Audier, Serge - Le socialisme libéral

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Serge Audier

Le socialisme libéral

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Remerciements. Je remercie Philippe Chanial et Pascal Combe-male, qui ont relu le manuscrit de ce livre, pour leurs remarques,leurs critiques et leurs conseils. Il va de soi que les thèsesavancées et les erreurs éventuelles relèvent de ma seuleresponsabilité.

ISBN 10 : 2-7071-4711-7ISBN 13 : 978-2-7071-4711-0

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Introduction / Le socialisme libéral,une voie d’avenirpour la gauche ?

Quand les historiens analyseront les expressions surgies dans lechamp politique depuis la fin du XXe siècle, peut-être note-ront-ils celles de « social libéralisme » et de « socialisme libéral ».En France notamment, elles sont devenues banales sans que leursens soit bien défini. Péjoratives ou non, elles semblent désignerla mutation en cours des social-démocraties depuis les années1990, suite à la fin du communisme et aux changements écono-miques liés à la mondialisation libérale. En gros, partisans etadversaires de cette mutation entendent par « socialisme libéral »une redéfinition sans précédent du socialisme qui aurait renoncé,ouvertement ou non, à ses thèmes classiques : non seulementla lutte des classes et la défense du monde ouvrier, mais aussil’intervention de l’État dans l’économie et la protection sociale,une politique de solidarité visant à protéger les individus, unelarge redistribution des richesses, l’impératif sinon d’un dépasse-ment, du moins d’une domestication forte du capitalisme, etc.Le socialisme libéral désignerait donc l’avenir, souhaitable ouredouté, d’une social-démocratie ayant plus ou moins rejeté cesformes d’intervention et convertie aux vertus du capitalisme,moyennant quelques encadrements et correctifs. La distinctionentre gauche et droite ne serait plus dès lors de nature mais dedegré : on a pu voir ainsi dans le socialisme libéral une voiecentriste recevable tant par la droite que par un « libéralisme degauche » très modéré. Aussi l’idée de socialisme libéral fut-elle

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applaudie, en France, dans les cercles de la droite libérale. Pour-tant, tout indique que cette issue idéologique aurait stupéfait lescréateurs du socialisme libéral et qu’ils y auraient vu une trahisonde leurs idéaux.

L’objectif de ce livre est précisément de sortir le socialismelibéral de ces confusions en montrant qu’il ne correspond pas àla vulgate dominante. Car il faut se méfier des erreurs de filia-tion faisant du centre-gauche du début du XXIe siècle, voire duParti démocrate américain, des exemples de socialisme libéral.Certes, le sens des mots est conventionnel, mais si l’on entendpar socialisme libéral une tendance politique et intellectuelle quia réellement existé et s’est ainsi désignée, alors celle-ci n’a pasgrand-chose à voir avec l’acception commune. Pour le prouver,une généalogie s’impose afin d’exhumer cette tradition oubliée.Si l’idée de socialisme libéral a été défendue dans bien descontextes, c’est surtout en Italie qu’elle s’est imposée, quoiquetrès minoritairement. Le livre le plus connu de ce courant, Socia-lisme libéral (1930), est l’œuvre du socialiste et antifasciste CarloRosselli. Contre le libéralisme « bourgeois » et le totalitarismecommuniste, il prônait une refondation du socialisme évitantune double impasse : celle d’un libéralisme économique tropconfiant dans les vertus du marché et indifférent aux injus-tices, et celle d’un socialisme menacé de dérives autoritaires pourn’avoir pas intégré les acquis du libéralisme politique : défensedes droits de l’individu, distinction entre « société civile » et État,rôle du pluralisme, place du marché, etc. Les penseurs du socia-lisme libéral et du « libéralsocialisme », tel Guido Calogero,savaient que cette doctrine était déconcertante pour les libé-raux : ainsi, Benedetto Croce, bien qu’inspirateur indirect de cecourant, jugeait l’idée de libéralsocialisme incohérente — sorte de« licorne », de « bouc-cerf » ou de « poisson mammifère », selonles mots de Calogero.

De fait, l’histoire moderne a été le théâtre d’un conflit entre« libéralisme » et « socialisme ». Le premier désigne un courantcomplexe qui s’affirme aux XVIIe et XVIIIe siècles contre l’absolu-tisme monarchique, autour d’événements décisifs — la GloriousRevolution de 1688 — et d’œuvres fondatrices — de Locke à

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Montesquieu et Smith — en défendant certains thèmes clés : latolérance religieuse, la protection des droits individuels, leconstitutionnalisme, la distinction entre société civile et État, lerôle bénéfique du libre-échange, etc. Dans sa version vulgarisée,que résume souvent la formule « Laissez faire, laissez passer », lelibéralisme économique pose que l’État, quoique indispensable,doit en principe limiter son intervention à la protection despersonnes et des biens, voire à certains services d’intérêt public :pour le reste, le marché assurera l’harmonie générale dansl’intérêt du plus grand nombre. Ce discours libre-échangiste, quis’épanouira au XIXe siècle, se heurtera cependant, avec la révolu-tion industrielle, à la critique « socialiste ». Courant multiforme,porté dans les années 1810 en Angleterre par Robert Owen et sonmouvement coopératif, le socialisme se définit lui aussi diverse-ment. On peut, avec Élie Halévy dans son cours posthume surl’Histoire du socialisme européen, le résumer grossièrement en cestermes : « Il est possible de remplacer la libre initiative des indi-vidus par l’action concertée de la collectivité dans la produc-tion et la répartition des richesses. » Aussi le socialisme a-t-il faitl’objet de critiques virulentes des économistes libéraux. L’antiso-cialisme a même été une tendance lourde de la pensée écono-mique, qui englobait aussi dans son refus les projets de solidaritéportés par les « républicains ». Or il est significatif que la quasi-totalité des théoriciens du « socialisme libéral » se soient définisou comme « socialistes » ou comme « républicains », mais trèsrarement comme « libéraux ».

Ce n’est qu’à la lumière de cette hostilité jamais éteinte deséconomistes libéraux pour les socialistes, mais aussi pour lesrépublicains, que l’on peut saisir le sens du socialisme libéral.Car, loin d’être le fruit naturel de la doctrine libérale, celui-cis’est imposé contre le libéralisme économique et son antisocialismedoctrinal. Le seul grand courant dit « libéral » qui se soit ouvertau socialisme a été le « nouveau libéralisme » anglais, esquissépar John Stuart Mill puis théorisé par Thomas Hill Green etLeonard T. Hobhouse : encore doit-on rappeler qu’il visait àdépasser les limites du libéralisme classique jugé incapable de

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résoudre la question sociale et de légitimer un rôle accru de l’État.Aussi a-t-il exercé une influence sur le socialisme libéral.

Pour prouver l’irréductibilité du socialisme libéral au libéra-lisme classique, on examinera la rupture historique que marquele « nouveau libéralisme » (chapitre I), avant d’exhumer l’origi-nalité de la voie française, portée surtout par les républicains(chapitre II), et d’analyser la complexité du courant italien(chapitre III). Notre hypothèse sera que le socialisme libéral, loind’être une simple version ou interprétation du libéralisme clas-sique, ouvre, au-delà de sa diversité, une voie originale. Car lelibéralisme, par son évolution interne, ne pouvait muter spontané-ment en socialisme libéral. Celui-ci n’a pu naître que par l’inté-gration d’un triple héritage : celui du libéralisme politique— protection de la liberté individuelle, tolérance, distinctionentre société civile et État, place du marché, etc. ; celui du républi-canisme — recherche du « bien commun », rôle clé du civisme,complémentarité entre liberté et égalité ; et enfin, indissociabledu mouvement ouvrier, celui du socialisme — exigence dedépasser ou du moins de réguler collectivement le capitalismeselon un idéal de justice. Cette généalogie d’un domaine très peuexploré soulignera le caractère créateur de cette synthèse, et invi-tera à réfléchir sur son actualité : que pourrait être une positionsocialiste libérale au XXIe siècle ? L’examen des perspectivescontemporaines (chapitre IV) confirmera que ce courant n’est pasune simple adaptation de la social-démocratie au capitalisme :renouant avec la tradition socialiste et républicaine, il vise àrendre effectives la citoyenneté et la solidarité, dans une relationcritique aux principes du libéralisme économique.

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I / Le « nouveau libéralisme » :révision ou mutation du libéralisme ?

Si le socialisme libéral a des origines diverses, l’une d’elles est le« nouveau libéralisme » anglais. Ainsi, l’italien G. Calogero, touten évoquant le républicanisme de G. Mazzini qui concilie libertéet solidarité, mentionne l’idée de « socialisme libéral » avancéedans Liberalism [1911]* de L.T. Hobhouse, artisan majeur du NewLiberalism. Ce courant tardif de l’ère « victorienne » (1837-1901)a transformé le « vieux libéralisme » en justifiant l’interventionde l’État pour affronter la question sociale, loin des dogmes dulaisser-faire et de la liberté des contrats que la lutte anti-protec-tionniste de R. Cobden avait diffusés avec la création àManchester de la Ligue pour l’abolition des lois sur le grain (1839).L’école dite de Manchester défendait ainsi un libre-échangismehostile aux syndicats naissants et à l’intervention de l’État.Toutefois, alors que la montée du syndicalisme et du socialismepousse à une forte législation sociale, Cobden et ses discipleséchouent à convertir les ouvriers. Dans ce contexte, marqué aussipar l’avènement de la démocratie politique, le libéralisme évolue.Si sa version dogmatique prospère avec H. Spencer, défenseur de« l’individu contre l’État », une transformation s’opère : d’abordavec J.S. Mill, ensuite avec l’école « néo-hégélienne » deTh. H. Green, enfin avec L.T. Hobhouse — et J.A. Hobson — quilégitime l’action de l’État lors des réformes sociales (législation

* Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.

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sur le temps de travail, assurances santé, retraites, réforme fiscalevisant les hauts revenus, etc.) du gouvernement libéral auxaffaires de 1905 à 1915, qui rompt avec les dogmes libéraux.Aussi faut-il discuter la thèse, aujourd’hui dominante, qui fait duNew Liberalism une simple « révision » de la doctrine classique :peut-être s’agit-il plutôt d’une mutation touchant les fondementsde la doctrine, comme en témoigne son incorporation de tout unpan du républicanisme, notamment celui de Mazzini [1847]. Cepoint est d’autant plus important que la postérité du « nouveaulibéralisme » suscite des analyses divergentes. Longtemps, il futérigé en précurseur indirect du keynésianisme et du modèle deprotection sociale anglais institué après 1945 sous l’influence deBeveridge. Toutefois, avec l’avènement en 1995 du nouveau Partitravailliste de T. Blair, le New Labour, et sa doctrine la Third Wayqui entendait rénover radicalement la social-démocratie, le« nouveau libéralisme » a été valorisé par les intellectuels quidéfendaient un « libéralisme social » en harmonie avec le capita-lisme contemporain. C’est désormais un lieu commun de faire duNew Labour l’héritier du New Liberalism ou de voir en J.S. Mill un« authentique libéral de gauche pré-blairiste » (A. Laurent). Il sepourrait toutefois que, au-delà d’affinités superficielles, ces filia-tions rapides, qui négligent trop les contextes historiques, soientpeu fondées, tant elles ignorent des pans entiers du « corpus ». Ilfaut donc revenir aux textes sans a priori idéologiques.

Le tournant social du libéralisme : J.S. Mill

L’évolution de J.S. Mill marque un tournant du libéralisme.Proche des thèses de son père James Mill, ami de Bentham etfigure du « radicalisme philosophique », il en viendra, après sacrise personnelle de 1826, à transformer la doctrine utilitaristeet à se détacher des dogmes du libéralisme économique. SonAutobiographie [1873] rappelle l’importance de sa rencontre avecle courant saint-simonien, vers 1830 : la critique des « doctrinescommunes du libéralisme » lui semblait « regorger de véritésimportantes » démontrant la valeur relative et temporaire de la

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« vieille économie politique qui part de la propriété privée et del’héritage comme d’axiomes inattaquables et voit le dernier motdu progrès social dans la liberté de la production et del’échange ». De plus, en posant l’« égalité absolue de l’hommeet de la femme », le saint-simonisme, avec le socialisme d’Owenet de Fourier, méritait la « reconnaissance des générationsfutures ». Longtemps, Mill n’alla donc guère plus loin que la« vieille école des économistes » : la « propriété privée » etl’« héritage » lui semblaient le « dernier mot de la législation ».Bref, il était un « démocrate », mais « pas le moins du monde unsocialiste ». Or son « hérésie » devait le porter, sous l’influence desa future épouse Harriet Taylor (1807-1858), vers un idéal qui lesrangeait tous deux « catégoriquement sous la bannière socia-liste ». Tout en rejetant la tyrannie de la société sur l’individu,ils projetaient un nouvel état social qui ne serait plus « diviséen oisifs et industrieux » et résoudrait le problème social futur :unir la plus grande liberté d’action individuelle à une « propriétécommune des matières premières du globe » et à une « partici-pation égale de tous aux profits de l’association du travail ».Marqué favorablement par la révolution de février 1848 enFrance, Mill avance ces thèses dans la deuxième et surtout la troi-sième édition (1852) des Principes d’économie politique [1871]. Lesposthumes Chapitres sur le socialisme [1879] confirmeront sonintérêt, avec plus de distance, pour ce courant hostile aulibéralisme.

Contre le paternalisme :l’émancipation des femmes et des travailleurs

Les divers aspects de la pensée de Mill sont indissociables.Comme théoricien politique, il prône une extension du suffrageet, après Tocqueville, un essor des libertés locales permettantl’autogouvernement des citoyens ; comme militant féministe, ildéfend, avec H. Taylor, l’égalité civile et politique des deuxsexes ; comme économiste et réformateur social, il appuie l’aspira-tion du mouvement ouvrier à l’autonomie. Si l’émancipationféminine est pour lui la tâche urgente face à des préjugés

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millénaires, celle des travailleurs participe d’un même combatcontre la domination.

Face aux élites qui prônent, contre la misère ouvrière, une poli-tique philanthropique et paternaliste renouant avec les hiérar-chies sociales médiévales, Mill défend l’auto-éducation destravailleurs afin qu’ils prennent eux-mêmes en charge leur destingrâce à l’organisation autonome des coopératives de productionet de consommation [Mill, 1845 ; 1871, vol. III, p. 758-796]. Sila protection des « supérieurs » était censée jadis protéger les plusfaibles, ces « soi-disant protecteurs » sont devenus une menacetant pour les femmes subissant la « tyrannie » de leur mari quepour les ouvriers subissant l’oppression patronale. Ceux-ci pren-nent conscience de leurs intérêts propres : la montée du débatpublic en leur sein les conduit à ne vouloir plus compter quesur leurs forces. Aussi faudra-t-il abolir le rapport de domina-tion au cœur du lien salarial, en substituant à l’entreprise capita-liste l’organisation coopérative. Le concept d’association éclaire lesmodalités de cet autogouvernement économique : ou bien,parfois, l’association des ouvriers avec l’entrepreneur, ou bien,plus généralement, l’association des travailleurs entre eux. Ainsisera dépassé le conflit entre travail et capital en vue d’une coopé-ration sociale harmonieuse.

Prendre le socialisme au sérieux

Contre l’abstraction de l’économie politique postulantl’immutabilité des « conditions sociales », il faut donc distin-guer les lois de la production des richesses et celles de leur distri-bution [1871, vol. II, p. 199] : les premières, selon Mill, obéissentà une nécessité naturelle, tandis que les secondes dépendent desinstitutions. Les biens pouvant être distribués diversement, lapropriété n’est pas un droit immuable : même l’individu ayantproduit lui-même un bien ne peut en jouir sans la protection desa communauté. Il y a une variabilité historique et anthropologiquede la distribution. Si les socialistes l’ont montré, leurs projetssont-ils pour autant recevables ? Mill pose un critère expéri-mental pour juger le « communisme » — celui d’Owen

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notamment —, forme radicale du socialisme prônant l’aboli-tion de la propriété privée. En rupture totale avec les libéraux,il estime que s’il fallait choisir entre « l’état présent de la sociétéavec toutes ses souffrances et injustices » et le communisme,alors les problèmes de celui-ci seraient comme une « poussièresur la balance ». De même, la propriété privée serait à rejeter sielle engendrait nécessairement les maux actuels : une distribu-tion des biens en proportion inverse du travail fourni pour lesproduire — ceux qui subissent les conditions les plus duresgagnant le moins, et ceux qui peinent le moins gagnant le plus.Mais l’examen empirique ne rejette pas non plus définitivementla propriété privée. Car les lois sur la propriété en Europe nerespectent pas les principes offrant la véritable justification de lapropriété privée : à l’origine, la propriété privée dérive non dutravail, mais de la conquête — usurpation initiale qui perdure.Ainsi, des lois injustes ont institué la propriété sur des chosesqui n’auraient pas dû en relever, et ont accordé une « propriétéabsolue » là où aurait dû prévaloir une « propriété relative ». Ceslois ont cumulé les avantages pour les uns, les obstacles pourles autres, violant l’égalité des chances. Si celle-ci n’est pas tota-lement réalisable, on peut corriger les inégalités de départ parune législation qui, en respectant le principe de la propriétéprivée, favorise la diffusion de la richesse et la subdivision desgrands domaines. Le principe de la propriété individuellen’implique donc pas inéluctablement les injustices sociales quedénoncent avec raison les socialistes. Le juste principe d’uneproportion entre travail et rémunération doit être un critère pourcorriger les lois allant en sens contraire, comme celles surl’héritage.

Réaliser la justice sociale exige aussi deux conditions : l’instruc-tion universelle et une « juste limitation » de la population. Sanselles, ni le communisme ni aucun autre système n’éliminera lamisère ; inversement, une fois réunies, la pauvreté disparaîtra,même avec les institutions existantes. Aussi faut-il juger prudem-ment le projet socialiste d’abolition de la propriété privée :« Nous sommes trop ignorants de ce qui peut être réalisé ou bienpar le système individuel (individual agency) dans sa forme la

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meilleure ou bien par le système socialiste dans sa forme la meil-leure pour pouvoir décider laquelle des deux sera la forme finalede la société humaine » [1871, vol. II, p. 208]. Le choix dépendrade leur compatibilité avec le plus grand degré possible de spon-tanéité et de liberté. Or l’organisation rigide du communismeprésente à cet égard des dangers. Mill préfère un socialismemoins égalitariste, respectant l’intérêt individuel et la coopéra-tion spontanée, tel l’associationnisme de Fourier, malgré seslimites. Il rejette en revanche le socialisme révolutionnaire [Mill,1879]. Mais la faiblesse du socialisme en général tient à saméfiance pour la concurrence, alors qu’elle empêche les mono-poles et incite à travailler et innover [1871, vol. III, p. 794]. S’ilne rejette donc définitivement ni le socialisme ni le commu-nisme, la solution pour Mill réside plutôt, à moyen terme, dansl’amélioration constante du système de la propriété privée parla participation de tous à ses bénéfices. D’où la nécessaire actiondes pouvoirs publics afin d’empêcher la concentration desrichesses par une restriction du droit d’hériter et du droit depropriété — en particulier pour la propriété foncière — et par uneaction législative visant à protéger les conditions de travail et àdiffuser l’éducation.

Vers un libéralisme social-écologiste ?Les impasses de l’imaginaire capitaliste

Si les bienfaits de la concurrence sont sous-estimés par lessocialistes, celle-ci n’est pas une valeur absolue mais un moyen,dans l’état actuel de l’humanité. La vision de la bonne sociétéchez Mill rompt en effet avec les valeurs capitalistes. CommeTocqueville, il critique la mentalité commerçante moderne etsouligne, contre le culte du travail, la place du loisir pour la réali-sation des plus hautes facultés. En outre, il dénonce les désastresenvironnementaux du productivisme à travers son tableau del’« état stationnaire » caractérisé par une stabilisation du capitalet de la richesse [Mill, 1871, vol. III, p. 752-757]. L’intérêt de savision, comparée à celle de Ricardo et de la « vieille école » (oldschool) des économistes, réside dans l’horizon heureux qu’ouvre

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selon lui cet « état » si les naissances sont limitées — ce quisuppose l’émancipation des femmes. Les individus, cessantd’accumuler la richesse pour elle-même, renonceraient à leurconcurrence acharnée pour coopérer et réaliser leurs plus noblesfacultés. Absurde est en effet le désir des riches de doubler leursmoyens de consommer des choses qui ne sont que des signesostentatoires de richesse. Mill déplore la frénésie du commercedes Américains où « la vie de tout un sexe est consacrée à lachasse aux dollars (dollar-hunting) et la vie de l’autre sexe à éleverdes chasseurs de dollars ». Le meilleur état de l’humanité seraitcelui où personne n’est pauvre ni ne désire devenir plus richequ’autrui. Seuls les pays « arriérés » doivent chercher un accrois-sement productif. La société juste visera donc une équitable répar-tition des richesses et du travail — grâce à l’instruction généraliséeet une législation sur l’héritage limitant la somme que chacunpeut recevoir par succession ou donation à ce qui garantit uneindépendance modérée [Mill, 1871, vol. II, p. 225] —, ce quiempêchera les grosses fortunes sans décourager l’effort. Il y auracertes des progrès techniques, mais dont le but sera la réductiondu temps de travail en vue d’activités plus élevées.

Mill défend l’idéal, incompatible avec la concurrencemoderne, d’une vie « frugale », solitaire et contemplative oùchacun pourrait admirer les beautés de la nature. Préserver lemilieu naturel est « utile » à l’individu et à la société car « il n’y apas de grande satisfaction à contempler un monde où rien neserait laissé à l’action spontanée de la nature », où « tous lesquadrupèdes ou oiseaux qui ne seraient pas domestiqués pourl’usage de l’homme, seraient exterminés comme des rivaux » etoù toute plante sauvage serait arrachée au nom des progrès del’agriculture. On mesure l’abîme séparant le libéralisme social etécologiste de Mill des valeurs du capitalisme. D’où l’hostilité àson égard de « néolibéraux », tel F. Hayek. Et loin d’anticiper uncentre-gauche en harmonie avec le capitalisme, il préfigure lesthèses de l’économiste H. Daly — élève du théoricien de la« décroissance » N. Georgescu-Roegen — qui avancera en 1977l’idée d’« économie stationnaire ».

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Le « néo-hégélianisme »de Green : libéralou républicain ?

Si la critique par Mill des libéraux clas-siques ouvre des perspectives, c’est le« nouveau libéralisme » qui opérera unerefonte doctrinale, suite à l’école« néo-hégé l ienne » de T.H. Green(1836-1882) qui intègre une traditionalors marginale, l’idéalisme allemand deKant, Fichte et Hegel. La lecture deHegel par J.-H. Stirling (The Secret ofHegel, 1865) et E. Caird (Hegel, 1883)a des implications théologiques etsociales explorées par Green. Au BalliolCollege d’Oxford, il a marqué sa géné-ration par son engagement social théo-risé dans sa critique de l’orthodoxielibérale. Réfutant l’individualisme et leséthiques hédonistes, il défend unenotion communautaire du sujet,d’inspiration religieuse, fondée surl’idée d’autoréalisation (self-realization)personnelle et sociale. Déjà Mill avaitinfléchi l’utilitarisme de Bentham ensoulignant le rôle du devoir et dudévouement, mais Green va plus loinavec sa morale du perfectionnement desoi (self-perfection) visant aussi le perfec-tionnement des autres, selon l’exigencedu « bien commun ». La notion de« reconnaissance », cruciale dans l’idéa-lisme allemand, sous-tend son idée de« liberté positive », distincte d’uneliberté négative, réduite à l’absence decontrainte, de certains libéraux : êtrevraiment libre, ce n’est pas suivre soncaprice quitte à nuire aux autres, maisavoir la capacité positive (a positivepower or capacity) de faire ou de jouir dequelque chose qui en est digne, et ceen commun avec les autres [Green, 1881,p. 371]. Un individu n’est pas vraiment

libre s’il s’impose aux dépens des autreset la société n’est pas un agrégat d’indi-vidus. Les libéraux comme Locke croientà tort en des « droits naturels » dans un« état de nature » — alors qu’il n’y a dedroits que reconnus par la société enréférence au « bien commun ». Lapropriété chère aux libéraux n’a pas cestatut par nature : elle n’existe quegarantie par la société. Se référant à unetradition étrangère au libéralismemoderne, Green renoue avec Aristote etl’idée de l’« animal politique » : « Endisant que la cité était une institution“naturelle” et que l’homme était phuseipolitikos [politique par nature], Aristote[…] donnait une doctrine des “droitsnaturels” dans le seul sens où elle estvraie » [Green, 1880, p. 363]. Cettepriorité accordée au civisme situe Greendans une filiation qui est ici bien plusrépublicaine que libérale. Sur ces bases,il défend [1881] l’« interférence » del’État contre le dogme libéral de laliberté des contrats qui doit être limitéesi elle met aux prises des êtres tropinégaux, la force de travail étant unemarchandise spécifique qui concerne lespersonnes. D’où le devoir de l’État deposer des restrictions pour lever lesobstacles à la liberté de tous, en parti-culier des plus faibles — femmes etenfants — grâce aux lois sur le travail,l’hygiène, l’éducation. Loin d’être unobstacle, la loi peut ainsi libérer lesindividus pour en faire des citoyens.Certes, il vaudrait mieux que la sociétérésolve elle-même ses problèmes, maisl’expérience montre que l ’actionétatique est nécessaire, même pourpromouvoir les conditions de la mora-lité, notamment en luttant contrel’alcoolisme — un type d’action queMill, dans De la liberté (1859), avaitenvisagé et refusé.

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Encore modeste, la justification parGreen de l’action de l’État sera ampli-fiée par son disciple David Ritchie(1864-1929) : The Principles of StateInterference [1891] dénonce la« maladie métaphysique » consistantdans la croyance en un « individuabstrait » — comme si l’individu pouvaitexister hors de tout lien communau-taire — et dans l’opposition entre l’Étatet l’individu. Il critique Mill et les libé-raux qui croient que « le pouvoir obtenupar l’État est arraché à l’individu, et,inversement, que tout le pouvoir que seprocure l’individu se réalise aux dépensde l’État » [1891, p. 12]. De même, lasociété est irréductible à un « agrégatd’individus » : le citoyen d’un État et lemembre d’une association n’ont pas lamême relation au « tout » qu’une pierreà un tas de pierres. Certes, l’interven-tion étatique pose des problèmes queles libéraux aiment souligner. Maisl’action de l’État n’implique pas toujoursl’action directe du gouvernementcentral : la « municipalisation » peutêtre préférable à la « nationalisation ».Pour les grandes industries au capitalimpersonnel, la responsabilité de lagestion par le gouvernement (centralou local) peut être souhaitable. Ainsi,avec la souveraineté populaire, l’opposi-tion libérale entre l’individu et l’Étatdevient caduque : l’État, c’est « nous »,et les sociétés démocratiques exigentson action croissante. Un État fort etvigoureux doit stimuler un individua-lisme fort et vigoureux, si l’on entendpar là non l’égoïsme étroit, mais larecherche par chacun de son bien-êtredans le bien-être de sa communauté.Ce rejet de l’orthodoxie libérale estreformulé par un autre disciple deGreen et de F.-H. Bradley, BernardBosanquet (1848-1923). Dans The

Philosophical Theory of the State [1899],qui se réfère aussi à Ritchie, il réfute lelibéralisme de Mill : bien qu’ayant un« sens profond de la solidarité », celui-citraite « la vie centrale de l’individucomme quelque chose qu ’ i l fautprotéger avec soin contre l’impact desforces sociales ». Au fond, « l’idée del’individualité chez Mill est pleinementmarquée par la tradition bentha-mienne selon laquelle la loi est un mal »[1899, p. 60]. Bosanquet avance unevision « moniste » de l’État radicalisantl’hégélianisme de Green : son livre estlargement consacré à l’idée hégéliennede l’État ainsi qu’à la redéfinition de lathéorie rousseauiste de la « volontégénérale » (il s’ouvre par une citation enfrançais de l’Émile).

Cependant, le néo-hégélianisme asuscité, au sein même du « nouveaulibéralisme », les objections deL.-T. Hobhouse dans The MetaphysicalTheory of the State. A Criticism (1918).En pleine guerre, il dénonce Hegel et la« théorie hégélienne de l’État-Dieu » :« Avec cette doctrine prit naissance laplus insidieuse et la plus subtile desinfluences intellectuelles qui ont minél’humanitarisme des XVIIIe et XIXe siècles. »Toutefois, Hobhouse a intégré desé léments du néo-hégé l ianisme deGreen et de son école, dont la matriceconceptuelle est au moins autant répu-blicaine que libérale.

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Le « nouveau libéralisme » de Hobhouse

Le « nouveau libéralisme » trouve une théorisation achevéeavec le sociologue L.-T. Hobhouse, formé à Oxford, marqué parla lecture de Mazzini, Mill et Green — malgré ses critiques du« néo-hégélianisme ». Grâce à son activité d’éditorialiste, depuis1897, dans le libéral et progressiste Manchester Guardian, cetuniversitaire, titulaire de la première chaire de sociologie àLondres en 1907, a joué un rôle décisif — avec d’autres« nouveaux libéraux » comme J.-A. Hobson [1901] — dans la justi-fication de l’intervention sociale de l’État contre les « vieux libé-raux ». Dans Liberalism [1911], il formule ses thèses et l’idée de« socialisme libéral ».

Grandeur et limites du libéralisme classique

Le libéralisme, principe d’organisation fondé sur la liberté, arenversé les « vieux principes d’ordre social » hiérarchiques etautoritaires : son rôle a été selon Hobhouse plus « négatif » que« constructif » [1911, p. 8]. Pour qu’il dépasse cette fonction, ildoit se renouveler à partir de ses thèmes clés. Les « éléments » dulibéralisme sont la liberté civile contre l’arbitraire gouverne-mental — d’où la liberté fiscale, la taxation devant échapper auxcaprices du pouvoir —, la liberté personnelle incluant liberté depensée et liberté religieuse, la liberté sociale qui ouvre à tousl’accès à toutes les fonctions, la liberté économique contre l’arbi-traire douanier, la liberté familiale qui abolit le pouvoir absoludu mari, la liberté locale, raciale et nationale reconnaissant le droità l’autogouvernement, la liberté internationale qui refuse laviolence militaire arbitraire, enfin la liberté politique et la souve-raineté populaire. On peut reprocher à cette typologie d’occulterl’histoire réelle du libéralisme — en sous-estimant, par exemple,l’hostilité de nombreux « libéraux » à la démocratie — et demobiliser des concepts qui, loin d’être partagés par tous les « libé-raux », appartiennent autant voire davantage au courant « répu-blicain ». Hobhouse souligne en effet que, pour le libéralisme, laliberté et la loi ne sont pas antithétiques : si la loi impose des

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restrictions à la liberté de certains, c’est pour préserver celle desautres. Le règne de la loi impartiale permet la liberté de la commu-nauté tout entière. Ce pourquoi la liberté et l’égalité ne sont pasopposées : la lutte pour la pleine liberté, poussée jusqu’au bout,est aussi une lutte pour la pleine égalité.

Mais le « premier libéralisme » n’a pas rempli ces exigences eta conduit à des impasses doctrinales. Ainsi, la lutte contre l’auto-ritarisme étatique et religieux s’est fondée sur une « supposéeharmonie de l’ordre naturel ». L’échec du « vieux libéralisme »s’accentue avec l’« école de Manchester » et la défense opti-miste par Cobden du libre-échange — le commerce étant conçucomme un facteur d’unification et de paix internationale. D’oùun projet centré sur la diminution des dépenses et des impôts,etc. Cette vision du gouvernement était bien trop restreinte, aumoment où le capitalisme avait rendu les ouvriers totalementdépendants de leurs patrons, suscitant le scandale public dutravail des femmes et des enfants. Même Cobden a concédé quele « libre contrat » ne concerne pas les enfants : incapables denégocier, ils ont besoin de la protection de la loi. Mais l’argu-ment ne s’appliquait-il pas aussi aux adultes ? Soit un patronoffrant du travail à 500 ouvriers, et négociant avec l’un d’eux quidépend de ce travail pour vivre : s’ils divergent sur les termes ducontrat, le premier perd certes un travailleur, mais il en a encore499 pour faire sa tâche, tandis que l’autre est, de fait, condamnéà mort. Où est ici la liberté du contrat ? Aussi les ouvriers ont-ilsrééquilibré, en s’associant, le rapport de forces. La lutte syndicales’imposait d’autant plus que manquaient des lois protégeant lessalariés. Peu à peu s’est développée une législation, garantie parl’État, pour tous les ouvriers, contrôlant les conditions et horairesde travail. Contre le dogme libéral du libre contrat entre indi-vidus isolés, le système industriel se base désormais sur les condi-tions prescrites par l’État, et, dans ce cadre, repose sur les accordscollectifs entre associations de salariés et patrons.

L’idée que ces lois seraient liberticides obéit au postulat que laliberté est l’antithèse de toute limitation. Or la liberté véritable,ou « liberté sociale » (social freedom), n’est pas celle d’un indi-vidu aux dépens d’un autre, mais celle de tous les membres de la

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communauté. Ainsi, la liberté ouvrière dépend des limitationsimposées à l’arbitraire patronal. De même, le « vieux libéra-lisme » a tort de défendre le droit absolu de propriété privée endénonçant dans toute « taxation socialiste » une violation de laliberté. Même du point de vue libéral, la propriété absolue n’estpas toujours défendable : ainsi du « monopole de la terre » quinuit à la « libre concurrence ». Un libéral « individualiste » consé-quent pourrait même marcher ici sur des « lignes parallèles àl’ennemi socialiste ». En outre, ce monopole de la terre peut offrirà son propriétaire un enrichissement soudain dû à la croissancedémographique et à la construction urbaine. L’augmentation devaleur de son terrain ne lui doit rien, mais doit tout au progrèsgénéral de la collectivité. Un autre cas de monopole est celui oùla concurrence est impossible : gaz, électricité, etc. Face au risqued’abus des monopoles privés aux dépens des consommateurs, ilfaut un « contrôle public » ou une « propriété publique ».

Pour l’intervention sociale de l’État

Mill a certes ouvert la voie en plaidant pour le contrôle descontrats conclus sur des bases inégalitaires, même s’il a été tropréticent à étendre ce principe aux adultes. Mieux, il s’estrapproché du socialisme en défendant une « organisation coopé-rative de la société » : son Autobiographie offre ainsi, selonHobhouse, un bon exposé du « socialisme libéral » (Liberal Socia-lism). Mais il est resté trop lié au « vieux libéralisme » dans savision de la liberté qui distingue deux types d’actions : celles quiregardent l’individu lui-même et celles qui concernent la collec-tivité. Suivant ce principe, les opinions et la moralité d’un indi-vidu n’ont pas d’importance sociale. Au contraire, selonHobhouse, ce que pense et fait un individu intéresse la société,non pour le surveiller, mais en vue de son autonomie, condi-tion même d’une communauté libre. Aussi la liberté est-elle une« nécessité de la société » plus qu’un droit individuel : « Elle ne sebase pas sur la prétention de “A” d’être laissé en paix par “B”,mais sur le devoir de “B” de traiter “A” en être rationnel. » Il estdonc injuste de « laisser en paix le crime ou l’erreur » : la société

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doit traiter le criminel ou l’ignorant comme des « êtres capablesde droit et de vérité ».

