Compilation Socialisme & Souveraineté : Chapitre VIII

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1 Les analyses La gauche et les « opposants au Système »

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Le premier chapitre de la compilation 2009-2011 de Socialisme & Souveraineté, consacré à ceux qui prétendent déjà incarner le changement de société, qu'ils soient à gauche ou non.

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Les analyses

La gauche et les « opposants au Système »

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Plusieurs choses ont été reprochées à Socialisme & Souveraineté au cours de ces deux années de militantisme. D’abord, le fait d’avoir créé une nouvelle organisation, « encore une », au lieu d’avoir rejoint des formations existantes. Ce qui révèlerait chez nous une absence de « réelle volonté de construction ». Oui, des formations politiques, en France, il y en a beaucoup, et des petits clubs comme nous également. Cependant, il est assez fantasque de nous accuser de créer une nouvelle chapelle alors que Socialisme & Souveraineté fut loin d’être une construction achevée. Selon certains, nous aurions eu tout intérêt, si nous voulions vraiment avancer dans nos idées, à intégrer le Parti de Gauche de Mélenchon, le Mouvement des Citoyens de Chevènement, ou le Parti Ouvrier Indépendant. Or, rien n’y fait, l’étude des positions de ces mouvements montre que nous n’y avions pas notre place, tant pour les idées que pour notre façon de raisonner (ce qui nous écarte du POI, pourtant apparemment le plus proche de nos convictions). Autre reproche, qui nous a valu plus d’altercations verbales encore, est notre manque d’empathie pour toute la nébuleuse regroupant des gens comme Alain Soral, Dieudonné, l’association Egalité & Réconciliation, et toute une sphère que, rapidement, on nommera « conspirationniste ». Ce n’est pas en soi le fait de penser qu’un complot existe qui nous pose problème. Si une démonstration sérieuse est faite qu’un groupe fermé de gens planifié dans le secret des actions visant à nuire à d’autres personnes, nous accepté l’idée du complot. Mais le « conspirationnisme » est devenu une idéologie, assumée par les personnes et associations précitées, selon laquelle l’essentiel de l’Histoire humaine résulte de l’action de minorités, forcément mal intentionnées (et qu’ils identifient souvent à certaines religions ou courants de pensée), tirant les ficelles au dépens de la grande majorité des peuples, forcément passifs, ignorants et innocents de ce qui leur arrive. Cette « analyse » n’a non seulement rien à voir avec celle de la lutte des classes (Socialisme & Souveraineté n’est pas un mouvement marxiste, mais admets l’existence des antagonismes des classes), mais qui en plus n’est pas anticapitaliste. Car les conspirationnistes se sont depuis longtemps focalisés sur une seule filière de l’économie – les banques– faisant l’impasse sur la critique de l’économie capitaliste en général. Un état fort, mais sans enlever le capitalisme, voilà qui n’a pas grand-chose de socialiste.

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Journal N°6 – La gauche

Editorial par Pablito Waal

Dans ce numéro, nous avons décidé de laisser à la place à la libre expression des membres de notre organisation, et d’inviter des contributeurs extérieurs, dont l’Organisation Socialiste Européenne, qui publie le journal Rébellion. Notre sujet ? La critique de la gauche en France, tout simplement, parce que c’est ce qui a généré notre existence. Certains d’entre nous sont des anciens membres de partis structurés et connus, PCF ou NPA, d’autres sont passés par des formations moins connues et plus proches du marxisme-léninisme… Socialisme & Souveraineté est née de ce double constat : aucun mouvement de gauche ne propose d’alternative crédible au capitalisme étatisé que nous connaissons, à part une lourde social-démocratie ou une variante inavouée de modèle soviétique, et trop peu de mouvements reconnaissent que sans souveraineté nationale, donc sans rupture avec l’Union Européenne et l’OTAN, rien ne sera possible. On nous reproche parfois de créer encore une nouvelle structure, et que nous devrions rejoindre une existante… C’est justement parce que nous avions cru que le débat était possible dans les « grands » partis de la gauche française que nous avions commencé par y entrer, avant de comprendre que très souvent, les lignes politiques partent du sommet, que seuls des points-virgules dans les plateformes sont négociées à la base, et que les rares amendements profonds sont rapidement rendus inopérants… Trop de tabous, de positions toutes faites : face à cela, Socialisme & Souveraineté offre la possibilité d’un dialogue vraiment ouvert. Nous sommes peu nombreux, certes, mais c’est justement quand l’aventure commence qu’il faut y prendre part.

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Dossier : la gauche française Quid du clivage droite-gauche ?

Par Aequitas

D'où est né le clivage gauche-droite ?

Tout d'abord, historiquement, c'est en France que le clivage gauche-droite s’est dessiné. Il fait son apparition lors de la Révolution Française et plus particulièrement le 28 août 1789, date à laquelle l'Assemblée constituante entama à Versailles un débat sur le droit de veto du roi. Il s’agissait de savoir si, dans le régime de monarchie constitutionnelle qui était en train de s’instaurer, le monarque pourrait ou non disposer d’un droit de décision supérieur à la souveraineté nationale, c’est-à-dire d’un pouvoir primant celui des représentants du peuple réunis en corps politique pour ce qui concerne l’expression de la loi. Pour manifester leur choix, les partisans du droit de veto royal allèrent se placer dans la salle (qui n’était pas un hémicycle) à la droite du président du bureau, tandis que leurs adversaires s’installaient à gauche. La distinction droite-gauche, était née. Elle se confirma par la suite avec l'affrontement entre Montagnards et Girondins. Puis elle se répandra progressivement dans toute l’Europe, puis dans le monde entier, s’implantant de façon durable dans les pays latins, de façon plus circonstancielle dans les pays germaniques et surtout anglo-saxons.

Le clivage gauche-droite existe il encore aux yeux des Français?

En mars 1981, 33 % des Français considéraient que les notions de droite et de gauche étaient dépassées et ne permettaient plus de rendre compte des positions des partis et des hommes politiques. Selon un nouveau sondage Sofres publié en février 2002, 60 % des Français, toutes catégories confondues, estimaient désormais que le clivage droite-gauche est dépassé. Quant à l’opinion inverse, selon laquelle ce clivage conserve encore un sens, elle n’était plus soutenue dès 1991 que par 33 % des personnes interrogées, contre 43 % en 1981.

Ainsi on peut constater que le clivage gauche-droite parait de plus en plus dénué d'intérêt selon les citoyens Français. Reste à déterminer les causes de cet affaiblissement:

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Pourquoi cet affaiblissement ? Plusieurs raisons : Ce déclin du clivage gauche-droite s'explique pour plusieurs raisons :

- La raison historique : en effet, suite à la Révolution Française, il fallait fixer de nouvelles institutions. C'est pourquoi il y a eut d'un côté les partisans d'une monarchie constitutionnelle ou de droit divin (à droite) et de l'autre ceux d'une République (à gauche). Cette opposition entre monarchistes et républicains a fait rage jusqu'à la fin du XIXème siècle. Aujourd’hui, la suprématie du régime républicain n'est plus remise en cause.

La question de la place de la religion dans la société a été également facteur d'antagonismes. Enfin le dernier "grand" débat fut celui de l'ordre social qui résulte de la Révolution Industrielle et de l'essor du capitalisme. Nous dépassons la question du type de régime puisqu'il y a l'introduction du marxisme puis la séparation entre socialistes et communistes.

- La montée de l'Individualisme particulariste : il se définit comme le repli sur la sphère privée de la part d'un individu. Ce qui a pour but le désintérêt de la sphère publique et ce qui va favoriser l'abstentionnisme. Cette individualisme se développe notamment grâce à la montée du salariat de services, l'urbanisation et la perte de conscience de classe ;

-La montée du consensus gauche/droite : ce point est à mettre en relation avec l'historique puisque aujourd'hui, sur de nombreuses questions sociétales la droite s'est rapprochée de la gauche sur des sujets comme la peine de mort, la contraception etc. Pourtant ce consensus semble déplaire puisque nous assistons à une montée des extrêmes et des votes marginaux. On constate qu’un Français sur quatre vote désormais en dehors du système, et que les « partis de gouvernement » ne représentent plus que la moitié de l’électorat inscrit aux élections législatives (2007).

Pourquoi cet affaiblissement du clivage gauche-droite est-t-il dangereux?

Les clivages ouvertement exprimés différencient les régimes démocratiques des régimes totalitaires. La définition de démocratie est en accord avec celle de clivage parce qu’elle implique la pluralité des partis, du moins la diversité des opinions et des choix, et un affrontement entre eux. Or, si les partis ne sont plus séparés que par des différences programmatiques insignifiantes, si les factions concurrentes mettent en œuvre fondamentalement les mêmes politiques, si les unes comme les autres ne se

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distinguent plus ni sur les objectifs ni même sur les moyens de les atteindre, bref si les citoyens ne se voient plus présenter d’alternatives réelles et de véritables possibilités de choix, alors le débat n’a plus de raison d’être et le cadre institutionnel qui lui permettait d’avoir lieu n’est plus qu’une coquille vide dénuée de sens.

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Panorama de la Gauche française Par Pablito Waal

Récapitulatif sur les partis de gauche en France :

Pour commencer ce numéro, faisons un peu le tour de l’actuelle

offre politique de la gauche française : SFIO : fondée en 1905, la Section Française de l’Internationale

Ouvrière se divisera en 1920, deviendra un parti de gouvernement, et se transformera en Parti Socialiste en 1969.

Parti Socialiste : fondé en 1969, élargi au congrès d’Epinay en 1971, revendique plus de 200.000 adhérents en 2010.

Parti Communiste Français : fondé en 1920 suite au Congrès de

Tours, où la SFIO se scinde. Les sociaux-démocrates avaient accepté l’union sacrée avec les autres partis pour mener la France dans la Première Guerre Mondiale, tandis que les communistes soutiennent le soulèvement antiguerre et son application en Russie par les bolcheviks. Les communistes conservent le journal l’Humanité.

Mouvement Républicain Citoyen : mouvement constitué autour de

Jean-Pierre Chevènement, devenu un parti politique en 1993 comme Mouvement des Citoyens, puis Pôle Républicain en 2002 alors que les sondages ont accordé jusqu’à 10% des voix à Chevènement (qui fera 5% au final), puis MRC en 2003. Il défend une ligne souverainiste, mais pas hostile à l’Union Européenne.

Parti des Radicaux de Gauche : héritier, sur le flanc gauche, de

l’ancien Parti Radical, qui fut l’un des premiers partis français avant 1940. Divisé par le programme Commun de 1972 (réunissant PS et PCF), il a quasiment disparu en tant que force électorale, si ce n’est avec Bernard Tapie en 1994, puis Christiane Taubira en 2002 (2%). Défendant la laïcité, il est aussi partisan d’une Europe fédérale.

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Nouveau Parti Anticapitaliste : prend la suite, en 2009, de la Ligue Communiste Révolutionnaire, créée en 1967 par Alain Krivine. Mouvement trotskyste, elle reprend le flambeau de ceux qui, dans le mouvement communiste, refusaient la fidélité à l’URSS, même après la mort de Staline, et se réclament du leader bolchévik Trotski, dont ils estiment qu’il était le véritable successeur de Lénine, mort en 1924 (Trotski a été assassiné sur ordre de Staline en 1940). Ayant émergé de son quasi-néant en 2002 (elle n’avait que 2000 membres) avec la candidature d’Olivier Besancenot, la LCR gagne quelques milliers d’adhérents, mais échoue à percer au-delà de 5% dans toutes les élections suivantes.

Lutte Ouvrière : autre mouvement trotskyste (l’unité n’a jamais été

le fort des trotskystes) créé en 1940, et ayant fait irruption sur la scène politique avec la candidature d’Arlette Laguiller en 1974, où elle fait 2% des voix, se représentant à toutes les présidentielles jusqu’en 2007 où, après son 5% de 2002, elle s’effondre à 1%. Sa successeure est Nathalie Artaud.

Parti Ouvrier Indépendant : héritier du Parti des Travailleurs,

autre formation trotskyste, elle-même issue de l’Organisation Communiste Internationaliste des années 1970, dont Lionel Jospin avait été membre. Il est hostile à l’Union Européenne, mais fermement attaché à une vision étatiste de l’économie et sans réel modèle alternatif.

Europe Ecologie-Les Verts : les Verts se sont créés en 1984, dix

ans après la campagne présidentielle de René Dumont. Initialement sur une ligne « ni gauche ni droite » avec Antoine Waechter, ils ne passeront de fait que des alliances avec le PS. Outre l’écologie, leur ligne est eurofédéraliste et globalement sociale-démocrate (même si Daniel Cohn-Bendit, qui emmène les listes aux européennes de 1999 et 2009, est nettement plus favorable aux privatisations et déréglementations des services publics). Suite aux européennes de 2009, et la liste Europe-Ecologie emmenée par Daniel Cohn-Bendit, ils deviennent Europe Ecologie-Les Verts.

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Les mythes fondateurs de la Gauche Par Pablito Waal

Les gauches françaises partagent toutes certains points communs :

certains constats sont partagés par quasiment tous les partis de gauche de taille non négligeable, et tous admettent l’existence de certains « clivages » qui n’en sont pas dans la réalité.

Les constats communs ? D’abord l’idée que notre pays, et notre monde en général, seraient « libéraux », et qu’une vague de destruction de tout ce qui est étatique ou social serait à l’œuvre depuis, selon les pays, les années 70 ou 1980. Ensuite le constat écologiste, qui partage des peurs sur le nucléaire (avec des bémols au PCF et PS), les OGM, une faible croyance en les capacités de la recherche scientifique à trouver elle-même les réponses aux défis environnementaux, sanitaires, agricoles.

Les « clivages » admis, trop rapidement en réalité ? L’idée qu’il y aurait une gauche pro-capitaliste et une autre anticapitaliste. Que le PS ou les Verts voudraient – et c’est la réalité – un capitalisme régulé, encadré, doté de « filets de sécurité » sociaux. Et que le PCF, le NPA ou LO proposeraient de rompre avec le capitalisme – ce qui, dans leurs revendications concrètes et leur programmatique, n’apparait plus depuis des années. Même lorsqu’ils parlent de nationalisations, les dirigeants du PCF se cachent derrière le terme de « pôle public bancaire » - c’est-à-dire un réseau de banques coordonnées autour de quelques institutions publiques, telles que la Caisse des Dépôts et Consignations, mais les autres banques peuvent rester privées. De fait, ni le NPA, ni le PCF ne proposent à court terme un modèle alternatif, sauf dans les discussions oisives de congrès, sans jamais le définir. Cet autre modèle devant rester en second plan derrière l’urgence : la lutte contre des offensives « libérales ».

Bien curieux libéralisme pourtant, que celui de l’Etat sarkozyste gobant 56% du revenu national français (ou PIB) en dépenses publiques, où le niveau de dépenses pour les retraites (13% du PIB) ou de l’assurance-maladie (8%) n’ont jamais été aussi élevés ! Etrange austérité que celle qui, depuis 2008, a vu les dépenses publiques progresser en France, au contraire des impôts et taxes, générant des déficits énormes, en contradiction avec les fondamentaux du libéralisme ! Que la réforme des retraites fut injuste, pénalisant ceux qui meurent jeunes, sont usés avant 60 ans et subissent chômage et autres interruptions de carrière, c’est exact. Est exacte aussi la

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ressemblance entre des mesures de déremboursements de médicaments et une politique à courte vue de rationnement.

Mais ce qui n’en est pas moins exact, c’est que la France n’évolue pas vers le libéralisme. Par ses privatisations, moyen rapide de contenir les déficits publics en vendant l’outil de production, ça en a l’air. Mais la réalité d’ensemble, c’est bien celle d’un pays à la fois capitaliste mais aussi fermement étatiste, englué dans la progression des coûts sociaux. Faute d’une prévention sanitaire efficace, toujours plus de remboursements, et donc la Sécu finit par tailler au hasard ; du fait d’un chômage massif qu’une fiscalité fort peu intelligente n’aide pas à résoudre, des cotisations de retraite en moins.

Admettre ce tableau serait un drame pour toute la gauche, du PS au NPA, et ridiculiserait le clivage habituel entre gauche pro- et anti-capitaliste. Car il faudrait reconnaître que l’hydre ultra-néo-archi-libérale que tous veulent pourfendre, de François Hollande à Pierre Laurent, n’existe pas. Et qu’à la place, se trouve un pachyderme étato-capitaliste. Et que pour lutter contre lui, demander toujours plus de dépenses publiques n’est pas une solution, puisque c’est au contraire aller dans le sens du problème. Et que la solution serait plutôt dans la contestation des deux éléments du système étato-capitaliste. Les libéraux veulent retirer l’étatisme pour garder le capitalisme seul. La gauche devrait vouloir, sinon l’inverse (l’étatisme sans le capitalisme), si possible les deux (plus de capitalisme, moins d’étatisme). Concrètement, ça veut dire que la gauche devrait projeter la fin du capitalisme, la fin d’une économie où les entreprises n’appartiennent pas à ceux qui les font vivre et aux citoyens dans leur ensemble sur le principe d’une personne pour une voix. Et que cette alternative au capitalisme ne peut consister à mettre l’Etat partout.

