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ALCHIMIE ET PHILOSOPHIE I - II Sur les rapports entre alchimie et philosophie critique, à propos du Commentarius in novum Lumen Chymicum d'Andreas Orthelius suivi d'un essai sur les états symboliques de Jean-Jacques Rousseau J.J. Rousseau herborisant - vue du pavillon qu'il habitait à Ermenonville en cours, le 2 février 2010 plan : Introduction [ dissolution - inversion - Morale - intuition transcendantale - ] I. ALCHIMIE ET PHILOSOPHIE CRITIQUE : 1. le plan et les gravures du Commentarius d'Orthelius, 1 ère série : A. figura prima - B. figura secunda - C. figura tertia - D. figura quarta [ a. le barattage de la mer de lait { ambroisie - mer de lait - le mont Mandara - la tortue Kurma - le serpent Vasuki - la vache Surabhi -} - b. la pierre phallique - c. pramantha ] E. figura quinta - F. figura sexta [les quatre éléments - ] - 2. possibilité théorique d'une interprétation critique du symbolisme alchimique [a. introduction : l'apport d'Ernst Cassirer - b. forme symbolique et alchimie] - 3. la fonction inférieure : Kronos - 4. patient et agent - 5. la conscience de soi est la conscience du mal [ a. introduction { trois hypostases = ophis-christos - Prométhée - Aphrodite } - b. l' intuition métaphysique en tant que nigredo { Ouranos ou l'imagination - la séparation alchimique comme prise de conscience}] 6. le mal radical [a. radical et regressus - b. le mal radical chez Kant - ] alchimie et philosophie - Kant - Fichte - Cassirer - Rousseau http://herve.delboy.perso.sfr.fr/orthelius.html 1 sur 84 10/03/2016 09:42

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ALCHIMIE ET PHILOSOPHIEI - II

Sur les rapports entre alchimie et philosophie critique, à propos du

Commentarius in novum Lumen Chymicum d'Andreas Orthelius

suivi d'un essai sur les états symboliques de Jean-Jacques Rousseau

J.J. Rousseau herborisant - vue du pavillon qu'il habitait à Ermenonville

en cours, le 2 février 2010

plan : Introduction [dissolution - inversion - Morale - intuition transcendantale - ]

I. ALCHIMIE ET PHILOSOPHIE CRITIQUE :

1. le plan et les gravuresdu Commentariusd'Orthelius, 1ère série : A. figura prima - B. figura secunda - C. figuratertia - D. figura quarta

[ a. le barattage de la mer de lait { ambroisie - mer de lait - le mont Mandara - la tortue Kurma - le serpentVasuki - la vache Surabhi -} - b. la pierre phallique - c. pramantha ]

E. figura quinta - F. figura sexta[les quatre éléments - ] -

2. possibilité théorique d'une interprétation critique du symbolisme alchimique[a. introduction : l'apport d'Ernst Cassirer - b. forme symbolique et alchimie] -

3. la fonction inférieure : Kronos -

4. patient et agent -

5. la conscience de soi est la conscience du mal[ a. introduction { trois hypostases = ophis-christos - Prométhée - Aphrodite } - b. l'intuition métaphysique entant que nigredo { Ouranos ou l'imagination - la séparation alchimique comme prise de conscience}]

6. le mal radical[a. radical et regressus - b. le mal radical chez Kant - ]

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7. Prométhée[a. introduction : le lien du Mercure - b. l'inversion - c. la rivalité avec Zeus et le vol du feu - ]

II. LES ÉTATS SYMBOLIQUES DE ROUSSEAU :

1. la révolution comme épiphanie[ a. octobre 1749 - b. l'opposition comme réflexivité - c. Fichte, critique de Rousseau - d. l'ellipse commelimitation de la révolution - e. la réflexivité comme réciprocité] -

2.

abréviations : NLC = Novum Lumen Chymicum - Myst = Mystère des Cathédrales - DM = Demeures Philosophales - BCC= Bibliotheca Chemica curiosa - TC = Theatrum chemicum - CRP = Kant, Critique de la Raison pure - WL = Fichte,Wissenschaftslehre -

Introduction

Cette section est composée d'un premier essai (*) sur la possibilité formelle d'un rapport entrealchimie et philosophie critique. Puis d'un deuxième essai (**), sur les relations catégoriellesdes symboles alchimiques mis en perspective avec l'évolution d'une pensée : celle deJean-Jacques Rousseau. L'articulation entre les Essais tient à un symbole qu'en alchimie onnomme la nigredo et qui exprime la dissolution [sur le sens à donner à ce mot, en alchimie, voir mes

symboles].

* Dans le 1er essai, je tente une approche permettant de lier le symbole alchimique et laforme, par l'apport conceptuel d'Ernst Cassirer.

** Dans le 2èmeessai, les résultats de cette approche sont projetés sur une figureemblématique de la pensée française, Rousseau ou Jean-Jacques selon que lui-même s'estprésenté tel, au fil des moments de son oeuvre.

Abraham Eleazar, Uraltes chymisches Werk, Erfurt 1735 ; Leipzig, 1760l'Ouroboros alchimique comme hypostase de l'intuition transcendantale

Je montre dans I, 2 que la dissolution, que l'on peut encore appeler fusion, exprime lesentiment de l'intuition transcendantale :

« on appelle intuition cette espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet

pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et d'inexprimable. » [Henri Bergson, L'intuition transcendantale , Revuede Métaphysique et de Morale, 1911, 6, 809-827 et la Pensée et le mouvant, Genève, Albert Skira, 1933 ; Paris,

Alcan, 1934]

L'intuition dont parle Bergson est celle du temps intérieur et n'a point de rapport avecl'intellect. Elle constitue l'horizon de notre Moi [cf. infra, chapitre 5, b] et a en somme fort à voir

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avec le sentiment de la loi morale qui nous habite [cf. infra]. Bergson ajoute :

« Qu'il (le monde matériel) se rattache à l'esprit par ses origines ou par sa fonction, dans un cas comme dansl'autre il relève de l'intuition par tout ce qu'il contient de changement et de mouvement réels. Nous croyons

précisément que l'idée de différentielle, ou plutôt de fluxion, fut suggérée à la science par une vision de ce genre. »[ ibid., introduction ; de la position des problèmes, durée et intuition]

Cette idée de fluxion sera reprise lorsque je viendrais, dans le IIème Essai, à parler deProméthée considéré comme symbole éidétique de la Révolution. Mais déjà, un mot sur ceTitan : Prométhée est-il le fils de Thémis ? On connaît au moins trois légendes qui en fontsoit le frère de Cronos [hypothèse séduisante quand on connaît la suite et qui va dans le sens de son origine

védique, cf. Ier Essai, 1, c], soit le fils de Thémis, soit enfin le fils de Héra. Si je me place au plande la philosophie hermétique, il me plait de le considérer comme fils de Thémis. Eh certes !D'imaginer ainsi l'enfant de la Justice apportant aux hommes la lumière de la Vérité n'est paspetite chose.

« Croirais-tu par hasard que je doive haïr la vie et fuir au désert, parce que toutes les fleurs de mes rêves nont pasdonné ? Ici je reste à fabriquer les hommes à mon image, une race qui me ressemble pour souffrir et pour pleurer,

et te dédaigner, toi, comme je fais ! » [Johann Wolfgang von Goethe, Prométhée, 3ème acte, Prométhée dans son

atelier, Hachette, Oeuvres de Goethe, tome II, trad. Porchat, 1860, p. 98]

Ainsi Prométhée défie Zeus et ce défi prend la forme du mépris, parce que les maux que ledieu envoie aux hommes sont arbitraires. Ce mépris annonce la rébellion qui nourrit l'idéemême de la Révolution. Dans le même temps, l'homme qui a créé le dieu à son image avantde se créer en quelque sorte lui-même, ne se retourne-t-il pas, aussi, contre lui-même ? C'estce que laisse entendre Fichte :

« Prométhée se rit de Jupiter, qui demeure au-dessus des nuages, et de tous les tourments qu'il amasse sur sa tête,

et il voit sans trembler les ruines du monde tomber sur lui. » [J.-G. Fichte, Méthode pour arriver à la Vie

heureuse, trad. Bouilher, Paris, Ladrange, 1845, septième leçon, p. 234]

Prométhée représente l'hypostase d'un mouvement de libération : celui où l'homme se détachedu divin au sens ontologique ; autrement dit, celui de la liberté de la volonté, c'est-à-dired'une prise de conscience nette de la difficulté de concilier cette liberté avec la nécessité del'ordre universel [i.e. la contingence]. De là cette entrave, cet embarras où le Titan EST [dans lequelil faut voir l'homme spirituel (Jung), assimilable à « l'homme de l'homme » (Rousseau) dès l'instant de la

rébellion] : l'aigle [ou le vautour, oiseau d'Apollon] dévorant le foie de Prométhée, c'est encore uneallégorie de la lutte du mobile contre le fixe, où l'on est en droit de trouver le combatincessant que décrit Empédocle : celui de l'Amitié contre le Désordre [cf. Ier Essai, chapitre 1, c].Seul un vent de Justice est capable de mettre un terme à la passion de Prométhée et c'est làune différence qui l'oppose, de façon radicale, à la passion du Christ [le message est que si le MOI

est éphémère, le SOI est éternel]. En cela d'ailleurs, la philosophie de Feuerbach procure unedimension singulière puisqu'elle dégage les éléments constitutifs de ce que l'on peut appeler «l'illusion religieuse » [voir A. Philonenko, la jeunesse de Feuerbach, introduction à ses positions

fondamentales, Vrin, 1990, 2 vol.]. Illusion où il y a lieu de considérer un processus d'inversion -de l'ordre de la morale - qui intervient dans la conscience de soi [cf. Ier Essai, chapitre 5]. Onretrouve cette inversion lorsqu'on est amené à examiner le symbolisme alchimique deProméthée [cf. Ier Essai, chapitre 7, b].

« La vérité de la religion ne se trouve donc pas dans la religion elle-même, en Dieu, mais dans le rapport

religieux, c'est-à-dire imaginaire, que l'homme entretient avec sa propre réalité. » [Philippe Sabot.«L'anthropologie comme philosophie». Methodos, 5 (2005), La subjectivité. http://methodos.revues.org

/document320.html]

L'analyse de ce processus d'inversion conduit à démasquer, à dévoiler le religieux, non pasqu'on soit amené à le considérer comme une aliénation du sens mais bien plutôt commepharmacon à ce qu'il faut bien se résoudre à nommer la maladie de « l'ontogenèse du divin » dans

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l'expression consciente du SOI. Ce mal, fort ancien, remonte aux Grecs :

« Tant que vivaient encore les dieux olympiques, dieux cependant élémentaires et imparfaits, on pouvait espérerqu’ils parviendraient à secourir l’homme d’une façon ou d’une autre. Mais les dieux mouraient, lentement il estvrai, mais sûrement, et du temps de Socrate il fallait déjà avoir recours aux menaces pour les défendre contre les

critiques et les railleries des gens instruits. Socrate lui-même fut accusé d’avoir manqué de respect aux dieux. »[Lev Chestov, Qu'est-ce que la Vérité ? Ontologie et Éthique, Revue philosophique de la France et de

l'étranger, 1927, tome ciii, pp. 36-74]

Chestov reprend cette idée de Fichte où l'homme comprend que le secours ne peutdécidément venir que de lui. Autrement dit, à la mort des Dieux, qu'il faut comprendrecomme confrontation de l'homme à l'inconscient [i.e. le Non Moi interne], l'homme doit secharger lui-même de leur tâche. Et notamment d'une tâche paraissant être absolumentau-dessus des facultés humaines, res quae in nostra potestate non sunt [Spinoza, Ethica, II. De natura et

origine mentis, propositio xlix], la capacité à créer le monde, c'est-à-dire l'activité démiurgique oùl'on retrouve l'idée alchimique. Notons que cette activité se retrouve également dans l'art defaire de la musique, où se découvre la capacité à créer du temps [cf. Hugues Dufourt, Mathesis et

subjectivité, Éditions MF, Paris, 2006] : la musique savante occidentale s'est constituée en sedébarassant de la pensée antique grecque, construite sur une représentation discontinue dutemps.

« La pensée la plus profonde et la plus secrète de Socrate fut exprimée par les stoïciens; Épictète dit : "Lecommencement de la philosophie est la conscience de sa propre impuissance et de l’impossibilité de lutter contrela nécessité." Chez aucun des philosophes, je crois, on ne trouverait une déclaration aussi franche. Mais chez cemême Épictète on lit "Voici la baguette de Mercure. Touche avec elle ce que tu veux : tout se transformera en or.Donne-moi quoi que ce soit : je transformerai tout en bien ... Apporte la maladie, la mort, la misère, apporte la

honte, le procès juridique le plus difficile, grâce à la baguette de Mercure on en retire avantage." » [L. Chestov,

ibid, p. 48]

Il est absolument remarquable de lire chez Épictète à la fois un prolégomène à toutephilosophie et l'exposé de la doctrine alchimique la plus pure dans la projection [la baguette de

Mercure ]. Mais Épictète, non avare de ses paroles, semble nous livrer le secret de nature :

« L'essence du bien est en ce qui dépend de nous ... La seule voie qui y conduit est le mépris de ce qui ne dépend

pas de nous. » [Diatribai, livre II]

C'est nommer le devoir en des termes à peine différents de ceux qui seront employés, dessiècles plus tard, par Kant dans son impératif catégorique. La voie sacrée pour Epictète, prixdu suprême effort, consiste à se sentir indépendant, c'est-à-dire à penser par soi-même : il nedépend donc que de nous d'être libres comme Dieu lui-même et de devenir ses égaux d'unecertaine manière, par la force de la volonté. Mais sans idée d'imposition et c'est là où Épictètemanifestement se dissocie de la figure socratique. Et surtout, l'homme selon Épictète, et c'estlà le point crucial, trouve en lui-même l'idéal divin : ce n'est pas toutefois sa raison ou saconscience. C'est bien à la rencontre de son inconscient qu'il est convoqué, c'est-à-dire duSoi. Doctrine à vrai dire bien ascétique où l'on retrouve le stoïcisme propre aux alchimistesspéculatifs. Le retour à Soi, c'est encore l'entrée dans la caverne mais je ne rappellerai plus icice qui se découvre sous l'acronyme V.I.T.R.I.O.L.

« On voit maintenant, sans doute, ce qu’ont fait la raison et la sagesse née de la raison. Celle-ci vit que lanécessité était insurmontable, autrement dit, qu’il lui était impossible de s’emparer de l’univers créé par les dieuxdéfunts. La sagesse qui n’osait jamais discuter avec la raison, qu’elle considérait comme le principe de touteschoses ... accepta tout ce que la raison tenait pour évident; il ne lui restait donc plus qu’à déclarer que le bien etmême la réalité ne consistaient que dans ce qui dépend de la raison, et à repousser comme le mal ou l’irréel, toutce qui n’est pas soumis à la raison. C’est ainsi que dans la philosophie antique l’éthique prit la place de

l’ontologie... » [L. Chestov, ibid., pp. 48-49]

C'est donc à un transfert que nous devons la prise de conscience de cette impossibilitéradicale et de ce que l'on peut encore nommer une illusion religieuse. Or, il semble que les

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alchimistes, par la projection des éléments du SOI qu'ils effectuent dans la matière [voir mes

symboles], parviennent en cette occurrence [i.e. ce qu'il convient presque d'appeler le « traitement » de

cette ontogenèse] à sublimer cette illusion religieuse par interversion du sujet et de l'objet [cf. Ier

Essai, cap 4et 3ème Essai, cap. 1] ; c'est en substance le message que délivre C.-G. Jung dans sestravaux d'herméneutique appliqués à la matière alchimique [je veux notamment faire allusion à

Réponse à Job, cf. Ier Essai, chapitre 1, b] : Jung met en lumière le bien et le mal qui, à part égale,procèdent du sens du divin et donnent à Yahvé cette stature « terrible. » En cela, on setromperait du tout au tout en ne voyant en Dieu qu'un idéal concentrant des qualités humainespositives auquel l'homme s'adonne [voir là-dessus Ludwig Feuerbach, l'Essence du Christianisme,

Leipzig, Wigand, 1841 ; Gallimard, Tel, 1992]

« L'homme n'a pas d'autre besoin et d'autre volonté que de n'avoir pas à se mépriser lui-même. La satisfaction dece besoin dépend entièrement de lui-même, car une loi absolue dans laquelle l'homme doit s'absorber suppose

nécessairement que l'homme est libre. » [Fichte, op. cit., p. 233]

Immanuel Kant (1724-1804), peinture de Doepler, 1791

Cette loi absolue correspond à l'impératif catégorique de Kant : une action ne doit pas êtreseulement conforme au devoir, mais encore faite par devoir [Fondements de la métaphysique des

moeurs, 1ère sect.] - le devoir est ici conçu, faut-il le dire, comme nécessité intérieure - et decette proposition, Kant conclut que l'action morale tire sa valeur, non du but qu'elle sepropose, mais du principe qui la détermine; en d'autres termes, le principe moral agit sur lavolonté par sa forme, et non par sa substance. Le primat de la forme conditionne ici l'identitééidétique et fonde, de juris, la liberté essentielle de la volonté par la formule :

« Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle. » [Kant,Critique de la Raison pratique, l. I Analytique de la Raison pure pratique, c. 1 des principes de la raison pure

pratique, § 7 loi fondamentale de la raison pure pratique, Ladrange, 1848, p. 174, ]

Le principe de l'impératif catégorique conduit Kant à deux considérations de la plus hauteimportance, qui lui servent de fondement. Le premier est le principe de l'humanité considéréecomme fin en soi [Selbstzweck]; le second est le principe de l'autonomie de la volonté [cf. PaulJanet, Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, Alcan, 1887, chap. ix, la philosophie

allemande, Kant et Fichte, p. 573 sq.]. De ces deux principes, Kant déduit comme règle absolue cequi ne parait constituer, après tout, qu'une aporie :

« L'homme, dit Kant, et en général toute créature raisonnable, existe, comme fin en soi, et non pas simplement

comme moyen pour l'usage arbitraire de telle ou telle volonté. » [Fondements de la métaphysique des moeurs,

Ladrange, 1848, sect. II, p. 69 sq.]

Cest pourtant dans ce principe qu'est la justification et la raison d'être de la philosophie du

XVIII e siècle. Elle doit beaucoup dans sa genèse aux idées de Rousseau [cf. notamment Émile ou

de l'Éducation, Profession de foi du vicaire savoyard , livre IV, Garnier- Flammarion, 1966, pp. 375-378] :

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pour lui, en effet, la loi morale est consubstantielle de la conscience. Elle ressortit en outre dece que l'on entend sous le mot « nature » :

« Ainsi une seconde considération était nécessaire, qui ne prenait plus pour base la nature de l’homme, mais lanature du droit. Le penseur qui, pour la première fois depuis Socrate et Platon, recueillit cette idée et s’efforça dela féconder fut J.-J. Rousseau. La question qu’il prit comme problème est la suivante : Comment, à la puissancearbitraire que nous voyons régner partout, une domination légitime du droit peut-elle se substituer ? Cela n’estpossible que quand on conçoit la fin suprême de la vie collective dans le sens d’un contrat social : "Chacun denous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous

recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout."... » [Rudolf Stammler, Notion et portée dela volonté générale chez Jean-Jacques Rousseau, in Revue de Métaphysique et de Morale, 1912, année 20, n°3,

pp. 383-389]

Concilier la Nature et l'Esprit implique la réalisation d'un transfert et fait intervenir le conceptde limitation par réduction. La limitation est inhérente au sens : c'est la condition même detoute représentation en ce qu'elle permet :

« ... l'immédiate actualisation de l'Infini par réduction... » [Xavier Léon, la philosophie de Fichte, revue de

Métaphysique et de Morale, 1902, t. X, pp. 23-68].

Dans cette opération, on assiste à une inversion du rapport sujet/objet. L'Absolu, qui est lamanifestation de l'Idéal, agit sur le sujet parce qu'il est porteur de sens ; dès lors, le sujet estagi comme l'entend Kant avec le concept de l'impératif catégorique. De là, la notion deDevoir. Le Devoir manifeste la dialectique - dans l'ordre de la Morale - qui s'établit entre NonMoi et Soi ; cette dialectique dépend de la transcendance :

« Fichte fait voir dans la nécessité de la Nature le produit, d'ailleurs inconscient, de la liberté. » [idem, p. 44]

Deux remarques importantes :

la relation consubstantielle entre Soi et inconscient ;l'instauration de la liberté, comme modalité dans certaines déterminations théoriquesdu monde, ce qui nous renvoie à la troisième antinomique kantienne qui fonde de juro laliberté

« thèse : La causalité d’après les lois de la nature n’est pas la seule dont nous puissions dériver tous lesphénomènes du monde; il est nécessaire d’admettre encore une causalité par liberté pour l’explication de ces

phénomènes. » [François Evellin, la dialectique des antinomies kantiennes, revue de Métaphysique et de

Morale, troisième antinomie, 1903, t. XI, pp. 455-494]

L'application de la liberté tient ainsi à l'expression d'un choix esthétique : Éthique etesthétique ont partie liée dans l'établissement de la Morale. En effet, la morale du Devoir est,pour Kant, un fait inexplicable. Fichte tâche de rendre ce fait intelligible. L'analyse critiquemontre que la dialectique Non Moi - Soi passe nécessairement par le truchement d'un agentoù s'exprime le Moi : deux niveaux catégoriels apparaissent. D'une part pour la forme qui meten action les ressorts de l'intelligence : le mot seul d'évidence semble être de mise. D'autrepart pour l'expression qui ressortit du Devoir et qui est du domaine de la volonté. C'est dansla conjonction de ces motifs catégoriels que prend naissance ce que Kant nomme l'impératifcatégorique qui n'est autre que la représentation nouménale où se manifeste l'Idéal.Corrélativement, apparaît un phénomène : la prise de conscience dont d'autres équivalents -mais qui n'ont pas lieu d'être ici - sont la grâce et la foi. La relation entre Soi et inconscienttrouve sa correspondance si l'on veut bien admettre l'opposition entre l'impératif catégoriqueet la « volonté bonne » chère à Kant [cf. Fondements de la Métaphysique des moeurs, in Critique de la

raison pratique, trad. J. Barni, Paris, Ladrange, 1848, p. 20 sq.]. La « volonté bonne » pose en droit l'idéaltranscendantal et force ainsi le primat du Soi. L'Idéal apparaît alors non point commemanifestation mais bien plutôt comme but. Dans cette affaire, le jugement - qui est réflexion - se pose en arbitre avec le secours de l'intuition intellectuelle [cf. Alexis Philonenko, Jean-Jacques

Rousseau et la pensée du malheur, t. III, iv. le clos et l'ouvert, p. 67 sq.].

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buste de Fichte

Au plan alchimique, il est possible de trouver des équivalents de cette pensée dialectique oùla Morale joint les extrémités que sont la Volonté et le Droit. Les alchimistes nous ont habituéà voir dans leur matière une chose une, indivisible, qui cuit dans l'athanor. Le grand thème del'unicité du sacrifice de soi a fait l'objet tout aussi bien des recherches alchimiques quephilosophiques :

« ... Fichte ... a prétendu rattacher ses spéculations à la pensée chrétienne ou plutôt la pensée chrétienne à sesspéculations. En particulier, dans l’ouvrage intitulé la Théorie de l’État, il invoque un grand nombre de textespour justifier ce rapprochement. Il s’efforce d’établir que l’idée du royaume des cieux qui est, à ses yeux, l’essencemême du Christianisme, n’était dans la pensée de son fondateur que le règne de la Raison sur la terre, dont laThéorie de la Science a fait le but de la Moralité et que jamais le Christianisme quand il parle de mort et derésurrection, n’entend pas là la mort physique et l’existence d’une autre vie dans un autre monde, mais tout

simplement cette conversion morale, cette élévation à la vie de l’esprit qui est exposée dans sa philosophie. » [X.

Léon, op. cit., p. 34]

Dans le même temps, la thèse selon laquelle « la raison humaine est auto-insuffisante »semble très fragile. En effet, c'est par la transcendance que la liberté se réalise dans le genrehumain. La liberté, en termes alchimiques, peut correspondre au mercure et alors, nous

voyons le thème de la sublimation se développer ou encore à la terre et c'est le thème

chthonien de la corruption du monde qui se déploie. Le but que poursuit l'alchimiste est sapropre régénération psychique en une sorte d'analyse muette [voir le Mutus Liber ] où laprojection d'éléments issus du Soi dans la matière minérale procède d'une numinosité [cf.

Aurora consurgens, Ripley Scrowle]. Lorsque je dis que les alchimistes tentent, plus ou moinsconsciemment dans leurs travaux, une projection d'éléments numineux, il faut entendre par làd'éléments de leur psyché qui s'intègrent dans le Non Moi ; de cette partie du Non Moi quel'on appelle le Soi et qui est certainement constitutive de la personnalité en tant qu'unicitééidétique. Et cette même partie forme, en définitive, comme la racine de notre être. Tout enéchappant au contrôle de la conscience, c'est-à-dire à la pensée réflexive, ces rhizomata ouformants de l'Être nous sont en partie dévoilés par l'intuition :

« L’idée de cette intuition en soi, détachée du fait de conscience, et à laquelle il est difficile d’apercevoir d’autrebase que l’emploi syntaxique du substantif, Aristote, après l’avoir adoptée pour sa psychologie, l’a transportée, en

vue d’un usage métaphysique, du plan du sensible dans le plan de l’intelligible : La nhsiV nohseoV se

doublera donc de l’intuition d’un noeton ou, suivant la terminologie kantienne, d’un nooumenon destiné à

lui servir de fondement. » [Léon Brunschwicg, l'idée critique, le système kantien, revue de Métaphysique et de

Morale, t. xxxi, n°2, 1924, p. 197]

J'ai parlé tout à l'heure [cf. Bergson] de l'intuition transcendantale ; elle ne doit point êtresimplement confondue avec l'intuition intellectuelle laquelle, à partir d'un certain moment decondensation d'idées, devient réductrice et trouve pour ainsi dire en elle-même le terme de safinalité [par quoi on est ramené à un processus purement cyclique : c'est la nigredo alchimique] :

« Tout d’abord il faut qu’il ait été établi ou au moins posé que l’être est d'une manière générale présent dans

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l’esprit, ou encore qu’il lui est accessible. Cette affirmation doit être prise dans son maximum de généralité. Lemode de relation exact qui existe entre l’être et la pensée n’est pas et ne doit pas être encore spéculé; tout ce qu’onse borne à poser, c’est qu’il y a entre l’un et l’autre une relation (que nous appellerons l’immanence au sens

général), que l’un n’est pas étranger à l’autre. » [Gabriel Marcel, les conditions dialectiques de la philosophie

de l'intuition , revue de Métaphysique et de Morale, 1912, n°6, pp. 638-652]

Cette relation générale à l'Être ou cette immanence comme l'appelle G. Marcel , est la pierrede touche de ce moment dialectique. Dans cette relation, le problème du savoir absolu estposée et sa résolution fonde l'histoire pragmatique du Moi [cf. I, 1, b]. En ce sens, l'immanencepeut être interprétée comme le moyen qui réunit les opposés, tout à fait analogue au Mercure

alchimique, dans la relation du SOI au MOI. En outre, ce moyen permet la complémentarité

de l'esprit et de l'être, en faisant reposer l'objectivité du savoir absolu sur sa forme [cf. J.-G.

Fichte, Nouvelle présentation de la Doctrine de la science, trad. Thomas-Fogiel, Vrin, 1999], dont l'imagese rapproche de la nigredo . Ce rapprochement peut être d'autant mieux suggéré que

l'image éidétique véhiculée par la Wissenschaftslehre [nova methodo 1798] n'est autre que le cercle:

« Un principe est épuisé, déclare Fichte, lorsqu'un système complet ... est fondé sur lui, c'est-à-dire lorsque leprincipe conduit nécessairement à toutes les propositions établies et que toutes les propositions établies

reconduisent nécessairement au principe ... La Doctrine de la Science est donc un cercle. » [A. Philonenko, laLiberté humaine dans la philosophie de Fichte, Vrin, 1966, vi. la problématique et le système, la critique

hégélienne, p. 102]

Naturellement, il ne s'agit point, si j'ose dire, d'un cercle statique et le terme de circulationprend sa place quand on envisage son aspect dynamique. À cela s'ajoute un autre caractère :la synthèse quintuple :

1 -> 2 -> 5 <- 3 <- 4

Ce schéma ne fait que traduire le développement indiqué par Philonenko, de la série dessections de la Wissenschafslehre. On peut considérer que ce schéma quintuple trouve sonorigine dans le fonds théosophique de la franc-maçonnerie, ou plus exactement dans leparacelsisme, tel que je l'ai évoqué dans mes symboles. Philonenko indique comme sourcepossible à la synthèse quintuple de Fichte l'un des vers de Dante :

« DILIGITE IUSTITIAM ... QVI IVDICATIS TERRAM » [la Divine Comédie, Paradis, chant XVIII, in la Pléiade,

trad. André Pézard, 1965, p. 1533]

Aimez la justice, vous qui jugez la terre. C'est le premier verset du Livre de Sapience attribué àSalomon. A. Pézard souligne que la lettre finale M doit se voir sous sa forme romane et qu'ils'agit de l'initiale du mot Monarchia. On doit comprendre par là qu'en droite ligne, la Vertus'informe d'elle-même :

Et je vis descendre d'autres lumières sur le sommet de l'M, et s'y reposerchantant, je crois, le bien qui vers soi les attire ; puis comme, lorsqu'onfrappe des tisons ardents, s'élèvent d'innombrables étincelles, d'où lessots ont coutume de tirer des augures, de là parurent surgir de mille

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lumières, montant l'une beaucoup, l'autre peu, selon le partage que luiassigna le Soleil qui l'enflamme, et, chacune en son lieu s'étant arrêtée,je vis la tête et le cou d'un aigle se former de ce feu distinct. Celui quipeint là n'a point de guide, mais il guide lui-même, et reconnaît qu'elleest de lui, cette vertu qui dans les nids est la forme.  

Paradis, XVIII, Flammarion, 1880

L'aigle est, en alchimie, le symbole même de la sublimation qui est l'étape suivant la nigredo. Il s'agit de l'albedo. Au plan philosophique, on y trouve les éléments de l'intégration du

MOI [cf. I, 4]. Chez Fichte, cette intégration s'organise dans le système de la synthèse quintupleet débouche sur la Vertu. Ce que les alchimistes nomment le soufre dépuré, tiré de leur

sulphur [cf. Aurora consurgens].

Je ne saurais mieux comparer l'intuition, dans son formalisme, qu'à l'attractiongravitationnelle qui forme des masses de plus en plus importantes à partir de corpusculesélémentaires, comme les nomme Kant [Du Ciel, Essai sur la constitution et l'origine mécanique de

l'univers, 1755, trad. C. Wolf, in les Hypothèses cosmogoniques, Paris, Gauthier-Villars, 1886]. Les idéessont comme ces particules qui forment des mondes, et qui s'emboîtent en matière deconcepts. Mais la forme de l'intellect en détermine un objet replié ou pour mieux direcondensé, qui n'a de connexion avec les autres objets que par l'entremise du vecteur quiproduit l'attraction. Au lieu que la forme philosophique ne s'adresse point à l'objet déterminépar un agrégat d'idées mais bien plutôt au vecteur même qui en est le primum movens ; qui enourdit la trame. C'est là que nous pouvons deviner la différence essentielle entre Platon et

Aristote : d'un côté, l'eidoV ou caractère de la forme ; de l'autre côté, la forme immuable

[Platon dit que l'idée est la quintessence de la réalité, l'être catexochn dont les images de la réalité ne nous

présentent qu'une pâle copie] qui n'est pas accessible à l'intellect seul ou au sens seul et qui,pourtant, est de l'ordre du sensible. C'est ce que Luc Brisson appelle :

« le raisonnement "bâtard" menant à l'hypothèse de l'existence d'un troisième terme... » [La Matière dans le

Timée, in l'Alchimie et ses racines philosophiques, Vrin, 2005, dir. Cristina Viano, p. 17]

Ce troisième terme, les alchimistes en ont fait l'intermédiaire ou Mercure . Les philosophes

en font l'objet de leurs recherches transcendantales en tant que :

« ... elle (la troisième entité) ne peut être appréhendée par la pensée comme le serait une forme intelligible, ou parles sens comme le serait une chose sensible. En faire un objet de pensée s'avère impossible, tout comme en avoir

une représentation sensible. Cette entité échappe même à toute désignation unique et univoque... » [ibid., p. 23]

Par chose sensible, il faut entendre une chose accessible au sens mais bien sûr, en aucun cas àla sphère du sensible puisque, précisément, il s'agit d'une chose qui échappe à la sphère del'intelligible. C'est, on en conviendra, un point de vue profondément romantique où le mondese veut « poétisé » au sens exact où l'entend Ernst Cassirer dans le Mythe de l'État [Gallimard,

1993] :

« Pour les penseurs des Lumières, le mythe est une masse aberrante d’idées confuses et superstitieuses, il ne peuty avoir aucun point commun entre mythe et philosophie. Les romantiques, au contraire, considèrent le mythecomme la source principale de la culture humaine, qui s’enracine dans cette nécessité supérieure métaphysique. Lemythe est pour eux l’allié et l’achèvement de la philosophie, et il est à l’origine de l’art, de l’histoire et de lapoésie. La glorification romantique du mythe a pour but de faire pénétrer l’esprit poétique dans toutes les sphèresde la vie humaine, et ainsipoétiser le monde. L’universalisme, littéraire comme religieux, est valorisé. Cela en conservant l’individualité desnations et des cultures, ce qui les écarte du totalitarisme. Le mythe devait pour eux poétiser le monde et non le

politiser. » [Sociologie générale: National-socialisme comme crise de la modernité - Prof. R. Lucchini]

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Le mythe représente la clef du monde transcendantal en ce qu'il permet - au-delà de lacroyance, de la foi - d'avoir accès aux arcanes du sacré : la poésie est l'un de ces arcanes [cf. I,

2, a] et l'intuition transcendantale relève du même critérium. C'est cette intuition qui permetd'englober dans le même sujet éthique et esthétique en donnant forme à cette réflexion de M.Guéroult :

« Une même liberté crée la nature, et, sous la forme de moralité, tend à réaliser dans ce monde le royaume deDieu. Comment la même liberté peut-elle donner naissance à la nécessité du monde sensible et à l'obligationmorale? Comment naissent des intuitions d'où provient un ordre contraire à la Liberté. Comment la même liberté,présente à la fois dans le sujet et dans l'objet, peut-elle à la fois produire le monde sensible, qui s'oppose à la

Liberté, et l'Autonomie qui, dans un impératif, exige la réalisation de la liberté dans le monde ? » [M. Guéroult,

l'antidogmatisme de Kant et de Fichte, revue de Métaphysique et de Morale, t. xxvii, 2, 1920, p. 219]

Cette philosophie du dictamen - où Rousseau d'ailleurs se fait précurseur de la doctrinekantienne de l'impératif moral - trouve dans le concept d'inversion son vecteur idéal. Il nes'agit pas, comme on l'écrit trop souvent, du retour à l'ignorance [voir là-dessus P. Burgelin, la

Philosophie de l'Existence de J.-J. Rousseau, PUF, 1952, iii. la philosophie du dictamen, p. 62] mais plutôtde la mesure la plus précise possible du décalage entre les connaissances empiriques et lavertu, c'est-à-dire en somme, du savoir que nous pouvons recueillir de - et sur - nous-mêmes :

« La vérité générale et abstraite est le plus précieux de tous les biens, sans elle, l'homme est aveugle ; elle est

l'oeil de la raison. » [Rousseau, les Rêveries du promeneur solitaire, IV, p. 682, in la Pléiade, 1951]

S'agit-il de cet « oeil vivant » qu'évoque avec tant d'art et de subtilité Jean Starobinski ? Cettevision interne - plus qu'intérieure - est peut-être ce qui pourrait le mieux caractériser ce que jeveux faire voir par l'expression « intuition transcendantale ». Toutefois, la raison seule s'avéreraitimpropre à rendre compte du mécanisme de l'inversion ; c'est aux résonnances spectrales dusentiment qu'il faut faire appel pour en dégager la structuration, c'est-à-dire pour rendreévident l'occulte, l'invisible, à la manière de ce qu'un alchimiste écrit dans sa Lumière sortant

par soy-même des Ténèbres.

Ier ESSAI

I. ALCHIMIE ET PHILOSOPHIE CRITIQUE

Afin d'illustrer le propos par un exemple tiré de l'imagerie alchimique, je commente lesgravures d'Andreas Orthelius. Il s'agit, comme si souvent chez les alchimistes, d'un nom de

cabale : Andreas Orthelius se récrit androV orqo hlio

[cf. Henning Witte : Memoriae renovatae decades. Königsberg, Frankfurt, 1674-1679 ; Vita Sendivogii Poloninobilis baronis Ex Relatione Ipsius quondam Oeconomi, IOHANNIS BUDOWSKI. Cui accessit Epistola DN. DE

NOYERS, Ex Gallica lingua in Latinam conversa, pp. 615-628]

orqo hlio, c'est-à-dire le « vrai soleil » ou soufre dépuré comme en parlent des Adeptescomme Batsdorff [le Filet d'Ariadne , cap. II, les minéraux et les métaux], Albert Le Grand (pseudo) [le

Composé des composés, pratique du Mercure des Sages] ou encore Denis Zachaire [Opuscule de la

philosophie naturelle, seconde partie]. On pourrait encore citer Ramon Lull ou Georges Ripley.Devons-nous y voir le sulphur ? Ce n'est pas évident car les textes se contredisent ;

certains évoquent l'opération de la projection et alors les expressions de « vrai soleil et vraie lune

» correspondent à l'or et à l'argent tandis que d'autres en tiennent pour l'évolution même duprocessus alchimique [i.e. période de l'albedo, de la rubedo, etc.]. Il serait d'ailleurs intéressantd'établir une recension des textes où l'interprétation diffère afin de vérifier que l'opération de

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la projection est citée pour l'essentiel dans des textes pseudépigraphes... Ce n'est là qu'une

hypothèse. Quant à androV, l'homme, il est évidemment séduisant d'y deviner « l'homme

sauvage » de Rousseau par opposition [ou complémentarité] à « l'homme de l'homme », c'est-à-dire àl'homme éclairé par la vraie lumière [cf. infra Prométhée]. Le sens exact - i.e. de cabale -

d'androV orqo hlio est donc celui de l'homme éclairé par la raison des lumières, si j'osedire. Nous voici déjà, mutatis mutandis, aux portes de la Révolution... Quoi qu'il en soit,quelques notes, sur cet alchimiste, tirées de Ferguson [Bibliotheca Chemica, vol. II, p. 157] neseront pas de trop :

ORTHELIUS.

