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DE LA MARNE A L'AISNE ET A LA SOMME Carnets de guerre d'Arthur Laflaquière 3 Septembre - 4 Novembre 1914 (Bernard de Jéso) Dans nos greniers nous trouvons très souvent des objets bizarres parfois déroutants tels que des briquets de cuivre, de vieilles cannes métalliques rouillées. Ces objets ont une signification facile à comprendre lorsqu'ils sont accompagnés de douilles d'obus finement ciselées avec une pointe, d'une vieille capote bleue ou d'un casque. Nous savons bien que ce sont des témoins muets des épreuves que nos parents et grands parents ont endurées pendant quatre ans dans les tranchées. En regardant mieux, nous découvrons parfois de véritables documents. C'est ainsi que j'ai retrouvé le journal que mon grand-père, Arthur LAFLAQUIERE a tenu pendant les premiers mois de la Grande Guerre. Ces notes journalières accompagnées de photographies sont un souvenir de famille mais elles prennent une dimension particulière quand on les relit en les replaçant dans le contexte historique du moment. C'est ce que je vais essayer de faire. L'AUTEUR Pierre, Arthur, Louis Laflaquière est né le 19 Août 1881 à St AULAYE (Dordogne), il est Instituteur Primaire à Bergerac, faubourg de la Madeleine. Il a donc 33 ans lorsque notre

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DE LA MARNE A L'AISNE ET A LA SOMME

Carnets de guerre d'Arthur Laflaquière

3 Septembre - 4 Novembre 1914

(Bernard de Jéso)

Dans nos greniers nous trouvons très souvent des objets bizarres parfois

déroutants tels que des briquets de cuivre, de vieilles cannes métalliques rouillées. Ces objets

ont une signification facile à comprendre lorsqu'ils sont accompagnés de douilles d'obus

finement ciselées avec une pointe, d'une vieille capote bleue ou d'un casque. Nous savons bien

que ce sont des témoins muets des épreuves que nos parents et grands parents ont endurées

pendant quatre ans dans les tranchées. En regardant mieux, nous découvrons parfois de

véritables documents.

C'est ainsi que j'ai retrouvé le journal que mon grand-père, Arthur LAFLAQUIERE a tenu

pendant les premiers mois de la Grande Guerre. Ces notes journalières accompagnées de

photographies sont un souvenir de famille mais elles prennent une dimension particulière

quand on les relit en les replaçant dans le contexte historique du moment. C'est ce que je vais

essayer de faire.

L'AUTEUR

Pierre, Arthur, Louis Laflaquière est né le 19 Août 1881 à St AULAYE (Dordogne), il

est Instituteur Primaire à Bergerac, faubourg de la Madeleine. Il a donc 33 ans lorsque notre

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histoire commence le 4 Juillet 1914. Si, en France, les gens pensent aux moissons ou à la fin

de l'école, une tragédie commence à SARAJEVO.

SARAJEVO

Ce jour là, Carilo Prinzip, jeune serbe de 19 ans tire deux coups de revolver sur

l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche et son épouse la duchesse de Hohnberg. Les deux

héritiers de la couronne d'Autriche meurent peu de temps après. Le gouvernement de Vienne

pense qu'il ne s'agit pas d'un acte isolé mais d'un attentat organisé par une puissance étrangère,

la Serbie, alliée de la France et de la Russie.

LA MARCHE A LA GUERRE

L'Europe croit que la crise va se dénouer rapidement. «Personne ne veut la guerre» dit-

on partout. Les intérêts des nations européennes, leurs politiques belliqueuses et surtout les

stratégies militaires qui ont été imaginées par les états-majors vont en décider autrement.

La France est alliée à la Russie ; l'Allemagne est prise entre deux feux. L'immense

armée russe (peut-être 10 millions d'hommes) sera longue à mobiliser d'autant plus que les

voies de chemin de fer allant de Moscou vers la frontière ouest de l'empire, financées avec des

capitaux français (les fameux emprunts russes), ne sont pas terminées et l'armée russe doit

avancer à pied. La mobilisation russe sera très longue, les français doivent donc à tout prix

attaquer les allemands pour permettre aux russes de se regrouper ; l'offensive doit débuter très

vite sur l'Alsace. Les allemands seront contraints de se défendre sur cette frontière laissant

aux russes le temps de se porter sur la frontière est de l'Allemagne. Les franco-russes pensent

que le «rouleau compresseur russe» ne fera qu'une bouchée de la 8° armée allemande. Pour

eux, tout sera fini en moins d'un mois ...

L'Allemagne est bien consciente du danger, elle doit frapper vite et fort en France afin

de pouvoir ensuite concentrer ses forces contre les russes. Pour mener ce plan à bien les

allemands doivent masser une armée considérable. La seule possibilité de faire manœuvrer

cette troupe immense est d passer par la Belgique, pays neutre, puis de contourner Paris en

passant au-delà de Pontoise, puis de revenir ensuite vers l'est afin d'encercler les armées

Françaises qui auront progressé vers l'Alsace. Ce plan proposé par le comte Von Schlieffen

n'est possible que si trois conditions sont remplies. D'abord l'aile droite allemande doit être

particulièrement renforcée. Ensuite l'attaque doit contourner Paris par l'ouest mais surtout cela

implique la violation de la neutralité belge qui peut entraîner l'intervention de la Grande-

Bretagne, alliée de la Belgique. Ceci présente un risque majeur pour les allemands car la

Grande-Bretagne est alors la première puissance maritime et industrielle du monde.

Cependant le plan Schlieffen peut réussir en quelques jours. Après la défaite de la France, la

Grande-Bretagne restera seule et acceptera sans doute de négocier sur le dos de la France.

On voit que toutes les parties en présence comptent sur la rapidité de leur mobilisation.

Dès que le processus de mobilisation sera enclenché on ne pourra plus l'arrêter ni même le

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retarder car tout retard serait fatal : si on parle de guerre il faut aller au bout et la faire sinon

l'adversaire qui n'hésitera pas aura un très gros avantage. En Juillet 14, personne ne parle de

guerre à Bergerac cependant la machine se met en place. Le 2 Août la France mobilise avec

un jour de retard sur l'Allemagne qui a commencé à mobiliser avant la déclaration de guerre.

