Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

20
la lettre n 0 3 / printemps 2002 de l’ A cadémie de s s cience s & Longévité Vieillissement

Transcript of Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

Page 1: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

la lettre n0 3 / printemps 2002

de l ’Académie des sciences

&LongévitéVieillissement

Page 2: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

Editorial

Le plus important comprendre,et si possible évaluer : tel estl'enjeu de la communication.

Les questions scientifiques naissent dedeux sortes de préoccupations. D’unepart, le comment et le pourquoi, liés à lacuriosité pour les phénomènes naturelsinexpliqués et, parfois, pour la seuleraison qu’on peut (qu’on doit) persévérersans limite dans le raisonnement et l’hy-

pothèse. D’autre part, le pour qui, selonla nature du résultat et ses consé-quences sur les hommes et les autresorganismes vivants, animaux et végé-taux, et sur les composantes matérielleset énergétiques de l’Univers. L’hypothèsea sa place comme instrument de décou-

verte, comme exercice et plaisir de l’es-prit, mais l’exigence est plus haute: véri-fier à notre échelle humaine – tempo-rellement et socialement définie -douter, remettre les données acquisesen discussion et souvent, à nouveau, enchantier.Avancer toujours plus, ce que faitl’Homme en dépit de son côté nihilisteet destructeur dont les années que nousvenons de vivre ont montré la forceeffrayante. Cependant, la meilleure con-naissance de l’Univers cosmique, lestransmissions quasi instantanées, l’aug-mentation explosive de la longévitésignent la réussite de notre espèce qui,jusqu’à présent, a évité les dangers lesplus graves: les anciens n’attribuaientpas plus de pouvoir aux dieux. Quellesque soient leurs craintes – au demeu-rant naturelles et qui nous aident àdéfinir les valeurs humaines - ce sont

bien les hommes qui découvrent etmaîtrisent la nature, et c’est à l’activitéscientifique que l’on doit les plus impor-tants changements du destin de l’hu-manité. Cette science est le biencommun de tous; à tous de le savoir, dele comprendre, et à l’Académie dessciences de tout “donner à voir” (PaulEluard), depuis la racine fondamentalejusqu’aux applications matérielles et àleurs conséquences morales.Pour ces raisons, notre compagnie achoisi d’ajouter à l’indispensable (et trèsactive) Délégation aux relations inter-nationales, deux nouvelles formationsopérationnelles avec chacune à leur têteun(e) confrère (sœur) élu(e) en comitésecret. Pour l’une (groupe Science etSociété), il s’agit de réunir les donnéesprincipales de la science en marche etde les confronter aux problèmes de la

société afin de préparer les prises deposition de l’Académie sur les grandesquestions en débat; plusieurs confrèresont déjà entrepris cette réflexion indis-pensable. L’autre (Délégation à l’infor-mation scientifique et à la communica-tion) a pour mission de présenter auxmédia nationaux et internationaux lesdécouvertes de nos chercheurs et lesréflexions de l’Académie, les conclusions

atteintes par les réunionsque nous organisons ; ellen’hésitera pas à les trans-mettre aux autorités civiles,politiques et administratives,aux sociétés savantes et auxorganismes de recherche.Le Bureau s’efforcera demettre tous les moyensnécessaires et personnels àla disposition des confrèresimpliqués dans cette tâche.

Cette ouverture devrait permettre degagner la confiance du plus grandnombre de nos concitoyens dans nostravaux scientifiques, dans la science engénéral et, par là même, de contribuerà l’équilibre des activités de la sociétéqui en dépendent presque directement,qu’il s’agisse des questions biomédicales– les aliments, les cellules souches, lareproduction, le bio-terrorisme…, ouencore de l’écologie, des énergies, del’eau disponible…Du grain à moudre pour l’Académie �

par Étienne-Émile Baulieu

Vice-président de l’Académie dessciences,Professeur au Collège de France

SommaireÉditorialLa recherche fondamentale et le devoirde communiquerÉtienne-Émile Baulieu

page 2

DossierLongévité et vieillissement:aspects scientifiques, médicaux et sociaux Étienne-Émile Baulieu

page 3

Biologie du vieillissementEntretien avec Richard A. Miller par Paul Caro

page 7

Aspects médicaux et sociaux du vieillissementMaurice Tubiana

page 9

Actualités du passéMystification à l’Académie des sciencesJean-Paul Poirier

page 10

Questions d’actualitéLes neutrinos, omniprésents et insaisissablesMichel Davier

page 12

Les matériaux vieillissent aussi…André Zaoui

page 14

La vie des séancesInteraction homme-machine.Quelques aspectsÉric Spitz et Philippe Coiffet

page 17

Les phénomènes aux interfaces et les GéosciencesJean Maurice Cases

page 19

La vie de l’AcadémieRelations avec l’Académie des sciences du SénégalYves Quéré

page 20

L’enseignement en BolivieYves Quéré

page 20

Élections d’Associés étrangerspage 20

CarnetLa Grande médaille d’or 2001 de l’Académie des sciencespage 20

La recherche fondamentaleet le devoir de communiquerUne responsabilité prioritaire de l’Académie: favoriser obstinément la recherche fondamentale et la faire connaître.

2

la lettre n0 3 / printemps 2002

de l ’Académie des sciences

Page 3: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

3

Dossier

raine de la longévité humaine en parti-culier. Nous ne faisons que reprendre iciles principaux thèmes traités par lesparticipants, en ajoutant quelques consi-dérations personnelles permettant dedonner une meilleure vue d’ensembleaux lecteurs.

La longévité: une affaire de gènes?

Une femme ou un homme affaiblimusculairement, dont le système immu-nitaire est diminué, les réflexes et lamémoire moins efficaces, la peaualtérée et les cheveux gris est vieux. Il a82 ans, et des signes analogues peuventêtre observés chez des chimpanzés de32 ans, des chevaux de 22, des chiens de12 ou des souris et des rats de 2 ans.Pourquoi vieillit-on à des âges différentsdans chaque espèce chez les mammi-fères (les seuls que nous évoquons ici)?Y a-t-il un (ou 2 ou 3) “gènes-horloges”qui serai (en) t spécialisé(s) dans l’éva-

Par Étienne-Émile Baulieu 2

Quelle période extraordinaire, auplein sens du terme! Jamais, dans

l'histoire des hommes, n’a été enregistréun accroissement de la longévité aussiimportant – trois mois chaque année defaçon soutenue pendant plusieursdécennies et apparemment sans ralen-tissement annoncé – si bien que plus de50 % des femmes, actuellement, attei-gnent et dépassent 85 ans dans notrepays et que l’on prédit que la moitié desfilles nées au début de ce siècle seronten vie au début du XXIIe siècle ; leshommes suivent, avec quelques années(5 à 8) d’espérance de vie en moins sirien ne change à cet égard. Ces donnéesimpressionnantes sont valables pour les

autres pays industrialisés, et transpo-sables dans leur mouvement aux paysen développement. Une première consé-quence, en dépit du ralentissement dunombre des naissances d’ailleurs encoretrop élevé: la population mondiale conti-nuera à augmenter de 90 millions paran pendant encore plusieurs décennies.Que de nouvelles questions pour chacun,pour les familles (à 4 ou 5 générations),pour la société (les retraites, la désin-sertion sociale, les soins médicaux). Ilest évident qu’un seul Colloque ne peutavoir abordé qu'un nombre limité desproblèmes biologiques, médicaux etsociaux posés par le vieillissement engénéral et l’augmentation contempo-

luation du temps qui passe, indépen-damment ou presque des conditionsextérieures à l’individu? Personne ne lepense plus. Cependant, il y a des gènesqui règlent de grands métabolismes etdont les propriétés modifiées (mutation)pourraient entraîner une longueur devie différente. C’est le cas des gènes quicontrôlent les réponses au stress (dela chaleur, de l’oxydation), ou de ceux quirèglent le taux de l’hormone de crois-sance ou de son médiateur, le facteurIGF1. Il ne s’agit pas de gènes quiévaluent directement la durée de la vie,

1 Cette présentation ne résume pas la richesse desexposés que l’on trouvera publiés in extenso dans lesComptes Rendus, ainsi que, pour certaines questionsspécifiques, dans le Bulletin de l’Académie de méde-cine et dans la Lettre d’information hebdomadairede l’Académie des sciences morales et politiques.

2 Vice-président de l’Académie des sciences, Professeurau Collège de France, Membre de l’Académie natio-nale de médecine…

L e vieillissement ne concerne plus seulement l’individu mais la société touteentière. Les chercheurs, au premier chef ceux des domaines biomédicaux, ontune responsabilité primordiale pour que soient prévenues et éventuellement

traitées les maladies liées à l’âge. Il est nécessaire que les responsables politiquesdégagent les moyens nécessaires pour permettre de mieux comprendre la longé-

vité et le vieillissement, et tout ce qui peut en découler médi-calement : sans bonne santé physique et mentale des

personnes âgées, on court à la catastrophepour chaque individuet pour la collectivitéhumaine tout entière –alors que les progrèsexceptionnels dessciences biomédicalespeuvent être mises enœuvre dès à présent.

Il n’est que temps de s’en occuper. L’Académie des sciences, l’Académie des sciencesmorales et politiques, l’Académie nationale de médecine et l’Academy of MedicalSciences of the United Kingdom se sont réunies pour organiser un colloque qui s’esttenu les 29 et 30 octobre 2001 et qui a été suivi par plusieurs centaines d’auditeurs.

1

Longévité vieillissement:

aspects scientifiques,médicaux et sociaux

&

Page 4: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

4

Dossier

mais de systèmes de régulation pouraccommoder l’organisme aux compo-santes de l’environnement, au sens leplus large de ce mot. La seule restric-tion calorique, par exemple, permet de prolonger la durée de la vie desrongeurs, montrant que la recherchefondamentale peut quelquefois menerà des interventions pratiques simples etefficaces (R. Miller)3. G. Martin 4qui dirigele programme SAGE KE (Science ofAging Knowledge Environment) initié parla revue Science, a proposé, après lesanalyses classiques de Peter Medawaret George Williams, une classificationdes modalités génétiques impliquéesdans la longévité et le vieillissementhumain, sur la base de la théorie del’évolution. La pression sélective s’exerceévidemment dans le cadre des risquesécologiques, et si ceux-ci sont élevés, lesespèces sélectionnées se développentet se reproduisent rapidement, avec pourconséquence logique une existence rela-tivement courte des individus. Les survi-vants auront un phénotype ayant échap-pé à la sélection naturelle et, qu’ils soientbons ou mauvais, ils contribuent peu àla constitution génétique des généra-tions ultérieures. Pour le genre humain,on peut distinguer de “bons” allèlestoujours actifs, ou peu exprimés pour debonnes raisons, ou trop exprimés tarddans la vie, ou devenant délétères en finde vie, ou mutés pathologiquement, etdes “mauvais” gènes qui ne s’exprimentque tard. Les exemples seront trouvésdans le texte complet et leur discussiondans la contribution de P.H. Gouyon5 (voirencadré dans la lettre).Le séquençage du génome humaindevrait faire reconsidérer tous lesaspects de la recherche gérontologiquedans un cadre “post-génomique”: l’évo-lution dans le temps des phénomènesbiologiques (recherches “horizontales”)et l’analyse des affections pathologiquesassociées permettent en effet de cibleret de traiter les anomalies définies à tousles niveaux, dans des approches verti-cales, des gènes à la pharmacologie (D.Cohen 6). La morbidité aux âges les plusavancés relève de maladies chroniquesmultifonctionnelles, en particulier cardio-

vasculaires et de neurodégénérescence.Leur survenue, leur progression et éven-tuellement leur traitement dépendentde déterminants environnementaux etde la capacité individuelle à y faire facephysiquement et par le comportement.La transmission familiale ne suit pas leslois simples de la génétique mendé-lienne: les techniques de biologie molé-culaire à haut débit, désormais utili-sables dans les études épidémio-logiques avec les approches géniques etpost-génomiques correspondantes,doivent permettre l’identification desous-groupes dont la prise en chargedifférenciée sera plus efficace (Ph.Amouyel 7).La biologie cellulaire indique l’impor-tance de la “sénescence” cellulaire (lescellules ne se divisant plus et les télo-mères diminuant) comme processusanti-cancéreux. Mais il y a d’autresmodalités télomères-indépendantes;par exemple, la séquence RAF décritechez l’homme (R. Faragher 8).

Vieillir comment?

A côté de la menace du cancer du pointde vue strictement biologique, il faudraitencore évoquer les problèmes générauxtels que les effets et la tolérance des trai-tements médicaux des cancers (chimio-thérapie, radiothérapie, hormones) chezles sujets âgés et le problème des indi-cations chirurgicales (on sait que les déci-sions d’interventions chez les personnesâgées sont souvent difficiles à prendre),etc…Le cerveau, le plus complexe de nosorganes, est aussi le plus exigeant et le plus vulnérable : l’activité neuraledemande un important apport incessantd’oxygène et de glucose pour fonctionner.La plupart des milliards de neurones quile composent sont différenciés dès avantla naissance et les possibilités de régé-nération sont limitées ; la gravité desblessures et des accidents d’originevasculaire en découlent. Dans certainesparties du cerveau, il y a perte et/ou alté-ration des neurones et de leurs connec-tions avec l’âge. C’est le cas des cellulesproduisant les catécholamines (adréna-line, noradrénaline et dopamine) dont la dérégulation peut entraîner, parexemple, la maladie de Parkinson et soncortège de troubles neurologiques.L’épaisseur de certaines régions asso-ciatives du cortex cérébral diminue de0,5 % par an ; la perte neuronale estintense au cours de la maladie d’Alz-

heimer, entraînant la diminution pro-gressive des fonctions intellectuelles.Cependant, comme l’a soulignéL. Iversen 9, la notion classique de l’im-possibilité de formation de nouveauxneurones dans le cerveau adulte n’estplus admise. Des cellules souchesneurales indifférenciées continuent à seformer et peuvent, après implantation,se développer dans le cerveau en géné-rant neurones et/ou cellules glialescaractéristiques de la région cérébraledu transfert. La neurogénèse est trèsactive dans l’hippocampe (1 neuroneproduit chaque jour pour 2000 qui exis-tent déjà). Il semble même que desmédicaments anti-dépresseurs agissenten augmentant la survie de neuronesnéoformés dans le cerveau. Le futurimmédiat dans ce domaine appartient àla recherche.J.-J. Hauw 10 a relevé l’extension topo-graphique des lésions neuroanato-miques associées à un métabolismeanormal de la protéine Tau: une progres-sion hiérarchique stricte, inexpliquée,paraissant suivre les circuits impliquésdans la mémoire, et progressant plus oumoins vite selon des facteurs de risquegénétiques et épigénétiques. On rappel-lera que des lésions du même type qu’aucours de la maladie d’Alzheimer, impli-quant la participation anormale dupeptide Aß, sont quasi constantes chezles centenaires. A défaut de connaître lacause première, des produits modula-teurs de l’évolution d’une maladie etmême des traitements symptomatiquespourraient être efficaces, d’autant quedes facteurs associés de type vasculairessont, par exemple, souvent observésdans la maladie d’Alzheimer. Il existe uneautre catégorie de démences ditesvasculaires, avec destruction de tissucérébral dans des zones spécifiques,quelquefois minimes volumétriquement.D’actualité récente, les démences duesà un agent transmissible (prions) sontrares et le plus souvent gravissimes dansun contexte au pronostic vital drama-tique.Des cohortes permettant l’étude de l’épidémiologie du vieillissement céré-bral sont nécessaires pour définir lesfacteurs de risques, génétiques et épi-génétiques, en particulier pour la ma-ladie d’Alzheimer comme l’a rappelé J.-F. Dartigues 11. Paquid (Personnes

