Indochine La Course a La Guerre N2

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CONFERENCES, MODUS VIVENDI ET INCIDENTS LES JOURNEES DES 20 ET 23 NOVEMBRE 1946 HAIPHONG QUELQUES VERITES SUR TOUS CES EVENEMENTS QUE CERTAINS THURIFERAIRES ONT DENATURES AVERTISSEMENT AU LECTEUR Avant toute chose, il y a lieu de bien situer cette année 1946 qui voit défiler nombre d’évènements tant en métropole qu’en extrême orient. Tout d’abord c’est la situation en France qui du fait du départ du général de GAULLE va se dégrader, l’arrivée au pouvoir de divers gouvernements à majorité variable engendrant

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CONFERENCES, MODUS VIVENDI ET INCIDENTS

LES JOURNEES DES 20 ET 23 NOVEMBRE 1946

HAIPHONG

QUELQUES VERITES SUR TOUS CES EVENEMENTS QUE

CERTAINS THURIFERAIRES ONT DENATURES

AVERTISSEMENT AU LECTEUR

Avant toute chose, il y a lieu de bien situer cette année 1946 qui voit défiler nombre

d’évènements tant en métropole qu’en extrême orient.

Tout d’abord c’est la situation en France qui du fait du départ du général de GAULLE

va se dégrader, l’arrivée au pouvoir de divers gouvernements à majorité variable engendrant

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une instabilité gouvernementale chronique, des actions menées par l’amiral Thierry

d’Argenlieu peu conformes à faciliter les négociations en cours entre français et vietnamiens

après la rencontre avec Hô Chi Minh en baie d’Along le 24 mars 1946 négociations devant

débuter par la conférence de Dalat.

Cette conférence de Dalat était dès le départ vouée à l’échec, car d’une part le haut

commissaire Thierry d’Argenlieu tenait absolument à ce que cette conférence se tint en

Indochine en terrain neutre, d’où le choix de Dalat, et qu’elle n’ait que peu de répercussion

sur les politiques à Paris, devant traiter uniquement des problèmes indochinois sur le plan

local. Mais la délégation vietnamienne et notamment Hô Chi Minh tenaient à traiter

directement avec le gouvernement français.

Finalement après bien des discussions, il fut prévu qu’une conférence préliminaire se

tiendrait bien en Indochine, mais qu’elle se terminerait par la signature des accords réalisés

lors de cette conférence, par une autre qui se tiendrait tout de suite après à Paris. Comme on le

verra plus loin, en fait il n’en fut rien !

Les premières difficultés vinrent de la délégation vietnamienne qui exigea

pratiquement que l’on traite en priorité du problème de la Cochinchine, Giap demandant avec

insistance que les opérations menées contre les forces de Nguyen Binh, du Nambo, lesquelles

se livraient depuis 1945 à des actes de terrorisme et de guérilla ; la délégation française refusa

bien entendu d’ouvrir le débat sur la seule Cochinchine , le haut commissaire Thierry

d’Argenlieu ayant sur cette question des idées bien particulières.

On va assister alors à des interventions diverses où les propositions vont abonder,

comme la demande de création de commissions de la part des deux délégations.

Mi-avril débarque à Paris un groupe parlementaire vietnamien conduit par Pham Van

Dong, groupe qui va être reçu officiellement par divers membres de l’assemblée constituante

et d’autres personnalités françaises importantes.

La Cochinchine ne voulant pas rester en arrière envoyait également à Paris une

importante délégation conduite par le colonel Nguyen Van Xuan, qui avait remplacé le

docteur Thinh à Saïgon.

Pendant ce temps là, terrorisme et guérilla se poursuivent dans le Sud sous le

commandement de Nguyen Binh.

Au cours des conversations entre délégations, peu de choses concrètes furent mises en

avant bien que les deux parties soient d’accord sur les liens qui devaient être noués tant sur le

plan de la coopération, qu’elle soit d’ordre scientifique, intellectuelle, économique et même

militaire. Le gros problème restant à résoudre étant la forme à donner à la future fédération

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indochinoise, et ce problème était important car en fait personne ne parlait le même langage ;

pour la délégation vietnamienne, il s’agissait avant tout d’indépendance totale, la délégation

française, elle entendait, une grande liberté à cette fédération dans le cadre de la fédération

indochinoise liée à l’Union française voulue par le général de GAULLE., fédération qui aurait

à sa tête un gouverneur général.

