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BELGIQUE — L’ALCOOBUS DES ADOS NÉERLANDAIS EUROPE — LA RUÉE VERS L’OUEST N’AURA PAS LIEU ESPAGNE— LA MONARCHIE EN PÉRIL ÉCOLOGIE — UNE GUÊPE SAUVE LES PAPAYES EN INDE HISTOIRE — ET THOMAS COOK INVENTA LE TOURISME Islamistes contre islamistes Syrie, Irak, Liban : la guerre fratricide qui oppose sunnites et chiites (!4BD64F-eabacj!:K;N N° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

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Courrier International du 16 janvier 2014

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BELGIQUE — L’ALCOOBUS DES ADOS NÉERLANDAISEUROPE — LA RUÉE VERS L’OUEST N’AURA PAS LIEUESPAGNE— LA MONARCHIE EN PÉRILÉCOLOGIE — UNE GUÊPE SAUVE LES PAPAYES EN INDEHISTOIRE — ET THOMAS COOK INVENTA LE TOURISME

Islamistes contre islamistes

Syrie, Irak, Liban : la guerre fratricide qui oppose sunnites et chiites

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N° 1211 du 16 au 22 janvier 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

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Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 3

Sommaire

Retrouvez Eric Chol chaque matin à 7 h 50,

dans la chronique “Où va le monde”

sur 101.1 FM

En Syrie comme au Liban ou en Irak, les tensions entre radicaux sunnites et chiites tournent à la guerre ouverte et révèlent chaque jour un peu plus les luttes d’influence entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.

ISLAMISTES CONTRE ISLAMISTESp.12

Europe Bienvenus au club ?“Chers amis britanniques, j’arrive !” Une blogueuse bulgare raille les peurs britanniques et allemandes quant à l’ouverture du marché du travail européen aux Bulgares et aux Roumains.

p.20

Etats-Unis Condamnés à une vie de galère

Des millions d’Américains voient leur candidature à un emploi rejetée en raison de leur passé de délinquant. Des pratiques discriminatoires qui frappent d’abord les minorités raciales.

NIE

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SEN

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K

ÉDITORIALÉRIC CHOL

D’une guerre à l’autreToute sa vie, Ariel Sharon a lutté

pour la sécurité d’Israël. Le très controversé général, disparu

le 11 janvier à l’âge de 85 ans, a été de toutes les guerres israélo-arabes. Et le virage politique opéré à la fin de sa carrière – lorsqu’il organise en 2005 le retrait des colons juifs de la bande de Gaza – relevait de la même vision : avant tout, assurer les frontières de l’Etat hébreu. C’était son obsession. Mais si le “bulldozer”, comme il était parfois surnommé – les Palestiniens le considèrent, eux, comme un criminel de guerre –, était sorti de son coma, peut-être aurait-il été surpris par la nouvelle donne régionale. Car le conflit israélo-palestinien n’est plus aujourd’hui au cœur de l’actualité. Non pas que les deux parties se soient enfin décidées à s’entendre : John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, est bien placé pour savoir qu’un bon diplomate doit s’armer de patience. Et qu’en dépit de ses tentatives acharnées, un accord de paix est encore loin de voir le jour. Mais une déflagration, encore plus brutale, embrase actuellement le Moyen-Orient : la guerre des radicaux. Sunnites contre chiites. Avec en arrière- fond l’affrontement de deux colosses : l’Arabie Saoudite et l’Iran. Batailles rangées en Irak, combats meurtriers en Syrie, explosions de voitures piégées au Liban… Cette lutte des fondamentalismes met à feu et à sang la région et torpille les alliances traditionnelles. Rapprochement surprise entre Téhéran et Washington, entente tacite entre Israël et l’Arabie Saoudite : les déchirures de l’Islam rendent de moins en moins lisible le puzzle oriental et très minces les chances de succès de la conférence Genève 2, prévue le 22 janvier.

En couverture :Dessin de Joep Bertrams, AmsterdamDessin de Magee, Royaume-Uni.

p.26 à la une

BURK

I

SUR NOTRE SITE

www.courrierinternational.comFRANCE Les réactions de la presse internationale après la conférence de presse de François Hollande.VIDÉO Sunnites-chiites : l’analyse du chef du service Moyen-Orient, Marc Saghié.PORTFOLIO Iran, un jour le dragon s’éveillera, par la photographe Gohar Dashti.Retrouvez nous aussi sur Facebook, Twitteer, Google + et Pinterest

p.16

France Un président en roue librePour The Sunday Telegraph, François Hollande a réussi le tour de force d’échouer non seulement dans la gestion des affaires publiques, mais aussi dans celle de ses affaires privées.

HEUREUX QUI COMME ULYSSELongtemps les lointaines contrées furent réservées à une élite. Jusqu’à ce que Thomas Cook révolutionne l’idée même de voyage.

360° p.40

PHOTO COSTA/LEEMAGE

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GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

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4. Courrier international — no 1211 du 16 au 22 janvier 2014

Sommaire

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Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine : Adevarul Bucarest, quotidien. Aftonbladet Stockholm, quotidien. Alternet (alternet.org) San Francisco, en ligne. Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. Al-Ayyam Ramallah, quotidien. Bangkok Post Bangkok, quotidien. City Press Johannesburg, hebdomadaire. The Daily Telegraph Londres, quotidien. Deutsche Welle Berlin, quotidien. The Diplomat (the-diplomat.com) Tokyo, en ligne. The Economist Londres, hebdomadaire. Financial Times Londres, quotidien. Fountain Ink Madras, mensuel. Gazeta Wyborcza Varsovie, quotidien. The Guardian Londres, quotidien. Al-Hayat Londres, quotidien. Israel Hayom Tel-Aviv, quotidien. Kill Screen New York, trimestriel. Mag14 (mag14.com) Tunis, en ligne. Al-Monitor (al-monitor.com) Washington, en ligne. La Nación Buenos Aires, quotidien. The Nation New York, hebdomadaire. The New York Times New York, quotidien. Le Nouvelliste Port-au-Prince, quotidien. Now. (now.mmedia.me/lb/ar) Beyrouth, en ligne. El País Madrid, quotidien. El Plural (www.elplural.com) Madrid, en ligne. P.M. History Munich, mensuel. Shun Po (Hong Kong Economic Journal) Hong Kong, quotidien. El Siglo de Europa Madrid, hebdomadaire.

Der Spiegel Hambourg, hebdomadaire. Tempo Jakarta, hebdomadaire. Le Temps Genève, quotidien. USA Today McLean (Virginie), quotidien. 24 Tchassa Sofi a, quotidien. The Washington Institute (washingtoninstitute.org) Washington, en ligne. The Washington Post Washington, quotidien. Yediot Aharonot Tel-Aviv, quotidien. Zhongguo Qingnian Bao Pékin, quotidien.

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Antoine Laporte. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Janvier 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie cen-trale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Sébastien Hervieu (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédac-teur en chef adjoint), Hélène Rousselot (russe), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Edwige Benoit, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Chen Yan, Dounia Hadni, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Polina Petrouchina, Judith Sinnige, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Nicole Thirion, Sébastien Walkowiak

Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Claude Tamma (16 52), Sophie Nézet (partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Lucie Torres (17 39), Romaïssa Cherbal (16 89)

Transversales34. Economie. Du yaourt de porte en porte35. Economie. Des aff aires dans les règles de l’art36. Ecologie. Comment une guêpe a sauvé la papaye37. Ecologie. Des chaises à l’air propre38. Médias. Le Robin des bois des stagiaires39. Signaux. Meurtrières guerres civiles

360° 40. Voyage. Heureux qui comme Ulysse44. Culture. Des réfugiées syriennes en “Troyennes”46. Architecture. La noblesse retrouvée du bambou48. Tendances. Retour en terre saine50. Plein écran. Un bâtisseur d’histoires

7 jours dans le monde5. Liban. Le Hezbollah au banc des accusés9. Portrait. Sam Rainsy10. Controverse. Faut-il boycotter les universités israéliennes ?

D’un continent à l’autre— EUROPE12. UE. Bienvenus au club ?15. Espagne. Réinventer la couronne

— FRANCE16. Politique. Les Anglais s’en donnent à cœur joie17. Vu de Hong Kong. Hollande n’est pas un surhomme

— ASIE18. Bangladesh. Le bras de fer des deux bégums19. Chine. A quatre pattes pour la transparence

— AMÉRIQUES

20. Etats-Unis. Condamnés à une vie de galère22. Uruguay. Les vacances fumeuses des Argentins

— MOYEN-ORIENT23. Israël. Sharon, haïssable et sympathique23. Vu de Palestine. Fêtons la mort d’un criminel

— AFRIQUE24. Rwanda. Autopsie du meurtre d’un opposant25. Tunisie. Une transition exemplaire

— BELGIQUEI. Anvers. L’alcoobus des ados Néerlandais

Dossier26. Islamistes contre islamistes

Arthur C. Clarke

C’est le propre du barbare de détruire ce qu’il ne peut comprendre.

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6. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

7 jours dansle monde.

↙ Sur les branches, les noms de personnalités libanaises assassinées en 2005 : Rafic Hariri, George Haoui, Samir Kassir et Gébrane Tuéni. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

LIBAN

Le Hezbollah au banc des accusésUn rapport israélien révèle des détails incriminant le mouvement chiite dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Le procès par contumace des cinq inculpés débute ce 16 janvier à La Haye.

SOURCE

YEDIOT AHARONOTTel-Aviv, IsraëlQuotidien, 400 000 ex.Créées en 1939, “Les Dernières Informations”, situées à droite, marient un sensationnalisme volontiers populiste à un journalisme d’investigation et de débats passionnés. Le site Ynet, d’où vient cet article – abondamment repris dans la presse arabe –, est largement indépendant de l’édition imprimée du quotidien et les rédactions sont autonomes.

—Yediot Aharonot Tel-Aviv

Le Tribunal spécial des Nations unies pour le Liban se réunira [le 16 janvier]

pour statuer sur l’assassinat de l’an-cien Premier ministre Rafic Hariri, opposant déclaré du Hezbollah tué en février 2005 à Beyrouth lors d’un attentat à la voiture piégée. Un document judiciaire a levé le

voile sur l’enquête, révélant de nouveaux détails sur le princi-pal suspect, Mustafa Badr Aldin, beau-frère et successeur présumé d’Imad Moughnieh, l’ancien chef des opérations du Hezbollah.

Ce document a été découvert par Ronen Solomon, analyste du renseignement israélien et spé-cialiste des questions de sécu-rité et de renseignement liées au Hezbollah. Il s’agit d’un rapport

exhaustif – comme il se doit pour une enquête longue de plusieurs années – contenant des informa-tions que les hauts responsables du Hezbollah préféreraient garder confidentielles, notamment celles sur la famille et les proches de Mustafa Badr Aldin.

Les enquêteurs internationaux ont travaillé sur des informations recueillies par les autorités liba-naises concernant les responsables

directs de l’assassinat ainsi que toutes les lignes téléphoniques utilisées par les agents de sécu-rité de Mustafa Badr Aldin. Pour établir le lien entre le numéro de téléphone utilisé lors de l’attentat et l’identité du principal suspect, les enquêteurs ont examiné l’en-semble des conversations télépho-niques passées par Mustafa Badr Aldin entre 2000 et 2008.

Les documents font apparaître un lien entre Imad Moughnieh, assassiné à Damas en février 2008, et son successeur, Mustafa Badr Aldin : le premier était marié à la sœur du second. Diplômé en rela-tions internationales à l’Université américaine de Beyrouth, Aldin, qui apparaît comme un homme de l’ombre, a également été gérant de deux magasins de bijoux dans la capitale. Les documents indiquent que cet homme a téléphoné à plu-sieurs bases du Hezbollah, ce qui laisse penser que le terroriste ne prenait pas de précautions parti-culières. Ce laxisme pourrait bien lui coûter cher.

Alors que la guerre civile en Syrie ne cesse de déborder sur le Liban et que les bombardements se multi-plient sur le territoire, l’assassinat de Rafic Hariri, perpétré il y a neuf ans, continue d’ébranler le pays. L’attentat avait fait 23 autres vic-times et de nombreux blessés. La mort de l’ancien Premier ministre, chef du courant antisyrien, avait bouleversé le pays. Depuis, la créa-tion d’un tribunal international établi à la demande du gouverne-ment libanais – qui le finance en partie – suscite la colère des diri-geants du Hezbollah.

Réuni pour la première fois le 1er mars 2009, le tribunal spécial a, deux ans plus tard, lancé une procédure d’inculpation contre

quatre membres du Hezbollah. Un cinquième nom a récemment été ajouté à cette liste. Les cinq incul-pés seront jugés par contumace.

Depuis un an, l’implication du Hezbollah dans la guerre civile syrienne aux côtés du régime de Bachar El-Assad a donné lieu à plusieurs bombardements d’extré-mistes sunnites opposés au diri-geant syrien et affiliés à Al-Qaida. Ces organisations sont parvenues à pénétrer les bastions du Hezbollah à Beyrouth, et même à viser l’am-bassade d’Iran dans la capitale.

Il y a deux semaines, Mo ham mad Chatah, conseiller politique du fils de Rafic Hariri, a été assassiné en plein cœur de Beyrouth. Ancien ministre des Finances, Mohammad Chatah était un des critiques les plus virulents du Hezbollah. Pour Saad Hariri, fils de l’ex-Premier ministre assassiné, les responsables sont à chercher du côté du gouver-nement syrien et du Hezbollah.

—Roi KaisPublié le 8 janvier

Le goût de la polémiqueÉTATS-UNIS— Amy Chua s’est fait connaître il y a trois ans avec un livre sur les “mères tigres” prônant une éducation à la schlague et la supériorité des mères chinoises en ce domaine. Elle récidive aujourd’hui avec un nouvel ouvrage cosigné avec son mari, Jed Rubenfeld. The Triple Package (éd. Penguin) déve-loppe la thèse selon laquelle certains groupes sont supé-rieurs aux autres. Le couple

Chua-Rubenfeld en répertorie huit, sans hiérarchie  : Juifs, Indiens, Chinois, Iraniens, Libanais-Américains, Nigérians, Cubains exilés et mormons. “Selon eux, ces groupes possèdent en commun trois qualités garantes de richesse et de pouvoir : un senti-ment de supériorité, un sentiment d’insécurité et la maîtrise de leurs pulsions”, précise The New York Post, qui ne ménage par ailleurs pas ses critiques sur le livre  : “Une succession d’arguments chocs enveloppés dans des discours sur l’épanouissement personnel avec le même objectif que le racisme : faire peur.”

Un quotidien est néSUÈDE— Le numéro un de Dagens ETC, autrement dit “Le quotidien etc.”, est paru le 13 janvier, affichant fièrement à la une “premier numéro”. C’est la première fois depuis trente ans qu’un quotidien voit le jour dans le pays. Il s’inscrit à gauche, ten-dance écolo, et ne dépendra de la publicité que pour 10 % de son chiffre d’affaires, affirment ses créateurs. “C’est grâce à nos lec-teurs, qui nous ont prêté 6 millions

de couronnes [675 000 euros], que nous avons pu lancer ce journal”, précise Johan Ehrenberg, direc-teur de la rédaction. Il ne croit pas à la mort du journal papier : “Tant que nous faisons un journal que les lecteurs auront envie d’ache-ter, nous n’avons rien à craindre.”

Beppe Grillo est chocolatITALIE— L’exercice de démo-cratie participative aura tourné court pour le chef de file du Mouvement 5 étoiles (M5S). Le

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7 JOURS.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 7

CHRISTINE OCKRENT

ET LES MEILLEURS EXPERTS NOUS RACONTENT LE MONDE

CHAQUE SAMEDI, 12H45-13H30franceculture.fr

en partenariat avec

13 janvier, Grillo a lancé via son blog un référendum adressé à l’ensemble des membres du mouvement, avec cette ques-tion : “Etes-vous pour ou contre l’abrogation du délit de clandesti-nité ?” 15 839 personnes ont voté pour l’abrogation, 9 093 contre. C’est un cinglant désaveu pour Beppe Grillo, qui s’était person-nellement prononcé en faveur du maintien du délit de clandestinité lors de la dernière tragédie de Lampedusa. “Beppe Grillo pris à son propre piège”, titre le quoti-dien L’Unitá du 14 janvier.

Des Roms au tribunalPOLOGNE— Le procès intenté en novembre dernier par la ville de Wroclaw (sud-ouest du pays) contre un campement de Roms a repris le 10 janvier. “C’est la pre-mière aff aire de ce type”, signale le quotidien Gazeta Wyborcza. Plusieurs familles originaires de Roumanie mais installées en Pologne depuis des années sont menacées d’être expulsées du terrain vague municipal, où elles ont installé des construc-tions de fortune. Sous la pres-sion de plusieurs associations, dont Amnesty International, la ville leur a d’abord promis un relogement, avant de se rétrac-ter. Les avocats des Roms ont demandé un traducteur de romani, pour que les intéres-sés puissent suivre les délibé-rations dans leur langue, mais le tribunal leur a imposé un traducteur de roumain, langue que beaucoup d’entre eux ne comprennent pas.

350 000dollars, c’est le montant atteint, le 12 janvier, par le permis de tuer un rhinocéros noir en Namibie vendu aux enchères. Les organisateurs espéraient que les off res s’envoleraient vers le million de dollars, mais la publicité négative donnée à l’aff aire – avec les protestations bruyantes de mouvements de protection des animaux – a dissuadé les potentiels acheteurs, estime un membre du club de chasse texan organisateur de l’événement interrogé par The Dallas Morning News. Les autorités namibiennes, qui délivrent cinq permis de chasse au rhinocéros chaque année, avaient pourtant assuré que tous les bénéfi ces de la vente seraient consacrés à la préservation de l’espèce ; le pays, qui abrite 1 750 spécimens de rhinocéros noirs, a grand besoin d’argent pour fi nancer, entre autres, des patrouilles antibraconnage. Le rhinocéros est prisé pour ses cornes, auxquels les Asiatiques accordent des vertus thérapeutiques.

LA PHOTO DE LA SEMAINE

Bangkok sous haute tension

THAÏLANDE— Les manifestants opposés au gouvernement (photo) ont entamé le 13 janvier le siège de Bangkok ; celui-ci semblait, le 14 janvier, devoir s’installer dans la durée. Le blocage d’un certain nombre de carrefours stratégiques n’a pas empêché la capitale de fonctionner, mais la violence n’est pas à exclure, selon un rapport de l’International Crisis Group qui estime que les marges de négociation sont étroites. Les partisans de l’ancien vice-Premier ministre et député du Parti démocrate Suthep Thaugsuban demandent que le Parlement soit remplacé par un “conseil populaire” composé de personnalités. Photo Damir Sagolj/Reuters

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7 JOURS8. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

↓  Dessin de Stephff , Bangkok.

Hitzlsperger, pas si banal hélas !ALLEMAGNE— En faisant son coming out dans les colonnes de Die Zeit, l’ancien international de football Thomas Hitzlsperger a brisé un tabou. “C’est une nou-velle qui ne devrait pas en être une, commente le mensuel Cicero, et pourtant, aussi longtemps que des dizaines de milliers de citoyens sont capables de se mobiliser pour faire circuler une pétition visant à empêcher que l’homosexualité soit abordée à l’école, comme cela vient de se produire dans le Bade-Wurtemberg, aussi longtemps qu’un Norbert Blüm [chrétien-démocrate, ex-ministre du Travail] expliquera pourquoi les couples homosexuels ne constituent pas une famille, il faudra en parler.”

Les valeurs en débat

QUÉBEC— La “cha r te des valeurs”, ce projet de loi qui promeut la laïcité et la neutra-lité religieuse de l’Etat ainsi que l’égalité entre les femmes et les hommes n’a pas fini de susci-ter des débats. Le Parlement a entamé une consultation pu– blique sur le sujet le 14 janvier ; la commission chargée de l’af-faire devrait entendre près de 300 groupes ou individus qui en ont fait la demande. Parmi les interventions remarquées de ces derniers jours, celle de l’indépen-dantiste Yves Michaud, défen-seur de l’interdiction des signes religieux chez les employés de l’Etat. “Que des salariés de la fonct ion publique portant la kippa perdent leur emploi parce qu’ils expriment leur foi en milieu professionnel n’émeut pas M. Michaud, note Le Devoir. Ceux qui refuseront de ranger au placard leurs symboles reli-gieux n’auront qu’à s’installer sous d’autres cieux, dit-il.”

ILS PARLENTDE NOUS

ANAÏS GINORI, correspondante du quotidien italien La Repubblica, sur l’immunité de Serge Dassault

“Un vote peu honorable au Sénat”

Le bureau du Sénat a voté contre la levée de l’immunité de Serge Dassault,

mis en cause dans une aff aire d’achats

de votes. Votre réaction ?On peut évidemment voir dans ce vote la réaction d’une caste qui s’autoprotège et donne l’impression d’une grande tolérance par rapport à des accusations qui sont quand même graves. Le fait que Serge Dassault soit l’un des hommes les plus riches de France, patron d’un grand groupe industriel et d’un groupe de presse, peut aussi inciter à penser que les sénateurs sont sous infl uence au moment où ils votent pour refuser la levée de l’immunité.

Un sénateur de gauche au moins a voté en faveur de Dassault. Qu’en pensez-vous ?Vu d’Italie, ce n’est guère étonnant, puisque c’est ce que nous connaissons depuis vingt ans environ, depuis l’opération “Mains propres”. Il est arrivé souvent qu’au sein de la gauche italienne des élus refusent de lever l’immunité – de Berlusconi, par exemple – parce qu’ils n’étaient pas favorables à ce que la justice prenne le pas sur le politique. Cela dit, c’est vrai que la justice transalpine a parfois pu franchir certaines limites, donner l’impression de vouloir se substituer au politique ; mais ce n’est pas le cas en France, où l’équilibre des pouvoirs est respecté.

Ce vote vous semble-t-il de nature à alimenter le “Tous pourris” ?Dans un contexte où les partis populistes ont le vent en poupe, un vote de ce genre ne fait en eff et pas honneur à la politique.

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HAÏTI

Survivrai-je la prochaine fois ?Le pays a célébré le 12 janvier l’anniversaire du séisme de 2010, dans un mélange d’espoir, de rage et d’incertitude.

—Le Nouvelliste (extraits) Port-au-Prince

Ils sont visibles, résolus à aller de l’avant, ces survivants. Quatre ans après ce mardi-là, l’après se construit. En minus-

cule, en majuscule. L’orphelin hébergé chez une tante a repris le chemin de l’école. Le cou-rage chevillé au corps, un père a construit son twa pyès kay [une maison de trois pièces]. Sa famille ne vit plus sous les bâches déchique-tées par le vent dans les hauteurs de Canaan. La fi ancée, après le deuil de son âme sœur, a refait sa vie. Deux ruptures au compteur et, aujourd’hui, elle porte l’enfant d’un homme qu’elle découvre. Elle est heureuse. Maman a repris son commerce. Elle bourlingue, arpente les rues, vend ses pépé [vêtements de seconde main]. Son père n’a pas survécu pour voir le fi ls aîné décrocher son diplôme en génie informatique, un boulot six mois plus tard et devenir le nouveau chef de la famille à 25 ans.

Elle suit son cours, la vie. Ses implacables défi s sont relevés au quotidien. Des fois avec des coups de gueule, tant le leadership sec-taire, frileux, tarde à rassembler les énergies,

souder les destins dans le projet d’un véri-table sursaut. Personne, entre-temps, ne cra-chera des mots gonfl és d’ingratitude sur la vie ou sur Dieu.

Trente-cinq secondes, c’est peu. Nos trente-cinq secondes ce 12 janvier-là, cela ne se gomme pas. Elles changent des vies, des pers-pectives. La terre a tremblé. Sur la tête, on a reçu le ciel. Des gémissements, la danse des enragés, la solidarité spontanée pour extir-per un survivant ou un corps écrabouillé sous les décombres ont défi lé sur les scènes de nos vies. Des jours durant. On s’est accro-chés. Dans la folie passagère, quelques-uns ont trouvé un curieux refuge. On s’est accro-chés. Pour aller de l’avant, parce qu’on a survécu. Cela a un sens dans l’addition des petits bonheurs succulents après la marche les pieds nus sur les braises de l’enfer. Parce qu’on a survécu, des fois sans dire au revoir à Jean Robert, Sarah, Gina, Philippe et les autres, quatre ans après, il faut agiter une question, une préoccupation : survivrai-je la prochaine fois ?

—Roberson AlphonsePublié le 10 janvier

46 000 000d’Américains vivent sous le seuil de pauvreté. “Pour de nombreux Américains, la guerre contre la pauvreté déclarée il y a cinquante ans par le président démocrate Lyndon B. Johnson [lors du fameux discours sur l’état de l’Union prononcé le 8 janvier 1964] est un échec. Le taux de pauvreté n’est passé que de 19 % à 15 % en deux générations”, constate The New York Times, précisant encore que “selon une étude récente réalisée à la mi-2011, quelque 1,7 million de foyers vivent avec moins de 2 dollars par jour et par personne”.