Hobhouse théorise ainsi, après T.-H. Green, un « concept orga-nique (organic conception) des relations entre individu etsociété » : si la vie de la société résulte des relations entre indi-vidus, ceux-ci, inversement, ne seraient rien sans la société.L’idée de l’individu comme « atome » est fausse : chaque sujet,par le langage, l’éducation et ses relations, est un être social. Ceciéclaire ses droits et ses devoirs vis-à-vis de sa communauté. Undroit individuel ne doit pas s’opposer au « bien commun »(common good) : les revendications de l’individu sont recevablessi elles sont reconnues impartialement comme compatibles avec laliberté de tous. Cette vision « organique » éclaire aussi le rôle dupatriotisme. La nation ne doit pas être une entité écrasant l’indi-vidu, mais le cadre démocratique dans lequel le « bien commun »se traduit par une « volonté commune » grâce à la participationcivique. C’est pourquoi « la liberté nationale et la liberté person-nelle naissent de la même racine » — une affirmation que peu delibéraux classiques reprendraient à leur compte, et qui éclaire lessympathies de Hobhouse — après Mill, Green ou Toynbee [1881]— pour le républicanisme de Mazzini [1847]. On peut en effetnoter de forts échos mazziniens dans Liberalism, dont la courtebibliographie mentionne Des devoirs de l’homme et les Pensées surla démocratie en Europe. Un de ses thèmes repris par Hobhouse,outre la critique du libéralisme classique, de l’utilitarisme et dusocialisme autoritaire, est celui de la liberté nationale. Il se réfèreainsi avec approbation à « la doctrine de Mazzini selon laquellechaque nation a sa fonction particulière à remplir dans la vie del’humanité » [Hobhouse, 1912, p. 173].

Selon cette vision organique, le champ de l’interventionétatique est bien plus large que ne le croyaient les « vieux libé-raux », et même Mill. L’État doit « contraindre » pour empêcherles relations de domination au sein de la société ; inversement,l’individu doit reconnaître ses devoirs vis-à-vis de la société et del’État. Ainsi, l’État, loin de nier l’initiative individuelle, doitgarantir les conditions pour que l’individu construise sa vie etdevienne citoyen. Le « droit au travail » et le « droit à un salaire

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permettant de vivre » sont aussi valides que les droits de lapersonne : une société incapable de garantir ce minimum àchacun est mal organisée. On ne doit donc pas culpabiliser leschômeurs dont l’échec est souvent dû à une carence du systèmeéconomique. Que la réforme de celui-ci soit difficile ne retire rienau fait que le « droit au travail » est bien un droit. Au-delà, lesprotections collectives accordées, sous garantie de l’État, auxsalariés — pour les accidents du travail, la santé, les retraites, etc. —répondent au constat que le marché par lui seul ne satisfait pas cesexigences pour les non-propriétaires. L’idéal du « vieux libéra-lisme » d’un individu organisant lui-même sa sécurité et sa retraitea été démenti par les faits et remplacé par l’idée d’une responsa-bilité sociale de la société, garantie par l’État. L’erreur des libérauxclassiques est de croire que ces protections vont nuire à l’initia-tive individuelle, alors que, en donnant confiance face aux aléasdu marché et de la vie, elles permettent à chacun de tracer sa voie.

Vers un socialisme libéral

On pourrait juger que ceci « n’est pas du libéralisme, mais dusocialisme » puisque la défense des « droits économiques de l’indi-vidu » justifie une « organisation socialiste de l’industrie ». PourHobhouse, le mot socialisme a plusieurs sens et « il est possible qu’ily ait un socialisme libéral (Liberal Socialism), comme un socialismequi est illibéral ». Le second, hostile à l’initiative et à la propriétéprivée, a deux formes : un « socialisme mécanique » fondé sur unevision déterministe de l’économie, et un « socialisme officiel » qui,confondant « liberté et concurrence », confie tout le pouvoir à unÉtat central tenu par une avant-garde. Le « socialisme libéral », aucontraire, est démocratique : il respecte les initiatives venues d’enbas et défend le développement personnel de chacun. Sa concep-tion de la propriété privée n’est ni celle du « vieux libéralisme » nicelle du « socialisme officiel » : elle n’est pour lui ni un droit sacréni un mal absolu à éradiquer. Le but doit être de corriger les injus-tices au point de départ qui donnent aux uns tous les atouts, etaux autres aucun. Il devrait y avoir, pour chacun, un « vrai droità la propriété », traduit par un droit minimum aux « ressources

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publiques » (public ressources). Tout individu a droit à une protec-tion sociale, ce qui suppose l’accès de chacun au « fondscommun » (common stock) et donc une forte redistribution. Ceux quirefusent la taxation des riches en faveur des pauvres se satisfontdes pires injustices. Mais comment faire pour que la redistributionne décourage pas l’initiative individuelle, source de prospérité ?

Redistribution, protection sociale, solidarité

Le libéralisme dogmatique ne voit pas que la propriétéactuelle, concentrée dans une minorité par l’héritage, n’est plusun moyen pour chacun d’assurer les fruits de son travail, maisun moyen d’exploiter celui d’autrui. Une réforme s’impose donc,qui augmente le « fonds commun » à disposition de la société.Il faut d’ailleurs noter que, dans certaines formes primitives de« sociétés communales », chaque membre naît avec un statutdonnant droit à une partie de la terre commune. Certes, cesystème a été détruit par l’individualisme économique qui apermis des progrès matériels, non sans souffrances pour lesmasses : il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais de redonnerau « concept social de propriété » (social conception of property) laplace qui lui revient dans ce contexte nouveau. Même dans uneéconomie de marché, la base de la propriété est sociale : posséderun bien dépend des protections de la société et de l’État. L’indi-vidu qui croit ne devoir sa richesse qu’à lui-même ignore ce qu’ildoit aux infrastructures publiques et au travail associé demillions d’individus, vivants et morts. De même, l’industriemoderne repose sur un élément social, la coopération de milliersde travailleurs. Quant aux propriétaires qui tirent profit desterrains valorisés grâce à l’urbanisation, leurs gains sont duslargement à la société. Il y a là, sans oublier la richesse gagnéepar spéculation qui peut aussi être taxée, des ressources pouralimenter le « fonds commun ». Mais la question clé est celle del’héritage. S’il ne faut pas, comme le socialisme dogmatique, lesupprimer brutalement, une voie progressive s’impose. On doiten effet distinguer la richesse acquise par l’effort individuel etcelle reçue par héritage, qui peut être très fortement taxée. Si

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donc l’État ne doit pas être l’unique producteur de richesses— l’initiative individuelle étant indispensable —, il n’y a pas delimites a priori à son contrôle sur les ressources naturelles etl’héritage accumulé du passé. Le projet d’une taxe supplémen-taire (supertax) sur les hauts revenus, d’où qu’ils viennent,répond à l’idée qu’il est douteux qu’un seul individu ait pourla société autant de valeur que plusieurs. Les grandes fortunesvont-elles d’ailleurs aux « génies » ? Le calcul de la valeur d’unNewton est en tout cas impossible et inutile, les grands créa-teurs n’exigeant qu’« un peu d’air frais et tranquille ». Même lespatrons sont animés, selon Hobhouse, par d’autres motifs quela seule recherche du gain. On mesure ici l’abîme séparant cesthèses de celles du centre-gauche du début du XXIe siècle— au-delà d’analogies superficielles — qui tient pour indépas-sables les écarts de revenus vertigineux du capitalisme contem-porain. Pour Hobhouse, une large partie de la richesse produiteétant d’origine sociale, elle doit revenir à la société : l’impôt n’estpas une spoliation. Seul un libéralisme soucieux de redistribu-tion, par un impôt direct fortement progressif, pourra se renou-veler face au défi de la solidarité.

Si le « nouveau libéralisme » n’anticipe que très partiellementle socialisme libéral continental, il l’a pourtant influencé. Sesprécurseurs socialistes italiens évoqueront parfois Mill, suivis parla revue La Révolution libérale de P. Gobetti, qui éditera en 1925De la liberté. L’idée de « socialisme libéral » chez Hobhouse serarelevée par les libéraux B. Croce et G. de Ruggiero puis par le« libéralsocialiste » G. Calogero. En France, les thèses de Millsusciteront l’intérêt des « républicains » autour de la revue LaCritique philosophique qui se penchera, avec Ch. Renouvier etF. Pillon, sur le « socialisme » de Mill. Le républicain H. Michelconsacrera aussi sa thèse latine de 1895 à l’individualisme de Millet à sa vision du socialisme.

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II / Le socialisme libéral français :une réponse républicaine et socialisteaux « libéraux »

L’idée qu’il y a eu, en France, une réelle tradition « socialiste libé-rale » — constituée de penseurs qui ont explicitement assumé cetteposition — peut étonner tant ce domaine est inexploré. On parlecertes, au sens banal, de « socialisme libéral » à propos des « deuxtraditions » du socialisme [Winock, 1992], l’une autoritaire etétatiste, l’autre « libertaire » ou anarchiste. Si la formule « socia-lisme libéral » ne désignait que cette seconde tradition, ellerecouvrirait alors un domaine bien connu. Tel n’est pourtant pasle cas. Cette méconnaissance durable d’une tradition explicite-ment « socialiste libérale », irréductible aux termes d’une telletypologie, tient peut-être à des préjugés liés aux luttes idéolo-giques qui ont parasité le travail historique sur les différentesvoies du socialisme. Après l’échec électoral de la gauche en 2002,d’innombrables discours y ont vu en effet le signe d’une justiceimmanente : comme le socialisme français n’avait pas fait sonaggiornamento, c’est-à-dire n’avait pas rompu explicitement avecle marxisme — auquel il serait resté, dit-on, attaché — et nes’était pas converti entièrement au libéralisme économique, sonéchec aurait été mérité. Ce discours s’est accompagné de la réac-tualisation, avec les expressions « socialisme libéral » et « sociallibéralisme », de la fameuse dichotomie entre les « deux tradi-tions » du socialisme, l’une jugée minoritaire mais parée de tousles mérites, celle de la « deuxième gauche », l’autre jugée majori-taire, mais porteuse de tous les échecs, celle de la gauche

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« classique », marquée par l’étatisme et le marxisme. Le célèbrediscours de M. Rocard au Congrès de Nantes de 1977 opposantles « deux cultures » de gauche, l’une « jacobine, centralisatrice,étatique », l’autre « décentralisatrice » et « régionaliste », a étémobilisés en ce sens, tout comme la généalogie officielle de la« deuxième gauche » — cette « culture dominée » selon J. Julliardqui déplore, dans La République du centre (1988), que la gaucheait préféré Louis Blanc à Proudhon, Jaurès à Georges Sorel, laSFIO au « syndicalisme d’action directe », et, enfin, la CGT à laCFDT. Une des difficultés de cette histoire officielle, qui occultela complexité et la diversité de la « deuxième gauche », et àlaquelle est identifié hâtivement le récit du « socialisme libéral »— qui privilégie l’anarchisme de Proudhon, la « révision » et lacritique du marxisme par G. Sorel puis par le Belge H. De Man, etenfin le courant « personnaliste » — tient à un manichéismediscutable. Car si la révision et la critique du marxisme — reje-tant ses aspects déterministes et prophétiques au nom d’une idéeplus volontariste de l’action — ont pu nourrir le meilleur dusocialisme démocratique (A. Philip), elles ont parfois été aussil’une des matrices d’un socialisme nationaliste, autoritaire etantidémocratique, voire du fascisme européen. Les liens de Sorelavec l’Action française et son influence sur Mussolini, l’accepta-tion par De Man de l’occupation nazie — justifiée sur la basede son antiparlementarisme et de son culte pour l’« auto-rité » — sont autant de zones d’ombre d’un socialisme bien desfois antilibéral politiquement et qui n’a pas été non plus quel-quefois sans liens avec l’antisémitisme et la xénophobie — lahaine de Marx étant souvent une haine anti-allemande. Aussiserait-ce une erreur de définir tous ces courants comme « socia-listes libéraux » : la critique du marxisme a certes joué un rôleclé à un moment tardif du socialisme libéral, mais elle a puconduire également au pire. Le retour en force du marxismeaprès 1945 s’explique aussi par les dérives de l’anti-marxisme desannées 1930.

Si l’idée de socialisme libéral ne servait qu’à renommer cescourants déjà très étudiés, son apport serait donc mince. Pour-tant, la France est l’une des matrices méconnues d’un courant

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complexe, le « socialisme libéral », que nous nous proposonsd’exhumer en révisant des préjugés. D’abord, l’expression« socialisme libéral » ne remonte pas à la fin du XIXe siècle, maisau moins un demi-siècle plus tôt ; ensuite, elle est portée certespar des socialistes, mais surtout par des républicains ; enfin, cetteposition est irréductible au « libéralisme », et plus encore àl’« anti-étatisme » [Audier, 2004, 2005]. Car elle a visé deux adver-saires : un socialisme « autoritaire » jugé liberticide, mais aussiun « libéralisme » jugé impuissant devant la question sociale. Sil’on veut éviter de dresser un tableau imaginaire des idées duXIXe siècle, on ne doit pas en effet ignorer qu’il y a eu de vrais« libéraux » — de F. Bastiat à G. de Molinari, P. Leroy-Baulieuou encore E. d’Eichthal — qui ont souvent exprimé leur aver-sion envers le socialisme. Contre ces libéraux, le « socialismelibéral » s’est imposé comme une doctrine républicaine ou socia-liste républicaine : loin d’être le fruit naturel du libéralisme, ilconstitue une position originale dont l’apogée coïncide, dans lesannées 1890, avec la mise en place de la politique sociale répu-blicaine — contre des « libéraux » souvent très hostiles — à partirdu thème central de la solidarité.

Aux sources du socialisme libéral :le socialisme chrétien et républicain de Huet

Le grand précurseur oublié du « socialisme libéral » est FrançoisHuet (1814-1869). Socialiste et républicain, il exerça, à l’univer-sité de Gand, une forte influence sur le socialisme belge par Émilede Laveleye (1822-1892). Son chef-d’œuvre, Le Règne social duchristianisme [1852], veut réconcilier christianisme et socialisme :le « nouveau dogme social » de 1789 — liberté, égalité, frater-nité — et le socialisme seraient issus de l’Évangile. Aussi faut-illibérer de la « théocratie » le christianisme originel, qui requiertla séparation des Églises et de l’État.

D’où une idée de l’État qui rompt avec l’anarchisme, lecommunisme et le libéralisme économique. Le tort des anar-chistes, tel Proudhon, est de postuler une bonté originelle de

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l’homme, rendant inutile le gouvernement. Or l’opposition entreindividu et État est erronée : la société est faite pour les indi-vidus, et réciproquement. Le vrai « socialisme » évite l’individua-lisme, qui nie la solidarité, et le communisme, qui sacrifiel’individualité, qu’il s’agisse du communisme égalitaire d’un Cabet,qui délègue tout pouvoir au législateur, ou du communisme théo-cratique d’un De Bonald, qui nie toute liberté individuelle. Il y adonc « un bon et un mauvais socialisme » [Huet, 1852, p. 43]. Lepremier concilie « la communauté et la propriété, la solidaritéet la liberté », selon le précepte évangélique : « Aime tonprochain comme toi-même. » D’où la nécessaire « union du libé-ralisme et du socialisme ». Le « libéralisme » ne désigne pas ladoctrine des « économistes », mais l’idée du « libre arbitre » issuedu cogito cartésien : « “Je pense, donc je suis”, a dit le père dela philosophie moderne. Descartes eût pu ajouter : “Je pensedonc je suis libre.” » C’est dire que « le socialisme ne commencequ’avec l’amour de la liberté, avec le libéralisme ». Aussi, « lesopposer l’un à l’autre, comme on le fait quelquefois, n’est-ce pasopposer le tout et la partie ? » En vérité, « tout socialiste éclairés’honore du nom de libéral ; tout libéral sincère est socialiste ».On confond à tort le libéralisme et l’individualisme, car la libertéde l’homme, loin de le détacher de ses semblables, nourrit lasociabilité. Il faut donc distinguer « socialisme libéral » et anar-chisme : « Une liberté amie de l’ordre, un ordre compatible avecla liberté, voilà ce qu’exige le bonheur des États ; voilà le vœud’un socialiste libéral » [1852, p. 50]. La notion se précise dansLa Science de l’esprit [Huet, 1864] qui souligne l’impasse del’« atomisme social », c’est-à-dire d’un « faux libéralisme » détrui-sant avec la solidarité la liberté. Quant au « communisme », sontort est d’imposer, au-dessus des individus, le « lien commun »,tarissant ainsi la source de la fraternité qui périt avec la libertéet l’égalité : c’est un « faux socialisme ». Seule la doctrine ditedu « spiritualisme » ne sacrifie ni l’individualité ni la société :« Posant comme également réelles, également inviolables, l’indi-vidualité et la communauté, il doit appliquer partout le vrai libé-ralisme et le vrai socialisme, le libéralisme social, le socialismelibéral » [1864, p. 306].

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Socialisme et individualisme :la synthèse de Leroux

Le « socialiste libéral » de Huet estpartiellement anticipé par le socia-lisme républicain de Pierre Leroux(1797-1871) qui vise à concilier socia-lisme et liberté. Leroux voit dans le« socialisme » la réalisation dumessage égalitaire évangélique, sanspartager les tendances catholiqueslibérales de Huet. Dans « De l’indivi-dualisme et du socialisme » [1834], ilintroduit le mot « socialisme » au senspéjoratif. Le XIXe siècle serait en effetexposé à deux menaces. D’abord,l’« individualisme de l’économie poli-tique anglaise » justifiant l’atomisa-tion des « hommes désassociés » parl’égoïsme et la concurrence ; ensuite,le « socialisme », au sens du projetultra-égalitaire de Babeuf et de ladoctrine saint-simonienne qui conçoitla société comme un vaste organismeexigeant la soumission des individusaux autorités qui l’incarnent. Tandisque, avec l’« individualisme », le

gouvernement est un « simplegendarme », il devient, avec le « socia-l isme », une « hydre géante quiembrasse de ses replis la société toutentière » [1834, p. 62]. L’individua-lisme, indifférent aux inégalitéssociales, nuit donc à la liberté dont ilse réclame car il la réserve à une mino-rité possédante ; quant au « socia-lisme », il détruit la liberté, et mêmela véritable « association » entre leshommes, car il impose par contraintele lien social. Si ces deux tendancesont une part de vérité, elles sont,adoptées unilatéralement, dange-reuses. Leroux ne se veut donc ni« socialiste » ni « individualiste » : ilcroit à la fois à l’« individualité » et àla « société ». Toutefois, dans les réédi-tions du même texte (1845 et 1850), ilajoutera une note revendiquant cettefois une identité « socialiste » et dési-gnant le socialisme autoritaire dessaint-simoniens par l ’épithète« absolu ». Le socialisme républicainde Leroux anticipe ainsi les tentativesvisant à concilier « socialisme » et« liberté ».

État solidaire, « droit au patrimoine », associationnisme

Comment concilier solidarité et liberté ? Celle-ci désigne laliberté de conscience, de la presse, de la famille, mais aussi laliberté du corps et du domicile, de l’usage des choses ou de lapropriété, la liberté du travail, et enfin la liberté politique. Leslibertés économiques, intégrées dans l’idéal républicain de frater-nité, sont compatibles avec la solidarité garantie par l’État : il y aun « droit à l’assistance » et on peut taxer le citoyen dans les fraisde l’assistance générale, même par contrainte. Car l’impôt facul-tatif « ne se conçoit logiquement que dans une théorie indivi-dualiste ». Tout homme a donc un « droit positif à être

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Garantir l’égalité des chances :le « droit au patrimoine »

Le projet du « droit au patrimoine »,apport essentiel de Huet aux théoriessocialistes de l’héritage, mérite d’êtreexhumé. Sa justification repose surl’idée que la richesse ne résulte passeulement du travail, mais dépendaussi des dons de la Nature. Ensuite, ledroit à la propriété est un droit naturelde vivre garantissant à tout hommeson indépendance vis-à-vis d’autrui. LaNature n ’ayant « point créé deparias », chaque homme a le droit derevendiquer, en venant au monde,une part du patrimoine primitif. Réfu-tant des libéraux comme Thiers, Huetrejette la justification des inégalités depropriété au motif du travail car le faitmême de travailler présuppose l’occu-pation d’une partie du sol donné àtous par la Nature. Antérieur au travail,le « droit originel sur ce fonds divin »confère à tout être humain des deuxsexes, quel que soit le nombre de ceuxqui l’ont précédé, un droit absolu departiciper au « grand banquet de lanature et de la société ». Le retour àl’état originel étant impossible, il fautréformer la législation actuelle surl’héritage afin que le capital et lapropriété ne se concentrent pastoujours davantage dans les mêmesfamilles aux dépens des pauvres.Certes, il faut distinguer entre les« biens patrimoniaux », donnés par la

Nature, et les biens acquis par letravail et l’épargne. Les premiers,correspondant à la terre, devraientrevenir, après le décès de leur posses-seur, à tous les travail leurs ; lesseconds peuvent être transmis parhéritage aux enfants ou aux proches.Mais ces derniers ne posséderont pasde la même manière les biens acquispar leurs parents, puisque ce serontdésormais des biens transmis. N’ayantdonc aucun droit de les léguer eux-mêmes à leurs descendants, ces biensdevront revenir aussi au « patrimoinegénéral ». Ainsi, « incessammentalimenté par une source intarissable, lepatrimoine général se composerait, àun moment donné, des anciens bienspatrimoniaux et de tous les capitauxaccumulés à chaque génération, qui,ne pouvant se transmettre qu’uneseule fois gratuitement, viendraient,au décès des donataires, se joindre àla masse des premiers » [Huet, 1852,p. 273]. Cette richesse globale reve-nant à l’humanité entière devra êtrerépartie entre tous ses membres pourqu’aucun ne soit handicapé, au pointde départ, par la loterie sociale. Huetpropose donc que ces capitaux, reve-nant de droit à chaque individu, soientrépartis en deux temps pour éviterque les jeunes hommes et femmes, quiy ont tous droit, ne les gaspillent.Chacun a cependant besoin très tôtd’un capital pour avoir une « instruc-tion élevée », seule garantie réelled’égalité des chances. On pourrait

indemnisé » selon le principe que « les malheurs involontairesdoivent être, autant que possible, partagés entre tous leshommes ». La règle de droit se définissant ainsi : « à chacun selon

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ainsi donner à chacun, « sous garantiede tutelle », le tiers du capital lui reve-nant, et le reste à vingt-cinq ans.L’article de la loi sur les successionsserait le suivant : « Chaque année sefait le partage des biens patrimoniauxdevenus vacants par décès. Tous lesjeunes gens […] y prennent part. Lesmajeurs reçoivent une part double desmineurs. » En plus de sa part lui reve-nant de droit, chaque enfant peutrecevoir de ses parents un supplé-ment. Il y aurait donc un « couvert mispour tous » à la « table du patrimoinecommun » et le « droit au patri-moine » consacrerait l’« accord de lapropriété et de la communauté ». Sirien n’interdit la bienfaisance desparents, l’« oisiveté héréditaire » neserait plus possible. Les parents ont ledroit de transmettre le fruit de leurtravail et de leur épargne — ce quiencourage l’effort —, mais « le fils dupauvre est assuré d’un héritage ».Tandis qu’aujourd’hui, l’enfant dupauvre « tombe nu sur la terre nue »,le droit au patrimoine le réintègredans le genre humain. Sous ce régime« vraiment social », il y a donc « uneassurance générale entre tous lesparents et tous les enfants ». Ainsi,dans une société « libre et frater-nelle », la « pauvreté héréditaire »serait exclue. Certes, une « égalitéabsolue de consommation » est irréa-liste : il y aura « quelques pauvres parleur faute », mais plus jamaisd’extrême inégalité. Car « l’hérédité

n’assurera plus au mal une durée indé-finie » et la distinction des classess’effacera.

Ce projet du « droit au patri-moine » sera justifié « scientifique-ment » par E. de Laveleye, quisignalera les affinités entre son maîtreHuet et des socialistes dits « collecti-vistes » comme le baron de Collins(1783-1859). Dans De la propriété etses formes primitives [1891], dédicacéà J.-S. Mill et Huet, Laveleye expliqueque la propriété, à ses origines, étaittoujours collective. Aussi doit-on, pourrésoudre la question sociale, réformerla propriété héréditaire et promouvoirun « partage plus équitable des bienset des produits ». Laveleye défend laréforme de Huet, mais estime qu’ilfaut l’actualiser. Si le « mouvementégalitaire », fidèle à l’Évangile, doitreconnaître à tous les hommes le« droit naturel de propriété », il nepeut s’agir d’« assurer à chacun,même dans les villes, un lot de terre,mais seulement un instrument detravail, une part dans une grandeentreprise industrielle ou une profes-sion ». Ces thèses de Huet et Laveleyeinfluenceront le projet de « réformesocialiste du droit successoral » d’unprécurseur du socialisme libéral italien,E. Rignano (voir encadré p. 58). Ellesanticipent aussi les propositionsd’« allocation universelle » et lesprojets de Ackerman et Alstott d’une« société de partenaire » (voir encadrép. 86).

l’étendue de son malheur involontaire ». Mais il faut éviter unÉtat producteur « communiste », liberticide.

La réforme de Huet pour une vraie égalité des chances porte

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sur le « droit au patrimoine » pour tout être humain : elle viseà transformer la législation sur l’héritage pour que tout homme— et femme — en âge d’étudier et de travailler puisse entrer dansla vie avec un droit à un patrimoine donné par la collectivité (voirencadré p. 28). Ainsi s’éclaire la demande en 1848 d’un « droitau travail », dont découle la « liberté de travailler », et donc ledroit de choisir une profession. Il s’agit, pour le « jeune âge », de laliberté de « vocation ». Or, « grâce au patrimoine général, tousles enfants en jouissent » : on évitera ainsi de gâcher des talentshandicapés par le hasard social, car un « concours universel »sélectionnera le « mérite » et non les privilèges — tandisqu’aujourd’hui, l’apprenti sans patrimoine au départ doit subirla servitude d’un patron despotique. Au-delà, la justice impliquel’abolition du salariat. L’association du travail et du capitalrequiert en effet la réunion des deux qualités de capitaliste etde travailleur : tant qu’il ne sera pas associé aux bénéfices,l’ouvrier restera soumis à son patron. Grâce au droit au patri-moine pour tous, avec le capital, la faculté de concurrence et laliberté du travail, les progrès économiques conduiront à desbénéfices en « loisir », consacrant la victoire de l’esprit sur lesbesoins. L’abolition des divisions de classes suppose donc le droitau patrimoine garantissant aux travailleurs l’« instruction avec lecapital », et permettra, en démocratisant la richesse, l’associationen « libres corporations » pour une « démocratisation indus-trielle » dans la République.

Naquet : le socialisme libéral,philosophie du « service public »

Que le socialisme libéral soit d’abord une théorie républicaine,c’est ce que confirme la doctrine du député puis sénateur« radical » Alfred Naquet (1834-1916), négligée à cause de sa dérivedans le mouvement boulangiste qu’il regrettera publiquement.Républicain dès le second Empire, adhérent du Parti socialiste en1900, Naquet a joué un rôle décisif dans la loi sur le divorce (1884)qui déchaînera contre lui une campagne antisémite.

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Ni libéralisme, ni collectivisme

Naquet n’est pas un libéral : « Je suis, pour ma part, profondé-ment socialiste. L’injustice, l’inégalité sociale me révoltent »[Naquet, 1890, p. 202]. Mais le « socialisme collectiviste » etmarxiste serait une erreur : en socialisant toute la production,il serait liberticide et « aggraverait, au lieu de les apaiser, les mauxdont nous souffrons ». L’abolition de la concurrence, loind’apporter une prospérité équitable, donnerait tout pouvoir àune autorité hiérarchique. On remplacerait les entreprises par« un seul capitaliste : l’État », nouveau patron implacable, et le« collectivisme » détruirait l’initiative, source de prospérité. Nonque le libéralisme soit sans faille et que l’État doive s’effacer :au contraire, l’idée féconde de « service public » montre leslimites de l’individualisme. Il y a en effet un « double caractèrede l’humanité », ni purement « individualiste », ni entièrement« communiste », et il faut trouver un modèle satisfaisant ces deuxinstincts indissociables. Sous l’Antiquité, la liberté individuelleétait moindre, mais l’on n’imaginait pas « nombre de servicespublics » d’aujourd’hui : « Tout progrès se manifeste à la fois pardes conquêtes de l’individu sur la société et par des conquêtesde la société sur l’individu », comme en atteste l’extension del’État. L’enjeu est donc de savoir ce qui doit relever de l’État ou del’individu. Faute de réponse simple, on peut adopter ce critère :« L’action collective peut et doit s’exercer toutes les fois que lepassage d’une fonction de l’individu à la collectivité a pour effet,non de diminuer, mais de protéger, de garantir, de développercette même liberté. »

La solution du service public

Ce critère suppose une analyse du capitalisme, source derichesses et d’inégalités. Si la libre concurrence est « bienfaisanteau premier chef », car elle améliore les produits et abaisse leurprix de revient, elle crée aussi des antinomies. Ainsi, une concur-rence débridée nuit aux consommateurs en altérant le produit.Des entreprises impliquant des capitaux lourds peuvent être en

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situation de monopole aux dépens des consommateurs. Laconcurrence peut aussi frapper les salariés, le rapport étant inégalentre travailleurs et capitalistes : si la coalition des ouvriers ensyndicats est un contrepoids, le capital reste le plus fort. Lesnécessités du marché font que même un patron soucieuxd’augmenter les salaires serait perdant si ses concurrents nesuivaient pas. Bref, « la liberté absolue du commerce et del’industrie est incapable d’engendrer les réformes sociales que letravailleur est en droit d’exiger ». Une autre antinomie expliquela nécessité des services publics : si l’industrie privée est utilequand un profit immédiat est en jeu, elle devient impropre si larentabilité à court terme n’est pas avérée, comme dans l’ensei-gnement. Lorsque l’« excellence du produit est tout » et que « lebénéfice immédiat à encaisser n’est rien », l’initiative indivi-duelle ne suffit pas.

Ces antinomies trouvent leur solution dans le « principe supé-rieur » qu’est l’« action de l’État » exercée par des règles et dansla substitution du « service public » à la « libre concurrence desindividus ». Pour le consommateur, l’État réprime les fraudes etsupprime les monopoles. L’organisation en services publicss’impose, gérée par l’État ou par la surveillance de compagniesdont c’est la mission. Doivent ainsi devenir services publicsl’enseignement, les chemins de fer, les mines, etc. En outre, pourdéfendre les salariés, l’État doit « égaliser les situations entre lesindustriels » par des lois sur les horaires de travail, le reposhebdomadaire, l’hygiène, etc.

Pour un interventionnisme d’État socialiste libéral

Une forte régulation étatique favorise donc la liberté indivi-duelle en dissolvant des « obstacles accumulés par la libertécontre la liberté ». D’où la distinction entre action substitutive etaction coercitive. La première, celle des « socialistes collectivistes »,remplace l’initiative privée par l’État ; la seconde, celle du « socia-lisme libéral », vise « non plus à se substituer aux citoyens, àremplir leurs fonctions à leur place, mais à exercer sur eux unecontrainte par une série de mesures pénales, fiscales ou autres, à

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Socialisme libertaireet anarchisme

La théorisation la plus aboutie et la plusoubliée du « socialisme libertaire » estcelle du socialiste et républicainGeorges Renard (1847-1930). Profes-seur au Collège de France, collabora-teur à La Revue socialiste et à la revuedirigée par A. Millerand puis parJ. Jaurès, La Petite République, Renardest parmi les rares socialistes à avoirdéfendu les thèses d’un précurseuritalien du « socialisme libéral »,F.-S. Merlino. Lui-même défend un« socialisme libertaire » contre les anar-chistes reprochant au socialisme desacrifier la liberté [Renard, 1895 ; 1898,p. 22]. Selon lui, l’expression « anar-chiste-socialiste » est un non-sens, tantest profond le différend entre socia-listes et anarchistes. Ceux-ci prônentun « individualisme outré » lié à un« amour de l’égalité poussé aussi àoutrance ». Il y a donc une démarca-tion entre socialisme et anarchisme.L’homme étant un « individu » et un« être social », les anarchistes souli-gnent la première qualité et les socia-listes la seconde. Pour ceux-ci, lesintérêts particuliers doivent souvent sesoumettre aux intérêts généraux.L’individu a l’obligation de faire à sa

collectivité « un sacrifice partiel ettemporaire de sa liberté ». D’oùl’objection erronée que le socialismeveut « diminuer la somme des libertésindividuelles ». En vérité, le socialismevise le « développement intégral del’ individu » et l’abolition descontraintes extérieures, mais il ne croitpas cet idéal réalisable à moyen terme,tant serait nécessaire une longueéducation morale. Pour éviter lesécueils du « communisme absolu » etde l’« individualisme absolu », reste àsavoir si c’est l’« élément social » oul’« élément individuel » qui doit primer.Tout dépend du domaine : en matièresociale, le maximum de liberté indivi-duelle doit être garanti, contrairementau domaine économique où « il sied defaire la plus grosse part à la collecti-vité, la plus petite à l’individu ». Car lapart individuelle dans la production dela richesse sociale est très petitecomparée à celle de la société. Enoutre, « au nom de la liberté civile etpolitique, comme au nom de l’égalitédes conditions, il faut craindre l’accu-mulation du capital entre les mains desindividus ». Tel est le sens du socialismelibertaire : « Si nous appelons socialistele régime où prédomine la propriétécollective ou sociale, c’est à un socia-lisme libertaire […] qu’aboutissent nospremières déductions. »

les orienter, en dehors de leur volonté, sur une voie déterminéejugée la meilleure » [Naquet, 1900, p. 20].

Face à la question sociale, le « but-limite » selon Naquet estque les fonctions de capitaliste et d’ouvrier « se réunissent dansla même personne ». Mais nul besoin d’abattre le capitalisme oude revenir à la petite propriété : les « sociétés par action » sont le« moyen indirect de morcellement de l’usine », car s’il est

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impossible de la partager comme la terre, on peut en diviser lecapital et les profits. Nul besoin non plus de coopératives deproduction et de consommation : il n’est pas indispensable defusionner les fonctions de travailleur et de capitaliste dans lesmêmes individus sur une production déterminée. Il suffit que lesqualités de travailleur et de capitaliste soient réunies dansl’ensemble de la « production universelle » : on peut être salariéd’une société sans en posséder de capital et être actionnaire d’uneautre comme seul capitaliste. L’erreur des marxistes est de croireque le capital se cumule inéluctablement en quelques mains :en vérité, la concentration industrielle est compatible avec unedémocratisation de l’actionnariat. Inutile serait donc une révolu-tion pour démocratiser la société : l’action de l’État y aidera.

Le « socialisme libéral » veut ainsi empêcher l’accumulationdes capitaux pour en favoriser la diffusion, promouvoir l’action-nariat populaire, limiter le temps de travail et intervenir dansla distribution des richesses par l’impôt progressif. Mais Naquetest pragmatique : dans l’action, le « parti radical », devenu « partisocialiste libéral », devra peut-être prôner, avec les socialistes,une « intervention substitutive ». Quant aux « socialistes collec-tivistes », ils votent des lois sociales relevant de l’« interventioncoercitive ». Un projet commun est donc possible selon Naquetavec des socialistes républicains comme Jaurès (voir encadré,p. 38).

Le socialisme libéral,doctrine sociale de la République

À sa façon, Naquet annonce la tendance d’une partie des répu-blicains : à la suite de Charles Renouvier (1815-1903), nombred’auteurs ont avancé des thèses explicitement socialistes libéralesqui méritent d’être exhumées. Leur orientation, loin des dogmeslibéraux, est centrée sur l’idée de solidarité sociale.

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Le pessimisme républicain de Renouvier

Fondateur en 1872 de la revue La Critique philosophique,Renouvier revient à Kant pour repenser l’idée républicaine.Proche des socialistes jusqu’en 1848, il sera marqué par le coupd’État du 2 décembre 1851. S’ensuivra une refonte doctrinale,l’échec de la IIe République étant pour lui le résultat d’un socia-lisme immature et autoritaire. Quand il théorise son socialismelibéral — esquissé dès 1879 contre un socialisme « révolution-naire » —, il constate, déçu par l’action sociale de la IIIe Répu-blique, la « lutte des classes » et l’égoïsme « bourgeois ».