Autre point d’achoppement, la Cochinchine, que les vietnamiens considéraient comme

partie intégrante du Vietnam futur, la délégation française arguant du fait que la Cochinchine

était une possession française, et que seul un référendum pourrait décider de la céder dans le

cadre de ce Vietnam. Voici donc résumés les points de rupture des négociations. Il faut

rajouter à cela que le comité mixte qui avait été mis en place en vue d’un cessez le feu au

Sud, ne réussit pas non plus à atteindre ses buts malgré plusieurs séances de travail, la

duplicité des vietnamiens faussant toutes les propositions.

LE VOYAGE DU PRESIDENT HÔ CHI MINH EN FRANCE

ET LA CONFERENCE DE FONTAINEBLEAU

Un nouvel obstacle vint s’ajouter aux autres :le haut commissaire, l’amiral Thierry

d’Argenlieu, après l’échec de la conférence de Dalat , autorise la création de la république de

Cochinchine, juste au moment où le président vietnamien Hô Chi Minh partait pour Paris,

puis le 27 mai 1946, il signe une ordonnance créant le territoire des populations montagnardes

Moïs, sur les hauts plateaux, territoire restant sous l’administration française, les forces du

Corps expéditionnaire occupant la région le 21 juin.

Hô Chi Minh au cours de son voyage apprend tout cela et menace de rentrer en

Indochine, et il faut toute la persuasion du général Salan qui l’accompagne pour le calmer.

Hô Chi Minh après un assez long voyage arrive en France au moment où il n’y a plus

de gouvernement, et force est de le « balader dans le Sud-ouest, à Biarritz », avant qu’il ne

soit reçu finalement à Paris le 22 juin où il rencontre énormément de monde, industriels et

politiques.

Ce n’est que le 25 juin seulement que Georges Bidault, président du conseil le reçoit,

mais sans rien proposer de nouveau, le comité interministériel pour l’Indochine ne s’étant

réuni pour définir quelle politique devait être menée en Indochine que le 29 juin, n’apporte

par la suite aucune innovation aux propositions françaises, se bornant simplement à rappeler

celles que la délégation française de Dalat avait déjà reçues….. D’autre part le gouvernement français ne pouvait pas s’avancer davantage, notamment

en donnant l’indépendance pure et simple au Vietnam, au Cambodge et au Laos, c'est-à-dire

à l’Indochine toute entière, sans ébranler sérieusement et à mettre à mal l’édifice de l’Union

française, et il faut noter que même le Parti Communiste Français y était hostile….. du moins

au début !

De plus de nombreux renseignements recoupés et non des moindres, en provenance de

l’Indochine, faisaient état des actions de violences, de terrorisme et de la guérilla menés dans

le Sud, de la mauvaise foi de Vô Nguyen Giap, numéro 2 du régime vietnamien, qui cherchait

par tous les moyens à gagner du temps pour renforcer son armée au Tonkin, en vue d’une

reprise éventuelle des combats, gênant au

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possible les forces du Corps expéditionnaire que ce soit dans leurs déplacements, contrôles et

incidents…

Le général Leclerc lui-même alors à Paris en même temps que la délégation du

Vietnam, avait modifié son attitude vis-à-vis des autorités vietnamiennes, avait alerté les

membres du gouvernement de la duplicité des indochinois et avait même parlé de faire, je

cite » Tirer le canon ».

Le 2 juillet 1946, Georges Bidault accueillit officiellement le président Hô Chi Minh

qui fut reçu partout, et en profita à outrance donnant des conférences de presse, s’exprimant

sur tous les sujets qui touchaient alors les affaires du moment.

La conférence de Fontainebleau s’ouvrit le 6 juillet et bien entendu débuta par un coup

d’éclat de la délégation vietnamienne, conduite par Phan Van Dong, communiste notoire, ce

dernier s’élevant avec force contre les opérations menées par les forces françaises dans le Sud,

la création de la république de Cochinchine et l’occupation des hauts plateaux. Puis tout

retomba dans le calme et cela jusqu’au 25 juillet, les entretiens se déroulant sans grands

résultats, et comme pour la conférence de Dalat on s’acheminait lentement vers un nouvel

échec.

Par contre le 12 juillet, Hô Chi Minh, qui ne participait pas à la conférence se décida à

donner un conférence de presse dans laquelle il allait exposer ses conceptions du nouveau

Vietnam, et là aux yeux de tous, les choses apparurent plus clairement- Oui dit-il à une

association économique entre états indépendants, martelant également que la Cochinchine

faisait partie intégrante du Vietnam et lançant tout un tas d’idées qui le firent apparaitre ,

avec la notoriété qu’il venait d’acquérir, grâce d’ailleurs aux hommes politiques français

comme quelqu’un d’incontournable et son audience fut considérable dans les journaux de

l’époque.

