Pyrenessences ou la douce alchimie

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8 NATURE & PROGRÈS | juin-juillet-août 2013 | N°93 A près un an de recherches, Françoise et Daniel Dantin s’installent en 1988 à Belvis, un petit village à 900 m d’altitude dans l’Aude. Dans leur tête, une idée fixe pour changer de vie : produire des huiles essentielles. « Nous travaillions tous les deux dans la recherche pétro- chimique à Lacq. Au bout de six ans, nous avons démissionné car notre âme un peu écolo ne cadrait plus très bien avec notre travail… » explique Françoise. « Nous cherchions un en- droit plat avec une certaine pureté de terres. C’est grâce à un ami passionné de plantes que nous avons atterri sur le Plateau de Sault ». Le couple a commencé en louant deux hectares et en a acheté un. « Le seul terrain qu’on nous a proposé était alors bourré de genêts et de vipères… Nous avons démarré sans rien y connaître ! » confie-t-elle. Après avoir enlevé les genêts, bâti un hangar, une maison, les Dantin achètent leur pre- mier alambic en 1989. “Pyrenes- sences“ est né. La chimie en lien avec la nature, c’était bel et bien cela qui leur plaisait… Françoise se souvient encore de sa première distillation, du pin Douglas et, par la suite, des expé- riences plus ou moins heureuses qu’ils ont connues au fil des années en se formant à ce procédé. 20 litres par an Avec quatre hectares, Françoise, agri- cultrice à titre principal, s’est diversifiée au fil des années en ralentissant sa production d’huiles essentielles à partir de plantes bio et sous mention Nature & Progrès. Dès 1997, elle a cultivé des myrtilles pour vendre à la fois les fruits et les confitures. Elle produit également du blé Galère pour ses rotations et 1, 5 tonnes de pommes de terre par an pour la vente, sauf cette année, où les sangliers s’en sont mêlés… Avec 2/3 tiers de cueillette et 1/3 de production sur site, elle distille envi- ron 20 litres annuels qu’elle commer- cialise en direct en petit flaconnage, par internet, ou en fournissant des clients qui lui passent de plus impor- tantes commandes. « Notre climat pas très chaud ou très pluvieux puis sec par période nous a conduits à sélec- tionner les plantes les plus adaptées : aneth, carvi, coriandre, lavande, la- vandin, sauge sclarée, camomille, menthe… ». Françoise produit égale- ment des huiles de macération, des hydrolats et des baumes. « Je souhaite aujourd’hui donner de plus en plus de mon temps et de mon énergie au projet collectif que nous développons »(voir encadré). Sans compter, comme l’explique Fran- çoise que les nouvelles réglementa- tions européennes sur les cosmé- tiques qui vont entrer en vigueur cet été soulèvent de multiples inquié- tudes. « Avec ces normes d’étiquetage, de packaging, de conditions d’utilisa- tion, de mode de dépôt des formules, je me pose la question de la pérennité du petit producteur. Comment va-t-il résister à cela ? » Des huiles essentielles du monde entier Face aux difficultés pour vivre de leur production, les Dantin décident en 1998 d’acheter leur premier appareil d’occasion d’analyse d’huiles essen- tielles, un chromato-spectromètre de masse*. Un bon moyen d’allier leur bio-portrait Pyrenessences ou la douce alchimie ©Laurence Haumont ©Laurence Haumont ©Laurence Haumont c Françoise et Daniel dans leur laboratoire x Un jardin joliment habité Laura et Françoise pendant la cueillette des myrtilles v Pour allier leurs compétences de chimistes et leur désir de nature, Daniel et Françoise Dantin ont créé Pyrénessences au cœur du Pays Cathare. Entre cueillettes de plantes, distillation et analyses des secrets contenus dans les huiles essentielles, ils ont depuis vingt-cinq ans déjà imaginé de toutes pièces leur passerelle entre la science et le monde des plantes. Portrait. Par Pascaline Pavard

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8 NATURE&PROGRÈS | ju in- ju i l le t -août 2013 | N°93

A près un an de recherches, Françoise et Daniel Dantin s’installent en 1988 à Belvis,

un petit village à 900 m d’altitude dans l’Aude. Dans leur tête, une idée fixe pour changer de vie : produire des huiles essentielles. « Nous travaillions tous les deux dans la recherche pétro-chimique à Lacq. Au bout de six ans, nous avons démissionné car notre âme un peu écolo ne cadrait plus très bien avec notre travail… » explique Françoise. « Nous cherchions un en-droit plat avec une certaine pureté de terres. C’est grâce à un ami passionné de plantes que nous avons atterri sur le Plateau de Sault ».