- Epilogus & Recapitulatio in Michaelis Sendivogi Poloni Novum Lumen Chymicum Opera & Studio

'AndroV OrqoV HhlioV'. In gratiam genuinorum Hermetis filiorum publici juris facti. AnnoM.DC.XXIV. 8'. Signatures F to V in eights. Pp. [1] 230 - This is the appendix to the edition ofSendivogius' Lumen Chymicum novum, by Orthelius. See SENDIVOGIUS (MICHAEL), LumenChymicum Novum, 1624.

- Commentarius in Novum Lumen Chymicum Michaelis Sendivogii Poloni, xii. figuris in Germaniarepertis illustratum.See THEATRUM CHEMICUM, 1661, vi. p. 397. See MANGET (J. J.), Bibliotheca Chemica Curiosa,1702, ii. p. 516.

- Commentatio in Epistolam Joh. Pontani de Lapide Philosophorum. See THEATRUM CHEMICUM,1661, vi. p. 489.

- Discursus de Epistola Andraeae de Blawen. See THEATRUM CHEMICUM, 1661, vi. p. 470.

- Explicatio Verborum Mariae Prophetissae See THEATRUM CHEMICUM. 1661. vi. p. 480.

Little more is said about Orthelius than that he wrote the commentary on Sendivogius, but rather differentopinions have been expressed about the author's merits. Lenglet Dufresnoy found him to be not socomplicated as others, but to have written simply and naturally. His remarks deserve the attention of'artists, and by close scrutiny of the commaitary and comparison of it with the epilogus of Sendivogiusthey may even ascertain what is the "first mercury of the philosophers." But forty years earlier a differentopinion was expressed in the Fegfeuer, the adoption of which may possibly save the intending readersome fruit' less study: "Ortel is a stupid 'bletherskite' without skill or understanding."

Ce n'est pas chose courante de voir un traité consacré à une amplification sur Sendivogius.De même, voir figurer Pontanus est assez rare pour être noté ; n'oublions pas que Fulcanellien parle comme l'un de ceux qui ont le mieux parlé du Mercure philosophique [le second

Mercure]. Nous avons déjà rencontré ce philosophe hermétique dans l'Introïtus III , avec unecitation d'Alexandre Sethon [le 1er Cosmopolite] à propos de l'Acier des Sages. Le traitéd'Orthelius se distingue encore par une série de douze planches décrivant les opérationsalchimiques. Elles sont réunies en deux feuillets dans la Bibliotheca Chemica curiosa [II, 521 et 525]; on les retrouve dans le Theatrum Chemicum [VI, 405, 409, 410, 411, 413, 414, 415, 417, 420, 424, 425,

427, 428]. Voici le plan du traité, avec le renvoi au site où le Theatrum Chemicum est édité :http://www.wbc.poznan.pl/dlibra.

Andreas Orthelius, Commentator in Novum lumen chymicum Michaelis Sendivogii Poloni, XII. figuris inGermania repertis illustratum (1624) [p. 397]

Praefatio Orthelii [p. 397]

Commentator in Novum lumen chymicum Sendivogii [p. 398]

Epilogus et recapitulatio in Novum lumen chymicum Sendivogii [p. 430]

Andreas de Blauwen (Andreas Orthelius ed./comm.), Epistola Andreae de Blavven scripta ad Petrum

Andream Matthiolum in qua agitur de multiplici auri potabilis parandi ratione [p. 458]

Discursus Orthelii de praecedente Epistola Andreae de Blawen [p. 470]

Epistola anonymi de principiis artis Hermeticae [p. 474]

Expositio et practica lapidis adrop, collecta ex Plinii philosophi libro qui intitulatur: Aromaticum

philosophorum thesaurus et secretum secretorum [p. 477]

Excerpta ex interlocutione Mariae Prophetissae sororis Moysis et Aaronis, habita cum aliquo philosopho

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dicto Aros de excellentissimo opere trium horarum [p. 479]

Orthelius, Explicatio verborum Mariae Prophetissae [p. 480]

Joannes Pontanus, Epistola in qua de lapide quem philosophorum vocant agitur [p. 487]

Orthelius, Commentatio in epistolam Joh. Pontani de lapide philosophorum [p. 489]

Haimon, Epistola Haimonis de quatuor lapidibus philosophicis materiam suam ex minori mundo

desumentibus [p. 497]

1. les planches d'Orthelius, 1ère série :

Bibliotheca Chemica curiosa, II, 521

A. La figura prima [Lutum triplici sale dotatum] nous indique le lieu où la dragon babylonientient sa résidence. C'est ce qu'écrit en susbtance Orthelius :

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Unde Philofophi illud, quod verfus Orientem aut Solis ortum effoditur,& quod juxta metalli fodinas fitum eft, nobilius & optimumexiftimaverunt, quod triplicem falem in fe reconditum gerit, quorumunum volatile & Sali armorniaco fimile eft, alterum vero mediaenaturae & nitrofum. [TC, VI, 405]

Ce sel harmoniac est l'une de ces énigmes désespérantes dont parle Fulcanelli [DM, I, 107]. Ilprépare en droite ligne la théorie des Aigles du Philalèthe [Introïtus, VI] et mène jusqu'à larosée de mai dont il est l'adjuvant secret [blasons alchimiques]. Les Colombes de Diane enforment le noumène idéel [Myst, 136] ; elles amènent ainsi la philosophie hermétique à unpoint esthétique absolument remarquable. Dans le même temps, ces colombes et les aiglesconstituent la représentation sensible du dans un point de technique des plus communs où

la réitération d'une même technique amène au poids de l'art voulu par l'Artiste. Saint Jean etsaint Luc peuvent ici se montrer de quelque secours à l'impétrant [tarot alchimique - Bourges].Dans la préparation de son sel harmoniac, l'Artiste devra garder en mémoire que les épouxroyaux { , } dont ces idéogrammes décrivent la forme substantielle avant qu'ils ne se

dévêtent, doivent pénétrer dans un bain de sable [voir l'Enfant hermaphrodite du Soleil et de la

Lune, §8]. C'est ainsi que chût, jadis, la pierre noire de Pessinonte, celle-là même que Cybèletient encore in senestra manu. Orphée, au plan mythique, est le symbole de ce sel : il dompte ledragon de Colchide [que l'on comprenne : il domine le dragon babylonien] ; il voyage en Égypte [il

parcourt la nigredo] ; il s'initie aux mystères d'Osiris [le démantèlement du Soufre solaire , prélude à sa

renaissance en sulphur ou Soufre réincrudé].

B. La figura secunda est une représentation de la sublimation philosophique. À droite sedresse l'athanor où le feu disjoint la materia prima, projetant ainsi ses parties en

accomplissant une véritable rétrogradation. La première matière des alchimistes ne doit pointêtre confondue avec la prima materia dont on voit l'image infra, dans le De Lapide Philosophorum

de Lambsprinck. Notons encore que la sublimation est ici réduite, chez Orthelius, à sa plussimple expression. Seul le ciel, en arrière-plan, avec ses nuages, peut donner une faible idéede la rotondité de la matière dissoute, à ce stade de l'oeuvre :

... apposito vasto recipiente, primo ignem lenem, deinde fortiorem adretortae ignitionem usque subministraverunt, quo facto varii coloresapparuerunt, sicque octo vel decem mensuras aquae destillaverunt, rumetiam Sal in collo retortae supensum liquori addiderunt. [caput II, deterrae rubrae seu adamicae destillatione in liquorem, TC, VI, 409]

Les couleurs variées qu'évoque Orthelius sont celles de Diane aux cornes lunaires, l'un desemblèmes de la dissolution. On ne connaît qu'une période, dans l'oeuvre, où apparaissent detelles couleurs : les Artistes les signalent comme celles de la queue de paon et ils professentqu'elles constituent la marque de la conjonction radicale des principes. Ces couleurs seraientdonc celles qui imprègnent les vêtements royaux, leur teinture en somme. Bref, il s'agirait del'humide radical métallique. Le corbeau est ici transformé en oiseau de Junon et la scèneallégorique correspond à l'Artiste écorchant le dragon écailleux en morceaux dont lescouleurs sont variées [cf. Livre de Crates]. Certains auteurs ont aussi pensé aux allégoriesgéographiques en faisant provenir ces couleurs de royaumes lointains comme ceux deTurquie ou des Indes. Lambsprinck fait même, dans un poème extraordinaire parce quesurréaliste avant la lettre, parler « Alexandre, qui écrit de Perse... ».

C. La figura tertia illustre la présence immanente des deux sulphur dans l'oeuvre :

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De duplici rectificatione liquoris destillati, qua nimirum mediaspiritualis substantia, a duobus suis extremis, aqua phlegmatia &sorditie terrestri, separatur : ... Cum textus iste ipsa meridiana luceclarior fit... [caput III, TC, VI, 410]

Cette « lumière méridienne » émanée du cadran solaire de l'oeuvre est la représentation du

sulphur comme force agissante, c'est-à-dire comme expérience au sens philosophique. Le

passage du Soleil sur la ligne indique le midi vrai ; ce que du point de vue alchimique

nous pouvons interpréter comme le point fixe ou (ré)solution de l'eau pontique . C'est

rappeler ici que les Philosophes nomment punctum leur magistère au blanc ; ils ne manquentpas de rapporter aussi dans leurs propos cette maxime : dealbate latonam ... & apponite liberos [cf.

Atalanta, XI]. Peut-on deviner cette étrange opération dans la gravure d'Orthelius ? Deux foursou athanors sont disposés au sol, l'un plus petit que l'autre ; de chacun sort une flèche qui estla représentation formelle du sulphur . Apposés à ce signe, on voit deux récipients tandis

qu'une fumée blanche s'échappe dans l'air. Il y a là quelque séparation radicale en train des'effectuer qui touche à la sublimation en même temps qu'on y devine le recueil d'une matièrefixe dont le nom vulgaire n'est pas signifié. Quoi qu'il en soit, les alchimistes enseignent qu'ily a dans l'oeuvre deux sulphur, l'un blanc, l'autre rouge. Que l'un est comme la résine de l'ortandis que l'autre en est la teinture. En termes philosophiques, les équivalences sont àchercher du côté de l'idée pour ce qui est du soufre blanc et de sa réalisation pour ce qui

est du sulphur ou soufre rouge.

D. la figura quarta est un rébus sur la dépuration de la matière et un autre point de sciencesur lequel bien des Artistes ont réservé leurs opinions : le barattage. Dans le Songe dePoliphile, j'ai donné quelques notes sur cette opération et souhaite apporter des remarquescomplémentaires. Voyons d'abord les notes annexées à la figura quarta :

De extractione salis fixi ex capite mortuo, ejusdemque resolutione insuis spiritibus rectificatis. [caput IV, TC, VI, 410]

Nous renouons avec les arcanes habituels de l'imagerie alchimique spirituelle : de l'extractiondu sel fixe du caput mortuum et de sa résolution dans l'esprit rectifié. Ou : comment parler duvice, de la vertu et du « chemin du milieu » représenté par la sagesse ?... On voit ici se fondredes éléments issus du monde occidental et oriental. Et ce n'est point un hasard que nousrencontrions Bouddha à ce moment de notre quête et [cf. sermon de Bénarès, premier enseignement

du Bouddha Çakyamouni ; voir aussi le Songe de Poliphile]. Si l'on y songe bien, l'opération décrite surla figura quarta constitue la clef de la préparation du Soufre solaire dont le sulphur ne

représente qu'un état intermédiaire : le sulphur s'établit, en effet, d'un sel et de nitrum ;

par le sel et le nitre, l'Artiste modèle l'ioV des Sages , premier maillon dans la quête du

à l'état de dépuration. Quel est le lien entre la figura quarta et Bouddha ? Pour répondre à cettequestion, il me faut revenir à une très ancienne légende : le barattage de la mer de lait.

Apparu dans les Brahmana, commentaires des Veda composés vers le Ve av. J.-C., ce mythe est

repris, avec des variantes, par le Mahabharata, grande épopée sanskrite composée entre le IVe

av. J.-C. et le Ve ap. J.-C., par le Ramanyana, autre épopée du début de notre ère, etdivers récits anciens, Purana, compilation du fonds mythologique hindou. Nous allons voir lecousinage entre les symboles véhiculés par ce mythe et l'alchimie occidentale, non moinsqu'avec certains éléments propres à la pensée de Rousseau [cf. A. Philonenko, Jean- Jacques

Rousseau et la pensée du malheur, 3 tomes, Vrin, 1984 - cf. IIème Essai].

a)- le barattage de la mer de lait

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Pour qu'ils ne soient plus menacés d'extinction par les anti-dieux Asura et les titans Danava, lesuprême Vishnu conseilla aux dieux, les Deva, d'extraire l'ambroisie d'immortalité amrita de lamer de laitKsirôda, et, pour ce faire, de s'unir temporairement à leurs ennemis. Ainsi Deva,Asura et Danava soulevèrent-ils ensemble le mont Mandara pour le poser sur la tortue Kurma,incarnation de Vishnu lui-même, solidement établie au fond de la mer. Puis, ayant enroulé leserpent Vasuki Sesha autour du mont et saisi, les uns la tête, les autres la queue du gigantesquereptile, et tirant alternativement, ils firent tourner le mont Mandara sur lui-même pour baratterla mer.

Angkor Vat : Indra, Vishnou et Kurma

Le « beurre divin » parut sous forme de trésors : Surabhi, céleste vache d'abondance; Varuni,déesse des Liqueurs; l'arbre paradisiaque Parijata parfumant le monde; le dieu-lune Chandra

Kutila dont Shiva orna son front; Hala, terrifiant poison que Shiva neutralisa en l'absorbant et quibleuit sa gorge; Ucchaisshravas, merveilleux ancêtre des chevaux terrestres; Shri, déesse de laBeauté et de la Fortune, que Vishnu épousa; Airavata, éléphant blanc à six défenses dont Indra fitsa monture; les nymphes célestes Apsara et enfin Dhanvantri, médecin des dieux, tenant entreses mains la coupe d'amrita. Asura et Danava ayant réussi à s'en emparer les premiers, Vishnu,pour distraire leur attention, se transforma en Mohini, la femme la plus séduisante du monde,et la leur reprit. Toutefois le démon Rahu y avait trempé ses lèvres et symbolise depuis leséclipses de lune et de soleil qu'il « avale » parfois, sa queue donnant naissance aux comètes.Pour leur part, ayant bu l'amrita, les dieux devinrent éternels et purent dès lors vaincre lespuissances maléfiques.

Ce résumé offre tous les éléments permettant d'établir des rapports de force entre structuremythologique et phénoménologie alchimique. Certains de ces éléments ont d'ailleurs été

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étudiés dans le Songe de Poliphile [cf. notamment ce que nous disons sur Babylone].

*

- Posons d'abord que l'ambroisie [voir Atalanta, VI et XLIV ] est une représentation archétypale dulapis philosophorum : ce breuvage est identique à l'amrita - liqueur d'immortalité des Dieux - desVedas. C'est Hébé qui dispensait en des temps immémoriaux l'éternelle jeunesse etl'immortalité en versant aux dieux de l'Olympe le nectar ou ambroisie. Elle fut remplacée

dans cette fonction par Ganymède lorsque celle-ci épousa Hercule. Hébé [Hbh] est lesymbole de la fleur du printemps de l'oeuvre et de la flamme ardente. Autrement dit, pourl'hermétiste, voici l'alliance de la fleur et de l'étoile ; elles dispensent alternativement leurforce dans l'athanor - creuset cosmique - à ce qu'en dit Fulcanelli.

*

- la mer de lait Kshirodadhî est une des nombreuses représentations idéelles du Mercurephilosophique . On connaît le Lait de Vierge d'Artephius qui en est l'exacte transposition

dans l'alchimie occidentale, vers le XIIIe siècle. Les Adeptes ont accoutumé de le nommerencore la fontaine de magnésie et l'on peut encore apercevoir cette fontaine fabuleuse en setournant vers le Septentrion. L'amrita peut alors être sans problème assimilé au Sel de Viergequ'il faut savoir, par un artifice spécial, extraire de l'eau étoilée et métallique qui sourd decette fontaine occulte. D'un mot, pour aider l'impétrant : l'Artiste doit rendre cette eaupermanente. Aussi bien son esprit doit être d'une constance remarquable et tenir le milieu,ainsi que nous l'avons dit supra, entre la terre et le ciel firmamental du Philalèthe . En

ce ciel, les corps célestes se trouvent emportés par le primum mobile [cf. l'Olympe hermétique], enforme d'humide radical. Inépuisable est la capacité de la mer de lait à engendrer, sous la loide ce rythme de barattage qui permet de passer de l'informe bouillon originel à l'apparition deformes ou d'énergies individualisées possédant une consistance et une définition propres. Jemontre au chapitre 4 que cette projection protéiforme est la marque d'un mouvementouranien : on y a vu une cosmogonie où le mont Mandara serait un phallus pénétrant lemilieu maternel pour appeler le monde à l'ÊTRE [cf. infra le § sur la pierre phallique]. On

pourrait encore en rapprocher l'omphalos de Delphes, en communication avec le Ciel [cf.

Atalanta fugiens, XLVI et blasons alchimiques].

*

- ainsi, l'union aux ennemis procède-t-elle, précisément, de ce milieu particulier qui sert àconjoindre les extrémités du vaisseau de nature dont nous redonnons les idéogrammesélémentaires { , }. La fusion de ces parties avec le milieu suit en définitive, dans

l'alchimie spirituelle, la formulation exacte employée par la Tabula smaragdina. Si l'on veututiliser la terminologie propre à l'école psychanalytique, et notamment de l'école jungienne, ilparaît clair que ce milieu trouve son équivalent dans le SOI et que les extrémités en sontreprésentées par le MOI [ ] et le ÇA [ ]. C'est, en somme, le sentiment de l'altérité reconnue

qui s'exprime dans cette dialectique du combat entre les opposés [voir Aurora consurgens]. Ici, unnom vient à l'esprit : Fichte ; nous y reviendrons [cf. aussi études artistiques d'Échecs, II , III et IV ].

*

- le mont Mandara est non seulement transporté mais renversé sur la tortue. Il a le rôle dematière [au sens de materia prima mais non point de prima materia ; la nuance est d'importance. Nous y avons

insisté dans de nombreuses sections], et aussi de pôle en tant qu'il est le pivot de la manoeuvre.Fondement de l'oeuvre qui consiste à rassembler les opposés, le Mandara prend une valeursolaire , considéré comme point fixe dans ce va-et-vient incessant et annonce l'anima

consurgens . Ce renversement du compost est l'une des opérations qui ont été si voilées de

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cabale par les Adeptes que c'est à peine si l'on arrive à démêler le grain de l'ivraie : plusieurstextes insistent, en l'occurrence, sur la parabole du Déluge ; d'autres, sur cette observation que

peut être dessiné [cf. Aurora consurgens]. Ce renversement a été étudié par Fulcanelli dans

le Myst. Cath. quand il signale à l'étudiant le bas-relief du Bain des astres [p. 137].

condensation de l'Esprit universel [cliché Alain Mauranne]

Il s'agit de l'un des bas-reliefs situés sous le Portail de la vierge de Notre-Dame de Paris, côtégauche sous les arcades. Fulcanelli désire sous cette occurrence nous entretenir du massacredes Innocents, allégorie voilant l'ouverture des métaux, c'est- à-dire leur « mise à mort chymique

». Ainsi, apparaît-il clairement que cet épisode du renversement ou du bouleversement [revoir

la gravure II du Typus Mundi] renvoie non point tant à une technique particulière de l'art que, bienplutôt, à un artifice de nature opérant dans certaines conditions de température et à force detemps [cf. la croix cylique d'Hendaye]. Le mont en alchimie n'a pas que la valeur d'une masse ; il aencore celui de l'élévation en tant qu'il représente d'une façon pour ainsi dire naturelle lerapprochement entre la terre et le ciel où sont entraînés les métaux en forme d'humide

radical. Les Adeptes parlent dans leurs textes de la coloration violette - ion - de cette partiedu ciel, teinte annonçant la conjonction des principes [cf. infra, De Lapide philosophorum, 43r.].

*

- Examinons à présent la tortue Kurma. Une association d'idée élémentaire nous la faitrapprocher d'Atlas. Ce rapprochement se montre moins fortuit qu'il n'y paraît puisqu'Atlas estfrère de Vesper. Si nous considérons en un acte dynamique le renversement du mont Mandarasur la tortue Kurma, force est alors d'intégrer Atlas et Vesper comme les deux éléments del'ensemble , c'est-à-dire l'entrelacement radical des hiéroglyphes célestes de Vénus et

de la stibine .

« Le principal de ces dits consiste en cela, prenez la Lune du firmament, change là du lieu supérieur en eau, & laréduit en terre, & alors tu perpétueras un miracle émerveillable à tout le monde. Si vous conduisez l'opérationjusqu'à la fin, & de son principe la jetez en terre sacrée, laquelle en notre art est comparée à la terre boueuse,

purgez & la nettoyez de cette saleté, alors elle reluira dun rayon plus clair & splendide. » [Atlas in Aureliae

Occultae Philosophorum, alias Azoth, 1613]

Ce texte est l'un des nombreux apocryphes attribués à Basile Valentin. Si nous l'avons disposépour illustrer, par le propos, cette réflexion sur l'inversion de sens de la croix et du serpentdans l'idéogramme rattaché à Vesper, c'est pour bien faire voir que le symbole de la lunecornée est équivalent au processus dynamique qui opère dans le renversement qui nous

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occupe ici ; il faut d'ailleurs en rapprocher son complémentaire, la luna veneris . Le symbole

est alors complet puisqu'il associe les valeurs idéelles de l'ensemble { , et }, où se

remarquent les idéogrammes des principaux opérateurs du mercurius . Dans cette idée de

terre sacrée, il faut deviner la fille d'Atlas, AtlantiV où il n'est point difficile de devinerl'Atlantide, comme terre fabuleuse des alchimistes. Le point d'ancrage, pour l'hermétiste, est àchercher dans la figure taurine de la Crète minoenne : à la fin du Critias , on trouve évoqué

le sacrifice d'un taureau par les rois Atlantes ; scène probablement représentée sur des coupesde Vapheio [cf. Critias , introduction, trad. Luc Brisson, p. 316, GF, 1992]. Quoi qu'il en soit, ce récit dePlaton sur l'Atlantide correspond en toute vraisemblance à un mythe [P. Vidal-Naquet, in le

Chasseur noir, Maspero, Paris, 1983, pp. 335-360] et qu'il nous serve à y trouver des fragmentsarchétypaux ne peut aller , en droite ligne, que dans la logique adaptative de notreargumentation. Mais voyons que cette symbolique s'enrichit d'elle-même puisque, de la tortueKurma, nous avons dérivé vers Atlas et que, de là, nous voici rendus au Critias et au taureau

minoen. Examinons en premier lieu la tortue [celwnh].

La jeune fille et la tortue à longue queue - château du Plessis-Bourré

Selon les mythologues, la tortue est l'attribut de Mercure : l'ayant trouvée près d'un antrecaverneux, mangeant de l'herbe [vellum], il la fit périr par le fer et se servit de sa carapacepour en confectionner la caisse de résonance de sa lyre. C'est en substance ce qu'E. Canselietnous en dit dans ses Deux Logis alchimiques [Pauvert, 1979, p. 232] :

« Quant à ce point de science, combien est généreuse l'image du Plessis, qui nous montre que la lente et terrestre

tortue est devenue marine ; que le chaos primaire s'est changé en Saturne des Sages. » [ibid., p. 235]

Canseliet fait de la tortue l'emblème du sujet minier qui serait ainsi la véritable materia prima

de l'oeuvre, alors que nous avons considéré ce point si important, que les textes abordent lamatière en ne considérant celle-ci que sous l'état, déjà principié, de prima materia ou première

matière. Considérons d'abord que, par cabale, la tortue c'est aussi Artémis puisque celutiV,

la déesse à la tortue, est le nom que prend Artémis à Sparte ; ensuite que l'écaille [celwnion]retentissante de la lyre [celuV] s'apparente à la voûte du ciel [celunion] et que ses cordesont ce son d'airain qui caractérise les métaux disposés en forme d'eau étoilée, dans cetathanor cosmique. Ensuite, l'on voit parfois Isis accompagnée d'une tortue ou d'un lézard [cf.

infra Antoine Pluche, Histoire du ciel, etc.]. C'est signe que l'eau va bientôt gagner sur la terre etqu'il est temps pour les habitants de gagner des régions plus élevées. L'hermétiste peutinterpréter ceci dans le sens d'une dissolution : c'est l'inverse que l'Artiste doit réaliser dansl'opération préconisée dans l'Atlas de l'Azoth.La tortue est un symbole chthonien, constellé par Saturne - Cronos . Sa longévité, réputée

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assez extraordinaire, renvoie en alchimie à l'archétype du mercurius disposé en forme d'aqua

permanens. La Chine ancienne a associé la tortue à l'Eau et à la nigredo [le noir est en Orient la

couleur de la pureté] : on remarque l'interférence des éléments symboliques puisque la nigredo

pour l'alchimiste est le moyen unique d'obtenir la dépuration de sa matière.

Kurma

Cette représentation rejoint en bien des points celle que l'on trouve dans l'iconographiealchimique traditionnelle : le serpent se mordant la queue symbolise la course du dans le

ciel : c'est l'Ouroboros de la Chrysopée de Cléopâtre. La tortue est le punctum que j'ai déjàévoqué supra. Il s'agit, en quelque sorte, du support de la réalisation où il faut voir la raisonpratique à l'oeuvre [i.e. en définitive, la Virtus, cf. A. Philonenko, trad. Kant, Fondements de la

Métaphysique des moeurs, tome II, Vrin, 1984]. L'expression « support de la réalisation » peutd'ailleurs se résumer en « incarnation ». Je pourrais faire d'autres observations, notammentsur les éléphants qui portent le monde, c'est- à-dire la stibine hermétique. Un autre caisson

du château du Plessis-Bourré complète l'image de la tortue :

l'éléphant, le singe et les deux bahuts - château du Plessis-Bourré

et donne à voir un véritable cosmophore. C'est la stabilité qui est ici requise dans unprocessus dynamique univoque dans sa forme et d'un pléiomorphisme soutenu dans saprésentation puisque, aussi bien, ce dynamisme se retrouve, en chimie, dans la réactiond'oxydo- réduction ou en psychologie dans le rapport MOI - ÇA. Dans les deux cas, nousavons affaire à un rapport de force et, revenant au cas précis de la symbolique alchimique, àla Tempérance [cf. les Gardes du corps de François II]. Quand on lit Rousseau, la Tempérance prend

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le nom de sagesse ; elle tient lieu de pivot dans la médiatisation de la dialectique MOI - ÇA etconstitue, en cela, une tentative pour subsumer le SOI via un concept transcendantal. Ceconcept est développé au chapitre 5.

*

- le serpent Vasuki Sesha est un analogue quasi direct de l'Ouroboros alchimique. Au même titreque le mercurius des alchimistes, il sert à baratter leur grande mer. Vasuki [celui dont l'essence est

divine] est tiré alternativement par les démons [asura] et les dieux [deva] : il est assurémentdifficile de mieux faire collaborer, dans cette opération, le Bien et le Mal ! Ils sont comme lesdeux faces d'une pièce de monnaie, complémentaires de la même réalité. Vasuki est représentécomme ayant une ou sept têtes [voir l'hydre]. Il porte parfois sur son front le nagâmani, joyau quiguérit de tous les maux [panacée universelle qui rejoint les pouvoirs attribués à la pierre philosophale]. Onpeut le rapprocher de l'ananta dont le sens est sans limite, infini : on y retrouve la nigredo .

Il sert de couche à Vishnu lorsque celui-ci se repose après la dissolution [pralaya] d'un universancien, en attendant que Brahmâ renaisse de son nombril et crée un univers nouveau. On a làencore une analogie avec l'hermétisme occidental qui voit dans la dissolution une révolutiondes principes [voir le chapitre 5, c]. Quant à Shesha, autre désignation de Vasuki, son nom signifievestige ou résidu : on peut y voir la terre brûlée des alchimistes après la séparation initiale

[caput] : c'est ce qui reste après la dissolution des époux royaux et qui contient en germe le

BasileuV. Vasuki est considéré comme le soutien du Monde en ce sens qu'il s'agit d'un

milieu où baigne la prima materia à l'état de dissolution totale : elle est alors fluide comme del'eau.

*

- la vache parfumée, Surabhi,est peut-être l'équivalent de la chèvre Amalthée car elle estmarquée du signe de l'abondance. Surabhi représente la fertilité et labondance, symbole de laTerre nourricière dont la traduction alchimique est le Lait de Vierge [cf. Artephius, Senior]. Onpeut en rapprocher Hathor [voir le Songe de Poliphile, I] qui en partage le symbolisme en tantqu'elle est la mère céleste du soleil. Essence du renouveau, elle se fait l'écho de la révolutionque j'aborde au chapitre 5, c. Abondant en ce sens, elle est dans tous les lieux où les Grecsvirent les cités d'Aphrodite. Ce n'est pas tout : on la trouve dans la mythologie qui précède lesDieux :

«Chez les Germains, la vache nourricière Audumia est la première compagne d'Ymir, premier géant, née comme

lui dans la glace fondue... Ymir comme Audumia sont antérieurs aux dieux. » [Mythologies des Montagnes, des

Forêts et des Îles, P. Grimal coord., Paris, 1963]

L'antériorité aux dieux est peut-être un élément en faveur de l'origine ouranienne de ce mythe: symbole de la nébulosité des eaux célestes, la vache se défait au ciel et se reforme sur laterre : n'est-ce pas là le propre de la rosée de mai [voir Mutus Liber et mes blasons alchimiques] ? Etcette transition d'un élément dans un autre [> > ] ne marque-t-elle point la séparation de

Gaiä d'avec Ouranos, prélude à l'instauration de la nigredo [cf. chapitre 5, b] ? La corne

d'abondance en est l'un des symboles et les pluies d'or de Rhodes, la manifestation tangible.Je signalerai, à l'égard de la nigredo, combien la robe de la vache est importante à noterquand elle est noire, où elle joue le rôle de psychopompe ; en effet, la vache noire correspondà l'aurore primordiale et à l'un des aspects de Phaéton : elle désigne alors le principe fémininqui est à l'origine du ciel et de la terre [on retrouve un côté ouranien] et les alchimistes y ont vu le

Mercure tiré du Soufre , autrement dit l'âme du métal ouvert : ioV [cf. Berthelot, Chimie

des Anciens]. Évidemment, le point intéressant est ici l'assimilation de Hathor, chez les Grecs,à Aphrodite [origine sémitique, à rapporter à Ishtar, Astarté, voir Aurora consurgens, III]. Surgie des flots,on la nomme encore l'Anadyomène. Le cousinage paraît possible à établir entre Surabhi etAphrodite.

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Il est vraisemblable qu'il a existé en Grèce, dès une époque très ancienne, une divinité d'essenceanalogue à celle de l'Aphrodite historique ; mais cette dernière offre de telles analogies avecplusieurs divinités orientales d'âge antérieur, qu'on doit admettre qu'elle en dérive pourl'essentiel. Même chez Homère qui lui attribue une ascendance proprement hellénique, le

souvenir de son origine étrangère subsiste : elle porte le nom de kupriV dans l'Iliade [Il. V,330, 422, 458, 760, 883] ; l'Odyssée connaît son sanctuaire de Paphos [Od. 8, 362], et les deuxpoèmes font allusion à celui de Cythère [Il. XV, 432 ; Od. 8, 288 ; 18, 193]. Or, Chypre etCythère, colonies et comptoirs phéniciens, ont été comme les deux seuils par lesquels la déessea pénétré dans le monde grec [le mythe hésiodique (Theog. 192-93) unit les deux îles dans le

récit de la naissance d'Aphrodite. La déesse est nommée KupriV, Kupria,KuprogenhV, Kuprogeneia, Pajia. Elle est dite aussi Kuqereia. Rappelonsqu'Herodote assimile Aphrodite-Uranie à Mylitta et qu'il la reconnaît dans la divinitéd'Ascalon.]. Elle venait de l'Asie, où presque tous les peuples sémitiques ont adoré une divinitélunaire, principe de la fertilité et de la fécondité animale. C'était Atargatis-Derkéto à Ascalon,Mylitta à Babylone, Istar en Assyrie, et surtout Astarté chez les Phéniciens. De Chypre etmême, parfois, directement de Phénicie, cette religion se répandit, dès l'époque préhomérique,sur la plus grande partie de l'Asie Mineure et jusqu'aux rives de la mer Noire, puis aussi du côtéde la Crète, vers les Cyclades, l'Attique et la région béotienne ... Uranie est identique à l'Astartélunaire des Sémites, qui reparaît à Carthage sous le nom de Virgo Caelestis. Les rapportsd'Aphrodite avec l'astre nocturne sont encoreimpliqués dans le mythe de Phaéthon, que ladéesse a ravi pour en faire le gardien de son temple. Phaéthon est, en effet, l'étoile du matin etdu soir, astre que son vif éclat fait naturellement associer à la lune dont il semble être le brillantacolyte. Cette étoile, d'ailleurs, est aussi nommée étoile de Vénus, et l'assimilation de la déesseà cet astre double a peut-être contribué, à Chypre et en Pamphylie, à la conception d'uneAphrodite androgyne ...

Aphrodite recueillie par les Heures

On ne saurait être surpris qu'Aphrodite, déesse de l'astre qui produit la rosée et souveraine de lamer, soit encore le principe de la fertilité terrestre [c'est peut-être en tant que déesse de lavégétation qu'elle a les Heures pour compagnes]. Grâce à elle, les forces végétatives sontréveillées à chaque printemps, quand le ciel s'épanche en tièdes ondées pour féconder le sein dela terre, qui donnera ses fruits aux mortels. Aussi les poètes ont nommé l'arbre de mai en son

honneur; et nous avons signalé son culte cnidien sous le vocable de ewritiV, qui rappelle sesbienfaits. Quand la déesse aborde à Chypre, un vert gazon se déroule sous ses pas ...

Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, Charles Darembert et Edmond Saglio,Hachette, 1877-1919, pp. 721-724

Nous verrons plus bas l'importance que revêt Phaéton dans l'établissement du mouvementprométhéen.Pour Jung, la vache est une transformation du logos où se dévoile la mère enceinte des dieux; le trait ouranien persiste par le biais du symbole de l'abondance [Métamorphoses de l'âme et ses

symboles, vii, le sacrifice, Georg, p. 596 de la Pochothèque, 2004] qui annonce, paradoxalement, uneséparation :

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«Un hymne égyptien (Erman, Ägypten, 1885, p. 360 sq.) élève une plainte contre Isis, la mère, parce qu'elle faitpérir par trahison le dieu solaire Rê ... l'hymne décrit comment Isis forma un serpent, le mit sur le chemin de Rê etcomment ce serpent blessa le dieu solaire ... il ne guérit jamais de cette blessure et dut s'aliter sur le dos de la

vache céleste. » [ibid, p. 392]

L'analogie avec la symbolique alchimique est évidente : Isis est l'instrument de la perte du ,

c'est-à-dire la stibine . Le serpent est le mercurius qui transforme le soleil en sulphur

: le métal est ouvert et transformé en ioV. La vache céleste est le psychopompe où l'onretrouve le Mercure philosophique des Sages. Le Mercure dans cet état [contenant en son sein le

sulphur] est encore nommée eau étoilée et métallique ; je rappellerai que Nun, la déesse duciel, est représentée comme vache céleste et aussi comme un corps étoilé. Jung ajoute :

« Quand donc le dieu solaire se retire peu à peu sur le dos de la vache céleste, cela signifie : il retourne dans samère pour réapparaître sous la figure d'Horus. Le matin la déesse est mère, le midi soeur-épouse et le soir à

nouveau mère, recevant la mort dans son giron. » [ibid, p. 402]

Horus, dans cette aventure, est le soufre dépuré prêt à être projeté dans un corps rénové : c'estl'anima consurgens comme je l'ai dis à plusieurs reprises dans ces pages [cf. Aurora consurgens].