BAD

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7 JOURS.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 9

—Bangkok Post (extraits) Bangkok

Sam Rainsy est le chef de fi le d’un vaste mouvement qui cherche à faire annuler les

résultats d’un scrutin [les légis-latives de juillet 2013] auquel lui-même n’a pas été autorisé à se présenter. “Auparavant, ils ten-taient de vous tuer physiquement, mais maintenant ils vous tuent poli-tiquement”, observe-t-il. Depuis son retour d’exil en France à la veille des élections législatives du 28 juillet, Rainsy est libre de ses mouvements, ayant été gracié par le roi et échappant ainsi à une peine de prison qu’il encourait en raison, dit-il, de ses convictions politiques. Cette amnistie entre selon lui dans le jeu politique du Premier ministre, Hun Sen. Une manière de montrer à la commu-nauté internationale que la démo-cratie progresse au Cambodge. [Ce 14 janvier, il est convoqué devant la justice pour incitation à la vio-lence. Les manifestations contre le pouvoir rassemblent depuis juillet des dizaines de milliers de personnes. Le 3 et le 4 janvier dernier, quatre personnes sont mortes lors de l’intervention des forces de l’ordre pour disperser des ouvriers en grève.]

La détermination du leader du Parti du sauvetage national du Cambodge [PSNC, coalition de plusieurs partis d’opposition] à créer une vraie démocratie est plus vivace que jamais. Pourtant, le chemin a été long. Aujourd’hui titulaire d’un passeport français, Sam Rainsy a étudié la fi nance et l’économie à Paris et a commencé sa carrière dans le secteur bancaire avant d’ouvrir son propre cabinet d’expertise comptable. C’est en France également qu’il a rencontré son épouse.

C’est sa profonde envie de sauver le pays qui l’a poussé à quitter la fi nance pour se lancer en politique au Cambodge. “Je menais une vie confortable et, si j’ai renoncé à ma carrière pour travailler à plein temps

en tant que politicien, c’est parce que j’ai pris conscience que ce serait une chance pour moi de sauver le Cambodge. Après les Khmers rouges et les champs de la mort, le pays était occupé par le Vietnam et les guerres civiles qui s’étaient succédé l’avaient considérablement aff aibli.”

Avec le recul, il pense que son mandat de ministre des Finances [en 1993-94, lorsqu’il était membre du parti du prince Norodom Ranariddh, avant d’en être exclu pour avoir dénoncé la corruption qui y régnait], lui a permis de faire ses preuves en montrant à la communauté internationale qu’il avait de profondes convictions

et la volonté de servir réellement les intérêts du peuple. “J’ai réduit l’infl ation et augmenté le salaire des fonctionnaires. C’est une époque où les gens ont accédé à la stabilité économique et à la prospérité, dit-il. Voilà pourquoi le PSNC est si fort aujourd’hui, en partie grâce à ma réputation et au soutien politique dont je bénéfi cie depuis.”

Vieux rival du Premier ministre Hun Sen, Sam Rainsy se dit heureux de voir le changement survenu dans le paysage politique de son pays, en particulier l’engagement des jeunes Cambodgiens, qui partagent leurs idées sur les réseaux sociaux. Il reste néanmoins préoccupé par la situation économique, qui n’est pas très stable et ne permet pas de créer un nombre suffisant

d’emplois pour les jeunes diplômés. L’opposant admet toutefois que, depuis son retour à Phnom Penh, en juillet dernier, il a observé de nombreux signes positifs qui pourraient conduire à un

changement. “Je pense que le Cambodge se trouve à un tournant.

Nous avons les mêmes ingrédients que ceux des ‘printemps arabes’ : une masse de jeunes, un chômage élevé, une pauvreté extrême, l’injustice, la corruption, le développement des réseaux sociaux qui permet aux gens de se mobiliser très vite. Tous ces facteurs font que le pays est en mesure de changer.”

A ses yeux, Hun Sen, le doyen des Premiers ministres asiatiques, est un dirigeant sans grand projet , dont la seule ambition est de survivre en s’accrochant au pouvoir. Son passé de Khmers rouges et son gouvernement provietnamien ont eu et continueront d’avoir un eff et négatif sur le pays. “Cela l’empêche d’avoir une vision à long terme et c’est la raison

pour laquelle le Cambodge va à la dérive.”

—Nilhi KaveevivitchaiPublié le 25 novembre 2013

JUSQU’AU-BOUTISTE“Pas de négociations, pas de compromis”, a lancé à ses partisans Suthep Thaugsuban, à la tête du mouvement antigouvernemental qui agite la Thaïlande depuis octobre, et dont l’objectif est d’en fi nir avec

ce qu’il appelle le “système Thaksin”. Il a déjà poussé le Premier ministre, Thaksin Shinawatra, à la démission

et souhaite désormais empêcher la tenue des élections le 2 février prochain. (Bangkok Post, Bangkok)

VASSAL“Est-ce que le président a dit qu’il ne se présenterait pas ? Eh bien, nous disons qu’il se présentera !” L’Algérien Amar Saâdani, secrétaire général du Front de libération nationale, veut que le président sortant, Abdelaziz Boutefl ika, décroche un quatrième mandat en avril. De nombreux internautes s’étonnent que le chef du FLN puisse apporter son soutien à un président “mort-vivant”, malade et âgé de 77 ans.(Le Soir d’Algérie, Alger)

CONTINENT“A partir de cette année, nous introduisons des règles concernant la vie sexuelle : une fois par trimestre”, annonce Vladimir Jirinovski, leader ultranationaliste russe, dans une consigne aux membres de son parti à l’occasion du nouvel an. “Plus c’est rare, meilleur c’est. Et uniquement quant il y a sympathie mutuelle”, insiste-t-il.(Vzgliad, Moscou)

TRANSPARENT“Rien à cacher.” Chris Christie, gouverneur républicain de l’Etat du New Jersey, réfute les accusations selon lesquelles il aurait personnellement fait fermer deux voies du pont George Washington – reliant le New Jersey à la ville de New York –, provoquant des embouteillages sur cet axe

très fréquenté, pour se venger du maire démocrate

de la localité de Fort Lee, qui avait refusé de soutenir sa réélection.(CNN, Atlanta)

↓ Sam Rainsy, 64 ans, a étudié à Paris, où ses parents étaient réfugiés politiques. Ministre des Finances en 1993, sous l’étiquette du parti royaliste Funcinpec, il en est exclu et fonde son propre mouvement. Son parti surfe sur la haine antivietnamienne. Dessin de Bromley, Royaume-Uni, pour Courrier international.

Sam Rainsy, opposant inoxydableILS FONT L’ACTUALITÉ

Cambodge. Depuis vingt ans, il dénonce la corruption du régime de Phnom Penh. Autorisé à rentrer après des années d’exil en France, il séduit une nouvelle génération d’électeurs.

ILS/ELLES ONT DIT

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7 JOURS10. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

du lundi au vendredià 16h15 et 21h45

franceinfo.fr

L’ACTUALITÉINTERNATIONALE“UN MONDE D’INFO”

de l’homme. Il ne s’agit que d’une pose “radical-chic” offrant à des universitaires marginalisés un frisson de pseudo-anti-colonialisme additionné d’une pincée d’antisémitisme dernier cri.

Et que l’on ne vienne pas me dire qu’il ne s’agit que d’antisionisme. Le strata-gème ressemble fort à une entreprise de discrimination patente, et la discrimina-tion contre les Juifs a un nom. Cela s’ap-pelle de l’antisémitisme. L’intention est claire : il s’agit d’attiser la haine contre la plus grande communauté juive de la terre – et la seule nation juive souveraine.

Que faire ? Il y a sept ans, confron-tés à un même type de boycott universi-taire des Israéliens, Alan Dershowitz et le Prix Nobel de physique Steven Weinberg avaient déclaré dans une lettre ouverte que, dans le contexte de tout boycott anti-Israël, ils souhaitaient être considé-rés comme des Israéliens. Ce qui, en clair, revenait à dire : vous voulez discriminer les Israéliens ? Soit : excluez-nous aussi. Des milliers d’autres universitaires ont signé la lettre Dershowitz-Weinberg. Il n’aurait pu y avoir meilleure réponse du berger à la bergère. Boycottons les boy-cotteurs, avec tout notre mépris.

Mais il n’y a pas que dans le milieu uni-versitaire que ce type de préjugé a pris racine. D’un bout à l’autre de la sphère culturelle, le mouvement de boycott anti-Israël prend de l’ampleur. Il est devenu de bon ton pour les musiciens, les acteurs, les écrivains et les artistes de tout poil de se démarquer ostensiblement d’Israël et des Israéliens. La manifestation actuelle la plus odieuse de cette montée de l’anti-sémitisme est la banalisation de la “que-nelle”, salut nazi inversé mis au goût du jour par l’humoriste français ouvertement antisémite Dieudonné M’Bala M’Bala.

Dans ce climat de sectarisme facile et éhonté, un homme hors du commun a fait une déclaration hors du commun : russe de naissance, européen par son lieu de résidence, Evgeny Kissin est incontesta-blement le plus grand pianiste virtuose du monde. Il est également juif par convic-tion. Profondément choqué par la façon dont Israël est traité par les milieux cultu-rels dans lesquels il évolue, Kissin est allé plus loin que Dershowitz et Weinberg : le 7 décembre, dans un acte de défi, il a pris la nationalité israélienne.

La persistance de l’antisémitisme, le plus ancien des poisons, est l’un des grands mys-tères de l’Histoire. La honte de la Shoah n’a même pas servi d’antidote ; elle n’a fait qu’apporter un répit de courte durée.

—Charles KrauthammerPublié le 10 janvier

par des règlements législatifs et adminis-tratifs qui sont par définition incompa-tibles avec la démocratie. Ces règlements prévoient notamment le déplacement intérieur d’Israéliens palestiniens, des colonies planifiées (en Israël comme en Cisjordanie) qui manipulent les équi-libres démographiques, des restrictions au droit des Arabes à posséder des terres et une censure des discours critiques à l’égard d’Israël.

De nombreux commentateurs sionistes sont quant à eux incapables de voir Israël comme autre chose qu’un espace exclusif pour les juifs. Ils ne peuvent ou ne veulent pas regarder en face l’ethnocratie, un sys-tème de pouvoir qui distribue les privi-lèges en fonction d’identités culturelles arbitraires et mal définies.

—Steven Salaita*Publié le 20 décembre 2013

* Professeur d’anglais à Virginia Tech.

NON

C’est de l’antisémitisme—The Washington Post (extraits) Washington

Pendant des décennies, l’American Studies Association (ASA) a tra-vaillé dans l’ombre et n’en méritait

pas davantage. Ce n’est plus le cas. Elle s’est fait remarquer à la mi-décembre en votant un boycott des universités israé-liennes coupables, à son sens, de fouler aux pieds les droits universitaires et humains des Palestiniens.

Cette accusation ne laisse pas d’éton-ner lorsqu’on sait qu’Israël possède un sys-tème politique éminemment démocratique, la presse la plus libre du Moyen-Orient, une justice farouchement indépendante et une étonnante diversité religieuse et raciale au sein de ses institutions univer-sitaires, qui prévoient même une discri-mination positive en faveur des étudiants arabes. Elle est encore plus surprenante au regard de l’état des droits de l’homme dans les pays voisins d’Israël. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le gouver-nement syrien largue des bombes sur ses propres villes. Qu’attend donc l’ASA pour boycotter la Syrie ?

Voilà qui montre bien que son boycott n’a strictement rien à voir avec les droits

c’est précisément en raison de la discri-mination, que Beinart admet du bout des lèvres. Il n’établit pas la distinction que Beinart aimerait y trouver pour la simple et bonne raison que l’Etat qui réduit à néant la démocratie en Cisjordanie exerce un simulacre de démocratie à l’intérieur d’Israël. Il ne peut y avoir de démocra-tie dans des systèmes juridiques qui créent des hiérarchies d’accès et d’ap-partenance fondées sur de simples cri-tères biologiques.

Les défenseurs du boycott nient “le droit d’Israël à entretenir une politique d’im-migration préférentielle qui fait du pays un refuge pour les juifs”, assure Beinart. “Probablement”, tempère-t-il. Qu’il attri-bue une conviction à un groupe hétérogène d’individus sur une simple présomption est déjà assez troublant en soi, mais le fait qu’il admette soutenir des quotas d’immi-gration inégaux sur des critères d’apparte-nance ethnique – en clair, le déplacement de Palestiniens pour accueillir de nouveaux colons juifs avec la bénédiction des pou-voirs publics – est absolument révoltant.

Plus grave, Beinart est malhonnête lorsqu’il prétend que le “refuge pour les juifs” n’est qu’une expression admise d’humanisme, et non une formule haute-ment polémique qui ancre et renforce les bases juridiques du nettoyage ethnique en Palestine. Israël est un “refuge pour juifs” non dans un vide géographique ou historique, mais en opposition directe aux droits des Palestiniens indigènes, qui eux-mêmes ont besoin d’un refuge contre la violence et le racisme d’Etat qui découlent de la colonisation.

En invoquant la “légitimité” d’Israël, les sionistes expriment en réalité le désir d’Is-raël d’être confié à une majorité de juifs

OUI

Pour dénoncer l’ethnocratie—Alternet (extraits) San Francisco

Le 16 décembre dernier, les membres de l’American Studies Association (ASA) ont voté à une écrasante

majorité [66,05 %] une résolution visant à boycotter les institutions universitaires israéliennes. Ce vote des adhérents surve-nait après que le conseil national de l’ASA eut approuvé la résolution à l’unanimité – suscitant du même coup un débat houleux.

Les réactions des adversaires du boy-cott ont, pour la plupart, été infantiles : menaces de poursuites judiciaires, accu-sations d’antisémitisme, provocations grossières sur les réseaux sociaux, hur-lements d’hystérie… Il y a toutefois eu d’autres réactions qui appellent une ana-lyse sérieuse. L’une est le fait de Peter Beinart [commentateur politique, ancien rédacteur en chef du site Open Zion], qui soutient [dans The Daily Beast] un boycott axé sur les colonies de Cisjordanie, mais pas sur les limites d’Israël fixées en 1948.

Si l’article de Beinart est bienveillant, il n’en comporte pas moins de sérieuses lacunes, notamment sur ses hypothèses non vérifiées. Beinart s’oppose à la résolu-tion de l’ASA, car “elle nie la légitimité d’un Etat juif démocratique, même s’il coexistait avec un Etat palestinien”.

Or, si le boycott cible non seulement les Territoires occupés mais aussi Israël,

CONTROVERSE

Faut-il boycotter les universités israéliennes ?La décision prise par l’Association des études américaines de boycotter ces universités considérées comme solidaires de la politique d’occupation des Territoires palestiniens a déclenché une vague de réactions.

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12. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

France ........... 16Asie ............. 18Amériques ........ 20Moyen-Orient ..... 23Afrique .......... 24

et votre linge qui sèche sur les balcons. J’arrive ! Et ne dites pas que je ne vous ai pas prévenus…

Je m’étais engagée depuis longtemps à vous retrouver pour le réveillon. A Londres. Mais, finalement, j’ai fait la fête à Sofia et me voici aujourd’hui, avec quelques jours de retard, dans l’avion et – bientôt – faisant la queue pour percevoir vos fameuses allo-cations sociales. Je dois avouer que je fais tout ça à contrecœur : je trouve la météo chez vous épouvantable et j’ai des sueurs froides à l’idée de conduire à gauche. Mais je ne voulais pas vous décevoir.

A l’aéroport de Sofia, j’ai quand même dû décider à pile ou face si j’allais m’envo-ler pour Londres ou Berlin : là-bas aussi cela va faire un an qu’ils ne parlent que de ma modeste personne. L’autre jour, les membres du gouvernement se sont même étripés à ce sujet – sans décider pour autant quel sort me réserver : la prison ou l’expul-sion. Finalement, j’ai jeté mon dévolu sur Londres parce que j’ai entendu dire que, dès l’aéroport, je serais accueillie par une foule de journalistes et trois députés. En effet, c’était très sympa : il y avait moi, les

—24 Tchassa Sofia

Chers voisins britanniques ou alle-mands, bonjour. Ce petit mot pour vous informer que, à partir du 1er jan-

vier, je compte vivre à vos crochets. Je suis une immigrée bulgare, une sangsue, un aspirateur à allocations sociales, un pique-assiette, un vandale et un barbare. Pire : je suis une femme. A partir d’aujourd’hui, gardez donc un œil sur vos maris, vos sacs

UE. Bienvenus au club ?

Depuis le 1er janvier, Roumains et Bulgares peuvent accéder librement au marché du travail de l’Union européenne. Mais c’est un climat hostile et xénophobe

qui les attend, souvent pour des raisons électoralistes.

d’uncontinentà l’autre.europe

“Chers amis britanniques, j’arrive !”Bulgarie. Sous le pseudonyme de Lola Montesquieu, une célèbre blogueuse de Sofia raille les peurs britanniques et allemandes.

FOCUS

représentants du peuple britannique et tous ces flashs des photographes. Etre le seul – et tant attendu – immigré est finalement une expérience formidable. Mais qui m’oblige.

Il est vrai qu’en tant que ressortissante d’Europe de l’Est, je n’ai peur de rien. Je peux faire des poivrons farcis juchée sur mes hauts talons tout en remplaçant les fusibles chez moi et en surveillant les devoirs de mathématiques de mon gamin. Pendant les années de socialisme, j’ai développé pas mal de qualités et acquis un fort potentiel technique et scientifique. Donnez-moi, par exemple, une paire de collants en nylon et regardez-moi faire ! Je peux les recoudre à perpétuité : les dessous féminins devaient durer éternellement sous le communisme.

Mais je dois dire que vous, chers conci-toyens européens, vous avez un peu suréva-lué mes capacités. Je dois à la fois incarner ces 180 000 Bulgares et Roumains qui comptent déferler sur l’Allemagne tout en envahissant la Grande-Bretagne, où le nombre d’immigrés devrait atteindre les 12 millions. Certes, je peux faire plusieurs choses à la fois et, en ma qualité de mère qui travaille, il m’arrive souvent d’être à

deux endroits en même temps. Mais je ne peux pas à moi toute seule déferler sur l’Al-lemagne et la perfide Albion.

Vous vous demandez si je suis, de sur-croît, médecin, ingénieur, informaticien ou simple malfrat. Là aussi, je dois vous déce-voir : malgré tous les efforts de mes profs sous le communisme, je ne suis pas bonne en maths et le seul larcin que j’aie commis est celui d’avoir cueilli les cerises de ma voi-sine sans lui demander sa permission. Et vous vous obstinez à penser que je compte bien venir chez vous pour vous piquer vos emplois – les vôtres et ceux des Allemands en l’occurrence.

Vous n’avez franchement rien compris. Je viens de Bul-ga-rie ! Et nous sommes tout sauf des workaholics. Chez nous, on dit par exemple qu’à force de trop travail-ler, on finit par se casser le dos. Lever régu-lièrement le coude en bonne compagnie permet, en revanche, de garder une forme olympique. C’est pour cela que je ne com-prends toujours pas pourquoi vous tenez absolument à ce qu’on vienne vous piquer votre travail précisément le 2 janvier. Ce jour-là c’est la Saint-Basile, la fête de tous

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EUROPE.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 13

La xénophobie, ça peut rapporter gros… Allemagne. Pourquoi les partis au pouvoir à Berlin participent au battage contre le “tourisme social”.

savons que, pour vous, la Roumanie a été, est et sera juste une tache d’encre sur un coin de serviette. C’est l’Histoire qui le dit. Nous sommes pauvres, corrompus et, malheureusement, blasés. Nous en avons assez de nous combattre nous-mêmes, au point de préférer subir l’humiliation d’aller chercher un emploi à l’étranger.

Mais monsieur Farage, maintenant je suis vraiment de votre côté ! J’espère que vous mettrez un maximum de bâtons dans les roues des migrants. Alors, peut-être que les jeunes dont je parlais précédemment ne choisiront plus de s’en aller par-delà nos frontières. Peut-être qu’ainsi nous nous éveillerons de ce sommeil de plomb dans lequel est plongée cette nation [référence à l’hymne national, Desteapta-te romane, littéralement “Réveille-toi, Roumain”]. Dommage que bon nombre de Roumains qui ont quitté le pays avec l’espoir de se réaliser au-delà des frontières aient honte de raconter les humiliations qu’ils ont dû endurer. Il est bon que vous vous battiez, monsieur Farage, et j’espère que vous finirez, comme vous le souhaitez, par sortir de l’UE. Mais n’oubliez pas que, si vous quittez l’Union, il se peut que vous ayez besoin d’un visa pour venir en Roumanie.

Et qu’arrivera-t-il aux banques de la City londonienne ? Qu’en pensent les gens là-bas ? Si tous les Britanniques sont comme vous, alors je vous remercie. Vous m’avez fait aimer encore davantage la Roumanie.

—Vlad EpurescuPublié le 28 décembre 2013

P.S. : Cher monsieur Nigel Farage, tout a un début. J’ai eu l’idée d’écrire ce texte après avoir lu votre échange de lettres avec Ralitsa [Behar, à retrouver sur le site www.presseurop.eu/fr/content/article/3391351-chere-ralitsa-je-ne-deteste-pas-votre-pays], ma collègue de douleur de Bulgarie. Nous, les Roumains, nous attendons habituellement jusqu’à ce que la coupe soit pleine. C’est le cas. Alors trinquons : bonne année !

aux bolcheviques pendant cinquante ans. Chers Britanniques, vous nous avez relégués dans le coin le plus sombre de l’Histoire. Mais, en 1989, je pense que vous vous êtes aussi réjouis de la chute du communisme. Vous alliez trouver ici de nouveaux marchés et de la main-d’œuvre pas chère. Vous n’avez pas bronché lorsque nous avons rejoint l’Union européenne. Vous avez tous voté l’extension des frontières de l’UE. D’un point de vue économique, géopolitique et géostratégique, c’était prometteur pour vous. Vous ne vous êtes pas posé alors la question de la libre circulation au sein de l’Union. Et même maintenant, vous n’êtes pas vraiment contre une certaine ruée des Européens de l’Est vers les pays occidentaux, à savoir celle des jeunes éduqués et ambitieux qui souhaitent y poursuivre leurs études et s’y établir. J’ai lu que la plupart des Roumains ayant émigré au Royaume-Uni ont moins de 35 ans. Grâce à l’exode de jeunes talents qui se sont établis dans votre pays, le Royaume-Uni deviendra, dans quelques années, l’économie la plus forte de l’Union. Si vous en faites toujours partie… Voyez-vous, à Bucarest, je n’ai pas peur de me promener dans les rues la nuit. A Londres, si. Est-ce vraiment parce que tous les voleurs roumains y ont emménagé ? Moi, en tant qu’Européen de l’Est, je me suis senti offensé par vos paroles, du moins au début. Je veux dire, dois-je comprendre que, si je viens en vacances dans votre pays, en bravant la pluie pour y dépenser mon argent, vous en conclurez que je viens voler des portefeuilles dans l’Essex ? Oui, je me suis senti offensé lorsque vous avez sacrifié les Roumains à vos luttes politiques internes, pour grappiller quelques voix aux élections européennes de mai 2014. En revanche, je me réjouis que les Européens de l’Ouest blâment la Roumanie pour sa médiocrité sur le plan législatif. Peut-être que cela fera bouger un peu nos politiciens. Mais, d’un autre côté, comment pouvez-vous avoir l’audace, monsieur Farage, d’affirmer que c’est par la faute des migrants que les politiciens britanniques n’ont pas pu promulguer des lois pour protéger le système et les avantages sociaux ? Comment un pays si développé, qui n’a pas subi cinquante ans de communisme, qui n’a pas été rongé par la pauvreté et par la crainte d’être dénoncé à la Securitate par la personne qui partage votre lit, comment ce pays n’a-t-il pas pu, au moins ces dix dernières années, monsieur Farage, améliorer son système d’éducation ? L’arme favorite de l’Histoire est le boomerang. L’Europe de l’Est a toujours été un paria. L’adhésion à l’Union européenne a représenté également une chance pour les jeunes talentueux, celle de ne plus se faner dans un recoin sombre que l’Occident a abandonné depuis longtemps en l’exploitant seulement conformément à ses intérêts.

Monsieur Farage, à ce que je sais, vous êtes toujours dans l’Union européenne. Et, tant que vous y serez, vous devrez vous soumettre aux lois européennes. Nous

—Adevarul Bucarest

Monsieur Nigel Farage, j’aime la Grande-Bretagne. Sincèrement. J’aime l’architecture néogothique,

j’aime les maisons londoniennes (par là, je ne veux pas dire que je voudrais en cambrio-ler une) et j’aime Oxford Street. Je suis un supporter de Chelsea et j’ai un tee-shirt à l’effigie de John Terry. J’ai lu Francis Bacon, Thomas Hardy et William Shakespeare. J’adore Westminster Abbey et Big Ben. J’avoue, cependant, que l’humour anglais demeure, pour moi, une figure de style.

