La revue du projet n°13

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u P. 6 LE DOSSIER LUMIÈRES SUR L’ÉNERGIE P. 34 HISTOIRE QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L'HISTOIRE DE LA BOURGEOISIE OCCIDENTALE Par Simone Roux P. 29 NOTES URGENCE POUR LA PRESSE ET LE PLURALISME par Jean-François Téaldi P. 24 COMBAT D’IDÉES LE ROMAN DE L'ALGÉRIE par Gérard Streiff N°13 JAN 2012 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF

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La revue du projet n°13

Transcript of La revue du projet n°13

u P.6 LE DOSSIER

LUMIÈRESSUR L’ÉNERGIE

P.34 HISTOIRE

QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L'HISTOIRE DE LABOURGEOISIE OCCIDENTALEPar Simone Roux

P.29 NOTES

URGENCE POUR LA PRESSE ET LE PLURALISME par Jean-FrançoisTéaldi

P.24 COMBAT D’IDÉES

LE ROMAN DE L'ALGÉRIE par Gérard Streiff

N°13JAN2012

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

2 SOMMAIRE2

FORUM DES LECTEURS

Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée parla rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaborationen réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributions quenous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

Note : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adressesuivante : [email protected]

Femmes Hommes

Parce que prendre conscience d'un problème, c'estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s'exprimantdans la revue.

Part de femmes et part d'hommes s'exprimant dans ce numéro.

4 FORUM DES LECTEURS/LECTRICES

5 REGARDAvec Allan Sekula

6 u23 LE DOSSIER

LUMIÈRES SUR L’ ÉNERGIEAmar Bellal Quels choix énergétiques ?

Bernadette Mérenne-Schoumaker Les défisd'une gestion durable de l'énergie

Valérie Gonçalvès Un pôle public de l’énergie

Marie-Claire Cailleteau Une politique énergé-tique répondant aux besoins

Denis Cohen Un droit à l’énergie

Christian Ngô L’énergie nucléaire  : une chancepour la France

Luc Foulqier Investir massivement dans larecherche

Claude Mounier Négawatt 2011

Gérard Pierre Négatep 2011

André Chassaigne Une nouvelle coopérationénergétique mondiale

Claude Aufort Le tournant énergétique

24 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff : Le roman de l’Algérie

26 SONDAGESParadis fiscaux, Français pas dupes

27 PROGRAMME DU FRONT DE GAUCHE EN DÉBAT

Appel pour une reconquête de la fonctionpublique

28 NOTES DE SECTEURÉcole Marine Roussillon Évaluation des ensei-gnants  : les enjeux d’une réformeJeunesse Isabelle De Almeida Permettre auxjeunes de prendre en main leur avenir Médias Jean-François Téaldi Urgence pour lapresse et le pluralisme  !

30 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Christian Laval, Francis Vergne, Pierre Clément,Guy Dreux, La nouvelle école capitaliste

• Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche  : unecartographie des nouvelles pensées critiques

• Marx et la culture

• Bruno Fuligni, La France rouge

32 COMMUNISME EN QUESTIONAndré Constatino Yazbek Le marxisme est-il un

humanisme ? Sartre et Althusser.

34 HISTOIRESimone Roux Quelques réflexions sur l’histoirede la bourgeoisie occidentale

36 SCIENCESLéo Coutellec La démocratie épistémiquecomme condition d'une science citoyenne

38 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

BONNE ANNÉE 2012 !Une grande nouvelle…

la Revue du Projetsera disponible cette année

au format papier au tarif de 50 euros/an !

Frédo © - 2012

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JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

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PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

QUESTIONS DE MÉTHODEVous reprendrez bien une part de

sondage ? Et allez, allons-y ! Lamachine à crétiniser le débat

public est lancée. Vous êtes priés de neplus parler que d'une seule chose : quimonte et qui descend ? Vive le jour-nalisme yo-yo... Sérieusement, lessondages sont un indicateur... commeun autre... mais leur hyper-présencedans le débat public en pervertit lanature.

Pas nouveau me direz-vous ? Certes.Mais alors, il faut se faire une idée clairede la manière de rétablir la possibilitéde raisonnements complexes alorsque l'espace médiatique dominantest une machine à produire un spec-tacle dont la ligne d'horizon princi-pale est dans le meilleur des cas lemétalangage sur les stratégies demanipulation, pardon je voulais direde communication.

Le journal Libération nous en fourniten ce début d'année un bon exempleavec la publication in extenso de lalettre aux Français de FrançoisHollande suivi du fameux sondage àla une du même journal affirmantque 30% des Français étaient prêts àvoter Marine Le Pen. Après ces deuxunes, critiquer le Figaro va se compli-quer pour Libération.

Revenons à nos moutons. Où est laporte de sortie pour celles et ceux quiestiment, comme nous, qu'il doitexister en démocratie un espace dedébat authentique ?

Personnellement, j'ai changé de pointde vue en dix ans. Je croyais naïve-ment que la solution pour notrecombat viendrait principalementd'une meilleure performance dansle jeu audiovisuel. Je ne le pense plus.À mes yeux, il est nécessaire de créerdes nouvelles institutions du débatdémocratique. Ma réflexion étant loind'être achevée, j'évoque deux pistesassez classiques mais balbutiantesdu point de vue de la pratique réelle.

Premièrement, il faut considérer quele rapport direct avec les citoyensconstitue notre problème numéroun. Pas seulement distribuer destracts et coller des affiches, maisétablir un rapport constant, durablede débat et de mobilisation. L'étudeTerra Nova sur la campagne de BarakObama fournissait des pistes intéres-santes de ce point de vue. En effet cerapport montrait comment lesnouvelles technologies pouvaientdevenir l'outil par lequel s'organisaitefficacement le retour au terrain, aucontact direct, à la mise en mouve-ment de nos concitoyens et nosconcitoyennes. En clair, faire évoluernos conceptions de campagne dansle sens de la primauté absolue donnéà l'activité de proximité.

Cette orientation s'appuie sur unconstat : la formation des idées poli-tiques se construit de moins en moinsdans la confiance dans les grandsmédias et les grands vecteurs d'opi-nion et de plus en plus dans lesréseaux humains les plus proches.

Entendons-nous : la question à monsens n'est pas de faire du porte-à-porte comme des brutes (quoique...)mais que le porte-à-porte, les rencon-tres de proximité soient en perma-nence versés au pot commun de lamobilisation à construire. Il fautconsidérer qu'un lien direct doit s'éta-blir et se perpétuer entre nos organi-sations politiques et les citoyens.

Deuxièmement, il faut sortir de laréduction de la politique au fait élec-toral. Les partis politiques ne doiventpas être (seulement...) des machinesélectorales. Pour notre camp, la ques-tion de la coupure des appareils poli-tiques d'avec le peuple est cruciale. Lamajorité des travailleurs sont des petitsemployés et des ouvriers qui ontdisparu du discours et de la pratiquede l'ensemble de la gauche. C'est laforce de l'idéologie que d'arriver à fairedisparaître ce qui pourtant existe.Il s'agit donc pour nous de placer le

peuple, dans sa diversité, au centredu processus politique que nousproposons. C'est l'idée de Révolutioncitoyenne. C'est l'idée également quecertains savants appellent réintro-duire le peuple dans le romannational.

Quelles en sont les conséquencespratiques ? Considérer d'une partque les luttes locales pour la dignitédu logement, contre les fermeturesd'entreprises, pour la solidarité avectelle famille expulsée, d'autre partque les processus d'éducation popu-laire, enfin que le moment électoralforment ensemble notre conceptionde la politique.

Conclusion provisoire. Je ne suis pascertain que cet éditorial apporterabeaucoup au lecteur. Mon obsessionpremière est là : alors que les institu-tions actuelles, notamment média-tiques au sens traditionnel, verrouil-lent la capacité du débat politique àoffrir des chaînes de raisonnementcomplexe, le salut pour nous mesemble être dans la constructiond'institutions nouvelles pour le débatet la mobilisation politiques.

Pendant un temps, le débat sur le chan-gement des pratiques politiques àgauche, et singulièrement au Particommuniste, s'est fait sur le terrain dela normalisation avec les impératifs del'idéologie dominante. Les oukasesidéologiques divers et variés sur lanécessité de s'adapter aux "couchesnouvelles", aux "nouveaux mouve-ments sociaux", aux "mobilisations enréseau" ont dominé. Le temps durenversement de cette réflexion estpeut-être venu : comment sedésadapter de l'idéologie dominantepour retrouver la politique ? n

LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

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FORUM DES LECTEURSJe trouve que tu as raison camarade. En effet, est-on encore un homme si pour une sim-ple raison de contrariété on déverse des bombes meurtrières sur une population dés-armée et inoffensive ? Est-on encore un homme si en même temps qu'on présente sonnouveau né, on fait tuer des milliers de personnes par ses soldats ? Est-on encore unhomme si par temps froid on met dehors des hommes, leurs femmes et leurs enfantspour dire : oui, ils n'ont pas d'argent pour payer leur loyer, alors, le seul droit qui leurreste est de mourir de froid. Oui camarades, nous ne vivons plus dans un monde deshommes. Notre responsabilité à tous est de se mobiliser pour rendre ce monde auxhommes. Car, si nous n’y prenons garde, l'homme finira bientôt par devenir un objet.Heureusement que le parti communiste français existe encore. n DJAGO

Je trouve que les éditos de Patrice Bessac nous incitent à la réflexion et que nous avonsbesoin pour bien comprendre la société dans laquelle nous évoluons et construire lesbases du rapport de forces idéologique pour en changer, de ce genre d'interpellation surla question de la place de l'être humain dans cette société. Je partage l'approche dePatrice dans le dernier édito. Contrairement à ce que voudrait nous faire croire le capi-tal l'être humain n'est pas libre nous sommes conditionnés économiquement, sociale-ment, culturellement par les pouvoirs financiers qui nous abreuvent de la pensée uniqueet c'est effectivement des chaînes de cela qu'il faut se débarrasser. n

MICHEL GOGAIL

« Que le lecteur patient et indulgent se rassure : l’auteur de ces lignes n’a pas(encore ?) été touché par la grâce. »Peut-être en êtes-vous plus proche que vous ne le pensez. Il est un peu amusantqu’en France, dès que l'on s'approche du ... je vais employer le terme de spirituel,l'on soit obligé de mettre un petit commentaire pour s'excuser. On prête à Malrauxla phrase « le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas », mais même s'il n'a pas écritcette phrase, elle n'en reste pas moins prophétique. Pour prendre une autre cita-tion « ne fait pas à ton frère ce que tu ne veux pas que l'on te fasse ». Et mêmesi j'ai un peu dévié de votre propos, je vous rejoins sur votre dernière phrase aveccette citation que je trouve profondément communiste. n

TAKUANSOHO

Plus ce à quoi on aspire est lointain, plus il ne se fait que dans l'imagination, etainsi plus il est idéal. Le secret d'une forme de bonheur ? Merci en tout cas de nous faire partager votre humanisme et votre joie, et puis-sent les puissants s'imprégner un peu des sagesses que vous citez. n

MICHEL FAUCONNET

J’ai depuis peu commencé l'étude de la dialectique matérialiste, et le quotidienvient confirmer cette méthode d'analyse du mouvement réel. Depuis je suisdevenu extrêmement insatisfait des limites politiques de nos démocraties. Notre organisation de la production de la richesse nationale et des coopérationsinternationales : un immense gâchis, un déni de masse. Pourquoi asseoir la légiti-mité de la création monétaire exclusivement sur la propriété privée lucrative etnier les salariés seuls véritables producteurs ? L'émancipation est le but desdroits de l'homme et la dignité concrète humaine. n PHILIPO

Le mois

dernier peu

de réactions

au dossier

« Démondialisation »,

des commentaires

par contre sur le site

du PCF et sur

Médiapart

concernant l’édito

« Nouveau

Testament ».

«  … C'est pourquoi le mantra* indéfiniment répété comme quoi la photographieaurait enfin atteint, ou retrouvé, le statut d'Art, me semble tout à fait à côté de laquestion. Ce qui est bien plus intéressant, c'est la modestie du médium, et la connais-sance essentielle développée à partir d'une attention prolongée et rigoureuse pourl'observation. C'est là un argument en faveur de l'aptitude de la photographie à repré-senter la vie économique [...] et de l'affinité entre documentaire et démocratie. »

Allan SekulaLa galerie Michel Rein1 expose à Paris la dernière œuvre photographique d'AllanSekula intitulé « Polonia and... » C'est l'occasion de découvrir et de faire redécou-vrir un artiste majeur et décisif de l'art contemporain dont les œuvres lucides décri-vent les arcanes du capitalisme néolibéral.Tenu pour être l'un des artisans du renouveau du documentaire, Allan Sekula aconstruit son travail dans la continuité du documentaire engagé des Lewis Hine etWalker Evans tout en échappant au système médiatique. Loin de se parer de laposture de spectateur et de neutralité commune aux photojournalistes, Sekula sesert du medium photographique dont il apprécie la pauvreté et la modestie pouranalyser les rapports sociaux et la totalité sociale du capitalisme.Ayant forgé ses armes dans l'art conceptuel militant au moment de la guerre duViêt Nam, son œuvre tient à la fois dans la justesse de ses photographies et dansla puissance de ses analyses. S'inspirant de la sociologie, Sekula n'hésite pas à citerles œuvres du philosophe marxiste György Lukàcs notamment de son concept deréalisme critique afin de décrire son œuvre monumentale « Fish Story » consa-crée à la mer, cet « espace oublié » du capitalisme.

ÉTIENNE CHOSSON

JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

REGARD

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Allan Sekula

*Formule sacrée du brahmanisme qui possède, asso-ciée à certains rites, une vertu magique.1) Galerie Michel Rein, 42, rue de Turenne - Paris 3e

© A

llan

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PAR AMAR BELLAL*

P arler aujourd'hui d'énergie c'estêtre au carrefour d'un enjeu tech-nique, politique, social, écono-

mique, écologique et ce sont des choixqui engagent plusieurs générations. Droit à l'énergie, besoins en France etdans le monde et questions environne-mentales avec le réchauffement clima-tique et les pollutions directes, consti-tuent un triple enjeu auquel il fautrépondre simultanément. En effet,proposer des politiques qui négligent unseul de ces aspects, n'est pas crédible etterriblement dangereux pour l'avenir.C'est le cas par exemple d'une desvariantes du scénario du GIEC mis enavant médiatiquement en mai 2011 sansréelle nuance et sans citer tous les détailsde l'étude. Cette étude laisse entendrequ'il serait possible de produire àl'échelle mondiale 75 % de l'énergie pardu renouvelable d'ici 2050. Pourtant,lorsqu'on lit dans le détail, on se rendcompte qu’elle table sur des projectionssous-estimant les besoins mondiaux, cequi exclurait, de fait, des milliards d'êtreshumains des perspectives de dévelop-pement. Disons-le clairement, c'est inac-ceptable.Depuis la maîtrise du feu, l'énergie estun des symboles de notre émancipation :elle nous soigne, nous nourrit, nouscultive, nous transporte... Elle condi-tionne notre niveau de productivité etdonc la libération des forces productivesqui peuvent ainsi se consacrer à d'au-tres activités, elle permet le mouvementdu progrès. Une des originalités du projetcommuniste, à l'opposé du malthusia-nisme, est de trouver légitime la satis-faction des droits élémentaires de tousles êtres humains et cette convictionprofonde qu'aujourd'hui, nous avons lescapacités techniques de pouvoir yrépondre complètement. Le principalobstacle à ce projet étant d'ordre poli-tique, vu la nature du système capita-liste qui ne vise en aucun cas cet objectif,

mais la maximisation des profits.Dis-moi quelle quantité et type d'énergietu consommes et je te dirais comment tuvis et quelle est ton espérance de vie... Telpourrait être un résumé de l'importanceque prend la satisfaction de ce droit. Pasétonnant que les débats liés aux choixénergétique soient très souvent passion-nels. Il y aurait beaucoup à dire sur lesraisons profondes de ce phénomène maissi la passion est toujours aussi vive, c'estqu'elle interroge très étroitement notrerelation au progrès, à la nature, au temps,à la confiance en la science et aux hommesqui l'élaborent, à notre relation aux risquesque nous sommes prêts à accepter. Sur cedernier point, prenons l'exemple desdéchets nucléaires : les connaît-on vrai-ment ? A-t-on vraiment des éléments decomparaison avec le volume desdéchets des autres activités humaines ?On serait étonné d'apprendre par exempleque la quantité des déchets ultimes detoute la production du parc électronu-cléaire français depuis son existence pour-rait tenir dans une piscine olympique...

LA NATURE MÊME DU CAPITALISME EST SOURCE DE POLLUTIONSPourtant est-on prêt à l'accepter oudevons-nous considérer que cela resteencore trop et qu'il faut par conséquent« sortir du nucléaire » ? La durée de noci-vité est de plusieurs dizaines de milliersd'années, c’est un facteur dont il fautévidemment tenir compte. Des solutionssont par exemple étudiées tel que l'en-fouissement dans des couches géolo-giques stables depuis plusieurs millionsd'années, ce qui exclurait un retour à labiosphère. Ces problématiques de longuedurée et de nocivité sont elles des ques-tions spécifiques au nucléaire ? Prenonsl'exemple des centrales à charbon et dessecteurs du transport par route qui, enplus des gaz à effet de serre, rejettent descentaines de tonnes de métaux lourdschaque année dans la biosphère : rappe-lons-le ces déchets ont une durée de vieinfinie, sont tout aussi nocifs et ne béné-

ficie pas de la même attention média-tique... Nous pourrions aussi faire cemême exercice de comparaison concer-nant la pollution réelle pour les différentesfilières. L'accident de Fukushima estsurvenu à la suite d’un tremblement deterre d'une ampleur considérable, et àjuste titre, l'attention s'est focalisée sur lesrejets radioactifs dans l'océan et aux alen-tours sur terre ferme. Ce n’est pour autantpas la seule pollution. Des polluantstoxiques de longue durée ont été rejetésdans l'océan suite au tsunami sur la côtejaponaise notamment ceux de l'industriechimique. La question de « la sortie de lachimie » a-t-elle été posée pour autant ?Une pollution n'en balaie pas une autrecertes, mais nous devons nous efforcer debien énoncer les problèmes, par exempleen ayant un examen sérieux du niveau derisque que nous sommes prêts à accepter,et des moyens que nous nous donnonspour le réduire au minimum. La questiondes moyens que l'on se donne est évidem-ment très politique et pointe du doigt lanature du capitalisme avec les défaillancesde TEPCO pour Fukushima, mais aussi deBP lors de la marée noire du golfe duMexique : des économies de quelquesmillions de dollars sur des systèmes desécurité ont conduit à une des plus grandespollutions maritimes de l’Histoire. C'est en ce sens que nous souhaitons ungrand débat sur l'énergie, traitant tous lesaspects, avec une réelle expertise scienti-fique, afin que les citoyens puissent choisiren toute connaissance de cause. Puissece dossier en être une vraie contribution.Je conclu en insistant aussi sur le fait quenous devons interroger nos modes deconsommation. La société actuelleproduit des biens qui se périment de plusen plus vite, préférant la valeur d'échangeà la valeur d'usage des objets, les désirsconstruits artificiellement par la sociétéde consommation aux services sociale-ment utiles : sur ce terrain aussi la poli-tique doit agir et inverser les logiques. n

*Amar Bellal est coordonnateur du dossier« Lumières sur l’énergie ».

QUELS CHOIX ÉNERGÉTIQUES ?ÉDITO

LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

L’énergie, un dossier brûlant qui suscite naturellement beaucoup de débatspassionnés. Ce mois-ci, La Revue du Projet vous propose d’analyser l’ensembledes éléments pris en compte dans la réflexion du parti communiste français quil’ont amené à énoncer dix principes pour une transition énergétique réussie.

LE DOSSIER Lumiè res sur l'é nergie

JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

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PAR BERNADETTEMÉRENNE-SCHOUMAKER*

L’ énergie est indispensable à la vie.Mais c’est aussi un bien qu’il fautproduire, transporter, distribuer,

ce qui a un coût et n’est pas exempt denuisances. Avec l’augmentation de lapopulation et des consommations, lestensions s’accroissent et les questionsse multiplient : comment faire face àl’épuisement à terme des énergiesfossiles, comment développer les éner-gies renouvelables, comment assumerl’inévitable augmentation des prix,comment réduire les effets environne-mentaux des productions et des consom-mations, facteur premier du réchauffe-ment climatique… ? Les interrogationssont multiples et alimentent denombreux débats car les réponses nesont guère simples et impliquent deschoix difficiles et non univoques car,derrière ces choix, se profilent des valeursqui sont loin d’être partagées par tous.Cependant, quelles que soient lesopinions, ces choix nous semblent indis-pensables si l’on veut assurer un avenirà l’humanité. En effet, le système actuel-lement en vigueur n’est pas durable niéconomiquement, ni socialement, ni entermes environnementaux.

CONSOMMER MIEUX ET MOINSQuels sont dès lors les défis d’unegestion durable de l’énergie ? Il s’agitd’abord de réduire les consommationsen économisant au maximum l’énergieet en accroissant l’efficacité et, paral-lèlement, de diversifier les ressourceset les approvisionnements.Ces changements doivent par ailleurs inter-venir dans quatre champs prioritaires :transports et mobilité, aménagement duterritoire et urbanisme, modes de consom-mation et réduction des inégalités (B. Barréet B. Mérenne-Schoumaker, 2011).Les économies d’énergie sont certaine-ment l’axe prioritaire : il faut consommermieux et moins, surtout dans les paysou secteurs où l’on surconsomme : lespays développés, certains espaces despays émergents, certains secteurs d’ac-

tivités comme la production d’énergieelle-même, les transports ou le logement.Cette réduction drastique des consom-mations passe non seulement par dessolutions techniques mais aussi par denouveaux comportements que nousévoquerons plus loin. En termes tech-niques, il faut accroître l'efficacité énergé-tique ou rapport entre ce que produit undispositif ou un système, et ce qu'il absorbecomme énergie ce qui implique des progrèstechnologiques, donc des recherches et desmoyens financiers mais aussi un cadrelégislatif et des aides pour contraindre,pénaliser ou favoriser, en d’autres termesdes « bâtons » et des « carottes ».

DES BOUQUETS ÉNERGÉTIQUES SPÉCIFIQUESDiversifier les ressources et les approvi-sionnements est aussi indispensable ; ilfaut que les choix différent selon les lieuxcar ils doivent intégrer les ressourcesdisponibles, les types de milieux (urbainsou ruraux), la situation géographique,les contraintes des approvisionnements,les moyens financiers et technolo-giques… Nous plaidons ainsi pour desbouquets énergétiques spécifiques àtoutes les échelles (locales, régionales,nationales) plus en adéquation avec lespotentialités et les spécificités des terri-toires ; bien entendu, cela ne doit pasempêcher la promotion de solidaritésentre pays et surtout entre les plus déve-loppés et les plus pauvres principalementen matière de transfert de technologies. Nos modes de vie et la mondialisationcroissante de l'économie et du commerceont entraîné un important développe-ment des transports. Or ceux-ci repré-sentent aujourd’hui 28 % de la consom-

mation mondiale d’énergie : ils sont à 93% dépendants des produits pétroliers etleur part dans la demande finale de cesproduits devrait passer de 50 % en 2000à 60 % en 2030. Face à la pénurieannoncée de pétrole et l’impérieusenécessité de diminuer les émissions degaz à effet de serre, agir sur les transportsest devenu un impératif. Deux axessemblent alors s’imposer : transporter"moins" en réduisant les volumes detrafic (le nombre de déplacements, lesdistances parcourues par les hommes etles marchandises…) et transporter"mieux" en favorisant un report destrafics routiers vers les modes moinsconsommateurs et moins polluants(ferroviaire, fluvial, transports collectifs,marche à pied…).