Or, pour demander un tel changement de système, encore faut-il avoir les mains libres. Or on bute là sur d’autres « constats » et d’autres « clivages » qui sont admis par tous, ou presque. Et qui portent sur l’Union Européenne. Presque tout le monde « constate » que la construction européenne serait « une belle idée », qu’elle aurait « garanti la paix » et « rapproché les peuples » (ou devrait le faire). Tout le monde pense qu’il y a une fraction de la gauche résolument pro-européenne (PS, Verts), et une autre « eurosceptique » (NPA, PCF…). Sauf que l’on n’a jamais vu, en actes, en quoi se traduisait ce « scepticisme ». A part le refus du Traité de Rome « au nom d’une autre Europe » (donc pour la construction européenne quand même) en 2005, ni le NPA, ni LO, ni le PCF n’ont refusé les élections

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européennes, n’ont dénoncé l’illégitimité et l’inutilité de cette « démocratie européenne », et le PCF ne s’est jamais désengagé de la Gauche européenne (PGE).

Quasiment toute la gauche française « institutionnalisée » vit actuellement sur des mythes. Mythe de la fin de l’Etat social, alors qu’il n’a jamais été aussi volumineux en dépenses. Mythe de l’Europe sociale pour les uns, mythe de « l’autre Europe » pour les autres. Mythe d’une gauche « radicale » qui s’opposerait au capitalisme alors qu’elle ne propose rien. Une fois tous ces mythes dégonflés, vous avez deux grands vides à combler : besoin d’un nouveau système économique, plus libre et plus collectif à la fois, et besoin de souveraineté nationale. Seul Socialisme & Souveraineté y répond.

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PG, MRC, POI : pourquoi nous sommes vraiment différents Par Pablito Waal

Certains commentateurs et critiques ont dit aux militants de Socialisme & Souveraineté qu’ils devraient, par cohérence avec leurs idées et par souci d’unité, rejoindre des formations telles que le MRC (Mouvement Républicain Citoyen), le PG (Parti de Gauche) ou le POI (Parti Ouvrier Indépendant). En effet, pourquoi créer une nouvelle formation de petite taille telle que Socialisme & Souveraineté, quand on peut rejoindre une organisation revendiquant plusieurs milliers d’adhérents et des dizaines d’élus ? Et bien principalement parce que les idées ne sont pas les mêmes. Et il ne s’agit pas de différences « à la marge » sur lesquelles nous pourrions bâtir des compromis, ou tenter de convaincre sur le long terme. Dans le cas du MRC, l’existence de celui-ci est très largement liée à la personne de Jean-Pierre Chevènement, qui avait déjà dirigé son ancêtre, le CERES. Chevènement a eu le mérite de la cohérence vis-à-vis de ses convictions, au prix de deux démissions, lors de la Guerre du Golfe et en protestation aux accords de Matignon avec les séparatistes corses. Opposant au Traité de Rome, il est considéré comme un «eurosceptique ». Mais les européistes ultra-dominants dans les médias se sont créé une opposition qui n’en est pas vraiment une dès lors que l’on regarde les positions réelles de Chevènement et du MRC. Ce parti a récemment publié son programme 2012, nommée « Programme de Salut Public ». Un nom révolutionnaire mais qui ne guillotinera pas l’Union Européenne : « Un vrai gouvernement économique de la zone euro : C’est davantage sur cet objectif de pilotage de la politique économique par les ministres de l’économie des pays de la zone euro qu’il faut appeler un changement européen, pour assurer un taux de change de l’euro stable par rapport au dollar et au yuan et ainsi protéger les intérêts européens. »Le MRC propose la transformation de l’Euro en « monnaie commune » réservée aux transactions extérieures tandis que les monnaies nationales seraient recrées, mais avec une parité modifiable par rapport à l’euro. Si cette proposition permettrait de soulager certains problèmes de l’économie française (la sous-évaluation des prix des biens allemands entrant sur le marché français), elle n’en améliorerait pas nécessairement nos difficultés extérieures (euro trop cher). Et surtout, cette position faussement « anti-euro » ne peut cacher que le MRC est fondamentalement partisan d’un

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accroissement de la supranationalité européenne, via un gouvernement économique, mais aussi un protectionnisme européen. Et la « nouvelle histoire européenne » que promeuvent les chevènementistes passe par une « nouvelle alliance équilibrée » entre les grands pays européens et les USA (et le tout sans réellement sortir de l’OTAN, seulement en gardant une « capacité stratégique autonome » pour la France)… En ajoutant à cela que l’anticapitalisme du MRC se réduit à un « fonds souverain d’industrialisation » qui pourrait éventuellement nationaliser des entreprises, on voit mal en quoi les positions de Socialisme & Souveraineté pourraient être compatibles avec celles du MRC. Le cas du Parti de Gauche est plus flagrant : l’européisme du parti mélenchonien est au moins autant affirmé qu’il ne l’est au MRC. Le PG n’a certes pas encore de programme propre, puisqu’il élabore progressivement un « programme partagé » pour le Front de Gauche (qui engagerait, s’il était validé, le PCF). Mais sur les fiches publiées sur http://programme.lepartidegauche.fr, on voit des déclarations enamourées pour un Parlement Européen qui serait l’ossature principale d’une démocratie européenne à venir. Et qui permettrait, une fois acquis le droit du Parlement à l’initiative législative (il ne peut actuellement que bloquer ou amender les propositions de la Commission Européenne), d’instaurer un protectionnisme européen, d’instaurer des SMIC « décents » (du point de vue de quel pays ?) dans chaque Etat, de réformer la PAC pour que l’agriculture européenne cesse de pratiquer une concurrence déloyale aux paysans du Tiers-monde… Beau programme qui nécessiterait une majorité européenne de gauche radicale. Et, hormis le pôle public bancaire (comme pour le PCF), l’encouragement des coopératives ouvrières, ou la croyance en une « cogestion » des entreprises entre actionnaires et salariés, le PG est moins socialiste que partisan d’un capitalisme lourdement étatisé… Là encore, les désaccords avec Socialisme & Souveraineté sont d’emblée nombreux et profonds. Le cas du POI est plus troublant : issu du trotskysme, donc de la mouvance communiste, et farouchement hostile à l’Union Européenne dans son principe, n’est-ce pas le mouvement que les membres de Socialisme & Souveraineté auraient dû joindre ? Le mouvement semble avoir des effectifs comparables à ceux du NPA (10 000 adhérents revendiqués, en réalité sans doute beaucoup moins d’actifs). Mais le mouvement issu du Parti des Travailleurs (campagnes présidentielles de Gluckstein en 2002, Schivardi en 2007), et qui s’est constitué en 2008, manifeste à la clé, n’en a pas moins un défaut : il n’a pas de programme. A priori tant mieux, cela signifierait que les

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propositions pourraient se forger à l’avenir. Mais s’il n’y a pas de programme, en revanche les propositions donnent vite la couleur : le manifeste réclame le blocage immédiat des prix à la consommation, l’interdiction des licenciements, l’abandon de toute réforme de la fonction publique et de la Sécurité Sociale (retour à la situation de 1945)… On est loin du modèle économique souple et à prix libres que propose Socialisme & Souveraineté sur son site (catégorie « Sortir du Capitalisme »). Mais cela surprend peu : le POI, c’est beaucoup de militants syndicaux, souvent dans Force Ouvrière, et qui dit syndicat en France dit souvent secteur public. La compréhension des mécanismes d’une économie libre et adaptable ne semble pas être la préoccupation première d’un parti dont le passif dogmatique (quoi de plus figé d’un trotskyste ?) nous paraît bien trop lourd à assumer.

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Ni de Droite, ni de Gauche : La Nation aux travailleurs !

Par l’équipe de la revue Rébellion

Rébellion (http://rebellion.hautetfort.com/) est la revue bimensuelle de l’Organisation Socialiste Révolutionnaire Européenne, basée à Toulouse, et comptant plusieurs cercles en France.

Il est toujours étonnant de constater l’attachement pour le vieux clivage Droite/Gauche de personnes se voulant en opposition avec le système. On peut comprendre que les médias aient besoin de classification simpliste pour enfermer tous les mouvements plus ou moins atypiques et contestataires, c’est leur rôle de réduire aux normes établies des courants échappant à leur logique idéologique. Mais pourquoi les dissidents de ce système devraient-ils, eux aussi, reprendre le vocabulaire de leur adversaire pour se définir ? On vous répondra qu’il faut s’inscrire dans une tradition et dans un camp, qu’il est important de se situer dans l’imaginaire collectif. Mais ces arguments ne tiennent pas devant la réalité des enjeux du XXI° siècle. Plus que jamais nous sommes en dehors du jeu politique classique, par nos idées et notre action nous en sommes même la négation la plus totale. Issu du placement des partis nés de la Révolution Française dans l’hémicycle de la Première Assemblée, ce clivage n’est pas pour nous un cadre indépassable à notre réflexion politique. Il n’y a pas de valeurs ou d’idées appartenant de manière propre et définitive à la Droite ou à la Gauche. Le glissement, durant les années 1970-1990, des principaux représentants des deux familles rivales françaises dans le consensus libéral, scellait la réconciliation des dirigeants bourgeois des deux factions (voir les écrits de Michel Clouscard et de Jean-Claude Michéa sur le sujet). Il offrait la possibilité d’une juteuse répartition des gains et d’une stabilité confortable du jeu politique. Le capitalisme avec la démocratie libérale a réconcilié ses diverses tendances et renforcé son emprise sur la société. Plus aucune force ne peut venir le contrôler (comme le gaullisme) ou l’abattre (dans le cas du communisme) dans cette configuration ; l’oligarchie économique, médiatique et politique, a les mains libres pour assurer sa domination.

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Notre orientation socialiste révolutionnaire laisse croire à certains que nous voulons nous rattacher à la Gauche. Nous allons les décevoir, car pour nous le terme de Gauche n’a pas de sens (même si on lui accole l’adjectif d’Extrême). Nous puisons nos références dans l’héritage du mouvement ouvrier révolutionnaire (si quelqu’un peut nous indiquer un seul texte où Marx, par exemple, se dit de gauche, nous sommes preneurs…) et dans la pensée socialiste dans sa diversité. Cette tradition n’est pas celle de la Gauche, qui en détourne des symboles pour s’en faire des oripeaux folkloriques. L’histoire de la Gauche commence dans la tradition de la bourgeoisie dite « progressiste », qui profitant de l’affaire Dreyfus fut amenée à conclure une alliance stratégique avec le monde ouvrier contre les forces réactionnaires et conservatrices pour sauver ses acquis. Elle soutient toujours le peuple comme la corde soutient le pendu, empêchant les travailleurs de mener à terme la lutte contre le capitalisme et les entrainant vers les impasses du réformisme moutonnier. L’idée de « l’Union de la gauche » apparaît toujours lorsque les travailleurs sont en situation de faiblesse et aboutit immanquablement à leur défaite et au triomphe de mesures favorables au capital, imposées par la social-démocratie. Le « gauchisme » suit pour sa part la même démarche, ajoutant juste un accent faussement révolutionnaire à la mystification. Cette dernière va recevoir un nouveau souffle avec le « populisme » de Mélenchon (qui fut un des dirigeants du PS durant des années) ou les tentatives de relance de Besancenot adoubé par les médias. Notre appel à un réveil populaire et patriotique conduit certains (de bonne ou de mauvaise foi ?) à considérer que nous serions un nouvel avatar de la « Droite populiste ». Là encore nous allons décevoir, car nous sommes étrangers à ce courant. Pour nous, les mouvements « populistes » par leur composition hétéroclite sont immanquablement brisés ou absorbés par le système. Sans orientations politiques claires, ils retombent vite ou stagnent dans le ressentiment. Ils sont souvent traversés par des courants qui sont extrêmement ambigus dans leurs rapports au capital. Ils sont souvent nostalgiques d’une période historique passée plutôt rêvée que réelle, d’un état antérieur idéalisé du développement du capital. L’abjection actuelle du système rend rétrospectivement idyllique l’existence sociale menée par les générations antérieures.

Dans la majorité des cas, les dirigeants et cadres populistes ne rêvent que d’intégrer l’établissement qu’ils feignaient de combattre. La même constatation est à faire mutatis mutandis pour la mouvance souverainiste,

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capable de remarques pertinentes, mais ne se donnant pas les moyens militants de lutter contre la dynamique du capital ne reconnaissant d’autre souveraineté – en dernière instance - que celle de la valeur en procès.

Afin de répondre à nos détracteurs et aux petits flics, disons que nous défendons, en effet, la Nation comme un cadre possible et utilisable pour la résistance des travailleurs et non par idéologie nationaliste se voulant intemporelle. Nous avons un attachement sincère à la Patrie, qui est pour nous un lien charnel entre les travailleurs, issu de leur pratique collective et un espace de solidarité forte face à la mondialisation destructrice de son essence populaire et culturelle (activité concrète). Notre défense de la Nation se situe dans le cadre bien précis de la lutte de classe et de la construction du Socialisme se projetant à l’échelle européenne (il n’y a pas contradiction mais complémentarité en devenir), cela excluant toute alliance avec des émanations réactionnaires du système capitaliste. Nous tendons sincèrement la main à ceux qui veulent combattre avec nous la domination capitaliste, mais nous affirmons franchement que c’est sur une ligne clairement socialiste que doit être mené le combat.

Ni de Droite, Ni de Gauche, le Socialisme Révolutionnaire doit avant tout être combatif et pugnace, car à nos yeux il est nécessaire d’instaurer un rapport de forces avec le système. Ayons en tête que celui-ci ne s’effondrera pas tout seul, et que même si une crise profonde le traverse, il faudra le combattre directement sur le terrain et lui opposer une alternative concrète et crédible. La crise financière actuelle en est la preuve : les Etats retrouvent les vertus des « nationalisations » qui sont en réalité un immense prêt accordé au capital financier, gagé sur le profit extorqué essentiellement aux travailleurs par le pouvoir politique étatique (bourgeoisie classe de racketteurs !) tout cela n’entraînant pas immédiatement et mécaniquement un recul gigantesque de la production. Le crédit se restreignant engendrera probablement l’approfondissement de la crise et le pourrissement accru du système (récession, paupérisation du prolétariat) mais rien ne changera tant que les travailleurs s’imagineront qu’ils peuvent s’en sortir individuellement. On ne peut faire éternellement comme si le réel n’existait pas. Pour agir sur celui-ci et non s’agiter fébrilement, il est urgent que chacun s’investisse sérieusement dans la construction d’une organisation politique solide et offensive. Cela passe par l'union du parti des travailleurs contre le parti de l'Oligarchie.

Rébellion

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Faut-il se sentir de gauche ? Par Nationaliste Jacobin

En général, les gens de gauche me considèrent comme étant de droite

(voire d’extrême droite) et les gens de droite me classent à gauche. Etrange paradoxe.

Je dois confesser que je ne me suis jamais senti « de gauche », et cette expression reste pour moi un mystère insondable. Je me sens Français d’abord, républicain ensuite, nationaliste enfin, dans le sens où je suis attaché à la souveraineté et à l’unité de la nation française. La question d’être « de gauche » ou « de droite » ne se pose guère.

D’où viennent alors mes désaccords avec la gauche officielle ? Indéniablement c’est la question de l’immigration qui m’a très tôt éloigné des partis de gauche. Je suis profondément anti-immigrationniste et il me semble que la plupart des partis de gauche, modérée ou radicale, sont ralliés à l’idée d’une immigration inéluctable, source de richesse et de métissage dans le cadre d’une société multiculturelle. Or je suis clairement hostile au multiculturalisme, ce qui en général suffit pour être considéré comme « facho » par nombre de gens « de gauche », ouverts et tolérants. A cela s’ajoute le rejet de l’idéologie antiraciste qui masque à mon sens un néo-racisme « anti-blanc » et une francophobie à peine déguisée. J’accuse les officines antiracistes d’être les premières responsables de l’ethnicisation des problèmes sociaux en France, et même de réintroduire la notion de race qui est scientifiquement contestable.