Quant au parcours de la mère d'Horus, il dessine le cours que décrit Cronos au firmament

: c'est l'arc où se tend qui en forme la corde, la flèche étant symbolisée par la croix qui

leur est commune. Nous verrons dans le chapitre 5 la richesse conceptuelle de cetteassociation dont j'avais déjà donné une autre formulation [cf. Aurora consurgens, II - VII. Les

aquarelles du Codex Vossianus 29 de Leiden : transfert et projection].*

b)- la pierre phallique

En liaison avec le texte que je viens de citer sur Aphrodite, je souhaite approfondir un autresymbole : celui de la pierre phallique. D'abord, ce symbole s'inscrit dans la légende dubarattage de la mer de Lait si l'on tient compte du mont Mandara [cf. supra] qui joue le rôled'un axe. Mais surtout, il permet de préparer la suite [voir chapitre 5] sur le mouvementouranien. L'un des symboles les plus ordinaires de Çiva est le linga ou pierre phallique quirépond, en quelque sorte, à la sublimation des alchimistes [krdhvâtman = celui dont le principe vital

monte vers le haut] où est subsumée une idée d'énergie. L'hermétiste y voit un axe central oupoint fixe qui rappelle le punctum du symbole solaire [mâle] et sulfureuse tandis que

l'élément périphérique de ce véritable hermaphrodite en est la partie mobile et

mercurielle.

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linga, Patan museum, Nepal 11th century - Bronze

Le linga est la forme incarnée de Shiva et, en l'occurrence, la nature duelle du dieu. Le lingaest associé au yoni, symbolisant lunion des principes masculin et féminin. Il incarne laCréation et, en ce sens, il peut être rapproché du mythe d'Ouranos et de Gaïa, tous deux saisisdans l'unité. À cet égard, et sur le rapprochement indo-européen qu'il y a lieu de suggérer,voici quelques réflexions :

«... si l'on veut bien se souvenir que le nom de Mitra signifie ami en védique, non seulement, sa personnalitéreligieuse, mais même son nom s'éclairent de façon singulière sitôt que l'on y voit une simple traduction par un

autre mot du nom de Çiva. » [Charles Autran, Mithra, Zoroastre et la préhistoire aryenne du christianisme, IV.

esquisse de l'histoire de l'expansion d'un grand culte chalcolithique, Payot, Paris, 1935, p. 83 sq.]

Autran pense que l'étymologie s'explique en considérant que Çiva se traduit par favorable,

propice, gracieux, bienveillant ... amical [cf. Dictionnaire sanskrit de Monier Monier-Williams, Oxford, 1899, p.

1074] où il y a lieu de voir le sens ami du Mitra védique. Ce n'est pas tout : il y a lieu derapprocher le Temps Kronos de l'avestique Zrvan et du Père-aux-quatre-visages de la grandeur,c'est-à-dire à la tétrade que les alchimistes occidentaux identifient à leur terra quadrata .

« ... ces quatre visages ne sont ... que le dieu Temps lui-même, manifesté sous trois aspects différents, le quatrièmeaspect n'étant autre que lui-même. Zervan est donc, tout comme Çiva, le dieu aux quatre visages ... L'un commel'autre sont l'énergétique mystérieuse qui soutient et maintient le devenir du monde ... Et c'est là, trèsprobablement, la raison pour laquelle la tétrade, qui se retrouve, hors du manichéisme, dans le monumentd'Antioche de Commagène, est la pierre angulaire de la théologie zervanite (H.S. Nyberg, Journal asiatique,

juillet-septembre 1931, pp. 47-68) » [ibid, p. 87]

Autran veut parler de Nemrut Dai.

[Au sommet du Nemrut Dai, le Roi Antiochus Theos de Commagène batit son mausolée entouré de grandesstatues (8-9 mètres de haut) à son effigie, ainsi que divers dieux grecs et perses en -62. La tombe contient des

sculptures de dieux, tel par exemple une tête d'aigle. - site consulté]

Il est possible de rapprocher Ouranos - qui en est en quelque sorte le « négatif » - d'Ormuzddont la substance consiste en lumière et dont la manifestation représente le corps universel.Ormuzd veut le Bien [et il représente pour nous l'intuition primitive au sens de nigredo alchimique]

alors que l'Ouranos grec n'est délivré de son indifférence primordiale [comprise comme pouvoir de

fécondité éternel et informel] que par le geste castrateur de Cronos.

« Voilà la dualité en Dieu, voilà les deux principes, Ormuzd et Ahriman ; et voilà du même coup Dieu hors dumonde, voilà le ciel et l'enfer. C'est en partie ce point des anges et des diables qui faisait dire à Jean-Jacques,après avoir reconnu " la sainteté de l'évangile comme un argument qui parle à son coeur, " que " avec tout cela cemême évangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la raison, et qu'il est impossible à tout

homme sensé de concevoir ni d'admettre. "» [Pierre Leroux, De l'humanité, de son principe et de son avenir, oùse trouve exposée la vraie définition de la religion et où l'on explique le sens, la suite et l'enchaînement du

mosaïsme et du christianisme, Perrotin, 1840, p. ]

P. Leroux cite la Profession de foi du Vicaire savoyard [in Émile ou de l'éducation, 1762]. Si Mitra estune sorte d'ange de lumière, serviteur d'Ormuzd, Cronos, d'évidence, s'en distingue :

« Mais le vieux dieu Temps, à la faux exterminatrice ... n'a cessé de susciter la mort pour renouveler la vie. Il ne

devait point épargner ses premiers apôtres méditerranéens, en dépit de leur long et ample succès. » [Ch. Autran,

op. cit., p. 87]

N'oublions pas que Cronos [le KronoV grec] est assimilé au Jehova hébreu, celui-là mêmedont parle Jung dans l'un de ses derniers livres :

« C'est pourquoi on ne peut douter de la connivence de Yahvé. Son consentement à abandonner Job à l'entreprisecriminelle de Satan prouve qu'Il doute de Job, parce qu'il projette sur un bouc émissaire Sa propre tendance à

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l'infidélité. » [Réponse à Job, Buchet-Chastel, 1964, notamment p. 72.]

On est ainsi, logiquement, amené à établir une filiation mythologique entre Kronos - Yahvéd'une part et entre Dieu le Père des Chrétiens et le Dyaus Pitar védique [alias Varuna= Ouranos, cf.

James Darmesteter, Ormazd et Ahriman : leurs origines et leur histoire, Vieweg, 1877, vi. Varuna, ses attributs

matériels, § 51, p. 53] d'autre part, dont on a fait le Jupiter romain. À cette filiation formellecorrespond un ordonnancement qui se répercute jusque dans l'histoire pragmatique du MOI : ilest impliqué dans la perception du temps en tant que durée et, surtout, dans le concept de «prise de conscience ». J'en parle au chapitre 5.

c)- Pramantha

Retournons à la figura quarta d'Orthelius : j'ai dit que le personnage maniait un bâton

Orthelius, figura quarta, TC, VI, 411

comme pour assurer une sorte de barattage. Dans cette opération, c'est encore l'Artiste quiprépare son feu secret, c'est-à-dire l'artifice qui donne vie et animation au Mercure. Voilà quime conduit à évoquer Prométhée vu sous l'angle alchimique. Le bâton que manie l'alchimistepeut s'écrire pramentha [en sanscrit le bâton qui tourne dans un trou pratiqué au centre d'un disque de bois] etpramathyus désigne celui qui obtient le feu par ce procédé. Ce rapprochement est dû à F.Baudry.

[cf. Journal des Savants, 1867, p. 787 à propos de : les Dieux et les Héros, George William Cox, contes

mythologiques traduits de l'anglais par F. Baudry et E. Délerot, Paris, Hachette 1867, in-8° - à noter que Fox estdonné pour Cox dans l'article du Journal des Savants ; Mallarmé s'est largement inspiré de ce livre dans ses Dieux

antiques (Rothschild, 1880)].

Les Grecs dérivaient son nom de PrometheuV, connaître en avance, prévoir : Prométhée estle prévoyant et son frète Epiméthée, l'imprévoyant. Eschyle l'appelle le « prévoyant »[Prométhée, v. 85], « le fils ingénieux de Thémis aux sages conseils » [ibid, v. 18], « le rusé, l'artificieux »[ ibidem, v. 62] tous qualificatifs où nous ne manquons pas de trouver ceux consacrés auMercure philosophique. Le point intéressant dans l'histoire du mythe est que le nom grec deProméthée paraît n'avoir point de rapport étymologique avec le feu et nous tenons là unexemple de cabale phonétique typique

[Charles Autran indique que c'est à une assimilation fautive de Pramâtha-Pramatha avec pramantha = baguetteservant à engendrer le feu par friction qu'est dû le rôle de dérobeur du feu attribué au Titan (Prométhée enchaîné,

vv. 7-8)]. :

« D'ailleurs, Prométhée, lui-même, reconnaît que les hommes connaissaient le feu et qu'il n'eut à leur enseignerqu'à tirer les présages de la flamme (ib., V. 499 et qu'un "peuple sauvage, les Chalybes, savaient forger le fer" (ib.,V. 709-710). Prométhée n'avait donc pas à communiquer le feu aux Hellènes préhistoriques, ni à leur enseigner

l'usage : il faut chercher une autre interprétation au mythe. » [Paul Lafargue,le déterminisme économique deKarl Marx : recherches sur l'origine et l'évolution des idées de Justice, du Bien, de l'Âme et de Dieu, V. Giard

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et E. Brière, 1909, appendice - le mythe de Prométhée - pp. 338-381]

Il est donc plus juste de supputer que Prométhée ne personnifie pas linvention du feu ; maisque les épisodes de son mythe, rapportés par Hésiode et Eschyle, sont des souvenirsarchétypiques de luttes qui déchirèrent les tribus de lHellade préhistorique.

«Hésiode désigne les deux générations divines qui précédèrent Zeus sous les noms d'Ouranos et de Kronos; onpourrait supposer qu'il croyait que de tout temps la filiation s'était faite par le père et que la famille patriarcaleétait instituée. Eschyle au contraire accuse Zeus d'avoir révolutionné l'Olympe et d'y avoir introduit un ordrenouveau. Il ne nomme jamais le père de Prométhée, qui pour lui devait être inconnu ou incertain, bien qu'Hésiode

le prétende fils de Japet. Son Prométhée ne connaît que sa mère, Thémis, "l'antique déesse" ... » [ibid, p. 350]

P. Lafargue oriente manifestement le récit du mythe prométhéen dans un sens qui abondeavec la thèse qu'il défend sur Marx. Il est néanmoins évident qu'à l'archétype classique dupyrophore [porteur de feu] se surperpose l'image du catalyseur [cf. Atalanta fugiens, VII ] et que c'estdu contact de deux Éléments que provient la déflagration [i.e. la Révolution].

Nous allons envisager à présent une autre origine de Prométhée :

«... pour choisir ici comme personnage principal Promêtheus, Eschyle avait ses raisons. Car ce Titan, qui faitpartie de l'entourage de Kronos, grand dieu-Temps, phénicien et oriental ; qui symbolise ici les aristocraties

déchues ... n'est autre que le seigneur des Pramathas (aussi Pramâthas). » [Autran, op. cit., esquisse de l'histoire,

p. 89 sq.]

Le grec Promêtheus signifie « celui des Pramâthas» : pramâtha est le nom des démons qui fontpartie de l'entourage rituel des desservants de Çiva. Quoi qu'il en soit, c'est au sommet duCaucase que Prométhée souffre sa passion, aux extrêmes confins de la Scythie :

« C'est en effet sur le Kailsa, l'un des sommets les plus élevés de l'Himalaya que se trouvait, d'après l'aspect indou

de la légende, la résidence de Çiva et de sa parèdre ... » [Autran, op. cit., p. 90]

Autran ajoute que c'est dans le Caucase himalayen qu'il faut transférer la grandiose évocationd'Eschyle, véritable extrémité du monde. C'est au Gaurisankar, ultima thule, qu'il faut chercher lelieu où Prométhée fut rivé par les liens « d'un infrangible acier »

[ le Gaurisankar ou Gaurishankar a d'abord été considéré comme l'ancien nom du mont Everest, mesuré en 1847par le major Everest. John Herschel lui donne encore les noms de Disdunga et Chingopamari, cf. Louis Figuier, Laterre et les mers ou Description physique du globe, Hachette, 1864, p. 138. En fait, H. Wood (Report on theidentification and nomenclature of the Himalaya Peaks as seen from Katmandu, Nepal, Calcutta, 1904) a montré

que l'Everest et le Gaurisankar étaient distants de 57 km, le Gaurisankar étant situé plus à l'est et ne dépassant pas7143 m ; par ailleurs, on distingue deux pics, le Gauri (ou Parbatch) et le Sankar ou pic XX, plus haut situé : in laGéographie, 1904, tome X, 315-318. Autran indique bien que le Gaurisankar donne l'impression d'un trône doublese dressant dans ce « Caucase » lointain. L'antiquité, jusqu'à l'époque de Pline, a attribué le nom générique deCaucase à notre Caucase actuel et aussi au long massif montagneux qui, par l'Azerbeidjan rejoint, via le Chorasan,

la chaîne des Pamirs et de l'Himalaya (Autran, op. cit., p. 90 sq)].

Si l'on reprend la légende de Prométhée selon Hésiode, l'accent est mis sur :

« ... la rupture du lien qui unissait les hommes aux dieux : désormais les hommes disposent d'un feu qui leur estpropre et, par là même, d'une relative autonomie ... à l'état de dépendance naturelle succède une situation

dialectique à deux foyers. » [René Schaerer, l'Homme antique, Payot, 1958, II. Hésiode, 1. la Théogonie, p. 69]

Le fait fondamental et qui, de façon surprenante, n'est pas sans rappeler la genèse de l'universselon la physique actuelle [voir Aurora consurgens, II] est le phénomène de brisure de symétrie :avec Hésiode, à la génération par ségrégation d'éléments confondus succède une générationpar association d'éléments hétérogènes et au règne de la Discorde, qui éparpille, succède celuide l'Amitié [voir le sens exact de Mitra], qui unifie. On comprendra peut-être mieux l'analogie sil'on substitue à la Discorde, Chaos et à l'amitié, Eros. Ces deux mots, Discorde et Amitié, sontselon Empédocle [voir Berthelot, les Origines de l'alchimie et Chevreul, in l'Idée alchimique, II] les

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représentations des puissances qui régissent la matière : elles se combattent sans trêve entrel'émiettement total et l'unité absolue.

« Ainsi Empédocle distingue pour ainsi dire deux hauts et deux bas dans ce mouvement de flux et de reflux :victoire de l'Amitié, suivie de la croissance de la Discorde; victoire de la Discorde, suivie de la croissance de

l'Amitié. » [Theodor Gomperz, les penseurs de la Grèce, histoire de la philosophie antique, Paris, Alcan et

Lausanne, Payot, 1908, chap. v Empédocle, p. 241 sq.]

On retrouve très logiquement le modèle de l'agent et du patient des alchimistes. On peut enrapprocher l'activité et la passivité de Fichte telles qu'il les présente dans sa philosophiethéorique. Du reste, ce rapprochement est d'autant plus intéressant qu'Empédocle, dans sesfragments, distingue deux raisons dans l'homme, l'une inférieure qui ne s'élève pas au-dessusdes sens [c'est notre entendement], l'autre divine, commune à tous et qui seule peut s'élever à laconception de l'invisible et de l'unité absolue [le transcendantal kantien]. Ajoutons que ce méprisdes sens, affiché par Empédocle, est une doctrine indo-persane étrangère au génie grec etimportée par les Pythagoriciens. Par la suite, ayant trouvé la sagesse, Empédocle ne cherchepoint à la faire partager et

«... la retient par devers lui comme un mystère incommunicable et dont il craint de laisser échapper plus qu'il nefaut ... Cette transformation de la science en une doctrine secrète était tout à fait contraire avec le libéralisme

hellénique ... Au contraire, c'était à cette époque plus que jamais, l'idée indienne ... » [Émile Burnouf, Histoire de

la littérature grecque, Delagrave, 1869, I, section iv, période des guerres médiques, p. 349]

Remarquons que ce mystère se retrouve dans l'alchimie depuis ses origines jusqu'à Fulcanelliet atteste de la permanence formelle, dans sa structuration conceptuelle, d'éléments védiquesdont Mitra est l'élément central [voir Aurora consurgens, III].

La coopération entre le Moi et le Non Moi exige l'introduction d'une synthèse ou catégoriequi est la réciprocité [voir infra, IIème Essai, chapitre 1, b] ; elle introduit une dialectique où le NonMoi va déterminer activement le Moi, ce dernier se déterminant lui-même comme sujet [sur la

traduction en termes alchimiques de ce concept, voir chapitre 4]. On aboutit ainsi à une structure forméed'éléments stables dont l'ensemble demeure essentiellement instable :

« À mesure que la Discorde se retirait et que le doux immortel élan de l'amitié victorieuse s'avançait d'autant,aussitôt devenaient mortelles les choses auparavant immortelles et mélangées celles qui auparavant ne l'étaient

pas. » [Empedoclis Agrigentini fragmenta, ed. H. Stein, Bonn, 1852, fr. 35 cité in Schaerer, op. cit., p. 159]

Dans cette rythmicité dont la période ne peut pas être définie, il y a deux éléments àconsidérer :

le fixe ou Amitié, que Parménide nomme l'unité-masse [l'unité se cache sous la diversité] ;les alchimistes en ont fait leur sulphur ;

le volatil ou Discorde, qu'Héraclite appelle encore l'unité vibratoire [la diversité se cache

sous l'apparente unité] ; les alchimistes en ont fait leur mercurius ;

Nous avons là deux aspects complémentaires de la réalité que nous retrouvons jusque dans laphysique quantique, avec le double aspect corpusculaire et ondulatoire d'une particule. Demême en alchimie : Fulcanelli assure que le Soufre et le Mercure des philosophes ne sont quela même substance, considérée en des moments différents de l'oeuvre. Mais comment passerde l'un à l'autre sans médiateur ? Une première réponse est possible et elle se baseuniquement sur des considérations alchimiques : les Artistes, pour désigner leur matièreembrasée - leur materia prima - en parlent comme de leur feu aqueux ou de leur eau ignée [1,

2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10]. Cet aspect dual et ambigu peut paraître propre à la phraséologiehermétique ; toutefois le pléiomorphisme de la formule n'échappe à personne : la dualité est,si l'on peut dire, l'une des constantes les plus stables de la psyché...

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E. figura quinta

La gravure montre un lieu clos, de nuit, que l'on devine éclairé par les rayons de la Lune,sous un ciel serein. À gauche est disposé un récipient qui doit recueillir l'Esprit universeltandis qu'à droite, on aperçoit l'athanor, clos. Les notes annexées à la figura quinta indiquentqu'ici, l'Artiste doit capter l'humide radical émané des étoiles de son eau métallique. Cetteopération exige un artifice particulier ou médiateur.

De attractione aqua aereae, tanquam legitimi medii quo liquor illecorporalis & terrenus astralibus radiis animatur atqueimpraegnatur [caput V, TC, VI, 413]

Orthelius, figura quinta, TC, VI, 413

Ce médiateur, vu dans l'athanor des Sages, se signale avant tout par une qualité : le pouvoirde rendre fluide et de maintenir en état de mixité des substances. Ce pouvoir ne peut êtreassuré que par un tiers-agent dont l'un des plus avisés parmi les Artistes, Philalèthe, a dit qu'ilétait l'Air des Sages [cf. Introïtus, VI]. Diogène d'Apollonie, dans lequel on n'a vu qu'unphilosophe inférieur à Anaxagore, a eu là-dessus une vue prophétique :

« ... tous les phénomènes ne sont que les modifications d'une substance unique et se résolvent ensuite dans cettemême substance ... cette substance, qui est l'air, est intelligente et divine ... c'est par elle que le multiple naît de l'un

et les structures de l'indifférencié. » [Schaerer, op. cit., 5. Diogène d'Apollonie, Leucippe, Démocrite, p. 162 sq.]

Par rapport à Anaxagore, Diogène cherche aussi un principe pensant à l'explication du mondemais il ne sépare pas ce principe de l'univers matériel. Il considère que le principe moteur estle feu sans lequel il ne saurait y avoir d'animation ; et que l'élément simple de la matière

est l'air , mais un air pensant et organisateur du monde [cf. Burnouf, op. cit., I, p. 344 sq.]. Voilà

quel est ce moyen, cet artifice qui permet de conjoindre les extrémités du vaisseau de nature :

«On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant

tout l'entre-deux. » [Blaise Pascal, Pensées, 1670, III. Marques de la grandeur de l'homme, 4. la grandeur de

l'humanité est dans le milieu, (Brunschvicg 323, Chevalier 353), la Pléiade, 1954, p. 1169]

Citation de Pascal qui paraîtrait contingente si Schaerer [l'Homme antique, op. cit, p. 159] nel'avait donné en suite d'un schéma illustrant le thème de la Discorde et de l'Amitié. Cet airpensant et organisateur, les anciens chimistes en parlaient comme de l'Esprit universel et lesalchimistes le cherchaient dans la rosée de mai [voir Mutus Liber , planche 4]. C'est Nicolas LeFèvre qui ajouta ce nouvel élément à ceux de Paracelse :

« ... cette substance radicale et fondamentale de toutes choses, est véritablement unique en essence, mais ... tripleen nomination ; car, à raison de son feu naturel, elle est appelée soufre ; à raison de son humide, qui est le propre

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aliment de ce feu, elle est nommée mercure ; enfin, à raison de ce sec radical qui est le ciment et la liaison de cet

humide et de ce feu, on l'appelle sel. » [Nicolas Le Fèvre, Cours de Chymie, tome premier, Leloup, 1751, LIVRE

PREMIER. Chapitre Premier.De l'esprit universel, pp. 21-22 ; cité in Raoul Jagnaux, Histoire de la chimie, tome

premier, Paris, librairie polytechnique Baudry, 1891, p. 27]

Les alchimistes ont cherché dans l'air un certain esprit susceptible de se corporéifier. Cet esprit,selon eux, était ubiquitaire et pouvait rendre compte des productions minérales et métalliquesde nature. En effet, leurs expériences avaient montré que la racine de toutes choses était unesubstance vitale, nommée humide radical ou entéléchie. La révolution opérée par Lavoisier a misà bas ces considérations et nous savons que les changements que les alchimistes observaient,notamment de poids [ils l'appelaient le poids de nature pour le différencier du poids de l'art : en effet, ils

observaient un accroissement du poids de leur matière], étaient en relation avec de simples réactionsd'oxydo-réduction :

« Ainsi nous voyons qu'après avoir tiré du vitriol beaucoup de différentes substances qu'il contient, si on expose latête morte de ce vitriol à l'air, en quelque endroit qui soit à couvert des injures de l'eau, que cet esprit ne manque

pas d'y reprendre sa place ... » [Le Fèvre, op. cit., pp. 22-23]

L'humide radical métallique est cet état du Mercure que les alchimistes nomment leur doubleMercure ou Mercure philosophique. C'est leur eau permanente qui tient le milieu entre laDiscorde et l'Amitié : une fixation précoce empêcherait l'or enté de pousser dans le coeur dela matière ; inversement l'agitation des éléments conduirait à sublimer les composantsessentiels et à les perdre sans espoir de retour [ce que les Adeptes appellent « brûler les fleurs »].L'obtention de cet équilibre métastable passe, nous l'avons-vu, par un tiers-agent qui tientautant du ciment et de lien : il s'agit du principe SEL, que le pseudo Djabir nomme Arsenic etque Fulcanelli appelle le corps du lapis. Ce point de science est voilé dans les textes sousl'étiquette mercurielle [voir Ripley Scrowle].

F. figura sexta

La figura sexta combine deux aspects de la même opération qui renvoient à cette étiquetteduale que je viens d'évoquer.

De materiae Lapidis Philosophici parte superiori h. e. Influentia Solis,Lunae & stellarum, quibus praedictus liquor corporalis astrificatur percommixtionem aquae aereae, & apertam expositionem sub dio, quod fitratione Sympathiae & correspondentiae utriusque shaerae scilicetsuperioris & inferioris. [caput V, TC, VI, 415]

Orthelius, figura sexta, TC, VI, 415

C'est une figuration originale des Quatre Éléments : à gauche, la Terre et l'Eau ; à droite le

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Feu et l'Air. Revenons, pour cette occasion, à Empédocle.

« Empédocle est explicitement désigné comme le premier qui ait posé ces quatre éléments, et ce que nous savonsde ses prédécesseurs confirme l'exactitude de cette indication. Les philosophes antérieurs parlent sans doute desubstances premières dont tout a été formé; mais à ces substances premières manque la détermination qui seulepourrait en faire des éléments au sens d'Empédocle, je veux dire l'immutabilité qualitative n'admettant qu'uneséparation et une juxtaposition dans l'espace. De même, les philosophes antérieurs ont sans doute l'idée de toutesles substances qu'Empédocle considère comme des éléments; mais ils ne les réunissent pas en ce sens, à l'exclusionde toutes les autres substances. La plupart n'admettent qu'une seule substance primordiale; Parménide seul en

admet deux, dans la seconde partie de son poème; aucun n'en admet quatre ... » [Eduard Zeller, La philosophiedes Grecs considérée dans son développement historique, Hachette, 1877-1884, II. I. EMPÉDOCLE ET

L'ATOMISME., p. 206 sq., trad. E. Boutroux]

Les éléments sont regroupés en deux catégories par Parménide ; on les retrouve dans la figura

sexta d'Orthelius. Dans son poème De la Nature, dont nous ne possèdons que des fragments,c'est en substance l'idée de décision critique qui forme l'élément du discours de Parménide :l'homme doit choisir entre le jour et la nuit, engagé en cela sur les impulsions de Thémis [la

Justice, au sens ontologique] et de Dikè [le Droit, i.e. la justice au sens téléologique]. Mais c'est aucommencement du monde, à Okéanos le dieu-fleuve, qu'il faut chercher l'origine desÉléments. Après avoir enfanté toutes les choses, situé au lieu même de l'origine des dieux[Iliade, 14.201] et de l'origine de tout [Iliade 14.246], Okéanos continue de couler à la limiteextrême de la terre et ses flots se déversent en eux-mêmes : nous retrouvons le symbole

de la nigredo. Nous pouvons y deviner le tracé d'une orbite, c'est-à-dire d'une portiond'espace-temps où une masse, corrélativement à une autre, est source d'attraction et deperturbation. Okéanos est le prototype du Mercure des Sages et Téthys est son double

[ la terre animée] ; cette dualité primordiale s'exprime dans la complémentarité des éléments etleur appariement [cf. Atlas de Chevreul, notamment tableau I, II et III ]. Le Mercure des alchimistes estl'eau animée, l'eau permanente et étoilée, encore appelée par Artephius Lait de Vierge. Quantà la terre animée, nous y voyons les particules élémentaires que décrit Kant dans son traité Du

Ciel [cf. supra, intro.], particules qui n'ont de cesse de s'agréger sous l'influence de la gravitation.L'eau et la terre apparaissent ainsi comme des éléments privés de leur vecteur

d'animation, †. C'est, en définitive, la privation du feu qui a permis à l'eau et à la terre de

prendre une forme stable [cf. là-dessus nos considérations sur l'ellipse]. Quant à l'air , s'il

représente l'aliment du feu substantiel, il n'est point l'aliment du feu élémentaire : c'est le

seul des Quatre Éléments qui pose un problème ontologique en ce sens qu'intrinsèquement, ilest dépendant d'une notion non conceptuelle : l'espace. Lors donc que l'eau et la terre trouventleurs correspondances conceptuelles ; que le feu représente le vecteur de leur forme sublimée[en alchimie, le Mercure et le Sel], l'air ne peut être conçu, sous le principe de la contingence, qu'entant que lieu, c'est-à-dire qu'en forme d'espace.

commentaire à suivre

** *

2. sur la possibilité théorique d'une interprétation critique du symbolisme alchimique

a. introduction : l'apport d'Ernst Cassirer

Le symbolisme alchimique passe par la tentative de poétiser le monde si je considère saphénoménologie. Elle s'appuie sur des éléments qui relèvent du mythe et de la nature, le plussouvent mis en situation de décalage nouménal, c'est-à-dire comme le dit Jung,essentiellement constellés. Le symbole s'exprime - texte ou image - dans une conceptiontranscendantale d'un mundus imaginalis où le sens cherche à se constituer dans une tonalité en

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décalage par rapport à l'empirisme [cf. infra] au sens où l'alchimiste ne distingue pas l'imagedu sens de l'image. À cet égard, Ernst Cassirer a fondé une partie de son oeuvre sur la miseen perspective du formalisme symbolique. La Philosophie des formes symboliques de Cassirertente d'objectiver la double nature sensible et intelligible du mythe ou du symbole,relativement à l'affirmation de la reconnaissance du réel. Voici deux articles parusrespectivement dans la Revue philosophique en 1907 [1-6, 63, pp. 533-534] et en 1926 [7-12, 102, pp.

299-304], qui font le point là-dessus :

E. Cassirer. Das Erkenntnissproblem in der Philosophie und Wissenschaft der neueren Zeit. 1er Bd.(Verl. von Bruno Cassirer, Berlin, 1906).

Il faut savoir gré à M. C. d'avoir senti que notre époque réclamait une étude de la faculté de connaître,malheureusement cette étude n'est pas faite de la manière qu'on pouvait espérer. La conception de lascience évolue, les définitions, les formules changent, les exigences de l'esprit également et nous sommesparvenus à un tournant de l'histoire où il est intéressant de résumer le chemin parcouru et de constater lasituation actuelle. C'est donc à un double point de vue, à la fois systématique et historique que se placeral'auteur; par suite, il n'exposera pas seulement la suite des systèmes philosophiques, mais s'efforcera dereplacer chacun dans le grand courant de culture auquel il appartient. C'est aux temps modernes que seborne l'étude de Cassirer; il a cru, cependant, devoir la faire précéder d'une introduction dans laquelle estrapidement passé en revue le problème de la connaissance dans l'antiquité. Les introductions de cette sortepèchent toujours par le même défaut : elles n'ont pas une suffisante raison d'être et ne font pas partieorganique du tout. Entre la préface courte et nette et l'exposé de la « Renaissance du problème de laconnaissance », les vingt pages consacrées à la philosophie grecque sont trop ou trop peu, en tous cas leurnécessité ne s'impose pas. L'auteur est obligé, dans cet espace restreint, de choisir entre les théoriesgrecques et parmi celles qu'il passe sous silence, il y en a d'aussi importantes, par rapport aux théoriesmodernes, que celles dont il est parlé. C'est ainsi que Protagoras est négligé, malgré l'intérêt qu'il présente,non seulement par ses propres vues, que Platon n'a pas dédaigné d'examiner, mais encore commeintermédiaire entre Heraclite et les sceptiques, Enésidème en particulier. C'est cependant Protagoras qui,selon Natorp [La théorie de l'expérience chez les sceptiques], aurait élucidé le concept d'expérience etc'est à lui qu'il faudrait rattacher la théorie de l'induction; de pareils titres ne doivent pas être négligés dansune histoire de la théorie de la connaissance. Enfin, M. C. passe sous silence toute la philosophiepost-aristotélicienne. Cependant la théorie stoïcienne est intéressante et elle eût fourni à l'auteur, qui usevolontiers des rapprochements entre anciens et modernes, l'occasion d'un rapprochement avec Locke. Etenfin, la théorie sceptique était de toutes la plus importante, car celle des sceptiques empiristes conduisaittout naturellement au point de vue moderne. L'auteur en est d'ailleurs convenu quand il a fait de Sextus leprécurseur de Montaigne, et si, comme il le dit, la pensée moderne se rattache plus directement auxthéories de la Grèce finissante qu'aux grands systèmes de la belle époque (p. 163), pourquoi ne nous avoirpas esquissé celles-là plutôt que ceux-ci ? C'est cependant une autre voie que C. a suivie et c'est la reprisede l'aristotélisme par la scolastique qui le conduit aux temps modernes. Nicolas de Cuse, avec qui s'ouvrela période moderne, mérite de nous retenir. Il inaugure, en effet, une méthode nouvelle et dans l'emploiqu'il fait du doute, il sera suivi par tous ses successeurs; c'est grâce à lui que le scepticisme s'introduit dansla philosophie, non pas « à côté » des systèmes, mais dans la trame même de toutes les recherches. LaDocta Ignorantia fait pressentir Descartes et fait de Cuse un précurseur de Copernic. Les problèmes donts'occupe Cusano sont encore ceux du moyen âge, mais la méthode est nouvelle et ce sont des rapportsnouveaux qui sont affirmés entre Dieu et le monde, comme entre la sensibilité et l'entendement.Après Cusano, tous les efforts de la spéculation et de la science ne s'expliquent que par rapport aux grandssystèmes grecs dont s'est occupé le moyen âge : le platonisme et l'aristotélisme. Un écho du premier seretrouve dans la théorie de l'âme de M. Ficin, comme dans les sonnets de M. Ange; quant au second, c'estle problème de l'âme qui y paraît central et

« l'analyse dialectique du concept aristotélicien d'âme devient un facteur important dans la formation dela notion moderne de conscience » (p. 109).

Bien que l'idée de concilier Platon et Aristote soit la gloire de l'Académie de Florence (Bessarion, Pic de laMirandole), l'aristotélisme est surtout combattu et la psychologie aristotélicienne réformée. Elle aboutit àun dualisme sans issue, qu'accentuent encore les Commentateurs arabes et que Pomponace s'efforced'atténuer. Dans le conflit entre Alexandristes et Averroïstes ce n'est pas la question de l'immortalité mais,en réalité, le problème de la connaissance qui sépare les deux camps. Après une période « philologique »,la Renaissance en traverse une autre « mathématique et sceptique » : Valla, Vives et Ramus figurent troisétapes dans le mouvement humaniste. Avec le dernier, la logique passe du type grammatical au typegéométrique, la conception de l'histoire elle-même se renouvelle avec les sceptiques; puis c'est la naturequi se révèle et la révolution qui s'accomplit conduit à des points de vue nouveaux sur les sciencesmorales. On peut dire que les efforts qui aboutissent à de nouveaux principes de recherche se confondentavec ceux qui amènent la conception astronomique actuelle de l'Univers : les sciences exactes deviennentdes normes, pour L. de Vinci la mécanique, pour Kepler la géométrie. Il s'ensuit que les concepts d'espèce

et de genre sont remplacés par ceux de rapport et de loi : l'idée de relation domine la science.Jusqu'à Descartes, la méthode n'a été qu'un moyen de nous conduire à la source de la connaissance : jamais

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encore le point de départ de la science. C'est là la grande nouveauté qu'apporte le cartésianisme : sesconquêtes en mécanique et physique ne seront encore que les fruits de la méthode. M. C. expose bien lepoint de vue cartésien et les conséquences de la mathématique universelle fondée sur la géométrie : le «point » devient un absolu, la connaissance ne s'exprime qu'en fonction de la grandeur spatiale. Quant à laphilosophie ultérieure (jusqu'à Bayle) en donne-t-on une juste idée en disant que c'est un mélange decartésianisme et d'augustinisme ? Dans cette étude, la philosophie de la Renaissance tient peut-être uneplace exagérée; l'auteur semble près de le reconnaître quand il avoue que la philosophie n'a joué à cetteépoque, qu'un rôle effacé. Et d'ailleurs c'est le reproche que j'adresserai à l'ensemble de son ouvrage, d'êtretrop développé; ce n'est plus, à proprement parler, l'histoire de la théorie de la connaissance, c'est unehistoire de la philosophie faite d'un point de vue un peu spécial, mais d'où ne se dégage pas assez leproblème particulier qu'il s'agissait de circonscrire. L'ouvrage est d'ailleurs très nourri, témoignant partoutde connaissances approfondies, riche en détails instructifs (sur Fracastoro, Burthogge) et en vuesintéressantes (Montaigne, par exemple, y est étudié dans ses rapports avec Shakespeare, avec Herder etRousseau, puis avec le protestantisme).

C. Bos.

Ernst Cassirer (1874-1945)

LA PENSÉE MYTHIQUE D'APRÈS M. CASSIRER [Ernst Cassirer. Philosophie der symbolischenFormen. Zweiter Teil. Das mythische Denken. Berlin, Bruno Cassirer Verlag, 1925, xvi-320 p. in-8°.]

