La Tradition 1887-05 (N2)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • N 2. Prix du Numro : Un franc. Mai 1887.

    SOCIT DES TRADITIONNISTES

    L TRADITION.

    REVUE GNRALEdes Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Abonnement : France, 12 francs. tranger, 15 francs.Cotisation de Socitaire donnant droit au service de la Revue : 15 francs.

    PARISA. DUPRET, DITEUR

    3, rue de Mdicis, 3

  • LIVRAISON DU 15 MAI 1887

    LA LITTRATURE POPULAIRE, par Charles Lancelin.CONTES DU VIEUX JAPON. II. SHITAKIRI-SUZUME, traduction de

    J. Dautremer.MONSTRES ET GANTS. II. LE GAYANT DE DOUAI, par A. Des-

    rousseanx.LA CHAPELLE DU DIABLE, conte de Paul Arne.LA PRISONNIRE DE NANTES, chanson populaire de la Picardie,

    recueillie par Henry Carnoy.CROYANCES POPULAIRES DE LA CORSE, par A.-L. Ortoli.LE VEILLEUR DE NUIT, tradition alsacienne, posie de Emmanuel

    des ssarts.HOMRE DANS LA TRADITION POPULAIRE, par Jean Nicolades.L'ARBRE DE LA SUDE, lgende Scandinave, par Paul Boulanger.LE MARIAGE DANS LE MANTOIS, par Albric Chron.LA FILLE DES NEIGES, lgende russe, par Henry Olivier.TANT QUE L'T DURERA, posie de Raoul Gineste.LES DMONIAQUES DANS L'ART, par Emile Blmont.A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES, par C. de W.BIBLIOGRAPHIE. H. C.NOTES ET ENQUTES.

    La Tradition parat le 15 de chaque mois. Le prix de l'abon-nement est de 12 fr. pour la France (15 fr. pour l'tranger).

    La cotisation des Socitaires est de 15 francs payables dansle courant du premier semestre de l'anne, et donnant droit l'envoi de la Revue.

    Les abonnements et les cotisations sont reus chez M. A.DUPRET, 3, rue de Mdicis.

    Il sera rendu compte de tous les ouvrages adresss la Revue.

    Prire d'adresser les adhsions, la correspondance, les articles,changes, etc., M. Henry CARNOY, 33, rue Vavin.

    Les manuscrits seront examins par un Comit de rdactioncompos de MM. Emile BLMONT, Henry CARNOY, Raoul GI-NESTE, E. GUINAND, Charles LANCELIN, Frdric ORTOLI,Charles de SIVRY et Gabriel VICAIRE. Les manuscrits non ins-rs seront rendus.

    M. Henry CARNO Y se tient la disposition de nos adhrents lejeudi, de 2 heures 3 heures, 33, rue Vavin.

  • LA TRADITION

    LA LITTRATURE POPULAIREOn peut dire de la littrature d'un peuple qu'elle est l'histoire et, en

    quelque sorte, le tmoin de sa civilisation, non seulement par la repro-duction qu'elle donne du milieu ambiant (moeurs, coutumes), mais encorepar sa conception propre, instinctive, naturelle, je dirai presque sotri-que. Qui dit absence de civilisation, dit absence de littrature, et l'on peutavancer que tout peuple, soi-disant sauvage, mais chez lequel se retrou-vent des traditions, des lgendes ou des chants, participe d'une manirequelconque la civilisation, si rudimentaires, si obscures mme qu'enparaissent les manifestations. Comme la civilisation, la littrature abesoin pour natre d'une certaine aspiration la fois matrielle et moralevers une sorte d'idal, ou, pour mieux dire, de manire d'tre sup-rieure : c'est de cette tendance vers un but multiple et indfini, toujoursvariable et toujours changeant, que naissent la fois et le cycle des v-nements qui procde des aspirations matrielles, et la littrature, pro-duite par les aspirations intellectuelles des peuples.

    Et, de mme que l'histoire du monde, la littrature des peuples pro-gresse par phases, par priodes, par ges bien distincts les uns des autres.Les quatre grandes divisions de l'histoire sont l'antiquit, le moyen-ge,les temps modernes et l'poque contemporaine ; les quatre sections ordi-nales de la littrature d'une nation sont :

    1 Les traditions orales, se transmettant de bouche en bouche, basessur un fait certain que,par un phnomne psychique, l'amour du merveilleux, inhrent aux populations primitives, modifie progressivementdans un sens extra-naturel : telles durent tre l'Iliade avant Homre, laChanson de Roland avant Turoldus, l'Edda avant Saeinund Sigfusson, leKalevala avant Lnnrot, le Pome du Cid avant le prcurseur de Perol'abb, etc.

    2 Les traditions crites, oeuvres travailles par un seul homme, ouproduits collectifs d'une srie d'ouvriers : cette catgorie appartiennentles pomes homriques, les chansons de geste et les popes nationaleselles qu'elles sont publies de nos jours.

    3 La littrature que l'on peut appeler fictive, quicontient en germe le

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    roman moderne et qui est comme la rsultante de ces multiples aspira-tions poussant l'homme vers un idal de plus en plus lev : dans cette

    classe, on peut ranger nos vieilles Cantilnes, plus tard nos Fabliaux, nos

    Dicts, nos Dbats, nos Lais, etc.4 Enfin la littrature actuelle, dont le cadre aujourd'hui est si merveil-

    leusement vaste qu' peine il se peut enserrer dans les bornes troitesd'une dfinition.

    Toutes ces phases diverses ont entre elles de nombreuses affinits, des

    points de contact parfois bizarres, mais toujours positifs, et l'on pourrait ce serait mme un curieux travail reconstituer la chane immensedes oeuvres littraires qui rattachent Balzac aux vieux ades de la Grce,aux chantres antiques de l'Egypte et de l'Orient.

    Comment, en effet, procde la littrature dans son dveloppement lafois objectif et subjectif? D'une faon trs simple en vrit.

    Un fait se produit qui, par son intensit, son importance ou quelquecondition extrieure remarquable, frappe l'esprit des contemporains. Cefait est transmis de bouche en bouche, modifi ou dvelopp au gr de

    chaque narrateur, dans un sens mystique, ou matriel, ou surnaturel, ou

    purement mais c'est l'exception psychologique : c'est la premirepriode. Une des versions de ce fait arrive aux oreilles d'un lettr quila fixe sa manire au moyen de l'criture : l, la mme srie de dve-

    loppements externes se produit d'crivain crivain : c'est la seconde

    priode, celle qui a dtermin nos chansons de geste. Un momentarrive o, pour un motif quelconque, cette narration semble vieillie ouinsuffisante aux auditeurs : on en fait d'abord, suivant le caprice du

    jour, des imitations qui ne tardent pas subir le mme sort que la nar-ration originale, mais qui, du moins, ont ouvert la voie : on prend alorsdes dtails tel ou tel fait, et l'on en compose un ensemble entirement

    neuf, du moins au point de vue de l'affabulation ; puis, en dernier lieu,on a recours, franchement et sans dguisement, l'imagination pure :c'est ainsi que, chez nous, les chansons de geste et les cantilnes ontdonn naissance aux romans (la Rose, le Renard, etc.) d'o sont sortisles Fabliaux, les Dicts, etc., dont est ne par une srie ininterrompued'enfantements de plus en plus vastes, la littrature actuelle.

    A chacune de ces diffrentes priodes, il s'est rencontr des espritschercheurs qui, dans une dlicate curiosit de travail, ont voulu, tout en

    progressant, sduits qu'ils taient et comme enivrs par ce parfum ex-

    quis que dgagent les choses d'autrefois, faire des imitations archaquesde ce qui tait jadis : nous citerons, parmi ces modernes imaigierslittraires , Rabelais, Balzac, Littr,et nombre d'autres pasticheurs m-rites. D'autre part, il Se produit toujours et ncessairement une sorte derflexion des grandes oeuvres du gnie sur l'esprit naf des populationsillettres, qui, sous l'action de cet instinct naturel poussant l'homme versle beau, est facilement sduit par le ct idal ou grandiose du rcit qu'onlui en fait. Racontez un paysan de la Basse-Bretagne l'pope du Cid ou

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    de Rama : peu peu, par difusion, il se formera une nouvelle lgendebretonne ayant des points de contact certains avec le Romancero espa-gnol ou le Ramayana indou, mais marque au coin du tempramentlocal, revtue d'un cachet propre, et qui se reliera d'une faon ou d'uneautre au cycle lgendaire des fes, du roi Artus, des poulpicans ou detout autre ensemble de traditions spciales. C'est, en quelque sorte, la

    personnalit du mythe qui, revenue l'tat embryonnaire, subit un nou-veau dveloppement en rapport avec les contingences du milieu.

    Dans ces conditions, il peut y avoir doute parfois, dans l'examen d'uneoeuvre, de savoir si l'on se trouve en prsence d'une tradition originale,d'un pastiche ou d'un vague reflet d'une composition connue. Il se peutque l'on prenne le refrain d'une mlodie en vogue jadis pour une chan-son navement populaire, une histoire dnature pour un conte local, etc.Quelle ligne de conduite peut-on suivre pour arriver la vrit qui sou -vent ctoie tellement l'erreur qu'il est difficile de l'en dgager ?

    Un critrium absolu, infaillible, vrai pour tous les temps, pour tous leslieux, serait impossible donner. Il faut avoir recours un labeur de

    critique presque microscopique tant il doit s'arrter aux dtails, car les d-tails surtout doivent tre tudis dans cette sorte d'investigation.

    Toutefois, si l'on ne peut poser, en pareille matire, de rgle prcise,il est nanmoins facile d'avoir recours certaines indications de circons-tances extrieures qui, presque toujours, dclent, surtout lorsqu'elles setrouvent runies, l'origine populaire d'un chant, d'une tradition...

    Cette critique, pour tre judicieuse, doit examiner d'abord l'ensemble.La navet y domine-t-elle, ou bien la brutalit ? Il y a beaucoup dechances pour que l'oeuvre critique mane d'une origine purement popu-laire : cette qualit et ce dfaut peuvent, il est vrai, se trouver pastichs,mais combien il est facile de dcouvrir l'imitation et la ralit ! La Fon-

    taine, par exemple, a sem pleines mains la navet dans ses fables,mais cette navet est trop piquante ; on sent en elle la tendance cache,voulue : la navet naturelle est plus grossire. De mme pour la bruta-lit : voyez les Contes drlatiques de Balzac ou mme l'Heptamron, et

    comparez ces compositions avec telle ou telle histoire... je dirai lgrepour tre convenable ayant cours dans nos campagnes : vous verrezd'une part une sorte d'affterie police, on peut mme dire jusqu' uncertain point de bonne compagnie ; de l'autre c'est la crudit presqueobscne. De mme, l'ampleur du sujet, dans les narrations hroques, dis-parat-elle parfois sous des plaisanteries ou des rflexions banales, terre-

    -terre, on peut tre peu prs certain que l'on se trouve en prsenced'une production populaire.

    Voici pour l'ensemble ; voyons maintenant le dtail.Un personnage entre-t-il en scne ou sort-il sans prparation ? Un fait

    est-il nonc hors cause ? En un mot, l'harmonie de l'affabulation pche-t-elle par quelque endroit? OEuvre populaire. La rude potique des popula-tions incultes se soucie peu de toutes ces rgles d'organisation trop raf-

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    fines pour elle, et dont l'utilit ne lui a jamais paru incontestable. Lefait, voil ce qu'elle cherche ; le but, voil o elle tend, sans s'embar-rasser de tout le reste qui est pour elle dtail peu important.