Agées QUID) dans la région de Bordeauxavec ses 4 000 personnes étudiéesdepuis plus de 10 ans et l’étude des 3Cités qui commence à Bordeaux, Dijonet Montpellier (environ 10000 personnes)sont les exemples français les plusremarquables au cours desquels, auxétudes cliniques et humorales, s’ajou-tent maintenant l’imagerie cérébrale parrésonance magnétique et la constitutiond’une banque d’ADN.F. Forette 12 a évoqué aussi l’importancede la prévention des démences chez lessujets hypertendus traités. Elle rapporteégalement la diminution significative del'incidence des accidents vasculairescérébraux et des cardiopathies isché-miques. Parmi les facteurs de risque dela maladie d'Alzheimer (âge, sexe, niveaud'éducation, facteurs génétiques), seulela prise en charge du risque vasculairea permis jusque là un bénéfice démon-tré ; d'autres approches préventives(hormones, anti-inflammatoires, anti-radicalaires, inhibiteurs de secrétase,immunisation anti-amyloïde) sont encours d'évaluation. Si l'hétérogénéité duvieillissement relève certainement defacteurs génétiques, les facteurs d'en-vironnement, accès aux soins en parti-culier, sont tout aussi importants etéventuellement modifiables. La préven-tion du vieillissement pathologique resteune des clés de la promotion du vieillis-sement en bonne santé.Le vieillissement cardiovasculaire setraduit principalement par l’hyperten-sion artérielle et l’insuffisance corona-rienne, les deux aboutissant en particu-lier à l’insuffisance cardiaque. C’estglobalement la cause la plus fréquente,après 70 ans, de mortalité et de morbi-dité (évaluée en nombre de jours d’hos-pitalisation et par la consommation demédicaments). B. Swynghedauw13 arésumé la situation en soulignant l’aug-mentation de l’impédance des gros vais-seaux et la mise en jeu de systèmescompensateurs permettant un débitsanguin normal, même à l’effort. On entirera les conséquences de préventionet de traitement. On sait les remar-quables effets enregistrés dans les popu-lations où les mesures diététiques etcertaines médications à visée pathogé-niques ont été employées.Les grands systèmes régulateurs quesont les fonctions immunitaires ethormonales sont modifiées au cours duvieillissement. J.-F. Bach 14 a indiqué la responsabilité de l’altération despremières dans la survenue des affec-tions et même des tumeurs, et dans

3 [email protected] et entretien avec Richard Miller page 5

4 [email protected] [email protected] et numéro

spécial des Comptes Rendus, 2002, à paraître6 [email protected]

7 [email protected] [email protected]

9 [email protected] [email protected] [email protected]

12 [email protected] [email protected] [email protected]

Page 5: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

5

l’augmentation des maladies auto-immunologiques. Les mécanismes im-pliqués dans le vieillissement immuni-taire sont encore très peu connus etméritent une recherche soutenue. L’évo-lution hormonale liée à l’âge est relati-vement mieux décrite; celle qui concerneles stéroïdes, rapportée par l’auteur deces lignes (E.E. Baulieu15), est différen-tielle selon qu’il s’agit des hormonessexuelles de la femme, dont la produc-tion est arrêtée à la ménopause, ou del’homme chez qui dont on ne sait passi la baisse partielle et inégale des andro-gènes selon les individus doit êtrecompensée pour s’opposer à une sériede déficits “climatériques” liés à l’âge.En tout cas, si dans les deux sexes l’hor-mone surrénalienne DHEA (S) diminuede façon importante, le cortisol sanguinreste au même niveau à tous âges, et cedéséquilibre mérite d’être envisagé dansses conséquences et éventuellementcompensé, sous surveillance médicale,par l’administration de DHEA. On saitqu’il n’y a pas de pilule miracle, n i defontaine de jouvence et que, selon le cas,c’est au niveau du système nerveux, oudu système immunitaire, ou de la peau,ou encore de l’ensemble ostéo-muscu-laire que l’on peut attendre des effets.La participation de modifications hormo-

nales aux troubles psychiatriques dusujet âgé n’est pas définie. Plus géné-ralement, chez une personne sans antécédent de maladie mentale, “lediagnostic d’un trouble étiqueté psychia-trique après 60 ans balance (le plussouvent) entre dépression et détériora-tion” (A. Fagot-Largeault 16). Les psycho-thérapies n’ont pas démontré un grandeffet sur “le rétrécissement existentiel,qualitatif et quantitatif, du grand âge”.Les médications anti-dépressives, neuro-leptiques et anxiolytiques, souvent admi-nistrées simultanément devant un tab-leau complexe, ne sont pas sans effetssecondaires, et de toute façon souventlents à agir chez des sujets qui n’ont pasle temps d’attendre. Que de recherchesen perspective!L’augmentation de la longévité, carac-téristique individuelle comme l’a rap-pelée H. Leridon 17, est responsable del’accélération du vieillissement de lapopulation, caractéristique collective.Les sociétés entrent dans une èreinconnue nécessitant, au-delà desrecherches biomédicales, des travauxen sciences sociales portant sur lesmodalités et déterminants de l’avanceen âge, les relations entre générations,la constitution sociale de représentantsde la vieillesse, avec les conséquences

pratiques, comportementales, au niveaudes personnes et des sphères écono-miques. Les “perspectives démogra-phiques”, pour reprendre l’expressionde J. Dupâquier 18 traitant d’hypothèsesplausibles, soulignent la difficulté desprévisions. Par exemple, le nombreattendu de générations par famille pour-rait ne pas augmenter du fait de l’ac-croissement moyen de l’écart entre lesgénérations.Quant à la qualité du vieillissement, ellesemble augmenter depuis plusieursdécennies, accompagnée par la percep-tion d’être en meilleure santé. Lesétudes décrites par J.-P. Michel 19 confir-ment la théorie de la compression à lafin de la vie de la morbidité et des affec-tions mentales, et la rectangularisationde la courbe de survie progresse. Laperte d’autonomie des personnes âgéesimpose plus de recherches pour cap-turer à domicile, de manière non inva-sive et bien acceptée les paramètresvitaux permettant une surveillance quirassure les sujets et les personnes leurportant assistance. La longévité étantmultifactorielle, les informations doiventfusionner afin de suivre simultanémentles variables signalant l’état des grandesfonctions vitales (J. Demongeot 20). Lesprogrès technologiques devraient

Il est vrai quela vieillesse estun état qui nepermet guère

qu’on l’oublie.François Mauriac,

le Nouveau Bloc-notes1958-1960.

15 [email protected] [email protected] [email protected]

18 197, rue Saint Jacques 60240 Delincourt19 [email protected] [email protected]

Dossier

Page 6: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

Dossier

permettre de moduler l’état de dépen-dance, évidemment crucial pour la placeà donner et le rôle des personnes duquatrième âge dans la famille et lasociété (L. Israël 21).Au cours de ses remarques de conclu-sion, J.-F. Girard 22, dont l’expérience dedirecteur général de la Santé a néces-sairement contribué au réalisme lucideet humain dont il fait preuve, observe que“l'alliance de la science et de la méde-cine pouvait faire croire à un avenir sansmaladies ou tout au moins sans mala-dies qui ne soient guérissables. Il suffi-sait donc, en matière de santé, de s'enremettre aux médecins, et la société nes'est pas privée de cette délégation…!Quelle responsabilité pour les méde-cins!”. L'épidémie de sida a pris tout lemonde au dépourvu, à commencer parles médecins totalement incapables desoigner au début. La société “ a comprisqu'elle devait prendre en charge lesproblèmes posés par l'épidémie etimposer aux pouvoirs publics d'assumerleur rôle : c'était le retour de la santépublique”. Après l'avènement des tri-thérapies, la remédicalisation de l'épi-démie indique bien les rôles complé-mentaires de la médecine et de lasociété. La maladie d'Alzheimer est unautre exemple de cette nécessairecomplémentarité, on l'a bien compris.Plus généralement d'ailleurs, il nefaudrait pas que les problèmes posés

par la vieillesse soient entièrementconfiés aux institutions soignantes: “lapersonne âgée malade ne se réduit pasà sa maladie”. La médecine, malgré sesprogrès incessants, n'exonèrera jamaisla société d'assumer ce qui n'est, aprèstout, que la conséquence de l'allon-gement de la durée de vie. Qui s'enplaindra…

Maintenant et demain

Nous avons déjà évoqué les difficultésde la situation démographique nouvelle,qui ne peuvent que croître alors qu’unelongévité plus importante devrait n’êtrequ’une source de bonheur ajouté. Danscette situation de révolution silencieuse,le désir d’un vieillissement moins handi-capant, en bonne santé physique etmentale, est légitime, et justifie lesefforts de recherche sur le vieillissementphysiologique, la prévention des mala-dies et des déficits qui deviennent plusnombreux et plus graves avec l’âge. R.G.Schwartzenberg a annoncé au cours ducolloque le soutien du Ministère de laRecherche aux premières activités d’un“Institut de la longévité et du vieillisse-ment”, Groupement d’intérêt scientifique(GIS) qu’il prendrait en charge, en colla-boration avec le ministère de la Solida-rité et celui de la Santé, avec le concoursde l’INSERM et du CNRS, et en s’asso-ciant selon les cas, avec des sociétésprivées et des associations de patientssans but lucratif. Les premiers thèmesretenus après consultation de trèsnombreux scientifiques et médecins sontceux pour lesquels la recherche n’estpas avancée, mais où nous pouvonscompter sur des personnalités fran-çaises de recherche de qualité excep-tionnelle, susceptibles d’animer unsecteur considéré souvent négligé : àtitre d’exemple, citons la dégénéres-cence maculaire liée à l’âge (DMLA), lapresbyacousie, les troubles de l’équi-libre, générateurs de chutes, le cancerde la prostate, le vieillissement de lapeau, les risques de démence et desétudes de pharmacologie spécifiquessur les personnes âgées, un effort pourdisposer en France de modèles animaux,principalement des rongeurs en nombresuffisant, sans compter les travaux surles capteurs de surveillance et la créa-tion de 2 ou 3 centres d’investigationclinique (CIC), spécialisés dans le vieillis-sement.Quel que soit le domaine des recherchesbiomédicales auxquelles ils s’adonnent,tous les chercheurs, biologistes oumédecins peuvent, sans être spécialistesde gérontologie, contribuer à ce grandeffort coordonné rendu nécessaire parl’augmentation de la longévité: devantle nouvel espace temporel qui s’ouvrepour la vie du plus grand nombre, il y vabeaucoup du bonheur personnel et fami-lial de chacun et de l’équilibre social �

6

Par Pierre-Henri Gouyon 1

Dans le cadre de la théorie darwi-nienne de l’évolution, le vieillisse-

ment et la mort programmés des indi-vidus semblent a priori incompréhen-sibles. En effet, comment comprendreque des informations génétiques provo-quant la disparition de l’individu, ou aumoins, une baisse de ses capacités desurvie et/ou de reproduction aient pu êtreproduites par le jeu de la mutation et dela sélection naturelle? Bien sûr, il existedes réponses qui, malgré une naïvetétouchante ont pu paraître évidentes. Cesont les réponses du style “les vieuxmeurent pour laisser la place aux jeunes”.Ces réponses sont qualifiées, chez lesévolutionnistes, de panglossiennes, parallusion au précepteur de Candide dansle conte de Voltaire (la référence seraitdue à Haldane). Il est étonnant de voirainsi prêter à la Nature une consciencedes nécessités de l’avenir hors du com-mun et que nous-mêmes sommes loinde posséder! L’erreur tient au fait qu’untel comportement ne se justifie que parréférence au groupe alors que la sélec-tion agit à l’échelle de l’individu. Dans uneespèce où chacun meurt pour laisser laplace aux descendants, un mutant qui nemeurt pas est favorisé dans la mesure où

ses propres descendants n’en souffrentpas plus que les autres.Il est donc nécessaire de trouver uneraison plus terre à terre. De Haldane àWilliams en passant par Hamilton, leshypothèses se sont succédées et ontconduit à l’élaboration d’une théoriesomme toute assez satisfaisante. D’unepart, le fait que les individus meurent paraccident un jour ou l’autre fait que lasélection en faveur de la survie de l’in-dividu faiblit au fur et à mesure que sonâge augmente. D’autre part, il existe desgènes dont l’action (pléiotrope) est anta-goniste selon l’âge de l’individu (favo-rable au stade jeune et défavorable austade adulte par exemple). Enfin, lasélection pour le maintien de l’intégritéde l’individu dépend beaucoup dumoment où la mortalité par accident (ouplutôt pour des causes externes) seproduit le plus souvent. Une telle morta-lité se produisant préférentiellementavant le stade reproductif favorise desgénotypes à grande longévité alors quesi elle produit en général après la repro-duction, la sélection favorise un inves-tissement total dans la reproduction etune mort survenant tôt. Quelles consé-quences ont ces considérations sur lafaçon dont on peut réfléchir à l’approchemédicale du vieillissement?

21 36, rue du Mont Thabor 75001 Paris22 [email protected]

1 Professeur à l’Université Paris-Sud et à l’École poly-technique, Directeur du laboratoire d’écologie, systé-matique et évolution du CNRS à Orsay

H. Curien (Président de l’Académie des sciences)et E. E. Baulieu accueillent R.G. Schwartzenberg(ministre de la Recherche).

Comment l’évolution a-t-elledéterminé la longévitédes individus dansles différentes espèces?

Page 7: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

7

Dossier

ils sont en beaucoup plus grand dangerde mourir qu’une jeune personne. C’estpareil s’ils attrapent la grippe. Lesystème immunitaire est un excellentsujet d’étude pour les gérontologuesparce qu’il répond au stress. Et ses fonc-tions protectrices diminuent évidem-ment avec l’âge. Ce système est si bienconnu aux niveaux cellulaires et molé-culaires qu’il existe de nombreux outilset des expériences sophistiquées qu’unimmunologiste peut faire et qui ne sontpas possibles pour d’autres systèmes.Il est facile d’avoir des cultures decellules qui fonctionnent bien pour desréactions immunologiques. Vous nepouvez pas faire de cultures de cellulesqui pensent ou qui exécutent les fonc-tions du rein. Le système immunitairemarche plutôt bien in vitro et cela est trèsutile pour étudier la manière dont levieillissement conduit à des dysfonc-tionnements.

Question:Dans votre exposé, vous avez décrit leseffets positifs de la restriction caloriquesur presque tous les aspects du vieillis-sement. Mais la restriction caloriquen’est-elle pas une forme de stress?

R. A. Miller:Le mot “stress” est très général; dansdes contextes différents, le stress peutavoir des effets très divers. Un vieillard,ou une vieille souris, qui subit le stressd’une infection risque la mort ou unemaladie grave. Mais il pourrait êtrepossible de créer des individus quivieillissent plus lentement ou qui viventplus longtemps en leur imposant desdegrés mesurés de stress quand ils sontjeunes. Bien entendu ceci n’est qu’unehypothèse. Le mot général pour cela est“hormesis” et on ne dispose pas derésultats qui montrent les effets de l’hor-mesis sur le vieillissement chez lesdrosophiles, dans les travaux de MarkTatar et Jim Curtsinger. Ils ont montréque si l’on expose des drosophiles à unstress non mortel, quand elles sontjeunes, un stress thermique, par exem-

Question:Quelles sont les causes du vieillisse-ment?