Dans la première partie de cette Philosophie des formes symboliques (dont M. Meillet a rendu compte ici,voir Revue Philosophique, mai-juin 1925, p. 463), il était question du Langage. Le présent ouvrage estconsacré au Mythe. M. Cassirer rappelle, dans l'introduction, que Schelling1 voyait dans les formesmythiques des créations autonomes de l'esprit, qui devaient être « comprises par elles-mêmes », etreprésentaient « un moment nécessaire du développement de l'absolu ». Depuis, on a renoncé à chercherles raisons du mythe dans un absolu métaphysique. La « Völkerpsychologie » considère les mythes commedes objets psychiques, qu'il s'agit d'expliquer par des lois de causalité, au même titre que les autres réalitésnaturelles. Mais une telle psychologie empirique, qui s'appuie sur les lois d'association et de reproductiondes images, n'atteint que les produits de l'activité spirituelle, et non cette activité créatrice dans sa nature etson jeu efficace2. M. Cassirer prétend aborder le problème même que posait Schelling, mais en letransplantant sur le terrain de la philosophie critique. On peut expliquer les mythes au moyen d'uneanalyse critique de la conscience qui les produit. Ainsi, M. Cassirer se place d'emblée à un point de vuekantien. De fait, les chapitres successifs de son ouvrage correspondent presque aux diverses parties de laCritique de la raison pure. Il étudie successivement le mythe comme forme de pensée, comme formed'intuition (l'analytique vient ici avant l'esthétique transcendantale), et le dernier chapitre est intitulé : ladialectique de la conscience mythique. Disons tout de suite que la partie la plus positive de cette étude,c'est l'analyse des diverses catégories de la pensée et de l'intuition chez les primitifs : l'espace, lesdistinctions spatiales et l'opposition entre la lumière et l'ombre, l'orientation dans l'espace, les divisions dutemps, les nombres sacrés, le rapport d'équivalence entre la partie et le tout, les notions d'affinité et deressemblance mystiques qui sont à la base de l'alchimie et de l'astrologie3. M. Cassirer s'inspire ici destravaux de M. Lévy-Bruhl sur la mentalité primitive, auxquels il se réfère à maintes reprises. Sous uneterminologie nouvelle, on retrouve en effet les notions, qui nous sont devenues familières, de «participation » et de « pensée prélogique ». Il s'appuie sur de nouveaux faits, et témoigne d'uneconnaissance étendue des travaux d'ethnographie et d'histoire des religions les plus récents. Mais, sauf surquelques points de détail, et en dépit d'un grand effort systématique, on ne peut dire qu'il ajoute ici riend'essentiel aux conclusions du philosophe-sociologue français.La partie la plus originale de cette étude, c'est la quatrième section, intitulée : « la dialectique de laconscience mythique ». On peut décrire ainsi cette dialectique. La pensée mythique ne distingue pas,

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primitivement, les formes imaginatives qu'elle a créées et les réalités du monde sensible. Mythes et rites nesont pas des représentations plus ou moins symboliques. On ne distingue pas de l'image le sens de l'image: mais l'image se confond avec la réalité4. On n'imite pas un dieu ou un esprit, mais on s'identifie à eux, onprend leur nature. Mythe et nature se compénètrent étroitement. Pour que naisse la conscience religieuse, ilfaut que le mythe se détache de la réalité, et devienne un signe. Toute religion, pour se constituer, traversedonc une crise : crise de négation ; mais elle ne nie que pour affirmer5. Elle y parvient par des voies assezdifférentes (p. 295 suiv.). Dans le prophétisme hébraïque, par l'interdiction du service des images, par lacondamnation absolue des idoles. Dans la religion des Perses-Iraniens, dans le mazdéisme, sans douteAhura-Mazda n'est désigné que par les deux prédicats abstraits de l'existence et de la bonté morale.Cependant la religion ne se détache pas entièrement de la nature. Chacune des grandes forces et chacundes grands éléments naturels participe au combat qui se livre entre le bien et le mal. C'est pourquoi onprotège l'eau et le feu contre toute souillure. Les formations mythiques descendent au rang de démonsinférieurs. Mais elles gardent quelque réalité. Dans la doctrine indienne des Upanishads, le seul nom quireste pour désigner l'absolu, c'est la négation. Le bouddhisme s'engage plus avant dans cette voie. Il nienon seulement l'objet, mais le sujet. La forme du moi semble au bouddhiste aussi accidentelle et extérieureque toute autre. Il faut nier l'action, parce que l'action, le karman, attache l'homme à la roue desnaissances. En même temps que l'âme, Dieu disparaît. Le bouddhisme est une religion athée. Dans lechristianisme qui demeure si chargé de matière mythique, à toutes les phases du développement religieuxle même conflit se reproduit entre les représentations sensibles et le sens pur de l'absolu divin. Ladialectique de la négation et de l'opposition explique donc, et explique seule, le passage du mythe à lareligion. Il serait injuste de méconnaître le mérite d'une oeuvre semblable, qui est assez riche, réellement,de contenu. Mais le catégorisme kantien et néokantien pèse lourdement sur cet exposé. L'auteur s'efforced'y raccorder les lieux communs de la philosophie critique et les données positives. Mais trop souvent ilveut à tout prix faire rentrer les faits dans des cadres assez arbitraires. Il observe, par exemple, quebeaucoup de peuplades sauvages ou à demi sauvages croient qu'un même individu peut posséder à la foisdeux, trois et jusqu'à sept âmes (p. 201). Et il pense en trouver l'explication dans la croyance, égalementrépandue, qu'au moment de l'initiation le jeune homme meurt, et renaît avec une âme nouvelle. Lamultiplicité des âmes dans le présent et, en quelque sorte, dans l'espace, répondrait à une tendance de lapensée mythique, qui divise la durée en un certain nombre de phases qualitativement distinctes et multiplieles âmes dans le temps. Il est vrai qu'il a remarqué, d'autre part, que la même pensée mythique n'analysepas, mais confond en un tout indifférencié les objets et les faits les plus dissemblables.

« Après y avoir réfléchi, ajoute-t-il, je constate qu'il n'y a là que deux moments alternatifs de la pensée,qui, loin de se contredire, s'accordent l'un avec l'autre et se complètent. Tandis que la pensée scientifiquerapproche synthétiquement ce qu'elle a distingué par analyse, la pensée mythique ne connaît ni l'analyse,ni la synthèse. Ou bien elle nie purement et simplement les différences, quand elles ne lui paraissent pasessentielles, et alors elle se représente les choses distinctes comme identiques, ou bien, lorsque lesdifférences sont telles qu'elle ne peut les nier, elle attribue à des êtres substantiels distincts ces attributs oupropriétés qui ne peuvent se fondre en un tout indifférencié » (p. 204, note).

Mais il n'est pas du tout établi, loin de là, que la croyance à la multiplicité successive et à la multiplicitésimultanée des âmes chez le même individu se retrouve chez les mêmes peuplades (les exemples qu'ildonne de l'une et de l'autre sont empruntés à des sociétés très différentes). Et l'on ne voit réellement pas cequ'un tel raisonnement dialectique peut nous apprendre sur l'origine de ces imaginations. On n'est pas, oubien on n'a pas été kantien impunément. Pour M. Cassirer, les « fonctions » de la pensée mythique ne sontpas des données de l'expérience. Elles conditionnent l'expérience6. La pensée mythique est une sorte decadre a priori. L'explication qu'il propose du totémisme procède à la fois du pragmatisme et de l'idéalismetranscendantal. Si l'homme se confond avec les bêtes, les plantes, ou d'autres objets, cela résulte d'unbesoin fondamental d'unité : « l'unité de l'aperception sensible », tel est, dans les esprits primitifs, leprincipe régulateur des représentations. Si cependant les divers clans se sentent unis mystiquement à telsanimaux, à telles plantes ou à tels objets, plutôt qu'à d'autres, cela résulte des directions différentes de leuractivité. On trouve des sociétés où le chasseur, le pâtre, le cultivateur ont ainsi pour totem l'animal ou lesanimaux avec lesquels leur genre de vie les met habituellement en rapports. Ailleurs, il y a un mana desguerriers, des chefs, des prêtres, des médecins. Remarquons que les faits sur lesquels peut s'appuyer unetelle explication sont très peu nombreux (voir p. 228, note, p. 230, note), et qu'il s'agit le plus souventd'interprétations mythiques traditionnelles qu'il importerait de critiquer. La raison qui a conduit tel clan àadopter tel totem est aussi obscure, pour nous, que la raison qui a conduit tel groupe d'hommes à désignerun objet par tel assemblage de sons. Mais cette hypothèse vient à l'appui d'une conception plus générale,que M. Cassirer oppose à l'explication sociologique du totémisme. Durkheim croyait que, derrière letotem, le culte religieux s'adresse à la société, dont le totem ne serait qu'une expression figurée. Plusgénéralement toutes les catégories de la pensée religieuse sont, d'après Durkheim,

« des produits non de la pensée individuelle, mais de la pensée sociale ».

Pour les comprendre, il faudrait partir de la division du groupe primitif en clans. Mais, d'après M. Cassirer,

la théorie de Durkheim prend en réalité la cause pour l'effet. C'est un usteroV proteroV. Loin d'êtredonnée d'abord, l'organisation sociale résulte d'un courant de pensée mythique. M. Cassirer reprend ici àson compte la formule de Schelling :

« Ce n'est pas l'histoire d'un peuple qui détermine sa mythologie, mais, au contraire, c'est sa mythologie

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qui décide de son histoire. »

Seulement, lorsqu'on se demande ce que peut bien être cette pensée mythique primitive, qui serait lefondement de toute communauté sociale, on trouve qu'elle se réduit, d'après M. Cassirer, à une sorte de

confusion essentielle7. L'homme ne se distinguerait pas des animaux, des plantes, des autres objets. Leshommes ne se distingueraient pas les uns des autres. Mais, en fait, si les primitifs confondent des objetsque nous distinguons, nous savons aussi qu'ils en distinguent, que nous rapprochons. Ils classent les chosesà leur manière, et non seulement se distribuent en clans séparés, mais encore rattachent à ces divers clansdes classes d'objets distinctes. Si l'on suppose au point de départ une indifférenciation totale, il fautexpliquer comment s'introduisent de telles distinctions. Mais cela est bien impossible. Il n'existe aucunrapport constant de ressemblance entre tels animaux ou telles plantes et les groupes d'hommes qui les ontadoptés pour totems. Cette difficulté, d'ailleurs, n'en est une que dans la théorie de M. Cassirer. Dans lathéorie de Durkheim, au contraire, du moment que les totems sont seulement des emblèmes ou dessymboles, il importe assez peu que tel clan choisisse telle plante ou tel animal, plutôt que tout autre :l'essentiel est que chacun d'eux choisisse une plante ou un animal qui n'a pas été choisi par un autre. Maisla principale objection que soulèvent la thèse et la méthode de M. Cassirer, c'est qu'on ne voit pascomment il explique que la pensée mythique évolue. Toute religion, dit-il, résulte d'une crise de la penséemythique. Celle-ci, à un moment donné, éprouve le besoin de se dégager des images sensibles qu'elle aelle-même créées, et qu'elle prenait pour des réalités. Du Jour où elle interprète le mythe, où elle lui donneun sens, elle oppose ce sens aux images, elle est sur la voie qui conduit aux religions proprementspirituelles8. Mais pourquoi, et par l'effet de quelle cause, se produit cette crise? Pourquoi la penséemythique ne s'enfermerait-elle pas indéfiniment dans ses « formes » et ses « catégories »? Pourquoi ensort-elle? Si elle en sort en vertu d'un mouvement dialectique interne, comme le pense M. Cassirer, c'estsans doute qu'il y a en elle dès le début une contradiction latente. Mais pourquoi, par l'effet de quellescauses prend-elle conscience de cette contradiction ? Et pourquoi, comme le montre M. Cassirer, s'engage-t-elle, à partir d'un même état de confusion psychique totale, dans des voies si distinctes, qui comportentune part si inégale d'analyse et de réflexion abstraite ?Si nous insistons sur ce point, c'est que M. Cassirer croit pouvoir décidément rendre compte des modes depensée mythiques et religieux sans les replacer dans les milieux sociaux où ils se développent. Dans tout lecours de son étude analytique, il oppose la pensée mythique et la pensée rationnelle comme deux formesde pensée données ou concevables a priori. Mais à aucun moment il ne se demande quel rapport autre qued'opposition il a pu y avoir entre l'une et l'autre: Celle-ci s'est-elle substituée à celle-là, ou bien en est-ellesortie par voie d'évolution ? En devenant religieuse, la pensée mythique s'écarte-t-elle ou se rapproche-t-elle de la pensée scientifique ?9 Ce que nous reprocherions à M. Cassirer, ce n'est point de ne pas poserun tel problème, c'est d'adopter une méthode qui ne permettrait ni de le poser, ni de le résoudre. M.Lévy-Bruhl a relevé les traits distinctifs de la mentalité primitive. Il a même indiqué quelques- unes deslois psychologiques qui permettraient d'en rendre compte. Mais M. Cassirer va bien plus loin. Il pose apriori les conditions de la pensée mythique. Il en déduit les catégories de cette pensée. C'est une forme depensée logiquement possible, et, comme telle, elle comporte peut-être une évolution, mais dans un cadrebien défini. On ne conçoit pas comment la pensée scientifique pourrait prendre appui sur elle, ou sortird'elle.M. Cassirer essaie de montrer, par exemple, en quoi la notion d'espèce, serait radicalement différente chezles primitifs et chez les modernes. Pour la science moderne, l'espèce est définie par la génération, qu'onexplique elle-même, analytiquement, par un enchaînement de causes et d'effets physiologiques ou physico-chimiques. Pour les primitifs, c'est le contraire : la génération s'explique par l'espèce, ou par le clan. Ellerésulte de ce que le clan représenté mythiquement par les ancêtres veut se perpétuer. Dans certaines tribusd'Australie, la conception se produit lorsque la femme passe près d'un lieu où résident les esprits desancêtres. Ceux-ci pénètrent dans la hanche de la femme, s'ils reconnaissent qu'elle est de leur clan. Ce sontlà deux types d'explication inverses. Pour passer de l'un à l'autre, il a fallu que toutes nos catégories, nosidées, nos méthodes de raisonnement se renouvellent du tout au tout. Il a fallu passer d'un système de.pensée à un autre entièrement opposé. C'est du moins ce qui semble résulter d'une telle oppositionapparente. Mais, à observer ces deux explications d'un peu plus près, on s'aperçoit qu'il y a entre elles plusd'analogies qu'il ne paraît. Après tout, quand on définit l'espèce : l'ensemble des animaux qui seressemblent, et qui dérivent de parents communs, est-on tellement éloigné de la conception primitive duclan? Les recherches les plus récentes sur l'hérédité conduisent à admettre que ce qui se transmet d'unascendant à ses descendants, c'est une sorte de « patrimoine physiologique » commun. Le germe est conçucomme une partie de l'organisme qui reproduit les traits essentiels de celui-ci. Est-on si loin de laconception du « ratapa » des Australiens; germe également, bien qu'on lui prête certaines vertus mystiques? C'est à l'aide d'images matérielles, par une suite de processus physiologiques, que les Australiensexpliquent la génération, bien qu'ils s'en fassent une idée inexacte. Mais cette idée est-elle si éloignée detelles hypothèses qui ont été longtemps acceptées ou défendues par des savants, et dont s'inspirent encoreles conceptions les plus modernes des mêmes phénomènes? Entre les deux explications M. Cassirer n'a-t-ilpoint tracé une ligne de séparation à la fois artificielle et infranchissable, précisément parce qu'il lesrattachait à deux formes de la pensée conçues comme distinctes a priori, c'est-à-dire en vertu de raisonssupérieures à l'expérience ? En dépit de cet excès de dialectique, il y a profit à lire cet ouvrage.Précisément parce que les faits nous sont présentés suivant un ordre et dans des cadres auxquels leshistoriens et les ethnographes ne nous ont pas habitués, il s'établit entre eux des rapports et desrapprochements nouveaux et curieux, qui font réfléchir.

Maurice Halbwachs.

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notes personnelles

1. Rappelons que Schelling avait comme objectif de dépasser la limite imposée - comme le fondement dela philosophie critique - par Kant et Fichte, savoir que nous n'avons de l'activité de la Raison qu'uneconscience pour ainsi dire négative [la limite entre l'idéalisme et le subjectivisme peut être considéréecomme un empirisme bien tempéré], au sens que nous posons comme raisonnables uniquement les actionsqui nous paraissent non empiriquement déterminées. Le principe positif [l'activité] de la Raison nous estentièrement inconnu et relève de l'inconscient, que d'autres nomment Dieu [que l'on peut encore nommerSOI] en ce qu'il est absolument transcendant et qu'il s'inscrit comme un fait à accomplir dans l'histoirepragmatique du MOI.

Friedrich Wilhelm Joseph Schelling (1775-1854)(daguerréotype datant de 1850)

[cf. Schelling, F. W. J.,Exposition de mon système de la philosophie, suivi de Schelling, F. W. J.Sur levrai concept de la philosophie de la nature, et Fichte, J. G.Sur lexposition du système de lidentité deSchelling, traduction et présentation par Emmanuel Cattin, Paris, Vrin, 2000]

De fait, l'attitude de Schelling qui consiste à énoncer que « ... à l'essence de la raison absolue appartientl'être » semble de ce point de vue non pragmatique. Il est possible d'y voir un élément primordial de typeouranien tel que je le développe infra. Dans quelle mesure, en effet, peut-on rendre équivalentes l'intuition[cf. infra] et l'imagination ? Si ce n'est précisément dans une tentative d'aperception a priori des formessymboliques ? Et n'y a-t-il pas alors réellement confusion dans ce programme, où l'on doit d'une partcesser d'opposer, comme on l'avait fait jusqu'alors, le monde idéel et le monde réel, et de chercher, sefaisant, comment l'esprit passe de l'un à l'autre ; et d'autre part postuler qu'il y a identité entre les idées etles choses, entre la pensée et l'être, le sujet et l'objet, le moi et le non moi, l'humain et la nature... ?L'idéalisme apparaît ainsi, quand on le force à n'être - ontologiquement - qu'un subjectivisme, comme laphilosophie première où la liberté se pensant elle-même [il ne s'agit pas ici de l'intuition, c'est-à-dire de la

nigredo des alchimistes] s'affirme comme identité absolue du penser et de l'être, quitte à rencontrer la

scission, la finitude de la conscience comme le problème majeur de la raison. Mais Le problème majeurest rencontré immédiatement si l'on veut bien considérer que la liberté est intemporelle [cf. A. Philonenko,l'oeuvre de Kant, II , la critique de la raison pratique, ratio essendi et ratio cognoscendi, p. 154 sq., Vrin,1997]. Le temps- durée ne saurait être lié à la liberté [il est « tout à fait impossible d'admettre unetemporalité pratique » (A. Philonenko, op. cit., p. 154)] et dès lors, la liberté se pensant elle-même est unechimère. En revanche, il faut très soigneusement distinguer la liberté pratique de la liberté transcendantaleen gardant à l'esprit que « La liberté chez Kant ne devient jamais un phénomène. » [J. Hersch, R. Poirier,Entretiens sur le temps, Mouton & Co, Paris, 1967] mais que, bien plutôt, on doit lui trouver une relationnouménale aux choses [kant parle de duratio noumenon dans l'opuscule sur la Fin de toutes choses]. Or,le noumène [numen = puissance agissante] - par essence - ne peut « se penser » mais peut uniquement être« saisi » par la raison pure du sensible [cf. mes Échecs artistiques, notamment II et III ].

2. L'activité créatrice peut être définie dans le sens où on peut l'entendre d'un élément primordial ouranien.Voilà qui paraît exclure - a priori - la liberté transcendantale dans la mesure où si l'on est capable decanaliser cette activité, en revanche sa source nous reste inaccessible et a fortiori le moyen d'en modulerl'expression. C'est peut-être d'ailleurs, ici, que la phrase de Schelling « ... à l'essence de la raison absolueappartient l'être » [cf. note 1] trouve son sens. F. Alquié écrit :

« ... Kant assimile la liberté à la loi, et la sépare par là de l'individualité, qu'il semble réduire à l'existenceempirique... [in A. Philonenko, Kant II , la critique de la Raison pratique, de la liberté, p. 140 sq.]

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et J.L. Bruch d'ajouter :

« ... il est pour le moins singulier que Kant n'ait jamais aperçu sur ce point une contradiction aussidirimante. » [Bruch, la philosophie religieuse de Kant, 1968]

Bruch emploie le terme dirimant pour signifier l'annulation radicale - i.e. en fait et en droit - provoquée parla contradiction de Kant. Le danger est tel que Philonenko n'hésite pas à envisager cette conclusion, que :

« Ce n'est pas seulement la possibilité de la raison, animée par son moment pratique qui s'effondrerait,c'est le système entier en tant que philosophie. La philosophie transcendantale ... serait au tombeau. »[Philonenko, Kant II , op. cit., p. 141]

La liberté transcendantale, pour Kant, doit avoir deux conditions qui en gagent l'être : l'indépendance et laspontanéité. Toutefois, l'indépendance signifie que la raison va faire en sorte - l'impératif catégorique -d'équilibrer les « penchants » de notre sensibilité, en sorte que l'on tombe dans l'ornière de la libertépratique sans que le caractère transcendantal apparaisse ici nettement. Quant à la spontanéité, elle définitle caractère ouranien même qui est tout le contraire de la liberté au sens où « l'on ne pense en fait jamaisce à quoi l'on veut penser vraiment » et nous n'avons jamais que la sensation de la spontanéité d'une idée :la spontanéité définit uniquement le caractère de production et d'activité quasi automatique de notreimagination mais ne gage en aucune manière la conceptualisation. Or, la raison ne peut se donner sa loique si, derrière l'idée, apparaît le concept. Cela dit, on peut adopter une attitude moyenne consistant, sansaller aussi loin que Nietzsche, à promouvoir l'idée de l'illusion de la liberté. Fichte énonce que l'Être estabsolu [J.-G. Fichte, Méthode pour arriver à la vie bienheureuse, Ladrange, 1845, p. 243, 8ème Leçon]ce qu'on ne peut entendre qu'en énonçant : le SOI est inaccessible. Pris dans cette acception, on peutconcevoir le mouvement ouranien [cf. infra] comme la production par le SOI de « psychèmes » si l'on mepermet ce néologisme transcodés par le MOI lorsqu'ils parviennent à l'aperception. Fichte écrit :

« Au commencement, entièrement indépendante de toute possibilité du contraire, de toute volontéarbitraire, de tout hasard, indépendante du temps, était la forme fondée sur la nécessité intime de lêtredivin lui-même. » [op. cit., p. 246]

N'est-il pas possible de voir ici l'Être tel qu'en lui-même, c'est-à-dire notre SOI, la partie la plus intime denotre psyché ? Remplaçons être divin par inconscient ; posons que la nécessité intime est la représentationspirituelle - à lire idéelle - et nous aurons, dès lors, la perception d'une « illusion » de libertétranscendantale.

« L'être absolu se pose lui-même dans son existence comme cette liberté absolue, et comme cetteindépendance à l'égard de sa propre essence. Il ne crée pas, comme on pourrait le penser, une liberté endehors de lui-même, mais dans l'élément de la forme, il est lui-même sa propre liberté hors de lui. » [ibid]

L'essence de la liberté, puisqu'il s'agit bien de cela, consiste en une production incessante de l'activiténaturelle du SOI. Et l'on voit que, de la liberté à la pure pensée il n'y a qu'un pas...

3. Cf. là-dessus les travaux développés par M. Berthelot et Chevreul.

4. l'image se confond avec la réalité en ce sens qu'il y a projection du contenu idéel de l'image mentale aucontact d'un support matériel : tel est le cas dans l'astrologie [l'horoscope] où l'astrologue tire des rapportsa priori ; tel est le cas dans l'alchimie [le métal] où l'Adepte se transforme lui-même en tâchant detransmuter sa materia prima... Seule l'oeuvre d'art répond à ce programme, de la conjonction de l'image etdu réel. On peut donc affirmer que la conscience mythique, c'est d'abord une vision esthétique qui ne ditpas son nom.

5. C'est l'exemple même du mouvement prométhéen sur lequel je reviens dans le chapitre 5.

6. Remarque fondamentale en ce qu'elle fait voir d'une part que le mythe se fonde comme créationautonome de l'esprit et en ce qu'elle fait aider, d'autre part, à en apprécier le caractère de libertétranscendantale qui lui est essentiel et pour ainsi dire consubstantiel, cf. note 2.

7. On retrouve là cette ambivalence que signale Rousseau : « l'homme sauvage » contre « l'homme del'homme. » Cette confusion essentielle apparaît comme la signature ouranienne dont je développe les traitsinfra, au chapitre 5. Ernst Cassirer a donné sur cette question une vue approfondie dont les Annales de laSociété J.-J. Rousseau se sont fait l'écho :

Archiv fur Geschichte der Philosophie. Berlin. Band XLI (1932), S. 177-213, 479-513 : Ernst CASSIRER,Das Problem Jean-Jacques Rousseau. Dans la lutte passionnée autour de Rousseau, il fallait lespritpuissant et impartial de Cassirer pour rendre à la discussion léquilibre et la dignité. Lauteur démontrecombien la vie de Rousseau avait été longue et difficile avant quil pût donner à son expérience personnellelexpression supra- personnelle, et avant quil fût arrivé à une doctrine philosophique proprement dite. Touteidée chez Rousseau est ancrée dans son expérience. Ordonner lensemble de ses idées en un systèmerigoureux nétait pas son but et ne pouvait pas lêtre, car cétait une nature sentimentale, impulsive, incapable

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de poursuivre une pensée jusquà sa dernière conséquence.Tel le penseur, tel lécrivain. Son style ne se pliepas aux exigences du classicisme français. Constamment, il trahit la logique classique. Il va jusquàcombattre lexpression classique, quil appelle glaciale. Jamais il ne cède la parole aux choses mêmes. Ilveut être leur interprète, leur porte-parole à sa façon à lui seul. Comment donc saisir cet homme, cepenseur, ce rêveur, cet artiste qui se dérobe sans cesse? comment le définir, comment le classer? Certainsle considèrent comme précurseur de lindividualisme moderne, dautres le déclarent père du socialismedEtat ; les uns le veulent près du calvinisme, dautres encore le rapprochent du catholicisme ; on lacomparé à Newton, on la appelé le saint de la nature...Pour le juger en toute sérénité, il faut revenir à la source, cest-à-dire à ses oeuvres, qui, il est vrai, nepeuvent être séparées de lhomme, tout en suivant leurs propres lois. En réalité, Rousseau demeure un « casunique » . Il sen est du reste vanté dans les Confessions. Rousseau nest pas un « cas historique », que nouspouvons saisir et décrire. Sa doctrine nest pas un système déterminé que nous pourrions incorporer àlhistoire de la philosophie. Tous ceux qui ont considéré lhomme et son oeuvre sous cet angle ont faussé lunet lautre. Non, cest la richesse de la vie même ; cest le rythme passionné du sentiment et de la pensée ; cestune forme délan naturel, dimpulsion vitale, échappant à celui qui voudrait le réduire aux méthodesrationnelles : cest la nature, avec tous ses contrastes et toutes ses contradictions, cristallisée en un homme.Ce grand solitaire est toujours présent, toujours prêt à sentendre avec les autres et à collaborer avec eux.Ce grand isolé a même reconnu quil existe une morale commune, une vérité absolue. Et sa vie entièredevient instrument de cette idée. Retiré en lui-même, il sabandonne aux autres ; replié sur lui-même, ilpousse jusquaux problèmes de portée universelle ; ces problèmes nont rien perdu de leur importance etsurvivront à la forme que, par hasard, en son temps, un homme leur avait donnée. Lanson se rencontreavec Cassirer lorsquil parle de « manifestations successives de tendances profondes et constantes », dansson étude sur lunité de la pensée de Rousseau. (Annales, tome VIII.) [W. M.].

Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, Genève : A. Jullien, 1905- ; 1932, tome 21, 264-265

** *

Bulletin de la Société française de Philosophie. Paris, 32e année, n° 2, avril-juin 1932. P. 45-85 : LUnitédans loeuvre de Jean-Jacques Rousseau.

L'exposé de M. E. Cassirer (p. 46-66) suscite de multiples observations (p. 66-78) de MM. V. Basch(Rousseau a appliqué en quelque sorte la théorie du primat de la raison pratique à la politique et à lasociologie; son oeuvre, toute dun poète et dun romancier, offre une unité datmosphère, celle du sentiment,source de son génie); Et. Gilson (Rousseau fut sous linfluence de Condillac et imagina une moralesensitive) C. Bouglé (le conflit intérieur de Rousseau dérive de sa double conception de la liberté) ; R.Lenoir (Rousseau crut à la perfectibilité indéfinie de lhumanité). Dans sa réplique (p. 79-85) M. Cassirerrenvoie ses critiques à son étude à paraître, das Problem Rousseau (en voir le compte rendu ci-dessus); sonpoint de vue peut se résumer comme suit (p. 80) : « Rousseau na pas eu lesprit de système, mais bienlesprit systématique ». [L. J. C.].

Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, Genève : A. Jullien, 1905- ; 1932, tome 21, 291

8. Le mythe de Prométhée est formellement inséparable de celui d'Aphrodite ; je détaille cette symboliquespéciale dans un chapitre ultérieur.

9. La pensée mythique se conceptualise et c'est le concept qui déclenche l'état critique qui débouche, enl'occurrence sur la pensée religieuse, par orientation des éléments structurants du mythe. C'est cet étatcritique dont je parle infra et auquel on peut décrire deux moments, sous-tendus [cf. note 8] par les figuresde Prométhée et d'Aphrodite.

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b. forme symbolique et alchimie

Je donne d'abord cet extrait pour une définition du concept de forme symbolique :

« Par "forme symbolique", il faut entendre l'énergie universelle de l'esprit par laquelle un contenu de significationspirituelle est accolé à un signe sensible concret et intrinsèquement adapté à ce signe. En ce sens, le langage,l'univers mythico-religieux et l'art se présentent chacun à nous comme une forme symbolique particulière. Tous eneffet portent la marque dun phénomène fondamental ; notre conscience ne se satisfait pas de recevoir uneimpression de l'extérieur, mais elle lie chaque impression à une activité libre de l'expression et l'en imprègne. Unmonde de signes et d'images qui se sont créés deux-mêmes s'avance au devant de ce que nous appelons la réalité

objective des choses et s'affirme contre elle dans sa plénitude autonome et sa force originelle. » [Cassirer, TroisEssais sur le symbolique, le concept de forme symbolique dans l'édification des sciences de l'esprit, Éditions du

Cerf, Paris, 1997, p. 13]

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La multiplicité évidente des représentations symboliques résulte de ce que Cassirer nomme «l'énergie universelle de l'esprit ». Par là, il faut entendre que l'intuition pure du sensible permet dedépasser d'une part l'ensemble des impressions que nous soumet le monde extérieur [le ÇA

jungien ou le Non Moi de Fichte] et d'autre part de projeter, par véritable transfiguration,l'expression en miroir qu'en procure la Raison. Par conséquent, l'intuition et l'imaginationsont ici les vecteurs fondamentaux de cette véritable lutte des opposés qui se révèlentd'ailleurs, pour partie, complémentaires. Le symbole, pris dans cette optique, ressortit d'unschème kantien où s'opère un conflit : le concept idéel s'oppose à l'image nouménale -

eidwla - que supporte une expression pléiomorphe. C'est dans cette opposition que réside,dans l'alchimie, toute la difficulté d'intégration logique de la forme symbolique.

« Toutes les fonctions de l'esprit engendrent ainsi leurs propres configurations symboliques qui, bien que fortdifférentes des symboles de l'intellect, ne leur cèdent en rien quant à la valeur de leur origine spirituelle. [&] Ilconvient donc de voir en elles non pas les différentes manières qu'aurait un réel-en-soi de se révéler à l'esprit,mais bien les diverses voies que suit l'esprit dans son processus d'objectivation, cest-à-dire dans sa révélation à

lui-même. » [Cassirer, Philosophie des formes symboliques1; Le Langage, Paris, Éditions de Minuit, 1972]

Cette révélation - peut-on l'appeler objectivation ? - est le but que poursuit l'alchimiste danssa quête tortueuse. C'est cette Entrée ouverte au Palais fermé du Roi du Philalèthe. Mais au lieuque la forme symbolique soit l'instrument d'une grille de lecture opérant à partir d'élémentsde la réalité sensible, dans le monde des alchimistes, elle en constitue la substance.

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 25r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Cette image du Mercurius dévorant sa queue est une représentation de l'intuition, moinsmythique que, à proprement dire, symbolique.

« véritable condensation métaphorique au fondement de toute mise en forme » [Cassirer, Langage et mythe : à

propos des noms de dieux, Paris, Éditions de Minuit]

Aussi bien faut-il distinguer dans ce dragon Ouroboros ce milieu informel - mais non pointaformel - précédant la perception dans l'intuition pure du sensible, du signifiant. Du mêmecoup je dois ici renoncer à toute expression possible de causalité [ce qui ne veut pas dire que je

renonce pour autant aux deux autres synthèses que sont la réciprocité et la substantialité] parce que ladescription de l'émergence [ i.e. de l'expression] du symbole en présuppose toujours la forme.C'est cet aspect essentiellement dual qu'exprime l'image de l'Ouroboros alchimique. Lafonction signifiante propre à la forme symbolique doit être considérée comme le résultat dunensemble de gestes pour la production dobjets signifiants, à caractère nouménal, qui ne sontpas le reflet dobjet naturels préexistants [donnés ou data]. Ainsi en est-il de toutes les figuresspirituelles représentées dans l'espace de notre imaginaire : leur synthèse successive est aufondement du caractère apodictique qui s'élabore en vue d'en tirer des formes substantielles,c'est-à-dire des représentations logiques rejoignant l'intuition empirique et, partant, la réalitésensible mais toujours en situation décalée compte tenu que le symbole, en alchimie, ne tirepoint son origine substantielle [i.e. signifiante] d'un objet naturel mais idéel, et dont la modalitéexpressive est nouménale.

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« Un concept ne peut avoir de sens qu'en se rapportant à quelque objet donné, et un objet ne peut nous être donné

qu'au moyen de l'intuition empirique, dont l'intuition pure n'est que la forme. » [J. Barni, Analyse de la Critique de

la Raison pure, LI, Ladrange, Paris, 1848]

On voit le paradoxe réalisé en situation empirique : pour l'alchimiste un objet n'est jamaisdonné a priori mais pensé et souvent même, ressenti. Dans ces conditions, l'intuitionempirique lui manque à l'origine... Ainsi, il est admissible de considérer que la formesymbolique ne ressortit pas de l'intuition pure mais bien de l'intuition sensible. Et que c'est latransformation - au sens de transmutation - du geste en signe qui est au fondement même desa forme. On remarque que le décalage plusieurs fois relevé [1, 2] trouve son expressionformelle en ceci que le geste finit par subsumer le concept. Mais que représente au juste cettegestuelle ? L'esthétique du sens. En effet, l'efficience de la forme symbolique se manifestedans le geste de l'intuition et la pensée mythique, dont la pensée des alchimistes est proched'un point de vue conceptuel, n'est pas une forme particulière de réflexion sur le monde, maisune forme particulière d'être-au-monde [l'Être-là de Cassirer ; la dualité Moi - Non Moi de Fichte].Cette réflexion sur le monde pourrait bien être le premier état de la forme symbolique saisiepar ce que j'ai appelé « l'idée alchimique » : l'intuition au sens de nigredo. L'intuition commerelation mystique au réel supposé accessible par delà le monde des symboles... Et l'intuitiontire sa source des profondeurs ouraniennes du SOI ; à cela s'ajoute que l'obscurité trouve

sa correspondance dans la nigredo alchimique. [Jung commet à mon sens une erreur en situant la nigredo

après la conjunctio alors que, précisément, la conjonction est annoncée par les couleurs de la queue de paon, après la

période de noirceur.] La nigredo symbolise seulement la dissolution qui, ne l'oublions pas, est lasolution de la conjonction. Rien en effet n'est possible que cette période de noirceur n'ait étéatteinte puis dépassée [épisode des roches cyanées du voyage des Argonautes] : c'est la clef duprocessus d'individuation.

« ... la fonction "inférieure" serait l'intuition... L'expérience montre que la fonction "inférieure" est toujours

l'opposé de la fonction principale, qu'elle la compense, la complète et l'équilibre. » [l'Âme et le Soi, §77, une

expérience du processus d'individuation, p. 76]

Par inférieure, bien sûr, nous devons entendre basale, primitive, presque instinctive.L'intuition, si elle se rapproche de la nigredo, est incontestablement d'essence puisque les

textes prescrivent de dissoudre le corps du dans le sel de la Lunaire , dont le nom

vulgaire - ajroselenithV - est isotrope spirituel de la pierre de Jésus [cf. réincrudation]. LesAdeptes assurent, à cet endroit, que l'on ne connaît pas, du reste, de corps plus fixe et pluspur que ce sel, représenté par l'hiéroglyphe qui annonce l'Aurora consurgens. Ce sel apparaît

comme la contre partie alchimique exacte du SOI de la psychologie jungienne et de l'objetkantien, revu dans la perspective symbolique de Cassirer : invincible, invisible, il domine deson emprise le sulphur comburant et ne consent à s'en séparer que lorsque l'impétrant

manifeste, par efforts répétés, les assauts d'une pensée qui reste en éveil, sensible à lamoindre onde spirituelle.

« C'est pourquoi son rôle est la plupart du temps celui du Deus ex machina. Elle n'est pas sous la dépendance dumoi, mais du Soi... Elle écarte le moi et dégage un espace pour un facteur auquel le moi lui-même estsubordonné... Depuis toujours ce Soi était là, mais en sommeil, tel "une sculpture qui dort dans la pierre"

(Nietzsche). » [ibid., §77, pp. 76-77]

L'intuition représente en réalité la prima materia, considérée sous l'angle gnostique. C'est dansPsychologie et Alchimie [trad. Buchet-Chastel, 1970] que Jung développe les thèses relatives à cettepermanence, cette immanence du Soi qu'il voit dans la forme symbolique du mandala [voir

encore le Commentaire au mystère de la Fleur d'or, trad. Albin Michel, 1979]. Cet Esprit-Mercure[allusion aux Essais sur la symbolique de l'Esprit] qui sommeille dans le lapis philosophorum, n'est-cepas aussi notre fonction intuition-sensation que l'on ravive par l'éveil ou Auferklärung kantien ?Et ne peut-on y deviner la sublimation philosophique des alchimistes ?

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De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 28r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Davantage que dans la version du Musaeum hermeticum, la gravure fait voir sa parenté avecl'arbre alchimique dont parle Jung dans les Racines de la conscience [cf. Aurora consurgens, I]. Cequ'elle ne peut pas en revanche montrer, c'est l'hypostase extraordinaire que donne le Codex

Vossianus [29, fol. 94a] ou le Donum Dei. Je renvoie à l'Aurora consurgens, II pour une étudeapprofondie de ce matériel. Ce que nous devons retenir, c'est l'opposition formelle entre le f.25r et le f. 28r. Dans le f. 28r, on donne des ailes à l'aigle, ainsi qu'invite à le faire Philalèthe[Introïtus, VII ] ; ce qui équivaut à faire mourir les colombes de Diane [ouvrir le corps des métaux =

ioV].