Dès le 7 Août, les troupes françaises du général Bonneau franchissent la frontière

d'Alsace : l'Europe a basculé dans la guerre.

Le 16 Août les armées allemandes envahissent la Belgique de Liège à Longwy ; le

Luxembourg est aussi submergé. L'armée belge résiste aux I°, II° et III° armées allemandes et

les français vont en Belgique à son aide. De Louvain à Namur et de Dînant jusqu'à Longwy,

les mitrailleuses et l'artillerie de campagne allemandes font des ravages terribles dans les

rangs français, les pertes sont énormes, on dénombre 130 000 morts en trois jours (20, 21 et

22 Août). Les troupes françaises reculent jusqu'à la frontière franco-belge, Valenciennes est

atteinte par les allemands le 24 Août. Après leur marche vers l'ouest, les allemands

commencent à refermer leur tenaille en marchant dans la direction sud - sud-ouest. Les

français rejoints par les anglais du Maréchal French, se replient vers le sud en pivotant au

niveau de Ruffey (près de Verdun). Le 30 Août, la I° armée allemande de von Kluck est au

nord de Montdidier. Le plan Schlieffen se déroule comme prévu. Sur le front russe la

situation est encore pire pour nos alliés, la II° armée du général Samsonov est anéantie le 30

Août à Tannenberg par la 8° armée allemande du Maréchal Hindenburg.

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Les diverses armées franco-britanniques se replient toujours mais en restant en contact

les unes avec les autres, le front n'est pas rompu. La retraite est cependant à la limite de la

déroute. Le Maréchal French signale que les mouvements de ses troupes sont bloqués par les

nombreux réfugiés qui fuient les combats et encombrent les routes. La situation est si grave

qu'il faut appeler les réservistes de plus de trente ans.

Il semble que von Kluck est convaincu que la victoire est acquise, il veut participer

directement à la destruction de l'armée française. Le 31 Août, à Montdidier, il abandonne le

plan Schlieffen et oblique franchement vers l'est au lieu de continuer vers le sud. Il bouscule

l'armée du Général Maunoury et se dirige vers Compiègne. Le 4 Août il est à Meaux, des

rapports allemands signalent que les français abandonnent armes et bagages. Le 5 Septembre

les allemands qui ont franchi la Marne sont au sud de Coulommiers ; la défaite semble

consommée.

Cependant dès le 4 Septembre, le Général Galliéni, commandant de la place de Paris a

remarqué que le mouvement de la I° armée allemande vers l'est expose son arrière garde à une

attaque venue du camp retranché de Paris. La 6° armée de Maunoury dont le 22° régiment

d'infanterie de Bergerac renforcé des réservistes fait partie, attaque le 6 Septembre à l'aube.

L'avant garde enfonce les lignes allemandes à Nanteuil le Haudoin, la plaine est jonchée de

cadavres. La 6° armée fonce vers le nord, vers Villers-Cotterêt, pour couper la I° armée de ses

bases arrières.

Von Kluck doit se replier mais il parvient à retourner son armée et le 13 Septembre

lorsqu'il repasse au nord de l'Aisne ce sont ses corps d'élite qui se retrouvent en première ligne

et attaquent violemment les réservistes de Maunoury. Pendant ce temps les armées de French

et la 5° armée de Frenchet d'Espérey s'avancent vers Reims et agrandissent la brèche entre

l'armée de von Kluck et celle de von Bülow. Pour éviter l'encerclement, ce dernier doit reculer

entraînant avec lui le reste des armées allemandes au nord de Soissons et de Reims. La

bataille de la Marne est jouée car le front allemand est a été rompu. La bataille de l'Aisne va

commencer car la capacité de réaction des armées allemandes est encore presque intacte. La

violente contre attaque de von Kluck se porte vers Moulin sous Touvent. Ce sont ces

évènements tels que les ont vécus les hommes du 22° régiment d'infanterie de Bergerac qui

sont racontés par Arthur Laflaquière.

NOTE : Sa réflexion du 17/09 «Pauvre chérie .........» fait allusion à la mémoire de sa

première épouse décédée peu de temps avant la guerre.

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MON JOURNAL

Le 3 - Départ - Limoges –Vierzon.

Le 4 - Juvisy - Sotteville-lès-Rouen.

Le 5 - Sotteville-lès-Rouen - Arrivée à Pontoise à 5h.

Le 6 - Départ de Pontoise - Au loin le canon gronde - Le soleil monte peu à peu -

Chaleur lourde - Etape Argenteuil.

Le 7 - Départ d'Argenteuil l'après-midi - Etape Aubervilliers - Population accueillante

- Chaleur étouffante.

Le 8 - Départ d'Aubervilliers - Marche longue et pénible sous un soleil de plomb -

Direction nord-est - Je fatigue beaucoup et quelques instants avant la grand'Halte l'estomac

me manquant je m'abats sur le bord de la route. Je continue jusqu'à l'étape sans sac. A Mitry

de 8h à 9h 1/2 on entend une vive canonnade.

Le 9 - Le lendemain départ à 4 heures - On approche de l'ennemi et on ne suit plus la

route. Je vois pour la première fois des Prussiens, des prisonniers encadrés de gendarmes. On

trouve partout des traces de lutte car on s'est battu là. Nous arrivons un peu en arrière de notre

artillerie qui tire presque sans arrêt. Un grand combat se livre et nos artilleurs prétendent que

cela va bien. Nous creusons des tranchées en cas d'attaque où une partie de la compagnie

passe la nuit. (Sᵗ Soupplet).

Le 10 - Départ pour Sᵗ Mard, localité un peu en arrière. Nous attrapons une bonne

rosée qui nous trempe jusqu'aux os. Pour comble ma section est de garde et je passe une

bonne partie de la nuit à relever des sentinelles.

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Le 11 - Départ de Sᵗ Mard. Je ne me ressens pas de la fatigue de la nuit. Longue

marche vers le nord est. Nous passons près de nombreux cadavres Prussiens qu'on n'a pas

encore eu le temps d'enterrer. Ils sont là dans le fossé dans la position même où la mort les a

surpris. Certains ont du souffrir avant de mourir. Vision horrible qui jette un froid au cœur.