Un socialisme « pessimiste ». — Renouvier et Prat [1899] distin-guent quatre réponses doctrinales à la croissance industrielle età la concentration des capitaux. Les deux premières sont cellesdes économistes libéraux. Les uns se veulent « réalistes » : laclasse ouvrière est un instrument de production exigeant le plusbas coût d’entretien et l’État doit s’abstenir sur le plan écono-mique et social. D’où une justification de la servitude ouvrière,porteuse de conflits sociaux. Les autres libéraux défendent unlibéralisme « optimiste » postulant une harmonie sociale finale— vision pourtant « cruellement démentie par l’expérience »,comme le prouve la croissance des inégalités : loin de se répartiréquitablement, le capital se concentre dans une minorité.L’impasse de ce libéralisme est aussi culturelle, sa justificationdu capitalisme s’accompagnant d’une apologie du luxe quicorrompt les riches, mais aussi les pauvres en quête de « fauxbesoins ».

Cette réfutation dessine en creux les traits du « socialisme »,subdivisé en une version « optimiste » (le « socialisme commu-niste ») et une version « pessimiste » (le « socialisme libéral »).Contre les « théories égoïstes ou optimistes de liberté pure » légi-timant la concentration du capital, le « collectivisme » prône unesocialisation intégrale des instruments de production et la distri-bution des tâches selon l’intérêt commun. Cela suppose l’aboli-tion de la propriété personnelle qui permet à l’individu de vivreà l’écart de la communauté. Cette perte de garantie d’autonomie

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serait remplacée par une juste distribution du travail et de laproduction. Ici transparaît un « optimisme » illusoire donttémoignent les deux modalités envisagées pour la répartition :ou bien on la confie à des « autorités », en postulant leurdévouement au bien commun, ou bien on opte pour une démo-cratie directe, attribuant au « gouvernement des majorités » ledroit de statuer sur la vie sociale. Aussi le communisme partage-t-il avec le libéralisme optimiste une incapacité à saisir lucide-ment le poids des égoïsmes. La délégation de l’autorité à des« chefs excellents » trahit une ignorance du « caractère humain ».Non moins illusoire serait la démocratie directe : le « commu-nisme égalitaire » n’est qu’un autoritarisme donnant toutpouvoir à la majorité.

Reste le « socialisme libéral » défendu par Renouvier. Non qu’ils’agisse d’une recette infaillible de succès, puisqu’il exclut lavision « optimiste » de la « secte des économistes » et des« communistes ». Le « socialisme libéral » se définit négative-ment : il évite l’impasse du « socialisme communiste » qui abolitla liberté en postulant la vertu des gouvernants et la bonnevolonté des gouvernés. Échappant à cette dérive, il « demandeà la raison et à la liberté des citoyens, pris en leurs qualités deproducteurs et de consommateurs, de s’unir en des associationslimitées, où ils mettraient en commun leurs capitaux ouépargnes et leurs facultés de travail, et auraient à s’entendre età arrêter des conventions concernant leurs droits et devoirscomme actionnaires et comme travailleurs » [Renouvier et Prat,1899, p. 427-428].

Cette méthode respecte la justice : elle serait adoptée si desindividus instituaient sur « table rase » l’état social le meilleur.Aussi peut-on espérer que des coopératives se disséminent dansune société où règne encore le capitalisme. On passerait ainsi dela « société de guerre », un état où les individus cherchent leurprofit maximal, à la « société de paix », un état conforme à lajustice où personne n’use d’autrui comme d’un moyen et où touscoopèrent. Les vices du « commerce anarchique » seraientvaincus grâce à l’économie coopérative. Mais Renouvier restepessimiste : pour que l’associationnisme prospère, il faudrait que

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la « classe subordonnée » ait une moralité constante et que lesclasses dirigeantes restreignent leurs privilèges. Or la bourgeoisierésiste au progrès social et les coopératives restent faibles.

Réévaluer le rôle de l’État. — Ce pessimisme éclaire l’évolutionde Renouvier sur l’État suite au Manuel républicain de 1848 : aprèsavoir assigné à l’action étatique un rôle clé pour le droit au travailet la production, il privilégiera l’associationnisme, avantd’avancer une solution équilibrée, toujours centrée sur les asso-ciations libres, mais imposant à l’État le devoir de défendre lesassociations et la solidarité [Renouvier et Prat, 1899, p. 429 ;Renouvier, 1897, p. 636]. Si donc le dépassement du capita-lisme passait par la voie politique, il serait « indispensable que legouvernement provoquât, et n’autorisât pas seulement les asso-ciations », par des subventions, règlements, etc. Reste le risqueque l’« oligarchie des riches » bloque ces mutations. Un dangersemblable peut résulter des contradictions liées à la propriété :si l’appropriation individuelle est un droit et une « garantie »contre les empiétements abusifs de l’État, la distribution injustede cette propriété prive ceux qui n’en ont pas des moyens devivre. Cet « état de guerre » nuit à la solidarité, justifiant les désirsde « révolution violente ».

Il faut donc résoudre ce point : la propriété étant une garantiede liberté, « le problème politique rationnel est d’instituer paral-lèlement une autre garantie, qui ne serait au fond que lapremière, étendue à tous : le droit à l’usage de l’instrument detravail, sous une forme et dans une mesure à déterminer »[Renouvier et Prat, 1899, p. 431]. D’où le rôle de l’État dans laredistribution et la solidarité. Si le lien social est moral, unesociété juste doit veiller à l’éducation de ses enfants et donnerassistance et moyens de travailler aux « sans ressources ». Sontlégitimes des « secours d’assistance publique » — l’assistanceprivée n’étant pas une obligation stricte — pour les « incapablesde travail », et mêmes ceux qui sont « les auteurs en grande partiede leurs infortunes ».

Cette philosophie de l’État, accompagnée d’une défense del’impôt progressif et de la limitation du droit d’héritage,

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Socialisme et individualismeselon Jaurès

L’idée que le socialisme a un lienprofond avec l’« individualisme » peutsurprendre aujourd’hui, alors qu’elleétait banale dans les années 1890. Parexemple, R. Flint, dans Socialism,avance en 1895 cette thèse, suite àA.E. Schäffle, J.-S. Mackenzie ouA. Held. Un écrivain conservateur,M. Pachtler, souligne en 1892 que lesocialisme n’est au fond que la consé-quence de l’aspiration bourgeoise à la« liberté individuelle » concrétisée parla Révolution française. C’est toutefoispar Jean Jaurès (1859-1914) que lethème du lien entre individualisme etsocialisme est resté dans les mémoires,même s’il a été davantage exploréen France par Eugène Fournière(1857-1914). L’affirmation jaures-sienne selon laquelle le socialisme estun individualisme « logique etcomplet » se prête à des lectures idéo-logiquement orientées : elle est parfoisinstrumentalisée, depuis la fin duXXe siècle, pour défendre un socialismedit « moderne », adapté au capita-lisme, voire à l’individualisme contem-porain. Or il faut la restituer dans le

contexte de la parution de l’article« Socialisme et liberté » dans la Revuede Paris, le 1er décembre 1898. Cetterevue est républicaine et Jaurès veutconvaincre ses lecteurs, qui n’ont passes positions mais dont certains ontpartagé ses combats lors de l’affaireDreyfus. L’idée d’« individualisme »,alors diffuse, est défendue par lespartisans de Dreyfus contre la « raisond’État ». En outre, Jaurès répond ainsiaux « libéraux » — vis-à-vis desquels ilmaintient toujours une distance — quifustigent le socialisme comme liberti-cide. Son propos n’a donc rien à voiravec une conversion au libéralismeéconomique. Il critique le « socialismed’État » allemand, auquel il reprocheprécisément d’accepter le « principemême du régime capitaliste » : lapropriété privée des moyens deproduction et la division entre la classedes « possédants » et celle des « non-possédants ». Le « socialisme d’État »vise à corriger le capitalisme — par desrègles, des services publics, etc. — etnon à le remplacer : « Au contraire, lecollectivisme, le communisme, ensupprimant la propriété des moyens deproduction, créent une sociéténouvelle où il ne sera plus nécessairede protéger une classe contre une

sera réélaborée par Henry Michel (1859-1904), disciple deRenouvier, qui explique dans L’Idée de l’État [1895] que l’opposi-tion des « libéraux » entre l’État et l’individu est factice, lepremier devant servir à l’émancipation du second. Il montreaussi que l’action étatique est conciliable avec la vie associa-tive. Ces thèses, hostiles à ce que Michel appelle péjorativementl’« école libérale », seront rejetées par un libéral comme E. d’Eich-thal, confirmant ainsi que le socialisme libéral est irréductible aulibéralisme [Audier, 2005].

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autre, toutes les classes étant définiti-vement absorbées dans l’unité de lanation. » Tandis que le « socialismed’État », pessimiste, croit en la« contrainte » pour arbitrer les conflitsde classe, les « collectivistes » et les« communistes » — dont se réclameJaurès — jugent possible un régime depropriété collective. Car l’abolition del’exploitation capitaliste et du salariatpeut se faire ou bien par la dissémina-tion de la propriété — c’est la solu-tion, irréaliste pour Jaurès, des« radicaux » — ou bien par la propriétécollective. Sinon, il faut se résigner àl’exploitation des « non-proprié-taires ». Mais ce collectivisme nemenace-t-il pas la liberté indivi-duelle ? Pour Jaurès, l’opposition entre« le communisme et l’individualité »,entre « la centralisation et l’initiative »ou entre « le socialisme et la liberté »est artif icielle. Car il n’y a nulle« liberté véritable » pour tous sanspropriété accessible à tous, à savoir la« propriété sociale ». En vérité, lesocialisme prolonge l’« individualismerévolutionnaire » en le dépassant : laRévolution française a certes proclaméles « droits de la personne », mais ellen’a pas réglé la question de lapropriété en la confiant à une

minorité. D’où la critique socialiste, deBabeuf à Marx, qui a montré la néces-sité d’une propriété collective.

À ceux qu’il appelle les « libé-raux », Jaurès objecte que le socia-l isme qu’ i l défend n’est pas uncentralisme rigide. Car, dans soncollectivisme décentralisateur, lanation, détentrice des moyens deproduction, délègue l’exercice decelle-ci à des coopératives et syndicatsoù l’initiative individuelle est essen-tielle. C’est aussi vis-à-vis de ses amisrépublicains qui l’accusent de poussertrop loin le culte de l’individu queJaurès veut défendre le socialisme, enobjectant que si l’individu est dans lesocialisme la « f in suprême », i ls’accorde avec les idéaux de solida-rité pour l’humanité. Mais ce plai-doyer n’a pas convaincu tous lesrépublicains. Ainsi, A. Fouillée [1909]lui reproche d’être un « idéaliste quis’inspire trop du matérialisme deMarx » : il aurait tort de croire au« collectivisme » et de défendrel’« égoïsme » prolétarien sur la based’un « socialisme individualiste »— « quelque étrange que paraissel’association des deux mots » —faisant de l’individu « le point dedépart et le point d’arrivée ».

La justification philosophique du « socialisme libéral »

Refondé dans l’œuvre méconnue de Paul Gaultier [1908], le« socialisme libéral » se veut la solution à la question sociale :face au conflit entre égalité et liberté, il offre une « conciliation »,supérieure au libéralisme et au socialisme.

L’impasse du libéralisme et les limites de la réaction socialiste.— Les « libéraux » défendent souvent la « liberté au maximum »,

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à savoir l’« abstention absolue des pouvoirs publics » : la richesseétant issue d’une « lutte pour la vie », l’État doit se borner àprotéger les libertés. Cette position n’est pas indifférente à lajustice : pour les « libéraux », les lois « naturelles » de l’offre etde la demande garantissent une répartition équitable. La sous-estimation des maux de la concurrence a été renforcée par lepostulat utilitariste de la « concordance de l’intérêt général avecles intérêts particuliers ». D’où le refus de toute correction desinégalités. Mais ce libéralisme a suscité la réaction socialiste,fondée sur l’idée que les hommes sont « métaphysiquementégaux » : il est inacceptable que les uns subissent la misère etque les autres soient dans l’opulence, d’autant que ce sont lestravailleurs qui sont lésés. L’« égalité juridique » ne suffit pas,seule l’« égalité réelle » donne à chacun sa part du patrimoinecommun selon la justice. Aussi les « vrais socialistes »— marxistes ou réformistes, tel Renard — pensent-ils que l’égaliténécessite l’abolition de la propriété privée pour tous les objets nerelevant pas d’un usage quotidien. Or ce collectivisme est liber-ticide : il confère à l’État un pouvoir démesuré.

Il semble donc que l’égalité exclut la liberté, et inversement.Toutes deux forment une « antithèse à laquelle on ne peutéchapper » : s’il est impossible de les concilier, il ne l’est pasmoins de se passer de l’une et de l’autre à la fois. La solution nerepose ni sur la liberté ni sur l’égalité seules. Même si la libertéfavorise la prospérité, l’optimisme des « économistes » est erroné.Il n’y a nulle « harmonie préétablie » entre richesse et mérite : lajustice n’est pas le « produit naturel » du conflit des libertés et« l’intérêt général ne concorde pas toujours avec l’intérêt parti-culier ». La liberté économique favorise en effet la « tyrannie ducapital ». Cet « échec des théories libérales » conduit-il à préférerl’égalité ? Non, car l’égalitarisme dogmatique nivelle les talentset ignore le « mérite » : on risque de bafouer la justice, de tarirl’effort — source de prospérité — et de justifier un État despo-tique. S’ensuivrait la destruction de la liberté, mais aussi del’égalité revendiquée, car une immense bureaucratie imposeraitde nouvelles hiérarchies.

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Le « socialisme libéral », solution de l’antinomie. — Entre l’égalitéet la liberté, on ne peut pas choisir : aucune ne peut seule réaliserbien-être et justice, et toutes deux manquent leur but : si le libé-ralisme « pur » nuit à la prospérité, l’égalitarisme intégral crée denouvelles inégalités. D’où le risque de scepticisme. Mais la « solu-tion du conflit » existe : le « socialisme libéral » pour qui libertéet égalité ne sont ni aisément conciliables, ni séparables. Si laliberté, selon sa logique, mène aux pires injustices, c’est fauted’une certaine « égalité de fait » corrigeant la propension du« libéralisme absolu » à faire des plus faibles des « sous-hommes » ; inversement, si l’égalité outrancière nuit à la prospé-rité, c’est pour avoir interdit l’initiative. Ainsi, à condition de n’êtrepas portées à l’absolu, liberté et égalité, loin de s’exclure, se complè-tent. Car davantage d’« égalité de fait » accroît la « somme deliberté positive » de chacun : en leur donnant droit à des aides,les faibles seront protégés du caprice des forts. Plus d’égalité favo-rise donc la liberté de tous ; inversement, plus de « liberté posi-tive » produit plus d’« égalité par en haut », en incitant les faiblesà améliorer leur sort. La devise « socialiste libérale » est ainsi :« Plus d’égalité pour plus de liberté et plus de liberté pour plusd’égalité. » Selon le « socialisme libéral », l’égalité exige le« soutien légal » des opprimés, et la liberté est irréductible au« libéralisme a priori » : c’est un « pouvoir d’agir, vraiment positif,qui a pour condition le droit de n’être pas lésé non seulement paraction, mais par abstention en cas de besoin, c’est-à-dire le droitd’être secouru en cas de nécessité ».

La part de vérité du socialisme et du libéralisme. — Le « socia-lisme libéral » est donc un « socialisme » : s’il refuse de substi-tuer l’État aux individus par la socialisation totale de la propriété,il lui confie la tâche d’« assurer aux moins-favorisés du sort unminimum d’égalité ». L’État a le droit et le devoir de réglementerle travail des enfants, des femmes et de tous les ouvriers. D’oùl’institution d’un minimum salarial, de l’assistance maladie, del’assurance contre les accidents, le chômage et la vieillesse. Bref,le « socialisme libéral » confère à l’État « le soin de prendre à lacharge de la communauté, dans les limites du droit de chacun,

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Le « révisionnisme » :Bernstein en France

Il est tentant de rapprocher le socia-lisme libéral français du « révision-nisme » allemand qui a transformé lemarxisme. Ce courant « néo-kantien » aété comparé au républicanisme deRenouvier qui l’a anticipé. Dans LaQuestion sociale et le mouvement philoso-phique du XIXe siècle [1914], GastonRichard examine l’« école néo-kantienne allemande », dont la formule« retour à Kant » (Rückkehr zu Kant),s’est traduite par l’exigence de dépasserle matérialisme marxiste et le collecti-visme. Hermann Cohen (1842-1918),Friedrich Albert Lange (1828-1875) ouPaul Natorp (1854-1924) tendraient aufond vers un socialisme réformisteproche de Renouvier. Ainsi Langedéfend-il les « sociétés coopérativespour rapprocher la production et laconsommation ». Comme Renouvier,ces auteurs visent aussi « un étatd’harmonie, de concorde, inhérent àune véritable communauté d’agentslibres » [Ibid., p. 338-339]. Mais c’estsurtout Bernstein et ses débats avecKautsky qui ont eu un écho en France.Son livre Les Présupposés du socialisme[1899], traduit dès 1900, a joué un rôlecélèbre dans l’histoire du socialisme.Son propos est de réviser le marxisme :la prévision d’une concentration crois-sante des entreprises ne s’est pas entiè-rement vérifiée, la classe moyenne n’apas été prolétarisée et le capitalisme nes’est pas effondré ; indissociablement, leprolétariat a conquis son émancipationpar l’action au niveau syndical et asso-ciatif. Le socialisme ne doit donc plusviser, par la prise violente du pouvoir,l’abolition du capitalisme mais sa

transformation grâce à la réformesociale et politique. D’où l’idée que lesocialisme est, en un sens, l’héritier dulibéralisme : « Le libéralisme avait pourmission historique de renverser lesbarrières que l’économie et les institu-tions du Moyen Âge opposaient audéveloppement économique. Peuimporte qu’il ait d’abord adopté laforme du libéralisme bourgeois : ilreprésente un principe d’une portéebeaucoup plus universelle dont l’abou-tissement est le socialisme. » Le but dusocialisme est en effet la liberté indivi-duelle, qui implique la liberté de toute« servitude économique », et donc une« organisation ». Aussi le socialismeest-il un « libéralisme organisateur »[Bernstein, 1899, p. 183]. Bernsteinavancera même ailleurs l’expression« socialliberalismus » (dans l’opuscule de1900, Zur Frage : Socialliberalismus odercollectivismus ?) dé jà formulée parM. Stirner. Toutefois, les thèses deBernstein n ’ont pas entièrementconvaincu en France : même Jaurès,malgré des convergences, a refusé unemise en question aussi profonde dumarxisme et est resté fidèle à un horizonrévolutionnaire dans le cadre d’unetactique réformiste. En revanche, desrépublicains kantiens proches du socia-lisme libéral de Renouvier, commeH. Michel, ont salué les thèses de Berns-tein à l ’appui de leurs optionsréformistes.

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toutes les mesures capables non seulement de faire prospérer lanation dans tous les domaines, mais aussi de suppléer l’exploita-tion des faibles en leur donnant, avec plus de sécurité et plus debien-être, un point d’appui pour leurs efforts ».

Le « socialisme libéral » est aussi un « libéralisme » : il ne confiepas tout à l’État et refuse l’abolition de la concurrence. S’ilaccorde à l’État le droit d’intervenir dans les contrats entrepatrons et ouvriers et s’il restreint la liberté économique par les« impôts d’assistance » et la réglementation industrielle, c’estpour protéger le « droit des faibles ». Ces entraves doiventrenforcer la liberté physique, morale et intellectuelle du plusgrand nombre : certains renoncements sont une conditiond’émancipation. L’État est donc un agent de libération de l’indi-vidu face aux liens de la famille ou de la corporation, mais onne doit pas lui confier un pouvoir démesuré : sa vocation estde permettre à chacun la « conquête de sa personnalité ». Ainsi,le « socialisme libéral » est « à la fois individualiste et étatiste,mais d’un étatisme qui n’est pas plus tyrannique et global queson individualisme n’est intransigeant et atomique ». Ce socia-lisme-là est dans le sens de l’histoire : s’il y a une tendance à laconcentration économique, semblant préparer le « socialismed’État », il y a aussi une tendance vers l’« affranchissementtoujours plus complet de l’individu » et le maintien de la petitepropriété.

Le « socialisme libéral » réalise ainsi l’idéal de « vraie justice »qui garantit un « minimum d’égalité » à tous et donne appui auxefforts des prolétaires : grâce à leur association libre en coopéra-tions, mutualités, fédérations, etc., la rémunération de leurtravail tend à répondre au mérite. L’association volontaire estdonc le « couronnement » du « socialisme libéral », et laisseespérer, face au « chaos économique » libéral, une socialisationpartielle des moyens de production.

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Sabatier, fondateur du mouvement « socialiste libéral »

Si les thèses de Gaultier n’ont pas eu d’issue politique, il enva autrement de la plus significative tentative de création d’unmouvement « socialiste libéral », celle de Camille Sabatier (né en1851), député d’Oran et auteur d’une somme, Le Socialisme libéralou morcellisme [1905].

Le « morcellisme ». — Éphémère courant « socialiste libéral », le« morcellisme » naît avec la Ligue de la petite propriété (1895),républicaine et socialiste. Le Manifeste de 1896 érige la petitepropriété en garantie de la liberté et rejette tant le commu-nisme que le libéralisme économique. Cet « anticapitalismeconservateur », selon Maurice Faure (1850-1919), veut concilierliberté et justice contre l’« exploitation capitaliste » [Faure, inSabatier, 1907, p. 12]. Défendant une « sécurité socialecomplète » et universelle, les « morcellistes », hostiles à la grandepropriété, souhaitent « l’abolition du salariat et la socialisationdes moyens de production qui sont par nature même capita-listes ». D’où le rôle de l’État : contre le « laisser-aller » libéral, ildoit « garantir la liberté des faibles contre la puissance des forts ».Ainsi, les « morcellistes » revendiquent la paternité du « solida-risme » républicain, en définissant la « solidarité » non au sensde la « charité » mais comme relevant d’un « droit ». Sabatier, enportant « la solidarité sur le terrain du droit social », anticipeLéon Bourgeois, lui aussi membre de la Ligue pour la petitepropriété. Cette solidarité obéit à deux principes. D’abord,puisque « rien d’heureux n’arrive à personne qui n’ait été préparépar la collaboration de tous », tout bénéficiaire d’un avantage enest redevable plus ou moins à tous, si bien que « nul ne doits’enrichir aux dépens d’autrui » ; ensuite, comme « rien demalheureux n’arrive à personne » qui ne soit, même de façoninfime, causé par tous, on doit appliquer le principe selon lequel« quiconque cause à autrui un dommage est tenu à la répara-tion ». Pour qualifier cette exigence, respectueuse des libertésindividuelles, d’une « responsabilité directe et personnelle desriches vis-à-vis des pauvres », Faure parle, avec Sabatier, de

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« socialisme libéral ». Les théoriciens du « solidarisme », de Bour-geois à Bouglé, avanceront aussi l’expression [Audier, 2004a].

La propriété, garantie de la liberté. — L’option « anticapita-liste » du « socialisme libéral » apparaît dans sa relation aumarxisme. Selon Sabatier, le « grand honneur de Marx » tient àune « capitale distinction » entre deux concepts de propriété :celle du travailleur autonome et celle du capitaliste fondée surl’exploitation du travail d’autrui, destinée à être bannie commel’esclavage. Le « travail utile » est, et sera, l’unique facteur légi-time de propriété, contrairement à l’« exploitation du travaild’autrui ou capitalisme », condamnable comme les autres« délits ». L’autonomie du travailleur vis-à-vis de l’exploiteurcapitaliste suppose la propriété des moyens de production — lapropriété-outil. Mais celle-ci ne protège pas ceux qui sont ouseront inaptes à travailler : vieillards, malades ou infirmes. Poursa « sécurité », tout individu a donc besoin d’une « réserve desubsistance », la propriété-domaine. D’où l’erreur des libertaires etlibéraux anti-étatistes : « La sécurité sociale et l’harmonie desintérêts et des libertés exigent des lois », et « par suite, un État ».Le « communisme » est aussi une impasse car « l’État n’est pasun dieu » : l’ultra-étatisme renforcerait les tares du capitalismeen universalisant la « discipline des casernes » et en remplaçantl’arbitraire patronal par l’arbitraire bureaucratique.

On pourrait objecter que la propriété ne peut échoir à tous,sauf à être trop diluée. Elle risque alors de produire des inégalitéset de se retourner contre la liberté : monopolisée, elle soumettrales prolétaires à l’exploitation capitaliste. C’est cette « antinomiede la propriété » que Renouvier a soulevée sans la résoudre :comme l’appropriation par tel individu de l’objet convoitéinterdit la propriété de tous les autres, le « but de liberté » semblemanqué. D’où la tentation de se replier sur des « palliatifs » :l’impôt progressif et des « garanties » pour les travailleurs,notamment un système assurantiel. Si Sabatier revendique aussices procédés, l’« antinomie de la propriété » est selon lui soluble :afin que la propriété ne heurte pas la liberté et la justice, elle doitrester en proportionnalité avec le travail de chacun, sans

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Le « socialisme libéral »d’Oppenheimer en France

Parmi les théories allemandes du« socialisme libéral », la plus influente enFrance a été celle du sociologue FranzOppenheimer (1864-1944) qui baptiseson Système de la sociologie [1922-1936,vol. I, t. II, p. XVI] « le système écono-mique du socialisme libéral » (Das oeko-nomische System des liberalenSozialismus). L’idée de « socialismelibéral » a été introduite grâce à laversion française de Theorie der reinenund politischen Œkonomie [1910] en1914 — préfacée par Ch. Gide — et àla traduction en 1913 de Der Staat de1907. Ce « socialisme libéral » diffère decelui des républicains français. Il reposesur la réfutation de la loi d’« accumula-tion primitive » qui explique la genèsedes inégalités de classes comme résul-tant de « relations purement écono-miques entre des citoyens libres etégaux » [Oppenheimer, 1910, vol. I,p. XIV]. Au contraire, selon Oppen-heimer, ces inégalités viennent d’unévénement politique : l’institution del’État comme instrument de dominationd’un groupe, conduisant à la naissancede la grande propriété et du capita-lisme. Pour rétablir une certaine égalitégrâce à l’abolition du capitalisme et dusalariat, il faudrait donc détruire d’abordla grande propriété. D’où la réhabilita-tion du « libéralisme », mais un libéra-lisme authentique pour Oppenheimer,c’est-à-dire débarrassé de l’obstacle dela grande propriété. Si donc il reprendle concept de « lutte des classes », sondiagnostic sur le libéralisme diffère decelui de Marx : « Celui-ci, ne considé-rant que le pseudo-libéralisme de lagrande bourgeoisie, vit dans le

libéralisme, quel qu’il soit, l’ennemi irré-conciliable du socialisme. Je pense aucontraire que le vrai libéralisme qui nesert pas les intérêts d’une classe, maisceux d’une humanité lésée dans sondroit et sa liberté, est identique ausocialisme. » Il faut donc « faire appeldu jugement qui a autrefois condamnéle libéralisme » en adoptant un « socia-lisme réalisé par le libéralisme » [1910,vol. I, p. XXIII]. Les objections adresséesau socialisme par les « théories bour-geoises » n’atteignent en vérité que le« socialisme collectiviste » qui veutl’abolition du marché, mais en rien le« socialisme libéral » [1910, vol. II,p. 324], qui est le seul « socialismescientifique ». La concurrence seraitdonc le meilleur moyen de réaliser lesocialisme dès lors qu’elle n’est pasfaussée par les monopoles.

Favorable à cette doctrine, Ch. Gide(1847-1932) a souligné dans sa préfacequ’elle n’était pas « socialiste marxiste »,mais « socialiste-libérale » : si Oppen-heimer croit aux bienfaits de la libreconcurrence et aux « harmonies desrapports économiques », il réclamel’« abolition de la propriété » car celle-ciest le « seul et formidable obstacle » àla « libre concurrence » destinée à êtreprofitable à tous les travailleurs. Gidereconnaît que la société dont rêveOppenheimer, caractérisée par l’aboli-tion du salariat et le système des coopé-ratives, lui est « très sympathique ». Lanotion de « socialisme libéral » serad’ailleurs reprise par un disciple deGide, B. Lavergne (voir encadré p. 48).

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toutefois confier à une « Autorité » d’évaluation un pouvoirdémesuré. Il suffirait de tarir les voies d’acquisition ne relevantpas du travail direct : la « fraude », le « vol » et le « capitalisme ».Seules des lois injustes autorisent des « privilégiés » à posséderune propriété sans rapport avec leur mérite, contre les entreprisesdes autres travailleurs.

Le « socialisme libéral » : un étatisme et un associationnisme.— L’erreur des « libéraux » est de croire que « plus on restreintles droits de l’État, plus on accroît la liberté de l’individu ». Lathèse inverse est souvent vraie : l’État doit protéger la liberté desprolétaires contre l’exploitation. Certes, « celui qui abuse de sonrevolver pour contraindre au coin d’un bois le passant à livrer sabourse, viole la liberté individuelle », mais « celui qui abuse de cequ’il est armé des moyens de production pour contraindre celuiqui en est privé ne la viole guère moins ». L’État peut pécher tantpar action que par omission : il doit intervenir dans les contratsmettant aux prises un prolétariat incapable de discuter libre-ment des conditions imposées par l’employeur. Le « socialismelibéral », contre les « libéraux », assigne donc un rôle clé àl’action étatique qui peut aller aussi loin que l’acceptent les indi-vidus. Si Proudhon n’avait pas tort de voir dans la propriété uneprotection contre l’État, il faut s’en séparer car « l’individu etl’État ne s’opposent pas l’un à l’autre, mais au contraire nais-sent l’un de l’autre, celui-ci au service de celui-là ». Mieux, sil’État, qui est « perfectible », échoue à protéger les prolétairesindirectement, il doit agir directement, par socialisation des moyenscapitalistes de production : « Mais c’est la solution marxiste ! medira-t-on — Parfaitement […], et c’est la seule qui soit pratique etjuste » [Sabatier, 1905, p. 331].

Favorable à l’action étatique, le « socialisme libéral » est aussiun associationnisme. Certes, l’État est une grande association,mais non une « association libre » : il peut contraindre. Quantaux associations syndicales, elles sont « mixtes » si elles sont obli-gatoires. Restent les vraies « associations libres » se nouant et sedénouant selon les contrats individuels pour des fins variées.

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Le « socialisme coopératif »,un « socialisme libéral »

Une des dernières théorisations fran-çaises importantes du socialismelibéral est due à Bernard Lavergne(1884-1975), disciple de Gide et théo-ricien du « socialisme coopératif ». Ce« socialisme à visage humain » seraitl’unique voie, entre capitalisme etcommunisme, conciliant socialisme etliberté. I l la baptise « socialismelibéral ». Car si l’ordre coopératif est« par essence libéral », il est aussi« socialiste » : son but est d’« unir inti-mement » ces deux principes antago-nistes, présentant « l ’efficacitésurprenante d’édifier sous nos yeux unvéritable socialisme libéral » [Lavergne,1949]. Significativement, Lavergnevoit en Mazzini — l’inspirateur dusocialisme libéral italien — le précur-seur du « socialisme coopératif »[Lavergne, 1956].

On peut distinguer trois structureséconomiques — communisme mis àpart — selon leur façon de répartir leprofit. D’abord, le capitalisme « danslequel l’actionnaire n’a pas d’autrequalité nécessaire que celle précisé-ment d’apporteur de capitaux ».Aucun lien personnel n ’est icinécessaire entre l’actionnaire

capitaliste et l’entreprise qu’il possède.Ensuite, le principe corporatif ouvrierimpliquant une distribution duprofit entre les différents agents dela production. Si ces « associationsouvrières » peuvent être « altruistes »,el les ont tendance, comme lecapitalisme, à réaliser des profits« sur le dos du public ». Tout autreest le principe coopératif, centrésur l’intérêt du consommateur. Parce mode de redistribution « désin-téressé », les consommateurs béné-f icient du profit de l ’entreprises ’ i ls en sont aussi actionnaires.L’ordre coopératif se fonde sur descoopératives de consommateurs,c’est-à-dire « toutes les sociétés deproduction, de vente ou d’assurancequi sont constituées entre consom-mateurs pour satisfaire aux moindresprix possibles à leurs besoinspersonnels ou familiaux et danslesquelles les profits réalisés, s’ils nesont pas affectés au fond de réserve dela société, sont restitués aux socié-taires à proportion des achatseffectués par eux » [Lavergne, 1949,p. 59]. Ce système, inauguré par la« Société des équitables pionniers deRochdale » en 1844, implique la« confusion de la qualité d’usager etde la qualité d’actionnaire ou d’entre-preneur » — deux qualités dissociées

Ainsi, il y a deux grands instincts humains, l’un de libertémenant à la propriété, l’autre de sociabilité nourrissant les asso-ciations : l’équilibre social dépend de leur « jeu harmonique ».D’où l’impératif d’éviter toute antinomie entre liberté indivi-duelle et association. Les individus doivent se reconnaître dansles associations contraintes comme l’État et dans les associationslibres, ce qui suppose le droit d’y participer. Celles-ci peuvent

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dans le capitalisme et même dans le« principe corporatif ouvrier ». Cemodèle de « régie coopérative » seraitadapté à l’économie moderne.

Comme Gide, Lavergne juge que ladoctrine coopérative rompt avecl’« école libérale », son but étantl’abolition du système capitaliste par ladiffusion des coopératives, afin de« socialiser » peu à peu la production.D’où l ’hostil ité des « l ibéraux ».Toutefois, Gide serait allé trop loindans sa critique de la « concur-rence ». Car l’école coopérative veutaussi produire le plus efficacementpossible le maximum de richessespour le consommateur. Comme leslibéraux, le « socialisme coopératif »défend la libre association des indi-vidus et est favorable au jeu de l’offreet de la demande. Mais il s’en sépareaussi : tandis que les libéraux veulentrestreindre au maximum l’influence del’État, le socialisme coopératif,soucieux d’« économie sociale », luiconfère un rôle clé dans la protectiondes plus humbles. En outre, tandis queles libéraux défendent le capitalisme,le socialisme coopératif veut l’abolir :grâce aux organismes coopératifs, lesqualités de producteur et de consom-mateur, opposées dans le capita-lisme, se confondent « en la personnedes sociétaires ».

L’école coopérative est donc plusproche du « socialisme association-niste et semi-libéral d’avant 1848 » :lui non plus ne prône pas l’expropria-tion des classes dominantes et pariesur l’efficacité de l’économie coopéra-tive. Toutefois, l’école coopérativeinsiste sur l’intérêt du consommateur.Des théoriciens comme Jean Gaumont(1876-1972) ont ainsi souligné queJaurès, malgré des convergences,aurait sans doute refusé le principe del’« hégémonie du consommateur ».Plus grand est le clivage avec lemarxisme. D’abord parce que le socia-lisme coopératif a un fondement« individualiste » et rejette le « socia-lisme d’État ». Ensuite, parce qu’ilpréfère à la « lutte des classes » l’aidemutuelle. Mais ce refus du conflitrévèle aussi une convergence avec lemarxisme : son but est la « socialisa-tion des moyens de production » pourabolir la lutte des classes. Selon lesocialisme coopératif, on peut doncmodifier la répartition sociale desrevenus sans rejeter la structure del’entreprise moderne, tournée vers l’effi-cacité maximale. Car le mécanisme deproduction n’est pas indissociable dumécanisme de distribution : on peutcombiner l’efficacité de la productioncapitaliste avec l’équité de la réparti-tion socialiste.

créer des « miracles économiques » : l’association des individusen coopératives, source d’émulation et de solidarité, est compa-tible avec leur libre disposition de l’outillage. Telle est la formule« morcelliste » : « propriété privative, exploitation associée ».

Ces thèses supposent donc une analyse du capitalisme fidèleen partie au marxisme. Si Sabatier ne croit pas à la fin de la petitepropriété, certaines industries exigent selon lui une forte

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concentration. Alors, les « morcellistes » « préfèrent l’industrienationale et disent : “Patron pour patron, nous préféronsl’État.” » Ici, le « socialisme libéral » est plus proche du socia-lisme étatiste que du libéralisme : il propose la « socialisation desmoyens capitalistes de production », grâce au « procédé marxistede la socialisation », mais « de ceux-là seulement ». Ainsi, le« morcellisme » est « une branche du socialisme français », maisaussi du républicanisme solidariste : il veut donner aux non-propriétaires un système de garanties sociales compensant leur« moindre liberté ».