Sur ces entrefaites, une seconde conférence de Dalat décidée à l’initiative de l’amiral

Thierry d’Argenlieu est annoncée pour fin juillet, cette conférence ayant pour but de consulter

tous les participants à la fédération indochinoise- Cambodge, Le Laos, la république

démocratique du Vietnam et la Cochinchine, provoque bien entendu la colère de la délégation

vietnamienne ; mais les délégués des autres pays d’Indochine s’insurgent contre les

prétentions des représentants d’Hanoï et désapprouvent la politique menée par le

gouvernement d’Hô Chi Minh, et surtout sa prétention à vouloir représenter toute l’Indochine.

La délégation vietnamienne considère que cette seconde conférence de Dalat était une

bombe destinée à faire échouer les négociations en cours et que tout cela avait été fomenté par

le haut commissaire Thierry d’Argenlieu, ce qui était d’ailleurs exact, le gouvernement de

Georges Bidault ayant été mis devant le fait accompli.

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Dès le 1° août la délégation vietnamienne conduite par Phan Van Dong décide de

cesser de siéger et les déclarations faites surtout à la presse de gauche en France lui attirent

nombre de sympathies, tandis que celle de droite vilipendait ses prétentions.

A Paris on apprenait qu’un convoi militaire français avait été attaqué au Tonkin près

de Bac Ninh le 6 août par des éléments armés du Vietminh et avait eu 18 tués et 43 blessés.

De plus des politiques tels que Edouard Herriot et le général de Gaulle qui jusqu’à

présent ne s’étaient guère prononcés sur l’affaire indochinoise, qui commençait à faire grand

bruit, intervinrent pour dénoncer le danger de voir l’empire ou plutôt l’Union française se

briser en mille morceaux, les différents pays faisant sécession et allant se mettre sous la coupe

d’une nation étrangère, sous-entendu la Russie Soviétique….

En France même la fracture politique éclatait au grand jour, le Parti Communiste se

déchaînait contre le général de Gaulle, ce dernier recueillant la sympathie d’une grande partie

de la droite, pour ses déclarations.

Malgré tous les problèmes engendrés, de gros efforts furent fait pour que la conférence

de Fontainebleau tienne tout le mois d’aôut 1946 et l’on s’acheminait petit à petit, chacun

restant sur ses positions vers un Modus Vivendi.

Cela dura jusqu’après le 3 septembre, un autre incident ayant lieu le 10 septembre où

la délégation vietnamienne refusa de signer les dernières propositions émises, la délégation

française ayant elle de son côté refuser de fixer la date du fameux référendum qui devait

établir si la Cochinchine voulait demeurer au sein de la communauté française ou être

rattachée à la république démocratique du Vietnam. Le 13 septembre la délégation Nord

Vietnamienne quittait alors Paris pour rejoindre Hanoï.

Mais dans la nuit du 13 au 14 septembre, Hô Chi Minh se décidait envers et contre

tout, craignant sans doute une réaction des ultras en république démocratique du Vietnam à

son retour, signait au dernier moment un accord provisoire avec le ministre de l’Outre- Mer

Marius Mouttet, qu’il connaissait depuis très longtemps, un Modus Vivendi, rédigé par M.

Léon Pignon, que l’on retrouvera lui aussi un peu plus tard en Indochine.

Ce Modus Vivendi apportait d’importantes modifications aux accords signés le 6 mars

1946, beaucoup plus détaillé et précis, il allait pensait-on mettre fin aux actes d’hostilité et de

violence, notamment en Cochinchine le 30 octobre, je cite et que des négociations

reprendraient entre les parties au début de janvier 1947.

LA SITUATION EN INDOCHINE

Mais que se passait-il vraiment pendant ce temps là au Tonkin ?

Il ne faut pas oublier que le vietminh mouvement d’obédience communiste avait

décidé depuis fort longtemps d’engager une épreuve de force avec le Corps Expéditionnaire

Français, mais devait également tenir compte des différents mouvements nationalistes qui

avaient fait campagne pour l’indépendance en août 1945.

Après avoir tenté de dissimuler son appartenance au monde communiste sous la

couverture d’un nationalisme exacerbé, le Vietminh avait créée un organisme- Le Lien Viet-

qui permettait effectivement d’accueillir et d’embrigader tous ceux qui rêvaient

d’indépendance.

Giap, révolutionnaire fanatique n’avait jamais hésité entre le terrorisme et la duplicité,

pratiquant d’ailleurs les deux à l’extrême, mais agissant en tant que ministre de l’intérieur

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avec une cruauté et une froideur jamais égalée, éliminant tous les obstacles politiques qui

risquaient de gêner l’ascension du Vietminh, et cette politique avait été déjà pratiquée en

haute région, où gros propriétaires terriens, commerçants, chefs de villages ou même simple

paysan, n’ayant pas voulu reconnaître la toute puissance du Vietminh étaient

impitoyablement éliminés… Ainsi furent pourchassés habilement, puis eux aussi rayés du

monde politique les partis d’opposition tels le Dong Minh Hoi et le VNQDD.