Mais derrière ces questions, au fur et à mesure du temps, le véritable fond du désaccord est apparu : la conception de la nation française. En tant que nationaliste jacobin, je devrais me sentir proche de gens comme Jean-Pierre Chevènement ou Jean-Luc Mélenchon qui incarnent la gauche républicaine, jacobine et patriotique (jusqu’à un certain point). Et pourtant… MM. Chevènement et Mélenchon ont à mes yeux une vision réductrice de ce qu’est la France : pour eux, France est synonyme de République, et donc notre nation naît en 1789. Leur nation française est abstraite en ce qu’elle se confond avec la citoyenneté issue de la Révolution, et l’identité nationale se résume pour eux aux seules valeurs républicaines. Je ne rejette pas la Révolution, loin s’en faut, et je suis un fervent républicain. Mais j’estime que les valeurs républicaines ont été portées par un peuple historiquement constitué au cours des siècles qui suivent la chute de l’empire romain. La

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nation ne naît pas brutalement en 1789, elle prend conscience de son existence et revendique la souveraineté lors de la Révolution. Mais la genèse de la nation est un processus lent qui commence à mon sens à la fin du Moyen Âge lorsque l’Etat monarchique s’affirme. C’est dans ce cadre étatique que les populations du royaume de France entament leur unification culturelle, linguistique et politique. La loyauté aux rois capétiens, valois et bourbons tient lieu d’ébauche d’un sentiment national. Dès la fin du Moyen Âge, le terme « Français » désigne la plupart des habitants du royaume. Certes le processus est lent, car les rois respectent pour une part les particularismes provinciaux. Il ne se termine que sous la III° République à la fin du XIX° siècle. Il n’empêche que la genèse de la nation a en réalité commencé bien avant la Révolution. Trop de républicains de gauche l’oublient à mon sens. Pour moi, la dimension républicaine est une composante fondamentale de l’identité nationale, mais ce n’est pas la seule. La France est aussi une patrie, une « terre des aïeux », où une population s’est enracinée. Cela ne veut pas dire que la porte doit être fermée, mais nous ne sommes pas « tous fils d’immigrés », désolé de le dire.

Là où je peux rejoindre une certaine gauche, c’est dans l’attachement à la dimension sociale de la République. Je suis étatiste : je crois que l’Etat a son rôle à jouer dans la régulation de l’économie et dans la redistribution des richesses. Le paradoxe français réside dans l’association de ces deux valeurs contradictoires : la liberté et l’égalité. La grandeur de la France républicaine, c’est bien de chercher un équilibre subtil entre les deux. Faut-il alors envisager un nouveau système économique ? Honnêtement, je l’ignore. Je crois possible un aménagement de ce qui est, et un changement radical me paraît compliqué. De ce point de vue, je ne suis pas révolutionnaire au sens socialiste du terme. En revanche, je rejoins certains partis de gauche radicale (POI) dans leur rejet de la construction européenne.

En bref, je puise certaines références à gauche, c’est certain. Mais pas seulement. De plus, on peut s’interroger : n’est-ce pas une bonne partie de la gauche qui a tourné le dos à son héritage historique ?

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Egalité chérie Par Julien B.

Je me propose ici de répondre en toute simplicité à deux questions,

en tant que citoyen de base qui a toujours eu le cœur à gauche : qu'est-ce qu'être de gauche ? Qu'est-ce qui vous déplait dans les partis de gauche actuels ?

C'est quoi, être de gauche ?

Pour moi, être de gauche, c'est avant tout défendre l'égalité dans tous les domaines et donc en toute logique combattre les inégalités.

En premier lieu les inégalités économiques qui résultent d'abord des inégalités de revenus. Celles-ci ont eu tendance à croitre énormément au cours des 25 dernières années et plus encore au cours des dernières années. Bien entendu, l'idéal serait l'égalitarisme façon village des schtroumpfs, mais je ne pense pas que nous en soyons à un stade de développement humain suffisant pour pouvoir atteindre cet objectif : il est en effet probable (pour ne pas dire certain) que si on instaurait l'égalitarisme, les citoyens seraient incités à ne rien faire dès lors qu'ils seraient assurés de percevoir une rémunération identique de toute façon ! Aussi, je me contenterai largement d’une société dans laquelle les inégalités de revenus seraient ramenées à des niveaux raisonnables, en fonction du travail, du mérite et du talent de chacun.

Nous sommes malheureusement bien loin de cette société que j'appelle de mes vœux, d'abord parce que les inégalités économiques sont tous sauf raisonnables mais au contraire de plus en plus abyssales et choquantes, d'autre part parce que ces inégalités résultent de moins en moins du travail, du mérite et du talent et de plus en plus de la propriété du capital et de la naissance, notamment par le biais de l'héritage qui est à la fois économique et culturel.

Economique tout d'abord, avec l'importance grandissante du patrimoine hérité dans la richesse de chacun. L'économiste Thomas Piketty a démontré que le flux annuel d'héritage par rapport au revenu national est en constante hausse depuis les années 50, où il était de moins de 5% contre près de 15% aujourd'hui. Et il prévoit que cette tendance haussière devrait se poursuivre, si bien qu'on pourrait se retrouver en 2020 aux niveaux qu'on observait dans la société de rentiers du XIXème siècle où la position sociale

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de chacun était avant tout déterminée par le patrimoine des parents. Cette évolution traduit non seulement un recul du travail et du mérite face à l'héritage mais est aussi potentiellement source d'inefficacité économique, en empêchant la circulation des patrimoines et en laissant se concentrer l'essentiel des richesses entre les mains d'une petite minorité.

Culturel ensuite, avec la mise en évidence par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron que l'école tend à privilégier la culture des catégories supérieures et que du coup les enfants issus de ces catégories sont favorisés par rapport aux autres car ils possèdent d'emblée les codes, les représentations, les attitudes et les manières de penser qui sont requis pour s'orienter dans la formation initiale et atteindre finalement les meilleures positions.

Bien d'autres sources d'inégalités peuvent être combattues, quand on est sincèrement de gauche, par exemple les inégalités entre les citoyens français pouvant résulter de l'origine ou du sexe. Même si d'énormes progrès ont été faits au cours des dernières décennies pour lutter contre les discriminations et les inégalités dont peuvent être victimes les citoyens d'origine immigrée ou les femmes, beaucoup de chemin reste à parcourir.

Concernant les citoyens originaires du Maghreb ou d'Afrique sub-saharienne, l'enquête "Trajectoires et origines" réalisée par l'INSEE démontre qu'ils ont deux fois plus de risque d'être au chômage que la population non immigrée, et ceci à profil identique c'est à dire après avoir neutralisées les différences d'âge, de sexe, de formation, de lieu de résidence, de formation ou de situation familiale.

Concernant les femmes et pour ne s'en tenir qu'au seul monde du travail, l'écart de salaires avec les hommes ne se résorbe plus depuis 15 ans malgré que les filles sont de plus en plus diplômées. Et les femmes progressent encore très peu dans les hiérarchies des entreprises ou de l'Etat.

De mon point de vue forcément partial et orienté, un homme de gauche se doit aussi de combattre les inégalités dans les relations entre les Nations et en conséquence de lutter contre tous les impérialismes qui affaiblissent les souverainetés des peuples. Le XXème siècle, notamment sa seconde partie, a permis d'importants progrès dans ce domaine avec la libération de nombreux peuples de la domination occidentale suite à la décolonisation. Le XXIème siècle semble confirmer cette tendance d'un rééquilibrage des relations entre les pays, avec un relatif affaiblissement de l'hyper-puissance américaine et la montée de l'influence de pays du Sud tels que la Chine ou le Brésil.

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Qu’est-ce qui me déplait dans les partis de gauche actuels ?

Je ne me suis jamais reconnu dans aucun grand parti de gauche, ce qui fait que j'ai passé le plus clair de mon temps à voguer de groupuscules en groupuscules. Plusieurs raisons peuvent probablement être avancées.

J'ai toujours été contre l'Union Européenne, car j'estime que la souveraineté est une condition indispensable de la démocratie et que sans souveraineté, on ne peut pas mener de politique libre et indépendante. Prôner une politique de gauche sans remettre en cause l'appartenance à l'UE relève donc à mon sens de l'escroquerie pure et simple, et un programme qui n'a pas pour premier point la sortie de la France de l'UE ne peut être qu'intrinsèquement inconséquent. Mon opposition à l'Union Européenne et mon souhait de voir la France la quitter me coupe d'emblée de l'essentiel des grands partis de gauche : PS, PCF, PG, Front de Gauche, NPA,......qui considèrent que défendre la souveraineté nationale c'est à dire la démocratie revient quasiment à être d'extrême-droite.

J'ai toujours beaucoup cru à la notion de progrès, je suis profondément progressiste. C'est à dire que je considère que globalement, même s'il y a parfois des reculs dans certains domaines (actuellement concernant les inégalités économiques ou le niveau culturel.....), la condition humaine progresse. Même si la société d'aujourd'hui n'est pas terrible, même si on stagne et on ne progresse pas assez vite, même si on peut faire et on doit faire beaucoup mieux, on a tout de même sacrément avancé par rapport aux temps passés en terme de niveau de vie (l'espérance de vie est en hausse constante), de civilisation (les guerres se font de plus en plus rares) et de tolérance (recul du racisme et de la misogynie). Je constate malheureusement que certains gens de gauche ont parfois tendance à idéaliser un passé fantasmé (les Trente Glorieuses, par exemple) et, pire encore, qu'ils freinent la marche au progrès. Ceci concerne particulièrement les écologistes et autres couillons obscurantistes décroissants qui sont allergiques au progrès scientifique (nucléaire, OGM,......) et qui en conséquence font tout pour empêcher sa diffusion (en invoquant par exemple le fumeux principe de précaution). On ne remerciera pourtant jamais assez les scientifiques qui grâce à leurs merveilleuses découvertes nous ont permis d'atteindre notre niveau de développement actuel et sans lesquels nous serions peut-être encore à tous travailler aux champs pendant 16 heures par jour pour des clopinettes et à mourir à la première maladie bénigne comme sous l'Ancien Régime.

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Pour mon plus grand malheur, j'ai fait des études d'économie. Ceci ne m'a pas permis d'acquérir un haut niveau en analyse économique mais ça m'a quand même permis de comprendre que le fonctionnement d'une économie était quelque chose de complexe. C'est cette compréhension qui m'a fait constater que les programmes économiques des partis de gauche, et notamment d'extrême-gauche, manquaient singulièrement de rigueur et se révèleraient sans doute inaptes à assurer le progrès économique (et donc l'amélioration du niveau de vie) s'ils venaient à être appliqués. C'est à partir de là que j'ai toujours recherché des partis, des organisations qui proposaient des programmes économiques permettant de réduire les inégalités tout en assurant une certaine efficacité dans la création des richesses (car avant de distribuer les richesses, il faut les créer.....constat basique mais qui échappe souvent aux simplets gauchistes). Mais cette rigueur dans l'analyse économique, je ne l'ai retrouvé que chez des personnes isolées et jamais dans des partis et organisations de gauche anticapitalistes.

Dans les partis de gauche, je n'aime pas aussi le fait qu'ils défendent plus souvent des intérêts corporatistes que l'intérêt général. Si on dit qu'il faut optimiser la dépense publique, qu'il y a trop de fonctionnaires dans certains domaines (administration notamment), on est de suite catalogué "de droite" pour la simple raison que les partis de gauche et les syndicats sont composés et soutenus électoralement par une grande majorité de fonctionnaires. Il ne s'agit pas d'être anti-fonctionnaire comme le lecteur du Figaro mais simplement de dire que l'intérêt des fonctionnaires ne doit pas primer sur l'intérêt général, ce que bien des partis de gauche semblent avoir oublié.

Dans les partis de gauche, je n'aime pas non plus cette tendance à vouloir nous assommer d'impôts. Les sociaux-démocrates comme les gauchistes sont ainsi souvent partisans de faire augmenter l'impôt sur le revenu. Il faudrait leur expliquer que ça na rien à voir avec une politique socialiste qui par nature se doit de favoriser les revenus du travail plutôt que les revenus du capital (qui eux doivent être abolis). Et que plutôt que de vouloir lutter contre les inégalités économiques en imposant les revenus à des taux exorbitants (en donnant ainsi l'impression au contribuable de se faire voler le fruit de son travail), il serait sans doute plus intelligent de redéfinir les règles de rémunération.

Enfin, ce qui me déplait dans les partis de gauche actuels, c'est aussi des aspects plus secondaires et marginaux comme cette croyance d'avoir le monopole du cœur (quand la droite serait forcément constituée que de gros méchants sans cœur et égoïstes, alors que c'est en vérité bien plus compliqué

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que ça), ou encore cette interdiction de dire qu'il faut lutter contre l'insécurité ou que la France doit avoir des règles en matière d'immigration comme tous les pays du monde, pour parait-il ne pas faire le jeu de la droite ou de l'extrême-droite.

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Articles No Sarkozy Day ou la misère du "Tout sauf Sarkozy" (Lundi 22 mars 2010)

Peut-être en avez-vous entendu parler, peut-être non, mais une initiative lancée par des ados pré-pubères, sans doute pilotée en sous main par le Parti "Socialiste" - the "No Sarkozy Day" (http://www.no-sarkozy-day.fr/) - se déroulera samedi 27 mars dans toute la France, sans doute sous la forme de manifestations de rues.

Outre qu'il est amusant que des soi-disants opposants à Sarkozy (sans nul doute des opposants d'opérette) utilisent l'anglais à la place du français pour le nom de leur initiative (par haine de la France et pour paraitre branché, ce en quoi ils répondent parfaitement aux souhaits de la clique sarkozyste qui impose toujours plus en avant la langue des affaires et du marketing dans notre pays), celle-ci s'inscrit dans la droite lignée imbécile du "Tout sauf Sarkozy".

En effet, cette stigmatisation de Sarkozy tend à laisser entendre que Sarkozy serait un dirigeant plus catastrophique qu'un autre, et que si on avait l'opposition au pouvoir, aucun des problèmes que nous connaissons n'existerait. Il en est dans la réalité tout autrement, dans la mesure où les maux que connait notre société sont perceptibles avec la même intensité - et même parfois avec une intensité plus forte - dans tous les pays membres de l'UE et ceci quelle que soit la couleur politique des dirigeants de ces pays. Cette journée est donc à l'image du "Tout sauf Sarkozy", des beuglements d'imbéciles qui sont forts pour critiquer mais qui ne sont eux-mêmes porteurs d'aucune alternative et d'aucun projet de société, tant il est vrai que la critique est facile et l'art beaucoup moins (parenthèse, voilà pourquoi d'ailleurs les soi-disants "anti-système" refusent systématiquement les alliances, les responsabilités et ne veulent surtout pas mettre les mains dans le cambouis, ils auraient peur que leur incapacité apparaisse ainsi au grand jour et aux yeux de tous).

Cette journée est le reflet de ce qu'est le Parti "Socialiste" depuis 2007, c'est à dire un parti qui n'a pour seul fil conducteur et fond de commerce que l'antisarkozysme. Ca donnerait presque envie de soutenir Sarkozy, qui quoi

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qu'on en pense à été élu démocratiquement en 2007 par une majorité de Français pour un mandat de 5 ans (et ceci même si la démocratie est très largement imparfaite et illusoire, avec les médias, la classe dominante bourgeoise,.....)

Seul point positif, cette journée aura lieu un samedi, ce qui évitera à nos chers étudiants et lycéens de sécher les cours comme ils ont l'habitude de le faire à chaque fois qu'ils font des "grèves" pour des raisons qu'ils ignorent....

Non ce n'est pas être "de droite" que de dire cela, c'est du vécu : la plupart des "grèves" de lycéens et d'étudiants (déjà parler de grève est amusant quand on parle d'individus qui ne produisent rien et qui ne risquent pas de perdre leur salaire en faisant "grève") sont suivies par une majorité de jeunes moutons (manipulés par deux-trois profs trotsko-gauchistes encartés à la FSU) qui ne savent bien souvent même pas les raisons de ladite "grève" et qui n'y voient qu'une belle opportunité de louper des cours et de boire des bières dans la rue, alors qu'ils devraient sagement étudier en classe. Potentiel révolutionnaire de ce genre de mouvement, zéro.

Je fus moi-même un jour un grand contre-révolutionnaire : alors que j'étais au lycée, je faisais parti des 4 élèves sur plus de 30 qui refusèrent de faire grève et qui allèrent en cours car il me semblait inconcevable de faire "grève" pour une raison qui m'apparaissait pour le moins obscure et illégitime, et ceci bien qu'à cette époque j'aimais déjà beaucoup boire des bières.

Enfin si le No Sarkozy Day peut permettre aux "jeunes" de hurler leur colère, leur désespoir ou leur rage de dents, c'est déjà pas si mal. Pourquoi nous ne sommes pas sociaux-démocrates (Mercredi 21 avril 2010)

Nous aimerions être sociaux-démocrates, ça serait beaucoup plus confortable au quotidien et ça permettrait à notre organisation d'attirer bien plus de monde (car le simplisme ça plait, surtout en ces temps de destruction de l'intelligence et du sens). Mais dans la mesure où il est impossible et irraisonnable de défendre une idéologie à laquelle nous ne croyons pas, nous ne pouvons l'être. Et nous allons expliquer pourquoi de la manière la plus

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simple et la plus rapide possible (n'en déplaise aux plumitifs et philosophards qui aiment faire des phrases de 10 lignes avec des figures de style pour se sentir exister et pour mieux cacher le grand vide de leurs propositions concrètes).