L’essoufflement du socialisme libéral

L’éclipse en France de l’idée de « socialisme libéral » dans laseconde moitié du XXe siècle tient à son essoufflement concep-tuel. Non que les tentatives d’un socialisme d’inspiration liber-taire voire partiellement libérale aient manqué, comme celled’A. Philip. Mais il n’y a guère eu de théorisations novatrices duconcept de « socialisme libéral ». Pire, cette idée s’est affadie, nedésignant plus qu’une option antimarxiste. En témoigne ladistinction d’A. Camus dans Combat en 1944, entre un « socia-lisme marxiste de forme traditionnelle » et un « socialismelibéral, mal formulé quoique généreux », rejoignant « une tradi-tion collectiviste française qui a toujours laissé place à la libertéde la personne et qui n’a rien emprunté au matérialisme philo-sophique ». De même, le socialiste catholique J. Lacroix [1945]a voulu substituer au « socialisme traditionnel » une synthèse de« travaillisme », de « socialisme humaniste » et de « socialismelibéral » opposant à la « contrainte » l’épanouissement au travail.Ce « flou » conceptuel se retrouvera dans le plaidoyer deH. Descamps [1981] pour l’« instauration du socialisme libéral »— une démocratie sociale « non étatique » et autogestionnairepar la « dépolitisation », la « régionalisation » et la fédérationeuropéenne. Toutefois, même dans ses formes élaborées, le« socialisme libéral » français présente des limites : une tendanceà l’utopisme et à l’idéalisme parfois liée à un rejet de la modernité

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et à une difficulté à penser la société salariale. Et l’hostilité occa-sionnelle au marxisme est ambivalente quand elle trahit un refusd’affronter les antagonismes sociaux et une incapacité à saisir lerôle potentiel du conflit dans l’émancipation des groupesdominés [Audier, 2005]. Quoi qu’il en soit, le socialisme libéralfrançais, aux sources des idéaux actuels de solidarité, diffère desvisions communes : il n’est ni essentiellement libéral ni anti-étatiste. Il s’inscrit, comme en Italie, dans le sillage des théoriessocialistes et républicaines.

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III / Le socialisme libéral italien,des origines à l’antifascisme :un nouveau socialisme ?

On identifie souvent socialisme libéral et antifascisme. D’où lafocalisation en Italie sur sa figure majeure, Carlo Rosselli(1899-1937), fondateur du mouvement « Justice et Liberté »(Giustizia e Libertà). Le risque est toutefois d’en occulter lessources qui remontent au Risorgimento : son inspirateur,Giuseppe Mazzini (1805-1872), a marqué bien des socialisteslibéraux [Audier, 2002] en défendant des thèses républicainesproches de celles de son ami Leroux, visant à concilier libertéindividuelle et solidarité sociale. D’autres figures du Risorgi-mento ont exercé une influence, comme C. Cattaneo, G. Ferrari etC. Pisacane. Vers 1860, le courant socialiste napolitain « Libertéet Justice » (Libertà e Giustizia), républicain et mazzinien, maisaussi positiviste, pose les prémisses du mouvement. Surtout, lesocialisme libéral est anticipé dans La Plebe (1868-1883), labora-toire intellectuel du socialisme italien, avant Critica Sociale(1891-1926). Ces sources républicaines et socialistes éclairent larelation complexe du socialisme libéral à Marx. Si certains de sesthéoriciens ont plaidé pour que le socialisme ne s’identifie plusau marxisme, ils ont souvent gardé de celui-ci une grande atten-tion au conflit de classes et une approche réaliste du mondesocial que l’on ne trouve que rarement chez les républicainsfrançais, plus attachés à une vision consensualiste de la société.

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Merlino : la voie libertaire du socialisme libéral

Tombé dans l’oubli, Francesco Saverio Merlino (1856-1930) estpourtant un penseur majeur de l’histoire du socialisme. Cetavocat, d’abord anarchiste, puis socialiste réformiste, est l’un despremiers critiques du marxisme. Sa réfutation de Marx en1890-1891 a été examinée par E. Bernstein et son apport soulignépar G. Renard, G. Sorel et E. Durkheim. Fondateur en 1899 de laRevue critique du socialisme, il a été marginalisé par des marxistescomme A. Labriola. Car Merlino n’est pas un « révisionniste » : ilne veut pas réviser le marxisme, mais le réfuter — sans mécon-naître ses apports — en rejetant son identification au socialisme.S’il ne résume pas le socialisme libéral à venir, il en anticipecertaines orientations.

Essence et formes du socialisme

Il faut distinguer l’essence du socialisme de ses différentesformes [Merlino, 1898a, 1898b, 1898c]. La première est « indes-tructible », tant que durera la question sociale ; les secondes sontpérissables. Il y a en effet un socialisme des choses, celui desmouvements sociaux, qui précède le socialisme des socialistes,celui des théoriciens. L’essence du socialisme désigne ainsi l’aspi-ration à l’égalité des conditions et au bien-être pour tous, qui exige« l’équité des rapports, l’abolition des monopoles, la suppres-sion du salariat, la coopération entre égaux ». Le reste relève dethéorisations contingentes : le moteur du socialisme n’est pas telleou telle théorie, mais une aspiration indestructible à la dignité et àla justice sociale. D’où aussi l’objectif clé de l’émancipation desfemmes.

Contre le communisme

Cette distinction entre formes et essence est décisive pourl’avenir du socialisme : même si l’on prouvait que la théorie quile guidait était fausse, cela ne retirerait rien à la légitimité del’aspiration à la justice sociale. Le socialisme est donc dissociable

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du marxisme : la réfutation de celui-ci ne peut entraîner sa perte.À l’inverse, les formes du socialisme peuvent être appliquées detelle sorte qu’elles en détruisent l’essence [1898a, p. 43]. Ainsidu marxisme, qui, s’il était appliqué, conduirait à une sociétéliberticide et inégalitaire. Merlino souligne les limites dumarxisme : un matérialisme réducteur, une philosophie détermi-niste de l’histoire, une conception dogmatique de la lutte desclasses. S’appuyant sur l’« école hédoniste autrichienne »— notamment Böhm-Bawerk —, il reproche à Marx d’avoir reprisaux libéraux classiques la théorie de la « valeur-travail », en rédui-sant toutes les différences de valeur entre les choses à des diffé-rences d’heures de travail accomplies pour les produire. Or letravail n’est pas le seul créateur de « valeur » : celle-ci est sujetteà des variations infinies selon les goûts et les désirs. La thèse deMerlino est que le marxisme est dès lors conduit à prétendreremplacer la loi de formation de la valeur par une planificationintégrale dans la période de transition vers le communisme.Cette abolition du marché produira des résultats catastro-phiques : la fusion entre pouvoir politique et pouvoir écono-mique, la montée en puissance d’un groupe de fonctionnairesdans l’appareil administratif, menaceront de générer « unetyrannie cent fois pire que la tyrannie capitaliste » [1898a, p. 25],puisque s’y ajoutera le pouvoir de la bureaucratie. Au reste, la« dictature du prolétariat » justifiera l’oppressante dictature duparti, provoquant l’absurde « suicide » du prolétariat.

Contre les « économistes »

L’impasse du communisme n’enlève rien à celle des libéraux.L’« école individualiste » de Spencer a certes raison d’attribuer àtous les hommes des libertés égales en matière de droit à la vie, àl’intégrité de la personne, à l’usage du sol, etc. Toutefois, cesdroits étant dépourvus des moyens concrets pour les rendre effectifs,restent des « fictions juridiques ». Avec l’inégalité permanentedes conditions, il n’y a nulle « liberté égale » : à quoi servent aupauvre les mêmes droits que le riche s’il ne peut leur donnerun contenu concret ? L’ouvrier obligé d’accepter le salaire que lui

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propose le détenteur des moyens de production n’a qu’une« liberté abstraite ». Liberté et égalité sont donc indissociables :si l’égalité absolue est une chimère, une égalité consistant dansl’équité des échanges et l’abolition des monopoles est une condi-tion de la liberté de tous. Les disciples de Spencer se fourvoienten identifiant la justice à l’absence de toute violence et fraude.À les suivre, un contrat entre un ouvrier et son patron serait justes’il était consenti, quand bien même les conditions seraientinégales et que l’ouvrier n’aurait pour sa survie aucun choix réel.En vérité, un juste contrat dans des conditions aussi dissymé-triques est impossible. Seule une réforme prohibant le monopoleet égalisant les conditions permettra des relations sociales justes.

Un socialisme de marché anticapitaliste

Il faut donc admettre le rôle potentiellement bénéfique dumarché où se forme la « valeur » des produits, et l’injustice ducapitalisme monopolistique et exploiteur. Les socialistes collecti-vistes dénoncent justement les inégalités de départ faussant laconcurrence, mais leur remède serait pire que le mal ; les libé-raux ont raison de dénoncer toute planification intégrale, maisleur apologie du capitalisme légitime les injustices. Contre cesimpasses, Merlino esquisse son projet, fondé sur une « gestionprivée » des industries — et non une « gestion capitaliste » — avecdes coopératives à côté des entreprises privées, et, pour certainesindustries, une gestion communale ou étatiste [1898b, p. 185 ;1898c, p. 75] — le but étant de garantir à tous l’usage des instru-ments de travail. On pourrait conférer à la collectivité la propriétédu sol, des moyens de production, de distribution et de trans-ports, etc. ; mais elle n’exercerait pas directement l’organisationéconomique, sauf dans quelques industries monopolistiques.Pour le reste, l’initiative reviendrait aux individus et aux associa-tions : la collectivité, édictant des « règles » sociales, céderait lesinstruments de travail à des acteurs privés ou semi-privés (asso-ciations) sous réserve du respect des règles prévues et du paie-ment d’une « rente » différenciée visant à égaliser les positions(pour que ceux bénéficiant au départ des meilleures conditions

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ne soient pas trop favorisés). Ainsi, la collectivité, fournissantinstruments de travail et services (éducation et solidarité), empê-cherait les grosses accumulations de richesses : l’échange,désormais équitable, serait compatible avec la solidarité.

Un socialisme « libéral » et « juridique » : Rignano

Négligé même en Italie, Eugenio Rignano (1870-1930) estpourtant un autre précurseur majeur du socialisme libéral. Cescientifique mondialement reconnu en biologie fut aussi unthéoricien socialiste avec son livre oublié, Un socialisme enharmonie avec la doctrine économique libérale [1901].

Réviser le matérialisme historique

Selon Rignano [1908], le matérialisme historique de Marx apermis de délaisser les « manifestations extérieures » pour étudierle phénomène économique. Mais il a eu tort de postuler leprimat de l’économie et la dépendance unilatérale des phéno-mènes, réduisant la politique, le droit, la morale, etc., à des« effets ». De là un fatalisme décourageant l’action volontaristepour modifier le « droit » qui est la « manifestation la plus directede cette volonté collective ». Certes, l’économie détermineparfois le droit, mais l’inverse est vrai aussi. Au reste, le fatalismeéconomique a été réfuté par les luttes syndicales : « Tandis quele processus économique aurait dû amener, selon Marx, unepaupérisation et un abrutissement progressif de la classeouvrière, l’action collective de celle-ci parvenait à le modifier àson avantage. » Cette capacité d’action s’accentuera quand elletouchera le « droit de propriété » qui « solidifie » les acquis del’action collective. La révision du matérialisme s’impose donc parles contradictions internes résultant de sa thèse de la lutte desclasses : celle-ci est « très vraie », mais incompatible avec le postulatd’une détermination unilatérale par l’économie. Car comment

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Une réforme « socialistelibérale » du droit successoral

Le projet de Rignano d’une « réformesocialiste du droit successoral », avancéen 1901 et repris en 1920, qui s’inspirede celui de Huet (voir encadré p. 28)tout en en rejetant ses aspects « méta-physiques », a suscité l’intérêt. Ainsi,E. Bernstein a préfacé en 1907 satraduction allemande. Quant au leaderbelge E. Vandervelde (1866-1938),figure éminente du socialisme euro-péen, il soutient en 1921 ce projet enle proposant au président du Conseildes ministres belge. Selon Vandervelde,le savant italien, qui « se dit libéral enmême temps que socialiste », rejoint lesaspirations socialistes : « Le “socialistelibéral” qu’est Rignano veut la mêmechose que nous : “ la socialisationgraduelle des biens privés” (en tant quemarxiste impénitent, je préfère dire :“des moyens de production”). » De fait,ce plan veut « transformer le régimecapitaliste actuel en un régime socialistelibéral, qui, aux avantages d’une distri-bution plus juste des richesses, joindraitceux d’une production économiquenotablement intensif iée ». Ainsi,Rignano rejette le projet de nationalisa-tion immédiate. Trop brutal, il boulever-serait les équilibres économiques, cedont pâtirait le prolétariat De plus,l’expropriation coûterait un fort endet-tement public. Il faut donc une réformefaisant passer ces biens à l’État, maisgraduellement et sans devoir indem-niser personne. Le projet devra doncconserver la part de vérité des objec-tions « libérales » au socialisme. Ainsi,l’« école économique libérale » a raisonde dire qu’une gestion directe de laproduction par un État bureaucratique

serait inefficace et que l’initiative privéenourrit la prospérité. Rignano ditrejoindre ici Vandervelde dans Le Socia-lisme contre l’État (1918) car « l’Étatbourgeois, congestionné et centralisa-teur, ne peut être l’idéal du socialisme ».Il faut donc concilier « les avantagesd’un régime économique libéral — libreinitiative privée, concurrence, etc. —avec les principes suprêmes de justiceproclamés par le socialisme » afin de« transformer le régime capitalisteactuel en un régime socialiste libéral ».

D’où la nécessaire réforme du droitde propriété. La justification d’une insti-tution comme le droit de propriétéréside dans son « utilité sociale »,rappelle Rignano en s’appuyant signifi-cativement sur J.-S. Mill, même s’il nereprend pas entièrement le projet deréforme de l’héritage de celui-ci. Orl’équité exige une modification radicaledu droit en matière de testament etd’héritage. Cette révolution juridique,visant à inciter au maximum de travailet d’épargne — comme le souhaitentles « libéraux » —, n’accordera au droitde propriété, pour cette raison même,que la durée strictement nécessaire etsuffisante pour garantir cet intérêtmaximum à travailler et à épargner ;passée cette limite, les capitaux et lesbiens accumulés devront revenir à l’État— conformément à l’aspiration socia-liste. Les droits prélevés par l’État sur lessuccessions ne seront donc pas desimpôts, mais des parts prises dans lafortune patrimoniale des défunts, dont ilpourra déléguer la gestion à des orga-nismes appropriés, afin de financer laprotection sociale et la formation detous les salariés.

Un nouveau critère de progressivités’impose donc : la progressivité dans letemps, qui désigne l’« âge des diverses

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portions du patrimoine laissé par ledéfunt », c’est-à-dire « le nombre destransferts, opérés par voie de succes-sions ou de donations, que les diffé-rentes portions de patrimoine ont subisavant de parvenir à l’individu qui estmaintenant mort ». Ainsi, le droit du« testateur » différerait selon les diffé-rentes parties de son patrimoine. Sondroit sur les biens accumulés grâce à sonpropre effort — travail et épargne —serait très large ; en revanche, il seraittrès réduit pour la part dont il aurait lui-même hérité, et cette réductions’accroîtrait d’autant plus que l’originede sa part du patrimoine serait éloignéedans le temps. Concrètement, l’Étatpourrait être « cohéritier » de 50 % desbiens qui auraient déjà subi un trans-fert par voie de succession ou de dona-tion, et de 100 % des biens qui auraientdéjà subi deux transferts. Loin de briderl’effort individuel, cette réformel’encouragerait : la part de l’héritagerésultant de l’effort personnel revien-drait très largement aux héritiers, telleune « plus-value ». Il en irait de lapropriété comme des brevets tempo-raires : interdire les brevets, c’est tarir ledésir d’inventer, mais les rendre perma-nents, c’est priver l’humanité de l’accèsgratuit aux bienfaits des découvertes.De même, la réforme socialiste libéralede l’héritage donnerait comme un« brevet de capitalisation ou d’accumu-lation à durée temporaire et stricte-ment déterminée par l’utilité collective »[Rignano, 1901, p. 70]. L’État se servi-rait ensuite en nature de ces différentsbiens (terrains, bâtiments, etc.) dont ilconfierait l’administration (pour loca-tion) à des départements, descommunes, etc. Cette « nationalisationeffective » réaliserait les vœux socia-listes tout en échappant aux illusions

des « marxistes ». Rignano se dit en effetsocialiste : il critique les « économisteslibéraux » hostiles à son projet, tel YvesGuyot. Et, comme il dit « l’avouer fran-chement », son but est de « substituerle système socialiste au systèmed’exploitation capitaliste que ces écono-mistes défendent ».

Reste l’objection des libéraux : lerisque d’une « émigration des capi-taux ». Ce « spectre », rappelle Rignano,est agité à chaque augmentation dessalaires issue des luttes ouvrières. Les« doctes Cassandres » libérales onttoujours menacé d’une fuite des capi-taux vers les pays à bas salaire. SelonRignano, la réponse réside dans l’inter-nationalisme socialiste. Les Partis socia-listes doivent se concerter au planinternational pour parer « synchroni-quement » aux évasions fiscales. Aureste, les luttes syndicales dans chaquepays, imposant une législation sociale,rendront impossibles de telles évasions.En outre, il faut réfuter le mythe libéralqui veut que toute augmentation dessalaires et toute forte redistribution fontfuir les capitaux. Car c’est en vérité dansles pays où les salaires ont augmenté,où les conditions de travail ont étéaméliorées et où le niveau moral etintellectuel de la classe ouvrière a pus’élever, qu’il y a eu un accroissementde la productivité. Contrairement àcertains dogmes libéraux, le progrèssocial n’est pas incompatible avec lesprogrès de l’efficacité économique.

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Gobetti : vers un« libéral-communisme » ?

Le socialisme libéral antifasciste a étémarqué par la revue La Révolution libé-rale de Piero Gobetti (1901-1926). Cepenseur inclassable a parfois été définicomme un « libéral-communiste »voulant rompre avec le libéralisme conser-vateur pour s’ouvrir aux revendicationsdes masses. Le contexte historique deTurin éclaire ses positions : Gobetti assiste,fasciné, à l’occupation des usinesmodernes de la Fiat par une « aristo-cratie ouvrière » qualifiée. L’expériencedes « Conseils » ouvriers revendiquant laprise en charge du processus productifattesterait la possibilité d’un renouvelle-ment des « élites » par les luttes sociales.Le « libéralisme », entendu comme l’aspi-ration à l’autonomie animant les mouve-ments d’émancipation à la « base », seraitdonc un des moteurs de la lutte desclasses. D’où le jugement de Gobetti surla Révolution russe, saluée pour avoirabattu le tsarisme et érigée paradoxale-ment en révolution « libérale ». Contraire-ment à d’autres socialistes et marxistes,Gobetti ne perçoit guère les prémisses enRussie d’un État totalitaire, toute sonattention étant focalisée sur le renouvelle-ment des élites issu du mouvement desmasses. Collaborateur de la revue deGramsci, Ordine Nuovo, Gobetti n’estpourtant pas un communiste : il reste enpartie fidèle au libéralisme économiquede son maître Luigi Einaudi et sa sensibi-lité « libertaire » l’éloigne du Particommuniste.

C’est dans Ordine Nuovo qu’i lannonce en 1922 la parution de sa revueLa Rivoluzione Liberale, où collaborerontlibéraux et socialistes unis dansle combat antifasciste, jusqu’à sa

dissolution en 1925. Un thème clé de cesarticles se réclamant du « libéralisme »est le caractère émancipateur des luttessociales. Dans son livre La Révolution libé-rale [1924], Gobetti souligne que c’est« à travers la lutte des classes » que « lelibéralisme démontre ses richesses », lesconflits sociaux étant « l’instrumentinfaillible de formation de nouvellesélites, le vrai levier, toujours opérant, durenouvellement populaire ». Contre le« rêve nationaliste » d’unité sociale, ilsouligne « la fonction éducative duconflit dans la vie des hommes » et sacapacité à garantir la liberté. Aussiprécise-t-il, pour « éviter toute équi-voque », que son libéralisme est « révolu-tionnaire » : il répond à l’aspiration desclasses populaires à prendre elles-mêmes en charge leur destin, contretout « paternalisme ». Seul l’État quiexprimera ces luttes sociales en s’ouvrantaux revendications populaires sera dignede ce libéralisme soucieux du renouvel-lement des élites. D’où un jugementcomplexe sur le marxisme : si Gobettipartage les critiques des économisteslibéraux et s’il rejette les aspects détermi-nistes de Marx, il juge que le matéria-lisme historique et la théorie de la luttedes classes demeurent des « instrumentsacquis pour toujours à la science socialeet qui suffisent à sa gloire de théori-cien ». Ainsi, il considère qu’est venuel’« heure de Marx », qui serait à cet égardun vrai « libéral ». Cette insistance sur lerôle du conflit explique aussi le poids queconfère Gobetti aux thèses de Machiavelsur le caractère libérateur du conflit entreles « grands » et le « peuple ». Le libéra-lisme de Gobetti est ainsi un libéralismeconflictuel qui n’a pas le moindre rapportavec le centre-gauche du début duXXIe siècle auquel on l’a bien hâtivementassimilé en France [Audier, 2005].

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affirmer à la fois le rôle du conflit de classes et le déterminismepar l’économie ?

Un « socialisme juridique »

La transformation du droit s’impose car les acquis des luttessyndicales restent fragiles. Le rapport de forces demeure défavo-rable aux salariés : tandis que le « capitaliste entrepreneur » peutvite décider de rejeter un accord, ceux-ci peinent à se mobiliser,les luttes collectives directes étant chaque jour à refaire. Ainsi,le phénomène juridique « cristallise » la volonté de la classeouvrière, lui assurant pérennité grâce à un « schéma de normesqui se maintiennent par elles-mêmes ». La solution réside dansun « socialisme juridique », seul moyen de transformer lesystème de la propriété bourgeoise en vue d’une collectivisa-tion croissante, mais en évitant la violence révolutionnaire quesubiraient d’abord les ouvriers : il est donc « en antithèse parfaiteavec le socialisme “collectiviste”, par son aspect complètement“libéral” » [Rignano, 1910, p. 134]. Ce rejet non pas tant dumarxisme que du communisme explique l’hostilité de Rignanopour le bolchevisme, et ses dérives à l’arrivée du fascisme. En1924, alors que Merlino condamne dans Fascisme et Démocratiele nouveau régime, Rignano, dans Démocratie et Fascisme, jugeprioritaire de stopper le bolchevisme, c’est-à-dire l’ennemi de ladémocratie et du prolétariat. Mais il avertit : le régime fascistedoit impérativement rétablir l’État de droit et la démocratie plura-liste, seuls moyens pour le prolétariat de faire peser ses revendi-cations. Cette position ambiguë expliquera l’antipathie desantifascistes envers Rignano.

Rosselli : le socialisme libéral,doctrine pour l’antifascisme

Avec l’antifascisme, le socialisme libéral devient une tendanceminoritaire du socialisme, portée notamment par Carlo Rosselli(1899-1937). Issu d’un milieu juif fidèle aux idéaux républicains

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du Risorgimento et à la mémoire de Mazzini (l’ami de la famille,mort chez un Rosselli à Pise en 1872), il soutient en 1923 sa thèsesur le syndicalisme, participe à la revue Critica sociale et découvreà Londres le travaillisme. Il cofonde en 1925 le bulletin antifas-ciste Non mollare puis la revue socialiste Il Quarto Stato. En 1926,il est arrêté pour avoir organisé la fuite du leader socialiste FilippoTurati. Dans la prison de Savona, il compare son destin à celui deMazzini qui, un siècle avant, y avait médité la création du groupeGiovine Italia pour libérer l’Italie. Contraint à l’exil (le confino)sur l’île de Lipari, il écrit Socialisme libéral [1930] avant de fuirpour fonder à Paris le mouvement révolutionnaire Giustizia eLibertà. Engagé en 1936 dans la guerre d’Espagne, il sera assas-siné en France, avec son frère Nello, par le groupe La Cagoule surordre du régime fasciste.

Pour un socialisme non marxiste

D’après la vulgate, Rosselli serait purement antimarxiste. Envérité, Marx est, selon lui, comme Kant en philosophie, un « clas-sique » : son approche réaliste de l’économie et du conflit socialest un grand acquis. Mais ceci n’enlève rien au nécessaire dépas-sement du marxisme : le socialisme ne doit plus s’identifier à lui,compte tenu de ses limites théoriques et pratiques [Rosselli,1930, p. 76]. Le marxisme a connu en effet trois phases : l’étape« religieuse », quand il était le guide indiscuté des socialistes(Bebel ou Guesde), l’étape « critique » portant sur sa scientificité(le révisionnisme de Bernstein et Sorel) et l’étape « actuelle » dontRosselli, après Au-delà du marxisme de Henri de Man [1926], tireles conséquences.

Le révisionnisme résulte des progrès du syndicalisme qui aamélioré la condition ouvrière et aménagé le capitalisme. Lesluttes et les négociations syndicales quotidiennes, dont lesmarxistes se méfiaient, obligent à un réexamen. Le mouvementsyndical n’a en effet retenu du marxisme que la lutte des classes— au sens large — et l’auto-émancipation du prolétariat. Sonréformisme a réfuté le « catastrophisme » marxiste postulantl’autodestruction du capitalisme. D’où la révision du marxisme.

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Ainsi, Bernstein a proposé, au nom de la scientificité de Marx,d’adapter la doctrine à son temps, alors que Sorel a réfuté lemarxisme dogmatique au nom du « vrai » Marx qui n’était passelon lui déterministe. Cependant, les « révisionnistes » étaientinconséquents : leur réexamen n’affectait pas seulement lemarxisme dogmatique, mais la doctrine de Marx lui-même [1926,p. 54]. Car c’est bien chez Marx qu’il y a une vision détermi-niste de l’économie niant le rôle de la volonté. Sa vision del’homme serait, paradoxalement, celle des utilitaristes, reprenantle modèle de l’homo oeconomicus de Bentham. Aussi le socialismedoit-il reconnaître l’importance des exigences morales et éduca-tives pour une société juste.

Le socialisme, dépositaire de la « fonction libérale »

Cette analyse éclaire la définition du « socialisme libéral ». Ona voulu y voir, surtout en France, la marque d’un socialismeenfin réconcilié avec l’économie capitaliste. Ce n’est pourtant enrien la thèse de Rosselli [Audier, 2005]. Certes, le libéralisme etle socialisme, après s’être opposés, sont en train selon lui deconverger. Tandis que le libéralisme, affrontant peu à peu laquestion sociale, n’est plus « nécessairement » lié à l’économielibérale manchestérienne, le socialisme, rompant avec l’utopismeet l’autoritarisme, devient sensible à la liberté et à l’autonomie.Ainsi, le libéralisme « se fait socialiste », et réciproquement : cesdeux visions « très hautes, mais unilatérales » tendent à se copé-nétrer pour le meilleur : l’amour de la liberté, d’un côté, l’aspira-tion à l’égalité selon la justice, de l’autre. La crise du marxismeconduit donc au « socialisme libéral », car « le socialisme doittendre à devenir libéral et le libéralisme à se nourrir des luttesprolétariennes ». Déjà le maître de Rosselli, Gaetano Salvemini,avait montré que la lutte des classes n’exprimait pas des intérêtsparticuliers, mais l’aspiration solidaire du monde ouvrier à sortird’une dépendance illégitime. Le conflit de classes, par lequel lesouvriers luttent pour la reconnaissance de leur autonomie, loind’être antilibéral, correspond à la philosophie du libéralisme,pour qui la lutte est le moteur de l’émancipation. Le

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« libéralisme » (liberalismo) de Rosselli, baptisé aussi « libéralismepolitique », n’a donc rien à voir avec le pur libéralisme écono-mique, nommé « libérisme » (liberismo). Pour Rosselli, le « libéra-lisme » est d’abord une philosophie de la liberté. Aussi n’est-ce plusla bourgeoisie, mais le socialisme prolétarien qui est le « déposi-taire de la fonction libérale ». Le libéralisme est en effet la « forceidéale inspiratrice » et le socialisme la « force pratique réalisa-trice » [Rosselli, 1930, p. 92].

De fait, la généalogie du « libéralisme » par Rosselli n’est pascentrée sur les doctrines du marché, mais sur la « pensée critiquemoderne », la Réforme et l’invention de la tolérance après les« atroces guerres civiles ». Ce « principe de liberté » s’est diffusédans tous les domaines — y compris intellectuel, avec lesLumières — jusqu’à la Révolution française. L’ultime étape viseraà faire en sorte que la liberté, dite universelle, notamment dansla sphère économique, ne reste pas le privilège d’une minoritémais devienne le « patrimoine de tous ». En ce sens, le socia-lisme, fidèle à l’universalisme des droits de l’homme, n’est quel’ultime conséquence du « principe de liberté » : il est « libéra-lisme en action », ou encore « la liberté qui se réalise pour lespauvres gens ». Car les principes de liberté morale et politique,quoique bénéfiques, sont abstraits si les classes misérables nepeuvent les rendre effectifs. Une liberté sans un minimum d’auto-nomie économique est inexistante : l’individu est « libre endroit » mais « esclave en fait ». La privation des outils de travail etde toute participation à la direction de l’entreprise est mêmeincompatible avec la dignité humaine. Aussi le capitalismes’oppose-t-il au « libéralisme » comme philosophie de la liberté.

La quête d’une liberté ouvrière concrète est donc indisso-ciable d’une dénonciation de l’égoïsme de la bourgeoisie, qui aépuisé sa « fonction » dans l’histoire de la liberté. Elle ne fut« dépositaire » de la « fonction libérale » que lorsqu’elle abattitle « dogmatisme de l’Église » et l’« absolutisme des rois ». Sondévouement à la cause de la liberté et son aptitude à dépasserses intérêts ont atteint leur sommet avec la Révolution fran-çaise, après quoi le « libéralisme bourgeois » s’est rigidifié dans laformule de l’« État capitaliste bourgeois ». La bourgeoisie

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La « fonction libérale »du prolétariat selon Missiroli

Pour saisir la thèse de Rosselli selonlaquelle c’est au prolétariat que revientla « fonction libérale », il faut étudierles écrits de Mario Missiroli(1886-1974) qui, dès 1919, évoque la« fonction libérale » du mouvementsocialiste. Les articles de La Monarchiesocialiste et de Polémique libérale [1919]anticipent en partie les thèses deRosselli sur le libéralisme. Pour Missi-roli, les « libéraux » italiens et le « Partilibéral » sont des conservateurs et nondes libéraux. Au contraire, F. Turati, leleader du Parti socialiste italien, seraitle « chef du libéralisme italien » car « lafonction libérale est passée aux socia-listes ». Le « libéralisme » est en effetune « conscience critique de l’histoirevivante » qui saisit le rôle des conflitsde classe et de l’équilibre des forcessociales dans l’avènement de la liberté.S’il est contradictoire de parler de« libéralisme » concernant la classe

bourgeoise accrochée à ses privilèges,la lutte du prolétariat pour sa dignitérelève de l’idéal libéral. La thèse deMarx selon laquelle l’émancipation duprolétariat sera l’œuvre du prolétariatlui-même témoigne ainsi d’une orien-tation « libérale » : elle refuse tout« paternalisme » et confère un rôle cléà l’autonomie des masses. Pluslargement, le libéralisme, comme« état d’âme libéral » — expressionqui se retrouvera chez Rosselli —veut dire « tolérance », « capacité decomprendre les idées adverses, capa-cité, jusqu’à un certain point, de lespartager », et donc de « voir un frèredans l’adversaire, une part de soi dansl’ennemi ». Ces thèses éclairent le rejetpar Missiroli du totalitarisme commu-niste comme négation du conflit declasses, et donc du « libéralisme »[1919, p. XI.]. L’archéologie del’expression « fonction libérale »confirme que le socialisme libéral n’arien de commun avec une simpleadaptation de la social-démocratie aucapitalisme.

revendique encore les principes de 1789, mais ceux-ci,« momifiés » et privés de leur signification, dissimulent sa domi-nation qu’elle veut éterniser. Son tort est d’avoir « emprisonnél’esprit dynamique du libéralisme » dans un système socialtraduisant son « attachement dogmatique aux principes du libé-ralisme économique » — « propriété privée, droit d’héritage,pleine liberté d’initiative dans tous les domaines, l’État organede police et de défense ». De cette classe, il n’y a, dans l’ensemble,plus rien à attendre : jamais elle ne renoncera à ses privilèges[Rosselli, 1930, p. 94].

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Méthode et système libéral

Le libéralisme est donc une philosophie de la liberté posantl’autonomie individuelle comme fin et moyen. Aussi faut-il distin-guer la méthode libérale, valide, et le système libéral, périmé.Rosselli rejoint ici son maître A. Levi, qui parlait déjà d’« étatd’âme libéral » par opposition à toute doctrine figée. Le systèmelibéral, résumé dans le « système capitaliste bourgeois », dégé-nère en pur libéralisme économique. Rien à voir avec la méthodelibérale, répondant au principe que « la libre persuasion du plusgrand nombre est le meilleur moyen pour parvenir à la vérité »[Rosselli, 1924, p. 110]. Cette méthode est un « complexe denormes » caractérisant la civilisation européenne, qui consiste enun ensemble de « règles du jeu » garantissant la pacifique coexis-tence des individus et des groupes en conflit. La méthode,« minimum dénominateur commun » de civilité acceptable partous, constitue donc l’« atmosphère de la lutte » : si les conflitssont inévitables et même désirables, ils doivent être canalisésdans un cadre permettant la coexistence de tous [Rosselli, 1930,p. 100].

Cette vision du « libéralisme » montre son irréductibilité aulibéralisme économique et son aptitude à renouveler le socia-lisme. À ceux qui objecteraient que le libéralisme interdit le« programme reconstructif » du socialisme, Rosselli répond eneffet que les socialistes risquent, comme les « conservateurs bour-geois », d’enfermer le libéralisme dans un système clos, celui du« collectivisme ». Or, pour l’« esprit libéral », la lutte estl’« essence même de la vie » : il est absurde de figer les conflitssociaux dans des formules programmatiques définitives. En cesens, le marxisme est antilibéral, même si ses effets ont pu êtreparadoxalement « libéraux ». Car on doit distinguer le socia-lisme comme programme et comme mouvement. Avant Rosselli, lelibéral atypique G. De Ruggiero [1925] avait déjà fait l’éloge dela « praxis libérale du prolétariat » : même guidées par des projetsdogmatiques, ces luttes sociales ont émancipé les ouvriers. Demême, pour Rosselli, le prolétariat, malgré ses programmes, aexercé une « indubitable fonction libérale ».

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L’horizon fédéraliste européen

Ces options guident un projet économique ni « libéral » ni« étatiste » compte tenu de l’impasse du communisme russe,auquel Rosselli reconnaît toutefois le mérite d’avoir tenté decréer une société non dominée par le profit. D’où le projet deGiustizia e Libertà d’une « économie à deux secteurs », public etprivé. Ce programme de « socialisation » devait concerner lesindustries à « caractère de service public » essentiel (de l’électri-cité aux banques) ou ayant un monopole naturel (minerais, etc.).On a parfois comparé ce projet avec le « planisme » de disciplesde De Man, mais Rosselli parle de « socialisation » et non de« nationalisation » : la gestion des usines ne reviendra pas à unÉtat centralisé et bureaucratique mais à des organismes auto-nomes dirigés par des techniciens, des représentants des salariéset des consommateurs. Les témoignages de Levi [1947] ou deVittorelli [1986] soulignent que Rosselli était des plus radicaux,dans les débats internes au mouvement, pour socialiser le secteurindustriel. Mais l’horizon reste une démocratisation de l’entreprise,privée ou publique, par la participation des ouvriers, ajoutée àune forte protection sociale et à une politique de redistributiondes richesses (impôt sur les successions, etc.). Ce projet est sous-tendu par une vision fédéraliste : après Salvemini, Rosselli rejettele centralisme étatiste — dont a profité le fascisme — et défendun État fédératif, avec de larges autonomies locales et un réseausyndical, associatif et coopératif. Ces critiques de l’État ferontdébat dans Giustizia e Libertà — certains, tel Aldo Garosci, étantplus favorables à la souveraineté étatique. Rosselli sera aussi unfédéraliste européen après l’arrivée de Hitler au pouvoir. Lefascisme n’est plus alors une maladie italienne, mais une criseeuropéenne : Hitler incarne l’« anti-Europe », la destruction de laliberté et de la tolérance. Pour Rosselli, seule une Fédérationeuropéenne résoudra cette crise. Ce sera aussi la thèse du mouve-ment fédéraliste européen, autour d’Altiero Spinelli.