R. A. Miller:C’est une question difficile! La réponsedépend du niveau de l’explication. Lescauses du vieillissement d’un point devue évolutionniste sont connues depuisquinze ans. Elles expliquent pourquoi ilfaut que presque tous les genres d’ani-maux multicellulaires vieillissent, c’està dire subissent un accroissement durisque de mortalité avec le temps. Onpeut le comprendre assez aisément entermes de génétique des populationsd’une manière quantitative. Mais beau-coup de gens demandent une expli-cation moléculaire, c’est à dire unedescription des processus molécu-laires qui convertissent d’une manièresynchronique un jeune individu envieillard. Et la réponse à cela est trèssimple: personne ne le sait!

Question:Existe-t-il un rapport entre le systèmeimmunitaire et le vieillissement?

R. A. Miller:Je ne pense pas que le système immu-nitaire soit une importante horloge quicontrôle le vieillissement. Je ne pensepas que les changements dans l’immu-nité soient la cause de la plupart desmaladies de la vieillesse. Je pense qu’ilest utile d’étudier le système immuni-taire parce qu’il fournit d’excellentespossibilités pour étudier comment levieillissement conduit à des dysfonc-tionnements au niveau des cellules etau niveau moléculaire. Le vieillissementa des effets très importants, chez lesanimaux, sur des systèmes qui impli-quent des communications intercellu-laires, en particulier celles qui répon-dent au stress. Beaucoup d’individus de60, 70, ou 80 ans sont raisonnablementcapables de supporter la vie quotidienne.Mais quand le stress survient, quand ilsdécouvrent qu’un autobus fonce verseux, ils ont besoin de réagir très vite, et

ple, on observe ensuite une diminutiondes risques de mortalité. Ainsi, l’impo-sition d’un léger niveau de stress aconduit les mouches à vieillir plus lente-ment. Pour les mammifères, on a desindications semblables dans les cas de restriction calorique. Les animauxsoumis à une restriction calorique ontune teneur légèrement plus élevée quela normale en hormones glucocorti-coïdes qui commandent les réponses del’organisme à un stress aigu. Quand unanimal devient malade, est traumatiséou effrayé, la concentration en gluco-corticoïdes grimpe rapidement puisretourne à la normale. Il semble quepour les animaux sous restriction calo-rique, les glucocorticoïdes augmententlégèrement mais que leur niveau restehaut durant la vie entière de l’animal.Des chercheurs comme Jim Nelson auTexas et Ed Masoro prétendent que c’estla faible augmentation de la concentra-tion des glucocorticoïdes pour les ani-maux sous restriction calorique qui lesrend résistants aux maladies et àd’autres formes de stress qui pourraientêtre mortelles. C’est une idée intéres-sante mais rien n’est encore vraimentprouvé.

Question:Le vieillissement a-t-il une contributiongénétique?

R. A. Miller:Il y a beaucoup de contributions géné-tiques au vieillissement. Elles sontconnues depuis longtemps. En termesquantitatifs chez les humains, les ratset les souris, la contribution des gènesà la longévité semble être de l’ordre de20 à 30 % pour les populations naturellesordinaires d’humains et pour les popu-lations ordinaires d’animaux de labora-toire. Mais, c’est une statistique qui peutdonner lieu à différentes fausses inter-prétations. La première chose à com-prendre, c’est que la contribution géné-tique à la longévité inclut de nombreuxgènes dont l’impact n’est pas du tout liéau vieillissement ; par exemple, des

1 Professeur à l’Université du Michigan, USA2 Correspondant de l’Académie des sciences, Directeur

de recherche au CNRS

Réalisé par Paul Caro 2

Question:Vous participez au Colloque “Aspectsscientifiques, médicaux et sociaux de lalongévité et du vieillissement”(Paris 29-30 octobre 2001), quelle est votre défi-nition du vieillissement?

Réponse de Richard A. Miller:Je définis le vieillissement comme unprocessus qui transforme de jeunesadultes sains en adultes plus âgés quiont plus de risques d’être victimes detoutes sortes de maladies potentielle-ment mortelles, mais aussi d’infirmitésqui leur rend la vie moins agréable. C’estune définition qui ne paraît pas polé-mique parce qu’elle est en bon accordavec l’emploi habituel du mot “vieillis-sement” dans le langage ordinaire.Cependant parmi les chercheurs elle estconsidérée comme un peu polémiqueparce que beaucoup d’entre eux utilisentle mot “vieillissement” dans un contextetrès spécialisé. Certains préfèrent parexemple une définition qui peut s’étendreaux processus affectant les cultures decellules, mais je trouve que cela est plustrompeur qu’utile. Je recommande unedéfinition qui prenne en compte l’animalentier et aussi la manière dont le vieillis-sement affecte la santé.

Biologiedu vieillissementEntretien avec Richard A. Miller1

Page 8: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

8

fait, l’éradication totale du cancer, desmaladies cardiovasculaires et du diabèteaurait un effet relatif faible et conduiraità un accroissement de la durée de vie deseulement de cinq à huit ans. S’il est unjour possible de ralentir le vieillissement,de créer des gens de cent ans aussisains que les sexagénaires d’aujourd’hui,ce sera par quelque chose d’autre quel’approche spécifique des maladiesprises une à une. Chez les souris et lesrats, il a été possible, depuis cinquanteans maintenant, de créer des animauxqui sont vigoureux et sains à des âgeséquivalant à 120 ans chez l’homme. Ildoit être possible de le faire en principepour l’homme, mais pas avec desrestrictions caloriques car ce n’est pasune approche réaliste chez l’homme, ila un trop fort besoin de satisfaire sa faim!Toutefois, il est possible d’apprendresuffisamment sur le vieillissement, larestriction calorique et les gènes impli-qués pour développer une stratégieacceptable, qui soit basée sur les gèneset les hormones ou sur des change-ments au niveau de l’appétit ou sur deschangements dans l’expression desgènes qui permettront de faire la mêmechose.

Je pense qu’il y a des raisons d’être opti-miste aujourd’hui qui n’existaient pas ily a vingt ou trente ans. Dans n’importequel laboratoire, c’est désormais uneroutine de créer des souris qui vieillis-sent plus lentement que les sourisnormales. Il doit être possible de fairela même chose pour d’autres mammi-fères. Cela ne nous dit pas commentle faire pour les hommes, mais c’est unepreuve critique du principe en lui mêmeparce que cela indique que les cher-cheurs qui travaillent dans cette direc-tion ne gaspillent pas leur temps. Il y acinquante ans, c'était seulement uneintuition de penser que le vieillissementpouvait être ralenti, mais maintenant, ilest clair qu’en vérité on peut le faire,et chez les mammifères. La probabilitéd’altérer le vieillissement chez l’hommedépend d’un certain nombre de choses,la plus importante étant la quantité d’ar-gent à dépenser dans la recherchefondamentale sur le vieillissement.Nous avons entendu le ministre fran-çais de la Recherche nous expliquer quele gouvernement français s’apprêtait àdépenser beaucoup d’argent dans unerecherche qui a été décrite comme liéeau vieillissement mais qui, en fait,débloque des fonds pour étudier desmaladies qui atteignent spécifiquementles gens âgés, telles que la perte d’équi-libre, la décroissance des fonctionscognitives ou la dégénérescence neuro-nale. Bien sûr, il s’agit là de maladiesterribles et importantes qui demandentqu’on s’en occupe et qu’on leur attribuedes moyens. Mais, je crois qu’une bienmeilleure stratégie serait de consacrerune partie substantielle de nos

Question:Croyez-vous que les résultats obtenuschez la souris peuvent être extrapolésà l’homme?

R. A. Miller:Je pense que c’est une question dont laréponse ne peut être exprimée sous la forme d’un “oui” ou d’un “non”. Lesétudes sur les souris et les rats ont ététrès utiles car elles nous ont donné desidées sur les processus physiologiquesqui pourraient être sous contrôle géné-tique chez l’homme et elles ont indiquéquels processus physiologiques peuventêtre manipulés par des médicamentschez l’homme. C’est une partie essen-tielle de la recherche médicale, mais ilne serait pas raisonnable d’admettre quetout ce que nous apprenons sur lessouris et les rats s’applique aussi àl’homme. Par certains côtés, rongeurset humains sont assez semblables. Levieillissement du système immunitaire,des muscles, des fonctions cognitives,du cerveau, des fonctions cardiovascu-laires sont assez similaires, mais il y ades maladies humaines spécifiques, telleque l’Alzheimer, qui n’existent pas pourles souris. Certaines maladies humainescomme l’arthériosclérose ne se pro-duisent chez les souris que dans descirconstances spéciales : il s’agit desouris transgéniques dont l’alimenta-tion est particulière. Ainsi, il y a deschoses à propos du vieillissement quenous ne pouvons pas apprendre d’unmodèle animal et d’autres pourlesquelles nous pouvons risquer desextrapolations, mais seulement d’unemanière très prudente.

Question:Etes-vous optimiste sur la possibilitéd’augmenter la durée de la vie humainedans le futur?

R. A. Miller:Je crois qu’il est important de com-prendre que les changements specta-culaires intervenus depuis un siècle surla durée de la vie humaine n’ont pas étédus à des modifications touchant auxprocessus de vieillissement. Ils ont étélargement produits par la réduction desrisques de mort, notamment la diminu-tion de la mortalité infantile et de lamortalité maternelle par exemple. Onne peut pas en espérer autant dans lescent prochaines années parce que lesrisques de mourir très jeune sont actuel-lement déjà voisins de zéro. Même deschangements spectaculaires dans lesrisques associés aux maladies du vieilâge, prises une à une, auront des effetsmodestes sur l’espérance de vie d’unadulte. Si l’on considère une femme decinquante ans par exemple, l’élimina-tion complète du cancer, qui n’est pasdu tout possible aujourd’hui, conduiraità allonger son espérance de vie d’en-viron seulement deux ou trois ans! En

ressources à comprendre les méca-nismes fondamentaux en jeu dans levieillissement, qui restent la clef de tout.

Si j’annonce aujourd’hui que j’ai trouvéune méthode qui permet de retarderd’un an et demi l’apparition des cancerschez les souris, ce qui est équivalent àcinquante ans chez l’homme, ce seraitune grande nouvelle, d’un intérêt majeurpour le public et pour ceux qui décidentde l’attribution des crédits de recherche.Et, il est effectivement possible de lefaire chez les souris par changementgénétique et restriction calorique. Et sij’ajoute, qu’en même temps cetteméthode réduit aussi le développementde la cataracte et le déclin cognitif etralentit le développement de la faiblessemusculaire et de la faiblesse immuni-taire, je pense que ce ne sera pas seule-ment l’occasion de se réjouir, mais aussiune bonne raison pour agir. Ralentir levieillissement signifie ralentir le déve-loppement d’une vaste gamme de mala-dies et d’évolutions dégénératives quirendent la vie plus difficile pour des gensde 70, 80 ou 90 ans Etre capable deralentir la vitesse du déclin serait ungain considérable et je ne vois pascomment y parvenir sans comprendremieux ce qu’est le vieillissement pourpouvoir le contrôler.

Je trouve très triste que le monde engénéral n’ait pas encore compris l’im-portance de la recherche en biologiefondamentale du vieillissement pouraméliorer la santé humaine et le bien-être. Même aux Etats-Unis, où desquantités de dollars affectés à ce typede recherche, la masse d’argent dispo-nible est très faible: 0,06 % du budgetdu National Institute of Health! Il y a unpetit nombre de chercheurs en Europequi font un magnifique travail mais,malheureusement, ils sont encoremoins nombreux qu’aux Etats-Unis. Jepense que ce domaine est l’un de ceuxqui méritent un soutien financiersupplémentaire dans chaque pays duMonde parce que c’est celui qui a lepotentiel le plus important pour seprémunir contre un très grand nombrede maladies et d’infirmités �

gènes qui tuent dans la première annéede la vie, ou dans les dix ou vingt pre-mières années, parce qu’ils induisentdes maladies infantiles. Elle comprendaussi beaucoup de gènes qui influencentla longévité en augmentant le risqued’attaques cardiaques ou de formesspécifiques du cancer, dans l’âge moyenou chez des gens plus âgés. Tous cesgènes ont un effet sur la longévité maisne concernent pas le processus duvieillissement proprement dit. On ne saitpas encore s’il existe une fraction dubagage génétique qui est associée avecdes changements réels de la vitesse duvieillissement. Une autre manière de malcomprendre le problème est d’ignorerl’effet spectaculaire des différencesgénétiques sur la durée relative de la viedes espèces. Les différences de duréede vie, et les différences de vieillisse-ment, entre les souris, les chiens, leschevaux et les hommes sont entière-ment génétiques. Les différences dansles vitesses de vieillissement et l’espé-rance de vie de chacune de ces espècessont bien plus importantes que lespetites différences hypothétiques entreindividus d’une même espèce.

Aujourd’hui, il est facile de fabriquer dessouris qui vieillissent lentement. Onconnaît au moins six gènes uniques,spécifiques, qui peuvent ralentir leprocessus du vieillissement. Mais il n’ya pas là, en aucune façon, un guide quipuisse permettre de créer des humainsavec des différences génétiques. Il y ajuste des outils expérimentaux quipeuvent nous apprendre comment levieillissement peut être ralenti, quelschangements dans l’expression desgènes ou dans le nombre de cellulesinduisent une sénescence ralentie. Maisrien de tout cela ne va nous enseignercomment produire des bébés qui vontvivre 200 ans!

Dossier

Page 9: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

Les universités du “temps libre”, la gardedes petits enfants par les grands-parentsdoivent être développés. Il faut ensei-gner aux personnes âgées les métho-dologies modernes qui peuvent faciliterleur existence (informatique, téléma-tique, télésurveillance, etc…) puisquel’expérience montre qu’elles peuvent sefamiliariser avec elles.

Il est souhaitable de maintenir la per-sonne âgée aussi longtemps que pos-sible à son domicile, en lui procurant lesaides ménagères et les soins que sonétat nécessite. Quand la personne âgéeest hébergée dans sa famille, il faut aidercelle-ci, par exemple grâce à des hospi-talisations temporaires quand lesenfants s’absentent ou en cas demaladie. Le suivi à domicile requiert lacollaboration de nombreuses discipli-nes médicales et sociales (médecins,gériatres, psychiatres, psychologues,assistantes sociales, infirmières, etc…);l’organisation de réseaux de soins,incluant des services hospitaliers, s’im-pose donc; ceux-ci doivent être soumisà des cahiers des charges précis, desrègles de contrôle de qualité et êtreévalués.

En conclusion: on peut prolonger lapériode d’autonomie et de vie sanshandicap majeur. Mais ceci nécessite unquadruple effort:� former le corps médical et les profes-

sionnels de santé à ces tâches nou-velles et faire coopérer étroitement lesdisciplines médicales et sociales,

� aider les familles et, plus générale-ment, informer la société puisque c’estde son attitude que dépend l’amélio-ration de la santé mentale et socialedes personnes âgées,

� développer les recherches scienti-fiques, médicales, psychologiques etsociologiques indispensables,

� apprendre à faire travailler ensembledes personnes de formations trèsdiverses (médicales et sociales) maisdont les activités concourent au bien-être des personnes âgées.