Une fois la prééminence politique du Parti Vietminh établie, Giap se lança alors dans le

renforcement de l’Armée nouvelle de la république démocratique du Vietnam, dont il avait

été le chef depuis le début.

Cela n’a pas été facile compte tenu du fait que le nouvel état du Vietnam n’avait

aucune industrie de guerre à sa disposition, mais l’ingéniosité asiatique lui a permis de

développer en haute région nombre d’ateliers, fabriquant des mines, des grenades, de

l’explosif et de réparation d’armes.

Quant à la formation des cadres, tout fut à créer à partir d’anciens sous-officiers

vietnamiens issus de l’armée française, ayant échappés aux japonais, gardes etc…Des écoles

furent crées en brousse ainsi que des camps d’entrainement….

Giap mit sur pied son armée, la calquant sur celle qu’il connaissait en Indochine, c'est-

à-dire en partant de la compagnie, le bataillon et le régiment, chaque régiment comportant

trois bataillons- Seule innovation, la présence d’un délégué politique dans chaque unité,

calqué sur l’Armée Soviétique.

Sur le plan matériel, le vietminh ne disposait pas plus de 15000 fusils de tous modèles

et de calibres différents, d’armes automatiques allant des fusils-mitrailleurs français à ceux

des japonais ou américains, des canons de calibres 65m/m à 75m /m en provenance surtout

des japonais et également des mortiers, tout cela ayant été minutieusement répertorié et

distribué.

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A la fin de l’été 1946, l’Armée populaire vietnamienne pouvait compter sur environ 35

régiments d’infanterie à 3 bataillons chacun, 3 régiments d’artillerie, soit 60.000 combattants

dont 120.000 étaient stationnés dans le Sud aux ordres de Nguyen Binh.

La France par l’intermédiaire du haut commandement militaire en Indochine avait

proposé une collaboration militaire en vue de la formation de son armée, mais il n’y eut

jamais de réponse de la part des dirigeants vietminh et pour cause, ces derniers et notamment

Giap, tenant à conserver autant que faire se peut le caractère clandestin de cette armée

populaire., cela cachant également les préparatifs engagés en vue des futurs combats contre

l’armée française.

Le 2° bureau français était relativement bien informé du développement de cette armée

populaire qui mettait en place des dépôts de vivres et de munitions en haute région, créait des

écoles de cadres et se renforçait de jour en jour en armes et munitions par la contrebande.

De même une propagande anti-française sévissait dans les grandes villes du delta

tonkinois et dans chaque village où les responsables politiques vietminh pouvaient en toute

liberté s’exprimer, à pousser la population à construire des blockhaus, des caches, des

emplacements de combat, des barricades et en ville à fortifier des immeubles et les faisant

communiquer les uns aux autres par des tunnels.

Du côté français les accords du 6 mars 1946 n’étaient guère respectés non plus,

puisque les forces de l’Union française s’étaient largement déployées et occupant malgré un

faible effectif des zones non prévues par les accords, comme la région de Campha non loin de

Hong Hay, Dong Dang sur la RC4, celle de Laïchau avec la colonne Quilichini et Tien Yen en

bout de RC4 à la frontière de Chine.

Ainsi les incidents se multipliaient-ils notamment le 6 juillet à Hong Hay, le 3 août à

Bach Ninh et à Langson.

LES PROBLEMES ECONOMIQUES, FINANCIERS ET DOUANIERS

Sur le plan économique le gouvernement d’Hanoï en était venu à créer sa propre

monnaie, appelée « Piastre Hô Chi Minh », dont il imposa le cours de force, interdisant du

même coup la circulation de la piastre officielle de la banque d’Indochine.

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Bien auparavant ce même gouvernement avait mis en place tout un système d’impôts

directs, d’impôts fonciers, de taxe de la défense nationale lui permettant de faire vivre tant

bien que mal son administration et ses fonctionnaires, puis imposa des taxes douanières.