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La synthèse du « libéralsocialisme » (liberalsocialismo)

La redécouverte tardive en Italie de la pensée de Rosselli aparfois occulté ses faiblesses, notamment sa brève convergence,contre l’avis de ses proches tel E. Lussu [1933], avec les « néo-socialistes » dont certains dériveront vers la Collaboration. Lesamis de Rosselli, comme A. Levi [1947], rappelleront ces erreursrévélatrices de limites qu’évitera un autre courant : le « liberalso-cialisme » de Guido Calogero (1904-1986) — ex-disciple deG. Gentile, le philosophe officiel du fascisme —, Aldo Capitini(1899-1968) ou encore Tommaso Fiore (1884-1973). Il fauttraduire liberalsocialismo d’un seul tenant : « libéral-socialisme »suggèrerait une priorité du libéralisme, alors que ce courantdéfend l’indissociabilité du libéralisme et du socialisme.

Originalité du « libéralsocialisme »

Tandis que le « socialisme libéral » s’affirme en France autourde Giustizia e Libertà, le « libéralsocialisme » — dont les thèsessont fixées dans les deux Manifestes de 1940 et 1941 — naît dansl’Italie mussolinienne : selon des témoignages [Vittorelli, 1986],Rosselli ignorait son existence. Les deux courants convergerontdans la nébuleuse antifasciste, le Partito d’Azione (1942-1947). Le« libéralsocialisme », soutient Calogero [1944a], est cependantsupérieur au « socialisme libéral ». Certes, Rosselli a bien vu enMarx deux tendances : celle, légitime, du « moraliste passionné »dénonçant les injustices, et celle, dépassée, de l’économistedéterministe — même si tout retour au pré-marxisme serait unerégression. Ce « socialisme pratique et éthique » de Rosselli exigeque le socialisme se réalise dans la liberté. La formule « Justiceet Liberté » indique l’unité des deux idéaux, « la connexion indis-sociable et la présupposition réciproque des institutions juri-diques et politiques appelées à les réaliser ». Mais Rosselli n’auraitpas bien formulé cette doctrine, à cause d’une formationmarxiste focalisée sur l’économie. D’où sa tendance à situer surce seul plan la synthèse socialiste libérale — avec le projet, certesvalable, d’une « économie à deux secteurs » — alors que la

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Capitini, le « Gandhi italien »

Dès 1937, Aldo Capitini esquisse savision du « l ibéralsocialisme ». I ldécouvre l’Autobiographie de Gandhiet publie les Éléments d’une expériencereligieuse [1937] l’année de la mort deGramsci et de Gobetti, qui fut unmodèle pour lui. Rejetant l’activismefasciste — il refusera de prendre lacarte du Parti à l’École normale dePise, rompant avec son directeur, lephilosophe officiel du régime,G. Gentile —, Capitini défend la non-violence, le végétarianisme et uneorientation « religieuse » du socia-lisme, fidèle à Mazzini. Son option estanti-institutionnelle : choqué par la« conciliation » entre le fascisme etl’Église, il prône des thèses anticatho-liques comme Mazzini. Déplorant,après Gobetti, que l’Italie n’ait pas eusa « Réforme » religieuse, il critiqueaussi le centralisme étatique qui auraitpréparé le fascisme. Son idéal est celuid’une société décentralisée par desformes de démocratie directe, jusquedans l’entreprise. Cette orientation,qui se veut socialiste, éclaire son refusde faire du « libéralsocialisme » un

parti politique et de rejoindre— contrairement à son ami Calo-gero — le « Parti d’action ». Deuxconcepts éclairent sa pensée. Celuid’« ouverture » (apertura), qui évoquel’idée du libéral K. Popper de « sociétéouverte », c’est-à-dire une sociétérégie par le débat illimité, avec la diffé-rence que Capitini plaide pour desformes de démocratie directe sansrejeter le parlementarisme. L’autrenotion, celle d’« omnicratie » (omni-crazia), signifie le « pouvoir de tous »,c’est-à-dire une démocratie ressourcéepar les initiatives d’en bas (assem-blées de quartier, etc.). Cette visionnourrit une double exigence : sociali-sation maximale de l ’économie(décentralisée et autogérée), libertémaximale en matière culturelle etspirituelle, dans l ’adhésion auxidéaux gandhiens de non-violence.Des proches de Capitini, commeN. Bobbio, ont souligné ses affinitésavec la tendance « libéral-commu-niste » (liberalcommunista), ce quiconfirme l’erreur des instrumentalisa-tions idéologiques de cette traditionqui veulent en faire l’anticipation duNew Labour et des New Democrats deB. Clinton.

conciliation entre « liberté politique » et « justice sociale »dépasse l’économie. Son échec à inventer une « vraie idéologielibéralsocialiste » est confirmé par son intérêt pour le socialismede De Man, déjà trop centré, selon Calogero, sur l’économie.Sans doute n’aurait-il jamais sacrifié, comme De Man, les« exigences sacrées de liberté de son peuple » en acceptant ladomination nazie pour ses projets économiques, mais cet intérêtest révélateur de ses limites.

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Complémentarité du libéralisme et du socialisme

Le mot « libéralsocialisme » désignait donc une synthèse créa-trice : « Ni le libéralisme n’était le substantif, ni le socialismel’adjectif, et réciproquement : il n’y avait pas un composé desubstantif et d’adjectif, mais un substantif unique, qui se réfé-rait étymologiquement aux deux vieux noms pour donner unepremière indication, mais en réalité désignait un seul et nouveauconcept » [Calogero, 1944b, p. 193]. Libéralisme et socialismesont au fond deux spécifications complémentaires d’une même idée, àsavoir « l’unique et indivisible idéal de la justice et de la liberté ».Car un « libéral pur » n’est en vérité qu’un « libéral à moitié » etun « socialiste pur » un « socialiste insuffisant ». Le « libéralsocia-lisme » veut en effet que soient assurées, outre les garanties juri-dico-politiques, les « conditions économiques » pour que chacunpuisse développer sa personnalité. Ainsi, plaide Calogero, « à laliberté de parole et de vote, nous ne voulons pas que s’ajoutela liberté de mourir de faim » : les libéraux « conservateurs » secontentent trop de cette liberté qui reste insuffisante quand sesconditions de réalisation ne sont pas remplies pour tous. Cepen-dant, nulle réforme n’assurera la justice sans liberté. Aussi libertéet justice doivent-elles se soutenir mutuellement. Le libéralismebien compris veut que soient distribuées équitablement à tousles garanties juridico-politiques d’exprimer librement sa person-nalité ; le socialisme bien compris exige que soit aussi équitable-ment répartie la possibilité de « profiter des richesses dumonde ». Les deux aspirations sont indissociables : à celui qui vitdans la misère, on ne peut, sans hypocrisie, se contenter degarantir la liberté d’opinion et de vote, tandis que, à celui quisubit une dictature, on ne peut, sans « perfidie », proposer unehausse du niveau de vie sans l’accompagner d’une possibilitéd’intervenir dans la gestion du patrimoine commun. Il estimpossible de faire progresser la liberté sans l’aide de la richesse,ni d’administrer celle-ci avec justice sans l’appui de la liberté.Bref, « on ne peut être sérieusement libéral sans être socialiste nisérieusement socialiste sans être libéral ». Ainsi, le second Mani-feste « libéralsocialiste » prône une synthèse intégrant la part de

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« Libéralisme » et « libérisme »

Le « libéralsocialisme » rompt avec le « libéralisme » de B. Croce qui a pourtantmarqué Calogero en distinguant le « libéralisme » (liberalismo), doctrine morale etpolitique de la liberté, du « libérisme » (liberismo), doctrine du libéralisme écono-mique. Le danger pour Croce est que le « libérisme » s’érige en « loi sociale » :de « légitime principe économique », il dégénérerait en « illégitime théorieéthique » hédoniste et utilitariste. Il faut donc rétablir la priorité absolue du libé-ralisme éthico-politique. Le « libérisme » n’est qu’un moyen qui ne s’impose pastoujours : plus d’interventionnisme est parfois préférable. Ainsi, la législationouvrière relève du « libéralisme » : elle soutient la liberté morale des travailleurs.On peut même parler, selon Croce [1927], après Hobhouse, de « socialismelibéral ». Calogero a donc regretté que Croce juge le « libéralsocialisme » incohé-rent. Son tort a été d’ériger le libéralisme éthique en valeur absolue et d’être rela-tiviste pour sa traduction concrète. Car on doit poser sur le même plan « justice »et « liberté » pour réaliser le « libéralsocialisme », en faisant leur place au marché,à l’État et à la participation sociale et civique dans la République laïque. La corres-pondance Calogero-Croce confirme ce désaccord : si, en 1946, Croce dit sa préfé-rence pour la formule « socialismo liberale », la divergence demeure.

vérité des libéraux et des marxistes. À ceux-ci, il affirme : « Notreaspiration est votre aspiration, notre vérité est votre vérité,pourvu que celle-ci soit libérée des mythes du matérialisme histo-rique et du socialisme scientifique. » Surtout, les marxistesdoivent se rappeler que le Manifeste communiste est né « à l’ombredes libertés anglaises ».

État de droit, économie mixte, redistribution

Ces options guident le projet « libéralsocialiste » qui veut insti-tuer une République fidèle aux idéaux du Risorgimento de Mazziniet établir un État de droit avec une « Cour constitutionnelle »veillant au respect des « règles du jeu » démocratique. La démo-cratie implique aussi une presse libre de l’État et des forces écono-miques. Aussi faut-il empêcher la domination des journaux pardes intérêts privés, qui leur donnerait un « dangereux privilège ».D’où la possibilité que l’État soutienne indirectement la presse,en offrant l’usage de ses entreprises typographiques. Ensuite, leprojet défend une « économie à deux secteurs » — un pan de la

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production sera confié au marché, un autre « socialisé ». Si unecollectivisation intégrale est dangereuse, une concurrence illi-mitée ne l’est pas moins : un équilibre est à trouver. Lorsqu’il y arisque de monopole ou de concurrence trop faussée, une « socia-lisation » s’impose, concrétisée par la « nationalisation » de trèslarges pans de l’économie — banques, assurances, transports,communications, énergie, minerais, etc., accompagnée d’uneréforme agraire. Avec un impératif de transparence, de démocra-tisation et de décentralisation : loin de tout confier à l’État, ilfaut donner un rôle clé au contrôle des consommateurs et desouvriers, associés à l’administration des entreprises — publiqueset privées — par des « conseils », associations syndicales et coopé-ratives. Enfin, la justice sociale exige une redistribution massive parl’impôt. À un régime de taxation « proportionnel » se substi-tuera un régime très fortement « progressif ». La redistributionsera plus drastique pour les successions : passé une certainelimite, une partie du patrimoine reviendra à la communauté. La« richesse privée » devra d’autant plus contribuer à la « richessecommune » qu’elle sera « exorbitante » au regard du travaileffectué pour l’acquérir. Car il faut la « plus grande proportion-nalité possible » entre le travail fourni et le bien dont on jouit.D’où une option résolument « anticapitaliste ». Mais l’efficacitéest impérative : l’impôt ne doit pas dissuader la recherche dugain, source de croissance. Ainsi, un équilibre difficile est àtrouver entre marché et propriété publique. On retrouve icil’exigence des précurseurs du socialisme libéral, tel Rignano :concilier dynamisme économique et justice sociale.

Le socialisme libéral n’est donc ni une simple version du libé-ralisme, ni le précurseur du centre-gauche du XXIe siècle, et encoremoins du Parti démocrate américain [Audier, 2002, 2005] : il estl’ultime héritier du socialisme et du républicanisme duRisorgimento.

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IV / Le socialisme libéral contemporain :quelle « troisième voie » ?

Si le socialisme libéral a connu sa plus intense créativité entre laseconde moitié du XIXe siècle et l’antifascisme italien, il excèdece cadre. Après la dissolution en 1947 du « Parti d’action » auqueldes figures du socialisme libéral et du « libéralsocialisme » avaientparticipé, l’influence de la « diaspora actionniste » s’exerceranotamment par Aldo Capitini, Guido Calogero et surtoutNorberto Bobbio, l’intellectuel italien le plus respecté de laseconde moitié du XXe siècle. Le socialisme libéral a ainsi imposédes thèmes et orientations toujours actuels, dont on trouvecertains échos chez des penseurs comme Lefort, Habermas,Walzer, Sen ou Ackerman. Ce n’est toutefois pas à ces philo-sophes que l’on songe quand on parle, dans le débat public, de« socialisme libéral » ou de « social libéralisme ». La formuledésigne en effet, depuis la fin du XXe siècle, un centre-gauche dit« moderne », à la fois antimarxiste et résolument libéral écono-miquement, qui aurait dépassé le clivage classique droite/gaucheet dont la meilleure incarnation serait la « troisième voie » duParti travailliste britannique de Tony Blair. Théorisée notam-ment par Anthony Giddens (voir encadré p. 98), la Third Waya voulu rénover radicalement la « vieille » social-démocratie pourl’adapter à la nouvelle situation sociale et économique liée à la« globalisation », ce qui exigerait notamment une refonte totaledu Welfare State. Il est d’autant plus tentant de situer cettedoctrine dans le sillage du socialisme libéral que celui-ci avait

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déjà prôné une « troisième voie », entre libéralisme écono-mique et socialisme autoritaire. Toutefois, il faut éviter de selaisser tromper par une formule qui recouvre des projets fortdivergents [Audier, 2005b] : il y a eu, de fait, bien des « troi-sièmes voies », depuis des tentatives parfois pré-fascistes jusqu’auNew Labour, en passant par des théoriciens du « Printemps dePrague ». Et pourtant, c’est comme synonyme de la Third Wayque le socialisme libéral est parfois entendu. Contre cette assimi-lation, nous allons aborder les différents aspects d’une réflexioncentrée sur une philosophie des droits de l’homme, une théorie dela démocratie délibérative, une sociologie politique du contrôle des« élites », une conception de la société civile et, enfin, une philo-sophie de l’égalité des chances et de la solidarité.

La version socialiste libérale des droits de l’homme

Un des apports du socialisme libéral aux débats contempo-rains réside d’abord dans sa philosophie des droits de l’hommeet du citoyen, qui diffère des versions libérales classiques. Long-temps, le thème des droits de l’homme a été influencé, à gauche,par l’analyse marxiste les réduisant à des droits « formels ». Lesocialisme libéral a récusé cette thèse en soutenant que ces droitsétaient certes insuffisants, mais pas formels : ces conquêtes de laRévolution française devaient servir de point d’appui aux luttesdu prolétariat pour de nouveaux droits, les droits sociaux. Encorefaut-il définir le statut de ces droits nouveaux : peut-on les situersur le même plan que les droits fondamentaux protégeant l’indi-vidu ? Tels sont les enjeux abordés par la théorie socialiste libé-rale la plus significative des droits de l’homme, celle du juristePiero Calamandrei (1889-1956), l’un des auteurs de la Constitu-tion républicaine italienne, qui reformule la conception libéraledes droits dans un sens plus socialiste. L’intérêt de cette reformu-lation tient aussi aux lumières qu’elle peut donner aux débatscontemporains sur la portée et les limites des droits de l’homme,depuis que les enjeux en ont été posés en France dans les années1980, avec la crise du communisme et l’action des « dissidents ».

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La référence aux droits de l’homme est en effet ambiguë quandelle semble se substituer à tout projet politique, au point de seréduire, comme chez certains libéraux, à une apologie stérile del’individu contre l’État, s’accommodant des graves inégalités dessociétés occidentales. D’où la question : « Les droits de l’hommesont-ils une politique ? » Proche d’une position de type socialistelibérale, le philosophe Claude Lefort soutient que les droits del’homme ont une dimension politique que risque d’occulter leurversion idéologique qui les réduit aux droits de l’individu égoïste(voir encadré p. 76). En cela, il renoue en partie avec l’analyse deCalamandrei.

Les limites de l’individualisme libéral

Selon Calamandrei [1946], les droits de l’homme et du citoyensont en effet à repenser dans le contexte d’une Constitutionrépublicaine et démocratique. Durant l’absolutisme et lefascisme, les droits fondamentaux traduisaient une oppositionentre l’individu et l’État. Cette vision libérale devient en partiecaduque dans le « système démocratique » où les « droits deliberté », loin d’être érigés contre l’autorité, sont « les instru-ments et les conditions de cette autorité ». Car la liberté indivi-duelle et la souveraineté populaire expriment une « mêmeconception politique ». La démocratie ayant sa source dans lavolonté des citoyens, les libertés politiques sont nécessaires à lareconnaissance de la dignité de chacun, mais aussi à la vie civiquede la communauté. En démocratie, « même si les libertés indivi-duelles n’étaient pas réclamées par les individus pour la défensede leur intérêt privé, elles apparaîtraient comme une exigenceprimordiale de l’intérêt public ». Car les « droits de liberté »doivent « favoriser cette expansion de l’individu dans la vie poli-tique de la communauté, cet élargissement de son égoïsme dansdes intérêts collectifs toujours plus vastes ». La liste des « droitsde liberté » est donc ouverte : elle doit s’enrichir pour garantir uneparticipation civique croissante.

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La dimension politiquedes droits de l’homme : Lefort

L’effort de Calamandrei pour repenserles droits de l’homme dans leur « fonc-tion altruiste » et politique anticipe enpartie les thèses de Claude Lefort surla portée politique des droits del’homme. Si Lefort ne se définit pascomme « socialiste libéral », sa penséese veut fidèle à celle de Merleau-Pontyqui avait avancé l’idée de « nouveaulibéralisme » : l’auteur des Aventures dela dialectique (1955), rectifiant sescritiques du libéralisme, soulignait queles institutions de la démocratie libé-rale, loin de seulement masquer ladomination bourgeoise, avaient uneportée émancipatrice pour les groupesdominés. Reprenant ce thème, Lefort[1981] montre que les droits del’homme sont irréductibles auxprésupposés de l ’ individualismelibéral. Ils ne sont pas seulement lesdroits de l’individu contre l’État : ils ontune dimension politique, étant consti-tutifs d’un régime démocratique. Réfu-tant les « vitupérations contre l’État »des « nouveaux philosophes », Lefortsouligne que l’erreur consistant àréduire les droits de l’homme auxdroits de l’individu remonte à Marxdans La Question juive : il faut donc leréfuter, mais sans revenir « en deçà desa pensée », car sa critique « n’était

pas vaine ». Marx expliquait que lesdroits de l’homme et du citoyenn’étaient en vérité que l’expression del’égoïsme bourgeois, comme le prou-vait le « droit de propriété ». Cetteanalyse n’était pas infondée, mais ilrestait prisonnier de la « version idéo-logique des droits » sans mesurer lesmutations concrètes qu’ils appor-taient : un décloisonnement de lasociété ouvrant une mobilité socialeinconcevable sous l’Ancien Régime.Témoigne de cet aveuglement l’occul-tation par Marx des articles sur laliberté d’opinion : loin de célébrerl’égoïsme individuel, ils font entendre,explique Lefort, que « l’homme nesaurait être légitimement assigné auxlimites de son monde privé, qu’il a dedroit une parole, une penséepublique ». La liberté d’opinion estune liberté de communication : elle estla condition d’un espace public démo-cratique. À cet égard, le marxisme aéchoué à saisir la portée émancipa-trice de la démocratie moderne.Convaincus que celle-ci était une« création de la bourgeoisie », lesmarxistes n’ont pas vu que les plusactifs représentants de cette classe ontsouvent essayé d’en freiner la dyna-mique, notamment en s’opposant auxluttes pour la conquête de droitsnouveaux : « La démocratie que nousconnaissons s’est instituée par desvoies sauvages, sous l’effet de revendi-

Quel statut pour les droits sociaux ?

Cependant, les « droits de liberté » ont subi, au XIXe siècle, undiscrédit. La bourgeoisie, proclamant l’inviolabilité de lapropriété privée et l’« héritage illimité », a confisqué le pouvoiréconomique : l’égalité juridico-politique de 1789 a couvert une

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cations qui se sont avérées immaîtri-sables. Et quiconque a les yeux rivéssur la lutte des classes devrait, s’ils’évadait des sentiers marxistes […],convenir qu’elle fut une lutte pour laconquête de droits — ceux-là mêmequi s’avèrent à présent constitutifs dela démocratie ; que l’idée du droit futautrement active et efficace quel’image du communisme » [1981,p. 29].

Aussi les luttes contemporainespour les droits de l’homme rendent-elles possible un « nouveau rapport àla politique ». Cette analyse diffère decelle de M. Gauchet (Le Débat, nº 3,1980) qui avait affirmé que « les droitsde l’homme ne sont pas une poli-tique » : si leur portée reste décisivedans les régimes communistes, leurpromotion à l’Ouest serait un signepréoccupant car elle traduirait uneimpuissance politique indissociabled’une démission face aux inégalités etd’une conception étroite de l’indi-vidu. Pour Lefort cependant, ce typede position n’est pas entièrementrecevable, car l ’on ne doit pasconférer, à rigoureusement parler, une« réalité » à ces droits en Occident, ence sens qu’ils sont « un des principesgénérateurs de la démocratie » etqu’ils n’existent donc pas strictement« à la manière d’institutions posi-tives ». Ainsi s’éclairent les conflitspour de nouveaux droits qui en

appellent à une reconnaissancepublique. Qu’il s’agisse des luttes desouvriers et employés contestant à unedirection d’entreprise le droit de leslicencier ou exigeant de nouvellesmesures pour leur sûreté, des combatsdes paysans résistant à une expropria-tion par le pouvoir d’État, des mouve-ments des femmes pour conquérirl’égalité, des revendications deshomosexuels, ou encore des conflitspour défendre l’environnementnaturel, l’enjeu de tous ces combatsest, chaque fois, une certaine idée des« droits ». Or « ces droits divers nes’affirment-ils pas en raison d’uneconscience du droit, sans garantieobjective, et, tout autant en réfé-rence à des principes publiquementreconnus qui sont pour une partimprimés dans des lois et qu’il s’agitde mobiliser pour détruire les borneslégales auxquelles ils se heurtent » ?[1981, p. 71] Certaines de ces luttestémoignent d’un « sens diffus de lajustice et de la réciprocité ou del’injustice et de la rupture de l’obliga-tion sociale » : une exclusion du circuitde l’emploi apparaît ainsi aux indi-vidus comme « un déni du droit, d’undroit social ». En ce sens, le thème desdroits est irréductible à l’acceptionindividualiste dénoncée par Marx etrevendiquée par les libéraux ortho-doxes : leur liste, comme disait déjàCalamandrei, reste ouverte.

inégalité socio-économique entre bourgeoisie et prolétariat. D’oùla demande socialiste des droits sociaux : la collectivité recon-naît à tous les individus le droit à un minimum de « justicesociale » concrétisé par un niveau de bien-être économique,condition d’une liberté politique effective. L’obligation degarantir subsistance et soins à tous s’est ainsi imposée dans les

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Constitutions démocratiques d’après 1945, légitimant le « senssocial du droit ». Toutefois, les « droits de liberté » et les « droitssociaux » n’ont pas le même statut juridique. Les premiers ont un« caractère négatif » : ils exigent que l’État respecte les libertésd’association, de réunion, etc. Les seconds ont un « caractèrepositif » : ils demandent à la puissance publique d’« enlever lesobstacles » à l’indépendance économique de chacun, et donc uneaction volontariste de l’État et une transformation del’« économie libérale ». Les nations ayant des niveaux écono-miques différents, on ne peut fixer ces droits trop précisément.Ils désignent en effet des orientations que la communauté se fixe.Inutile donc de placer sur le même plan les deux types de droits,comme dans la Constitution de l’URSS de 1936. De plus, lesdroits sociaux ne doivent pas éclipser les droits de liberté : le tota-litarisme communiste révèle le danger d’un tel sacrifice. Ainsi, laversion socialiste libérale des droits de l’homme veut ouvrir uneperspective évitant l’impasse communiste et les limites de l’indi-vidualisme libéral.

Démocratie délibérative, laïcité, solidarité :une voie socialiste libérale ?

La conception socialiste libérale des droits de l’homme estindissociable de l’exigence de délibération collective. Car pour quedes droits nouveaux soient acceptés, ils doivent susciter unereconnaissance publique résultant d’un débat ouvert à tous. Onrejoint ici l’idée de « démocratie délibérative » dont le socia-lisme libéral est une des sources. Pour certains penseurs contem-porains, l’alternative au modèle de « démocratie minimale »réside en effet dans celui de « démocratie délibérative » : tandisque la première, centrée sur le seul processus électoral mettanten concurrence des « élites » politiques, part des préférencesimmédiates des individus et s’efforce de les rendre compatiblesensuite par une sorte de « marchandage », la démocratie délibé-rative pose qu’il existe des questions d’intérêt général devantfaire l’objet d’une discussion collective irréductible à un agrégat

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d’intérêts multiples. Cependant, toutes les théories de la démo-cratie délibérative ne relèvent pas de l’esprit du socialisme libéral.Pour qu’il en aille ainsi, la conception délibérative doit au moinss’inscrire dans un projet d’ensemble dépassant les limites dusocialisme autoritaire et du libéralisme économique. L’apport deCalogero, par-delà l’antifascisme, ouvre à cet égard une voieféconde en refondant la politique sur une « philosophie dudialogue », liée aux principes de laïcité et de solidarité. Ainsi anti-cipe-t-il l’« éthique de la discussion » de Karl-Otto Apel et deJürgen Habermas, et la philosophie du « dialogue » de BruceAckerman, non seulement par le rôle qu’il accorde à la communi-cation publique, mais aussi par ses interrogations sur le sens dela solidarité sociale.

En particulier, sa réflexion autour de l’avenir du travail ouvresur les débats à venir. Convaincu que la réduction du temps detravail est inéluctable, Calogero plaide en effet, dès les années1960, pour le partage du travail — contre le risque de chômage —avec la semaine de trente heures, et pour la valorisation des acti-vités hors-travail, conformément à sa philosophie du dialogueselon laquelle l’activité économique ne saurait seule permettre àl’homme de se réaliser. C’est ce type d’interrogation qui sera aucentre, depuis les années 1980, du plaidoyer d’André Gorz pourle passage d’une « société productiviste ou société de travail » àune « société du temps libéré où le culturel et le sociétal l’empor-tent sur l’économique » [Gorz, 1991a]. Ceci suppose de « ratta-cher les finalités de l’économie à la libre expression publique desbesoins ressentis, au lieu de créer des besoins à seule fin depermettre au capital de s’accroître et au commerce de se déve-lopper » [Gorz, 1991b]. Ces interrogations ouvertes par Calogerocroisent en partie celles de Habermas sur l’avenir du socialismeet de la « société du travail », et celle des philosophes de la« communication » comme J.-M. Ferry (voir encadré p. 85).Celui-ci, favorable au projet de « revenu de citoyenneté » — queCalogero n’avait pas envisagé —, défend un modèle combinantune répartition primaire de « type social » — chacun étant, audépart, assuré inconditionnellement d’un revenu important de« survie » — et une répartition secondaire bien plus « libérale », car

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L’ordo-libéralisme, « troisièmevoie » socialiste libérale ?

Le « libéralsocialisme » a défendu l’idéede « troisième voie ». Aussi Calogero[1948] a-t-il été intéressé par la « troi-sième voie » de l’allemand WhilhemRöpke (1899-1966). On associe à tortRöpke au néo-libéralisme autrichienparce qu’il fut l’un des fondateurs en1947 de la Société du mont Pèlerin.Très éloigné de Hayek — avec lequel ilrompra —, il est en vérité une figure del’« ordo-libéralisme », en référence à larevue Ordo de W. Eucken : ce couranta inspiré, après-guerre, le modèle alle-mand d ’« économie sociale demarché ». L’« humanisme libéral » deRöpke — voir La Crise de notre temps(1942) ou Par-delà l’offre et la demande(1958) — défend une « troisième voie »en luttant sur deux fronts : le capita-lisme et le socialisme collectiviste. Lepremier a été désastreux : abolition dela concurrence par les monopoles,gigantisme industriel, exploitation dessalariés, individualisme effréné, etc. Lesecond a aboli les libertés et asphyxié laproductivité. Si le socialisme est uneimpasse, il en va autrement du libéra-lisme : le capitalisme a échoué non paspour avoir obé i à l ’économie demarché, mais pour en avoir été la « cari-cature ». On doit donc rejeter le libéra-lisme classique, sa méfiance pour l’Étatet son dogme du « laisser-faire » car lemarché est une création artificielleexigeant un ensemble d’institutions et derègles. Il échoue sans un environne-ment politique, juridique et mêmemoral qu’il ne peut créer. Ainsi, pas delibre concurrence sans un État mobilisé— par la législation, l’administration, ledroit, la politique financière, etc. —dans la production et la surveillance de

règles. Rompre avec l’« économi-cisme » capitaliste et son darwinismesocial implique de saisir la dimensionsociale de l’économie : loin d’être unordre naturel et autonome, celle-ciobéit à un système de règles qui l’enca-drent grâce à un État actif voué àprévenir la formation des monopoles.D’où la distinction de Röpke entre inter-ventions conformes et non conformes :seules les premières sont acceptablescar compatibles avec le libre marché(l’État peut ainsi dévaluer la monnaie).Il faut aussi distinguer interventions deconservation et interventions d’arrange-ment : face aux mutations du marché,l’État peut soit essayer de préserver àtout prix la situation de secteursmenacés, voire condamnés, soit aiderceux-ci à s’adapter. Röpke prône lesecond choix contre l’étatisme socia-liste et le « laisser-faire » libéral : il fautintervenir et amortir les souffrancessociales, mais en vue d’un « nouveléquilibre ». Cet « interventionnismelibéral » évite le « collectivisme » enprotégeant les professions jugées lesplus menacées : paysans, artisans, petitscommerçants. Il doit aussi favoriserl’accès du prolétariat à la petitepropriété. Ainsi, face à la « massifica-tion » capitaliste, Röpke défend un typede société agraire censé maintenir lelien de l’homme à son environnementtraditionnel. Cependant, cette « troi-sième voie » est-elle socialiste libérale ?Le bref intérêt de Calogero pour Röpkerisque d’occulter l’abîme qui les sépare.Tandis que Röpke rejette le socialisme etn’accepte que sous une forme réduitel’État social, Calogero se veut socialiste,prône une protection sociale élevée etdéfend une fiscalité très redistributrice.En outre, Röpke défend un libéralismechrétien tandis que Calogero est unrépublicain strictement laïc.

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on renonce à « réaliser à tout prix la justice par l’impôt ». Ainsi seréaliserait « la réconciliation entre ce qu’il y a de bon dans lesocialisme et le libéralisme » [Ferry, 2003]. On peut douter,cependant, que cette justification de l’allocation universelle dansle cadre d’une synthèse entre libéralisme et socialisme, quirejoint en partie le projet de B. Ackerman et A. Alstott de« société de partenaires » (voir encadré p. 86), soit conforme auxidéaux égalitaires du « libéralsocialisme » de Calogero, qui accor-dait un rôle clé à une redistribution massive par l’impôt. Surtout,elle pose des problèmes amplement débattus à gauche. Sur lebilan même d’une crise de la société du travail, voire d’une mort— souhaitable — de la société salariale, certains, comme R. Castel[2003], hostiles aux thèses de A. Gorz, critiquent « les discourscatastrophistes qui poussent jusqu’à la limite, et parfois jusqu’àl’absurde, le processus de dégradation des situations de travail etdes protections attachées au travail » : aussi le thème de la « findu travail » serait-il une idéologie dangereuse. Ensuite, on peuts’interroger sur la viabilité même du projet d’« allocation univer-selle » ou de « revenu de citoyenneté ». Selon B. Gazier [2003],« l’allocation universelle présuppose que sont donnés au départles comportements non marchands et émancipés qu’elle estcensée favoriser si l’on veut éviter la promotion d’un monde deflexibilité marchande et d’égoïsme généralisés ». Quelle que soitla réponse à ces questions, la « troisième voie » de Calogero, quianticipe partiellement les réflexions de Habermas sur l’avenir dusocialisme, ne se limite donc pas à une version sophistiquée dulibéralisme telle que l’« ordo-libéralisme », malgré des affinitésponctuelles sur l’économie (voir encadré p. 80) : son attache-ment à une très forte protection sociale collective s’inscrit dansune autre vision globale dont il faut retracer les options socia-listes libérales.

Pour une démocratie délibérative

L’« éthique du dialogue », selon Calogero [1962a], est d’abordune conception morale fondée sur l’exigence de compréhension

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réciproque. La « volonté de comprendre l’autre » constitue unerègle absolue qui sous-tend le principe de la démocratie : « Agistoujours dans le but de favoriser les conditions de vie commune,grâce auxquelles le plus grand nombre d’individus puisse voirsatisfait le plus grand nombre de ses préférences, présentes etpossibles. » Le dialogue doit amener chacun, par cette règled’universalisation, à dépasser son égoïsme en intégrant le pointde vue des autres. C’est le seul mode légitime de résolution desconflits : le dialogue, édifiant un « monde commun », obligemoralement les interlocuteurs à comprendre les intérêts desautres et à vouloir que tous aient une possibilité égale de fairevaloir leurs préférences. De là le rôle de l’« opinion publique »,comme l’avait montré J. Dewey pour qui, explique Calogero[1967, p. 167], « au fondement de toute démocratie demeurel’indestructible principe de la communication humaine ».L’importance du « quatrième pouvoir » de la presse résulte durôle clé de la liberté de parole permettant à chacun d’exprimerses positions. La formule « quatrième pouvoir » est d’ailleursinexacte, la presse et l’opinion publique étant moins et plusqu’un pouvoir : « moins », puisque celui-ci, au sens classique, estaux mains d’une minorité, tandis que l’expression publiqueappartient à tous ; « plus », car l’opinion publique, c’est-à-dire« l’universelle liberté de pensée, de communication et decritique » est la source de tous les pouvoirs qui leur confère légiti-mité. Ainsi, « la liberté de critiquer et de convaincre est le terraincommun, l’indispensable humus » dont dépendent tous lespouvoirs de l’État de droit. D’où la critique par Calogero de lacensure, et, à l’inverse, sa méfiance pour les actions illégales— désobéissance civile ou grève de la faim.

