfère être sûr d’avoir 100 000 000 €que 10 % de chances de gagner beaucoup (500 000 000 €) mais avec 1% de chances de ne rien gagner

Mais ils choisissent D plutôt que C

La chance de gagner est presque la même dans les deuxloteries, et par conséquent celle qui a le lot le meilleur semble ici préférable.

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Bref on préfère avoir une bonne somme sans souci que courir le risque de ne rien gagner

Un Tien vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras.L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.

(La Fontaine, le petit poisson et le pêcheur)

Mais appliquons la règle bayésienne de l’utilité espérée

Dans la première situation:• UE de A (100 000 000 €) = 100 000 000 €

est préféré àUE de B = 0,1 x U (500 000 000 €) + 0, 89 x U (100 000 000 €) + 0,1 x 0 = 139 000 000 €(alors que la première utilité est plus petite)

Dans la seconde situation

UE de C =(0, 1 x 500 000 000 €) + (0,9 x 0) = 50 000 000 $

est préféré à

UE de D (0, 11 x 100 000 000) +(0, 89 x 0) = 11 000 000 $

Cela viole (1) le principe de maximisation : Car si UE (A) > UE (B)

alors il n’est pas possible que UE (C) < UE (D)

• Il n'y a pas de combinaison possible d'une assignation de probabilité et d'une assignation d'utilité subjective qui donnent àla fois UE (A) > UE (B) et UE (C) < UE (D)

Mais ces deux préférences sont strictement opposées

Cela viole (2) le principe de la chose sûre :

0100 000 000500 000 000Situation B

100 000 000100 000 000100 000 000Situation A

S3 (.01)S2 (.89)S1 (.10)

Mais ces deux préférences sont strictement opposées

00500 000 000Situation D

100 000 0000100 000 000Situation C

S3 (.01)S2 (.89)S1 (.10)

Que montre le paradoxe d’Allais?

• Savage 1951: La plupart des gens préfèrent la loterie A àla loterie B parce qu’il ne trouvent pas que la probabilité de gagner une très grossefortune au lieu de gagner une grosse fortune soit une compensation adéquate pour même un petit risque d’être laissés dans le statu quo

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Réponse usuelle: aversion au risque

Ou peut être aurais je dû y penser à

deux fois avant de me lancer?

Que peut répondre le bayésien?

• Il doit montrer ou bien que: (1) la réponse majoritaire au paradoxe

d’Allais contient un élément d’irrationalité;ou bien que(2) cette réponse n’est en fait pas

contradictoire avec le principe de la chose sûre.

Réaction de Savage

• Un homme qui achète une auto pour 2 134, 56 $ est tenté de la commander avec un autoradio, ce qui montera le prixà 2228, 41 $ , trouvant la différence négligeable. Mais s’il se souvient que s’il possédait déjà la voiture, il ne dépenserait pas 93,85 $ pour la radio, il réalise qu’il s’est trompé

Savage :

• Si, après délibération, quelqu’un maintient une paire de préférences distinctes qui sont en conflit avec le principe de la chose sûre, il doit abandonner, ou modifier le principe

1000000001000000000C

50000000000D

5000000000100000000B

100000000100000000100000000A

91-100

90 1 à 89 N°billet

Si l’un des billets 1 à 89est tiré, l’option que je choisis (C ou D) importe peu. Donc je me concentresur la possibilité quesorte l’un des numéros de 90 à 100. Auquel casles deux paris sontexactement similaires

Et bien sûr on choisitB plutôt que A et D plutôt que C

Morale

• Savage rechercheune perspective

qui a plus de titres à être universelleet rationnelle

Soyons rationnels

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Mais on peut voir les choses autrement

• On peut accepter la réponse de Allais, si l’on accepte le principe suivant :

• PRINCIPE DU SEUIL: Maximisez votre utilité espérée, quand le résultat le pire ne tombe pas sous un certain seuil

PRINCIPE DU SEUIL

• Maximizez l'utilité espérée jusqu'à un certain seuil, sans quoi maximisez simplement (prenez le plus utile)

• Si obtenir 0 € est au dessous du seuil de l’agent alors que 100 000 000 € ne l’est pas, le principe recommande de choisir A plutôt que B.

• Mais, comme la possibilité d’un choix au dessous du seuil ne peut pas être évitée dans le choix entre C et D, le principe recommande la maximisation simple

Bref

• Si l’agent se fixe un seuil au dessus de 0 €quand il est confronté avec la première situation, cela explique pourquoi il choisit A plutôt que B, bien qu’il choisisse D plutôt que C.

Paradoxe de Ellsberg

• Il y a deux urnes contenant cent balles rouges et noires. On sait que l’urne 1 contient exactement 50 balles de chaque couleur. Par contre, la proportion de chaque couleur dans l’urne 2 est totalement inconnue.

• Dans le jeu 1, une balle est tirée de l’urne 1 et le joueur reçoit 100 €ou rien selon la couleur de la balle tirée.

