La quête de longévité en Inde : médecine et alchimie

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La quête de longévité en Inde Médecine et alchimie SANDRA SMETS, COLLÈGE BELGIQUE, LE 24/09/2013

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Cet exposé sur la quête de longévité en Inde a été présenté au Collège Belgique, le 24 septembre 2013. Dans une perspective historique, l'auteur pose la question des objectifs du médecin et de l'alchimiste au regard des conceptions védiques relatives à l'immortalité et à la quête de délivrance.

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La quête de

longévité en Inde Médecine et alchimie SANDRA SMETS, COLLÈGE BELGIQUE, LE 24/09/2013

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Un paradoxe ?

« Les brâhmanes ont voulu préparer par

leur liturgie et leurs formules la liqueur

d’immortalité. Les médecins l’ont

recherchée dans les drogues végétales.

Les alchimistes dans les préparations

mercurielles. Les Yogin ont demandé les

mêmes effets à leur technique corporelle

et respiratoire. Les sages ont bien

condamné, parfois avec vigueur, tous

ces efforts à fins matérielles ; l’Inde n’en a

pas moins fait de tout temps à l’étranger

l’effet d’un pays où on cultivait à la fois la

sagesse la plus détachée de la vie et les

techniques les plus anxieuses de la conserver et d’en dépasser les limites ordinaires en pouvoir comme en durée »

FILLIOZAT J., « Taoïsme et yoga », dans

Journal Asiatique 257 (1969), 46

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La quête de longue vie dans la

littérature védique LA RELIGION VÉDIQUE ET LE RITE SACRIFICIEL

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« Religion du Veda »

Parole (Vāc) universelle et éternelle

-> « Audition » (Śruti) perçue par des sages

« voyants » (ṛṣi)

-> Veda « Savoir »

Le Ṛg-Veda, « Savoir des strophes »

Divinités

« Architecture » cosmique : ṛta

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La religion védique et le rite

sacrificiel

Relations régulées par le rite sacrificiel, considéré comme l’acte

liturgique par excellence

« Connexions » entre le destinataire du sacrifice et le sacrifiant

(yajamāna, « celui qui sacrifie pour lui-même »), par l’intermédiaire de la

victime sacrificielle

Le sacrifice comme élément du contrat cosmique et liturgique : do

ut des

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Biens mondains et ultra-mondains

Sacrifice -> obtention de biens matériels : la prospérité, une

descendance mâle, la santé ou une vie pleine, une vie de cent

ans...

Liqueur d’immortalité, amṛta (« non-mort ») < plante appelée soma

Nectar des dieux qui enivre Indra et provoque l’extase chez les mortels

qui le consomment

Prolongation de la vie

Conquête de la non-mort dans le « monde immortel », « là-bas »

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L’immortalité dans les Brāhmaṇa

Brāhmaṇa : commentaires en prose de la liturgie, composés entre le

Xème et le VIIème s. avant notre ère.

La « part de Yama »

Vaincre la punar-mṛtyu (« mort de nouveau ») -> cultiver l’ātman, prāṇa ou

aśu (« souffle »).

-> la longévité comme condition nécessaire à l’immortalité après la

mort terrestre

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Du Ṛg-Veda aux Upaniṣad

Hymnes védiques :

-> avantages matériels comme la prospérité, la santé ou la longévité,

en contrepartie de la satisfaction des dieux.

-> avantages ultra-mondains : accéder au monde lumineux des dieux, le svarga

Brāhmaṇa : dieux védiques relégués au second plan au profit d’une

réflexion sur le mécanisme du sacrifice et son efficacité inhérente

Puissance de la Parole révélée, le Veda, qui accompagne le rituel : brahman -> valeur d’Absolu, le Brahman des Upaniṣad

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Les Upaniṣad : la voie de la

connaissance

Upaniṣad (« Connexions », aussi Vedānta): comme les Saṃhitā et les

Brāhmaṇa, appartiennent au corpus du Veda.

