La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

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    la revue socialiste  60 

    sommaire

    édito

    - Alain Bergounioux Interrogations ....................................................................................................................................................................................................................................................... p. 03

    le dossier

    - Marc Lazar Une crise qui n’en finit pas ...................................................................................................................................................................................................................... p. 07

    - Henri Weber Quel nouveau compromis social-démocrate au XXIe siècle ? ......................................................................................................................... p. 19

    - Pascal DelwitAdieu au modèle organisationnel social-démocrate ................................................................................................................................................ p. 31

    - Pierre-Alain MuetLa grande récession des années 2012-2014 : les socialistes européens à l’épreuve des égoïsmes nationaux ...... p. 49

    - René CuperusComment les partis populaires ont (presque) perdu le peuple ? Pourquoi devons-nous écouter le réveil du populisme ? ...................................................................................................................................... p. 57

    - Alain Bergounioux Les défis du socialisme français ....................................................................................................................................................................................................... p. 67

    - Christophe SenteLe socialisme au XXIe siècle : l’impératif de la révision de la méthode et du projet ................................................................. p. 81

    - Fabien EscalonaLes alternatives de gauche à la social-démocratie ....................................................................................................................................................... p. 89

    - Paul MagnetteQuestions sur l’avenir du socialisme européen .............................................................................................................................................................. p. 99

    - Gérard GrunbergQuestions sur l’avenir du socialisme européen ........................................................................................................................................................... p. 105

    - Ernst HillebrandQuestions sur l’avenir du socialisme européen .......................................................................................................................................................... p. 113

    - Marcel GauchetQuestions sur l’avenir du socialisme européen ........................................................................................................................................................... p. 125

    - Geoff EleyQuestions sur l’avenir du socialisme européen ........................................................................................................................................................... p. 133

     grand texte

    - Olof Palme« La social-démocratie n’est pas un parti élitaire », 1972 .................................................................................................................................... p. 141

     polémique

    - Malek BOUTIHGénération radicale ..................................................................................................................................................................................................................................... p. 153

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    à propos de… Gilles Vergnon, Le « modèle » suédois , 2015

    - Hélène Fontanaud

    Le modèle suédois est-il de gauche ? ....................................................................................................................................................................................... p. 163- Cécile Beaujouan

    Gauches françaises et modèle suédois : un rendez-vous difficile ............................................................................................................ p. 169

    - Gilles VergnonRéponses ................................................................................................................................................................................................................................................................ p. 177

    actualités internationales

    - François NicoullaudQuatre questions pour faire le tour de l’accord avec l’Iran ........................................................................................................................................................... p. 183

    - Jean-François Di MeglioSept ans après la nôtre, une crise chinoise dans un système encore en mal de réformes ? ...................................... p. 193

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    la revue socialiste  60 

    éditoAlain Bergounioux

     Directeur de La Revue socialiste.

    L’ensemble des données qui expliquentcette situation a donné lieu à de multi-

    ples analyses, depuis les années 1980, où

    l’on ne cesse pas d’analyser la « crise » de

    la social-démocratie. Notre dossier en fait

    l’inventaire. Une première série d’articles

     y revient et actualise le débat . Un ques-

    tionnaire proposé, ensuite, à quelques

    personnalités françaises et étrangères,pour varier les points de vue, se tourne

     vers l’avenir pour définir des perspec-

    tives. Les réponses qui sont faites sont

    parfois contradictoires, et, en tout cas,

    sans concession. Mais elles permettent

    de réfléchir… Et il y a urgence pour

    ce faire, tant le défi que font peser lesextrêmes droites nationalistes - je préfère

    cette notion au terme de « populisme »,

    trop vague - est grave dans presque

    toute l’Europe. Les résultats électoraux

    récents, en Autriche et en Suisse, mon-

    trent que tout ne dépend pas des

    problèmes économiques.

    C’est une réflexion qu’il nous faut évi-

    demment mener pour nous-mêmes.

    Ce n’est évidemment pas facile, dès lors

    que les socialistes exercent les responsa-

    bilités gouvernementales. Mais, il faut

    noter que dans les périodes passées,

    La couverture de ce numéro de la  Revue socialiste est illustrative, avec les deux

    portraits de Jeremy Corbyn et de Matteo Renzi, de la polarité qui existe actuelle-

    ment au sein de la gauche démocrate européenne. Un débat d’orientation, en effet,

    traverse, avec plus ou moins d’intensité, tous les partis socialistes, sociaux-démocrates,

    travaillistes. Il concerne également les mouvements de gauche qui se veulent une alterna-

    tive : les évolutions de Syriza, aujourd’hui, de Podemos, sans doute demain, face aux 

    exigences du gouvernement apportent un enseignement précieux.

    Interrogations

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    pour les générations qui nous ont précé-

    dés, aucun exercice du pouvoir n’est allésans débat. La première participation

    d’un socialiste à un gouvernement, celle

    d’Alexandre Millerand, en 1900, avait pro-

     voqué l’éclatement du Parti socialiste qui

     venait pourtant à peine de s’unifier !

    Le Front populaire, première véritableexpérience du pouvoir par son impor-

    tance, a montré que toute action

    réformatrice devait se lire - et doit conti-

    nuer à se lire - dans un triangle de forces,

    les contraintes internationales et euro-

    péennes, les attentes de l’électorat et les

    exigences sociales, la réalité des rapports

    de force politiques et sociaux. Cela doitdemeurer à l’esprit, aujourd’hui. Trop

    souvent, nous avons tendance, à nous

    en tenir à l’opposition, codifiée par Jean

     Jaurès, entre « l’idéal » et le « réel ». Cela

    maintient trop souvent le débat à un

    niveau trop abstrait. Il faut faire l’effort de

    ne pas raisonner seulement de manière

    dualiste - ce qui conduit à une impasse.De manière précise, pour comprendre la

    situation des socialistes au pouvoir 

    aujourd’hui, il faut voir que le cadre des

    actions gouvernementales a été dessiné

    dans les années 1980, au début du

    septennat de François Mitterrand, dans

    les années 1982-1983. Le choix de ne pas

    isoler la France de l’Europe, mais plus

    largement, de l’économie mondiale, a

    reposé sur le constat - et la conviction -

    que la nécessité d’avoir une économie

    compétitive est la condition pour main-

    tenir le modèle social qui représente

    l’œuvre historique de la gauche euro-

    péenne, politique et syndicale, depuis lafin du XIXe siècle. Cela ne résume pas

    tous les défis que les socialistes doivent

    affronter - loin de là, quand nous pen-

    sons, par exemple, à ce que révèle la crise

    des réfugiés - mais détermine ce qu’exige

    toute volonté d’exercer concrètement des

    responsabilités gouvernementales.

    Le reconnaître, c’est éviter une « mau-

     vaise conscience » de principe -

    phénomène trop répandu à gauche, qui

    empêche d’assumer clairement ce que

    nous faisons, surtout quand nous le fai-

    sons bien… Cela est même une condition

    4

     Alain Bergounioux - Interrogations

     La première participation d’un

    socialiste à un gouvernement,

    celle d’Alexandre Millerand,

    en 1900, avait provoqué 

    l’éclatement du Parti socialiste

    qui venait pourtant à peine

    de s’unifier !

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    la revue socialiste  60 

    édito

    pour affronter les questions d’avenir,

    en refondant nos mouvements dont lanécessité a été accélérée par les consé-

    quences de la crise de 2008. Les analyses

    de ce numéro peuvent être une aide, pour 

    ce faire. Au fond, le mouvement socialiste

    a été en « crise » dès sa naissance… Il a,

    toujours, trouvé en lui les forces pour se

    renouveler. C’est, aujourd’hui, également,

    notre tâche.

     Au fond, le mouvement socialiste

    a été en « crise » dès sa

    naissance… Il a, toujours,

    trouvé en lui les forces pour se

    renouveler. C’est, aujourd’hui,

    également, notre tâche.

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    Produits directement par la Fondation ou édités

    en partenariat, des ouvrages tout au long de l’année.

    LES LIVRES

    DE LA FONDATION JEAN-JAURÈS

    Karim vote à gauche et son voisin vote FN Jérôme Fourquet, préface de Gilles Finchelstein

    Une analyse des votes des populations d’origine arabo-musulmane

    dans toute leur complexité, loin de l’anathème et des fantasmes.

    Le moteur du changement : la démocratie sociale ! Jacky Bontems, Aude de Castet, Michel Noblecourt

    A partir de ce récit d’une histoire immédiate, les auteurs dessinentdes propositions de réformes pour éviter les pièges d’un libéralismeà tout crin.

    Liberté, liberté chérie (1940-1942)Pierre Mendès France

    Une nouvelle édition du récit de Pierre Mendès France, accompagnéed’une postface de Denis Salas, établie par Vincent Duclert.

    Pour un impôt juste, prélevé à la source Jean-Marc Ayrault, Pierre-Alain Muet

    Comment engager la remise à plat d’un système fiscal à bout desouffle ? Le préalable à la réforme est le prélèvement à la source,prévu en 2018. Quelles en sont les meilleures modalités ?

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    1. Un seul exemple récent : A Lavelle, The Death of Social Democracy. Political Consequences in the 21 st Century , Aldershot,Ashagate, 2008.