Toutes les mesures économiques proposées par les sociaux-démocrates, que ce soit la social-démocratie traditionnelle (Parti Socialiste) ou son aile gauche (Mélenchon, Besancenot) - les gauchistes n'étant jamais rien d'autre que l'aile gauche de la social-démocratie - sont en apparence très alléchantes et on ne peut a priori qu'y être favorable. Citons pêle-mêle : la retraite après 37,5 ans de cotisation pour tous (1), 32 heures de travail par semaine, augmentations de salaires pour tous, taxes sur les revenus du capital, revenu universel dès la naissance, revenu maximal (pour éviter les rémunérations trop élevées),......

Tout ceci est donc bien alléchant mais quiconque - même sans être économiste - à un peu de culture économique (c'est à dire pas les Rantanplans de la science économique) sait que l'économie d'un pays est quelque chose de complexe et que tout changement à des répercussions en cascade sur le reste.

C'est bien là le problème des politiques économiques sociales-démocrates et qui explique leur échec quand elles sont mal ficelées (2) : elles permettent certes parfois d'atteindre leur but de réduction des inégalités, d'égaliser les parts du gâteau, mais elles conduisent aussi souvent à réduire la taille du gâteau (c'est à dire à réduire la création de richesses, un peu comme le protectionnisme d'ailleurs) ce qui fait qu'au final, chacun se retrouve avec une part de gâteau moins grosse (ce qui est problématique, surtout si ledit gâteau est un délicieux gâteau au chocolat) dans la mesure où le gouvernement d'après (ou même parfois le même gouvernement) se voit obligé de faire machine arrière pour éviter la faillite.

Il y a un exemple fameux de volte-face d'un même gouvernement pour éviter la faillite vers laquelle menait sa politique grossièrement social-démocrate : celui du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy en 1981, mis en place suite à l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand.

A son arrivée à Matignon, Pierre Mauroy a tenu les promesses électorales de son mentor (comme quoi il serait faux de dire que les hommes politiques ne tiennent jamais leurs promesses, contrairement à ce que prétendent les populo-débilo-poujadistes), c'est à dire qu'il a voulu appliquer le programme sur lequel François Mitterrand fut élu.

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Il a donc notamment décidé de : 1) augmenter le nombre de fonctionnaires 2) revaloriser les salaires et les prestations sociales

Evidemment, tout le monde était content. Sauf que problème : cette politique nous menait droit au désastre.

En effet, suite à l'adoption de ces mesures, l'économie française est entrée gravement en crise : le besoin de financement des administrations publiques a explosé, l'inflation (augmentation des prix, qui a pour conséquence d'annuler mécaniquement la hausse des salaires) a atteint des niveaux préoccupants, le solde commercial s'est dégradé et plus grave encore, le chômage a largement augmenté.

Après cet échec, Pierre Mauroy a décidé de faire rapidement marche arrière pour éviter que la crise ne s'aggrave (et non parce que c'était un traitre, comme le proclament à l'envie les Rantanplans de la "science" économique) : il a mis en œuvre un plan d'austérité qui s'appuyait intégralement sur les théories classiques (c'est à dire libérales, ou ultra-libérales comme il est coutume de dire, voir ultra-ultra-libéral) avec un contrôle de la masse monétaire et des salaires pour diminuer l'inflation.

C'est depuis cette époque que le Parti Socialiste est devenu plus "raisonnable" : il a compris que les politiques sociales-démocrates trop mal ficelées, s'appuyant sur des promesses démagogiques engendraient de l'inefficacité économique.

A l'inverse, ceux qu'on qualifiera d'aile gauche de la social-démocratie - les Mélenchon, les Besancenot et compagnie - ne l'ont pas encore compris. S'ils arrivaient au pouvoir, ils mèneraient ainsi la même politique grossièrement social-démocrate que Pierre Mauroy en 1981, qui aboutirait aux mêmes résultats décevants. Cependant, nous pouvons douter qu'ils auront l'intelligence et l'honnêteté de reconnaître leur erreur et de faire marche arrière à temps comme Pierre Mauroy.

Voila pourquoi nous ne croyons absolument pas aux programmes de l'aile gauche de la social-démocratie, et nous prônons plutôt la mise en place d'un nouveau système économique qui permettrait - du moins en théorie - l'augmentation de la création de richesses (car avant de répartir la richesse, il faut la créer), c'est à dire l'augmentation de la taille du gâteau (au chocolat), tout en égalisant largement ses parts, c'est à dire tout en réduisant les

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inégalités économiques (pour plus de précision, voir la rubrique "Sortir du capitalisme").

Peut-être que ce nouveau système ne marchera pas et si tel est le cas, nous aurons l'intelligence de faire marche arrière à temps comme l'a fait Pierre Mauroy à son époque. Mais à la différence de la politique économique défendue par l'aile gauche de la social-démocratie (Mélenchon, Besancenot), dont nous sommes certains qu'elle ne marcherait pas car elle consiste à faire la même chose que le gouvernement Mauroy en plus grossier encore, il existe une possibilité que nos propositions soient efficaces car elles n'ont jamais été testées nul part.

Le socialisme du XXIème siècle, s'il veut avoir une chance de triompher du capitalisme, ne devra ni être un socialisme planifié étouffeur de l'esprit d'initiative et de la liberté d'entreprendre (genre URSS), ni être un catalogue de propositions grossièrement sociales-démocrates (genre Mélenchon, Besancenot), mais un ensemble cohérent menant à une politique économique novatrice. (1) au risque de passer pour un vendu, un social-traitre ou un collabo, il y a bien un problème des retraites.

La démographie est sans doute une science bourgeoise mais quand on sait qu'il y avait en 1990 quatre retraités pour dix actifs et qu'il y en aura huit ou neuf en 2040 (c'est à dire un doublement de la charge !), il n'est pas difficile de comprendre que le problème des retraites est une réalité démographique.

Ceci ne veut pas dire qu'il faut nécessairement augmenter la durée de cotisation, je ne me sens pas suffisamment qualifié pour proposer une solution toute prête et il est probable qu'un gouvernement de Socialisme & Souveraineté aurait une plus grande marge de manœuvre pour résoudre le problème des retraites car l'argent qui servait auparavant à rémunérer le capital et la propriété (sous le capitalisme) appartiendra à la collectivité (sous notre nouveau système).

Cependant, si je devais faire quelques propositions bien simplistes dans un cadre capitaliste (car vous vous doutez que ce n'est pas demain la veille qu'on sera au pouvoir), je dirai qu'on pourrait commencer par :

-favoriser la natalité, il y a des tas de mesures possibles pour cela

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-adapter la durée de cotisations à la durée de retraites selon la catégorie socio-professionnelle et le sexe. En classant les individus selon leur catégorie socio-professionnelle et leur sexe (les femmes vivant en moyenne un peu plus longtemps que les hommes, en grande partie pour des raisons naturelles ou génétiques), il est possible de connaitre le temps moyen de paiement des retraites dont bénéficie chaque catégorie et de moduler la durée de cotisations en conséquence.

Prenons un exemple avec des chiffres complètement fantaisistes pour bien comprendre : si les statistiques de l'INSEE nous disent qu'en moyenne, une femme cadre vit pendant 30 ans à la retraite et un homme ouvrier pendant seulement 20 ans, et que la durée moyenne de cotisations est fixée à 40 ans (c'est à dire la situation actuelle, peut-être bientôt 41), il faudrait moduler cette durée de cotisation dans un souci d'équité afin que la durée de retraite soit proportionnelle à la durée de cotisation.

Dans cet exemple et après calcul, l'homme ouvrier n'aura besoin que de cotiser pendant 36 ans (au lieu de 40) pour bénéficier de 24 ans de retraite (au lieu de 20 aujourd'hui) et la femme cadre aura besoin de cotiser pendant 42 ans (au lieu de 40) pour bénéficier de 28 ans de retraite (au lieu de 30 aujourd'hui)

Démonstration du calcul : 24/36 = 0,666666 avec 24 ans la durée de retraite moyenne d'un homme ouvrier et 36 ans la durée de cotisation moyenne d'un homme ouvrier 28/42 = 0,6666666 avec 28 ans la durée de retraite moyenne de la femme cadre et 42 ans la durée de cotisation moyenne de la femme cadre On en arrive donc à une situation d'équité entre les deux catégories avec un rapport durée de retraite/durée de cotisation équivalent. Personne n'est ainsi lésé. Enfin de toute façon au point où on en est, personne n'aura de retraite.

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(2) ceci dit les politiques sociales-démocrates ne sont pas nécessairement grossières, démagogiques et mal ficelées (Mauroy, Mélenchon, Besancenot), elles peuvent aussi être réfléchies.

Par exemple, les pays scandinaves appliquent des politiques sociales-démocrates depuis des décennies, et sont à la fois plus riches et moins inégalitaires que la France. Cependant, les inégalités économiques - outre quelles ont toujours été à un niveau excessif et trop important à mon goût (bien que moindre qu'en France, ceci dit c'est pas dur) - ont tendance à augmenter là-bas aussi, et elles n'ont jamais reposé que sur le seul travail (c'est à dire sur le mérite).

C'est pourquoi nous ne pensons pas à copier les modèles sociaux-démocrates scandinaves et nous préférons proposer un nouveau système économique. République Tchèque : la lente mais inéluctable disparition du communisme de papa (ou de grand-père) (Lundi 14 juin 2010)

V’là maintenant deux semaines, se déroulaient les élections législatives en République Tchèque. Qu'est-ce qu'on en a foutre, me direz-vous ?

Pas grand chose, si ce n'est que la République Tchèque demeure le seul pays d'Europe (hors Russie) où existe un parti communiste "sérieux" (1) qui fait un score à deux chiffres aux élections, c'est à dire plus de 10% (ah non pardon, ces deux mastodontes que sont Chypre et la Moldavie ont des présidents communistes qui mènent une politique qui fait trembler le capitalisme, comme chacun peut le constater),

Pas pour longtemps cependant. En effet, le Parti Communiste de Bohème-Moravie (c'est son nom), outre qu'il subit des pressions très importantes (nous en avions déjà causé au moment de l'interdiction de sa section jeunesse), voit son électorat s'effriter de scrutins en scrutins.

Alors qu'il réalisait plus de 18% des voix aux élections législatives de 2002, et était troisième parti du pays (et même deuxième aux élections européennes de 2004), il a subi un sérieux revers aux élections législatives de

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2006 avec 12.8% des voix, un revers qui s'est confirmé et même accentué aux récentes élections législatives avec un décevant score de 11%.

Cette érosion électorale, qui n'est probablement qu'un début, s'explique évidemment par la diabolisation médiatique d'une ampleur assez inimaginable que subit le KSCM (2). Jaroslav, 61 ans, qui vote communiste depuis 40 ans et qui déclare que "le pire est arrivé en 1989, notre pays a été vendu, donné même, au capitalisme occidental", évite ainsi de se dire communiste en public afin de ne pas s'exposer à de graves ennuis.

Mais elle s'explique aussi par la pyramide des âges du KSCM : une étude révèle que 65% des électeurs du KSCM sont des personnes âgées (3). Parmi elles, Stanislav, mineur retraité de 73 ans obligé de cumuler deux emplois à cause d'une trop maigre retraite, qui porte un jugement non dénué de lucidité : " A l'époque, il y avait la solidarité. On nous parle de liberté, mais c'est relatif. Cela dépend de votre portefeuille."

Les personnes âgées sont souvent les personnes les plus sages et les plus cultivées, mais c'est aussi celles qui sont amenées à rejoindre en premier le monde de l'au-delà. Dans ces conditions, l'avenir du KSCM s'annonce sous de très mauvais hospices.

En effet, sa section jeune, qui fait l'objet d'une interdiction, ne rassemble guère que quelques centaines de membres, ce qui est négligeable à une échelle nationale (c'est plus que Socialisme&Souveraineté, du moins pour l'instant, mais quand même).

Pour le reste, la jeunesse tchèque dans son immense majorité, comme la jeunesse française et de la quasi-totalité des pays du monde, a une hostilité certaine envers le "communisme de papa" ou du moins ne voit pas en lui une alternative crédible au système, ce qui est certes en partie dû à sa grande inculture, elle-même résultant de sa paresse intellectuelle qui lui fait avoir une vision manichéenne (ou enfantine) de l'Histoire.

Radek, 20 ans, déclare ainsi à propos du KSCM que "ce parti est un scandale, il devrait être interdit car il n'a pas changé".

Cette opinion, assez représentative de l'état d'esprit de la jeunesse tchèque, est bien entendue regrettable mais ne peut pas ne pas être prise en compte. Elle est la preuve manifeste que le communisme de papa ne reviendra pas, que le capitalisme ne pourra être inquiété en se référant à des vielles recettes surannées.

En clair, si dans l'absolu le mineur retraité Stanislav a raison quand il dit que la liberté est relative et dépend du portefeuille, on ne peut pas ne pas

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tenir compte de l'impératif de liberté émanant de la jeunesse en général (et pas que des jeunes bourgeois qui crèchent à Neuilly).

C'est pourquoi l'organisation Socialisme&Souveraineté, soucieuse de jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le capitalisme, sait parfaitement répondre aux aspirations légitimes à la justice, à l'égalité et à la liberté, en prônant la construction d'une société plus libre et plus collective.

Socialisme&Souveraineté, ce n'est pas le regard braqué dans le rétroviseur, c'est le regard tourné vers l'avenir. C'est le neuf, la nouveauté, seule apte à emporter un vieux monde capitaliste qui a fait son temps et qui peut prendre une retraite bien méritée après de "bons" et "loyaux" services.

(1) Sachant que les pays d'Europe où il reste des partis communistes "sérieux" se comptent sur les doigts d'une main : Grèce, Portugal et puis c'est tout.......ah non pardon, il y a aussi le PCF en France. :)

NPA, section française du parti anticapitaliste européen (Lundi 12 juillet 2010)

"On veut avancer dans la construction d'une gauche anticapitaliste européenne". Le mot d'ordre est lancé. Comme l'a expliqué Olivier Besancenot à la presse mardi 15 juin, avant un meeting anticapitaliste européen à La Mutualité, à Paris, réunissant six autres responsables européens. Une nouvelle conférence de ces partis pourrait ainsi se tenir en septembre ou octobre, a ajouté le leader du Nouveau Parti anticapitaliste, espérant alors réussir à rendre "plus visible" la future formation avec notamment des "campagnes communes sur les salaires, les services publics, la répartition des richesses", voire un logo ou un porte-parole communs. Le NPA, section française du parti anticapitaliste européen, est naturellement voué à l'impuissance et à la stérilité politique. Ceci dit nous le savions déjà, il suffit de se reporter à la légèreté de leurs analyses politiques (*) et à leur refus permanent de prendre en compte la complexité des mécanismes de l'économie pour voir qu'ils se placent dans une démarche

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purement contestatrice et qu'ils n'ont concrètement pas d'alternative solide au capitalisme à proposer. (*) Je n'ai d'ailleurs pas beaucoup à me forcer pour apprécier la légèreté (pour ne pas dire le crétinisme) de leurs analyses politiques car depuis mon passage succinct à la LCR il y a de longues années, je continue à recevoir régulièrement leur "feuille de chou" régionale sans que je ne demande rien. Enfin bon s'ils ont de l'argent à gaspiller, ça les regarde. Faut-il s'inquiéter du populisme de Jean-Luc Mélenchon ? (Dimanche 14 novembre 2010)

Un des grands sujets de préoccupation actuel dans le landerneau politique est le supposé "populisme" du chef suprême du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, auquel il est notamment reproché la façon de s'exprimer ou encore les critiques répétées contre les journalistes. Disons-le clairement, notre but n'est absolument pas de défendre Jean-Luc Mélenchon, individu avec lequel nous n'avons pas grand chose en commun, mais simplement d'évaluer la pertinence de ces attaques. Ces attaques viennent d'un peu partout. De la droite tout d'abord, par exemple de Xavier Bertrand ou de Brice Hortefeux, ce qui est assez cocasse venant de gens qui pourraient être qualifiés de champions toutes catégories du populisme, bien que le terme de populisme n'est pas clairement défini et sert surtout dans un contexte polémique pour tenter de discréditer un adversaire politique. Mais au fond, le terme de populisme ne pourrait-il pas très bien s'appliquer à la majorité présidentielle, au gouvernement Fillon et au président Sarkozy, quand nous savons que ces gens-là sont capables de faire croire qu'ils défendent les intérêts du peuple français dans sa globalité alors qu'ils ne servent que les intérêts d'une minorité de privilégiés ? La question peut en tout cas très bien se poser.

Laissons ces tristes sires à leurs habiles manipulations et intéressons-nous à une autre attaque, plus rageuse, plus hystérique, plus violente, celle-ci en provenance d'un grand homme de gauche (prière de ne pas rire), un certain Dany Cohn-Bendit.