Les cadavres de chevaux sont aussi nombreux et l'on marche toujours dans cette atmosphère

empuantie.

Nous passons à Nanteuil le Haudoin gentille petite ville complètement mise à sac par

les Alleboches. Une rosée nous douche pendant deux heures et nous couchons dans une petite

localité à 6 km de Crépy en Valois. (Ormoy-Villers).

Le 12 - Départ à 4h. A 5h1/2 nous traversons Crépy en Valois. Les Prussiens en sont

partis la veille en causant cependant moins de dégâts qu'à Nanteuil.

Nous marchons, toujours. La pluie, une pluie fine nous prend tandis que nous

traversons la forêt de Compiègne ; elle ne nous quittera plus de la journée. Etape très longue.

Vers 4 heures nous nous arrêtons dans un champ jusqu'à 9 heures. On gèle sous la pluie et le

vent. Enfin départ pour le cantonnement où l'on arrive vers 11 heures du soir. Mauvaise

journée, mauvaise nuit. Cependant le troupier fume, rit et se montre plein d'entrain.

(Morienval).

Le 13 - Départ à 5 heures toujours sous la pluie. Les Prussiens ont passé l'Aisne; nous

allons les poursuivre. La canonnade continue parfois violente d'autres fois plus calme. Après

une assez longue attente nous passons l'Aisne à notre tour à l'est d'Attichy, les uns sur un pont

de bateaux construit par le génie, les autres sur un vaste radeau. Nous arrivons à Bitry et

tandis que nous nous sommes arrêtés dans la rue et sur la place de l'église un obus allemand

tombe et fait une vingtaine de victimes, les premières hélas de notre pauvre régiment déjà si

éprouvé dans le nord, et reconstitué depuis peu. La canonnade continue encore 2 heures.

Le 14 - Départ à 5 heures encore avec la pluie. Nous prenons position sur un plateau et

presque aussitôt les obus pleuvent sur nous et tout autour. Nous nous replions un peu et

prenons une autre route dans un ravin. Jusqu'au soir, c'est une marche pénible et dangereuse.

A chaque instant des obus éclatent au dessus de nous surtout vers 4 heures du soir. Notre

artillerie prend parait-il le dessus et les Boches reculent. Nous couchons à Moulin sous

Touvent.

Le 15 - Départ à 4 heures. Nous allons occuper les crêtes du ravin de Moulin. Violente

canonnade dès le début et toute la journée il en sera ainsi.

Un peu en avant de nous la fusillade est aussi très vive et ce ne va plus être au dessous de

nous dans le fond du ravin qu'une procession de malheureux blessés qui vont se faire panser à

l'ambulance. Le soir nous couchons sur nos positions.

Le 16 - C'est une répétition de la journée du 15. Canonnade, fusillade, longue théorie

de blessés. Les vivres sont rares l'eau aussi. Pourtant il pleut abondamment.

A nuit noire on se retire un peu, on touche une ration de pain, moitié en farine moitié

en bien cuit ; puis on bivouaque dans un champ d'avoine sous l'eau et sous le vent. .

Le 17 - Départ du bivouac avant jour. Il faut être sur les mêmes positions avant qu'il ne fasse

trop clair. La pluie a cessé mais il fait grand vent. Ma section se porte en avant du ravin un

peu en arrière de la crête. Nous restons là couchés à plat ventre de 10h1/2 du matin à 9 heures

du soir tandis que nos camarades creusent une tranchée au bord du ravin. Journée pénible. Les

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obus passent à 2 m à peine au dessus de nous en rasant la crête et vont éclater quelques mètres

derrière nous, tandis que les balles bourdonnent désagréablement à nos oreilles. Pauvre chérie

je t'ai invoquée bien souvent ce jour là et tu m'as protégé j'en suis sûr.

Enfin à 9 heures nous revenons dans les tranchées où nous couchons. Quelques uns

manquent à l'appel. Pauvres enfants !

Le 18 - Nous sommes sur place. Le canon qui a tonné plusieurs fois la nuit

recommence sa chanson monotone. On s'y habitue d'ailleurs et on ne bronche plus sous les

obus. On acquiert vite le flaire qui vous dit que les obus sont ou ne sont pas pour vous. La

pluie elle aussi est revenue avec le vent. C'est une erreur de croire qu'on est à l'abri dans la

tranchée et nous sommes bientôt trempés. Peu de fusillade. Les Alleboches se contentent de

nous envoyer des obus et surtout ce jour là des obus de siège. Je n'aime guère ceci. Le village

est bombardé ce qui empêche une corvée d'aller chercher de l'eau. On n'a ni pain ni eau depuis

deux jours car les convois ne peuvent arriver là. On grelotte de froid et de fièvre. Pour mon

compte je suis harassé; j'ai une forte diarrhée et je fais du sang.

Enfin à 9 heures du soir ordre de partir. On arrive à Tracy le Mont vers minuit. Une

brave femme me vend un reste de saucisson que je dévore avidement. Du vin il n'en faut pas

parler. Je n'en ai pas vu depuis Aubervilliers.

Le 19 - Le régiment a semblant de repos ce jour là et on l'amène près de Sᵗ Crépin aux

Bois en cantonnement d'alerte. Je me fais porter malade et le médecin me fait monter dans

l'ambulance.

Le 20 - Le régiment est de réserve et est amené au même endroit avec la pluie cette

fois. Tandis que ma compagnie est de grand garde le régiment reçoit l'ordre de se porter en

avant. Nous le rejoignons bientôt et recommençons ensemble à recevoir obus et balles.

Toujours de nouvelles victimes et mon escouade perd encore aujourd'hui 2 hommes.

Le 21 - Après avoir cantonné dans une ferme voisine nous revenons aux mêmes

positions qu'il nous faut bientôt abandonner sous les obus ennemis. Nous nous portons sur

d'autres positions quand tout à coup quelques obus de siège tombent et sèment la mort parmi

nous. La pluie se met aussi de la partie tandis que nous nous reposons quelques instants sur le

versant d'un ravin en attendant de prendre nos positions comme soutien d'artillerie. Le soir

vers 8 heures départ, on va occuper une position avancée sous la ferme de la Falaise tout à fait

aux avants postes. Tandis qu'on chemine silencieusement dans la nuit une vive fusillade nous

accueille. Les mitrailleuses et les fusils crépitent tandis qu'une grêle de balles crible les

branches de la lisière du bois où vivement on se couche. Pendant une demi-heure qui nous

parait un siècle, nous sommes ainsi arrêtés. Miracle ! Personne n'est blessé ! Tous les coups

ont été portés trop hauts.