Je ne sais pas pourquoi, mais depuis peu, à chaque fois que je vois une serviette, je pense à Winston Churchill. Vous savez, l’homme qui a décidé que la Roumanie allait tomber dans la sphère de l’Union soviétique [lors des accords de Yalta, en 1945]. Et nous vous sommes “reconnaissants” de notre appartenance

“Quittez donc l’Union, M. Farage !”Roumanie. Un journaliste roumain s’en prend au chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni.

les Vassil, mes frères britanniques ! Quel Bulgare qui se respecte viendrait travailler à la Saint-Basile ? Ensuite arrivent la Saint-Ivan, la Saint-Iordan, Noël selon le calendrier orthodoxe et, le temps de dessoûler, nous voici à la Trifon Zarezan, la fête des vigne-rons. Suivent Pâques et tous les jours fériés du mois de mai. Ensuite, c’est les vacances à la mer ou à la montagne – un rituel sacré sous nos latitudes. Tout comme les travaux de rénovation obligatoires que l’on entre-prend dans nos barres HLM forcément l’été. Quel est l’idiot qui attendrait les premières pluies pour les réaliser ?

Par conséquent, ne nous attendez pas avant septembre. Et pour nous accueillir, allez plutôt à la gare routière qu’à l’aéro-port. Nous ne prendrons l’avion qu’après nous être bien rempli les poches avec vos allocations sociales. Et préparez-vous bien à nous recevoir : apprenez nos us et cou-tumes, habituez-vous à faire cul sec et ne vous prenez pas trop la tête avec des contin-gences telles que les factures, les impôts et autres balivernes. Relax ! Car si vous vous refusez toujours à prendre la vie du bon côté, on ne viendra pas. Et vous serez obligés de nous verser nos allocations par voie bancaire. Je vous envoie, à ce titre, mes coordonnées bancaires en pièce jointe. Portez-vous bien !

—Lola MontesquieuPublié le 4 janvier

—Der Spiegel (extraits) Hambourg

Si Ali commet un délit, c’est illico retour au pays !” proclamait le NPD [néo-nazi] en 2011. Aujourd’hui, quand la

CSU [Union chrétienne-sociale de Bavière, parti membre de la coalition du gouverne-ment Merkel III] concocte des slogans popu-listes de droite, cela donne : “s’il fraude, il dégage”. Certes, la rime n’y est pas, mais ce slogan-là provient d’un parti qui est membre de la coalition gouvernementale et non du programme électoral d’un groupuscule mis au ban de la société. Mais c’est bien là la seule différence. Qu’elle se cache sous des airs bien pensants ou qu’elle montre ouvertement sa face hideuse, la xénopho-bie est toujours abjecte.

Il est vrai que les élections européennes se tiendront prochainement [22-25 mai]. Les partis de l’Union [CDU-CSU] vont donc, une fois encore, attiser la peur de l’étran-ger. Cette année, il semble que ce soient les Bulgares et les Roumains qui aient été dési-gnés pour servir de boucs émissaires aux dirigeants politiques allemands.

Quand la xénophobie émane du camp gouvernemental, on ne peut plus parler de farce bavaroise inoffensive. Elmar Brok (CDU), eurodéputé et rien de moins que président de la Commission des Affaires étrangères au Parlement européen, n’avait-il pas récemment suggéré de relever les empreintes digitales des étrangers pour pré-venir le “tourisme social” ? Et Volker Bouffier (CDU), ministre-président de Hesse, n’a-t-il pas profité de l’occasion pour renforcer son image de conservateur en demandant que chaque migrant s’“efforce de subvenir à ses besoins par ses propres moyens” ?

Une déclaration qui semble de bon sens, mais qui est perfide : il est manifestement nécessaire de rappeler certaines évidences à nos compatriotes européens. Comme si l’idée ne leur venait pas toute seule. Et sur-tout, tandis qu’on s’indigne que le petit parti bavarois claironne par monts et par vaux ses slogans dignes du NPD, le très honorable Volker Bouffier joue sur le registre xéno-phobe sans se salir les mains. Difficile de croire que les Verts, qui viennent de former une coalition gouvernementale avec lui [la première coalition CDU-Verts dans un Land allemand], n’aient pas pu le savoir avant.

—Jakob AugsteinPublié le 6 janvier

SOURCE

ADEVARULBucarest, RoumanieQuotidien, 187 000 ex.C’est le plus grand quotidien roumain. Il a choisi comme devise “Personne n’est au-dessus des lois”. Son site, récemment relooké, héberge les blogs de plus de 300 journalistes (dont Vlad Epurescu), écrivains et analystes. L’essentiel de son contenu ne se limite plus à la reprise des articles publiés dans la version imprimée, mais s’ouvre largement au débat, notamment sous forme de vidéos. Un virage qui lui vaut un appréciable regain d’audience.

↓ Dessin d’Eva Vázquez paru dans El País, Madrid.

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EUROPE FOCUS BIENVENUS AU CLUB ?14. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

moins que ce que l’Etat a dépensé pour eux. Si Cameron s’attaque aux Polonais, aux Roumains ou aux Bulgares, ce n’est pas parce qu’ils sont un boulet pour le budget. Il veut montrer sa fermeté vis-à-vis de ceux qui, aux yeux de nombreux Britanniques, apparaissent comme responsables de bien des maux, comme les fi les d’attente chez le médecin ou à l’agence pour l’emploi. Ce n’est pas un hasard si Cameron a formulé ses accusations à la veille de la nomination du nouveau chancelier de l’Echiquier, George Osborne, qui annonce des coupes de 25 milliards de livres dans les dépenses sociales si les conserva-teurs se maintiennent au pouvoir en 2015. Ce n’est pas non plus un hasard si depuis les élections locales où les eurosceptiques de l’Ukip ont obtenu 23 % des voix, le Premier ministre britannique joue de plus en plus souvent sur la corde sensible de l’immigration.

Avec ces adversaires sur sa droite, Cameron se radicalise. Mais c’est un jeu dangereux. Il ne peut pas y gagner grand-chose et il ne pourrait pas faire de surenchère face à Nigel Farage, connu pour sa rhétorique musclée. Il y a quelques mois, le chef des travaillistes, Ed Miliband, a ainsi décrit le virage anti-immigration eff ectué par les conserva-teurs : “Un jour, les conservateurs ont traité les gens de l’Ukip de clowns. Aujourd’hui, ils veulent se joindre à ce cirque.”

Sauf que ce cirque se déroule dans un pays qui fait partie de l’UE. Les politiques au pouvoir devraient se rappeler qu’être membre de l’UE consiste à respecter les valeurs et les principes européens.

—Roman ImielskiPublié le 8 janvier

britannique, ces 2 à 3 millions de livres [2,4 à 3,6 millions d’euros] – concernant envi-ron 25 500 enfants polonais et 15 000 ori-ginaires d’autres pays – représentent une somme dérisoire. Les parents en question, qui travaillent et payent leurs impôts, ont les mêmes droits que les Britanniques. Cameron a oublié de mentionner les chiff res avancés par des chercheurs de l’University College de Londres qui affi rment que, pour la période 2010-2011, les immigrés origi-naires d’autres pays de l’UE, de Norvège, d’Islande et du Liechtenstein ont apporté à l’économie britannique 22 milliards de livres net [27 milliards d’euros]. De plus, en termes d’impôts, ils ont payé 34 % de plus que ce que l’Etat a déboursé pour eux sous forme de couverture sociale, éducation ou protection santé. A la même période, les Britanniques ont apporté au fi sc 11 % de

aux parents qui travaillent et payent leurs impôts au Royaume-Uni, mais qui ont laissé leur progéniture au pays. Pour les Polonais de Pologne, les sommes peuvent paraître importantes (81,2 livres [98 euros] par mois pour un enfant et 53,6 pour le second), mais à l’échelle du budget

—Gazeta Wyborcza (extraits)Varsovie

David Cameron veut marquer des points chez ses compatriotes eurosceptiques et couvrir les dif-

ficultés de son propre gouvernement en alimentant dangereusement l’am-biance xénophobe et en remettant en question un des principes de l’Union européenne, la libre circulation des citoyens et les avantages qui en résultent.Le dimanche 6 janvier, une fois de plus, il s’en est pris aux Polonais, menaçant de couper les allocations accordées

Les étrangers ne sont pas un boulet Royaume-Uni-Pologne. A l’approche des élections législatives de 2015, David Cameron oublie combien les étrangers contribuent au bien-être du pays.

Polémiques●●● Après la déclaration du Premier ministre britannique, Radoslaw Sikorski, ministre des Aff aires étrangères polonais, a réagi via Twitter. “Si la Grande-Bretagne reçoit nos contribuables, ne devrait-elle pas payer aussi des prestations en leur faveur ? Pourquoi les contribuables polonais devraient-ils subventionner les enfants des contribuables britanniques ?”Dans un blog pour le Daily Telegraph, James Kirkup, chef du service politique du quotidien britannique, constate que “la colère de M. Sikorski est signifi cative. Diplômé d’Oxford, il a été citoyen britannique. De plus, il a écrit pour le Telegraph, donc, forcément, ce doit être un brave type.”“Je me demande pourquoi, franchement, nous ne sommes pas beaucoup plus positifs sur nos amis polonais chez nous et là-bas : ils aiment

travailler dur. A la fi n d’une dure journée de travail, ils aiment boire une bière. A la fi n d’une dure semaine de travail, ils vont à l’église. N’est-ce pas un mode de vie assez proche du mode de vie idéal chéri par tant de Britanniques ?”Selon le journaliste, le Premier ministre britannique serait bien inspiré à l’avenir de ne pas réitérer ce genre de bourde diplomatique. “Si M. Cameron veut obtenir des concessions de l’Europe, il aura besoin de convaincre son parti et son électorat que les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sont vraiment en train de changer ; il aura donc besoin d’amis en Europe, des amis comme M. Sikorski. Mais comme la réaction de M. Sikorski le démontre, la rhétorique de Cameron risque de lui coûter des amis. Que la politique est diffi cile !”

↓ Dessin de Niels Bojesen paru dans Jullands-Posten, Copenhague.

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EUROPE.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 15

franceculture.fr

en partenariat avec

—El Siglo de Europa (extraits) Madrid

L’effondrement de la mo- narchie est-il arrivé ? Est-il tout proche ou encore très

loin ? La Zarzuela [résidence des rois d’Espagne] parviendra-t-elle à sauver le roi de sa solitude et de ses ennuis de santé ? Juan Carlos Ier devrait-il abdiquer dès que pos-sible et laisser sa place au prince héritier de la couronne avant qu’il ne soit trop tard ? Quoi qu’il en soit, la monarchie n’a jamais connu d’heures aussi sombres. Après avoir été ces dernières années la garante de la stabilité politique, elle est devenue une institution de plus en plus instable.

Le juge José Castro a porté le coup de grâce dans l’aff aire Nóos [aff aire de corruption politique impliquant le gendre du roi, Iñaki Urdangarín, époux de Cristina] et il peut maintenant jeter son dévolu sur l’infante Cristina. La pression contre la mise en accusation est très forte. Qui irait s’imaginer que

la justice est la même pour tous ? Ce qui est en jeu, c’est non seule-ment Cristina, mais le monarque lui-même. Et, au fond, l’avenir de la monarchie. Iñaki Urdangarín est grillé [mis en cause fi n 2011 dans l’aff aire Nóos pour détour-nement de fonds, prévarication, blanchiment d’argent,…]. L’infante aussi, quoi qu’il arrive. Le roi a perdu la confi ance de la majorité des citoyens de notre pays. A ce stade, vouloir tenter de la retrou-ver serait un exercice pratique-ment inutile. Il ne reste plus sur l’échiquier que [son fi ls] Felipe de Bourbon et Letizia [son épouse].

N’ayez pas peur ! Selon toute vraisemblance, l’avenir de la monarchie est entre leurs mains. Mais il ne suffi t pas qu’ils s’ac-quittent correctement de leurs obligations de couple royal. Il faut réinventer la couronne. Il faut déga-ger le plus grand charisme possible. Il faut changer ostensiblement une institution qui échappe au verdict des urnes. De fait, Felipe

devra être le roi des pauvres et des plus faibles, sans oublier bien sûr la classe moyenne. Il devra garder le contact avec les gens simples, mais aussi rester en prise avec les grands entrepreneurs et les plus riches.

Sinon, ce sera la IIIe République. Il n’y a pas de quoi en faire un plat. Ce n’est pas la IIe République qui nous a entraînés dans la guerre civile [guerre d’Espagne]. Ce sont les militaires et les phalangistes putschistes – aidés par les nazis et les fascistes – qui ont balayé la république pour lui substituer une monarchie absolutiste, confession-nelle et médiévale. Il ne s’agissait donc pas d’une monarchie, mais d’une dictature, menée par un caudillo sanguinaire. A la mort de Franco, Juan Carlos Ier a pris le virage de la démocratie, deve-nant ainsi le chef de l’Etat. Il l’est encore aujourd’hui. Mais le passé est le passé, et nous sommes dans le présent, avec une monarchie chancelante. Il faut soit promou-voir une monarchie profondément rénovée, sans avoir peur des urnes, soit aller vers la IIIe République. La république fait peur ? L’actuelle monarchie chancelante est bien plus eff rayante.

—Enric SopenaPublié le 13 janvier

Un roi qui ne veut pas partirL’abdication de Juan Carlos serait une sage décision, mais les conditions pour une république ne sont pas encore réunies.

Quant à la gauche majoritaire, celle du Parti socialiste ouvrier espagnol [PSOE], de tradition républicaine, elle reste fi dèle à la monarchie parlementaire pour des raisons de stabilité politique.

Le monarque peut encore comp-ter sur le soutien des deux grands partis du pays mais la dégradation de l’institution est bien réelle, et si ce phénomène se poursuit il sera diffi cile pour le PSOE, en pleine ébullition, de continuer à appor-ter son soutien à la monarchie.

La solution la plus raisonnable serait que Juan Carlos abdique, ce qu’il persiste à refuser catégorique-ment, comme Louis XV avant lui. L’abdication ne va pas tout résoudre et avec le temps qui passe elle pour-rait arriver trop tard. La monarchie fi nira par être considérée comme un anachronisme par les nouvelles générations. Les jeunes n’ont pas vécu l’appréhension des plus âgés d’entre nous à la mort de Franco et ils ne comprennent pas que la fonction de chef de l’Etat puisse être héréditaire.

Si elle veut perdurer, la mo- narchie doit démontrer son utilité, comme elle l’a fait par le passé. Or comme l’institution et la personne du roi ou sa famille se confondent facilement, la famille royale doit se montrer exemplaire, ce qui n’est vraiment pas le cas. Pour le moment, la monarchie appa-raît plus comme un problème que comme une solution pour le pays.

—José García AbadPublié le 8 janvier

ESPAGNE

Réinventer la couronneL’inculpation de l’infante Cristina relance le débat sur la monarchie : il faut changer de roi et de style ou passer à une république.

SOURCE

EL SIGLO DE EUROPAMadrid, EspagneHebdomadaire, 30 000 ex.www.elsiglodeuropa.esFondé en 1992 et clairement situé à gauche, cet hebdomadaire indépendant des grands groupes affi che un républicanisme rare dans la presse espagnole.

—El Plural Madrid

L’inculpation de l’infante Cristina [pour détourne-ment de fonds] est une

étape importante dans la longue marche de la monarchie vers le sui-cide institutionnel. Cette décision sans précédent en Espagne – et dans les pays européens qui main-tiennent cette forme de gouver-nement – aff ecte la famille royale et touche le cœur même de l’ins-titution puisque l’infante arrive septième dans l’ordre de succes-sion. Par ailleurs, l’aff aire Nóos met en avant la complicité du roi Juan Carlos qui, par ses interven-tions dans le monde des aff aires et son goût pour les cadeaux hors de prix, a ruiné l’important capital de sympathie dont il bénéfi ciait.

Dire qu’en Espagne il n’y a pas de monarchistes mais plutôt des juancarlistes est devenu un cliché. Et voilà le nœud du sujet : comment le juancarlisme peut-il survivre si la popularité de Juan Carlos est en berne, puisqu’à en croire les son-dages il serait encore moins popu-laire que son fi ls [Felipe], le prince des Asturies ?

Je parle de “longue marche” parce que selon moi les conditions ne sont pas encore réunies pour l’avènement d’une alternative répu-blicaine. Pour une grande partie de la droite sociologiquement franquiste, république équivaut à révolution, et même si elle reste réticente à l’égard du roi à cause de sa “trahison” envers Franco, elle est prête à avaler toutes les couleuvres par crainte de ce qui pourrait remplacer la monarchie.

SOURCE

EL PLURALMadrid, EspagneSite d’information en lignewww.elplural.comFondé en 2005, le titre se défi nit comme un journal progressiste proche du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Le journaliste catalan Enric Sopena, qui le dirige depuis ses débuts, en est aussi devenu le propriétaire en 2010.

↙ Dessin de Capdevila, Espagne.

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france

16. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

affichent la plus grande incompréhension devant l’indignation morale qui s’abat géné-ralement sur les politiciens britanniques et américains dont la vie privée attire l’atten-tion des médias.

Mais les vieux protocoles sont en train de changer, et ils changent vite. Le prédé-cesseur de François Hollande, le président adepte des gros titres Nicolas Sarkozy, a démoli des traditions séculaires en révé-lant lors d’une conférence de presse qu’il sortait avec l’ex-top modèle Carla Bruni, ce qui a poussé son ex-femme, Cécilia, à le décrire très justement comme étant “ridi-cule” et “pas digne”. “Il ne fait pas président de la République”, a-t-elle dit. Et pour faire bonne mesure elle a dépeint les femmes qui lui plaisaient comme des “pétasses fardées”.

Ironie des choses, c’est le dégoût suscité chez les électeurs par la présidence aux allures de soap opéra de Sarko qui a permis à Hollande de lui succéder. Le public s’est dit que comme ça il savait ce qui l’attendait, et dans un sens il n’a pas été déçu. Le nou-veau chef de l’Etat était l’exemple type du fonctionnaire du Parti socialiste moderne. Il n’avait jamais exercé de vraie profession dans sa vie, mais il avait passé les trente années et plus qui s’étaient écoulées depuis sa sortie de l’université à occuper des postes ingrats au sein du parti tout en gravissant lentement les échelons.

Dans les couloirs, il était appelé “mon-sieur Mécano” pour sa capacité à arranger des compromis entre les factions enne-mies du parti. Ce talent lui a valu d’être applaudi, mais a plus tard révélé une inca-pacité à décider.

Ce défaut n’a été nulle part plus flagrant que dans sa vie sexuelle.

Lorsqu’il était étudiant à l’Ecole nationale d’administration, l’établissement d’élite qui fabrique les bureaucrates français, il a ren-contré Ségolène Royal, une camarade à la coiffure impeccable et aussi obsédée que lui par la politique, avec laquelle il a eu quatre enfants mais qu’il n’a jamais épousée. Dans le grand appartement du couple, avenue de Breteuil, le mariage n’était pas consi-déré comme une chose importante. Ce qui comptait, c’était lequel des deux entrerait le premier à l’Elysée.

Mais voilà qu’arriva Valérie Trierweiler, journaliste à Paris Match, chargée par sa rédaction de couvrir la fascinante rivalité politique du couple. Avec une Ségolène prête à lui arracher les yeux et une Valérie cram-ponnée à son amant de toutes ses forces, Hollande finit par décrocher le plus haut poste de l’Etat en mai 2012. Pendant la cam-pagne électorale, il s’était présenté comme “monsieur Normal” et, comme l’ont rapide-ment fait remarquer certains esprits acérés, il disait la vérité à moitié : celle qui fait “mal”.

—The Daily Telegraph Londres

Pouah !” ont pensé les Français lorsque François Hollande, un politicien au charisme d’endive, est devenu pré-

sident, il y a deux ans. Au moins avaient-ils échappé au premier favori, Dominique Strauss-Kahn, dont l’incapacité notoire à garder ses pantalons* au-dessus des genoux aurait certainement entraîné le pays dans un scandale sexuel embarrassant.

François était peut-être ennuyeux, mais son obsession à lui était d’écraser le pays d’impôts, ce qui allait au moins épargner au personnel de ménage de l’Elysée toute crainte d’agression sexuelle.

De toute façon, le nouveau président avait amené avec lui une Première petite amie délicieuse, une certaine Valérie Trierweiler, une journaliste bien faite et amatrice de jupes fendues.

Lorsque Valérie a monté l’escalier de marbre de l’Elysée sur ses talons hauts en laissant derrière elle des effluves de parfum onéreux, la lueur de triomphe de ses yeux a laissé augurer qu’elle ne serait pas facile à déloger.

La semaine dernière, Mme Trierweiler, 48 ans, a dû soupeser ses options en voyant un magazine étaler sur sept pages en papier glacé une relation présumée entre François et l’actrice française Julie Gayet, 41 ans.

La classe politique s’est, comme il se doit, répandue en invectives moralisatrices sur le caractère sacré de la vie privée, mais la question qui brûlait la plupart des lèvres était : “Comment fait-il ?”

Soap opera. On peut pardonner au socia-liste, récemment nommé pire homme poli-tique du monde et se situant de plus en plus profond dans l’impopularité nationale, d’avoir cherché du réconfort quelque part. Son incompétence fait le désespoir de son gouvernement, et dans les recoins sombres des vieux restaurants de la rive gauche on parle de plus en plus d’un coup d’Etat* consti-tutionnellement acceptable qui permettrait de se débarrasser de lui.

Pour les électeurs, le plus important, ce ne sont pas les croissants*, c’est la croissance* économique, ou plutôt son absence notable depuis que Hollande est arrivé au pouvoir. Productif pour ce qui est de pressurer les contribuables français et de chasser qui-conque voudrait honnêtement gagner deux sous*, le président s’est montré pour le reste tellement inefficace qu’un rapport publié la semaine dernière dans The Economist affirme que la France va encore plus mal que la Grèce.

Tout cela risque fort de neutraliser l’admi-ration fugace que Hollande aurait pu attendre d’un pays qui prend les ébats conjugaux de ses dirigeants avec un calme impressionnant. “Songez à l’embarras dans lequel nous aurions été si un autre que moi avait fait cette décou-verte”, aurait dit le duc de La Rochefoucauld après avoir surpris sa femme au lit avec un amant. Aujourd’hui encore, les Français

Hollande n’arrive jamais à se décider et les femmes le mènent par le bout du nezPolitique.

Les Anglais s’en donnent à cœur joieLa presse conservatrice britannique prend le prétexte de l’affaire Hollande-Gayet pour tomber à bras raccourcis sur le président socialiste.

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FRANCE.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 17

Il est diffi cile de n’éprouver aucune sym-pathie pour ce fi ls de médecin de province qui n’arrive jamais à se décider, se laisse mener par le bout du nez par les femmes et a vécu toute sa vie loin des corvées quo-tidiennes. Tous les pamphlets électrisants du Parti socialiste lui disaient que malme-ner les riches et les entreprises résoudrait les problèmes du pays. Au lieu de cela, il s’est fait descendre en fl ammes pour avoir voulu augmenter les taxes sur le Nutella, la pâte à tartiner adorée des petits déjeuners fran-çais, et contrôler les travailleurs.

Question périlleuse. Maintenant il doit s’occuper du délicat problème du statut offi ciel de Valérie. Lorsqu’elle est arrivée à l’Elysée, on lui a attribué de facto le statut de Première dame bien que la France ne recon-naisse pas ce rôle. Elle a profi té depuis de tous les avantages d’être une femme de pré-sident, avec un personnel nombreux et un budget généreux. Si elle a été remplacée, les contribuables vont se demander avec raison pourquoi ils paient, et ce seul point confère aux révélations de Closer un intérêt public.

Pour François, la question est encore plus périlleuse. Les retombées de sa nou-velle aventure présumée vont-elles le dis-traire de son devoir ? Si c’est le cas, le pays s’en portera peut-être mieux.

—William LangleyPublié le 12 janvier

* En français dans le texte.

IL GIORNALE(Italie)“Le couple explose”, titre le quotidien berlusconien au sujet du diff érend entre le président du Conseil italien et le président du Parti démocrate. Mais cela vaut évidemment pour François Hollande et Valérie Trierweiler.

“Après l’escapade de Hollande, la première dame, trahie, fi nit à l’hôpital”, titre par ailleurs le journal. THE TIMES(Royaume-Uni)“‘Oui, monsieur le Président’. La comédienne, le scooter et une aff aire d’Etat”. Comme le reste de la presse conservatrice britannique, le quotidien se moque des frasques du président socialiste.

TA NEA(Grèce)“Valérie déprime,Hollande en état de siège”. C’est ce que titrait le quotidien athénien le 14 janvier, précisant que “le président français [était]

attendu à sa conférence de presse annuelle”. Mais “il devra répondre de sa vie privée, au moment où sa compagne a du mal à se remettre de la publicité faite par un magazine people qui le montre allant retrouver sa maîtresse”. Et le journal de conclure : “Les Français sont pudiques, mais l’aff aire les passionne.”

Vu deHong Kong

Hollande n’est pas un surhommeLa vie privée du président prouve qu’il ne s’est jamais enfermé dans l’image d’un homme parfait, ce qui est très rassurant.

—Shun Po (Hong Kong Economic Journal) Hong Kong

En voyant la fière allure du pré-sident de la République, casque sur la tête sur un scooter (dont il

n’était malheureusement que le passa-ger), on ne peut s’empêcher de soupirer d’admiration : ah, cette France roman-tique, avec sa tradition révolutionnaire, toujours aux avant-postes du monde ! Quelqu’un comme Poutine ne sait que bomber un peu le torse pour donner de

lui l’image d’un vrai homme, séduisant et déterminé.