« La définition de l'homme comme microcosme donne à entendre qu'il existe une intuition universelle selon

laquelle l'homme "total", l'Anthropos, est aussi vaste que le monde... » [ibid, §86, p. 81]

Jung fait précéder cette réflexion de considérations où il écrit que l'homme médiévals'exprimait déjà comme correspondentia du monde, non pas en tant qu'empirique, mais en tantque totalité psychique et spirituelle. Dès lors, il ne semble pas impossible d'envisager que lamétaphysique gnostique proposée par les alchimistes s'inscrive dans le cours du lent déclin dela métaphysique scholastique et dogmatique, au sens exact où Kant entend, dans la CRP, enparler. Les alchimistes auraient-ils pu projeter ainsi des formes symboliques éidétiquesrelevant de l'intuition pure du sensible ? Et relèveraient-elles alors davantage d'uneinterprétation, à proprement parler, plus du ressort de la philosophie que de l'hermétismetraditionnel ? Voilà deux questions qui valent d'être posées.

3. la fonction inférieure :

Comme l'a écrit Jung, dans les Types psychologiques [Buchet-Chastel, 1951], notre consciencesemble édifiée dans une structuration quaternaire où l'un des quatre maillons voit sonexpression atténuée : l'un de ces éléments ne semble pas situé « en niveau » de conscience ;quoi qu'il en soit, ce quaternaire est distribué en deux couples : sensation-intuition d'un côté

et pensée-sentiment de l'autre côté. La 4ème fonction est appelée par Jung la fonctioninférieure et paraît représentée par l'intuition [cf. 1]. Elle est

« ... contaminée par l'inconscient ... » [voir Marie Louise von Franz, Aurora consurgens, commentaire à la 4ème

Parabole, trad. la Fontaine de Pierre, 1982, p. 299-300]

et manifeste des traits à la fois primitifs et archaïques où l'alchimiste est fondé à voir Cronos dont j'ai montré dans l'Aurora, II qu'il correspondait à la fonction de transfert.

« ... elle (la fonction inférieure) établit le lien avec l'inconscient collectif et son vaste réseau de significations et

d'associations symboliques. » [Essais sur la symbolique de l'Esprit, op. cit., pp. 340 et 367]

C'est souvent l'élément TERRE qui fait défaut dans les systèmes trinitaires ou à quaternité

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atténuée. Jung a montré que la 4ème pose la question de la réalisation [i.e. matérialité du monde]ou de la projection que j'étudierais plus tard. Cela ne saurait étonner : les trois autres élémentsont une substance mobile, fluide ou ténue [sensation, de l'intuition ou du sentiment] ; par quoi nousdevons leur reconnaître les traits de l'Entendement. Manque la pensée, c'est-à-dire la Raisondominée par l'élément chthonien. Cette façon de voir est manifestement un peu trop binaire etje tâcherais de l'affiner ultérieurement.

« S'il s'agit par exemple de l'une de ces représentations romanes relativement fréquentes du fils de Dieu encompagnie de trois anges à têtes d'animaux et d'un (quatrième) à tête d'homme, le plus simple serait de supposerque le fils de l'homme signifie l'homme ordinaire et que le problème - un contre trois - fait allusion au schéma bien

connu de l'unique fonction différenciée et des trois indifférenciées. » [Aïon, Symboles gnostiques du Soi, §305, p.

214]

où l'on voit Jung en apparente contradiction avec ce qu'il écrit du Geist Mercurius dans lacitation précédente. Cette contradiction est réelle pourtant, et elle s'inscrit dans les idéescosmologiques que Kant définit dans la CRP [cf. infra].

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 46r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Quant à l'archaïsme que je viens d'évoquer, il prévaut sur la decimatertia figura de Lambsprinck:

« Ici, le Père dévore le Fils. L'Âme et l'Esprit s'écoulent du corps. ».

Elle correspond vraisemblablement au retour de l'Âme dépurée sous forme de sulphur

dans le corps du lapis [j'ai eu l'occasion ailleurs de dire que l'ordre des symboles n'était pas à sa place

habituelle dans le De Lapide Philosophorum de Lambsprinck dans la mesure où manque tout élément féminin, cequi inciterait à penser que quelque moine est à l'origine du traité ; ce point, à ma connaissance, n'a jamais été

examiné], chose que nous revoyons dans l'Ortus seu sublimatio du Rosarium Philosophorum.

Le point à discuter dans ce § est la différence entre intuition pure et intuition empirique vuesous le point de vue de la philosophie critique. La forme pure de la sensibilité ressortit duMercurius des philosophes, c'est-à-dire du moyen de fondre en UN les opposés { , }

principiels. Du Mercurius, quelle représentation peut-on se faire ? Il n'a ni étendue ni figureréelle. La seule image qu'on lui connaisse donne l'apparence monstrueuse et thériomorphe dequelque chimère que l'on croirait extraite de l'univers d'Howard Philips Lovecraft [voir Typhon

in Giovanni Battista Nazari, Della transmutatione metallica, Brescia, 1589]. C'est donc l'exacte inverse dela représentation d'un corps que me donne l'image du Mercurius ; celle d'un chaos mouvant : substance, force et divisibilité en forment comme l'apparence ou la sensation de ce que saforme offre à mon entendement tandis que sa représentation spatiale échappe à ma Raison.En bref, le Mercurius n'existe tout simplement pas dans la réalité empirique ; pour autant,peut-on affirmer qu'il n'existe pas dans l'intuition pure du sensible ? Rien n'est moin sûr et jen'oublie point que Berthelot évoque le Mercure des vieux alchimistes en refermant ses

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Origines de l'Alchimie. Pour ce qui est de l'intuition empirique, elle requiert l'unité de l'espace etdu temps sans lesquels il n'est pas de synthèse possible et c'est là que se situe la principaledifficulté dans l'appréhension critique de l'objet alchimique : son temps est à écrire et sonespace n'existe que dans la sphère du sensible.

« Le quaternion espace-temps est la condition archétypique indispensable de la connaissance physique. Il est,parmi les quaternités psychiques, le schéma d'ordre par excellence. Il correspond dans sa structure au schémaphysiologique des fonctions... On trouve un parallèle individuel... aux quaternités ordonnées l'une sur l'autre,

rattachée à l'idée de l'ascensus et du descensus... » [Aïon, Structure et dynamique du Soi, §§ 398-399, p. 273]

Les fonctions évoquées par Jung sont celles qui sont définies en deux couples [cf. supra]. Deces quatre fonctions, Jung rappelle qu'il en ait une, l'intuition, qui est peu ou non différenciéeou dite « de moindre valeur » [Types psychologiques, op. cit. et Psychologie de C.G. Jung, trad. Neuchâtel,

Paris, 1950]. Par moindre valeur, il faut naturellement entendre cela d'une fonction qui n'estpoint en niveau de conscience ; cette expression est singulièrement proche de cellequ'utilisent les alchimistes quand ils parlent de leur prima materia, objet de peu de valeur etque l'on peut trouver même dans les latrines [cf. salpêtre]. On peut sans doute trouver dessuperstructures psychiques se rattachant aux deux couples dans les figures de l'animus et

de l'anima . Elles rejoignent l'antagonisme fondamental entre conscient et inconscient et,

in fine, entre sujet et objet qui se posent - ou s'opposent - comme complémentaires. On

ne saurait cependant y trouver un équivalent avec le MOI et le SOI puisqu'il s'agit desinfrastructures psychiques qui sont à la base de la psyché dans le processus d'aperception.

«Certes, les effets de l'animus et de l'anima peuvent être rendus conscients ; mais ils sont eux-mêmes des facteurstranscendants par rapport à la conscience, soustraits à l'opinion et à l'arbitraire. Ils restent donc autonomes,

malgré l'intégration de leurs contenus, et, pour cette raison, on ne doit jamais les perdre de vue. » [Aïon, §40, p.

34, la syzygie : anima et animus]

Jung évoque l'ascensus et le descensus, concepts que l'on peut rapprocher du progressus et duregressus dont parle G. Lebrun dans son Kant et la fin de la Métaphysique [Armand Colin, 1970]. Cesnotions introduisent les quatre idées cosmologiques de Kant, suivant les quatre titres descatégories, si l'on s'en tient à celles qui impliquent nécessairement une série dans la synthèsedu divers [CRP, Logique transcendantale, Dialectique transcendantale, Livre II, chap. 2, Sect. 1, p. 332] :

L'intégralité absolue de l'assemblage du tout donné de tous les phénomènes (1) ;L'intégrité absolue de la division d'un tout donné dans le phénomène (2) ;L'intégrité absolue de l'origine d'un phénomène en général (3) ;L'intégrité absolue de la dépendance de l'existence de ce qu'il y a de changeant dans lephénomène. (4)

Il est possible d'y voir des relations avec le processus alchimique. Ainsi l'assemblage du tout(1) peut-il être rapproché de la formation du lapis [progressus] et la division d'un tout (2), parregressus, de la dissolution ou putréfaction. L'origine (3) se rapporte à l'Ouroboros par rapport àl'intuition tandis que le changement (4) ressortit du transfert et de la projection . On

peut noter une apparente redondance entre (2) et (3) mais elle n'est pas factuelle au sens où sil'on peut ramener par division un phénomène à l'origine de lui-même - ce qu'on nomme enalchimie la réincrudation - en revanche comme le but que poursuit l'Artiste n'est pas enregressus mais en progressus, autrement dit compte tenu de la flèche du temps [ce que l'on peut

encore écrire : l'histoire pragmatique du MOI], on conçoit que le serpent Ouroboros ne constitue pas lesymbole de la putréfaction (2), mais bien celui de la circulation [à rapporter à (4)].

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De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 43r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Cette merveilleuse gravure - 43r - doit être mise en relation avec la figura septima d'Orthelius et

son symbolisme est superposable : il s'agit de la sublimation philosophique. Le BasileuV del'oeuvre est conduit dans les hautes couches azurées de l'Air par le conducteur ou spiritus.

Nous avons donc l'opposé de la gravure 46r qui exprime un état primaire. Toutefois, les deuxsont liées en tant qu'elles sont complémentaires [cf. Jung sur le concept de privatio boni in 1, 2].L'origine, le changement et la division s'opposent en toute logique à l'assemblage des partiescomme le rappelle le mythe d'Osiris que j'ai évoqué dans ces pages à maintes reprises [1, 2, 3].La cabale autorise dès lors les associations suivantes [voir tarot alchimique et Bourges, hôtel

Lallemant] :

origine = [aqua] = aquila = saint Jean ;

changement = [aer] = angelus = saint Matthieu ;

division = [ignis] = leo = saint Marc ;

et nous trouvons l'élément chthonien [terra = taurus = saint Luc] dans l'assemblage des parties

où il faut voir aussi le noumène [i.e. le lapis philosophorum], c'est-à-dire la fin. La transition del'origine au changement se nomme en alchimie la sublimation et implique un transfert ; sonmédiateur est toujours la division mais non plus dans le sens d'un regressus [putréfaction] maisd'un progressus comme donne à l'entendre le texte de la Tabula smaragdina.

4. le patient et l'agent

Dans mon analyse du texte d'Orthelius, je suis la version de la Bibliotheca Chemica curiosa. LeCommentarius d'Orthelius débute par le résumé de quelques chapitres de la NLC avec lesous-titre :

Sendivogius in Aenigmate

- tractatus iii où Sethon insiste sur la double nature des métaux, l'une humide tenant duMercurius , l'autre chaude [qu'il faut entendre par sèche] tenant du sulphur . La conduite de

l'oeuvre implique que l'on sache marier les principes dans la Mer des philosophes.

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De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 10r, 1607 [cliquez pour une autre version]

J'ai dans ces pages mis largement en avant l'apport de la psychologie moderne dans laconnaissance du grand oeuvre [voir Aurora consurgens, Ripley Scrowle, Hypnerotomachie] par le biaisdes travaux de Jung. Je ne saurai toutefois passer sous silence son incapacité à envisagerl'oeuvre alchimique sous l'angle opératique mais il est vrai que Jung ne s'est pas intéressé auxsymboles alchimiques dans cette optique. Ainsi, après avoir rapporté l'histoire de Moïse et deson serviteur Josua ben Nun (Josué) [in le Coran, sourate 18, 59 à 81], Jung écrit-il :

«Le poisson qu'ils voulaient consommer est un contenu de l'inconscient qui rétablissait la relation à l'origine. Ilreprésente l'homme qui vient de renaître et de s'éveiller à une vie nouvelle, ce qui s'est fait, disent les

commentaires, par contact avec l'eau vitale. » [l'Âme et le Soi, À propos de la renaissance, §47, p. 47, trad. Albin

Michel, 1990]

Cette eau vitale, c'est le Mercure philosophique ou eau étoilée et métallique [voir Mercure et

humide radical]. Dans Aïon, Jung explique longuement le parallèle entre le Christ et le poisson[cf. le signe des Poissons, p. 104, n. 84 où Jung cite nommément les deux poissons dans les symboles de

Lambsprinck (Mus. herm., p. 343), ceux-ci représentant les opposés qu'il faut unir]. Jung poursuit :

« Elle aussi, l'alchimie connaît dans la mer un poisson étrange, le "poisson rond sans os ni peau", qui représente"l'élément rond", le germe de la "pierre vivante", du filius philosophorum. L'eau vitale a sa correspondance dans

l'aqua permanens des alchimistes. » [l'Âme et le Soi, op. cit., §48, p. 47]

Ce « poisson sans os ni peau » se rencontre dans plusieurs traités : on peut y voir la représentationarchétypique d'un principe élémentaire que j'ai déjà évoqué à la prima figura d'Orthelius. Jungcite à son sujet l'Allegoria super turbam [Artis auriferae, I, 141] mais on peut encore évoquerLambsprinck [commentaire sur la prima figura] et surtout l'Arcanum Hermeticæ Philosophiæ Opus deJean d'Espagnet [cap. 54]. Le passage exact de l'Artis auriferae est :

«Il y a dans la mer un poisson rond, qui n'a ni arêtes ni écailles, et il a en lui de la graisse, une force merveilleusequi, si le poisson est cuit à feu doux jusqu'à ce que sa graisse et son humidité fondent totalement, est imbibé d'eau

de mer jusqu'à ce qu'elle luise. » [Aïon, le poisson dans l'alchimie, I. la méduse, §195, p. 141]

Cet aspect luisant de la surface est à mettre en relation avec la nacre [ ou « yeux de poisson »] queles traités décrivent comme l'aspect de l'eau mercurielle parvenue à un point de saturationidéal qui la fait ressembler à de la serpentine [voir Mercure de nature; cf. encore l'Aurora consurgens,

II ] et signale la phase d'albedo.

Parvenu à ce point de l'analyse, on remarque dans le processus alchimique trois états :

un état indifférencié, quasi protoplasmique, que les alchimistes évoquent comme leurprima materia [qu'il faut soigneusement distinguer de la materia prima ou première matière de l'oeuvre]; ce stade indifférencié, primaire en ce qu'il est riche de possibilités, même les plusgrotesques et d'ailleurs le plus souvent avortées, est celui d'Ouranos. Typhon en réalise,si l'on peut dire, une hypostase : c'est une projection [cf. Atalanta fugiens, XLIV ]. Sur le

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plan de la psyché, c'est l'imagination libre [voir chapitre 5, b] ;

un 2ème état, élémentaire mais différencié qui est l'intuition ou nigredo [cf. § suivant]

; il correspond classiquement à la dissolution des matières ; c'est aussi la fusion,prélude à la conjonction des principes. Les idées se mettent en forme et le concepttrouve sa place ; c'est le temps du subjectivisme qui correspond encore à l'idéalisationnaïve ;

un 3ème état qui va marquer la substantialité : la révolution ou albedo. C'est l'époqued'une épiphanie dans le mouvement spirituel. Les alchimistes y voient la dépuration deleur matière, désormais materia prima [cf. 2ème essai, chapitre 1]. En philosophie, l'albedo estreprésentée par la copule [ex. : « Socrate est un homme » où le verbe être énonce le sens qui lie le

prédicat au sujet] en ce que la prise de conscience s'y découvre et provoque, dans l'histoirepragmatique du MOI, une intégration.

Dans sa trilogie, Fulcanelli s'exprime par cette expression « patient et agent » quand il veutdésigner par là les termes sulphur et mercurius. Ces deux grands principes de l'oeuvre exprimentla transformation d'une substance ubiquitaire, le Mercure philosophique, en une autresubstance, désormais fixe et qui est le résultat de la coagulation de l'eau mercurielle [cf. mes

symboles]. Il y a là, assurément, matière à réflexion quand d'un côté on tient les grands textesalchimiques comme la Novum Lumen Chymicum et que d'un autre côté, l'on dispose de quelqueteinture de philosophie critique [voir une amplification à propos des études artistiques d'échecs]. On serend compte que l'espace et le temps tiennent, dans l'expression idéelle des symbolesalchimiques, une place toute particulière parce qu'ils s'y trouvent amalgamés [en assurant la

réduction au niveau phénoménal] et qu'ils assurent aux « objets alchimiques » une forme décalée dontle symbolisme tire, en grande partie, son expression.La transcription ou le décodage de ces symboles passe ainsi par une lecture où espace ettemps, à l'instar d'une étude d'Échecs, doivent être véritablement formatés [en tant que l'un est le

produit de l'autre] pour donner sens [existence] et interprétation [réflexion]. Cette interprétationpermet seule de comprendre en quoi la quête de l'impétrant est unique et en quoi, surtout, l'onest en droit d'y voir une expérience esthétique [au sens kantien exact du terme, cf. A. Philonenko,

l'Oeuvre de Kant, tome II, la beauté et l'ordre, p. 180 sq., notamment p. 194] Qu'est-ce, en effet, que cetteexpression de « patient et agent » ? On sait que le processus alchimique consiste d'abord dansla conjonction de deux opposés, moyennant un tiers agent où réside, selon les Adeptes lapartie la plus importante et la plus réservée du secret de l'oeuvre. Et que cet agent, ils l'ontvoilé sous l'arcane thériomorphe du loup [mis par cabale pour mors, voir un exemple dans

l'Hypnerotomachie].

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 22r, 1607 [cliquez pour une autre version]

J'aurai encore là-dessus matière à amplification mais pour l'heure je reviens sur laconjonction des opposés. On peut les concevoir soit avec Jung comme le MOI et le ÇA [cf.

Aurora consurgens] en tant que manifestation élémentaire de l'altérité , soit avec Kant

comme l'objet et le sujet en tant que représentation élémentaire de la perception ; et enfinavec Fichte comme l'affrontement entre Moi et Non Moi [cf. chapitre 1, c]. Les deux premièresconceptions ont quelque parenté sans que leur représentation soit absolument superposable ;

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l'une prend une tournure empirique [Jung] tandis que l'autre est plutôt réaliste [Kant]. Laconception de Fichte se démarque de celle de Kant par un ton plus idéaliste mais qui, defaçon a priori paradoxal, prend en compte le subjectivisme par le biais de la dialectiqueactivité/passivité. Le sujet est conçu comme le et sa ponticité porte la marque du MOI.

L'objet est essentiellement volatil tant qu'il n'a pas été saisi par l'aperception [c'est la prise de

conscience, cf. supra révolution et albedo] et on peut le représenter par l'idéogramme lunaire . En

alchimie, je rappelle que le symbole lunaire est pléiomorphe et dans sa nature et dans sareprésentation ; cet aspect dual est fondamental à étudier dans la relation sujet - objet.Jung signale dans les Racines de la conscience [trad. Buchet-Chastel, 1971, p. 94, note 26] que lesformes a priori de représentations portent le nom de catégories [Hubert et Mauss, Mélanges

d'histoire des religions] par référence à Kant en ce :

« ... qu'elles existent sous la forme d'habitudes directrices de la conscience elles-mêmes inconscientes. » [Jung,

op. cit.]

Jung dénie ici au langage toute valeur informative a priori car, pour lui, l'archétype n'est pascommunicable par le truchement du langage au plan historique. Cette conception lerapproche de Kant dans la mesure où c'est le sens et la pure intuition du sensible qui nousfont valoir le phénomène, à l'instar d'une épiphénie. C'est l'une des raisons pour lesquelles la« révolution » peut aussi être conçue grâce aux formes symboliques [dans l'acception où Cassirer

les définit].

« ... jusqu'ici nous n'avons pas seulement parcouru le pays de l'entendement pur, en examinant chaque partie avecsoin; nous l'avons aussi mesuré, et nous avons assigné à chaque chose sa place. Mais ce pays est une île que lanature elle-même a renfermée dans des bornes immuables. C'est le pays de la vérité (mot flatteur), environné d'unvaste et orageux océan, empire de l'illusion, où, au milieu du brouillard, maint banc de glace, qui disparaîtrabientôt, présente l'image trompeuse d'un pays nouveau, et attire par de vaines apparences le navigateur vagabondqui cherche de nouvelles terres et s'engage en des expéditions périlleuses auxquelles il ne peut renoncer, mais dontil n'atteindra jamais le but. Avant de nous hasarder sur cette mer pour l'explorer dans toute son étendue etreconnaître s'il y a quelque chose à y espérer, il ne sera pas inutile de jeter encore un coup d'oeil sur la carte dupays que nous allons quitter, et de nous demander d'abord si nous ne pourrions pas, ou peut-être même si nous nedevrions pas nous contenter de ce qu'il nous offre, dans le cas, par exemple, où il n'y aurait point au delà de terreoù nous puissions nous fixer ; et ensuite quels sont nos titres à la possession de ce pays, et comment nous pouvons

nous y maintenir contre toute prétention ennemie. » [Kant, CRP, Analytique transcendantale, Du principe de la

distinction de tous les objets en général en phénomènes et noumènes, trad. J. Barni, Germer-Baillière, Paris, 1869]

J. Barni note lui-même que Kant s'exprime dans un langage métaphorique qui ne lui est pashabituel [CRP, op. cit., Analyse de la Critique, L]. Cette remarque ne nous autorise évidemment pasà dévier de leur sens premier les paroles de Kant. Toutefois, pour qui est au fait des texteshermétiques et, en l'occurrence, de la Novum Lumen Chymicum, comment ne pas faire larelation avec l'île du Cosmopolite dans la Parabole ou Énigme philosophique ? Il est clair en toutcas que les réflexions de Kant marquent une grande réserve, en attirant l'attention sur ledanger à quitter des rivages pourvus d'amers en direction de l'inconnu. C'est là ques'enclenche le mouvement prométhéen. Pour Kant, ce sera la révolution de l'esthétiquetranscendantale, premier moment dans la constitution subjective du monde phénoménal quitrouve son objet [sa fin] dans le noumène.

- tractatus iv : les Éléments disposent leur vertu vers le centre pontique et l'archée les sublimeà la superficie par mouvement convectif. Le mercurius s'unie au sulphur en un mixte que lesAdeptes nomment graisse de rosée [Atalanta, xxxvii , Introïtus, ii ]. La première opération peut êtreidéalisée par le sceau de Salomon ou hexagramme : les quatre Éléments y sont disposés

en leur forme principielle [voir Chevreul]. L'archée [Aurora consurgens, I] est une sorte de principevital où l'on doit chercher des échanges dynamiques [feu central terrestre] aussi bien que leprincipe de génération d'espèce [Fulcanelli en parle comme d'un principe minéral, cf. Myst, p. 171 et voir

note 21 de la NLC ].

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- commentaire à suivre -

5. la conscience de soi est la conscience du mal

a. introduction

ll importe ici de préciser que les bornes conceptuelles de l'alchimie se trouvent entièrement etradicalement dépassées ; je restreins toutefois le propos au domaine de la philosophiehermétique appliquée à l'étude d'un mouvement tout à fait particulier : la révolution ; l'une deses nombreuses hypostases est la figure de Prométhée, que je prendrais en tant qu'initiateuréidétique de ce moment. Mais je dois dans un premier temps mieux cerner le sens du titre dece § : « la conscience de soi est la conscience du mal. »Si nous avons conscience de nous-même, en tant que nous vivons [i.e. que nous durons], enrevanche notre inconscient reste à peu près inabordable et, à ce titre, nous ne nousconnaissons tout simplement pas. Il y a des circonstances dans lesquelles nous prenonsnéanmoins conscience - au sens propre du terme - par le sentiment sinon par le sens,d'émotions qui nous assaillent : tel est le cas de situations où la psyché est placée dans desconditions limites où un horizon est franchi [cf. infra sur la nature de cet horizon]. Quoi qu'il en soitde la contingence intervenant dans la genèse de ces conditions aux limites, tout se passecomme si, alors, une barrière était brisée entre le MOI et le Non Moi. Dès lors, il y a rupturede l'équilibre qui jusqu'alors existait [cf. A. Philonenko, J.-.J. Rousseau et la pensée du malheur, tome I,

le traité du Mal, p. 194, op. cit.] entre l'activité du MOI et la passivité du Non Moi, selon ce qu'endit Fichte. Le MOI actif est à l'égal du sulphur alchimique en ce qu'il est dissous au sens de

« fusible, fusant » : cette activité doit être compensée par la passivité de la terre qui

représente l'Acier des alchimistes [voir Novum Lumen chymicum, Sendivogius] où vient se fixer lesulphur dans le processus de réincrudation.

On remarque que cette opération de fixation a fort à voir avec un mouvement dialectique oùd'un côté, nous avons la passion [dans le sens où Rousseau l'emploie : « forte tendance de l'âme »] , et del'autre côté le besoin [pris comme ontologie de complétude]. En poursuivant l'analogie dans lamême veine alchimique, le sulphur ressortit de la passion tandis que la terre [que l'on peut encore

sous certaines conditions nommer SEL, voir ici mes symboles] ressortit du besoin, exactement comme sid'une part nous avions un aimant [le besoin] et de l'autre un morceau de fer [l'acier]. Le momentdialectique est ici, on le voit bien, de l'ordre de l'affinité. Prenons un exemple : celui ducercle, symbolisé comme le serpent ailé qui se mord la queue. Je ne reviendrai pas sur lesreprésentations « classiques » que les alchimistes en donnent dans leurs traités ; j'en ai parlédans d'autres sections [voir, par exemple, symbolisme]. Ce qui m'intéresse dans le cas présent, c'estla possibilité de réduction transcendantale du SOI via la thériomorphose appliquée à ceserpent [qui a même valeur que la croix, il suffit d'en relever les nombreuses présentations dans l'art pictural].

Cette réduction se complète d'une deuxième hypostase signalée par Jung [cf. Aurora consurgens,

II ] : la figure de l'ophis - christos.

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Coupe laconique représentant Prométhée et Atlas. Cerveteri560-550 avant J.-C. céramique figurée - musée du Vatican

La coupe laconique représentée ci-dessus montre les protagonistes du drame métaphysiquequ'exprime le titre du chapitre et j'ai en vue d'établir une relation entre plusieurs de cesfigures, notamment le serpent et Prométhée via le thème de la Passion, i.e. du Mal [le sentiment

essentiel de l'Être].

b. l'intuition métaphysique en tant que nigredo

Rappelons que l'intuition prise dans le sens où nous la considérons s'appelle encorela réflexion, la méditation ou mieux, l'observation interne [L. Bautain, l'Esprit humain et ses

facultés, Didier, 1859, § 89, p. 50]. Cette observation idéelle est une représentation plausiblede ce que Jung et M.-L. von Franz ont défini comme l'imagination active [voir M.L. vonFranz, l'Imagination active , trad. la Fontaine de Pierre, 1989 où l'auteur commente l'oeuvre del'alchimiste Gerhard Dorn, en particulier le De Tenebris contra Naturam et Vita brevi , in Theat. Chem.,

1602, vol. I, pp. 457-472]. On peut définir ce concept d'imagination active comme lecommerce que nous pouvons échanger avec le monde idéel ou métaphysique par lebiais de la raison sensible et/ou de l'intelligence orientée par la contingence du MOI

et/ou du ÇA.

« Les abstractions ne se laissent point imaginer; elles sont représentées ou plutôt signifiées par un mot,un chiffre, par une simple lettre, qui donne peu de prise aux sens et à l'imagination, et c'est à cet os secet décharné que l'esprit doit s'attacher pour trouver sa nourriture. Cependant cet os peut reprendre vie,chair, figure et mouvement par la vertu de l'attention, et tel signe abstrait, comme le roc frappé par laverge de Moïse, devient soudainement sous le regard de l'esprit la source d'un développementabondant. » [Bautain, op. cit., p. 52]

L'allusion à la verge de Moïse peut servir de point d'ancrage pour l'allégorie et lesymbole : le bâton du patriarche doit frapper trois fois le rocher [Ex 17, 6- il est précisé

que Moïse frappe le rocher avec le saphir disposé à l'extrémité du bâton] qui symbolise la nigredo en tant que materia prima [matière indifférenciée]. Ce repliement de la conscience du

MOI, ce retrait en un mot, s'accompagne nécessairement du rapprochementd'éléments archaïques où le sujet se voit comme objet et cette relation [qui peut

prendre une qualité nouménale] réflective nous autorise, par analogie, à employer leserpent comme élément thériomorphe [voir supra] :

« C'est vraiment un état contre nature. Aussi ce travail de la réflexion psychologique est-il le plusfuneste à la santé du corps. Il en trouble les fonctions, l'use et l'épuise, quand il est intense et prolongé.C'est surtout dans ce cas qu'on peut dire avec Rousseau : Si la nature a destiné L'homrne à être sain, àcoup sûr l'homme qui médite est un animal dépravé. » [ibid, p. 53]

J'ai établi supra une relation entre l'intuition et l'idéogramme de la nigredo . Cette relation

peut être explicitée de la manière suivante : si l'on suppose que l'homme dans son étatprimitif - celui que Rousseau a accoutumé d'appeler « l'homme sauvage » [l'Adam kadman de Jung,

cf. Aurora consurgens, Iet Ripley Scrowle] - est satisfait de son état, sinon de son sort, en revanche «l'homme de l'homme » [le second Adam de la terminologie jungienne] n'a de cesse de prendre bientôt ses

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désirs pour des réalités et n'est jamais satisfait de son état. La projection de ces étatssuccessifs passe par la médiation d'Ouranos et de Cronos [cf. pierre phallique, supra].

Ouranos, chacun le sait, représente l'inconséquence [comprenez une non orientation dans le temps et

non point seulement un manque d'orientation] dans une acception proliférante, qui n'est pas loind'évoquer certains aspects de Protée. Il est important de bien comprendre, ici, que le stadealchimique de la nigredo ne constitue pas l'étape primordiale du processus alchimique :

elle représente, en revanche, le stade - et je me place là sur un plan plus général - où unprocessus prend du sens en tant qu'il est appréhendé par la conscience. Le stade antérieurrelève du chaos ou, pour mieux dire, du néant en tant qu'il s'agit d'un état non défini [i.e. non

saisi] par l'aperception. Et, comme tel, on ne peut lui attribuer aucun ÊTRE. Ce n'est pas tout :dès lors qu'il s'agit d'un être dépourvu de matérialité et a fortiori de représentationphénoménale dans le monde du sensible [cf. supra, 1], il s'agit par conséquent - pour autantqu'il ait été conçu idéellement - d'un ÊTRE métaphysique possèdant les traits d'un EN SOI.

Avignon - détail de cheminée, cf. Atalanta XXV

La figure ci-dessus est une représentation tout à fait originale de la castration d'Ouranos parCronos. Elle est tirée d'une page où j'analyse les sculptures d'une cheminée de la Renaissanceque l'on peut visiter à la chapelle du Collège des Jésuites [voir aussi l'analyse réalisée sur le site de la

Librairie du Merveilleux] à Avignon.

Si donc je remonte au stade primordial, je trouve l'équivalent de ce que Kant évoque dans laCRP :

« Il faut donc remonter plus haut encore, c'est-à-dire " à ce qui contient le principe de l'unité de différentsconcepts au sein des jugements et par conséquent de la possibilité de l'entendement lui-même (p. 160)."Ce principe, Kant le trouve dans l'unité de cette conscience de soi-même qui s'exprime par le " je pense, " et qu'il

désigne sous le nom d'aperception pure ou originaire. » [Analyse de la Critique de la Raison pure, J. Barni, xxxii,

in Kant, CRP, Germer-Baillière, Paris, 1869]

Cette unité de conscience réunit ainsi toute la diversité du donné d'un objet dans l'intuition -je parle ici uniquement d'un objet phénoménal. Comme je l'ai dit plus haut, le problème avecl'alchimie, c'est que nous devons faire face à un objet qui ne trouve pas sa traduction [ou sa

résolution] sensible en termes de phénomène. La question qui se pose est donc dans un premiertemps, de savoir ce que recouvre ce concept de stade [ou d'état ?] primordial ouranien. Unepremière réponse ressortissant du mythe est de poser qu'Ouranos a comme pendant, dans lalongue chaîne de l'Olympe, Apollon, figure . Ouranos dans ce contexte possède une texture

nébuleuse à l'origine de la figure solaire. D'abord, c'est une gueule, la bouche d'ombre deHugo, dont on trouve trace dans la statuaire de toutes les civilisations. L'ordre s'instaureensuite brutalement par la mutilation :

«... la mutilation d'Ouranos met fin à une odieuse et stérile fécondité, introduisant dans le monde, par l'apparition

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d'Aphrodite... l'ordre, la fixité des espèces et rendant ainsi impossible toute procréation désordonnée et nocive. »[P. Mazon, in Hésiode, Théogonie. Les Travaux et les Jours. Le Bouclier, Paris, 1928]

Deux points fondamentaux, parce qu'élémentaires, sont à signaler :

l'enclenchement d'un mouvement de rupture, de type prométhéen [cf. supra], qui vadevenir pour ainsi dire rythmique, quoiqu'apériodique ; ce mouvement obéit à la loigénérale du transfert jungien [voir Jung, Psychologie du transfert, trad. Albin Michel, 1980 ;

Aurora consurgens, I - II pour une amplification et III pour des notes à caractère historique] ;un second mouvement qui succède au premier, apparenté à la projection, où il faut voirl'introduction d'un ordre nouveau : c'est là que se manifeste une troisième hypostase,médiatisée par la naissance d'Aphrodite.

De plus, on se retrouve [cf. 4, a] en définitive avec trois caractères hypostasiés :

Prométhée ;Aphrodite ;l'ophis - Christos.

auxquels s'ajoutent des caractères accessoires [à titre d'exemple, Atlas...] permettant d'élaborer des

transitions entre trois moments principaux dans la série de KronoV. Je rappelle l'idéefondamentale qui m'anime : du temps informe, dégager le temps- durée qui correspond auconcept de la « prise de conscience » ; et montrer en quoi la césure qui en résulte estassimilable, de façon archétypale, à certains éléments du mythe de Prométhée. En quoi enfin,l'orientation qui résulte de ce caput peut être trouvée dans les éléments du mythe d'Aphrodite.La formalisation entre ces états de la psyché passe nécessairement par le temps qui s'écoule.Pour autant que l'on puisse lui trouver, par l'aperception, un ordonnancement ; celui-ci, dis-je,n'est que pur artifice résultant de l'apposition réflective de nos spéculations. Il se nommel'idéalisme [il est important de noter, pour éviter toute équivoque, que l'idéalisme doit être soigneusement

distingué du subjectivisme psychologique, comme Cassirer l'a montré] :

« Que subjectivement la vertu puisse se donner comme une chimère, ne signifie pas encore qu'au niveau de la pure

pensée éthique elle ne soit un Idéal indestructible (in E. Cassirer, Leibniz' System, Marbourg, 1902, p. 432 et sq.) »[A. Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, I, p. 98]

Autrement dit, on est de façon apodictique en droit de considérer que l'idéalisme n'est pas uneillusion et qu'il trouve sa réduction au plan phénoménal [i.e. réaliste]. Il en résulte uneformulation qui n'est pas éloignée de celle proposée par Fichte, à ceci près et ce n'est pasmince, que l'on soit capable de trouver un moyen terme permettant que s'établisse unedialectique entre le réel et l'idéel. Ce moyen terme n'apparaît autre que la conceptualisationdu temps qui passe par la notion de causalité. Toutefois, si la causalité est ferme pour tout cequi touche à la macro-physique, elle est plus lâche touchant à la micro-physique ; elle estencore plus vague, si l'on ose dire, dans l'exploration de la psyché. À cela, une explication :le choc entre le Réel [fini ] et l'Idéel où entre en jeu l'élément ouranien rémanent :l'imagination.

«L'idéalisme exige ... une activité inconsciente du Moi. Il faut donc admettre dans le Moi une faculté tenant lemilieu entre le Moi infini et le Moi fini qu'elle crée. C'est l'imagination, puissance finie puisqu'elle limite le Moi etcrée les objets, mais puissance infinie aussi, car elle multiplie sans cesse les objets, recule les limites, emploie sa

spontanéité à poursuivre l'impossible équation du fini et de l'infini... » [E. Beurlier, J.-G. Fichte, Bloud, Paris,

1905, p. 27]

Nous tenons là une deuxième réponse possible à ce que revêt le stade primordial ouranien. Etdu coup, à la réduction de deux hypostases ; j'en donne d'abord les résultats avant d'endévelopper l'analyse : Prométhée est assimilable à l'IDÉE et Aphrodite à la FORME. Cetteréduction permet, in fine, l'assimilation de l'intuition métaphysique à la nigredo dans

l'acception même où l'entendent les alchimistes si l'on veut bien voir que l'intuition

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(métaphysique) correspond à un moment singulier de l'aperception, à caractère nouménal, oùl'imagination se trouve arrêtée en ce qu'elle entre en « résonance schématique » avec lasphère du sensible [du MOI] et qu'elle est portée par (et dans) l'histoire pragmatique du MOI :

«Nous devons avoir constamment à la pensée deux vérités : la première que les actes qui vont être saisis par laréflexion sont en eux-mêmes inconscients ; la deuxième que si l'exposition en est successive, leur production est

simultanée. » [ibid, p. 27]

On me permettra d'établir une restriction : ici, ce ne sont pas, à proprement parler les actesqui sont saisis, mais bien les pensées, envisagées comme produits de l'inconscient etassimilables à de véritables « donnés ». Fichte parle de « sensation comme passion » dans le cadrede la déduction de l'intuition s'intégrant dans l'Histoire pragmatique du Moi. Il semble que l'onpuisse trouver cette déduction dans le cadre de la résonance schématique évoquée supra.