RÉDUCTION DE L’ÉTALEMENT URBAINLes densités comme la répartition desactivités et des hommes sur un territoireont un effet sur la consommationd’énergie car elles conditionnent les flux,les distances parcourues, les modes detransport utilisés et parfois les coûts dechauffage. On oppose ainsi la villecompacte favorisant les déplacementsde courte distance et l'utilisation destransports publics aux villes étalées, villesavec des grandes distances à forte spécia-lisation fonctionnelle (zonage de l'ha-bitat, des activités, des services et desespaces de loisirs). Consommer mieuxl’énergie tout en consommant moinspasse donc par la réduction de l’étale-ment urbain et par une plus grandemixité des fonctions. Si les politiques de maîtrise de la demanded’énergie ont assez bien réussi auprès desindustriels, il n’en va pas de même pourles ménages qui continuent à accroîtreleur consommation. Or il existe en cedomaine d’importants gisements d’éco-nomies possibles non seulement au niveaudu chauffage ou de l’éclairage mais encoredes loisirs-culture et du bureau. Il faut doncamplifier les instruments de politiquespubliques (fiscaux, réglementaires, de sensi-bilisation) et sans doute les compléter. Ainsi,il serait utile de promouvoir davantage lescircuits courts ou de renforcer les normesde l’étiquette énergie mise au point par laCommission européenne. Il faut aussi mieuxinformer et former les populations dèsl’école élémentaire. Comme pour les trans-ports, il s’agit de consommer moins et deconsommer mieux.Aujourd’hui plus que jamais, l’accès à

LES DÉFIS D'UNE GESTION DURABLE DE L'ÉNERGIE

Il faut donc que les pays développés et en particulier

leurs habitants les plus richesconsomment moins pour

permettre aux pays peu ou moins développés

de consommer plus

“”

Choisir la voie du développement durable en matière d’énergieimplique donc d’abord de chercher à comprendre les problèmesénergétiques dans leurs différentes dimensions : techniques, poli-tiques, économiques, environnementales et sociales et ce aux dif-férentes échelles spatiales.

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LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

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LE DOSSIER Lumiè res sur l'é nergie

l’énergie se répartit de façon très inégalesur la Terre : entre les continents, entreles pays et aussi et, de plus en plus, ausein d’un même pays ; un quart de lapopulation mondiale consomme lestrois-quarts de l’énergie. De telles inéga-lités ne peuvent perdurer car ellesmettent en cause l’avenir même duMonde condition indispensable nonseulement à leur développement maisencore à des conditions de vie plusdécentes. Quelles sont les voies possi-bles, comment mettre en place un nouvelordre économique mondial ? Desréponses technologiques sont sans douteindispensables mais elles ne peuvent suffire ;il faut y ajouter un important volet politiqueet comportemental.

D’AUTRES MODÈLES DE DÉVELOPPEMENTAinsi, une décroissance de 3 % desconsommations d’énergie des pays del’OCDE d’ici 2020 permettrait une quasi-stagnation des consommations mon -diales et cette décroissance pourrait veniren grande partie des gains d’efficacité(R. Bonnaterre, Le blog des énergiesnouvelles, 27 mai 2009).Par ailleurs, il est indispensable de conce-voir pour le Sud d’autres modèles dedéveloppement que ceux qui ont étédéveloppés dans le Nord en privilégianttrois pistes majeures : une plus fortediversification des ressources, un plusgrand recours aux énergies renouvela-bles et une plus grande efficacité éner-gétique, ce qui impose une aide tech-nique et financière des pays du Nord.Dans les pays développés, il faut sansdoute aussi moins aider les plus richeset taxer leurs surconsommations pouraider les plus pauvres en supprimant parexemple les aides à l’installation de

panneaux photovoltaïques aux particu-liers pour disposer de plus de moyenspour isoler les logements sociaux.

UNE VIE AGRÉABLE MAIS PLUS SOBRE Comme le dit bien P. Radane (2005, pp.239-241), « il est totalement suicidairede voir les uns acculés dans le dénue-ment, tandis que d’autres s’installentdans le gaspillage et la destruction. Ilfaut ouvrir une voie politique qui prenneacte de l’expansion humaine et quiassure l’indispensable stabilité mondialepour un projet égalitaire. Il n’y aura depaix durable dans ce siècle que s’il y aconvergence des niveaux de développe-ment et réduction des inégalités. Et laquestion de l’énergie est au cœur de cedébat. […] Le nœud ne s’ouvrira quequand chacun individuellement auraperçu qu’une vie agréable mais plussobre est possible, que de nouveauxespaces s’ouvrent heureusement simul-tanément pour enrichir nos vies et quecela conditionne la paix et la cohérencesociale. Là seulement sera exprimé unmandat politique clair ». À cette fin (J.-M. Chevalier, 2009, p. 288), « Il faut doncre-politiser les questions énergétiqueset ce, à tous les niveaux : mondial,régional, national et local […]. Il faut àla fois renforcer la régulation mondialeet inventer de nouvelles formes de régu-lation pour mieux réglementer desproblèmes tels que l’argent et la finance,la pollution et des questions comme ledroit de la mer, les droits de propriétés,les responsabilités des États, des entre-prises et des particuliers, le règlementdes conflits et des différents. […] Lamondialisation de l’économie s’est beau-coup accélérée depuis quelques annéesmais la mondialisation de la géopoli-

tique est beaucoup plus lente. Lesnations sont toujours là, défendant égoïs-tement leurs richesses, leurs intérêtslocaux et leurs ambitions ».Un autre monde dit P. Papon (2007, p.256), « c’est un univers où l’énergie n’estplus seulement un enjeu de puissancemais où elle est aussi un facteur d’un déve-loppement plus équitable. Un débat estdonc nécessaire sur les enjeux, les moyensdes politiques énergétiques et les optionsqui sont ouvertes. Il y a nécessairementdes dimensions politiques, scientifiqueset techniques mais aussi éthiques. ».Choisir la voie du développementdurable en matière d’énergie impliquedonc d’abord de chercher à comprendreles problèmes énergétiques dans leursdifférentes dimensions : techniques, poli-tiques, économiques, environnemen-tales et sociales et ce aux différenteséchelles spatiales afin de pouvoir sequestionner correctement et se forgerune opinion et in fine pouvoir faire deschoix en connaissance de cause. n

*Bernadette Mérenne-Schoumaker est pro-fesseure de géographie à l’Université de Liège.

Bibliographie- Bertrand Barré, Bernadette Mérenne -Schoumaker, Atlas mondial des énergies.Mieuxconsommer dans un monde global,Autrement, 2011.- Jean-Marie Chevalier Les nouveauxdéfis de l’énergie, Climat-Economie-Géopolitique, Economica, 2009.- Bernadette Mérenne - SchoumakerGéographie de l’énergie, Acteurs, lieux etenjeux, Belin SUP Géographie, 2007 et 2011.- Pierre Papon L’énergie à l’heure deschoix, Belin, 2007.- Pierre Radanne Énergies de ton siècle !Des crises à la mutation, Editions Lignes deRepères, 2005.

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UN PÔLE PUBLIC DE L’ÉNERGIEIl est plus que temps de tirer le bilan des dérèglementations du secteur de l’énergie en France et enEurope afin de réorienter une politique vers des logiques de long terme et de maîtrise publique.

PAR VALÉRIE GONÇALVÈS*

Au même titre que l’accès à l’alimen-tation ou la santé, l’accès à l’énergieest un élément déterminant pour

l’émancipation et l’épanouissement despeuples, pour la réduction des inéga-lités. Depuis un siècle, la maîtrise desressources en énergie (le charbon, lepétrole, le gaz et le nucléaire) a permisune hausse considérable du niveau de

vie des populations, spécialement dansles pays développés.Les pays se sont appuyés majoritaire-ment sur les ressources fossiles pourasseoir leur développement écono-mique. Il en va donc de la responsabi-lité de ces pays qui ont massivementutilisé ces ressources de donner la prio-rité à d’autres modes de productiond’énergie qu’ils maîtrisent, d’investirbeaucoup plus massivement dans la

recherche pour obtenir des modes deproduction plus respectueux de laplanète, de mettre en place de vrais plansd’économie d’énergie et enfin d’effec-tuer les transferts technologiques néces-saires afin que les pays en voie de déve-loppement et les pays pauvres puissentbénéficier des acquis scientifiques pourinscrire dès le départ leur développe-ment dans un cadre durable et respec-tueux de l’environnement.

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La consommation énergétique ne peutque croître pour deux raisons : l’une estl’accroissement de la population quidevrait atteindre 9 milliards en 2050,l’autre réside dans le fait que les pays endéveloppement ne peuvent élever leurniveau de vie qu’en augmentant leurconsommation énergétique. Sur 6,7milliards d’habitants qui peuplent laplanète, 2 milliards n’ont pas accès àl’électricité. En France, 3,7 millions defoyers sont en précarité énergétique. En2009, ce sont 100 000 coupures gaz et150 000 en électricité qui ont été opérées.Entre aujourd’hui et 2025, la populationmondiale passera de 6,7 à 8 milliardsd’êtres humains. La consommationd’énergie primaire passera de 12 gigatonnes équivalent pétrole à 17 Gtep. En2050, elle sera située entre 20 et 30 gigatonnes équivalent pétrole. La Chine etl’Inde représenteront à elles seules 40 %de cette croissance. Enfin, 25 % de lapopulation mondiale consomme prèsdes 2/3 des ressources d’énergie.À l’échelle mondiale, la réponse actuelleà la demande croissante d’énergie estassurée à plus de 80 % par les ressourcesfossiles (charbon environ 23%, plus de60 % pour le pétrole et le gaz). Lecharbon, le pétrole et le gaz, dans desproportions différentes, sont émetteursde gaz à effet de serre. Le charbon estl'énergie fossile la plus abondante sur laplanète, la mieux répartie entre les conti-nents et la plus accessible pour les paysdu Sud. Mais c'est aussi l'énergie la pluspolluante, notamment quant aux émis-sions de CO2.L’incontournable besoinde réduction des émissions de CO2 déter-mine l’avenir de l’ensemble des activitésde la filière énergétique.Au seuil du XXIe siècle, si les besoins sonténormes, l’humanité dispose d’unepanoplie inégalée de sources d’énergienon émettrices de gaz à effet de serre, àdes stades de développement différents,mais avec d'énormes potentialitésencore inexploitées. Elles ne sont pasconcurrentes ! Toutes ces sources sontou seront complémentaires et doiventfaire partie d’un bouquet énergétiquediversifié comme nous en faisons laproposition.

UNE MISE EN CONCURRENCE INQUIÉTANTEIl est plus que temps de tirer le bilan desdérèglementations du secteur del’énergie en France et en Europe afin deréorienter une politique vers des logiquesde long terme et de maîtrise publique.D’ailleurs, une étude de la CES et del’EPSU a analysé que la dérèglementa-

tion du secteur depuis douze ans environa coûté 250 milliards d’euros.Après la dislocation des entreprises inté-grées qui s’est opérée, une des dernièrestrouvailles de la droite est d’ouvrir à laconcurrence les concessions hydrau-liques. En effet, la mise en concurrencedes concessions hydrauliques est l’unedes conséquences du changement destatut d’EDF en société anonyme et dela loi sur l’eau et les milieux aquatiques.En effet, c’est le statut d’établissementpublic qui permettait de déroger à lamise en concurrence des concessionslors de leur renouvellement.L’attribution à d’autres opérateurs de l’ex-ploitation d’ouvrages hydrauliquesjusqu’alors concédés au titre du droit depréférence au concessionnaire sortantpose naturellement de nombreuses inter-rogations et inquiétudes. Elles concer-nent la sécurité des ouvrages, l’aména-gement des territoires, la gestion desusages de l’eau, le coût d’exploitation,les questions industrielles et sociales.Vient également se profiler l’ouver-ture à la concurrence des concessionsde distribution de l’électricité et dugaz. Aujourd’hui, c’est ERDF (filiale100 % EDF) qui assure le monopole dela gestion des concessions (sauf pourles entreprises qui ont échappé à lanationalisation de 1946 : ENN),garantie de la mise en œuvre du prin-cipe d’égalité de traitement et de péré-quation tarifaire. Ce projet qui seraitguidé par une directive européennepourrait bien remettre en cause cefondement de service public. Après lesdésastreuses transpositions des direc-tives européennes dans le secteur de

l’énergie, ce serait tout l’édifice duservice public de l’électricité qui seraitremis en cause !

SERVICE PUBLIC ET INTÉRÊT GÉNÉRALAu regard des enjeux du secteur énergé-tique, le PCF propose de créer un pôlepublic de l’énergie qui pourrait être unacteur important de la politique decoopération de la France, en Europe etdans le monde. A travers cette proposi-tion, le PCF souhaite mobiliser dans unemême dynamique et de manière efficacetous les acteurs industriels, publicscomme privés, pour la mise en œuvred’une politique énergétique visant leprogrès social et répondant aux grandsdéfis écologiques posés en ce début detroisième millénaire et ainsi contraindretous les acteurs industriels de ce secteurà mettre en œuvre des critères de gestion,allant dans le sens du service public etde l’intérêt général.Il s’agit là de favoriser l’enclenchementd’un processus de coopérations indus-trielles et d’harmonisation sociale quise substituerait à la concurrence écono-mique et au dumping social.L'Union européenne couvre ses besoinsénergétiques à 50% à partir des produitsimportés et si rien n'est entrepris, d'ici2020 ou 2030, ce chiffre s'élèvera à 70%.La proposition de la création d’uneagence européenne de l’énergie a toutson sens. Le principe de base doit êtrecelui de la coopération des opérateurs.C’est la meilleure approche pourrépondre aux besoins dans les condi-tions les meilleures et en finir avec laguerre économique visant à conquérirdes parts de marché et à absorber le

DÉCHETS PRODUITS POUR PRODUIRE 1TWH D'ÉLECTRICITÉ

150 kg de Déchets utlimes à vie longue (volume de 10 à 15 litres)

60 000 tonnes déchets solides principalement évacué dans l'athmosphere : cendre, suie aérosol,mercure, arsenic, antimoine.

35 000 et 25 000 tonnes déchets solides principalement évacué dans l'athmosphere

Charbon

Gaz

Nucléaire

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LE DOSSIER

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Lumiè res sur l'é nergie

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PAR MARIE-CLAIRE CAILLETEAU*

L’accident de Fukushima a remis audevant de la scène la productiond’énergie à partir de l’atome. Malgré

tout, le débat concerne la politique éner-gétique dans sa globalité en partant de lanécessaire réponse aux besoins. Il y aurgence à réduire les inégalités sur laplanète, entre les pays et, à l’intérieur despays, entre les citoyens. Le développe-ment qui creuse les inégalités n’est pasenvisageable, il n’est plus acceptable quele développement des uns se fasse audétriment de celui des autres. Il est impé-ratif de réfléchir à d’autres modes de déve-loppement qui réduisent les inégalités. Le développement de nos pays occiden-taux, fondé sur l’énergie et par conséquentessentiellement sur la possession desressources fossiles, nous a conduit à nousaccaparer celles-ci, bien souvent demanière peu pacifique, à tel point que leurexistence a été qualifiée par certains paysafricains de « malédiction des sous-sols »,car source de conflits. Par conséquent, ilest nécessaire que celles-ci soient consi-dérées comme des biens publics mondiauxde l’humanité, à gérer collectivement.

PRENDRE À BRAS LE CORPS LA QUESTIONDU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUEL’urgence aujourd’hui est de prendre àbras le corps la question du réchauffe-ment climatique. Si nous n’arrivons pas àle stabiliser, c’est à dire le limiter d’ici 2050à 2°, ce qui signifie pour un pays commela France diminuer par quatre ses émis-sions de CO2, les conséquences seront trèssérieuses. Elles auraient à voir directe-ment avec les questions de l’eau, que celasoit dû à la montée des océans – qui rayerapar exemple les Maldives du globe, ce quiincite son président à chercher un point

de chute pour les 300 000 personnescomposant sa nation ou provoquera ledébordement de lacs et mettra en périldes villages entiers comme au Bhoutan –ou à l’accentuation de la sécheresse dansdes zones déjà très sèches. On peutconstater que les régions qui souffriraientle plus sont celles déjà touchées de pleinfouet par les problèmes de satisfactiondes besoins élémentaires, commel’Afrique. Les millions de réfugiés clima-tiques qui en découleraient poseraient

des problèmes de tension géopolitiquesextrêmement graves. Cela conduit à développer l’idée, pourgagner un développement humaindurable, d’utiliser le mix énergétique lemieux approprié à chaque pays en fonc-tion de son histoire, de son niveau tech-nologique, de sa géographie … s’appuyantsur des économies d’énergie et remettanten cause les modes de développementqui ont conduit à la situation actuelle.Prendre des décisions pour économiserl’énergie c’est par exemple isoler massi-vement l’habitat, revoir l’urbanisme etl’aménagement du territoire, développerles transports collectifs, relocaliser desproductions. Ce sont des décisions lourdeset structurantes, très politiques, qui disentla société dans laquelle nous voulons vivreensemble.

Dans ce mix, la recherche joue un rôlefondamental. En effet, c’est elle quipermettra d’amener à maturité des tech-nologies permettant de vraies rupturescomme le stockage de l’électricité ou lafusion, mais également plus proche denous des progrès dans l’énergie solaireavec l’utilisation de nouveaux matériauxet l’amélioration des process de produc-tion, ainsi que dans le domaine dunucléaire avec l’introduction rapide de lagénération 4. Le captage et stockage duCO2 sont également un champ à appro-fondir pour arriver à industrialiser cestechnologies.

UN MIX ÉNERGÉTIQUEUtiliser toutes les formes de productionsd’énergie dé-carbonnée sans oublier deraisonner globalement et de prendre encompte tous les matériaux nécessaires,comme les terres rares de plus en plusprésentes dans les technologies de pointe(aimant d’éolienne, cellules photovol-taïques, batteries…) et de mesurer leseffets sur le système global (réseaux detransport et distribution, interconnexionet bien entendu coûts…).Dans l’état actuel de nos connaissances,l’énergie nucléaire a une place incontour-nable dans le mix énergétique. Cetteindustrie doit recevoir tous les atouts dela sûreté : une parfaite maîtrise technolo-gique, une autorité de sûreté indépen-dante, un statut de haut niveau pour tousles travailleurs du secteur, une organisa-tion et des conditions de travail irrépro-chables. En effet un des premiers facteursen termes de sûreté, c’est le facteurhumain. Au niveau mondial, le dévelop-pement de cette forme de productiond’énergie continuera, et c’est nécessairecompte tenu de tous les enjeux évoquésprécédemment. Les grands programmes

UNE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE RÉPONDANT AUX BESOINSLa question du droit à l’énergie est essentielle car l’énergie permet non seulement de se chauffer,s’éclairer mais également d’accéder à la santé, à la culture, à l’éducation. Or son accès est loind’être gagné puisque 1,6 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité et 8 millionsde français vivent en précarité énergétique.

Prendre des décisions pour économiser l’énergie

c’est par exemple isolermassivement l’habitat, revoir

l’urbanisme et l’aménagement du territoire, développer les

transports collectifs, relocaliser des productions.

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concurrent adversaire. Elle pourra favo-riser la notion de groupement d’achat àlong terme et la sécurité d’approvision-nement notamment.Enfin, les familles les plus modestesdépensent plus de 15 % de leurs revenusà régler leur facture. L’énergie est un droitessentiel, inaliénable, consubstantiel du

développement humain. Chacun doit yavoir accès quels que soient ses revenus.Nous proposons que ce droit soit réel-lement effectif. Dans l’immédiat, lesgroupes communistes parlementairesont déjà déposé un projet de loi pourl’interdiction des coupures de l’électri-cité et du gaz en période hivernale.

Résolument, le PCF souhaite que lesenjeux énergétiques fassent l’objet d’ungrand débat public. Nous y contribuonsfortement à travers nos « dix principes pourune transition réussie » dans le cadre desélections présidentielle et législatives. n

*Valérie Gonçalvès est reponsable du secteurénergie du PCF.

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nucléaires dans le monde n’ont pas étéarrêtés.Si l’Allemagne a quant à elle annoncé sadécision de sortir du nucléaire, elle va faireappel, pour compenser la productionmanquante, au charbon et au gaz. Elleémettra donc davantage de CO2 dans l’at-mosphère, ce qui signifie que la questiondu réchauffement climatique et de sesconséquences sur les peuples de laplanète, en particulier les plus pauvres quiseront les plus touchés, apparaît secon-daire à ses yeux. Le bilan de ce choix devraégalement être fait d’un point de vue descoûts, puisque 4000 kms de lignes élec-triques supplémentaires vont notammentdevoir être construites pour rapatrierl’électricité produite par les parcs éoliensoffshore en mer du Nord dans la partie sudde l’Allemagne où se situe principalementla consommation. Des subventions serontaccordées aux entreprises pour compenserles augmentations de tarif. In fine ce sontencore les usagers qui payeront. Le scénario Négawatt tracerait la voie d’unavenir sans nucléaire. Celui-ci part de l’hy-pothèse de la sortie du nucléaire et chercheà faire rentrer au chausse-pied les besoinsdans une chaussure trop petite s’il faut enmême temps répondre aux enjeux clima-tiques. Hormis le fait qu’aucune analyseéconomique et sociale n’est faite et qu’ilexiste une impasse complète sur les infra-structures réseau, le pari sur des techno-logies non matures comme la méthana-tion risque dans ce scénario de conduire àrecourir fortement aux ressources fossiles.

LE NUCLÉAIRE AVEC OU SANS LA FRANCE ?La question posée aujourd’hui n’est pasde savoir s’il y aura ou non productiond’énergie nucléaire mais si cela se fera

avec ou sans la France, et dans quellesconditions. C’est ce que doit nous ensei-gner Fukushima : il est indispensableque le secteur énergétique, hautementstratégique, soit sous maîtriste publique,au travers d’une appropriation sociale dusecteur matérialisée par un pôle public del’énergie, qui permette d’aller vers desnationalisations nouvelles.Si nous laissons ce secteur aux mains deslibéraux nous allons au devant de risquesimportants et rien n’est exclu. C’est pourcette raison que le point fondamentalaujourd’hui n’est pas la dispute sur telleou telle technologie mais plutôt d’unir nosefforts sur la maîtrise publique de tout lesecteur. Pour terminer, je souhaiterais,pour alimenter le débat partagerquelques réflexions. Le choix de la poli-tique énergétique structure fortement lasociété. Nous avons besoin d’énergiepour satisfaire nos besoins. Plusd’énergie qu’aujourd’hui afin que toutcitoyen sur terre puisse y avoir accès. Eten proportion plus d’électricité pourcontraindre le réchauffement climatique.Chaque forme de production d’énergiepossède ses avantages et ses inconvé-nients. Il n’y a pas de solution magique.Souvent, ceux qui craignent la productiond’énergie nucléaire en invoquant unetechnique compliquée et non maîtrisableprojettent une foi démesurée sur une tech-nique providentielle qui résoudrait tousnos problèmes. La crainte subjective oul’espérance infinie dans la science relè-vent de la même méconnaissance. Ceux qui de bonne foi craignent l’énergienucléaire et veulent en sortir n’ont pasforcément conscience qu’ils ne font quedéplacer les risques sur d’autres. En effet,l’énergie consommée ici sera produite

ailleurs à partir du charbon ou du gaz dansdes endroits où souvent les conditionssociales et environnementales sont moinsbonnes. Le risque est donc délocalisé. Est-ce acceptable ?Au fond, les questions qui nous sontposées collectivement rejoignent despréoccupations et interrogations plusvastes et touchent à des problèmes fonda-mentaux pour nos sociétés. Elles nousinterrogent sur nos modes de développe-ment, sur la gestion du risque dans unesociété industrialisée, sur la capacité del’homme à maîtriser la complexité. Cetteréflexion s’inscrit dans une période derecul de la place de la science dans lasociété. Initiée par la rupture du lien entreprogrès technique et progrès social,alimentée par les scandales tels le sangcontaminé ou plus récemment ceux del’industrie pharmaceutique (Médiator,prothèses…). C’est la parole de l’expert,du scientifique (qui peut être le médecin)qui est mise en doute avec celle du poli-tique. C’est par exemple aux États-Unis lacontestation de la théorie de l’évolution,et plus récemment, celle du réchauffementclimatique.Période bousculée et instable, certains lanomment intercalaire, on pourrait égale-ment la qualifier de charnière. Mais pource qui est des questions énergétiques, oùnous avons besoin de nous projeter undemi-siècle à l’avance, l’instant n’est passimple, alors que nous sommes à la croiséedes chemins. La seule issue est un véritabledébat démocratique serein et sans taboustel que le propose le Front de Gauche. n

*Marie-Claire Cailleteau est responsable dela Fédération nationale des mines et del'énergie CGT.