Quant [au dirigeant nord-coréen] Kim Jong-un, c’est un cas extrême : on ne peut que s’inquiéter pour celle qui partage sa couche, Ri Sol-ju, car comme dit le proverbe : “Côtoyer un seigneur est aussi dangereux que côtoyer un tigre”.

Mais quelle position doit adopter dans cette aff aire Hong Kong, cette métropole cosmopolite où se heurtent au quotidien les traditions chinoise et étrangère, ce grand creuset, cette cuve de teinturier où se mélangent chaque jour l’ancien et le nouveau ? Doit-elle accepter ou refuser ce genre d’attitude ?

Même aux Etats-Unis, la respectabilité est de mise ; tout y est très conventionnel, avec un couple [présidentiel] marié. Pendant la campagne électorale, la famille se presse autour du candidat pour lui apporter son soutien, et lorsque le président prête serment, c’est avec ses enfants à ses côtés. Voilà l’image de sérieux absolu d’un homme politique américain respectueux des coutumes.

Pieds sur terre. L’histoire des présidents de la République en France est émaillée de nombreux scandales d’alcôve. Mais ici, ce qui rend encore plus fantastique cette aff aire se déroulant à l’ombre de la tour Eiff el, de Victor Hugo, Balzac, Sartre ou Camus, c’est que le président, loin de monter sur ses grands chevaux, s’est contenté [juste après les révélations du magazine Closer] de faire une déclaration à titre personnel en dénonçant une “atteinte à sa vie privée”, souhaitant qu’on la respecte comme celle de tout citoyen. Après tout, il a toujours une Première petite amie, avec laquelle il habite et qui l’accompagne dans ses déplacements offi ciels. François Hollande s’est targué d’être un “président normal” et, comme de nombreux Français, il habite avec sa compagne sans être marié. Cependant, est-il vraiment important de savoir comment il passe ses nuits, dès lors qu’il ne perd pas complètement la tête et qu’il n’abuse pas du pouvoir (demander à ses gardes du corps d’aller lui acheter des croissants pour le petit déjeuner prouve qu’il garde les pieds sur terre !).

Les Chinois attachent une grande importance à la morale, mais, ces dernières années, il est courant d’entendre dire que, dès lors qu’un homme politique obtient de bons résultats, l’opinion publique ne doit pas s’immiscer inutilement dans sa vie privée.

En laissant échapper cet aspect de sa personnalité, le président de la République montre qu’il ne s’est jamais enfermé dans l’image d’un homme parfait ou d’un surhomme.

Et à Hong Kong, quand sera-t-on prêt à accepter un célibataire ou un homosexuel à la tête de l’exécutif ?

—Bernadette Tsui Wing SuenPublié le 13 janvier

A la une

↙ Dessin de Burki paru dans 24 Heures, Lausanne.

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18. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

—Le Temps Genève

De New Delhi

L e Bangladesh s’enfon ce dans l’instabilité, alors que la Première ministre Sheikh

Hasina a maintenu dimanche 5 jan-vier, dans un climat de violence, un scrutin controversé et boy-cotté par l’opposition. Le dépouil-lement des bulletins s’est déroulé sans surprise : avant l’ouverture des 18 000 bureaux de vote, la victoire de l’alliance au pouvoir, dirigée par Sheikh Hasina et son parti, la Ligue Awami, était acquise. Car 153 de ses candidats n’avaient aucun opposant, sur un total de 300 sièges. De facto, la formation du gouvernement leur est assurée.

Pour encadrer ce scrutin tron-qué, les autorités ont déployé 375 000 membres des forces de l’ordre et 50 000 soldats. Mais les affrontements ont été l’ordinaire de la journée. Près de 380 bureaux de vote ont dû renoncer à fonc-tionner en raison d’attaques, et au moins 18 militants ont été tués dans différents heurts. Les médias rapportent une très faible partici-pation des 90 millions d’électeurs appelés aux urnes, et la commis-sion électorale s’est abstenue de livrer les estimations. Face à l’ab-sence de crédibilité de ces légis-latives, les pays occidentaux ont renoncé à envoyer des observa-teurs. Le scrutin était à l’image de l’insécurité régnante et de la

plus grave crise politique qu’ait connue le Bangladesh depuis sa création en 1971.

L’entêtement de la Première ministre Sheikh Hasina à former un gouvernement d’union natio-nale pour diriger les élections se trouve à l’origine du boycott élec-toral. Selon les principes constitu-tionnels antérieurs, elle aurait dû installer, trois mois avant le scru-tin, un pouvoir intérimaire neutre, placé sous autorité militaire. Mais la dame de fer de Dacca a aboli ce système, craignant un coup d’Etat

de l’armée, qui n’en est pas à ses premiers essais. En restant au pou-voir, elle a aussi favorisé sa coali-tion, dont la popularité était en chute libre aux élections locales. L’opposition, dirigée par sa grande rivale Khaleda Zia et le Parti natio-naliste du Bangladesh (BNP), a dénoncé une manipulation poli-tique. La dispute a dégénéré et gagné les supporters des deux camps. Plus de 150 personnes ont perdu la vie durant la campagne. L’ex-Première ministre Khaleda Zia a appelé au boycott du scrutin, qualifié de “farce scandaleuse”, puis à une grève générale. Suivant sa ligne jusqu’au-boutiste, et malgré les appels internationaux, elle n’a pas cédé d’un pouce, tout comme son implacable rivale.

La guerre de pouvoir entre les deux bégums mine la politique du Bangladesh. C’est dans ce jeu de la surenchère que s’inscrit la montée du courant islamiste, cour-tisé par un BNP en quête d’alliés. L’affrontement des deux femmes s’est durci, tout comme les idéo-logies qu’elles incarnent : le BNP conservateur et proche des mou-vances islamistes contre la Ligue Awami, parti de centre gauche laïque et socialiste, dans un pays peuplé à 90 % de musulmans. Depuis septembre 2012, le cycle des violences est ininterrompu. 2013 a été l’année la plus meurtrière de l’histoire du pays, avec un bilan de 300 à 500 victimes. “Alors que le gouvernement a refusé d’œuvrer pour des élections inclusives, l’oppo-sition s’est quant à elle compromise dans une violence sans précédent”, dénonce l’éditorial du quotidien The Daily Star. “Le recours à la vio-lence par l’opposition est un crime contre le peuple”, ajoute-t-il. Sur les réseaux sociaux se lit le pessimisme des Bangladais. “Pourrait-on avoir la liste des bureaux de vote qui ne sont pas attaqués ?” ironise Fahmida. “De quel vote parle-t-on ?” com-mente Shanta. Ou Shaheen, qui s’attriste : “Est-ce là le Bangladesh que nous méritons ?”

L’escalade des violences s’ex-plique notamment par la tourmente née de l’institution d’un tribunal de guerre, en mars 2010, par Sheikh Hasina. Baptisé “Tribunal inter-national des crimes”, et cela sans aval international, il a prononcé des condamnations contre de hauts dirigeants de l’opposition, en particulier ceux de la Jamaat-e-Islami. Avec ces verdicts s’est rouvert le chapitre noir des mas-sacres de la guerre de 1971 [le Pakistan oriental a fait sécession

du Pakistan occidental et proclamé son indépendance sous le nom de Bangladesh, avec l’aide de l’Inde]. La guerre a fait 3 millions de morts et opposait les islamistes propa-kistanais aux indépendantistes alliés de l’Inde. Mais les condam-nations prononcées uniquement à l’encontre de membres de l’op-position mettent en question les véritables motivations de Sheikh Hasina. Les procès, perçus comme instrumentalisés, ont exacerbé les forces radicales, qui ont mul-tiplié les attaques contre les forces de l’ordre, les biens publics, mais aussi contre les minorités [notam-ment les hindous] du Bangladesh.

Avec la perspective d’un Par-lement sans opposition, les dés démocratiques sont faussés. “Et demain ?” s’interroge l’analyste Ashfaqur Rahman : “Le BNP et les autres partis d’opposition ne vont pas accepter les résultats. Cela augure une longue période d’insta-bilité et de violences.” La commu-nauté internationale aura elle aussi du mal à cautionner le gou-vernement de Sheikh Hasina, à l’exception probable de l’Inde. Dans un tel climat, les analystes soulignent la nécessité cruciale d’une “réconciliation nationale” : enterrer la hache de guerre entre les deux coalitions, pour la paix au sein d’une population extrê-mement pauvre et pour la survie de la démocratie au Bangladesh.

—Vanessa DougnacPublié le 4 janvier

Violences et guerre de pouvoir entre la Première ministre et sa principale opposante : les plaies du passé ne sont pas refermées, et l’incertitude règne quant à l’avenir du pays.

Bangladesh. Le bras de fer des deux bégums

↙ Dessin de Falco, Cuba.asie

A la une

APRÈS LES ÉLECTIONSLe 12 janvier, le nouveau gouvernement bangladais, élu dans des conditions très difficiles le 5 janvier, a prêté serment. La Première ministre Sheikh Hasina conserve le pouvoir, avec, comme le montre le quotidien en bengali le plus lu dans le pays, Prothom Alo, un cabinet de 49 ministres, dont 24 nouvelles têtes. Mais sa légitimité est contestée par l’opposition, qui a boycotté le scrutin, et par de nombreux observateurs étrangers.

L’opposition qualifie les élections de “farce scandaleuse”

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ASIE.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 19

LE MOT DE LA SEMAINE

“gongkai”rendre public

Il y a un an, le nouvel homme fort de la Chine, Xi Jinping, lançait une campagne contre la corruption.

Cette initiative suscita l’espoir. Certains pensaient que des mesures visant à la transparence de la vie publique seraient mises en place dans ce cadre – la publi-cation du patrimoine des dirigeants est bien plus effi cace pour lutter contre la corruption qu’une punition administra-tive du haut vers le bas. Du coup, cer-tains dénoncèrent les corrompus sur les microblogs, d’autres descendirent dans la rue pour réclamer la publication du patrimoine des fonctionnaires. Les plus optimistes parièrent sur un début de transparence dès 2013.

Le Pr Fan est l’un des meilleurs repré-sentants de ce courant. Il a juré que tous les fonctionnaires au niveau du canton et du district dévoileraient le montant de leur fortune personnelle. Un an plus tard, les internautes dénon-çant la corruption des hauts cadres du Parti ont été censurés ; ceux qui récla-maient la transparence ont été arrêtés. Ceux qui avaient parié sur la transpa-rence ont donc perdu.

M. Fan est le seul à avoir annoncé dès le début une suite à son pari. S’il n’obtenait pas ce qu’il annonçait, il se mettrait à quatre pattes pour se punir. Autrement dit, il avait programmé un an à l’avance une manifestation contre le refus de l’application de la transpa-rence. Alors, était-il vraiment optimiste ou a-t-il délibérément prévu son coup ? En raison de ce geste peu ordinaire, la presse en parle, les réseaux sociaux s’enfl amment, l’exigence de transpa-rence revient au centre du débat public.

Pourtant, cette action n’incite guère à l’optimisme. Une manifestation à genoux n’a rien de réjouissant ! Quant aux cibles choisies par M. Fan, ce sont des fonc-tionnaires locaux. Pour être effi cace, la publication de la fortune personnelle devrait concerner en premier lieu le cœur du pouvoir.

—Chen YanCalligraphie d’Hélène Ho

—Zhongguo Qingnian Bao Pékin

Le jour de l’an, le professeur de droit Fan Zhongxin a parcouru un kilo-mètre à quatre pattes sur la rive sud

du lac de l’Ouest, à Hangzhou [dans le sud-est de la Chine]. Un an plus tôt, ce célèbre spécialiste de l’histoire du droit avait parié sur son blog qu’en 2013 toutes les munici-palités et provinces chinoises (à l’excep-tion des régions autonomes de minorités ethniques) obligeraient leurs fonction-naires de rang préfectoral et cantonal à rendre public l’état de leur patrimoine. Il s’était engagé, s’il perdait, à “accomplir un kilomètre à quatre pattes comme punition”.

Malgré l’épreuve douloureuse qu’il a dû s’infl iger, M. Fan reste persuadé que la publication des biens des fonctionnaires devrait progresser au cours des trois à cinq

prochaines années. Nul n’est tenu d’imiter sa démarche, mais sa détermination ne peut laisser indiff érent. En fait, les citoyens qui réclament la même chose que M. Fan ne sont pas rares. Cela fait longtemps que les spécialistes comme les simples quidams attendent que l’obligation de transparence pour les fonctionnaires devienne réalité. Mais, en dépit des eff orts réalisés ces der-nières années localement, cet espoir tend à s’enliser dans le tourbillon médiatique.

Cependant, les vicissitudes des tenta-tives locales de publication des patrimoines, comme le pari perdu du Pr Fan, convergent peu ou prou vers un point qui se rapproche. Autrement dit, même si les résistances restent fortes et malgré certains faux pas inévitables, on assiste actuellement à la for-mation d’un consensus qui constitue une solide base populaire en faveur de la publi-cation du patrimoine des agents de l’Etat.

De fait, l’ouverture politique passe forcé-ment par ce genre de mesure précisant les devoirs des personnes impliquées dans les aff aires publiques. Une telle transparence participe des principes fondamentaux de fonctionnement d’une société moderne, mais va également de soi si l’on veut établir une nette distinction entre pouvoir public et intérêts privés. Plus vite des mesures seront prises en ce sens et plus complètes elles seront, plus la crédibilité et l’autorité du pouvoir en sortiront renforcées.

De plus, eu égard au développement économique et social, la publication des patrimoines des agents de l’Etat ne pose désormais plus aucun problème sur le plan technique. Naturellement, dans cette démarche, il convient d’être guidé par un souci d’exactitude, mais aussi de prendre en compte la capacité de la société à sup-porter ce procédé qui doit se mettre en place progressivement et de manière ordon-née [allusion aux fortes résistances à cette publication parmi les cadres].

Dans le “Plan 2013-2017 pour l’établis-sement d’un système de prévention et de répression de la corruption”, publié par le Comité central à l’issue du 3e plénum du XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois [en novembre 2013], il est claire-ment indiqué qu’il faut “perfectionner le système de communication par les cadres dirigeants de leurs informations personnelles, promouvoir à titre d’essai un système instau-rant plus de transparence à propos des hauts fonctionnaires nouvellement recrutés et éla-borer des dispositifs de contrôle des postes occupés par des agents de l’Etat dont le ou la conjoint(e) a émigré dans un pays étranger”.

Il y a trop longtemps que la population attend avec impatience la publication du patrimoine des fonctionnaires. L’heure est venue de prendre des mesures concrètes et effi caces en ce sens. L’action seule empê-chera que la population ne désespère et mettra fi n à de telles “performances artis-tiques” en forme de pari !

—Hu YinbinPublié le 7 janvier

CHINE

A quatre pattes au nom de la transparenceEn pleine campagne anticorruption, un juriste avait pariéque la clarté sur les biens des fonctionnaires gagnerait du terrain en 2013 – sinon, il s’engageait à eff ectuer un kilomètre à quatre pattes… Bingo !

31HAUTS RESPONSABLES NATIONAUX ont fait en 2013 l’objet d’une enquête de la Commission de la discipline du Parti, dont 8 qui ont été renvoyés devant la justice, écrit le site offi ciel Zhongguo Xinwen Wang. 182 000 fonctionnaires ont fait l’objet de sanctions émanant du Parti ou de l’administration, 36 907 d’entre eux ont été poursuivis pénalement pour corruption.

↙ Dessin de Balaban, Luxembourg.

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REPORTAGE

20. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

amériques ↙ Dessin de Mayk, paru dans Sydsvenskan, Malmö.

Avoir un casier judiciaire est un handicap majeur pour les Américains qui cherchent un emploi. Des millions de repris de justice, appartenant souvent aux minorités raciales, enchaînent les boulots précaires.

Etats-Unis. Condamnés à une vie de galère

ne modifi ait pas l’idée de base – écarter toute personne ayant un casier judiciaire a un impact disproportionné sur les Noirs et les Latinos, et viole donc la loi sur les droits civiques –  mais préci-sait aux employeurs comment rester du bon côté de la loi. En bref : si vous vérifi ez les antécé-dents d’une personne, vous devez également vous assurer que les renseignements sont exacts et prendre en compte les particula-rités de l’intéressé. L’expérience de Rivera est exactement le genre de chose qui n’est pas acceptable.

Disparités raciales. Il n’existe pas de statistiques sur les travail-leurs ayant un casier judiciaire, mais le National Employment Law Project (NELP) [une asso-ciation de défense des travail-leurs peu rémunérés] les estimait à 65 millions en 2010 – soit 28 % de la population adulte, un chiff re ahurissant. Nombre d’entre eux ont fait l’objet d’une vérifi cation de leurs antécédents. Selon une étude de 2010 citée par l’EEOC, 92 % des gros employeurs procè-dent à ce type d’enquête.

Les millions de personnes qui sont exclues du marché du travail à cause de leur casier judiciaire ne restent pas sans rien faire. Elles enchaînent les emplois à temps partiel, déclarés ou non, et alimen-tent une économie souterraine semblable à celle qui exploite les travailleurs sans papiers.

Bien des choses ont été dites sur l’augmentation spectaculaire du taux d’incarcération aux Etats-Unis ces trente dernières années. Mais on aurait du mal à exagé-rer son ampleur ou l’intensité des disparités raciales en la matière. En 2000, 3 % de la population étaient soit sous les verrous, soit condamnés avec sursis, soit en liberté conditionnelle – un taux sans équivalent dans le monde. Comme le démontre Michelle Alexander, l’auteur de The New Jim Crow [La nouvelle discrimi-nation, non traduit], ce phéno-mène aff ecte les personnes de couleur de façon disproportion-née et renforce la forte inégalité raciale qui règne dans tout le pays.

La marijuana est devenue le moteur de cette inégalité. L’Union américaine pour les libertés civiles [ACLU, principale asso-ciation de défense des libertés civiles] a rapporté l’été dernier que les Noirs avaient quatre fois plus de chances que les Blancs

Rivera fait partie d’un nombre inconnu d’anciens condamnés ou détenus qui essaient de trouver du travail. En général, ils n’y arrivent pas : les employeurs rejettent leur candidature ou les licencient uniquement parce qu’ils ont un casier judiciaire, une pratique illégale mais néanmoins largement répandue.

Un mouvement s’affi rme pour pousser les Etats à “interdire l’ex-clusion” ou à encadrer plus stric-tement quand et comment les employeurs peuvent demander le casier judiciaire des candidats à un poste. Il a obtenu quelques victoires : Target, le deuxième dis-tributeur du pays, a annoncé en octobre qu’il cesserait de poser la question.

En 1987, la Commission [fédé-rale] pour l’égalité des chances en matière d’emploi (EEOC) a déclaré que l’exclusion systéma-tique des personnes ayant un casier judiciaire constituait une violation de la loi sur les droits civiques. Celle-ci interdit non seu-

lement les discrimi-nations fondées sur certaines catégories protégées comme la race, mais également les politiques appa-

remment neutres qui renforcent les disparités raciales. Elle a donc fait savoir aux employeurs que le casier judiciaire ne pouvait constituer qu’un des motifs de rejet d’une candidature et seu-lement quand la condamnation avait un lien direct avec le poste.

Mais le Congrès a été le premier à vider cette directive de son sens. Après le 11 septembre 2001, les législateurs ont fermé aux anciens condamnés toute une série d’em-plois dans les transports. Les Etats ont suivi le mouvement et la liste des emplois interdits aux condamnés a augmenté de façon exponentielle : agents de sécurité privés, employés de mai-sons de retraite, presque tous les emplois impliquant des enfants. Plus de 800 emplois sont désor-mais fermés aux anciens condam-nés, selon une étude.

L’EEOC a donc publié une nou-velle directive en 2012. Celle-ci

—The Nation (extraits) New York

Luis Rivera a été un peu tranquille pendant cinq mois, de la fi n de l’automne

2010 au début du printemps de l’année suivante. C’est le plus près qu’il ait été de la stabilité fi nancière en plus de vingt ans.

“J’avais trouvé un boulot génial : homme à tout faire/portier/concierge dans un immeuble de l’East Village”, se souvient-il avec nostalgie. Rivera, 44 ans, est marié et a trois fi lles adolescentes. La famille vit à East Harlem, où a grandi ce New-Yorkais d’origine portoricaine. Il est farouchement fi er de son mariage et de ses enfants, comme un homme qui est parvenu à accomplir quelque chose qu’il n’était pas censé réussir.

Rivera est encore très excité en évoquant ses cinq mois comme homme à tout faire au service des hipsters du sud de Manhattan. “Quand ils avaient besoin de quelqu’un, ils m’appelaient au milieu de la nuit et je disais ‘oui !’. J’avais besoin d’un job. Et la paie était excellente”, se rappel le -t- i l , vantant ses 17 dollars [12 euros environ] de l’heure pour un temps partiel. “J’étais près d’être embauché en fixe.” Cet emploi lui promettait de n’avoir enfi n qu’un travail, un vrai – déclaré, avec des horaires et un salaire réguliers –, au lieu de courir d’un temps partiel au noir à l’autre comme il l’avait fait toute sa vie d’adulte. Mais ce n’était pas encore fait. Aussi, quand le gérant d’un immeuble de l’autre côté de la rue a fait savoir que son équipe cherchait du renfort à temps partiel, Rivera s’est fait connaître. Il a été franc.

“J’ai expliqué au type que j’avais un casier qui datait de 1990, par là, mais que j’avais payé ma dette. Je suis clean, donnez-moi une chance. Il m’a donné sa parole d’honneur qu’il ne dirait rien.” Mais les nouvelles vont vite quand on a été condamné. Tout d’un coup, l’immeuble chic où Rivera espérait se construire un avenir a cessé de le faire travailler.

A 22 ans, Luis Rivera a commis un cambriolage dans le Bronx. Il était nul et s’était fait prendre rapidement. Condamné à cinq ans avec sursis, il n’a pas été incarcéré. Mais cette condamnation n’a cessé de le poursuivre depuis.

La liste des emplois interdits aux condamnés a augmenté de façon exponentielle

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AMÉRIQUES.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 21

Détentions record Taux d’incarcération par pays (pour 100 000 hab., 2012-2013)

Des millions de condamnés

SOURCE : INTERNATIONAL CENTRE FOR PRISON STUDIES (ICPS)

SOURCES : “THE NATION”, NATIONAL EMPLOYMENT LAW PROJECT (NELP)

ÉTATS-UNIS

RUSSIE

SALVADOR

AFR. DU SUD

IRAN

BRÉSIL

FRANCE

Détenteurs d’un casier judiciaire aux Etats-Unis (2010)

28 %65 millions

d’adultes

707

475

422

294

284

274

98

effectuait davantage de vérifi-cations d’empreintes digitales à des fins civiles qu’à des fins criminelles.

Ces enquêtes posent divers problèmes. Leurs résultats sont souvent inexacts. Les directives 2012 de l’EEOC soulignent le peu de fiabilité de nombre de bases de données qui déter-minent le sort des travailleurs. L’un des plaignants d’une procé-dure lancée par l’EEOC contre [la chaîne de supermarchés] Dollar General avait été licencié pour une condamnation inexistante.

Employeurs frileux. Il existe un fossé énorme entre la percep-tion qu’ont les employeurs du risque présenté par les anciens délinquants et le risque réel. La probabilité statistique que Rivera commette une autre infraction a commencé à chuter très forte-ment deux à trois ans après son cambriolage commis à l’âge de 22 ans. A l’approche de la trentaine, il n’était pas plus susceptible de commettre un cambriolage qu’une personne sans casier.

Rivera considère qu’il a de la chance d’avoir simplement du travail. “J’essaie de rester aussi positif que possible”, déclare-t-il. Parmi les bonnes choses, il compte sa foi, sa famille et le fait qu’il a accès aux bons d’alimen-tation et aux aides sociales de la ville de New York. “Je ne dis pas que je ne ressens pas de stress. Là, tel que vous me voyez, je suis un peu stressé.” C’est parce qu’il attend une réponse du restaurant turc à propos d’une augmentation de salaire et de ses heures de tra-vail. “Je ne suis pas idiot. Ils vont faire une enquête. Ils vérifient tou-jours le casier des gens”, confie-t-il, avant d’ajouter, plein d’espoir : “Mais ils savent que je travaille. Ils savent bien comment je travaille.” Si ça ne suffit pas à faire oublier son passé, il va devoir trouver autre chose.

—Kay WrightPublié le 5 novembre 2013

travail à cause d’un délit commis il y a cinq ans.”

Mais, pour les experts, si Martinez parvient à faire oublier son passé, son cas sera excep-tionnel. Celui de Luis Rivera est plus classique.

L’emploi le plus durable que Rivera ait occupé, ç’a été trois ans dans un restaurant de la chaîne Dunkin’ Donuts. Le propriétaire se fichait de son casier, dit-il, parce que l’endroit était truffé de caméras de sécurité. Mais c’est peut-être aussi parce que Rivera acceptait de faire de longues et dures journées pour un salaire minime : il travaillait en général quatorze heures de suite.

Tous les autres emplois qu’il a exercés ont duré quelques mois par-ci, un an par-là, en général à temps partiel et souvent au noir. “En ce moment, j’ai la chance d’avoir deux boulots”, explique-t-il. Il fait le ménage dans des immeubles de bureaux la nuit, au noir, et travaille en cuisine dans un res-taurant turc en tant qu’intéri-maire pour 10 dollars [7 euros] de l’heure – même s’il ne leur a pas encore parlé de son casier.