Nous avançons un peu plus. Nouvelle fusillade sans résultat. Enfin vers 10 heures on

arrive aux tranchées avancées. La nuit se passe sans incidents mais qu'il fait frais.

Le 22 - On attend le jour avec anxiété. Les Boches sont signalés à l'aube ; dispositif de

combat derrière un talus puis attente qui parait longue. Ah ! Qu'on voudrait en tenir un au

bout de son fusil.

Déception on se replie salués par la fusillade dès que nous apparaissons sur la crête.

Jusqu'à 10 heures c'est la retraite sous le feu des ennemis. Pertes sensibles occasionnées par

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les obus. Dans un passage étroit je m'égare avec quelques camarades. Nous rejoignons peu

après le régiment qui part reprendre les positions de la veille.

Le soir, retour à la ferme de Maenval pour cantonner. Je suis bien fatigué.

Le 23 - Réveil à 4 heures. Je me fais porter malade et pars pour Berneuil passer la

visite. Le médecin se trouve à Attichy. Il faut s'y rendre. Je passe la visite et suis évacué sur

l'ambulance.

Le 24 - Je passe de nouveau la visite et le lendemain suis évacué sur Villers-Cotterêts.

Du 25 Septembre au 3 Octobre - Repos à Villers-Cotterêts.

Arthur Laflaquière regagne le front le 4 Octobre. La situation a changé, la contre

attaque allemande de von Kluck vers l'ouest entre Noyon et Compiègne a été stoppée. Depuis

le 21 Septembre les deux armées cherchaient à déborder l'adversaire par le nord, «la course à

la mer» avait commencé. Ce jour là (21 Septembre) les combats les plus au nord se

déroulaient vers Péronne. Le 30 Septembre, ils étaient entre Lille et Béthune. Ce mouvement

vers le nord s'explique par la volonté de prendre l'adversaire à revers mais aussi parce qu'on

veut s'assurer la maîtrise des ports belges et français de la Mer du Nord. Si les Allemands s'en

rendent maître ils pourront empêcher l'arrivée des renforts et du matériel venu d'Angleterre.

Après des combats extrêmement meurtriers notamment dans la région d'Ypres le front atteint

la mer, la seule solution pour vaincre consiste à percer les lignes ennemies. La guerre de

mouvement est finie, l'armée française copie le comportement des Allemands qui fortifient les

positions qu'ils tiennent et les deux armées s'enterrent sur les positions qu'elles occupent. Le

22° Régiment de Bergerac a été basé dans la Somme entre Roye, occupée par les Allemands

et Amiens. La lecture des notes écrites dans la tranchée montre que les conditions étaient

franchement inhumaines et l'on peut penser qu'elles sont atténuées par la pudeur de l'auteur

(ainsi la narration des soins donnés au blessé le 29 Octobre ne fait pas mention des derniers

instants de celui-ci, les points de suspension sont de l'auteur et laissent supposer bien des

choses qu'il nous avait confirmées oralement).

NOTE : Comme l'auteur était agent de liaison, j'ai retranscris en italiques des

messages qu'il a transmis (7 et 17 octobre) et qui concernent directement les évènements qu'il

a notés dans son journal.

SUITE DU JOURNAL

Le 4 Oct. - Départ de Villers pour le Bourget où l'on doit me diriger sur mon corps.

Accueil aimable des habitants.

Le 5 - Départ du Bourget à 1h 1/2 et départ de la gare à 7 heures ; itinéraire : Creil,

Compiègne, Montdidier, Hargicourt où je débarque vers 3 heures. J'entends au loin la

canonnade très vive. Je dîne fort bien avec les conducteurs des voitures de ravitaillement et je

pars avec eux vers huit heures en pleine nuit à la rencontre de mon régiment. Le canon nous

guide et après près de 5 heures de voyage nous arrivons à Rouvroy où est cantonné le 308°.

Là tandis que l'on fait la distribution des vivres je reçois aussi les premières nouvelles du

pays. Une lettre de mon père et de ma tante. Je retrouve ma compagnie et vais me coucher.

Le 6 - Réveil à 5h 1/2. On s'équipe, on forme les faisceaux dans la cour de la ferme où

nous avons couché et attendons. On attendra ainsi presque toute la journée avec des

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alternatives d'alerte et de tranquillité. Enfin le soir, à la tombée de la nuit nous partons aux

avants postes dans les tranchées. Mais quelle dépense en obus, font les Boches. Et dire qu'il y

a un mois on disait qu'ils avaient peu de munitions ......

Le 7 - Nous avons eu pendant la nuit plusieurs concerts si l'on peut qualifier de

musique le bruit infernal produit par le roulement des mitrailleuses et le crépitement des fusils

d'un côté, l'éclatement des obus et des coups de canon d'un autre et enfin le sifflement des

balles et le ronflement des éclats d'obus.

Nos tranchées étaient cependant confortables à comparer à celles que nous avions

occupées jusque là, néanmoins nous avons eu froid le matin. La journée se passe comme s'est

passée la nuit, mais l'intensité du feu a cru avec l'intensité de la lumière. Les aéroplanes

allemands sont sans cesse à nous survoler, réglant le tir des canons, repérant les emplacements

des troupes ; dans les accalmies on entend le grondement de leurs moteurs tout là haut et c'est

à peine si on les aperçoit.

Par moment le tir de leurs grosses pièces est dirigé sur le village où est cantonné le

reste du régiment. Des maisons, s'écroulent d'autres flambent et c'est l'affaire de quelques

heures car toutes les maisons regorgent de paille.

A partir de midi je deviens planton près du commandant pour assurer la liaison avec la

22° compagnie et je m'aperçois aussitôt que ce n'est pas une sinécure car il faut se promener

souvent sous les obus pour porter des ordres.