UN DROIT À L’ÉNERGIEAujourd’hui, l’énergie est un produit de première nécessité. Sansl’énergie, que serait en effet l’accès aux droits fondamentaux ?

PAR DENIS COHEN*

Ainsi, l’accès aux soins : il faut bienproduire et réfrigérer les médica-ments et pas un hôpital ou centre

de santé ne peut fonctionner sans élec-tricité. Ainsi, la mobilité elle-même,impensable sans consommation d’éner -gie, est la condition de l’accès à nombrede droits, à l’emploi et à la formation parexemple. Ainsi, des conditions normalesd’existence sont impensables sans l’accès

à l’électricité, au chauffage. Bref, être unhomme parmi les hommes impliquel’accès à l’énergie. Tel est le sens que jedonne au droit à l’énergie, un droit à lafois individuel et social, que je ne conçoispas comme un droit à un usage illimité,déraisonnable, usage inhérent à cettesociété inégalitaire. Garantir ce droittout en tenant compte des impératifsécologiques doit être l’objectif d’unepolitique énergétique.Et ce qui est vrai en France l’est à l’échelle

du monde : qu’on le veuille ou non, il n’yaura pas de droit au développement sansune énergie abondante, de qualité, aumeilleur coût. Or, deux milliards d’êtreshumains n’ont accès à l’énergie qu’autravers du bois de chauffe, ce sontsouvent les femmes et les enfants quicherchent le bois ce qui n’est pas sansposer des problèmes de scolarité, cettepratique en outre est souvent facteur dedéforestation. Ceci au moment où nousassistons à l’épuisement de ressourcesnaturelles comme le pétrole et le gaz,épuisement proche puisqu’il se situe àl’échelle d’une vie humaine et que lesconséquencesécologiques et climatiquesde l’exploitation des combustibles fos -siles deviennent irréversibles.

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L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE : UNE CHANCE POUR LA FRANCELes premiers réacteurs nucléaires sont naturels. Ils ont existé il y a environ deux milliards d’années,une époque où il n’existait que des organismes vivants rudimentaires. Sur le site d’Oklo, en Afrique,les vestiges de près d’une vingtaine de réacteurs nucléaires naturels ayant démarré spontanément ontété découverts.

PAR CHRISTIAN NGÔ*

L’Humanité consomme de plus enplus d’énergie car la populationmondiale et le niveau de vie de vie

des pays en voie de développementaugmentent. Entre 1900 et 2000, la popu-lation mondiale a été multipliée par 3,5et la consommation d’énergie par 10. Endeux siècles, la France a multiplié sapopulation par deux et sa consomma-tion d’énergie par 28. Grâce à de meilleures conditions de vie,l’espérance de vie, qui était en France demoins de 30 ans avant la révolution estpassée à 50 ans en 1900 et dépasseaujourd’hui 80 ans. Par contre, celle despopulations les plus pauvres de laplanète est inférieure à 40 ans.L’énergie abondante et pas chère apermis le développement économiquefulgurant observé depuis deux siècles.Avec 0,10 € on achète environ 1 kWhd’électricité ce qui correspond au travailmanuel fourni par deux bûcherons dansune journée !

UN MONDE DOMINÉ PAR LES COMBUSTI-BLES FOSSILESLa consommation énergétique mondialeest dominée par les combustibles fossiles(pétrole, gaz naturel et charbon) quireprésentent environ 80% de ce que

consomme l’humanité pour ses besoins.Malgré cela, nous sommes de grosconsommateurs d’énergies renouvela-bles (biomasse, déchets organiques,hydraulique…). Nous en consommonsaujourd’hui environ 6 fois plus qu’il y adeux siècles et elles sont encore la sourceprincipale d’énergie pour 3 fois plus d’ha-bitants qu’à cette époque. En 1950, la France consommait près de30 TWh d’électricité. En 2005, cetteconsommation dépassait les 480 TWhdont presque 60 TWh issus de l’hydrau-lique. Si notre pays avait gardé son niveaude vie des années 1950, l’hydrauliquesuffirait à nos besoins électriques et nouspourrions même exporter de l’électricité. Grâce à des réserves importantes, lecharbon va être de plus en plus utilisémais il est très polluant. Le solaire estl’énergie de l’avenir mais il faudraattendre de nouvelles technologiespermettant de l’exploiter à bas coût cequi n’est pas le cas aujourd’hui. Labiomasse deviendra stratégique dans lefutur car ce sera la seule source decarbone organique pour la chimielorsque le pétrole et le gaz naturel serontrares. La biomasse marine, notamment,sera peut-être demain une source depétrole synthétique irremplaçable.Le défi énergétique d’aujourd’hui est : - de réduire nos émissio ns de gaz carbo-

nique (les activités humaines en émet-tent environ 2 fois plus que ce que lanature peut absorber) pour lutter contrel’augmentation de l’effet de serre ;- d’économiser nos combustibles fossilescar ils sont épuisables (nous avons sansdoute consommé aujourd’hui la moitiédu pétrole conventionnel existant sur laterre). Pour répondre à ce défi, nous devonsêtre sobres, efficaces et utiliser plus large-ment les sources d’énergies qui n’émet-tent pas de gaz carbonique : énergiesrenouvelables et nucléaire.

L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE : UN CONCENTRÉ D’ÉNERGIELa caractéristique principale de l’énergienucléaire est qu’elle est concentrée : 1 gde matière fissile peut libérer 2 millionsde fois plus d’énergie que 1g de pétrole.Il s’ensuit aussi que le volume desdéchets générés est très faible si bienqu’on peut envisager de les stocker. On libère de l’énergie en cassant certainsnoyaux lourds, comme l’isotope 235 del’uranium : c’est le phénomène de fissionexploité dans les réacteurs nucléairesactuels qui fournissent 78% de l’électri-cité française. Les premiers réacteurs nucléaires sontnaturels. Ils ont existé il y a environ deuxmilliards d’années, une époque où il

Il faut savoir encore que la consomma-tion des ressources naturelles desquarante dernières années dépasse cellecumulée par toutes les générations quiont vécu depuis les origines de l’homme.Enfin, l’accident de Fukushima au Japonrelance le débat public sur les risquesliés à l’énergie nucléaire en même tempsque sa pertinence.

LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUEIl est donc évident que nous sommes àl’heure des choix. Des solutions existent.Elles ne sont pas simples. Elles nécessi-tent créativité et novation politique etsont, de fait, l’un des enjeux des élec-tions en 2012.Le rapport de Philippe Pelletier1 propose

une définition de la précarité énergé-tique résultant de trois facteurs : lafaiblesse des revenus, la mauvaise qualitéthermique des logements occupés, ladifficulté de s’acquitter des facturesd’énergie. Est en précarité énergétiqueune personne qui éprouve dans son loge-ment des difficultés particulières néces-saires à la satisfaction de ses besoinsénergétiques élémentaires en raisonnotamment de l’inadaptation de sesressources et de ses conditions d’habitat.Ainsi, aujourd’hui environ 3,4 millionsde ménages dépensent plus de 10 % deleurs revenus à régler leur factured’énergie, ce qui les place en situationde précarité énergétique. 87 % d’entreeux vivent dans le parc locatif privé et

70 % appartiennent à la populationpercevant les plus bas revenus.L’énergie est aussi un droit essentiel. Ledroit à l’électricité est porteur d’unecaractéristique spécifique : il déclenchel’accès à d’autres droits. Il peut favoriserle droit à la culture et à la communicationpar la radio, la télévision, la téléphonie. Ilouvre le droit au transport. Il permet ledéveloppement des forces productives. n

*Denis Cohen a été secrétaire général de lafédération CGT de l'énergie de 1989 à 2003et il est l’auteur de Nucléaire : débattre avantde décider, Fondation Gabriel-Péri, 2011.

1) Pour une meilleure efficacité des aides à laperformance énergétique des logements pri-vés, Plan bâtiment Grenelle, 15 avril 2011.

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n’existait que des organismes vivantsrudimentaires. Sur le site d’Oklo, enAfrique, les vestiges de près d’une ving-taine de réacteurs nucléaires naturelsayant démarré spontanément ont étédécouverts. Ce phénomène exceptionnels’est produit car l’uranium naturel decette époque était, pour des raisonsphysiques, analogue au combustiblequ’utilise aujourd’hui EDF pour ses réac-teurs. À grande profondeur, dans unmilieu saturé en eau, on avait des condi-tions analogues à celles des réacteursutilisés aujourd’hui en France. Ils ontfonctionné pendant des centaines demilliers d’années à faible puissance avantde s’arrêter faute de combustible. On avérifié que les déchets nucléairesproduits, à même le sol, sont restés surplace.

L’INDUSTRIE NUCLÉAIREDévelopper une industrie nucléaire estcomplexe et demande un niveau tech-nologique que seuls certains pays possè-dent ; c’est le cas de la France. Dans unsystème libéral où des actionnairesveulent rapidement gagner de l’argent,le nucléaire n’est pas une bonne solu-tion : l’investissement est important etle temps de retour long. Pour faire desprofits rapides il vaut mieux développerdes centrales au gaz naturel ou aucharbon. L’investissement est plus faibleet le prix du gaz représentant une grandepart du prix du kWh produit (multiplierpar 10 le prix du gaz multiplie par 7 leprix de l’électricité) : quand le prix dugaz augmente les bénéfices augmentent.On ne développe le nucléaire que si l’ona une vision à long terme avec commeobjectif un prix de l’électricité bas etstable dans le temps pour les citoyens etl’industrie. L’énergie nucléaire produitde l’électricité à un coût compétitif etstable dans le temps car le prix de l’ura-nium naturel est une faible part du prixdu kWh : si le prix de l’uranium est multi-plié par 10, le prix de l’électricité n’aug-mente que de 40%. En fonctionnement, une centralenucléaire n’émet pas de CO2 (gaz carbo-nique). On en génère un peu lors de laconstruction des centrales, des trans-ports, du retraitement des combustibles,etc. mais c’est au total négligeablecomparé à ce qui est émis par unecentrale utilisant des combustiblesfossiles. Le parc nucléaire français évited’émettre 3,3 tonnes de CO2 par habi-tant et par an par rapport à ce qui seraitémis avec des centrales au gaz et 7,5tonnes par an si c’était des centrales au

charbon. À titre d’information, unevoiture parcourant 15 000 km émetenviron 3 tonnes de gaz carbonique.L’énergie nucléaire correspond à plus de200 000 emplois directs en France. Sinotre pays avait choisis, dans les années70, de produire l’essentiel de son élec-tricité avec des combustibles fossiles(fuel à cette époque), cela coûterait à laFrance 60 milliards € (environ 1 000 €par habitant et par an) pour alimenterces centrales (avec un baril de pétrole à80$). C’est environ le budget de l’Édu-cation nationale. Il faudrait réaliser 60milliards € d’exportations supplémen-taires pour compenser ces importations.

LE NUCLÉAIRE DU FUTURLes réacteurs nucléaires actuels sont des« réacteurs à neutrons lents » utilisantprincipalement de l’uranium 235 pourproduire de la chaleur, donc de l’électri-cité. Cet isotope est présent à 0,7% dansl’uranium naturel. Les réserves d’ura-nium, avec cette technologie, ne sontque l’ordre d’un à deux siècles. L’autreisotope, l’uranium 238, présent à 99,3%,n’est pas brûlé mais peut être valoriséavec une nouvelle technologie : les « réac-teurs à neutrons rapides ». Ainsi, lecombustible nécessaire pour faire fonc-tionner un réacteur actuel pendant 40

ans pourrait, s’il était valorisé dans desréacteurs rapides, fournir de l’énergiepour une durée comprise entre 2 000 ou5 000 ans. Plus chers que les réacteursactuels, ils ne seront économiquementintéressants que dans la seconde moitiédu siècle lorsque le prix de l’uraniumaura fortement augmenté. Les réservesen uranium se chiffreront alors endizaine de milliers d’années.

SÛRETÉ ET SÉCURITÉ AVANT TOUTQuel que soit le mode de productiond’énergie, il y a des risques humains etenvironnementaux. Le charbon a faitplus de 25 000 morts entre 1969 et 2000et l’hydraulique près de 30 000 morts. Lenucléaire est très surveillé : le moindreincident, même banal et sans consé-

quence, est signalé et répertorié ce quipermet d’améliorer constamment lasécurité de fonctionnement des réac-teurs. Mais le risque zéro n’existe pas etil y a parfois des accidents sérieux oumajeurs. C’est arrivé en 1979 aux USA àThree Mile Island, à Tchernobyl en 1986en Ukraine et en 2011 à Fukushima auJapon. L’accident de Tchernobyl estparticulier car il concerne une filière deréacteurs qui peuvent avoir des instabi-lités dans certaines conditions et desdispositifs de sécurité avaient été volon-tairement mis hors service. Chaque acci-dent permet de tirer des leçons et d’amé-liorer la sûreté. L’objectif est de contenirla radioactivité à l’intérieur de l’enceintepour protéger les populations environ-nantes. L’accident de Fukushima impli-quant des réacteurs d’une technologiedifférente de celle que l’on a en France,et situés dans une région fortementsismique, va permettre d’améliorerencore la sécurité des centrales. C’est letsunami, en privant d’électricité l’ali-mentation électrique de secours, qui aconduit à l’accident et non le séismeauquel les réacteurs ont résisté. Il faudradans l’avenir prendre en compte la possi-bilité d’une coupure totale de courant.Notre monde évolue et il faut s’adapter.On peut le faire d’autant plus facilementqu’on anticipe les changements et qu’ona le temps pour le faire. Le prix del’énergie va progressivement augmentermais cela sera plus ou moins modéré etrapide selon les choix qui seront faits.L’électricité va jouer un rôle de plus enplus important avec le développementde nouveaux usages : pompes à chaleur,véhicules hybrides rechargeables ouélectriques. Toutes les sources d’énergie ont leurplace et chacune doit être utilisée pourles applications où elle est le plus effi-cace. L’énergie nucléaire est une de cessources qu’il faut continuer à exploiter,dans les meilleures conditions possibles.Dans le contexte économique actuel ilserait suicidaire pour la France d’aban-donner une filière qui apporte au paysbeaucoup plus d’avantages que d’incon-vénients. Le développement durablec’est aussi laisser à nos enfants dessources d’énergie n’émettant pas de CO2

et peu chères afin de ne pas diminuerleur niveau de vie. n

*Christian Ngô est expert en énergie et ani-mateur du laboratoire d’idées, edmonium,site d’informations scientifiques et techno-logiques - www.edmonium.fr/www.edmo-nium.fr - Christian Ngô, Demain l’énergie,Moteur de l’humanité, Dunod 2009.

Dans un système libéral où des actionnaires veulent

rapidement gagner de l’argent, le nucléaire n’est pas une bonne

solution : l’investissement est important et le temps

de retour long.

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LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

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Lumiè res sur l'é nergie

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LE DOSSIER

PAR LUC FOULQIER*

Pour répondre aux besoins énergé-tiques de façon durable (enjeuxclimatiques) et écologiques (biodi-

versité) en économisant les ressources,il est impératif de développer larecherche et les technologies (cf. lestravaux du Muséum d’histoire naturelle,du CNRS, des universités et du CEA1 quijouent un grand rôle dans le GIEC), derevaloriser l’éducation, la formation etles filières industrielles. Tout ceci néces-site des choix financiers et l’augmenta-tion notable du budget recherche etdéveloppement de l’État et des entre-prises sur une législature. Les chercheursdoivent disposer des moyens nécessairespour accomplir librement leur travailsans être contraints par les intérêtsimmédiats des multinationales et dutemps pour diffuser leurs résultatsauprès du public. Nous proposons decréer des forums citoyens de la techno-logie pour débattre de la science et de latechnique et des enjeux de société. Ladémocratie dans la définition des thèmesde recherche, dans la gestion des person-nels et des moyens est le gage de l’effi-cacité. Toute politique industrielleimplique de tels efforts pour obtenir desinnovations qui profitent aux hommes :production d’énergie, isolation, trans-ports, recyclage des matériaux, traite-ment des déchets, agriculture économeen énergie… et économie de matièrespour une production plus « circulaire ».

INTERDISCIPLINARITÉ ET COOPÉRATIONPour une maîtrise publique de l’énergie,de grands services publics de larecherche sont indispensables. Il esturgent de transformer les « pôles decompétitivité » en « pôles de coopéra-tion » pour mutualiser les moyens et lesintégrer dans le secteur industriel publicde l’énergie. Et créer un établissementpublic de recherche technologique etindustrielle qui s’appuiera sur les orga-nismes de recherche existants tel le CEAoù 1 000 personnes travaillent sur lestechnologies des énergies nouvelles, lescentres techniques, les comités régio-naux d’innovation et de transfert destechnologies… en vue de développer les

outils pour assurer un mix énergétiquenon producteur de gaz à effet de serre.Les axes de recherche sont nombreux etdivers et font appel à l’interdisciplina-rité et aux coopérations : l’utilisation descourants marins a besoin d’océanogra-phie ; l’hydraulique impose de bien gérerl’eau (hydrogéologie, hydrobiologie,…) ;la géothermie profonde exige denouvelles techniques pour ne pasproduire les effets nuisibles de l’extrac-tion des gaz de schiste ; les énergiessolaires (thermique et photovoltaïque)ou les éoliennes impliquent des progrèssignificatifs dans la qualité des maté-riaux, le rendement des panneaux et labaisse des coûts.

Dans d’autres domaines, des sauts tech-nologiques sont nécessaires : le stockagede l’énergie et l’amélioration des batte-ries (véhicule électrique), l’hydrogène(pile à combustible) qui peut devenir unvecteur énergétique important. Le déve-loppement des nanosciences et desnanotechnologies est incontournable.Des progrès sont en cours dans la minia-turisation et les économies de matière,les transports moins gourmands enénergie, les capteurs, la conductivité élec-trique, l’isolation des bâtiments,…L’étude des matériaux à l’échelle « nano-scopique » est essentielle pour le secteurénergétique (comportement des maté-riaux sous irradiation, systèmes énergé-tiques « bio mimétique » à l’échelle dela protéine, les cellules photovoltaïques,etc.). Ces technologies modernes sontindispensables pour améliorer et adapterles réseaux de distribution d’électricitéet gérer correctement l’offre et lademande.Le charbon qui, du fait de ses réservestiendra encore longtemps une placeimportante, a besoin d’expérimentationdans le piégeage, le stockage et le recy-clage du CO2 et ce, dans le cadre decoopérations internationales (1 000 cher-

cheurs et 70 instituts travaillent cettequestion dans les programmes de l’Al-liance européenne de la recherche éner-gétique).L’utilisation des résidus agricoles, dessous produits de la forêt (d’ou l’impor-tance de l’ONF2), de la décompositionde plantes entières peuvent être utiliséscomme biocarburants de deuxièmegénération au lieu de gaspiller des terreset des denrées utiles à l’alimentation. Ilest important que ces procédésnouveaux puissent être viables à grandeéchelle avec des usines alimentées parle solaire ou l’éolien.Au-delà des centrales nucléairesactuelles, à améliorer en permanence, ilfaut reprendre plus fortement le travailsur les réacteurs du futur (comme lerecommande le forum international deIVe génération avec des nouveauxconcepts de réacteurs). C’est indispen-sable pour produire 50 à 100 fois plusd’électricité avec la même quantité d’ura-nium, pour décroître les volumes et laradioactivité des déchets. La construc-tion d’un prototype est urgente.Depuis des années, le travail des physi-ciens sur la domestication de l’énergiede fusion se poursuit sans relâche (lafusion des noyaux légers comme dansle soleil donne de la lumière et del’énergie). Depuis les « Tokomaks » enURSS (1968), les travaux au RoyaumeUni, les rencontres internationales eteuropéennes, le prototype Tore Supra aucentre de recherches de Cadarache(Bouches-du-Rhône), les coopérationsde l’Europe avec les États-Unis, la Russie,l’Inde, la Chine, le Canada… et mainte-nant le projet ITER (10 ans de chantieret 20 d’expériences), les études se pour-suivent ; c’est un exemple du temps longnécessaire pour certaines recherchessans s’obnubiler sur les bénéfices immé-diats ! Il en est ainsi pour la recherchespatiale.

PROMOUVOIR LA SOBRIÉTÉ ÉNERGÉTIQUEEt ce n’est pas tout ! Toutes les possibi-lités d’utilisation, des innovations et detemps sont nécessaires pour affronterl’après-pétrole. Les écologues (écologiescientifique) nous alertent sur le manquede moyens pour cette discipline. Il ne

INVESTIR MASSIVEMENT DANS LA RECHERCHELes chercheurs doivent disposer des moyens nécessaires pour accomplir librement leur travail sansêtre contraints par les intérêts immédiats des multinationales et du temps pour diffuser leurs résultatsauprès du public.

Créer des forums citoyensde la technologie pour débattre dela science et de la technique et des

enjeux de société.“”

JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

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NÉGAWATT 2011L’accord de principe sur le triptyque sobriété, efficacité et énergiesrenouvelables recueille sans aucun doute un assentiment très large. Au-delà de ces trois axes, le scénario exclut le nucléaire et l’usage éven-tuel du procédé de Capture, Séquestration et Stockage du CO2 (CSC) quipourrait être utile avec un parc électrique mondial où les sources fos-siles sont dominantes avec près de 67% dont 40% de charbon.

PAR CLAUDE MOUNIER*

La sortie du nucléaire est prévue enune vingtaine d'années car c’est uneénergie dangereuse : « chaque année

supplémentaire de fonctionnement d’unréacteur nucléaire le rend plus dange-reux » (p.4, cf. Synthèse). Les réacteursTMI-2, Tchernobyl-4 ont eu des acci-dents graves deux ans après la mise enservice et plus de 33 ans après pourFukushima Daichi-1-4. Face au risquede dérèglement climatique, les auteursconcèdent un avantage au nucléaire civil(p. 18) : « il faut faire en sorte que laproduction nucléaire reste aussi procheque possible du besoin de compléter laproduction des renouvelables, afin deminimiser le recours au gaz fossile pourassurer la transition et d’éviter un picnon maîtrisé de l’usage de ce dernier ».