Il est impossible de dire exacte-ment combien de personnes sont employées dans l’économie sou-terraine créée par les casiers judi-ciaires, mais, d’après une étude du Centre de recherche et de politique économique, en 2008, la population condamnée pour crime ou délit majeur a fait bais-ser le taux officiel d’activité des hommes de 1,7 point.

La restriction des opportuni-tés offertes aux anciens délin-quants sur le marché du travail a coïncidé avec une croissance rapide du secteur de la véri-fication des antécédents. Les enquêtes conduites par des agences privées et par le FBI ont explosé entre 1996 et 2006, selon Maurice Emsellem, du NELP. Les demandes d’infor-mation adressées au FBI pour des affaires civiles ont doublé, si bien que dès 2006 celui-ci

au-delà de l’emploi. Une condam-nation pour trafic de drogue vous barre l’accès aux prêts étudiants, bourses et formations en alter-nance fédéraux. Plusieurs Etats y ajoutent les aides sociales et alimentaires. Certaines munici-palités interdisent en outre aux personnes ayant été condamnées pour certains faits d’accéder à toute une série d’espaces publics, par exemple les parcs. L’exclusion la plus frappante concerne cepen-dant le logement social.

A New York, les services du logement peuvent rejeter une demande d’attribution ou expul-ser une famille en cas de condam-nation de n’importe quel membre du foyer pour certains forfaits.

Albert Martinez ne pouvait donc pas rentrer à la maison – non qu’il en eût envie de toute façon. Sa copine avait accouché pen-dant qu’il était sous les verrous. Prématurée, leur fille était intu-bée et sous oxygène. Après beau-coup d’efforts, ils ont fini par convaincre la ville qu’ils étaient sans abri et par obtenir un appar-tement dans un centre d’héber-gement d’urgence.

Martinez est jeune et demeure optimiste malgré tout. Avec l’aide de l’Osborne Association [qui accompagne les anciens condam-nés], il est entré dans une école d’infirmier. Il travaille à mi-temps comme concierge pour l’association et il est déterminé à tirer parti de son ardeur au tra-vail. “Si vous me demandez des comptes pour quelque chose que j’ai déjà payé, eh bien c’est une honte”, déclare-t-il, convaincu que tout cela sera de l’histoire ancienne quand il obtiendra son diplôme. “On n’est pas censé me refuser un

d’être arrêtés pour possession de marijuana, alors que les études ne montrent aucune disparité dans la consommation entre les deux groupes. Les municipales de l’an dernier à New York ont été mar-quées par l’indignation suscitée par les contrôles au faciès (“stop and frisk” – interpeller et fouil-ler) pratiqués par la police de la ville sur un nombre énorme de Noirs et de Latinos sous prétexte de chercher des armes illicites. Les données de la police new-yor-kaise suggèrent que leur premier résultat est d’arrêter des gens pour possession de marijuana.

Albert Martinez, 22 ans, est exactement le genre de type visé par ces contrôles. Noir, il a grandi dans les logements sociaux de East Harlem [à New York].

A l’adolescence, il s’est juré d’échapper à la pauvreté. A 17 ans, il travaillait plus de trente-cinq heures par semaine comme vendeur dans une épicerie tout en continuant ses études. Il était à un mois d’adhérer au syndicat de son magasin quand il s’est fait licencier à la suite d’un conflit avec un autre employé.

Vérifications tatillonnes. Martinez a un visage de bébé, avec ses petites tresses et ses quelques poils au menton, mais il est impressionnant avec son 1,98 mètre et sa carrure de deu-xième ligne. Il considère celle-ci comme un désavantage dans la rue : elle fait de lui une cible pour les gens qui ont quelque chose à prouver. Il s’est donc mis à porter une arme, “juste par précaution”. En 2010, il se fait contrôler par les flics. Ils trouvent l’arme et l’arrêtent. Il finit par passer un accord avec le procureur : deux ans de prison, puis un an et demi en liberté conditionnelle.

Il est rentré chez lui en avril en espérant trouver du travail tout de suite. Il a d’abord dû trou-ver à se loger, un défi compliqué par sa condamnation. Les effets d’un casier judiciaire vont bien

SOURCE

THE NATIONNew York, hebdomadaire, 140 000 ex.www.thenation.comFondé par des abolitionnistes en 1865, résolument à gauche, The Nation est l’un des premiers magazines d’opinion américains. Des contributeurs tels que Henry James, Jean-Paul Sartre ou Martin Luther King ont contribué à sa renommée. Dirigé par Katrina vanden Heuvel depuis 1995, The Nation fait la part belle aux sujets politiques et société.

“On n’est pas censé me refuser un travail à cause d’un délit commis il y a cinq ans.”

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AMÉRIQUES22. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

—La Nación Buenos Aires

De Punta del Este (Uruguay)

On peut en sentir l’odeur à la terrasse des meilleurs res-taurants comme en pleine

rue. On la respire pendant la jour-née et à la tombée de la nuit. Et sa présence s’impose aussi lors des événements les plus glamour. Autrefois, au cours d’une soirée, on descendait sur la plage ou bien on cherchait un endroit tranquille pour allumer un joint. Aujourd’hui, il est loisible à chacun de le faire devant tout le monde. C’est l’été [austral] de la dépénalisation et les pharmacies reçoivent en per-manence la visite d’Argentins qui veulent savoir s’ils peuvent déjà acheter du cannabis. On leur répond alors qu’il n’est pas encore en vente, et que de toute manière les étrangers n’y auront pas droit, à moins qu’ils ne soient résidents et enregistrés comme tels.

Il y a toujours eu un certain laxisme en ce qui concerne la consommation de marijuana sur les plages d’Uruguay. De surcroît, après l’adoption, le 10 décembre, de la loi qui réglemente le com-merce et la culture du cannabis

en Uruguay, ce qui domine chez les Argentins, c’est l’impression que tout est permis, la curiosité, le marchandage et l’envie d’ob-server les répercussions sur les habitudes sociales de Punta del Este. Pour beaucoup de consom-mateurs, même s’ils sont de ce côté de la flaque d’eau [le Río de la Plata], ce qui se dit à Buenos Aires a encore son importance.

Pas de consignes. Cette loi, qui a suscité le débat dans le monde entier, va entrer en vigueur dans le délai de cent vingt jours prévu pour sa ratification. Elle permet aux résidents intéres-sés, après s’être fait enregis-trer comme consommateurs, d’acheter 40 grammes de mari-juana par mois. Par ailleurs, ils auront la possibilité de cultiver pour leur consommation per-sonnelle jusqu’à six plants par famille, dont ils pourront tirer une récolte de 480 grammes par an au maximum.

Bien que la loi ne soit pas encore ratifiée, de nombreux Argentins débarquent en Uruguay convain-cus que ce pays est déjà devenu le paradis du cannabis. Et ils se

comportent comme si c’était déjà le cas. “Cette saison, on a déjà fumé de la marijuana à la terrasse de La Huella”, commente Martín Pittaluga, conseiller municipal du Frente Amplio [parti de gauche au pouvoir] pour José Ignacio [sta-tion balnéaire à la mode] et fon-dateur de ce restaurant de bord de mer, l’un des meilleurs et des plus sélects d’Uruguay. “Quand les clients le font à l’extérieur, on ne peut rien dire. Aujourd’hui, c’est la même chose que de fumer un havane.”

Alors qu’est-ce qui se passe si un client s’approche de la caisse et se plaint que quelqu’un fume de la marijuana à la table d’à côté ? “Ça devient une question d’attention et d’éducation. Moi, je n’allumerais jamais un joint ou un havane à côté d’un gamin”, poursuit-il. Pittaluga est favorable à la loi. Dès son adop-tion, il s’est renseigné auprès du commissariat du quartier sur la conduite à tenir. On lui a répondu que pour l’instant la police n’avait pas reçu de consignes spécifiques.

Mais les premières frictions n’ont pas tardé. Il y a plusieurs jours, il y a eu une discussion entre un groupe de jeunes qui avait orga-nisé une séance fumette pour fêter

la nouvelle loi à côté d’une femme qui se reposait avec son enfant sur La Mansa [“la docile”, plage où la mer est calme]. Cette semaine, alors que deux agents surveillaient La Brava [“la plage aux vagues fortes”] de José Ignacio, La Nación leur a demandé ce qu’il en était de la consommation de marijuana sur la plage. “En réalité, on n’a jamais poursuivi la consommation person-nelle, à moins qu’il y ait des soup-çons d’achat ou de vente”, ont-ils expliqué. L’un d’entre eux a cité une enquête récente de l’institut Equipos, qui concluait que 66 % des Uruguayens étaient contre la loi et que seuls 24 % étaient pour. Les autres n’avaient pas d’opinion ou préféraient la garder pour eux.

Cannabis en pharmacie. Lucho et Nacho, respectivement 25 et 30 ans, sont de Buenos Aires. Ils ont entendu notre conversation avec les policiers et paraissent intéressés. “On a le droit, alors ?” ont-ils demandé. La réponse les a mis de très bonne humeur. “Alors je peux passer devant eux sans qu’ils me disent rien ?” a lancé l’un d’eux. Ils avaient du mal à le croire. “Avant, on devait fumer en douce, feinter. On ne fumait jamais devant tout le monde.” D’autres consom-mateurs préfèrent rester discrets.

“Pour moi, c’est une expérience, affirme Pittaluga. Je crois que l’Uru-guay peut la tenter parce que c’est un pays petit et responsable. C’est avant tout une question de responsabilité.”

Le sous-secrétaire uruguayen au Tourisme, Antonio Carámbula Sagasti, a affirmé qu’il n’était pas prévu d’accueillir un tourisme lié au cannabis dans le pays. “La loi autorise l’achat uniquement aux résidents inscrits, ce qui exclut les visiteurs, explique-t-il. Le nou-veau dispositif est né d’un constat d’échec des politiques répressives. C’est pourquoi l’Uruguay a cher-ché à augmenter les contrôles sur les substances qui entraînent une dépendance : lutte contre le tabac, loi qui contrôle la vente et la consom-mation d’alcool, et aujourd’hui réglementation de la consomma-tion de marijuana.”

Depuis des décennies, on ne poursuit plus la consommation en Uruguay. La loi interdit uni-quement l’achat et la vente, deux activités qui seront désormais dans l’orbite de l’Etat, avec pour objectif principal de combattre le trafic de drogue et maîtriser la consommation.

L’Argentin Javier Azcurra, pro-ducteur d’événements à Punta del

Este, raconte que cette année les blagues parlant d’“aller à la phar-macie” se sont mises à fleurir. En effet, la loi prévoit que ces offi-cines seront seules autorisées à vendre de la marijuana aux rési-dents inscrits. Certains touristes entrent dans les pharmacies de Punta del Este pour demander : “Ça y est, c’est en vente ?” Dans celle du centre de Manantiales, cela arrive au moins deux ou trois fois par jour.

—Fernando MassaPublié le 5 janvier

Contexte

Un marché juteux●●● Depuis l’annonce de la légalisation de la vente de cannabis en Uruguay, des laboratoires pharmaceutiques et des entreprises du monde entier s’intéressent à ce nouveau marché légal. Le gouvernement uruguayen a été approché par de nombreux laboratoires pharmaceutiques étrangers désireux de s’installer dans le pays afin de se lancer sur le marché du cannabis médical, souligne le quotidien uruguayen El País. “C’est un grand défi, car, même si ce n’était pas un des objectifs de la loi, l’Uruguay peut devenir un pôle biotechnologique. C’est un secteur concurrentiel en plein développement”, a déclaré le porte-parole du gouvernement au journal. Des entreprises canadiennes ont ainsi pris contact avec le gouvernement uruguayen pour importer du cannabis médical, annonce le quotidien El Observador. Des banques de semences, notamment hollandaises, pourraient aussi s’implanter en Uruguay pour alimenter le marché local. “Il y a une longue queue d’investisseurs étrangers disposés à investir sur ce marché”, affirme El País.

URUGUAY

Les vacances fumeuses des ArgentinsIls débarquent en voisins avec l’illusion que tout est permis, mais la loi qui autorise la culture et la vente de marijuana n’est pas destinée aux touristes.

↙ Dessin de Pat Bagley paru dans The Salt Lake

Tribune, Etats-Unis.

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moyen-orient

Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 23

1998, et appela à implanter [des colonies] sur chaque colline et sous chaque arbre, il devint à mes yeux ce qu’il peut y avoir de plus laid chez un Israélien, et je ne me suis pas privé de le lui dire. Lorsqu’il a mis sur pied son gouvernement [février 2001], son chef de cabinet, Dov Weisglass, est venu me trouver pour me demander de rester ministre. Je lui ai rappelé l’abîme politique qu’il y avait entre nous. Pour Sharon, l’Ini-tiative de Genève, que moi et mes collè-gues de gauche venions de conclure avec les Palestiniens, en octobre 2003, n’était qu’une trahison. Ce n’est que plus tard qu’il allait admettre que cette initiative de paix était un des facteurs déterminants dans sa décision de se retirer de la bande de Gaza [en 2005]. Toutefois, pour lui permettre de mettre un terme à l’occupation de la bande de Gaza, le Meretz [à gauche du Parti travailliste]

allait décider, sous ma présidence, de sou-tenir le gouvernement que Sharon venait de mettre sur pied avec le Parti travailliste. J’ai moi-même dû me pincer pour y croire.

En avril 2005, la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, j’ai plaidé pour qu’il organise le retrait de Gaza dans le cadre d’un accord avec le nouveau président palestinien, Mahmoud Abbas, et non sous la forme d’un acte unilatéral. Il était amical et chaleureux. Alors qu’il me raccompagnait jusqu’à sa porte, il m’a dit : “Yossi, j’appré-cie tes efforts pour la paix, mais je ne fais pas confiance aux Arabes.” “Aux Arabes, lui ai-je demandé, ou aux Palestiniens ?” “ Aux Arabes”, m’a-t-il répondu. Je lui ai dit que cette géné-ralisation était absurde. Il s’est contenté de sourire, pour éviter une altercation.

—Yossi BeilinPublié le 12 janvier

que frustré et en colère, il avait à cœur de séduire ses adversaires. Souvent, il venait me voir dans mon bureau avant le Conseil des ministres, asseyait sa masse imposante dans un fauteuil et se mettait à médire.

Quelquefois il s’endormait et, quand il se réveillait, il me passait un billet où de sa grosse écriture il me demandait : “Quelqu’un a dit quelque chose d’intelligent pendant que je dormais ?” Ses conseillers prenaient pour-tant souvent des mesures décisives contre les Palestiniens. A la fin, il venait vers moi et me disait qu’il n’était pas vraiment un likoudnik [de la droite dure], qu’il était le dernier des mapaïniks [d’un ancien parti israélien de gauche] et que c’étaient nous, les travaillistes, qui avions viré à gauche…

Sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères fut surprenante et absurde. Il pouvait occuper beaucoup de fonctions, mais certainement pas celle de chef de la diplomatie. Quand il revint des négociations de Wye Plantation, en

—Israël Hayom (extraits) Tel-Aviv

Lorsque j’étais enfant, Sharon repré-sentait pour moi la “beauté chevelue”, l’officier fascinant, le commandant

de cette unité spéciale de combattants intré-pides auxquels nous voulions tous ressem-bler. Quand il a mis un terme à sa carrière militaire et qu’il est entré en politique, ses opinions ont commencé à me faire peur. Lorsqu’il est ensuite devenu le patron de la colonisation de peuplement [en Cisjordanie], j’ai vu en lui un adversaire idéologique impi-toyable. Quand il a embarqué Israël dans une guerre inutile et mensongère au Liban [en 1982], il est devenu pour moi l’un des plus dangereux dirigeants israéliens.

Quelque temps plus tard, il allait être déchu de son poste de ministre de la Défense. En 1984, je venais d’être nommé secrétaire du gouvernement [d’union nationale Likoud-travaillistes]. S’il y siégeait toujours, c’était en tant que ministre sans portefeuille. Bien

Israël. Sharon, haïssable et sympathiqueUn portrait tout en nuances d’Ariel Sharon, décédé le 11 janvier, par Yossi Beilin, l’ancien dirigeant de la gauche israélienne.

La mort d’un criminel● Après avoir résisté pendant huit ans à la mort, Ariel Sharon est parti. Mais il n’aurait pas dû partir comme ça, du fait du destin, échap-pant ainsi au châtiment qu’il méritait . Les Israéliens le considèrent comme un héros national, mais comment en serait-il autrement puisqu’il était le principal survivant de la vieille garde, ayant joué un grand rôle dans la suc-cession incessante de batailles visant à éliminer le peuple palestinien ?Il était adolescent quand il a rejoint la Haganah [organisation clandes-tine armée sioniste créée en 1920], qui était en pointe pour terroriser, tuer et chasser les Palestiniens. Au sein de la Haganah, il a tété le lait du terrorisme pour devenir l’organisa-teur de tous les massacres, dont celui de Sabra et Chatila [en 1982, les deux camps palestiniens au sud de Beyrouth ont été attaqués par les milices chrétiennes libanaises : une commission israélienne a reconnu la responsabilité indirecte de Sharon dans le massacre commis alors].Il est l’homme qui a permis à Tsahal de se ressaisir après les coups infli-gés par l’Egypte en 1973 [guerre du Kippour]. Mais il est aussi l’homme des tortures infligées aux prison-niers égyptiens et arabes. Qu’est-ce que les médias israéliens voulaient que les Palestiniens disent à propos de sa mort ? Est-ce qu’un Palestinien peut dire un seul mot posi-tif au sujet de celui qui s’était dépouillé de toute hu ma nité face au x Palestiniens ? La chaîne de télévision

israélienne Channel 10, fidèle à sa bas-sesse, a reproché au président pales-tinien Mahmoud Abbas de garder

le silence et s’est émue qu’on ait dis-tribué des sucreries à Gaza pour fêter la mort de Sharon.

Nous aussi avons un reproche à faire à Abbas, ainsi qu’à beaucoup d’autres Palestiniens, à savoir qu’ils ne disent pas la vérité sur ce que leur inspire ce héros du crime. Les Israéliens qualifient tous les dirigeants pales-tiniens de terroristes et d’assassins. En quoi cela nuirait-il au processus de paix si nos dirigeants utilisaient les qualificatifs qui conviennent et disaient que Sharon était un criminel ?Je ferai également des reproches à ceux qui ont fêté sa mort et distri-bué des sucreries. Parce que sa mort a été provoquée par le destin, et non pas par un combattant palestinien. Pour vraiment se réjouir, il aurait fallu que Sharon et ses semblables soient condamnés pour crimes de guerre devant la justice internatio-nale. Cela aurait été une condamna-tion de toute l’occupation israélienne, qui continue à tuer et à disperser le peuple palestinien.La liste des dirigeants israéliens qui ressemblent à Sharon est longue. Beaucoup ne peuvent plus voyager en raison de poursuites pénales. Mais, si Sharon est mort, son héritage est bien vivant. Des successeurs dévoués s’appliquent à reproduire sa politique à l’encontre des Palestiniens.—Talal Awkal Al-Ayyam Ramallah

Publié le 13 janvier

Vu de Palestine

↙ Dessin de Stavro paru dans The Daily Star, Beyrouth.

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24. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

—City Press (extraits) Johannesburg

Le comble de l’ironie est qu’un maître de l’assassinat devienne victime à son tour des complots et intrigues

qu’il prisait tant. Le régime que l’ancien chef des services du renseignement mili-taire extérieur rwandais, le colonel Patrick Karegeya, 54 ans, défendait dans le sang, s’est visiblement retourné contre lui en ce début d’année, le laissant sans vie dans une luxueuse chambre d’hôtel.

Les compatriotes dissidents de Karegeya sont stupéfaits de voir l’ancien patron de l’espionnage tomber aussi facilement dans le piège mortel tendu contre lui à l’hôtel Michelangelo de Sandton, dans la ban-lieue de Johannesburg, en Afrique du Sud.

Une unité d’élite de la police sud-afri-caine, la Hawks’ Crimes Against the State,

chargée des crimes contre l’Etat, est main-tenant à la recherche d’un courtier en huile de palme rwandais du nom d’Apollo Kiririsi, qui avait rencontré Karegeya à l’heure du déjeuner le dernier jour de 2013.

Lorsque le corps de ce dernier a été découvert, près de vingt heures plus tard, Kiririsi, lui, avait disparu dans la nature. L’hôtel n’a gardé aucune trace de son pas-sage, la chambre ayant été réservée au nom de Karegeya. La police vérifi e si Kiririsi est bien un agent rwandais qui s’était lié d’amitié avec Karegeya au cours de l’an-née dernière dans le but d’organiser un coup monté contre lui. L’homme un peu rondelet, diplômé de la faculté de droit de l’université Makerere, en Ouganda, s’est défendu. Il est réputé avoir été formé par le service du renseignement israélien, le Mossad, et il avait combattu dans deux

guerres civiles parmi les plus sanglantes d’Afrique. Karegeya est mort par strangu-lation et ne portait aucune blessure, mais on a retrouvé du sang dans la chambre. Cela signifi e qu’au moins l’un de ses assaillants a été blessé avant de quitter l’hôtel.

Pour les détracteurs du président Paul Kagame, l’homme fort à lunettes du Rwanda, le meurtre porte la marque d’un nouvel assassinat perpétré par ses services de sécurité. Mais les partisans du régime, eux, mettent en avant le bilan de Kagame, qui a apporté la stabilité et une certaine prospérité dans un pays jadis en proie aux troubles. Amnesty International et Human Rights Watch détiennent depuis des années des preuves de l’implication des forces de sécurité de Kagame dans les assassinats de ses opposants sur tout le continent noir.Les Nations unies ont accusé le président d’avoir fomenté la rébellion dans l’est du Congo et elles ont récemment découvert que ses forces avaient commis des atroci-tés dans la région.

Au Rwanda même, les membres de l’op-position sont soit en prison, soit morts, les journalistes derrière les barreaux et les partis politiques interdits. Kigali a évidemment nié toute répression contre les dissidents et prétendu que le Rwanda est une jeune démocratie où l’opposition politique bénéfi cie d’un espace de liberté grandissant. Karegeya est entré discrète-ment en Afrique du Sud en février 2008. Il y a demandé le statut de réfugié et s’est installé à Johannesburg.

Tueurs à gages. Son arrivée faisait suite à une brouille avec Kagame, de trois ans son aîné. Il avait été arrêté et emprisonné pour “indiscipline” et s’était vu retirer son grade en 2006. Les deux hommes ont combattu côte à côte au sein du mouvement rebelle ougandais qui a porté au pouvoir Yoweri Museveni en 1986 en Ouganda. Museveni les avait alors autorisés à fonder leur propre mouvement rebelle tutsi, le Front patrio-tique rwandais (FPR). Celui-ci est arrivé au pouvoir en 1994, à la fi n du génocide au Rwanda, au cours duquel 800 000 Rwandais ont trouvé la mort. Karegeya jouissait d’un immense pouvoir en tant que chef du ren-seignement militaire extérieur et il a fait un temps partie du premier cercle des proches de Kagame. Il aurait également traqué les ennemis du régime de l’après-génocide un peu partout dans la région.

Il lui est reproché, entre autres, l’as-sassinat de l’ancien ministre rwandais de l’intérieur, Seth Sendashonga, en 1998. Sendashonga s’était vu confi er le porte-feuille après le génocide. Mais il a ensuite obtenu des preuves sur la complicité du régime dans les massacres et les abus commis durant la période qui avait suivi. Il les a envoyées à Kagame, et ce faisant, il a signé son propre arrêt de mort.

Sendashonga s’est réfugié au Kenya puis en Tanzanie, où il a continué de verser des pièces à son dossier incriminant Kagame. Il a

été abattu en 1998, quelques jours avant son audition prévue devant le Tribunal pénal international des Nations unies pour le Rwanda. L’ambassadeur rwandais au Kenya et Karegeya étaient accusés d’être les cer-veaux derrière ce crime. Le diplomate a été rappelé à Kigali, où il allait être mysté-rieusement tué.

Après son arrivée en Afrique du Sud, Karegeya avait promis de “tout révéler” le moment venu. Une confession que Kagame ne pouvait guère laisser passer. En mars 2010, Karegeya était devenu l’un des membres de la “bande des quatre”, quand trois autres anciens proches de Kagame s’étaient enfuis du Rwanda. L’ancien chef d’état-major, le général Kayumba Nyamwasa, se réfugia lui aussi en Afrique du Sud. La “bande des quatre” avait joué un rôle décisif dans la création du Congrès national du Rwanda (Rwanda National Congress, RNC), le mou-vement politique multiethnique qui veut chasser Kagame du pouvoir. Le gouverne-ment rwandais a interdit le mouvement et un tribunal militaire fantoche a condamné ses membres à une longue peine de prison.