Cette « éthique du dialogue » est aussi une philosophie laïque.Le monde moderne, où se mêlent toutes les religions, exige unterrain commun de rencontre. Il faut trouver une « philosophiequi ne soit pas seulement une philosophie », à savoir la « philo-sophie de la coexistence des philosophies », ou encore la « philo-sophie du dialogue », seule alternative acceptable aux conflitsreligieux [1967, p. 186]. La règle du dialogue invite chaque reli-gion à accepter l’autre, mais aussi à la rencontrer. Contre ses

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L’avenir du socialismeselon Habermas

Si Calogero n’a pas d’héritiers directs,ses thèses évoquent, par l’esprit plusque par la lettre, l’« éthique de la discus-sion » de Jürgen Habermas. Bien quecelui-ci ne soit pas « socialiste libéral »,sa conception de la démocratie fondéesur la délibération publique convergeavec les idéaux de Calogero. Tous deuxd’ailleurs s’appuient sur la théorie de ladémocratie de John Dewey (1859-1952) centrée sur le thème de lacommunication et de l’opinion publique.Ces options de Habermas apparaissentdans son examen de deux questionsque Calogero n’a pas explorées : la crisedu Welfare State et l’avenir du socia-lisme après le communisme [Habermas,1985, 1990]. On peut noter cepen-dant certaines affinités sur la questionde l ’avenir du travail. Avant queHabermas ne diagnostique une crise dela « société du travail », Calogerosouligne que le travail, dans sa formecontemporaine, ne peut plus être, pourbeaucoup de salariés, la source essen-tielle de réalisation personnelle, et queles valeurs de la vie hors-travail (le« temps libre ») vont prendre del’importance à mesure que celui-ci vainéluctablement se réduire. Calogerojuge cette évolution souhaitable etconsidère qu’une réduction massive dutemps de travail sera un outil décisifcontre le chômage. Ce partage dutravail ne sera possible qu’à conditionde changer les valeurs dominantes, enabandonnant l’éthique puritaine dutravail, et en développant les valeursintellectuelles, esthétiques et relation-nelles. Le développement de la« culture » devra aussi conduire

l’institution scolaire à privilégier l’ensei-gnement humaniste : « L’éducation dedemain devra toujours être davantageune école de l’homme, et toujoursmoins, en ce sens, une école du travail-leur » [Calogero, 1965, p. 355].

Ce que P. Barcellona nomme la « troi-sième voie de Habermas » repense cesquestions dans le contexte de l’effondre-ment du communisme. Il y a eu, selonlui [1990], en Allemagne de l’Est notam-ment, une « révolution de rattrapage »,visant à retrouver l’État de droit démo-cratique et le capitalisme développé.Plusieurs interprétations en ont étéavancées. D’abord, celle des « défen-seurs staliniens du statu quo ante » quiont ignoré le sens des luttes pour l’Étatde droit. Ensuite, celle des partisansd’une « troisième voie » entre un « capi-talisme domestiqué par l’État social » àl’Ouest, et un « socialisme d’État » à l’Est.Issue du « Printemps de Prague », cette« troisième voie » prône une « démocra-tisation radicale » du socialisme d’État del’intérieur : projet irréaliste, tant s’estdiscrédité le communisme. Il y a aussi lacritique postmoderne de la raison : la findu communisme marquerait la fin desprojets politiques issus du rationalismeoccidental. Habermas objecte que lesrévolutions contre le communisme sontfidèles aux idéaux rationnels modernes(souveraineté populaire, droits del’homme). Enfin, si l’analyse libérale célé-brant la victoire du droit, du pluralismeet du marché n’est pas fausse, elleméconnaît les limites du libéralisme.Habermas évoque ici Marx dont la leçonest que « toute civilisation qui se soumetaux impératifs de la mise en valeur auto-nome du capital porte en elle un germede destruction, dans la mesure où elles’aveugle sur toute chose importante quine saurait se traduire en termes de prix »

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[1990, p. 147]. Cependant, outre queles sociétés occidentales ont changédepuis, en intégrant, avec l’État social,une part des critiques du capitalisme, lemarxisme présente de graves limites :une vision « holiste » de la société igno-rant l’irréversibilité des différenciationssociales modernes, une conceptiondogmatique de la « lutte des classes »,une théorie fausse de l’État commeinstrument de domination de classesous-estimant le rôle de l’État de droit,et enfin un projet d’émancipation centrésur le paradigme du travail, avec commecorollaire une idée de la pratique centréesur la production et non sur la communi-cation. Or la nostalgie d’une « associa-tion libre des producteurs » n’est pluspossible ni souhaitable. Il faut doncsoumettre cette approche à une« abstraction radicale » : la « solidarité »ne peut plus résider dans la commu-nauté des travailleurs associés, elle doitdésormais avoir pour vecteur la commu-nication publique ouverte à tous et visantles solutions les plus conformes auxintérêts de chacun. L’auto-organisationde la société est à repenser en abandon-nant l’idée de « macro-sujet », c’est-à-dire d’entités supposées homogènes,telles la « classe ouvrière » ou le« Peuple ». L’idée de souveraineté popu-laire peut se reformuler dans un sens« intersubjectif » : plutôt que de céder aumythe d’un « Peuple » d’embléeconscient de ses buts et de son iden-tité, il faut comprendre la démocratie àla lumière du processus complexe liantla sphère politique, lieu de formation deschoix publics dans le cadre de l’État dedroit, et le domaine où se forme sponta-nément l’opinion publique par d’innom-brables débats et discussions explicitantles problèmes à résoudre.

Si la complexité des sociétésmodernes interdit toute abolition dumarché, le « compromis » qu’incarnel’État social doit rester un point dedépart fondamental : aucune despathologies du capitalisme n’a été mira-culeusement résolue avec la fin ducommunisme. Les dégâts sociaux etenvironnementaux de ce systèmenécessitent toujours sa domestication.Reste à en définir les modalités entenant compte aussi des difficultés de lasocial-démocratie, qui a trop faitconfiance au « pouvoir administratif »en minimisant les risques de bureaucra-tisation et d’inefficacité. Il faut doncétendre la « domestication sociale » auWelfare State lui-même, grâce à uneopinion publique vivante exerçant soncontrôle.

Le renouveau de la social-démo-cratie dépend d’autant plus d’unecommunication publique vivante quecelle-ci est porteuse d’exigences morales.Dans le conflit classique entre travail etcapital, le salariat avait un fort « poten-tiel d’intimidation » (grèves, etc.).Désormais, la société est scindée entreune majorité disposant d’un emploi etune minorité qui subit l’exclusion et lamarginalité, sans plus aucun moyen depression, sinon le vote protestataire. Saprotection dépend donc de la mobilisa-tion d’une opinion publique animée demotivations morales pour refuser cettesituation et susciter une réponse socialeet politique adéquate. C’est dire que lagauche doit rompre avec toute formede corporatisme et adopter pour critèrel’universalisation des intérêts : seulsdoivent être pris en compte les intérêtspouvant faire l’objet d’un consensusuniversel dans le cadre d’une discussionouverte à tous — une thèse qui est déjà

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celle du « l ibéralsocialisme » deCalogero.

Au cœur de ces analyses se trouve lethème de la fin de l’« utopie qui serattache à la société du travail » : leschangements dus à l’automation de laproduction rendraient utopique unplein accomplissement des individusdans la sphère du travail. Habermasmentionne ici A. Gorz [1985] qui, paral-lèlement à sa critique de Marx, plaidepour un « revenu garanti » à viecouvrant les besoins « non plus dutravailleur mais du citoyen », en échanged’un travail social équivalent à20 000 heures (il ne défendra qu’en1997 un revenu vraiment « incondi-tionnel »). Gorz mobilise en ce sens lestravaux de l’économiste suédois GöstaRehn, « pionnier d’une définition de ladurée de travail à l’échelle de la vieentière, avec la possibilité pour chacunde prendre, à tout âge, des acomptessur sa retraite » : selon une lettre d’avril1982 de Rehn à Gorz [1991a], il s’agitde libérer l’homme ou la femme del’obligation d’« être rentable tout letemps » en leur permettant à tout âged’interrompre leur activité profession-nelle pour des activités de formation, debénévolat, de citoyenneté, etc.

Ainsi, les penseurs proches deHabermas, comme J.-M. Ferry [2000],poursuivent à leur manière ses thèsessur le socialisme en proposant une« allocation universelle » ou, plusprécisément, un « revenu de citoyen-neté », c’est-à-dire un « revenu socialprimaire distribué égalitairement defaçon inconditionnelle à tous lescitoyens majeurs de la communautéde référence ». Ceci suppose la décon-nexion entre revenu et participation à laproduction économique (passée, présenteou future) : le but n’est pas de payerles individus « à ne rien faire », maisde leur garantir une protection face auxduretés du marché du travail en leurpermettant aussi de s’investir dans un« quatrième secteur » socialement utile,constitué d’activités associatives etautres assumant notamment desresponsabilités de solidarité où lefacteur humain est irremplaçable. Ceprojet d’« allocation universelle »,débattu tant parmi ses partisans— A. Gorz, Ph. Van Parijs, A. Caillé —que ses adversaires à gauche, supposela conviction, non moins controversée,que le travail a cessé d’être le « grandintégrateur » et qu’il faut faire son deuilde l’idéal de « plein emploi ».

critiques catholiques, Calogero montre que la laïcité n’est pasantireligieuse : elle est un principe de tolérance selon lequel lerespect et la volonté de comprendre les autres religions sont plusimportants, du point de vue de la coexistence civile, que le sincèreattachement à ses propres convictions. Ainsi, la « règle dudialogue » ou « laïcité » ne saurait être « plus européenne qu’afri-caine » : elle est la règle de coexistence de tous les groupes, présentset futurs.

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Vers l’égalité des chances :la « société de partenaires »

Certains thèmes du socialisme libéral ontété explorés aux États-Unis par des « libé-raux » soucieux de justice sociale. Ainside Bruce Ackerman, dont le livre LaJustice sociale dans l’État libéral [1980]renoue avec l’esprit de l’« éthique dudialogue » de Calogero. Car Ackermandéfinit le libéralisme par l’exigence du« dialogue », plus pertinente que lemodèle individualiste du contrat. Sathèse est que, dans un contexte de luttepour les biens rares, tout individu doitjustifier le pouvoir qu’il a acquis par un« dialogue neutre » (« the dialogicprocess of neutral conversation »). Celibéralisme social « dialogique », hostileaux privilèges injustifiés des élites, rejettel’ultra-libéralisme capitaliste et lemarxisme-léninisme [1980, p. 261-263].Si la devise de l’« État libéral »— « Liberté, Égalité, Individualité » —rejoint les idéaux de Calogero, les projetsd’Ackerman pour la réaliser sont plusproches des thèses de Rignano sur l’héri-tage (voir encadré p. 58) et surtout decelles de Huet (voir encadré p. 28). Leplan de Huet du « droit au patrimoine »prévoyait, grâce à une réforme de l’héri-tage, de garantir une véritable égalité dechances. C’est au fond la proposition deAckerman et Ann Alstott dans La Sociétédes partenaires (The Stakeholders Society)[1999]. Sans employer l’expression« socialisme libéral », Ackerman et Alstottdéfendent un libéralisme très social. Ilsrappellent que le mot libéralisme évoqueparfois le « laisser-faire » : leur positionrelève plutôt d’un nouveau libéralismeattaché à la liberté individuelle, maispréoccupé par les inégalités : l’État libéraldoit affronter le fait que les individus sont

au départ très inégaux face au marché dutravail. La liberté individuelle pourcertains est dès lors une oppression pourles autres (on retrouve ici des thèsesproches du New Liberalism anglais). Si leslibéraux dogmatiques défendent avecraison la liberté individuelle, leur tort estd’ignorer les positions sociales et cultu-relles de départ. Or « personne ne mériteses parents » : il y a là un obstacle à lajuste distribution des opportunités.L’idéal de l’égalité des chances (equalopportunity) est ainsi démenti auxÉtats-Unis : l’explosion des inégalitésdepuis les années 1970 fait craindre quele « point de non-retour » ne soit atteint :tandis que les uns, issus de famillesfortunées, ont le meilleur départ dans lavie en entrant dans les meilleures univer-sités, les autres sont souvent condamnésà la relégation sociale. Il en résulte uneperte du sens de la communauté qui serarevitalisé non par des exhortations aupatriotisme, mais à condition que chaquejeune citoyen juge qu’une chance lui a étédonnée au départ. D’où la propositionsuivante : tout citoyen devrait avoir lagarantie de recevoir de la communautépolitique, à l’âge de la maturité (21 ans),une « part » de 80 000 dollars. Cettesomme considérable, exigeant unimmense effort de redistribution, rétabli-rait l’égalité des chances sans abolir lecapitalisme : la propriété individuelleserait conservée, mais pour la distribuerà tous. Ce projet ouvre donc une « troi-sième voie » entre ultra-libéraux etpartisans du Welfare State classique :comme les premiers, il pose que chaquepersonne a le droit absolu de choisir savie, mais, comme les seconds, il accordeun rôle clé à la « responsabilité sociale »de la collectivité. L’État ne sera donc pas« paternaliste » : chaque individu useralibrement de sa « part », à condition

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d’obtenir un diplôme universitaire ou sonéquivalent. Cette « société de parte-naires » (stakeholders society) sera soli-daire : tous les Américains seront obligésde contribuer à une équitable égalité aupoint de départ pour tous grâce à une taxereprésentant 2 % de la richesse globalede la nation. Ce fonds sera alimentéensuite par le reversement, au décès detel ou tel « partenaire », de la somme(avec intérêts) qu’il avait reçue audépart : chacun, socialement respon-sable, contribuera à la solidarité intergéné-rationnelle. Tous les jeunes citoyensseront ainsi délivrés des handicaps finan-ciers et de l’angoisse des prêts àrembourser pour financer leurs études :ils se sentiront dès lors impliqués dansleur communauté politique. Un tel projetse situe « au-delà du Welfare State » : sonbut principal n’est pas seulement dedéfinir un revenu minimal pour les plusfaibles — même si l’enjeu est égalementessentiel — mais de garantir à chaquejeune adulte un démarrage dans la vie àchances égales. Il s’agit aussi de« dépasser la mentalité du Welfare State »qui pose des conditions à l’aide : la« part » reçue par chaque jeune sera iciun droit quasi inconditionnel. Ainsi, la« société des partenaires » revitalisera unetradition républicaine qui liait propriétéet citoyenneté. Le but n’est ni d’abolir lapropriété privée ni de la réguler par unÉtat interventionniste, mais de la distri-buer en permettant à tous la jouissancedes bienfaits réservés à une élite. Si doncAckerman rejoint en partie certainesidées du socialisme libéral, ses solutions,centrées sur l’exigence d’égalité deschances, sont différentes : elles ne visentpas à transformer en profondeur lesstructures du capitalisme et semblentrendre possibles de très fortes inégalitésdont pâtiraient les « perdants » de la

compétition économique. Au-delà de sesaspects utopiques, et de ses lacunessociologiques sur les causes de l’échecscolaire et universitaire, une des diffi-cultés de ce projet de solidarité tient à saconception par ailleurs très individua-liste, qui peut sembler sociologiquementirréaliste. En tout cas, le socialisme libéralitalien était généralement une philoso-phie des luttes sociales qui pensaitcelles-ci à partir de l’appartenance desindividus à des collectifs organisés quiseront à réinventer dans le cadre desmutations économiques et sociales duXXIe siècle.

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« Protection sociale » et « service social »

Afin que les citoyens puissent être coparticipants du dialogue,chacun doit avoir une certaine aisance matérielle. Or, mêmerégulé, le marché engendre de graves inégalités. La tâche du poli-tique est donc de « neutraliser continûment le déséquilibre entreceux qui, dans la compétition économique, sont favorisés oudéfavorisés par le succès » afin qu’une situation de privilège nenuise pas à l’égalité des chances et que les forces économiques neconfisquent pas le pouvoir politique. Trois remèdes s’imposent.D’abord, la fiscalité, « en taxant toujours plus drastiquement tousceux dont la situation sur le marché offre de temps en temps desgains trop supérieurs à la moyenne » ; ensuite, la lutte antimo-nopoles pour garantir aux consommateurs la « libre compéti-tion du marché » ; enfin, la législation syndicale autorisant lessalariés coalisés à faire contrepoids à un patronat tout-puissant[Calogero, 1962b, p. 176]. Cette visée égalitaire oriente aussi laphilosophie du « travail social » de Calogero, qui a été, avecMaria Calogero-Comandini (1903-1993), l’un des fondateurs du« service social » (servizio sociale) laïc, à la tête d’une école deformation. Il souligne la spécificité du travail des assistantssociaux en distinguant deux idées complémentaires : la protectionsociale et le service social. L’une désigne « le système d’organisa-tion juridique et économique tendant à assurer l’individu contretout accident qui puisse le frapper diminuant ses capacités devie et de protection » ; l’autre définit « l’activité développée pardes groupes d’individus pour venir au-devant de leurssemblables » avec des procédures non entièrement codifiées parl’administration. Le « travail social » suppose donc une relationpersonnelle entre l’assistant et l’individu en difficulté que ne peutremplacer le versement administratif d’une aide, aussi néces-saire soit-elle. Le but du « travail social », grâce au dialogue, estainsi d’« aider les hommes à s’aider eux-mêmes ». Il vise aussi àdémocratiser la démocratie, à côté des partis et des syndicats. Carla démocratie « est faite de nombreuses démocraties » : elle ne selimite pas à la représentation nationale. Le tissu associatif vouéà l’assistance sociale aux États-Unis remplit ainsi l’obligation

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d’aide mutuelle que « chaque citoyen d’une société doit auxautres citoyens » [Calogero, 1948, p. 79]. Pour autant, le servicesocial ne doit pas remplacer la protection sociale : ce sont deuxfaces de la sécurité et de la solidarité collective des individus.

Contrôler et renouveler les « élites » :quelle voie démocratique de gauche ?

Si l’« éthique du dialogue » ou de la discussion ouvre une voieféconde, on peut lui reprocher une vision parfois trop irréalisteou trop rapide des conditions empiriques de la délibération. La foidans le dialogue pour régler les conflits pose des difficultés :qu’en est-il lorsque les partenaires potentiels sont en positiontrop asymétrique, ou quand l’apparence d’une discussion ouvertecache un rapport de forces ? L’aptitude même à argumenter n’estpas également répartie : être le partenaire d’un dialogue, c’estpouvoir être « pris au sérieux », ce qui n’est jamais donnéd’avance et constitue souvent un enjeu de lutte. Or l’« éthiquedu dialogue » tend parfois à sous-estimer le rôle du conflit socialcomme moyen pour les interlocuteurs potentiels, en positiond’infériorité, de parvenir à ce statut, même partiellement etprovisoirement [Audier, 2005]. Une des objections que l’on peutadresser à ce modèle tient en particulier à son manque deréalisme sociologique concernant la question cruciale des« élites » : pour que la délibération publique implique vraimentles citoyens, il faut que le dialogue ne soit pas un masque de ladomination d’une élite politique et/ou économique. Ce point estd’autant plus important que toutes les démocraties — sans parlerdes régimes autoritaires — sont marquées par des phénomènesmassifs de corruption : les « scandales » politico-financiers nesont qu’une expression visible d’un mal profond tenant à laconfusion ou aux liens organiques entre élites économiques,politiques, intellectuelles, médiatiques, etc. Comment, parexemple, l’espace public peut-il être un lieu d’authentique déli-bération si nombre de journalistes, d’intellectuels « média-tiques », voire de scientifiques, ont des liens plus ou moins

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Une version démocratiquede la sociologie des « élites »

Bobbio est un héritier de la théorie des« élites ». Cette sociologie réaliste deG. Mosca (1858-1941) puis deV. Pareto (1848-1923) souligne laprésence, impossible à éliminer, entoute société, d’une élite dirigeante.Ces thèses conservatrices visaient ladéfinition classique de la démocratiecomme gouvernement du peuple, par lepeuple et pour le peuple. Toutefois, lathéorie des élites se prête à d’autresusages. Ainsi, Gobetti s’est inspiré deMosca pour défendre sa « Révolutionlibérale », en prônant un renouvelle-ment des élites par la lutte des classes :on peut donc reformuler cette théoriedans un sens démocratique. Admirateurde Gobetti, Bobbio poursuit cetteorientation, comme le montre sa réédi-tion en 1965 du livre de Filippo Burzio(1891-1948), Essence et actualité dulibéralisme (1945). Ancien ami deGobetti — mais plus conservateur —,Burzio redéfinit la théorie des élites dans

un sens libéral, démocratique, et mêmepartiellement socialiste. Certes, il y anécessairement des élites : outre qu’unevraie démocratie directe ne peut fonc-tionner avec plusieurs millions d’indi-vidus, certains ont davantaged’aptitudes à diriger. Il faut doncaccepter le « fait » élitiste, mais entenant compte de l’impasse du totalita-risme et de la puissance des aspirationségalitaires. Pour éviter une dérive totali-taire, les élites doivent être multiples etfragmentées — au lieu d’être unifiées —,et la « classe politique » doit elle-même sortir de la multiplicité des élitesen se proposant — au lieu des’imposer — au suffrage des citoyens.L’approche égalitaire, tout en refusantle nivellement, implique l’ouverture laplus large possible des élites en vue deleur constant renouvellement. Ellesdoivent s’ouvrir aux couches popu-laires : la lutte des classes est pourBurzio, après Gobetti, le moyen salu-taire de faire surgir des élites (syndi-cales, etc.) populaires. Il faut donc aussigarantir au mieux l’égalité des chancespar une démocratisation de l’instruction

directs et non explicités avec des forces économiques ? Devantcette difficulté, on peut certes plaider pour des formes de démo-cratie directe, sur le modèle idéalisé de la démocratie athénienne.Mais si l’on adopte une voie plus réaliste, il est difficile de nierle fait que, en toute société, il y a des élites qui occupent despositions hégémoniques. Toute la question, dès lors, est de savoircomment contrôler et renouveler le mieux possible ces élites afinque leurs intérêts particuliers ne priment pas sur la quête du biencommun.

Or le socialisme libéral a abordé ces questions avec l’ultimegrande figure de cette tradition, Norberto Bobbio (1909-2004),jusque dans ses derniers combats politiques contre le

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et une politique sociale favorables auxclasses populaires. Les élites démocra-tiques différeront ainsi des élitesfermées, aristocratiques et bour-geoises. Aussi Burzio veut-il convaincreles ouvriers que le libéralisme ainsidéfini — comme pluralisme des élitesouvertes aux luttes sociales — est le meil-leur outil de leur émancipation : sonbut est de « faire de chaque homme unroi » grâce aux libertés produites par lamultiplicité et la surveillance réciproquedes différentes élites. Les grandesréformes sociales (droits de grève,journée de huit heures, etc.) sont doncdans l’esprit du libéralisme ainsicompris : Burzio dit même sa sympa-thie pour la social-démocratie scandi-nave. Il ne faut donc absolument pasconfondre ce libéralisme renouvelé avec lecapitalisme et le « vieux » libéralisme. SiBurzio refuse tout rejet total du capita-lisme (qui a permis la hausse du niveaude vie des classes populaires), il jugeinacceptables les souffrances dessalariés soumis à une concurrenceeffrénée (d’où le rôle salutaire du tempslibre et de la protection sociale) et la

place démesurée des « élites ploutocra-tiques ». Le risque est que ces groupeséconomiques, profitant de leur situa-tion de monopole, n’imposent leur loià la vie publique par une corruptiongénéralisée : la politique est, en ce sens,mortellement menacée par le capita-lisme. Il faut donc le réguler, notam-ment en luttant contre les monopoleset en séparant élites politiques et éliteséconomiques.

Si Bobbio diverge parfois de Burzio— jugé trop conservateur —, i lsouligne à son tour l’indispensabledifférenciation et surveillance des élitesqui doivent être ouvertes aux classespopulaires. L’ultime combat politiquede Bobbio contre le Président duConseil S. Berlusconi et son parti ForzaItalia, répond à ces exigences : regret-tant l ’ inquiétante fusion, en lapersonne de Berlusconi, du pouvoiréconomique, médiatique et politique,Bobbio juge que cette situation équi-vaut au « despotisme » : en ce sens,malgré son idéologie « libérale », lapratique du gouvernement Berlusconiest antilibérale [Bobbio, 1994].

gouvernement Berlusconi. Né à Turin — le foyer de la« Révolution libérale » de Gobetti —, il mène, parallèlement àsa carrière universitaire, la lutte antifasciste avec le groupe « libé-ralsocialiste » de Calogero puis le « Parti d’action » dès 1942. Ildressera un bilan sévère de cette nébuleuse d’intellectuels éloi-gnée des masses. Parti d’une doctrine « personnaliste » (l’idée de« personne » traduisant le refus de l’individualisme libéral et dusocialisme étatiste), Bobbio voulait concilier égalité et liberté parune « révolution démocratique » exigeant la participation activede tous dans un cadre fédéraliste. Ce rêve d’une Italie métamor-phosée jusque dans l’entreprise ayant échoué, il en tirera lesleçons dans une vision plus désenchantée du socialisme libéral.

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Son originalité tient en effet à la façon dont il prolonge lesidéaux socialistes libéraux en prenant au sérieux, dans le sillagede F. Burzio (voir encadré p. 90), la question des élites. Reformu-lant la sociologie « élitiste » dans un sens que n’avaient pas prévuses fondateurs, il en définit une voie résolument « de gauche ».Aussi est-il éclairant de confronter ses conclusions avec d’autresthéorisations de la fin du XXe siècle : si Bobbio reconnaît, sur leplan normatif, des affinités entre le socialisme libéral et lesthéories d’Amartya Sen (voir encadré p. 94), il ne voit pas dans la« troisième voie » de Giddens et du New Labour une contribu-tion à ce qu’il nomme l’« actualité du socialisme libéral ». Aucontraire, il accueille avec une grande méfiance la formule deGiddens [1994], « Par-delà la gauche et la droite », et plaide pourun fort clivage droite/gauche dont le contenu classique seraitmoins dépassé que ne le juge Giddens. Cette méfiance s’éclaireaussi par la conception du libéralisme politique de Bobbio, quimaintient de fortes distances vis-à-vis des doctrines du libéra-lisme économique et accorde un rôle important à la conflictua-lité sociale, tandis que l’idéologie de la « troisième voie » blairistedéfend une vision consensualiste, hostile aux antagonismessociaux. De fait, la « troisième voie » britannique, sans se réduireà « un néo-libéralisme de deuxième génération » (K. Dixon)fidèle à l’ultra-libéralisme de l’ère Thatcher, n’est en rien l’héri-tière du socialisme libéral italien (voir encadré p. 98).

Les promesses non tenues de la démocratie

Bobbio [1984] défend une idée procédurale de la démocratie,centrée sur les « règles du jeu » — thème déjà présent chezRosselli —, devant guider les choix collectifs en garantissant laparticipation des citoyens à la formation de ces choix et la solu-tion pacifique des conflits politiques ou sociaux. Ces règles sontle suffrage universel, le principe majoritaire, le droit d’expressionpublique, le respect des droits des minorités, etc. On a parfoiscritiqué cette théorie jugée « minimale » de la démocratie qui seréduirait aux procédures d’élection d’élites concurrentes. Ce

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serait oublier l’exigence de participation qui sous-tend le bilandésenchanté de Bobbio sur les « promesses non tenues de ladémocratie ». Les raisons de ces déceptions sont nombreuses.D’abord, la faiblesse du citoyen face aux grosses organisationspesant sur les choix publics selon des intérêts souvent corpora-tistes. Ensuite, le pouvoir administratif tentaculaire : l’État social,face aux demandes légitimes de protection, croît sans cesse. Enoutre, la complexité des sociétés modernes exige des expertisesporteuses de dérives technocratiques. Au delà, la démocratie n’apas aboli les « oligarchies » : la domination des élites perdure.Une autre cause de malaise est l’« espace limité » : la démo-cratie, réduite à la sphère politique, a très peu pénétré des lieuxde pouvoir restés hiérarchiques comme l’entreprise, et resteabsente de lieux de socialisation comme la caserne ou l’école. Ily a aussi le « pouvoir invisible » : alors que la démocratie exige latransparence (condition du jugement des citoyens), l’opacité poli-tique perdure. Enfin, la démocratie, défendue comme une écolede la citoyenneté, a déçu là aussi, comme en attestent l’apathie etla manipulation de l’opinion.

Certes, ces déceptions sont d’ordre différent. Le poids des orga-nisations et de la technocratie était en partie inévitable. Quantau maintien des « oligarchies », il demande un diagnosticnuancé. Comme les sociologues réalistes, Bobbio juge le « faitoligarchique » inévitable. Mais tout dépend en quel sens : les élitespeuvent être fractionnées en groupes concurrents ou former unecaste homogène, tirer leur légitimité par consentement démocra-tique ou non, être ouvertes ou fermées. Bobbio avance uneversion démocratique de la sociologie des élites, favorable à un plura-lisme des élites légitimées démocratiquement et ouvertes le pluspossible aux nouveaux venus. À cet égard, les démocraties ontdéçu faute d’un fort renouvellement des élites. Enfin, l’« espacelimité » n’est pas vraiment une « promesse non tenue » : lerégime représentatif ne promettait pas de transformer l’entre-prise ou l’école. Et si cette exigence du socialisme est légitime,elle reste très difficilement réalisable. En tout cas, la démocrati-sation de la société civile et de l’entreprise ne résultera pas d’une

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Sen : un « libéralsocialismevenu de l’Inde » ?

L’économiste Amartya Sen (né en1933) a parfois été mentionné parBobbio parmi les penseurs ayantquelques affinités avec le socialismelibéral. Le philosophe S. Petrucciani amême évoqué des convergences avecCalogero en parlant de « libéralsocia-lisme venu de l’Inde » à propos de lapublication en italien d’une confé-rence pour la réception à Turin du prixAgnelli [1990] suivie d’un autre textedans lequel Sen [1996] expliquait sonintérêt pour la pensée italienne qu’il aconnue grâce à son épouse, EvaColorni — la fille d’Eugenio Colornipuis belle-fille de A. Spinelli, deuxfigures du fédéralisme européen.Soulignant leurs liens avec Giustizia eLibertà de Rosselli, l’économiste indienrappelle l’engagement résolu de cecourant en faveur de l’égalité et de ladémocratie participative.

Les affinités de Sen avec le « libéral-socialisme » résident dans sa critiquede l’idée étroitement libérale ou liber-tarienne de la liberté, et dans l’impor-tance conférée à la solidarité. Enfaisant de la liberté individuelle uneresponsabilité sociale, il rejette lesdoctrines assignant aux seuls individus

la responsabilité de leur liberté etmontre les limites de la vision liberta-rienne de la « l iberté négative »d’après laquelle être libre consiste à nepas subir d’entraves extérieures d’untiers ou du gouvernement. Aucontraire, la « l iberté positive »,négligée par les libéraux dogma-tiques, désigne ce qu’une personneest capable d’accomplir, quelles qu’ensoient les causes : par exemple, si jene peux me promener dans un parcen raison d’un handicap, je ne suis pas« libre » au sens de la liberté positive,tandis que ma liberté négative n’estpas ici atteinte. La liberté ne tient doncpas seulement à l ’absence decontrainte : elle implique la possibilitéde se réaliser soi-même, et donc dechoisir sa vie. De la liberté positive relè-vent ainsi toutes les exigences deprotection sociale, sanitaire, éduca-tive, etc., qui doivent permettre àchacun de mener sa vie selon sonsouhait. Non que la liberté négative nesoit pas essentielle : outre qu’uneatteinte à celle-ci est insupportable, lesdeux types de liberté sont indispen-sables. Les libertés défendues par leslibéraux (droits de l’individu, droitsciviques, etc.) et celles revendiquéespar la tradition socialiste (droitssociaux) sont mêmes complémentaires.Ainsi, les grandes famines ont

démocratie directe utopique, mais de la pénétration progressivedu modèle de la démocratie représentative dans l’entreprise,l’hôpital, l’école et l’armée. Quant à l’« éducation du citoyen »,elle est indispensable mais irréalisable dans un monde dominépar les médias commerciaux. Ainsi, une société où les citoyenssont manipulés par les divertissements de masses ne peut êtrepour Bobbio que de « droite », c’est-à-dire incapable de remplir

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disparu en Inde avec l’Indépendanceet la création d’une démocratie plura-liste : la liberté de la presse a permis,en mobilisant l’opinion publique, defaire pression sur le gouvernementpour qu’il intervienne socialement. Il ya donc un lien étroit entre les libertésde l’« État de droit » et la liberté de nepas mourir de la famine [Sen, 1990].D’où l’importance du concept decapacités ou capabilités (capabilities)qui doit dépasser les limites desthéories de la justice centrées sur lesressources ou biens premiers dontdispose chacun. Il ne suffit pas derépartir le plus équitablement possibleces ressources. Ce serait négliger le faitque les individus diffèrent très profon-dément, et sont dans des contextesspécifiques. Par exemple, à ressourceségales, la liberté d’un handicapé oud’un malade exigeant des soinscoûteux sera moindre que celle desautres. Il faut examiner comment lesindividus peuvent convertir cesressources en liberté de poursuivreleurs propres objectifs. Aussi doit-ondistinguer la notion de fonctionne-ment et celle de capacités : la premièredésigne un accomplissement effectif (senourrir, travailler, etc.) et la seconde lapossibilité de s’accomplir, c’est-à-direde choisir entre plusieurs sortes de viespossibles. Sans être marxiste, Sen cite

comme exemple de « capabilités » uncélèbre passage de L’Idéologie alle-mande selon lequel la société éman-cipée devra permettre à tous des’adonner à une multiplicité d’acti-vités (chasser, pêcher, « critiquer »). Lanotion de « capacités » montre ainsiles limites des indicateurs de pauvretéen termes de ressources et de revenus,et justifie l’action publique pour lasanté, l’éducation, etc.

Une autre convergence avec le« libéralsocialisme » concerne le rôlecrucial de la délibération publiqueet de la tolérance. Comme Calogero,Sen [1999] souligne que seule ladiscussion publique permet de réglerles conflits dans l’intérêt de tous.De même, la tolérance et la laïcitésont selon lui la seule voie derencontre pacifique entre différentescultures. Déjà Calogero [1967] souli-gnait que le principe laïc n’était passeulement occidental : ainsi, lesbouddhistes pourraient retrouver lesprincipes de tolérance dans les« édits » de l’empereur indien Ashoka.C’est le même exemple que choisitSen pour souligner le caractère nonspécifiquement occidental de valeurscomme la tolérance et même ladémocratie, contrairement à l’idéo-logie de la « guerre des civilisations »[Sen, 1999].

les promesses égalitaires de la démocratie [Bobbio, Bosetti etVattimo, 1994]. Ce rejet de la droite contraste avec son dialoguecritique vis-à-vis du mouvement alors hégémonique à gauche, leParti communiste.

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Grandeur et impasse du marxisme

Bobbio refuse l’antimarxisme : il dit sa gratitude pour lemarxisme qui lui a appris à « voir l’histoire du point de vue desopprimés », gagnant ainsi « une nouvelle et immense perspectivesur le monde humain » [Bobbio, 1955, p. 240]. D’où son dialoguecritique avec les communistes — que lui reprochera la droite —sans nulle complaisance pour le totalitarisme en URSS : son pari,qui s’est révélé juste, était que le communisme italien pouvaitse convertir à la démocratie représentative. Bobbio a aussidialogué avec les « gauchistes » des années 1970 prônant unedémocratie directe contre la démocratie « bourgeoise ». Il leurobjecte qu’aucun projet socialiste ne devrait se passer de l’État dedroit et des règles de la démocratie représentative et pluraliste.La limite du marxisme, outre son « prophétisme », tient àl’absence d’une théorie politique pertinente de l’État moderne :Marx a posé la question « Qui doit gouverner ? », et non pas celle,décisive, « Comment doit-on gouverner ? ». Ainsi, la « dictaturedu prolétariat » a légitimé un régime d’oppression sur le proléta-riat pire que le capitalisme. Marx n’a pas vu que les institutionsde la démocratie « bourgeoise » pouvaient être utilisées par lesouvriers pour leur émancipation. Si donc Bobbio, commeGobetti, rejette l’anticommunisme, il refuse la voie « libé-rale-communiste » (liberalcommunista) des disciples de Gobetti, telAugusto Monti, favorables à un compromis entre libéralisme(dans la culture) et communisme (dans l’économie). Ces projetsmenacent selon lui la liberté, qui exige la participation civique.En ce sens, on peut être « libéral sans être antimarxiste » : lacritique de l’exploitation capitaliste reste indispensable, mais àpartir d’une adhésion à la démocratie libérale [Bobbio, 1997a,1997b]. Car la fin heureuse du communisme n’efface pas miracu-leusement les pathologies du capitalisme : « Le communismehistorique a échoué mais le défi historique qu’il avait lancé estresté » [Bobbio, 1994, p. 75].

