Espaces...jaunies qui imprégnait l’air, cette odeur terrifiante de vie qui dansait sa torture,...

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La collection ROMANICHELS est dirigée par Josée Bonneville.

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Tapiero, Olivia

Espaces

(Romanichels)

ISBN 978-2-89261-717-7

I. Titre. II. Collection : Romanichels.

PS8639.A64E86 2012 C843’.6 C2012-941779-3PS9639.A64E86 2012

Les Éditions XYZ bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs activités d’édition :– Conseil des Arts du Canada ;– Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) ;– Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) ;– Gouvernement du Québec par l’entremise du programme de crédit d’impôt pour

l’édition de livres.

Édition : Marie-Pierre BarathonConception typographique et montage : Édiscript enr.Graphisme de la couverture : Zirval DesignIllustration de la couverture : Cannaregio, Shutterstock.comPhotographie de l’auteure : Olivier Hanigan

Copyright © 2012, Olivia TapieroCopyright © 2012, Les Éditions XYZ inc.

ISBN version imprimée : 978-2-89261-717-7ISBN version numérique (PDF) : 978-2-89261-718-4ISBN version numérique (ePub) : 978-2-89261-719-1

Dépôt légal : 3e trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

Diffusion/distribution au Canada : Diffusion/distribution en Europe :Distribution HMH Librairie du Québec/DNM1815, avenue De Lorimier 30, rue Gay-LussacMontréal (Québec) H2K 3W6 75005 Paris, FRANCEwww.distributionhmh.com www.librairieduquebec.fr

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Celui devant qui s’ouvre l’horizon y est pris, englobé. Son corps et les lointains participent à une même corporéité ou visibilité en général, qui règne entre eux et lui, et même par-delà l’horizon, en deçà de sa peau, jusqu’au fond de l’être.

Maurice Merleau-Ponty

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Je suis arrivée avant de connaître ton silence.Dans le couloir qui menait à notre chambre, je sentais

tout, le monde entier battait à mes tempes après m’avoir amenée ici, de battement en battement, peut-être par hasard. Je me souviens de la gifle de mes premières impres-sions, de mes sens aiguisés par l’odeur mouvante des pages jaunies qui imprégnait l’air, cette odeur terrifiante de vie qui dansait sa torture, tendue entre l’épaisseur du temps et l’érosion de la lecture.

J’avais une place en résidence et, en me dirigeant vers cet espace nouveau, encore inconnu, j’ai senti ressurgir autour de moi les frontières auxquelles, par les livres, j’avais depuis longtemps cessé de croire, celles qui divisent le temps pour qu’on ne le perde pas et qui rendent les corps rigides et silencieux dans les heures tristes du quotidien.

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En ouvrant la porte de la chambre qu’on m’avait assi-gnée, je t’ai vue pour la première fois. Tu étais allongée sur ton lit et tu as levé les yeux en posant un livre au creux de ton ventre.

— Lola.— …Je n’ai pas répondu, j’en étais incapable, je ne sais pas

pourquoi. J’ai hoché la tête. Je ne savais pas comment tu connaissais mon nom, comment tu avais pu t’en souvenir, l’entreposer dans ton crâne en attendant mon arrivée. La tête maintenant allégée, tu replongeais dans ta lecture. Je ne comprends pas ce qui s’est passé, pourquoi je n’ai pas pu te demander ton nom en retour, je ne sais pas, peut-être était-ce ce silence trop épais pour être traversé, ce silence qui avait noyé la chambre, oui, c’est à cause de ce silence que je n’ai jamais su ton nom.

J’ai posé ma valise sur mon lit, parallèle au tien, et j’ai tout de suite compris qu’il serait impossible de m’appro-prier cette chambre. Dans un lieu clos, la présence de matières fixes et solides, d’objets m’appartenant ou pas, me met mal à l’aise, comme si les choses inanimées occu-paient l’espace d’une manière plus pleine, plus dense que la mienne. Je me sentais déplacée, et pourtant, quelque part sur une liste, on avait écrit que ce lit serait le mien. J’ai essayé d’imaginer cette liste, avec tous les numéros de chambres et, quelque part, mon nom, tapé à l’ordina-teur, dans le même format que tous les autres ; j’avais un bureau, des livres et des vêtements.