Kayumba Nyamwasa a échappé à deux tentatives d’assassinat à Johannesburg en juin 2010. Au cours de l’une d’entre elles, il a reçu une balle dans l’estomac. Un procès portant sur cette aff aire est actuellement en cours à Johannesburg, visant un agent du renseignement rwandais et ses com-plices. Des preuves ont été produites, selon lesquelles l’ordre est venu de très haut dans les services du renseignement. Le tribunal a appris l’existence d’enregistrements dans lesquels le chef du renseignement militaire discutait des meurtres de Nyamwasa et de Karegeya avec de nouveaux agents recrutés en Afrique du Sud. A la suite de cet incident, l’Afrique du Sud a rappelé pendant plus d’un an son ambassadeur à Kigali.

Kayumba Nyamwasa et Patrick Karegeya avaient été tous deux placés sous protection policière sud-africaine, en tant qu’anciens agents du renseignement militaire. Mais, en septembre 2011, City Press avait mis à jour un autre complot visant K. Nyamwasa, lorsque les services du renseignement rwan-dais avaient engagé une entreprise privée de sécurité pour retrouver la résidence du

afrique

Rwanda. Autopsie du meurtre d’un opposantAncien fi dèle du président Paul Kagame avant de se brouiller avec lui, Patrick Karegeya a été étranglé dans une chambre d’hôtel à Johannesburg.

↙ Dessin de Springs paru dans Financial Times,

Londres.

“Ceux qui trahissent ”●●● Le 12 janvier, le président Paul Kagame a de nouveau mis en garde les dissidents, rapporte The New Times. “Dieu nous a donné la force de construire, mais aussi de protéger ce que nous avons construit. Ceux qui ont oublié qu’ils doivent ce qu’ils sont aux Rwandais sont maintenant en train de comploter contre le pays. Ils n’ont pas compris qu’ils ne pourront jamais être au-dessus de la nation ou de son peuple. […] Je ne dois pas être désolé pour ces gens […] qui fi nissent par trahir le Rwanda.”

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AFRIQUE.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 25

Vu d’ailleurs

Vendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10, et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vue de l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

Ibo

Ogr

etm

en /

LCI

général. Ils avaient également embauché des réfugiés rwandais comme tueurs à gages. Le renseignement militaire sud-afri-cain s’était dépêché de déplacer Kayumba Nyamwasa pour le mettre à l’abri. En 2011, Patrick Karegeya avait renoncé à la protec-tion policière dont il bénéficiait, arguant qu’il devait gagner sa vie et retrouver sa liberté de mouvement.

Lorsque les Américains ont supprimé Oussama Ben Laden, en mai 2011, l’organe officiel du régime rwandais, le New Times, avait lancé cet avertissement à Kayumba Nyamwasa et Patrick Karegeya  : “Vous pouvez prendre la fuite. Vous pouvez vous cacher. Mais vous ne vous échapperez pas.” En 2012, le président du RNC en Afrique, Frank Ntwali, a été attaqué et poignardé douze fois. Il a survécu. La même année, la belle-sœur du secrétaire général du RNC en Afrique, a confessé qu’elle avait été recru-tée par les services secrets rwandais pour monter un coup contre un avocat de Pretoria, Kennedy Gihana, afin de le tuer.

Tensions diplomatiques. Au cours des deux dernières années, les exilés rwandais au Royaume-Uni ont été avertis par des agents de sécurité locaux de l’existence d’un complot de Kigali pour les tuer. La Suède et la Belgique ont expulsé des diplomates rwandais pour espionnage sur des réfugiés rwandais. Certains permanents du parti RNC ont pris l’habitude de ne plus dormir dans leur propre lit, et les détenteurs d’un permis de port d’armes en possèdent une. “On a peur. On ne sait pas ce qui va arriver”, reconnaît l’avocat Kennedy Gihana.

L’assassinat de Patrick Karegeya place le gouvernement sud-africain devant un dilemme en matière de politique étran-gère. Le meurtre de Kayumba Nyamwasa, en 2010, a failli provoquer une rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Si la police sud-africaine met la main sur les preuves d’une responsabilité de Kigali, Pretoria sera bien obligé de sanctionner l’homme jadis qualifié de “dictateur bien-aimé” par les Occidentaux.

“Sincèrement, une telle chose n’est pas accep-table. Cela mine nos relations diplomatiques, qui sont fondées sur le respect mutuel”, explique un responsable gouvernemental sud-afri-cain disposant de contacts diplomatiques hauts placés. “Cela mine aussi l’agenda du continent africain, qui a pour objectif de se débarrasser de telles personnes.” Il ajoute que la décision de Pretoria de protéger les per-sonnes en désaccord avec leurs gouverne-ments avait provoqué des tensions avec le Zimbabwe, le Rwanda, la République démo-cratique du Congo et le Nigeria, mais que ces gouvernements devaient finir par accep-ter que l’Afrique du Sud soit tenue par ses lois sur les droits de l’homme et les conven-tions internationales.

—Jacques PauwPublié le 5 janvier

Lire aussi notre rubrique “La source de la semaine”, p.  38.

C’est cette assemblée, dominée par les islamistes, qui a permis ce vote historique. En l’occurrence, même le parti Ennahda votera majoritairement pour cet amende-ment historique. Alors que la Syrie sombre dans la violence et la Libye dans le chaos, alors qu’un coup d’Etat militaire a réfréné les velléités démocratiques en Egypte, voici que notre chef de gouvernement [sortant, Ali Larayedh] lance à l’adresse des Cassandre  : “J’espère que la Tunisie sera pour le monde un exemple de transition ‘made in Tunisia.’”

Faut-il pour autant tresser des lauriers au mouvement de Rached Ghannouchi [le chef du parti islamiste Ennahda] ? Pas si vite. Pendant que l’on plastronne dans la capitale, les régions s’enflamment, prenant pour prétexte l’augmentation des taxes [prévue par la loi de finances 2014], sus-pendue in extremis par le Premier ministre démissionnaire, avec en toile de fond des pans entiers de la population marginalisés et paupérisés dans des régions toujours mises à l’écart des centres de décision, même après la révolution.

Un déséquilibre toujours aussi flagrant entre la bande côtière et l’intérieur des terres, qui menace de renverser la donne à tout moment. Tant que le mal ne sera pas traité à la racine, les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets, quelle que soit la couleur affichée par le gouvernement du moment.

—Soufia Ben AchourPublié le 10 janvier

TUNISIE

Une transition exemplaireLe troisième anniversaire de la révolution tunisienne est marqué par l’arrivée d’une nouvelle Constitution et par le renouvellement de l’équipe ministérielle.

—Mag14 (extraits) Tunis

A li Larayedh a tiré sa révérence [le 9 janvier]. C’est le troisième gouvernement qui démissionne

depuis la révolution [janvier 2011], et, ven-dredi 10 janvier, Mehdi Jomaâ [ministre de l’Industrie sortant] a annoncé avoir été officiellement chargé par le président de la République de former le nouveau gouvernement.

Quant à l’Assemblée constituante, cari-caturée, épinglée, raillée, dont certains dirigeants de l’opposition, comme Caid Essebsi, ont même exigé la dissolution, elle nous prouvera finalement que la Tunisie demeure à l’avant-garde du monde arabo-musulman, avec une Constitution en voie de finalisation, et une garantie de l’Etat en ce qui concerne “l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines”, visant la parité entre les sexes dans les conseils élus. C’est dire que le modèle tunisien représente toujours un horizon indépassable dans une région tra-ditionnellement marquée par des discri-minations sexistes d’un autre âge.

Insécurité et crise économique●●● Les émeutes qui ont eu lieu début janvier dans la plupart des régions du pays étaient justifiées par les nouvelles taxes imposées par la loi de finances 2014 [adoptée le 30 décembre 2013]. Toutefois,la suspension par le gouvernement [in extremis, avant sa démission le 9 janvier] des mesures fiscales ayant provoqué le gros des manifestations aurait dû se traduire par une baisse immédiate des tensions. Or, il n’en a rien été, on a même vu les émeutes prendre une tournure franchement violente. Qui sont donc ces casseurs et incendiaires ? Selon les agents de l’ordre, il y aurait un mélange de délinquants, qui s’attaquent aux recettes des finances, aux agences des banques et aux commerces pour les piller, et d’éléments extrémistes religieux, dont les seules cibles restent les agents de l’ordre et les postes de police. Les uns et les autres ont appris à se connaître et à s’apprécier dans les prisons sous l’ancien régime, et ils coopèrent aujourd’hui pour essayer de créer le chaos dans le pays. Cela dit, on pourrait aussi s’interroger sur le timing des émeutes, qui ont pris de l’ampleur quelques heures après l’annonce de la démission du chef du gouvernement Ali Larayedh et la nomination officielle de Mehdi Jomaâ, technocrate sans appartenance politique, chargé de former un cabinet restreint de compétences nationales indépendantes. Cette passation de pouvoir n’est pas, on l’imagine, pour plaire à tout le monde.Ridha Kéfi Kapitalis (extraits) Tunis

Publié le 11 janvier

Contrepoint

SOURCE

MAG14Tunis, Tunisiewww.mag14.com/Ce webzine lancé au lendemain de la révolution de janvier 2011 se présente ainsi : “Un journal électronique, pour un nouveau regard sur la Tunisie.”

↙ Dessin de Willis from Tunis, Tunisie.

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Belgique.Alcoobuspour AnversDepuis le 1er janvier, les jeunes Néerlandaisde moins de 18 ans ne peuvent plus acheterde boissons alcoolisées. Un service privé de buss’est mis en place entre les Pays-Bas et la Belgique.

—De Standaard Bruxelles(extraits)

C’est un car de tourismetout blanc. Il parcourttoute la Flandre zélandaise

– Sluis, Oostburg, Breskens, Ter-neuzen – et embarque des adoles-cents qui attendaient patiemmentsous la pluie. Des jeunes filles encollants serrés quittent le ventglacé et montent à bord en

piaillant. L’organisateur, DanielDankaart, 16 ans, coche un à unles noms de tous ces jeunes passa-gers sur sa liste. Destination fi-nale : le Noxx, une boîte de nuit àAnvers.

“NIX18, juste 16+, parce que c’estpossible”, clame le slogan sur lapage Facebook “Party-People-Zeeuws-Vlaanderen”, l’organisa-tion qui a pris l’initiative de cevoyage en car. Une allusion di-

recte à la campagne NIX18 or-chestrée par le gouvernementnéerlandais : “On ne fume pas, onne boit pas avant 18 ans”.Car, depuis le 1er janvier dernier,

les jeunes de moins de 18 ans nesont plus autorisés à acheter desboissons alcoolisées aux Pays-Bas.En Belgique, la limite est égale-ment fixée à 18 ans pour les alco-ols forts mais à 16 ans seulementpour le vin et la bière.

A bord du car, les règles com-mencent déjà à changer. La moitiédes passagers a moins de 18 ans.Pour un euro, on peut acheter unebière. Une bouteille de “bulles”coûte dix fois plus cher. Mais onpeut aussi amener ses propresboissons : pour les organisateurs,cela ne pose pas de problème.Laura, 16 ans, trouve les bois-

sons très chères au Noxx. “Si vouscommandez une vodka Red Bull, onne vous rend qu’un euro sur un billetde dix”, se plaint-elle. Elle trouveinjuste les nouvelles restrictionsqui frappent les jeunes de sonpays. “C’est quand même dinguequ’ils puissent décider de nous enle-ver ça comme ça”. “Alors que ce sontles 16-17 ans qui boivent le plus”, ré-plique en criant un jeune en blou-son noir. Eclat de rire dans le bus.Laura : “C’est pour ça que désor-mais, nous allons en Belgique.”Laura affirme connaître ses li-

mites. Six vodkas Red Bull par soi-rée, maximum sept. Et personnene lui a encore demandé son âgedans une discothèque belge.

“Une fois que j’ai commencé àboire, je continue”, confie son amieKayleigh, 16 ans également. Alors,quand elle a assez bu, il faut quequelqu’un le lui dise. La fois der-nière, au Noxx, personne ne l’afait et elle a fini par êtremalade enplein milieu de la boîte de nuit. “Sivous prévenez le personnel, ça nepose pas de problème”, dit-elle. “Ilssont habitués. On jette un seau de sa-ble par-dessus et voilà.” Kayleighapprouve bruyamment.

Désert nocturne. C’est dès l’an-née passée que Sebastiaan Keijmela commencé à organiser ces expé-ditions en Belgique. Pas spéciale-ment pour offrir une alternative àces jeunes de 16-17 ans interditsde boisson dans leur pays maispour donner à tout le monde unepossibilité de sortir. En Flandrezélandaise, il n’y a plus rien selonlui. La dernière boîte de nuit afermé ses portes l’année dernière.Depuis, il s’est associé à DanielDankaart. Ils sont tous les deuxDJ et se sont connus à des soirées.Maintenant que la loi a changé,

Keijmel s’attend à davantage dedemande pour ses cars. “Mais je neveux pas être associé à des expres-sions comme alcoobus”, affirme-t-il.Selon lui, il s’agit d’aller passerune chouette soirée et non de sesaouler.Il est minuit. Le bus arrive à An-

vers. Le Noxx est situé dans unezone industrielle, entre les boule-vards bordés d’appartements etune zone d’immeubles de bureauxvides. Le bus se gare juste devantl’entrée et les jeunes se précipi-tent sans tarder à l’intérieur.Pas besoin de montrer patte

blanche. Au dessus de la pisteprincipale, les boules à facettescôtoient les croissants de lune do-rés et les chandeliers blancs. Toutle monde se précipite au bar.Dans un coin, deux jeunes

Néerlandaises en jupes courtes àpaillettes. Elles ondulent leurslongues chevelures brunes avecdes regards polissons. Dans le bus,elles avaient l’air bien réservéesmais, après deux vodkas, leur ti-midité semble avoir disparu et ungroupe de garçons vient bientôtles entourer.Les clients belges de cette boîte

de nuit trouvent tous ces Néerlan-dais impeccables. Ils ont du mal àcroire que ce soit dans ce havre detolérance que sont les Pays-Basqu’on a justement augmenté les li-mites d’âge pour consommer del’alcool. “C’est bizarre”, conclut ungroupe de quatre amis. Devanteux, deux bouteilles de Vodka Bel-védère à 260 euros chacune. Unefois la vodka bue, ils sont rempla-cés par un autre groupe qui seprend en photo avec les bouteillesvides en main.Deux heures du matin. Gers

Pardoel vient de monter sur le po-dium. Il chante “Je t’emmène envoyage” et le public reprend enchoeur “à Rome ou à Paris”. Il n’estpas rare de voir des chanteurs fla-mands se produire dans les boîtesbelges.Une équipe de foot de Rotter-

dam assez éméchée entouremaintenant les deux filles avec lesjupes à paillettes. Les jeunes deZélande sont là aussi mais ils sontmoins entreprenants. Parce qu’ilsont encore la route à faire jusquechez eux ou qu’ils ont travaillétoute la journée.Quatre heures et demie. Daniel

est à l’avant du bus et coche lesnoms sur sa liste d’appel. Ça y est,tout le monde est à l’intérieur. Laplupart sont ravis de rentrer.Fleur : “La fois dernière, tous ceuxde Hulst étaient à moitié morts.Beaucoup avaient été malades.”Cette fois-ci, pas de nausées maison chante en choeur. Une desfilles en jupe à paillettes va de-mander au chauffeur de changerun peu de musique, “Slam FM ouquoi...”Selon Daniel, dans le car, la si-

tuation ne déborde jamais. Il y aen permanence quelqu’un de l’or-ganisation à bord. “Et puis, la plu-part du temps, les filles sont en majo-rité et elles gardent les garçons souscontrôle.”Deux chansons plus tard, on

entend encore une voix à bord :“Eh, chauffeur. Tout le monde doitpisser !” L’instant d’après, il n’y aplus un bruit.

—Romy Van Der PoelPublié le 7 janvier

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014I.

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

Page 27: Courrier 20140116 courrier full 20140212 165503

—De Standaard Bruxelles

Un des épisodes dont je me souviendraitoujours, c’est la fois où nous avonsdû créer une mosquée pour la toute

première fois”, se souvient Piet Janssen.“Bien entendu, nous avions besoin d’ungrand tapis et nous avions entendu dire qu’ily a en avait un de disponible dans la cathé-drale d’Anvers.”Piet Janssen et ses collègues ont ob-

tenu le droit de l’emprunter et ils sont al-lés le chercher avec une camionnette delocation. “C’était pendant le ramadan, quitombait pendant le mois de décembre cetteannée-là, s’amuse-t-il. La seule chose à la-quelle on nous avait dit de faire attention,c’est de veiller à ce qu’il soit bien de retour àla cathédrale pour Noël.”Au début des années 70, Piet Janssen

était l’une des figures centrales dans l’ac-compagnement des premiers immigrantsmarocains à Anvers. Après que la Belgi-que et le Maroc aient signé, en 1964, unaccord bilatéral sur l’immigration, ungrand nombre de Marocains sont venuss’installer dans notre pays. Surtout à lademande de l’industrie qui était alors enforte demande de main d’oeuvre.

“Comme étudiant, j’étais déjà fortementimpliqué dans la problématique du tiers-monde, raconte Piet Janssen. Mais c’estquand les premières familles marocaines ontcommencé à arriver que le tiers-monde s’estvéritablement retrouvé à nos portes.” Avec

quelques autres jeunes, il s’est alors mis àaider les immigrés comme volontaire, no-tamment dans la recherche de logementset l’organisation d’activités sociales.“C’est ainsi que nous sommes partis en pros-pection à la recherche d’un endroit pour im-planter la première mosquée permanented’Anvers”, se souvient-il. Une des optionsétait alors d’utiliser la crypte d’une égliseà Borgerhout. “Mais, malheureusement,pour des raisons d’ordre purement pratique,cela ne s’est jamais fait.”

“Piet est trop modeste, estime FatimaBali. Mais il a vraiment joué un rôle-clef.” Al’époque, les parents de cette ex-femmepolitique anversoise d’origine marocaineont assisté Piet Janssen et ses collègues.Elle travaille aujourd’hui à la préparationd’une série d’activités dans le cadre de cejubilé, lequel a fait l’objet d’un documen-taire rappelant le travail accompli partous ces pionniers [ce documentaire seraprojeté en avant-première le 11 févrierprochain au cinéma Roma à Borgerhout].

“A l’époque, Borgerhout était le labora-toire en matière de politique des minorités”,raconte-t-elle. Le but de ce film est demettre cette période en images maisaussi de sensibiliser les jeunesd’aujourd’hui à l’intérêt du travail social.“Il est important que les jeunes d’origineétrangère se rendent compte du travail ac-compli par beaucoup de Flamands pouraider leurs parents et grands-parents à l’épo-que. Souvent, ils ne connaissent pas vraimentleur propre passé.”A la fin des années 70, on a assisté à

une professionnalisation du travail desPiet Janssen et consorts. “Un service socialà l’intention des immigrants a notammentété créé.” Et puis, des cours de languenéerlandaise ont aussi été organisés.“Parce que la langue peut être source debeaucoup de malentendus”, ironise PietJanssen, qui se souvient de cette infir-mière qui tentait d’insuffler du courage[moed en néerlandais] à une patiente ma-rocaine. “Mais en arabe, le mot maut, qui seprononce quasiment de manière identique,signifie la mort.”

“Outre Piet Janssen, le père Martens, unjésuite, a également joué un rôle essentieldans l’accueil des étrangers, dit Fatima Bali.Pour beaucoup de Marocains, il a été commeune sorte de second père ici.” Le père Mar-tens, qui a encore pu être interviewé audébut de cette année dans le cadre de cedocumentaire, s’est éteint peu de tempsaprès à l’âge de 92 ans. “Un homme est unhomme, déclarait-il dans cette ultime in-terview. J’espère qu’à terme nous ne devronsplus faire de différence entre autochtones etimmigrés. Et que nous n’aurons même plusbesoin de ces mots.”Piet Janssen, quant à lui, est désormais

à la retraite. La plupart des activités deson Centre pour travailleurs étrangersont entre-temps été reprises en main parles pouvoirs publics. “Nous avons essentiel-lement essayé de mettre des choses en place,explique-t-il. Après c’est à la société deprendre ses responsabilités et de reprendre leflambeau.”

—Samuel HanegreefsPublié le 19 décembre

↙ Dessin de Cécile Bertrand paru dans La Libre Belgique.

IMMIGRATION

Belgique-Maroc, 50 ansLa convention sur l’immigration entre la Belgique et le Maroc aura50 ans le 17 février prochain. Un documentaire mettant en scèneles protagonistes de cette aventure vient d’être réalisé.

Courrier international – n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 II.

Edito

La loi, c’est laloi ? Mais oui !●●● “De wet is de wet”. Lasecrétaire d’Etat en charge del’asile, Maggie De Block (OpenVLD), ne cesse de répéter que“la loi, c’est la loi !” pourjustifier le refus d’accorderl’asile aux ressortissantsafghans. La Belgique leur dit“non” ou “nee”, notammentparce qu’elle considère que lesintéressés sont issus d’undistrict assez sûr pour ne pasrisquer d’être victime deviolence. Même si le Haut-Commissariat pour les réfugiésdes Nations unies juge que leconflit est volatil et qu’unerégion considérée comme sûreaujourd’hui peut ne plus l’êtredans quelques semaines ouquelques mois.Mais soit. Le gouvernementbelge estime donc quel’Afghanistan – pays danslequel la Belgique estengagée militairement – nese trouve pas dans unesituation de conflit armé surtout le territoire et qu’il n’estpas déraisonnable d’yrenvoyer des gens. Mais il nepousse pas sa logiquejusqu’au bout (preuve qu’il lasait boiteuse ?) : seuls deshommes seuls sont, detemps à autre, effectivementmis dans un avion àdestination de Kaboul. Lesfamilles ne sont paséloignées. Ni accueillies. Cemoratoire de fait sur lesexpulsions ne leur accordeaucun droit (ni à unlogement, ni à un travail…) etles condamne à l’illégalité.Aujourd’hui, 450 Afghans(sur)vivent en Belgique dansdes conditions inhumaines.Ils dorment dans une égliseglaciale, mangent ce que debraves gens leur apportent,se lancent dans des marchesà travers la Belgique pourtenter de faire valoir leursdroits.“De wet is de wet.” On estbien d’accord. Appliquons-ladonc aux Afghans. Laprotection subsidiaire estinscrite dans la loi de 1980sur l’accès au territoire. Ellepermet d’octroyer un séjourd’un an aux étrangers qui ontbesoin de protection “enraison d’une violence aveugleen cas de conflit armé interneou international” dans leurpays.

—Annick HovineLa Libre BelgiquePublié le 13 janvier

C’est quand les premièresfamilles marocainesont commencé à arriverque le tiers-monde s’estvéritablement retrouvéà nos portes.

Page 28: Courrier 20140116 courrier full 20140212 165503

II. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1211 du 16 au 22 janvier 2014

Coopération. L’Europe sans conditionsCritiquée pour avoir soutenu les régimes autoritaires, l’UE veut renforcer le principe “aides contre réformes”. Mais celui-ci ne fonctionne pas. Mieux vaut donc l’abandonner et veiller plutôt aux intérêts des populations.

europedans son voisinage méridional, l’UE n’est pas vraiment perçue comme un modèle. Les citoyens qui sont descendus dans la rue au Caire et à Tunis n’avaient pas en tête le modèle européen de démocratie. Contrairement aux Géorgiens et aux Ukrainiens, les manifestants de ces pays du Sud ne brandissaient pas le drapeau européen. Certes, bon nombre de leurs revendications – Etat de droit, pluralisme des partis, abolition de la torture – sont des piliers de la démocratie occidentale, mais tous leurs représentants politiques, de quelque camp qu’ils soient, insistent sur la nécessité de développer un modèle spécifi que de démocratie tenant compte de leurs spécifi cités culturelles et religieuses.

A cela s’ajoute le fait que, pour les pays d’Afrique du Nord, l’UE n’est qu’un partenaire parmi beaucoup d’autres. Elle représente avant tout un partenaire commercial avec lequel il est bon de faire des aff aires, mais dont l’infl uence politique est tout à fait négligeable. Dans les pays de l’Est, l’Europe faisait fi gure de modèle parce qu’elle semblait être l’unique moyen d’échapper à l’emprise de la Russie. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en revanche, les luttes d’influence sont vives entre les pays du Golfe, les Etats-Unis, la Turquie, l’Iran et la Russie. Et la concurrence s’est encore exacerbée avec le “printemps arabe”.

Ainsi, alors que s’enlisaient les discussions entre l’Egypte et le Fonds monétaire international (FMI) concernant l’octroi d’un crédit, les pays du Golfe se sont empressés de tendre la main au Caire. A peine les Etats-Unis avaient-ils commencé à réduire leur aide militaire que la Russie a présenté une proposition de coopération militaire. Quant au Maroc et à la Jordanie, ils ont obtenu une place au Conseil de coopération du Golfe.