Le soir à la nuit les soldats qui sont restés 24 heures dans les tranchées sont remplacés

et la compagnie cantonne. Pour ma part je couche dans le même cantonnement que

l'ambulance mais je n'ai pu dormir de la nuit avec tout ce que j'ai vu et au milieu des plaintes

et des gémissements des blessés et Dieu sait s'il y en eut cette nuit là ! ..... La 138° brigade a

fait une attaque de nuit et a remporté quelques succès mais elle l'a payé cher.

Pauvre 2° chasseurs à pied ! .....

Le 7

L'attaque de la 138° brigade qui devait se porter sur Fauquescourt, la

Chavale et Parvilliers débouchera au sud de Rouvroy avec Parvilliers comme

objectif. La ligne au sud de Rouvroy sera franchie vers 16 heures ou 16 h. 30.

L'attaque de cette brigade sera couverte sur son flanc gauche par le 92°.

Rester dans les tranchées et surveiller sur le front à droite et à gauche.

Le 8 - Le jour est long à venir, il arrive enfin. Rien n'est lugubre comme la mitraille

pendant la nuit. Les obus ont continué à tomber sur le village de Rouvroy et par moment

quelques balles ?????? Toute la journée, le village va être bombardé avec les fameuses

marmites. Brr ! ... Cela fait plus de bruit et de dégâts matériels que de mal aux hommes.

Cependant l'une d'elles tombant dans la cour de la ferme où était cantonnée ma compagnie a

fait 4 malheureuses victimes. Le clocher, toutes les maisons du village sont tour à tour

endommagés. Plus un civil ne reste là et l'on voit errer dans les rues des vaches, des veaux,

des cochons. La canonnade continue de plus en plus violente puis tout à coup, silence ! On a

l'intuition que quelque chose de grave se passe. Notre régiment doit être relevé le soir même

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et nous devons partir à la nuit tombée ; mais d'ici là que va-t-il se passer ? Le temps s'écoule

dans l'anxiété ; quelques mesures prises augmentent encore cette espèce de malaise. On a un

vague sentiment d'appréhension. Tout à coup la canonnade reprend, on aime presque autant ce

tapage étourdissant que ce silence lourd.

Enfin la nuit arrive ! Le régiment ne partira qu'à 4 heures du matin. Toute la nuit le

canon nous a gratifié de ses libéralités mais on respire plus librement, ce que l'on craignait ne

se produira pas.

Mauvaise nuit néanmoins.

Le 9 - Partis de Rouvroy vers 4 heures et salués par quelques "marmites" nous arrivons

à Bouchoir situé à quelques kilomètres, un peu avant le jour. Le temps de se reconnaître un

peu et voilà la gaie lumière. Nous passons en partie (6° bataillon) la journée dans nos

cantonnements et nous nous occupons sérieusement de notre toilette et de nos vivres.

Bonne journée ! Quelques marmites sifflent bien au dessus de nos têtes, mais pressées

sans doute, elles filent un peu plus loin accompagnées par nos lazzis. Il faut bien rire un brin ;

puis il semble qu'on est tout autre. Quelle différence avec la veille. La nuit ressemble à la

journée. En résumé : bon gîte bonne nourriture.

Le 10 - Nous partons à 4 heures du matin occuper des tranchées en dehors du village

de Bouchoir et sur la route de Roye qui est à quelques kilomètres.

Ma compagnie est tout à fait en première ligne et j'ai été obligé de faire plusieurs fois

le parcours pour porter des ordres ; aussi suis-je quelque peu fatigué.

La journée est plutôt bonne et c'est à peine si, de temps en temps, quelques obus, des

marmites surtout viennent nous rappeler que nous sommes en état de guerre.

Les hommes sont assis dans les tranchées et la plupart dorment. On ne se croirait

vraiment pas en guerre.

On dort dans les tranchées tant bien que mal et malgré la fraîcheur nous ne souffrons

pas trop.

Le 11 - Petit à petit l'ombre disparaît et le jour arrive ; un jour brumeux et froid. Le

brouillard s'épaissit et mouille. On est encore pour toute la journée dans les tranchées, je

recommence mes promenades dans la tranchée au poste du commandant.

On n'entend et on ne voit rien. C'est à croire qu'il n'y a plus d'ennemis devant nous.

Hélas il est bien là l'invisible Boche qui nous guette et nos patrouilles viennent nous

l'affirmer. Vers midi une courte mais violente canonnade vient rompre un peu la monotonie

de cette longue journée pourtant bien ensoleillée. Puis plus rien ! Tout semble dormir.

Personne cependant ne dort de ceux qui ont la charge de garder le régiment.

Tout à coup vers 4 heures l'ordre arrive de s'assurer si les Boches sont en force dans le

village qui se trouve en avant de nos tranchées. Nos canons entrent en danse et 5 minutes

après le village disparaît dans la fumée. Le bombardement continue tandis que ma compagnie

déployée en ligne de tirailleurs se porte sur le village du Quesnoy. Elle s'en approche reçue

par des coups de fusil tandis que notre artillerie s'arrête pour ne pas les blesser et que

l'artillerie allemande nous crible d'obus ! On est assez à l'abri dans les tranchées et nous

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n'avons pas trop à souffrir de cette pluie de fer. J'ai pourtant entendu siffler des obus bien près

de mes oreilles ce soir là et j'ai vécu quelques secondes où je n'en menais pas large.

Enfin après une bonne heure de bombardement le calme est à peu près revenu et nous

avons été relevés dans les tranchées par le 5° bataillon. Nous avons couché dans nos

cantonnements du 9. Il y a eu 3 blessés à la compagnie.

Le 12 - Journée plutôt calme. On entend de temps à autre une marmite qui passe en

sifflant et tombe avec un bruit d'enfer tantôt à droite tantôt à gauche du village. Nous passons

la journée au cantonnement pour aller relever à 5 heures le 5° bataillon. Ces journées sont

presque des jours de repos bien que Bouchoir ne soit éloigné que de 2 kilomètres du Quesnoy

occupé par les Boches. Relève à 6 heures.