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Avec une précision géométrique qui aurait pu te faire trancher la fenêtre en deux, tu n’avais pas occupé ma moi-tié de chambre, mais cela ne changeait rien.

J’ai senti mon évaporation. J’ai voulu m’enfermer dans un tout petit cube métallique dont les parois feraient résonner mes os si j’essayais d’écarter les bras ou de déplier les jambes, oui, m’enfermer, ou bien me laisser dévorer par ta présence. Incapable d’habiter ce lieu, ce silence, je suis sortie.

J’avais déjà oublié le son de ta voix mais ton visage était resté imprimé sur mes rétines. Aujourd’hui je ne le retrouve plus, ce premier visage, l’oubli m’a rongé les yeux.

Sur le campus, il y avait un grand jardin avec des petites fleurs blanches ; les couleurs éclataient, méchantes, ce vert vif de l’herbe et ces troncs trop foncés, tout me criait aux yeux. Je me suis allongée sur un banc pour regarder le ciel trop bleu, sa lumière qui me brûlait la surface de l’œil, qui ôtait au monde son relief. J’avais mal à la tête. J’ai fermé les yeux et me suis endormie dans un calme noir.

À mon réveil les couleurs s’étaient adoucies, le soleil avait disparu. Le corps engourdi, je me suis levée pour retourner à notre chambre.

Tu étais toujours là, le même livre entre les mains. Ton silence me paralysait. Je me sentais avalée par la noirceur de tes pupilles qui ne me regardaient pas, qui glissaient sur les mots imprimés ; tu étais ailleurs, dans un autre monde. J’étais certaine que tu ne lisais pas, que tu pensais à quelque chose de grave. Je me suis assise sur mon lit pour la première fois. Le dos contre le mur, j’ai fait sem-blant de lire et j’ai regardé ton visage, ton corps maigre et

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enflammé qui semblait fort, tellement fort, comme si ton squelette était rempli de métal fondu.

Soudain, sans dire un mot, tu as rangé ton livre avant de disparaître sous les draps et de t’endormir, devant moi. J’ai feint l’indifférence et j’ai continué ma lecture mais, après quelques minutes, j’ai toussé pour m’assurer que tu dormais. Tu n’as pas bougé alors je t’ai regardée, même s’il n’y avait pas grand-chose à voir, seulement ton bras tout blanc, parcouru de frissons, qui dépassait de la couverture.

Très tôt, il a été trop tard. Le silence a grossi. Après une semaine, je connaissais juste la violence de ton corps et toi, sans regard, ne savais que mon nom.

Ça a été un accord tacite : j’étais dans notre chambre seulement quand tu n’y étais pas et, si tu entrais, je res-tais quelques minutes avant de partir. Nous n’étions pas assez intimes pour partager le même silence ; nous l’avions coupé en deux.

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Petite, je pleurais en voyant l’ombre qui me suivait en rampant, m’agrippant par les chevilles, je criais et, malgré mes jambes engourdies par la peur, je courais aussi vite que je pouvais, talonnée par cette masse étrangère qui voulait m’engloutir. Ce jour-là, sur le trottoir, elle était devenue la seule preuve de mon existence, cette plaque noire et sans relief qui me traînait derrière elle. Sur le chemin du retour je ne l’ai pas quittée du regard, pour être bien certaine qu’elle ne partirait pas, qu’elle était là, que j’étais là.

C’est à ce moment-là, avec mes épaules penchées, ma tête basse et mon regard obstiné vers le sol, oui, je pense que c’est à ce moment-là que j’ai entamé ma vie à l’ombre du monde.

Après un événement traumatisant, une jeune femme va passer plusieurs mois à chercher un point d’an-crage. Espaces est l’histoire de son errance, portée par le souffle de l’écriture poétique de la roman-cière.

Olivia Tapiero, née en 1990 à Montréal où elle étudie la littérature, a remporté le prix Robert-Cliche en 2009. Ce deuxième roman confirme la maîtrise et l’efficacité de la jeune auteure, la richesse de son écriture et sa puissance d’évocation.

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