    Ce diagnostic n’est en rien original. Du-

    rant les années Trente du XXe siècle, la

    social-démocratie traversait une phase

    complexe. Elle était défiée, dans certains

    pays, par les partis communistes, ellesombrait sous les coups du fascisme, en

    Italie, du nazisme, en Allemagne, puis,

    en Autriche, elle perdait avec le reste des

    républicains la guerre civile, en Espagne,

    cependant que ses expériences gouver-

    nementales, en France, avec le Front

    populaire se soldaient par des résultats

    mitigés et, en Grande-Bretagne, par unéchec. Seule la Suède commençait une

    expérimentation de politiques sociales

    qui allait avoir un impact durable dans

    ce pays et auprès d’autres partis sociaux-

    démocrates. La social-démocratie était

    alors confrontée à deux défis principaux,

    celui de la crise du capitalisme et celui de

    la montée en puissance des mouve-

    ments et régimes autoritaires et totali-taires. Deux défis qui suscitaient de vifs

    Une crise qui n’en finit pas

    la revue socialiste  60 

    le dossier Marc Lazar

     Directeur du Centre d’Histoire de Sciences-Po (Paris)

    et Président de la School of Government de la Luiss (Rome).

    C

    ’est un lieu commun décliné actuellement sur tous les tons, dans des ouvragesscientifiques, par les médias et des responsables politiques qui lui sont hostiles :

    la social-démocratie est non seulement en crise, mais elle serait agonisante, voiremême déjà morte1.

     Dans les années 1960, alorsqu’elle connaissait dans

    l’ensemble une phased’expansion, la social-démocratie

     fut secouée par une vague de

    contestations, en particulier dansla jeunesse, qui se répercuta dansses propres rangs ou qui se

    traduisit par l’émergence dedivers mouvements de « nouvelle gauche » et d’extrême gauche.

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     Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas

    2. The Palgrave Handbook of Social Democracy in European Union , edited by J.-M. de Waele, F. Escalona, M. Vieira,Basingstoke-New York, Palgrave-Macmillan, 2013.

    3. D. Sassoon, One Hundred Years of Socialism. The West European Left in the Twentieth Century , London, I.B. Tauris, 1996.

    débats autour, par exemple, des proposi-

    tions planistes et, dans une moindre me-sure, des thèses austro-marxistes d’Otto

    Bauer. Dans les années1960, alors qu’elle

    connaissait dans l’ensemble une phase

    d’expansion, la social-démocratie fut se-

    couée par une vague de contestations, en

    particulier dans la jeunesse, qui se réper-

    cuta dans ses propres rangs ou qui se

    traduisit par l’émergence de divers mou-vements de « nouvelle gauche » et d’ex-

    trême gauche. Enfin, depuis le milieu des

    années 1970 et le début des années 1980,

    et plus encore dans la décennie suivante,

    la social-démocratie connaît une crise

    profonde et durable qui se poursuit, voire

    s’amplifie, de nos jours. Elle provoqueune pléthore d’essais journalistiques,

    d’ouvrages de politistes, de sociologues

    ou d’historiens, de colloques et de jour-

    nées d’études qui s’interrogent sur l’état

    de la social-démocratie et, plus large-

    ment, qui abordent une question cruciale

    bien résumée par le titre provocateur 

    donné à un article mémorable du philo-sophe Steven Lukes paru dans le Times

    Literary Supplement du 27 mars 1992 :

    « What’s le of the le ? ».

    LÉTAT DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE

    OUEST-EUROPÉENNEOn se contentera de s’intéresser à la

    situation de la social-démocratie, en

    Europe de l’Ouest, celle de l’Europe de

    l’Est étant très spécifique comme l’ont

    montré Jean-Michel de Waele, Fabien

    Escalona et Mathieu Vieira2. Une observa-

    tion préliminaire s’impose. Tout au long

    de son histoire, la social-démocratie, cevieux courant politique affichant des

    traits communs et de grandes diffé-

    rences, a été caractérisée par sa capacité

    d’adaptation face aux transformations de

    la politique, de l’économie, des sociétés et

    des cultures des pays dans lesquels elle

    était implantée3. Ce fut sa grande forcepar rapport aux communistes ouest-

    européens, dont les plus puissants partis,

    l’italien, le français, l’espagnol, le portu-

     La social-démocratie sait, par expérience, qu’elle alterne des

     phases d’expansion et de retrait.

    Tout le problème, de nos jours, est de savoir si sa plasticité fonctionne

    encore. Ou mieux, si elle a toujoursdes possibilités de se déployer.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    gais, le grec, le finlandais, s’effondrèrent,

    du fait qu’ils furent d’abord incapablesde répondre aux profondes mutations

    des années 80 et, ensuite, touchés par

    la chute des régimes communistes. La

    social-démocratie sait, par expérience,

    qu’elle alterne des phases d’expansion et

    de retrait. Tout le problème, de nos jours,

    est de savoir si sa plasticité fonctionne

    encore. Ou mieux, si elle a toujours despossibilités de se déployer.

    Il est certain que, présentement, la social-

    démocratie, soit l’ensemble des partis

    socialistes et sociaux-démocrates, pour 

    reprendre une distinction classique entre

    les partis de l’Europe du Sud - en y inté-

    grant la France - et ceux de l’Europe duNord, regroupés dans le Parti socialiste

    européen - incluant donc aussi le Parti

    démocrate italien -, connaît un repli.

    Ses résultats électoraux sont en baisse.

    Dans une récente et excellente étude

    portant sur la période allant de 1945

    à 2014, Pierre Martin a démontré que, dans

    quinze pays d’Europe occidentale oùdes élections régulières ont eu lieu,

    l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le

    Danemark, la Finlande, la France, la

    Grande-Bretagne, l’Irlande, l’Islande,

    l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, lesPays-Bas, la Suède et la Suisse, les partis

    sociaux-démocrates obtiennent une

    moyenne de 23,8 % des suffrages, entre

    2011 et 2014 - le calcul repose sur des

    séquences de cinq ans -, soit leur plus

    faible pourcentage, depuis les années

    1945-1950 - les pourcentages les plus éle-

    vés, plus de 30 %, ayant été atteints entre1951 et 1970, cependant qu’entre 1981 et

    1985, la moyenne était de 29,9. Les princi-

    paux partis sociaux-démocrates reculent

    de manière sensible dans la première dé-

    cennie du XXIe siècle (2001-2010), par rap-

    port à la décennie 1961-1970 : - 7,5 points

    en Allemagne, - 11,2 en Autriche, - 7,1 enBelgique, - 11,3 au Danemark, - 10,1 en

    Grande-Bretagne, - 11 au Luxembourg, -

    14,6 en Norvège, - 12,3 en Suède, soit une

    moyenne de - 10,6 points dans ces huit

    pays. Ce même chercheur remarque, d’ail-

    leurs, que les partis de gouvernement de

    droite sont aussi victimes d’une érosion

    électorale : ainsi, les partis de gauche sontassociés à « l’establishment » ou à « la

    caste », vilipendés quotidiennement par 

    les populistes4. Le cas le plus extrême est

    4. P. Martin, « Le déclin des partis de gouvernement », Commentaire, n° 143, automne 2013, p. 542-554 et « Le déclin élec-toral des partis de gouvernement et le rapport des citoyens à la politique », Les débats de l’ITS, La crise de la démocratie ,Paris, Bruno Leprince, 2015, pp. 3-25.

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    représenté par le PASOK : alors qu’il avait

    obtenu 43,9 % des suffrages, en 2009, iltombe à 4,6 %, en janvier 2015, remon-

    tant un peu en septembre de la même

    année (6,3 %). Par ailleurs, les partis so-

    ciaux-démocrates connaissent un déclin

    général, et parfois spectaculaire, du nom-

    bre de leurs adhérents. Un exemple

    édifiant est celui du plus important et

    influent d’entre eux, le SPD, qui, entre

    1976 et 2013, a vu fondre ses effectifs de

    plus de 46 %, puisqu’ils sont passés de

    1 022 091 à 473 662. En outre, les mem-

    bres de ces partis sont généralementâgés, retraités, et quand ils sont actifs, tra-

    vaillent avant tout dans le secteur public,

    au sens large du mot. Enfin, partout s’en-

    registre un affadissement du rayonne-

    ment culturel et intellectuel des partis

    sociaux-démocrates qui sont fréquem-

    ment sur la défensive sur le terrain des

    idées, alors même que dans toutel’Europe fleurissent à gauche une série

    de think tanks stimulants et innovants.

    CAUSES ET ASPECTSDE LA CRISE SOCIALE-DÉMOCRATE

    En fait, c’est tout l’environnement de la

    social-démocratie qui a été modifié de

    façon substantielle. La transformationfondamentale du capitalisme, la globali-

    sation, l’affaissement du monde ouvrier 

    classique lié au modèle fordiste, le pro-

    cessus d’individualisation, les évolutions

    de l’organisation du travail, le creuse-

    ment des inégalités de toute nature -

    sociales, de genre, générationnelles, ter-ritoriales, entre nationaux et immigrés

    étrangers -, l’offensive néo-libérale, les

    orientations données à la construction

    européenne, le contexte international, la

    désaffection à l’égard des institutions et

    des partis, le rejet de la classe dirigeante,

    la montée des populismes ou encore l’es-

    sor prodigieux des nouvelles techno-logies sont autant de facteurs qui

    participent d’un basculement quasi an-

    thropologique déstabilisant la social-dé-

    mocratie, et d’ailleurs, pas seulement elle.