Textes composés à partir de 700 avant notre ère sous la forme de

dialogues entre un maître et un disciple

Textes védiques les plus anciens = « voie de l’acte » (karma-mārga) via le

sacrifice >< Upaniṣad = « voie de la connaissance (jñāna-mārga) » via les

« connexions » ou équivalences mystiques entre le microcosme,

l’homme, et le macrocosme, l’univers

Identité essentielle entre l’ātman, le « Soi », et le Brahman, principe

cosmique, le « Réel du réel ».

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La mécanique de l’« acte »

Point de départ = analyse de la mécanique de l’« acte » (karman)

et de la condition humaine

Karman = toute forme d’action humaine (corps, pensée, parole)

-> le rite est un acte, c’est-à-dire une peine que l’on se donne pour

produire un « fruit »

Désir (besoin, manque) -> acte -> « fruit de l’acte » (karma-phala) ->

désir…

Application au rite :

Désir d’avantages (mondains ou ultra-mondains) -> rite sacrificiel -> fruit du

sacrifice -> (réincarnation) désir…

Cycle sans commencement ni fin = saṃsāra, « flot » ou « flux »

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Au-delà du flux des naissances et

des morts

Idéal de délivrance (mokṣa)

Voie de la connaissance (jñāna) : expérience directe de l’identité

profonde entre le soi incarné (ātman) et le Soi universel (Brahman)

Rituel intériorisé : l’agnihotra intérieur

Le souffle tient lieu à la fois d’oblation et de feu sacrificiel.

« quand, se concentrant, au moyen de la vraie nature du Soi comme au

moyen d’une lampe, on éclaire la vraie nature du brahman, (le brahman) non-né, inébranlable, (…) on est alors libéré de tous les liens » (Śvetāśvatara-Upaniṣad 2.15). (trad. A. SILBURN)

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La quête de longue vie dans la

médecine ayurvédique

SAVOIR MÉDICAL ET SOTÉRIOLOGIE

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Origines

Filiation avec l’Atharva-Veda (AV) :

« un médecin doit montrer sa dévotion au Veda d’Atharvan » (CS sū. XXX.21).

Le « savoir des Atharvan » (du nom d’une famille de prêtres

védiques) = dernier des « Quatre Veda »

Hymnes et formules à caractère magico-religieux : charmes d’amour,

incantations de protection contre les démons, contre les maladies, etc.

Charmes curatifs (bhaiṣajya) et charmes de longévité (āyuṣya).

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Atharva-Veda

Maladie = conséquence d’une infraction à l’ordre ou la Loi cosmique, ṛta.

Thérapeutique de type magique : formules accompagnées de rites

pour obtenir le pardon de la divinité offensée ou chasser les

démons

-> Āyur-veda

Croyances « magico-religieuses » dans la médecine dite « scientifique » : par ex., le traitement des cas de possession (bhūta-vidyā)

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L’Āyurveda, scientifique ?

Āyurveda : médecine empirique ?

Premières planches d’anatomie réaliste ~ XIXème s.

Méthode de dissection dans la Suśruta-saṃhitā (SS, śā. V.47-51), mais

notions d’impureté et de pollution liées au contact avec les cadavres.

Connaissances anatomiques et physiologiques relativement limitées ->

modèles idéologiques

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Théorie humorale

Approche pragmatique et raisonnée des maladies ?

Théorie humorale systémique

+ Autres conceptions et approches thérapeutiques: mantra, yoga,

magie, religion ou comportement

Pratique inclusive -> l’homme est un composé de trois éléments : le

corps, le mental et l’âme.

-> 3 thérapies : médecine raisonnée (diététique et médicaments),

religion/magie et Yoga

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Āyurveda, « Savoir de la longévité »

Objectif : par des moyens préventifs et curatifs, offrir au patient une

vie pleine

Moyens : rasāyana (médecine tonifiante)

Rasāyana (rasa + ayana) = « voie du suc vital »

Rasa : « sève », « jus des plantes », « essence » -> « quintessence »

-> fluide vital, dans le règne végétal, animal ou minéral. Dans le langage

alchimique, le fluide par excellence, le mercure

nourriture (anna) > chyle ou suc nourricier ((anna-)rasa) > sang > chair >

graisse > os > moelle > sperme = 7 constituants corporels, nécessaires au maintien du corps (DHĀ- « tenir, supporter, soutenir »), les 7 dhātu.