    La rptition littrale, certains intervalles, des mmes scnes, desmmes phrases, des mmes termes, est galement un indice certain quel'oeuvre mane d'un fonds populaire; c'est un procd que l'on rencontresouvent dans les anciens pomes et qui est la marque presque certaine dececi : que l'esprit peu cultiv de l'auteur a trouv trop fatigant ou inutilede polir la narration en modifiant le choix des mots devant dsigner uneide semblable ; c'est ainsi que notre chanson actuelle, divise par cou-

    plets avec refrain, dnote elle-mme, intrinsquement, son origine.Il est surtout, en pareille matire, un point sur lequel il convient d'in-

    sister: c'est le choix de l'pithte accole au terme principal.Nous disions,en commenant noter ces rflexions, que la littrature d'un peuple estcomme le tmoin de sa civilisation la preuve surtout en apparat enceci. La civilisation de l'homme a progress d'une double manire, ten-dant un double but : dans l'origine, son stimulant a t le bien-trematriel ; plus lard seulement est venue la recherche du bien-tre intel-lectuel et moral. La littrature procde de mme. Ouvrez les pomes de

    l'antiquit, ouvrez par exemple Homre qui est en quelque sorte le para-digme de la posie primitive : chez lui, Achille sera toujours Achille auxpieds lgers ; Minerve, toujours la desse aux yeux de boeuf; ouvrez laChanson de Roland, vous y verrez les puys hauts, l'herbe verte, lesroyaumes vastes, tous qualificatifs procdant d'un ordre matriel la

    remarque en a t faite ds longtemps. Ce n'est que plus tard, lorsque lacivilisation s'pure, lorsque l'idal vis plane au-dessus de l'humanit,que l'pithte revt un caractre intellectuel et moral. Or, la littraturepopulaire, ne dans un milieu intellectuel assez dvelopp, n'usera qu'ex-ceptionnellement de qualificatifs visant un ordre de choses suprieur :

    d'ordinaire, les qualits distinctivcs qu'elle donnera ses hros procde-ront de circonstances extrieures, tangibles ; par suite, la porte des faitssera non plus morale, mais physique, et l'analyse psychologique ne serencontrera que fort rarement dans une production purement populaire.

    Il existe certainement d'autres points de repre pour la critique de lalittrature populaire ; mais les uns tombent moins facilement sous la per-ception et demanderaient, pour tre noncs, un long concours de textesou d'exemples ; les autres, tout faits spciaux, ne doivent tre utiliss

    que dans de rares circonstances, et ceux qui prcdent peuvent, notreavis, amplement suffire pour reconnatre une oeuvre strictement popu-laire d'une imitation ou d'une combinaison dans laquelle l'lment popu-laire n'entrerait que pour partie. C'est, au reste, affaire de sagacit, etles procds gnraux employer doivent tre, en ceci comme en touteschoses, ceux de la critique pure, celle qui est assez matresse d'elle-mmepour pouvoir en mme temps analyser un ensemble et en synthtiser lesdtails.

    CHARLES LANCELIN.

  • LA TRADITION 37

    CONTES DU VIEUX JAPONII

    SHITAKIRI-SUZUME

    (LE MOINEAU QUI A LA LANGUE COUPE)

    Il tait une fois une vieille femme trs mchante. Elle avait unjour mis de l'amidon dans un vase pour y laver ensuite ses vte-ments. Mais un moineau qui tait le favori d'une voisine mangeatout l'amidon. Voyant cela, la mchante femme prit le moineau, et,l'injuriant et l'appelant tre dtestable ! elle lui coupa la langue.

    Quand la femme qui appartenait le moineau sut ce qui taitarriv, elle fut vivement chagrine, et se mit en route avec sonmari pour savoir o le moineau s'tait sauv. Aprs avoir beaucoupmarch dans les montagnes et dans les plaines, ils finirent partrouver sa maison. Quand le moineau vit ses matres et apprit qu'ilsavaient fait tant de chemin pour venir jusque chez lui, il se rjouitbeaucoup. Il les remercia de leur bont pour lui, fit appprter unetable charg de poisson et de th, tellement qu'on n'y pouvait plusrien poser. Tous les enfants et petits enfants du moineau servirent table, et la fin du repas, le matre de la maison jetant au loin satasse de sak, se mit danser ce qu'on appelle la Danse du Moineau,et ainsi toute la journe se passa festoyer.

    Quand la nuit vint et que les deux vieillards voulurent se dispo-ser partir, le moineau fit apporter deux grands paniers et, leurdit : Prenez, je vous prie un de ces paniers ; lequel voulez-vousemporter ? Le plus grand ou le plus petit ?

    Donnez-nous, rpondirent-ils, le plus lger ; car nous sommesvieux et ce sera plus facile porter.

    Ils prirent donc le panier lger et retournrent ainsi chez eux.Lorsqu'ils furent arrivs, ils voulurent voir ce qu'il y avait dans

    le panier et l'ouvrirent. Quel fut leur tonnement quand ils s'aper-urent qu'il tait plein d'or et d'argent, de pierres prcieuses et derouleaux de soie. Jamais ils n se seraient attendus de telles ri-chesses ! Et, plus il en sortait, plus il y en avait ; le panier taitinpuisable, de sorte qu'ils devinrent de suite riches et fortuns.

    Quand la mchante femme apprit cela, elle fut prise de jalousieet voulut avoir les mmes trsors ; elle alla donc trouver sa voisineet lui demanda o le moineau vivait, et le chemin faire pour allerchez lui. J'irai, se dit-elle ! Et elle partit en effet.

    Le moineau, ds qu'il la vit venir, fit immdiatement apporterdeux paniers exactement semblables aux autres et lui fit la mme

  • 38 LA TRADITION

    question qu'aux deux vieillards : Voulez-vous le plus lourd ou le

    plus lger ? Donnez-moi le plus lourd, rpondit-elle. Elle

    prit donc le panier et s'en retourna chez elle trs charge ; carc'tait lourd comme de la pierre et fort difficile porter. Enfin elleparvint sa maison.

    Mais quand elle ouvrit le panier, il en sortit une quantit depetits diables qui se jetrent sur elle et la mirent en pices (1).

    Traduit par J. DAUTREMER.

    MONSTRES ET GANTSII

    LE GAYANT DE DOUAI

    Pour tout habitant de Douai, et mme aussi pour la plupart despersonnes ayant pass quelques annes dans les dpartements duNord et du Pas-de-Calais, ce seul mot Gayant suffit pour faire com-prendre que nous allons nous occuper de la fte communale deDouai. Quand on dit, je vais Gayant, je reviens de Gayant, c'estcomme si l'on disait : je vais ou je reviens de la fte de Douai.

    C'est que, de tous les gants qui, dans la plupart des villes deFlandre, reprsentent de grands personnages historiques ou lgen-daires, Gayant est, sans conteste, le plus populaire.

    Le vritable gentil des personnes nes Douai n'est pas Douai-sien, mais Enfant de Gayant.

    Les Douaisiens appellent Gayant leur Grand-Pre et l'anecdote sui-vante est une des nombreuses preuves de l'affection qu'ils lui por-tent.

    Un M. de Brande, capitaine d'artillerie, avait, en 1745, con-couru avec sa compagnie, compose en grande partie de Douai-siens, la prise de la citadelle de Tournai. Le lendemain de cetteconqute, un sous-officier lui dit, au rapport, que presque tout sonmonde avait dsert. Le capitaine, d'abord tonn de cette nou-velle, se rappelle presque ausitt qu'on clbre ce jour-l la fte deGayant. Sois tranquille, dit-il, les Enfants de Gayant reviendrontds qu'ils auront vu danser leur grand-pre! Cela n'a pas manqu.

    Disons donc quelques mots de l'origine de la fte de Gayant.

    (1) Contes du vieux Japon, illustrs. Kobunscha, n. 2. MinmSayegich, Tokio.

  • LA TRADITION 39

    Au commencement du IXe sicle, Douai tait envahi par desbarbares. Jean Gelon, seigneur de Cantin, se met la tte des habi-tants, surprend les ennemis endormis, et dlivre sa patrie.

    C'est pour terniser ce fait glorieux que l'on a fond, en 1480, laprocession de Gayant, qui reprsente le hros Jean Gelon.

    Cette fte avait lieu primitivement le 16 juin, mais Louis XIVayant pris Douai le 6 juillet 1667, c'est cette dernire date que,depuis lors, on la clbre chaque anne.

    Le programme du cortge a trs souvent vari et il ne nous pa-rait pas utile d'en donner une description complte. Nous nousbornerons dire qu'on y voit figurer :

    Gayant. qui porte le costume des anciens chevaliers, avec uncasque et un large cimeterre en sautoir. Il a 21 pieds de haut.

    Madame Gayant, qu'on appelle Marie Cagenon. Elle a, en hau-teur, un pied de moins. Son costume varie suivant la mode.

    Jacquot, l'an des enfants, arm chevalier. Il a 14 pieds de haut.Fillion, sa soeur cadette. Elle a la mme taille.Bimbin, qu'on appelle Tiot tourny (Petit loucheur) parce qu'il lou-

    che. Il a environ dix pieds de haut ; habill en enfant, il est coiffd'un bourrelet.

    On y voit figurer en outre la Boue de Fortune sur laquelle setrouvent un argentier, un paysan, un procureur tenant une volaille la main ; puis le Sot des Canonniers, embot dans un cheval d'o-sier recouvert d'une peau, tenant d'une main sa marotte, emblmede la folie. Il est coiff d'un bonnet garni de grelots. On l'appelleSot des Canonniers. parce qu'autrefois il marchait en tte du cortgeavec les quatre compagnies des Canonniers, des arquebusiers,des archers et des arbaltriers.

    Quand le cortge se met en marche, la grosse cloche de l'Htel-de-Ville est mise en branle et le carillon excute l'air de Gayant.

    Cet air, qu'un sieur Lajoie, grenadier et matre de danse au r-giment de Navarre a compos, dit-on, en 1775, n'avait pas, primi-tivement, de refrain, et se composait de douze mesures (sixvers). En 1801 on y ajouta dans le mme mode et la mme me-sure (2/4), un refrain maintenant fort connu, sur ces paroles :

    Turlututu Gayant........Turlututu Gayant pointu.

    Puis, postrieurement, on y introduisit une ritournelle en majeuret 6/8, que l'on trouve dans la plupart des morceaux arrangssur. ce thme pour piano, harmonie ou fanfare.

    Bref, l'air de Gayant est si populaire que depuis soixante ans,les musiques des rgiments en garnison Douai l'ont toujours eudans leur rpertoire et qu'aucune musique militaire ou civilen'entre dans la cit de Gayant sans le jouer en pas redoubl.

  • 40 LA TRADITION

    Voici cet air et le principal couplet de la chanson.

    A. DESROUSSEAUX.

    LA CHAPELLE DU DIABLECeci sera donc l'aventure du Diable et du Saint.Aventure aussi admirable que vridique, par laquelle il est par-

    faitement prouv que l'esprit jsuitique existait sur terre des siclesavant Loyola, et qu'il en cuisit toujours, mme aux diables du plusfin poil, de s'en fier la parole des gens d'glise.

    Je vous la conterai simplement, telle qu'elle me fut conte, il n'ya pas plus de huit jours, par un vieux ptre en manteau couleurd'amadou, qui, tandis que ses chvres paissaient, s'tait tendu augrand soleil et prenait le frais la provenale.