    De ce fait, la crise de la social-démocratie,

    amorcée il y a trente ou quarante ans,

    10

     Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas

     Partout s’enregistre unaffadissement du rayonnement culturel et intellectuel des partissociaux-démocrates qui sont  fréquemment sur la défensivesur le terrain des idées,alors même que dans toute

    l’Europe fleurissent à gaucheune série de think tanksstimulants et innovants.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    5. P. Le Galès, N. Vezinat (dir.), L’Etat recomposé, Paris, PUF, 2014.

    selon des chronologies variables d’un

    pays à l’autre, présente de multiplesfacettes qui se déclinent différemment

    selon les partis et dont nombre d’entre-

    elles s’avèrent inédites, par rapport aux

    crises précédentes. Crise de l’Etat-provi-

    dence fondé, jusqu’alors, sur des bases

    nationales et qui constituait, depuis

    l’après-Deuxième Guerre mondiale, la

    ressource politique fondamentale de lasocial-démocratie : or, comment conti-

    nuer une politique sociale dont les coûts

    sont devenus prohibitifs, dans un

    contexte de ralentissement de la crois-

    sance, de stagnation ou de dépression

    obligeant à réduire la dépense publique ? 

    Crise de l’action publique : comment éla-borer les décisions, décider, agir, avec

    quels instruments et quels acteurs, alors

    que l’Etat est en perpétuelle recomposi-

    tion ? 5 Crise de la stratégie politique :

    s’unir avec les formations plus à gauche

    empêche de s’adresser aux électeurs mo-

    dérés, notamment sur le sujet hyper-sen-

    sible de la fiscalité, mais faire allianceavec les partis centristes déçoit une partie

    des clientèles traditionnelles de gauche :

    comment résoudre ce dilemme ? Crise

    du projet et de l’identité : que signifie,

    exactement, le socialisme, aujourd’hui,

    ou tout simplement la gauche dans lecadre de l’Europe où les contraintes, no-

    tamment, en matière économique, sem-

    blent l’emporter sur les opportunités

    qu’elle offre, tandis que s’expriment de

    nouvelles exigences de protection sociale,

    d’ordre public, par rapport à la délin-

    quance et à la criminalité, culturelle, du fait

    des migrations, ou encore environnemen-

    tales, et que se formulent sans cesse des

    nouvelles demandes d’extension des

    droits civiques ? Crise sociologique, car,

    là encore, avec des variations d’un paysà l’autre, les partis sociaux-démocrates,

    désireux de s’adresser à des nouveaux

    électeurs, ont perdu le soutien des catégo-

    ries populaires et, notamment, d’un

    Crise sociologique, car,là encore, avec des variations

    d’un pays à l’autre, les partissociaux-démocrates, désireuxde s’adresser à des nouveaux 

    électeurs, ont perdu le soutiendes catégories populaires et,

    notamment, d’un monde ouvrier,qui n’a pas disparu, mais a

     profondément changé.

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    monde ouvrier, qui n’a pas disparu, mais

    a profondément changé : quelle offre po-litique formuler pour pouvoir s’adresser 

    aux uns et aux autres, alors que leurs in-

    térêts et leurs attentes sont parfois totale-

    ment opposés ? 6 Crise organisationnelle :

    quelles structures faut-il forger, alors que

    les partis paraissent obsolètes, rejetés

    et délégitimés - une grande nouveauté,

    par rapport aux années 60 où nombre

    d’Européens s’éloignaient des partis maiscontinuaient de voter pour eux et ne

    contestaient guère leur légitimité - car

    devenus souvent des machines bureau-

    cratiques repliées sur elles-mêmes, insé-

    rées dans l’appareil d’Etat, faisant partiedu « système », composées de personnes

    désireuses avant tout d’y faire carrière ? 

    Crise, enfin, du leadership : quel leader 

    pour la gauche, à l’heure où la politique

    moderne a pris, entre autre, la forme

    d’une démocratie du public, où, précisé-

    ment, le rôle de la personne devient pré-

    pondérant, et même décisif, et où, dansl’opinion, on enregistre un mouvement

    contradictoire, d’un côté, d’horizontalité

    et, de l’autre, de quête d’autorité - qui ne

    signifie pas d’autoritarisme ?

    Les partis sociaux-démocrates ne sont

    pas restés inactifs face à tous ces défis.

    Ce que l’on a appelé la Troisième voie,une expression qui recouvre un ensem-

    ble différencié de pratiques politiques, de

    déclarations de responsables, Tony Blair 

    et Gerhard Schr öder, en premier lieu,

    et de réflexions théoriques dont les plus

    célèbres furent celles d’Anthony Giddens,

    a représenté un moment important pour 

    la gauche réformiste, y compris dans uneperspective historique. Il s’agissait de

    prendre en compte les métamorphoses

    du capitalisme - notamment, sa dimen-

    12

     Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas

    6. Line Rennwald, Partis socialistes et classe ouvrière. Ruptures et continuités du lien électoral en Suisse, en Autriche,en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France (1970-2008) , Neufchâtel, Editions Alphil-Presses universitairessuisses, 2015.

    Ce que l’on a appelé la

    Troisième voie, une expressionqui recouvre un ensembledifférencié de pratiques politiques, de déclarationsde responsables, Tony Blairet Gerhard Schröder, en premier lieu, et de réflexions théoriquesdont les plus célèbres furent celles d’Anthony Giddens,a représenté un moment important pour la gaucheréformiste, y compris dansune perspective historique.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    sion de société de la connaissance - et

    de la société, en tentant d’en saisir les po-tentialités qu’elles engendraient, plutôt

    que d’insister sur leurs effets délétères et

    périlleux. Il fallait satisfaire les attentes

    antagoniques des électeurs tiraillés entre

    un processus accéléré d’individualisation

    et des aspirations maintenues à la justice

    sociale, ou encore oscillant entre les sen-

    timents de peur face à l’insécurité dansleur vie quotidienne et de crispation de-

    vant l’afflux d’immigrés et, pour d’autres,

    des comportements libertaires et tolé-

    rants sur des questions épineuses de

    société comme, par exemple, la recon-

    naissance juridique de couples du même

    sexe ou les sujets de bioéthique, etc. Avecdes variantes selon les pays, la gauche

    en est venue à assimiler une part du libé-

    ralisme, à reconnaître pleinement l’éco-

    nomie de marché, au point, parfois, d’en

    célébrer les vertus, et, en tout cas, à

    renoncer définitivement à se présenter 

    comme une alternative au capitalisme, à

    faire l’éloge de la mondialisation et de laconstruction européenne, à privatiser lar-

    gement, à attirer les investissements

    étrangers, à diminuer les impôts, à mo-

    derniser l’appareil d’Etat, à assouplir le

    marché du travail, à en appeler à l’esprit

    de responsabilité individuelle ou, selon

    les pays, à des formes de communauta-

    risme, à substituer à l’égalité des condi-tions à l’égalité des chances, à fustiger les

    politiques classiques d’assistance sociale

    ou de santé, à affirmer la nécessité

    du respect de l’ordre et de l’autorité, et

    à réprimer sévèrement la délinquance.

    Dans le même temps, toujours guidés

    par leurs idéaux d’égalité et de justice

    sociale, les adeptes de la Troisième voierappelaient la nécessité de réguler le

    marché, négociaient avec les partenaires

    sociaux, même si un net découplage

    idéologique et sociologique entre les par-

    tis sociaux-démocrates et les syndicats

    se réalisait, investissaient dans l’éduca-

    tion, la recherche et le développement,cherchaient à assurer de la redistribution

    sociale, s’efforçaient de réduire les inéga-

    lités, intégraient les préoccupations de

    l’environnement, promouvaient, dans

    certains pays, des réformes de libéralisa-

    tion des mœurs, instauraient la parité

    entre hommes et femmes et s’éver-

    tuaient, le plus souvent en vain, des’adresser aux précaires et aux exclus.

    Par ailleurs, les partis ont essayé de trou-

    ver des moyens de jeter des ponts avec

    la société, par exemple, en facilitant l’ins-

    cription des nouveaux adhérents et, en

    Italie, en France, au Portugal et en Grèce,

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    La crise de la représentation politique, au

    niveau national, s’est considérablementaggravée avec, d’un côté, le rejet de la

    politique et des responsables politiques,

    mais, de l’autre, une requête accrue de par-

    ticipation démocratique. Les phénomènes

    migratoires, la crise des modèles d’intégra-

    tion des immigrés, la poussée de l’isla-

    misme radical ont provoqué un choc

    culturel à la fois créé et exploité par les po-pulistes d’extrême droite, en plein essor, et

    une partie de la droite, plongeant la gauche

    dans l’embarras. La révolution numérique

    a modifié les façons de faire de la politique.

    La social-démocratie, qui avait connu un

    processus de convergence, se divise entre

    différentes sensibilités. La première afficheplus ou moins nettement son social-libéra-

    lisme. Dans la lignée de la Troisième voie,

    elle continue d’accorder la priorité à l’assai-

    nissement des comptes publiques et aux

    incitations à la croissance, par une poli-

    tique de l’offre, tout en réalisant des ré-

    formes sociales et de société. Elle n’hésite

    pas à envisager de sortir de la tradition so-cial-démocrate pour aller chasser vers

    d’autres terres. Matteo Renzi incarne cette

    tendance qui se situe délibérément au cen-

    tre gauche. S’y opposent ceux qui enten-

    dent rester fidèles à la social-démocratie et

    qui, tout en reconnaissant la nécessité de

    réduire la dette et le déficit publics, plaident

    pour une politique de la demande, avecune forte redistribution sociale. Enfin, la

    troisième tendance critique tout principe

    d’austérité, fustige l’Europe et en appelle à

    une alternative globale. Cette dernière est

    présente dans les partis sociaux-démo-

    crates. Mais aussi à l’extérieur.En effet, la social-démocratie est confrontée

    à la montée en puissance d’une large mou-

    vance de la gauche de la gauche qui la cri-

    tique et adopte souvent des postures

    populistes. Cette gauche focalise l’attention.