Le 13 - La nuit s'est passée dans les tranchées. Les quatre caporaux de planton en ont

une petite à leur usage, à proximité du poste de commandement, tout près du village. C'est un

petit fossé recouvert de planches et de paille où ma foi l'on n'est pas trop mal. La paille qui

recouvre le sol est abondante et l'on s'y enfonce volontiers entre chaque course. C'est presque

du confortable dans la guerre.

Le jour arrive sans incident. Ce sera une réédition de la veille : calme et échange de

politesse (en la circonstance, coups de canons avec MM. du Quesnoy).

Le 14 - C'est une copie du 12. On alterne un jour aux tranchées, un jour en réserve au

cantonnement. Nous avons avec nous à Bouchoir le 307° - à Erches le 115° à Folies le 250°.

D'ailleurs personne n'est à l'abri des infernales marmites, pas plus dans les maisons

que dans les tranchées. Le soir on va occuper les tranchées à 6 heures.

Le 15 - Quelle nuit que celle du 14 au 15. Le bataillon est dans les tranchées depuis 6

heures quand vers 9 heures à notre droite la fusillade éclate peu rude au début et lointaine.

Mais petit à petit elle augmente de front et d'intensité. Le canon mêle sa grosse voix au

concert tandis que les mitrailleuses se font entendre de plus en plus près.

Le régiment entier est alerté et attend sur ses positions l'attaque qui semble être

proche. Le vacarme toujours plus intense dure plus de deux heures puis petit à petit il décroit

et cesse bientôt vers minuit. Le 3078 n'a pas été attaqué mais si fait les autres régiments qui

étaient à notre droite. Tout s'est borné à quelques obus adressés franco à notre adresse.

Nous ne tardons pas les 4 plantons à nous étendre dans la paille ; mais voilà que tout à

coup vers 2 heurs, cette fois à notre gauche la danse recommence aussi violente et avec un

orchestre semblable ! Alerte! Allons-nous être attaqués cette fois ? On se tient sur ses gardes.

Cela dure une heure et demie, puis silence pour la deuxième fois. Jusqu'au repos ; mais que

j'aime peu voire les éclairs produits la nuit par les canons et les obus.

La journée du 15 est assez tranquille mais moins que les précédentes car les obus

pleuvent un peu plus dru. Le soir nous revenons au cantonnement habituel.

J'ai eu une émotion ce soir là avec un de mes camarades. Comme nous allions

communiquer un ordre à nos Cies

, nous avons été surpris en pleine route par une rafale d'obus

qui éclataient sur nos têtes. Coup sur coup nous en avons essuyé deux autres et enfin une

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quatrième, qui cette fois, nous a laissé plus calmes car nous venions de sauter dans une

tranchée.

Le 16 - La nuit a été plus calme que la précédente : il y eut néanmoins quelques coups

de feu tirés et quelques obus sont tombés sur le village. La journée a été très tranquille.

Départ à 6 heures pour les tranchées.

Le 17 - Certaines indications nous laissent prévoir pour la nuit du 16 au 17 des

évènements importants (groupe franc)

Note du Colonel

Le soir du 16 Octobre à 21 heures les groupes francs du 250 - 307 - 308

franchiront la ligne des tranchées ; A 21 heures le 250° marchera sur la côte 100,

nord du Quesnoy, le 307 sur le saillant ouest du Quesnoy et le 308 sur le saillant

sud-ouest du Quesnoy.

Le groupe du 308 partira du point de jonction entre les 307 et 308. Le

groupe du 308 partira de la route d'Amiens. Les groupes rentreront par les

mêmes chemins.

Prévenir les Cies

et les hommes pour éviter toute méprise.

Prévenir aussi le 115° en établissant la liaison avec ses tranchées.

Je préviendrai moi même le colonel de régiment.

Le 6° bataillon relèvera le 5° à 18 heures précises.

Redoubler de surveillance cette nuit à cause du brouillard et envoyer des

patrouilles fixes en avant des tranchées après le retour des groupes francs.

Il n'en a rien été la nuit a été on ne peut plus calme.

Il en est ainsi de la matinée. Mais vers midi et demi l'ordre arrive de se tenir prêt car

une attaque faite par d'autres régiments doit se produire vers 1 heure 1/2. Que va-t-il arriver ?

A l'heure où j'écris on attaque à gauche, au devant et à droite de nous. Le canon tonne sur un

front de 10 à 12 Km. Près de nous nos canons crachent presque sans arrêt. Les Allemands ne

répondent pas encore. Cela viendra sans nul doute. Leurs mitrailleuses sont beaucoup plus

bavardes et leurs roulements se précipitent effroyablement. Je m'arrête pour l'instant, la

bataille est commencée.

Ah ! J'avais bien prévu nous avons évité la danse pendant longtemps mais nos

artilleurs s'arrêtent lorsque nos soldats arrivaient à la zone dangereuse de nos propres obus.

Les Boches ont riposté. Mon Dieu, qu'il en est tombé des marmites ! ...

Comment sommes-nous encore là ? C'est miracle que nous n'ayons pas été écharpés,

écrabouillés, pulvérisés. L'une d'elle est tombée sur la maison où est installé le poste du

commandant. La charpente, le plancher ont été brisés ; pas une tuile ne reste sur le toit.

Heureusement nous venions de sortir de la maison et bien que nous soyons qu'à 6 ou 8 m

d'elle nous n'avons pas eu de mal. Nous sommes restés dans une grange, abri illusoire, tout le

reste de la soirée. Les obus ont continué à pleuvoir autour de nous, brisant plusieurs tuiles de

la grange mais ne blessant personne. Quelques uns même n'ont pas éclaté. Cela a duré une

heure et demie. Enfin nous avons été relevés ; mais ...... charmante soirée ....... !

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Le 18 - La nuit a été calme mais bêtement j'ai fait connaissance avec les scharpnels au

matin.

Comme je sortais, en bon bourgeois, de mon cantonnement pour communiquer des

ordres, un obus m'éclate sur la tête et un diable de petit scharpnel me tape sur le coude. J'ai

cru de prime abord avoir le bras cassé car je ne pouvais pas le remuer ; heureusement il n'en a

rien été. Ce n'est qu'un bobo sans importance. Je ne veux même pas me faire panser mais le

commandant l'exige. On veut me donner deux jours de repos mais je ne veux pas les prendre

et je continue mon service peu pénible d'ailleurs aujourd'hui.