LES CHIFFRES DE LA MARGINALITÉL'énergie nucléaire est marginale avec « 3%de la consommation finale d'énergie dansle monde » (p.3) alors que les renouvela-

bles « fournissent d’ores et déjà plus de 13%de la consommation mondiale ». D'aprèsles chiffres de l'AIE 2009 donnant un peuplus de 13% aux renouvelables, l'hydrau-lique avec 2,8% est aussi marginale quele nucléaire. Avec moins de 0,6% pourl'éolien et le photovoltaïque, les éner-gies auxquelles quasiment tout le mondepense en France s'agissant d'énergiesrenouvelables, elles sont près de cinqfois plus marginales ! L'essentiel desrenouvelables provient de la biomasse.La part de celle-ci dans les pays del'OCDE est de 4% contre 40% pourl'Afrique.

L'HORIZON DES RENOUVELABLES...Les auteurs affirment : « Il n'y a pasd'autre avenir que dans un système éner-gétique sobre, efficace et basé sur cesénergies de flux. » (p.4). Les énergiesrenouvelables (hors géothermie), ditesénergie de flux (résultant de la consom-mation du stock d'hydrogène du soleil),représentent un potentiel considérableen durabilité comme en quantité (10 000

fois la consommation mondiale annuellepour 5 milliards d'années). Le problèmede l’accès à l’énergie pour l’humanitéest-t-il, par principe, résolu à l’énoncéde ce gisement durable et abondant ?

LA DÉFIANCE VIS-À-VIS DE LA TECHNIQUEPLOMBE L'AXE EFFICACITÉLes auteurs ne comptent pas sur les « féesdu Progrès », ne font « aucun pari tech-nologique », ils s’appuient sur « des solu-tions jugées réalistes et matures, c’est-à-dire dont la faisabilité technique etéconomique est démontrée même sielles ne sont pas encore très dévelop-pées au niveau industriel. Un scénarioainsi bâti dessine une trajectoire robustetout en restant ouverte aux évolutionsfutures. »( p. 5) Le caractère mature decertaines technologies utilisées dans lescénario est discutable comme lasynthèse du méthane à partir de gazcarbonique CO2.

LE BÂTIMENT La rénovation thermique est un pointsur lequel l'accord est sans doute largemais il reste à définir les objectifs ciblesen termes de consommation et lesmodalités de financement, surtout s'il ya obligation de rénovation.

LA MOBILITÉ « APAISÉE »La mobilité apaisée va jusqu'à la quasi-suppression des vols intérieurs. Il nous

suffit pas d’ajouter le préfixe « éco »partout, pour que les connaissancesavancent ! Que dire de notre retard dansla toxicologie qui étudie les modalitésde fixation et de transfert des polluantset des nanoparticules et leur effet sur lasanté humaine ? Il faut avancer en termes de sobriétéénergétique afin d’utiliser l’énergienécessaire et pas afin d’éviter les gaspil-lages. De manière complémentaire, l’ef-ficacité énergétique a besoin de tech-niques qui rendent des services enconsommant le moins d’énergiepossible : le fret ferroviaire, l’électrifica-tion avec des appareils moins gour-mands, des usages efficaces comme lestéléphones portables, les pompes àchaleur ou la cogénération pour utiliser

simultanément la chaleur et l’électricité.Le développement de la maîtrise degestion des risques, la radioprotection,la place des sociétés savantes, des revueset de la culture scientifique et technique,sont des éléments essentiels pourexercer sa citoyenneté en connaissancede cause.Beaucoup d’économies sont à réaliserdans le domaine militaire, la mise encommun des moyens et des connais-sances, la transparence, la politique dusecret, la « dictature » des créneauxporteurs… Il y a beaucoup à faire pourplanifier les urgences, les investisse-ments immédiats et ceux du long terme,qui est le rythme de la science.On voit bien que les « temps courts » duprofit, de l’utilitarisme et de la rentabi-

lité immédiate, liés au système capita-liste lui-même, sont incompatibles avecles besoins de recherche dans ledomaine de l’énergie comme dans lesautres.Ni scientisme, ni pédagogie des catas-trophes ou récupération politiciennedes peurs et des angoisses, ni techno-phobie, ni fétichisme du marché pourle capitalisme vert… mais une révolu-tion sociale et écologique, une autreconception du progrès pour un déve-loppement humain durable. n

*Luc Foulquier est chercheur en écologie,membre de la commission écologie du Conseilnational du PCF.

1) CEA : Commissariat à l’énergie atomiqueet aux énergies alternatives.2) ONF : Office national des forêts.

Deux scénarios sur l’avenir énergétique, NÉGAWATT et NEGATEP, ont fait l’objet de nombreuxcommentaires. Voici les orientations différentes qu’ils défendent...

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LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

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LE DOSSIER Lumiè res sur l'é nergie

faut réapprendre le sens des distancesavec des transports plus lents moins 10et 20 km/h respectivement sur route etautoroute (présentation orale). Les deuxvecteurs énergétiques en support decette mobilité « apaisée » sont le gaznaturel de véhicule (GNV) dont labiomasse (montant en flèche dans lescénario 2011) serait la pourvoyeuse etl'électricité (transport en commun, véhi-cules hybrides en milieu urbain). Pour-quoi ne pas développer aussi les biocar-burants de deuxième et troisièmegénération permettant de mieux utiliserla biomasse sans concurrence avec l'ali-mentation ?

PLUS DE WATTS DANS LE SECTEUR ÉLECTRIQUELa proclamation « 100% négawatt » neveut pas dire moins de puissance c’estplutôt la multiplication des watts dansle secteur électrique à l’horizon 2050. Leparc actuel dispose d'une puissance de123 GW (gigawatt). Avec les négawattsen 2050 il dépasserait probablement les200 GW sachant que l’éolien et le photo-voltaïque (PV) feront respectivement 75et 80 GW et que l’hydraulique serait à 25GW. La puissance des moyens ther-miques contrôlables à base de bio-gazet de méthane de synthèse et de gaznaturel fossile devrait être une fractionimportante de la puissance intermittente

(éolien et PV) (cf. § Réseaux et stockages).Cette puissance thermique des centralesà méthane fossile ou non fossile n'ap-paraît pas dans le document de synthèse.Avec tout ça, il y a une réduction de laproduction électrique par rapport àaujourd'hui peu vraisemblable comptetenu de l'extension des usages de l'élec-tricité notamment dans le transport.

RÉSEAUX ET STOCKAGESSur le développement et l'intégrationdes réseaux de gaz et électriques peu dechoses sont dites comme sur les capa-cités de stockage des gaz : naturel(fossile), méthane de synthèse, hydro-gène et voire du CO2. Le méthane desynthèse (méthanation-réaction deSabatier) permettra de gérer l'intermit-tence avec « la production sur le réseaud'une trentaine de TWh (térawattheure)de méthane synthétique par an » (p.19).Il n'est pas question, explicitement, derenforcement des réseaux à l'échelle duterritoire ni à l'échelle européenne pourgérer l’intermittence.

LE POLITIQUE Pour mettre en marche la société toutentière vers la transition énergétique, ilfaut se doter d’institutions et de lois ayantun « poids juridique suffisant pour queles nombreux intérêts particuliers quiseront inéluctablement bousculés ne

puissent pas bloquer ou ralentir unprocessus qui prendra de toute façon dutemps. » Les auteurs préconisent d’ins-crire dans la constitution « un droit detout citoyen à avoir accès à une sourced'énergie sûre, respectueuse de l'envi-ronnement et à un prix acceptable parla mise en œuvre d'une politique baséesur le développement de la sobriété éner-gétique, de l'efficacité énergétique et desénergies renouvelables ».

SOBRIÉTÉ À QUEL PRIX ?La sobriété s'éclaire d'un nouveau jourcelui de coercition par le prix accom-pagné d'un minimum vital d'énergie.Appeler sobriété énergétique unedémarche dont le principal levier est lacontrainte par les prix questionne un despiliers du triptyque ! La sobriété, librecomportement économe de chacun, està valoriser socialement mais les écono-mies seront plus difficiles à appréhenderet beaucoup plus fragiles que cellesprovenant de l'efficacité énergétique.

SERVICE PUBLIC, UN OUBLI?Entreprise publique, service public, pôlepublic de l'énergie sont absents duscénario : « Rendre le pouvoir aux terri-toires par une nouvelle étape de décen-tralisation autour de la gestion locale del’énergie et de la recherche de l’auto-nomie énergétique. » Les auteurs s'ac-commodent donc probablement de lalibéralisation des marchés de l'énergiesans doute un moyen d'aller vers unerégionalisation de la gestion de l'énergieavec des opérateurs privés dont les acti-vités de marché seraient soutenues parla puissance publique : « Assurer le déve-loppement des énergies renouvelables,dont le caractère d’intérêt général doitêtre reconnu par la loi et fonder en droitles dispositifs de toutes natures en amont(soutien à la recherche et au marché) eten aval (coordination et décentralisa-tion de la gestion des réseaux énergé-tiques). » (page 27)Le scénario négawatt 2011 apporte sapierre au grand débat national sur la poli-tique énergétique de la France. Ce travail,sincère, des auteurs du scénario trancheavec l'accord électoral qui a fait la uneces derniers mois, laissant nos conci-toyens spectateurs des orientations poli-tiques dans ce domaine.n

*Claude Mounier a assisté à la présentation denégawatt le 30 octobre 2011. Il décrypte la der-nière version de ce scénario très médiatisé.

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source : AIE 2008

CLIMAT : ÉMISSION DE CO PAR HABITANT2

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(en tonne de CO2 / hab/an)

SUITE DELA PAGE 15 >

JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

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PAR GÉRARD PIERRE*

Les données mondiales sont lessuivantes : Démographie : prévision de 9 à 10milliards d’individus à l’horizon 2050.Avec l’aspiration à vivre dans les condi-tions actuelles des pays développés, lebesoin global en énergie pourraitpresque doubler en 50 ans.Ressources énergétiques fossiles : lesdisponibilités en combustibles fossilesne devraient pas permettre de répondreà cet accroissement des besoins. Lepétrole ayant atteint quasiment sonmaximum devrait décroître prochaine-ment. Le gaz est loin de son maximummais avec la croissance forte prévue dansles 10 à 20 ans à venir, le maximumdevrait être alors atteint et suivi d’unebaisse lors de ce siècle. Il reste le charbonqui devrait fortement croître. Mais globa-lement les combustibles fossiles quiassurent plus de 80 % des besoinsmondiaux à ce jour, ne pourrontrépondre à l’augmentation des besoins.Écologie : principal problème de laplanète, les émissions de gaz à effet deserre liés à l’utilisation de ces combus-tibles fossiles. Même si leurs croissancesrestent limitées comme il est précisé ci-dessus, les rejets font courir le risqued’un réchauffement climatique tropimportant, pour être supportable sansconséquences majeures pour l’huma-nité. Les scientifiques qui étudient lesconséquences de l’augmentation des gazà effet de serre estiment que l’ensemblede la planète n’est capable d’absorberque la moitié des émissions actuelles. Ilfaut donc, au niveau mondial diminuerpar deux les émissions de ces gaz, pourne pas augmenter l’effet de serre. Maisil ne serait pas équitable de demander àtous le même effort. Les habitants despays développés qui en rejettent le pluspar habitant doivent réaliser l’effort prin-cipal. Il est couramment admis que cespays doivent diviser au moins par quatreleurs propres émissions.Tel sera appliqué à la France l’objectifdu scénario Négatep qui repose sur despropositions économiquement viables,tout en gardant l’objectif de la loi d’orien-

tation sur l’énergie de 2005 qui prévoit :l de préserver notre indépendance énergétique,l de garder un prix compétitif de l’énergie,l de préserver l’environnement,l de garantir la cohésion sociale en assu-rant à tous l’accès à l’énergie.La figure 1 permet de suivre l’évolutionrelative du PIB, des consommations etdes rejets de gaz carbonique en Francedepuis 1960. Nous constatons que lesrejets de gaz carbonique ont fortementbaissé depuis la fin des années 70 jusqu’àl’an 2000. Ceci correspond à la mise enservice des centrales nucléaires. Outre ce constat du passé, la figureindique l’évolution attendue de laconsommation dans l’hypothèse de lacontinuité, c'est-à-dire si aucun effortsupplémentaire n’est fait pour réduirela consommation (données DGEMP1

extrapolées à 2050). Pour atteindre lefacteur 4, il faut agir sur les économiesd’énergie (écart entre consommationhaute dans la continuité et consomma-tion basse objectif Négatep). Mais il fautaller au-delà et accentuer la baisse surles rejets de gaz carbonique en sélection-nant des sources d’énergie non émet-trices de gaz carbonique comme lesrenouvelables et le nucléaire.Pour arriver à cette division par quatred’ici 2050 Négatep agit sur trois facteursprincipaux (voir figure 2) :l Une baisse d’environ 10 %, de laconsommation finale d’énergie par les

économies d’énergie, alors que la popu-lation augmente d’environ 10 %. Lademande annuelle, actuellement de plusde 160 Mtep (millions de tonne équiva-lent pétrole), doit être ramenée à environ150 Mtep, alors que le scénario de réfé-rence de la DGEMP prévoit une augmen-tation de la demande à hauteur de 226Mtep en 2050, si rien n’est fait. l La multiplication par presque 4 (3,7) detoutes les énergies renouvelables chaleur :le bois, le solaire…l La substitution partielle de l’électricitéaux énergies fossiles dans l’habitat et dansles transports, dans la mesure où cette élec-tricité est issue de sources non carbonnées. Pour diviser par quatre les rejets de CO2

d’ici 2050, il faut dans l’habitat et letertiaire, miser sur les économiesd’énergie, les énergies renouvelables ther-miques et l’électricité produite sans CO2

. Les investissements nécessaires sontrentables compte tenu d’un prix de pétroleproche des prix actuels (100 à 150 $/baril).L’habitat ancien chauffé au fioul ou augaz consomme en moyenne 25 000 kWhpar an. Réduire de moitié est relative-ment facile en profitant des travauxnormaux d’entretien pour améliorer l’iso-lation, remplacer les fenêtres et huisse-ries, remplacer une chaudière par uneplus performante ou sélectionner unepompe à chaleur, faire appel au solairethermique pour une forte part de l’eauchaude sanitaire, etc. Pour les nouvelles constructions, mieux

NÉGATEP 2011Le scénario Négatep1 a été élaboré en 2006 puis réévalué en 2011 à la lumière des éléments nou-veaux intervenus depuis, comme ceux liés au Grenelle de l’environnement.

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FIG.1 : ÉVOLUTIONS RELATIVES SUR BASE 100 EN 1960, DU PIB, DE LA CONSOMMATION ET DES REJETS DE CO2

LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

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LE DOSSIER Lumiè res sur l'é nergie SUITE DE

LA PAGE 17 > isolées au départ, les énergies renouve-lables thermiques sont à associer à despompes à chaleur en individuel ou à desréseaux de chaleur en collectif.Pour les transports, le défi est plus difficile. Ilfaut encore des progrès, voire des percéestechnologiques. Le développement destransports en commun.Les progrès techniques (voiture 3 l/100 km).Les véhicules hybrides rechargeablespermettent d’ores et déjà de remplacerpartiellement le pétrole par l’électricité,mais au prix d’un surcoût d’achat nonnégligeable.Les véhicules électriques doivent trouverun créneau en zone urbaine.Les agrocarburants de deuxième généra-tion (ceux qui ne viennent pas en compé-tition avec l’alimentation) doivent se déve-lopper.Une nouvelle organisation de la citépermettra de réduire les besoins de trans-port : il faut aller dans ce sens, mais celaaussi coûtera très cher.Il faut veiller à ce que l’industrie reste enFrance au lieu de se délocaliser vers despays moins regardant vis-à-vis des rejetsde CO2. Globalement, hors production

d’agrocarburants, le scénario se fonde surune baisse modérée (de 44 à 40 Mtep) dela consommation d’énergie, avec unesubstitution importante (12 Mtep) desénergies fossiles par l’électricité et lesrenouvelables. L’industrie consommera15 Mtep supplémentaires pour uneproduction équivalente d’agrocarburants.Les énergies renouvelables fournirontprincipalement de la chaleur.Négatep table sur un quadruplement (de11 à 45 Mtep), ce qui représente un quartdes besoins totaux d’énergie.La biomasse (le bois et tous les déchetscellulosiques, etc.) doit tripler son apportd’énergie, soit directement pour le chauf-fage, soit pour produire du biogaz(méthane), soit comme matière premièrepour produire des agrocarburants.Le soleil doit jouer un rôle important,associé ou non à des pompes à chaleur.La géothermie et la récupération despertes thermiques peuvent apporter unecontribution, à condition de développerdes réseaux de chaleur.Pour la production d’électricité, l’hy-draulique qui ne peut guère se déve-lopper, continuera à jouer un rôle impor-tant pour l’équilibre du réseau, tandis

que l’éolien et le solaire, limités par leurcoût et, surtout, par leur caractère inter-mittent ou fluctuant nécessitent unrenforcement très important des réseauxde transport électrique, réseaux quidoivent être capables d’absorber unexcédent ou de compenser un déficit depuissance. Pour toutes ces raisons,Négatep limite la part de ces électricitésà un peu plus de 10 % de la production.Le développement du nucléaire peuémetteur de CO2 est indispensable pouratteindre le facteur 4, comme le montrela figure 3 récapitulant la productionélectrique.Pour les lecteurs qui souhaiteraient descompléments, il est possible de seprocurer ce scénario sur le site de« Sauvons Le Climat » à l’adressesuivante : www.sauvonsleclimat.org n

*Gérard Pierre est président de la section Bourgogne et Franche-Comté de« Sauvons Le Climat ».

1) Les auteurs, Pierre Bacher et Claude Acket,sont membres du conseil scientifique de l’as-sociation « Sauvons Le Climat ».2) DGEMP : Direction générale de l’énergieet des matières premières.

FIG.2 : LE SCÉNARIO NÉGATEP

FIG.3 : LA PRODUCTION ÉLECTRIQUE EN TWH

k : kilo (mille) ;t : tera (mille milliards) ;G : giga (milliard) ;M : mega (million) ;kWh : kilo watt heure, quantité d’électricitéproduite pendant une heure par une puissance de 1 kW ;W : Watt, unité de puissance électrique ;

1 tWh : mille milliards de Wh, un réacteur de 1000 MW de puissance produit chaque annéeenviron 8 tWh ;ordre de grandeur : un réacteur de type EPR fournitl’équivalent de la consommation électrique des deux millions d’habitants de Paris intra-muros (pendant 60 ans)

PETIT LEXIQUE

JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

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UNE NOUVELLE COOPÉRATION ÉNERGÉTIQUE MONDIALE La construction d’un droit universel à l’énergie, qui devra être le plus « décarboné » possible,implique de renverser les logiques qui régissent actuellement l’accès et le partage des ressourcesénergétiques, la production et la distribution de l’énergie.

PAR ANDRÉ CHASSAIGNE*

La trajectoire des émissions actuellesde gaz à effet de serre (GES) vientvalider une hypothèse de hausse de

la température moyenne, à l’échelle duglobe, plus proche des + 4°C d’ici 2100que des + 2°C prônés par le GIEC pouréviter le risque d’emballement clima-tique et d’effets non maîtrisables. Nonseulement cette situation place les paysles plus émetteurs de GES face à leursresponsabilités à agir pour une décrois-sance rapide de leurs émissions, maiselle impose aussi de porter une atten-tion spécifique aux enjeux énergétiques,notamment le développement et la réali-sation d’un véritable droit universel àl’énergie permettant de satisfaire lesbesoins humains les plus fondamentauxdans les pays du Sud. La constructionde ce droit à l’énergie, qui devra être leplus « décarboné » possible, implique derenverser les logiques qui régissent

actuellement l’accès et le partage desressources énergétiques, la productionet la distribution de l’énergie.Soyons explicites lorsque nous présen-tons un tel enjeu : il s’agit de considérerl’énergie et l’accès à l’énergie comme un« bien commun » de l’humanité. Il s’agitdonc de dépasser progressivement lesliens de domination économique et poli-tique, voire militaires, souvent historiques,qui se sont construits autour de l’accèsaux ressources énergétiques, à la produc-tion et à la distribution d’énergie, pourleur substituer une entreprise de coopé-ration énergétique mondiale, avec desdéclinaisons régionales et infra-régionales.Et il s’agit pour cela de placer les intérêtssociaux et environnementaux des peuplesavant les intérêts particuliers capitalisteset leurs traductions en termes de compé-tition internationale dans ce secteur stra-tégique. Bien évidemment, l’impulsionvers cette nouvelle coopération énergé-tique ne peut s’affranchir des réalités.

UNE MOSAÏQUE INSTITUTIONNELLE D’une part, certains pays ont la chancede disposer de ressources énergétiquestrès abondantes tandis que d’autres sontaujourd’hui largement tributaires desimportations. Des pays émergents voientleur demande d’énergie par habitantcroître très fortement, avec une crois-sance économique soutenue fondée surl’extension du capitalisme mondialisé.Enfin, un très grand nombre de paysrestent dépendants de sources d’énergietraditionnelles pour satisfaire les besoinsd’une grande part de leur population.D’autre part, il existe aujourd’hui unemultitude d’institutions plus ou moinsspécialisées : Organisation des paysexportateurs de pétrole (OPEP), Agenceinternationale de l’énergie (AIE), Agenceinternationale de l’énergie atomique(AIEA), traité de la Charte de l’énergie…Toutes ont été créées pour répondreavant tout aux intérêts de puissance etde domination des États dans l’accès à

4 URGENCES  :

l lancer un programme national de rénovation thermiquede l’habitat  ;

l rééquilibrer l’usage des transports en favorisant les moinspolluants  ;

l mener de pair réindustrialisation et planification écolo-gique  ;

l engager un développement massif et diversifié des éner-gies renouvelables.

Une exigence  : sécuriser le nucléaire dont le recours reste pourle moment nécessaire dans un mix énergétique rééquilibré.

3 CONDITIONS  :

l assurer la maîtrise publique de l’ensemble du secteurénergétique  ;

l programmer un effort de recherche massif dans toutes lesdirections  ;

l garantir des financements importants et pérennes pourréussir cette transition énergétique.

10 PRINCIPES :

1. L’énergie, un droit universel2. Un impératif  absolu : sortir des énergies carbo-

nées3. Un plan national pour l’efficacité énergétique

dans l’habitat4. Une politique nationale des transports favori-

sant le recul de l'utilisation des énergies carbo-nées

5. Une réindustrialisation écologiquement inno-vante

6. Un plan national cohérent et ambitieux de déve-loppement des énergies renouvelables nouvelles

7. Un nucléaire sécurisé, 100% public, dans un mixénergétique rééquilibré

8. Une condition expresse : la maîtrise publique9. Investir dans la recherche10. Garantir des financements pérennes

DIX PRINCIPES D’UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE RÉUSSIELES POSITIONS DU PCF SOUMISES AU DÉBAT

Un principe fondamental : garantir le droit universel à l'énergie et au développement.Un impératif immédiat : sortir des énergies carbonées fortement productrices de gaz à effet de serre.

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LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

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Lumiè res sur l'é nergie LE DOSSIER

PAR CLAUDE AUFORT*

L’énergie est le « sang » nécessaire audéveloppement des sociétés. Dansles pays développés, elle est incon-

testablement le socle sur lequel reposele fonctionnement du système technique.