    En vérité, elle constitue une vaste galaxie

    hétérogène dans laquelle se repèrent au

    moins deux grandes sensibilités, parfoisclairement distinctes, ou bien rassemblées

    dans un même parti ou encore étroitement

    entremêlées. L’une traditionnelle, présente

    donc également dans les partis sociaux-

    démocrates, mobilise les références clas-

    siques de la gauche : elle prône une

     La social-démocratieest confrontée à la montée

    en puissance d’une largemouvance de la gauche de la

     gauche qui la critique et adoptesouvent des postures populistes.

    Cette gauche focalise l’attention.

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    politique étatique, la reprise d’une large re-

    distribution sociale, la taxation des plus for-tunés, mâtinée, le plus souvent, d’écologie

    et de la critique morale des méfaits du

    capitalisme qui témoigne d’une sorte

    de renouveau d’un christianisme social

    contemporain. Cette gauche-là, qui revêt

    d’infinies nuances, d’un pays à l’autre, dues

    à la diversité des cultures et des histoires

    politiques nationales, est bien incarnée par  Jeremy Corbyn. Elle forme une minorité

    dans la plupart des partis socialistes,

    sociaux–démocrates et au PD italien. Elle

    existe de manière autonome avec Die

    Linke, en Allemagne, le Front de gauche, en

    France ou Unité populaire, en Grèce - une

    scission de Syriza. L’autre composante est

    plus « mouvementiste », à l’instar de Pode-mos, grand promoteur de la démocratie

    participative et qui refusait, au départ, de se

    positionner dans l’antagonisme gauche

    contre droite, préférant parler de l’opposi-

    tion entre le peuple et « la caste », avant de

    modérer ses positions à l’approche du

    scrutin législatif. Ces deux courants étaient

    plus ou moins présents dans Syriza, avantde se dissocier cet été. Ils coexistent en Italie,

    par exemple, dans Sinistra Ecologia Libertà,

    Possibile, un mouvement fondé par un an-

    cien dirigeant du PD Beppe Civati, Coesione

     sociale initié par le syndicaliste, Maurizio

    Landini, et d’autres regroupements qui se

    forment, depuis quelque temps, à côté du

    PD. Jeremy Corbin veut également être àl’écoute des aspirations d’une partie de la

    société, via internet.

    Quoi qu’il en soit, cette mouvance de

    gauche semble avoir le vent en poupe.

    Plusieurs facteurs y contribuent, qu’elle

    instrumentalise aisément : l’austérité,

    avec les souffrances et les inégalités detoute nature qu’elle engendre, les peurs

    suscitées par la globalisation, le malaise

    démocratique de nombre de pays, le rejet

    des élites dirigeantes, la faillite actuelle de

    l’Union européenne, l’aspiration à un

    monde meilleur, la recherche du nouveau

    en politique, etc. Toutefois, les faiblesses

    de cette gauche de la gauche sont légion.Son poids électoral reste globalement fort

    limité, même si, dans certains pays,

    comme en France, il suffit à pénaliser

    la gauche réformiste. Cette gauche de la

    gauche séduit sans conteste certaines frac-

    tions de la population, tels les salariés du

    16

     Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas

     Les faiblesses de cette gauche dela gauche sont légion. Son poidsélectoral reste globalement fort limité, même si, dans certains

     pays, comme en France, il suffit à pénaliser la gauche réformiste.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    secteur public, les syndicalistes, les per-

    sonnes dotées d’un haut niveau d’instruc-tion voire les jeunes en situation de

    précarité, comme ce fut le cas lors des pri-

    maires du Labour ou lors de la victoire de

    Syriza, en janvier dernier ; en revanche, hor-

    mis de rares exceptions, elle n’attire guère

    les couches populaires et elle échoue sou-

    vent à canaliser leur protestation qui se di-

    rige plutôt vers d’autres populismes,d’extrême droite généralement ou se

    situant ailleurs, à l’instar du Mouvement

    5 étoiles, et qui défient considérablement

    les partis de gouvernement, dont ceux de

    gauche. En France, c’est le Front national

    qui est le premier parti ouvrier dans les

    urnes et il représente, par excellence, laforce antisystème. D’un point de vue straté-

    gique, la gauche de la gauche hésite entre

    un splendide isolement, au risque de deve-

    nir vite impuissante, et des alliances, afin

    de l’emporter, voire de gouverner, qui pro-

    voquent immédiatement des divisions

    dans ses rangs. La gauche de la gauche ne

    cesse de dénoncer les impasses de la poli-tique de la zone euro et d’en appeler à une

    autre politique, mais sa crédibilité pour

    résoudre les problèmes économiques est

    quasi nulle, y compris chez les personnes

    qui lui manifestent de la sympathie

    comme en attestent nombre de sondages.

    Enfin et surtout, elle a enregistré une défaite

    cinglante en Grèce où Alexis Tsipras s’estfracassé sur le mur du réel et a dû accepter,

    en juillet dernier, un accord avec l’Union

    européenne, en totale contradiction avec

    son programme initial. Cet échec a ouvert

    un débat, dont les effets sont dévastateurs

    pour elle et qui tourne autour d’une ques-

    tion cruciale : faut-il ou non rester dans la

    zone euro ? Pour certains, en sortir seraitsuicidaire, et il s’agit donc de lutter avec

    d’autres forces pour changer l’orientation

    de la zone euro. Telle est la position du Parti

    communiste français qui s’appuie sur un

    rapport très complet de quelques-uns

    de ses économistes. Pour d’autres, au

    contraire, renoncer à la monnaie uniqueest désormais envisageable, voire indis-

    pensable, comme l’a proclamé, par exem-

    ple, Stefano Fassina, un ancien responsable

    du Parti démocrate et ex-ministre du gou-

    vernement d’Enrico Letta qui, le premier, en

    a appelé à créer des fronts nationaux

    de libération, une idée reprise en France

    par l’économiste, Jacques Sapir. Aussi,la gauche radicale se déchire-t-elle entre

    ceux qui continuent de soutenir Tsipras et

    ceux qui se rassemblent derrière ses op-

    posants, en premier lieu Varoufakis, à

    l’instar du Parti de gauche de Jean-Luc

    Mélenchon. En dépit de cette double frac-

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    ture, à propos des alliances et de l’euro,

    qui la mine profondément, la gaucheradicale insiste continûment sur la néces-

    sité de retrouver les valeurs de la gauche

    et d’y rester fidèles. Or, cet argumentaire

    rencontre un large écho bien au-delà

    de ses rangs, jusque chez les gens se

    reconnaissant dans la gauche modérée.

    Il révèle un dilemme classique et profond

    de l’histoire de la gauche européennequi a été bien mis en lumière et analysé

    pour la France par Alain Bergounioux et

    Gérard Grunberg, celui de son rapport

    tourmenté au pouvoir 9. Y participer,

    exercer des responsabilités, gouverner et

    donc choisir, est considéré comme risqué,

    voire sale et pervers. Mieux vaut alorsrester dans la pureté de l’opposition.

    Le surgissement de cette gauche de la

    gauche soulève des questions de fond

    que la gauche réformiste doit plus que

     jamais affronter et résoudre concernant,

    par exemple, le modèle de croissanceavec l’impérieuse nécessité de participer 

    à un développement durable, la cohésion

    des sociétés, l’Europe, la démocratie, la

    forme partisane, son électorat. La diffi-

    culté, assez originale par rapport à

    l’Histoire, vient de ce que certaines de ces

    questions, et non des moindres, l’Europe,

    la politique économique, la cohésion dessociétés, en particulier dans leurs dimen-

    sions culturelles et identitaires, brouillent

    les fondements du clivage gauche-droite

    qui ne constitue plus tout à fait la summa

    divisio exclusive. D’autres clivages s’impo-

    sent, notamment celui, vertical, entre le

    peuple et les élites, et celui qui oppose lespartisans d’une société ouverte à ceux et

    celles qui sont tentés par un grand repli

    sur le local, le régional ou le national.

    Ce qui laisse entrevoir de grandes recom-

    positions politiques dont certaines, au

    demeurant, sont déjà en cours. C’est dire

    qu’il est temps pour les réformistes de

    s’engager dans une réflexion approfondie -et européenne -, au lieu de se contenter 

    d’une gestion à la petite semaine et de se

    reposer sur les éventuelles prouesses com-

    municatives de leurs leaders.

    18

     Marc Lazar - Une crise qui n’en finit pas

    9. A. Bergounioux, G. Grunberg, L’Ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir 1905-2005, Paris, Fayard,2005.

     D’autres clivages s’imposent,

    notamment celui, vertical, entrele peuple et les élites, et celui qui oppose les partisans d’une société ouverte à ceux et celles qui sont tentés par un grand repli surle local, le régional ou le national.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    Les contenus concrets de ces pactes so-

    ciaux dépendent des rapports de force et

    des conditions objectives. C’est pourquoi, iln’y a pas un seul, mais plusieurs types de

    compromis sociaux-démocrates possibles.

    Pour ne nous en tenir qu’à la deuxième

    moitié du XXe siècle, on peut en distinguer 

    trois : les compromis sociaux-démocrates

    offensifs d’après-guerre (1945-1975) ; les

    compromis défensifs de crise (1980-2000) ;

    les compromis d’adaptation progressiste àla globalisation (depuis 2000).