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Interviewé sur une chaine de radio par Jean-Michel Apathie, c'est à dire un grand journaliste connu pour son impartialité et son objectivité exemplaire (prière de ne pas rire), l'écologiste allemand a notamment déclaré que dans son dernier livre, Jean-Luc Mélenchon "laboure les terres de l'extrême-droite" (il est vrai que Dany Cohn-Bendit n'a pour sa part jamais labouré de terres, n'ayant par ailleurs jamais exercé aucun vrai travail productif), propage la "haine du boche" (c'est à dire de l'Allemand) et prône la construction d'une "Grande France".

Pourtant, dans son livre, Jean-Luc Mélenchon ne fait à aucun moment preuve de haine contre les "boches" (et il n'utilise d'ailleurs pas le terme "boche", contrairement à Dany Cohn-Bendit). Et la "Grande France" à laquelle fait référence Dany Cohn-Bendit n'est en fait qu'une main tendue par Jean-Luc Mélenchon aux Wallons et aux Bruxellois, que la République pourrait accueillir si jamais la Belgique venait à éclater. Ce qui nous fait un point d'accord avec Jean-Luc Mélenchon, profitons-en car ils sont rares. Dany Cohn-Bendit, personnage méprisable qui n'hésite pas à mentir en permanence pour salir ses adversaires politiques, a toujours eu un grave problème avec la France. Son adoration pour l'Allemagne est proportionnelle à sa détestation de la France, et il est ainsi révélateur de la décrépitude de notre beau pays qu'un tel individu ait pu devenir une figure politique incontournable. A entendre Dany Cohn-Bendit, on pourrait croire qu'il suffit d'être Français pour être d'extrême-droite (et être Allemand ?). S'il connaissait un minimum la politique française, il saurait pourtant qu'un nombre non négligeable de militants de l'extrême-droite française préfère tout comme lui l'Allemagne à la France....

Une autre attaque, plus surprenante et plus pertinente, est venue du Président du Parti "Communiste Français" (P"CF"), Pierre Laurent, qui a déclaré ne pas vouloir du populisme de Jean-Luc Mélenchon et préférer le sérieux du projet politique.

Plus surprenante, car pour ceux qui ne seraient pas très aux faits de l'actualité politique française, le P"CF" forme depuis quelques temps déjà une alliance avec le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon au sein du Front de Gauche.

Plus pertinente, car Pierre Laurent a raison sur un point : le sérieux du projet politique est effectivement le plus important, et doit toujours primer. Par contre, ce qu'il n'a semble t-il toujours pas compris, et c'est un peu inquiétant pour lui, c'est qu'un parti qui n'a ni projet politique lisible, ni leader

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au "langage populiste" est voué à la chute libre, ce qui est la triste histoire du P"CF" depuis 20 bonnes années dorénavant.

Il est en effet loin le temps où il y avait des Georges Marchais ou des Henri Krasucki dont la façon de s'exprimer plaisait au peuple (car ils s'exprimaient dans son langage), et c'est à notre avis une des raisons (pas la seule, évidemment) qui explique le fossé sans cesse grandissant entre la politique et les classes populaires, et la dépolitisation générale des classes populaires.

Vous l'aurez compris, loin de nous donc l'idée de critiquer Jean-Luc Mélenchon sur son supposé "populisme", surtout que le terme populisme ne signifie plus grand chose et n'a en tout cas plus rien à voir avec sa définition originelle.

D'autres critiques autrement plus légitimes et sérieuses peuvent lui être adressées, sur son parcours politique qui démontre qu'il est avant tout un opportuniste carriériste, sur son programme économique qui vise à construire une super social-démocratie (c'est à dire qui oublie qu'avant de distribuer les richesses de la manière la plus juste et la moins inégalitaire possible, il faut les créer ce qui implique la mise en place d'un mode de production efficace et non la création d'une société d'assistanat), sur son refus d'aborder sérieusement les questions de l'insécurité et de l'immigration, sur ses attitudes de petit chef (le culte du chef, très peu pour nous, nous ne sommes pas sur Terre pour être à la botte de quiconque, ni Dieu ni Maitre !), sur sa laïcité à géométrie variable et bien entendu sur son européisme avec son désir d'"Europe sociale" et sa non-remise en cause de l’euro. Démontage de "Comprendre l'Empire" d'Alain Soral - première partie (Vendredi 4 mars 2011)

Socialisme & Souveraineté a décidé de publier une lecture critique de l'ouvrage d'Alain Soral, "Comprendre l'Empire" (éditions Blanche), paru le 10 Février dernier. L'auteur, Pablito Waal, a considéré qu'il était important de répondre aux "thèses" de ce brûlot afin de combler le peu de réactions

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négatives (notons cependant que le site Enquête & Débat a également publié une critique) qu'a suscité ce document, et qui laisse les pro-Soral penser que leur gourou a réalisé une œuvre indémontable car apportant la vérité. "Comprendre l'Empire", c'est ni plus ni moins qu'une tentative, en à peine plus de deux cent pages, "d'analyser" un processus de domination par l'argent et le mensonge qu'une clique de réseaux et de financiers exerceraient sur le monde, et qui s'est construit au cours des deux derniers siècles. En lisant le texte, on s'est aperçu qu'outre un nombre difficilement appréciable d'aberrations historiques et économiques, ce livre était un véritable appel à la haine. Et nous attendons de pied ferme ceux qui viendront nous reprocher un "chantage à l'antisémitisme"... Notre critique, assez longue, sera publiée en quatre parties.

Le dernier livre d’Alain Soral se veut être un succès de librairie « inattendu ». Parce qu’il est monté relativement haut dans les classements de ventes, et sans « soutien médiatique ». En réalité, peu d’auteurs disposent, comme Soral, d’une petite escouade (voire d’une petite armée ?) de militants publiant ses vidéos, les commentant, les rediffusant, formant un service médiatique remplaçant efficacement celui d’une maison d’édition. A la limite, l’affaire serait sans intérêt si ledit livre ne servait pas à répandre un petit message insidieux et odieux. Et nullement « subversif » comme son auteur et ses partisans aimeraient le faire croire. « Comprendre l’Empire » est un petit essai de 230 pages, présenté sous formes de petits textes (« texticules » comme se plait à les nommer Soral, l’apôtre du « macho qui aime sa mère et protège sa femme »). Soral a justifié sa forme « non universitaire » (pas de plan, pas de notes…) comme un souci de respect du lecteur (parce qu’écrire un livre scientifique serait donc irrespectueux) et parce que citer des références serait pédant, alourdirait le livre, amputerait le pouvoir d’achat du lecteur. Celui qui aborde l’ouvrage (surtout si c’est sa première lecture d’un livre de Soral) se rendra compte qu’en réalité, cette démarche n’est qu’un prétexte pour publier un texte où rien, je dis bien absolument rien, n’est démontré. Il ne s’agit pas que de l’absence de notes, mais bel et bien l’absence de toute source pour soutenir les nombreuses affirmations que Soral enchaine dans son récit. Pour être plus juste, disons que Soral cite parfois des œuvres à l’appui de ses dires : mais il s’agit des films de Louis de Funès ou des romans de Bernanos. Des œuvres de fiction pour appuyer la description de la réalité, peut mieux faire !

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Le bon vieux temps Le fond du propos maintenant. L’auteur se donne d’abord pour tâche de casser le roman, plus spécifiquement le roman français, du progrès des Lumières en lutte contre l’obscurantisme, de la Révolution du Peuple contre l’Ancien Régime. Pour Soral, ce roman du progrès – effectivement mystificateur si on le présente aussi simplement qu’il le fait – est usurpé pour cacher un autre récit, celui de la montée d’une conspiration – comment la nommer autrement ? – de minorités contre le monde de la Tradition – car c’était toujours mieux avant. Pour Soral, le paysan de l’Ancien Régime vivait mieux que l’ouvrier du XIXème, et le Peuple (dont nous verrons la définition soralienne) n’aurait donc rien gagné à la sortie du féodalisme. Marx avait au moins vu dans la bourgeoisie une classe révolutionnaire qui avait fait avancer la roue de l’Histoire. Pour Soral le « marxiste », il n’y a que complot, trahisons, et finalement sodomie du peuple par la bourgeoisie (du moins la « progressiste », pour ceux qui n’auraient pas compris que le Progrès c’est le mal, la liberté c’est l’esclavage, et la guerre la paix). Alors commençons le récit de l’infamie.

La Révolution Française, c’est principalement la bourgeoisie. Le peuple était fort peu révolutionnaire. Pire, une partie de ce peuple (bretons, normands, mais surtout vendéens) se révoltent pour rappeler que, sous l’Ancien Régime, ils se sentaient plutôt à l’aise, avant que la Révolution bourgeoise ne vienne imposer la loi Le Chapelier, proscrivant toute corporation et coalition ouvrière. Seuls les ignorants auront appris quelque chose (que la Révolution fut parisienne et nettement moins provinciale, que le peuple fut divisé, rien de très nouveau). Mais seuls les incultes complets pourront supporter sans sourciller d’entendre parler du relatif « confort populaire » sous l’Ancien Régime.

« A ceux qui croient encore au discrédit et à la réprobation populaire unanime, nous rappelons les « Chouans ».

Soit tous ces paysans de Bretagne, du Maine, de Normandie, de l’Anjou, de l’Aveyron, de la Lozère, de Vendée et du Poitou [Soral ignore que la Vendée fait partie du Poitou] qui, pour s’opposer au nouvel ordre révolutionnaire et républicain, rejoignirent l’armée catholique et royale [en Aveyron ? Lozère ?] parce que de l’ancien ordre, bien que du petit peuple, ils se trouvaient fort bien… » (page 19)

Que ce soit en pensant aux victimes des interminables guerres de succession, au million de mort de l’hiver 1709, aux révoltés croquants … Et

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la bêtise suprême est de ressortir la thèse du « royalisme populaire » qui expliquerait l’insurrection vendéenne. En faisant fi de la situation de crise économique que vivaient les habitants de l’Ouest, et du refus de la conscription, qui expliquent bien mieux le soulèvement de paysans qui n’avaient pas exprimé d’opposition ni à l’abandon des privilèges ni même à la proclamation de la République. Mais ce n’est qu’une étape. La suite, c’est de repeindre la Révolution comme une guerre contre… le catholicisme. « Par victoire politique de la Raison politique entendons : quand une idéologie de domination, la Raison bourgeoise et commerçante et rationaliste, soit la nouvelle religion toute neuve et fervente de la classe montante, vainquit le catholicisme, cette idéologie de la royauté usée par mille ans de pouvoir, à laquelle la noblesse elle-même ne croyait plus vraiment ». (page 18) Le fait que la même bourgeoisie, avec Bonaparte au pouvoir, acceptera ou soutiendra le Concordat, et, après les quelques turbulences que furent la constitution civile du clergé et le culte de l’Etre Suprême, et ce pour près d’un siècle de 1801 à 1905, c’est sans doute un accident. Accidentées aussi, la logique et la distinction des concepts chez Soral, lorsqu’il oublie que le contraire de la religion, c’est l’agnosticisme (pas forcément l’athéisme), et non la laïcité : « En bonne logique, le contraire de la religion c’est la laïcité. Mais dans la réalité historique, politique, le combat anticlérical, mené exclusivement contre la religion catholique, fut le fait d’une autre église : celle du grand « architecte de l’univers » et de la franc-maçonnerie ». (page 31) Soral oublie également que si l’Eglise Catholique fut la seule combattue par les « laïcarde », c’est parce qu’elle était la seule à posséder du pouvoir, les églises réformées (surtout depuis la révocation de l’Edit de Nantes de 1685) et le judaïsme étant beaucoup plus faibles. Mais pour l’auteur, c’est sans compter l’autre Eglise, la vraie, la franc-maçonne. Dont on ignorera toujours qui en était, en 1905 ou à un autre moment, les chefs spirituels. Ni nom, ni organisation : la preuve et la source ne sont pas dans la marque de fabrique soralienne. « Un pouvoir [maçonnique] qui culminera sous la Troisième République par la loi de 1905 – loi dite de « séparation de l’Eglise et de l’Etat » - mais, en réalité, la dépossession du dernier bastion spirituel et politique resté aux mains de l’Eglise catholique qu’était l’éducation des

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enfants. Une charge de formater les esprits et les âmes, cruciale pour la domination, dorénavant confiée aux instituteurs laïcards de culture et largement d’obédience maçonnique. » (page 33) Pauvres enfants, dont une grand partie seront tirés de l’analphabétisme, le plus souvent sans avoir aucune information sur cette Eglise maçonnique, pas même un compas pour remplacer le crucifix, enfants qui recevront principalement de la maçonnerie les valeurs de la République… En quoi devons-nous regretter l’influence catholique sur l’éducation ? Ca, Soral nous l’explique dans les pages qui suivent ses prouesses sur la chouannerie : le catholicisme aurait garanti paix et charité sur le continent européen sur toute la durée du Moyen-Age. Les croisades ? Un moyen de canaliser la violence des européens contre un adversaire extérieur. Les guerres de religion, en France, la dévastation de l’Allemagne par la guerre de Trente Ans, la traite négrière ? Pas dans ce tableau idyllique d’une société où chaque ordre avait sa juste place, le clergé conservant le savoir, la noblesse défendant (en réalité en guidant au combat des masses de paysans le plus souvent) et le peuple travaillant. Et mieux encore, cette société était « solidaire » (on ne rit pas):

« Dans le monde de l’immanence ayant succédé à la Révolution française, la lutte des classes devient donc effectivement le nouveau moteur de l’Histoire.

Une lutte résultat d’abord de la fin de la solidarité trans-classes existant précédemment dans la monarchie de droit divin ; mais une lutte résultant ensuite, et surtout, de la promesse non tenue des lumières. » (page 119)

Pauvre Marx, dont le prétendu disciple Soral efface le rôle historique central de la lutte des classes avant le XVIIIème siècle, là où Karl situait dans la dialectique des luttes de classe maîtres et esclaves, serfs et seigneurs… De toute façon, la suite ne sera qu’une forme assez maltraitée de la lutte des classes. Car pour le président d’Egalité & Réconciliation, comme pour toute une clique de conspirationnistes pullulant sur le Net, ce n’est pas la bourgeoisie, la classe disposant de l’essentiel du Capital et de ses revenus qui mène l’exploitation capitaliste. Ce sont les banques qui captent tout l’intérêt de l’auteur, qui les rebaptise « La Banque » (singulier qui permet de les faire agir comme une personne seule, consciente et planificatrice, et surtout de gommer toute possibilité de faiblesse d’une banque seule face à un Etat).

Mais avant de voir la sociologie de classe de Soral, regardons-le rater son bac d’économie.

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Démontage de "Comprendre l'Empire" d'Alain Soral - seconde partie (Samedi 5 mars 2011)

Dans cette suite de la critique de "Comprendre l'Empire" d'Alain Soral (Editions Blanche), après la question du "roman national" français, voyons les conceptions économiques du président d'Egalité & Réconciliation. La Banque Admirons d’abord sa théorie de la monnaie. Il commence par l’économie archaïque du don et du contre-don, avant l’apparition de la monnaie.

« Des échanges qui s’amplifient et se généralisent et qui, après la première phase de troc, amènent nécessairement l’idée pratique d’un moyen abstrait et polyvalent d’échange généralisé : la monnaie.

Et qui dit monnaie dit argent : idée d’accumulation qui peut, dès lors, sur un champ social lui-même modifié et déspiritualisé par ce processus, venir concurrencer le prestige du don et finir, fatalement, par le remplacer. » (page 41)

Soral oublie juste que : 1) entre l’apparition de la monnaie, qui date de l’Antiquité, et l’accumulation primitive de Capital, qui progresse lentement au cours du Moyen-Age et n’accélère réellement qu’avec la Révolution Industrielle, il se passe plusieurs millénaires ; 2) qu’il n’y a d’accumulation possible que lorsque le niveau technologique permet de dégager des surplus. Mais évoquer l’effet de la technique comme élément déclencheur du changement de système économique (de la féodalité au capitalisme) n’est sans doute pas assez complotique pour notre auteur. Lui préfère, après quelques passages sur la bourgeoisie, arrivée au pouvoir en France par le biais de la noblesse de robe et de la Révolution, les banquiers. Banquiers qui, chargés initialement de prêter en contrepartie de métaux précieux réellement détenus, ont acquis le pouvoir de prêter de la monnaie qu’ils n’ont pas, de créer capital et intérêts. Ces banquiers, qui aux USA, parviennent à imposer – en fait suite à une crise financière face à laquelle il manquait un prêteur en dernier recours – la création de la Réserve Fédérale en 1913. Ca aurait pu être une autre date, Soral aurait quand même pu expliquer ce qu’il voulait à partir de cela.