  • LA TRADITION 41

    En ce temps-l, me dit le vieux ptre, le Diable et le Saint,chacun de son ct, prchaient dans les Alpes. Il est bon de savoirqu'en ce temps-l les Alpes valaient la peine qu'on y prcht. Lestorrents n'avaient pas encore emport la bonne terre en Provence,ne laissant aux pauvres gens d'ici que le roc blanc et les cailloux.Les montagnes, dcharnes maintenant, s'arrondissaient, pleines etgrasses ; des bois verdoyaient sur les cimes, et les sources coulaientpartout. En si beau pays, le Diable et le Saint faisaient assez bienleurs affaires; ils convertissaient, d'ici, de l, l'un pour le Paradis,l'autre pour l'Enfer. Le Saint enseignait tout ce qu'il savait, c'est--dire le chemin du ciel, un peu de latin et de prires. Le Diableapprenait aux gens s'occuper plutt des biens terrestres, btirdes maisons, faire des enfants, semer le bl et planter la vigne. Bonsamis d'ailleurs, ne s'en voulant pas trop pour la concurrence (leDiable du moins le croyait !) et s'arrtant volontiers au dtour d'unchemin pour causer un instant et se passer la gourde.

    Certain jour, parat-il, au soleil couchant, le Diable et le Saint serencontrrent la place mme o nous sommes : le Saint, en cos-tume de saint, cross, mitr, nimb, dor; le Diable, noir et cuit son habitude, cuit comme un pi, noir comme un grillon.

    Eh ! bonjour, Saint. Eh! bonjour, Diable. On rentre donc ? C'est donc l'heure de la soupe ? Si on s'asseyait sur cette roche ! La vue de la valle est belle;

    et la fracheur qui monte fait du bien.Il y avait l un peu de mousse sche; le Diable et le Saint s'assi-

    rent cte--cte, le Diable sans dfiance et joyeux, car il avait faitbonne journe, le Saint tout dvor de chrtienne jalousie, et jaunecomme sa mitre d'or.

    Voyons, a va-t-il ?dit le Diable. a ne va pas mal, a ne va pas trop mal, rpondit le Saint.

    Les pauvres d'esprit deviennent rares, et il y a parfois des momentsdurs : nanmoins, au bout de l'an on se retrouve.

    Voil qui fait plaisir ! allons tant mieux ! J'ai mme trouv un moyen, ce mois dernier de me btir une

    chapelle, petite il est vrai; mais c'est un commencement. Veux-tuque je te la montre ?

    Volontiers, si ce n'est pas loin.Et les voil partis tous deux, le Saint en tte, le Diable derrire,

    suivant les vallons, gravissant les pentes, dans les grands buis,dans les lavandes, montant sans cesse, montant toujours.

    Mais c'est au ciel que tu demeures ? Non, c'est simplement au haut de la montagne. La place est

  • 42 LA TRADITION

    bonne ; on aperoit le clocher de loin, et, quand je donne ma bn-diction, vingt lieues de pays tout au moins en attrappent les cla-boussures.

    Enfin ils arrivent la chapelle. Joli ! trs joli ! dit le Diable en regardant par le trou de la ser-

    rure, car l'eau bnite l'empchait d'entrer; les bancs sont neufs,les murailles blanchies la chaux. Ton portrait sur l'autel me sem-ble d'un effet magnifique ; je te fais mon sincre compliment.

    Tu dis a d'un ton ! De quel ton veux-tu que je le dise? C'est donc mieux chez toi ? Un peu plus grand, mais voil tout. Allons-y voir, rpondit le Saint. Allons-y ! rpondit le Diable, mais une petite condition.

    c'est qu'une fois dedans, tu ne feras pas de signes de croix. Vossacrs signes de croix portent malheur aux btisses les mieuxconstruites.

    Jet le promets. a ne suffit pas, jure-le moi ! Je te le jure ! dit le Saint qui avait dj son ide.Aussitt un char de feu parut ; et tous deux, si vite, si vite, qu'ils

    n'eurent pas le temps devoir le chemin, se trouvrent transportsdans le plus magnifique palais du monde. Des colonnes en marbreblanc, des votes perte de vue, des jets d'eau qui dansaient, deslustres, des murs en argent et en or, un pav en rubis et en dia-mant, tous les trsors de dessous terre.

    Eh bien? demanda le Diable. C'est beau, trs beau! murmura le Saint devenu vert; c'est

    beau d'ici, c'est beau del, c'est beau gauche, c'est beau droite.Et disant cela, le Saint montrait du doigt les quatre coins de l'-

    difice. Ainsi sans manquer son serment, il avait fait le signe decroix. Aussitt, les colonnes se rompirent, les votes s'effondrrentLe Saint, qui avait eu soin de se tenir prs de la porte, n'eut pasde mal ; et le Diable, pinc sous les dcombres, se trouva encoretrop heureux de reprendre, pour se sauver travers les pierres,son ancienne forme de serpent.

    Mais votre saint est un peu jsuite! m'criai-je.

    Les deux chapelles, celle du Diable et celle du Saint, sontencore l bas ; on peut les voir! conclut le vieux ptre sans avoirl'air de m'avoir entendu. El il me montrait sur le flanc du roc unechapelle rustique construite l'entre d'une grotte que j'avais visi-te avant d'en connatre la lgende, et qui, avec ses parois tince-lantes de cristaux, sa vote jour, ses couloirs obstrus, ses ran-ges de blanches stalactites, peut donner en effet l'ide d'un palaisferique croul.

    PAUL ARNE.

  • LA TRADITION 43

    LA PRISONNIREDE NANTESI

    Dessus le pont de NantesM'en allant promener,J'ai vu une dispute,J'ai voulu m'en mler.

    II

    J'ai vu une dispute,J'ai voulu m'en mler.La Justice de NantesM'a rendu prisonnier.

    III

    Quand la belle entend direQue son amant fut pris,S'est habille en page,En postillon joli.

    IV

    A la prison de Nantes,Va voir son cher amant.Trois petits coups frappaA la port' doucement.

    V

    Ouvrez-moi donc la porte,Monsieur, de la prison,Pour parler mon matreQui est dans la prison.

    VI

    Entrez, beau page, entrez,N'y soyez pas longtemps,Car les habits qu' tu portesEn font l'occasion.

    VII

    Quand la belle fut entre,Elle se mit pleurer. Quitte tes habits prompt'ment,Mets les miens vivement ;

    VIII

    Tu vas sortir dans la ville,Passe modestement,Quand tu s'ras dans les champs,Courre comme le vent !

    IX

    Au bout de six semaines,Le procs fut jug.Dessus la place de Nantes,Au milieu du March

    X

    Quand la belle fut monteDeux ou trois escaliers : Messieurs de la Justice,Vous n'avez pas raison

    XI

    De juger une filleSous l'habit d'un garon,Djuger une filleSous le nom d'un garon.

    XII

    Puisque vous tes fille,Vous serez visite,Par quatre bonnes damesDames de charit.

    XIII

    Par quatre bonnes dames,Dames de charit,Qui nous sauront bien direLa pure vrit.

    XIV

    Quand la belle fut sauve,Elle se mit chanter : Et moi par mon adresse,J'ai sauv mon amant.

    (Chanson recueillie Warloy-Baillon (Somme) en 1886).

    HENRY CARNOY.

  • 44 LA TRADITION

    CROYANCES POPULAIRES DE LA CORSE

    Depuis sa naissance jusqu' sa mort, tout est mystre, fatalit, incan-tation et sortilge pour le campagnard de la, Corse.

    Aussitt qu'il vient de natre, on commence par pronostiquer sur sonavenir. Est-il n dans l'un des premiers jours de la semaine, pendant quela huche est pleine de pain ? il vivra dans l'abondance ; est-il n au con-traire un vendredi, alors qu'elle est vide, a meda biota, il sera toujoursdans la pauvret et la misre.

    Bien d'autres prjugs menacent ce pauvre petit tre beaucoup plusque les maux inhrents sa nature et sa faiblesse. Voyez plutt :

    Sa mre le soigne, l'allaite et veille ce qu'il ne lui arrive aucun mal ;mais quelles prcautions prend-elle ! Elle commence par lui attacher sur

    l'paule une petite branche de corail ou par cacher dans ses langes unmorceau de chandelle de celle que sa famille a reue la Chandeleur ; cela suffit pour loigner une foule de maladies et chasser la strega, lasorcire qui se tient toujours en embuscade, profitant de la moindredistraction de la mre pour tuer le malheureux bb en lui suant le

    petit doigt.Si, malgr ces prcautions, l'enfant tombe malade, la premire pense

    de la mre est de le croire innocchiato. Pour chasser ce mauvais sort,elle fait brler, dvotement, mls ensemble : Un rameau d'olivier, unecroix de feuilles de palmier bnits le jour des Rameaux, un peu d'encenset un morceau du cierge qui se trouvait en tte du triangle pendant lesoffices de la Semaine sainte. Sur la fume qui se dgage de ce bcherd'un nouveaux genre, elle promne le corps du petit malade en faisantforce signes de croix et en disant: Je t'enfume et que Dieu te gurisse ! Ou bien encore : Que ton mal se dissipe comme cette fume !

    Si malgr cela l'enfant continue dprir, si le sort, je veux dire lemal, ne s'en va pas, c'est l'incantatrice que l'on a recours.

    Trois fois de suite, pendant trois jours conscutifs, la vieille procde ses incantations :

    Sur un peu d'eau qu'elle verse au fond d'une assiette, elle laisse tomberdeux ou trois gouttes d'huile ; gnralement une partie seule surnage ;l'incantatrice renouvelle l'opration, en changeant chaque fois l'eau del'assiette. Par la disposition des gouttes, elle juge de la maladie; si foutel'huile surnage, le mal est lger et l'enfant va gurir, sans quoi il a tfrapp par les morts et nulle puissance humaine ne peut le sauver.

    Si, plus puissante que l'incantatrice, la nature gurit le bb, c'est lapremire qui en a l'honneur ; s'il meurt, les morts seuls sont coupables.

    Mais, dira-t-on, pourquoi, au lieu de l'incantatrice, ne pas plutt appe-ler le mdecin ? A cause de la fcheuse croyance rpandue dans les cam-pagnes que, pour les petits enfants, le mdecin peut moins que celle qui

  • LA TRADITION 45

    conjure le sort ; et, il faut l'avour avec regret, beaucoup de ceux qui sedisent mdecins ne justifient que trop ce prjug.

    Or, tandis qu'on se refuse nergiquement croire l'efficacit des pres-criptions du mdicastre, on admet le pouvoir de l'enchanteur ou del'incantatrice, ces magiciens qui avec quelques paroles oprent des pro-diges et font plir devant eux la science la plus profonde.

    Outre le mal occhio dont on a dj parl, les enchanteurs tuent les versdans les intestins des enfants ; Arrtent les hmorrhagies ; Guris-sent les brlures les plus profondes; Conjurent les effets du poisonprovenant de la piqre d'un insecte venimeux ; Et font disparatre levirus rabique communiqu par les morsures d'un chien enrag.

    Est-ce que les plus minents professeurs de la Facult de mdecinepourraient en faire autant, surtout avec tant de facilit et si peu de frais?

    Et cependant, il meurt peu d'enfants la mamelle ; l'air pur, le soleil,ainsi que d'autres conditions favorables, entretiennent leur sant ; mais

    quelles sont les premires ides que l'on grave dans l'esprit de ces jeunesenfants ds que leur curiosit s'veille? Pas d'autres que les contes su-

    perstitieux de leurs vieilles grand'mres.A peine le petit a-t-il des dents pour mordiller dans la viande, qu'on

    lui dfend de manger d'une queue de porc ou de mouton, sous peine derester un nain. Et de peur de rester un nain, l'enfant n'en mangera pas.