« Dans le fait de sentir, l'activité est posée et déterminée ... Or, si l'activité ne peut pas être la passion elle-même ...elle peut déterminer celle-ci, lui tracer des limites. La limitation est une action qui n'est pas possible sans passion,car, le Moi ne pourrait lui-même supprimer une partie de son activité, et a besoin pour cela du Non Moi ; mais à

son tour la passion est incompréhensible sans l'activité, attendu qu'elle n'est qu'une limitation de l'activité. » [ibid,

p. 29]

Et ces lignes de Beurlier sur Fichte abondent dans le sens d'une interaction où se dessine lechemin de cette résonance. La limitation inférée dans la proposition de Fichte donne la clefdu processus idéel, complémentaire du processus réel, par lequel le Moi parvient àreconnaître le Non Moi et, chose non moins importante, par lequel le Non Moi s'affirmecomme ÊTRE [cf. infra sur l'imagination créative]. L'activité idéelle n'est donc que très partiellementinféodée au MOI et l'on doit y voir la marque de l'activité subsumée du SOI et du ÇA [équivalent

au « sur MOI » de Freud] : en définitive, on peut poser par hypothèse que cette activitésubconsciente s'organise de manière structurée et arrive au MOI via le filtre adaptatif de lalimitation critique. La structuration de cette activité passe par ce que Kant nomme leschématisme de l'entendement pur :

« C'est le temps qui nous permet de donner aux concepts purs de l'entendement la forme qui les rend applicablesaux phénomènes. Soit, par exemple, la catégorie de la quantité; comment la déterminer dans le nombre et fairequ'elle puisse s'appliquer aux phénomènes, sinon par le moyen du temps? Kant désigne cette forme sous le nom deschème, et il appelle schématisme de l'entendement pur le procédé général que suit l'esprit dans cet acte par lequel

il donne cette forme à ses concepts purs. Le schème n'est toujours par lui-même qu'un produit de l'imagination ...

» [Analyse de la Critique de la Raison pure, J. Barni, op. cit., xxxii]

Le schème n'étant qu'un produit de l'imagination, on conçoit que cette opération, accompliepar la Raison, se pose nécessairement [i.e. le réel] dans l'histoire pragmatique du MOI, là oùl'équilibre est établi dès lors qu'une forme a été limitée par un concept au fil du mouvementidéel. C'est de cette manière, sans doute, qu'il faut entendre la limitation dont parle Fichte [cf.

supra sur la déduction de l'intuition]. Il faut y voir la naissance de la subjectivité comme horizon del'Idéalisme [cf. Jean Starobinski, J.-J. Rousseau : la transparence et l'obstacle, Gallimard, 1971 - notamment

pp. 20-23]. Le voile de la séparation évoque tout à fait cette limite où se trouve l'Idéalisme,quand poussé à la limite formelle de l'aperception, il vient à prendre, précisément, le masquedu subjectivisme.

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De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 13r, 1607 [cliquez pour une autre version]

La légende de l'aquarelle ci-dessus porte la mention Putrefactio et la version du Musaeum

hermeticum - en lieu et place du loup - donne un dragon ce qui apparaît d'ailleurs plus conformeau symbolisme. C'est l'image de la séparation alchimique, l'obtention de ce que les Adeptesnomment le caput. Cette séparation, je puis l'inscrire dans l'histoire pragmatique du MOI dansun fait : la prise de conscience. Pour illustrer cette réflexion, voici cet exemple, tiré deJean-Baptiste-Claude Delisle de Sales :

Diodore s'accorde avec Evhemère, sur les événements de la vie mortelle d'Ouranos. Suivant cethistorien, ce prince fut le premier souverain des Atlantes ; il retira les hommes des fanges de lavie sauvage, où ils croupissaient ; les rassembla dans les villes, et enrichit son siècle deplusieurs découvertes. Ce qui le distingue, surtout, dans les annales de la raison, ce sont sesconnaissances en astronomie; il mesura lannée par le cours du soleil , et les mois par larévolution de la lune. Ses peuples, qui, jusquà lui, avaient ignoré les lois constantes qui règlentle retour périodique des astres, frappés de la justesse de ses observations, le regardèrent commeune intelligence suprême, lappelèrent le Roi éternel des êtres, et firent son apothéose. Diodore adit que son Empire s'étendait presque par toute la terre mais la terre à cette époque, nétaitpeut-être formée encore que des trois Isles du Plateau de la Tartarie , de la Chaîne de l'Atlas etdu Caucase.

Histoire philosophique du monde primitif, Paris, 1793, pp. 120-123

Que lit-on, sinon qu'Ouranos tire de sa vie de nature l'homme sauvage ? Qu'il lui fait prendreconscience du temps-durée ? Qu'en bref, il en fait l'homme de l'homme selon l'expressionconsacrée par Rousseau... On l'aura compris, il est impossible de croire un mot de Diodoremais il est essentiel pour l'hypothèse que j'analyse - du mouvement ouranien primordial -qu'une telle légende ait été rapportée par les Anciens et qu'elle s'en trouve, ainsi, commeinstruite d'une assise historique. Mais il y a plus :

Ouranos, sous un Ciel brûlant, qui fait fermenter lamour dans les coeurs et l'exalte dans les têtes,ne put réprimer la fougue de ses sens ... Titaea jalouse, parce quelle aimait, refusa de partagerson lit avec des rivales, et se sépara de son époux; celui-ci, tourmenté par lamour- propre, plutôtque par lamour, revint plusieurs fois auprès de Titaea, osa lui faire violence, et ensuitelabandonna de nouveau. On ajoute même quil tenta de faire périr les enfants de ce commerce;atrocité qui semble peu compatible avec lidée dun roi juste, bienfaisant, et astronome, tel que lepeint Evhemère.

ibid., p. 125-126

Il est question ici d'un autre point fondamental qui est l'amour-propre : seul l'homme del'homme peut le posséder, tel Prométhée le feu du ciel. Ainsi, deux éléments apparaissentsous l'effet du mouvement ouranien, qui manquaient, auparavant, à l'homme sauvage :

l'appréciation du temps en tant que durée ; [Prométhée]le désir en tant que plaisir. [Aphrodite]

Le sentiment double ou dual né du conflit essentiel entre la durée et le plaisir conduit lesAnciens à admettre l'existence intuitive de deux principes :

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« Quatre siècles avant Plutarque, Aristote parlait des deux principes que reconnaissent les mages, "le bon génie et

le mauvais, l’un nommé Zeus et Oromasdês, l’autre Haides et Areimanios" » [James Darmesteter, Ormazd et

Ahriman : leurs origines et leur histoire, Vieweg, 1877, Introduction, p. 1]

On trouve le passage entre "..." dans Diogène de Laerte [Proœmium 8, d’après un livre perdu

d’Aristote, le peri jilosojiaV]. Ces réflexions rejoignent en tout point celles d'Empédocle [cf. I,

1, c] sur le principe dual de l'Amitié et de la Discorde se projetant en situation dynamique.Elles sont de conception indo-iranienne et ressortissent sur le plan thématique de deuxreligions, le Mazdéisme et le Védisme :

II suit de là que les deux religions dérivées, Mazdéisme et Védisme, se composent de deuxcouches différentes de dieux, de mythes et d’idées ; la première comprend tout ce qui existaitdéjà à l’état formé dans la religion indo—iranienne, dans la période d’unité; la seconde tout cequi s’est produit depuis l’époque de la séparation. Par suite, dans le Mazdéisme, pour nous entenir à notre objet spécial, l’on doit distinguer deux sortes d’éléments, d’âge différent leséléments indo—iraniens et les éléments, iraniens proprement dits. Sans doute cette distinctionest purement historique, et l’esprit mazdéen n’a pas exercé une action moins puissante sur lespremiers que sur les seconds; II a été aussi original en transformant les uns qu’en mettant aujour les autres; il a fondu les uns et les autres en une parfaite unité et le Destour de nos jours, pasplus que le Mage d’autrefois, ne soupçonne les phases successives que sa religion a traversées,l’âge différent de ses dieux et de ses démons, et, les rôles changeants qu’ils ont joués dans lecours des siècles ...

J. Darmesteter, op. cit., p. 4

Darmesteter poursuit en émettant l'hypothèse que dans la période d'unité, Ormazd existait,alors qu'Ahriman est né après cette période, c'est-à-dire en Iran. On en vient ainsi à unevéritable génèse de l'histoire pragmatique du SOI, quand on la compare à l'histoirepragmatique du MOI [cf. I, 1, b].

6. le mal radical

a. radical et regressus

Par la transformation de l'homme sauvage en homme de l'homme, c'est l'altérité qui sedévoile : c'est l'apparition du Même et de l'Autre en un basculement radical de l'imago mundi

dont le reflet, jusqu'à ce moment de la prise de conscience, ne renvoyait point à cette imago

animi que Kant nomme le mal radical [cf. A. Philonenko, l'oeuvre de Kant, tome II, v. la religion et

l'histoire, Vrin, 1972, pp. 223-252]. La symbolique alchimique décrit un moment semblable, sorted'apologue archétypal : l'humide radical [cf. mon Olympe hermétique]. Sous cette expression secache d'un côté ce que les alchimistes nomment un état de la matière sous une formedépourvue de substance, à ceci près que cette forme en subsume la disposition : elle en fondeles apprêts et en ventile les contours. Autrement dit, lorsque les alchimistes emploientl'expression « humide radical », quand ils l'appliquent à la matière métallique, ils veulent direque, par un artifice connu d'eux seuls, ils tirent de cette matière l'archée de nature. Lorsquej'écris que l'humide radical définit - chez l'alchimiste - une forme non substantielle, il estnécessaire d'ajouter aussitôt que la forme a été déshabillée de tout caractère allant dans lesens d'une intégration : c'est un peu comme si l'alchimiste réussissait à trouver la molécule oul'atome, en somme le premier Être formel en tant qu'il est parvenu à un degré conceptuel queje ne saurais comparer qu'à la procédure de recherche du pgcd [cf. G.W. Leibniz, Mathematische

Schrifften, Berlino-Halle, 1849-1863, 7, p. 267], c'est-à-dire qu'à la recherche d'une proportioncongruente ou élémentaire [forcément incommensurable parce que la psyché est développée dans un

continuum spatio-temporel, cf. Échecs artistiques, VI, 4]. Parvenue à un stade réputé élémentaire, c'est-à-dire ramenée pour ainsi dire en regressus ad libitum, la materia prima ou nigredo

principielle [voir Chevreul critique d'Artephius pour une définition] offre à l'Artiste les qualités d'unProtée minéral. C'est là le véritable airain des Sages ou antimoine saturnin des vieux textes.D'un autre côté, nous savons qu'il n'est pas tenable d'en rester à cette analyse primitive : Jung

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dans le domaine de la psychologie appliquée [cf. Aurora consurgens, Ripley Scrowle], Cassirer dansle domaine des formes symboliques ont montré l'un, que les alchimistes projettent la partiesensible de leur psyché dans cette nigredo ; l'autre [cf. supra chapitre 2, a] que le symbole

parvient à acquérir un contenu formel par un processus complexe où sensible et raison sontdisposés en situation de réflexivité [cf. infra sur l'apport de Fichte : Essai II, chapitre 1]. On peut, enbref, développer cette idée (* ), que la nigredo [i.e. intuition primordiale, cf. introduction] permet,dans un processus d'élaboration formelle, de conceptualiser les formes imaginatives relevantd'un schème général, essentiellement protéiforme, où s'exprime l'archée comme principe de

base [analogue à l'ulh des alchimistes ou arch tupoV].

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 31r, 1607 [cliquez pour une autre version]

_______________

(*) Afin de montrer par l'exemple l'image même de cette forme éidétique, j'établis unedigression. Le lecteur trouvera dans la section consacrée au sulphur un long chapitre consacréà Marc-Antoine Gaudin, génial précurseur de la théorie atomique. Eh bien ! Gaudin réussit àanticiper nombre de découvertes en cristallographie ou en chimie minérale [par exemple lastructure de l'anneau benzénique ou serpent de Kékulé ; il est encore possible que Gaudin ait eu la prescience del'organisation périodique des éléments, cf. Theron M. Cole, Jr. Early Atomic Speculations of Marc Antoine

Gaudin: Avogadro's Hypothesis and the Periodic System Isis, Vol. 66, No. 3 (Sep., 1975), pp. 334-360] par lebiais d'une approche purement structurale [cf. par exemple : SCHEIDECKER-CHEVALLIER M.,Marc-Antoine Gaudin, Alexandre- Édouard Baudrimont, Auguste Laurent et l'approche structurale en

chimie, Revue d'histoire des sciences, 2000, vol. 53, no1, pp. 133-167]. Ce type d'approche structurale,pourvu que l'on veuille bien le replacer dans son contexte historique, se rapprochesingulièrement d'une conception de l'archée considéré du point de vue formel : il s'agit d'uneprojection qui n'est pas éloignée de l'éidos alchimique. Par ses synthèses mentales sur lamorphogénie moléculaire, Gaudin parvient par exemple, à idéaliser le squelette de lamolécule de grenat [voir mon Mercure de nature pour un développement].________________

Le mot radical possède deux sens :

- de « ce qui est complet » quand on en a établi le principe dans le sens d'un progressus ;- de « ce qui est la racine » quand on en a dégagé la substance dans le sens d'un regressus.

Je rappelle que les alchimistes entendent parler du terme radical dans la seconde acception.C'est par regressus qu'ils procèdent dans leurs opérations et le terme de réincrudation n'a desens que si l'on tient compte de la marche de leur raisonnement. La nigredo est donc une

représentation au sens radical de ce mouvement de dépouillement substantiel où les Adeptes

trouvent un principe dont le nom vulgaire, en chimie, est le vert-de-gris [ioV]. Ce principe,ils l'obtiennent par fusion à la fois ignée et aqueuse dans leur Mercure , qui est aussi leur

athanor.

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« Telle est la différence de nature entre les deux progressions, - car il serait meilleur de parler d'une progressionindifférente et d'une progression régressive. Celle-là est une synthèse "engendrée par une répétition toujoursinterrompue" d'unités déjà données, alors que dans celle-ci, le quantum - temps ou espace - m'apparaît comme une

suite de limitations, non plus comme une somme de parties constituantes. » [Gérard Lebrun, Kant et la fin de la

métaphysique, Armand Colin, 1970, III - le mirage du monde, p. 121 et sq.]

C'est de cette subtilité conceptuelle que procède la difficulté de représentation critique duprocessus alchimique, de cette entreprise de démantèlement ad libitum qui s'impose par le faitmême du caractère incommensurable de la psyché. La nigredo , l'Oeuvre au noir de

Marguerite Yourcenar, consiste ainsi dans une éidétique de la régression où :

«La relation considérée n'est plus "être-partie-de", mais "être-contenu-dans" (qui implique celle-là sans être

impliquée par elle ... L'unité n'est plus le "Stück" indépendant, mais la forme délimitée par rapport à son fond ... »[G. Lebrun, op. cit., p. 122]

Au lieu que, dans le « sens commun », le radical procède d'une sorte d'illusion de l'ordre de lacontingence [la progression indifférente], celui des alchimistes exprime que :

« ... comme la progression est régressive, la totalité qui, dans la progression "partes extra partes" s'offriraitcomme somme, est maintenant présentée comme "successivement infinie" ; cela même qui me serait donné comme

simultané - si je comptais ou mesurais - est maintenant explicité comme essentiellement successif. » [G. Lebrun,

idem, p. 122-123]

On peut concevoir qu'une telle organisation conceptuelle puisse participer d'unephénoménologie de l'ontogenèse du divin [cf. introduction] et que, dans ce sens, elle puisses'intégrer, de juris, dans le processus alchimique. Dans ces conditions, la nigredo peut être

considérée aussi, de facto, comme l'un des vecteurs où s'exprime, par l'intuition pure dusensible, le sentiment métaphysique. Ainsi, le « sens alchimique » ne procédant plus par unusage absolument logique de notre entendement, est-il concevable de renverser cetteproposition :

« ... on ne peut éviter de détacher en quelque sorte ce qui peut changer dans l'existence d'une substance, tandis

que la substance reste, et de le considérer dans son rapport avec ce qui est proprement permanent et radical. »[Kant, CRP, Analytique transcendantale, Première analogie, principe de la permanence de la substance, trad. J.

Barni, p. 403]

L'être radical de la substance ne représente plus, pour l'alchimiste, que l'image même de saforme rendue à l'éidos. C'est mesurer avec quelle force, quelle vigueur, la pensée alchimiqueest résolument platonicienne [cf. là-dessus Luc Brisson, la théorie de la matière dans le Timée, pp. 15-35

in l'Alchimie et ses racines philosophiques, Cristina Viano dir., Vrin, 2005] ; si j'osais, elle prend unequalité à ce point volatile que l'on pourrait davantage y trouver un sens ondulatoire quecorpusculaire [section à venir sur le sens alchimique de la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie] :

« Mais ce en quoi chacune de ces choses, qui se trouvent en un devenir incessant, apparaît, et ce dont elledisparaît, de cela seulement on peut parler en utilisant le terme "ceci" ou le terme "cela". À l'inverse, ce qui est, dequelque sorte que ce soit, chaud ou blanc ou n'importe lequel de leurs contraires et tout ce qui vient d'eux, aucune

de ces appellations ne doit lui être assignée. » [Luc Brisson, op. cit., à propos de : Timée, 49 e7-50 b5]

Le radical alchimique est une tentative d'appropriation critique de la contingence du sensible[sans rapport avec la contingence empirique ou la contingence intelligible] en vue d'établir une projectiondu divin [compris comme le contenu de l'inconscient dont la forme transcendantale passe communément pour

une vérité de fait] ; autrement dit, c'est une ontogenèse :

« La "substantia phaenomenon" est alors métamorphosée en "ousia", le substrat du monde sensible en un êtrenécessaire. Raison de plus pour voir dans le panthéisme la vérité de l'ontologie classique : si l'on ose proclamerque "Dieu est tout", c'est que, depuis toujours, on discourait sur l'être en sous-entendant 'l'être-du-monde" - et il

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n'est pas d'ontologie peut-être qui évite ce malentendu. » [G. Lebrun, op. cit., p. 169]

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 49r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Pourtant, la 4ème antinomie de la CRP, où est traitée la question de savoir si tout estcontingent ou si un « Être » primordial est nécessaire, peut passer pour une réponse :

« ... la solution consiste à montrer, en s'appuyant sur la distinction du sensible et de l'intelligible, que les deuxthèses peuvent être vraies en même temps, l'une dans un sens, l'autre dans un autre. Il est vrai que, par rapport aumonde sensible, tout a une existence dépendante d'une condition empirique, et qu'à ce point de vue nous devonstoujours remonter de condition en condition sans nous arrêter jamais à une condition qui, à titre de substanceexistant par elle-même ou absolument indépendante, formerait le dernier terme de la série, ou serait placée en

dehors de cette série ... » [J. Barni, Analyse de la CRP, lcii]

b. le mal radical chez Kant

C'est sans doute chez Alexis Philonenko que l'on trouve la meilleure recension sur laconception, et le problème, du « mal radical » chez Kant. Dans le § précédent, j'ai montré queselon la définition, plus exactement la copule spirituelle que l'on y devine, il est possible dedécaler du tout au tout le sens même du terme radical et que, sous ce rapport, les alchimisteslui donnent une acception dont la conjugaison avec le terme mal conduit à un rebondissementinattendu quand on confronte le sens de l'expression ainsi formée à celui que lui découvreKant.

« Que signifie le mal radical ? Nous l'avons dit c'est l'impuissance humaine d'ériger en lois universelles ses

maximes, impuissance que nous constatons dans l'expérience, anthropologique, pédagogique et historique. » [A.

Philonenko, l'Oeuvre de Kant, II , Vrin, 1972 - la religion et l'histoire, §49, p. 224 et sq.]

Le point de vue est orienté dans un sens essentiellement empirique et relève d'un constat : lemal radical se pose avant tout comme une fatalité. Il est essentiellement (re)lié à la naturehumaine comme en témoigne, pour Kant, la relation quasi-naturelle des mots radical et inné :

«Le terme radical relève de toute une tradition néoplatonicienne, augustinienne, - il ne faut pas oublier Leibniz ettoute l'école qui le suit. Radical signifie limitatio ... Le radical c'est donc comme chez Leibniz la finitude originelle

de la créature. » [Philonenko, op. cit., p. 226 et sq.]

Le grand thème de la limitation est abordé au chapitre 5, b. Je rappelle que ce thème entrelacemétaphysique et intuition en vue d'une intégration :

« Que notre raison connaissante soit bornée aux seuls phénomènes, c'est un résultat essentiel de la Critique, -

mais qu'elle "doive se situer par rapport à l'espace qu'elle voit autour d'elle" (Prolèg., IV, 353), c'est sa motivation.

» [G. Lebrun, op. cit., Nouvelle naissance de la métaphysique, p. 55 et sq.]

Ce que les alchimistes ont en vue est d'outrepasser cette limitation :

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« ... "la limite des phénomènes appartient aux phénomènes" ; "mais la chose qui forme la limite est en dehors decelui-ci" (Rx 4958). Or c'est la présence de cette "chose" qui nous impose de tracer la ligne, c'est parce que

l'Océan s'étend à perte de vue que nous parcourons le rivage. » [G. Lebrun, ibid., p. 56]

Ces belles lignes de G. Lebrun permettent à nouveau, par analogie, de représenter ce quiconstitue l'originalité du symbole de la nigredo . L'alchimiste ne se contente pas de

parcourir le rivage : il affrête le vaisseau Argo, déniche la Toison d'or et combat le dragonbabylonien es cavernes vitrioliques. Dans cette lutte contre lui-même, en un dialoguesingulier où il s'oppose à son image [Adolphus contre Senior ainsi que le montre l'arbre philosophique de

Mylius], la projection idéelle vient consteller la prima materia. Guidés par Diane aux corneslunaires , les alchimistes, en cette introspection fabuleuse, regardaient monter du fond de

l'océan mercuriel les étoiles métalliques : horo aura.

** *

Si l'on reprend le sens de limitatio comme sens de radical, on remarque avec A. Philonenko[Kant, II, op. cit., la finitude, p. 227] qu'il s'y attache une résonance conceptuelle évoquant Leibnizen tant que l'on y trouve l'infinitésimal. En cela, la démarche de Kant fait contraste :

«Si la vertu = + A, le manque de vertu (faiblesse morale) = 0, lui est opposé comme logiquement contradictoire,en revanche le vice = - A lui est opposé comme son contraire. Aussi bien demander si de grands crimes n'exigentpoint peut-être plus de force d'âme que de grandes vertus, ce n'est pas seulement poser une question qui n'est pas

nécessaire, c'est aussi poser une question choquante. » [Kant, Doctrine de la Vertu, introduction, II, pp. 54-55

cité in Philonenko]

en ce que sa vision morale est essentiellement qualitative et, pour ainsi dire, corpusculaire.Or, le problème de la vertu est loin d'être constitué en vérité de raison en dépit del'axiomatique imposé par « l'impératif catégorique » dont la réduction phénoménale, selon Kant,est « la bonne volonté ». Il peut être envisagé aussi comme une vérité de fait. Selon Leibniz celarevient à se demander si l'on peut, de juris, démontrer l'inhérence du prédicat [radical = limitatio]au sujet [mal]. Dans cette optique, c'est-à-dire si l'on est fondé à pratiquer une inversion [cf.

introduction], la mesure doit être appliquée quantitativement en tant que la logique n'imposepas que vertu et vice soient apodictiquement opposés. En somme :

« Ainsi les lois de la moralité nous font entrer dans le monde spirituel et libèrent notre existence des conditions del'espace et du temps ; dès lors, rien ne s'oppose à l'immortalité de l'âme, et cette immortalité est même requisepour qu'il nous soit possible d'accomplir le devoir dans sa perfection absolue, puisque l'union de l'âme avec le

corps nous empêche, dans cette vie, d'être adéquats à la moralité. » [Kant, la Religion dans les limites de la

simple raison, trad. Tremesaygues, Paris, Alkan, 1913, avant-propos, ix]

Kant n'atteint-il pas sa propre finitude quand il énonce des vérités dont le moins que l'onpuisse dire est que leur caractère axiomatique peut être révoqué en doute ? Kant fonde unepartie de son argumentation sur cette idée, que :

«... si, comme être raisonnable, l'homme est voué à la vertu, sa nature d'être sensible lui fait désirer le bonheur, etle souverain bien ne peut consister pour lui que dans l'union de la vertu et du bonheur. Mais cette union n'est pasde celles que l'on connaît analytiquement, car bonheur et vertu sont des choses hétérogènes et ne peuvent êtreliés, d'une manière synthétique, comme l'effet est uni à la cause, que grâce à l'intermédiaire "de l'auteur

intelligible de la nature" et dans un monde intelligible. » [ibid., xv]

et Tremesaygues ajoute :

« Dès qu'il se demande : « Que dois-je faire ? », l'homme voit aussitôt s'offrir à lui la loi morale, dont laconscience est immédiate, et la moralité, sans intermédiaires, le mène au concept de la liberté : Nous nousreconnaissons libres par le fait même que nous jugeons pouvoir accomplir le devoir. Ce concept de la liberté sertde clef de voûte à tout le système; c'est de lui que part la morale et c'est encore lui qu'on trouve à l'origine commeau terme de la science, bien qu'il soit pour elle incompréhensible. C'est que Liberté et Raison sont une seule et

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même chose qui a besoin, pour être saisie avec netteté, de se montrer à l'état pur, dégagée du monde des

phénomènes. » [ibid., xiii]

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 34r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Une grande partie de ce qu'il faut bien appeler la doctrine de Kant s'appuie sur l'idée qu'on nesaurait faire d'amalgame entre le bonheur et la vertu, attendu que ces concepts ne jouent pasdans la même sphère de réalité. Ils sont séparés du fait même des éléments qui en codifient laforme et donnent sens, sous le rapport légiférant, à la dialectique liberté-raison. Ainsi,prenons le bonheur : en énoncer les conditions n'y conduit pas dans la mesure où il s'agit d'unétat particulier du sens. Voyons la vertu : on y est conduit ou on y adhère par des dispositionsspécifiques de la raison mais ces dispositions touchent aussi à la sphère du sensible ; on voitpar là le rôle que joue l'intuition dans l'appréhension critique des éléments qui ont partie liéedans la conception du bonheur et de la vertu. L'intuition pure du sensible peut être à cet égardconsidérée en tant que « médiatrice » de l'imagination créative. Elle assure une activitédiscriminante, ainsi que le montre Fichte, par une véritable réification ontologique etconstitue la clef de ce labyrinthe :

« Elle est ce par quoi l'esprit s'affranchit de la réalité, s'élève au-dessus du donné, assurant ainsi sondéveloppement. C'est par cette prééminence accordée à l'imagination productrice sur le goût qui se contente dejuger le donné que Fichte réoriente la théorie du beau vers une théorie de la production artistique et opère sa

révolution copernicienne. » [E. Lièvre, L'esthétique naît-elle au XVIIIe siècle ?, coordonné par Serge Trottein,

Paris, PUF, collection " Débats philosophiques ", 2000]

Le décalage opéré par Fichte permet d'analyser ce moment révolutionnaire de la moralité : «bonheur ou vertu ? » par d'autre moyen que le support de la raison du sensible : il s'agit d'yadapter l'imagination créative dans un processus d'intuition.

7. Prométhée

a. introduction

J'ai abordé le mythe de Prométhée [1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10] à de nombreuses reprises mais sansen avoir encore examiné la contexture hermétique.

Fils de Japet et de l'Océanide Clymène, ou, selon d'autres, de la Néréide Asia, ou encore deThémis, sSur aînée de Saturne, Prométhée, dont le nom en grec signifie prévoyant, ne fut passeulement un dieu industrieux, mais plutôt un créateur. Il remarqua que, parmi toutes lescréatures vivantes, il n'y en avait pas encore une seule capable de découvrir, d'étudier, d'utiliserles forces de la nature ; de commander aux autres êtres, d'établir entre eux l'ordre et l'harmonie,de communiquer par la pensée avec les dieux, d'embrasser par son intelligence non seulementle monde visible, mais encore les principes et l'essence de toutes choses : et du limon de laterre il forma l'homme.

Pierre Commelin, Mythologie grecque et romaine, Bordas, 1991, les dieux subolympiens, p.116 sq.

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D'abord, il est nécessaire d'isoler le sens du mythème, c'est-à-dire la structure archétypale.Les interprétations diffèrent : pour les uns, le Titan a bien créé l'homme à partir d'un limonboueux et c'est ce que donne à voir l'une des aquarelles du Splendor solis. Pour d'autres, il aapporté la lumière à l'homme et a modifié ainsi radicalement sa nature. Mais n'est-ce pas làpresque dire qu'il l'a inversée ? Il me faut revenir sur le concept du Même et de l'Autre ou

anima mundi :

« Lorsqu'il en décrit la constitution, Timée se trouve, en quelque sorte, à définir la situation de l'âme du mondedans l'échelle des êtres. L'âme du monde est en fait issue d'un mélange où interviennent ces trois notions

fondamentales : l'Être, le Même et l'Autre. » [Platon, Timée, introduction de Luc Brisson, p. 36, GF, 1992]

Il est aisé d'effectuer la transposition qui consiste à retrouver les éléments classiques de lapsyché : le Même équivaut au MOI, l'Être est le SOI, l'Autre est le ÇA. Il en résulte, fortlogiquement, que du temps de l'homme sauvage, le monde se réduisait au Même :

« Celui qui voulut que l'homme fût sociable toucha du doigt l'axe du globe et l'inclina sur l'axe de l'univers. À ce

léger mouvement, je vois changer la face de la terre et décider de la vocation du genre humain... » [Rousseau,

Essai sur l'origine des langues, cap. ix, cité in Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, tome I, vi.

le traité du mal, Vrin, 1984 - p. 140]

Cette réduction dimensionnelle de la psyché où Rousseau prétend confiner l'homme sauvagesemble ne pas pouvoir aller sans une autre réduction, temporelle celle-ci, dans le sens dutemps-durée comme le perçoit Bergson [cf. supra, introduction]. On le voit, la psyché de l'hommesauvage a plus à voir avec la sphère du sensible qu'avec celle de l'intelligible. À un autreniveau, c'est la même différence que l'on observe entre discret et continu :

« ... comme l'âme du monde doit jouer le rôle d'intermédiaire entre le sensible et l'intelligible, chacun de seséléments constitutifs se situera en elle à un niveau intermédiaire entre l'indivisible, caractéristique essentielle de

l'intelligible, et le divisible, caractéristique essentielle du sensible. » [Platon, Timée, Luc Brisson, intro. op. cit., p.

36]

Au plan alchimique, on retrouve la triade Mercurius [intermédiaire, anima mundi], Sulphur

[ indivisible, discret] et Sal [divisible, continu]. Je rappelle qu'il s'agit là de principes principiés

[cf. 1, 2, 3, 4] et qu'il serait erroné de considérer les principes radicaux {, } des

philosophes.

« Au-dessous du Firmament est le troisième Ciel, ou l'élément de l'air; dans lequel paraissent trois enfantsenvironnés de nuages.Ces trois enfants signifient les trois premiers éléments de toutes choses, appelés par lessages principes principians, dont les trois principes inférieurs, sel, souffre, et mercure, tirent leur origine, et qu'onnomme principes principiés, pour les distinguer des premiers, quoique tous ensemble, ils descendent du Cielarchétypique, et partent des mains de Dieu, qui de sa fécondité, remplit toute la nature, mais toutes les influencesspirituelles et célestes semblent être émanées des deux premiers Cieux, avant de s'unir à aucun corps sensible ; cequi fait que toute émanation spirituelle du premier Ciel ou de l'Archétypique, est appelée Âme, et celle du second

Ciel, ou Firmament est nommée Esprit. » [Esprit Gobineau de Montluisant, Explication très curieuse desénigmes et figures hiéroglyphiques, etc., in Jean Maugin de Richebourg, Bibliothèque des philosophes

chymiques, tome 4, II, pp. 307-393]

J'ai, à de nombreuses reprises, attiré l'attention sur l'ubiquité du principe Sel, apparenté parbien des côtés au Mercure. En effet, si le Mercure philosophique est la mer des philosophes,c'est-à-dire leur eau permanente, il ne s'agit point du principe de liaison qui est à chercherailleurs.

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Michael Maier, Symbola aurae mensae, 1617

Cette gravure de Michael Maier [cf. Atalanta fugiens, V et XLIV ] est l'une des gravures illustrantce point de science : le lien du Mercure . Je ne reviens pas sur le sens hermétique ou même

physique [voir laboratoire, 3] à donner à ce principe de liaison [voir mes symboles et les blasons

alchimiques]. Le crapaud est le symbole du sulphur corrompu - bufo rubea - ou premier état duSoufre des philosophes. On trouve la même image éidétique dans le Rosarium philosophorum

[ impregnatio] avec le spiritus abscondus [voir Aurora consurgens, II ]. Le batracien retient un aigle parune chaîne : c'est l'image même du double mercure ; double en ce que tantôt il manifeste lestraits de la fixation, tantôt les traits du servus fugitivus comme le nomme Fulcanelli [Myst. Cath.,

p. 126]. Ce dualisme dynamique s'inscrit dans le cadre d'une inversion comme je l'ai déjàmentionné en introduction. Il se complète d'un dualisme éthique puisque le crapaud peutaussi symboliser [au sens trivial] le mal.

b. l'inversion

Prométhée peut être considéré comme archétype de la manière suivante : outre la fable quiconte déjà une belle légende, terrible à bien des égards, Hésiode, Eschyle puis Platon ontservi la structure du mythème en l'enrichissant. Le mot de révélation convient peut-être lemieux pour résumer l'apport de ce mythe au domaine de la psychologie et de la philosophiemais sa polysémie est telle qu'il figure en bonne place au panthéon du symbolismealchimique : une belle aquarelle de la Toyson d'or montre l'homme sortant du limon :

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Splendor solis (version 1582) - 9ème aquarelle

Cette image pourtant n'exprime pas exactement l'acte perpétré par Prométhée, quand lesmythographes assurent que le Titan sort l'homme du limon ; phrase à prendre au seconddegré. Dans les faits, le fils de Japet transforme l'homme sauvage en homme de l'homme etc'est l'irruption de la conscience [plus exactement de la prise de conscience] qui est la marque decette révolution. J'ai évoqué tout à l'heure Aphrodite : on sait que sa naissance estconditionnée par la mutilation d'Ouranos. Le phallus tombe dans la mer et de ce contact entre

la semence écumeuse [ajroV] et le sel [alV = sel = mer] naît Ourania, à proprement parler laCéleste. Ce n'est donc pas du membre viril que naît Aphrodite [cf. Charles Kerényi, la mythologie

des Grecs, les histoires des Titans, Payot, Paris, 1952, p. 25] mais bien plutôt d'une humeur où l'on esten droit de trouver - par analogie - la rosée de mai des alchimistes. À côté de cette semenceoù se devine déjà l'or enté [cf. Orthelius, II, 2ème série des gravures], le sang issu de la blessureinfligée par Cronos à son père est l'instrument de la naissance des Géants :

« Notre Hésiode ajoute qu'ils étaient "luisants dans leurs armures d'airain et tenaient de longues lances à lamain". Pourtant, ils étaient surtout considérés comme les fils de leur mère, la Terre ... comme des hommessauvages, vêtus de peaux de bêtes, lançant des rochers et des troncs d'arbres ; ou bien encore comme des géants

ayant deux serpents enlacés en guise de jambes. » [Ch. Kerényi, op. cit., 5. le combat avec les géants, p. 31]

Comment ne pas reconnaître, dans cette description, les spartoi nés des dents du dragon tuépar Kadmos ? Kerényi ajoute que ces Géants seraient apparus en un endroit appelé Jhlegrai[ la péninsule Pallène, cf. aussi Atalanta fugiens, xxxvii ]. Tout ceci pour l'hermétiste présente un rapportavec le sulphur , avant que sa dépuration ne soit intervenue dans la masse mercurielle. Par

analogie, voilà encore Persée terrassant la Gorgone. Du sang de la Méduse, deux principesapparaissent dont j'ai examinés la substance dans la section sur Fontenay-le-Comte : Pégaseet Chrysaor. Les correspondances sont les suivantes :

Pégase = Aphrodite = sel + semence [or enté ou fermentation] ;Chrysaor = Géants = sulphur [teinture ou projection] ;Persée = Cronos [sublimation ou transfert].

Je n'insisterai ici que sur la seconde équivalence parce qu'elle donne la clef du sens quedétient, pour l'hermétiste, Prométhée. Remarquons d'abord que sous la plume d'Euripide [Ion,

455], Prométhée est confondu avec Héphaistos. Autrement dit, il sert de parèdre à Pallas-Athéna qui, sortie tout armée du cerveau de Zeus, s'élance cuirassée d'or étincelant :

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« Le vaste Olympe trembla violemment sous le poids d'Athéné aux yeux de chouette. La terre résonnaprofondément aux alentours et la mer se gonfla furieusement dans le déchaînement de se vagues pourpres. Lesflots salés se jetèrent sur le rivage et le merveilleux fils d'Hypérion tint longtemps arrêtés les rapides chevaux du

soleil, jusqu'à ce qu'enfin Pallas Athéné, la vierge, eut enlevé de ses épaules immortelles l'armure divine. » [Ch.