Là encore l’administration de la république démocratique du Vietnam passait outre

les accords qui devaient régner à l’échelon de la fédération Indochinoise : le Vietminh mettait

en place un système économique clandestin qui allait jouer un vilain tour à la piastre officielle

et à sa cotation, monnaie utilisée par les autres pays de l’Indochine. En effet le dollar de Hong

Kong côté à 2,50 piastre a rapidement grimpé pour en valoir 17, dès le 1° septembre 1946 et

cela mettait en péril toute l’économie indochinoise…

Finalement les autorités françaises devant le cours des évènements intervinrent afin de

protéger les autres pays de la fédération et le haut commissaire, l’amiral Thierry d’Argenlieu

décida de mettre en place notamment au Tonkin des contrôles douaniers destinés d’une part à

éviter des exportations sauvages, réalisées en dépit du bon sens, qui touchaient le riz par

exemple, à contrôler la fuite des devises et surtout aussi la contrebande d’armes à destination

du Vietminh.

Bien entendu ces mesures ne furent pas du goût des autorités vietnamiennes, ni des

commerçants chinois qui s’enrichissaient par un trafic éhonté, et l’on s’achemina lentement

mais un peu plus vers des préparatifs de guerre du côté du vietminh.

Le 18 juillet 1946, le général Leclerc quittait son commandement en Indochine, ayant

demandé à plusieurs reprises sa relève pour cause d’incompatibilité d’humeur avec le haut

commissaire, l’amiral Thierry d’Argenlieu, et dans son dernier rapport au gouvernement

français, il dénonçait la duplicité des autorités d’Hanoî.

les accusant d’avoir un double visage……

Hô Chi Minh rentre en Indochine le 20 octobre 1946 et débarque à Haïphong après

avoir rencontré en baie de Cam Ranh le haut commissaire Thierry d’Argenlieu et il semble

que l’entrevue se soit déroulée d’une manière fort courtoise.

Pendant ce temps à Hanoî, Giap commençait à épurer l’assemblée nationale

vietnamienne, éliminant un à un tous les opposants, tant et si bien que l’assemblée qui

comptait au complet 444 membres, se trouva réduite à 291 députés, l’opposition étant réduite

à 37 membres sur les 70 qu’elle comptait au départ, avant les arrestations déclenchées en

octobre 1946. A la fin novembre il n’en restait plus que 2.

Le 3 novembre 1946 un nouveau gouvernement vietnamien fut formé à la demande

d’Hô Chi Minh et tous les postes furent tenus par des communistes les plus durs qui soient,

Giap étant à la défense, Hô Chi Minh gardant les rênes en tant que président de la république,

de chef du gouvernement et ministre des affaires étrangères.

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Le 8 novembre 1946 l’assemblée nationale de la république du Vietnam vota une

nouvelle constitution, qui affirmait totalement l’indépendance de la république démocratique

du Vietnam, sans aucune allusion à la fédération indochinoise, donc à l’Union française,

comme le prévoyaient les accords du 6 mars ; cette constitution en outre instituait un régime

totalitaire où le pouvoir réel était détenu par le Comité central du parti.

Le lendemain 9 novembre le Comité central approuva les mesures économiques prises

par le sous-secrétaire d’état aux finances Tran Van Binh, mesures mettant en place une

économie en autarcie avec création de coopératives de productions et de consommation, avec

interdiction d’achats de produits français, avalisant les réquisitions d’entreprises françaises

sans espoir de restitution, de même que l’institut Pasteur d’Hanoï.

En Cochinchine l’ordre de cessez le feu donné le 30 octobre desservait les unités du

Corps Expéditionnaire français, les obligeant à stopper les opérations en cours, tandis que les

forces vietminh réfugiées dans la clandestinité pouvaient poursuivre leurs actions de

terrorisme sur les populations notamment en brousse. ; il ne fut plus question comme cela

avait été prévu de rapatrier au Nord- Au Tonkin- les éléments du Vietminh agissant au sud,

les discussions s’enlisant. En fait cette trêve servit davantage les forces communistes, comme

le fit savoir le général Giap dans ses mémoires.

L’AFFAIRE D’HAÏPHONG

LES JOURNEES DES 20 ET 23 NOVEMBRE 1946

A huit heures du matin le 20 novembre 1946 un L.C.A de la Marine Nationale

arraisonne dans le canal Bonnal dans le port d’Haïphong une jonque de haute mer chinoise,

chargée de futs d’essence de contrebande ; au moment où les marins et les services de sécurité

français interviennent pour contrôler la cargaison et verbaliser, un groupe de Tu Vé

vietnamiens-Guérilleros- ouvre le feu en direction de l’embarcation militaire et les marins

ripostent.

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Les coups de feu entendus dans la ville et notamment au marché tout proche et dans le

quartier chinois, alertèrent d’autres Tu Vé qui immédiatement se mirent à agresser les

militaires français circulant en ville pour la plupart d’entre eux désarmés.