    Aux conversations de la veille, il n'entend parler que de sorciers etde revenants: ces rcits fantastiques, faits gravement par des personnessrieuses, finiront par prendre possession de son imagination et il croiraaux revenants comme son existence ; il faudra mme que son esprit etsa raison soient bien solides si,avec l'ge, il parvient renvoyer ces contesau pays des chimres. Le fait est si vrai, que l'on pourrait nommer deshommes ayant fait de fortes tudes et occupant dans l'Etat des positionstrs importantes qui prtent foi ces folles visions.

    Si le jeune homme est appel la vie rurale, on lui recommande de netailler sa vigne, de ne greffer ses arbres, de ne faire ses semis que pen-dant que la lune est son dcours : alors il aura de bonnes vendanges,beaucoup de fruits, ainsi que les lgumes dsirables.

    Surtout, lui dira-t-on, malheur toi si tu finissais tes semailles un ven-dredi ; ta femme mourrait dans l'anne.

    S'il a occasion de vendre du gros ou du menu btail, il devra se sou-venir de ne jamais livrer un boeuf, ou un mouton, sans avoir adroite-ment enlev une touffe de poils de la queue du premier, ou un flocon delaine pris sur le dos du second, poils ou laine devant tre jets au mi-lieu des btes qui lui restent: oublier ces prescriptions, c'est s'exposer voir s'en aller ailleurs la fortune de l'table ou du troupeau.

    Surtout, dfense expresse de faire une vente un lundi : commencer diminuer le troupeau le premier jour de la semaine, c'est le vouer unediminution quotidienne, et finalement une destruction totale.

    Enfin, on lui fera connatre comment on peut dtruire son ennemi

  • 46 LA TRADITION

    quand on n'a pas la force de le faire par les armes, ou qu'on ne veut passe compromettre: c'est de mettre une poigne de sel dans le bnitier dufond de l'glise, en prononant des paroles conformes au dsir qui inspirecette action : c'est une variante de l'envoultement du moyen-ge.

    Il faut ajouter que ce moyen d'atteindre son ennemi, n'est jamais pra-tiqu par un homme; seules les veuves et filles orphelines y ont recours.

    De son ct la mre recommande sa fille pour le temps o, sontour, elle dirigera un mnage de ne mettre des oeufs couver quelorsque la lune, dans sa splendeur, est bien visible au-dessus de l'hori-zon ; De ne faire une salaison de viande conserver que si la lune nes'est pas encore leve ; De garder soigneusement les branches d'olivier,les feuilles de palmier bnites, l'encens, et la chadell ncessaires pourchasser le mal occhio ; Et de conserver la coquille du premier oeuf queses poules pondront le jour de l'Ascension : cette coquille a le pouvoird'teindre les flammes en cas d'incendie.

    Elle lui recommande de veiller ce que son mariage n'ait pas lieu lemme jour o une autre se marie. Si cela se produisait, il faudrait viter tout prix de suivre le mme chemin ou de se rencontrer, soit en allant,soit en revenant de la Mairie ou de l'glise ; car si les pas de l'une devaientpasser sur ceux de l'autre, celle qui aurait march devant mourrait dansl'anne.

    Elle lui apprend ce qu'il faut faire pour prvenir les envies qu'prou-vent les femmes enceintes ; car, par exemple, le compre-loriot provientde la salive que l'une d'elles crache en se tournant vers une personne quiporte des fruits dont elle dsire et qu'elle n'ose pas demander : cetteenvie apparat sous la forme d'un bouton sur l'oeil qui n'a pas su la voir;de mme que le fruit dsir nat sur la peau de l'enfant qu'elle porte dansson sein ; il faut donc tre attentive, offrir gnreusement et ne pas rou-gir de demander.

    Enfin, pendant le mois de mai, alors que la nature respire la joie etinvite l'amour, les bergers ne se marient jamais. Pourquoi ? J'e l'ignore.

    En Corse, les diseurs de bonne aventure prennent le nom de devins ; ilsprtendent lire l'avenir sur un oeuf ou une paule de mouton : il va sansdire que l'oeuf doit tre frais et l'paule livre avec toute sa chair.

    C'est le devin qui doit la faire cuire et la dpouiller lui-mme, afin depouvoir lire sur l'omoplate.

    Les prsages ont une grande influence sur l'imagination populaire.Au nombre des mauvais prsages sont : Le chant de la poule ; Le

    cri de la Malucella, l'oiseau de mauvais augure ; Et les hurlements deschiens.

    Lorsque une poule se met chanter, c'est un mauvais signe pour lala maison ; seulement elle ne chantera qu'une fois, par la raison que lapremire personne de la famille qui la voit se hte de lui tordre le cou.

    Lorsque, pendant le silence et l'obscurit de la nuit, la Malucella faitentendre son cri sinistre, le trouble est dans la maison la plus voisine dulieu o elle a chant.

  • LA TRADITION 47

    Plutt que de faire du mal quelqu'un de ma famille, dit le pre, je te voue mon cheval, ou tel autre animal qui te plaira.

    Emporte la plus belle de mes poules, dit la mre. Le chien n'tant pas au nombre des animaux que l'on offrait en sacri-

    fice, n'est jamais dsign comme victime expiatoire.S'il arrive que, la nuit venue, le chien, in pippuli, regarde la maison de

    son matre et pousse des cris plaintifs, on dit qu'il pleure celui qu'il aimeet l'avertit que le malheur est suspendu sur sa tte; et si tous les chiensde la localit se rassemblent et aboient sur un ton lamentable, la paniquedevient gnrale.

    Dans le nord et la partie orientale de la Corse, on croit aux sorciers,streghe, qui vont pendant la nuit faire leur sabbat, et excuter des dansesfunbres dans les lieux sombres et les cimetires.

    Ces mchants esprits font tout le mal qu'ils peuvent aux voyageurs at-tards, et aussi ils font pleurer les mres en tuant leurs petits enfants.

    Le chef des sorciers ou le grand sorcier, s'appelle lo stregone : c'estpeut-tre parce que lo stregone y exerait plus particulirement ses mal-fices, que le nom en reste la pive et au torrent d'Ostrigoni.

    Dans le midi de l'le, on croit l'existence des mes en peine, lesquelless'en vont errant dans les tnbres et les lieux dserts, en poussant des g-missements dsols sans pouvoir trouver de repos nulle part.

    Ces mes, dit-on, sont au nombre de celles qui furent chasses du Pa-radis au temps de la rvolte de Lucifer, mais qui, s'arrtant en route,n'entrrent pas avec lui dans les enfers : ce sont elles qui prennent toutesles formes pour pouvanter les vivants.

    I Mazzeri, Acciaccadori, ou Acciaccamorti, assommeurs, sont les espritsde personnes encore vivantes affilies la confrrie des morts. Pendantque le corps est endormi, l'esprit qui l'anime est forc de rpondre l'appel toutes les fois qu'il est requis ; il prend la forme d'un fantme etchasse pendant la nuit les personnes attardes auxquelles il donne lecoup mortel.

    Pour mieux atteindre leur proie, les Mazzeri se partagent les rles :les uns se tiennent en embuscade au fond des ravins, l'entre des che-mins creux et obscurs, aux passages des cours d'eau ; les autres battentla campagne, et si, fuyant devant eux, ce gibier d'une nouvelle espcetombe dans l'embuscade, le mazzeri l'acciacca, l'assomme.

    C'est pour conjurer ce pril que les Corses font le signe de la croixdans les lieux sombres, franchissent les ruisseaux d'un saut s'ils le peu-vent, ou passent vite.

    Ces chasses fantastiques sont annonces par les aboiements d'unechienne et quelques cris que l'on entend de loin en loin et de distance endistance dans le silence et l'obscurit de la nuit, car souvent la pour-suite est longue travers les valles, les monts et les bois.

    L'auteur de cet article a connu un vieillard qui, depuis plus de trenteans, portait le deuil de son fils unique qu'il affirmait avoir lui-mmeassomm dans l'une de ces tranges embuscades.

  • 48 LA TRADITION

    Malheureux ! et vous avez pu frapper votre fils ? lui disait-on ; ilbaissait la tte et rpondait tristement :

    Nous i Mazzeri dont il croyait faire partie nous ne connaissons ceux qui tombent sous nos coups que lorsqu'il n'y a plus de remde. Mon fils se prsenta sous la forme d'un marcassin blanc ; au saut du ruisseau, je l'atteignis sur les reins; il poussa un cri, je reconnus la voix de mon enfant, mais le coup tait mortel : il tomba et se ren- versa sur le dos ; hlas ! il tait mort.

    Cependant ceux qui passent travers une embuscade ne reoivent pastous le coup du Mazzeri, quelques-uns parmi les morts veillent sur ceux

    qu'ils ont aims, et se manifestent eux de diffrentes manires et sousdes formes diverses, surtout sous celle d'un chien de garde.

    Lorsque, surprise par la nuit, une personne garde par un esprit estsur le point de s'engager dans la voie qui la mnerait dans une embus-cade, un chien de forte taille au pelage d'un noir fauve, parat tout coup ses cts, puis la prcde de quelques pas et marche en avant-garde. Au lieu prilleux, il s'arrte et regarde fixement du ct duMazzeri, visible pour lui seul ; le coup ne tombe pas et la personne estsauve, au moins pour cette nuit. Le chien continue sa marche jusqu' ceque tout danger ait disparu, aprs quoi il s'en va comme une vapeur.

    Mais la plus imposante et la plus terrible de toutes les apparitions estcelle de la Squadra d'Arrozza, ou confrrie des morts.

    La squadra ne se montre que dans les occasions solennelles, pour desgens qui valent la peine qu'elle se drange, pour des pres et des mresdont la mort est un malheur irrparable pour ceux qui restent.

    A l'heure de minuit, le tambour bat le rappel dans le cimetire et lesmorts se rassemblent : ils sont en nombre infini.

    Vtus de longues chapes noires, les capuchons rabattus sur la figure,ils se mettent en marche lentement, gravement, en observant les distancescomme dans une procession. Sur le devant du capuchon sont deux trous travers lesquels on voit leurs yeux teints.

    Un tambour prcde la squadra et joue des marches funbres.A son apparition, les chiens, s'enfuient et se cachent sans oser aboyer.Arrive sur la place de celui qui va bientt quitter la vie, l'horrible

    confrrie se range en cercle, place au centre une forme de cercueil etfait les mmes crmonies que les vivants accomplissent pendant le jour.Et quand les funrailles sont finies, elle remporte la bire en chantantcomme cela se pratique pour celui que l'on va mettre en terre : celui oucelle qui la squadra a rendu ces honneurs, ne vivra pas au-del devingt-quatre heures.

    Rencontrer la squadra est un prsage funeste ; celui qui a cette mau-vaise chance a beau tre arm; s'il fait feu la poudre ne s'allume pas ;s'il fuit ou s'il se laisse envelopper il est perdu. S'il accepte ce que lesmorts ne manquent pas de lui offrir avec insistance, malheur! Car lesfantmes disparaissent aussitt, ne lui laissant que des ossements ou uncadavre dont il ne pourra se dbarrasser.

  • LA TRADITION 49

    Il faudrait avoir perdu tout bon sens pour accorder une foi quelconque ces tranges et fantastiques visions ; nanmoins on reste confondu enles entendant raconter par des hommes srieux et graves, voire mmepar des prtres, lesquels, n'ayant aucun intrt d'en imposer au public,vous disent hardiment : Je l'ai vu.

    Je n'ai aucun motif de douter de leur bonne foi ; je laisse d'autres lesoin d'expliquer les causes de ces hallucinations.