Le reste de la journée est tranquille et nous revenons aux tranchées à 6 heures.

Le 19 - A une nuit assez tranquille succède une calme journée. De temps à autres

quelques rafales d'obus de part et d'autre, quelques coups de fusil et c'est tout. Mon bras me

fait un peu souffrir mais ce n'est rien. A 6 heures nous revenons à nos cantonnements.

Le 20 - C'est une copie de la veille. Echange de coups de canons. A 6 heures dans les

tranchées.

Le 21 - Nuit calme. Duel d'artillerie dans la journée. A deux heures nos canons

donnent vivement. Qu'y a-t-il ? La réponse viendra-t-elle ? Je sors pour voir l'effet produit.

Elle n'a pas tardé en effet ! .....

A peine étais-je sorti de la grange où nous sommes qu'une marmite tombe à 50 m de

nous. Je me jette à plat ventre et écoute anxieusement tomber autour de moi les éclats et les

tuiles cassées.

A peine relevé j'ai juste le temps de me précipiter dans une espèce de cave où on est

presque en sûreté.

Quelle distribution mon Dieu. Tandis que j'écris marmites et obus de campagne

pleuvent. Un coup n'attend pas l'autre. J'entends même à plusieurs reprises un toit dégringoler.

Je pense que c'est l'église déjà pas mal endommagée qui est bombardée.

Quel tintamarre. Cela siffle, détone, ronfle, s'écroule !

Notre artillerie se tait.

Quand on se sent un peu en sûreté on gouaille. Charmante soirée dit-on. Il y a mieux

sans doute. Je m'arrête et j'écoute se dérouler le programme. Il est 5 heures et demi quand

finit. Trois heures de bombardement sur un coin de village ! Je sors de ma cave. Quelle

tristesse! Les maisons sont éventrées, la rue semée de poutres et de pierres, la pauvre église,

toujours debout a des trous béants dans ses murs et sa toiture. Il semble qu'elle va s'écrouler.

Nous passons au milieu de ces ruines et revenons au cantonnement vers 6 heures.

Le Jeudi 22 - Nuit très calme. Quelques rares coups de canon. On dort les poings

fermés si bien que le jour arriva bien vite. Café, pain rôti au réveil comme d'habitude. Il faut

bien se remettre un peu des émotions de la veille. Un peu de toilette, un coup de main à la

cuisine et l'heure du déjeuner arrive. C'est l'emploi du temps habituel d'une journée au

cantonnement, tandis que de temps à autre un obus siffle au-dessus de nos têtes et éclate tantôt

loin tantôt près.

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Quelques ordres à porter, puis voilà le dîner et enfin le départ pour les tranchées vers 6

heures.

Le Vendredi 23 - La nuit s'est passée dans l'anxiété. Des nouvelles graves arrivent

subitement vers 6 heures : Une armée allemande a débarqué à Ham en face de nous et il faut

s'attendre à une attaque. Vers le nord les éclairs des canons se succèdent sans interruption. Les

projecteurs allemands fouillent la campagne et des fusées lumineuses éclairent subitement nos

tranchées où l'on ne dort pas. Les patrouilles circulent toute la nuit.

Cependant rien ne se produit et le jour arrive sans incidents marquants.

La journée ressemble à beaucoup d'autres. Envoi d'obus de toutes sortes qui font

toujours beaucoup de bruit. Nous sommes relevés à 6 heures sans autre incident.

Le Samedi 24 - Réveil à 3 h 1/2. Alerte !

On se rassemble, on attend jusqu'à 6 heures, puis on revient au cantonnement où l'on

doit passer la journée. Elle ressemble à toutes les autres : bonne chère et pluie de marmites.

Cela devient presque monotone tant on s'habitue à ces émotions là : un sifflement, un

formidable coup de tonnerre, des éclats qui partent de toutes parts en ronflant et voilà !

5 heures ; Voilà ! Ecrivais-je, mais hélas ! Plusieurs rafales d'obus éclatent au-dessus

de nous, l'un d'eux pénétrant par la toiture a traversé le plancher et a éclaté criblant un de nos

camarades. Le pauvre est mort sans reprendre connaissance. A qui le tour maintenant ! .....

Le Dimanche 25 -

Le 26 / Le 27 - Journée monotone. Bombardement du village. Quelques blessés. Ce

n'est qu'un duel incessant d'artillerie.

Le Mercredi 28 - Les journées se ressemblent toutes. Alerte le matin, il faut se tenir

prêt. Toute la journée bombardement. Les boches ont fini aujourd'hui de descendre le clocher

et la pauvre église de Bouchoir ne semble plus de loin qu'une vieille grange aux trois quart

démolie.

Tout à coup après la relève et tandis que les hommes du 6° Bataillon se rendent aux

tranchées, un ordre bref arrive et que nous allons communiquer aux Cies

: Attaque, demain à la

pointe du jour ; il faut s'emparer du Quesnoy si possible !

Vous jugez si la nuit est bonne ! Combien parmi nous disparaîtront ?

Le Jeudi 29 - Un brouillard épais nous cache le village. On ne voit pas loin devant soi.

Dans ces conditions l'attaque est retardée. Puis tout à coup un ordre : l'attaque commencera à

midi 30.

Quelle soirée ! C'est inimaginable. Nous nous transportons dans la tranchée extrême

d'où doit partir l'attaque et aussitôt la bataille commence furieuse. C'est d'abord notre artillerie

qui crible le Quesnoy d'obus. Un coup n'attend pas l'autre. Cent orages ne feraient pas plus de

bruit que ces canons de tous calibres qui vomissent du fer. Puis les soldats sortant petit à petit

des tranchées se portent en avant. Mais alors l'artillerie ennemie riposte avec la même

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violence que nous. Le plateau est un enfer, la position est presque intenable. Nos soldats sont

fauchés à peine hors des tranchées. Là devant nous sur une ligne de tirailleurs qui s'était

couchée plusieurs rafales d'obus éclatent. Hélas quand il faut avancer 7 ou 8 hommes restent

étendus sans mouvement tandis que les blessés reviennent en rampant dans la tranchée qu'ils

avaient quittée. L'un d'eux frappé à la tête s'affale sur moi et tandis que je le panse son sang

ruisselle sur ma capote .........