Quelle est l’alternative ? Bru-xelles devrait d’abord con si dé-rablement augmenter ses moyens financiers et tout faire pour renforcer ses liens culturels avec ses voisins du Sud. Les promesses européennes ne doivent pas rester vides de contenu et l’UE doit exprimer plus souvent et plus clairement ses propres intérêts. Ainsi pourra s’établir une relation de confiance qui renforcera la position de l’Europe dans la région. L’actuelle division des Etats membres – qui obéissent à

—Cicero (extraits) Berlin

Après les profonds boule-versements qu’a connus le monde arabe, la poursuite

d’une politique européenne de coo-pération sans conditions avec les autocrates de la région a été maintes fois critiquée. Bruxelles a donc décidé de renforcer le principe de conditionnalité. En d’autres termes, plus ils se montreront enclins à la réforme, plus les pays voisins de l’UE recevront d’aide de sa part. Et inversement. Cette approche n’est pas nouvelle, elle a servi de fonde-ment à l’élargissement à l’Est, ainsi qu’à l’actuelle politique européenne de voisinage. La logique est la sui-vante : l’UE est un modèle et ses voisins doivent l’imiter pour pro-fi ter de certains avantages. Si ce principe de conditionnalité poli-tique a bien fonctionné avec les pays de l’Est, il ne semble toute-fois guère adapté aux voisins du Sud comme l’Egypte.

Les pays de l’Est avaient – et ont toujours – une très bonne raison de mettre en place des réformes  : l’adhésion à l’UE. Doublé d’un soutien fi nancier, cet objectif constitue une incitation suffi sante pour accepter le coût de certaines réformes et mesures d’harmonisation du droit. Sauf que l’adhésion à l’UE des pays d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient est inconcevable. Les seules mesures d’incitation existantes se situent donc aux plans de l’aide fi nancière, de l’intégration dans le marché unique et d’un assouplissement dans l’attribution des visas. En résumé : l’argent, l’accès au marché et la mobilité. Reste que ces mesures ne sont pas suffi samment incitatives pour être soumises à de trop sévères conditions.

Comment pourrait-on con-ditionner les investissements privés et les activités touristiques des pays d’Afrique du Nord ? Le tourisme et les entreprises se soucient de la sécurité et de la stabilité de ces pays, mais la nature du régime et le respect des droits de l’homme ne leur importent guère, voire pas du tout.

L’aide financière reste donc l’argument le plus convaincant de l’UE. D’autant plus que les pays du Sud, profondément endettés, en dépendent fortement. Si l’UE a consenti un léger eff ort fi nancier depuis le début du “printemps arabe”, le montant de ses aides reste clairement insuffisant au regard des sommes provenant des pays du Golfe. Par ailleurs,

↓ Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö.

III.

Page 29: Courrier 20140116 courrier full 20140212 165503

EUROPE.Courrier international — no 1211 du 16 au 22 janvier 2014 III

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Cela la catapulterait au poste principal de la Commission, celui de présidente, où elle remplacerait José Manuel Barroso après son départ, en octobre.

Cette vision idéalisée du “fédéralisme” séduit de plus en plus de gens au sein du PPE et même dans le microcosme de l’UE.

Lors de la crise de la zone euro, les institutions supranationales de l’UE se sont retrouvées au premier plan et ont ainsi dévoilé leur vrai visage.

La brutalité bureaucratique des institutions européennes, qui ont imposé les objectifs budgétaires arbitraires du traité de Maastricht (à l’origine de l’UE et de l’euro), est devenue une réalité quotidienne pour des dizaines de millions d’Européens. Or personne ne leur a demandé leur avis sur les plans de sauvetage, et ils ont même été prévenus dès le départ, par Angela Merkel en personne, que si le peuple grec cherchait à s’en sortir par ses propres moyens il serait dans l’illégalité.

Personne ne leur a non plus demandé s’ils étaient d’accord pour déléguer à l’UE des

ÉLECTIONS

Viviane Reding, une aubaine pour les eurosceptiquesLa commissaire européenne à la Justice et aux Droits fondamentaux appelle de ses vœux la création des Etats-Unis d’Europe. Mais penser que cette idée puisse séduire les Européens montre à quel point Bruxelles est coupé de la réalité.

↙ Dessin de Cost, Belgique.

—The Daily Telegraph Londres

Quand Viviane Reding a récemment appelé à la création des “Etats-Unis d’Europe”, personne n’a été sur-

pris. Non seulement Mme Reding est un membre éminent de l’aile fédéraliste mili-tante de l’UE. Mais surtout tout le monde sait qu’elle brigue le poste de présidente de la Commission européenne. Quand Mme Reding parle des “Etats-Unis d’Europe dont la commission serait le gouvernement”, elle s’imagine bien évidemment à sa tête. Et qui mieux qu’elle (pense-t-elle) pour-rait endosser le rôle de père fondateur, ou plutôt de mère fondatrice, de cette nou-velle union fédérale, et devenir la première présidente des Etats-Unis d’Europe, sur les traces héroïques de George Washington.

Ce discours s’inscrivait dans le cadre de la campagne de Mme Reding pour mener le Parti populaire européen (PPE), ce parti paneuropéen fédéraliste de centre droit que David Cameron a quitté il y a quatre ans, lors des élections européennes de mai.

des stratégies différentes – ne fait que réduire un peu plus l’influence de l’Europe. L’aide financière, l’accès au marché et la mobilité peuvent être des domaines de coopération non soumis au principe de conditionnalité. Bruxelles doit étudier attentivement l’impact de ses aides pour que celles-ci profitent réellement aux pays destinataires. Jusqu’à présent, bon nombre de mesures ont plutôt servi les intérêts européens que les besoins des supposés bénéficiaires.

L’UE doit reconnaître que le principe de conditionnalité – aussi noble soit-il et sa réussite souhaitable – ne fonctionne pas avec ses voisins du Sud. Bruxelles doit admettre que les régimes non démocratiques de la région ne peuvent être mis sous pression pour se réformer et que l’influence politique de l’Europe y est très limitée. L’Europe doit également avoir conscience que, si elle réduit sa coopération avec les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, d’autres pays s’empresseront de prendre sa place. Faut-il laisser les pays du Golfe prendre la relève de l’Europe dans le secteur éducatif ? Est-il souhaitable de laisser la Chine et la Russie conclure des accords de coopération avec ces pays en matière de sécurité ?

Le principe de conditionnalité doit servir à promouvoir les règles et les valeurs de l’Europe chez ses voisins. Le renoncement à ce principe ne signifie pas que tout aspect normatif doit dorénavant disparaître de la politique étrangère européenne. Cela ne signifie pas que l’UE ne fera plus de différence entre les démocraties et les régimes autoritaires. Tout le monde sait qu’il n’est pas conseillé de livrer des armes à un autocrate qui s’en servira pour réprimer son opposition. Pas besoin de principe de conditionnalité pour critiquer des manquements, annuler une rencontre officielle ou convoquer un ambassadeur. Bruxelles doit simplement veiller à ce que ses aides financières servent les intérêts des populations, et non le budget de dirigeants autoritaires. Tels sont les éléments normatifs d’une politique étrangère responsable, honnête et réaliste, qui défend ses valeurs en dehors du principe de conditionnalité.

—Christian Achrainer*Publié le 9 janvier

* Chercheur à l’institut allemand Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), spécialiste de l’Egypte.

décisions cruciales concernant l’attribution de leurs propres fonds au sauvetage de l’euro. A-t-on fait voter les Allemands pour leur demander s’ils souhaitaient que les Français aient leur mot à dire sur le budget de l’Allemagne ? Et les Français ?

Qui voudrait que l’arrogante troïka de la Banque centrale européenne, la Commission et autres bureaucrates sans mandat décident de l’avenir de son pays, comme c’est le cas pour la Grèce et le Portugal aujourd’hui ?

La realpolitik féroce de la zone euro a suscité une hostilité sans précédent à l’égard des institutions de l’UE.

Selon des sondages effectués par Bruxelles, la confiance des Européens dans l’UE a chuté de 57 % à 31 % en 2007 (au moment où on leur promettait que l’Union européenne les mettrait à l’abri de la crise financière qui s’annonçait). Mais pour des gens comme Mme Reding, il est impossible de revenir en arrière. Leur mantra reste “plus d’Europe”.

Le fait que l’UE croie que des Etats-Unis d’Europe pourraient avoir le moindre attrait auprès du public européen illustre bien la distance sidérale qui la sépare du reste du monde. Chaque fois que des partisans du fédéralisme, comme Mme Reding, s’expriment, ils ne font qu’aggraver la fracture entre les institutions de l’UE et les Européens. Et sans le vouloir Mme

Reding devient ainsi le meilleur sergent recruteur de ce mouvement eurosceptique qu’elle redoute tant.

Demandez aux électeurs s’ils souhaitent “plus d’Europe”, surtout ce genre d’Europe qui se donne l’apparence d’un Etat à part entière, et ils se précipiteront en masse pour voter contre. En dépit de ses ambitions et de ses rêves, Mme Reding est la meilleure alliée de Nigel Farage [le leader de l’Ukip, formation fortement eurosceptique]. Et plus elle donne de la voix, plus l’Ukip récolte de nouveaux électeurs.

—Bruno WaterfieldPublié le 9 janvier

IV.

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26. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

à la une

Jadis exclus du pouvoir, les chiites du Moyen-Orient ont peu à peu réussi, avec le soutien de la république islamique d’Iran,

à mettre la main sur le Liban par le biais du Hezbollah, à diriger l’Irak après l’élimination de Saddam Hussein et à empêcher la chute du régime

syrien. Une dynamique qui effraie l’Arabie Saoudite et les sunnites arabes, majoritaires mais mal organisés, et qui ouvre les portes à Al-Qaida

et à ses filiales pour affronter les milices chiites, comme l’explique The New York Times (p. 32). Cette guerre entre deux fondamentalismes

risque d’être la plus meurtrière qu’ait jamais connue le Moyen-Orient. Mais, comme le démontre le site libanais Now., les sociétés civiles

arabes ne sont pas prêtes à accepter la mainmise islamiste sur leur mode de vie (p. 33). — Service Moyen-Orient

ISLAMCONTRISLAM

Page 31: Courrier 20140116 courrier full 20140212 165503

Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 27

IRAN

É.A.U.**

OMAN

PAKISTAN

AFGHANISTAN

TADJIKISTAN

AZERBAÏDJAN TURKMÉNISTAN

TURQUIE

IRAK

ARABIESAOUDITE

YÉMEN

QATAR

BAHREÏN

KOWEÏT

SYRIE

JORDANIE

LIBAN

PALESTINE

ÉGYPTE

SOUDAN

“Croissantchiite”

La Mecque

La Mecque Principaux lieux saints de l’islam

Médine

Jérusalem

Damas

NadjafKerbala

MerRouge

Merd’Oman

MerCaspienne

SOU

RCES

: PE

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Chiites*Sunnites

druze** É.A.U. Emirats arabes unisibadite non confessionnelleAutres branches de l’islam :

Affrontements violents entre chiites et sunnites Tensions

* dont les alévis (Turquie), les alaouites (Liban et Syrie) et les zaydites (Yémen) 310

30

70

La grosseur des camembertsest proportionnelle au nombre

de musulmans (en millions, par pays)

55/45 Les chiffres correspondent à la part des 2 communautés dans l’ensemble de la population musulmane du pays (en %). Ces chiffres peuvent être approximatifs.

Chiites et sunnites au Moyen-Orient

90

12

17

15

4555

25

65

85

15

10

83

85

5

90

7030

90 10 85 15

65 35

88

47 47

35

82

75

15

ISTES RE ISTES

L—Al-Monitor (extraits) Washington

e phénomène contemporain du fonda-mentalisme musulman trouve son expression à la fois dans l’islam chiite et sunnite. L’“islam politique” est le terme fourre-tout qui sert à désigner le fondamentalisme dans ces deux branches de l’islam. Si un grand nombre de

musulmans sunnites et chiites du Moyen-Orient n’ont pas le sentiment de participer aux confl its religieux actuels, plusieurs interprétations politiques de l’islam ont transformé la région en un théâtre de guerre. Ces interprétations ont des structures idéologiques très similaires, ainsi que des racines historiques communes.

L’islam fondamentaliste que nous connaissons est un phénomène récent qui est apparu il y a une centaine d’années seulement. Ce mouvement

Les racines du radicalisme Le culte d’un passé glorieux et le rejet de la modernité ont alimenté l’islamisme politique dans ses versions sunnite comme chiite.

était une réaction à la fragilité et à la faiblesse des pays islamiques par rapport à leur passé glorieux. Ainsi, les fondamentalistes ne sont pas venus des milieux conservateurs, mais plutôt des mouvements réformistes qui cherchaient à créer un “éveil islamique”.

L’objectif du fondamentalisme est en réalité un retour au texte sacré, visant à appliquer scrupuleusement ses dogmes sans les interpréter et à rejeter ses interprétations historiques offi cielles plus conservatrices. Pour les fondamentalistes, revenir à une lecture originelle et éviter toute interprétation ultérieure est la solution à tous les problèmes actuels.

Les fondamentalistes regrettent un “âge d’or” perdu, bien que la signifi cation de cet “âge d’or” ne soit pas la même pour les sunnites et les chiites. Pour les sunnites, le but est de revenir à l’époque glorieuse du califat. De leur côté, les chiites

Lexique

SUNNISME Le courant religieux majoritaire de l’islam regroupe plus de 85 % des musulmans du monde. Il est souvent perçu comme le représentant de la ligne orthodoxe de la religion. Au Moyen-Orient, il est confronté à la montée du chiisme, l’autre branche de l’islam, majoritaire en Iran, en Irak, et au sein de l’islam libanais.

CHIISME A la mort de Mahomet, en 632, les confl its de succession ont engendré la première scission au sein de l’islam. Les partisans d’Ali (chiites), gendre du Prophète et quatrième calife, ont reconnu son fi ls Hassan comme nouveau calife. Mais la nouvelle dynastie omeyyade installée à Damas n’était pas prête à céder le califat. L’assassinat à Kerbala, en 680, de Hussein, deuxième fi ls d’Ali, a irrévocablement séparé ces deux branches de l’islam. Le chiisme a été adopté par les Perses, après leur conversion à l’islam et il est devenu leur religion d’Etat, il a été marginalisé et exclu du pouvoir au Moyen-Orient, jusqu’à la victoire de la révolution islamique en Iran.

ALAOUITES Minorité apparentée au chiisme, implantée dans le nord de la Syrie et constituant 10 % de la population syrienne. En 1970, le coup d’Etat mené par Hafez El-Assad a consacré la mainmise de cette communauté, jadis pauvre et marginalisée, sur l’Etat syrien.

↓ Alep, en janvier 2014, des rebelles non islamistes calment la population, excédée par les islamistes sunnites d’Al-Qaida. Photo Jalal Alhalabi/Reuters

→ 28

Page 32: Courrier 20140116 courrier full 20140212 165503

28. À LA UNE Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

L

espèrent l’avènement d’un système régi par les imams. Quoi qu’il en soit, les deux groupes s’accordent à dire que l’avenir idéal ressemble à leur illustre passé.

Pour cette raison, ils se rejoignent sur les grands critères suivants :

1. Le retour aux racines sous la forme d’une opposition à la modernité : pour les fondamentalistes, le manque de développement dans leurs sociétés est dû au totalitarisme interne et au colonialisme externe, deux phénomènes issus de la modernité. A leurs yeux, la solution est l’élaboration d’une interprétation politique de l’islam ainsi que sa mise en œuvre dans la société.

2. La compatibilité avec la charia  : les fondamentalistes souhaitent que les règles de leur société soient compatibles avec celles de la charia. Selon eux, c’est la solution à tous les problèmes actuels. Toute autre méthode prescrite pour gouverner la société relève de l’innovation, ce qui en fait une aberration. Selon eux, la démocratie n’est qu’un outil qui doit servir à ouvrir la voie en vue de préparer la société au règne de la charia.

3. La violence : pour les fondamentalistes, toutes les formes historiques de châtiment sont légitimes et applicables. Ainsi, les actes comme la lapidation, la décapitation et la flagellation, entre autres pratiques qui appartiennent à un lointain passé, sont considérés comme des formes légitimes de sanction à notre époque. C’est pour cette raison qu’ils sont pratiqués aujourd’hui en Arabie Saoudite et en Iran, deux exemples d’Etats fondamentalistes sunnite et chiite.

4. L’idéologisation religieuse : selon les fondamentalistes, l’islam est un système politique, social et économique complet qui devrait être appliqué à la société quels que soient l’époque et l’endroit. Pour eux, l’islam n’est pas uniquement une religion.

Origine commune. Il est intéressant de noter qu’une étude de l’histoire du fondamentalisme – dans l’Islam chiite et sunnite – permet de révéler leur origine commune. D’une manière générale, le fondamentalisme est apparu à peu près au même moment dans trois territoires musulmans différents. Dans la péninsule arabe, les wahhabites exigeaient un retour au Salaf (le premier âge de l’islam) et ils ont trouvé un gouvernement qui leur convenait à la suite d’une coalition avec la famille Saoud [en 1932, création du royaume de l’Arabie Saoudite]. Dans le sous-continent indien, le Pakistanais Abul Ala Maududi [1903-1979] proposait de faire renaître le califat et de créer un gouvernement uni pour tous les territoires musulmans. Ses idées ont aussi été une grande source d’influence pour Sayyid Qutb [1906, exécuté en 1966], le principal idéologue des Frères musulmans en Egypte, qui a diffusé l’idéologie de Maududi pour raviver le gouvernement islamique et s’opposer à l’Occident.

Dans le monde chiite, Mohammad Baqir Al-Sadr [1935, exécuté en 1980], inspiré lui aussi par la pensée de Maududi, a présenté et publié une nouvelle version de la Constitution du gouvernement islamique. De plus, lorsque la Constitution iranienne était en cours de rédaction, il a présenté aux doyens religieux d’Iran un modèle comportant la structure globale de l’Etat islamique. Ce modèle a été remis aux doyens au

moment où le gouvernement intérimaire iranien venait de présenter à l’assemblée constitutionnelle d’experts un projet de constitution séculaire. Par conséquent, Mohammad Beheshti – le vice-président de l’Assemblée – a immédiatement préparé un nouveau projet fondé sur les écrits de Mohammad Baqir Al-Sadr et finalement, après quelques modifications, c’est ce projet qui a été adopté par l’Assemblée. Ainsi, le principe du velayat-e faqih [gouvernement du docte] a été intégré à la nouvelle Constitution.

En outre, il existe d’autres éléments de preuve concernant l’origine unique du fondamentalisme dans les branches chiite et sunnite de l’islam. Les fidèles de Mohammad Baqir Al-Sadr et les leaders religieux d’Iran ont tous été subjugués par les idées de Sayyid Qutb. Ses écrits restent la principale source idéologique du Parti islamique Dawa. Ce parti chiite a été inspiré et dirigé par Mohammad Baqir Al-Sadr, et c’est actuellement le parti le plus puissant d’Irak. Le dirigeant actuel de l’Iran, le grand ayatollah Ali Khamenei, a également traduit plusieurs ouvrages de Sayyid Qutb en persan et, à plusieurs occasions, il a fait l’éloge de ses illustres pensées et croyances.

—Ali MamouriPublié le 18 octobre

—Now. (extraits) Beyrouth

e royaume saoudien est à bout de patience. Les tentatives de résoudre la crise syrienne par la voie diplomatique restent infructueuses. Aussi de fétides appels au djihad [contre le régime syrien] vont-ils être lancés par les instances religieuses, de La Mecque et d’ailleurs. Les

mollahs [chiites] n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. “Nasrallah [chef du Hezbollah chiite] a merdé”, m’a récemment déclaré une source syrienne bien informée. “Il a réveillé le géant sunnite.”

Les récents désaccords entre le Hamas [palestinien et sunnite] et le Hezbollah au Liban et en Syrie témoignent de cette nouvelle donne. Autre preuve de la détermination de Riyad à mettre fin au règne d’Assad : l’article publié le 15 juin par

Le réveil du géant sunniteLes atermoiements américains face au conflit en Syrie poussent le royaume saoudien à mener une intense activité diplomatique et militaire, et à s’allier à la France.

Selon les deux fondamentalismes, la démocratie n’est qu’un outil qui doit servir à préparer la société au règne de la charia

↑ Théâtre du monde arabe. Dessin de Stavro, Liban.

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Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 ISLAMISTES CONTRE ISLAMISTES. 29

—Al-Hayat (extraits) Londres

epuis que les Etats-Unis se sont abstenus de punir le régime de Bachar El-Assad pour son utilisation criminelle d’armes chimiques, en août dernier, les sunnites se considèrent de plus en plus comme des victimes. Ils dénoncent la tyrannie exercée

par des minorités arrogantes [alaouite et chiite] et le silence international face au drame syrien.

Ce discours d’autovictimisation ne date pas d’aujourd’hui. Il s’est développé au cours des décennies de règne de la minorité alaouite et de la famille du président Assad, et en particulier depuis que celui-ci a écrasé son seul adversaire sérieux, à savoir les Frères musulmans [en 1982, faisant des dizaines de milliers de victimes à Hama].

Dès le début de la révolution syrienne, il s’est avéré que les minorités [alaouite druze et chrétienne] ne comptaient pas se joindre en masse à cette révolution. Cela a fait couler beaucoup d’encre. Par conséquent, les sunnites, qui forment le gros des troupes de l’opposition, se sont retrouvés seuls pour affronter l’appareil de répression du régime, surentraîné et déterminé à tuer. Mais, au-delà de la Syrie, le discours d’autovictimisation sunnite se nourrit également de ce qui se passe au Liban et en Irak, où les sunnites ont été nettement marginalisés.

Ils en arrivent ainsi à se considérer comme de pures victimes, faisant abstraction de la complexité des relations tumultueuses entre sunnites, chiites, alaouites et chrétiens dans le passé récent. Il n’est pas vrai, par exemple, que les sunnites syriens s’opposent [depuis toujours] et en bloc au régime de la famille Assad. On

Le discours de la victimisationLes sunnites se sentent lâchés par l’Occident alors qu’ils sont en partie responsables de leurs malheurs.

D

Jamal Khashoggi, journaliste [saoudien] proche du prince Turki Al-Faiçal, l’ancien directeur général des renseignements saoudiens. Ce dernier considère que le Hezbollah et la brigade chiite irakienne Abu Fadl Al-Abbas en Syrie constituent les “serres d’acier” de l’Iran. L’article en question, intitulé “L’expansion du croissant chiite”, paru dans Al-Hayat, met en garde contre l’hégémonie grandissante de l’Iran au Moyen-Orient, fondée tant sur les intérêts énergétiques que sur l’idéologie. Si on laisse Assad gagner, voilà ce qui, selon M. Khashoggi, arrivera : “Le ministère du Pétrole iranien ressortira de vieilles cartes de ses tiroirs pour construire l’oléoduc qui transportera le pétrole et le gaz d’Abadan, à la frontière iranienne, jusqu’à Tartous [en Syrie]. Le ministère des Routes et des Transports dépoussiérera les projets de nouvelle ligne de chemin de fer entre Téhéran et Damas, et peut-être Beyrouth. Et pourquoi pas ? Le vent souffle en leur faveur. Je n’exagère pas.”

Une source anonyme du Golfe citée par l’agence Reuters affirme que les Saoudiens ont commencé à faire passer des missiles antiaériens (missiles sol-air à courte portée, Manpads) en Syrie. Qui plus est, au moins 50 Konkurs, des missiles guidés antichars de fabrication russe, ont fait en juin 2013 leur apparition à Alep, comme l’a confirmé Richard Spencer, correspondant au Moyen-Orient du Daily Telegraph. (Les Konkurs servent en particulier à détruire les chars T-72, le dernier modèle soviétique qu’utilise l’armée syrienne.)

De façon plus étrange, cette campagne est ostensiblement soutenue par la France. La radio militaire israélienne a fait savoir cette semaine que les responsables des renseignements français travaillaient avec leurs homologues saoudiens pour former les rebelles aux armes de guerre, de concert avec le ministère de la Défense turc (les lignes d’approvisionnement turques vers Alep jouent un rôle de plus en plus déterminant.) Le ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Saoud Al-Faiçal, et le chef des mukhabarat [la police secrète], le prince Bandar bin Sultan (conseiller pour la sécurité du roi Abdallah), se sont rendus à Paris lors d’une série de voyages diplomatiques d’urgence. [Une alliance entre Israël et l’Arabie Saoudite pour contrecarrer l’hégémonie iranienne a fait couler beaucoup d’encre, voir CI n° 1202.]

La France a payé. “Les Français font pression pour une action renforcée en se montrant très proactifs”, estime Elizabeth O’Bagy, directrice politique de la Syrian Emergency Task Force [une ONG basée aux Etats-Unis]. “Ils ont beaucoup de correspondants actifs sur le terrain.” La source du Golfe qui a signalé à Reuters l’envoi de missiles antiaériens en Syrie précise : “Ils [les missiles] ont été obtenus auprès de fournisseurs en France et en Belgique, et la France a payé pour les envoyer dans la région.”

L’entente franco-saoudienne donne à Washington une bonne raison de défendre le statu quo ante bellum – bonne raison qui lui manquait. Certains commentateurs adoptent un langage quasi apocalyptique frisant le ridicule. La Maison-Blanche s’en tient toujours à sa volonté de mener un processus de paix sans s’impliquer directement. Ainsi, tout le monde [à Washington], du chef d’état-major des armées, Martin Dempsey, jusqu’au président Obama, rejette haut et fort l’idée de frappes aériennes ou de zone d’exclusion aérienne. (Ces “réalistes” négligent toutefois une réalité : la

meilleure façon d’éviter de se quereller à propos de la question de l’armement de l’Armée syrienne libre [les rebelles non islamistes] est d’empêcher le régime syrien de se réapprovisionner auprès des Iraniens et des Russes – mais ça nécessiterait de larguer des bombes, et il n’en est pas question, n’est-ce pas ?)