Le bouleversement de l’équilibre démo-graphique de la société moderne (en2020 un tiers de la population aura plusde 60 ans), le poids inexorablementcroissant de l’aide aux personnes âgéesconstituent un problème d’une gigan-tesque ampleur. On ne le résoudra paspar quelques mesures cosmétiques, ilnécessite une réflexion approfondie etune stratégie à long terme �

l’utilisation de ces cellules dans laprévention de plusieurs pathologies.Chez les rongeurs, la sénescence peutêtre ralentie par une restriction sévèrede l’apport calorique, mais les connais-sances actuelles, tout en soulignant lesméfaits du surpoids, ne permettent pasde conseiller des régimes diététiquesaussi sévères chez l’homme, (voir cf.R.Miller),

� des déficiences sensorielles (vision,ouie) et de l’appareil locomoteur qu’ilimporte de rechercher et de corrigerafin de maintenir l’autonomie, condi-tion indispensable à un vieillissementharmonieux,

� l’organisme en vieillissant devient plusvulnérable, ses capacités de défensecontre les agents infectieux diminuent,ce qui nécessite l’accroissement deprécautions d’hygiène. On observe deplus un accroissement avec l’âge desmaladies cardiovasculaires (dégéné-

rescence athéromateuse) et de quelquestypes de cancers “notamment ceux du sein, du colon et de la prostate”,(voir cf. T. Turz). Des examens régu-liers sont donc utiles pour surveiller,d’une part, la tension artérielle et,d’autre part, diagnostiquer précoce-ment les cancers éventuels.

Sur le plan de la prévention, ce sont lesmêmes mesures qui sont préconisées pour réduire le risque de ces différentespathologies : conserver une activitéphysique régulière jusqu’à un âge trèsavancé (l’équivalent d’au moins 3,5 h /semaine de marche), éviter le surpoids, lesdéséquilibres alimentaires (régime hyper-calorique ou riche en graisses notammenten graisses animales) et proscrire lesintoxications tabagiques et alcooliques.

B – Santé mentale. Elle a deux aspects:� la dégradation des fonctions psy-

chiques (notamment de la mémoire)est inconstante et peut être tardive. Parexemple, la prévalence de la maladied’Alzheimer, qui est la plus fréquentedes démences séniles, passe de 1 % à70 ans à 15 % à 85 ans,

� les troubles du caractère : anxiété,agressivité, tendances dépressives.

On ne sait ni éviter, ni retarder cestroubles psychiques.Les médicaments psychotropes peuventêtre utiles mais leur prescription doitêtre prudente car ils ont des effetsnuisibles. Certaines données suggèrentque les fonctions intellectuelles baissentmoins vite actuellement qu’il y a undemi-siècle, ce qui pourrait être dû à unmeilleur niveau d’instruction et à laconservation d’une activité intellectuellejusqu’à à un âge plus avancé. Le main-

tien de centres d’intérêts, d’un sentimentd’utilité paraissent favoriser un équilibrepsychique, alors qu’au contraire l’exclu-sion, l’enfermement en institution, ontune influence défavorable.

C – Santé sociale.Le bien-être de la personne âgée dépenddonc de l’attitude de la société à sonégard. Il est dangereux de laisser sedévelopper les tendances au rejet, parexemple en favorisant le départ pré-maturé en préretraite pour faire la placeaux jeunes, ou le sentiment que lespersonnes âgées constituent un fardeauéconomique en raison du coût de leurssoins. Il faudrait, au contraire, favoriserleur intégration dans la société grâce àdes activités bénévoles ou rémunérées.

9

Dossier

Aspects médicaux et sociaux du vieillissement

Par Maurice Tubiana 1

L ’allongement de la durée de vie aété le phénomène capital du

XXe siècle. Associé à la baisse de la fécon-dité, il a bouleversé la structure démo-graphique posant ainsi, des problèmesde santé physique, mentale et sociale.La prolongation de l’espérance de vie estle fruit de deux phénomènes : 1) unediminution spectaculaire depuis unsiècle de la mortalité prématurée (avant65 ans) particulièrement nette chez lesfemmes, moindre chez l’homme à causedes pathologies causées par le tabac,l’alcool et les traumatismes, 2) unemoindre usure de l’organisme. Alors quel’espérance de vie des sujets de 65 ansavait peu augmenté de 1750 et 1950, elles’est considérablement accrue au coursdu dernier demi-siècle et continue decroître, comme en témoigne le nombrerapidement croissant de centenaires.Tout se passe donc comme si la sénes-cence avait été retardée ou ralentie.

A – Santé physique. L’âge entraîne:� une sénescence physiologique, pro-

cessus dynamique qui atteint l’orga-nisme à tous les niveaux, de la molé-cule d’ADN et de la cellule aux tissuset notamment le cerveau. Un pro-gramme génétique fixe la durée de viedes différentes espèces; cependant ceprogramme est, dans certaines limites,influencé par les conditions de vie qui,comme le montre l’expérience de cesdeux derniers siècles, peuvent ac-célérer ou ralentir ce processus.L’exemple des effets de l’irradiationsolaire sur le vieillissement de la peau(rides, flétrissement, cancers) illustrel’influence d’agents exogènes. Demême, la prévention de l’ostéoporosepar un traitement hormonal substi-tutif montre l’influence des hormones.Une des conséquences du vieillisse-ment est l’appauvrissement des tis-sus en cellules, particulièrement encellules souches, ce qui ouvre la voie àdes perspectives prometteuses pour

1 Membre de l’Académie des sciences, Président de l’Aca-démie nationale de médecine

Page 10: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

dirigée vers le Soleil même. Etcomme cette puissance varietoujours de la même manière que lagravité des corps qui tombent versla terre, on doit conclure qu'ellen'est autre chose que la gravitémême des planètes sur le Soleil.D'où il suit, suivant la théorie de lagravité, que la puissance de lapesanteur des planètes augmentecomme le quarré de la distance duSoleil diminue.”Or Pascal était mort en 1662 et, si l’onen croit la légende, c’est pendant lagrande peste de Londres, en 1666, queNewton aurait vu tomber la pomme,alors que le manuscrit des Principiamathematica est de 1686. Les docu-ments exhibés par Chasles, dont certainsétaient datés de 1652, montraient doncclairement la priorité de Pascal surNewton.

A l’époque, le grand public s’intéressaità la science et dans les quotidiens natio-naux, un chroniqueur scientifique rédi-

1 Cette chronique a fait l’objet d’un ouvrage publié aux éditions Le Pommier, Paris, 2001

2 Correspondant à l’Académie des sciences, physicien àl’Institut de physique du globe de Paris

10

Par Jean-Paul Poirier 2

P armi les noms des soixante-douzesavants français que Gustave Eiffel

choisit d’immortaliser en leur attribuantun médaillon au premier étage de saTour de 300 mètres, on trouve celui deMichel Chasles (1793-1880), professeurde géométrie supérieure à la Sorbonne,membre de l’Académie des sciencesdepuis 1851, membre étranger de laRoyal Society de Londres. La célébritéde Chasles, reconnu comme l’un desgrands mathématiciens français duXIXe siècle, était due à ses contributionsimportantes à la géométrie projective,plus qu’à l’élémentaire “relation deChasles” bien connue des lycéens. Endépit de l’allure quelque peu sévère deses portraits, Chasles était un hommegénéreux, qui participait activement à la“Société de secours des amis dessciences”; sa courtoisie était proverbialeet on ne lui connaissait pas d’ennemi.Mais, c’était aussi un collectionneurpassionné d’autographes et cette pas-

sion fut la cause des ennuis qui assom-brirent les dernières années de son exis-tence.

Chasles avait un jour mentionné à sonami, l’illustre chimiste Chevreul, qu’ilpossédait des lettres et des notesmanuscrites de Pascal prouvant claire-ment que Pascal avait découvert les lois de la gravitation universelle avantNewton. A la séance du 15 juillet 1867,Chevreul, alors président de l’Acadé-mie, lui demanda s’il voulait bien “dire quelques mots de ce grand fait descience”.

Le lundi suivant, Chasles montra à sesconfrères deux lettres autographes etsignées de Pascal, adressées à Boyle,ainsi que quelques notes jetées à la hâtesur des bouts de papier (ces documents,conservés à la bibliothèque de l’Institut,y furent exposés en 2001).Une de ces lettres commence par cettephrase: “Monsieur, dans les mouve-ments célestes, la force agissant enraison directe des masses et enraison inverse du quarré de ladistance suffit à tout et fournit desraisons pour expliquer toutes cesgrandes révolutions qui animentl'univers. Rien n’est si beau selonmoi”. Et dans une note griffonnée, ontrouve ces mots : “Les observationsastronomiques apprennent quetoutes les planètes se meuvent dansune courbe autour du Soleil ; […]Mais afin que ces grands corpsdécrivent cette courbe autour duSoleil, il faut qu'ils soient animéspar une puissance qui fléchisse leurroute en ligne courbe et qu'elle soit

Actualités du passé

Mystification à

A Ceci est la lettre de défitqu’envoye Jules César àVercingétorix, chef desGaulois.

B Aux Parysiens de la part deJehanne, dicte la Pucelle.

C Lettre de Charlemagne àson très docte et très améAlcuin.

A B

Page 11: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

au petit Newton, alors âgé de onze ans,par lesquelles notre grand hommecommuniquait ses idées au jeune écolier.Newton, non content de perdre la prio-rité, devenait alors un plagiaire.Duhamel ne trouva dans ces lettresaucun élément nouveau qui pût le fairechanger d’avis.D’un autre côté, pour Faugère, un littérairespécialiste de Pascal, le style des lettreétait loin d’avoir la limpidité de celui dePascal et les signatures ne ressemblaientaucunement à la sienne. Les lettresétaient, selon lui, des faux malhabiles.Ainsi débuta, dès le mois d’août 1867,une controverse qui devait durer deuxpleines années, occupant quasimenttoutes les séances de l’Académie. Lesrépercussions s’étendirent, évidemmentà l’Angleterre, car le physicien Brewster,associé étranger de l’Académie etbiographe de Newton, n’avait pas tardéà réagir, mais aussi à l’Italie et à laHollande, car Galilée et Huygens furentappelés à la rescousse par Chasles.S’appuyant sur des centaines de pagesdes Comptes rendus de l’Académie dessciences et sur des documents du“dossier Chasles” conservé aux archi-ves de l’Académie, le livre racontecomment, lundi après lundi, les scep-tiques donnaient des arguments astro-nomiques ou historiques, apparemmentdécisifs, contre la thèse de Chasles, et

comment celui-ci se défendait avec becet ongles, faisant état à chaque fois denouvelles lettres autographes de tout cequi avait un nom dans le monde scien-tifique, littéraire et politique des XVIIe

et XVIIIe siècles qui répondaient en détailaux objections soulevées, formant unformidable faisceau de preuves à chargecontre Newton.Les physiciens et astronomes de l’Aca-démie, sceptiques de la première heure,ne trouvaient pas de réponses à leursarguments scientifiques dans ces docu-ments qui arrivaient si fort à propos etdont l’abondance leur semblait suspecte,mais la discussion se prolongeait, car lesentiment général des académiciensétait que l’on devait écouter jusqu’au boutun confrère respecté et aimé. La pressenationale et les revues de vulgarisationse faisaient, en général, l’écho des senti-ments patriotiques et, à l’instar de l’en-thousiaste abbé Moigno, en tenaient pourPascal. Par contre, mais il était relative-ment isolé, le talentueux Wilfrid deFonvielle, chroniqueur de La Liberté,

11

geait chaque semaine une rubriquerendant compte des séances de l’Aca-démie des sciences. De nombreusesrevues de vulgarisation s’intéressaientégalement à l’actualité scientifique. Maisque la découverte des lois de la gravita-tion universelle soit l’œuvre de Pascal,un illustre Français, et non d’un fils dela perfide Albion, dépassait de beaucouple cadre de la science. On imagine donccomment la nouvelle fut reçue par les“patriotes”. Parmi ceux-ci, l’abbé Moigno,bon mathématicien, rédacteur de larevue Les Mondes, revue hebdoma-

daire des sciences et de leurs appli-cations aux arts et à l'industrie, futl’un des plus enthousiastes.Les académiciens, toutefois, accueilli-rent la grande nouvelle avec infinimentplus de réserve. Ils croyaient fermementque la science n’a pas de frontières etque si l’on voulait dépouiller de sa gloireNewton, d’ailleurs associé étranger del’Académie, il fallait un peu plus que devagues considérations qualitatives. Lephysicien Duhamel, fut le premier àmonter à l’assaut et à dire que les lettresne prouvaient rien.En effet, le mérite de Newton ne consis-tait pas à avoir énoncé que l’attractionétait proportionnelle à l’inverse du carréde la distance, idée déjà fort répanduedans les milieux scientifiques del’époque, mais bien plutôt d’avoirdémontré mathématiquement les loisde Képler. Il fallait pour cela disposer dedonnées d’observation dont Pascal nepouvait pas avoir connaissance. En parti-culier, il était nécessaire de connaître lerayon de la Terre pour pouvoir affirmer

que la puissance qui anime lesplanètes vers le Soleil varie toujoursde la même manière que la gravitédes corps qui tombent vers la terre.Or, la valeur, trop faible, d’abord utiliséepar Newton ne lui avait pas permis deprouver sa thèse et ce n’est qu’en 1682,quand il connut les résultats de l’abbéPicard, qu’il put achever ses calculs.Pascal était mort depuis vingt ans !Malgré leur apparence ancienne, leslettres ne pouvaient pas être de Pascal.Chasles, blessé du soupçon, produisit àla séance suivante des lettres de Pascal

brocardait avec verve l’Académie qui selaissait enliser dans cette ridicule histoire.Finalement, c’est l’astronome Le Verrier,découvreur de Neptune, et directeur fortcontesté de l'Observatoire, qui joua lerôle d’un avocat général dans cetteaffaire. Au cours de plusieurs séancessuccessives, dans l’été 1869, il fit unrésumé fidèle des arguments pro et conet conclut que tous les documentsproduits étaient faux et que la gloire deNewton n’était pas entamée.Chasles ne cédait toujours pas, mais peuaprès, à la surprise générale, il annonçaqu'il avait fait arrêter le faussaire. Celui-ci, qui prétendait avoir seul accès à lasource des documents, les fabriquait aufur et à mesure des besoins, lorsqueChasles lui racontait naïvement lesobjections qui lui étaient faites.Le procès du faussaire, en février 1870,fit salle comble. L’accusé, Vrain-DenisLucas, sans profession, avait vendu àChasles, pour une somme considérable,vingt-sept mille pièces, écrites en unesorte de vieux français sur du papierroussi artificiellement. A la grande joiedu public, on apprit qu’en plus des lettresdont il avait fait état à l’Académie, le naïfmathématicien avait fait l’acquisition delettres de Ponce-Pilate à Tibère, deSocrate à Euclide, de Judas Iscariote àMarie-Madeleine, de Christophe Colombà Rabelais, d’Héloïse à Abélard, et de

bien d’autres tout aussi improbables.Alphonse Daudet s’inspira de l’affairepour son roman “L’immortel”.Lucas, cet autodidacte génial, qui avaitdû travailler sans relâche pour fabriquerautant de documents, fut condamnépour escroquerie à deux ans de prison.On pourrait certes se demandercomment un grand savant pouvait êtreaussi naïf, mais ce serait oublier que lapassion ne connaît pas la raison, et lesautographes étaient la passion deChasles. Pour le public chauvin, il n’étaitque trop vraisemblable qu’un Anglaiseût encore une fois piraté l’œuvre d’unFrançais, et il n’était que justice de réta-blir la vérité.