    C'tait un jeudi soir, par une nuit obscure de la fin d'automne. Un labou-reur attard se htait de rentrer chez lui. S'il tait encore dans la cam-pagne cette heure indue, c'est qu'il avait tenu finir ses semailles cejour-l, car finir le lendemain, vendredi, c'tait condamner mourir dansl'anne sa femme qu'il aimait.

    Il marche donc en pressant le pas, mais la nuit est noire, le che-min mauvais, le ciel orageux. Les feuilles sches, emportes par levent qui siffle, forment dans les airs des bruits sinistres qu'il prendpour les gmissements plaintifs d'esprits errant travers l'espace.

    Afin de conjurer leurs malfices, il fait force signes de croix et serecommande aux saints qui protgent les vivants contre les fantmes.

    Le voil sur la colline d'o il peut voir son village, mais il faut passer ct du cimetire et il a peur.

    Nanmoins, il se fortifie par de nouveaux signes de croix, marmotteune prire pour le repos de ceux qui dorment en ce lieu, et passe.

    Mais quelques pas plus loin, il s'arrte, frapp de stupeur, en voyantvenir sa rencontre une longue file de lumire.

    Malheur moi, se dit-il, voil la squadra ! et ses cheveux se dressentsur sa tte. Que faire? fuir? ce serait tomber dans une embuscade et ytre assomm par l'acciaceadore.

    Le dsespoir lui donne du courage : il s'adosse un pan de mur, metentre ses dents le manche de son couteau en tournant la pointe de lalame vers la. squadra et attend.

    Cependant la procession avance toujours, bientt un murmure confusfrappe ses oreilles, enfin il entend prononcer son nom.

    Plus mort que vif, les yeux gars, la figure baigne d'une sueur froide,il ne s'aperoit pas qu' ct de lui le mur croul offre une brche parlaquelle une partie de la squadra se glisse et l'entoure.

    Aussitt qu'il est cern, le chef de la squadra s'avance vers le malheu-reux qui ne sait plus ce qu'il fait, lui prsente un objet soigneusementenvelopp, et d'un geste imprieux lui commande d'accepter ; l'autreaccepte.... Au mme instant la squadra s'vanouit comme une ombrevaine, et il se retrouve plong dans l'obscurit.... Des ricanements qui seperdent au loin dans les tnbres, achvent de le convaincre que la ren-contre qu'il vient de faire lui sera fatale.

    Aprs avoir repris un peu de courage, il ferme son couteau et se meten devoir de regagner son logis, mais il est tout engourdi toutefois il seremet en marche, se tranant lentement, pniblement, et avec effort

  • 50 LA TRADITION

    affect par une odeur cadavrique qui le suffoque, plus encore que parl'abattement de ses membres : c'est de l'objet qu'il a eu le malheurd'accepter et dont il ne peut se dbarrasser que cette odeur se dgage.

    Arriv prs de sa porte, il veut voir, avant d'entrer, le don fatal qui luia t fait : il tire la toile qui le couvre ; elle se dchire comme du carton

    pourri et laisse voir un corps blanc comme du marbre, froid comme dela glace.... Horreur !... mon enfant!... Et sesyeux se voilent, la tte luitourne, il chancelle et tombe pour ne plus se relever....

    ANTOINE-LUCIEN ORTOLI.

    LE VEILLEUR DE NUITTRADITION ALSACIENNE

    Dans les vieilles cits de notre blonde Alsace,Quand la lune fidle argente la rosaceDes glises aux murs brods de trfles blancs,L'artiste qui poursuit ses rves nonchalantsEt chante l'idal son plus libre cantique,Dans ce pieux concert du silence extatiqueO l'on n'entend parler que la nature et Dieu,S'arrte quelquefois et distingue, au milieuDe ce grand dialogue imit de la Bible,Quelques versets pars, psalmodie invisibleD'un vieillard qui, tranant ses pas lourds et lasss,Murmure : Il est minuit, songez aux trpasss. De mme l'me humaine aux volupts livreDans les flots du Lth semble s'tre enivreEt, dans l'oubli des sens noyant tout son pass,S'endort sur un hamac par l'Amour balanc,Quand un appel vibrant au milieu du silenceTrouble de son sommeil la stupide indolence ;Et, ple rveille, elle coute venirComme un veilleur de nuit le lointain souvenir !

    EMMANUEL DES ESSARTS

    HOMRE DANS LA TRADITION POPULAIRELors de notre sjour Chios, nous avons fait tout notre possible

    pour retrouver quelque lgende populaire relative Homre ; nosrecherches ont t vaines.

    Il y a une dizaine d'annes cependant, un villageois fort g quine savait ni lire ni crire et qui ne connaissait que son village, nousraconta un trait lgendaire o intervient le vieux pote.

  • LA TRADITION 51

    Voici le rcit qu'il nous fit :

    Homre n'tait aveugle que d'un oeil (ce qui revient dire qu'il taitborgne). Il enseignait dans une cole qui existe encore sur un rocher une heure de marche du chef-lieu, auprs de la mer, sous le nom du

    grand pote : Exo). Ecole d'Homre. Lorsqu'il avaitfini d'enseigner, il s'en retournait sa demeure sur le mont Plne (1),Saint-Elia aujourd'hui.

    Comme il y avait fort loin de l'Ecole au mont Plne, il arrivait sou-vent qu'Homre s'arrtt dans la fort pour se reposer. Or, un jour, brisde fatigue, le pote s'assit sous un pin et s'endormit. Presque aussitt,un cne du pin tomba sur le seul oeil qui lui restt et le creva.

    Devenu compltement aveugle, Homre se plaignit de la cruaut desmontagnes, si difficiles franchir et qui, en le forant se reposer sousun pin, lui avaient fait perdre la lumire du jour.

    O amies montagnes! s'cria-t-il. fut d-sormais le nom de la montagne : Phlauri (2).

    Le mme villageois, berger de profession, nous assura qu'il y asur les montagnes un sentier que suivait Homre lorsqu'il allait deson cole sa demeure sur le mont Plne.

    JEAN NICOLADES.

    L'ARBRE DE LA SUDELGENDE SCANDINAVE

    I.

    Un mme homme tait roi de Danemark, de Norwge et de Sude.Et la Westmanie avait pour gouverneur un ambitieux cruel, un

    chancelier, baron du St-Empire, me damne du roi.Unis par leur misres, par leur souffrances et par l'espoir de re-

    conqurir un jour leur libert, les habitants des montagnes deLinde jurent chaque jour de sacrifier leur vie pour la Sude.

    Celui qui est leur tte, le plus brave d'entre eux, celui qu'ils ont

    choisi, un tout jeune homme, Thioldur, va bientt pouser Fiolda.Ils se connaissent depuis l'enfance, ils s'aiment et les pres ont bnil'union de ces coeurs.

    Dans son palais de Westeras, le gouverneur a appris que Fioldaest la plus belle fille de la Westmanie.

    (1) A ce compte, le pote grec et t un fort marcheur; car la distanceentre et le mont Plne, est trs grande.

    (2) Le 'mont Phlauri se trouve entre l'Ecole d'Homre et le mont Plne,dans l'le de Chios,

  • 52 LA TRADITION

    Il a voulu qu'on enlevt la fiance de Thioldur.Le gouverneur de Westmanie est souverain absolu. Faites entrer la jeune fille ! a command le gouverneur.Et a paru Fiolda, qui pleine de frayeur, s'est jete genoux. Enfant, relve-toi. Je t'aime, Tu tais une chtive crature,

    connue seulement desrustres montagnards,de ces vils manants, deces paysans dont tu partageais les misres. J'ai entendu parler deta beaut ; tu seras la femme d'un homme riche, puissant, jeune,bien fait, adroit dans les combats.

    Mais, je suis fiance Thioldur et je dois l'pouser demain. Mille tisons d'Enfer, tais-toi ! tu seras la femme d'un chevalier,

    d'un baron, d'un gouverneur, tu seras ma femme, enfin, je le veux. Jamais. Par les griffes d'Apollyon, songe ne pas rsister ou je te

    livre au dernier palefrenier du dernier soldat de ma garde.Et Fiolda devint la proie du gouverneur.

    II

    Thioldur est revenu avec ses compagnons. Ils ont appris l'enlve-ment de Fiolda. Ils vont Westeras, pour demander justice.

    Ils rencontrent Fiolda. Et le gouverneur furieux de la rsis-tance de la jeune fille et de la fiert des montagnards se vengera.

    Or prs de Westeras se trouve un ermite envoy de Dieu ou deSatan que tout le monde va consulter.

    Le gouverneur est all lui rendre visite. Il rapporte la rponse. Tu changeras la face d'un grand pays, tu dtrneras un roi.

    Mais il est un arbre non loin de toi, s'il est arros de sang il de-viendra si grand et si fort que bientt ses rameaux couvriront laSude tout entire et qu'aucune hache ne pourra l'entamer .

    Thioldur et ses compagnons vont mourir asphyxis, enfumsdans une caverne.

    Fiolda vivra pour entendre leur dernier rle, pour servir ensuitede jouet tous les goujats de Westmanie.

    Elle veut mourir avec Thioldur. Mais le bourreau qu'elle implorela repousse et la raille.

    Furieuse, la jeune montagnarde se jette sur un soldat, s'emparede son poignard et se frappe au coeur.

    Les montagnards calmes et fiers, confiants dans l'avenir pourleurs frres, attendent la mort en rptant un chant tous chers,pendant que Fiolda arrose en mourant l'arbre de la Sude.

    Et grce au sang de la fiance de Thioldur, la Sude put devenirlibre.

    PAUL BOULANGER.

  • LA TRADITION 53

    LE MARIAGE DANS LE MANTOISLe Mantois est presque encore la banlieue de Paris et, cependant, les

    vieilles coutumes y ont longtemps rsist aux influences des moeurs pari-siennes. Aujourd'hui encore, les jeunes gens plantent des mais la portede leurs fiances, et il n'est pas rare de voir les noces conduites par unvioloneux tout enrubann.

    A la mairie, institution moderne, rien qui rappelle les vieux usages;les maris et leurs invits y vont seuls. Les commres attendent sous leporche de l'glise. Ds le commencement de la messe, elles envahissentles bas-cts, pient curieusement les poux et tirent une foule de pro-nostics de leurs moindres faits. Au moment o le mari passe au doigt desa femme l'alliance bnite, elles sont l, le cou tendu, et elles rient mali-cieusement: la marie a pli son doigt, l'anneau a pass l'ongle peine,elle sera la matresse.

    La sortie de l'glise se fait au milieu du plus grand dsordre : parmi-les curieuses, c'est qui verra de plus prs la marie : les gamins sebousculent autour de la table sur laquelle est servi le vin d'honneur, et l'instant o la marie parait sur le seuil de l'glise, maints ptards sonttirs : ces dmonstrations bruyantes ne dplaisent pas nos fortes villa-geoises, et si le bruit de la poudre les meut un peu d'abord, elles en rientcrnement lorsque la fume se dissipe. On boit alors la prosprit dumnage, et c'est un beau spectacle de voir invits et curieux faire trve leurs remarques malignes (1) pour porter les toasts les plus chaleureux.Dans certains villages, la marie brise son verre aprs avoir bu : autantde morceaux, autant d'annes de bonheur. On peut juger de quel coeur leverre doit tre lanc sur le pav.

    Pendant ce temps, quelques jeunes gens se sont rendus la maison dela marie et ont dpos un balai en travers de la porte. Si la jeunepouse passe le seuil sans relever le balai, elle est en butte aux quolibetsde tous les invits: ce sera une mauvaise mnagre. Le balai est toujoursrelev et cependant les bonnes mnagres sont assez rares.

    Le repas de noces se fait dans la grange dcore de feuillage et defleurs ; les maris, placs cte cte, boivent dans le mme verre, tou-chant symbole de la profonde communion qui doit rgner entre eux.