NOTRE MONDE ÉNERGÉTIQUEPuisant sans relâche dans les matièrespremières contenues dans l'écorce terrestre,les Hommes ont acquis une puissancecapable de perturber les cycles planétaires,de bouleverser les équilibres de la biosphèreet de provoquer un réchauffement global

qui menace les organisations humaines.Nous entrons dans une nouvelle ère géolo-gique : l'Anthropocène.Pour limiter, réduire et retarder les boule-versements causés par le réchauffementclimatique (y compris le risque de guerre)annoncés par la communauté scientifiqueinternationale (le GIEC), les pays déve-loppés, premiers responsables de ceréchauffement, devraient au moins diviserpar quatre leurs émissions de gaz à effet deserre d'ici 2050. Ils devraient donc s'atta-cher à sortir rapidement de l'utilisation desénergies fossiles (charbon, pétrole et gaz)pour produire l'énergie. Cette sortie estd'autant plus indispensable que les éner-gies carbonées bon marché s'épuisent. Leslogiques capitalistes de régulation par lemarché font que leur prix va augmenterdans des proportions importantes. Cetteexigence devrait rendre solidaires tous leshabitants de la Terre. Or, à l'échelle de laplanète, le bilan actuel du protocole deKyoto relatif à la réduction des émissionsde gaz à effet de serre est très insuffisant,

voire inadapté, au vu de la gravité de la criseclimatique. L'évolution de la démographie mondiale(+3 milliards d'habitants vers la fin dusiècle) et la résorption des inégalitésénergétiques (monstrueuses notam-ment entre les États-Unis et l'Afrique)exigeront beaucoup d'énergie. Elle serad'autant plus nécessaire si nous voulonspar ailleurs que tous les peuples aientaccès à l'eau douce et qu'ils puissentmodifier leur mode de production afinde ne pas aggraver les déséquilibresécologiques terrestres. D'ici 2050, nousdevrons au moins doubler la produc-tion d'énergie sur la terre.Répondre aux besoins croissantsd'énergie dans un contexte de sortie desénergies carbonées demande de faireappel de manière nouvelle aux énergiesrenouvelables couplées avec celles del'atome tout en recherchant une meil-leure efficacité de l'énergie produite.Dans ce contexte mondial marqué aussipar l'accident de Fukushima en 2011,des questions essentielles se posent.Faut-il abandonner le nucléaire le plusrapidement possible ou à terme ? Cet

l’énergie. D’autres organisations spécia-lisées ont émergé sur des enjeux précis,comme l’Agence internationale des éner-gies renouvelables (IRENA) ou le Parte-nariat international de coopération surl’efficacité énergétique (IPEEC). Enfin,les grandes organisations internationales(ONU avec la création de l’UN-Energy,mais aussi l’OMC et l’OTAN) cherchentà inclure les enjeux énergétiques dansleurs politiques. Cette véritable « mosaïque institution-nelle » ne permet pas de définir les orien-tations déterminantes pour conduire unautre avenir énergétique répondant auxenjeux d’un développement humaindurable.

LES ÉTAPES POUR UN DÉVELOPPEMENTHUMAIN DURABLEDans un premier temps, il apparaîtessentiel de favoriser le rapprochementde structures de coopération existantesmodifiées, comme un Conseil mondialde l’énergie remanié, et de favoriser lacréation d’une « organisation mondialede l’énergie » adossée au système desNations Unies. Ces structures, regrou-pant tous les pays et garantissant la voixde chacun d’eux, seraient chargées d’ar-rêter un certain nombre d’objectifsplanétaires contraignants, de contrôler

leur mise en œuvre et d’apporter un véri-table appui technique désintéressé etpermanent pour conseiller les pays duSud dans leurs choix énergétiques. Onpense bien évidemment au partage desconnaissances, des résultats de larecherche sur les énergies décarbonées,et à la diffusion des techniques. Mais ilfaut aussi pouvoir créer un cadre juri-dique suffisamment étoffé pourpermettre aux pays membres d’asseoirle caractère de « bien commun » desressources, en maîtrisant notammentleur exploitation dans l’intérêt despeuples et non dans celui des seulestransnationales de l’énergie du Nord.Cette nouvelle organisation de la coopé-ration énergétique mondiale doit égale-ment pouvoir bénéficier rapidement dela mise en place d’un Fonds interna-tional d’aide à la réalisation du droit àl’énergie décarbonée, doté de moyenssuffisants, et qui permettrait d’appuyerfortement les investissements vertueuxen direction des populations les plusvulnérables sur le plan énergétique.Comme je le soulignais dans une récenteproposition de résolution1 « alors queles contours de l’annonce d’un Fondsvert pour lutter contre le changementclimatique, à hauteur de 100 milliardsd’euros annuels en 2020, demeurent

flous et soumis à la définition denouvelles innovations financières parles grandes puissances, la France pour-rait proposer d’asseoir la constitutionde ce Fonds international sur la based’une contribution sur les ressourcesfinancières liées aux énergies fossiles (cequi inclut la distribution) et sur un enga-gement permanent des pays développés,assis en partie sur leurs niveaux d’émis-sions. »

Compte tenu des objectifs fondamen-taux que nous portons en matière dedroit à l’énergie, et des objectifs portéspar le GIEC dans la lutte contre leréchauffement climatique, de tellesmesures structurelles nous semblentprioritaires.

*André Chassaigne est député PCF du Puy-de-Dôme, président du groupe Front degauche Auvergne.

1) Proposition de résolution au titre de l’ar-ticle 34-1 de la Constitution (n°3815) sur lesengagements internationaux à tenir enmatière de réduction des émissions de gaz àeffet de serre dans le cadre de la prépara-tion de la Conférence de Durban (CoP 17),déposée le 14 octobre 2011 à l’Assembléenationale. Disponible sur : http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3815.asp

LE TOURNANT ÉNERGÉTIQUE Les organisations humaines sedéveloppent dans un monde fininotamment du point de vue desressou rces fossiles, les besoinsurgents en énergie doivent prendreen compte des contraintes inéditeset des risques inquiétants.

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abandon est-il possible, voire souhai-table ? Quelle est la nature de ce nouveaumix énergétique et les problèmes qu'ilpose ? Une seule chose est certaine :l'énergie parfaite, n'ayant que des avan-tages et aucun inconvénient, n'existe pas. Les choix qui doivent être faits appartien-nent à chaque peuple. Les indispensa-bles débats qui doivent précéder les déci-sions doivent permettre à chaque citoyend'être informé de tous ces enjeux. Dansce contexte, le rôle des techniciens et desscientifiques est essentiel. Ces débats sontd'actualité dans tous les pays du monde.Sur ces choix, je partage avec beaucoupd'autres scientifiques une inquiétude. Siun grand nombre de peuples rejetait lesénergies de l'atome, il serait illusoiremalgré leurs grandes potentialités, deconsidérer que les énergies renouvelables,qui sont diffuses et intermittentes, pour-raient répondre aux besoins mondiaux.Si ce rejet s'amplifiait, les peuples pour-raient connaître la pire des situations :celle de la pénurie d'énergie. Elle relan-cerait l'appel aux énergies fossiles enrenforçant ainsi le réchauffement clima-tique. Les coûts de ces énergies croîtraientd'autant plus. Elle serait la cause de gravestensions internationales pouvant conduireà la guerre. C'est le risque le plus impor-tant qu'il convient d'éviter à tout prix.

UNE EUROPE ÉNERGÉTIQUE FRAGILE ET INCOHÉRENTEUn premier constat s'impose à l'Europe.Elle est pratiquement totalementdépourvue de ressources en gaz et enpétrole. La seule ressource énergétiquede l'Union est le charbon (principale-ment en Allemagne et en Pologne) (fig1). C'est malheureusement la pluspolluante en émissions de gaz à effet deserre (CO2). Un deuxième constat carac-térise l'Union. Le projet d'une Europeénergétique cohérente et stable est entrain de s'effondrer du fait des boulever-sements géopolitiques et des coups deboutoir d'une crise du capitalismeexacerbée par les logiques de la concur-rence libre et non faussée. Cette impuissance face à l'incohérencese retrouve dans la directive européennesur l'énergie. Elle préconise trois orien-tations non contraignantes qui sont abor-dées de manière indépendante, alorsqu'en réalité, elles sont étroitement liéesentre elles, voire antinomiques :- obtenir d'ici 2020 une augmentation de20% de l'efficacité énergétique,- réduire de 20% les émissions de CO2, - aller vers les 20% d'énergies renouve-lables.

LE CHOIX POLITIQUE MAJEURRÉCENT D'ANGELA MERKEL Certains pays de l'Union ont fait lechoix de conserver les énergies del'atome (France, Grande-Bretagne, Lespays nordiques, République tchèque,Hongrie...). Il convient de souligner àcet égard, le cas particulier de la Suèdequi a décidé en 1980, par référendum,de sortir du nucléaire en 30 ans.Aujourd'hui la Suède n'a arrêté qu'unseul de ses réacteurs sur les douzequ'elle exploite et elle relance lenucléaire. D'autres ont fait le choix del'abandon du nucléaire (Allemagne,Italie, Autriche, Espagne...). La décision allemande intervenue bru-talement à la suite de l'accident deFukushima, sans concertation au seinde l'Europe, représente un tournanténergétique sans précédent. La sortiedéfinitive du nucléaire fixée en 2022s'est concrétisée par la fermetureimmédiate de 8 centrales et l'arrêt pro-gressif des 9 restantes. Cette orientationamène le gouvernement allemand àdévelopper de manière urgente lesénergies renouvelables et le renforce-ment du réseau électrique. Les objectifsde l'Allemagne sont que la part desénergies renouvelables dans laconsommation globale d'électricitésoit de 35% en 2020, 50% en 2030, 65%en 2040 et 80% en 2050. Dans cette aug-mentation, l'énergie éolienne joue unrôle central. Cette stratégie a plusieurs consé-quences. Elle suppose un accroisse-ment important des capacités de trans-port des réseaux électriques allemandspour acheminer l'électricité des éolien -nes off-shore de la mer du Nord et de laBaltique vers les utilisateurs situés ausud de l'Allemagne. Plus largement etpour les mêmes raisons, en accord avecles orientations de la directive euro-

péenne privilégiant les énergies renou-velables, l'Europe doit accroître lescapacités de transports de l'électricitéentre les pays. Les frontières étatiquessont actuellement des goulots d'étran-glement électrique (fig. 2). Ces évolu-tions représentent un coût de plusieursmilliards d'euros (qui paiera ?) et doi-vent nécessairement être soumises audébat public puisque dans ces condi-tions le réseau national pourrait deve-nir un réseau de transit prioritaire entrel'offre éolienne du Sud et la demandeélectrique du nord de l'Europe. Elle suppose à moyen terme la mise enservice de centrales au gaz et au char-bon (donc aggravant le réchauffementclimatique car le captage et le stockagedu CO2 ne sont pas encore opération-nels) pour combler les insuffisances dela période de transition et compenserles fluctuations inhérentes à l'énergieéolienne et solaire. Ce faisant, en plusd'une augmentation importante desémissions de gaz à effet de serre, cettestratégie entraîne une dépendanceaccrue de l'Europe au gaz russe ; est-cevraiment souhaitable ?Personne ne peut dire aujourd'hui si letournant énergétique allemand réus-sira et à quel coût. Pour certains, cetournant est comparable au projet spa-tial lunaire : la seule différence est quele pays entier est transformé en labora-toire de recherche1.L'Europe a besoin d'une vision d'ave-nir, répondant aux attentes et auxbesoins sociaux des peuples. Il estnécessaire de faire converger les écono-mies, les finances, les budgets, sur unnouveau mode de développementfondé sur les options d'efficacité éco-nomique, financière, sociale et écolo-gique, sur des solidarités intereuro-péennes afin de combler les disparitésrégionales et les inégalités importantes, > SUITE

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RESSOURCES DE L'EUROPE PAR RAPPORT À CELLES DU RESTE DU MONDEFIG. 1

Réserves d'énergies mondiales

Charb

onpé

trole

gaz

AMÉRIQUE DUSUD ET CENTRALE

AMÉRIQUE DU NORD

AFRIQUE

EUROPE

ASIEEX-UNION SOVIÉTIQUE

MOYEN-ORIENT

(en milliards de tonnes équivalent pétrole)

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LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

LE DOSSIER Lumiè res sur l'é nergie

tout en favorisant partout la justice etle progrès social, l'emploi qualifié, laformation, les services publics. Seul ledéveloppement des services publics del'énergie dans les pays européens estsusceptible de favoriser cette difficileconvergence.

LES ATOUTS DE LA FRANCE Dans ce débat mondial et européen,notre pays a des atouts qui peuventl'aider à sortir de la crise tout en restantsolidaire du reste du monde, c'est-à-diresans s'enfermer dans une perspectiveégocentrique nationale. En prenant en compte le nécessaire effortde recherche à faire en direction de l'amé-lioration de l'efficacité énergétiquenotamment dans l'habitat et le dévelop-pement des énergies renouvelables, nouspouvons ajouter aux 400 000 emplois dunucléaire tous ceux relatifs à ces deuxorientations à condition d'avoir une poli-tique de réindustrialisation de notre paysdans tous les domaines de l'énergie. Enpréservant notre atout principal, lenucléaire, nous préservons l'énergie qui,de par son coût bas, permet de concré-tiser le droit à l'énergie pour tous et selibérer du yo-yo des marchés internatio-naux des énergies fossiles. Nos réservesde combustibles fissiles et fertiles et lestockage possible de ce combustible pourplusieurs années de consommationnous mettent à l'abri des marchés. Parailleurs, si le risque d'accident nucléaireest réel et grave, l'expérience françaisemontre qu'il est maîtrisable pourvu qu'ilsoit géré par un secteur public démocra-tisé et rénové, contrôlé par des structuresscientifiques et techniques indépen-dantes des pouvoirs politiques. Pourpréserver la sécurité des peuples quelsqu'ils soient face au risque d'accidentnucléaire grave, notre pays a-t-il intérêtà faire disparaître cette expérience posi-tive de sécurité en abandonnant ses acti-vités nucléaires alors que la plupart desgrands pays émergents (Chine, Inde,Brésil, Russie, Nigéria...) et des pays déve-loppés (États-Unis, France, Grande-Bretagne...) ont confirmé leurs orienta-tions nucléaires après l'accident deFukushima ? Mais notre actuelle dépendance vis-à-vis du pétrole (notamment les transports)et du gaz doit nous amener à envisagerle changement et maîtriser la transitionqu'il entraîne.En rapport avec les contraintes clima-tiques mondiales, nous devons diviserpar quatre, d'ici 2050, nos émissions degaz à effet de serre (gaz carbonique), ce

qui implique à peu de chose près, dediviser par quatre notre consommation decombustibles fossiles. Outre les économiesd'énergie, sans lesquelles le « facteur 4 »serait illusoire, il nous faut2 :- supprimer le pétrole et le gaz dans l'ha-bitat (résidentiel et tertiaire). C'estpossible en combinant, isolation efficace,énergies renouvelables pour la produc-tion de chaleur (pompes à chaleur) etélectricité maîtrisée, - réduire le pétrole pour les transports aumoyen d'une double mutation : decomportement en repensant la mobilité(transports en commun, fret), technolo-gique en remplaçant le pétrole par l'élec-tricité (dans les véhicules hybrides rechar-geables ou/et électriques) soit avec lesbiocarburants,- limiter efficacement les combustiblesfossiles dans l'industrie ce qui exige demodifier les procédés en engageant desinvestissements lourds,- augmenter la part de l'électricité dansle mix énergétique à partir du nucléaireet ajuster la part de production électriquedes énergies renouvelables en fonctiondes progrès de la recherche sur lestockage de l'électricité et la méthana-tion (production de méthane CH4 à partirdu CO2 et de l'hydrogène) et/ou la réali-sation de STEP3 pour respecter lescontraintes dues au réseau électrique. Le risque lié à l'éventuel abandon dunucléaire est triple : ne pas atteindre lesobjectifs de protection du climat, aggraverles effets de la crise sur les plus défavoriséspar l'accroissement des coûts du kWh etse retrouver très dépendants des produc-teurs de gaz naturel (dont la Russie).La tâche qui est devant nous est ardue.Mais, intégrée dans une planificationécologique qui nous conduit vers d'au-tres modes de production respectueux

des équilibres écologiques, animée parun pôle énergétique où tous les acteursde l'énergie seront représentés (y comprisles salariés et les citoyens), nous pour-rons dans ces conditions retrouver laconfiance des citoyens dans les bienfaitsdu progrès scientifique et technique.Cette orientation nécessite deux compo-santes importantes : une politique indus-trielle en harmonie avec ce changementconduite par un secteur public impor-tant, rénové et un effort de recherche sansprécédent dans tous les domaines (lestockage de l'électricité, la génération IVdu nucléaire, la fusion, le photovoltaïque,la géothermie, le stockage et la séques-tration du CO2, les matériaux...).Cette transition sera longue. Dans undomaine particulier, celui de l'énergie,chacun doit apporter ce qu'il peut pouréclairer l'avenir de la planète et deshommes. Quels nouveaux rapports doit-on inventer entre la réalité terrestre et lesformes sociales actuelles permises parl'évolution des techniques ? Noussommes convaincus qu'il faut mettre enœuvre ces nouveaux rapports. C'est cechangement de civilisation qu'il convientde maîtriser. n

*Claude Aufort est chercheur, ancien admi-nistrateur du CEA.

1) Voir l'article du vice-président de RWE-Power dans Revue Générale Nucléaire, sep-tembre-octobre 2011.2) Voir à ce sujet les travaux des scientifiquesde l'Association Sauvons le Climat et leurproposition stratégique Négatep sur le siteInternet www.sauvonsleclimat.fr3) Il s'agit de stations de pompage capablesde délivrer des puissances de plusieurs mil-liers de MW grâce à l'eau retenue dans desréservoirs, déversée au moment voulu sur desturbines. Par exemple le barrage deGrand'Maison dans l'Isère a cette fonction.

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LIGNES D'INTERCONNEXION À DÉVELOPPER EN EUROPEFIG.2

Nous réaffirmons l'exigence de lamaîtrise publique, sociale et démo-cratique du secteur de l'énergie, seule

garante de la transparence, de l'indépen-dance de l'expertise et de la qualité desinstallations et des exploitations. Nouscréerons un pôle 100% public de l’énergiecomprenant EDF, GDF, Areva et Totalrenationalisé. Ses salariés seront tous sousle même statut. Ils et elles seront associésétroitement aux choix de gestion de l’en-treprise publique, et leur liberté d’expres-sion sera garantie. Les citoyens serontégalement associés à la direction de cepôle. Nous agirons pour la création d’untel pôle public au plan européen. Nousproposerons un débat public nationalimmédiat sur la politique énergétique enFrance. Ce grand débat devra permettrela remise à plat des choix énergétiques etdu nucléaire et préparer le remplacementde énergies fossiles. Il se déroulera souscontrôle citoyen de l’information jusqu’àla prise de décision et se terminera par unréférendum. Dans le domaine du

nucléaire civil, l’ensemble des possibi-lités – dont la sortie du nucléaire ou lemaintien d’un nucléaire sécurisé et public– sera alors tranché. Aucun choix défi-nitif en matière de politique énergétiquene sera effectué avant la conclusion dece grand débat public. Sans attendre, laréinternalisation de toutes les opérationsde maintenance et de sureté nucléairesera engagée. Nous mettrons en place unetarification sociale et progressive quiassure l’accès à l’énergie de toutes et detous. Nous mettrons fin aux coupuresd’électricité qui se multiplient aux dépensdes plus pauvres. Nous programmerons les investissementspublics, les emplois et les formationsnécessaires à la sobriété, à l’efficacitéénergétique et à la diversification dessources d’énergie, notamment en faveurdes énergies renouvelables. Nous mettronsen place les procédures nécessaires auxdiagnostics de sécurité, de préservationde la planète et de notre environnement.La nécessaire réduction des consomma-

tions ne peut conduire à réduire le niveaude vie des classes populaires. C’est lasobriété énergétique que nous visons :moins de consommation pour des usagesidentiques. Ce sont les gaspillages osten-tatoires des très riches qu’il faut combattre.Nous abrogerons les lois de libéralisationde l’énergie. Nous lancerons un réseaude géothermie profonde. Nous engage-rons un effort massif en faveur de larecherche, des filières technologiques etindustrielles, des investissements, de laformation pour le développement desénergies renouvelables et leur utilisationpublique ainsi que pour le traitement desdéchets issus de la filière nucléaire. Nousmettrons en place un plan national deremise aux normes énergétiques des loge-ments et de l’ensemble des bâtimentspublics. Nous créerons pour les particu-liers une allocation sur condition deressources pour financer la rénovationthermique des logements.

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JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

Extrait du programme du Front de gauche

Des choix énergétiques sous contrôle citoyen

0

4550

40

10 0

70

25 0

20

5560

50

150 150

100

charbon gaz nucléaire biomasse eolien photovoltaique hydraulique

de l'électricité en euro/MWh)

Source : DGEC 2008 « coût de référence de production de l'électricité »

Coût production sortie de centrale

Estimation basse

Estimation haute

COÛT PRODUCTION ÉLECTRICITÉ300

250

200

150

100

50

Pour le charbon, le gaz et le nucléaire, le rapport (DGEC 2008) ne donne que des coûts relatifs sur une base 100 pour le nucléaire. Les prix ont donc été calculé en partant des tarifs de 40-50 pour le nucléaire .

D’ IDÉES

LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

COM

BAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

Par GÉRARD STREIFF

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LES ANNÉES 80, L’ALGÉRIE ET LE POLARIl faut attendre le milieu des années 80pour que cet enjeu ressurgisse, notam-ment par le biais du polar. Meurtres pourmémoire de Didier Daeninckx, en 1984,marque un tournant, il aborde enfin l'épi-sode de la manifestation des Algériens deParis d'octobre 1961, par exemple. Un temps,seuls les auteurs de ce (mauvais) genre litté-raire ont continué de creuser le sillon :François Muratet et Pieds rouges ; LakhdarBelaïd et  Serial killers ; Catherine Simonet Un baiser sans moustache ; YasminaKhadra ; Maurice Attia et Alger la noire,jusqu'à l'excellent Antonin Varenne etLe mur, le kabyle et le marin (VivianeHamy), au printemps 2011.