Mais il faut noter que la fierté nationalene joua aucun rôle à l’Académie, etlorsque le Secrétaire perpétuel Jean-Baptiste Dumas mit fin à cette péniblediscussion, ce fut pour assurer queNewton n’avait rien souffert de cettetentative, ni dans sa gloire, ni surtoutdans sa dignité �

n à l’Académie des sciences1

Actualités du passéC

Michel Chasles (1793-1880)

Page 12: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

12

Questions d’actualité

3 Membre de l’Académie des sciences, Professeur àl’Université Paris-Sud Orsay

quarks et un doublet de leptons. Maisil a aussi des retombées en cosmologie!En effet, la valeur de Nν influe sur ladépendance en température de l’universprimordial et donc sur la synthèse desnoyaux légers à partir des protons etneutrons libres. Or on sait depuis plusd’une dizaine d’années que le modèlecosmologique standard et la mesure del’abondance des éléments tels que l’hy-drogène et l’hélium montrent que lavaleur de Nν est 3 ou 4. La mesure deLEP peut donc être vue comme uneconfirmation du modèle cosmologiquedu big-bang. Finalement, remarquonsque la structure des quarks et desleptons en trois familles est une décou-verte expérimentale, non prédite etencore inexpliquée par la théorie: si leModèle Standard des interactions forteet électrofaible rend compte des pro-priétés relatives des quarks et desleptons à l’intérieur de chaque famille,il ne dit rien sur leur multiplicité qu’iltraite comme des répliques “mises à lamain” de la première famille.

L’énigme posée par les neutrinos solaires

La difficulté de détection mentionnéeplus haut a conduit les physiciens àimaginer des expériences mettant enjeu des sources intenses de neutrinos.Ainsi, des étapes importantes ont-elles

Par Michel Davier 1

Un défi pour les expérimentateurs

J usqu’à une échelle spatiale de 10 -18

mètre, limite de la résolution expé-rimentale actuelle, la matière est forméede particules élémentaires: les quarkset les leptons. Si les quarks sont lesconstituants des particules soumisesprincipalement à l’interaction forte, lesleptons n’y sont pas sensibles et leurspropriétés découlent de l’effet des inter-actions électromagnétique et faible. Lesleptons sont soit chargés électrique-ment, comme l’électron et le muon, soitneutres, comme les neutrinos. De ce fait,ces derniers n’interagissent avec lesautres particules que par la force d’inter-action faible, ce qui leur confère la redou-table propriété d’être pratiquementinsaisissables: il faut pour les détecterdes appareils de très grande masse, oubénéficier de flux intenses, ou souvent

tégrations du boson Z°, le médiateuravec les bosons W de l’interaction faible.La plupart de ces désintégrationsconduisent à un état final où les parti-cules sont facilement détectables, maisune partie significative d’entre ellesproduit des paires neutrino-antineutrinoqui échappent aux détecteurs. Par uneméthode très élégante basée sur lesconcepts mêmes de la mécanique quan-tique, le nombre de types de neutrinosNν supposés être couplés de manièrestandard au boson Z° peut être déter-miné. La qualité de cette mesure s’estconsidérablement améliorée dans letemps grâce au développement denouveaux éléments de détecteur et à de nouvelles méthodes de mesure del’énergie des faisceaux par dépolari-sation résonnante. La valeur finale, Nν = 2.9841 + - 0.0083, établit sans équi-voque l’existence de trois types deneutrinos et, du fait de sa précision,prouve l’hypothèse d’universalité descouplages.

Ce résultat est d’une grande importancedans la mesure où il place une borne àla structure en familles des quarks et deleptons: trois et seulement trois familles,chacune comprenant un doublet de

les deux à la fois. Pour fixer les idées, unneutrino d’énergie 1 GeV créé dans l’at-mosphère terrestre par l’interaction derayons cosmiques a une probabilité deseulement 10 – 4 d’interagir lorsqu’iltraverse un diamètre terrestre!

Cette difficulté de détection desneutrinos a rendu les progrès expéri-mentaux dans ce domaine plutôt lents.Si le neutrino a été “inventé” par Paulidès 1931 pour expliquer le spectre enénergie des électrons émis dans laradioactivité β des noyaux, sa mise enévidence expérimentale par Reines etCowan n’a eu lieu qu’en 1953. Il s’agis-sait alors du neutrino associé à l’élec-tron. L’existence de deux types deneutrinos, l’un associé à l’électron, l’autreau muon a été prouvée en 1962 parl’équipe de Lederman, Schwartz etSteinberger. Et c’est l’an dernier seule-ment que le neutrino associé au troi-sième lepton chargé connu, le lepton τ,a été mis en évidence de façon directe.

Trois neutrinos distincts

Un des grands succès expérimentauxde ces dernières années est la détermi-nation du nombre de types de neutrinos.Ce résultat majeur a été obtenu par lesexpériences sur l’anneau de collisionsélectron-positron LEP du CERN enobservant environ 16 millions de désin-

Lesneutrinos,omniprésents et insaisissables

Degrands progrès ont été accomplis

récemment dans l’étude des neutrinos, ces parti-cules aux propriétés encore peu élucidées et dont la détec-

tion défie l’imagination des physiciens. Les neutrinos jouent unrôle capital depuis l’échelle microscopique avec la désintégration des

noyaux radioactifs jusqu’à celle de l’univers tout entier. La mise en évidencede leur masse, qui se révèle être minuscule, ouvre de fait une fenêtre sur des

phénomènes à très haute énergie qui sont pour l’instant inaccessibles directement.

Page 13: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

13

Questions d’actualitédéjà plus de 105 plus faible que la massede l’électron.Comment donc expliquer les anomaliesobservées si les neutrinos ont unemasse? En fait, il faut non seulementqu’ils soient massifs, mais que les troisespèces de neutrinos aient des massesdifférentes. Il se produit alors un phéno-mène d’oscillations entre les trois typeslors de leur propagation. Ce phénomènede nature purement quantique est àl’oeuvre lorsqu’un système physique faitintervenir plusieurs bases d’étatspropres. Dans le cas des neutrinos, il fautdistinguer la base des états propres demasse et celle des états propres de l’in-teraction faible. La première base (ν

1, ν

2,

ν3) est appropriée pour décrire la propa-

gation où la fonction d’onde de chaqueétat s’exprime alors simplement. Laseconde est la base habituelle des troistypes de neutrinos définis en relationavec les leptons chargés correspon-dants, soit (νe, νµ, ντ). Mathématique-ment, il existe une matrice unitaire 3 par3 pour passer d’une base à l’autre, cettematrice dite de mélange dépendant engénéral de 4 paramètres : 3 anglesd’Euler et une phase. Un état νe produitdans le Soleil va se comporter commeune superposition linéaire des trois étatsde masse, chacun se propageant dansl’espace avec sa fonction d’onde oscil-lante propre gouvernée par sa masse.Les différentes composantes vont doncprogressivement se déphaser les unespar rapport aux autres, avec le résultatque l’état initial νe n’est pas préservé etque des composantes νµ et ντ appa-raissent. On peut montrer que le phéno-mène est caractérisé par une longueur,dite longueur d’oscillation, dépendantdes différences entre les carrés desmasses propres et des angles de lamatrice de mélange.

D’autres effets dus aux différentesprobabilités d’interaction des neutrinos(νe, νµ , ντ ) semblent jouer un rôleimportant lorsque les neutrinos sepropagent dans la matière, par exempleà l’intérieur du Soleil. Il se trouve que lesrésultats expérimentaux discutés précé-demment s’expliquent parfaitement parces phénomènes d’oscillations dont lesmasses des neutrinos sont à l’origine.De plus, un certain découplage semblese produire dans la matrice de mélange,de telle sorte que l’on peut pratiquementrendre compte des observations pardeux matrices 2 par 2, chacune avec unangle de rotation voisin de 45°, corres-pondant à un mélange maximal.C’est ainsi que les neutrinos νe émis parle Soleil oscillent en partie vers desneutrinos νµ qui interagissent très peuavec les détecteurs car leur énergie estbien inférieure à celle nécessaire pourproduire des muons. Cette conversionde νe en νµ va être prochainement testéegrâce à une nouvelle expérience en fonc-tionnement au Canada, SNO, qui a été

voie, celle de la détection en temps réeldes neutrinos solaires par le biais desélectrons produits par diffusion élastiquedans d’immenses réservoirs d’eau puri-fiée fonctionnant comme des détecteursde rayonnement Cerenkov. Outre le faitqu’ils sont basés sur des principes dedétection complètement différents, lesrésultats obtenus par l’ensemble de cesexpériences permettent de consoliderune image cohérente de l’émission deneutrinos solaires, avec des informationscomplémentaires sur le spectre enénergie et sur la variabilité potentielle duflux en fonction de l’activité solaire. D’unautre côté, les prédictions théoriques sesont considérablement affinées. Unedifficulté réside dans l’extrême sensibi-lité à la température de certaines réac-tions nucléaires dans le Soleil. Cepen-dant ces ambiguïtés ont pu être levéespar des mesures sur les modes de vibra-tions du Soleil. L’observation de raiesspectrales à la surface du Soleil a permisla mise en évidence des oscillationspropres de celui-ci. La sismologie solairea donc apporté un soutien de poids aumodèle solaire standard et par là-mêmevalidé les prédictions sur le flux deneutrinos solaires. Le déficit observéreprésente donc la première énigme àlaquelle nous sommes confrontés.

Le problème des neutrinos atmo-sphériquesLa détection des neutrinos issus desinteractions de rayons cosmiques dansl’atmosphère terrestre a apporté unenouvelle énigme. De quoi s’agit-il? Demanière très générale, on s’attend à ceque ces interactions, suivies par lesdésintégrations des particules secon-daires produites, conduisent à un rapportégal à 2 entre les nombres de neutrinosde type muon (νµ) et ceux de type élec-tron (νe), ceci tenant au fait que lesmésons π produisent pratiquementuniquement des neutrinos νµ et desmuons, chacun d’entre eux se désinté-grant en électron, un neutrino νµ et unneutrino νe (sans distinguer ici entreneutrinos et antineutrinos). Comme ils’agit ici d’un rapport, la prédiction théo-rique est robuste et dépend peu desmodèles utilisés pour décrire les gerbescosmiques dans l’atmosphère.

Les expériences installées dans deslaboratoires souterrains détectent lesinteractions induites par les neutrinospar les particules produites. Ainsi l’in-teraction d’un νe s’accompagne-t-elled’un électron, alors que celle d’un νµ secaractérise par l’apparition d’un muon.Cette signature expérimentale clairepermet une excellente séparation desdeux types d’événements.A la surprise générale, les mesureseffectuées dans l’expérience SuperKa-miokande, et confirmées depuis pard’autres groupes, montrent un déficittrès net de neutrinos νµ par rapport auxneutrinos νe. En fait, le flux absolu de νe

est en bon accord avec la prédiction desmodèles théoriques de gerbes, maisc’est le taux de neutrinos νµ qui estréduit. De plus, et c’est l’aspect sansdoute le plus intéressant de ce problème,le taux de réduction varie très significa-tivement suivant la direction d’arrivéedu neutrino, estimée par celle du muondétecté : les neutrinos νµ produits auzénith, c’est-à-dire à environ 10-20 kmdu détecteur ont un flux normal, alorsque ceux en provenance de l’atmosphèreaux antipodes et ayant traversé (sanspeine) 13000 km sont fortement réduitspar rapport au flux théorique. Deuxièmeénigme de taille posée par les neutrinos!

Des neutrinos massifset oscillants

Il existe une solution élégante aux deuxénigmes que nous posent les neutrinossolaires et atmosphériques et qui estbasée sur le fait que ces neutrinos ontune masse. Ceci n’est pas surprenanten soi, les particules étant en généralmassives. Dans le cas des neutrinos, lesmesures directes de leur masse onttoujours donné des limites inférieureset l’habitude avait été prise de les consi-dérer comme ayant une masse nulle.Cependant, alors que la masse nulle duphoton est dictée par l’invariance dejauge de la théorie électromagnétique,aucun principe général ne semble exigerque les neutrinos soient sans masse.Néanmoins leur masse est certainementtrès faible au regard de celle des parti-cules auxquelles ils sont associés: lesmesures les plus précises actuellementdonnent pour le neutrino νe une masseinférieure à 3 eV/c2 environ, une valeur

été franchies par l’utilisation des réac-teurs nucléaires, la mise en œuvre defaisceaux concentrés de neutrinos pro-duits avec des accélérateurs de parti-cules. Mais des progrès décisifs ont étéobtenus ces dernières années en setournant vers des sources naturellescosmiques. D’une part, des flux intensesde neutrinos sont émis par les étoiles,soit en régime permanent grâce auxréactions de fusion thermonucléaire quientretiennent leur combustion, soit à lafin de leur vie lorsqu’elles s’effondrentet explosent en supernovae. D’autre part,les rayons cosmiques primaires, consti-tués de protons et de noyaux légers,interagissent avec la haute atmosphèreterrestre, produisant une gerbe de parti-cules secondaires dont les produits dedésintégrations contiennent des neu-trinos en abondance. Comme nous allonsle voir, ces deux approches ont apportédes informations considérables sur leproblème de la masse des neutrinos.

Du fait de sa relative proximité, le Soleilest une source de neutrinos privilégiéepour l’expérimentation. Les réactions defusion produisent un flux soutenu etintense de neutrinos du type électron,de l’ordre de 1015 par m2 de surface ter-restre et par seconde, pour des énergiessupérieures à 100 keV. Ces réactionsforment un cycle, maintenant très bienconnu, dont le rôle dans la production deneutrinos peut se ramener globalementà une transmutation des protons enneutrons. La mesure de ce flux sur Terrea été engagée depuis 1967 par le physi-cien américain Davis au moyen d’uneréaction où les neutrinos transmutentdes noyaux de chlore-37 en argon-37,ces derniers pouvant être signés un parun lors de leur désintégration radioac-tive ultérieure. Cette expérience radio-chimique constitua à l’époque uneprouesse technique: elle mettait en jeu600 tonnes de trichloréthylène, placés à1500 m de profondeur dans une mined’or désaffectée pour se débarrasser dubruit de fond des rayons cosmiques, etconduisait à la détection d’environ unedésintégration d’argon-37 par semaine.Le résultat fut à la mesure de l’effort: leflux mesuré était environ un tiers du fluxcalculé par Bahcall. Il importait donc deconfirmer le résultat expérimental et des’assurer de la validité des prédictionsthéoriques. Cette double démarche arythmé les progrès récents dans cedomaine.