    LES COMPROMIS OFFENSIFSDAPRÈS-GUERRE

    Les premiers coïncident avec les Trente

    Glorieuses et sont particulièrement favo-

    rables aux travailleurs. Ceux-ci bénéfi-

    cient d’un rapport de forces économique,

    social, politique, idéologique, globale-ment favorable, au lendemain de la vic-

    toire des Alliés sur le nazisme, et tout au

    long de la Guerre froide. Dans nos écono-

    mies de reconstruction et de rattrapage,

    le taux de croissance sur la longue durée

    est de 5 % par an. Comme disait le re-

    gretté André Bergeron : « Il y a du grain à

    moudre ». Les économies nationales sontprotégées par les droits de douane et les

    contingentements. Les entreprises pro-

    duisent principalement pour le marché

    national, sur le territoire national. Le plein

    emploi confère aux syndicats un fort

    pouvoir de négociation. La menace com-

    Depuis le temps, déjà lointain, où elle a cessé d’être révolutionnaire pour devenir 

    résolument réformiste, la social-démocratie européenne marche au compromis. « Entre le capital et le travail, le marché et l’Etat, la liberté (d’entreprendre) et 

     la solidarité  », selon la lumineuse formule de Jacques Delors, elle recherche l’arbitrage le

    plus avantageux pour les salariés, qu’elle a vocation à défendre et l’ambition de représenter.

    Quel nouveau compromis social-démocrateau XXIe siècle ?

    Henri Weber Directeur des études auprès du Premier secrétaire, en charge des questions européennes.

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    muniste, extérieure avec l’impérialisme

    soviétique, intérieure avec un parti stali-nien de masse qui exerce son hégémonie

    sur la gauche politique, syndicale, asso-

    ciative et intellectuelle, incite les classes

    possédantes et dirigeantes à ne pas lési-

    ner sur les moyens pour acheter la paix

    sociale et attacher les ouvriers à la démo-

    cratie. La classe ouvrière industrielle est

    en pleine ascension. Elle atteindra son

    apogée au début des années 1970.

    Concentrée dans des établissements

    géants et des régions-usines, elle estsystématiquement organisée par les par-

    tis et les syndicats sociaux-démocrates

    (communistes, en France et en Italie).

    Ces partis sont des partis de masse - en-

    core, en 1975, le SPD allemand regroupe

    1 million d’adhérents - et de classe1

    .

    Au plan idéologique, qu’on néglige à tort

    trop souvent, le libéralisme économique,

    dominant entre les deux guerres, est

    discrédité par la Grande dépression de

    1929-1933. Le keynésianisme, sous ses

    variantes de gauche et de droite, tient

    le haut du pavé. Il légitime et encouragel’intervention de l’Etat dans la vie écono-

    mique et sociale, et recommande « l’eu-

    thanasie des rentiers ». En France, la

    puissance publique contrôle les prix et

    les changes. Elle met en œuvre un protec-

    tionnisme offensif, favorisant la montée

    en puissance de « champions nationaux ».Elle recourt régulièrement à la dévalua-

    tion du franc pour rétablir la compétiti-

    vité de l’économie, compromise par 

    l’inflation. Les termes du compromis so-

    cial-démocrate offensif d’après-guerre

    sont faciles à énoncer, et pas très compli-

    qués à mettre en œuvre : le mouvement

    ouvrier social-démocrate reconnaît lalégitimité du profit et du pouvoir patronal

    dans l’entreprise, sa liberté d’entrepren-

    dre et de gérer, dans le respect du droit,

    de la loi et des contrats. Il exige - et il

    20

     Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?

     La classe ouvrière industrielleest en pleine ascension. Elleatteindra son apogée au début des années 1970. Concentréedans des établissements géantset des régions-usines, elle

    est systématiquement organisée par les partis et les syndicatssociaux-démocrates(communistes, en Franceet en Italie).

    1. Voir ci-dessous l’article de Pascal Delwit.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    obtient ! - en échange que le patronat et

    l’Etat assurent le plein-emploi, l’augmen-tation régulière du pouvoir d’achat, la

    protection croissante des travailleurs

    contre tous les risques sociaux (chô-

    mage, vieillesse, maladie, déqualifica-

    tion…), le développement de services

    publics diversifiés et de qualité, le renfor-

    cement de la démocratie sociale dans les

    entreprises et dans la société.

    Ces compromis conquérants ont fait

    merveille pendant près d’un demi-siècle,

    on leur doit la douceur de vivre dans nos

    démocraties avancées. Jusqu’au milieu

    des années 1970, le plein emploi était as-

    suré en Europe ; le pouvoir d’achat dessalariés a été multiplié par trois, les mé-

    nages ouvriers se sont équipés en « biens

    de consommation durables » ; la durée

    annuelle du travail a été considérable-

    ment réduite2  ; les congés payés ont

    été allongés ; la protection sociale a été

    portée à un niveau sans précédent : les

    pensions de retraite se sont progressive-ment rapprochées du niveau des salaires

    touchés par les travailleurs en activité ;

    la vieillesse a cessé d’être synonyme de

    pauvreté ; le système de santé a progres-

    sivement offert à tous l’accès aux soins,

    quelles que soient leurs ressources et

    quel qu’en soit le coût ; l’espérance de viea augmenté de 20 ans ; l’indemnisation

    du chômage a progressivement péren-

    nisé les revenus des chômeurs sur une

    durée de plus en plus longue et dans une

    proportion du salaire net de plus en plus

    élevée ; l’enseignement secondaire a été

    progressivement étendu à la majoritéd’une classe d’âge, l’enseignement supé-

    rieur à près de la moitié… On pourrait

    poursuivre cette liste en y incluant les

    libertés et les droits nouveaux, civils,

    politiques et culturels. Il y faudrait plu-

    sieurs pages ! Ces compromis offensifs

    sont entrés en crise, à la fin des années

    1970, avec le ralentissement de la crois-sance - qui passe de 5 % à 2,5 % par

    an -, l’envol de l’inflation - 14 % en France

    en 1980 -, la réapparition du chômage de

    masse. Avec, aussi et surtout, la mondia-

    2. Selon les chiffres de l’Insee, en 1950, la durée annuelle du travail était de 2 230 heures en France, elle n’est plus que de1 559 heures, en 2007.

     Le libéralisme économique,

    dominant entre les deux guerres,est discrédité par la Grandedépression de 1929-1933.

     Le keynésianisme, sous sesvariantes de gauche et de droite,

    tient le haut du pavé.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    veau les rapports de force entre le capital

    et le travail, entre les pays capitalistesavancés et les pays émergents, entre les

    impératifs du développement et l’urgence

    écologique.

    Au plan économique, les grands émer-

    gents ont émergé, le capitalisme d’Etat

    chinois concurrence, désormais, les

    grandes entreprises occidentales dans les

    industries high tech, l’Inde s’affirme dansles services à haute valeur ajoutée, une

    armée de nouveaux émergents leur em-

    boîte le pas. La révolution numérique

    connaît une seconde vague, avec la

    convergence entre l’Internet, la robotique,

    les bio et les nanotechnologies, l’intelli-

    gence artificielle. Elle s’incarne, désormais,dans l’internet des objets, l’impression tri-

    dimensionnelle (la 3D), l’informatique en

    nuage (le e-Cloud), le stockage et le traite-

    ment des méga-données (Big Data), l’in-

    dustrie 4.05. L’instabilité de l’économie

    mondiale s’est encore renforcée, après la

    crise de 2008-2012, malgré les bonnes ré-

    solutions affirmées au plus fort de la tour-mente. Les réformes annoncées au G20 de

    novembre 2008 ont été, pour l’essentiel,

    oubliées. Celles qui ont été appliquées

    sont insuffisantes pour conjurer la réédi-tion, en plus grave, d’une nouvelle crise fi-

    nancière et économique mondiale. Cette

    instabilité chronique rend périlleux les en-

    dettements élevés, car nul ne sait où en se-

    ront les taux d’intérêt quand les bulles

    spéculatives, qui enflent aujourd’hui, au-

    ront éclaté.

    Le rapport de force entre les détenteurs

    du pouvoir économique privé - entreprises

    multinationales géantes et opérateurs fi-

    nanciers - et les Etats démocratiques, leurs

    gouvernements, leurs partis politiques,

    leurs syndicats, leurs ONG, s’est encore

    dégradé, au détriment des seconds, auprofit des premiers. Au plan social, le sa-

    lariat se voit menacé par « l’uberisation »

    des métiers de services et l’automatisation

    5. Le concept d’industrie 4.0 s'emploie dans les milieux industriels et politiques et désigne les projets de création d'usinesintelligentes, capables de se gérer quasiment toutes seules grâce à leur digitalisation.

     L’instabilité de l’économie

    mondiale s’est encore renforcée,après la crise de 2008-2012,malgré les bonnes résolutions

    affirmées au plus fort dela tourmente. Les réformes

    annoncées au G20 denovembre 2008 ont été,

     pour l’essentiel, oubliées.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

    26/204

    du travail intellectuel standardisable.

    D’après des instituts spécialisés, 47 % desemplois existants aux Etats-Unis, 42 % en

    France, pourraient disparaître dans un

    délai de 10 à 30 ans, selon les scénarii6. La

    société de conseil Roland Berger annonce

    la destruction de 3 millions d’emplois

    intellectuels, en France, au cours des dix

    prochaines années7. L’avenir serait aux tra-

    vailleurs indépendants, aux auto-entrepre-neurs, ou, dans le meilleur des cas, au

    « travail partagé » : salarié pendant 3 jours,

    « indépendant » le reste de la semaine.