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Pour le clivage droite/gauche

On a parfois voulu voir dans le socialisme libéral italien unesimple version du libéralisme qui ferait des « idées libérales » àla fois l’origine et la fin du socialisme, selon une position défen-dable aussi bien par la droite que par la gauche. L’exemple deBobbio prouve que ce jugement est infondé : très hostile à ladroite libérale, il indique même la supériorité du socialisme sur lelibéralisme : « Personnellement, je tiens l’idéal socialiste supérieurà l’idéal libéral » car « tandis que l’on ne peut définir l’égalité àpartir de la liberté, il y a au moins un cas où l’on peut définirla liberté à partir de l’égalité », à savoir « cette condition danslaquelle tous les membres d’une société se considèrent libresparce qu’ils ont un pouvoir égal » [Bobbio, 1986]. Loin de prônerune voie centriste, Bobbio juge l’opposition droite/gauchecruciale sur le plan analytique et normatif : lui-même se veutde gauche, seule position acceptable face aux injustices sociales.Car le critère distinguant droite et gauche réside dans leur rela-tion aux inégalités. Les deux reconnaissent dans la société desformes d’égalité et d’inégalité, mais leur rapport est conçu diffé-remment : l’« homme de gauche » considère davantage ce que leshommes ont en commun que ce qui les distingue, contrairementà l’« homme de droite ». Pour le premier, « l’égalité est la règleet l’inégalité est l’exception », tandis que le second inverse lapriorité. Aussi, à gauche, toute forme d’inégalité exige d’être légi-timée, tandis qu’à droite toute égalisation demande à être justi-fiée, l’inégalité étant la règle. Mais si la gauche est égalitaire, ellen’est pas égalitariste ou niveleuse — au sens de Babeuf —, leconcept d’égalité étant « relatif, et non absolu » [Bobbio, 1994,p. 54 ; 1976] : elle ne prétend éradiquer ni les inégalités « natu-relles » ni même toutes les inégalités « sociales » qui requièrentun traitement complexe. De même, la gauche est plus inclusive etla droite plus exclusive (notamment face à l’immigration). Ainsi,à la racine du choix de la gauche, il y a « un sentiment de malaisedevant le spectacle des énormes inégalités, aussi dispropor-tionnées qu’injustifiées, entre riches et pauvres, entre ceux quisont en haut et ceux qui sont en bas de l’échelle sociale, entre

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La « troisième voie »de Giddens :un socialisme libéral ?

La notion de « troisième voie », chère ausocialisme libéral, a été défendue parA. Giddens [1998] pour refonder lenouveau parti travailliste de Tony Blair.Mais ses thèses sont très éloignées dusocialisme libéral. Bobbio [1994] s’yréfère d’ailleurs de façon critique. PourGiddens, il faut « transcender à la foisla social-démocratie à l’ancienne etle néo-libéralisme ». Le clivage droite/gauche classique serait épuisé face auxmutations contemporaines : mondiali-sation, « nouvel individualisme », déclinde la tradition, aspirations « post-maté-rial istes » des jeunes (sexualité,écologie, etc.), essor de la « sociétécivile », insécurité, crise écologique, etc.La gauche aurait échoué face à cesmutations : identifiée à la défense d’unÉtat social en perte d’efficacité, elleaurait ouvert la voie à l’ultra-libéra-lisme. D’après Giddens, les néolibérauxont raison de dénoncer l’« étatisme » dela « vieille gauche » : acteur direct de lavie économique et sociale, l’État domi-nait la société civile, exerçait une fortepression redistributive pour protéger lescitoyens « du berceau à la tombe », aunom d’un « égalitarisme fort », d’unepolitique de classe et d’un rejet partieldu capitalisme. Tout ceci est périmépour Giddens. Certes, l’État aura un rôleà jouer, mais surtout indirect, en parte-nariat avec les associations et le secteurprivé. Et la redistribution par l’impôt,toujours nécessaire, sera moindre. Il fautsusciter des choix économiques adaptésà l’évolution du capitalisme (par l’inno-vation technologique), oublier le para-digme des « classes » pour une vision

individualiste, favoriser les associationspour métamorphoser le Welfare State.Avec les libéraux, Giddens juge qu’uneprotection sociale centrée sur la distri-bution de prestations a des effetspervers : elle nourrit une « culture de ladépendance » renforçant l’exclusion. Ilfaut donc activer, par un État « investis-seur social », une « assistance socialepositive » valorisant le capital humaindes chômeurs par un suivi personnaliséet un investissement dans la formation.L’éducation à vie s’impose face à unmarché mondial exigeant un renouvel-lement des compétences. Ainsi nedoit-il plus y avoir de droits sans respon-sabilité : le chômeur doit chercher acti-vement un travail et se former, souspeine de sanctions.

On a voulu voir dans le New Labour,voire dans le Parti démocrate américain,l’héritier du socialisme libéral italien(selon J.M. Bockel [2005], d’aprèsM. Canto-Sperber [2003]). Mais desspécialistes de la pensée italienne[Bechelloni, 2001 ; Audier, 2002,2005a, 2005b] et J. Rosselli [2001], lefils de C. Rosselli, rejettent totalementces filiations imaginaires (pour Bechel-loni, l’idée d’un Rosselli « quasi-précur-seur de la troisième voie » est« anéantie » par l’étude des textes). Cartout sépare du New Labour le socia-lisme libéral de Rosselli. Ses projets de« socialisation » (coexistant avec le libremarché), sa critique du capitalisme, sadéfense d’une démocratisation radicalede la production et de la vie politique,sa conception de la lutte des classessont incompatibles avec l’idéologieconsensuelle du New Labour pour quiles luttes sociales sont le pire desarchaïsmes. De même, l’option égali-taire de Calogero, prônant une trèsforte redistribution et un puissant

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secteur public, diverge des thèses deGiddens pour qui « la nouvelle politiquede la troisième voie définit l’égalitécomme intégration et l’inégalité commeexclusion ». En outre, Calogero [1965]défend une réduction drastique dutemps de travail, et un républicanismelaïc, ce qui le situe loin du New Labour.Quant à Capitini, ses références àFrançois d’Assise, Mazzini et Gandhi,suffisent à mesurer la distance qui lesépare de la Third Way.

Certes, Giddens souligne justementle nécessaire renouveau de la social-démocratie. Mais, outre qu’il donne unevision caricaturale de la « vieille » social-démocratie, ses positions sont contes-tables. Même un social-démocratemodéré comme J. Delors s’inquiète, enpréface à la traduction de Giddens[1998], d’un discours sous-estimant lerôle du dialogue social entre parte-naires sociaux : « La troisième voierepose sur une vision atomistique de lasociété d’inspiration libérale, vision quisous-estime le rôle des groupes sociauxfondés sur la solidarité et la commu-nauté des conditions. » Or « toute insis-tance sur la responsabilité individuelleau détriment de la responsabilité collec-tive peut miner la responsabilité socialenécessaire pour permettre le finance-ment des politiques publiques et desbiens collectifs ». Certes, Giddenssouligne la responsabilité collective de lasociété, en voulant combattre tantl’exclusion des plus pauvres que l’auto-exclusion des plus riches. Mais, en insis-tant surtout sur la responsabilisation deschômeurs, il donne une analyse désé-quilibrée, avec le risque d’une culpabili-sation et d’un contrôle croissant desplus fragiles. Ainsi, selon J. Rodriguez[2004], la « troisième voie » diverge dumodèle américain, mais « l’injonction à

la responsabilité organise une sorte desolidarité à rebours, qui tend à soulagerla collectivité du soutien des individusles plus fragiles » — avec le dangerd’exclure encore les individus ayantéchoué à se prendre en charge.

Giddens lui-même, envisageant fina-lement une « quatrième voie », a évolué[Giddens, 2003b ; Giddens et Diamond,2005] : contre le « néo-conservatisme »américain, il prône un « néo-progres-sisme ». Critiquant une tendance anti-étatiste des « démocrates » américains,il souligne le rôle de « l’État garant »(ensuring State) qui offre des ressourcesaux individus pour construire eux-mêmes leur autonomie — un État qu’ilfaut toutefois transformer par une plusgrande transparence ou « publicisa-tion », par opposition à la « privatisa-tion » des libéraux. De même, ilsouligne — des décennies aprèsRöpke — que le marché exige uneaction continue des pouvoirs publics etl’institution de « règles ». Évoquant lesécrits de M. Granovetter, le sociologuerappelle que l’économie de marché est« encastrée » dans la société. Giddens[2003a] esquisse même une « autocri-tique » : « La troisième voie a repré-senté un effort important derenouvellement politique, mais elle n’apas suffisamment mis l’accent sur lesvaleurs pour lesquelles la gauche auraitdû se battre : solidarité, égalité, défensedes plus faibles, promotion d ’ungouvernement dont l’activité favorise ledéveloppement social. » Le sociologueva jusqu’à vouloir reformuler l’ambi-tion redistributrice de la gauche[Giddens et Diamond, 2005]. Cesévolutions du « révisionnisme radical »de Giddens nourrissent une doctrineplutôt floue et pragmatique d’adapta-tion à toutes les situations.

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Parmi les adversaires de la « troi-sième voie », prônant un autre renou-veau social-démocrate, J.-M. Ferry[2000, 2003] a critiqué le passage duWelfare State au Workfare State, quiimpose une activité aux bénéficiaires del’assistance, ce qui équivaut à une pureadaptation au marché flexibilisé, alorsque le « travail-emploi » n’est plus le« grand intégrateur » : la seule solutionserait le « revenu de citoyenneté ».D’autres, comme B. Gazier [2003], ontrejeté aussi le « projet social-libéral » deGiddens au nom d’un vrai « renouveaude la social-démocratie », plus prochedes modè les scandinaves, où l’onoppose parfois le learnfare — assis-tance par la formation — au workfareanglais, dont les résultats sont trèsmitigés en termes d ’autonomie,d’empowerment et de requalification destravailleurs. Ainsi, B. Gazier [2003]oppose au modèle anglais, qui tolère unfort niveau d’inégalités, un « projetcentré sur la promotion des travailleurset des activités utiles à la société, et surla négociation collective ». Il s’agit decréer un « nouveau plein-emploi » en

aménageant les « transitions », c’est-à-dire « tous les écarts possibles parrapport à la situation de référenceconstituée par l’emploi régulier à tempsplein » : périodes de formation, derecherche d’emploi, de congé parental,années sabbatiques, mi-temps, etc.L’enjeu est de garantir des « droits àmobilité » selon un modèle esquissé parle Suédois G. Rehn. Chaque travailleurpourrait bénéficier de « droits de tiragesociaux » : un contingent d’années deformation ou de congé, dans le cadred’un projet valorisant l’égalité hommes/femmes pour le partage des tâches etaccordant leur place aux activités socia-lement utiles et non marchandes dusecteur associatif (sur le « tiers secteur »et l’économie solidaire, voir aussiJ.-L. Laville [1999] qui, à distance de la« troisième voie » anglaise, défend uneautre « troisième voie pour le travail »).Le renouveau social-démocrate viseradonc un « emploi soutenable »— compatible avec ce projet desociété — et solidaire du « développe-ment durable ».

celui qui possède le pouvoir, c’est-à-dire la capacité dedéterminer le comportement d’autrui, que ce soit dans la sphèreéconomique, politique ou idéologique, et celui qui ne l’a pas »[Bobbio, 1994, p. 76]. Au XXIe siècle, le rôle de la gauche est detraduire l’aspiration égalitaire, loin de tout centrisme consen-suel. L’« ethos de l’égalité » reste d’actualité face à une droite pourlaquelle l’inégalité est le moteur du progrès historique, et quipromeut l’idéologie de la « course effrénée et incontrôlée versune société globale de marché, destinée à créer toujours denouvelles inégalités ». L’égalité doit donc rester l’« étoile polaire »de la gauche : les immenses inégalités nationales et

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internationales montrent que, loin d’être épuisée, elle n’est qu’audébut de sa tâche historique.

Justice sociale, société civileet associationnisme

La quête d’une voie novatrice pour le socialisme ne se dissociepas d’une réflexion sur le rôle de la « société civile » et sur lesressources de la tradition socialiste associationniste. L’expres-sion « société civile » est toutefois ambiguë. Un de ses théori-ciens, B. Barber, regrettant qu’elle soit devenue un « slogan chic »et confus, en distingue trois versions. La première, celle des ultra-libéraux, réduit celle-ci, à partir d’une apologie du marché, àl’idée de secteur privé. La deuxième est celle des « communauta-riens » : elle devient « synonyme de communauté », avec lesambiguïtés qui en résultent si cela conduit à légitimer tout typede communauté close. D’où un troisième modèle : la sociétécivile comme « clé pour réhabiliter le républicanisme », fondéesur des formes de démocratie participative, notamment par lavie associative. Mais des théories de la société civile peuvent êtreaussi à la fois « communautariennes », libérales et démocratiques.Certaines renouent avec la tradition du socialisme association-niste [Chanial, 2001]. Ce projet d’un socialisme refondé sur lesassociations, défendu également autour de la Revue du M.A.U.S.S.(voir le nº 16, 2000, intitulé L’Autre Socialisme) et de théories du« tiers secteur » [Laville, 1999], a été parfois opposé à la « troi-sième voie » du New Labour : en Grande-Bretagne, Paul Hirst adéfendu le modèle de l’associative democracy comme un « socia-lisme libertaire » qui serait la « réelle troisième voie » (voirencadré p. 102). Mais c’est surtout aux États-Unis, avec la gaucheintellectuelle représentée par Irving Howe, Michael Harringtonet Michael Walzer, que l’on retrouve des affinités partielles avecle socialisme libéral. Autour de la revue Dissent s’est en effetélaboré un socialisme renouant avec une gauche libertaire etantitotalitaire. Howe [1985] parle même parfois de « socialismelibéral ». Son anthologie sur le socialisme affirme qu’il n’y a nul

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« compromis possible entre les socialistes démocratiques et lesdifférents défenseurs du despotisme autoritaire et totalitaire quise sont appropriés et ont souillé le nom de socialisme » [Howe,1976, p. 1]. Toutefois, il n’examine pas la tradition socialiste libé-rale. Walzer ne doit rien non plus aux penseurs italiens — sauf,comme Howe, à I. Silone —, ses sources étant la théorie démo-cratique de J. Dewey et le socialisme associationniste britannique(Cole, Tawney, etc.). Il ne découvrira — avec enthousiasme — lesocialisme libéral de Rosselli que très tard : avec des différencestout à fait considérables, il défend une « social-démocratie libé-rale », voire un « socialisme libéral » [Walzer, 1992].

Repenser l’égalité

Walzer rejette la « mauvaise utopie de la vieille gauche » quidéfendrait un égalitarisme absolu en matière de statut, derichesse et de pouvoir. Car il y aura toujours des inégalités : leséradiquer est utopique, sauf à exercer une tyrannie. Ce fut le« crime historique » du totalitarisme que de « permettre que lesocialisme soit identifié à une tyrannie de cette espèce ». Certes,la gauche veut briser les cadres hiérarchiques de subordinationen libérant tous les individus de la « domination des bien-nés,des riches et des puissants », mais elle ne vise pas un égalitarismeniveleur et autoritaire. Elle n’est pas pour autant sans ressourcessi elle redéfinit son idée de l’égalité. D’après Sphères de justice[1983], une distribution juste ne peut dépendre d’un seul critèrevalable pour tous. Il y a, en effet, dans les sociétés complexes,une pluralité d’univers sociaux, avec leurs valeurs spécifiques, quiproposent à leurs membres la poursuite de fins et de biens parti-culiers. Ainsi, l’hétérogénéité des biens sociaux est liée à la plura-lité des sphères distributives. La question de la justice distributivesuppose donc de délimiter les frontières des différentes sphères.Selon Walzer, la gauche doit lutter pour l’égalité complexe, et nonplus pour l’égalité simple. Si la quête de l’égalité parfaite est unmythe dangereux, la défense de l’autonomie des diverses sphèresdistributives reste un projet clé pour l’émancipation de tous,notamment des plus pauvres. Car le danger est que les individus

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Le socialisme associationniste,la « réelle troisième voie » ?

Le projet d’un socialisme refondé sur lesassociations a été avancé par l’AllemandR. Eisfeld dans Le Pluralisme entre libéra-lisme et socialisme [1972]. Face au risqued’une dérive plébiscitaire et technocra-tique des « démocraties » dominées pardes entreprises géantes et hiérar-chiques, il défend une interventionpublique dans un sens égalitaire etpluraliste. L’enjeu est moins de nationa-liser la production que d’y exercer uncontrôle démocratique continu, par unedécentralisation des activités et l’intro-duction à tous les niveaux d’une surveil-lance des représentants des salariés etdes actionnaires. D’où la nécessitéd’une information transparente. Si lesassociations de salariés et de consom-mateurs ont un rôle décisif à jouer, l’Étatdoit aider à cette démocratisation écono-mique : face à la « publicité indus-trielle », il peut les aider à diffuserl’information sur l’état des entreprises.

Le socialisme associationniste a étéreformulé par l’Anglais P. Hirst(1946-2003) dans le contexte de la findu XXe siècle : la disparition du commu-nisme, la (contre-)révolution néo-libérale, l ’ internationalisation del’économie, la diffusion du pluralismeculturel et religieux, la fragilisation desÉtats-nations, l’essoufflement du WelfareState, la crise du civisme — tout ceciimposerait une mutation doctrinale.Selon Hirst [1997], le socialisme étatisteest mort. Son échec serait même lacause de la victoire du néo-libéralisme.Mais la gauche n’est pas sans ripostegrâce à une tradition occultée par lemarxisme : le socialisme associationniste,dont Hirst souligne la dimension libérale

en évoquant le plaidoyer de Tocque-ville pour les associations. Ce courantpluraliste — porté par Owen, Figgis,Cole, Laski — ou « socialisme liber-taire » ouvre une « troisième voie »entre socialisme collectiviste d’État et« laisser-faire » capitaliste. Seule la vieassociative répondrait en effet au plura-lisme : il faut promouvoir ces groupessolidaires — notamment les« Églises » — au lieu de les rejeter. Enoutre, ce modèle serait la solution à lacrise de l’État social, devenu inadapté àla diversité des cas individuels. Hirstprône ainsi une réforme du WelfareState déléguant une large part de la soli-darité, avec soutien financier, à desassociations (tiers secteur). L’État doitdonc non pas se désengager — commedans le modèle néo-libéral — mais agirindirectement en restant le garant dubon fonctionnement du tissu associatif.Si l’associationnisme de Hirst ne prétendpas remplacer le gouvernement repré-sentatif, sa radicalité suscite toutefoisdes objections. Ainsi, le républicanismefrançais est à peine évoqué et rejeté(sauf Durkheim et Duguit) à cause deson « anticléricalisme » jugé intolérant,ce qui caricature la laïcité française. Lacritique parfois outrancière du WelfareState s’accompagne aussi d’un élogelégitime mais excessif du bénévolat,comme s’il s’agissait de la seule vraiesolution. Au-delà, le projet égalitaire, aucœur du socialisme libéral italien,semble ici relativisé, ce pourquoi lerapprochement fait en Italie entre Hirstet le socialisme libéral doit être nuancé.Ainsi, ce socialisme associationniste,présenté, contre Giddens, comme « laréelle troisième voie » [Hirst et Bader,2001], risque de se dégrader ennouveau dogmatisme.

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Le socialisme libéralcontre l’impôt ?

Une des erreurs à propos du socia-lisme libéral consiste à dire que celui-cin’accorde qu’une place mineure àl’impôt. En réalité, tant en Francequ’en Italie, et même chez Hobhouse,l’impôt est un moyen décisif — sansêtre le seul, comme le montre le socia-lisme de marché anticapitaliste deMerlino — de réalisation des idéauxd’égalité et de solidarité. Or, depuis lafin du XXe siècle, les gouvernements etpartis de centre-gauche ont parfoisperdu de vue ces choix. Selon LauraPennacchi [2004], le centre-gauchen’a pas su réfuter le « fondamenta-lisme de marché » et la « croisade anti-taxe ». Se réclamant de A. Sen et desdistinctions de N. Bobbio entre droiteet gauche, Pennacchi regrette que lecentre-gauche se soit trop adaptéaux termes du débat fixés par ladroite. L’objectif de celle-ci, depuisReagan et Thatcher, est de « tailler

dans les services publics » en dimi-nuant les impôts qui les financentpour les rendre moins efficaces,afin de susciter l’insatisfaction descitoyens. Le but est aussi de « privilé-gier les couches sociales déjà privilé-giées » sous prétexte de défendre lesclasses moyennes et modestes. Stra-tégie résumée dans la formule star-ving the beast (« affamer la bête » — la« bête » étant le gouvernement) : ils ’agit, par des baisses massivesd’impôt, de creuser des déficits pourjustifier ensuite des coupes budgé-taires dans les programmes sociaux,en réduisant le secteur public au profitdu privé.

Pour Pennacchi, on doit objecterdes arguments « non étatistes » enfaveur de l’État social et des impôts :il ne faut pas défendre l’État comme« machine bureaucratique et centra-lisée », mais la « collectivité politique »dont l’État est l’instrument. Contrel’anti-étatisme, il faut rappeler la« responsabil ité sociale » de lacommunauté politique et réfuter

ayant une supériorité dans l’une de ces sphères n’en profitentpour la convertir directement dans plusieurs autres. Ainsi, celui quia réussi dans la finance peut en profiter pour conquérir lepouvoir politique, ou jouir de privilèges en matière d’accès auxsoins, ou placer ses enfants dans les meilleures universités, etc.De même, celui qui a réussi en politique peut s’enrichir auxdépens des autres, obtenir des privilèges, etc. Lutter pour main-tenir ou redéfinir les frontières entre les différentes sphères, sibesoin par l’intervention politique, permet à des individus auxcompétences diverses d’accéder à des biens sociaux spécifiquesselon les voies requises. Certes, il y aura encore des inégalités,mais « radicalement dispersées et non agrégées » : elles ne segénéraliseront pas au-delà de leur sphère, si bien que tous les

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l’individualisme radical, qui est inéga-litaire. Cette vision fausse de l’individu,réduit à un « atome » asocial, justifieune « conception pré-institutionnellede la propriété » faisant de toute taxa-tion une contrainte. Pour l’homo oeco-nomicus, seules comptent lespréférences individuelles avant toutdébat public sur le « bien commun ».Or, comme l’ont montré S. Holmes etC.R. Sunstein [1999], même la protec-tion des droits individuels, loind’exiger un retrait de l’État, supposeen fait une protection constante et fortcoûteuse de l’État, qui exige un finan-cement public. De plus, bien deslibertés fondamentales — de parole,d’association, etc. —, loin de défendrel’égo ïsme, sont altruistes : el les« alimentent l’esprit de solidarité et lesens de la responsabilité collective ». Ce« patrimoine » de « socialité libérale »(socialità liberale) doit être préservécontre l’individualisme étroit.

La gauche doit donc réaffirmer une« conception forte de la citoyenneté » :l’individu appartient à une collectivité

politique faite d’interdépendances oùl’égalité est une condition de l’équitéet de la réciprocité. Les impôts, loind’être une confiscation, sont unecontribution au bien commun : desservices publics de qualité sont unegarantie de mobilité sociale pour tous,un rempart contre l’exclusion et uninstrument impliquant les riches dansla communauté politique. Égalité etliberté ne sont donc pas antinomiquescar « ce qui donne valeur à la libertéest la capacité d’en tirer profit ». Celaimplique l’accès pour tous à des biensfondamentaux (santé, instruction, etc.)nécessitant des services publics effi-caces, donc financés. Non qu’il ne faillejamais baisser les impôts ou que l’effi-cacité de l’État ne soit pas un impé-ratif. Mais on doit introduire dans ledébat public l’idée que la baisse desimpôts, passé un certain seuil, entraîneune moindre efficacité de l’État social.La gauche devrait donc retrouverl’exigence égalitaire du socialismelibéral de Bobbio plutôt que la « troi-sième voie » de Giddens.

biens sociaux ne se concentreront pas dans une minorité. Ainsipeut-on parvenir à la plus grande égalité — complexe — possible,mais aussi à certaines garanties de liberté, car la conversion d’unbien social (la richesse) en un autre bien (le pouvoir politique) est« un acte de tyrannie ».

Société civile et État : la complémentarité

L’autre lacune de la « vieille gauche » tiendrait à sa sous-esti-mation du rôle de la société civile : elle a surtout valorisé la citoyen-neté active, suite à Rousseau, ou la coopération dans le travailproductif, à la suite de Marx, ou encore l’identité nationale. Oraucune de ces voies ne satisfait l’idéal d’une « bonne vie ». La

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gauche républicaine, qui réactive nostalgiquement la figure ducitoyen assemblé sur la place publique, méconnaîtrait les muta-tions contemporaines : les individus, investis dans la sphère dutravail, de la famille et dans divers lieux de socialisation et desolidarité (églises, syndicats, associations, etc.), ne participentplus que par intermittence à la politique au sens strict, leur identitémultiple étant irréductible à celle du citoyen vertueux. Quant àla gauche post-marxiste, elle serait aussi en retard : qu’a-t-elle àdire sur les activités visant à « aider les autres » et qui n’offrentguère d’opportunité de « créativité au sens marxiste » : enseigne-ment, assistance sociale, soins médicaux ?

Plus riche est l’idée de société civile, si l’on ne l’identifie pas aumarché : il s’agit de l’espace des activités, à distance de l’inter-vention étatique, où les individus s’associent librement pour desfins multiples. L’idée d’association éclaire la dimension plura-liste et solidaire de la société civile : une multitude de groupes detoute espèce se créent, évoluent et se défont selon les affinitéset les choix de chacun. Cette appartenance des individus à diverscercles n’est pas nécessairement aliénante : nous naissons tousliés à différents groupes et notre liberté ne réside pas dans lephantasme d’une absence de tout lien, mais dans la possibilitéde sortir d’un groupe pour entrer dans un autre. L’erreur del’individualisme libéral est de défendre une vision irréaliste dusujet comme « atome » détaché de toute appartenance. Ainsi,l’association, lieu de coopération et d’entraide pour le socialismepré-marxiste, renforce la solidarité : quoique indispensable, l’Étatsocial ne remplace pas le don de soi dans l’aide sociale.

Les limites de l’État social ne justifient pas l’anti-étatisme.Walzer reconnaît d’autant plus le rôle crucial de l’État que lamontée de l’« exclusion » et de la grande pauvreté met àl’épreuve la théorie des « sphères de justice » : l’« égalitécomplexe » est certes préférable au rêve d’une égalité absolue,mais quel bénéfice en tireront ceux qui ont échoué dans toutesles sphères de distribution ? Pour la gauche, même s’ils ne sont pasvictimes d’une conspiration, ils souffrent de ségrégations tellesque le racisme, etc. La justice exige donc un effort collectif pourleur réinsertion dans les différentes sphères de distribution. C’est

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Libéralisme et socialisme selon Howe

Si l’éditeur de la revue Dissent, I. Howe [1985], n’était pas familier du socialismelibéral, il le rejoint, comme Walzer, en partie. Il examine ainsi la critique socialistedu libéralisme — c’est-à-dire, d’abord, des principes de l’État de droit — qui aété excessive au point, parfois, de converger avec la droite réactionnaire. Or avoirdiscrédité les fragiles fondations du libéralisme politique fut une faute et uneerreur : le libéralisme a certes dissimulé la domination bourgeoise, mais il n’y estpas réductible. En outre, sur les thèmes de la politique et du droit — contrôlede l’État, etc. —, le libéralisme est supérieur au socialisme, surtout marxiste. Il ya certes beaucoup de vrai dans la critique socialiste du capitalisme. Même lemarxisme a aidé à l’émancipation du prolétariat qui a fait « pression » pour insti-tuer le Welfare State. Mais un bilan s’impose : que reste-t-il de vivant dans lesocialisme ? Si une étatisation intégrale de l’économie est à exclure, l’idéal d’uncontrôle démocratique de la production est d’actualité, bien que sa réalisation soitdifficile. Il faut donc se méfier du discours conservateur selon lequel les travailleursne peuvent ni ne souhaitent gérer démocratiquement la production : la démo-cratie politique s’est finalement installée, pourquoi n’en irait-il pas de même pourla démocratie économique ?

la tâche de la protection sociale et de l’éducation, dont l’échecest imputable non aux seuls individus exclus — selon la vulgatelibérale — mais à une insuffisante mobilisation financière etintellectuelle collective. Depuis les années 1970, l’affaiblisse-ment de la gauche et la montée des politiques ultra-libéralesauraient conduit à dévaloriser les professions qui, telle l’assis-tance sociale, doivent lutter contre l’exclusion en aidant lesexclus à « s’aider eux-mêmes » [1996a, p. 159]. Le rôle de lagauche est de les soutenir : Walzer insiste, plus que dans Sphèresde justice, sur le rôle de l’intervention étatique — notammentindirecte, par l’aide aux associations — tout en rappelant qu’unÉtat solidaire implique une société civile solidaire. Au-delà, l’Étatdoit intervenir pour que la société civile ne dégénère pas en unlieu anarchique où règneraient les inégalités, les discriminations,le sectarisme et les atteintes aux droits individuels. Ainsi, l’Étatrégule la société civile, mais c’est grâce à celle-ci qu’il peut resterun État démocratique, selon un équilibre complexe.

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L’associationnisme de Walzer veut donc ouvrir une voierenouant avec le socialisme d’avant le marxisme. Toutefois, leton polémique contre la « vieille gauche » obscurcit la discussion.Ainsi, sa réfutation de l’égalitarisme absolu — identifié à tort àla gauche classique — occulte les difficultés du modèle d’« égalitécomplexe » qui n’empêche pas de fortes inégalités, notammentfinancières, alors que le « libéralsocialisme » de Calogero, sansêtre niveleur, visait une plus grande égalité, au nom du droit égaldes individus de participer à la vie publique. De même, la critiquepar Walzer du civisme républicain, tourné en dérision pour soninadaptation à la modernité, n’est pas sans fondements, mais ellesous-estime peut-être la persistance de ces idéaux toujours néces-saires pour mobiliser l’ensemble de la communauté. En outre,la réhabilitation du rôle de l’État social, assez tardive, resteambiguë tant elle semble liée à la promotion de la société civile :n’est-ce pas sous-estimer l’ampleur de ses tâches, ainsi que safonction symbolique, dans le monde contemporain ?

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Conclusion / Quel socialisme libéralpour le XXIe siècle ?

Longtemps occulté, le socialisme libéral est menacé au XXIe siècled’une autre éclipse : non plus la « conspiration du silence »communiste, mais son instrumentalisation par une idéologiecentriste avec laquelle il n’a rien à voir. Diffusée dans le grandpublic, l’image du socialisme libéral a ainsi été assimilée à celled’un « libéralisme social » ayant enfin renoncé à son ambitionde redistribution et converti pour l’essentiel aux vertus du capi-talisme. Or nous avons montré que le socialisme libéral incarneune gauche réformiste à la fois radicale et éloignée du commu-nisme, qu’il a réfuté en dénonçant les impasses du totalitarismeet de tout rejet principiel du marché. Cet apport appartienttoutefois au passé : chacun admet que le socialisme doit êtredémocratique. Plus féconde est sa critique des inégalités contem-poraines, même s’il n’offre aucun projet tout fait : ce seraitdégrader le socialisme libéral en simple slogan que de prétendrey trouver la « solution » aux défis du XXIe siècle.

Le socialisme libéral invite en tout cas la gauche à renouer avecun thème clé du libéralisme politique : la séparation des pouvoirset la distinction des sphères d’activité dans une perspective quireconnaît les vertus potentielles de la conflictualité sociale. Lathèse de Montesquieu selon laquelle tout pouvoir est porté àabuser de son pouvoir peut être actualisée pour lutter contre lacorruption des sociétés contemporaines. La gauche a toujourssous-estimé l’extraordinaire outil de lutte contre les privilèges et

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la détérioration de la vie publique qu’apporte la tradition libé-rale pluraliste, si souvent bafouée par le libéralisme économique.Ainsi, le socialisme libéral théorisé par Bobbio, suite à Burzio,avertit du danger d’une confusion entre élites des différentessphères : un régime est corrompu quand le pouvoir des éliteséconomiques influence profondément la sphère politique, voirequand il y a fusion des pouvoirs des différentes sphères. L’avenirdu socialisme libéral réside dans la radicalisation de cet impé-ratif d’une forte différenciation des élites politiques, écono-miques, médiatiques, culturelles, tant par un renforcementmassif des dispositifs législatifs — notamment pour les nomina-tions aux postes de décision — que par une éthique publiqueet une surveillance constante —, ce qui requiert des médiaslibres, indépendants des forces privées — visant à empêcher quedes intérêts économiques particuliers ne décident des choix collectifs.De même, le socialisme libéral exige une ouverture et un renouvel-lement constant des élites qui, loin d’être spontanés, sont en partieliés à la conflictualité sociale.

La quête d’égalité — l’« étoile polaire de la gauche » selonBobbio — nourrit les tâches du socialisme libéral : une réelleégalité des chances — qui exige un droit à la formation donnantet renouvelant les atouts de chacun sur le marché du travail —,une forte solidarité et protection sociale, dont les modalités sontà réinventer, une politique active de redistribution des richesses,une réduction du temps de travail dans le cadre d’une lutte pourl’égalité des sexes. Une des originalités du socialisme libéral tientà sa façon de conjuguer ces tâches avec les impératifs de libertéindividuelle, de délibération publique, d’initiative de la sociétécivile, de démocratisation de la vie économique et d’efficacité, cequi exige la reconnaissance du caractère inéliminable et poten-tiellement bénéfique d’un marché encadré et régulé, à conditionqu’il laisse toute leur place à d’autres modes du vivre-ensemble,fondés sur les principes de solidarité (État social, tiers secteur)et de citoyenneté active. Deux projets, aux sources du socia-lisme libéral, ceux de Huet et de Rignano, visaient ainsi — d’unemanière sans nul doute utopique — une réforme radicale du droitd’héritage pour garantir l’égalité des chances et la solidarité. L’idée

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réactualisée par Ackerman et Alstott [1999] d’un « droit au patri-moine » pour chaque jeune adulte afin de bénéficier d’uneformation, procède du constat — quelles que soient par ailleursles limites de la « solution » proposée — que les règles d’une justeégalité des chances sont violées lorsque, faute d’une redistribu-tion régulière des cartes, les atouts se cumulent dans les mêmesfamilles. Cette inégalité de départ est injuste — la loterie socialeorientant les chances de réussite de chacun — et génératriced’inefficacité : la sélection ne se réalisant pas au sein de toute lasociété mais d’une minorité privilégiée, il en résulte que ce ne sontpas toujours les « meilleurs » talents qui sont choisis dansl’intérêt collectif. Au-delà, une politique socialiste libérale luttantcontre le hasard social doit donner priorité à la solidarité : selonl’analyse de Hobhouse, l’individu qui croit ne devoir sa richessequ’à lui seul la doit aussi à l’aide et à la protection de toute lasociété ; inversement, selon les fondateurs du socialisme libéralfrançais, les individus ne pouvant pas être « propriétaires » ontbesoin — pour être protégés contre les aléas et donc se réaliseret contribuer au bien public — de cette sorte de substitut de lapropriété que constitue la protection sociale collective. Ces projetssupposent des formes massives de redistribution, compatibles avecl’efficacité économique, en évitant d’être confiscatoires : l’idéede Rignano d’une récupération par la collectivité d’une partmajeure de l’héritage, mais progressive dans le temps, corres-pond à cette exigence de concilier solidarité, redistribution etefficacité. Si ces projets sont à redéfinir entièrement, et si la tâchede concilier justice sociale et efficacité économique est toujourscomplexe, leur esprit peut inspirer le socialisme libéral à venir.