    Au dessert on apporte les objets donns comme cadeaux de noces auxjeunes poux; le plus grand crmonial est rserv aux cadeaux burles-ques. On prsente la marie une marmite, une mouvette, un biberon,jusqu' un vase de nuit muni de son petit balai. Et la joie la plus bruyanteclate devant la confusion de la pauvrette, qui doit entendre les plusgrosses plaisanteries.

    (1) Ce mot, clans le Mantois, est le synonyme de mchantes, mordantes.

  • 54 LA TRADITION

    Les coutumes varient trangement d'un village l'autre. Il est, quelques kilomtres au nord de Mantes, un petit village, Saint-Martin-la-Garenne, o les coutumes relatives au mariage avaient, il y a quelquesannes peine, un caractre tout fait local et prsentaient un cachetd'originalit trs remarquable.

    Les habitants de Saint-Martin, pays vignoble, passaient pour de fa-meux buveurs. L'homme partait le matin pour la vigne et ne dpassaitpas le premier cabaret o il passait joyeusement la journe tandis que lafemme, en jupon court et en grandes gutres, s'reintait dans la cte.

    Le matin du mariage, les jeunes gens mettaient en perce les trois ouquatre feuillettes qui devaient servir dsaltrer les noceux ; puis, munischacun d'une bouteille et d'un verre, ils se rpandaient dans le village,versant boire tous ceux qu'ils rencontraient : pitre noce que celle ol'on n'avait pas got de vin.

    A la sortie de l'glise, deux hommes s'avanaient vers la marie, et,croisant leurs mains, ils la portaient en chaise du roi jusqu' une petitechapelle btie au croisement des deux routes. Quel rapport y avait-ilentre cette chapelle leve en souvenir d'une malheureuse victime d'unmeurtre, et la singulire crmonie qu'on y allait faire ? Arrive lchapelle, la marie, toujours assise sur les bras des deux hommes, jurait de ne jamais aller chercher son mari au cabaret. La dernire personnequi fut ainsi porte vit encore; c'tait une jeune fille trs forte et silourde que les deux porteurs ne purent aller jusqu'au bout. Celle-l nejura pas et l'usage se perdit.

    Revenue chez ses parents, la marie trouvait dans la cour une tabledresse sur laquelle, pour tout service, se trouvaient un saladier, une sou-pire pleine de bouillon et une cuiller perce. La marie gotait au bouil-lon, puis la cuiller passait de main en main. Chaque invit gotait ainsile bouillon tour de rle et dposait une pice de monnaie dans le sala-dier. Cette manire de donner le cadeau de noces produisait souvent unesomme assez rondelette. La cuiller perce tait certainement un symbole.Peut-tre voulait on montrer la jeune pouse avec quelle rapidit l'ar-gent coule dans un mnage sans ordre ?

    Dans tout le Mantois, les rjouissances du mariage donnent lieu unefoule de farces retombant presque toutes sur les nouveaux poux. Ce n'estqu'au prix de mille ennuis quelquefois mme cela va jusqu'au porte-monnaie que les maris peuvent se retirer dans leur chambre. La ma-rie quitte d'abord le bal ; sa mre protge la retraite, mais il faut sou-vent capituler la porte de la chambre, ses compagnes veulent l'entra-ner et quand le mari est venu la rejoindre, souvent aprs avoir pay sonpassage aux jeunes gens, tout n'est pas fini. Le lit plein de crin coup oude gros sel, est refaire, quelque farceur est cach dans la ruelle ou dansl'armoire, et dans ce moment o ils auraient besoin de calme, leurscraintes sont veilles chaque instant par la malice de leurs invits.

    Mais le violoneux accorde son instrument, les jarrets fatigus retrou-

  • LA TRADITION 55

    vent leur vigueur et pendant qu'on danse dans la grange, les maris...disent leur prire.

    ALBRIC CHRON.

    LA FILLE DES NEIGES

    A l'auteur de la Russie Epique.

    Dans un jadis lointain, oubli, vivaient un vieux et une vieillequi n'avaient point d'enfants.

    Et accroupis dans la cabane, ils se lamentaient d'tre si seulets.Et l, au bord du ruisseau, gaiement une ribambelle de bambins

    lve une montagne de neige.Soudain, dit la femme : Pourquoi n'irions-nous pas aussi l prs du ruisseau, h !

    mon vieux ? Allons-y, ma vieille ! Et les deux vieux s'en vont chevrotants mouler des boules de

    neige. Que faites vous donc, amis ? les interroge en s'inclinant un

    passant la barbe blanche et longue, longue ! Nous faisons un enfant de neige ! rpondent les vieux en

    ricanant. Dieu vous le fasse ! et le passant disparat...Sous leurs doigts tremblotants la neige se moule en des pieds

    tout mignons, en un petit nez et en une bouche petite et blme,lorsque tout coup, miracle !...

    Des lvres glaces s'chappe un souffle tide, les yeux d'azurs'ouvrent grands, tonns, et la belle, la blanche fille des neiges,secouant le givre moelleux, surgit tressaillante et vivante devant lesvieux effars...

    Ha, Miette ! sois-nous fille dsormais ! murmure la femme etelle entortille dans un saraphane (1), en l'emportant dans la cabane,la blanche fille des neiges.

    (1) Pelisserusse.

  • 56 LA TRADITION

    Les jours fuient les nuits ; les nuits chassent les jours, mais cen'est point avec les jours, avec les nuits, mais avec les minutes,qu'embellit la blonde, la blanche, la fille des neiges.

    Ils n'avaient point eu le temps de s'en apercevoir le vieux et lavieille, lorsque d'enfant elle devint fillette, la blonde fille des neiges ;ils n'avaient point eu le temps de lui acheter des rubans pour sestresses, des galons pour son saraphane, que de fillette elle devint

    vierge marier, la blanche, la blonde fille des neiges.Et les maris, comme des feuilles d'automne, s'entassaient sur le

    seuil de la cabane.Elle tait belle mais blanche, si blanche qu'on et dit que pas une

    gouttelette de sang ne coulait dans son corps ; et elle n'aimait queles blmes nuages qui lui taient frres et les libres orages dchanset les chasse-neige tourbillonnants, mais le brouillard, le plebrouillard du bleu malin tait l'lu de son coeur de glace.

    Vint fvrier au souffle de printemps, et les glaces fondaient sousle chaud soleil et les torrents roulaient librement leurs vagues cu-meuses... Le printemps riait autour... Seule la blanche viergedevint plus blanche, plus triste... sous la caresse ardente du vieuxsoleil, l'amour mordit son coeur fondu avec les eaux printanires...Elle aimait, la blanche, la pure fille des neiges...

    Un jour que l'aube empourprait peine le ciel nbuleux et queles eaux se confondaient avec l'horizon, le vieux et la vieille, deboutsur le seuil murmurrent :

    Regarde comme notre fillette rayonne sous l'aube rougissante?Et au loin, le long du torrent, travers les haies et les enclos,

    une planche sur les paules, ployant comme un serpolet, sestresses dores comme un cu, sa joue rouge comme un grenat, lafille des neiges suivait, lente, le sentier dsert.

    Soudain elle chancela, et plus rose elle commena fondre dou-cement, doucement... elle fondait comme une chandelle ; elle tour-noya dans l'air enbaum et se mlant aux vapeurs et aux bru-mes du matin, elle se dispersa dans l'azur...

    HENRY OLIVIER.

  • LA TRADITION 57

    TANT QUE L'T DURERAA Frdric Mistral.

    Tant que l'Et dureraLa cigale chantera.

    Tout noir de mlancolie,Berc par le vent amerSur le fond bleu de la merLe cyprs au pin s'allie.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    C'est torrent qu'il soleille :Strident et prcipit,Eclate l'hymne l'tDans l'aprs-midi vermeille.

    Tant que l't durera,La cigale chantera.

    Le myrte sombre aux fleurs blanchesDont le doux parfum endort,Grise les ctoines d'orQui font l'amour dans les branches.Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    Grave, la mine hautaine,Et brun comme le pain bis,Un jouvenceau s'est assisPrs de l'antique fontaine.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    C'est l'heure laquelle arriveCelle qui le tient d'amour,Celle qui vient chaque jourRemplir sa cruche d'eau vive.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    C'est encore toi? Moi-mme. A la fin que me veux-tu ?L'amoureux d'abord s'esi tu ;Puis il clate : Je t'aime.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    Je t'aime sans fin ni trves, Et si tu ne me veux pas, J'irai m'endormir l-bas Dans la mer pleine de rves.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    De ses lvres d'azerole,Le rire clate dans l'air ;On dirait joyeux et clairUn trot de mule espagnole.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    Oh ! le fade, je parieQu'il ferait ce mauvais coup !Mais de soupirer beaucoupNe fait pas qu'on se marie,

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    Va demander mon preS'il te permet de t'asseoirA notre table ce soir f Et s'il y consent ? Espre !

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    Oh ! que ta parole est bonne,Laisse-moi baiser ta main. Tu la baiseras demainSi mon pre te la donne.

    Tant que l't dureraLa cigale chantera.

    Bruns cigalons et cigales,Chantez toutes vos chansons ;C'est l'amour qui nait aux sonsDe vos rustiques cymbales

    Tant que l't dureraLa cigale chantera

    RAOUL GINESTE.

  • 58 LA TRADITION

    LES DMONIAQUESDANS L'ARTNous recommandons aux Traditionnistes la belle publication des doc-

    teurs Charcot et Richer : Les Dmoniaques dans ll'Art (Delahaye et LeCrosnier, diteurs). Ils y trouveront et y liront avec un vif intrtmaintes lgendes plus ou moins diaboliques, illustres par les grandspeintres. Il y verront en outre comment la science peut tirer profit de latradition et l'interprter selon l'esprit moderne.

    Les Grecs, disent les docteurs Charcot et Richer, avaient figurl'me la sortie du corps sous la forme d'un petit fantme, l'eidlon,gardant la ressemblance du corps, ou bien sous les traits d'une petitefigure nue, aile et toujours peinte en noir. Il semble que ce derniermode de reprsentation ait guid les artistes chrtiens dans leurs pre-mires figurations du Dmon, lequel y est reproduit sous la forme d'unesorte de gnie, d'un petit tre nu, parfois ail, s'chappant, soit de labouche, soit du crne de l'exorcis...

    Plus tard, cette figure d'exorcis prend des traits plus prcis. Quandau dmon, il a ds lors des cornes, une queue, des griffes. Il revt mmeles formes d'animaux les plus tranges; et jusque chez les grands artistesde la Renaissance, nous retrouvons cette tradition sous la forme dediablotins qui se sauvent dans un coin du tableau.

    L'imagerie populaire et religieuse nous a lgu un grand nombre descnes de possessions... Les saints, qui, pendant leur vie, s'taient fait re-marquer par leur puissance d'exorcistes, taient habituellemeut figursexorcisant les dmoniaques. Saint Mathurin fut un des plus clbres, etson plerinage, Larchant, a joui, du XIe au XVe sicle, d'une vogueextraordinaire... Saint Benot, saint Ignace, saint Hyacinthe, saint Dnis,et bien d'autres, ont t galement reprsents exorcisant des possdsainsi que le tmoignent les nombreuses estampes que nous avons trouves la Bibliothque nationale, et des photographies prises d'aprs les ori-ginaux...

    M. Philippe Burty a fait connatre nos auteurs un curieux document.C'est une tapisserie conserve dans la sacristie de Saint-Rmy. Ellereprsente la gurison d'une jeune possde. Cette scne est accompagnede la lgende suivante :

    Une pucelle avait le diable au corps,Qui, au sortir, dure mort la livre ;Saint Rmy fait que, par divins records,La ressuscite et du mal la dlivre.