Un groupe de Tu Ve se permit même d’arrêter

un officier et deux sous-officiers de la sécurité militaire qui officiaient pour saisir les futs

d’essence déjà débarqués de la jonque.

Un camion militaire fut mitraillé en ville et les trois occupants furent blessés.

La situation empirant, le commandant d’armes de la place d’Haïphong, le colonel

Debès envoya un peloton blindé du RICM pour récupérer les blessés, tandis que des membres

de la commission de liaison franco-vietnamienne, sous les ordres du chef de bataillon Camoin

se rendaient au marché où à force de parlementer ils réussirent à faire cesser le feu.

Le peloton blindé rentra dans ses cantonnements sous la protection d’un drapeau blanc

tenu par un officier de liaison vietnamien, qui lui-même se fit copieusement insulter par la

foule.

A midi le calme semblait revenu partout, mais des barricades avaient surgi, érigées à

des points stratégiques et tenues par des Tu Vé armés, notamment sur les quais et les rues les

plus fréquentées.

La population vietnamienne, elle, semblait particulièrement excitée. Le colonel Debès

demanda à la commission franco-vietnamienne d’intervenir pour faire enlever les barrages

pour 14 heures afin qu’une vie normale soit reprise en ville, ce qui fut accepté par les

vietnamiens.

Vers 14 heures 15, les barricades n’ayant pas été démontées, un bulldozer escorté

d’engins blindés du RICM se mit en place pour déblayer les rues, et c’est alors que les Tu Vé

tenant les barricades ouvrirent le feu, blessant les sapeurs du bulldozer ainsi que deux soldats

appartenant au peloton blindé. ; l’escorte dut riposter pour se dégager et la fusillade devint

générale malgré l’intervention des officiers de liaison de la commission franco-vietnamienne,

reçus eux- même à coups de fusils, malgré la présence du drapeau blanc, le chef de bataillon

Camoin fut tué vers 15 heures 30 et ses deux adjoints les lieutenant Bigeon er Orsini

sérieusement blessés , trois soldats français ayant été tués., les officiers de liaison vietnamiens

s’étant enfuis.

Le colonel Debès réagissant assez vite demanda aux troupes françaises en place de

dégager dans un premier temps le quartier européen, mais avant de donner l’ordre d’intervenir

il tenta une dernière fois de rétablir le contact avec les autorités vietnamiennes par

l’intermédiaire du lieutenant Garnery du 23° RIC.

Vers 16 heures 30, une nouvelle tentative eut lieu par l’intermédiaire de l’adjudant

Forest qui se présenta avec le drapeau blanc devant une des barricades à proximité de la gare,

il est à son tour abattu par plusieurs coups de feu, grièvement blessé.

Le colonel Debès ordonne alors le début des opérations d’aération de la zone,

opérations qui vont se poursuivre jusqu’à la nuit, les Tu Vé moins nombreux se réfugiant dans

les bâtiments publics, notamment le théâtre situé entre les trois quartiers annamites, chinois et

européens.

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Vers 18 heures le II°bataillon du 23 ° RIC avait pratiquement terminé le nettoyage du

centre ville après de durs combats de rue, mais étant bloqué devant la poste ; deux pelotons

blindés du RICM tentaient de réduire les derniers éléments viets retranchés dans le théâtre.

Sept marins de la BMEO dont le quartier-maître Emile Boucher sont tués par des snipers dans

l’enceinte de la Marine Nationale.

Tous ces évènements ne furent connus à Hanoî que tardivement où le général Morlière

intervint en demandant au colonel Debès de ne pas utiliser l’artillerie, demande qu’il

renouvellera d’ailleurs le 23 novembre, alors que les viets tiraient au mortier à partir des

villages autour d’Haîphong. Les pertes viets s’élèvent alors à 240 tués- civils et Tu Vé.

Le gouvernement vietnamien lui-même était en prise à des difficultés énormes,

n’arrivant pas à prendre contact avec les Tu Vé, ces derniers n’obéissant plus aux directives

qui leur sont données.

Finalement le représentant du gouvernement vietnamien, le sous-secrétaire d’état

Hoang Huu Nam, signe avec le colonel Debès un semblant d’accord prévoyant un cessez le

feu immédiat et le renvoi des unités vietnamiennes et françaises sur leurs positions initiales.

Une commission d’enquête mixte arriva le 21 novembre par le train venant d’Hanoï,

les membres de cette commission se faisant tirer dessus par les Tu Vé, doivent abandonner le

train pour gagner Haîphong où ils n’arrivent pas à faire cesser le feu, les Tu Vé tenant

toujours la Poste et les étages supérieurs du Théâtre, la gare étant toujours bombardée par des

tirs de mortiers.