Encore faut-il en repenser les orientations au-delà du cadrenational, pour des raisons de réalisme et d’élargissement de la soli-darité : un « socialisme libéral dans un seul pays » est irréalistedans une économie globalisée. Ce point avait été vu, à l’aubedu XXe siècle, par Rignano : face aux libéraux agitant le « spectre »d’une fuite des capitaux, il objectait que les luttes socialesconduiraient partout à une forte redistribution et que les partissocialistes se concerteraient internationalement sur des règlescommunes. Un siècle après, on mesure le décalage avec la réalité,

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et donc l’impératif d’une réponse politique et sociale à l’échellesinon mondiale, du moins européenne. Sans doute cette idéeappartient-elle au socialisme libéral, comme le montre l’engage-ment européen de ses théoriciens, mais elle a été peu explorée.Un de ses héritiers indirects, le défenseur du fédéralisme euro-péen A. Spinelli [1957], voyait dans l’Europe politique uneréponse à l’internationalisation économique et jugeait que « lemarché commun européen ne pourra se réaliser qu’à conditiond’être encadré par un système de justice et de sécurité sociale ».Mais ce projet d’une « législation européenne de sécurité sociale »intégrant les législations nationales, souvent éclipsé par le projetmême de fédération européenne, a été peu approfondi.

Enfin, la tâche du socialisme libéral est d’intégrer l’enjeu écolo-gique, défi majeur du XXIe siècle. Non que tous ses précurseursl’aient ignoré, de J.S. Mill à Capitini, qui a souligné la néces-saire responsabilité de l’homme face à la nature. Au sein de lagauche, le socialisme libéral a peut-être ainsi plus de ressourcespour repenser l’écologie que les théories marxistes. L’idée d’« éco-marxisme », révisant le marxisme dans un sens écologique, paraîten effet séduisante mais problématique si l’on reconnaîtl’influence au moins partielle de l’imaginaire capitaliste sur lapensée de Marx, et, au-delà, sur les visions productivistes de lagauche. Au contraire, parce que le socialisme libéral a mis enquestion plus profondément cet imaginaire capitaliste, et parcequ’il porte l’exigence de solidarité — à la fois internationale etintergénérationnelle —, il est sans doute plus en mesure d’inté-grer les thématiques écologistes. Un « éco-socialisme libéral »reste donc à inventer.

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LE SOCIALISME LIBÉRAL118

Page 119: Audier, Serge - Le socialisme libéral

Table des matières

Introduction / Le socialisme libéral,une voie d’avenir pour la gauche ? 3

I Le « nouveau libéralisme » :révision ou mutation du libéralisme ?

Le tournant social du libéralisme : J.S. Mill 8Contre le paternalisme : l’émancipation des femmes

et des travailleurs, 9Prendre le socialisme au sérieux, 10Vers un libéralisme social-écologiste ?Les impasses de l’imaginaire capitaliste, 12

_ Encadré : Le « néo-hégélianisme » de Green :libéral ou républicain ?, 14

Le « nouveau libéralisme » de Hobhouse 16Grandeur et limites du libéralisme classique, 16Pour l’intervention sociale de l’État, 18Vers un socialisme libéral, 20Redistribution, protection sociale, solidarité, 21

II Le socialisme libéral français : une réponserépublicaine et socialiste aux « libéraux »

Aux sources du socialisme libéral :le socialisme chrétien et républicain de Huet 25

_ Encadré : Socialisme et individualisme :la synthèse de Leroux, 27

État solidaire, « droit au patrimoine », associationnisme, 27_ Encadré : Garantir l’égalité des chances :

le « droit au patrimoine », 28

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Naquet : le socialisme libéral, philosophiedu « service public » 30Ni libéralisme, ni collectivisme, 31La solution du service public, 31Pour un interventionnisme d’État socialiste libéral, 32

_ Encadré : Socialisme libertaire et anarchisme, 33

Le socialisme libéral, doctrine sociale de la République 34Le pessimisme républicain de Renouvier, 35

_ Encadré : Socialisme et individualisme selon Jaurès, 38La justification philosophique du « socialisme libéral », 39

_ Encadré : Le « révisionnisme » : Bernstein en France, 42Sabatier, fondateur du mouvement « socialiste libéral », 44

_ Encadré : Le « socialisme libéral » d’Oppenheimer en France, 46_ Encadré : Le « socialisme coopératif », un « socialisme libéral », 48

L’essoufflement du socialisme libéral 50

III Le socialisme libéral italien, des originesà l’antifascisme : un nouveau socialisme ?

Merlino : la voie libertaire du socialisme libéral 54Essence et formes du socialisme, 54Contre le communisme, 54Contre les « économistes », 55Un socialisme de marché anticapitaliste, 56

Un socialisme « libéral » et « juridique » : Rignano 57Réviser le matérialisme historique, 57

_ Encadré : Une réforme « socialiste libérale »du droit successoral, 58

_ Encadré : Gobetti : vers un « libéral-communisme » ?, 60Un « socialisme juridique », 61

Rosselli : le socialisme libéral,doctrine pour l’antifascisme 61Pour un socialisme non marxiste, 62Le socialisme, dépositaire de la « fonction libérale », 63

_ Encadré : La « fonction libérale » du prolétariat selon Missiroli, 65Méthode et système libéral, 66L’horizon fédéraliste européen, 67

La synthèse du « libéralsocialisme » (liberalsocialismo) 68Originalité du « libéralsocialisme », 68

_ Encadré : Capitini, le « Gandhi italien », 69Complémentarité du libéralisme et du socialisme, 70

_ Encadré : « Libéralisme » et « libérisme », 71État de droit, économie mixte, redistribution, 71

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IV Le socialisme libéral contemporain :quelle « troisième voie » ?

La version socialiste libérale des droits de l’homme 74Les limites de l’individualisme libéral, 75

_ Encadré : La dimension politique des droits de l’homme :Lefort, 76

Quel statut pour les droits sociaux ?, 76Démocratie délibérative, laïcité, solidarité :

une voie socialiste libérale ? 78_ Encadré : L’ordo-libéralisme,

« troisième voie » socialiste libérale ?, 80Pour une démocratie délibérative, 81

_ Encadré : L’avenir du socialismeselon Habermas, 83

_ Encadré : Vers l’égalité des chances :la « société de partenaires », 86

« Protection sociale » et « service social », 88Contrôler et renouveler les « élites » :

quelle voie démocratique de gauche ? 89_ Encadré : Une version démocratique de la sociologie

des « élites », 90Les promesses non tenues de la démocratie, 92

_ Encadré : Sen : un « libéralsocialisme venu de l’Inde » ?, 94Grandeur et impasse du marxisme, 96Pour le clivage droite/gauche, 97

_ Encadré : La « troisième voie » de Giddens :un socialisme libéral ?, 98

Justice sociale, société civile et associationnisme 101Repenser l’égalité, 102

_ Encadré : Le socialisme associationniste,la « réelle troisième voie » ?, 103

_ Encadré : Le socialisme libéral contre l’impôt ?, 104Société civile et État : la complémentarité, 105

_ Encadré : Libéralisme et socialisme selon Howe, 107

Conclusion / Quel socialisme libéralpour le XXIe siècle ? 109

Repères bibliographiques 113

TABLE DES MATIÈRES 121

Page 122: Audier, Serge - Le socialisme libéral
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Collection

R E P È R E Sdirigée parJEAN-PAUL PIRIOU (de 1987 à 2004), puis par PASCAL COMBEMALE,

avec STÉPHANE BEAUD, ANDRÉ CARTAPANIS, BERNARD COLASSE, FRANÇOISE DREYFUS, YANNICK

L’HORTY, PHILIPPE LORINO, DOMINIQUE MERLLIÉ, CHRISTOPHE PROCHASSON, MICHEL RAINELLI

et YVES WINKIN.

ÉCONOMIEAllocation universelle (L’),

nº 412, Philippe Van Parijset Yannick Vanderboght.

Balance des paiements (La),nº 359, Marc Raffinot etBaptiste Venet.

Bourse (La), nº 317,Daniel Goyeauet Amine Tarazi.

Budget de l’État (Le), nº 33,Maurice Baslé.

Calcul économique (Le), nº 89,Bernard Walliser.

Capitalisme financier (Le),nº 356, Laurent Batsch.

Capitalisme historique (Le),nº 29, Immanuel Wallerstein.

Chômage (Le), nº 22,Jacques Freyssinet.

Commerce international (Le),nº 65, Michel Rainelli.

Comptabilité nationale (La),nº 57, Jean-Paul Piriou.

Concurrence imparfaite (La),nº 146, Jean Gabszewicz.

Consommation des Français(La) :1. nº 279 ;2. nº 280, Nicolas Herpinet Daniel Verger.

Coût du travail et emploi,nº 241, Jérôme Gautié.

Croissance et richesse desnations, nº 419, Pascal Petit.

Démographie (La), nº 105,Jacques Vallin.

Développement soutenable(Le), nº 425,Franck-Dominique Vivien.

Développement économiquede l’Asie orientale (Le),nº 172, Éric Bouteilleret Michel Fouquin.

Différenciation des produits(La), nº 470,Jean Gabszewicz.

Dilemne du prisonnier (Le),nº 451, Nicolas Eber.

Économie des changementsclimatiques, nº 414,Sylvie Faucheuxet Haitham Joumni.

Économie bancaire, nº 268,Laurence Scialom.

Économie britannique depuis1945 (L’), nº 111,Véronique Riches.

Économie de l’Afrique (L’),nº 117, Philippe Hugon.

Économie de l’éducation,nº 409, Marc Gurgand.

Économie de l’environnement,nº 252, Pierre Bontemset Gilles Rotillon.

Économie de l’euro, nº 336,Agnès Benassy-Quéréet Benoît Cœuré.

Économie française 2007 (L’),nº 463, OFCE.

Économie de l’innovation,nº 259, Dominique Guellec.

Économie de la Chine (L’),nº 378, Françoise Lemoine.

Économie de la connaissance(L’), nº 302,Dominique Foray.

Économie de la culture (L’),nº 192, Françoise Benhamou.

Économie de la distribution,nº 372, Marie-Laure Allainet Claire Chambolle.

Économie de la drogue, nº 213,Pierre Kopp.

Économie de la firme, nº 361,Bernard Baudry.

Économie de la propriétéintellectuelle, nº 375,François Lévêqueet Yann Ménière.

Économie de la qualité, nº 390,Bénédicte Coestieret Stéphan Marette.

Économie de laréglementation (L’), nº 238,François Lévêque.

Économie de la RFA (L’), nº 77,Magali Demotes-Mainard.

Économie de la Russie (L’),nº 436, François Benaroya.

Économie de l’Inde (L’),nº 443, Jean-Joseph Boillot.

Économie des États-Unis (L’),nº 341, Hélène Baudchonet Monique Fouet.

Économie des fusions etacquisitions, nº 362,Nathalie Coutinetet DominiqueSagot-Duvauroux.

Économie des inégalités (L’),nº 216, Thomas Piketty.

Économie des logiciels, nº 381,François Horn.

Économie des organisations(L’), nº 86, Claude Menard.

Économie des relationsinterentreprises (L’), nº 165,Bernard Baudry.

Économie des réseaux, nº 293,Nicolas Curien.

Économie des ressourceshumaines, nº 271,François Stankiewicz.

Économie des ressourcesnaturelles, nº 406,Gilles Rotillon.

Économie du droit, nº 261,Thierry Kirat.

Économie du Japon (L’),nº 235,Évelyne Dourille-Feer.

Économie du risque pays,nº 421, Nicolas Meunieret Tania Sollogoub.

Économie du sport (L’), nº 309,Jean-François Bourget Jean-Jacques Gouguet.

Économie et écologie, nº 158,Franck-Dominique Vivien.

Économie expérimentale (L’),nº 423, Nicolas Eberet Marc Willinger.

Économie informelle dans letiers monde, nº 155,Bruno Lautier.

Économie marxiste ducapitalisme, nº 349,Gérard Duménilet Dominique Lévy.

Économie mondiale 2007 (L’),nº 462, CEPII.

Économie politique del’entreprise, nº 392,François Eymard-Duvernay.

Économie postkeynésienne,nº 384, Marc Lavoie.

Efficience informationnelle desmarchés financiers (L’),nº 461, Sandrine Lardic etValérie Mignon.

Emploi en France (L’), nº 68,Dominique Gambieret Michel Vernières.

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Éthique économique et sociale,nº 300, Christian Arnspergeret Philippe Van Parijs.

France face à la mondialisation(La), nº 248, Anton Brender.

France face aux marchésfinanciers (La), nº 385,Anton Brender.

Grandes économieseuropéennes (Les), nº 256,Jacques Mazier.

Histoire de l’Europe monétaire,nº 250, Jean-Pierre Patat.

Incertitude dans les théoriesÉconomiques (L’), nº 379,Nathalie Moureauet Dorothée Rivaud-Danset.

Industrie française (L’), nº 85,Michel Hussonet Norbert Holcblat.

Inflation et désinflation, nº 48,Pierre Bezbakh.

Introduction aux théorieséconomiques, nº 262,Françoise Dubœuf.

Introduction à Keynes, nº 258,Pascal Combemale.

Introduction à lamacroéconomie, nº 344,Anne Épaulardet Aude Pommeret.

Introduction à lamicroéconomie, nº 106,Gilles Rotillon.

Introduction à l’économie deMarx, nº 114, Pierre Salamaet Tran Hai Hac.

Investisseurs institutionnels(Les), nº 388, Aurélie Boubelet Fabrice Pansard.

FMI (Le), nº 133,Patrick Lenain.

Lexique de scienceséconomiques et sociales,nº 202, Jean-Paul Piriou.

Libéralisme de Hayek (Le),nº 310, Gilles Dostaler.

Lire l’économétrie, nº 460, LucBehaghel.

Macroéconomie.Investissement (L’), nº 278,Patrick Villieu.

Macroéconomie.Consommation et épargne,nº 215, Patrick Villieu.

Macroéconomie financière :1. Finance, croissance etcycles, nº 307 ;2. Crises financières etrégulation monétaire,nº 308, Michel Aglietta.

Marchés du travail en Europe(Les), nº 291, IRES.

Marchés financiersinternationaux (Les), nº 396,André Cartapanis.

Mathématiques des modèlesdynamiques, nº 325,Sophie Jallais.

Microéconomie des marchésdu travail, nº 354,Pierre Cahuc,André Zylberberg.

Modèles productifs (Les),nº 298, Robert Boyeret Michel Freyssenet.

Mondialisation etdélocalisation desentreprises, nº 413,El Mouhoub Mouhoud.

Mondialisation et l’emploi(La), nº 343,Jean-Marie Cardebat.

Monnaie et ses mécanismes(La), nº 295,Dominique Plihon.

Multinationales globales (Les),nº 187, Wladimir Andreff.

Mutations de l’emploi enFrance (Les), nº 432, IRES.

Notion de risque en économie(La), nº 444, Pierre-CharlesPradier.

Nouvelle histoire économiquede la France contemporaine :1. L’économiepréindustrielle (1750-1840),nº 125, Jean-Pierre Daviet.2. L’industrialisation(1830-1914), nº 78,Patrick Verley.3. L’économie libérale àl’épreuve (1914-1948),nº 232, Alain Leménorel.4. L’économie ouverte(1948-1990), nº 79,André Gueslin.

Nouvelle économie (La),nº 303, Patrick Artus.

Nouvelle économie chinoise(La), nº 144,Françoise Lemoine.

Nouvelle microéconomie (La),nº 126, Pierre Cahuc.

Nouvelle théorie du commerceinternational (La), nº 211,Michel Rainelli.

Nouvelles politiques del’emploi (Les), nº 454,Yannick L’Horty.

Nouvelles théories de lacroissance (Les), nº 161,Dominique Guellecet Pierre Ralle.

Nouvelles théories du marchédu travail (Les), nº 107,Anne Perrot.

Nouveau capitalisme (Le),nº 370, Dominique Plihon.

Nouveaux indicateurs derichesse (Les), nº 404,Jean Gadreyet Florence Jany-Catrice.

Organisation mondiale ducommerce (L’), nº 193,Michel Rainelli.

Paradis fiscaux (Les), nº 448,Christian Chavagneux etRonen Palan.

Partenariats public-privé (Les),nº 441, F. Marty, S. Trosa etA. Voisin.

Politique de la concurrence(La), nº 339,Emmanuel Combe.

Politiques de l’emploi et dumarché du travail (Les),nº 373, DARES.

Population française (La),nº 75, Jacques Vallin.

Population mondiale (La),nº 45, Jacques Vallin.

Produits financiers dérivés,nº 422, Yves Jégourel.

Protection sociale (La), nº 72,Numa Murard.

Protectionnisme (Le), nº 322,Bernard Guillochon.

Qualité de l’emploi (La),nº 456, CEE.

Quel avenir pour nosretraites ? nº 289,Gaël Dupontet Henri Sterdyniak.

Régionalisation de l’économiemondiale (La), nº 288,Jean-Marc Siroën.

Revenu minimum garanti (Le),nº 98, Chantal Euzéby.

Revenus en France (Les), nº 69,Yves Chassardet Pierre Concialdi.

Socio-économie des services,nº 369, Jean Gadrey.

Système monétaireinternational (Le), nº 97,Michel Lelart.

Taux de change (Les), nº 103,Dominique Plihon.

Taux d’intérêt (Les), nº 251,A. Bénassy-Quéré, L. Booneet V. Coudert.

Taxe Tobin (La), nº 337,Yves Jegourel.

Théorie de la régulation (La),nº 395, Robert Boyer.

Théorie économiquenéoclassique (La) :1. Microéconomie, nº 275,2. Macroéconomie, nº 276,Bernard Guerrien.

Théories de la monnaie (Les),nº 226, Anne Lavigneet Jean-Paul Pollin.

Théories des criseséconomiques (Les), nº 56,Bernard Rosieret Pierre Dockès.

Théories du salaire (Les),nº 138, Bénédicte Reynaud.

Théories économiques dudéveloppement (Les),nº 108, Elsa Assidon.

Travail des enfants dans lemonde (Le), nº 265,Bénédicte Manier.

Travail et emploi en Europe,nº 417, John Morley,Terry Ward et Andrew Watt.

Urbanisation du monde (L’),nº 447, Jacques Véron.

Page 125: Audier, Serge - Le socialisme libéral

SOCIOLOGIECapital social (Le), nº 458,

Sophie Ponthieux.Catégories

socioprofessionnelles (Les),nº 62, Alain Desrosièreset Laurent Thévenot.

Conditions de travail (Les),nº 301, Michel Gollacet Serge Volkoff.

Critique de l’organisation dutravail, nº 270,Thomas Coutrot.

Culture matérielle (La), nº 431,Marie-Pierre Julienet Céline Rosselin.

Démocratisation del’enseignement (La), nº 345,Pierre Merle.

Économie sociale (L’), nº 148,Claude Vienney.

Enseignement supérieur enFrance (L’), nº 429,Maria Vasconcellos.

Ergonomie (L’), nº 43,Françoise Darses etMaurice de Montmollin.

Étudiants (Les), nº 195,Olivier Gallandet Marco Oberti.

Féminin, masculin, nº 389,Michèle Ferrand.

Formation professionnellecontinue (La), nº 28,Claude Dubar.

Histoire de la sociologie :1. Avant 1918, nº 109,2. Depuis 1918, nº 110,Charles-Henry Cuinet François Gresle.

Histoire du féminisme, nº 338,Michèle Riot-Sarcey.

Histoire du travail des femmes,nº 284, Françoise Battagliola.

Insécurité en France (L’),nº 353, Philippe Robert.

Introduction aux ScienceStudies, nº 449,Dominique Pestre.

Jeunes (Les), nº 27,Olivier Galland.

Jeunes et l’emploi (Les),nº 365, Florence Lefresne.

Méthode en sociologie (La),nº 194,Jean-Claude Combessie.

Méthodes de l’interventionpsychosociologique (Les),nº 347, Gérard Mendelet Jean-Luc Prades.

Méthodes en sociologie (Les) :l’observation, nº 234,Henri Peretz.

Métiers de l’hôpital (Les),nº 218,Christian Chevandier.

Mobilité sociale (La), nº 99,Dominique Merlliéet Jean Prévot.

Modernisation des entreprises(La), nº 152, Danièle Linhart.

Multiculturalisme (Le), nº 401,Milena Doytcheva.

Notion de culture dans lessciences sociales (La), nº 205,Denys Cuche.

Nouveau système français deprotection sociale (Le),nº 382, Jean-Claude Barbieret Bruno Théret.

Pouvoir des grands (Le). Del’influence de la taille deshommes sur leur statut social,nº 469, Nicolas Herpin.

Personnes âgées (Les), nº 224,Pascal Pochet.

Santé des Français (La), nº 330,Haut comité de la santépublique.

Sciences de l’éducation (Les),nº 129, Éric Plaisanceet Gérard Vergnaud.

Société du risque (La), nº 321,Patrick Peretti Watel.

Sociologie de Durkheim (La),nº 154, Philippe Steiner.

Sociologie de Erving Goffman(La), nº 416, Jean Nizetet Natalie Rigaux.

Sociologie de Georg Simmel(La), nº 311,Frédéric Vandenberghe.

Sociologie de l’architecture,nº 314, Florent Champy.

Sociologie de l’alimentation,nº 468, F. Régnier,A. Lhuissier et S. Gojard.

Sociologie de l’art, nº 328,Nathalie Heinich.

Sociologie de l’éducation,nº 169, Marlaine Cacouaultet Françoise Œuvrard.

Sociologie de l’emploi, nº 132,Margaret Maruaniet Emmanuèle Reynaud.

Sociologie de l’immigration,nº 364, Andrea Reaet Maryse Tripier.

Sociologie de l’organisationsportive, nº 281,William Gasparini.

Sociologie de la bourgeoisie,nº 294, Michel Pinçonet Monique Pinçon-Charlot.

Sociologie de laconsommation, nº 319,Nicolas Herpin.

Sociologie de la lecture,nº 376,Chantal Horellou-Lafargeet Monique Segré.

Sociologie de la négociation,nº 350, Reynald Bourqueet Christian Thuderoz.

Sociologie de la prison, nº 318,Philippe Combessie.

Sociologie de la ville, nº 331,Yankel Fijalkow.

Sociologie de Marx (La),nº 173, Jean-Pierre Durand.

Sociologie de Max Weber (La),nº 452,Catherine Colliot-Thélène.

Sociologie de Norbert Elias(La), nº 233,Nathalie Heinich.

Sociologie de Paris, nº 400,Michel Pinçonet Monique Pinçon-Charlot.

Sociologie des cadres, nº 290,Paul Bouffartigueet Charles Gadea.

Sociologie des changementssociaux (La), nº 440,Alexis Trémoulinas.

Sociologie des chômeurs,nº 173, Didier Demazière.

Sociologie des comportementssexuels, nº 221,Maryse Jaspard.

Sociologie des employés,nº 142, Alain Chenu.

Sociologie des entreprises,nº 210, Christian Thuderoz.

Sociologie des mouvementssociaux, nº 207, Erik Neveu.

Sociologie des organisations,nº 249, Lusin Bagla.

Sociologie des pratiquesculturelles, nº 418,Philippe Coulangeon.

Sociologie des publics, nº 366,Jean-Pierre Esquenazi.

Sociologie des relationsprofessionnelles, nº 186,Michel Lallement.

Sociologie des réseaux sociaux,nº 398, Pierre Mercklé.

Sociologie des syndicats,nº 304,Dominique Andolfattoet Dominique Labbé.

Sociologie du crime (La),nº 435, Philippe Robert.

Sociologie du droit, nº 282,Évelyne Séverin.

Sociologie du sida, nº 355,Claude Thiaudière.

Sociologie du sport, nº 164,Jacques Defrance.

Sociologie du travail (La),nº 257, Sabine Erbès-Seguin.

Sociologie économique (La),nº 274, Philippe Steiner.

Sociologie et anthropologie deMarcel Mauss, nº 360,Camille Tarot.

Sondages d’opinion (Les),nº 38, Hélène Meynaudet Denis Duclos.

Syndicalisme enseignant (Le),nº 212, Bertrand Geay.

Système éducatif (Le), nº 131,Maria Vasconcellos.

Théories sociologiques de lafamille (Les), nº 236,Catherine Cicchelli-Pugeaultet Vincenzo Cicchelli.

Travail et emploi des femmes,nº 287, Margaret Maruani.

Travailleurs sociaux (Les),nº 23, Jacques Ionet Bertrand Ravon.

Urbanisme (L’), nº 96,Jean-François Tribillon.

Violences contre les femmes(Les), nº 424, Maryse Jaspard.

Page 126: Audier, Serge - Le socialisme libéral

SCIENCES POLITIQUES-DROITAménagement du territoire

(L’), nº 176,Nicole de Montricher.

Collectivités locales (Les),nº 242, Jacques Hardy.

Constitutions françaises (Les),nº 184, Olivier Le CourGrandmaison.

Construction européenne (La),nº 326, Guillaume Courtyet Guillaume Devin.

Décentralisation (La), nº 44,Xavier Greffe.

DOM-TOM (Les), nº 151,Gérard Belorgeyet Geneviève Bertrand.

Droits de l’homme (Les),nº 333, Danièle Lochak.

Droit du travail (Le), nº 230,Michèle Bonnechère.

Droit internationalhumanitaire (Le), nº 196,Patricia Buirette.

Droit pénal, nº 225,Cécile Barberger.

Économie politiqueinternationale, nº 367,Christian Chavagneux.

Évaluation des politiquespubliques (L’), nº 329,Bernard Perret.

Femmes en politique, nº 455,Catherine Achinet Sandrine Lévêque.

Fonction publique (La), nº 189,Luc Rouban.

Gouvernance de lamondialisation (La), nº 403,Jean-Christophe Graz.

Groupes d’intérêt (Les),nº 453, Guillaume Courty.

Histoire de l’administration,nº 177, Yves Thomas.

Histoire des idées politiques enFrance au XIXe siècle, nº 243,Jérôme Grondeux.

Histoire des idées socialistes,nº 223, Noëlline Castagnez.

Histoire du Parti communistefrançais, nº 269,Yves Santamaria.

Introduction à la philosophiepolitique, nº 197,Christian Ruby.

Introduction à Marx, nº 467,Pascal Combemale.

Introduction au droit, nº 156,Michèle Bonnechère.

Islam (L’), nº 82,Anne-Marie Delcambre.

Justice en France (La), nº 116,Dominique Vernier.

Nouvelle Constitutioneuropéenne (La), nº 380,Jacques Ziller.

ONG (Les), nº 386,Philippe Ryfman.

ONU (L’), nº 145,Maurice Bertrand.

Philosophie de Marx (La),nº 124, Étienne Balibar.

Politique de la famille (La),nº 352, Jacques Commaille,Pierre Strobelet Michel Villac.

Postcommunisme en Europe(Le), nº 266, François Bafoil.

Régime politique de laVe République (Le), nº 253,Bastien François.

Régimes politiques (Les),nº 244,Arlette Heymann-Doat.

Socialisme libéral (Le), nº 466,Serge Audier.

Sociologie historique dupolitique, nº 209,Yves Déloye.

Socialisme libéral (Le), nº 466,Serge Audier.

Sociologie des relationsinternationales, nº 335,Guillaume Devin.

Sociologie de la vie politiquefrançaise, nº 402,Michel Offerlé.

Sociologie du phénomèneLe Pen, nº 428,Jacques Le Bohec.

Syndicalisme en France depuis1945 (Le), nº 143,René Mouriaux.

Théories de la république(Les), nº 399, Serge Audier.

Union européenne (L’), nº 170,Jacques Léonardet Christian Hen.

HISTOIREAffaire Dreyfus (L’), nº 141,

Vincent Duclert.Archives (Les), nº 324,

Sophie Cœuréet Vincent Duclert.

Catholiques en France depuis1815 (Les), nº 219,Denis Pelletier.

Chronologie de la France auXXe siècle, nº 286,Catherine Fhima.

État et les cultes (L’).1789-1905-2005, nº 434,Jacqueline Lalouette.

Franc-maçonneries (Les),nº 397, Sébastien Galceran.

Front populaire (Le), nº 342,Frédéric Monier.

Guerre froide (La), nº 351,Stanislas Jeannesson.

Harkis (Les), nº 442, TomCharbit.

Histoire de l’Algérie coloniale,1830-1954, nº 102,Benjamin Stora.

Histoire de l’Algérie depuisl’indépendance,1. 1962-1988, nº 316,Benjamin Stora.

Histoire de l’immigration,nº 327, Marie-ClaudeBlanc-Chaléard.

Histoire de l’URSS, nº 150,Sabine Dullin.

Histoire de la guerre d’Algérie,1954-1962, nº 115,Benjamin Stora.

Histoire de la Turquiecontemporaine, nº 387,Hamit Bozarslan.

Histoire des États-Unis depuis1945 (L’), nº 104,Jacques Portes.

Histoire du Maroc depuisl’indépendance, nº 346,Pierre Vermeren.

Histoire du parti socialiste,nº 222, Jacques Kergoat.

Histoire du radicalisme, nº 139,Gérard Baal.

Histoire en France (L’), nº 84,Collectif.

Histoire politique de laIIIe République, nº 272,Gilles Candar.

Histoire politique de laIVe République, nº 299,Éric Duhamel.

Introduction à la socio-histoire,nº 437, Gérard Noiriel.

Introduction à l’histoire de laFrance au XXe siècle, nº 285,Christophe Prochasson.

Judaïsme (Le), nº 203,Régine Azria.

Médecine et les sciences (La).XIXe-XXe siècles, nº 465,Jean-Paul Gaudillière.

Pierre Mendès France, nº 157,Jean-Louis Rizzo.

Politique étrangère de laFrance depuis 1945 (La),nº 217, Frédéric Bozo.

Protestants en France depuis1789 (Les), nº 273,Rémi Fabre.

Question nationale auXIXe siècle (La), nº 214,Patrick Cabanel.

Régime de Vichy (Le), nº 206,Marc Olivier Baruch.

Santé au travail (La), nº 438,S. Buzzi, J.-C. Devinck et P.-A.Rosental.

Page 127: Audier, Serge - Le socialisme libéral

GESTIONAnalyse financière de

l’entreprise (L’), nº 153,Bernard Colasse.

Audit (L’), nº 383,Stéphanie Thiéry-Dubuisson.

Calcul des coûts dans lesorganisations (Le), nº 181,Pierre Mévellec.

Capital-risque (Le), nº 445,Emmanuelle Dubocage etDorothée Rivaud-Danset.

Comptabilité anglo-saxonne(La), nº 201, Peter Walton.

Comptabilité en perspective(La), nº 119, Michel Capron.

Contrôle budgétaire (Le),nº 340, Nicolas Berland.

Contrôle de gestion (Le),nº 227, Alain Burlaud etClaude J. Simon.

Culture d’entreprise (La),nº 410, Éric Godelier.

Éthique dans les entreprises(L’), nº 263, Samuel Mercier.

Gestion des ressourceshumaines (La), nº 415,Anne Dietrichet Frédérique Pigeyre.

Gestion financière del’entreprise (La), nº 183,Christian Pierrat.

Gestion prévisionnelle desressources humaines (La),nº 446, Patrick Gilbert.

Gouvernance de l’entreprise(La), nº 358, Roland Perez.

Introduction à la comptabilitéd’entreprise, nº 191,Michel Capronet Michèle Lacombe-Saboly.

Management de la qualité(Le), nº 315, Michel Weill.

Management de projet (Le),nº 377, Gilles Garel.

Management international(Le), nº 237, Isabelle Huault.

Méthodologie del’investissement dansl’entreprise, nº 123,Daniel Fixari.

Modèle japonais de gestion(Le), nº 121,Annick Bourguignon.

Normes comptablesinternationales (Les), nº 457,Chrystelle Richard.

Outils de la décisionstratégique (Les) :1 : Avant 1980, nº 162,2 : Depuis 1980, nº 163,José Alloucheet Géraldine Schmidt.

Sociologie du conseil enmanagement, nº 368,Michel Villette.

Stratégies des ressourceshumaines (Les), nº 137,Bernard Gazier.

Théorie de la décision (La),nº 120, Robert Kast.

Toyotisme (Le), nº 254,Koïchi Shimizu.

CULTURE-COMMUNICATIONArgumentation dans la

communication (L’), nº 204,Philippe Breton.

Bibliothèques (Les), nº 247,Anne-Marie Bertrand.

Culture de masse en France(La) :1. 1860-1930, nº 323,Dominique Kalifa.

Diversité culturelle etmondialisation, nº 411,Armand Mattelart.

Économie de la presse, nº 283,Patrick Leflochet Nathalie Sonnac.

Histoire sociale du cinémafrançais, nº 305, Yann Darré.

Histoire de la société del’information, nº 312,Armand Mattelart.

Histoire des théories del’argumentation, nº 292,Philippe Bretonet Gilles Gauthier.

Histoire des théories de lacommunication, nº 174,Armand et Michèle Mattelart.

Histoire de la philosophie,nº 95, Christian Ruby.

Industrie des médias (L’),nº 439, Jean Gabszewicz etNathalie Sonnac.

Industrie du disque (L’),nº 464, Nicolas Curien etFrançois Moreau.

Introduction aux sciences de lacommunication, nº 245,Daniel Bougnoux.

Introduction aux CulturalStudies, nº 363,Armand Mattelartet Érik Neveu.

Marché de l’art contemporain(Le), nº 450,Nathalie Moureauet Dominique Sagot-Duvauroux.

Médias en France (Les), nº 374,Jean-Marie Charon.

Mondialisation de la culture(La), nº 260,Jean-Pierre Warnier.

Musée et muséologie, nº 433,Dominique Poulot.

Presse des jeunes (La), nº 334,Jean-Marie Charon.

Presse magazine (La), nº 264,Jean-Marie Charon.

Presse quotidienne (La),nº 188, Jean-Marie Charon.

Programmes audiovisuels(Les), nº 420, Benoît Danardet Remy Le Champion.

Psychanalyse (La), nº 168,Catherine Desprats-Péquignot.

Révolution numérique etindustries culturelles, nº 408,Alain Le Diberderet Philippe Chantepie.

Sociologie du journalisme,nº 313, Erik Neveu.

Télévision (La), nº 405,Régine Chaniacet Jean-Pierre Jézéquel.

Tests d’intelligence (Les),nº 229, Michel Huteauet Jacques Lautrey.

Page 128: Audier, Serge - Le socialisme libéral

ClassiquesR E P È R E SLa formation du couple. Textes

essentiels pour la sociologie dela famille, Michel Bozon etFrançois Héran.

Invitation à la sociologie,Peter L. Berger.

Une sociologue à l’usine.Textes essentiels pour lasociologie du travail, DonaldRoy.

DictionnairesR E P È R E SDictionnaire de gestion,

Élie Cohen.Dictionnaire d’analyse

économique, microéconomie,macroéconomie, théorie desjeux, etc., Bernard Guerrien.

GuidesR E P È R E SL’art de la thèse. Comment

préparer et rédiger un mémoire

de master, une thèse de doctoratou tout autre travailuniversitaire à l’ère du Net,Michel Beaud.

Comment se fait l’histoire.Pratiques et enjeux,François Cadiou,Clarisse Coulomb,Anne Lemonde etYves Santamaria.

La comparaison dans lessciences sociales. Pratiques etméthodes, Cécile Vigour.

Les ficelles du métier. Commentconduire sa recherche ensciences sociales,Howard S. Becker.

Guide de l’enquête de terrain,Stéphane Beaud etFlorence Weber.

Guide des méthodes del’archéologie,Jean-Paul Demoule,François Giligny,Anne Lehoërff etAlain Schnapp.

Guide du stage en entreprise,Michel Villette.

Manuel de journalisme. Écrirepour le journal, Yves Agnès.

Voir, comprendre, analyser lesimages, Laurent Gervereau.

ManuelsR E P È R E SComprendre le monde.

Une introduction à l’analysedes systèmes-monde,Immanuel Wallerstein.

Analyse macroéconomique 1.Analyse macroéconomique 2.17 auteurs sous la direction de

Jean-Olivier Hairault.L’explosion de la

communication. Introductionaux théories et aux pratiques dela communication,Philippe Breton etSerge Proulx.

Une histoire de la comptabiliténationale, André Vanoli.

Histoire de la psychologie enFrance. XIXe-XXe siècles,J. Carroy, A. Ohayon etR. Plas.

La mondialisation del’économie. Genèse etproblèmes, Jacques Adda.

Composition Facompo, Lisieux (Calvados)

Dépôt légal : novembre 2006Nº de dossier : 00/00