LE RETOUR DE L'ALGÉRIE DANS LA LITTÉRATURE « BLANCHE » Celui-ci est beaucoup plus récent. On neprétend pas ici être exhaustif, quelquesromans « critiques » ont évoqué cet enjeuau fil du temps — sans parler d'une litté-rature de nostalgie coloniale — mais l'échoen restait feutré ; la question coloniale,et algérienne, ne s'est invitée « en grand »dans le roman que ces toutes dernièresannées, après donc un très long purga-toire. Disons que ce sujet s'impose avecforce depuis cinq ou six ans. Pourquoi à cemoment-là, précisément ? Serait-ce uneréaction, même inconsciente, d'auteurs àl'offensive conservatrice menée alors surles bienfaits de la colonisation ou à la bana-lisation des nouvelles guerres coloniales(Kaboul, Bagdad ou Tripoli) ? En 2008,Mathieu Belezi frappe un grand coup avecC'était notre terre (Albin Michel). Dansun entretien avec le critique Jean-ClaudeLebrun, il note : «  Il y a ce constat, à lafois accablant et terrible, que la littéra-ture française contemporaine n'a jamais

voulu, ou jamais eu le courage, d'aborderde front les cent trente années d'occu-pation d'un pays colonisé à coups desabre, de chassepot et d'enfumage. […]Que les écrivains français aient à ce pointignoré le sujet, j'avoue ne pas comprendre.Peut-être ont-ils craint les représaillesde cette fratrie intellectuelle parisiennequi entretient le mythe d'une colonisa-tion généreuse et civilisatrice ». Le romande Belezi, Polyphonique, utilise les voixde plusieurs membres d'une même famillede colons ; ainsi il redonne vie tout à lafois à la douceur de l'existence des possé-dants, à l'humiliation imposée à un peuple,à l'impasse où conduit une dominationbornée, à la montée des violences, à laguerre qui ne dit pas son nom, au déchaî-nement de terreur. Il est tour à tour mèreobstinée, père jouisseur, fils révolté, fillenostalgique ou encore l'employée qui seconfond avec les meubles, il fait vibrerla faune et la flore et nous fait entrer,avec un talent inouï, dans cette Algériequi a sombré.Peu après, avec Laurent Mauvignier etDes hommes, (Minuit, 2009), on oscilleentre le Loiret, aujourd'hui, où les person-nages (Rabut, Solange, Bernard) sontencore travaillés par le passé algérien etle fracas de la guerre, quarante ans plustôt, où Rabut et Bernard, soldats cettefois, crapahutent, tuent, ont peur, s'en-nuient, draguent, attendent. Un proposviolent, sec, cruel et des pages finalessublimes — on est en 1962 —, où se mêlentla joie algérienne, la panique pied noire,la folie OAS, l'abandon des harkis, la mortet la fête. Un roman dur sur le temps quine guérit rien, où il n'y a pas vraimentde braves mecs ni de sales types maisdes gens dépassés par les événements.Avec Jérôme Ferrari,  Où j’ai laissé mon

Le sujet « guerre d'Algérie » s'impose, depuis peu, dans la littérature. Le dernier Goncourt en est un bon exemple. Mais longtemps, les lettres fran-çaises se sont tues. Des silences et des mots qui en disent long sur l'imaginairenational.

eux mille douze sera aussi,un peu, l'année de l'Algérie. On célèbre,après le cinquantenaire de Charonne enfévrier, le demi-siècle de la signature, enmars, des accords d'Évian, prélude à lafin des combats puis à l'indépendancealgérienne. De nombreuses publicationssortent ou sont annoncées, livres d'his-toire, essais, biographies et on lira avecintérêt les nouveaux commentaires deBenjamin Stora. Mais dans le cadre decet article, on voudrait se limiter au seuldomaine de la fiction. On remarque eneffet que le sujet «  guerre d'Algérie  »s'impose, depuis peu, dans la littérature.Le dernier Goncourt en est un bonexemple. Mais longtemps, les lettres fran-çaises se sont tues. Des silences et desmots qui en disent long sur l'imaginairenational. L’Algérie a longtemps été unsujet tabou, de manière générale et auplan de la littérature en particulier. Certes,durant les «  événements  », paraissentdes œuvres magistrales, le récit de HenriAlleg, La question, par exemple, rapide-ment censuré. Mais après 1962, le sujetest peu abordé, il est quasiment absentdes librairies. Il est fréquent, après untraumatisme, que les bouches se ferment :le psychiatre communiste Bernard Siggétablit un diagnostic pertinent dans sonessai,  Le silence et la honte, Névrosesde la guerre d'Algérie  (Editions sociales,1989). 1968 donne l'impression de passerà autre chose.

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Le roman de l’Algérie

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JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

âme (Actes Sud, 2010), on assiste auface à face entre le capitaine AndréDegorce et le lieutenant Horace Andréani ;ils se sont connus en Indochine. Degorce,l'aîné, le résistant déporté, est le modèled'Andréani. Mais, en ce mois de mars1957, à Alger, ce sont eux les bourreaux.On les suit, trois jours durant, de l'arres-tation de Tahar, un chef de l'ALN (Armée

de libération nationale) à sa mort. Lesdeux soldats torturent (des Algériens maisaussi des militants français solidaires dela cause algérienne) mais ils s'arrangentdifféremment avec leur conscience : le lieu-tenant assume, il y voit un mal nécessaire,il exécute les ordres ; le capitaine se tour-mente, se ment, cherche une absolutionbiblique. L'angoissé fera carrière et l'im-

pulsif se retrouvera à l'OAS puis en prison.Dans ce texte qui s’interroge sur la fron-tière entre bien et mal, et où « l’enfer s’in-vite sur terre », l'écriture est inspirée, lalangue sublime. L'art français de la guerre d'Alexis Jenni(Gallimard, 20011) marque en quelquesorte une nouvelle étape dans cette réap-propriation tardive, progressive, du passéalgérien. Ce gros roman, plus de 600pages, s'impose dès la rentrée littéraire2011 et il reçoit, un peu comme uneévidence, le prix Goncourt. Le journal LeMonde, qui dit assez bien un air du temps,écrit qu'il s'agit d'«une réflexion complexeet profonde sur la pourriture coloniale etsa manière d'infecter la société française ».Le livre est une sorte d'histoire de Franceà travers ses guerres coloniales (Indo-chine, Algérie), entrecoupée de « commen-taires  » où le narrateur, lyonnais d'au-jourd'hui, s'interroge sur la crise de la viepublique, les débats sur la banlieue, lesraces, la sécurité, l'espèce de guerre civilelarvée que jouent certains ultras. Un textesplendide, une langue impeccable, uneapproche réaliste. L'auteur dit ne pasvouloir « se contenter de décrire le mondemais le réinventer afin de le rendre vivable.Après tout, la littérature permet deraconter une histoire commune ».n

L'ART FRANÇAIS DE LA GUERRE,Le départ pour le Golfe des Spahis de Valence.Les débuts de 1991 furent marqués par les préparatifs de la guerre du Golfe etles progrès de ma totale irresponsabilité. La neige recouvrit tout, bloquant lestrains, étouffant les sons. Dans le Golfe heureusement la température avaitbaissé, les soldats cuisaient moins que l’été où ils s’arrosaient d’eau, torse nu,sans enlever leurs lunettes de soleil. Oh ! ces beaux soldats de l’été, dontpresque aucun ne mourut ! Ils vidaient sur leur tête des bouteilles entièresdont l’eau s’évaporait sans atteindre le sol, ruisselant sur leur peau et s’évapo-rant aussitôt, formant autour de leur corps athlétique une mandorle de vapeurparcourue d’arcs-en-ciel. Seize litres ! devaient-ils boire chaque jour, les soldatsde l’été, seize litres ! tellement ils transpiraient sous leur équipement dans cetendroit du monde où l’ombre n’existe pas. Seize litres! La télévision colportaitdes chiffres et les chiffres se fixaient comme se fixent toujours les chiffres :précisément. La rumeur colportait des chiffres que l’on se répétait avant l’as-saut. Car il allait être donné, cet assaut contre la quatrième armée du monde,l’Invincible Armée Occidentale allait s’ébranler, bientôt, et en face les Irakienss’enterraient derrière des barbelés enroulés serré, derrière des mines sau-teuses et des clous rouillés, derrière des tranchées pleines de pétrole qu’ilsenflammeraient au dernier moment, car ils en avaient, du pétrole, à ne plussavoir qu’en faire, eux. La télévision donnait des détails, toujours précis, onfouillait les archives au hasard.  »

Alexis Jenni, Gallimard.

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Une enquête CSA - CCFD Terre solidaire(octobre 2011) montre que plus de huit

Français sur dix jugent inefficaces les« mesures » du pouvoir contre les paradisfiscaux ; ils sont 64% à ne pas faireconfiance à ce même pouvoir pour menercette lutte. L'autre enseignement de cetteenquête, c'est que les sondés « font le lienentre l'existence des paradis fiscaux et lacrise », note le responsable du CCFD Terresolidaire. Les trois quarts estiment néces-saire leur interdiction et expriment uneforte volonté de transparence «  contre unsystème jugé illégal au bénéfice des multi-nationales et des riches  » écrit le journalLa Croix. À 70%, ils souhaitent qu'on obligeles multinationales à rendre publics lesbénéfices partout où elles sont présentes.Ils voient dans la lutte contre l'évasionfiscale un bon moyen pour augmenter lesrecettes (83%) et réduire les déficitspublics. À 70%, ils attendent des candi-dats à la présidentielle qu'ils se saisissentde ce dossier.

Paradis fiscaux, Français pas dupes

Page réalisée par GÉRARD STREIFF

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Appel pour une reconquête de la fonction publique*

Sous l’action de la Révision générale despolitiques publiques (RGPP), avec le non-remplacement d’un fonctionnaire surdeux partant à la retraite, la généralisa-tion du nouveau management public(NMP) et les restructurations destruc-trices, la fonction publique est de moinsen moins en mesure d’assurer sesmissions de service public en réponseaux attentes des citoyens. Les servicespublics sont progressivement et profon-dément déstabilisés et certains territoiresen sont désormais dépourvus. Tous lespans de la fonction publique sont touchés :l’État, l’hospitalière et la territoriale. Lesservices de proximité de l’État sontréduits à leur plus simple expression. Laréforme des collectivités organise unremodelage institutionnel complet pourpromouvoir la compétitivité des terri-toires. L’existence de la commune estmenacée au profit d’intercommunalitéimposée autoritairement par l’État. Elleintroduit de grandes inégalités entre lesmétropoles et les zones délaissées(rurales, banlieues). La loi hôpital patientsanté territoire (HPST) introduit unelogique marchande dans la santé avec laremise en cause des structures hospita-lières de proximité. Le gouvernement actuel oppose la popu-lation aux fonctionnaires, en les désignantcomme des boucs émissaires (ex du jourde carence instauré en cas de maladie…)alors que ceux-ci vivent en plein la poli-tique de régression sociale. La dette sert deprétexte pour justifier le gel des salaires, lanon revalorisation du minimum fonctionpublique qui conduit à l'écrasement de lagrille de rémunération. Pour la reconquête de la fonctionpublique, un gouvernement de gauchearrivant au pouvoir en 2012 doit stopperimmédiatement la révision générale despolitiques publiques (RGPP), remplacerchacun des départs en retraite, engagerun plan d’urgence pour créer lesemplois dans les secteurs où les besoinssont les plus criants. Le rôle et la placede la fonction publique, comme facteurde développement des services publics,répondant de façon durable auxbesoins de la population, doivent êtreréaffirmés par des mesures législatives,après débat public.

1ER AXE : PROMOUVOIR UNE FONCTIONPUBLIQUE POUR LES CITOYENS SUR TOUTLE TERRITOIRELa fonction publique doit être au servicede l’intérêt général et se dégager de toutintérêt partisan. Elle doit être garante durespect de la mise en œuvre des droitsfondamentaux du citoyen, au travers dufonctionnement du service public :éducation, santé, justice, culture, sécu-rité, énergie, communication, transports.Elle doit répondre aux nouveaux besoinsqui s’expriment (petite enfance, dépen-dance…). Ceux-ci doivent être placéshors du champ de la concurrence etconduire à la création de nouveauxservices publics. Elle participe au bien-être de chacun, au travers des principesrépublicains, qui fondent son action etqui seront réaffirmés : l’égalité de traite-ment, la continuité du service rendu, lasolidarité, la laïcité. En application de cesprincipes, son action est définie dans uncadre national et déclinée aux différentsniveaux institutionnels, de l'État central,jusqu'au niveau départemental et descollectivités territoriales.

2e AXE : REVALORISER LA FONCTIONPUBLIQUE, DES FONCTIONNAIRES À LA DIGNITÉ RETROUVÉE Cette revalorisation doit prendre appuisur les capacités et l’intelligence humaines,sur des objectifs de qualité du travail etnon sur un management par objectifquantitatif fondé sur la concurrence.Cela passe par la reconnaissance et larevalorisation des métiers de la fonctionpublique avec un plan pluriannuel dereconstruction de la grille de qualifica-tion avec l’augmentation du point d’in-dice. Cette revalorisation doit s'accompa-gner d'une amélioration des déroulementsde carrière en s’appuyant sur la promotionsociale et en développant des programmesde formation professionnelle.Les garanties statutaires doivent être réaf-firmées et renforcées avec un plan detitularisation des 870 000 précaires de lafonction publique. Ces garanties condi-tionnent l'indépendance du fonction-naire face aux lobbies de toute nature etnotamment les pressions politiques oucelle d’intérêts financiers.

Cet appel est une adresse du Front de gauche aux fonctionnaires, agents publics, comme à tous les citoyens pourdébattre largement de propositions alternatives à la politique libérale dans la fonction publique, pour enrichir leprogramme du Front de gauche. C’est une invitation à le faire connaître dans les assemblées citoyennes, à s’enemparer dans l’ensemble des territoires et à l’enrichir. Un atelier législatif aura lieu le 7 mars 2012 à Paris.

LE PROGR A MME DU EN DÉBAT

3e AXE : DÉMOCRATISER LA FONCTION PUBLIQUE Un grand débat public avec les citoyensdoit s’engager sur les besoins et lesmoyens humains et financiers de les satis-faire, en se donnant les outils d’une véri-table démocratisation des servicespublics, tant pour les citoyens que pourles personnels et les élus. Le parlementqui a été marginalisé sur les décisionsfondamentales, concernant la fonctionpublique, comme la révision généraledes politiques publiques, doit retrouversa place. Les citoyens doivent pouvoir intervenirau sein de conseils de services publicsinstitués à tous les niveaux, national,régional, départemental, local. Cesconseils réuniront des représentants desusagers, des salariés, des élus et de l’État.Ils donneront leur avis sur tout projet d’or-ganisation de services publics (consé-quence pour la population) et sur leur fonc-tionnement. Cela doit inclure la possibilitéde révision de tout projet qui entraîneraitune régression du niveau de la qualité deservice public. Dans les services, des droits nouveauxseront reconnus au personnel en matièred'information et d'expression, au plusprès de la vie des services notamment enmatière d’organisation. Les nouvelles instances représentativesdu personnel (comités techniquesnotamment) doivent être dotées denouvelles prérogatives, moyens d'ex-pertise, possibilité de demander unnouvel examen d'un projet quand lamajorité des représentants des person-nels s’y oppose. Voici quelques grandspoints que nous souhaitons mettre endébat autour de nous, dans les servicespublics, dans les assemblées citoyennespour les porter comme projet alternatifaux politiques libérales que nous subis-sons depuis trop d’années. Si vous partagez ces orientations, nousvous appelons à signer cet appel et lediffuser. Nous vous appelons à débattreet enrichir ces propositions dans le cadred’un atelier législatif le mercredi 7 mars2012 à 19 H à l’École normale supérieure.Ce texte est publié sur www.placeau-peuple2012.fr

* Appel élaboré par des militants du Front de Gauche et des syndicalistes, à l’initiative du front de gauche du VIIe arrondissement de Pariscontact : Isabelle Mathurin, [email protected]

Contribution au partage et à l’échange autour de “L’humain d’abord”.

Des préoccupationsfondamentales pour notre société,jeunesse,éducation,pluralisme desmédias sont lesthèmes des notesprésentées ce mois-ci...

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NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

ÉCOLE

ÉVALUATION DES ENSEIGNANTS : LES ENJEUXD’UNE RÉFORMEL’évaluation individuelle occulte laresponsabilité collective, sociale etpolitique : il faut remarquer qu’aumoment même où le gouvernementveut mettre en place cette nouvelleévaluation, il cherche à détruire lesoutils de l’évaluation sociale despolitiques scolaires, en s’attaquantnotamment à la statistique publique.

Lors de ses vœux à la communauté éduca-tive, Nicolas Sarkozy a fait de la transfor-mation du métier d’enseignant l’un despoints forts de son programme. La réformede l’évaluation des enseignants est emblé-matique de cette transformation. Il s’agitde donner aux chefs d’établissement lepouvoir d’évaluer les enseignants sur labase d’un entretien individuel. L’évalua-tion par le corps indépendant des inspec-teurs, qui repose sur de réelles compé-tences disciplinaires et pédagogiques etse fonde sur une visite dans la classe, seraitainsi remplacée par une évaluation mana-gériale créatrice de nouvelles pressionshiérarchiques. En transformant le métier,ce sont les missions de l’école que la droiteveut changer.

MODE DE GOUVERNANCE PROPRE AUXENTREPRISES PRIVÉES Il s’agit d’abord d’imposer dans l’écoleun mode de gouvernance propre auxentreprises privées : l’enseignant est tenupour individuellement responsable desrésultats de ses élèves, et dans le mêmetemps, il est soumis à une pressionhiérarchique accrue et à des injonctionsde plus en plus autoritaires. L’évaluationindividuelle occulte la responsabilitécollective, sociale et politique : il fautremarquer qu’au moment même où legouvernement veut mettre en place cettenouvelle évaluation, il cherche à détruireles outils de l’évaluation sociale des poli-tiques scolaires, en s’attaquant notam-ment à la statistique publique.Il s’agit ensuite de minimiser le rôle de lapédagogie et des compétences discipli-naires dans le système éducatif. Laréforme est en parfaite cohérence avecla casse de la formation des enseignantsd’une part et avec la mise en place du« livret individuel de compétences » pourles élèves d’autre part : les processus d’ap-prentissage permettant d’acquérir une

maîtrise des savoirs transmis sontremplacés par l’évaluation permanentedes capacités de l’élève à exécuter uneconsigne. Tout cela permet de faire deséconomies, en faisant travailler plus lesenseignants : les pouvoirs nouveaux duchef d’établissement, la concurrenceentre les personnels et les établissements,sont autant d’outils pour obliger les ensei-gnants à accepter l’accroissement de leurcharge de travail ou la prise en charge denouvelles tâches, forcément au détrimentde la réussite de tous.François Hollande affirme que s’il gagneles élections présidentielles, il reviendrasur cette réforme. Mais commentcomprendre alors qu’il défende l’auto-nomie des établissements et la diversifi-cation des tâches des enseignants ? Toutesces mesures s’inscrivent dans un mêmeprojet. Pour redonner aux enseignantsla maîtrise de leur métier qui leurpermettra d’œuvrer à la réussite de tousles élèves, il faut renforcer le statut defonctionnaire d’État qui garantit la libertépédagogique, reconstruire une forma-tion initiale et continue ambitieuse,donner du temps aux enseignants pourréfléchir sur leurs pratiques et surtoutpas diversifier leurs tâches. n

MARINE ROUSSILLONresponsable du secteur école du PCF.

JEUNESSE

PERMETTRE AUX JEUNESDE PRENDRE EN MAINLEUR AVENIR Sous ce titre, le 5 décembre 2011,Marie George Buffet et le groupe desdéputés Front de Gauche ont déposéune proposition de loi cadre.

Cette proposition de loi a été construiteavec des organisations de jeunesse etcette loi-cadre , une première sur lesquestions de la jeunesse, aborde tousles domaines de la vie car les jeunes sontconfrontés massivement à une augmen-tation de la précarité dans leur quotidien(logement, emploi, formation/études,santé et même alimentation).C'est la tranche d'âge (18- 25 ans ) quisubit le plus les effets de la crise : la pluspauvre en revenus , la plus précariséedans le travail, les bas salaires, lechômage, les discriminations et les poli-tiques répressives…Au contraire des grands discours surl'avenir de la jeunesse ou des mesuresparcellaires, des mesures répressives ouen dehors du droit commun, il s'agit de

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découvrir l'entreprise et le poste de travailpour le jeune salarié, et d'une formationau droit du travail avec la participationdes organisations syndicales.

Le 4e chapitre traite de la sécurisationdes conditions de formation et d'emploi.Il s'agit de : • pénaliser les entreprises (plus de 20 sala-riés) qui favorisent l'emploi précaire avecune majoration des cotisations de 10%quand il y a plus de 20% d'emploisprécaires ;• donner des droits nouveaux aux comitésd'entreprise pour faire respecter la loiconcernant les stagiaires, les apprentis,• d'améliorer les conditions de travail desjeunes salariés, stagiaires et apprentis etde lutter contre les discriminations. Cetteproposition de loi-cadre déposée sur lebureau de l'Assemblée nationale ne seracertainement pas mise à l'ordre du jourpar la majorité actuelle mais elle existe, etcomme le dit Marie-George Buffet danssa présentation à la presse : « la balle estdans le camp des jeunes, de leurs organi-sations ». Faire connaître ce projet, endébattre, l'enrichir, le soutenir, et se battrepour le faire adopter par la future majo-rité est un enjeu pour véritablementdonner la priorité à l'avenir des jeunes. Dela parole aux actes, nous y sommes. n

ISABELLE DE ALMEIDAresponsable du secteur jeunesse du PCF.

MÉDIAS

URGENCE POUR LA PRESSEET LE PLURALISME !L’année 2012 restera sûrement dansles annales de l’histoire de la presse,comme une des pires années pourle pluralisme.