Le couple a commencé en louant deux hectares et en a acheté un. « Le seul terrain qu’on nous a proposé était alors bourré de genêts et de vipères… Nous avons démarré sans rien y connaître ! » confie-t-elle. Après avoir enlevé les genêts, bâti un hangar, une maison, les Dantin achètent leur pre-mier alambic en 1989. “Pyrenes-sences“ est né. La chimie en lien avec la nature, c’était bel et bien cela qui leur plaisait… Françoise se souvient encore de sa première distillation, du

pin Douglas et, par la suite, des expé-riences plus ou moins heureuses qu’ils ont connues au fil des années en se formant à ce procédé.

20 litres par anAvec quatre hectares, Françoise, agri-cultrice à titre principal, s’est diversifiée au fil des années en ralentissant sa production d’huiles essentielles à partir de plantes bio et sous mention Nature & Progrès. Dès 1997, elle a cultivé des myrtilles pour vendre à la fois les fruits et les confitures. Elle produit également du blé Galère pour ses rotations et 1, 5 tonnes de pommes de terre par an pour la vente, sauf cette année, où les sangliers s’en sont mêlés…

Avec 2/3 tiers de cueillette et 1/3 de production sur site, elle distille envi-ron 20 litres annuels qu’elle commer-

cialise en direct en petit flaconnage, par internet, ou en fournissant des clients qui lui passent de plus impor-tantes commandes. « Notre climat pas très chaud ou très pluvieux puis sec par période nous a conduits à sélec-tionner les plantes les plus adaptées : aneth, carvi, coriandre, lavande, la-vandin, sauge sclarée, camomille, menthe… ». Françoise produit égale-ment des huiles de macération, des hydrolats et des baumes.

« Je souhaite aujourd’hui donner de plus en plus de mon temps et de mon énergie au projet collectif que nous développons »(voir encadré). Sans compter, comme l’explique Fran-çoise que les nouvelles réglementa-tions européennes sur les cosmé-tiques qui vont entrer en vigueur cet été soulèvent de multiples inquié-tudes. « Avec ces normes d’étiquetage, de packaging, de conditions d’utilisa-tion, de mode de dépôt des formules, je me pose la question de la pérennité du petit producteur. Comment va-t-il résister à cela ? »

Des huiles essentielles du monde entierFace aux difficultés pour vivre de leur production, les Dantin décident en 1998 d’acheter leur premier appareil d’occasion d’analyse d’huiles essen-tielles, un chromato-spectromètre de masse*. Un bon moyen d’allier leur

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Pour allier leurs compétences de chimistes et leur désir de nature,

Daniel et Françoise Dantin ont créé Pyrénessences au cœur du

Pays Cathare. Entre cueillettes de plantes, distillation et analyses

des secrets contenus dans les huiles essentielles, ils ont depuis

vingt-cinq ans déjà imaginé de toutes pièces leur passerelle entre la

science et le monde des plantes. Portrait.

Par Pascaline Pavard

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mét ier ini t ial à leur passion des plantes. « Pour prouver une qualité, il fallait bien définir la composition exacte de nos huiles essentielles et connaître précisément les pourcen-tages des différentes molécules afin de pouvoir affiner les précisions d’utili-sation », explique Françoise. Après une formation à Perpignan, un grand fabri-cant leur a demandé des tests et c’est là que tout a commencé. « C’était l’aventure, nous ne savions pas si ce projet allait fonctionner » explique Daniel.