    D’après Jacques Attali, nous allons vers la

    généralisation du statut des intermittents

    du spectacle. Au plan idéologique, l’effon-

    drement des grandes idéologies émanci-

    patrices des XIXe et XXe siècles - commu-

    nisme, socialisme révolutionnaire, et, dansune moindre mesure, progressisme répu-

    blicain - a laissé place au retour en force

    des religions révélées, de la pensée ma-

    gique, de l’irrationalisme. La mondiali-

    sation sauvage et l’Europe encalminée

    frayent la voie au retour des nationalismes

    de repli, souvent dans leur version agres-

    sive et xénophobe. Au plan politique, cesévolutions nourrissent une double radica-

    lisation : radicalisation à droite, avec la

    banalisation des partis populistes xéno-

    phobes et leur montée en puissance8  ;

    radicalisation à gauche, avec le surgisse-

    ment d’une nouvelle extrême-gauche, qui

    prône la résistance au changement, maisne porte aucune réponse novatrice aux

    défis auxquels nous sommes confrontés.

    Ces évolutions du capitalisme et de la

    société salariale appellent un redéploie-

    ment des économies occidentales vers les

    industries de pointe, les services à haute va-

    24

     Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?

     Au plan social, le salariat sevoit menacé par « l’uberisation »des métiers de services et 

    l’automatisation du travail intellectuel standardisable.

    6. Carl Benedict Frey et Michael Osborne ont publié, en 2013, une étude où ils passent en revue les effets de la robotisationsur 700 métiers aux Etats-Unis. Ils en concluent que la seconde vague d’automatisation peut détruire 47 % des emploisaméricains existants, en 20 ou 30 ans

    7. Cf. Roland Berger strategy consultants. Think Act : « Les classes moyennes face à la transformation digitale ». Octobre2014. http://www.rolandberger.fr/media/pdf/Roland_Berger_TAB_Transformation_Digitale-20141030.pdf 

    8. Le 11 octobre 2015, le FPÖ d’extrême droite autrichien a obtenu plus de 32 % des suffrages, à l’élection municipale deVienne. En Suisse, lors des élections fédérales, le 18 octobre, le parti d’extrême droite, Union démocratique du centre(UDC), a fait une percée et représente désormais 29,5 % du Parlement. En France, le Front national est crédité de 26 %des intentions de vote, aux élections régionales de décembre.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

    27/204

    la revue socialiste  60 

    le dossier

    leur ajoutée, mais aussi les services aux per-

    sonnes, le passage d’une économie d’imi-tation à une économie d’innovation9, et

    d’une société industrielle à une société de

    services, fondés sur la connaissance.

    Le compromis social-démocrate du XXIe

    siècle vise à mobiliser les partenaires

    sociaux, en faveur de cette mutation :

    la gauche réformiste et les syndicats

    acceptent la dérégulation relative du

    marché du travail - sur le modèle de la

    « flexisécurité » scandinave ; la modéra-

    tion salariale ; la reconfiguration de l’Etat-

    Providence, dans le sens d’un Etat social

    plus préventif, moins curatif. Ils attendent,en échange du patronat et de la puissance

    publique, la défense de l’emploi, la montée

    de l’économie « à la frontière technolo-

    gique », la conquête de parts de marché à

    l’international, la sauvegarde de la puis-

    sance économique nationale et euro-péenne. Ce compromis social-démocrate

    d’adaptation à la globalisation est pro-

    gressiste, s’il vise à préserver, dans leur 

    substance, les conquêtes sociales et démo-

    cratiques accumulées par le mouvement

    ouvrier, au long de deux siècles de lutte.

    Ce qui passe nécessairement par la

    reconstitution de leur base matérielle. Ilest progressiste aussi et surtout, s’il

    s’efforce, au-delà de cette préservation,

    d’assurer des conquêtes nouvelles. De

    poursuivre la longue marche de la social-

    démocratie vers une démocratie accomplie,

    une économie maîtrisée, une civilisation

    du bien-vivre. Il est régressif, au contraire,s’il vise à démanteler les acquis sociaux et

    à promouvoir une répartition des richesses

    outrancièrement favorable aux classes

    possédantes.

    LEXPÉRIENCE PIONNIÈREALLEMANDE

    A la fin des années 1990, plusieurs partissociaux-démocrates se sont efforcés

    de mettre en œuvre des compromis

    d’adaptation progressistes. Ils l’ont fait,

    malheureusement, dans un cadre trop

    Ce compromis social-démocrated’adaptation à la globalisationest progressiste, s’il vise à préserver, dans leur substance,les conquêtes sociales et démocratiques accumulées par le mouvement ouvrier,

    au long de deux siècles de lutte.

    9. Cf. Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen, Changer de modèle, Editions Odile Jacob, 2014.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

    28/204

    étroitement national, insuffisamment eu-

    ropéen, alors que l’Union européenne estl’espace pertinent du nouveau réfor-

    misme. En Allemagne, par exemple,

    le SPD et les syndicats ont consenti aux

    réformes Hartz : l’indemnisation du

    chômage a été réduite de 32 à 12 mois

    (24 pour les plus de 50 ans) ; l’âge du

    départ à la retraite a été repoussé à

    67 ans (en 2029) ; les chômeurs ont étécontraints d’accepter un emploi, même

    moins qualifié et moins rémunéré, sur 

    l’ensemble du territoire. En contrepartie,

    le patronat et l’Etat se sont engagés à

    garantir la puissance industrielle et

    exportatrice du « site Allemagne », en

    améliorant la spécialisation sectorielle et

    géographique des entreprises, en confor-

    tant le tissu des PME innovantes et expor-

    tatrices, en investissant dans la rechercheet la qualification de la main-d’œuvre. Ré-

    sultat : la croissance, quoique modeste,

    est revenue, l’excédent de la balance

    commerciale a atteint 217 milliards d’eu-

    ros, en 2014. Les salariés ont engrangé,

    comme convenu, leur part de cette mois-

    son : le chômage est passé de 5 à 3 mil-

    lions (6 % de la population active contre12 %, en moyenne, en Europe) ; les sa-

    laires ont recommencé à monter, à partir 

    de 2010 ; un Smic horaire à 8,50 euros a

    été institué, dans un pays où 7 millions

    de salariés gagnaient 400 euros par 

    mois. D’après un récent sondage, 72 %

    des citoyens allemands ont confiance enleur avenir - 81 % chez les 14-34 ans !10

    La politique économique que propose

    et met en œuvre François Hollande est

    la version française des compromis

    adaptatifs progressistes que prône la

    social-démocratie européenne face à

    la mondialisation. Elle est nettementmoins dure pour les salariés que ne l’était

    l’Agenda 2010 de Gerhard Schr öder,

    lequel le fut sans doute trop. Elle a pour 

    26

     Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?

     La politique économiqueque propose et met en œuvreFrançois Hollande est la version française des compromisadaptatifs progressistes que prône la social-démocratieeuropéenne face à lamondialisation.

    10. Voir l’étude menée par la Fondation Hamburger BAT, et publiée le 21 décembre 2013. Elle a été réalisée sur un échan-tillon représentatif de 2 000 citoyens allemands.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

    29/204

    la revue socialiste  60 

    le dossier

    objectif de reconstituer la compétitivité

    des entreprises françaises, afin de favori-ser leurs investissements, condition de

    leur modernisation et d’une nouvelle

    croissance. En cela, le Président socialiste

    reste fidèle aux engagements pris lors de

    son élection : « Redresser d’abord, dans

    la justice, pour redistribuer ensuite. »

    REDRESSERDANS LA JUSTICE

    Au niveau national, les socialistes au

    pouvoir ont créé une Banque publique

    d’investissement, régionalisée, pour

    financer les TPE, les PME et les ETI ; ils ont

    déterminé 10 plans concrets de recon-

    quête industrielle, arrêté un programmed’investissement d’avenir de 12 milliards

    d’euros, élargi le Crédit d’impôt recherche

    (CIR) aux dépenses d’innovation des

    PME, voté une loi sur l’amortissement

    anticipé des investissements dans les

    moyens de production. Pour reconstituer 

    les marges d’exploitation des entreprises,

    tombées à un plus bas historique en2012 - 28 %, contre 40 % en Allemagne -,

    ils ont mis en œuvre le Crédit d’impôt

    pour la compétitivité et l’emploi (CICE) etle « pacte de responsabilité ». Des comités

    parlementaires de suivi et des comités

    régionaux, où les syndicats sont pré-

    sents, veillent à ce que les 41 milliards

    d’euros ainsi attribués aux entreprises

    servent bien à renforcer leur compétiti-

    vité, plutôt qu’à gratifier les actionnaires11.

    Ils ont fait voter la loi pour la croissanceet l’activité, dite loi Macron, pour réduire

    les rentes des « professions protégées »

    et certaines rigidités de la société fran-

    çaise. Ils ont fait de l’Education la priorité

    des priorités, à tous les niveaux, depuis

    l’accueil de la petite enfance jusqu’à la va-

    lorisation de l’enseignement supérieur,en passant par le renforcement de l’ensei-

    gnement primaire.