Tout d’abord, le déficit apparent deneutrinos solaires a été confirmé par denombreuses expériences ultérieures.Parmi celles-ci, l’expérience européenneGALLEX dont le choix du gallium-71permettait d’accéder à des neutrinosd’énergie beaucoup plus faible grâce àson seuil à 230 keV. Les expériencesKamiokande et surtout SuperKamio-kande au Japon ont ouvert une nouvelle

Page 14: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

“Objets inanimés,avez-vous donc

une âme?”, demandait le poète. Sansvouloir répondre à sa place, on seraittenté, à la lumière de la science desmatériaux, de lui recommander d’inté-grer dans sa réflexion le fait que les

matériaux qui constituent ces “objetsinanimés” ont leur façon propre denaître et de mourir et, dans l’intervalle,de vieillir… Certes, la “vie” ne se mani-feste pas chez eux avec la vigueur et lasplendeur qui marquent le règne animalou végétal; leur vieillissement n’est paslié à la perturbation progressive ou auralentissement des cycles merveilleuxqui entretiennent la flamme vitale et s’ef-fectue selon un rythme souvent plus lentet, à coup sûr, moins spectaculaire; maisils subissent tout autant des ans l’irrépa-rable outrage, par la mise en jeu impla-cable de mécanismes obéissant auxmêmes grandes lois de la nature. Unanthropomorphisme de bon aloi n’a-t-ild’ailleurs pas inspiré à l’ingénieur unvocabulaire technique évocateur: vieillis-sement, bien sûr, mais aussi pathologie,perte d’endurance, réduction de durée devie, voire perte de mémoire ou fatigue?.…Au commencement, il y a ce péchéoriginel: les matériaux ont été fabriqués

14

Questions d’actualitéconçue pour la détection directe desneutrinos νµ sur les noyaux de deuté-rium présents dans un grand volumed’eau lourde. La mesure d’un flux deνµexactement complémentaire de celuide νe apportera alors la preuve irréfu-table de l’existence des oscillations. Lesrésultats préliminaires de SNO vontd’ailleurs dans ce sens.

Dans le cas des neutrinos atmosphé-riques, avec en complément des résul-tats obtenus auprès d’un réacteur dela centrale de Chooz, l’explication résidedans une oscillation νµ - ντ, avec réduc-tion du flux de νµ et apparition d’un fluxde ντ qui est malheureusement“stérile” dans les conditions de l’expé-rience, comme dans le cas des neutrinossolaires. Des vérifications sont en courspour établir sans l’ombre d’un doute cemécanisme. Depuis un an, un faisceaude neutrinos fourni par le synchrotronKEK près de Tokyo est dirigé à 250 kmde là sur le détecteur SuperKamiokandepour confirmer la réduction du flux deνµ dans des conditions mieux contrô-lées que pour les neutrinos atmosphé-riques. Ce projet vient malheureusementde subir un revers important à cause del’implosion en chaîne d’un grand nombrede photomultiplicateurs qui tapissent lacuve Cerenkov et le détecteur devra êtrereconstruit. Enfin dans quelques annéesun faisceau issu du CERN sera pointévers le laboratoire souterrain du GranSasso distant de 730 km. L’énergie desneutrinos sera suffisamment élevéepour permettre l’observation directe desneutrinos ντ, apportant ici aussi la preuvedéfinitive.

Quelles masses pour les neutrinos?

L’interprétation des résultats récents entermes d’oscillations entre différentstypes de neutrinos fournit des valeurspour les différences des carrés desmasses correspondantes. Plusieurssolutions existent pour les neutrinossolaires avec ∆m2 de 10 – 5 à 10 – 10 (eV/c2) 2.Dans le cas des neutrinos atmosphé-riques, la solution est unique et fournitla valeur ∆m2 = (2.8 + - 0.8) 10 – 3 (eV/c2) 2.Malgré ces résultats spectaculaires lespectre de masse absolue des neutrinosest encore inconnu. On peut encoreconsidérer à ce stade deux scénariosextrêmes : l’un où les neutrinos sontpratiquement dégénérés en masse, avec une valeur pouvant atteindre lalimite expérimentale directe de 3 eV/c2;l’autre avec un spectre de masse trèsétalé, où le neutrino le plus lourd “pèse”60 meV/c2. Dans le premier cas, l’énergiede masse des neutrinos joue un rôlecosmologique, par exemple dans laformation des grandes structures degalaxies. Le second cas, peut-être plusnaturel, conduit à des masses minus-

cules pour les neutrinos. La distinctionentre les deux scénarios ne peut se fairequ’à travers la mesure absolue desmasses de neutrinos. Plusieurs ap-proches sont possibles: l’extension dela méthode utilisant la mesure duspectre en énergie des électrons dansla désintégration βprès de la limite ciné-matique, ou l’observation de la désinté-gration ββ sans neutrinos de certainsnoyaux, ou alors la mesure du temps devol des neutrinos prompts émis par unesupernova chronométrés par le rayon-nement synchrone d’ondes gravitation-nelles.

On peut s’interroger sur l’origine de l’extrême petitesse de la masse desneutrinos. Une explication a priori para-doxale a été proposée : ceci pourraitprovenir de l’existence d’une très grandeéchelle de masse M, caractéristique denouveaux phénomènes et qui fourniraitpour les neutrinos des masses de l’ordrede m2/M où m est la masse du leptonchargé correspondant. Il est facile deconstater que les valeurs possibles pourM sont bien au delà des énergies actuel-lement disponibles avec les accéléra-teurs et, si ce mécanisme était vérifié, lamesure des masses de neutrinos pour-rait apporter des informations pré-cieuses et vraiment uniques sur desphénomènes de très haute énergie.Cette perspective justifie pleinement lesefforts expérimentaux déployés sur denombreux fronts afin d’élucider lesderniers mystères des neutrinos �

Page 15: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

15

Questions d’actualitéet mis en service dans un état qui n’estjamais vraiment un état d’équilibre ther-modynamique. Si même il l’était, il ne leserait que relativement aux conditionsde température, de pression et d’envi-ronnement qui ont présidé à l’élabora-tion et ne seront plus celles de leur utili-sation. D’où une force motrice implacable,engendrée par ce déséquilibre thermo-dynamique, qui agira inéluctablementpour le réduire en modifiant l’architec-ture intime de la matière et les propriétésdont elle est responsable: c’est le vieillis-sement.

Le “vieillissementthermique”

Il y a, bien sûr, ces évolutions spectacu-laires qui suivent immédiatement lanaissance de certains matériaux, qu’onpourrait dire prématurée: le polymèrequi vient d’être synthétisé, le métal quivient de se solidifier ou le béton “jeune”qui vient d’être coulé n’ont pas encoreles propriétés qu’on attend d’eux. Quela polymérisation de la matière plastiqueou de la colle continue de se faire, que,

par un traitement thermique approprié,le métal voit une microstructure adé-quate s’établir et se stabiliser, que lesmécanismes d’hydratation du cimentprogressent suffisamment pour que laprise se fasse et ces matériaux aurontvite atteint l’âge adulte. Là commencealors pour eux le véritable vieillissement:les mécanismes qui avaient dominé lejeune âge et semblaient éteints conti-nueront à jouer lentement et d’autres semettront en route. Extérieurement, rienn’y paraît mais, à l’échelle fine de leurconstitution interne, les structuresinitiales évoluent dans le temps et lespropriétés d’usage en font autant : sibasse que soit la température d’utilisa-tion, elle n’atteint pas le “zéro absolu”et des mécanismes thermiquement

activés se mettent inexorablement enmarche pour modifier la répartition desconstituants et la distribution, la densité,voire la nature des défauts intimes de constitution qui régissaient sespropriétés d’usage initiales. Dans quelsens évolueront-elles? Parfois dans unsens bénéfique (les vins se bonifient envieillissant ; il y a aussi des matériauxfissurés qui “cicatrisent” avec l’âge!), leplus souvent cependant dans celui deleur dégradation, les microstructuresinitiales ayant été optimisées pour l’uti-lisation visée: raidissement, fragilisa-tion, opacification, etc. On parle alors de“vieillissement thermique” car, derrièrele temps, responsable apparent, secache la toute-puissante températureet sa manière de régir l’activation ther-mique, la vraie coupable, et son obscurtravail de sape.Les mécanismes par lesquels agit levieillissement thermique sont innom-brables; l’un des plus étudiés dans lesmatériaux métalliques est celui de laprécipitation et de son évolution tempo-relle. Prenez un bel et bon acier inoxy-dable, aux apparences trompeuses d’im-muabilité et d’insensibilité au temps qui

passe, et réchauffez-le suffisammentlongtemps de quelques centaines dedegrés, puis observez-le au microscopeélectronique: vous y verrez, à l’intérieurdes grains, ces petits cristaux micro-métriques qui le constituent, une répar-tition assez régulière de nouvelles petitesparticules, d’une taille de quelquesdixièmes de micromètre et d’une com-position chimique qui n’a rien à voir aveccelle de la “matrice” qui les entoure.Elles sont nées dans ces cristaux et ontcrû peu à peu, en consommant diversesespèces chimiques présentes dansl’acier, comme le fer et le carbone, quien sont les constituants de base, maisaussi le chrome et quelques autreséléments d’addition sans lesquels cetacier n’aurait pas ses vertus d’inoxyda-bilité : leur concentration ayant, auxtempératures considérées, dépassé leurlimite de solubilité dans le matériau et leur diffusion ayant été renduepossible, elles se sont progressive-

1 Correspondant de l’Académie des sciences,Professeur à l’École polytechnique.

ont, au contraire du biologiste ou dumédecin, toute latitude pour modifierd’emblée les conditions et les rythmesdu vieillissement et en utiliser les méca-nismes pour améliorer leurs “espèces”.Ainsi de l’influence, dans certainsalliages, du grossissement des préci-pités par vieillissement sur leur limited’élasticité (de petits précipités cohé-rents peuvent être aisément cisaillés parles dislocations, ces défauts linéairesd’empilement cristallin dont la multi-plication et le déplacement régissent laplasticité, alors que d’autres méca-nismes sont mobilisés pour de grosprécipités incohérents): ces mécanismespeuvent être mis à profit dès l’élabora-tion du matériau, par exemple par destraitements thermiques visant à obtenirune taille et une répartition optimales deces précipités, correspondant au “pic devieillissement” (on parle même, au-delàde ce pic, de “survieillissement”, qui peutêtre favorable à l’utilisation ultérieure).Dans le même esprit, l’observation deseffets du vieillissement ayant opéré surles roches sur des durées géologiquespeut être une source précieuse d’infor-mation, dont ne dispose guère le biolo-

giste. Il en va de même de la possibilitéde conduire des essais “accélérés”,conçus pour étudier sur des tempscourts les phénomènes et mécanismesde vieillissement à long, voire à très longterme, en soumettant les matériaux àdes sollicitations plus sévères (typique-ment à des températures plus élevées)que celles correspondant au domained’utilisation : on peut ainsi dégager, àpartir d’observations sur des duréesaccessibles à l’expérience, des règlesd’extrapolation permettant de prévoirles effets du vieillissement à long termesous sollicitations moindres. Séduisantedans son principe, cette problématiquepeut cependant s’avérer fallacieuse. Ellen’est en effet pleinement justifiée que siun seul mécanisme de vieillissement

ment déplacées et agglomérées pourformer des précipités, généralementdurs et cassants, mal liés à la matrice,et qui sont de ce fait des sources poten-tielles d’endommagement.Dans d’autres conditions, on pourraassister à la formation d’une grandedensité de très petites particules, cettefois de taille nanométrique, ce qui durcitle matériau mais, du même coup, lefragilise et, concurremment, de manièreencore plus pernicieuse car se produi-sant à plus basse température, à desfluctuations spatiales de la compositionchimique de la matrice en fer et enchrome, capables de s’amplifier: cette“décomposition spinodale” se laisseaujourd’hui analyser à la lumière de lathéorie des systèmes dynamiques et desinstabilités, de sorte qu’elle peut êtrecombattue dès la conception. Un autremécanisme de vieillissement dans lesmatériaux métalliques est celui de la“ségrégation” de certains atomes dansles zones les plus accueillantes, commele sont souvent les joints de grains où, àcause de la désorientation des réseauxdes grains adjacents, l’arrangementpériodique des atomes est fortement

perturbé : la cohésion des joints degrains peut s’en retrouver très altéréeet la tenue globale du matériau à larupture amoindrie. Là encore, le métal-lurgiste, instruit des risques, saurapréconiser une plus grande pureté dumatériau ou de nouvelles additions, défa-vorables à la ségrégation.

Maîtriser le vieillissement

On perçoit ici une différence notableentre vieillissement des matériaux etvieillissement biologique, non pas tantpour ce qui est des causes profondes etdes mécanismes, mais pour ce quirelève des remèdes possibles contre levieillissement. Entièrement maîtres del’élaboration et de la conception, libresde surcroît de toute préoccupation bioé-thique ou de tout soupçon d’eugénisme,le chercheur et l’ingénieur en matériaux

Les matériauxvieillissent aussi…

Par André Zaoui1

Page 16: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

16

Questions d’actualitéthermique, obéissant à une loi d’activa-tion bien définie, telle la loi d’Arrhenius,qui exprime une certaine équivalenceentre le temps et la température, est à l’œuvre. Que plusieurs mécanismessoient simultanément actifs, chacunavec sa propre énergie d’activation, qu’ils n’apparaissent que dans certainsdomaines de température ou, pire encore,que le vieillissement soit simultané-ment régi par d’autres paramètres quela seule température et tributaire d’ef-fets de synergie échappant à une simplerègle de cumul et la logique des essaisaccélérés sera totalement compromise:elle ne saurait alors dispenser de l’iden-tification délicate et laborieuse des diffé-

rents mécanismes élémentaires, deleur cinétique et de leurs domaines d’ac-tion respectifs.

D’autres façons de vieillir…

Par extension, on parle encore de vieillis-sement lorsque, sous l’effet de diversessollicitations, des évolutions structuraleslentes se produisent, provoquant unemodification progressive des propriétésd’usage. Il règne à partir de là unecertaine part d’arbitraire. Le métallur-giste ne parlera de vieillissement que siles modifications structurales concer-

tures. La variété de ses origines n’a alorsd’égale que celle des mécanismes enjeu et des échelles concernées. Sansentrer dans le détail de cette diversité,qui nourrit le développement de puis-sants moyens de simulation numériqueet d’analyse physique et chimique, onpeut en deviner la complexité enévoquant le cas de la corrosion soustension. On connaît bien aujourd’hui lesprincipaux mécanismes de corrosion etleur cinétique ainsi que ceux qui régis-sent la fatigue mécanique, mais on estloin d’avoir vraiment compris ceux quirésultent de la combinaison de la corro-sion et des sollicitations mécaniques:on peut soupçonner la nature des syner-gies possibles entre ces sollicitationsquand elles sont couplées en évoquantseulement la possibilité d’une fissura-tion répétée, sous l’effet d’efforts méca-niques cycliques, des couches de passi-vation qui naissent en réaction à lacorrosion et celle de fournir ainsi régu-lièrement à l’action de la corrosion denouvelles surfaces particulièrementréactives. Il est clair que la maîtrise deces processus demande, plus encoreque pour d’autres aspects du vieillisse-ment des matériaux, une approche trèsfortement interdisciplinaire, encore engestation.Toute industrie doit se préoccuper de ladurabilité des systèmes qu’elle produit:transports, énergie, conditionnement,information, communication… Il y va àla fois de la qualité des services renduspar ces systèmes et de la sécurité deleur utilisation. Les connaissances tech-niques d’aujourd’hui permettent degarantir leur bonne mise en service etleur bon fonctionnement initial. Il en vaautrement de la garantie de leur utili-sation prolongée: les incertitudes qui s’yattachent relèvent d’abord d’une maîtriseinsuffisante du vieillissement des maté-riaux impliqués et de leurs assemblagesdans les conditions effectives, parfoisdifficilement prévisibles, de leur utilisa-tion. C’est pourquoi ce domaine est l’undes plus cruciaux de la science modernedes matériaux et des structures: de laconscience que les scientifiques enauront dépendront largement les progrèsde demain dans tous les domaines del’activité humaine.Imaginons un instant, sans mêmeévoquer des durées géologiques, quetout phénomène de vieillissement desmatériaux ait été bloqué depuis lapréhistoire ! À quoi ressemblerait lemonde d’aujourd’hui? Quelle chance deretrouver intacts les trésors du passé!Quelle horreur que de devoir vivre aumilieu d’un amoncellement continûmentcroissant d’“ objets inanimés” ! Nais-sance, vieillissement et mort des maté-riaux et des structures: oui, certaine-ment et, par bien des côtés, heureu-sement! Une âme, pour autant? Non,tout de même!Encore que… �

nées se font aux échelles fines dont il estcoutumier: effets d’une irradiation auxneutrons ou au rayonnement ultraviolet,action de l’humidité sur les polymères,par hydrolyse ou par diffusion des molé-cules d’eau entre les chaînes ou à l’in-terface avec les fibres d’un composite.Le physico-chimiste se souciera de“vieillissement chimique” des poly-mères, d’hydratation ou de déshydrata-tion des bétons, de certaines formes decorrosion dans un environnementagressif… Autant alors adopter un pointde vue phénoménologique ne préjugeantpas des échelles concernées par lesmécanismes en jeu et étendre la notionde vieillissement à tout processus d’évo-lution structurale imperceptible àl’échelle de l’utilisation mais se tradui-sant par une modification lente etprogressive des propriétés d’usage,jusqu’à leur franche manifestationmacroscopique. Une vitre de verre secasse instantanément, de manièrefragile, sous l’effet d’un choc d’intensitésuffisante : il n’est guère question devieillissement ; mais une bielle demoteur ou une aube de turboréacteur,soumise à un chargement mécaniquecyclique, peut tenir magnifiquementpendant des millions de cycles et, bruta-lement, se rompre pour quelques cyclesde trop. Ce n’est pas par l’effet dequelque soudain maléfice; tout a en faitcommencé très tôt, de manière long-temps imperceptible: à partir d’un défautmicroscopique, souvent en surface, desmicrofissures se sont formées peu à peu,certaines se sont rassemblées en unefissure plus importante qui, cycle aprèscycle, s’est lentement propagée jusqu’àatteindre enfin une dimension tellequ’elle pouvait provoquer une rupturebrutale.On parle alors de “fatigue”, causecourante de rupture différée: la pièceavait été dimensionnée pour supporter,sur de courtes durées, le chargementprévu, à partir d’une bonne connaissancede la résistance à la rupture instantanéedu matériau constitutif ; elle n’en étaitpas moins capable de “se fatiguer” et de“vieillir” sous l’effet de la répétition desefforts appliqués ou de leur maintienprolongé, jusqu’à la rupture fatale. Ceciest maintenant bien connu et, surtouts’il dispose d’instruments performantsde contrôle non destructif en service, l’in-génieur peut concevoir ses pièces enfonction de la “tolérance au dommage”du matériau, évaluer à tout moment leur“durée de vie résiduelle” et intervenirpour la prolonger; mais tout n’est pasencore maîtrisé dans ce domaine,notamment quand il s’agit de charge-ments aléatoires mal caractérisés, desollicitations multiaxiales complexes oude matériaux très hétérogènes, commeles composites.Ainsi compris, le vieillissement est omni-présent et régit l’essentiel des propriétésde durabilité des matériaux et des struc-

L e vieillissement n’agit pas toujours dans le sens de la fragilisation des matériaux:il peut aussi les rendre plus déformables, ce qui n’est pas forcément bénéfique! Les

figures ci-dessus montrent, dans deux états différents, la microstructure, vue en micro-scopie électronique en transmission, d’un superalliage à base de nickel (alliage NR3élaboré par SNECMA pour disques de turboréacteur, apprécié pour sa résistance à chaud).À gauche, le matériau a subi un traitement thermique standard: on remarque non seule-ment les “gros” précipités (taille = 300 nm), dits secondaires, de la phase durcissante γ’mais aussi de petits précipités γ’ tertiaires (taille = 20 nm). À droite, le matériau a subiun traitement thermique supplémentaire, dit de “survieillissement” (revenu à 800 °Cpendant 500 heures et refroidissement à l’air), qui a provoqué la disparition, par dissolu-tion, des précipités γ’ tertiaires (observations de Sonia Raujol, Florence Pettinari-Sturmel,Armand Coujou et Nicole Clément, CEMES - CNRS, Toulouse). L’effet de ce survieillis-sement sur les propriétés mécaniques de l’alliage est spectaculaire: la disparition despetits précipités facilite désormais la propagation des dislocations dans les couloirs défor-mables de la phase γ (en sombre) et augmente de ce fait considérablement la vitessede déformation sous charge constante (essais de fluage conduits par Pierre Caron etDidier Locq, ONERA, Chatillon). Cette étude est motivée par la recherche d’alliages ayantdes durées de vie encore plus longues, sous des températures encore plus élevées,que ceux des actuels turboréacteurs pour vols subsoniques, dans l’optique d’un avionsupersonique de deuxième génération, éventuel successeur de Concorde (RRIT “RechercheAéronautique sur le Supersonique”).

Figure 1: Microstructure de l’échantillon standard

Figure 2: Microstructure de l’échantillon survieilli

Page 17: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

17

La vie des séances

Le domaine de l’interaction homme-machine est donc immense. Dans laconférence-débat organisée par l’Aca-démie des sciences et l’Académie destechnologies le 3 décembre 2001, ons’est limité à essayer de faire le point surtrois questions:1. Pouvons-nous parler à ou commu-niquer avec une machine en utilisantnotre langage humain, ce langage arti-culé, source de la pensée humaine quinous a différenciés de toutes les autrescréatures vivantes? La machine peut-elle comprendre le sens de notremessage?Gérard Sabah du CNRS-LIMSI, à propos

de cette question, a examiné les aspectsspécifiques posés par le traitement auto-matique des langues et le dialoguehomme-machine, en insistant sur le faitqu’ils font intervenir des aspects de l’in-telligence artificielle et des systèmescollectifs, mais aussi des aspects linguis-tiques, psychologiques et neurobiolo-giques. Il a présenté son approche pourrésoudre les différents problèmes enl’illustrant par des expériences concrètesmontrant les capacités de son systèmeà s’ancrer dans les perceptions et àconstruire de nouveaux concepts tout enacquérant des capacités langagièressyntaxiques et lexicales. Des moyens nonlangagiers sont également nécessairespour développer le naturel des commu-nications homme-machine. Gérard

Sabah a évoqué des opérations derecherche en cours dans son laboratoirevisant à doter les machines de processusd’interprétation et de générationd’images et de gestes.On peut conclure, aujourd’hui, si onaccepte certaines limites dans le champdu vocabulaire, de la syntaxe et de lasémantique, qu’il est possible de parlerà des machines, et que celles ci existentdéjà pour des services particuliers. Maisdes recherches complémentaires sontnécessaires. Quelle que soit sa langue,chaque être humain a son langagepersonnel lié à son expérience, sonéducation, son environnement. L’homme

a la faculté de saisir le non-dit, au moinspartiellement, dans l’expression orale et gestuelle d’un autre homme. Lesmachines ne le peuvent pas et ne lepourront peut-être pas de sitôt, mêmesi on compte sur les techniques d’ap-prentissage pour progresser. Parailleurs, dans l’application à la traduc-tion entre langues étrangères ce querecouvre la pensée d’un homme qui s’ex-prime dans sa langue maternelle peutprésenter de grandes difficultés à êtreexprimé correctement avec les motsd’une autre langue.2. La machine peut-elle prolonger l’ac-tion de l’homme à distance?Ce sujet a été commenté par PhilippeCoiffet de l’Académie des technologies.Il correspond à la problématique de latéléopération ou travail à distance avecune machine collaborant avec sonopérateur humain.L’efficacité d’un système de téléopéra-tion dépend alors de la manière dont onpeut mettre en œuvre les deux fonc-tionnalités suivantes:

soient à son service, sous sa dépen-dance, mettant ainsi en balance leconcept de convivialité avec celui d’au-tonomie.

La recherche de la convivialité entre unhomme et une machine se traduit maté-riellement par la présence d’interfaces(IHM) censées gérer au mieux les rela-tions et les interactions entre les deuxentités. Les théories ou les modèlesd’IHM restent pauvres sur le fond parceque s’appuyant sur une connaissanceapprofondie des systèmes physiolo-giques, sensoriels et psychiques del’homme. Elles doivent, par ailleurs,

dépendre des propriétés d’autonomieque peut posséder la machine. Aussibien, l’existence d’IHM repose aujour-d’hui presque uniquement sur lamaîtrise de technologies. Les applica-tions des IHM sont cependant, extrê-mement nombreuses : conduite devoitures, pilotage d’engins, simulateurs,conduite de robots, d’usines, téléchi-rurgie, systèmes de réalité virtuelle, etc…

On notera le glissement des domainesde recherche sur ces sujets. Tradition-nellement, la conception de machinesfaisant appel aux mécaniciens, électro-techniciens, automaticiens, informati-ciens. Les progrès fulgurants dans ces domaines (circuits électroniques, la miniaturisation de composants, les nanotechnologies) permettaient deprévoir des performances quasi illi-mitées. Mais pour la conception demachines conviviales, il faut aujourd’huiy rajouter des spécialistes en biologie,neurobiologie, psychologie, neuros-ciences cognitives etc…

Par Erich Spitz 1 et Philippe Coiffet 2

L es paléontologues nous ont apprisque l’homme se distinguait des

autres êtres vivants par sa faculté decréer des outils afin d’agir sur son envi-ronnement. Dans le millénaire pré-cédent, ces outils sont devenus desmachines dont la complexité s’est telle-ment accrue au siècle dernier qu’on peutpenser qu’elles sont en passe de devenirautonomes dans leurs actions. Commedans tout progrès scientifique et tech-nologique, cette potentialité est à doubletranchant: d’un côté, l’espoir de simpli-fier la vie de l’homme, de l’autre, la peurd’une prise de pouvoir par les machinesou par ceux qui sauraient encore lesmaîtriser.

Deux éléments viennent cependantcontrarier une vision du futur asservi aurègne des machines. Le premier résidedans la difficulté scientifique sinon dansl’impossibilité d’atteindre un niveau d’au-tonomie comparable à celui d’un êtrehumain. Le second a trait à la volonté del’homme de créer des machines qui

1 Correspondant de l’Académie des sciences etMembre de l’Académie de technologies

2 Membre de l’Académie de technologies

hInteractionomme-

machine

Page 18: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

18

biologique”, suggérant que les mêmesrègles gouvernent la perception et laproduction des actions;

� l’utilisation de référentiels variés (égo-centrés, allo-centrés) et d’un réper-toire de stratégies cognitives (utiliséesde façon différentes, par exemple, parles hommes et par les femmes) pourrésoudre un même problème de repré-sentation mentale de l’espace ou demémoire des trajets. Ces processuspeuvent être étudiés grâce aux métho-des de la psychologie expérimentale,l’enregistrement de neurones chezl’animal en activité, l’imagerie céré-brale, la neuropsychologie et la modé-lisation des processus.

Enfin, Alain Berthoz a évoqué la possi-bilité d’utiliser les technologies de réalitévirtuelle pour l’élaboration, par exemple,de simulateurs, mais aussi de nouvellesthérapies cognitives dans des affectionsliées à l’âge, ou même psychiatriques,dues à la désorientation spatiale.En conclusion, les nombreuses ques-tions posées aux intervenants ont mon-tré l’attraction qu’exerce le concept demachine intelligente en même tempsque l’inquiétude générée par l’idée quela machine pourrait échapper à l’hommeet s’imposer comme son égal ou sonmaître. Cette crainte est celle de l’in-connu. En fait, il y a probablement dansle public une confusion entre deux caté-gories de machines:� celles qui ne font que mettre en œuvre

des automatismes programmés parl’homme, un peu à l’image desanimaux inférieurs et qui n’ont rien àvoir avec l’intelligence humaine. Cesmachines peuvent être très complexesdans leur comportement; on peut lesprogrammer pour qu’on ne puisse pasarrêter l’exécution de leur mission.Elles peuvent donc s’avérer extrême-ment dangereuses et on sait très bienles fabriquer aujourd’hui. De celles-laon peut avoir peur,

� celles où l’on tente d’implantercertaines formes d’intelligence hu-maine, permettant en particulier deséchanges “naturels” avec des êtreshumains. C’est bien ces machines qu’ilfaut développer et qui diminuent, enprincipe, le risque associé aux précé-dentes. Mais un homme libre est-il luimême plus rassurant qu’une machineprogrammée?

Quant à savoir si finalement les pro-priétés des secondes qu’on ne maîtrisepas encore bien pourraient être trans-férées aux premières en augmentantleur danger potentiel, c’est une questionqui reste posée �

La vie des séances� annuler artificiellement la distance

entre l’homme et la machine afin quele premier soit “près de la machine”,“ dans le monde de la machine”. C’estle problème de la présence ou de latéléprésence,

� doter la machine d’un niveau suffisantd’autonomie de comportement afinqu’elle soit un partenaire ou un assis-tant efficace.

On peut classer les difficultés en quatreclasses principales:� l’ergonomie de la commande manuelle;� la qualité des retours informatifs

depuis la machine vers l’opérateurhumain;

� le choix du niveau d’autonomie dont onpeut doter la machine et celui de lastratégie de collaboration;

� la résolution des problèmes de délaisde transmission des commandes/contrôles entre l’homme et la machine.

Les pistes pour proposer des solutionssont variées et facilitées aujourd’hui parles techniques de réalité virtuelle et d’in-telligence artificielle. Pour réaliser desprogrès, il faudra surtout:� mieux identifier et comprendre le fonc-

tionnement du système sensorielhumain dans son ensemble;

� mieux comprendre la comportementhumain lors de l’exécution d’une tâche.

Les progrès des dernières années encommande téléopérée ont été rapides.On peut penser obtenir des systèmes detélétravail ou de télécommande derobots suffisamment conviviaux et effi-caces pour générer une demandemassive d’ici quelques lustres. Les

conséquences socio-économiques pour-raient être importantes.3. La connaissance du fonctionnementde l’homme, de la machine humaine,si complexe et si subtile peut-elle nousapprendre à construire des machinesmieux adaptées à leur utilisation?Cette question a été explicitée par AlainBerthoz de l’Académie des sciences, ens’appuyant sur un exemple: l’intégrationmultisensorielle dans la perception del’espace et la mémoire des déplace-ments.Au cours de l’évolution, les organismesvivants ont en effet découvert et utilisédes simplifications remarquables de laneurocomputation.Par exemple:� la décomposition par le cerveau des

informations données par les capteursde mouvements en variables (rotations,translations, direction), semblables àcelles de la géométrie euclidienne;

� la mesure de la distance, à partir devariables directement fournies par ladétection visuelle, du “temps jusqu’aucontact” sans qu’il soit besoin de faireun “calcul” géométrique;

� l’utilisation, pour la perception visuelle,de propriétés (symétrie, rigidité,stationnarité…) qui facilitent l’extrac-tion d’invariants dans la complexité duflux optique;

� l’existence de lois simples liant laproduction, la courbure et la vitessetangentielle dans la production d’unetrajectoire motrice. Cette loi contraintaussi la perception du mouvementvisuel et la perception du “mouvement

Système de téléopération pour des applications nucléaires. L’opérateur, en activant le bras maître à retours d’efforts et en utilisant des lunettes redonnant le relief,manœuvre au sein du monde virtuel, copie du monde réel, comme s’il était présent.