À l’étroit dans le local de Belvis, le laboratoire s’est installé à Belcaire en 2009, avec la création de la SARL Pyrenessences Analyses dont Daniel est le gérant. Une personne travaille avec Daniel et Françoise dans cette structure qui analyse aujourd’hui des huiles essentielles qui arrivent des quatre coins de la France, mais aussi du monde entier avec au programme, des odeurs de Tahiti, d’Amérique du Sud, d’Asie… « Daniel n’y compte pas ses heures », confie Françoise. « Cer-taines plantes méconnues nécessitent parfois de grosses recherches biblio-graphiques ! ».

Dans la cour des grands…Connaître encore plus précisément la concentration en pesticides dans les huiles essentielles, c’est possible pour Daniel depuis à peine un mois. Et ce, grâce au Triple Quad Chromato Gas avec deux spectres de masse que

Depuis 7 ans, un petit groupe d’amoureux de ce plateau audois et de sa flore ont décidé de

lancer le projet Terre de Sault. Objectif : construire une structure d’accueil et créer un sentier bota-nique bordé de plantes médicinales et aromatiques afin d’œuvrer pour une réappropriation collective et individuelle de valeurs sociales et humanistes. « Ce lieu, avec un bâtiment principal et cinq cha-lets d’hébergement sera entièrement dédié aux plantes, à l’écologie et à l’environnement » explique

Françoise. « C’est un espace d’ouverture, d’accueil, d’information et de formation mais aussi un endroit pour se mettre “au vert“ ».

L’association Terre de Sault a été créée en 2008, ainsi qu’un GFA comprenant dix associés. « Tous les membres partagent la même dyna-mique. Ils n’attendent aucun retour financier et chacun de nous a simplement été enthousiasmé de participer à la création d’un lieu qui pourra servir à tous ».

Actuellement le bâtiment principal est en construction (cf. blog). Les travaux avancent dou-cement mais sûrement grâce à la persévérance du groupe, motivé par l’utilité collective de cette aventure. « Nous n’avons pas d’objectif de temps. Les gens du village commencent à venir voir ce qui se passe sur le site. Quand ils nous disent que cela n’avance pas bien vite, je leur réponds, qu’en tout

cas, à notre rythme, nous avançons ! » confie avec amusement Françoise.

Pour celles et ceux qui le souhaitent, il existe plusieurs façons de s’impliquer dans le projet Terre de Sault : en devenant membre, en participant à la construction des bâtiments et à l’aménagement des jardins (au travers de chantiers participatifs), en entretenant des futures zones plantées ou bien encore, en transformant des productions végétales et fruitières. L’association et le GFA sont en cours de réorganisation juridique pour pouvoir recevoir des dons et ouvrir l’activité séjours sur les lieux.

Pyrenessences ou la douce alchimie

Terre de Sault, un projet humaniste

Association Terre de SaultLa Gineste11340 [email protected]://sites.google.com/site/terredesault

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z Line, la collaboratrice des Dantin à Pyrenessences Analyses

z Françoise commercialise essentiellement en vente directe, comme ici dans son petit magasin jouxtant la maison

z Quelques-unes des essences en vente

vient d’acquérir Pyrenessences Ana-lyses. Un mot compliqué au yeux des néophytes pour cet appareil qui pos-sède une capacité de détection des pesticides liposolubles extrêmement fine. Un outil indispensable aujourd’hui quand on sait les concentrations sur-prenantes en pesticides de certains produits réalisés avec des plantes censées pousser sur des sites a priori préservés. C’est d’ailleurs cette aven-ture du laboratoire qui a amené Fran-çoise à adopter une autre posture en tant que productrice : « Ce travail au labo m’a montré que nous sommes sur une terre où il n’y a plus de limites, que les contraintes que nous subis-sons (eau, air, sol) ne connaissent plus de frontières. Cela m’a rendue plus humble et me rappelle en per-manence que nous en sommes tous responsables »

ContactFrançoise et Daniel Dantinwww.pyrenessences.com

*La chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse est une méthode d’analyse qui combine les performances de la chromatographie en phase gazeuse et de la spectométrie de masse afin d’identifier et/ou de quanti-fier précisément de nombreuses subs-tances. Les applications de la GC/MS com-prennent le dosage de médicaments ou de stupéfiants, l’analyse environnementale, la médecine légale et l’identification de toutes substances inconnues même sous forme de traces.

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