• Le jeu 2 est identique, sauf que l’on tire la balle de l’urne 2. • On observe que lorsque le joueur est confronté à l’urne 2, il est

indifférent entre parier sur la couleur rouge ou la couleur noire. C’est donc qu’il accorde une probabilité subjective de 0,5 au tirage de chaque couleur. Dit autrement, le joueur pense que la probabilité de tirer la couleur rouge est la même dans les deux jeux, mais que cette probabilité est nettement plus fiable dans le jeu 1 que dans le jeu 2.

• Selon Savage, il devrait donc être indifférent entre les deux jeux. Pourtant, lorsque l’on offre aux joueurs la possibilité de choisir entre les deux jeux, la plupart préfèrent le jeu 1. Les individus manifestent donc de l'aversion à l’ambiguïté.

U1 U250 ?50 ?

Principe de précaution le bayésien déconfit ?

• On peut nier que le paradoxe d'Allais manifeste un échec de maximisation de l’utilité espérée.

• Par exemple on peut citer le désappointement ressenti quand on a choisi B et obtenu 0 € alors qu’on aurait pu se garantir 100 000 000 $ ou le coût de l’anxiété d’avoir à choisir B plutôt que A.

• Si on tient compte de ces coûts, la réponse d’Allais est cohérente avec le bayésianisme.

• Ibid. pour paradoxe d'Ellsberg, si on tient compte du coût subjectif lié à l'ambiguïté.

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Théories généralisées de l'utilitéespérée

• Dans la version classique de la théorie de l'UE, une option est évaluée en fonction de l'utilité associée à chaque conséquence, indépendamment de ce que sont les autres conséquences possibles.

• Mais un agent peut aussi être influencé par le désir d'éviter l'incertitude, par son goût du risque ou son aversion au risque et par d'autres désirs liés aux relations entre la conséquence effective et les autre conséquences possibles.

• Ces désirs peuvent être représentés par des valeurs numériques: les utilités généralisées (process utilities).

La théorie du regret

• La théorie du regret (Sugden, 1986) utilise une fonction d'utilité à deux attributs: (1) l'utilité des conséquences (comme dans la théorie classique) et (2) la quantité de regret.

• Dans une version simple de la théorie, le regret est mesuré par la différence de valeur entre le gain effectivement reçu et la moyenne des gains produits par les autres alternatives.

• La théorie du regret fournit une explication simple du paradoxe d'Allais.

• L'agent qui choisit B a de fortes raisons de regretter son choix si S3 se matérialise. L'agent qui choisit D aurait des raisons plus faibles de regretter son choix si D3 se matérialisait.

0100 000 000500 000 000Situation B

100 000 000100 000 000100 000 000Situation A

S3 (.01)S2 (.89)S1 (.10)

La théorie du regret

00500 000 000Situation D

100 000 0000100 000 000Situation C

S3 (.01)S2 (.89)S1 (.10)

Nombreux autres exemples de violations de principes de

décision

Amos Tversky Daniel Kahneman

Heuristiques et biais

Kahneman / Tversky : effets de cadre dans les choix

• Problème 1 Imaginez que les US se préparent à l’arrivée d’une maladie asiatique qui pourrait tuer 600 personnes.

Grippe aviaire

Choix 1

• Deux programmes ont été proposés pour combattre cette maladie

• Si le programme A est adopté 200 personnes seront sauvées

• Si le programme B est adopté il y a une probabilité de 1/ 3 que 600 personnes soient sauvées et une probabilité de 2/3 que personne de soit sauvé

• Lequel des deux programmes choisissez vous?

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Choix 2

• Problème 2

• Si le programme C est adopté 400 personnes mourront

• Si le programme D est adopté, il y a une probabilité de 1/ 3 que personne ne meure

• Et une probabilité de 2/ 3 que 600 personnes meurent

• Quel programme choisissez vous ?

Bizarre ! Bizarre!

• Alors que les deux problèmes sont formellement identiques, les préférences sont distinctes.

• 72% des gens choisissent le programme A plutôt que B

• et 78% D plutôt que C !

Herbert Simon: Rationalité limitée

• « La théorie classique est celle d’un individu choisissant parmi des options fixées et connues, auxquelles sont attachées des conséquences connues. Mais quand la perception et la cognition interviennent entre le sujet de la décision et son environnement objectif, ce modèle ne se révèle plus adéquat. Nous devons trouver une description du processus de choix qui reconnaît que les options ne sont pas données mais doivent être recherchées, et une description qui prenne en compte la tâche ardue de déterminer quelles conséquences découlent de chaque option »

Principe de satisfaction (satisficing)

• Les gains sont d’abord classés comme satisfaisants ou pas, relativement aux différents attributs: la première option qui satisfait le niveau d’aspiration de chaque attribut est sélectionnée

Exemple

• Un étudiant qui choisit un appartement peut d’abord choisir celui qui est satisfaisant du point de vue du coût, distance par rapport à la fac, et aille. Ce qui est considéré comme satisfaisant selon chacun de ces critères peut changer dans le temps, au fur et à mesure que les degrés d’aspirations augmentent ou diminuent.

Satisfaction et utilité

• Le satisficing est plus simple que la maximisation de l’utilité

• Elle évite le problème d’évaluer l’utilitéglobale de tout résultat ou de comparer divers attributs, et elle requiert une capacité de calcul limitée