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« Et les deux causes majeures d’emprunts publics étant les crises et les guerres, on devine le rôle qu’a aussi joué la FED, depuis 1913, dans la survenue de ces évènements. » (page 60-61)

En fait non, on ne devine rien du tout, si ce n’est qu’on nous rebalance le vieux procédé : « celui à qui profite le crime en est probablement l’auteur », dont l’Histoire est pourtant riche de contre-exemples. Aucune preuve de la responsabilité DES banques sur le déclenchement des guerres mondiales n’est apportée. Sur le même principe, on pourrait imputer ces drames aux fabricants d’uniformes, qui ont dû eux aussi profiter des guerres. Mais le sérieux de l’analyse s’effrite un peu plus lorsque l’auteur nous gratifie de ses compétences d’historien économiste :

« Pendant ce temps, cette création de fausse monnaie entrainant une dévaluation constante de la valeur de l’argent, les détenteurs de dollars, à commencer par le peuple américain, ont vu depuis l’année 1913 leur argent perdre 90% de sa valeur et leur pouvoir d’achat baisse d’autant.

Une baisse constante compensée par la hausse vertigineuse de leur consommation à crédit auprès des banques. » (page 60-61)

Si l’unité de dollar a bien vu sa valeur s’effondrer par rapport à l’or au cours du XXème siècle, le citoyen américain moyen n’a jamais perdu 90% de son pouvoir d’achat, puisque ses revenus en dollars croissaient bien plus que ceux-ci ne perdaient en valeur. Et invoquer le crédit comme source de cette compensation est très largement faux : la faiblesse de l’épargne américaine est un phénomène assez récent, couvrant les dernières décennies du précédent siècle, alors qu’au milieu du XXème, les USA étaient exportateurs de capitaux que les américains épargnaient. Leur richesse est tout simplement venue d’un formidable accroissement de leur productivité, mention que Soral ne fait jamais.

Non content de sa performance, Soral va jusqu’à expliquer toute notre histoire économique récente par « La Banque », le tout couvert par des politiciens pantins :

« La responsabilité de tenir compte des effets sociaux et humains des politiques bancaires (spéculation, désindustrialisation, délocalisation, chômage…) incombant toujours, officiellement et médiatiquement, au pouvoir politique » (page 47)

Que la perte d’emplois d’industriels puisse s’expliquer par un changement dans le budget des ménages, qui consomment de plus en plus de services au fur et à mesure qu’ils s’enrichissent (mais pour Soral, la tendance générale serait l’appauvrissement, affirmation jamais démontrée comme tout

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le reste). Que le chômage puisse avoir d’autres causes que les intérêts des banques (devenus plus faibles pour les entreprises par rapport aux années 1980). Que les délocalisations soient aussi la conséquence de l’ouverture de marchés nouveaux et non seulement de coûts bancaires…Tout cela sera trop terre-à-terre pour notre écriv…pardon sociologue.

Il n’y a plus grand-chose d’anticapitaliste chez notre marxiste, passé comme nous le verrons à une « gauche du Travail », entièrement dévoué à la diabolisation d’une seule filière du système capitaliste :

« La Banque, intrinsèquement fondée sur l’abstraction du chiffre au détriment de l’humain (spéculation), libérée de tout frein politique et social (indépendance des banques centrales) et protégée de surcroît par son invisibilité politique et médiatique (domination de l’argent sur le politique et les médias) devenant progressivement – compte tenu de sa logique même – pure prédation et pure violence » (page 48)

Mais peut-être faut-il comprendre que pour Soral, les…pardon : La Banque devient Le Capitalisme à elle toute seule, puisque La Banque acquiert tout toute seule :

« Ce prêt d’argent, fictif, mais que seules les banques ont le pouvoir de prêter, équivaut donc, à travers la garantie hypothécaire sur l’outil de travail et les biens, à une lente captation de toutes les richesses privées par la Banque ;

La Banque devenant ainsi progressivement propriétaire de tout, sans jamais rien produire, avec de la fausse monnaie pour seule mise de fonds ! » (page 50)

Soral raisonne comme si la masse des capitaux productifs était fixe (en même temps, c’est peu surprenant pour quelqu’un qui explique le chômage par les délocalisations). Si c’était vrai, l’hypothèque des outils de travail devrait mener à ce que, faillite après faillite, les banques deviennent effectivement propriétaires de tout. C’est oublier que le capital se crée, que les entreprises françaises en constituent chaque année pour plusieurs centaines de milliards d’euros (formation brute de capital fixe pour les comptables). En partie à crédit certes, mais quand une entreprise a remboursé son crédit et levé son hypothèque, elle est propriétaire de ce dans quoi elle a investi. La théorie de la « lente captation de toutes les riches privées par La Banque » ne repose sur rien, et ignore la désintermédiation financière (le recours à l’émission d’actions plutôt que l’emprunt, pourtant facilité en France depuis les années 80).

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Mais ce n’est pas fini, Soral étant en sus expert en finances publiques :

« Un racket bancaire à l’échelle des Etats, et sur le dos des peuples, qui est la première raison de la fin de l’Etat-Providence au tournant des années 1970. La raison majeure de la fin de toutes les politiques sociales de développement qu’on appelle la Crise. Le paiement de l’intérêt de la dette – en réalité pur racket de la Banque absorbant désormais tout l’argent normalement dévolu au développement et au social – étant exactement égal, en France, à la totalité de l’impôt sur le revenu du travail. » (page 53)

Que la loi de 1973 ait permis la croissance de la dette publique en France, c’est une chose. Mais en disant cela, on dit que si les intérêts n’avaient pas existé, alors notre dette serait 90% plus basse, à condition que les autres dépenses publiques aient été les mêmes. Donc il est absurde d’en déduire, comme Soral l’avait fait pour le problème des retraites dans une de ses vidéos, que sans les intérêts de la dette publique, on aurait pu dépenser plus, en investissements ou en dépenses sociales (ou alors sauf à faire tourner en permanence la planche à billets).

Ensuite, il suffira de rappeler à l’auteur que les « politiques sociales » n’ont jamais décliné par leur coût depuis 1973, bien au contraire : de 35% du PIB en dépenses publiques à 53% en 2008, dont 3% pour les intérêts. Qu’attendre alors des analyses d’un « penseur » dont la vision du réel est aussi erronée ? Ou encore qui prend des situations particulières pour des généralités, comme avec l’impôt sur le revenu :

« Un impôt sur le revenu du travail – déguisé en impôt social par sa progressivité – qui sert purement et simplement à payer l’intérêt de la Banque. » (page 56)

Si cela est actuellement vrai, c’est loin de l’avoir toujours été depuis la création de l’impôt sur le revenu en … 1914. A l’époque pour faire face aux dépenses de guerres, mais avant des décennies où cet impôt a dépassé le montant des intérêts de la dette publique.

Ou encore, un auteur qui reprend un mythe conspirationniste : dans son récit de la prise de pouvoir de La Banque aux USA, s’égrènent les imputations aux financiers de tous les assassinats de présidents américains, de Lincoln à Kennedy…Ce dernier serait mort à cause d’un décret qui aurait remis en cause le pouvoir de la Fed.

« Ainsi, en juin 1963, signe-t-il [JFK] l’ Executive Order 11110, décret présidentiel qui, pour se débarrasser de la FED, impose un nouveau système adossant le dollar à l’argent métal. Aussitôt sont mis en circulation

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pour plus de 4 milliards de dollars en billets de 2 et 5 dollars, et autant de billets de 10 et 20 dollars sont imprimés. Le 22 Novembre de la même année, Kennedy est assassiné, le décret EO11110 aussitôt annulé par son successeur et les billets de 2 et 5 dollars retirés de la circulation. »

…En fait ce décret ne faisait qu’accroître, sous condition de l’accord du président, les pouvoirs de la Fed, et le décret ne fut pas abrogé par Lyndon Johnson en 1963, mais par Reagan en 1987…

(http://abovethepresident.blogspot.com/2006/07/debunking-some-jfk-myths.html)

Allez, quitte à sortir de la sphère bancaire, on ne résistera pas à d’autres perles économiques de notre penseur :

« La seule puissance militaire, sans le secours du sacré face aux forces de l’argent, conduisant inéluctablement à la défaite comme en témoignent les expériences communistes et fascistes européennes. » (page 171)

L’échec économique de l’URSS ramené à l’absence de foi, voilà qui met au tapis 70 ans de soviétologie… Mais l’explication de la croissance occidentale des Trente Glorieuses est aussi détonante : « On peut globalement considérer la période d’après-guerre 1945-1973 – appelée Trente Glorieuses – comme une période de prospérité et de consensus social. Prospérité économique due à la dynamique insufflée par les destructions et les pénuries de la guerre, et orientée dans un sens libéral par le plan Marshall. » (page 176) Encore la bonne vieille théorie de bistrot : « la croissance d’après-guerre est due aux destructions de la guerre qu’il fallait réparer » ou « le plein-emploi est dû aux pertes humaines de la guerre ». Un minimum de logique devrait pourtant faire comprendre que si cela était vrai, alors la France n’aurait dû, après 1945, connaître que la croissance nécessaire pour rattraper son niveau de production de 1940, puis ensuite repartir sur la croissance molle des années 30. Ce n’est pas ce qui s’est passé, la croissance a été beaucoup plus forte.

Revenons à la finance, et trouvons l’apothéose, quand, parmi les adversaires de La Banque, on trouve ni plus ni moins que le Führer lui-même :

« En 1942, quand les états-majors US, britanniques et soviétiques décidèrent de se réunir en secret pour coordonner leur guerre contre Hitler, ils le firent dans les locaux de la Federal Reserve Bank de New York, et il

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n’est pas exagéré de résumer la politique mondiale du XXème siècle à une perpétuelle diabolisation des opposants à la Banque, elle-même garantie en dernière instance par la puissance militaire américaine. » (page 71)

Nous voilà en charmante compagnie. Mais ce n’est peut-être pas tellement un hasard… Démontage de "Comprendre l'Empire" d'Alain Soral - troisième partie (Lundi 7 mars 2011)

Après celle sur La Banque, cette séquence sera sans doute la plus polémique de toutes, vu que l'on va sans doute nous ressortir le "chantage à l'antisémitisme", ou les "citations hors-contexte". Pourtant, les citations douteuses, le plus souvent sans intérêt dans les thèses du livre et au détour des phrases, concernant une certaine minorité religieuse, pullulent dans le dernier opus de Soral, et le contexte n'y change rien. Florilège. Juifs et francs-maçons Les hasards, en effets, Soral n’en voit pas beaucoup. A propos des francs-maçons, réputés refuser la transparence et l’égalité : « Et ce n’est peut-être pas un hasard si le symbole de ces farouches bâtisseurs de démocratie laïque et républicaine n’est pas, comme on serait en droit de s’y attendre, le panthéon des Grecs, mais plus étrangement, le temple de Salomon… » (page 34) Francs-maçons censés avoir régné sur la démocratie française… « Et c’est sans doute parce que, désormais, les décisions qui concernent notre Nation se décident au niveau mondial dans ces nouvelles maçonneries pour l’hyperclasse que sont les think tanks style Bilderberg, CFR et Trilatérale, que la plupart de nos grands médias responsables – et plus seulement le Crapouillot – sortent de plus en plus souvent des dossiers sur le scandale que constitue effectivement le pouvoir occulte de la franc-maçonnerie régnant en douce sur la démocratie française.

Courageux médias osant enfin s’attaquer au pouvoir maintenant qu’il est ailleurs.» (page 35)

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Mais, au milieu du livre, Soral ne se rappelle plus qu’il a parlé du pouvoir de la franc-maçonnerie française comme dépassé, et nous la représente comme le pouvoir réel au présent :

« Qu’on parle du Grand Orient (50000 frères environ), omniprésent dans la politique, ou de la GLNF (43000 frères annoncés) omniprésente dans les affaires – soit la réalité du partage du pouvoir gauche/droite : la gestion du social pour les uns, celle du capital pour les autres – ou qu’on parle du moderne « Le Siècle » qui, avec 630 membres dont 150 invités, a la haute main sur la marche du pays, tous ces réseaux incarnent le mensonge démocratique par excellence. » (page 107) Donc il faudrait savoir : le pouvoir franc-maçon en France est-il obsolète ou pas ? Bon, on n’est plus à une incohérence près, d’autant que les frères ne sont qu’un amuse-gueule. Comme en témoigne le Temple de Salomon, la vraie cible est plus polémique. Ils sont partout. Soral les voit à la tête de La Banque. Cette Banque, parfois protestante (parfois catholique, notamment pour les banquiers médiévaux d’Italie ou des Flandres, mais détail que tout cela), mais surtout israélite, et de cela découlerait sa violence sociale : « Une violence assumée et encore accrue par l’idéologie de ses dirigeants et cadres, majoritairement formés à l’inégalitarisme méprisant de l’Ancien Testament… » (page 48) Ah, si seulement l’Amérique était seulement celle des cow-boys, braves pionniers et petits propriétaires chrétiens plutôt que cette Amérique des élites, dont les références seraient différentes :

« Soit l’Amérique du messianisme conquérant anglo-saxon puritain, appuyé cette fois sur le message sanguinaire et méprisant de l’Ancien Testament et du Deutéronome, afin d’étendre cette domination à la totalité du monde par la puissance de la Banque et l’idéologie du libre-échange. » (page 62) Heureusement, de bons chrétiens ont résisté.

« Une lutte pour la domination capitaliste qui atteindra son apogée au lendemain de la Première Guerre mondiale opposant, selon Henry Ford, le plus grand entrepreneur industriel américain de l’époque, l’éthique protestante du capitalisme d’entreprise anglo-saxon, décrit par max Weber, au capitalisme de pure spéculation, abstrait et cosmopolite, décrit par Karl Marx.

Ce combat frontal, typique du climat de l’Entre-Deux-Guerres, s’exprimera notamment à travers la publication d’un livre constitué

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d’articles parus entre 1920 et 1922 dans le journal d’Henry Ford, The Dearborn Independent, au titre évocateur : Le Juif international. » Ah Ford, le vrai capitaliste industriel, créateur de richesse, luttant contre le capitalisme financier apatride spéculateur… On est à mille lieues du marxisme ici, marxisme pour qui toute opération capitaliste est spéculative. Nonobstant des débordements antisémites reprochés ci et là à Marx et à Proudhon, ni l’anarchisme ni le marxisme ne se focalisent sur des questions ethniques. Il n’y a pas pour Marx de « bon capitaliste » qu’il soit dans l’industrie ou ailleurs. L’opposition entre un capitaliste industriel et national et une finance apatride est nettement plus proche du « socialisme » d’un …Hitler. Mais comme les gens de l’ethnie visée sont vraiment partout (et même dans la Collaboration !), on les retrouve dans l’entreprise communiste. Communisme qui au passage, aurait pu marcher avec le christianisme (puisque selon Soral le christianisme était devenu, après 1789, une idéologie d’opposition…).

« Une parenté évidente du communisme et du message du Christ – souvent mal identifiée par les spiritualistes à cause de leur mauvaise compréhension de ce que Marx entendait par matérialisme et qui n’a rien à voir avec le matérialisme bourgeois – qui est l’explication majeure de la grande séduction qu’opéra le communisme sur les peuples d’Europe, y compris le peuple russe orthodoxe, notamment Tolstoï. » (page 68) Magnifique séduction, qu’on aurait aimé voir à l’œuvre pour que les européens embrassent spontanément un véritable communisme, démocratique. Mais le « communisme » réel fut adopté davantage avec les bottes de l’Armée Rouge…Armée Rouge dont la brutalité n’est là encore pas étrangère à l’Ancien Testament, selon Soral :

« Un. Le financement assez peu chrétien de la révolution bolchevique russe, moteur de tout le processus du socialisme réel, par les banquiers new-yorkais souvent issus de la communauté ashkénaze émigrée d’Europe de l’Est.

Deux. L’encadrement, à travers l’appareil des partis de toutes les révolutions communistes en action dans l’Europe chrétienne, d’élites juives pour leur très grande majorité, et souvent animées d’un messianisme vengeur – parfaitement exprimé par Léon Trotski dans Leur morale et la nôtre _ typique des valeurs de la Thora et du Talmud, mais aux antipodes des valeurs chrétiennes… » (page 69)

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Soral oublie de préciser que dans ce texte de Trotski, écrit en 1938, Bronstein justifie certes les prises d’otages de la guerre civile russe qu’il a lui-même supervisées, mais dénonce également le stalinisme ; et notre penseur omet également que les actes de barbarie « contraires aux valeurs chrétiennes » ont souvent été commis par des chrétiens, baptisés et élevés comme tels, qu’ils soient russes, allemands, ou de toute autre nationalité. Et puisque les membres de la communauté visée sont vraiment partout, après avoir construit le « communisme », on retrouvera des juifs à la base du ralliement des gauchistes, tels Cohn-Bendit ou Attali, au capitalisme libéral :

« Ralliement effectué sous la férule des trotskistes, en Europe sous le nom de « libéralisme libertaire » et aux Etats-Unis sous l’appellation « néo-conservateurs ».