    Servis, il faut le reconnaître, par ce qu’on

    a appelé « l’alignement favorable des pla-

    nètes », survenu en 2014 - taux d’intérêt

    faibles, parité euro-dollar favorable à nos

    exportations, baril de pétrole bon mar-ché… -, ces efforts ont produit des effets :

    11. D’après le rapport de France Stratégie, publié en septembre 2015, les marges d’exploitation des entreprises sontremontées à 31,5 % (+ 3 points). Le rapport ne comporte pas encore de résultats d’évaluation des effets du CICE entermes d’emploi, d’investissement, d’exportation, etc. Les premiers résultats sont attendus au printemps 2016 et por-teront sur les effets observables en 2013. A court terme, selon les enquêtes, les entreprises déclarent avoir l'intentiond'affecter principalement le CICE vers l’emploi et l'investissement.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

    30/204

    les marges d’exploitation des entreprises

    sont remontées à 31,5 %, les start-upsfrançaises innovantes se sont multi-

    pliées. La production industrielle, la

    construction, la consommation de biens

    durables, l’achat d’automobiles, sont re-

    partis. Cet effort en faveur de la compéti-

    tivité des entreprises ne s’est pas

    accompagné d’une politique d’austérité

    et de régression sociale, comparable à

    celles qu’ont pratiqué nos voisins. Les

    gouvernements socialistes ont été sou-

    cieux, au contraire, de trouver un juste

    équilibre, entre le renforcement de la

    compétitivité des entreprises et le soutien

    à la demande. Le choc fiscal de 2012-2013, douloureux mais nécessaire, a été

     justement réparti, avec une nouvelle

    tranche d’imposition à 45 % sur les hauts

    revenus, le rétablissement de l’ISF, le pla-

    fonnement des niches fiscales… 75 % de

    l’augmentation de l’impôt sur le revenu

    a pesé sur les 25 % des ménages les plus

    aisés. La lutte contre la fraude fiscale rap-porte désormais 2 milliards d’euros par 

    an aux caisses du Trésor, et la France

     joue un rôle actif, à l’échelle européenne

    et internationale, pour réduire « l’optimi-

    sation fiscale ». 9 millions de foyers mo-

    destes ont été dispensés de l’impôt sur le

    revenu, en 2015, du fait de la suppression

    de la première tranche. La consomma-tion populaire a continué à progresser, la

    France est restée, selon l’OCDE, le pays le

    plus égalitaire, en termes de revenus. La

    réforme fiscale a été engagée, avec le pré-

    lèvement de l’impôt à la source.

    Les réformes et les mesures sociales queles gouvernements socialistes ont mis en

    œuvre obéissent toutes à un objectif

    de justice : la retraite à 60 ans, pour les

    carrières longues, a été rétablie dès juillet

    2012 ; un compte-pénibilité a été créé

    pour permettre un départ anticipé des

    salariés exerçant des métiers usants ;

    l’assurance complémentaire santé a étégénéralisée à tous les travailleurs, le tiers-

    payant à tous les assurés. Le Compte

    personnel d’activité (CPA), grande avan-

    cée vers la sécurisation des parcours

    professionnels, voté en juillet 2015, sera

    la grande conquête sociale du quinquen-

    28

     Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?

     La lutte contre la fraude fiscalerapporte désormais 2 milliardsd’euros par an aux caissesdu Trésor, et la France joue unrôle actif, à l’échelle européenneet internationale, pour réduire« l’optimisation fiscale ».

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    nat. La relance d’une politique contrac-

    tuelle ambitieuse, voulue par le gouver-nement, s’est heurtée aux surenchères

    du Medef et à la division des syndicats de

    salariés. Mais, 36 000 contrats sont signés

    chaque année au niveau des branches et

    des entreprises, dont beaucoup avec la

    CGT. Au niveau national, il reste des

    progrès à faire, malgré quelques succès,

    comme l’Accord national interprofes-sionnel (ANI), en janvier 2013, et la com-

    plémentaire santé, en octobre 2015. Ces

    compromis du « troisième type » se

    nouent au niveau national, qui reste le

    cadre principal de la négociation collec-

    tive, mais aussi au niveau européen, qui

    devient de plus en plus déterminant.

    RÉORIENTERLUNION EUROPÉENNE

    Confrontés aux défis de la mondialisation

    et de la troisième révolution industrielle,

    les principaux Etats européens ont mis en

    œuvre des réponses étroitement natio-

    nales, « non coopératives », comme ondit en sabir bruxellois, c’est-à-dire en réa-

    lité divergentes et souvent contradictoires.

    Le « triangle européen » - la Commission,

    le Parlement, le Conseil - a élaboré, à

    plusieurs reprises, des réponses conti-

    nentales, mais, faute de volonté politique,celles-ci sont, pour l’essentiel, restées

    lettre morte. C’est l’une des raisons ma-

     jeures de l’échec économique européen et

    du repli sur le « chacun pour soi ». Lessocialistes français ont pris conscience,

    en 1983, de l’impuissance d’une politique

    keynésienne de relance dans un seul

    pays. Ce ne fut pas pour renoncer à toute

    politique keynésienne et se rallier au néo-

    libéralisme ambiant, mais, au contraire,

    pour promouvoir un keynésianisme

    continental et social-écologique (un« Green New Deal »). Ce fut le « pari »

    de François Mitterrand12, ramassé dans

    le mot d’ordre constant des socialistes :

    « Relancer et réorienter l’Europe ».

    12. Cf. Jean-Pierre Chevènement, 1914-2014 : l’Europe sortie de l’Histoire, Paris, Fayard, 2013.

    Confrontés aux défis de lamondialisation et de la troisième

    révolution industrielle,

    les principaux Etats européensont mis en œuvre des réponsesétroitement nationales,

    « non coopératives », comme ondit en sabir bruxellois, c’est-à-

    dire en réalité divergenteset souvent contradictoires.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

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    C’est la condition aussi du succès du

    compromis social-démocrate d’adapta-tion progressiste à la globalisation,

    qui appelle une articulation entre les

    politiques économiques nationales et

    une politique économique européenne

    volontariste et ambitieuse. François

    Hollande perpétue ce combat, et cherche

    à y entraîner l’Allemagne, avec quelques

    succès. Ses fronts principaux sont :- une stratégie différenciée de sortie de

    crise : les Etats excédentaires de l’Europe

    du Nord - et, en premier, lieu l’Alle-

    magne - doivent relancer leurs investis-

    sements et leur consommation, pour 

    servir de locomotive à l’Europe ; ceux,

    surendettés, d’Europe du Sud - dont laFrance ! -, doivent trouver un équilibre

    entre assainissement de leur finance et

    soutien à leur activité économique.

    - un programme européen d’investisse-

    ment dans la transition écologique et

    énergétique, la révolution numérique,

    les bio et les nanotechnologies, beau-

    coup plus ambitieux que l’actuel Plan

     Juncker de 315 milliards d’euros, quidoit être un premier pas.

    - l’élargissement (en bonne voie) des mis-

    sions de la BCE, laquelle doit se soucier 

    - à l’instar de la FED américaine - de la

    croissance et de l’emploi, autant que de

    la stabilité monétaire.

    - Le parachèvement de l’Union bancaire,

    avec la mise en œuvre de son « troi-sième pilier » : la garantie des dépôts

    des épargnants.

    - la démocratisation des institutions

    européennes, qui doivent devenir à

    la fois plus légitimes, plus efficaces

    et plus solidaires.

    - la mise en œuvre, enfin, de politiquescommunes européennes, pour répon-

    dre aux grands défis du siècle : la

    lutte contre le dérèglement climatique,

    la maîtrise de la finance folle, le contrôle

    des flux migratoires, la lutte contre le

     jihadisme, la pacification de notre

    voisinage proche.

    30

     Henri Weber - Quel nouveau compromis social-démocrate au XXI e siècle ?

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    Pour répondre à cette question, une re-

    marque préliminaire classique s’impose :

    ce qui réfère au modèle organisationnel

     social-démocrate concerne, au premier 

    chef, deux des trois types de profils isolés

    pendant longtemps dans l’analyse despartis socialistes en Europe : les types

    « social-démocrate » et « travailliste ».

    Quoique différents au plan idéologique et

    de leur rapport au syndicat, ces deux

    types répondent aux critères de défini-

    tion qui seront développés, ci-après.

    En revanche, le type « socialiste », qui se

    rapporte essentiellement aux partis

    socialistes de l’Europe méridionale,échappe classiquement au modèle

    dans les analyses réalisée sur cette

    famille de partis.

    Àla fin du XIXe siècle, la naissance et le développement de la famille

    socialiste/sociale-démocrate impriment l’avènement d’un nouveau modèleorganisationnel partisan ; pour être plus correct, d’un nouveau modèle

    organisationnel partisan, social et sociétal. Les nouveaux partis socialistes, sociaux-

    démocrates ou ouvriers se donnent rapidement à voir comme des partis de masse, selonla terminologie de Maurice Duverger, reposant « sur les sections, plus centralisés et plus

     fortement articulés »1. Plus largement même, ce sont des partis d’intégration sociale

     face aux formations de représentation individuelle 2 ou des partis de contre-société

     ouvrière3

    qui sont édifiés. Que recouvre le modèle organisationnel qui leur est petit à petitprêté dans l’analyse scientifique ?

    Adieu au modèle organisationnelsocial-démocrate

    Pascal Delwit Professeur au Centre d’étude de la vie politique de l’Université libre de Bruxelles (ULB).

    1. Maurice Duverger, Les partis politiques, Paris, Points Seuil, 1992, p. 127.2. Sigmund Neumann, « Toward a Comparative Study of Political Parties », in Sigmund Neumann (ed.), Modern Political

    Parties, Chicago, The University of Chicago, 1956, p. 404.3. Michel Winock, Le socialisme en France et en Europe. XIX e et XX e siècles , 1992, Paris, Seuil, p. 108.