Kerényi, op. cit., Métis et Pallas Athéné, pp. 119-120]

Tout dans cette légende se rapporte au et au : l'allusion aux vagues pourpres, par

exemple, est pour l'hermétiste une indication de choix sur le sulphur prêt à être réincrudé. SiProméthée comme l'assure le mythographe a donné le feu à l'homme, en tout cas il ne peuts'agir du feu vulgaire : c'est, ainsi que je l'ai dit, de l'irruption de la conscience dans l'esprit del'homme sauvage qu'il s'agit. Quel était cet homme qui, de l'état sauvage, devait êtretransfiguré ?

Clermont-Ferrand - BM - ms. 0084, f. 027Heures à l'usage des Antonins - l'homme sauvage -

Peut-être Alalkomeneus, héros béotien qui passe pour avoir élevé Athéna [Pausanias, periegeta,

9.33.5 - pour certains, Alalkomenai serait l'une des filles d'Ogygos, rescapé de l'un des Déluges] :

« Il aurait surgi de la terre près du lac Kopais et aurait eu comme épouse une Athénaïs ... Enfin un roi primitifd'Arcadie, nommé Pallas, aurait aussi été un éducateur d'Athéné. Il avait deux filles : Niké et Chrysé. On sait que

Niké est la déesse ailée de la victoire, et, que dans un autre récit, elle est la fille de Pallas, le fils du Titan Krios. »[Kerényi, op. cit., p. 121-122]

Il est difficile de ne pas introduire d'analogie entre d'une part le couple {Pégase-Chrysaor} et{ Niké-Chrysé} d'autre part. Quand on sait que le Gorgoneion [la tête coupée de Méduse] fut portée parAthéna sur son bouclier, on peut penser que ces légendes sont congénères. On trouve encoresa trace chez les disciples d'Orphée qui désignaient ainsi le visage dans la ... Quand on dit

que l'homme sauvage élève Athéna, il faut comprendre qu'il s'élève lui-même et c'estévidemment là qu'il faut chercher la source primitive, archétypale, de Prométhée. C'est dureste bien ainsi que l'on peut entendre ce que nous disent les mythographes :

« Hésiode raconte que leur (les Titans) père Ouranos les nomma d'un juron, qui était à la fois un jeu de mots :"Titans", comme si ce mot venait de titainein, "s'étirer", et de tisis, "punition" ; les Titans s'étaient "étirés" dans

leur témérité, afin de mener à bien une grande oeuvre, et en furent châtiés plus tard. » [Kerényi, ibid., xiii,

Prométhée et la race humaine, p. 205]

C'est là que se situe le thème de l'inversion. Dans la transition de l'homme sauvage à l'homme

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de l'homme. C'est le type même du moment différentiel [cf. II, 1, d] où nous voyons s'ébaucherle concept de limitation et de séparation dans le Non-Moi, entre ce qui ressortit à la Nature etce qui ressortit au Monde, dès lors que s'y introduit, de façon subreptice, la conscience.

« Le Non-Moi n'est plus la Nature, mais le Monde et celui-ci finit par rassembler les hommes, simplement parcequ'il possède des limites. Une limite n'est jamais un principe actif, mais toujours passif et qui oblige une activité à

se réfléchir en elle-même. » [A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, t. I, ix - le traité

du mal, Vrin, 1984, p. 195]

Dans cette réflexion, on est tenté de voir la marque d'une attraction et, partant, d'un foyersusceptible de procurer un infléchissement. De là ensuite, des variations sur le thème del'inversion qu'on trouve amplifiées dans l'oeuvre de Jean-Jacques et analysées, notamment,par A. Philonenko et P. Burgelin [cf. infra II, 1]. La réflexion est un moment singulier dansl'élaboration de l'intuition en ce qu'elle en constitue pour ainsi dire l'appropriation

critique. On peut considérer que cette prise de conscience est, dès l'origine, d'essenceprométhéenne :

« Leur (il s'agit des Titans) caractéristique, la témérité - atasthalia -, était aussi celle des hommes qui, pour cetteraison, étaient menacés toujours à nouveau d'anéantissement par les dieux ... La description de ces Titans ennemis

de Zeus et des dieux précède l'histoire de la race humaine. » [Kerényi, op. cit., p. 205-206]

La témérité que l'on peut encore traduire - atasqalia - par orgueil insensé possède les traitsdu premier Mercure des alchimistes. C'est le Nemrod que Fulcanelli décrit dans le Myst. Cath.

au chapitre de l'athanor : le chevalier dépeint sur le bas-relief doit protéger le vase de naturecontre l'agression des rayons du .

l'Orgueil, Notre-Dame de Paris - Nemrod, Gen 10.9

Nemrod est considéré comme le premier héros sur la terre : « Tel Nemrod, être un chasseur héroïque

devant le Seigneur. » ; en tant que tel c'est un archétype. Dans Gen 10.2 on voit apparaître la figurede Japhet, en écho de celle de Japet, père putatif de Prométhée [le Noé grec, Deucalion, est petit-fils

de Japet]. Le maître mot est bien sûr, ici, celui d'expansion.

« Buffon remarquait déjà que l'homme est infidèle à la double vocation de sa nature : il se détourne du sensintérieur pour se dissiper dans le monde ... Nous venons de voir de même Rousseau rappeler l'âme à sa véritablenature : pour chercher le bonheur elle doit premièrement se trouver, donc se replier sur soi, y adhérer et en jouir ...

pour obtenir l'ineffable extase et le sentiment de la pureté et de l'éternité de soi. » [P. Burgelin, la philosophie de

l'existence de J.J. Rousseau, PUF, 1952, chap. V, l'Expansion, p. 149]

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Cette image de la lutte contre les influences extérieures, on en trouve la trace dans la lutte queNemrod mène contre l'ardeur des rayons : il n'est point besoin de beaucoup d'imagination

pour voir dans cette lutte l'affrontement entre le sens et la raison, c'est-à-dire entre l'Esprit etle Verbe. En somme, l'alchimie ne représente que la conceptualisation, plus ou moins réussieselon les Adeptes, de ce renoncement à la jouissance humaine, autrement que par :

« ... le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre affection (qui) suffirait seul pour rendre cette existence

chère et douce. » [Rousseau, Rêveries, V, 703, la Pléiade, 1951 ; cité in Burgelin, op. cit., p. 150]

Et ce sentiment qui vient si bien se confondre avec l'intuition du temps intérieur [cf.

introduction] est, selon Jean-Jacques, ce qui procure une sensibilité morale [i.e. une éthique],analogue à l'attraction universelle :

« ... qui n'est autre chose que la faculté d'attacher nos affections à des êtres qui nous sont étrangers ... Il est trèsnaturel que celui qui s'aime cherche à étendre son être et ses jouissances, et à s'approprier par l'attachement ce

qu'il sent devoir être un bien pour lui. » [Rousseau juge de Jean- Jacques, Second Dialogue, Oeuvre complètes

de J.J. Rousseau, Dialogues, tome I, Paris, Dalibon, 1826, pp. 243-244]

où l'on peut deviner comme une anticipation des travaux de Fichte. Si je reviens à présent ausymbolisme de Nemrod, je peux y trouver l'antithèse de ce que développe Rousseau.

« Le Livre du Juste ... compilation de légendes juives relatives à l'histoire sainte, depuis la création jusqu'au

début des Juges, et qui semble dater du XIIe siècle, raconte qu'au moment où Nemrod construisait la tour de Babel,les hommes du haut de la tour lançaient des flèches contre le ciel ; elles retombaient teintes de sang et ils se

disaient l'un à l'autre : "Ah, nous avons tué tout ce qui est dans le ciel". » [James Darmesteter, la flèche de

Nemrod en Perse et en Chine, Journal asiatique, 1885, série 8, tome 5, p. 220]

Ce combat des hommes contre le ciel, dans leur ardeur à bâtir, est le même au fond que celuide Jacob contre l'ange du Seigneur [Gen 32.23, cf. Mutus Liber ] ou que la révolte de Job contreYahvé. Remarquons, d'ailleurs, que l'athanor du bas-relief de Notre-Dame est une Babelstylisée. Le point commun, quoi qu'il en soit, repose sur le principe de la confusion dessentiments [je rappelle que la racine Bll , d'où est dérivé Babel, a le sens de confondre]. Dans cet orgueil oùest porté l'homme, de construire la porte du ciel, il y a tout autant un besoin de ressentir lesinfluences célestes que d'y participer par expansion. L'homme sauvage, dans cette visionanalogique, se transforme en « homme de l'homme » : en effet, la tour de Babel à l'instar du montMandara [cf. supra] a l'essence d'un axe et participe de ce moment différentiel que je viensd'évoquer. En cette polarisation des trois éléments , et mundus subterraneus [la figure du

Ploutos grec] s'organise l'opposition à Zeus. On comprend mieux, ainsi, le symbolisme de la

Maison- Dieu, XVIe arcane majeur du tarot [cf. le tarot alchimique].

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la Maison-Dieu, version Dodal

Cette lame, version renouvelée de la tour de Babel, est une allégorie sur le châtimentouranien frappant l'édification de la psyché. C'est, si l'on veut, l'archétype de l'inversion : laruine touchant la couronne humaine, c'est le geste de Prométhée donnant le feu à l'homme

sauvage, c'est-à-dire lui insufflant l'étincelle divine :

« ... le symbole de la Maison-Dieu ... devient ... comme le suggère Virel la prise de conscience véritable, la chutede la foudre sur la couronne de l'édifice rappelant le coup de hache de Vulcain sur le front de Jupiter sans lequel

Minerve, incarnation de la Raison, ne pourrait voir le jour. » [Dictionnaire des symboles, dir. J. Chevalier et A.

Gheerbrant, Laffont, 1982, p. 605]

On peut, dès lors, mieux définir le thème de l'inversion comme relevant avant tout d'unecésure ou d'une rupture radicale dans le processus d'expansion de la psyché et dont latraduction philosophique, relevée notamment par Fichte, est la limitation [cf. en particulier Essai

II, 1, d]. Rien d'étonnant à ce que l'on trouve, conjointement au thème du feu , celui du

sang, c'est-à-dire pour l'alchimiste, le sulphur . C'est en effet au sommet des montagnes que

se développe le violet [ion], couleur de la conjonction [i.e. de la sublimation]. À cela s'ajoute quela confusion de Babel représente :

« ... le châtiment de la tyrannie collective qui, à force d'opprimer l'homme, fait exploser l'humanité en fractions

hostiles ... Yahvé serait aussi ... une expression de la conscience humaine révoltée contre le despotisme. » [ibid., p.

93]

Par là s'affirme l'essence même de la limitation que j'ai en vue ; il s'agit d'une hiérophanie,autrement dit d'une manifestation du sacré dans un univers mental :

« ... le sacré se manifeste sous n'importe quelle forme, même la plus aberrante. En somme, ce qui est paradoxal,ce qui est inintelligible, ce n'est pas le fait de la manifestation du sacré dans des pierres ou dans des arbres, mais

le fait même qu'il se manifeste et, par conséquent, se limite et devient relatif. » [Mircea Eliade, Traité d'histoire

des religions, Structure et morphologie du sacré, Payot, 1959, p. 38 - les mots soulignés sont mis en exergue par

M. Eliade]

Eh bien ! Cette polarisation, cette fixation du sacré, au point où l'on peut parler de numina avecG. Dumézil [ibid., préface, p. 7] constitue la représentation même que l'on peut percevoir dans lephénomène de l'inversion en tant qu'il s'agit de restes, ou plutôt de transfigurations, de mana.J'emploie ce terme dans le sens restrictif considéré par M. Eliade :

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« ... la théorie qui considère le mana comme une force magique impersonnelle n'est nullement justifiée. Imaginersur cette base une étape préreligieuse (dominée uniquement par la magie) est implicitement erroné ... la magie nedomine pas partout la vie spirituelle des sociétés "primitives" ; c'est, au contraire, dans les sociétés plus évoluées

qu'elle se développe d'une façon prédominante. » [ibid., structure et morphologie du sacré, p. 33]

Il s'agit, en quelque sorte, d'une tentative de retour à l'homme sauvage mais sous une formedont on ose dire qu'elle est dénaturée en tant qu'elle n'est plus sous tendue par une structurearchétypale. C'est une partie de la question de l'inversion. Il paraît plus juste d'associer lemana au concept de prise de possession dans le sens de la prise de conscience [cf. supra] et d'yvoir un archétype « non constellé » dans l'acception où l'entendent Jung et M.-L. von Franz [cf.

Aurora consurgens et Hypnérotomachie]. On touche ici, sans doute, à ce qu'il y a de plus basal, à laracine même de ce que j'ai évoqué [cf. supra Cassirer in I, 2, a] touchant la projection formelle dusymbole.

C.G. Jung et M. Eliade, Casa Eranos, 1952

Le ciel, de tout temps, a été divinisé pour des raisons tenant à son immédiateté sensorielle,chose plus difficile à réaliser, a priori, pour les étoiles du monde souterrain [Anathasius Kircher,

Mundus subterraneus, 1678]. Aussi bien a-t-on disposé le souverain Bien aux étoiles du ciel etplongé, de même, le Mal dans l'Hadès où Pluton tient encore sa résidence. Le geste desbâtisseurs de tour ne peut donc s'interpréter, au plan symbolique, que si l'on considère que latour de Babel [c'est l'archétype] elle-même se pose comme épiphanie ou mana de l'antithèse d'unehiérophanie, c'est-à-dire d'une désacralisation.

c. la rivalité avec Zeus et le vol du feuLa désacralisation conçue comme essence même du processus d'inversion : tel est le lieu oùse constitue le moment différentiel. L'aperception de ce moment nécessite la mise enperspective de plusieurs éléments :

la situation d'un phénomène ;le rapport du sens interne à l'objet phénoménal [i.e. transformation du phénomène en noumène

et ses conditions] ;le concept d'objet dynamique en tant que l'appropriation procède autant de la réalitéque du sens que l'on appose à cette réalité [i.e. dialectique sens interne - intuition pure du

sensible] ;

Un phénomène est, par définition, représenté dans le temps, substance transcendantale s'il enest, au sens où elle peut subir une transformation radicale dans la psyché : la projection, c'est-à-dire l'anticipation.

« Les noms de Prométhée, "celui qui sait d'avance", "le prévoyant", et d'Epiméthée, "celui qui n'apprendqu'ensuite", "l'étourdi", se rapportent déjà à des êtres ayant besoin de prévoyance et menacés d'étourderie ; ils

montrent surtout que l'étourdi et le prévoyant sont indissolublement liés. » [Kerényi, op. cit., p. 212]

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L'inversion est ici, envisagée en situation archétypale : elle repose sur cette constante,définissant l'humain, que tout en se reconnaissant pour ce qu'il est l'homme ne sait pas sereconnaître en ce qu'il est. [confinement objet-sujet].

Le « Je suis donc j'existe » de Descartes peut à cet égard être avantageusement remplacé par le «Qui suis-je ? Je sens mon coeur » de Rousseau [Confessions, I, Pléiade, p. 5 cité par J. Starobinski in J.-J.

Rousseau, la Transparence et l'obstacle, op. cit., vii. les problèmes de l'autobiographie, p. 216], ce qui faitposer à A. Philonenko la question de savoir « si l'homme est à la hauteur de son essence » [cf. infra, II,

1, c]. C'est poser immédiatement le problème de la liberté puisque c'est elle qui médiatisel'inversion :

« ... Kant visiblement répugne à l'idée qu'un être doué de raison quoique sensible puisse commettre de grandscrimes dans un état d'esprit sain ... Cette perte d'esprit ... se trouve dans la force des penchants qui affaiblissent la

raison. Mais ces penchants dont naissent les vices ne sont pas encore les vices. » [A. Philonenko, l'Oeuvre de

Kant , II , v. la religion et l'histoire, la négativité en morale, Vrin, 1972, p. 228-229]

Cette projection « anticipative » se retrouve dans l'imprécation de Prométhée :

« Un jour viendra, j'en réponds, où Zeus, pour opiniâtre que soit son coeur, sera tout humble ... elle sera dès lorsde tout point accomplie, la malédiction dont l'a maudit Cronos, son père, le jour où il tomba de son trône antique.

» [Eschyle, Prométhée enchaîné, trad. Mazon, Les Belles-Lettres, 1949, vers 907-912, p. 193]

On prend ici la mesure de Prométhée christophore. L'homme est certes éclairé mais lalumière ne va jamais qu'à une certaine limite, analogue à un terminateur, où la zone depénombre ne renvoie bien souvent à la Raison, en écho, que la statue voilée de Pygmalion etoù la conscience perçoit le chant d'une sirène là où ne règne que le plus pur silence sidéral.

Pygmalion et Galatée,Agnolo di Cosimo di Mariano Tori (Bronzino), Galerie des Offices de Florence

Cette pénombre de la Raison, ou si l'on préfère de l'entendement [les termes ne se recouvrent pas

absolument], est l'un des facteurs principaux qui déterminent ce qu'il est convenu d'appeler «liberté », alors que les philosophes l'appellent limitation. Or, qu'est- ce que cette limitation,sinon cette ombre où MOI et SOI mêlent in fine leur histoire propre ? [cf. I, 5, b] Les opposéscèdent leur énergie dans le foudre de Zeus, à l'image du ciel qui n'est point la seule patrie del'éclair : il naît du ciel mais il naît aussi des eaux de l'orage. Entre Air et Eau : c'est le

lieu mercuriel où l'embryon hermétique est conçu :

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« C’est ainsi que l’arme de Zeus s’incarnant devient la fille de Zeus, la guerrière Athéna, qui, sous la hached’airain d’Héphaistos déchirant le crâne du ciel, bondit, brandit dans ses mains ses armes d’or resplendissantes,

et pousse un cri formidable qui fait retentir le ciel et la terre. » [Ludwig Preller, Carl Robert, Griechische

Mythologie, III, p. 56]

Je vais développer ces points dans le IIème Essai en mettant au premier plan des élémentsspécifiques de la pensée de Rousseau, placés en situation parallèle avec les héros deslégendes et mythes que j'ai évoqués.

IIèmeESSAI

II. LES ÉTATS SYMBOLIQUES DE ROUSSEAU

1. la révolution comme épiphanie

J'ai exposé quelques considérations sur la nigredo perçue comme intuition en gardant à

l'esprit que ce mouvement n'était pas primordial mais qu'au contraire, une phase préparatoiredécidait de son orientation. Et que cette phase s'organisait dans ce que j'ai nommé unenébuleuse ouranienne. Cette terminologie, pour abstraite qu'elle paraisse, fait voir, ce mesemble mieux que toute autre, le flou essentiel qui est à la base d'une déterminationquelconque, envisagée dans son acception transcendantale. Le « pléïomorphisme » même - sil'on me permet ce néologisme - des symboles alchimiques permet de donner un point de vueradicalement nouveau sur des moments de l'histoire, quelque domaine qu'elle recouvre, ycompris celui qui est propre à l'histoire pragmatique du MOI. Sans vouloir redonner desanalogies dont on trouve maints exemples dans mes pages [voir par exemple : symbolisme], je vaistâcher de préciser ce que j'appelle les « états symboliques » de Rousseau, éclairage qui jel'espère, permettra de clarifier le concept de mouvement ouranien.De tous les philosophes qui se sont penchés sur la question de l'histoire du MOI, Fichte arassemblé les idées les plus pragmatiques. Qu'est-ce qu'il y a donc de commun entre unmouvement populaire dont on peut dire qu'il est « radical » - la Révolution - et la symboliquealchimique ?

« la conscience honnête s'attache à la chose vide (Hegel, Phénoménologie de lEsprit, Ed.Aubier, trad. JP.Lefebvre, p.421), elle est "inculte irréflexion"et réduit les tensions et les antagonismes du monde à la platitude des

commandements qu'il faudrait observer attestant par là même de son impuissance ... » [Nicole-Edith Thévenin,

pouvoir, domination et liberté chez Kant, Fichte, Hegel. février 1995]

La « chose vide » recouvre ce qu'en philosophie l'on pourrait nommer la « vacuité conceptuelle. »Mais la « chose vide », c'est encore, par exemple, le progrès technologique qui n'est plusaccompagné de l'enrichissement culturel. C'est enfin le véritable ensemble vide séparant l'êtredu paraître. Voici Jean-Jacques.

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M. Rousseau, citoyen de Genève - Maurice Quentin de La Tour, 1753

En Allemagne, de même que dans les autres pays occidentaux, on était tellement enivré du progrès de lacivilisation, quon faisait de ce progrès la mesure de toutes choses et que le conventionnel, lapparencetrompeuse et frivole, semblait étouffer toute vie intime. La culture de l « Aufklärung » paraissait régner endespote. Cest précisément à cette époque que les livres de Rousseau sont tombés entre les mains dun desadmirateurs les plus résolus de l « Aufklärung » Kant. On connaît la célèbre page où le philosophe deKoenigsberg décrit la révolution que Rousseau effectua dans sa conception du sens de la vie. Il fut untemps où Kant croyait, avec la plupart de ses contemporains, que la dignité de lespèce humaine consistaitdans le progrès purement intellectuel et où il méprisait le peuple ignorant.

« Rousseau ma tiré de mon erreur, dit Kant. Je vois combien cette prétendue supériorité est vaine.Japprends à connaître le véritable prix de lhomme, et je me croirais beaucoup plus inutile que lestravailleurs vulgaires si je ne croyais que ce qui donne une valeur à tout le reste des choses, cest laconsidération des moyens pour restituer à lhumanité ses droits. »

Annales de la société J.-J. Rousseau, tome 8ème, Jullien, Genève, 1912 - I. Benrubi, Rousseau enAllemagne, p. 101.

a. Octobre 1749

C'est sur le chemin pour rendre visite à Diderot, alors emprisonné à la Bastille, que survientl'illumination qui donnera lieu au Discours sur les sciences et les arts [juin 1751. Mercure de France,

tome II - repris dans les Oeuvres complètes de Rousseau, tome I, Dalibon, 1826].

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Page de titre de la première éditionBibliothèque Publique et Universitaire, Genève.

Ce n'est pas du Discours que je veux parler mais de l'intuition première de Rousseau : à l'encroire, il eut le choc de sa vie en lisant l'annonce du Mercure de France :

« Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les moeurs. »

Pourvu que Rousseau ait dit la vérité [et l'on est en droit de se poser des questions objectives là-dessuspuisqu'il existe au moins trois versions de la lecture de l'annonce du Mercure de France, cf. Henri Gouhier,

Rousseau et Voltaire. Portraits dans deux miroirs, Vrin, 2002], on peut croire que le choc qu'il reçuten ce mois d'octobre 1749 porte bien la marque de l'inconditionné [cf. nos études échiquéennes,

surtout II et III ]. Il y eut, à cet instant, une véritable révolution. On pourrait penser que ces motssont excessifs mais ils ne font que traduire directement l'émotion de Rousseau, telle qu'il ladécrite lors du sentiment de « prise de conscience ». Toutefois, avant même la révélationd'octobre 1749, on peut évoquer un autre événement qui eut lieu dans l'enfance [cf. Confessions,

liv. Ier, O.C., I, 18-20] et sur lequel insiste Starobinski :

« La révélation du mensonge de l'apparence est subie à la façon d'une blessure. Rousseau découvre le paraître envictime du paraître. À l'instant où il aperçoit les limites de sa subjectivité, elle lui est imposée comme subjectivité

calomnieuse. » [Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l'obstacle, Discours sur les

sciences et les arts, p. 20 sq., op. cit.]

Outre la limitation de la subjectivité [cf. chapitre 5, b] où vient se briser le mouvement del'idéalisme vierge, c'est encore la marque temporelle de la souffrance, dans l'histoirepragmatique du MOI, qui laisse sa trace indélébile. Starobinski nomme justement ce momentcritique « le temps divisé et le mythe de la transparence » [op. cit., p. 22 sq.] et insiste sur « le voile de la

séparation » d'avec la seule époque où l'on est, peut-être, d'accord avec soi-même : l'enfanceinsouciante. Cet épisode dans la vie de Jean-Jacques possède un véritable caractèrearchétypal.

«... autrefois, avant que le voile ne se soit interposé entre le monde et nous, il y avait des "dieux qui lisaient dans

nos coeurs", et rien n'altérait la transparence et l'évidence des âmes. » [Starobinski, op. cit., p. 22]

Ces dieux que Rousseau semble rappeler de ces voeux ou implorer, pour ainsi dire, de cettenostalgie qui lui est si particulière, n'est-ce pas ceux-là même du panthéon olympien ? Et nepeut-on deviner dans ces ombres, le crépuscule de ces idoles qui demeurent, à nos coeurs,

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innocentes parce qu'elles n'ont été façonnées que de main d'homme ? Dans ce moment où lesubjectivisme primaire vient à sombrer, c'est le temps qui se découvre, où se dévoileindirectement la trace du mouvement ouranien.

« Alors commence une nouvelle époque, un autre âge de la conscience. Et ce nouvel âge se définit par unedécouverte essentielle : pour la première fois la conscience a un passé. Mais en s'enrichissant de cette découverte,

elle découvre aussi une pauvreté, un manque essentiels. » [ibid., p. 22]

Par l'exemple de Rousseau, il est possible de conceptualiser l'ordonnancement des époquesoù bourgeonne la conscience [où l'on trouve un lien avec les époques mythologiques, cf. processus

alchimique] et je ne peux cacher plus longtemps que le degré le plus élevé en a été dépeint àpropos de l'éducation :

« Émile est un traité de la bonté naturelle, parce qu'il propose une théorie du progrès de la conscience, déjàpeut-être l'ébauche d'une phénoménologie de l'esprit : la bonté naturelle, l'unité originelle et immédiate sontsusceptibles d'un développement qui permet d'atteindre, par le simple jeu de successives prises de conscience,l'unité au-delà de la multiplicité en une série d'intégrations qui, en même temps, situent le moi dans l'ordre

universel. » [P. Burgelin, la philosophie de l'existence de J.J. Rousseau, chapitre xix, Émile, PUF 1952, p. 504;

Vrin 2005]

Je veux néanmoins un instant revenir sur la pensée de Fichte pour dire quelques mots de laréflexibilité : ce concept représente l'un des acquis les plus originaux de son oeuvre et serapporte à la transition entre la philosophie de la vision [Sehen] et celle de l'action [Tun]. Cepassage, cette transition, je les trouve naturellement réalisés dans la nouvelle époque évoquéepar Starobinski et ce « nouvel âge » consiste dans la reconnaissance du processus de limitation[cf. supra chapitre 5, b]. Chez Rousseau, on voit que cette opération - du moins, à ce qu'il nous enrapporte - a commencé de prendre forme à l'occasion de la révélation du mensonge. Et quecette formulation a décidé pour partie du tour pris par son caractère. En définitive, c'est d'unevision numineuse qu'il s'agit et ce caractère nouménal est la signature d'un moment singulier,c'est-à-dire d'une fixation au sens alchimique du terme.

«Fichte précise que "la réflexivité comme comprendre du comprendre" est "une réalisation qui est exigée", etqu'ainsi : "l'unité du comprendre" est "une unité construite". Construction, réalisation, production, tels sont doncles premières expressions qui viennent remplir ce terme de réflexibilité, et il serait loisible ici de multiplier lescitations, puisque, quasiment à chaque paragraphe des premières conférences, surgissent des qualificatifs qui tousrelèvent de l'agir productif. Ainsi la réflexibilité doit se produire elle-même comme : "comprendre du comprendre"

et non dévoiler une nature antécédente. » [in Isabelle Thomas-Fogiel, LA NOTION DE « RÉFLEXIBILITÉ »

DANS LA WL DE 1813. Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, octobre 2003.]

C'est un effort de synthèse de l'aperception que Fichte exige sur la base de l'entendement. Ils'agit d'une intégration phénoménale et pas, à proprement parler, d'une simple observation duphénomène ; elle se rapproche d'une vision psychologique au lieu que l'intégration procèded'une optique métaphysique. Il y a pour ainsi dire la même distance entre la compréhension «simple » et la réflexibilité qu'entre l'être et le paraître. Ce que l'on peut encore fairecomprendre en caractérisant ce processus par l'objectivation radicale du MOI.

«Fichte estime, dans la WL de 1813, qu'avant lui : "le comprendre n'est qu'un reflet mort et passif de ce qui est

posé, donnant par ce rapport un hiatus, une scission dont tout ce qu'on a vu dépend » [Isabelle Thomas-Fogiel,

idem]

Nous sommes ainsi renvoyés à la séparation [voir chapitre 5, b] qui forme la base formelle dumouvement ouranien. Mouvement se définissant tout entier par l'accomplissement d'un acte

dans lequel est manifesté l'avènement de soi par soi, dans le sentiment de l'unité même [enkai pan]. Ce que Fichte précise comme « événement qui se fait "parce qu'il se fait" » : on aurait tortde ne voir ici qu'une tautologie puisqu'on est bien au centre du processus transcendantaldéfini par : « la conscience de soi EST la conscience du mal ». Car ce qui est le plus difficile àcomprendre chez Fichte, c'est le caractère de saisie - par essence dynamique - qu'il imprime àsa vision eidétique : la réflexivité peut, à cet égard, être comparée à l'horizon de l'idéalisme

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que j'ai évoqué supra : en effet, elle se pose comme asymptote - i.e. comme limite - de l'ÊTRE

dans la mesure où l'on ne peut définir de mouvement qui en produirait ou qui en contiendraitla manifestation, sauf à dire : « le MOI EST. »

b. l'opposition comme réflexivité

À présent, quel rapport entre la philosophie de Fichte et l'enfance de Rousseau ? La prise deconscience envisagée comme opposition entre MOI et Non MOI.

les Charmettes, habitation de Jean-Jacques Rousseau (entre 1734 et 1740)

«Le Non Moi ne peut limiter le Moi que s'il existe, et le Moi ayant été posé comme la seule réalité, l'existence du

Non Moi se présente comme quelque chose de paradoxal. » [E. Beurlier, J.-G. Fichte, Bloud, 1905, p. 19,

philosophie théorique]

Le MOI est posé comme seule réalité en tant qu'il procède de l'intégration du temps- duréedans son histoire pragmatique [cf. chapitre 1]. Et, point essentiel, le Moi se pose commedéterminé par le Non Moi. Au plan théorique, « l'histoire du Moi pratique » [Beurlier, J.-G. Fichte,

op. cit., p. 37] résulte de la mise en place entrelacée de trois éléments catégoriels [ou synthèses] :

la réciprocité et la causalité en sont les deux premiers. La substantialité est le 3ème élément :bien qu'il s'agisse d'une catégorie de relation [cf. Kant, CRP, Analytique transcendantale, table des

catégories, in trad. J. Barni, Gibert], ne relève-t-elle pas plutôt d'une modalité en tant qu'elle estmédiatisée par l'interaction spatio-temporelle ? :

« La permanence est ... une condition nécessaire, qui seule permet de déterminer les phénomènes, comme chosesou comme objets, dans une expérience possible. Mais quel est le critérium empirique de cette permanence

nécessaire et avec elle de la substantialité des phénomènes ? » [Kant, CRP, Analytique transcendantale,

deuxième analogie, trad. J. Barni, op. cit., p. 249]

On voit que, mutatis mutandis, la permanence du MOI où se trouve l'ÊTRE, d'abord comme MOI

naïf puis comme MOI réfléchi, rend possible par réflexivité de subsumer la conscience del'ÊTRE [le sentant] comme conscience de l'ÉTANT [le senti], c'est-à-dire in fine comme sensationcorrélative au phénomène :

« L'acte de celui qui élabore un produit artificiel est le phénomène lui-même, puisque la matière n'agit pas;toutefois la relation de celui qui a institué une expérience, n'est pas le phénomène lui-même dont il est question,

mais son concept » [J.-G. Fichte, Seconde Introduction à la Doctrine de la Science, in Oeuvres choisies de

Philosophie Première (1794-1797), trad. A. Philonenko, Vrin,1972, p. 266]

Cette sensation régit le degré de réalité qui entoure le MOI, ce qu'il faut comprendre en faitcomme ce même degré qu'il abolit, par réciprocité, dans la nécessité où le MOI est del'affrontement au Non Moi. De là, cette dialectique de « la transparence et de l'obstacle » quidéfinit bien ce chiaroscuro où se pose la relation comme modalité catégorielle. L'irruption de la

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réalité dans le Non Moi peut paraître à tout le moins paradoxale si l'on considère que laréalité siège - par définition - dans le Non Moi. Fichte dissipe l'équivoque d'une manièreradicale :

« Indépendamment de toute condition de temps et de relation à un objet quelconque, le Moi est l'origine de toute

activité. Par le Moi, et avec lui, est donnée toute réalité : il est, parce qu'il se pose, et il se pose, parce qu'il est. »[Beurlier, op. cit., p. 21]

Il n'y a là aucun paralogisme non plus que de sophisme. Simplement, Fichte touche icinécessairement aux limites de l'indicible [que l'on comprenne : l'esthétique du sens ou sentiment

transcendantal] et cette incertitude essentielle qui fonde notre ÊTRE se ressent d'abord ducaractère de son infinitude. Elle relève de cette disjonction entre MOI et Non Moi : l'irruptionde la réalité, c'est alors l'avènement de « l'oeil vivant » [voir notamment J. Starobinski, la Relation

critique , Gallimard, 1970], du regard extérieur par complémentarité au regard intérieur où setient, comme limitation ultime, la transcendance :

« Préalablement à toute théorie et à toute hypothèse sur l'état de nature, il y a l'intuition (ou l'imagination) d'uneépoque comparable à ce que fut l'enfance avant l'expérience de l'accusation injustifiée ... le drame de la chute ne

précède ... pas l'existence terrestre ; Rousseau transporte le mythe religieux dans l'histoire elle-même ... » [J.

Starobinski, la Transparence et l'obstacle, op. cit., I. Discours sur les sciences et les arts, p. 24]

Starobinski emploie ici indifféremment les mots intuition et imagination. Pourtant, ils ne sontpas équivalents : l'intuition paraît relever d'un niveau organisationnel postérieur à celui oùl'imagination agit [voir supra, chapitre 5, b]. L'intuition, selon Fichte, est une « contemplation muette

et sans conscience où (le Moi) se perd dans son objet. » et c'est par l'image envisagée comme réflexionéidétique - i.e. l'imagination ou perception que s'en fait l'entendement - que l'intuition esttransférée de l'Inconscient [SOI, partie du Non Moi] au Conscient [MOI].

Deux remarques :

lorsque Fichte énonce que le Moi se détermine lui-même, il sous-entend implicitementque c'est du fait de son activité absolue. Cette activité « existentielle pure » est à l'égale dece qu'en Morale, Kant nomme l'impératif catégorique ; elle fait partie de ces limitationsnaturelles où le MOI conscient se perd dans la transcendance ;la limitation construite, en revanche, est la défense naturelle où le MOI se trouved'interposer une limite à la contradiction émanée du Non Moi. L'apport de ladésobéissance est fondamentale dans l'élaboration de cette structuration. C'est en cesens que s'inscrit la solitude de Rousseau comme point d'ancrage de ce que Starobinskiappelle « la négation de la négation » [Transparence et obstacle, op. cit., III. la solitude, p. 49 sq.], oùl'on peut voir comme la rénovation de l'Idéalisme ou mieux, comme un regressus ou uneréincrudation au sens alchimique du terme :

«Lorsqu'il se console des déboires de la vie en évoquant le souvenir du bonheur passé, sa mémoire s'orientetoujours spontanément vers ces moments privilégiés qui ... semblent échapper à l'érosion du temps : Bossey,

Annecy, l'idylle de Thônes, celle des Charmettes, l'Ermitage, le Petit-Château de Montmorençy, l'île Saint-Pierre...

» [Georges May, Rousseau par lui-même, coll. Écrivains de toujours, Seuil, 1961, la paix de l'âme, p. 179]

Ce regressus qui est le propre de l'âge, c'est encore celui de la prime enfance lorsque leNon-Moi, face au Moi, se pose comme sa négation absolue et qu'il acquiert une qualitésubstantielle en tant qu'il impose sa propre limitation :

« ... Mais comme vous n'exigez rien d'eux qui ne leur soit désagréable, et qu'il est toujours pénible de faire lesvolontés d'autrui, ils se cachent pour faire les leurs, persuadés, qu'ils font bien si l'on ignore leur désobéissance;mais prêts à convenir qu'ils font mal s'ils sont découverts, de crainte d'un plus grand mal. La raison du devoir

n'étant pas de leur âge, il n'y a homme au monde qui vînt à bout de la leur rendre vraiment sensible ... » [J.-J.

Rousseau, Émile, oeuvres complètes, tome II, Fioussiaux, 1852, p. 438]

La « raison du devoir » tend la main à l'impératif catégorique kantien et le « sensible », à

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l'intuition pure du sensible, envisagé comme perception du donné [cf. mes études

échiquéennes, III ]. Car c'est cette intuition élémentaire [voir chapitre 5, b] qui permet àl'entendement de poser le Non Moi comme « négation de la quantité absolue du Moi » pour endégager l'orientation de l'altérité.