Une flopée de sociaux-traîtres dont énumérer les noms évoquerait immédiatement la liste de Schindler… » (page 134) Pour ceux qui n’auraient pas saisi : sur la liste de Schindler, on trouvait plus de Levy ou de Dupont ? Ceux qui nous reprocheront un « chantage à l’antisémitisme » pourront voir qu’avec ces citations, on n’est même plus dans la critique de l’idéologie du judaïsme : ce sont bien les personnes qui sont stigmatisées en fonction de leur nom. Et même s’il est vrai que nombre de dirigeants et théoriciens communistes ont été d’ascendance juive, ils n’en ont pas moins été une minorité des effectifs militants et agissants du communisme au XXème siècle, et on ne voit pas quel intérêt Soral a de les citer en priorité, sans que cela amène aucune conclusion (hormis de dénoncer les juifs comme étant à la base de tout mal, bien sûr). Quoi qu’il en soit, en France, c’est cette communauté qui « dicterait ses ordres ». Sur le site d’Egalite & Réconciliation, on peut lire plusieurs fois que seul un juif sur cinq ou six serait membre d’associations intégrant le « lobby ». Mais dans le livre, c’est bien la communauté qui est désignée :

« Le CRIF, où le gouvernement français tout entier, président de la République en tête, va prendre ses ordres, lors d’un dîner annuel, auprès d’une communauté représentant moins de 1% de la population française et défendant ouvertement, qui plus est, les intérêts d’un Etat étranger contrevenant à tous les droits de l’homme. » (page102) Au final, on ne saurait toujours pas si c’est le budget de l’Etat, notre participation à l’euro, le vote de nos ministres au Conseil européen, la participation à la guerre d’Afghanistan ou autre chose qui nous sont

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commandés par le CRIF. Ladite communauté n’est pas seulement assimilée au CRIF, elle est également rendue responsable de la « persécution » d’une autre minorité, musulmane celle-ci (persécution qui ne l’empêche pas de croître en nombre, à défaut d’avoir – pour l’instant - du pouvoir) :

« Une situation admise, paradoxalement, suite à la mise en scène médiatique, et à la mise sur la sellette politique, du « communautarisme arabo-musulman ». La Oumma, sans clergé et tiraillée entre mille influences étatiques, étant pourtant, parmi les communautés effectivement agissantes, la plus dénuée en France de pouvoir politique. Raison pour laquelle, à l’évidence, elle subit tant d’attaques. Les communautés puissantes étant, par définition, celles auxquelles on ose peu s’attaquer. Une dénonciation de la montée d’un certain communautarisme ethno-confessionnel qui a révélé surtout, par effet retour, l’incroyable pouvoir sur le débat d’idées, les lois disant le droit et la République, de cette autre communauté ethno-confessionnelle à l’origine de la diabolisation de la précédente. Soit, face à une Oumma divisée, manipulée, humiliée et finalement fictive, la toute-puissance du CRIF. » (page 109) Et ce sont encore certains membres de cette communauté islamophobe qui chercherait à défigurer notre mémoire :

« Une clique communautaire issue de nos ex-dominions du Maghreb et d’une Europe de l’Est humiliée par la Collaboration qui, après la destruction du consensus économique et social du CNR, travaillera à la destruction de son consensus moral ; au remplacement, dans l’esprit des Français, de la France combattante de Jean Moulin par celle des Papon, Touvier et autres Bousquet soit, quarante ans après, la reprise de l’épuration, inaugurée par le procès Barbie… » (page 180). Et on a envie de se demander, comme pour une célèbre marque de boisson gazeuse : mais pourquoi sont-ils si méchants (eux, de la communauté dont on ne peut dire le nom, plus les francs-macs, La Banque, les laïcards…) ? Par satanisme, tout simplement, satanisme dont les rites seraient prisés par les sociétés secrètes. Une hypothèse délirante ?

« Pas si délirante, puisque pour assumer la cruauté qu’impliquent les décisions prises au plus haut niveau par ces réseaux de domination occultes sur l’humanité souffrante – décisions générant : chômage, famines et guerres – il faut avoir renoncé aux commandements chrétiens d’humilité et de charité et avoir, littéralement, voué son âme au diable ! » (page 113)

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Le peuple américain, qui réélit pourtant le président belliciste Bush en 2004 avec une indiscutable majorité, serait-il sataniste, derrière son apparente bigoterie ? Ou peut-être est-il corrompu par de mauvaises origines, à l’instar de Sarko l’américain : « Sarkozy : margoulin aux origines et allégeances douteuses » (page 175) L’Islam et l’Empire Il est en revanche une religion que Soral n’attaquera pas : la religion du Prophète, et la complexité de la théologie musulmane développée au cours de 14 siècles qui fait que l’auteur ne s’estime pas compétent pour juger de cette religion – tandis que pour mettre en cause l’Ancien Testament et le Deutéronome, il peut. On reste cependant pantois devant le trio (au tiers persan) que Soral nous propose en tant que France « réconciliée » :

« Pourtant, la réconciliation de Jean-Marie Le Pen et de Dieudonné, sa main tendue au président Mahmoud Ahmadinejad, nouveau champion de l’insoumission musulmane et des Etats du Sud à l’ONU, n’est-ce pas cette France « Black-Blanc-Beur » dont devrait se réjouir SOS-Racisme ? » (page 195) Ou encore la présentation des guerres américaines comme des « guerres contre l’Islam » alors que ni les afghans ni les irakiens n’ont été désislamisés, et qu’à l’inverse, la communauté chrétienne d’Irak, elle, fuit son pays : « C’est au nom de l’idéologie totalitaire et belliqueuse des « droits de l’homme », qu’on bafoue aujourd’hui les droits réels des hommes réels partout sur la planète : que ce soit le droit des serbes à rester serbes en Europe, mais aussi bien le droit des musulmans à rester musulmans en Iran et en Afghanistan. » (page 202) Ou encore la finance islamique, dans laquelle Soral voit une forme de « résistance » à La Banque. Il devrait se réjouir de voir Christine Lagarde promouvoir la finance islamique en France : une « résistante » siège à Bercy !

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Démontage de "Comprendre l'Empire" d'Alain Soral - quatrième partie et fin (Mardi 8 mars 2011)

Suite et fin de cette critique du dernier livre d'Alain Soral. A ceux qui se demanderont "Mais pourquoi cet acharnement [très relatif au demeurant] contre Soral?", nous répondrons que notre divergence avec cet auteur et son association Egalité & Réconciliation est une divergence profonde et fondamentale. L'idée d'une "droite des valeurs" et d'une "gauche du travail" qui auraient vocation à s'allier est attaquée dans ce dernier volet de la série sur "Comprendre l'Empire". Nos lecteurs sauront pourquoi nous n'avons pas de liens ni même de sympathie à avoir pour E&R, bien qu'étant nous-mêmes des patriotes de gauche. Le peuple, la gauche, la droite Une fois déblayées ces confusions et aberrations soraliennes, finissons avec le fond du discours. Soral, dans son délire quasiment christique dans ses vidéos ou sur le plateau de Taddei, se réclame comme issu ou même représentant du peuple. Ce peuple, c’est quoi ? « Un peuple constitué de la petite-bourgeoisie et du prolétariat qui se côtoient d’ailleurs dans la vie réelle, comme le patron de bistrot, propriétaire de son moyen de production, et son client, l’ouvrier salarié. De groupes sociaux mitoyens et mêlés que le socialisme scientifique, au nom d’abstractions intellectuelles démenties par la réalité – à commencer par la réalité sociale et urbaine du quartier et du bistro – s’est toujours évertué à séparer et à opposer. » (page 124)

Les différences entre l’ouvrier et le taulier existent, et on ne peut les imputer toutes au « socialisme scientifique » : les tendances du vote entre ouvriers et commerçants / artisans sont forts différentes, et leurs intérêts ne sont pas nécessairement les mêmes. Après tout, rappelons que l’intérêt de l’ouvrier peut être qu’une grande surface ouvre et offre des prix moins élevés, quitte à ce que le petit commerce voisin ferme (peut-être pas le bistrot, offrant une convivialité qu’on ne trouve pas en supermarché). Si on précise que l’ouvrier salarié est un ouvrier de la fonction publique, le commerçant peut souhaiter, pour qu’on lui baisse ses impôts, qu’on supprime quelques postes dans les effectifs de l’Etat, quitte à perdre un ou quelques clients

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fonctionnaires. Le petit commerçant et l’ouvrier salarié peuvent avoir des intérêts communs (moins d’impôts pour tous, des salaires plus élevés générant plus de dépenses dans le commerce), mais ça n’a rien d’automatique ni de permanent. « Mensonge et culture imposés d’une société classe contre classe : prolétariat / bourgeoisie qui, malgré la défaite théorique de l’adversaire populiste – définitivement diabolisé en « fasciste » après 1945 – deviendra une fiction intenable à partir des années 1960.

Sociologiquement intenable à cause de l’extension, à l’intérieur du salariat, d’un secteur tertiaire de cols blancs issus des métiers de service, supplantant bientôt les cols bleus. Nouvelle caste des employés de bureau, devenant majoritaire à partir des années 1960, et dont la mentalité et la culture, toujours puisées à la praxis, inclinent beaucoup plus vers la société de consommation et de compromis que vers le combat de classe… » (page 136) Déjà, on aimerait que le « sociologue » nous prouve que les « employés de bureau » sont devenus majoritaires depuis les années 1960 : il n’existe en France aucune catégorie professionnelle qui soit majoritaire. L’INSEE classe un quart des actifs français comme « ouvriers » et 30% comme « employés ». Cette dernière catégorie étant un fourre-tout parmi lesquels on trouve des salariés faisant un travail directement productif, souvent physique, comme le font les salariés de la restauration, qui peuvent très bien être considérés comme des ouvriers d’un autre type. Les « cadres » et « professions intellectuelles » parmi lesquelles on range enseignants, faux cadres de l’administration et du privé qui n’ont de cadres que l’absence d’horaires fixes, représentent moins d’un cinquième des actifs. Mais surtout, Soral prouve une fois de plus qu’il n’a rien compris à la dénonciation marxiste de la plus-value : un employé de bureau, si son travail permet à l’employeur de récupérer une marge, est l’objet de l’extorsion de plus-value, donc de l’exploitation capitaliste. Qu’il ait plus ou moins de conscience de classe, c’est une possibilité que Marx avait déjà entrevue et qui ne change rien aux constats sur leurs intérêts de classe. Le moment de vérité approche : Soral nous donne sa préférence économique : « un régime d’économie mixte, libéral et social, résultant du programme du Conseil national de la Résistance où patriotes gaullistes et communistes, prolongeant la fraternité des combats, s’efforcèrent aussi de ne

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pas reproduire les déséquilibres des années 1930 qui avaient conduit à la guerre. » (page 176) On zappe au passage les affrontements entre communistes, gaullistes et autres droitiers pendant l’Epuration, l’exclusion des communistes du gouvernement en 1947, le désarmement des partisans opéré sous la contrainte (alliée et soviétique) en 1945… Pensons plutôt à l’avenir. Cher Alain, comment revenir à cette économie mixte, équilibrée, et sortir du règne de La Banque ? Quelle doit être notre force de Résistance ? La réponse à cette question, il nous l’a donné dès 2007, en fondant Egalité & Réconciliation, association de « la Gauche du Travail et de la Droite des Valeurs ». La fin du livre n’en est qu’un pieux rabâchage, basé sur ces définitions : « Il y a d’abord, historiquement, la définition de droite qui nous vient de l’Ancien Régime.

Définition qui voit dans la droite les valeurs positives d’honneur, de morale, de respect des anciens et de la hiérarchie. La gauche étant alors la destruction de ses valeurs par le libéralisme montant qui débouchera sur la Révolution Française ». (page 221) « Il y a ensuite la définition de gauche qui nous vient du marxisme et de la Révolution d’Octobre, pour qui ce qui définit la gauche et la droite est le rapport Capital/Travail. Est de gauche ce qui favorise le Travail. Est de droite ce qui favorise le Capital. » (page 222) « De cette première clarification des gauches et des droits, on peut déjà conclure qu’un mouvement populaire qui défend à la fois les valeurs morales et le monde du travail est de droite, selon la première définition, et de gauche selon la seconde. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe plus ni gauche ni droite et encore moins que tout se vaut, mais qu’il existe une droite morale qui est, si on y réfléchit bien, l’alliée de la gauche économique et sociale. Et, à l’inverse, une gauche amorale qui s’est révélée être la condition idéologique de la droite économique dans sa version la plus récente et la plus brutale. » (page 222) La vision soralienne est donc une histoire de trahisons : à l’échelle française, c’est la droite financière, à la solde des USA, qui a supplanté le général de Gaulle avec Pompidou puis Giscard. La gauche « du Travail », communiste ou socialiste, a été trahie par le mitterrandisme dans les années 1980.

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Pour la droite, qu’il y ait eu changement dans les années 70, c’est une chose, mais le retournement est moins évident et brutal qu’il n’apparait. Le refus de financer les déficits publics par les avances de la Banque de France ne date pas de la loi de 1973, le général de Gaulle recourut plusieurs fois à l’emprunt direct auprès des particuliers (emprunts Pinay). La loi de 73 n’est en fin de compte que la continuation du refus des « déficits sans pleurs »…même si les déficits reprirent de plus belle après cette loi – mais surtout en raison d’une crise que ladite droite était loin d’avoir programmée, crise qui a ralenti les recettes (mais certainement pas les dépenses sociales, contrairement à ce que croit Soral) et inspiré des plans de relance foireux (dont celui de Chirac en 1975). Quant à la « droite de valeurs », on est tenu par l’envie de demander à Soral de quelle droite il parle : de celle de l’Algérie Française ? La colonialiste ? Celle qui s’opposait au droit au divorce par consentement mutuel, au droit à l’avortement, au travail féminin sans autorisation de l’époux ? Que Soral le veuille ou pas, il n’y a pas de raisons évidentes de considérer que la société française du temps de son enfance (il est né en 1958) était plus morale que l’actuelle : la société des ratonnades, de la femme éternelle mineure, de l’homosexualité classée comme maladie… Pour la gauche, le constat est plus complexe que ne veut le croire l’auteur. Pourquoi la rigueur et le retournement mitterrandien de 1983 ? Peut-être tout simplement à cause de l’échec du plan de relance de Mauroy, de l’impasse budgétaire dans laquelle il a conduit, empêchant de continuer les nationalisations? Et que faire d’autre, dans un pays où les investissements des entreprises étaient tombés très bas, en raison de la hausse des prélèvements sociaux sous Giscard principalement ? La seule autre solution aurait été de changer de système économique. Et pas pour revenir au modèle « d’économie mixte libéral et social » de l’immédiat après-guerre (où l’état social était nettement moins développé, les retraités plus pauvres et l’assurance-maladie moins généreuse). Hors, quel autre modèle ? Le soviétique, qui connaissait déjà en 1980-1981 une crise foudroyante, en Pologne surtout ? Un autre modèle reste toujours à inventer, et nombre d’autres propositions sont faites aujourd’hui (sociétalisme, distributisme…). Mais le PS de 1983 n’avait pas de plan B dans ses bagages. Pas plus que le PCF. Voilà le déclin de la « gauche du travail » : l’absence de nouveau modèle pour la gauche socialiste (pas encore passée sociale-libérale),

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l’attachement à un modèle soviétique en voie de naufrage pour le PCF, qui perd déjà ses électeurs en 1981, se disperse en 1988, continue à tomber en 1993… Au fond de nous, doit-on en vouloir à ceux qui, à la droite du PS, ont pris Tony Blair en exemple ? A défaut de succès en France, ils ont le plus souvent regardé les courbes de croissance du PIB et la baisse du chômage outre-Manche. Et ils en déduisent pragmatiquement que c’est un moins mauvais modèle que le nôtre. Est-ce une trahison du peuple ? Non. Plutôt un manque d’esprit critique sur la pertinence du PIB en tant qu’indicateur de réussite, sur la pertinence des emplois générés par cette économie sociale-libérale (quand le dixième des emplois britanniques sert la finance, ne faut-il pas chercher un autre modèle économique qui donnerait une occupation plus socialement utile à ces travailleurs ?). Point de « trahison » ici : le mal est en nous, en chacun de nous, dès lors que nous ne savons pas quelle société nous voulons, comment y parvenir. Les cercles d’élite pèsent très peu de choses, quand une fraction conséquente d’un peuple prend conscience d’au moins un intérêt immédiat (ne serait-ce que sortir le régime en place). Les peuples tunisien, égyptien et actuellement libyen nous en donnent l’exemple.

Conclusion L’œuvre de Soral illustre parfaitement la vacuité du conspirationnisme : outre qu’il ne précise et n’étaie rien des ignominies reprochées à une nébuleuse floue de cercles ou réseaux dirigeants, il n’amène à aucun début de solution, même pour un seul pays, même pour des problèmes immédiats. Faut-il s’étonner de ce que la seule portée pratique du soralisme, c’est la haine, des élites, réelles ou supposées, du Banquier, de la franc-maçonnerie, des j… ?