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Médecine tonifiante

Le rasāyana : « moyen favorisant l’apport du suc organique et

d’autres éléments constitutifs du corps (dhātu) » (CS)

Méthode kuṭīpraveśika (« relatif à l’entrée dans la hutte »)

Conditions préalables

Purification : se débarrasser des souillures (doṣa) physiques et mentales

par onguents, sudation, purge, etc.

Préparation psychique, voire spirituelle : pratiquer les « astreintes et restreintes » (yama et niyama) -> pratiques préliminaires du yoga

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kuṭīpraveśika

Chambre ou hutte entourée trois fois (trivṛtam) -> trois pièces

agencées l’une dans l’autre

Durée: plus de trois mois -> d’abord dans la pièce centrale, avant

d’effectuer un retour progressif vers l’extérieur

Cadre de la régénération physique et psychique = lieu de

renaissance, où s’opère un regressus ad uterum, retour aux origines de l’existence

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Du pouvoir des plantes

La « nourriture de Cyavana » (ci. 1.62-74, 2.3, 4.44), du nom d’un

sage mythique ramené à la jeunesse par les Aśvin, les Jumeaux

divins : remède essentiellement végétal

Le potentiel du soma + quelques simples

Acquisition de huit pouvoirs surnaturels (aiśvarya), généralement

appelés siddhi (« perfections », « accomplissements », « réalisations »,

« succès ») dans les textes du Yoga

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Médecine ou quête

sotériologique ?

Agniveśa à Ātreya : la durée de vie est-elle, oui ou non,

déterminée ?

Si les actes accumulés dans nos vies antérieures influencent notre

existence présente, dans quelle mesure la médecine peut-elle agir sur

la longévité du patient ? (CS vi. III.27)

Réponse : daiva, « ce que l’on a fait avec un corps précédent » (vi.

III.29) >< puruṣakāra, « l’action humaine », accomplie avec ce corps

ici-bas (ibidem)

« si la durée de vie était fixe pour tout un chacun, il n’y aurait aucune nécessité de recourir aux mantra, simples, pierres précieuses, rites propitiatoires, offrandes, dons,

oblations, expiations, jeûnes, bénédictions, prosternations, à la fréquentation des temples, etc. » (vi. III.36)

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« Longévité divine » et immortalité

spirituelle L’Āyurveda d’abord une médecine ?

But : la recherche de longévité, dīrghaṃ jīvitam (« une longue vie »).

Durée de vie idéale de cent ans (sū. I.2, XI.34, XVII.351) : l’homme mène une vie « pleine »

L’objectif des ṛṣi : une vie de mille ans, sans vieillesse (ci. I.4.7)

-> « longévité divine »

« L’Āyurveda est le meilleur instrument pour les immortels » (CS sū. XXVII.40d)

-> Sotériologies

Yoga : recherche d’immortalité spirituelle

Āyurveda : se préparer, dans ce corps, à l’immortalité spirituelle

« Du dharma ‘Loi Naturelle’, des affaires du monde, de l’amour et de la délivrance, la <santé> sans maladies est la base par excellence tandis que les maladies sapent cette <base>, le bien-être et la vie même » (CS sū. I.15b-16a)

« Quant aux voyants désireux de longue vie, ils reçurent de Bharadvāja ce Veda utile à l’humanité et qui enrichit la vie. (…) et c’est par la connaissance de la règle énoncée dans ce traité, qu’ils acquirent le plus grand bonheur ainsi qu’une vie sans fin » (CS sū. I. 27-29)

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Devenir un dieu par le rasāyana

GOÛTER À LA DÉLIVRANCE EN ÉTAT DE VIE (JĪVANMUKTI)