    Pierre Breughel, qu'on a surnomm le peintre des paysans, ouencore Breughel le drle, a laiss de curieux dessins reprsentant'les danseurs de Saint-Guy conduits en plerinage l'glise de Saint-Willibrod, Epternach, prs de Luxembourg. Cette procession existe

  • LA TRADITION 59

    encore de nos jours. Elle a lieu, comme autrefois, Epternach, le mardide la Pentecte, en l'honneur de Saint-Willibrod... Les plerins, quiaccourent toujours en grand nombre, ont la plus grande confiance dansla puissance du saint patron. Le jour de la fte, ils se runissent toussur la rive gauche de la Sure ; et l commence la procession dansantequi se dirige vers la basilique de Saint-Willibrod, au centre de la ville,et qui ne dure pas moins de deux heures. La danse s'excute suivant un

    rythme prescrit et marqu par des groupes de musiciens placs de dis-tance en distance. Elle consiste exculer, soit trois sauts en avant et unen arrire, soit cinq en avant et deux en arrire. Au dire de tous ceux quil'ont vue, l'aspect de cette sorte de mare humaine, avec son flux etsonreflux, est des plus curieux et des plus saisissants. Parmi les plerins, lesuns, pileptiques ou atteints d'une maladie nerveuse, dansent pour leur

    propre compte ; les autres dansent pour obtenir la gurison de leursparents, de leurs amis, voire mme de leur bestiaux. Ceux qui sont tropgs ou trop malades, payent des gamins d'Epternach, qui, moyennantun salaire de douze vingt sous, dansent leur place. Le mme gaminsaute souvent pour plusieurs plerins ou plerines... Ce jour-l, la dansese continue dans les bals publics et dans la guinguettes, au milieu d'a-musements qui n'ont rien de religieux....

    Une autre gravure, qui reprsente Saint-Benot dlivrant un dmonia-que, est commente par une lgende ainsi conue :

    Le saint, allant un jour l'oratoire de San-Giovanni, qui est en hautde la montagne, rencontra notre vieil Ennemi, qui avait pris la figured'un marchal-ferrant et portait une cruche et des vivres.

    Le saint lui dit : O vas-tu. Je vais, rpondit l'Ennemi, donner boire ton frre. Saint Benoit alla faire ses oraisons comme de coutume, mais, en

    rflchissant sa rencontre, il n'tait pas sans inquitude. Le malinEsprit, en effet, trouvant un moine d'ge avanc qui accepta le breu-vage, il lui entra subitement dans le corps, le jeta terre, et le tour-menta avec une trange violence. L'homme de Dieu, son retour l'oratoire, vit le malheureux moine dans cette cruelle agitation. Alors ilse contenta de lui donner un soufflet et chassa l'esprit maudit qui s'en-fuit aussitt et n'eut pas le courage de revenir.

    Autre miracle, illustr par un tableau de J.-B. Garbi (1698). Il eut lieudans la chapelle de Saint-Jean Gualberto, au milieu du bois de Vallom-brosa. Tadda, dame de Prato, possde du dmon, est dlivre par unmoine qui tient la croix de Saint-Jean Gualberto. Il parait que la guri-son n'eut pas lieu d'emble. Quand la possde, gurie, retournait sonhtellerie, le diable revenait prendre possession de sa victime, ce qu'onreconnaissait des signes non douteux, dit le narrateur. Cela re-commena plusieurs fois. Enfin le moine prit le parti d'accompagnerl'exorcise avec la croix de Saint-Jean, jusqu' l'endroit o le dmonavait l'habitude de revenir. Cette fois, le diable partit, et, malgr les me-

  • 60 LA TRADITION

    naces qu'il profra en quittant la place, il ne reparut plus. C'tait undiable plaisant et naf, qui, par la bouche de la fille, expliquait, au milieud'clats de rire et de bouffonneries, comment il savait cder la force

    pour reprendre sa proie, une fois le danger pass.

    Aujourd'hui, il n'y a plus de dmoniaques, il n'y a plus de possdes,pour la science tout au moins. Il ne reste que des nvroses, des hystri-ques. Les mdecins gurisseurs remplacent les saints exorcistes. Toutdonne croire que l'humanit s'en trouvera mieux. Ds maintenant,on sait la nature du mal ; esprons que le remde en sera bientt connu.C'est par la vrit qu'on arrive au progrs.

    EMILE BLMONT.

    A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUESORPHE AUX ENFERS.

    Dans son feuilleton dramatique du Journal des Dbats, M. JulesLematre reprend, propos des nouvelles reprsentations d'Orpheaux Enfers au thtre de la Gat, la primitive thorie des mythessolaires ou mtorologiques inspirant les fables de la mythologiegrecque et jusqu'aux contes de ma Mre l'Oie. Il rappelle qu'on aramen cette thorie l'histoire de Napolon il et pu ajoutercelle de M. Gladstone et de M. Max Mller et il ajoute :

    Je me fais fort d'y rduire les Trois Mousquetaires ou le Vicomte de Braye-lone. Et cela se comprend. Le ciel et les saisons n'offrent aux hommes que desimages de vie, de mort, de fuite, de voyage, de lutte, do rsurrection. Or, c'estaussi de cela qu'il s'agit toujours dans les drames humains. Les douze travauxdu Soleil sont les douze travaux d'Hercule et pourraient tre les douze ven-geances do Monte-Cristo.

    Dans un sentiment plus humain et plus potique la fois,M. Jules Lematre nous dit, de plus pntrante faon, la lgended'Orphe, o les anciens et leurs femmes surtout ne voyaient qu'unemlancolique histoire d'amour :

    Le jour mme de ses noces, Eurydice meurt, pique par un serpent. Sonpoux, arm de la lyre divine, va la redemander aux royaumes infernaux.Pluton consent lui rendre l'aime la condition qu'il marchera devant elleet qu'il ne la regardera pas avant d'avoir atteint les plages do la lumire. Maisil se retournera, n'en doutez point. S'il ne se retournait pas, c'est qu'il l'aime-rait faiblement. Il faut qu'il la perde de nouveau, puisqu'il l'adore ! Sentez-vous la tristesse et la beaut de ce symbole ?

    Aprs qu'il l'a perdue, il passe ses jours et ses nuits la chanter, l'appe-ler par son nom le long des bords dsols d'un fleuve du Nord, tel qu'un h-ros des vieux pomes germaniques. Et alors les Menades jalouses l'gorgent etle dchirent et jettent ses membres dans le fleuve. Mais sa tte surnage, et,tandis que les flots l'entranent, ses lvres mortes continuent do murmurer : Eurydice ! Eurydice ! Et cette dlicieuse histoire d'amour et de fidlit, qui

  • LA TRADITION 61

    nous vient pourtant de la Grce lumineuse, a, je ne sais comment, par la m-lancolie de ses dtails, par la profondeur du sentiment qu'elle traduit, un airdo lgende du Nord...

    Mais Orphe n'est pas seulement le parfait amant, fidle et pris jusquepar del la mort, c'est l'anctre des potes, le pre de la civilisation, le lgisla-teur inspir qui rassemble les hommes, les dshabitue de la vie parse et sau-vage, leur enseigne la douceur et la concorde et fonde la premire cit. Sinous no connaissions ces choses depuis si longtemps, si notre facult de sentiret d'admirer n'tait tout mousse par l'accoutumance, rien ne nous sembleraitplus beau ni plus grand que cette antique conception du pote, plus fort parla lyre que les chefs primitifs par les muscles et par l'pe ; que les lions sui-vent, charms, avec des lambeaux de chair entre leurs dents, qui les tigresviennent lcher les pieds et qui fait s'incliner en cadence, sur son passage, leschnes et les grands pins : me toute-puissante sur les hommes, sur les ani-maux et sur la nature entire, parce qu'elle est tout amour, toute sympathie ettoute bont. Saluons avec humilit, nous ses fils indignes, ce lointain et ma-gnifique patron des hommes de lettres.

    C. DE W.

    BIBLIOGRAPHIE

    Emile Petitot. Traditions indiennes du Canada Nord-Ouest. 1 volume in-8 cu de XVIII-521 pages, formant le tome XXIII de la collectiondes Littratures populaires de toutes les Nations. Paris, 1880 ; Mai-sonneuve frres et Charles Leclerc, diteurs, 25, quai Voltaire. (Prix : 7 fr. 50).

    M. Emile Petitot est un ancien missionnaire. En aot 1862, il arriva au Grand-Lac des Esclaves, dans l'Amrique du Nord, et durant vingt annes, c'est--dire jusqu'en 1882, il parcourut le territoire des tribus indiennes, et mena lavie des Peaux-Rouges.

    Les traditions des indignes le frapprent; ds qu'il put balbutier quelquesmots de la langue tchippewayane, il s'occupa de noter les traditions des tribuserrantes. Et ce travail il le continua jusqu' son dpart pour l'ancien Monde.

    C'est le rsultat de ses recherches que M. Petitot, prsont cur d'une parois-se des environs de Paris, vient de publier dans la collection Maisonneuve.

    L'auteur a vcu, disons-nous, vingt ans parmi les Indiens ; il s'est imprgnde leur vie et de leurs ides ; il a tudi leurs diffrents dialectes ; il a copitextuellement leurs rcits dans la langue indigne pour en donner ensuite la-traduction littrale : pour toutes ces raisons, son ouvrage mrite une entirecrance ; les documents sont exacts et surs, et peuvent servir de base dostudes du Folk-Loro des Indiens.

    D'un autre ct, on se convaincra facilement, la lecture,que M. Petitot aune thorie toute faite sur l'origine des Indignes de l'Amrique et, partant deleurs traditions. Pour lui, les traditions sont: 1 (p. VII) des calques plus oumoins fidles des rcits bibliques, appropris au climat, aux moeurs et au genredo vie des aborignes ; 2 (p. VIII) la. parodie burlesque ou maligne do cesmmes rcits archaques, et accusent un esprit de haine, de dnigrement et docontradictions hostile celui qui a dict les premires traditions. Il estvrai qu'un peu plus loin, M. E. P. veut bien dire que quelques-unes sontdes mythes incompatibles avec la Gense mosaque, mais apparents avec celled'autres nations do l'antiquit connue.

    L'auteur no peut taire (p. IX) que en Amrique, il a retrouv Men, Mose,Opas, lthoin, Bol et Osiris. et (p. XII), l'histoire d'Abraham et de Sarah.

  • 62 LA TRADITION

    M. Petitot, dans sa Prface, est avant tout missionnaire. Et l'on est tout ton-n de trouver cte cte, en faveur de ses thories, des arguments tirs deSaint-Thomas, Flavius Josphe, Mose, Cartailhac, Guimet. Chateaubriand, ouCorneille de Lapicrre, jsuite du XVIe sicle. On fera donc bien do se dfierdes rapprochements et des dductions de M. Petitot.

    A part ces rserves toutes relatives aux thories de M. E. P., nous loueronssans restrictions les documents que nous apporte l'auteur, d'autant que lesouvrages de ceux qui l'ont prcd dans cette voie sont un contrle des plussrieux, contrle qui ne fait qu'affirmer la sincrit de l'ancien missionnaire.

    Le volume dont nous nous occupons est avant tout une collection do tradi-tions, ou plutt d'usages, de croyances et de superstitions. Ce ne sont pas l deslgendes proprement dites, et encore moins des contes. M. E. P. n'a-t-il pointeu tort de laisser de ct les rcits traditionnels-que nous dsignons sous cenom de contes et de lgendes? Car nous pensons que ces histoires ne sont pas da-vantage trangres aux Peaux-Rouges de l'Amrique du Nord qu'aux Botocou-dos ou aux Tupinambas de l'Amrique du Sud.