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Democracia Real Ya...Verdadero ? (Dimanche 22 mai 2011)

En français : Démocratie Réelle maintenant...Vraiment?

Addendum au 23 Mai 2011 : Les élections municipales espagnoles ont eu lieu ce dimanche. Le Parti "Socialiste Ouvrier" Espagnol (PSOE) a subi une lourde défaite face à la droite (Parti "Populaire"). Mais l'abstention n'a pas progressé entre 2007 et 2011 et la gauche radicale (Izquierda Unida, Gauche Unie) reste à 6%. L'impact électoral de la "Révolution espagnole" semble donc minime.

Socialisme & Souveraineté n'a pas encore de position tranchée sur le mouvement de protestation qui a réunit plusieurs dizaines de milliers (centaines de milliers selon ses organisateurs) dans différentes villes d'Espagne depuis quelques jours. Ses auteurs, se disant de toutes mouvances confondues, de droite ou de gauche, conservateur ou progressistes, prétendent représenter la jeunesse et les précaires espagnols victimes de trois ans de crise et d'un chômage catastrophique.

On peut en lire le manifeste ici,

et les propositions là. Une constatation s'impose : malgré quelques propositions qui pourraient satisfaire également des gens de droite (ne plus soutenir les banques, sanctions contre les politiques absentéistes, fin de l'immunité juridique des responsables politiques, transparence des patrimoines, et une vague "réduction des gaspillages des administrations publiques"...), l'essentiel de cette programmatique relève d'une grossière sociale-démocratie type NPA ou Front de Gauche. On y trouve en effet la réduction du temps de travail comme manne essentielle de la réduction du chômage, où l'exigence de l'interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits (quand bien-même cela se concrétiserait, celles-ci en déduirait qu'il faudrait externaliser encore plus leurs effectifs, pour que des sous-traitants se chargent des éventuels licenciements...).

Paraît-il que "Democracia Real Ya" ne serait qu'une des officines les plus en vue d'un mouvement bien complexe. Mais le plus probable est que ce

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mouvement "citoyen" (au sens de: qui n'a pas la franchise d'assumer ses partis-pris idéologiques) risque de rencontrer le même souci que la gauche "radicale" en France: prétendre parler au nom du peuple sans se rendre compte que la majorité de celui-ci est loin de partager ses vues et ses réclamations "évidentes".

Notre propos peut paraître un peu sectaire, et on doit bien sûr comprendre et approuver un mouvement de révolte de ceux qui subissent les effets de la crise. Mais qu'on le veuille ou non, si l'on veut vraiment faire un changement durable, il faut d'abord réunir les idées, les discuter, en tirer des conclusions, les diffuser dans l'opinion par des messages simples, et ensuite passer à l'action. Non pas que les idées commandent la réalité. Mais, comme le disait Lénine, pas de pratique révolutionnaire sans théorie révolutionnaire...

Notre commentaire sur E. Chouard et le tirage au sort (Mardi 12 juillet 2011)

Il y a quelques jours, nous publiions la vidéo d’une conférence d’Etienne Chouard, prônant le remplacement de l’élection des représentants du peuple par le tirage au sort. Dans la construction initiale de la conférence, celle-ci a le mérite : 1) de rappeler que l’élection est bien une délégation de souveraineté du citoyen, non pas seulement vers la personne élue, mais vers ceux qui peuvent faire élire (les partis, les lobbys, les puissances d’argent). Et que les gouvernants ne devraient jamais écrire eux-mêmes la constitution. Choses que seuls les plus jeunes et/ou naïfs ignoreront, et 2) de nous rappeler les principes de la démocratie athénienne, qui, avec toutes les limites que l’on pouvait imputer à son temps, n’en gardait pas moins des avantages sur lesquels elle aurait rendu des points à nos régimes actuels. Pour un système sans déformation de la volonté populaire Le système que décrit Chouard ferait que, dans le pouvoir législatif (assemblée-s) et exécutif (pouvoir régalien), les désignés le soient par un tirage au sort sur une liste de citoyens s’étant portés volontaires. Les mandats sont courts (Chouard va jusqu’à prendre pour exemple les mandats d’un jour à Athènes, pour désigner ceux qui assistent l’assemblée), non renouvelables (de toute façon, par simple calcul des probabilités, on peut difficilement être

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désigné deux fois de suite). Et une série d’institutions servent au contrôle des tirés au sort, avant la désignation (comme l’ostracisme), ou après celle-ci (comme l’examen du lauréat, la docimasie), ou après le mandat (par la restitution de comptes). Ces trois formes de contrôles pourraient tout aussi bien s’appliquer aux élus, mais Chouard ne le remarque pas. On notera cependant un certain flou quant au pouvoir réel des tirés au sort. A plusieurs reprises, Chouard dit que les désignés n’auront pas vraiment le pouvoir, que ce ne seront que des assistants. Mais assistants de qui ? Des assemblées du peuple ? Le pouvoir législatif serait donc entre les mains de perpétuelles assemblées populaires (impossibles à réunir régulièrement sur un pays de plusieurs dizaines de millions d’habitants) ? Ou alors y aurait-il une assemblée durable, avec quelques centaines de membres désignés par tirage au sort pour un mandat de plusieurs mois au moins ? Dans ce cas, si l’assemblée nationale devait être tirée au sort, alors ses membres auront donc bien un pouvoir (législatif), peu importe que ce soit une seule assemblée qui décide sur tous les sujets sur lesquels la Constitution l’autorise à légiférer, ou que des commissions spécialisées sur chaque sujet soient créées (pour reprendre l’exemple des maliens traitant des OGM repris par Chouard). Le but de la conférence est d’expliquer que le tirage au sort serait une « bombe contre l’oligarchie », contre « le système ». Parce qu’on ne pourrait plus choisir les désignés par l’argent (qui est si déterminant dans les médias et dans les campagnes électorales, dans les réseaux d’influence qui avantagent tel ou tel candidat). Parce que la politique ne serait plus professionnalisée. Mais aussi parce que, statistiquement – en fait l’argument n’est pas clairement utilisé par Chouard, mais il pourrait le reprendre -, en appliquant le tirage au sort sur un grand nombre de personnes, on retrouverait un panel d’opinion réellement représentatif des principales opinions publiques, là où les élections permettent aux partis de déformer cette représentation, en pré-selectionnant les candidats à l’intérieur des partis, par exemple. Quelques erreurs sans gravité On peut trouver un certain crédit à ces raisons, et s’accorder avec le conférencier sur le fait que certaines critiques sont absurdes (comme lorsque la comparaison avec l’Athènes classique entraîne l’amalgame avec l’esclavagisme). Certains arguments de Chouard sont en revanche plus faibles. Par exemple lorsqu’il dit que l’élection suppose que les citoyens

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connaitraient les candidats, et que cela serait peu réaliste à grande taille. Or c’est le contraire qui est vrai : la plupart des français connaissent sans doute mieux Nicolas Sarkozy que le maire de leur commune. Pas personnellement, bien sûr. Mais le fait de vivre dans un pays relativement grand fait que le présidentiable puis président a été beaucoup plus scruté, analysé, commenté, qu’un maire de petite ville. On pouvait, en 2007, trouver partout le programme du candidat de l’UMP, lire nombre de biographies et d’articles sur sa personne. Il suffisait de le vouloir pour cerner le personnage mieux que la plupart de nos voisins de paliers. Donc Chouard se trompe lorsqu’il dit que la connaissance des élus – ou candidats – par les électeurs serait un mythe qui condamnerait l’élection sur un pays à grande échelle. Il emploie également des raccourcis impressionnants dans ses exemples : quand il parle des essais nucléaires enregistrés dans le monde depuis 1944, comme preuve de l’incompétence des élus, d’une part il simplifie énormément la question de la sécurité nucléaire (la bombe atomique ne nous a-t-elle pas évité une troisième guerre mondiale, une vraie ?), et surtout il cite des pays (l’URSS, la Chine…) dont les dirigeants ne sont ou n’étaient pas vraiment des «élus ». Ou encore, l’exemple qu’il prend sur la commission citoyenne malienne ayant statué sur les OGM, après moultes consultations de diverses parties (anti- ou pro-OGM) prouve certes que des citoyens tirés au sort ne sont pas plus incompétents que les élus (qui font eux aussi des commissions d’enquête), mais ils ne le sont pas moins (car la conclusion du style « non aux OGM car on ne sait pas à quoi ça sert ni si c’est dangereux » relève du même niveau d’inversion de la charge de la preuve qu’opèrent les élus qui, en France, veulent et votent des moratoires sur les OGM). Malgré ces quelques écarts, on peut s’accorder avec Etienne Chouard sur le fait que les tirés au sort ne seront pas plus « affreux », plus incompétents que les élus, et que le tirage au sort serait au moins aussi facile à mettre en place que l’élection sur un grand pays. Les failles de fond Les vrais problèmes qui se posent avec la thèse de Chouard ne sont pas là. Pour aller plus vite, nous les résumerons dans les points suivants, dans l’ordre croissant de gravité : - Les tirés au sort seront par définition irresponsables. Car leurs mandats seraient non-renouvelables. Quand on sait qu’on ne sera pas ré-

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embauché de toute façon, aucune raison de se presser à fournir un excellent travail. Alors certes, la menace de ne pas être réélu ne pousse pas non plus les élus à l’excellence, mais au moins ont-ils une réelle pression pour agir (même s’ils y répondent par la démagogie plus souvent que par l’excellence des choix – mais il faut dire que les électeurs sont malheureusement plus réceptifs à la démagogie qu’à l’analyse rigoureuse des bilans des élus). Les tirés au sort, même s’ils passent à la fin de leur mandat devant une commission de contrôle a posteriori, savent qu’il ne leur en coûtera pas grand-chose d’avoir été indolents et inactifs (et qui composerait ces commissions de contrôle ? Des tirés au sort ? Ils seront indolents également…) ; - Le tirage au sort interdit au citoyen qui a des idées tout espoir de pouvoir les faire passer en militant. Par exemple, dans la démocratie du tirage au sort, imaginons qu’une personne ait un projet de réforme à faire passer. Il peut créer une association, faire des conférences, des livres, se faire connaître. Mais… il n’a quasiment aucune chance d’être désigné comme député, pour des raisons arithmétiques. Il se peut, si ce militant a beaucoup de partisans dans le pays, que certains d’entre eux se retrouvent à l’Assemblée. Mais défendront-ils son projet avec la même ardeur que lui ? Et le défendront-ils tout court, en sachant ce que nous avons dit à l’alinéa précédent, qu’en fin de compte, rien n’oblige les tirés au sort à réformer le pays, puisqu’aucune réélection n’est possible ? Cette faille est très loin d’être anodine. Elle permet de comprendre ce qui étonne Chouard en fin de conférence : que des citoyens lambdas, membres de partis politiques, soient contre le tirage au sort. Le conférencier avoue ne rien y comprendre. Mais c’est parfaitement logique : quand on est militant d’un parti, et qu’on y croit vraiment (à tort ou à raison, ce n'est pas le sujet ici), on raisonne du point de vue de l’intérêt du parti, et des idées qu’il défend. L’intérêt des militants d’un parti (pas forcément des gens qui le dirigent…) est d’avoir des leviers de commande pour faire appliquer leurs idées. Dans le cadre du système électoral, un parti qui a un certain nombre de députés peut leur donner des ordres sur ce qu’ils ont à voter, en les menaçant de ne plus soutenir leur prochaine campagne électorale s’ils s’écartent de la ligne du parti. Dans un système de tirage au sort, les partis, en tant que groupement d’intérêts, en tant « qu’intellectuel collectif » (comme voulait l’être le PCF) n’ont plus ce pouvoir. Les dirigeants des partis auront peut-être les moyens de retrouver du pouvoir (cf. la critique suivante), mais les militants, eux, n’auront plus l’impression de peser sur quoi que ce soit. Ceci

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dit, ils ne pèsent déjà pas sur grand-chose en tant que simples militants. Mais le système du tirage au sort empêche le militant qui se fait connaître par ses idées d’espérer arriver personnellement aux responsabilités en se faisant élire député. Les députés seront toujours sélectionnés, par le tirage au sort, parmi une masse de gens « volontaires », qui seront tous de faits plus ou moins inactifs, puisque de toute façon ils n’avaient rien à faire pour se faire désigner. Passons à la critique qui risque de doucher les espoirs de ceux qui voient dans le tirage au sort la « bombe contre l’oligarchie ». - Du point de vue de Chouard et de ceux qui le soutiennent, les grands lobbys, les puissances d’argent, les banques, les réseaux occultes, devraient s’horrifier du système du tirage au sort. D’ailleurs, dans une logique assez circulaire, si l’on défend peu le tirage au sort dans la société française, c’est bien parce que cela gène les puissants, non ? En réalité, il n’y a aucune raison de penser que « l’oligarchie » serait mécontente d’un tel système. Imaginons simplement qu’il existe, ce système. Que deviendraient les anciens partis, les fondations qui rédigent des rapports pour eux (comme la fondation Bertelsmann à laquelle Pierre Hillard a consacré un livre) ? Disparaîtraient-ils, rouges de honte ? Non. Au contraire, leur tâche serait grandement facilitée. Car plus d’élections, ça veut dire plus de campagnes électorales à financer et à mener. Plus besoin d’essayer un tant soit peu de communiquer avec ces boulets que sont les militants de base, ces idiots qui croient qu’ils peuvent influencer la politique sans même être millionnaires. Les partis politiques se mueraient directement en associations, se finançant directement auprès des puissances d’argent les plus diverses…Et ils passeraient leur temps à acheter les députés « tirés au sort ». Alors bien sûr, ce ne serait pas possible si les mandats ne duraient qu’un jour. Mais qui pourrait y croire ? Pour traiter sérieusement des sujets, seuls des mandats de plusieurs mois seraient viables. Et dès le début du mandat, le tiré au sort verrait arriver des représentants des ex-partis reconvertis en associations, qui leur promettraient soit directement une enveloppe, soit des conférences et séminaires pour les convaincre qu’il est du plus haut intérêt du pays de faire voter telle ou telle loi. Bien sûr, ce genre de pressions existe déjà sur les élus. Mais là, les anciens partis n’auraient plus que cela à faire. Ce qui leur coûterait nettement moins d’argent que de maintenir un réseau militant. De plus, les députés tirés au sort, sans être plus bêtes ni plus vils que les actuels élus, n’en seraient pas moins des « bleus », au sens où personne ne les aurait

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préparé à la réalité de la vie de parlementaire. Alors que le militant qui poursuit son ascension dans la politique et se prépare à la députation peut voir venir ces situations de tentation. Et même si un député a l’habitude de se faire « acheter », au fur et à mesure qu’il vieillit, prend de l’expérience, s’enrichit, il devient de plus en plus dur et cher de le faire changer d’avis, de positionnement, de réseau d’appartenance. Alors que les tirés au sort seraient beaucoup plus malléables. Voilà pourquoi les oligarchies, non seulement n’auraient rien à craindre du système proposé par Chouard, mais au contraire devraient l’acclamer. Alors pourquoi ce système ne se met-il pas en place ? Peut-être parce que la réalité d’un pays comme la France est plus compliquée que celle d’une dictature des puissances d’argent : le pouvoir de celle-ci est fort, mais la grande masse du peuple français est loin d’être innocente et impotente dans la vie politique. Et un grand nombre de citoyens sont attachés à l’idée du militant, du politicien qui a des idées, qu’il aurait inventées seul ou prises au contact du peuple, qui s’en fait le tribun, et parvient jusqu’à la députation après avoir arpenté le pays et labouré l'opinion publique. Le tirage au sort casse cette perspective en donnant le pouvoir (car oui, c’est bien le pouvoir qui est en jeu, non le simple « service des citoyens ») à des gens qui n’auraient rien fait pour l’avoir. En conclusion, si l’on peut savoir gré à Etienne Chouard de vouloir lutter contre la pesanteur de partis politiques se succédant à eux-mêmes dans la pratique d’un pouvoir irresponsable et peu compétent, on conclura, à Socialisme & Souveraineté, que sa solution est loin d’être idéale. Car elle part du principe – populiste, au mauvais sens du terme – que le peuple est bon, que ce sont les élites qui sont mauvaises, et que toutes les bonnes idées sont déjà répandues au sein du peuple, et que globalement le peuple sait ce qu’il lui faut ou pas. Or les bonnes idées peuvent bien venir d’individus initialement isolés, le peuple peut être aussi avachi et incompétent que les élites, et les débats actuels (entre libéraux et socialistes, protectionnistes et libre-échangistes, pro- et anti-immigrationnistes…) révèlent des clivages si profonds qu’on ne voit pas en quoi des débats entre députés tirés au sort –de surcroît rendus irresponsables par leur mandat non-renouvelable- seraient plus à mêmes de les résoudre que des débats entre élus.