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Périodisation de l’alchimie indienne

Modèle proposé par D. G. White (1996): médecines de

rajeunissement >< « l’alchimie religieuse », caractérisée par son

double objectif

la transmutation des métaux vulgaires en or (lohavāda ou dhātuvāda)

la transmutation du corps ordinaire en un corps divin (dehavāda)

Trois périodes de l’alchimie religieuse :

l’alchimie magique (ca. IIIème – Xème s. de notre ère)

l’alchimie tantrique (ca. Xème – XIVème s.)

la iatro-chimie ou alchimie pharmaceutique (à partir du XIVème s.).

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Prémices de la voie mercurielle

dans les traités ayurvédiques

Usage thérapeutique du mercure uniquement pour des

applications externes (CS et SS)

Première attestation de l’emploi interne du mercure à des fins thérapeutiques : Vāgbhaṭa

Deux célèbres traités de médecine (vers 600 après J.-C.) :

l’Aṣṭāṅgahṛdayasaṃhitā (AhS), « Recueil sur le cœur de la médecine »,

l’Aṣṭāṅgasaṃgraha (AS), « La somme ou synthèse sur la médecine »

Dans l’AS (Utt. 49.392 = AhS 39.161), remède comprenant notamment le mercure qui renforce les constituants corporels (dhātu)

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L’alchimie magique (ca. IIIe – Xe s.

de notre ère)

Méthodes < magie et croyances populaires

Dans les textes de cette époque, en majorité bouddhiques, l’accent est mis sur l’aurification (lohavāda)

Vocabulaire, matériaux et techniques rudimentaires

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L’alchimie tantrique (ca. Xe – XIVe

s. de notre ère)

Âge d’or de l’alchimie religieuse en Inde

Débuts du tantrisme en Inde vers le Vème s., voire le IVème s. de

notre ère -> floruit des VIIIème-IXème s. au XIVème s.

Objectif véritable de l’alchimiste : immortalité corporelle (dehavāda),

conçue comme un dépassement de la condition humaine

Explosion des connaissances dans les domaines de la botanique, la minéralogie, la chimie, la métallurgie, etc.

Le mercure, identifié à la semence du dieu Śiva, devient l’élément

incontournable de toute opération alchimique

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La iatro-chimie ou alchimie

pharmaceutique (< XIVe s. de notre ère)

Au XIVème s., déclin de l’alchimie tantrique

Apparition d’un nouveau corpus de textes ayurvédiques, les rasaśāstra : traités de pharmacologie qui mettent l’accent sur

l’emploi du mercure sous forme d’oxydes ou de sels minéraux

Visée essentiellement thérapeutique (rogavāda)

Survivance de l’alchimie transmutationnelle, indépendamment de toute quête métaphysique ou spirituelle

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L’alchimie magique et les Siddha

Les alchimistes, parfois simplement appelés rasavādin, « enseignants

du rasa », sont souvent aussi qualifiés de Rasa-siddha ou Siddha

« Parfaits »

Culte des Siddha :figures semi-divines

-> univers mythologique bouddhiste et hindou : les Siddha vivent dans un

monde, entre ciel et terre

Progressivement est apparue l’idée que les simples mortels pouvaient

eux aussi accéder à ce statut semi-divin

À côté des Siddha « par nature » ou des « nés-Siddha », alchimistes Rasa-Siddha

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L’alchimie magique et les siddhi

Mise en garde de Vyāsa, commentateur des Yoga-Sūtra (YS) de Patañjali au Vème s. (ad YS 3.51)

Motifs extraordinaires : élixir qui vainc la vieillesse et la mort, arbre qui exauce les souhaits, une vue et une ouïe merveilleuses, un corps adamantin.