Pas un mois ne se passe sans que soientannoncés plans de restructuration, misesen liquidation judiciaire, rachats de titresaccompagnés de suppressions d’emploistouchant tout à la fois journalistes,ouvriers du livre, employés et cadres. Le pluralisme est malmené, l’outil indus-triel saccagé à travers les fermetures d’im-primeries et voilà qu’aujourd’hui c’est lesystème de distribution coopératif, misen place à la Libération, qui se trouvemenacé, sans parler de la mainmise dupouvoir sur l’audiovisuel public... Titre emblématique issu de la Résistance,France Soir a tiré le rideau sur sa versionpapier, pour ne laisser subsister qu’uneversion électronique dont la survie estloin d’être assurée faute de modèle

économique pérenne. La Tribune vitpeut-être ses derniers jours ne laissantsubsister en terme de quotidien écono-mique que Les Echos. Presstalis, quidistribue équitablement les quotidiensnationaux quel que soit leur nombred’exemplaires diffusés a vu un plan deredressement voté le 24 novembre, etaujourd’hui certains éditeurs menacentde résilier leur contrat (Le Point, Monda-dori) pour rejoindre les Messageries lyon-naises de presse qui se proposent dedistribuer aussi les quotidiens nationaux.Le Conseil supérieur des messageries depresse, garant de par la loi du respect desolidarité coopérative et des équilibreséconomiques du système collectif dedistribution de la presse, s’avère impuis-sant à réguler la profession. L’imprimeriedu Monde est sous perfusion malgré lessuppressions d’emplois. Et tout cela troisans après les États généraux de la presse,dont Sarkozy avait dit qu’avec les mesuresprises son avenir était assuré ! Comme sicela n’était pas suffisant, le PDG de l’au-diovisuel extérieur de la France poursuitla fusion RFI/France 24 à marche forcée,malgré l’opposition des salariés et sansattendre les conclusions de la missionparlementaire. De plus, en cette annéeélectorale, le pluralisme est malmené parle service public audiovisuel ; le Front degauche et le Parti communiste françaissont quasiment exclus des plateaux etreportages sur France Télévisions. Plus que jamais, pour que vive la démo-cratie, une rupture est indispensableavec cette mainmise du libéralisme etcette marchandisation de l’information,comme le proposent les responsablesmédias du Front de gauche.Il faut d’urgence prendre les mesuresindispensables, en créant un outil indus-triel de fabrication de service public, enconstruisant une cloison étanche entreles détenteurs des capitaux et les rédac-tions, en renforçant l’outil coopératif dedistribution, en refondant les aides, enredonnant tout son sens à des autoritésde régulation tant dans l’écrit que dansl’audiovisuel, en renforçant enfin le poidsdes représentants des salariés dans lesinstances du secteur et les entreprises. Tout cela en co-élaboration avec les citoyensdans le cadre du programme populairepartagé. Une première rencontre qui s’esttenue avec les syndicalistes d’Infocom CGTa déjà permis d’ouvrir des perspectives ;une autre ouverte aux citoyens est en prépa-ration pour le 1er février à Malakoff. n

JEAN-FRANÇOIS TÉALDIresponsable du secteur Droit à

l’information du PCF, Coordinateur Médiasdu Front de Gauche.

répondre aux urgences sociales et de sécu-riser les parcours pour les jeunes afin qu'ilspuissent construire leur avenir quelle quesoit leur situation : étudiant, en forma-tion, en recherche d'emploi ou salarié.La proposition de loi est composée dequatre grands axes :

• Le 1er chapitre part de l'idée qu'il fautrendre effectifs pour les jeunes les droitsexistants, auxquels ils ne peuvent prétendreréellement. Il s'agit de développer lesservices publics afin de garantir :• l'accès au logement : le doublement desplaces en cités universitaires, et dans lesfoyers de jeunes travailleurs, intégrationdes résidences pour étudiants au patri-moine des CROUS, construction de200 000 logements sociaux, la suppres-sion des cautions, le plafonnement desloyers et des charges locatives, la revalo-risation du barème de l'APL ;• le droit au transport : la formation aupermis de conduire au lycée, l'augmen-tation des aides aux transports publics ;• l'accès à la santé et aux soins : avecnotamment la création de centres desanté sur les lieux d'études et de forma-tion avec des soins de base gratuits et uneaction préventive ;• l'accès à la culture, au sport avec une poli-tique tarifaire en fonction des revenus ;• le développement de la démocratie avecnotamment la généralisation et denouveaux pouvoirs des conseils locaux dejeunes ;

Le 2e chapitre propose de garantir l'au-tonomie financière des jeunes enmettant en place : • une allocation d'études versée par lesCROUS , conditionnée à un contrat deprojet personnel, avec une partie socleuniverselle pour tous et une partievariable selon les revenus des parents ;• une allocation de recherche d'emploiet de formation pour les jeunes n'ayantpas encore cotisé (80% du SMIC)

Le 3e chapitre aborde l'accompagne-ment des jeunes vers l'emploi et laformation avec : • un mécanisme de fixation des droitsd'inscription en concertation État-orga-nisations étudiantes ;• un encadrement plus exigeant desstages et de l'apprentissage, des droitsdes stagiaires et apprentis, et de leurrémunération (80% du SMIC). • une amélioration de la formation destuteurs, ainsi que le renforcement de Pôleemploi, des missions locales ainsi quel'amélioration du service d'orientationscolaire et universitaire ; • la mise en place d'une formation pour

La nouvelle école capitaliste La Découverte, 2011

CHRISTIAN LAVAL, FRANCISVERGNE, PIERRE CLÉMENT, GUY DREUX

PAR FLORIAN GULLI

Ce livre montre de façon indiscutable que les transforma-tions présentes de l’école ne sont intelligibles qu’à lalumière du développement du capitalisme néolibéral. À l’époque du capitalisme industriel, l’école et le capitalse développaient selon des logiques relativement auto-nomes. Certes, l’école favorisait la reproduction de l’ordresocial, ainsi que le montrèrent notamment Bourdieu etPasseron, mais ceci sans renier son autonomie. Les savoirs,les professeurs et l’institution obéissaient à des normes spéci-fiques, irréductibles aux normes du marché. C’est ce qui change avec le néolibéralisme. Les savoirs,tout d’abord, sont transformés de l’intérieur. La connais-sance devient marchandise. Elle n’existe plus que dansla mesure où elle produit compétences et innovationsutiles à la production. L’école évacue par conséquent lessavoirs risquant de n’être pas « payants » (La princesse deClèves par exemple). L’institution elle-même est trans-formée. La généralisation de la formation par alternanceet la multiplication des stages (dès le collège) laissaiententendre, depuis quelque temps, que le seul véritable lieude formation était l’entreprise et non l’école. La consé-quence est aujourd’hui assumée : l’école doit se conformeraux normes de fonctionnement de l’entreprise. Riend’étonnant dès lors à ce que les élèves et les parents seconsidèrent de plus en plus comme des clients ! C’estprécisément ce que le pouvoir néolibéral veut qu’ils soient.Cette réforme globale rencontre finalement un dernierobstacle dans l’éthique professionnelle du corps profes-soral, encore largement hostile à l’intrusion des normesmarchandes. Autonomie des établissements, pouvoirsrenforcés des chefs d’établissement, « prolétarisation »du métier d’enseignant, nouvelles méthodes d’évalua-tions des personnels, autant d’« armes » pour venir à boutde cette ultime résistance. Comment lutter dans cette nouvelleconfiguration ? Comment s’opposer au projet scolaire néoli-béral ? On regrette que le livre, dont ce n’était certes pas l’objet,ne prenne pas ces questions à bras le corps.

La privation de monde2011FRANCK FISCHBACH

PAR JEAN QUÉTIER

Le dernier livre de Franck Fischbach commence pourainsi dire là où le précédent s’achevait. Alors que Sansobjet définissait l’aliénation fondatrice du mode deproduction capitaliste par la genèse d’un sujet irrémé-

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

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CRITIQUES

LA REVUE DU PROJET - JANVIER 2012

diablement coupé de tout rapport réel à l’objectivité, Laprivation de monde développe les conséquences de cetteunion manquée. Pour exposer les paradoxes de ce qu’ilnomme une « mondialisation sans monde », FranckFischbach fait se rencontrer deux univers théoriques quipeuvent sembler difficilement conciliables : celui de Marxet celui de Heidegger. À l’analytique existentiale, ilemprunte en effet la notion d’être-dans-le-monde, irré-ductible à toute relation abstraite entre un sujet et unobjet indépendants et préconstitués. Le matérialismehistorique constitue néanmoins le chaînon nécessairepour penser la privation de monde, l’extraction des indi-vidus hors du monde sous l’effet du capital. L’aliénationqui dépouille les existants de l’être-dans-le-monde quileur est propre et qui fait d’eux des sujets sans monde,déforme même l’espace et le temps au point de les rendrecontradictoires. Alors que l’augmentation incessante dela vitesse de circulation des marchandises bouleverse etanéantit les distances, l’exigence de la productivité maxi-male provoque l’émergence de gigantesques structurescapables d’amonceler la main-d’œuvre en un même lieu.Le mode de production capitaliste est le seul à se croireéternel mais il est aussi le seul à révolutionner constam-ment ses propres conditions de possibilité. FranckFischbach désigne alors ce qui est à la fois le cœur del’aliénation et le lieu de naissance possible de sa fin : lemonde du travail. Toujours à la croisée entre Marx etHeidegger, il puise l’idée d’un concept ontologique dutravail dont le capitalisme serait la négation directe. Avecune perspective qui, plus que jamais, nous concernedirectement, celle de libérer le travail.

Hémisphère gauche : une cartogra-phie des nouvelles pensées critiques

Zones, 2010

RAZMIG KEUCHEYANPAR PATRICK COULON

Razmig Keucheyan a littéralementcartographié un bon nombre depensées critiques contemporaines,

leurs auteurs, ainsi que leurs trajectoires.Parce qu’on assiste depuis la seconde moitié des années1990 au retour de la critique sociale et politique, dumouvement altermondialiste à la campagne contre letraité européen (le mouvement des Indignés surgi aprèsl’écriture de l’ouvrage confirme ce processus) et parceque la critique n’est pas que dans la rue, que la batailleidéologique fait rage aussi il était utile et nécessaire depointer les thématiques montantes dans la critique ducapitalisme. Des théories diverses et – fait nouveau –dépassant les sphères géographiques habituelles : lamondialisation est passée par là.Tout au long de ces 310 pages on se familiarisera avecdes auteurs tels que Alain Badiou, Slavoj Zize, Judith

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Butler, Fredric Jameson, Toni Negri, Axel Honnet, JacquesRancière, Paolo Virno, Perry Anderson ou GayatriSpivak…et bien d’autres que la lecture (que je vous recom-mande vivement) vous fera découvrir.Quant aux théories développées elles se veulent résolu-ment innovantes. Elles sont selon l’auteur le produitd’une part de l’hybridation, qui voit d’anciennes réfé-rences du corpus critique se combiner de manière inéditeou être associées à de nouveaux auteurs ou courants quin’étaient pas présents dans ce corpus précédemment.L’innovation résulte aussi de l’introduction de nouveauxobjets d’analyses, comme les médias ou l’écologie. Celivre rend compte d’une grande diversité de nouvellespensées : théorie queer, marxisme et postmarxisme,théorie post-coloniale, théorie de la reconnaissance,poststructuralisme, néo spinozisme, etc. Elles s’ajoutentà celles, plus classiques, concernant l’exploitation, et illus-trent le fait que de nouvelles idées surgissent là où se posentles nouveaux problèmes. C’est aussi dans des pays commela Chine, l’Inde, ou le Brésil que ces problèmes surgissentou surgiront à l’avenir. Enfin, précisons que la présenta-tion de tous ces auteurs et de leurs pensées par RazmigKeucheyan s’avère toujours claire et éminemment lisible.

« Marx et la culture »Europe, n°988-989, août-septembre 2011.PAR STÉPHANIE LONCLE

Le dossier de la revue Europe intitulé« Marx et la culture » réunit 15 articlestrès hétérogènes. Le flou artistique qui

toure les usages du terme « culture »est l’une des causes de cette disparité :les introductions des articles témoignent

de la difficulté que les auteurs ont eu à circonscrire leursujet. La culture devient alors un prétexte pour parlerde Marx, et le volume fournit un échantillon signifi-catif des différents usages de la pensée marxiste dansle champ intellectuel contemporain.Trop souvent, parler de Marx permet surtout de réglerdes comptes politiques et de distribuer les bons points.En condamnant telle ou telle lecture de Marx comme« stalinienne », certains auteurs légitiment du mêmecoup leur propre lecture, et en empêchent la critique.Cette façon de classer et juger des penseurs relève d’undogmatisme qui n’aurait pourtant rien à envier à ce quele terme « stalinisme » sert souvent à décrier.D’autres articles adoptent une démarche didactique : ils’agit de délivrer un enseignement sur la façon dont Marxconcevait la culture. Isabelle Garo reprend ainsi son inter-vention au séminaire Marx au XXIe siècle : l’esprit et lalettre, déjà publiée en ligne sous le titre « Marx et la critiquede l’esthétique ». De même, Michel Vovelle offre unesynthèse sur « Karl Marx et la Révolution française ». Cesarticles participent du mouvement actuel de promotionde l’œuvre de Marx qui met sur le même plan l’homme,sa pensée et ses écrits. Le risque est alors de glisser de lapensée critique à l’hagiographie : d’affirmer la valeur dela pensée marxiste sans l’interroger ou la démontrer.L’enseignement s’adosse à la valeur du mythe pour letransmettre, au risque d’oublier d’interroger certaines

catégories : ici les notions de « classique », de « valeurlittéraire » et même d’« auteur » restent des impensés.C’est la limite d’un enseignement historique et philoso-phique sur « Marx et la culture » qui ne se nourrit pas desapports théoriques et pratiques des études littéraires.Certains articles échappent cependant à ces écueils etdonnent à lire une véritable critique des valeurs cultu-relles attachées à la figure de Marx. Une réflexion croiséesur les pouvoirs de la littérature s’engage entre les arti-cles d’Enrique Dussel (« Les métaphores théologiques deMarx ») et d’Andrew Fennberg (« Le marxisme et la critiquede la rationalité sociale »). L’article de Frederic Jamesonsur le film d’Alexander Kluge, Nouvelles de l’Antiquitéidéologique, participe au même type de réflexion critique,aussi bien sur le fond que sur la forme : une pensée critiquequi s’énonce au présent et nous aide à penser la valeuret le pouvoir de deux objets politiques parce que cultu-rels, « Marx » et « la culture »..

La France rouge Les Arènes, 2011

BRUNO FULIGNI

PAR NICOLAS DUTENT

Les Editions Les Arènes ont attirédernièrement l’attention par l’inter-médiaire de la plume de Bruno Fuligni

t du livre-témoignage sur l’histoiredu Parti communiste français qu’il a

coordonné, objet ambivalent et de qualité inégale. Si la formeest assurément attractive, on peut douter parfois de la rédac-tion et de l’interprétation faite de certains contenus. Cetouvrage, comme Paroles de l’ombreparu dans la foulée, sédui-sent davantage par le travail méticuleux apporté à la resti-tution de documents historiques très divers (c’est là tout l’in-térêt de la démarche, aussi au fil des illustrations vousretrouverez l’affiche originale de la CGT datant du 1er mai1936, l’Affiche rouge, le tract diffusé à Buchenwald, un dossierconcernant l’exclusion de Marguerite Duras, le premiernuméro de L'Humanité d'avril 1904, la lettre d'un militantscandalisé par le dessin de Picasso représentant Staline…)que par un décryptage rigoureux des faits relatés. Malgréune préface sérieuse et même de très bonne tenue, nousregrettons que la complexité inhérente à un parti qui a fascinéla société française et permis les plus grandes conquêtessociales (par le communisme municipal et bien d’autresbiais), ralliant les plus grands artistes et intellectuels du XXe

siècle ne soit pas mieux traduite, plus évidente. Toutefoisnous pouvons saluer la place confortable laissée aux archivespersonnelles de militants qui hier comme aujourd’hui ne selassent pas de vouloir prendre les armes à la fatalité. N’est-ce pas d’ailleurs ce qui continue de faire vivre et exister lePCF, le fait d’être un parti de militants qui, fût-ce à traversses dissidences, ne renonça jamais à faire exister la possibi-lité d’un libre-arbitre souverain et le refus radical de consi-dérer que le spectacle du Monde qui s’impose sous nos yeuxest le seul possible ?

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COMMUNISME EN QUESTION

Par ANDRÉ CONSTATINO YAZBEK*

l’anthropologie  ; de la même manière,Althusser se montre également fidèleaux exigences d’une « lecture structura-liste  » de Marx, en le revendiquant auplan d’une critique idéologique et poli-tique de l’humanisme.Entre « humanisme » et « anti  huma-nisme”, tous deux revendiqués dans lecadre de la récupération de l’authentiquepensée de Marx, ce chapitre, ayant pourcanevas central la philosophie sartrienne,se propose de jeter des lumières sur lescamps opposés dans lesquels se dérou-lait le débat autour du marxisme à l’ho-rizon des sixties(...)

La Critique de la raison dialectique : À larecherche d’une anthropologie fondatrice.

Au moment précis de la parution de LaCritique de la raison dialectique, Sartredonne une interview remarquable à Made-leine Chapsal, où il présente le contextethéorique dans lequel se situait sa penséelors de la rédaction de l’ouvrage  :

« Depuis quinze ans, je cherche quelquechose. Il s’agit, si vous voulez, de donnerun fondement politique à l’anthropologie.Ça proliférait. Comme un cancer généra-lisé  ; des idées me venaient  : je ne savaispas encore ce qu’il fallait en faire, alors jeles mettais n’importe où  : dans les livresque j’étais en train d’écrire. À présent, c’estfait, elles se sont organisées, j’écris unouvrage qui me débarrassera d’elles, laCritique de la raison dialectique. »

Alors, qu’est-ce que signifie ce projetsartrien de «  donner un fondement poli-tique à l’anthropologie  »  ? Aux yeux deSartre, cela veut dire ressusciter lemarxisme en faisant de la «  compréhen-sion de l’existence » « le fondement humainde l’anthropologie marxiste ». Ainsi, consi-déré comme une discipline auxiliaire dumarxisme, l’existentialisme aura pour but« [...] d’engendrer dans le cadre dumarxisme une véritable connaissancecompréhensive qui retrouvera l’homme

dans le monde social et le suivra dans sapraxis [...] ». La « compréhension », conceptrevisité par Sartre sous un regard existen-tialiste, constitue la réelle appréhensionde l’action humaine dans le cadre d’uneexpérience historique qui ne peut pas êtreassimilée à une série de lois générales dumouvement naturel mais, tout au contraire,doit être reconduite à l’expérience humaineelle-même, celle de la praxis comprisecomme le «  mouvement dialectique quiexplique l’acte par sa signification termi-nale à partir de ses conditions de départ ».En ce sens, la dialectique de la Nature entre-prise par Friedrich Engels constitue pourSartre l’indice du dogmatisme propre aumatérialisme dialectique.D’où la tâche centrale de la Critiquesartrienne : la question posée par Sartre atrait aux conditions de possibilité de laconnaissance de l’histoire  ; mais l’intelligi-bilité de l’histoire ne peut être assurée,précisément, que dans le cadre d’une penséevouée à rappeler à toute anthropologie ladimension existentielle – soit, dialectique –des processus étudiés : il faut que les média-tions (entre l’organique et l’inorganique, lamatière inerte et le sujet de l’action) quipermettent d’engendrer le « concret singu-lier » – la lutte réelle et datée – soient décou-vertes. Il s’agit alors de remettre en marchele marxisme en reprenant la démarche deMarx dans ce qu’elle a de plus fondamental :un effort de reconstruction synthétique del’histoire dans laquelle la mise en perspec-tive de chacun des faits n’empêche pas l’ap-préciation du processus étudié en tant quetotalité singulière, et dans laquelle le sujetde la praxis occupe encore la place centrale.Bref, « [...] toute la dialectique historiquerepose sur la praxis individuelle en tant quecelle-ci est déjà dialectique [...] », c’est-à-dire, en tant que la praxis individuelle peutêtre définie comme « projet organisateur »qui dépasse les «  conditions matériellesvers une fin ». Cela veut dire, qu’en dernièreanalyse, la dialectique historique reposesur le travail réel et efficace de la matièrepar l’action humaine en vue d’un « dépas-sement négateur d’une contradiction, déter-

ntre les années 1950 et 1960,tous deux semblent partager un mêmediagnostic général quant à la situationde la pensée marxiste de l’époque  :atomisée par une profonde sclérose, lathéorie marxiste reste bloquée dans undogmatisme qui stérilise toute la richessede la pensée de Marx  (Sartre)  ; dans cesens, s’évanouirait la réalité politique dela lutte des classes en même temps quela nouveauté théorique de Marx lui-même(Althusser).Toutefois, si le diagnostic d’un besoin derenouvellement de la pensée marxisteleur est commun, la façon dont chacunenvisage son projet de « récupérationdu marxisme de Marx » est, en effet, biendistincte. Tandis que Sartre, dans lechamp même du marxisme, se consacreà la recherche d’un « fondement anthro-pologique » pour les sciences humaineset la philosophie, Althusser, lui, s’efforced’établir, contre l’humanisme, contre l’an-thropologie philosophique, une décou-pure profonde entre un « premier » etun « second » Marx : du « jeune Marx »,encore imprégné de l’idéalisme hégélien,au Marx de la « maturité », celui desouvrages postérieurs à 1845, ce que l’onpeut constater c’est le passage d’uneconception qui fonde l’histoire et la poli-tique comme étant une essence del’homme vers une « théorie scientifique »de l’histoire qui représente une critiqueà un humanisme « rationaliste et libéral ».Dans cette mesure, Sartre est cohérentavec les exigences de son « humanismeexistentiel  » en revendiquant, pour lemarxisme, le lieu d’un fondement pour

Le marxisme est-il un humanisme ?Sartre et Althusser

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Jean-Paul Sartre et Louis Althusser sont les personnages centraux du débat contem-

porain sur la fécondité du marxisme et son besoin de « renouvellement ».

*ANDRÉ CONSTATINO YAZBEK est professeuradjoint de philosophie département dessciences humaines, Universidade federal deLavras (UFLA), Lavras, MG - Brasil.

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JANVIER 2012- LA REVUE DU PROJET

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et, en agissant autrement, me volent lesens réel de mon entreprise individuelle  :«  Ainsi l’homme fait l’Histoire  : cela veutdire qu’il s’y objective et s’y aliène  ; en cesens l’Histoire, qui est l’œuvre propre detoute l’activité de tous les hommes, leurapparaît comme force étrangère dans lamesure exacte où ils ne reconnaissent pasles sens de leur entreprise (même locale-ment réussie) dans le résultat total etobjectif [...]. »

Néanmoins, ajoute Sartre, si l’aliénationpeut modifier les résultats de l’action, celane veut pas dire qu’elle la modifie dans saréalité profonde – tous comptes faits, l’actehumain (la praxis) demeure dans sa spéci-ficité  existentielle d’un projet libre quiimpose un sens ou une unité à l’extérioritédispersive qui l’entoure (après tout, chezSartre, la refondation de la dialectiquematérialiste s’appuie sur des acquis métho-dologiques issus de sa phénoménologie)  :

« Nous refusons de confondre l’homme aliénéavec une chose, et l’aliénation avec les loisphysiques qui régissent les conditionnementsd’extériorité. Nous affirmons la spécificitéde l’acte humain, qui traverse le milieu socialtout en conservant les déterminations et quitransforme le monde sur la base de condi-tions données. Pour nous, l’homme se carac-térise avant tout par le dépassement d’unesituation, par ce qu’il parvient à faire ce qu’ona fait de lui, même s’il ne se reconnaît jamaisdans son objectivation. »

Aussi bien que des considérations d’ordreméthodologique – destinées par ailleurs àmettre en place la méthode « progressive-régressive » caractéristique de la rééva-luation du marxisme par Sartre – il faut liredans cette citation l’effort du philosophepour inscrire sa pensée dans le cadre d’uneradicalisation du marxisme. Si le point d’ar-rivée de la pensée sartrienne devient unpoint de départ pour la pensée marxiste,c’est parce qu’en effet l’auteur essaie dereprendre la dimension humaniste latentechez Marx. « “Être radical”, écrit Marx dansla Critique de la Philosophie du droit deHegel (1843), c’est prendre les choses parla racine. Or, pour l’homme, la racine, c’est“l’homme lui-même” ».Dès lors, en reprenant au sein de la penséede Marx la médiation privilégiée qui permetau matérialisme dialectique de passer desdéterminations générales et abstraites àcertains traits de l’individu singulier, Sartreenvisage les conditions de possibilité de lapensée dialectique en tant que théorie del’Histoire centrée sur l’action humaine  : ils’agit, bien entendu, de retrouver le jeu del’intériorisation du réel et de l’extériorisa-

tion du moi. De cette façon, en reconnais-sant la dialectique comme la « logique vivantede l’action », Sartre affirme que l’homme etson action peuvent être redécouverts à l’in-térieur du marxisme. Sous l’auspice de laCritique sartrienne, l’ontologie établit lebesoin d’une anthropologie fondée sur l’his-toricisation : « si quelque chose, comme uneVérité, doit pouvoir exister dans l’anthropo-logie, elle doit être devenue, elle doit se fairetotalisation. Il va sans dire que cette doubleexigence définit ce mouvement de l’Être etde la connaissance (ou de la compréhen-sion) qu’on nomme depuis Hegel « dialec-tique ». Aussi ai-je pris, dans Questions deméthode, qu’une telle totalisation est perpé-tuellement en cours comme Histoire etcomme Vérité historique. »

Alors, si le devenir est dialectique, commele veut la Critique sartrienne, cela signifiequ’il s’inscrit dans la «  logique de l’actioncréatrice  » du sujet (praxis), et donc dansla «  logique de la liberté ». En ce sens, l’ex-périence dialectique désigne, chez Sartre,à la fois la nature même de l’expériencehistorique et la tâche de compréhension dusens de l’histoire à travers la praxis effec-tive des hommes  : pour bien comprendrel’expérience historique elle-même, il fauttenir compte de la constitution des individuset de leurs positions subjectives, idéolo-giques et politiques, à l’intérieur des rapportssociaux dans lesquels ils sont insérés.De ce point de vue, les différences entreles approches de Sartre et Althusser parrapport au marxisme sont évidentes : tandisque l’histoire apparaît à Sartre comme unetotalisation dont l’agent totalisateur (maistotalisé lui-même, puisqu’il fait partie desa propre histoire) ne peut être quel’homme, pour Althusser, au contraire, ilfaut effacer l’«  humanisme  » du « jeuneMarx » pour mieux saisir sa pensée en cequ’elle a de vraiment « scientifique ». Ainsi,comme l’exprime Michel Foucault, l’ap-proche d’Althusser équivalait à remettre«  [...] en question la philosophie du sujet,parce que le marxisme français étaitimprégné d’un peu de phénoménologie etd’un peu d’humanisme. » n

Extrait, avec l'aimable autorisation de l'au-teur, de Emmanuel Barot (dir.), Sartre et lemarxisme, La Dispute, 2011.