La situation militaire était telle qu’il était impossible de faire appliquer les accords de

la veille, ni le gouvernement vietnamien, ni les autorités militaires françaises ne s’étant

rendus compte des combats qui s’étaient déroulés sur le terrain, et qu’il était difficile aux

unités françaises de laisser le terrain conquis aux mains des viets, y ayant laissé 22 morts et 64

blessés.

L’adjoint du général Morlière, le colonel Herskel et l’envoyé du gouvernement

vietnamien Nam signent un accord dans l’après-midi et en fin de soirée les tirs avaient

pratiquement cessés.

Tout semblait réglé lorsqu’ en début de soirée le colonel Dèbes reçut directement de

Saîgon, un message du général Valluy lui annonçant qu’il venait de donner de nouvelles

instructions au général Morlière lui prescrivant d’obtenir de nouvelles garanties quant à la

sécurité des troupes françaises en demandant aux autorités vietnamiennes de faire évacuer

leurs troupes d’Haîphong.

Pendant que se déroulaient les combats d’Haîphong, d’autres évènements se

déroulaient à Langson sur la frontière de Chine, la ville étant tenue par un bataillon du 21°

RIC et le PC du régiment, un autre élément du 21°RIC étant lui cantonné à Dong Dang sur la

RC4., les liaisons ayant été rétablies par cette route coloniale avec Tien Yen sur la côte .

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La découverte d’un charnier datant des tueries japonaises du 9 mars 1945 avait incité

le colonel Sizaire commandant le 21° RIC à faire exhumer les corps et la commission

française des crimes de guerre se rendit sur place à Van Nieu le 20 novembre, escortée par un

détachement de marsouins, bientôt rejoint par la commission franco-vietnamienne.

Le lendemain matin la colonne fut prise sous le feu de Tu Vé à Van Nieu où une

barricade avait été installée durant la nuit et barrait la RC4. L’escorte allait relever 9 tués et 9

blessés ; le colonel Sizaire réagit alors en faisant chasser les viets de Langson qui perdaient au

cours des combats une cinquantaine de tués, les pertes françaises étant de 18 tués et 30

blessés, les alentours de Langson furent également nettoyés, Ky Lua, le fort Négrier, la

citadelle,et le fort Brière de l’Isle étant repris aux viets.

A Hanoî le général Morlière avait reçu de Paris des consignes très strictes concernant

les relations à avoir avec les autorités vietnamiennes, c'est-à-dire d’éviter tout malentendu,

toute provocation et de travailler étroitement avec ces autorités. Il prévint d’ailleurs le général

Valluy du risque d’embrasement de la situation en fonction des décisions prises, mais le

général Valluy à Saîgon ne croyant plus à la négociation et pour cause, l’expérience lui ayant

appris en maintes occasions la duplicité des dirigeants vietminh, renouvelle ses

recommandations au général Morlière dans la soirée du 22 novembre mais également et

directement au colonel Debès.

Le colonel Debès fit dans un premier temps regrouper les éléments militaires qui

paraissaient être isolés dans Haïphong, notamment la section de garde de Cat Bi, qui fut

récupérée par des fusiliers marins de l’aviso Chevreuil sous le feu des Tu Vé, puis une section

de fusiliers –marins en provenance de Quang Yen rejoignant à bord d’une chaloupe.

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Dès sept heures du matin le 23 novembre, il fit remettre un ultimatum au président

vietnamien du comité administratif de la ville, demandant que le ville soit évacuée pour 09

heures 00, ce qui était relativement court. : la réponse arriva à 08 hueres55 précisant qu’il était

fait appel au gouvernement à Hanoï- Le colonel Dèbes donna un nouveau délai jusqu’à 09

heures 45- La même réponse dilatoire lui parvint à 09 heures 50 et il attendit encore plus

d’un quart d’heure avant de donner l’ordre d’engager l’opération à laquelle allait participer

deux bataillons d’infanterie coloniale, des pelotons de fusiliers marins, de deux escadrons

blindés du RICM et d’un groupe d’artillerie, soit 2400 hommes, le tout appuyé également par

l’artillerie navale des avisons Brazza et Chevreuil.

En fait cela était peu par rapport à l’objectif représenté par une ville de plus de

100.000 habitants, ville où les barricades, fortifications, chicanes avaient été mis en place par

les Tu Vé, ces derniers étant en outre appuyés par un nombre impressionnant de mortiers de

gros calibre et de canons de 65 et 75m/m. tirant à partir des villages de la périphérie

d’Haïphong.

Depuis la veille les forces vietminh n’étaient pas restées inactives puisqu’elles avaient

transformées le quartier chinois, malgré les protestations des commerçants et notables, en

véritable forteresse.