Siddhi, pouvoirs surnaturels atteints par la pratique du yoga, mais pas seulement…

Dans ses YS (IV.1), Patañjali énumère plusieurs moyens d’atteindre les siddhi :

la naissance (janma)

les drogues (oṣadhi)

les formules (mantra)

l’ascèse (tapas)

la concentration (samādhi)

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La transmutation comme pouvoir

surnaturel

Vyāsa glose le terme oṣadhi par « plantes » et les associe aux

démons, les Asura

Vijñānabhikṣu (XVIème s.) attribue aux oṣadhi l’accroissement de la

force, le don de fabriquer de l’or, etc. -> identification des oṣadhi aux élixirs à base de mercure

Dans divers textes tantriques, pouvoir de transmutation des métaux et de transformation du corps parmi les siddhi

Ces pouvoirs innés chez les dieux peuvent être conquis par l’homme

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L’alchimie « tantrique »

Tantra et tāntrika

Racine TAN- « tendre » ou « étendre » : tantra = « navette » du tisserand,

la « chaîne » du tissu -> idée de « système », de doctrine ou d’ouvrage

(ouvrage tissé et littéraire).

Tāntrika, adj. : textes, souvent appelés tantra, qui exposent des doctrines

et pratiques nouvelles, et qui se réclament d’une révélation divine non védique (vaidika).

La Révélation (Śruti) serait donc double :

védique (vaidika), issue de la Parole éternelle du Veda

tantrique (tāntrika), proclamée par une divinité non védique

« descente du tantra » (tantrāvatāra), qui offrirait aux hommes ordinaires une voie

de salut plus efficace

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Quelques doctrines et pratiques

tantriques

Conceptions relatives au monde, physique et psychique, parfois très

anciennes :

Homologie entre le corps et le cosmos -> correspondances entre micro-

et macro-cosme ou entre physiologie et cosmologie : l’univers est un

corps à l’échelle du macrocosme, le corps est un univers miniature.

Emprunt à l’école (ou « point de vue », darśana) du Sāṃkhya

(« dénombrement ») : explication évolutive et étagée du monde

Processus d’émanation à l’origine des réalités physiques et psychiques (tattva)

depuis la Nature naturante (prakrti), principe cosmique éternel, jusqu’aux

éléments grossiers du monde visible

Versant théorique du Yoga

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Les trente-six tattva des systèmes tantriques shivaïtes

Shiva

Shakti

Sadâshiva L’éternel Shiva

îshvara le Seigneur

shuddhavidyâ la connaissance pure

mâyâ l’illusion cosmique

kalâ le principe de détermination

vidyâ la sagesse (limitée limitante)

râga l’attachement passionnel

niyati la nécessité

kâla le temps

purusha l’Esprit ou le Seigneur

prakriti la Nature

buddhi l’intellect

ahamkâra l’ « égoïté »

manas le sens interne

Shrotra, etc. l’ouïe, etc. (5 facultés de connaissance)

Vâc, etc. la parole, etc. (5 facultés d’action)

Shabda, etc. le son, etc. (5 objets des sens)

âkâsha l’éther spatial

vâyu l’air

tejas le feu

jala l’eau

prithivî la terre

Présentation inspirée de PADOUX 2010, p. 87

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Émanation et résorption

« Étages » supplémentaires, reliant la divinité au monde visible,

organique, matériel

De haut en bas, passage de la divinité illimitée et transcendante à un

monde matériel limité et empirique,

De bas en haut, mouvement de la résorption cosmique, chaque niveau

inférieur se résorbant dans le niveau supérieur

Par le yoga, parcours à rebours des étapes du déploiement cosmique pour s’unir à la divinité et atteindre la libération (mokṣa)

ou les pouvoirs surnaturels (siddhi)

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Yoga tantrique

Yoga tantrique, aussi appelé haṭha-yoga, c’est-à-dire yoga « de

l’effort violent »

Haṭhayoga, cfr Kuṇḍalinīyoga -> l’ « annelée » = équivalent de la

puissance cosmique, féminine, appelée Śakti.