Système de téléexistence (Université de Tokyo).En bas, le poste de commande; en haut: le robotanthropomorphique. Grâce aux techniques deréalité virtuelle, l’opérateur se trouve sujective-ment à la place du robot.

Page 19: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

19

La vie des séancescesse la sélectivité des opérations

de concentration des minerais par

flottation (70% des besoins). Enfin,

l’utilisation croissante des miné-

raux industriels dans les maté-

riaux composites ou polyphasés

en tant que charges renforçantes,

diluants ou pigments minéraux

subira une véritable révolution le

jour où seront mieux compris les

interactions des minéraux avec

leur milieu d’utilisation.

Dans ce domaine des Géos-

ciences, l’étude des propriétés de

surface des minéraux naturels et

des solides mal cristallisés

présente donc des interactions

fortes avec les sciences voisines

mais aussi des applications

importantes dans l’industrie et les

sciences de l’environnement.

Les présentations ont plus parti-

culièrement porté sur les méca-

nismes de rétention des adsorbats

par les solides en solution

aqueuse. Une bonne approche

scientifique de ces phénomènes

impose la prise en compte:

� des propriétés structurales et

cristallochimiques des roches et

des minéraux qui la composent.

La caractérisation de l’hétérogé-

néité des milieux naturels, l’in-

fluence des impuretés sur la

forme des particules élémen-

taires et tout particulièrement

des argiles, la connaissance et la

nature des minéraux amorphes

constituent la première étape

incontournable des recherches,

� des propriétés texturales du

solide avant immersion dans

l’eau. Il s’agit, non seulement de

mesurer la surface spécifique

des minéraux mais surtout de

déterminer leur hétérogénéité

énergétique superficielle. Les

méthodes récentes de volumé-

trie d’adsorption de gaz basse

pression en quasi équilibre

permettent après modélisation

de caractériser la courbe de

distribution énergétique des

sites superficiels et ainsi par

exemple, la mesure du facteur

de forme des minéraux phylli-

teux, c’est à dire la connaissance

des faces basales et latérales, la

détection des sites d’adsorption

de forte énergie, l’étude plus fine

de la porosité des minéraux et

des roches. Un très bel exemple

d’application concerne la mise

au point de certains charbons

actifs susceptibles de retenir des

contaminants spécifiques,

Les phéno-mènes auxinterfaces et lesGéosciences

Par Jean Maurice Cases1

Une séance s’est tenue le lundi

10décembre, dans la salle de

l’Académie des sciences, sous

la présidence de MM Hubert

Curien et Jean Dercourt assistés

de M.Georges Pédro. Elle a été

consacrée aux connaissances

nécessaires à une meilleure

compréhension des phénomènes

aux interfaces et à leurs applica-

tions dans le domaine des Géos-

ciences.

L’importance du sujet traité peut

être illustré par quelques

exemples. La physicochimie des

interfaces porte sur la caractérisa-

tion, l’analyse, la modélisation des

phénomènes qui se manifestent

aux limites entre phases.

De ce fait, son champ scientifique

englobe non seulement les condi-

tions de génèse des phases miné-

rales, leur équilibre avec leur

milieu ambiant et les mécanismes

d’altération mais aussi la connais-

sance du rôle de l’eau dans les sols

et l’ensemble des phénomènes où

interviennent des interactions

eau-roches. Il s’agit d’acquérir de

nouvelles connaissances néces-

saires à une meilleure gestion et

une meilleure protection du patri-

moine “eau continentale”, d’opti-

miser de nombreuses opérations

de génie civil dont les prévisions

concernant la stabilité des terrains

et la mise au point de nouveaux

géomatériaux, de permettre l’ex-

ploitation d’importantes réserves

de pétrole qui seront abandonnées

si de nouvelles méthodes de récu-

pération assistée, à un coût accep-

table, ne sont pas mises rapide-

ment au point, d’améliorer sans

1 Directeur de recherche émérite du CNRS

� des propriétés superficielles des

solides hydrophiles après

immersion dans l’eau. Les

auteurs ont rappelé l’importance

de la couche d’eau structurée (2

à 3 couches d’eau en moyenne).

Elle est solidaire du solide et

empêche toute mesure directe

des chaleurs nette d’adsorption.

Elle est déplacée par l’adsorp-

tion des tensio-actifs ou des

polymères. Elle protège certains

solides d’un broyage fin ce qui

nécessite l’utilisation de “réactifs

déstructurants” de l’eau. Le

mécanisme d’acquisition par les

solides immergés d’une charge

superficielle, fonction dans de

nombreux cas du pH (hydrolyse

de sites amphotères), et respon-

sable de l’adsorption des

espèces ioniques ou neutres (cas

des alcools au point de charge

nulle) a été discuté ainsi que les

différents modèles utilisés. L’ac-

cent a surtout été mis sur la

mise au point récente d’une

méthode de titration potentio-

métrique haute résolution

permettant la caractérisation

des distributions d’affinités

protoniques et les valeurs de pK

des différents types de sites.

Ces connaissances permettent de

préciser les mécanismes de

rétention des adsorbats. Le choix

s’est porté sur les tensioactifs,

réactifs susceptibles de se fixer

sur la surface par l’intermédiaire

de liaisons normales fortes de

nature électrostatique ou

chimique (cas des tensioactifs

ioniques) ou de liaisons faibles de

type liaison hydrogène (cas des

tensioactifs non ioniques). Les liai-

sons fortes entre les chaînes

aliphatiques sont à l’origine de la

formation d’agrégats superficiels

de nature très variée: micelles

sphériques si les liaisons

normales sont faibles (la surface

reste toujours hydrophile quelque

soit le taux de recouvrement),

agrégats lamellaires à une couche

si les liaisons normales sont

fortes. Dans ce cas le remplissage

de la surface se fait progressive-

ment par condensation bidimen-

sionnelle des molécules sur les

différents domaines homogènes

de la surface. Les domaines les

plus énergétiques étant remplis

les premiers. La surface devient

de plus en plus hydrophobe. De

cette dernière observation, on

déduira que les tensioactifs

ioniques sont d’excellents traceurs

de l’hétérogénéité superficielle

des minéraux. Ces résultats ont pu

être obtenus par l’utilisation de

méthodes aussi diverses que la

microcalorimétrie d’adsorption,

l’ellipsométrie, la spectroscopie de

déclin de fluorescence, la diffusion

des neutrons, la microscopie à

force atomique, la spectrométrie

infrarouge couplée à la réflexion

externe qui viennent compléter

l’analyse conventionnelle des

isothermes d’adsorption. Si le

tensioactif ionique est susceptible

de précipiter (cas des acides gras

en présence d’ions calcium), l’utili-

sation de la réflexion externe

montre que la surface se recouvre

très rapidement de multicouches

(20 dans le cas de la fluorine). Ces

couches ne sont pas stables. La

phase adsorbée se désorbe en

quelques minutes pour atteindre

des valeurs de taux de recouvre-

ment de la surface de l’ordre de la

monocouche ou moins. Ce phéno-

mène étant proche de ceux décrits

par Otswald.

Pour conclure, les exposés ont

permis de montrer que la compré-

hension des mécanismes d’ad-

sorption ou de rétention dans les

milieux naturels passent d’une

part par la connaissance de l’hété-

rogénéité de la roche et des

propriétés superficielles des

minéraux qui la constituent et

d’autre part par une connaissance

la plus approfondie possible de la

physico-chimie des adsorbants en

solution aqueuse. Les mêmes

remarques s’appliquent à la dyna-

mique et à la réactivité des assem-

blages organo-minéraux présents

dans nos rivières �

Page 20: Longévité et vieillissement : aspects scientifiques ...

20

La vie de l ’Académie

La Grandemédaille d'or2001 del'Académiedes sciences

La grande médaille d'or 2001 de

l'Académie des sciences a été

décernée à Albert Eschenmoser, né

en 1925. De nationalité suisse,

Albert Eschenmoser a fait toutes

ses études et sa carrière à l'école

polytechnique fédérale de Zurich.

Après y avoir pris sa retraite, il s'y

est inscrit comme post-doc,

suivant en cela l'exemple de son

éminent collègue, notre regretté

confrère Vladimir Prelog. Il

partage actuellement ses activités

entre l'EPZ et la Scripps Institution

de la Jolla, où il a monté une

équipe de recherche active.

Albert Eschenmoser est un géant

de la chimie organique moderne.

Outre une énorme production de

nouvelles réactions, de nouvelles

structures, de thésards formés aux

disciplines les plus strictes, il a son

actif trois réalisations majeures,

qui marquent de façon décisive la

seconde moitié du siècle passé.

Par la règle isoprénique biogéné-

tique, à l'établissement de laquelle

il a puissamment contribué il y a

près de cinquante ans, il a donné la

clé expliquant le mécanisme de

formation des dérivés terpéniques,

constituants universels des êtres

vivants. Tout le monde connaît le

cholestérol ou l'odeur de la rose, la

couleur blanche de l'écorce de

bouleau ou celle, rouge, de la

tomate, les vitamines A ou D, les

hormones stéroïdes etc.

Dans les années 80, Albert

Eschenmoser a participé à une

entreprise folle: la synthèse de la

vitamine B12, la structure orga-

nique la plus complexe connue:

elle combine un squelette qui

ressemble à celui de la chloro-

phylle ou de l'hémoglobine, mais

en beaucoup plus compliqué, avec

un atome de cobalt, un sucre, une

base nucléique, des subtilités

stéréochimiques ... L'établisse-

ment de sa structure par radiocris-

tallographie avait été un tour de

force justifiant le Prix Nobel

attribué à Madame Dorothy Crow-

foot-Hodgkin. Par la synthèse

totale de la vitamine B12, réalisée,

par une collaboration transatlan-

tique exemplaire avec Robert

Woodward, il a montré que la

synthèse d'aucune molécule natu-

relle, quelle que soit sa complexité,

n'était désormais hors de portée

des chimistes organiciens.

Depuis les années 90, par la

synthèse d'analogues des acides

nucléiques comprenant d'autres

sucres que le ribose, par exemple

du glucose, il a montré comment

pourrait éventuellement être

fondée une “ autre vie ”, sur une

autre planète. Au début d'un siècle

qui voit devenir opérationnelles

des disciplines comme l'exobio-

logie, c'est une contribution des

plus importantes.

Albert Eschenmoser est unanime-

ment reconnu comme l'une des

figures les plus marquantes de la

Chimie organique moderne �

Électionsd’AssociésétrangersL’Académie des sciences

procède actuellement

(1er semestre 2002) à l’élection

de 24 associés étrangers,

scientifiques mondialement

reconnus. Les informations

relatives à ces élections ne

pourront donc être diffusées

que dans le numéro de l’été

2002 �

1 Membre de l'Académie des sciences

Publication de l'Académiedes sciences

23, quai de Conti 75006 PARISTel: 01-44-41-43-68Fax: 01-44-41-43-84http: www.academie-sciences.fr

Directeur de publication:Nicole Le Douarin

Directoire:Nicole Le DouarinJean Dercourt

Rédacteur en chef:Jean-Didier Vincent

Secrétariat général de rédaction:Marie-Christine Brissot

Conception graphiqueDirection artistiqueNicolas Guilbert

Photographies:p. 1, L’Hiver: Pierre 1er Legros,Musée du Louvre (DR) photo N.G.,p. 13, Monsieur Jaz: N. Guilbert, col.privée,pp. 5, 6, 8, 19, N. Guilbert,pp. 2, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 16, 18, 19, 20 (DR).

Comité de rédaction:Jean-François Bach, Roger Balian, JackBlachère, Édouard Brézin, Pierre Buser, Paul Caro,Jules Hoffmann, Alain Pompidou, PierrePotier, Éric Spitz, Jean-Christophe Yoccoz

Photogravure & impression:Edipro/PrintreferenceTM

0141404900

la lettre n0 3 / printemps 2002

de l ’Académie des sciences

Relationsavec l’Aca-démie dessciences duSénégal

Par Yves Quéré 1

Parmi les actions lancées

récemment par l’InterAcademy

Panel (IAP), celle de l’aide au

développement des jeunes

académies est sans doute l’une

des plus concrètes. Elle

consiste à proposer aux jeunes

académies des sciences,

notamment à celles du conti-

nent africain, des stages

destinés aux personnels de

gouvernance de ces académies,

leur permettant d’effectuer des

visites approfondies dans des

académies plus anciennes.

C’est dans ce cadre que notre

Académie a reçu récemment,

avec le soutien financier de la

Fondation Bettencourt

Schueller, la visite de trois

représentants de l’Académie

des sciences du Sénégal: MM. I.

Diop Mar, Secrétaire perpétuel,

O. Dia, Membre du Bureau, et

O. Fall, Directeur de cabinet du

Président. MM. Dia et Fall, qui

ayant séjourné respectivement

deux et quatre semaines, ont pu

ainsi passer un temps raison-

nable dans chacun des services

de l’académie, les regarder

fonctionner, poser des ques-

tions et proposer des commen-

taires. L’expérience a semblé

suffisamment positive à nos

amis sénégalais pour que

d’autres académies d’Afrique

(francophone et anglophone)

aient manifesté le souhait de

nous rendre des visites de

même nature.

Des expériences analogues

sont prévues avec pour cadres

l’Académie de Suède, la TWAS

(Third World Academy on

Sciences) et la NAS (National

Academy of Sciences des États-

Unis) �

Carnet

Guy Blaudin de Thé,Correspondant de l’Académie

des sciences, dans la section

“Biologie humaine et sciences

médicales”, a été élu, le

1er octobre 2001, Membre

associé étranger de l’Institut de

médecine de l’Académie des

sciences des États-Unis.

Il partage cet honneur avec deux

britanniques, le Professeur

Rudolph Klein, de l’Institut supé-

rieur d’économie de Londres et

le Professeur John Newsom-

Davis, du Département de

neurologie clinique de l’Univer-

sité d’Oxford �

L’enseigne-ment enBolivie

Par Yves Quéré

A la suite d’un accord avec l’Aca-

démie bolivienne des sciences,

notre Académie a décidé de

contribuer à l’enseignement

d’une Maestria (maîtrise) de

physiologie, à La Paz.

Jusqu’à présent, l’absence d’un

tel enseignement en Bolivie

imposait aux jeunes Boliviens

désireux de faire une thèse, de

se rendre à l’étranger. Il nous a

donc semblé utile de proposer à

l’Académie bolivienne et à l’Ins-

titut Bolivien de Biologie de l’Al-

titude (IBBA), laboratoire

soutenu par la France, de colla-

borer à cet enseignement par

l’envoi de deux chercheurs fran-

çais qui assureraient chacun

deux semaines de cours intensif

en espagnol. L’Ambassade de

France en Bolivie et l’Académie

des sciences ont pu prendre en

charge les séjours et les

voyages de ces deux cher-

cheurs.

Il s’agit de Madame Mayaux,

épidémiologiste à l’INSERM, du

laboratoire de recherche en

santé publique, à Bicêtre et de

Monsieur Pont-Lezica, du labo-

ratoire CNRS/Université Paul

Sabatier de Toulouse “signaux

et messages cellulaires chez

les végétaux”.

Ces deux chercheurs ont

apprécié l’organisation des

cours, et l’intérêt porté par les

étudiants à leur enseignement.

Ils ont aussi été favorablement

impressionnés par la qualité

des recherches menées à

l’IBBA.

Ces résultats positifs nous

encouragent à renouveler cette

collaboration l’an prochain �

Albert Eschenmoser