    Ce qui ressort surtout et davantage que les traditions hbraques dulivre de M. Petitot, c'est le sensualisme des Indiens. La femme, le lard biengras, reviennent chaque instant dans les rcits des aborignes. L'idal desPeaux-Rouges ne va pas plus loin.

    Les traditions cosmogoniques tiennent une grande place dans le volume,avecles histoires tendant expliquer l'origine des animaux et des plantes. L'hom-me est le mme partout. Il lui faut trouver le commencement de toutes choses.

    A la lecture, nous avons relev : (p. 45) la croyance aux Hommes-Chiens,dont M. de Charencey s'est occup longuement ; (p. 47) une histoire curieusede lutte pour les femmes ; (p. 49) un passage sur les Troglodytes ; (p. 56) l'aideprte par des animaux que l'on rencontre si souvent dans les contes euro-pens ; (p. 7) le Frre incestueux pousuivant sa soeur, origine du Soleil et dela Lune ; (p. 22) les femmes de la Lune ; (p. 27) magiciennes au pouvoir mys-trieux analogue celui de nos Fes ; (p. 39) hros qui, comme Jonas et Gar-gantua, entre dans le corps d'un gigantesque animal et en sort plein de vie ;(p. 37) un homme qui reste seul sur la terre aprs le Dluge ; (p. 37) la vierendue un corps dont les os seuls ont t conservs (un doigt du pied man-que, comme dans nos contes populaires) ; (p. 39) origine souterraine de l'es-pce humaine,tudie en 1877 dans le tome Ier de Mlusine, par M. de Charencey.

    Nous arrtons l nos citations, car les pisodes rappelant les traits tradi-tionnels des autres nations fourmillent dans le volume de M. E. P.

    Est-ce l une particularit qui puisse nous tonner ? Nous ne le pensonspas. Les documents que l'on publiera dans la suite sur les traditions des peu-ples dont le Folk-Lore est encore lettre morte nous en avons la preuve tousles jours nous rservent bien d'autres surprises; les traditions de toutes lesraces ont un fonds commun. Pourquoi ? Est-il tmraire d'affirmer que l'esprit, l psychologie, l'imagination de l'homme sont de partout identiques ? etque les ides doivent ncessairement.avec leurs manifestations, tre par l ap-parentes ? L'avenir nous l'apprendra.

    Henri Gaidoz. La Rage et Saint-Hubert. Tome I de la BibliothecaMythica. Un vol. in-8 ; Paris, 1887. A. Picard, 82, rue Bonaparte (6 francs).

    M. Henri Gaidoz, bien connu des traditionnistes et des celtisants par sesnombreuses tudes de linguistique et de mythologie publies dans la Mlusineet dans la Revue celtique, vient de faire paratre un important ouvrage sur laRage et sur Saint-Hubert. Aprs quelques mots sur la Rage dans l'antiquit,et sur les diffrents remdes prconiss par les anciens, M. H. G. arrive Saint-Hubert et sa lgende. Comme le fait remarquer l'minent traditionniste,la vie de Saint-Hubert est diffrente suivant qu'on la raconte d'aprs la Lgen-de ou d'aprs les documents anciens. D'aprs la lgende, Hubert tait fils deBertrand, duc d'Aquitaine ; il descendait de Pharamond, et serait n en 656.

  • LA TRADITION 63

    S'tant retir on Austrasie chez Ppin d'Herstal son parent,il pousa Floribane,fille de Dagobort, comte de Louvain. Alors arriva le miracle clbre, tant defois reproduit par l'art religieux, vulgaris par l'art populaire, c'est encoreun des sujets favoris de l'imagerie d'Epinal, de Metz et do Wissembourg sibien qu'il serait difficile do reprsenter Saint-Hubert autrement que dans cettescne traditionnelle (Saint-Hubert descendu de cheval et agenouill devant lecerf miraculeux qui porte un crucifix entre ses bois). Sur l'ordre du Christ,Hubert s'en alla chez saint Lambert de Maestricht. Lambert le catchisa etlui ordonna do se retirer dans les Ardonnes. Quelques annes plus tard, unange lui apparut et lui enjoignit d'aller Rome. Le pape, prvenu de sonarrive, voulut le sacrer vque. Et comme Hubert refusait cet honneur laVierge lui envoya une tole, et Saint-Pierre une clef d'or. Revenu Maestricht,Saint-Hubert ne tarda pas quitter cette ville pour rsider Lige o il mou-rut en 727. Son corps fut transport l'abbaye d'Andain, aujourd'hui Saint-Hubert d'Ardennes.

    L'histoire du saint a t publie en 1874 par un savant allemand, W. Arndt,d'aprs un ms. du IXe sicle ; en 1877, un rudit belge, M. ,1. Demarteau, s'estservi de ce document pour sa vie de Saint-Hubert, Cette oeuvre, dit M. De-marteau, no nous apprend absolument rien de la patrie, des anctres, de lanaissance, de la jeunesse du saint ; nous y voyons seulement qu'il fut le dis-ciple de son prdcesseur Saint-Lambert. Elle dbute par nous raconter l'av-nement d'Hubert au pontificat, puis par un loge gnral de ses vertus lezle apostolique de l'vque, les conversions qu'il opre... Enfin, aprs le r-cit de divers miracles, viennent les vnements de sa maladie, de sa mort, deses funrailles, et, seize ans plus tard, la translation de ses reliques. Mais lesmiracles dont-il est ici question, ne sont point les trois miracles caractristi-ques (le cerf, l'tole, la clef d'or) : ils sont d'ordre banal, car on les retrouvedans la vie de nombre do saints. Au IXe sicle donc, la lgende de Saint-Hu-bert ne s'tait pas encore forme, autrement son biographe n'eut pas manqude rapporter les vnements miraculeux qui ont fait la renomme de l'vque.

    M. H. G. tudie ensuite le Mythe de Saint-Hubert, et dmontre que diffren-tes lgendes anciennes, se cristallisant autour de l'aptre des Ardennes, celui-ciest devenu le patron des chasseurs. Saint-Hubert prend la place de Wodan ;la lgende le fait chasseur. Et du moment qu'il est le patron des chasseurs,il les protge contre les dangers de leur vie, et quel danger plus grand quecelui de la rage peuvent-ils courir, eux et leurs chiens ? Le premier exemplede rage gurie par Saint-Hubert est rapport par l'auteur anonyme de l'histoiredes Miracles de St-Hubert, crite entre 1087 et 1106.

    Le miracle du cerf crucifre ne s'introduit dans la lgende que vers la fin duXVe scle ; ce miracle est encore attribu dans l'iconographie chrtienne saint Eustache, saint Jean de Matha et saint Flix de Valois.

    M. Demarteau pense que le miracle de la sainte-tole est sorti du gnie in-ventif de Jean d'Outre-Meuse qui vivait la fin du XIVe sicle. Quant laClef d'Or, ce ne serait qu'un prsent du temps que les papes avaient coutumedfaire pour honorer les rois et les grands vques. Cette clef est conservedans le trsor de l'glise de Sainte-Croix de Lige. Nous ne suivrons pas M.Gaidoz dans ses tudes sur l'abbaye de Saint-Hubert, sur les oprations de lataille, et du rpit, sur les plerinages, les chevaliers, les colporteurs de Saint-Hubert. Nous renverrons l'ouvrage mme qui ne manquera pas d'intresserles traditionnistes.

    Frdric Ortoli. Les Voceri de l'Ile de Corse, tome X de la Collec-tion des Contes et Chansons populaires ; 1 vol. in-8 cu elzvir de XXXVIII 324 pages. Ernest Leroux, dit. 28, rue Bonaparte, Paris. (Prix : 5 francs).

    Dans le prochain numro de la Tradition nous rendrons compte de ce cu-rieux ouvrage de notre collaborateur.

    HENRY CARNOY.

  • 64 LA TRADITION

    NOTES ET ENQUTESLe but que nous poursuivons et qui a t si lumineusement expos dans

    notre premier numro par notre collaborateur Emile Blmont, nous a djvalu les plus prcieux encouragements.

    Les adhsions la Socit des Traditionnistes nous arrivent chaque jour, onmme temps que des promesses de collaboration qui assurent dj l'avenirmatriel et littraire de la Tradition. Notre revue rpondait un besoin intel-lectuel. Au moment o l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Russie,recueillent les traditions parses du pass, la France ne pouvait rester on ar-rire. Notre ferme esprance est que, grce nos collaborateurs, notre paystiendra bientt le premier rang dans cet ordre do recherches.

    La Revue n'appartient ni un homme ni une coterie; elle est la propritde tous nos adhrents, elle est ouverte toutes les bonnes volonts. Nous ac-cueillerons tout ce qui est original dans la tradition : contes, lgendes, chan-sons, croyances, coutumes, nouvelles inspires par la tradition, tudes criti-ques sur les crivains qui, comme Apule, Shakespeare, Nodier, de Nerval, G,Sand, ont puis dans le vieux fonds populaire, travaux sur la mythologie,l'tude compare du folk-lore. etc.

    Quelques-uns de nos amis nous ont procur de nouvelles adhsions ; nousles en remercions, et nous esprons que leur exemple sera suivi, ce qui nouspermettra d'augmenter bientt le nombre des fouilles de la Revue. En Provincesurtout, il est nombre d'rudits membres des Acadmies et des Socits lit-traires qui peuvent nous rendre de grands services. Nous leur demandonsleur adhsion et leur collaboration. Que nos amis continuent leur propagande nous tenons des exemplaires du premier numro leur disposition etnous aurons prochainement une revue des plus intressantes aussi bien pourlos lettrs que pour les chercheurs et pour les savants.

    Nous remercions tout particulirement MM. Hugues le Roux et Weber, duTemps, Ch. Frmine, du Rappel, Ch. Le Goffic des Chroniques, O. Crouzet etArmand Sinval, de l'Estafette, des bienveillants articles qu'ils ont bien voulupublier propos do notre premier numro.

    Dner de la Tradition. Le mardi 3 mai 1887, a eu lieu au Rocher deCancale, rue Montorgueil, 78, le premier diner de la Socit des traditionnistes.Etaient prsents : MM. E. Guinand, A.-L. Ortoli, Georges Couanon, EmileBlmont, Gabriel Vicaire, Paul Leser, Raoul Gineste, Henry Carnoy, FrdricOrtoli, A. Dupret, Ludovic Haranger, Paul Boulanger, Charles Lancelin, LonSichler, MMmes Georges Couanon et Augustine Labey. Le diner a t des pluscordiaux et des plus gais. M. Paul Lser a dit de trs charmantes chansonsd'Alsace ; M. F. Ortoli a interprt quelques gracieuses ballades corses ; M. LonSichler, entre autres refrains populaires russes, a choisi une chanson de ma-riniers d'une douceur pntrante; M. Henry Carnoy nous a redit le Bon garonmarchal ; puis MM. Emile Blmont, Raoul Gineste, et Mme Aug. Labey ontbien voulu nous rciter dos posies littraires cette fois qui ont t cha-leureusement applaudies.

    En se sparant, on s'est donn rendez-vous pour le mardi 7 juin, on expri-mant l'espoir que nombre do collgues absents voudront bien honorer de leurprsence cette prochaine runion. (Prvenir M. H. Carnoy avant le 5 juin).

    Le Grant : HENRY CARNOY.Laval. Imp. et str. E. JAMIN, 41, rue de la Paix.

  • VIENNENT DE PARAITRE