  • 8/20/2019 La revue socialiste N°60 - Situations du socialisme européens

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    1. Le modèle organisationnel social-

    démocrate se rapporte, d’abord, nousl’avons pointé, à l’horizon d’un parti de

    masse, c’est-à-dire un parti à la fois très

    structuré et avec un très grand nombre

    d’affiliés, qui sont, pour l’essentiel, d’ori-

    gine ouvrière. Dans l’après-Deuxième

    Guerre mondiale, les partis sociaux-

    démocrates danois (SD) et suédois(SAP) et le parti du travail norvégien

    (DNA) apparaissent comme des idéaux-

    types. Toutefois, l’avènement de cette

    configuration est bien plus précoce. Dès

    avant la Première Guerre mondiale, le

     parti-phare du socialisme international,

    le parti Social-démocrate allemand

    (SPD), s’impose comme une formationau  format  exceptionnel. Au début du

    XXe siècle déjà, plus de 300 000 citoyens

    ont rejoint le parti. Et ce nombre croît,

     jusqu’à la veille de la Première Guerre

    mondiale, moment où le SPD dépasse

    le million d’adhérents. En parallèle, lesyndicalisme s’est aussi considérable-

    ment développé et le parti peut faire

    état d’une large palette d’organisations

    périphériques, de la diffusion d’un

    grand nombre de journaux et d’un

    patrimoine immobilier impression-

    nant. L’appareil du parti révèle une

    bureaucratie puissante, rodée, et deplus en plus professionnalisée. Elle est,

    d’ailleurs, au cœur du livre pionnier de

    Roberto Michels, Les partis politiques,

    paru en 19134.

    Evolution du nombre de membres

    du SPD, de 1906 à 1914 :

    TABLEAU

    32

     Pascal Delwit - Adieu au modèle organisationnel social-démocrate

     

    MY`^ Oc_ NNZ

    MY`Z ]O` _^^

    MY`c ]cZ OO^

    MY`Y ^OO O`Y

    MYM` ZN` `Oc

    MYMM cO^ ]^N

    MYMN YZ` MMN

    MYMO YcN c]`

    MYM_ M `c] Y`]

    4. Roberto Michels, Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Bruxelles, Editions del’Université de Bruxelles, 2009 (nouvelle édition).

     Dès avant la Première Guerre

    mondiale, le parti-pharedu socialisme international,le parti Social-démocrateallemand (SPD), s’imposecomme une formationau format exceptionnel.

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    35/204

    la revue socialiste  60 

    le dossier

    2. Un élément central du modèle orga-

    nisationnel  social-démocrate dansla famille socialiste est le « rapport

    puissant »5, central même, à la classe

    ouvrière. « La social-démocratie s’est 

    constituée historiquement comme

    la forme prévalente d’organisation

     politique des ouvriers dans le capi -

    talisme », rappelle Moschonas6. Nom-

    bre de partis intègrent, d’ailleurs,l’étiquette ouvrière - parti ouvrier belge,

     Sociaal Democratische Arbeiders

    Partij (Pays-Bas), parti ouvrier socia-

    liste luxembourgeois et même le Parti

    socialiste ouvrier espagnol - ou le

    rapport au travail - Labour Party,

    Norske Arbeiderparti… - dans leurlibellé dénomination. La famille socia-

    liste est  « la » famille de la classe

    ouvrière, qui s’est puissamment

    développée avec l’accélération de la

    révolution industrielle, et qui est la

    classe amenée à jouer le rôle clé dans

    l’avènement du socialisme. A cette

    aune, les partis sociaux-démocrates

     sont des partis communautés7.

    3. Enfin, dès lors que l’on se situe à l’ori-

    gine dans un registre de contre-Etat oude contre-société, les partis sociaux-dé-

    mocrates et travaillistes s’adossent à

    une organisation syndicale puissante,

    le plus souvent organiquement liée à

    eux et qui, dans plusieurs situations,

    leur fournissent l’essentiel de leurs affi-

    liés, par le biais de l’adhésion indirecte.

    Dans le modèle social-démocrate, leparti est prééminent, contrairement au

    type travailliste. Les syndicats enca-

    drent les salariés et portent les revendi-

    cations sociales.

    Nous l’avons souligné, cet échafaudage

    organisationnel est déjà observable dansle chef de certains partis, au début du XXe

    siècle, tout particulièrement en Alle-

    magne, en Belgique, ou encore dans

    l’espace austro-hongrois. Dans l’entre-

    deux-guerres, il est mis à mal dans

    certains territoires frappés par l’avène-

    ment du fascisme. On songe tout spécia-

    lement à l’Allemagne et l’Autriche. Mais,en parallèle, il se développe dans le nord

    5. Marc Lazar, « Invariants et mutations du socialisme en Europe », in Marc Lazar (Ed.) La gauche en Europe depuis 1945.Invariants et mutations du socialisme européen, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 20.

    6. Gerassimos Moschonas, La social-démocratie de 1945 à nos jours, Paris, Montchrestien-Clef, 1994, p. 123.7. Pascal Delwit, « La social-démocratie européenne et le monde des adhérents: la fin du parti communauté ? », in Pascal

    Delwit (Ed.), Où va la social-démocratie ?, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2004, pp. 229-252.

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    34

     Pascal Delwit - Adieu au modèle organisationnel social-démocrate

    de l’Europe8. Et c’est dans l’après-

    Deuxième Guerre mondiale, que ce mo-dèle se donne pleinement à voir. Sous

    l’angle organisationnel, la  famille socia-

    liste révèle une exceptionnelle capacité.

    Certes, tous les partis ne ressortissent pas

    à ce modèle et à cette force. En France et

    en Italie, les partis socialistes sont la

    deuxième force de gauche de leur sys-

    tème politique et ne peuvent faire valoir 

    les trois caractéristiques du modèle. Loin

    s’en faut. La majorité de la classe ouvrière

    de ces deux Etats rejoignent ou/et votent

    pour le Parti communiste de leur Etat, lePCF et le PCI. Mais, dans l’Europe démo-

    cratique issue de la libération, cette obser-

    vation est l’exception. Pendant vingt-cinq

    à trente ans encore, la famille socialiste fait

    montre de puissance politique, sociale et

    sociétale. Pourtant, à l’aurore des annéessoixante-dix, certains indicateurs indi-

    quent un mouvement qui s’amplifie peu

    à peu à la fin de la décennie, dans les an-

    nées quatre-vingt et s’accélère, par la suite.

    Tous les éléments du modèle sont trou-

    blés et affectés.

    Il en va d’abord des partis et de leur com-munauté d’affiliés. Pour nombre de for-

    mations socialistes, le total des affiliés

    plafonne à ce moment et commence à

    décliner. Par la suite, le reflux se poursuit,

    parfois même de façon spectaculaire.

    Pour les partis du centre de l’Europe -

    Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse,Autriche,… -, l’observation est systémati-

    quement vérifiée. Le cas du SPD est em-

    blématique. Après la Deuxième Guerre

    mondiale, il a une fois encore culminé

    au-delà d’un million d’adhérents, en

    1976 et 1977. En 1976, un électeur sur 

    vingt-cinq inscrits (M/I) est membre du

    Parti social-démocrate. Mais, c’est uneforme de chant du cygne. Au début des

    années quatre-vingt, on observe une

    érosion, qui n’est pas même freinée par 

    le processus de réunification. En 2011,

    8. Mario Telo, Le New deal européen, La pensée et la politique sociales-démocrates face à la crise des années trente ,Bruxelles, Editions de l'Université Libre de Bruxelles, 1988.

    C’est dans l’après-Deuxième

    Guerre mondiale, que ce modèlese donne pleinement à voir. Sous l’angle organisationnel,la famille socialiste révèle uneexceptionnelle capacité. Certes,tous les partis ne ressortissent pas à ce modèle et à cette force. En France et en Italie, les partissocialistes sont la deuxième

     force de gauche.

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    la revue socialiste  60 

    le dossier

    pour la première fois depuis 1945, le SPD

    passe sous la barre des 500 000 effectifs.Et, dans la période contemporaine, son

    étiage se fixe à 460 000 affiliés. Le

    rapport aux inscrits n’est plus que de 0,8

    % et seul un électeur du parti sur vingt-

    cinq en était membre (M/Ep) en 2013, cela

    en dépit du très mauvais résultat électoral.

    La configuration autrichienne n’est pas

    moins révélatrice. Le SPÖ est le parti decommunauté par excellence. Dans son

    autobiographie, Eric Hobsbawm relate

    cette anecdote éloquente : « Comme le

     père de Peter était cheminot, sa famille

    était rouge : en Autriche, et surtout dans la

    campagne, à part chez les paysans, il ne serait venu à l’idée d’aucun ouvrier d’être

    d’une autre couleur »9. Après la Deuxième

    Guerre mondiale, le SPÖdépassera le cap

    des sept cent mille membres, dans les

    années soixante-dix. Mais, le reflux

    s’annonce aussi dans les années quatre-

    vingt et son accélération est saisissante

    par la suite. Alors qu’un électeur inscritsur huit était encore membre du SPÖ,

    en 1986, ce n’était plus le cas que d’un sur 

    trente-trois, en 2013, année où le niveau

    des affiliés se fixait à 200 000.

    9. Eric Hobsbawm, Franc-tireur. Autobiographie, Paris, Pluriel, 2005, p. 29.

    Evolution des effectifs (M) et du rapport à l’électorat du parti (M/Ep) et aux électeurs inscrits (M/I) des partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe du centre :

     

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