Cela a duré jusqu'à 6 heures, hélas ! Presque sans résultat. Le Quesnoy n'est pas pris

bien qu'on s'en soit approché et il faudra sans doute recommencer demain.

Belle perspective !

Le Vendredi 30 - Après une nuit agitée, remplie d'escarmouches, le bombardement

commence avec le jour. Toute la matinée il en sera de même : duel d'artillerie, chacune

cherchant à détruire l'autre et à faire le plus de mal possible à l'adversaire.

A 1 heure les régiments se portent à l'attaque. C'est la réédition d'hier soir. Notre

régiment qui attaque de face ne peut plus avancer sous cette pluie de fer. Il se replie mais pour

se porter plus vivement à l'attaque.

C'est inimaginable, ahurissant ..... Enfin à l'entrée de la nuit on entend sonner le

clairon puis de grands cris se mêlent au tapage du fusil et du canon. L'instant est émotionnant,

on est prêt à pleurer ......

On attend anxieusement des nouvelles ? On va les chercher ; Hourra ! Le Quesnoy est

occupé par nos troupes.

Va-t-on pouvoir le garder ?

Des prisonniers arrivent. L'un d'eux est instituteur en Westphalie et j'ai l'occasion de

lui causer. C'est un charmant jeune homme, 22 ans qui cause assez bien le français. Presque

tous d'ailleurs sont jeunes, certains même n'ont que 17 ans. Ils tremblent de peur car leurs

officiers leur ont fait croire que les prisonniers étaient fusillés en France. On les rassure un

peu et leur physionomie change absolument.

Nos troupes ont pris également 3 mitrailleuses et 2 canons qui sont ramenés à

Bouchoir.

Le Samedi 31 - Ainsi qu'il fallait s'y attendre, la nuit n'a pas été tranquille. Les Boches

ont fait une contre attaque vigoureuse pour tâcher de reprendre le Quesnoy, mais elle a été

sans résultat. Toute la nuit n'a été qu'une série de combats dans lesquels les boches ont été

repoussés. La journée a été digne de la nuit. Ce n'a été qu'un long combat d'artillerie et

d'infanterie avec quelques accalmies.

Mais quelle nuit que celle du 31 au 1ᵉʳ ! Nos pauvres troupiers n'ont pas eu moins de

sept attaques à subir, toutes repoussées.

L'ombre est déchirée par les éclairs des canons tandis que le vacarme est

indescriptible. Ce tumulte est impressionnant la nuit.

La journée est moins agitée que la nuit mais nous pouvons nous assurer que les

Boches ne sont pas sans marmites.

Le Dimanche 1ᵉʳ Nov. - C'est la Toussaint ! Beaucoup de nos petits soldats sont encore

sans sépulture. De place en place un petit monticule de terre, une petite croix faite avec deux

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morceaux de bois de fortune alterne avec les trous d'obus. Il n'y aura pas de fleurs sur ces

tombes là aujourd'hui seul le soleil de cette belle journée d'automne les fleurira. Les parents,

les veuves, ignorants du sort des leurs ne viendront pas verser de pleurs sur cette motte de

terre qui recouvre ce qu'ils avaient de plus cher. Plaignons-les !

Hélas ! Ne suis-je pas comme eux ! .....

La journée est subitement calme au contraire de ses devancières. Par moments les

Boches se sont rappelés à notre bon souvenir par quelques envois d'obus.

Le Lundi 2 - Terrible journée de bombardement comme on n'en a pas vu. Toute la

journée les obus de tous calibres ont plu sur nos tranchées et malheureusement nous avons eu

pas mal de victimes.

Peu de fusillade ; l'infanterie allemande a reculé prudemment tandis que l'artillerie

nous criblait de projectiles. Nos soldats en ont profité pour aller plus avant.

Nuit assez calme

Le Mardi 3 - Journée calme et ensoleillée suivie d'une nuit très tranquille.

Le Mercredi 4 - Il y a aujourd'hui ordre d'enlever un village un peu en arrière et au

sud du Quesnoy. C'est le 4è Corps qui doit le faire et notre régiment doit coopérer avec deux

Cies

à cette attaque. L'attaque qui devait se faire à huit heures ne se fait qu'à 11 heures à cause

du brouillard. Mon Dieu quelle canonnade que leur sert nos canons. On dirait le roulement

d'une colonie de tambours. Puis les colonnes d'infanterie partent à l'attaque ............

Il est trois heures ; nos soldats ont l'air d'avancer pendant que j'écris ces quelques

lignes tandis que nos .............

Ces carnets s'arrêtent en Novembre 14 (il maque une page qui devait être écrite mais le

reste du carnet est vierge). On peut se demander pourquoi cet arrêt brusque. Personne ne

connaît la réponse mais si l'on fait une lecture attentive on peut penser que les événements du

29 Octobre (mort de son ami) et du 30 (conversation avec le jeune instituteur allemand

prisonnier) l'amenaient peu à peu à avoir un regard critique. Peut-être n'a-t-il plus voulu se

forcer à réfléchir pour mieux supporter l'insupportable. Il n'a plus écrit jusqu'à la fin de la

guerre mais il a ramené des photos des tranchées dans lesquelles il évoque la vie quotidienne

des soldats, la soupe, le repas de Noël dans la tranchée, son «gourbis» (abri enterré).

Ces carnets donnent une dimension humaine aux événements de cette période. A le

parcourir, la Marne, l'Aisne, la Somme, ces rivières qui ont donné leurs noms à des batailles

de cette guerre que le Maréchal Lyautey a qualifié de «guerre civile européenne» deviennent

autre chose que des noms abstraits car nous prenons conscience qu'ils font partie intégrante de

notre histoire personnelle.

BIBLIOGRAPHIE

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La grande Guerre, Pierre Miquel, FAYARD 1983.

Le sang de la Marne, Philippe Conrad, N° 31 de la revue HISTORICA.

La Troisième République, Pierre Miquel, FAYARD, 1989.

Les carnets de Guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, MASPERO, 1979.