Le texte complet d’André Constatino Yazbekest disponible sur le site du PCF. Nous n’enprésentons ici qu’un chapitre.

mination d’une totalisation présente au nomd’une totalité future » : la praxis est engen-drée à partir d’un factum contingent, celuide la vie organique qui se reproduit dansson être en faisant l’expérience négativedu besoin.Or, c’est à partir de cette prise en comptedu rôle de l’individu dans l’événement histo-rique que la pensée de Sartre s’efforce juste-ment de le ressaisir dans la totalité de sesconditionnements et de ses rapports. Ainsi,en la prenant telle qu’elle se définit, l’entre-prise de Sartre tend à réintégrer l’homme(en tant qu’opérateur de la dialectique dansl’ensemble matériel dont il fait partie) dansla pensée marxiste. Dans ce sens, tout leprojet de la critique sartrienne – dans lamesure même où elle prétend rendrecompte d’une histoire qui, tout en étant leproduit de la praxis humaine, n’en est pasmoins considérée comme totalisation detype dialectique – présuppose une anthro-pologie fondatrice. Sartre s’oppose ainsi aumarxisme « paresseux », enfermé dans unevulgate formaliste qui «  fait des hommesréels les symboles de ses mythes  »  : cemarxisme dogmatique prend l’hommecomme un «  produit passif  » des «  condi-tions économiques  », «  une somme deréflexes conditionnés  ». Et on arrive àramener toute l’histoire humaine aux enchaî-nements mécaniques de « l’économisme ».Ce qu’il faut donc critiquer, c’est une concep-tion univoque de l’histoire : le déterminismehistorique est antidialectique dans lamesure où il nie la dialectique de la praxishumaine. Bref, affirme Sartre, la décou-verte capitale de l’expérience dialectiqueest constituée par le constat que « l’hommeest médié par les choses dans la mesuremême où les choses sont médiées parl’homme. » Autrement dit : « [...] que veutdire faire l’Histoire sur la base des circons-tances antérieures ? Nous disons alors : sinous ne distinguons pas le projet – commedépassement – des circonstances commeconditions, il n’y a plus que des objets inerteset l’Histoire s’évanouit. De même, si lerapport humain n’est qu’un produit, il estréifié par essence et l’on ne comprendmême plus ce que pourrait bien être saréification. Notre formalisme, qui s’inspirede celui de Marx, consiste simplement àrappeler que l’homme fait l’Histoire dansl’exacte mesure où elle le fait. »

Donc si l’histoire m’échappe, cela ne veutpas dire que l’action réelle de l’homme surelle n’existe pas, mais seulement que lerésultat de l’action historique – vu dansune perspective totalisatrice – est différentde ce qu’il paraît à l’échelle locale, puisqueje fais l’histoire avec et contre d’autreshommes, des sujets qui la font, eux aussi,

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HISTOIRE

Quelques réflexions sur l’histoire de la bourgeoisie occidentale Que peut nous apprendre encore, aujourd’hui, cette incursion dans lepassé médiéval des pays de l’Europe occidentale ? Certainement à réfléchirsur la complexité d’une histoire qui aboutit au XIXe siècle à la dominationdu capitalisme, y compris dans ses formes les plus récentes de mainmisefinancière sur les sociétés du XXIe siècle.

récisons d’abord que du XIIIe à la findu XVe siècle, soit la seconde moitié duMoyen Âge, l’Europe envisagée se veutla Chrétienté catholique, unissant despays certes frères, mais qui se bat-taient autant contre l’Infidèle musul-man qu’entre eux. Que signifie passémédiéval  ? En Italie et en Allemagnedivisées politiquement, comme dansles royaumes de France, d’Angleterreou ceux d’Espagne, le monde ici-basétait organisé selon une hiérarchiedéclarée intangible car voulue parDieu. Il y avait ceux qui priaient, leclergé, ceux qui combattaient lesnobles et ceux qui travaillaient, tous lesautres. Le premier ordre avait pourfonction d’aider les hommes à faire leursalut, le deuxième de les défendre parles armes et le troisième par son labeurpermettait aux deux premiers d’exercerleur fonction. Si chacun restait à saplace et accomplissait ses tâches, tout

* SIMONE ROUX est professeur émérited’Histoire médiévale à l’Université ParisVIII. Elle vient de publier, Les racines de labourgeoisie, éditions Sulliver, 2011.

allait pour le mieux. Il faut remarquerque cette organisation idéale supposaitque chaque ordre était solidaire desdeux autres et qui si l’un venait à man-quer à ses devoirs il était d’autant pluscoupable qu’il était considéré commesupérieur. C’est ce qui, en France animales révoltes urbaines et populaires fon-dées sur les reproches adressés audeuxième ordre qui avait failli à satâche de défense du royaume vaincudeux fois à Crécy en 1346 puis àPoitiers en 1356. Rappeler la logiquede cette idéologie très forte est néces-saire, cependant, concrètement, lessociétés s’intégraient mal dans ceschéma qu’il a fallu adapter au fur et àmesure. Une des difficultés majeuresqui se révélaient était la place, parmi letroisième ordre de ceux qui commer-çaient, gagnaient de l’argent, en prê-taient ou s’en servaient pour faire tra-vailler les artisans et ouvriers dans lesvilles qui s’étaient développées danstout l’Occident. Cette élite urbaineétait-elle rabaissée dans la masse destravailleurs ou fallait-il lui faire uneplace dans le petit monde de ceux qui

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Par SIMONE ROUX*

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gouvernent  ? La bourgeoisie modernea pris ses racines dans ce milieu neuf,urbain et marchand, mais plein decontradictions.

LA DOMINATION BOURGEOISE ÉTAIT-ELLE LÉGITIME, INÉVITABLE ET INDÉPASSABLE ?Les historiens pendant tout le XIXe siè-cle et une bonne partie du XXe, ontcherché dans ce passé les germes etles premiers développements de lafuture bourgeoisie de leur temps. Ilsont analysé les moments de la luttecontre la féodalité, ceux de la conquêtedes libertés personnelles et écono-miques avec le mouvement communal.Ils ont mis en lumière les progrès tech-niques, les avancées intellectuelles quiétaient liés aux activité des grandsmarchands sillonnant l’espace méditer-ranéen, expérimentant que l’Infidèlepouvait être aussi un partenaire com-mercial. Ces progrès ont permis dedégager un espace autonome pour ladéfense des intérêts des États, unelente mais fondamentale évolution quia conduit à séparer le religieux du poli-tique, quand les monarques ont tra-vaillé à se réserver la conduite desaffaires d’ici-bas et à alléger la tutellede l’Église et de la Papauté. Ces élé-ments sont fondés mais ils doivent êtreremis à leur place. Les additionner nerevient pas à dire que l’évolutionconduisant au triomphe de la bourgeoi-sie était déjà en œuvre, obéissant à deslois incontournables. Ce n’est pas parceque c’est arrivé que c’était inévitable.Mais surtout, en postulant que cettehistoire était tout entière déjà inscritedans le passé, y compris dès l’époquemédiévale, les historiens des deux siè-cles précédents en tiraient la consé-quence que la domination bourgeoiseétait non seulement légitime mais indé-passable, qu’elle était la forme idéalede la liberté, du progrès et de la pros-périté à venir. Ils en tiraient aussi le pos-tulat que toutes les sociétés qui ne sui-

vaient pas ce chemin étaient en« retard » donc inférieures, et qu’il fallaitles aider (ou les forcer) à se «  civiliser  ».

LES BOURGEOISIES, VISAGES ET DESTINS DIFFÉRENTSBien sûr ces postulats se sont exprimésavec plus ou moins de nuances, d’au-tant plus que les historiens, par la suite,ont souligné les imperfections ou l’in-validité d’un bon nombre de ces soi-disant lois en histoire. On a montré queles grands marchands et hommes d’af-faires ne furent jamais seuls dans cettehistoire, ici alliés aux souverains quivoulaient se faire obéir de leurnoblesse, là mêlés aux tumultes etrébellions des villes. Au Moyen Âge enOccident on ne peut parler d’une bour-geoisie mais des bourgeoisies quieurent des visages variés et des destinsdifférents. Elles eurent des alliés et desennemis, et d’abord le monde desnobles et des princes qui, forts de leursupériorité de deuxième ordre de lasociété, méprisaient et enviaient ceshommes riches et dénonçaient leurinfluence, trop importante à leurs yeux,auprès des rois. Même quand la réus-site sociale fut incontestable, l’évolu-tion vers le capitalisme n’était pas déjàprogrammée. Les cités italiennes, oùdes banquiers et les marchands inter-nationaux ont largement dirigé leursgouvernements, montrent que ces nou-veaux puissants ont trouvé à s’intégreraux autres puissants de leur époque,tant laïcs que religieux  ; les Médicis ensont le plus bel exemple qui ont fournides reines de France ou des papes. Ilsse sont si bien intégrés qu’ils ont aban-donné la banque et la finance. Bref,aucun ne peut être tenu pour une pré-figuration du grand bourgeois del’époque contemporaine. A la fin du XVe

siècle, rien n’est joué d’avance et ceuxqui pèsent dans les affaires publiquesgrâce à leur argent s’adaptent aumieux de leurs intérêts qui fut parfoissimplement de se fondre dans le petit

monde des dirigeants reconnus, sanschercher à le dominer. Et ailleurs qu’enEurope les choses furent différentesmais pas nécessairement inférieures etinabouties, autant d’occasions de voirque des chemins autres furent possibles. En effet l’élargissement de la visiond’un regard porté sur le passé tient àce que l’on reconsidère les histoiresd’autres espaces que celui del’Occident sans porter de jugementsfondés sur l’échelle de valeurs que cou-ronnerait le capitalisme. Des occasionsd’approfondir les analyses et de mieuxprendre en compte ce qui leur est com-mun et ce qui est une réponse originaleà des questions qui se posent à toutesles sociétés.Certes, l’histoire n’offre ni leçon nirecette en politique. Mais, en obéissantaux exigences scientifiques sur quoielle fonde son autorité, elle est à la foisune des bases de la liberté et une richesource de réflexion. Actuellement,montrer que le capitalisme financiern’est pas la seule voie possible du déve-loppement des sociétés humaines estlibérateur  : la toute-puissance de lafinance mondiale n’est pas le seul hori-zon de notre avenir. Si aucune domina-tion de classe n’est inévitable comme lemontre le passé du monde, ni éternellecomme le martèle son idéologie, ilreste aux hommes à faire preuve d’in-telligence et d’invention comme lefirent les sociétés qui nous ont précé-dés. Les expériences de chacune decelles qui forment notre monde à pré-sent sont utiles à nos réflexions et ànos projets, œuvre qui est loin d’êtrefacile mais qui n’a rien d’impossible. n

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SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

[les dynamiques de la science et de larecherche dans les sociétés contempo-raines]. Les auteurs défendent la thèsede l'émergence d'un nouveau mode deproduction de savoirs, à partir desannées 1970, qui aurait radicalementreconfiguré les sciences dans leurs pra-tiques, leurs épistémologies et leursrapports au monde. Ils opposent, defaçon dichotomique autant que carica-turale, l'ancien "mode de la sciencepure" (appelé mode 1) au nouveau modede la science contemporaine (appelémode 2), plus hétérarchique, hétéro-gène et transitoire. Bien que l'ambitionsoit louable, repenser le concept descience, nous pensons que ces thèsesne sont pas pertinentes. Parmi les nom-breuses critiques de ces travaux, notonscelles qui identifient la tendance auto-réalisatrice de la thèse de Gibbons & al.et les conséquences qu'elle impliquedans notre façon de penser lessciences. En effet, la distinction simplemode1 / mode2, au départ descriptive,est devenue une distinction prescrip-tive. Comme "prophétie auto-réalisa-trice", elle engage les recherches ensciences humaines et sociales dans cequi est désormais appelé le Knowledgemanagement, sans que l'on sache vrai-ment ce qui, d'un point de vue épisté-mologique, a été modifié et commentces modifications peuvent être appré-hendées. Dès 1997, D. Pestre faisaitremarquer que la dimension prescrip-tive2 était présente au sein même dutravail de M. Gibbons & al. qui présentaitle mode 2 toujours comme supérieur,plus efficace et plus adapté à la mondia-lisation économique alors que le mode 1présentait les caractéristiques d'un sys-tème replié, conservateur et improduc-tif3. Le caractère normatif de l'entre-prise de caractérisation sociologique et

La démocratie épistémique commecondition d'une science citoyenneLa démocratisation des rapports entre science et société ne se fera passans une démocratisation de la science elle-même.

Vers un pluralisme épistémique1

L*LÉO COUTELLEC est docteur enphilosophie des sciences. INSA deLyon - EVS-ITUS (UMR 5600)

a multiplication importante, cesdernières années, des réflexions sur lesrapports entre sciences et sociétés estincontestable. Notre objectif n'est pas ici d'en établir lescauses, celles-ci sont maintenant large-ment connues (crise de confiance, crisesanitaire, opacité des décisions, rôlecroissant de la science et de la techniquedans l'organisation des sociétés,demande de participation…), mais d'endéfinir la portée. Les termes de démocratie technique, descience citoyenne, d'expertisecitoyenne ou encore de recherche parti-cipative deviennent quasiment desmots-clés sur ce sujet, pour ne pas diredes mots-valises. Inscrits dans le champdevenu spécifique des STS (Sciences-Technologies-Sociétés), ces travauxsont souvent de bonne qualité et onttout leur intérêt. Dans leur grandediversité, ils partagent toutefois un pos-tulat problématique, celui de prendre leconcept de science pour un fait. La sociologie des sciences étant large-ment majoritaire parmi cet ensembled'études, les réflexions épistémolo-giques ou éthiques sur le concept descience lui-même se font rares.

REPENSER LA SCIENCEUn livre remarqué semblait vouloir sedémarquer de cette tendance avecl'ambition de repenser la science. Ils'agit de la publication par M. Gibbons &al. en 1994 de The new production ofknowledge : the dynamics of scienceand research in contemporary societies

politique du mode 2 sera ensuite expli-citement assumé dans Repenser lascience en 20034. Il aura d'ailleurs uncertain succès politique, repris abon-damment dans les rapports de l'OCDEsur l'économie de la connaissance, ins-pirant largement la stratégie deLisbonne et tout le mouvement de redé-finition du rôle de l'enseignement supé-rieur auquel on assiste depuis lesannées 19905. Par ailleurs, cette thèsesimpliste du passage de la science à latechnoscience ou du chercheur au tech-nologue, qu'elle soit l'objet de discoursapologistes ou critiques, ne nousengage pas sur de bonnes voies pourrepenser le concept de science. Commeprêt-à-penser les sciences, il marque uncertain recul des analyses épistémolo-giques et ignore tout le travail en philo-sophie de la technique ainsi que les tra-vaux en épistémologie sur l'ingénierie.L'affirmation selon laquelle « plus unediscipline scientifique est fortementcontextualisée, plus la connaissanceproduite a des chances d'être sociale-ment robuste », véritable slogan despartisans du mode 2, ignore la com-plexité qu'il y a à penser la robustessed'une connaissance, l'intrication desvaleurs épistémiques et non-épisté-miques dans les sciences et les rapportsdes connaissances au contexte.De ces critiques de l'ouvrage deGibbons & al., nous tirons une consé-quence importante, celle de ne pasréduire de façon normative le conceptde science sous prétexte de vouloir lechanger ou le faire évoluer. Si l'enjeu estbien ne pas considérer la sciencecomme un simple fait ou une boîte noire,et donc de questionner sa prétention àla neutralité, cela nécessite, à notre avis,une analyse épistémologique renouve-lée du concept de science.

Par LÉO COUTELLEC*

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JANVIER 2012 - LA REVUE DU PROJET

UNE DÉMOCRATIE ÉPISTÉMIQUENous entreprenons ce travail en propo-sant l'hypothèse d'une démocratie épis-témique que nous considérons commeune condition d'une science6 citoyenne.Autrement dit, pour des rapports démo-cratiques et constructifs entre scienceset sociétés, nous pensons qu'il ne fautpas ignorer l'indispensable réflexion surla démocratisation de la science elle-même. Nous postulons que les appels àune science citoyenne et participative netrouveront leur pertinence que s'ils s'ac-compagnent d'une mise en œuvre effec-tive des conditions d'une démocratieépistémique. La démocratisation desrapports entre science et société ne sefera pas sans une démocratisation de lascience elle-même. Nous caractérisonscette démocratie épistémique selon troisconditions : un pluralisme épistémique,une tolérance aux valeurs (pour de nou-veaux rapports entre science etéthiques) et un autre rapport au temps(de la fast science à la slow science). Ledéveloppement de ces conditions feraémerger la problématique des rapportsentre sciences et sociétés, notammenten ce qui concerne l'évaluation.

UN PLURALISME ÉPISTÉMIQUEEn proposant l'hypothèse d'un plura-lisme épistémique, notre objectif est dedonner de l'épaisseur et du relief auconcept de science en le repensant à par-tir du pluralisme. Mais pour ne faire por-ter le pluralisme ni sur une métaphysiqueou vision particulière du monde, ni surune idée préconçue de la science, il nousfaut revenir à une forme de matérialitédu pluralisme qui suspende ou inhibe, enquelque sorte, ces déterminations méta-physiques ou idéologiques. Nous carac-térisons cette matérialité par des sériesde pluralités qui donnent à voir, de façonnon normative, l'hétérogénéité dessciences à plusieurs niveaux. Il est parexemple possible d'identifier les sériesde pluralité suivante : les disciplines (viades réflexions épistémologiques sur l'in-terdisciplinarité), les styles de raisonne-ment scientifique (notamment ceux iden-tifiés par A. Crombie et I. Hacking), lesingrédients de la démarche scientifique(notamment la place de la techniquecomme dimension à part entière dusavoir et non pas seulement commeapplication de la science) ou encore lapluralité axiologique en montrant com-ment peut s'exprimer dans les sciencesune pluralité de valeurs épistémiques etnon-épistémiques. Toutes ces séries illus-trent la matérialité du pluralisme. Leur

identification et leur reconnaissancecomme constitutive de la démarchescientifique nous permettent d'élaborerl'hypothèse d'un pluralisme épistémiquerelativement autonome par rapport àtoute forme d'idéalité sur la science.Le pluralisme épistémique, comme recon-naissance des séries de pluralité dans lessciences, permettrait par exemple dedécentrer les processus d'évaluation duconcept de risque. Ce concept aujourd'huidevenu central relève d'un certain style deraisonnement scientifique, le raisonne-ment probabiliste, qui à lui seul ne peutrecouvrir la complexité des objets à éva-luer. Cette remise en cause de l'hégémo-

nie du risque n'a pas été véritablementfaite dans le cas du débat sur les OGMvégétaux et animaux (essentiellement lepoisson). Ainsi, des forums citoyens ontété mis en place, des consultationspubliques, des débats contradictoires, etautant de livres, mais tout cela s'est faitsans que les outils statistiques et probabi-listes, pourtant au centre des débats, aientété déployés et discutés. De fait, un cer-tain nombre de problèmes fondamentauxn'ont pas été suffisamment travaillés. Parexemple, l'argument statistique répondsouvent à une demande de quantification.Or, le discernement des moments de laquantification est rarement explicité. Siquantifier, au sens large, c'est exprimer etfaire exister sous forme numérique ce qui,auparavant, était exprimé par des mots etnon par des nombres, il convient de rappe-ler «  que toute quantification est compo-sée de deux mouvements : convenir (défi-nition d'une convention) et mesurer.  » Eneffet, «  le verbe quantifier suppose quesoit élaborée et explicitée une série deconventions d'équivalences préalables,impliquant des comparaisons, des négo-ciations, des compromis, des traductions,des inscriptions, des codages [...]  ». Et ilconvient de ne pas mélanger ces deuxmoments. Or, l'explicitation collective ettransparente du premier mouvement dela quantification, à savoir la constructiondes conventions, est souvent oubliée parune sorte de convenance et se transformeen boîte noire. Alors quantifier revient à

mesurer. Mais que mesure-t-on et selonquelles hypothèses ? Comme le rappelleA. Desrosières7, «  L'idée de mesureimplique que quelque chose existe sousune forme déjà mesurable ». Est-ce le caspour tous les objets que l'on souhaitequantifier ? Pour toutes leurs dimen-sions ? À ne pas ouvrir la boîte noire desconventions de mesure, le résultat est quele produit de la quantification tend à deve-nir la réalité. Or, la quantification, enten-due comme l'ensemble formé des conven-tions socialement admises et des opéra-tions de mesure, crée aussi une nouvellefaçon de penser, de représenter, d'expri-mer le monde et d'agir sur lui. Ainsi, laréduction du pluralisme épistémique, quiconsiste à promouvoir un style de raison-nement particulier, a un effet direct sur laquestion démocratique. Quel serait l'enjeud'une pensée du pluralisme dans cecontexte ? Celui de ré-ouvrir les boîtesnoires – une mise en lumière de ce qui estsouvent dans l'ombre de la mesure – et dereconnaître l'existence de plusieurs stylesde pensée scientifique potentiels autourd'une même question ou d'un mêmeobjet. Cette pluralité pourrait s'exprimerdans le cadre d'une intervention en amontde l'éventuelle mesure, par une co-construction des conventions de quantifi-cation et donc par une discussion sur lalégitimité et le périmètre de la mesure. Ànotre avis, une conséquence positive decette approche serait de lutter contre uneforme de décalage qui se produit dans lesdébats actuels sur les OGM. Un décalageque nous pensons essentiellement épisté-mique. Il serait possible de donner d'au-tres exemples de la nécessité d'adopterune posture pluraliste à propos duconcept de science. Mais à ce stade denotre développement, une question resteen en suspens : comment faire pour quece pluralisme épistémique ne soit pas unenouvelle forme de relativisme ? Nousrépondrons à cette question dans la pro-chaine partie qui abordera les valeursépistémiques et non-épistémiques, et plusprécisément les rapports entre scienceset éthiques. n

1) Ce premier texte sera suivi de deux autreslivraisons qui paraîtront durant l'année.2) Schultheis & al. (2008)3) Pestre, D. (1997)4) Nowotny & al. (2003)5) Milot, P. (2003), pp. 68–73.6) Nous limitons ici l'acception de la notionde science citoyenne à la définition minimalesuivante : une science ouverte aux préoccu-pations et aux participations citoyennes. 7) Desrosières, A. (2007), p.186 ; Lavielle, M.(2010), Desrosieres, A. (2008), p.11

Ce concept aujourd'hui devenu central relève d'un certainstyle de raisonnement scientifique,

le raisonnement probabiliste, qui à lui seul ne peut recouvrir

la complexité des objets à évaluer.

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Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

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