Johann Gottlieb Fichte (1762-1814)

c. Fichte, critique de Rousseau

On sait le rôle majeur, générateur d'une véritable polysémie, que la pensée et la personnede Rousseau ont joué dans l'édification de la pensée allemande. Fichte a donné un texteoù il critique les réflexions de Jean-Jacques :

« J’ai fait consister la destination de l’homme dans le progrès constant de la culture, et le développementcontinuel et uniforme de toutes ses facultés et de tous ses besoins, et j’ai assigné une place très honorabledans la société humaine à la classe d’hommes qui doit veiller sur la marche et l’uniformité de cedéveloppement. Personne plus que Rousseau n’a soutenu aussi positivement et avec autant d’apparence deraison et de puissance d’éloquence, une opinion plus opposée à cette vérité ! Pour lui, le développement dela culture est la seule cause de la corruption des hommes; il n’est de salut pour eux que dans l’état denature, et, ce qui est tout-à -fait conséquent avec ses principes, cette classe d’hommes qui travaille le plus àfaire l’éducation du genre humain, la classe des savants, est la source et le centre de toute misère et de toutecorruption. Ce principe est avancé par un homme qui avait développé à un très haut degré ses facultésintellectuelles. Avec toute la supériorité que lui donnait cette culture remarquable, il travailla autant qu’il leput à convaincre l’humanité de la justesse de ses idées, et de la nécessité de retourner à cet état de naturequ’il prônait. Pour lui, revenir en arrière, c’est avancer; et le but suprême auquel doit enfin arriverl’humanité, aujourd’hui corrompue et dépravée , est cet état de nature abandonné depuis longtemps. Il fit enconséquence ce que nous faisons; il travailla pour la faire avancer à sa manière et pour hâter sa marchevers sa destination dernière. Il fit donc précisément ce qu’il blâmait si amèrement; il y avait contradiction

entre ses actions et ses principes. » [Fichte, De la destination du savant et de l'homme de lettres, 5ème

Leçon, Examen de l'opinion de Rousseau concernant l'influence des arts et des sciences sur le bien de

l'humanité, Paris : Ladrange, 1838, p. 87 sq.]

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frontispice de l'Émile ou de l'Éducation

C'est le lieu, aussi, de citer Philonenko : « l'homme n'est peut-être pas à la hauteur de son essence.» dans le commentaire qu'il donne sur Kant dans la Philosophie critique, tome 2 : Morale et

Politique [Vrin, 1972]. Fichte constate l'apparente contradiction interne du système deRousseau posant d'un côté dans les Discours et l'Émile le retour nécessaire à l'humanitéprimordiale, sinon primitive et d'un autre côté, collaborant à l'Encyclopédie de Diderot dansl'entreprise révolutionnaire du développement de la culture ! Plusieurs questions seposent :

dans quelle mesure peut-on affirmer que Rousseau est en contradiction réelle avecle fonds de sa doctrine ?la progression régressive où Jean-Jacques affirme la nécessité du retour à la naturepeut-elle trouver son analogon dans ce que les alchimistes nomment laréincrudation ?la discrépance qui consiste en cette interaction, où l'on peut encore deviner unegrandeur négative [au sens kantien du terme] entre corruption des moeurs, de la moraleet progrès des sciences et techniques, tient-elle lieu de mesure à la réflexion dePhilonenko ?

auxquelles un dénominateur commun peut tenir lieu sinon de réponse du moins d'hypothèse :la prise de conscience où se dévoile la schizoïdie de Jean-Jacques et, partant, la singularité deson raisonnement :

« Son tempérament le portait à la déformation du réel. Son émotivité est si grande, la sensation le choque siviolemment, qu’il est incapable d’agir avec sang-froid, de tenir une conversation et que le présent reste pour luiopaque:

"Je ne vois bien que ce que je me rappelle et je n’ai de l’esprit que dans mes souvenirs. De tout ce qu’on dit, de toutce qu’on fait, de tout ce qui se passe en ma présence, je ne sens rien, je ne pénètre rien. Le signe extérieur est tout cequi me frappe. Mais ensuite tout cela me revient: je me rappelle le lieu, le temps, le ton, le regard, le geste, lacirconstance, rien ne m’échappe. Alors, sur ce qu’on a fait ou dit, je trouve ce qu’on a pensé; et il est rare que je me

trompe"

(Confessions, livre III)

» [Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, t. 23, 1934, Contribution à l'étude psychologique des Rêveries

du Promeneur solitaire. La vie du souvenir. - Le rythme lyrique, par Robert Osmont, introduction, pp. 7-27]

On voit bien en quoi l'obstacle, chez Jean-Jacques, précède la transparence [cf. J. Starobinski, op.

cit.] et pourquoi les figures de masque comme Pygmalion ont tant d'importance puisqu'elles

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permettent de dévoiler une réalité rêvée, par fixation d'un éidos prolifique. Jean-Jacques,souvent, est incapable sous le coup du sensible ou de ce que Sartre nomme « vécu immédiat de la

conscience » [Esquisse d’une théorie des émotions, Paris, Hermann, 1938, p. 11], de conceptualiser sonressenti dans le moment et de partager le présent avec autrui. Au contraire, ce présent est pourlui l'occasion de l'intuition ressentie comme vortex de ténèbre ou de crise interne, et sonsentiment se dissout littéralement, à l'instar de la matière des alchimistes, par l'opération de lanigredo .

« L’impossibilité d’atteindre aux êtres réels, dit Rousseau, me jeta dans le pays des chimères, et ne voyant riend’existant qui fût digne de mon délire, je le nourris dans un monde idéal que mon imagination créatrice eut bientôt

peuplée d’êtres selon mon coeur » [Rousseau, Confessions, livre IX]

Cette dissolution, et en cela il s'agit d'une progression régressive [cf. supra Essai I, 6, a], vapermettre à Jean-Jacques d'élaborer tout un processus de sublimation, semblable à celle desalchimistes, dont l'objet sera l'expression transfigurée, recodée, de ce vécu immédiat qui lui estsi pénible :

« Il voulait que la rupture s'accentue jusqu'aux limites de l'intolérable ... où l'ennemi imaginé devient un amiretrouvé : il s'éloignait douloureusement jusqu'à l'extrémité du monde, jusqu'aux plus noires profondeurs de la nuit,

pour voir soudain jaillir la lumière de la présence réparatrice. » [Jean Starobinski, la Transparence et l'obstacle,

op. cit., VI. les malentendus, p. 163]

C'est la trajectoire de la prima materia entre le moment où elle est saisie du gîte minier [les

alchimistes parlent de « prise de possession » là où les psychologues disent « prise de conscience »] et celui oùelle est livrée au Mercure dans l'athanor ou oleum vitri [maison de verre]. C'est là que

surviennent la dissolution et la sublimation. Le moment insoutenable pour Jean-Jacques, qui leconduit à une situation de mutisme, est celui où porteur d'un sentiment dont le sens tourne mal,au sens premier du terme, il se réfugie d'instinct, par intuition [et c'est là où se dispose la nigredo ]

est-on tenté d'ajouter, dans le silence. Tourné en radicalité [voir Essai I, 6, b], son esprit s'orientepar renversement dans le sentiment du retour où l'on est en droit de voir à l'oeuvre laréincrudation des alchimistes :

« S'éloigner, c'est vouloir et subir la nuit, l'opacité. Puis la joie du retour rétablit miraculeusement une nouvelle

transparence. » [idem, p. 164]

Aux Charmettes - La chambre de Rousseau, le secrétaireCliché Musées de Chambéry

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On devine tout un processus de lente maturation semblable à celui du quartz dans les veines dela Terre qui dans certaines conditions reste opaque, alors que dans d'autres, il se transforme enmatière hyaline [voir mon Mercure de nature]. L'agent de minéralisation est assimilable à laconcrétisation de l'idée et à la fixation du sentiment. Il suit cet état si instable où le « vécu

immédiat » de Jean-Jacques est à l'égal de la roche suréchauffée que l'on étonne par l'eau : ledéséquilibre interne provoque la pulvérisation :

« Le sentiment plus prompt que l'éclair vient remplir mon âme, mais au lieu de m'éclairer, il me brûle et m'éblouit.

Je sens tout et je ne vois rien. Je suis emporté mais stupide. » [Rousseau, Confessions, liv. III, I, 113]

Rendre manifeste l'occulte rassemble une bonne part de la doctrine alchimique et cette actiondu dévoilement permet à Jean-Jacques de découvrir en lui-même [voir Crasselame, la Lumière

sortant par soy-même des Ténèbres] et par lui-même la proximité de la transparence originellecomme l'indique Starobinski. En cela, nous allons rejoindre les réflexions de Fichte touchant àRousseau :

« ... et cet "homme de la nature" qu'il avait cherché dans la profondeur des âges, il en retrouve maintenant les 'traitsoriginels" dans la profondeur du moi. Celui qui sait rentrer en soi-même peut voir resplendir à nouveau le visage du

dieu submergé, délivré de la "rouille" qui le masquait. » [J. Starobinski, la Transparence et l'obstacle, op. cit., I.

Discours sur les sciences et les arts, le dieu Glaucus, p. 30 sq.]

Et d'abord, comment ne pas réfléchir soi-même sur cette relation, que propose Starobinski,entre le masque du dieu Glaucus, tellement défiguré par les éléments qu'il « ressemblait moins à un

dieu qu'à une bête féroce » [Discours sur l'origine de l'Inégalité, préface] et la résurgence où laconnaissance de SOI jaillit de l'obscurité comme d'une intuition primordiale. En somme :l'homme, dit Rousseau, est pareil à cette statue érodée du Dieu Glaucus. Et là encore, cette

rouille, ce vert-de-gris ne rappelle-t-il pas l'ioV des alchimistes, cet état radical du métal [voir

l'humide radical] que l'Artiste doit savoir cultiver avant que de l'enter dans une terre appropriée ?Tel se trouve l'homme en société. Pour retrouver la statue, il faut enlever ce qui la défiguremais enlever, c'est agir en regressus c'est-à-dire ramener l'homme en un état antérieur sansgarantie qu'il ne retrouvera pas les conditions qui ont, précisément, conduit à cet état decorruption.

« Ce que nous avons dit de l'âme est vrai par rapport à son état présent. Aussi bien l'avons-nous vue dans l'état onl'on pourrait voir Glaucos le marin : on aurait beaucoup de peine à reconnaître sa nature primitive, parce que lesanciennes parties de son corps ont été les unes brisées, les autres usées et totalement défigurées par les flots, et qu'ils'en est formé de nouvelles, composées de coquillages, d'algues et de cailloux. Ainsi l'âme se montre à nous

défigurée par mille maux. » [Platon, République, X, 611d, trad. Robert Baccou, GF, 1966]

Pour retrouver l'homme naturel, il faut retirer ce que la société l'a fait être. C'est là où Fichtemanifeste une opposition radicale :

« Par quoi Rousseau a-t-il pu être porté à ce singulier principe, principe déjà soutenu par d'autres avant lui, maisen général opposé à l'opinion commune ? L'avait-il déduit logiquement de quelque principe plus élevé ? Non ;Rousseau n'a pénétré d'aucun côté jusqu'aux principes de la connaissance humaine, il ne paraît pas même s'en êtreposé la question. Ce qui est vrai pour lui se fonde immédiatement sur son sentiment; aussi ce qu'il sait a les défautsde toutes les connaissances qui se basent sur un sentiment non développé, c'est-à-dire que ce qu'il sait est en partieincertain, puisqu'on ne peut jamais rendre un compte exact de son sentiment, et en partie mélangé d'erreurs et devérités, parce qu'un jugement qui part d'un sentiment non développé donne toujours comme équivalent ce qui ne l'estpas. Le sentiment ne se trompe jamais; mais le jugement se trompe en interprétant mal le sentiment, et en prenant un

sentiment complexe pour un sentiment simple. » [Fichte, op. cit., p. 89-90]

Fichte donne ici à entendre que Jean-Jacques fait de sa doctrine une sorte de syllogisme.Aveuglé par la pureté du sentiment, le quartz hyalin de tout à l'heure, égaré par la vivacité deson imagination, la raison de Jean-Jacques a tout du frêle esquif : on dirait le vaisseau desArgonautes, jouant du sort de la colombe lancée par Aristée, avant que d'oser doubler lesredoutables Symplégades. Ce que Fichte reproche à Rousseau est de tout parier, pour ainsidire, sur un sentiment dont il craint légitimement qu'il ne soit pas complet, c'est-à-dire qu'il

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n'ait point les caractères d'une monade. Si l'on applique le système de Rousseau, on privel'homme de raison et on aboutit à un non sens à la fois logique et métaphysique, choseinacceptable aux yeux de Fichte :

« Allons plus loin, et demandons-lui à quoi il voulait employer cette paix imperturbable; sans aucun doute ce quil’occupait dans les moments de paix dont il jouissait, c'est-à-dire à méditer sur sa destination et ses devoirs, pourennoblir par là et Iui-même et ses frères. Mais comment aurait-il pu le faire dans cet état de sauvagerie qu’il désirait? Comment aurait-il pu le faire sans cette éducation préalable, qui n’est que le fruit de la culture ? Sans s’enapercevoir, il faisait sortir de cet état de nature toute la société par l'éducation, qui ne peut s’obtenir qu’en s'élevant

au-dessus de cet état de nature ... » [ibid. pp. 97-98]

C'est là où Fichte pense démolir la doctrine de Rousseau, poussé par le sentiment dans cettesorte de progression absurde [cf. Essai I, 6, a]. Toutefois, ce qui domine dans l'interprétation deFichte, c'est un positivisme où l'expansion du progrès est seul garant du bonheur :

« C’est devant nous que se trouve ce que Rousseau, sous le nom d’état de nature, et ces poètes sous le nom d’âged’or, voulaient placer derrière nous. C’est là ce qu’on trouve souvent chez les anciens, qui, pour le dire en passant,

peignaient ce que nous devons être, comme quelque chose que nous avions déjà été ... » [ibid., p. 99]

J'ai évoqué supra cette image en miroir de la progression régressive qui semble bien constituerune part importante du « problème Rousseau » en tant qu'il est responsable de contresens mêmelorsque le commentateur, Fichte, énonce le vrai sans en apercevoir sa substance. Car ce queJean-Jacques veut faire valoir, c'est cette connaissance par sentiment - qui procède d'uneprojection purement instinctive - où il démontre que « l'homme de l'homme » se réduit fatalement àn'être plus, comme l'écrit Philonenko, « à la hauteur de son essence. » Voilà ce qui conduit Fichte àénoncer :

« Jouir toujours, autant que possible, et faire toujours aussi peu que possible, c’est là le désir de la nature pervertie,et les divers essais qu’elle fait pour l’accomplir sont les vices. Il n’est point de salut pour les hommes avant d’avoirvaincu cette mollesse, et d’avoir trouvé dans l'activité, et dans l’activité seule, sa joie et son bonheur. C’est en cela

que consiste la plus grande douleur que produit le sentiment du besoin : elle doit nous porter à agir. » [ibid., pp.

100-101]

Il est possible que Tolstoï est repris bien des choses à Kant et Fichte ; notamment si l'onconsidère les traits du prince Bolkonsky [Guerre et Paix, livre I, xv - Tolstoï s'est inspiré également de

Pestalozzi (1746-1827), célèbre pédagogue suisse, promoteur de l'éducation populaire et disciple de Rousseau] quine jure que par l'intelligence et l'activité. Si je cite Lev Tolstoï, c'est bien sûr parce qu'il estintimement mêlé à Rousseau sous le rapport spirituel. J'y reviendrais [cf. section II]. Pour l'heure,il est nécessaire d'aborder l'une des constantes de la pensée de Jean-Jacques, que l'on peutsimplifier à l'extrême par le système binaire « inversion - conversion », là où d'autres parlent d'unsystème triple « innocence - péché - rédemption ».

d. l'ellipse comme limitation de la révolution

Je vais intégrer dans ce § deux éléments :

d'une part, dans l'alchimie, la nigredo ou l'intuition considérée comme base de

l'imagination ;d'autre part, dans le système post critique de Fichte, l'intersubjectivité considérée commemesure des contradictions MOI - NON MOI. C'est revenir sur le concept de limitation [cf.

supra, Essai II, 1, b]

Quand Fichte critique Rousseau, il omet de considérer une dimension fondamentale chez lephilosophe français : la rédemption. C'est par la considération de la rédemption que l'onparvient à intégrer de manière logique le retour à la nature prôné par Jean- Jacques. Larédemption va ainsi dans le sens d'un « retour sur soi », c'est-à-dire d'une tentative deressourcement dans l'intuition primitive. Si l'on tient compte que c'est en définitive l'histoirepragmatique du MOI qui conduit à ce mouvement, on est fondé à penser qu'il n'y a là, en dépit

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de ce que dit Fichte, aucune contradiction. Cette histoire, quelle est-elle ?

« Naturellement, sinon nécessairement, les hommes employèrent d’abord leur intelligence, non à maintenir l’état denature dans son intégrité, mais à combattre les obstacles qui menaçaient leur existence. Ils allèrent au plus pressé etse donnèrent tout entiers à la tâche actuelle. Alors se produisit un état qui n’était plus le développement, mais lerenversement du premier. Tandis que, dans celui-ci, le sentiment avait la primauté, l’intelligence, si elle intervenait,ne le faisant qu’à son appel et comme son instrument, il advint que, l’accroissement de ses forces étant devenu, pourl’homme, l’intérêt prépondérant, et la science, produit de l’intelligence, étant la grande multiplicatrice de la force,

l’intelligence prit le dessus dans l’âme humaine, et se subordonna le sentiment. » [Émile Boutroux, remarques sur

la philosophie de Rousseau, Revue de métaphysique et de morale, 1912, année 20, n°3, 265-274, p. 266]

Aux Charmettes - clavicorde

L'un des moments clef de cette histoire est que l'intelligence subsume le sentiment et relègue,ce faisant, dans une sphère plus éloignée ce que Kant nomme l'intuition pure du sensible :

« ... l'intelligence divine est intuitive, non discursive, elle voit toute la vérité en une seule idée, sa volonté n'a pasbesoin d'instruments, sa bonté, sa justice sont pures expressions de l'unité maintenue. Or, cela nous demeure

incompréhensible, l'argumentation reste en chemin, notre sentiment est inexprimable. » [P. Burgelin, la philosophie

de l'existence de J.J. Rousseau, XV. le problème de Dieu , PUF, 1952, p. 410]

Burgelin pose, d'accord avec Jean-Jacques, que nous n'avons pas d'idée claire de notre âme.Acceptons donc par hypothèse l'opinion que cette partie de la psyché où est voilé le sentimentdu divin - que nous pouvons aussi bien appeler l'inconscient [cf. note 2 sur l'activité créatrice dans le

commentaire sur Cassirer] - équivaut à la limitation [cf. Essai I, 5, b] où se trouve le MOI ; c'est làqu'intervient :

« ... la seconde phase, celle du péché, ou de la chute. Sous le règne despotique de l’intelligence se formèrent, àl’aventure, sans préoccupation des fins de l’individu, c’est-à-dire des fins naturelles de l’homme, et au mépris del’égalité naturelle de tous, les groupes appelés sociétés. Dans ces sociétés se développèrent, sous le nom de lettres etd’arts, des créations où l’esprit dominait le coeur, et qui, par suite, n’étaient elles-mêmes que des instruments de

corruption. » [Boutroux, ibid., p. 266-267]

Mais ici, en contrepoids, on peut faire intervenir l'activité de Fichte par quoi s'équilibrent MOI

et NON-MOI car il n'est pas douteux que la création culturelle joue un rôle dans l'édification del'intelligence. Qui plus est, un état de déchéance [la confusion des sentiments en un sens] peut être labase d'une nouvelle orientation du sensible, par quoi la vertu retrouve son assise. Et cetteorientation, pour la société, est celle qui trouve dans l'État son successeur et sans doute sa fin :

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« L’État est la puissance que les hommes doivent nécessairement instituer, s’ils veulent rentrer plus complètementpossible, en possession de la liberté et de l'égalité dont les a privés la société actuelle. II repose sur un contrat idéal,par lequel l’homme se soumet à la puissance qu’il crée, à condition que celle-ci lui assure la jouissance des biens

qui font à ses yeux le prix de la vie. » [ibid., p. 268]

J'ai dis tout à l'heure que le concept de rédemption permet de jeter une lumière neuve sur leretour à la nature que prône Jean-Jacques, retour que l'on peut prendre de façon naïve commeun regressus. Il n'en est rien. Si je considère l'argumentaire alchimique, il est possible d'assimilerla société corrompue au vieux roi dont parle Jung [Mysterium conjunctionis, II , trad. Albin Michel,

1982, IV. Rex et regina, p. 13 sq.] qui est une représentation du mercurius senex :

« ... Pour cette raison, ils (les philosophes) ont prédit que, dans les derniers temps, un homme très pur (putissimushomo), par lequel le monde sera libéré, viendra sur la terre et laissera tomber des gouttes sanglantes de couleur

rose ou rouge par lesquelles le monde sera racheté de sa chute dans le péché. » [Jung, les Racines de la

conscience, VI. l'arbre philosophique, trad. Buchet-Chastel, 1971, p. 450]

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 37r, 1607 [cliquez pour une autre version]

Je ne veux retenir de la vision apocalyptique de Dorneus [que Jung tire du De genealogia Mineralium

atque metallorum omnium, TC, I, pp. 568-591] que l'hypostase du mouvement ouranien [Essai II, 1, a]où est voilé le processus de rénovation : c'est là que vient se nicher le germe de l'idéerévolutionnaire. L'aquarelle du De Lapide [Salzbourg, bibliothèque universitaire, Cod. M I 92, 37r.] revêt àce titre un sens singulier : dans cette version le phénix remplace la salamandre [Musaeum

hermeticum, 337-373, p. 361 ; Dyas Chymica tripartita, 4. 87-117, p. 107]. Le symbolisme s'en trouvedécalé dans le temps ; en effet, la salamandre exprime avant tout la permanence [voir Fontenay-

le-Comte, II, 1] par sa résistance au feu ; on la voit tourmentée sous les coups du trident de

Neptune, c'est-à-dire de l'eau . On devine intuitivement l'image de l'eau ignée des Sages ou

Mercure philosophique. On y distingue les deux composantes du patient et de l'agent [cf. Essai I,

4], hypostasiées par le fixe et le volatil. Et l'élément le plus important, peut-être, est représentépar la fumée arsenicale qui symbolise - dans les deux versions - la sublimation. C'est là l'espritdu roi Duenech :

« C’est pourquoi Duenech est introduit par Pharut dans le bain laconien pour qu’il y transpire et se débarrasse parles pores des fèces de la troisième cuisson. La disposition de ce roi est mélancolique et atrabilaire et, pour cetteraison, sa valeur et son autorité sont en moindre estime que celles des autres princes : on lui impute en effet le

caractère morose de Saturne et la colère ou la fureur de Mars. » [Michel Maier, Atalanta fugiens, xxviii ]

Nous retrouvons dans la permanence de l'eau mercurielle le caractère essentiel du serpentOuroboros, c'est- à-dire la nigredo . Autrement dit, la salamandre exprime un état ancestral,

archétypal, où rien n'est destiné à changer. C'est ce qui est symbolisé, dans le texte de Maier,par la mélancolie. Il reste à compléter ce tableau par la bipolarité résultant de et de qui

conduit à un précipité spirituel :

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Alchimie de Flamel, MS. Français 14765 [Supp. Fr. 680], Pratique - Denis Molinier

Cette image bipolaire est représentée par le symbole de la terre vitriolique, située en partiegauche de l'aquarelle. On remarque, en-dessous, une clef et un sabre qui indiquent le moded'emploi. La clef ouvre le corps du métal, permettant l'accès à l'humide radical [cf. Essai I, 6, a] ;le sabre chalybé donne le nom, par cabale, du caput mortuum : le tartre stibié ou mieux chalybé,autrement dit l'arcanum duplicatum [cf. Philalethes, Introitus apertus ad occlusum regis palatium, autore

anonymo Philaletha philosopho, , Amstelodami : J. Janssonium, 1667 - III. De Chalybe sophorum, p. 6]. C'est ceque l'on nomme encore la « tête de mort » dans l'opération de l'aqua sicca.À côté de la salamandre, son complémentaire : le phénix. Pourtant, à la nigredo ou

dissolution radicale, s'oppose la sublimation ; à la permanence de la salamandre où s'exprimela mélancolie s'oppose le renouveau du phénix en un moment singulier, celui où se manifeste

l'incomplétude, le manque [elleipw]. C'est encore le résidu dont parlent les alchimistes quand,précisément, ils entendent parler du caput mortuum. En ce rien, gît tout ainsi qu'on peut lire sur lephylactère de l'un des caissons [n°1, série 7] du château de Dampierre-sur-Boutonne. Cesentiment du manque se traduit au plan philosophique par une transition fondamentale : laformation, à partir du cercle de la nigredo, d'un moment différentiel où s'ébauche l'ellipse.C'est ce qu'en termes alchimiques, on nomme la transition vers l'albedo, autrement dit l'aurora

consurgens.

** *

On trouve dans la naissance de l'État ce phénix qui permet à l'homme avili de corruption derenaître, pour ainsi dire, de ses cendres sans rétrograder à la nature sauvage, opération oùFichte voit un non sens complet :

« L'État donne un corps à l’universalité du désir qu’ont les individus de s’appartenir à eux-mêmes; il est lacondition de réalisation de ce désir même. Dès lors, par delà les frontières de l'État, s’ouvre le champ, infini et

entièrement libre, de, l’activité individuelle. » [Boutroux, op. cit., p. 268]

L'État correspond ainsi à la restitution, dans la société, de l'ordre naturel par quoi s'exprime :

« ... la subordination de l’intelligence au sentiment, lequel, depuis la chute, n’est plus simplement l’instinct, mais est

devenu, proprement, ce qu’on appelle le coeur. » [ibid., p. 269]

On remarque encore l'analogie profonde entre ce mouvement spirituel de rénovation de lasociété et le processus de réincrudation alchimique ; car la résurgence du coeur, momentcrucial où l'on voit le sentiment subsumer la raison, représente cette parousie superposable à larenaissance du sulphur dépuré. C'est bien là ce qui est exprimé par la figure du phénix et

notamment dans l'aquarelle du MS de Salzburg. Cette transition radicale, nous en trouvonsencore l'image géométrique dans l'ellipse car son tracé requiert l'utilisation conjointe de deuxcercles.

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l'ellipse est la courbe d'équidistance du foyer F et du cercle directeur bleu

Si par analogie je considère que le cercle de centre F' décrit le MOI et que celui de centre M

décrit le NON-MOI, alors l'ellipse de foyers F et F' représente la limitation [cf. Essai I, 5 b]résultant de l'impulsion immédiate [instinct] et de la réaction [réflexion]. C'est, idéalementparlant, la trace de la prise de conscience. Cette interaction - dont je rappelle qu'elle forme l'undes principaux sujets de recherche pour Fichte - peut être élargie aux éléments catégoriels de lapsyché :

« On ne saurait trop insister sur la nécessité de croire, avec Rousseau, que le problème. ne peut être judicieusementrésolu par l’annihilation pure et simple de l’une de ces puissances au profit de l’autre. Il ne s’agit pas ici du rapportlogique entre deux concepts contradictoires A et non-A, dont l’un, s’il est posé, supprime nécessairement l’autre. Ils’agit de deux réalités contraires à certains égards, mais également irréductibles et nécessaires, qui ne vivront dans

un état de paix que si elles sont reliées entre elles et harmonieusement unies. » [ibid., p. 270]

Boutroux entend parler de la réflexion et du sentiment qui s'opposent tels le Mercure et le

Soufre des alchimistes. Contrairement aux rapports MOI/NON-MOI que l'on peut évoquer a

priori de manière contradictoire, l'antinomie du sens et du sentiment n'existe pas ; c'est bienplutôt d'une dualité complémentaire qu'il faut parler, à la façon de l'aspect dual [onde/particule]que revêt un corpuscule lorsqu'on le soumet à la mesure. Cette harmonie, qu'évoque Boutroux,requiert pour se manifester un médiateur, un tiers-agent dans lequel les alchimistes voient lafigure du vicaire. C'est le milieu nécessaire pour lier les extrémités du vaisseau de nature {,

} en sorte de provoquer une attraction par « amitié » et sans « discorde » pour reprendre les

termes d'Empédocle [cf. introduction]. Or ce milieu, on le trouve naturellement réalisé, engéométrie, par l'ellipse quand on forme, par projection, ses foyers.

De Lapide philosophorum, Lambsprinck, Salzburg, M I 92 - 40r, 1607 [cliquez pour une autre version]

On voit sur cette aquarelle, à droite, le vicaire ou conducteur d'âme, c'est-à-dire lepsychopompe chargé de l'opération de la conjonction [même image - Clef VI - dans les Douze Clefs de

philosophie, attribuées à Basile Valentin] : corpus, spiritus et anima hic subintelliguntur. Plusieurs questions,ici, sont posées :

quel est le but de la conjonction ?

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sur quels « principes » opère-t-elle ?quel est le rapport analogique avec la construction de l'ellipse ?que se passe-t-il si la conjonction vient à manquer ? [voir infra, 1, e]

À ces questions, le schéma 1 apporte un début de réponse.

schéma 1 : ellipse, alchimie et quintessence

La conjonction des principes élémentaires {, } permet la constitution d'un Mixte, c'est-

à-dire d'un sel. Cette substance où, selon les critères d'Empédocle, amitié et désordre trouventleur équilibre stable, est un cristal. Le schéma 1 montre que les principes élémentaires sontprojetés sur les deux cercles de centre F' [cercle directeur] et M . La dissolution ou nigredo ,

que les alchimistes nomment encore putrefactio, résout les principes en leur humide radical,point de départ pour leur évolution en « principes principiés » {, } selon les termes

d'Artephius :

« La matière première unique, nommée chaos, semence, substance universelle, se compose de deux principes, unisen proportions variables suivant les divers corps; ces deux principes, attirés sans cesse l'un vers l'autre, sont le

Soufre et le Mercure ... » [L.-A. Hallopeau, les théories des alchimistes, Revue générale des sciences pures et

appliquées, t. 29, 1918, pp. 246-250]

L'irruption de la réalité dans le MOI peut être regardée comme l'avènement de « l'oeil vivant », duregard extérieur par opposition au regard intérieur qui est l'une des formes que prendl'aperception du transcendantal. Mais en réalité, c'est-à-dire si l'on pose le problème au planpragmatique, il est clair que l'opposition signalée par Fichte, si elle est absolue dans sa forme,ne l'est pas dans sa pratique et, qu'à cet égard, on peut trouver dans le principe action-réactionla médiatisation de sa dialectique. Plus précisément, son point d'équilibre est retrouvé dans lalimitation réciproque ; l'ilustration en est le principe de l'ellipse que je viens d'évoquer :

« Le Moi n'est pas posé dans le Moi, quant aux parties de la réalité en lesquelles le Non Moi est posé, ce que ledeuxième principe autorise à admettre. Mais le Moi est posé en tant que le Non Moi est posé. Tous les deux separtagent la réalité ; l'un et l'autre sont quelque chose, ce qui n'était pas vrai du Moi dans le premier principe. LeMoi doit être identique et opposé à lui-même. Il est identique comme Moi dans la conscience absolue qui est unique.Il est opposé à lui-même en tant que, divisible par son opposition au Non Moi, il est opposé au Moi absolu. En

résumé, le troisième principe est le suivant : Le Moi oppose dans le Moi, au Moi divisible, un Non Moi divisible. »[Beurlier, J.-G. Fichte, op. cit., p. 18]

Si j'applique, par analogie, aux éléments alchimiques les caractères catégoriels que Fichteénonce, je peux dire que le MOI et le NON-MOI représentent les principes élémentaires {, }

tels qu'ils figurent au schéma 1.

Les deux cercles de centre F' et M correspondent au 1er Principe de Fichte en tant qu'ilpose l'EXISTENCE des natures ;

les foyers de l'ellipse F' et F correspondent au 2ème Principe de Fichte en tant qu'il posel'IDENTITÉ des natures dans la masse mercurielle :

« Pris en lui-même, l’acte de l’opposition est absolu dans sa forme, comme posé sans condition par le Moi;il est conditionné quant à sa matière : sans une position pas d'opposition, et, à cet égard, l’action dépend

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toujours d’une autre action. De mème le produit de l’acte d’opposer a une forme absolue. Un opposé est tel,

parce qu’il est le résultat d’un acte d’opposition. » [ibid., p. 16]le tracé de l'ellipse est défini par M , punctum du cercle lunaire où est dévoilé le Sel . Il

s'agit de la correspondance avec le 3ème Principe de Fichte :

« ... inconditionné quant à sa matière et conditionné quant à sa forme. Cette fois, le point de départ est lacontradiction qui éclate entre les deux premiers principes... Il faut donc chercher une inconnue qui laisse

intactes et l’identité de la conscience et l’exactitude des conséquences. » [ibid., p. 17]

À partir des principes élémentaires, s'élabore une transposition, comme je l'ai dit, vers un étatoù les principes se complexifient et deviennent « principiés » [création des foyers de l'ellipse] avantque se pose, enfin, la limitation réciproque comme tracé de l'ellipse.

schéma 2 : le creuset de l'ellipse

Ce schéma montre, outre le point de formation du sel , les quatre éléments envisagés sous

l'angle catégoriel.

Le feu est trouvé dans la normale † au segment mF qui, projetée sur mF' permet en M

de définir le lieu de constitution du sel ;La terre est déterminée par le tracé de l'ellipse ; il s'agit en quelque sorte du lieu de la

fixation puisque son périmètre forme la limitation ;L'eau est la surface extérieure à l'ellipse ;

L'air est la surface inscrite dans l'ellipse.

Il est intéressant de noter que le feu est l'élément dont dépendent les autres, considéré

uniquement sous l'ordre de la construction du dessin. Le second élément à apparaître est laterre . Les deux autres éléments apparaissent ensuite, uniquement par contingence [cf. idée

alchimique, 5 pour une étude approfondie] :

« En outre, je déclare que notre Aimant a un centre caché, où gît une abondance de sel. Ce sel est un menstrue dansla sphère de la Lune, et peut calciner l'or. Ce centre, par une inclination originelle, se tourne naturellement vers lepôle, où la vertu de notre Acier est élevée par degrés. Au pôle, se trouve le coeur de Mercure, qui est un vrai feu oùest le repos de son Seigneur. Naviguant sur cette vaste mer, pour aborder à l'une et à l'autre des Indes, il gouverne sa

course par l'aspect de l'étoile du nord que notre Aimant te fera paraître. » [Philalethes, Introïtus apertus, etc.,

Waesberge, Amsteodami, 1667 - IV. De magnete sophorum, p. 7]

Dans ce texte magnifique du Philalethes, on croit percevoir le dessin de l'ellipse ; l'Adepte écrit

que le sel appartient à la sphère de la lune ; que ce menstrue peut calciner † l'or .

C'est exactement ce que l'on peut lire dans les schémas 1 et 2. Ce n'est pas tout : Philalethesécrit encore que le centre [punctum] a une inclination qui le fait se tourner naturellement : onvoit là une attraction superposable à un astre qui en attire un autre par gravitation, d'où

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l'allusion naturelle à la figure de l'ellipse. Le pôle est le Mercurius qui est le centre du cercle

directeur de centre F'. Et il est opposé au feu ou sulphur qui forme le foyer F de l'ellipse. Les

deux foyers sont ces Indes dont parle Philalethes et l'Aimant est, en somme, ce dispositif delimitation réciproque qui borde cette vaste mer. Enfin, n'oublions pas que l'Acier [De Chalybe

sophorum, cf. supra] correspond vraisemblablement au sel double qui sert dans la préparation del'Aimant. Il reste encore à parler d'une propriété particulière aux foyers de l'ellipse : laréflexivité.

e. la réflexivité comme réciprocité

Revenons à la dernière question : que se passe-t-il si la conjonction des Principes vient àmanquer ? Avant de tenter une explication, il convient de revenir sur Jean-Jacques etl'évolution particulière de sa pensée conçue comme réaction et action.

« Un étrange renversement s'est produit : pour imposer sa valeur aux autres, Rousseau avait fui la société, résolu àne plus offrir son image que dans la parole écrite ... Maintenant, nous assistons à un mouvement contraire :l'équivoque se produit dans le langage et Jean-Jacques en appelle à la vérité de la vie contre les malentendus de la

parole écrite. » [J. Starobinski, op. cit., VI. Les malentendus, p. 172]

On a vu supra que la limitation se posait, ontologiquement, comme la dialectique participant duprincipe action-réaction. Or, chez Jean-Jacques, la réaction si l'on peut dire, précède l'action cequi n'est pas peu paradoxal. Il y a dans cette dualité complémentaire autre chose, pourtant,qu'une anomalie ou qu'un paradoxe. Que voyons- nous ? D'une intelligence hors du commun,Rousseau en situation d'altérité [le MOI de Fichte opposé a priori au NON-MOI, cf. 1, b] est incapabled'expression raisonnée immédiate bien que son entendement soit à l'égal du foudre de Jupiter.L'impression des sens est à ce point excessive qu'elle ne lui laisse point de répit ; cettedéfaillance entre MOI et NON- MOI, cette brisure de symétrie pour remployer un terme dephysique moderne, conduit naturellement Rousseau à se réfugier en Jean-Jacques : c'est lerepli. Cet état où le MOI se réfugie instinctivement est de l'ordre de l'intuition où je retrouve lanigredo archétypale [cf. Essai I,5, b].

Si à présent j'applique le principe fichtéen du Moi et du Non Moi, j'obtiens un systèmetripartite ; en effet, si l'on comprend le Moi comme la partie immédiatement « consciente d'être» de la psyché, c'est-à-dire celle où ne se manifeste que le temps différentiel pour ainsi dire, onremarque que le Non Moi est formé de deux parties : l'une qui correspond à l'altérité commune[tout ce qui nous est extérieur = c'est le monde de Schopenhauer] et l'autre qui nous est interne, le Soi,deuxième Non Moi. On peut idéaliser cette vision, là encore, par la figure de l'ellipse, enconsidérant ses foyers. L'un des foyers [voir schéma 2] est assimilable au sulphur où il n'est pas

difficile de deviner le Non Moi interne [le Soi] tandis que l'autre foyer ou Mercurius

correspond au Non Moi externe. La limite constitue le tracé de l'ellipse qui EST le Moi : c'estla terre ou Sel, sans cesse en situation critique, sans cesse tombant sur le sulphur ou le

mercurius. C'est cette situation critique, dans un équilibre toujours renouvelé, que l'on peutappeler limitation du sens interne.

À suivre

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