Serpent femelle, « lové » à la base de la colonne vertébrale (premier cakra, élément terre)

Par un « effort violent », l’énergie « réveillée » s’élève à travers la suṣumnā et rejoint son époux, Śiva

Union de l’Énergie avec la Conscience suprême

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Objectifs de l’alchimie tantrique

L’alchimie transmutationnelle (dhātu- ou loha-vāda) > étape

préliminaire vers la transformation du corps en un corps divin (dehavāda)

« Le mercure doit être utilisé [dans le métal tel que dans le corps]… on

doit d’abord l’essayer sur un métal »

Rasārṇava « L’Océan de Mercure » (XIème s. ?)

Forme d’alchimie indissociable des doctrines et pratiques tantriques:

Métaphore alchimique pour décrire l’expérience mystique du haṭhayogin

Pratique du haṭhayoga conjointe aux opérations mercurielles, le mercure

jouant le rôle de catalyseur

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« Résorption » des métaux

Hiérarchie des métaux dans l’ordre micro-/macro-cosmique : de

bas en haut, les métaux vils (plomb, étain, cuivre), les métaux nobles (argent, or), et enfin, le mercure, considéré comme le rasa, la

semence du dieu Śiva

Processus de résorption des principes (tattva) -> le mercure

réabsorbe les métaux, du plus vil au plus noble

Le plomb, réabsorbé ou pénétré par le mercure, devient l’étain, l’étain

devient du cuivre, le cuivre de l’argent et l’argent de l’or.

Transmutation des métaux vils en or, catalysée par le mercure =

mouvement ascendant qui renverse le flux ordinaire de l’existence vers le vieillissement et la mort pour atteindre l’immortalité

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Yoga et opérations mercurielles

Les deux pratiques, mercurielle et yogique, s’appuient l’une sur

l’autre

L’élixir amplifie les effets du haṭhayoga

Le haṭhayoga est un préalable à la consommation de l’élixir

« Le travail pratique est double, connu [sous forme de] préparations mercurielles (rasa) et [de maîtrise des] souffles (pavana) » - Rasārṇava

Stabilisation du mental aussi volatile que le mercure à l’état brut

-> Transformation corporelle et spirituelle

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Symbolique du soufre et du

mercure

L’union sexuelle de Śiva et de la Déesse se reflète à chaque niveau

de la manifestation cosmique

Le soufre représente le sang menstruel de la Déesse et le mercure, la

semence de Śiva -> le soufre joue un rôle primordial dans le processus

de purification du mercure. Il le stabilise et le fortifie.

La transmutation des métaux vils en métaux nobles est précédée de

l’union sexuelle de Śiva et de la Déesse, par l’union du mercure et

du soufre.

Cette union engendre l’or alchimique : le « nouveau-né »

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Les « sacrements » alchimiques

Les opérations alchimiques = saṃskāra : cfr rites de passage qui font

du jeune hindou un être « parfait », un être « accompli » socialement

Ces « sacrements » alchimiques font du mercure une substance

transformante, capable de « parfaire » les autres métaux et les corps

« Statut de Śiva » (śivatva). Dans le corps doté des siddhi, l’homme

est « libéré en vie » (jīvanmukta)

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Conclusion VEDA, ĀYURVEDA ET RASĀYANA

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De la quête de longévité à la

quintessence de la vie Veda et quête de longévité : don et contre-don

Obtenir une vie « pleine » par le rite

Expérimenter l’immortalité dans le monde des dieux

Les Upaniṣad : limites de l’immortalité divine

Fruit éphémère de l’acte (karman) et intériorisation du rite

Idéal de délivrance (mokṣa).

L’Āyurveda, « Savoir de longévité » : moyens thérapeutiques et immortalité spirituelle

Médecine tonifiante (rasāyana) : renforcer la santé physique et mentale

Complexe corps-mental-âme traité dans la perspective de l’immortalité spirituelle

Alchimie tantrique : quête intégrée dans la réalité du corps vécu

Transformation du corps grossier en un corps divin, pour devenir un « second Śiva »

Quête de délivrance et quête de jouissance dans l’idéal de la délivrance en vie (jīvanmukti)