Concernant le risque des pertes engendrées par les combats de rue, le colonel Debès fit

tout d’abord incendier toute la partie commerçante de la rue Paul Doumer, chassant ainsi les

occupants des premières défenses.

Puis progressivement la troupe et les blindés nettoyèrent maison par maison, les

canons des blindés détruisant une à une les maisons transformées en blockhaus, rue par rue,

faisant sauter les barrages minés, un bulldozer repoussant les débris pour permettre le passage

des véhicules, les combats atteignant une intensité incroyable d’autant plus que les tirs de

mortiers gênaient considérablement la progression des troupes à pied…..L’artillerie navale

intervenant sur les emplacements présumés des pièces vietminh. et sur les renforts

acheminés, traités également par la chasse

qui appuyait les marsouins.

Au cours de la nuit du 23 au 24 novembre, les viets lançèrent des contre-attaques

meurtrières constituées par de véritables vagues humaines déferlant contre les positions

françaises notamment en direction de la gare et du dépôt Shell, ces assauts étant brisés par

l’artillerie et le feu des deux compagnies du 23° RIC.

Page 14: Indochine La Course a La Guerre N2

Dans la journée du 24 novembre les viets furent peu à peu repoussés et le 25 dans la

matinée, grâce à l’appui des batteries du RACM, des pièces des avisos Brazza et Chevreuil,

la caserne des gardes indigènes où la résistance paraissait la plus forte fut prise et nettoyée….

Au cours de la même journée ce fut le tour du quartier chinois où les combats firent

rage, les maisons devant être détruites une à une au canon par des tirs directs, puis les blindés

réussirent à dégager la route de Cat-Bi sur un demi kilomètre…..

Les Viets se retranchant dans les villages environnants détruisaient tout lorsqu’ils se

repliaient pratiquant la politique de la terre brûlée, sabotant les installations électriques et les

poteaux des PPT, se mêlant à la population civile qui fuyaient….

Dans la nuit du 25 au 26 novembre, le bataillon para SAS du lieutenant-colonel de la

Bollardière, fut largué au-dessus du terrain de Cat- Bi la jonction se faisant au petit jour avec

les pelotons blindés du RICM.

La ville annamite, désertée par sa population, fut occupée dans l’après-midi et les

blindés du RICM poussèrent des reconnaissances jusqu’au Song Lach Tray, repoussant les

derniers éléments viets vers le sud.

Après cinq jours de combat les unités du Corps Expéditionnaire Français contrôlaient

entièrement Haîphong jusqu’à la presqu’ile de Doson, mais le prix payé était particulièrement

lourd- 26 tués et 86 blessés. La ville était pratiquement en ruines avec des cadavres partout où

se mêlaient les corps des Tu Vé et des civils, abandonnés dans les cours ou dans les rues ;

certes une grande partie de la population avait fui dès les premières escarmouches ; les

chiffres des pertes vietnamiennes annoncées par certains sont excessivement fantaisistes et

n’ont jamais atteint les 6000 morts, les corps dénombrés sur place et comptabilisés se sont

élevés à 300 ; il est vrai que la propagande vietminh relayée par des biens pensants français a

toujours eu tendance à gonfler le chiffre des pertes notamment des civils pour tenter de

culpabiliser davantage nos soldats et nos gouvernants.

En ce qui concerne les résultats à attendre de ces journées, ils ne furent pas brillants

car d’un côté comme de l’autre on s’acheminait vers une confrontation qui aurait pu être

évitée si nos hommes politiques avaient été un peu plus près des évènements et si les

membres du gouvernement d’Hanoï avaient été un peu moins ultras, il faut dire qu’avec un

dénommé Giap qui haïssait les français, il n’était guère possible de s’entendre.

A Paris Georges Bidault avait démissionné le 28 novembre et un nouveau

gouvernement celui de Léon Blum ne fut mis sur pied que le 18 décembre 1946.

Il faut tout de même noter que le 20 novembre au soir le gouvernement d’Hô Chi

Minh avait tenté de négocier, puis le 25 ce fut Giap qui demanda à rencontrer le général

Morlière à Hanoî, entrevue différée jusqu’au 27 novembre sur ordre du général Valluy.

Tout était prêt finalement pour que l’embrasement prévu éclate. Le 19 décembre 1946

à 20 heures ce fut chose faite.

Par le chef de bataillon Francis AGOSTINI, Président du Comité de coordination des

Associations d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre de Marseille et des Bouches du

Rhône, Président de l’Union fédérale des Bouches du Rhône,

Montage par le Commandant Constantin LIANOS vice-président et Monsieur Louis SIMONI

Secrétaire général ;