Les Américains, qui ont décidé que la crise syrienne n’était pas une question d’“intérêt national”, en oublient les intérêts nationaux de leurs alliés [sunnites]. Ceux-là déplorent le vide géopolitique laissé par l’absence des Etats-Unis et redoutent grandement la montée en puissance des éléments [Iran, Russie] qui s’empressent de combler cet espace vacant. Washington perd son temps en palabres avec Moscou à propos de Genève 2 [la conférence prévue le 22 janvier pour discuter de la paix en Syrie], une conférence bien

sait qu’Hafez El-Assad, fondateur de ce régime, avait noué une alliance avec la bourgeoisie damascène et alépine, essentiellement sunnite. Sans cette alliance, le régime n’aurait pas survécu à l’affrontement avec les Frères musulmans en 1982. De même, sans l’appui des hommes d’affaires sunnites, Bachar El-Assad n’aurait pas tenu face à la révolution.

“Islam arabe”. Ce sont les principales failles du discours d’autovictimisation sunnite. Le plus grave est que ce discours ignore la diversité confessionnelle et ethnique de la Syrie. De fait, il reproduit implicitement l’idéologie de son ennemi baasiste. Là où le baasisme appelle les Kurdes, entre autres, à renoncer à leurs droits nationaux pour se ranger sous la bannière du nationalisme arabe prôné par le parti Baas, l’opposition islamiste sunnite exige que chacun se conforme à la place que lui assigne l’“islam arabe”, c’est-à-dire sunnite [en opposition au chiisme, qualifié de “perse”]. Autrement dit, il s’agit de ramener les chrétiens à la catégorie des dhimmi [statut réservé aux minorités religieuses, aussi appelé “capitation”] et à renouer avec une vision pathologique des alaouites [considérés comme des apostats].

Une telle idée, récemment apparue dans un document du Front islamique, n’a pas sa place dans le monde d’aujourd’hui. Certes, il est difficile de réfléchir calmement et de résister aux pulsions de vengeance alors que tant de sang est versé par le régime, mais il n’est pas acceptable que cela devienne la doctrine de la révolution syrienne. Celle-ci y perdrait son âme.

—Hussam ItaniPublié le 29 novembre

partie pour ressembler à la dernière demi-heure de Rocky IV, alors qu’en Syrie la guerre se poursuit. Les soldats de l’armée syrienne et les militants issus du Hezbollah, des Comités populaires financés par l’Iran et des Forces de défense nationale se font face dans la province d’Alep. Entre 3 000 et 4 000 combattants du Hezbollah, soutenus par les gardiens de la révolution islamique [iraniens], se disent prêts à remporter une victoire comme à Qousseir [la localité syrienne reprise par le Hezbollah en mai 2013].

Les Etats-Unis ont gagné une place aux premières loges pour assister précisément au genre d’affrontement qu’ils voulaient éviter : un conflit transnational entre sunnites et chiites. Toutes mes félicitations.

—Michael WeissPublié le 21 juin 2013

Lexique

AL-QAIDA Née en 1987, Al-Qaida (la Base) est un mouvement islamiste violent fondé par le Saoudien Oussama Ben Laden. Le 11 septembre 2001, elle mène son action la plus mortelle sur le sol américain, l’attaque des Twin Towers (près de 3 000 morts). Depuis, elle a multiplié les attentats terroristes dans de nombreux pays et créé des “filiales” notamment en Afrique et au Moyen-Orient.En Syrie, deux mouvements islamistes se revendiquent actuellement d’Al-Qaida : le Front Al-Nosra (Jabhat Al-Nusra), né avec la guerre civile en Syrie. Ce groupe islamiste de rebelles violents (djihadistes) semble plus enclin au compromis avec les autres rebelles syriens non islamistes que son rival qui se revendique aussi d’Al-Qaida ; l’EIIL (l’Etat islamique en Irak et au Levant, connu aussi sous le nom de Daesh). L’EIIL s’est illustré par de nombreux massacres de civils syriens.

LE HEZBOLLAH Le Parti de Dieu, fondé en 1982, est un mouvement politique et militaire chiite financé et soutenu par l’Iran. Il est actuellement le seul mouvement libanais à garder les armes, au nom de la lutte contre Israël. Sa guerre contre l’Etat hébreu en 2006 l’a rendu très populaire dans tout le monde arabe. De nombreux groupes militaires chiites irakiens combattent au côté du Hezbollah en Syrie.

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des hommes, femmes, vieillards et enfants sunnites désarmés, les enfouissant sous les décombres de leurs maisons détruites”.

De telles critiques ne sont pas surprenantes de la part de groupes extrémistes sunnites, mais le Hezbollah est aujourd’hui confronté à de nouveaux défis. En août dernier, le président du Liban, Michel Sleimane, a demandé pour la première fois à l’Etat de réduire les capacités du Hezbollah à agir comme une milice échappant au contrôle du gouvernement. De nombreux Libanais estiment qu’en envoyant des combattants en Syrie, le Hezbollah a fait passer ses intérêts particuliers avant ceux du Liban en tant qu’Etat, ce qui contredit radicalement ses efforts déployés de longue date pour se présenter comme une formation d’abord et avant tout libanaise.

Désormais, le groupe, qui se décrit comme l’avant-garde protégeant les plus faibles face à l’injustice et qui s’est toujours efforcé de minimiser son identité confessionnelle et pro-iranienne, voit son image remise en cause. Son soutien actif à un régime alaouite brutalisant une opposition syrienne majoritairement sunnite dégrade son image de mouvement de “résistance”.

Le Hezbollah mieux armé. Dans son discours, Nasrallah évoquait les “deux graves dangers” auquel est confronté le Liban. Le premier est “Israël, ses intentions, sa rapacité et ses manœuvres”. Le second danger, poursuivit Nasrallah, ce sont “les changements qui ont lieu en Syrie”.

En dehors des plus farouches partisans chiites du Hezbollah, il se trouve peu de gens pour accepter le raisonnement tortueux du Hezbollah selon lequel la rébellion syrienne est une manœuvre américaine ou israélienne. Ce n’est qu’après le bombardement par l’aviation israélienne de plusieurs dépôts d’armes – qu’il s’agisse des armes livrées par le régime Assad à ses propres forces ou bien des stocks d’armes stratégiques tels que des missiles de croisière anti-navires Yakhont de fabrication russe – que le régime Assad et le Hezbollah ont pu accuser Israël avec un minimum de crédibilité.

Sans l’alibi d’une menace israélienne justifiant le maintien de son arsenal comme outil de “résistance légitime”, quasiment plus rien ne justifie l’existence du Hezbollah en tant que milice indépendante échappant au contrôle du pouvoir libanais. Pis encore, tant que le Hezbollah continuera de se battre aux côtés de l’Iran et du régime Assad contre les rebelles sunnites, il sera de plus en plus considéré comme une force combattante sectaire mettant en danger la sécurité et les intérêts politiques de l’Etat libanais. Le Hezbollah continue de renforcer ses capacités militaires le long de la frontière libano-israélienne, et, selon le général Golan, chef du Commandement Nord israélien, par rapport à ce qu’était la situation il y a sept ans, quand le groupe a affronté les forces israéliennes, “le Hezbollah est mieux armé, mieux entraîné et plus prudent”. Un jour, le Hezbollah pourrait éprouver le besoin de redorer son statut de force de “résistance”. Et, lorsque ce moment viendra, Israël se retrouvera à nouveau dans le collimateur de ce parti.

—Matthew LevittPublié le 6 janvier

Mais tout cela n’est rien à côté des défis existentiels auxquels le Hezbollah doit faire face en raison de sa participation active à la guerre en Syrie. En se rangeant au côté du régime d’Assad, des partisans alaouites de ce régime et de l’Iran, et en prenant les armes contre les rebelles sunnites, le Hezbollah s’est placé à l’épicentre d’un conflit interconfessionnel qui n’a rien à voir avec la raison d’être affichée du groupe : la “résistance” à l’occupation israélienne. “Nos valeureux combattants ne retrouvent plus la Palestine sur la carte, ils la confondent avec la Syrie”, s’est gaussé un satiriste libanais chiite au lendemain du discours de Nasrallah.

L’implication est claire : le Parti de Dieu libanais n’est plus une pure “résistance islamique” combattant Israël, mais une milice confessionnelle agissant par procuration au profit de l’Iran, prenant le parti de Bachar El-Assad et de l’ayatollah Khamenei contre une partie des musulmans. Au mois de juin dernier, les Brigades Abdallah Azzam, un groupe affilié à Al-Qaida et basé au Liban, ont publié un communiqué mettant Nasrallah et ses combattants du Hezbollah au défi de “tirer une seule balle en direction de la Palestine occupée et d’en revendiquer la responsabilité”. Le groupe pourrait très bien tirer sur Israël depuis le Liban ou la Syrie, poursuivait le communiqué, mais “tire des milliers d’obus et de roquettes sur

—The Washington Institute (extraits) Washington

epuis la fin de la guerre de juillet 2006 [au Liban, entre Israël et le Hezbollah] le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prononcé la quasi-totalité de ses interventions publiques à l’abri d’un bunker sécurisé. Son apparition lors de la

“journée de Jérusalem” [2 août 2013], lorsqu’il a tenté de rallier des soutiens pour relever quelques-uns des plus graves défis auxquels le Hezbollah ait jusqu’ici été confronté, a constitué la première et unique exception à cette règle. Il a déjà eu fort à faire le jour de ce discours, et il a encore beaucoup à faire aujourd’hui.

Le Tribunal spécial de l’ONU pour le Liban (STL), à La Haye, a inculpé des agents du Hezbollah pour le meurtre de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Plusieurs militants du groupe, soupçonnés de fomenter des attentats, ont été arrêtés au Nigeria, tandis que d’autres ont été condamnés pour les mêmes motifs en Thaïlande et à Chypre. L’Union européenne a inscrit l’aile militaire du Hezbollah sur sa liste noire, tandis que le Conseil de coopération du Golfe a interdit à ses membres de collaborer de quelque façon que ce soit avec le groupe et a entrepris d’expulser les individus soupçonnés d’en être des sympathisants.

De “parti de la résistance” à simple milice chiiteL’implication du Parti de Dieu libanais en Syrie lui fait perdre son aura de mouvement de résistance anti-israélienne.

← “… Juste mes gardes du corps”. Dessin de Chappatte paru dans l’International Herald Tribune, Paris.

D

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principe le combat contre l’opposition syrienne. “Elles se battent bien. Il serait injuste de dire qu’elles n’ont pas l’initiative”, déclara l’orateur à propos des forces régulières d’Assad. “Notre rôle se borne à les conseiller. Nous ne dirigeons pas les opérations.”

A une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de la résidence, les ruines de la ville frontalière syrienne de Qousseir racontent une histoire dif-férente. En mai dernier, le Hezbollah a conquis la ville par le sud, réussissant en trois semaines ce que l’armée syrienne avait été incapable de réali-ser en deux ans. On estime que cette attaque est la plus grosse opération coordonnée jamais menée par la milice chiite soutenue par l’Iran.

La bataille de Qousseir a coûté 112 hommes au Hezbollah. Mais elle a surtout été déterminante parce qu’elle a permis au chef de l’organisation, Hassan Nasrallah, de reconnaître pour la pre-mière fois que ses hommes se battaient effecti-vement en Syrie. Cette déclaration a été perçue par nombre de dirigeants arabes sunnites comme un acte belliqueux destiné à jeter de l’ huile sur le feu des conflits interconfessionnels. Aux yeux de l’Arabie Saoudite et de nombreux Etats du Golfe, la troïka formée par l’Iran, le Hezbollah et le régime alaouite d’Assad pourrait être à la veille de décla-rer la guerre aux musulmans sunnites pour s’as-surer une hégémonie régionale.

“C’est faux, a objecté l’orateur. Ils sont majori-taires et se font passer pour des victimes. Est-ce que ce ne sont pas les minorités qui sont vulnérables ? Nous défendons nos terres. Si les takfiris [islamistes sunnites] n’avaient pas commencé à attaquer les villages fronta-liers chiites, nous n’aurions pas été contraints d’agir.”

Au fil de la discussion, le commandant consi-dérait tous les membres de l’opposition syrienne comme des takfiris. Quand on l’a interrogé pour savoir s’il restait des combattants de l’opposition encore attachés aux objectifs originels [fin de la dictature et démocratie], il a répondu : “S’il existait des révolutionnaires à l’époque, il n’en reste quasiment plus. Dans l’histoire du sunnisme, Ibn Taymiyyah [théologien sunnite radical du xiiie siècle] s’est pro-noncé à trois reprises contre nous [chiites]. Nous savons depuis longtemps contre quoi nous nous battons.”

—Martin ChulovPublié le 1er janvier

—The Guardian (extraits) Londres

ans une vaste résidence libanaise, huit hommes de milieu professionnel et social aisé s’étaient rassemblés pour écouter un important visiteur leur parler de la guerre en cours [en Syrie]. Arrivé dans le froid glacial de cette soirée d’hiver, ce dernier

pénétra dans un salon agréablement chauffé où les huit hommes le saluèrent en s’adressant à lui sous un nom de guerre très connu dans les rangs du Hezbollah, la puissante organisation [chiite libanaise] au sein de laquelle il milite depuis plus de vingt ans. “C’est une guerre non seulement contre les chiites, mais contre l’humanité

Main dans la main avec AssadLe Hezbollah se présente comme le parti des “minorités vulnérables” qui combat l’islamisme sunnite.

tout entière, déclara-t-il. Et nous allons la gagner.” Il parlait de la guerre qui se déroule en Syrie, un conflit dans lequel le Hezbollah a admis jouer un rôle significatif, ralliant la cause de l’armée syrienne dans sa longue bataille contre les forces de l’opposition et les groupes islamistes sunnites.

L’intervenant aborda des sujets rarement évo-qués : l’impact régional du rôle du Hezbollah en Syrie, l’intensité des combats et l’efficacité retrou-vée de l’armée syrienne, qui il y a peu menait encore un combat apparemment perdu pour reprendre le contrôle du pays. Les présents l’écoutaient avec une attention soutenue. Même s’ils ne s’accor-daient pas entièrement sur les vertus du président syrien Bachar El-Assad, tous soutenaient dans son

↑ Des militants du Hezbollah défilent à l’occasion de la fête religieuse d’Achoura, le 13 novembre 2013 dans la banlieue sud de Beyrouth.Photo Khalil Hassan/Reuters

D

LE DJIHAD INTERNATIONALSelon les services de renseignements israéliens, relayés par The Washington Post, la guerre en Syrie attire beaucoup plus de combattants étrangers que les guerres d’Irak ou d’Afghanistan. Dans le camp des rebelles, on estime que 6 000 à 7 000 jeunes sunnites étrangers ont rejoint les mouvements affiliés à Al-Qaida. La grande majorité viendrait du Moyen-Orient et du Maghreb, mais on compterait un millier d’Européens, souvent des fils d’immigrés musulmans. Les combattants chiites qui soutiennent le régime Assad seraient encore plus nombreux, entre 7 000 et 8 000, venus majoritairement du Liban et d’Irak.

Mercenaires

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32. À LA UNE Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

est souvent difficile de distinguer les convictions – enracinées dans la version puritaine de l’islam pratiquée en Arabie Saoudite – de celles professées par Al-Qaida.

Abu Khattab, un homme d’aspect chétif portant la barbe clairsemée caractéristique des musulmans salafistes, incarne une partie de ces paradoxes. Il passe désormais bénévolement une journée par semaine dans le centre de réhabilitation pour djihadistes mis sur pied par le gouvernement saoudien afin de démystifier le djihad syrien aux yeux des candidats à la guerre sainte. “Les conditions religieuses du djihad en Syrie ne sont pas réunies, explique-t-il. De nombreux combattants tuent des civils syriens, ce qui constitue une infraction à l’islam.”

Trop de chiites. Pourtant, en écoutant Abu Khattab parler de la Syrie, je ne peux m’empêcher de constater que ses convictions ne diffèrent guère de celles des djihadistes qu’il vient de dénoncer si consciencieusement (deux représentants du ministère de l’Intérieur assistent à l’entretien). Abu Khattab explique qu’il considère les musulmans chiites et la secte alaouite de M. Assad comme des infidèles représentant un danger mortel pour l’Arabie Saoudite. “Si les chiites parviennent à prendre le contrôle de la Syrie, cela constituera une menace pour mon pays”, remarque-t-il. Abu Khattab mentionne également avec fierté qu’il est un habitué du djihad. Il a combattu en Afghanistan durant son adolescence (“Avec l’autorisation du gouvernement !”) et, quelques années plus tard, en Bosnie. Il a cependant décidé de ne pas aller se battre contre les Américains en Irak “parce qu’il y a trop de chiites là-bas”, précise-t-il avec un air dégoûté.

Les autorités saoudiennes affirment qu’elles exhortent leurs citoyens à ne pas partir en Syrie, mais elles n’ont pas les moyens de repérer tous ceux qui souhaitent aller y combattre. “Nous essayons d’enrayer le phénomène, mais nos capacités d’action sont limitées”, pointe Mansour Al-Turki, porte-parole du ministère saoudien de l’Intérieur. “Nous ne pouvons pas empêcher tous les jeunes gens de quitter le royaume. Beaucoup d’entre eux s’envolent d’abord pour Londres ou un autre endroit. Ensuite ils se rendent en Turquie et de là en Syrie.”

Les raisons qui ont poussé Abu Khattab à partir pour la Syrie sont celles qui poussent beaucoup d’autres jeunes d’Arabie Saoudite et d’autres pays du monde arabe à s’y rendre. Ils n’y vont pas seulement à cause de l’effusion de sang, explique-t-il, mais parce que leurs frères sunnites se font tuer par des alaouites et des chiites.

—Robert F. WorthPublié le 7 janvier

—The New York Times (extraits) New York

u cours du dernier voyage qu’il a effectué au mois d’août pour aller combattre aux côtés des rebelles syriens, Abu Khattab a vu quelque chose qui l’a perturbé : les corps ensanglantés de deux enfants étendus dans la rue d’un petit village.

Il a immédiatement compris que c’était ses compagnons rebelles qui les avaient tués.

Abu Khattab, administrateur hospitalier saoudien de 43 ans qui avait l’habitude de partir mener le djihad pendant ses congés, est allé aussitôt demander des explications à son commandant local, Abu Ayman Al-Iraqi, un homme connu de tous pour sa brutalité. Abu Khattab raconte que le commandant l’a envoyé balader en expliquant que ses hommes avaient exécuté les enfants “parce qu’ils n’étaient pas musulmans”.

A cet instant Abu Khattab a compris que le djihad en Syrie – où il s’était rendu à plusieurs reprises malgré l’interdiction officielle édictée par le royaume saoudien – ne se déroulait pas tout à fait en accord avec la volonté de Dieu. Mais lorsqu’il est rentré à Riyad, où il participe désormais à un programme destiné à décourager d’autres volontaires de partir, le régime saoudien avait mis de côté ses propres scrupules et était devenu le principal soutien des rebelles syriens, parmi lesquels de nombreux islamistes purs et durs affiliés à Al-Qaida.

La désillusion d’Abu Khattab illustre la complexité du défi auquel sont confrontés aujourd’hui les dirigeants saoudiens : comment mener en Syrie une guerre par procuration de plus en plus chaotique en ayant recours à des milices fanatiques sur lesquelles les Saoudiens n’exercent quasiment aucun contrôle. Riyad redoute la montée en puissance des filiales d’Al-Qaida en Syrie et garde à l’esprit ce qui s’est passé [en 1979] lorsque les militants saoudiens partis se battre en Afghanistan sont rentrés en Arabie Saoudite et ont fomenté une insurrection.

Les autorités saoudiennes interdisent officiellement à leurs citoyens d’aller mener le djihad en Syrie, mais cette interdiction n’est guère appliquée. Au moins un millier de Saoudiens sont partis en Syrie, dont certains appartiennent à de grandes familles du royaume. Les Saoudiens veulent chasser le président syrien Bachar El-Assad et son mentor iranien, qu’ils considèrent comme leur ennemi mortel. Or la seule façon de les combattre est de fournir un appui financier et militaire aux rebelles syriens. Et les plus efficaces d’entre eux sont justement les islamistes dont il

Le casse-tête saoudienEnvoyer des Saoudiens combattre en Syrie aux côtés des rebelles islamistes peut avoir des conséquences fâcheuses sur la stabilité du royaume lors du retour de ces combattants.

A

I—Now. (extraits) Beyrouth

l est devenu évident qu’Al-Qaida fait sa réappa-rition au Moyen-Orient en exploitant une série d’opportunités : conflit syrien, instabilité poli-tique consécutive au “printemps arabe”, aggra-vation des tensions interconfessionnelles en Irak et au Liban et absence d’intervention occiden-

tale. Depuis quelque temps, Al-Qaida s’abstient de perpétrer des attaques dans des pays occidentaux, mais s’emploie en revanche à former des milices armées afin de mettre en place des Etats islamiques au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Elle est parvenue à grignoter du territoire en Syrie et en Irak. Les attentats terroristes en Irak se sont mul-tipliés, causant la mort de 6 000 personnes et fai-sant de 2013 l’une des années les plus sanglantes de l’histoire récente du pays.

D’après certains experts, la tactique d’Al-Qaida a toujours été de souffler sur les braises des conflits interconfessionnels afin de s’assurer un sou-tien populaire et de renverser les régimes auto-ritaires du monde arabe pour les remplacer par des Etats islamiques. “Al-Qaida [et ses filiales] sont des révolutionnaires politiques, explique Thomas

LES MOTS DE LA HAINELe site All4Syria a fait récemment allusion à la floraison des chansons haineuses que s’adressent les communautés, mais les propos des religieux n’en sont pas moins meurtriers. Ainsi, le célèbre prédicateur sunnite Al-Qaradawi, tout en niant qu’il veuille diaboliser les chiites, a lancé son appel au djihad : “Toute personne qui a les capacités de tuer doit aller en Syrie.” Evoquant la communauté alaouite, Al-Qaradawi a jugé qu’elle était “plus infidèle que les chrétiens et les juifs”. Le chef du Hezbollah chiite, lui, demeure plus mesuré dans ses propos, de peur de perdre toute légitimité dans le monde arabe. Néanmoins, le Premier ministre chiite irakien qualifie désormais tous les sunnites de “terroristes”, même lorsqu’il s’agit d’un député sunnite au Parlement.

↑ Les liens de la terreur. Dessin de Bleibel, Liban.

Al-Qaida en manque de soutien populaireSe présentant comme la véritable armée des sunnites, l’organisation de Ben Laden n’arrive pas encore à imposer sa loi à une population habituée à d’autres modes de vie.

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Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 ISLAMISTES CONTRE ISLAMISTES. 33

Bagdad

TigreEuphrateI R A K

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300 km

Bagdad

Tikrit

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Arabes sunnites (20 %)Arabes chiites (60 %)

Kurdes sunnites (17 %)Zones peu peuplées

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Le triangle sunnite

L—Deutsche Welle (extraits) Berlin

es violents aff rontements opposant les forces gouvernementales et des membres du groupe djihadiste de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, lié à Al-Qaida) devraient se poursuivre après que les rebelles, liés à Al-Qaida, ont pris fin

décembre [les villes sunnites de] Falloudjah et de Ramadi. Le 3 janvier, les rebelles ont décrété un Etat islamique et hissé leurs drapeaux noirs dans le centre-ville de Falloudjah. Le 5 janvier, un porte-parole du gouvernement irakien a déclaré que l’Irak préparait “une attaque de grande ampleur” afi n de les en déloger.

L’EIIL a commencé à opérer en 2006 et 2007, au plus fort de la résistance contre l’invasion américaine du pays. L’EIIL, qui ne bénéfi ciait pratiquement d’aucun soutien auprès de la population, a été repoussé lorsque les soldats américains se sont alliés aux chefs tribaux sunnites. Mais depuis, l’EIIL a renforcé sa position en Syrie comme en Irak. En Syrie, il a profité de l’affaiblissement de l’Armée syrienne libre (ASL), le groupe rebelle modéré qui a brièvement été soutenu par les Etats-Unis dans la guerre civile syrienne.

En Irak, en revanche, c’est la ligne dure adoptée par le Premier ministre chiite Nouri Al-Maliki, qui a contribué à stabiliser l’EIIL, explique Jochen Hippler, spécialiste de sciences politiques à l’université de Duisburg-Essen. La main de fer d’Al-Maliki, sa politique de discrimination à l’égard des sunnites et la violence avec laquelle

il a réprimé les manifestations ont permis aux groupes djihadistes de se repositionner.

Rares sont pourtant ceux qui soutiennent l’EIIL car, comme le souligne Hippler, “le groupe est connu pour les méthodes brutales qu’il emploie afi n de préserver son pouvoir régional”. “Les militants de l’EIIL constituent toutefois la première force militaire dans certaines régions des deux pays, ajoute-t-il. Ses combattants sont bien entraînés, bien armés, très motivés et bien organisés”.

“Incursion”. Pour Günter Meyer, de l’université de Mainz. l’EIIL essuie depuis quelques jours plusieurs revers et il est persuadé que, pour l’heure, sa progression a été stoppée et que son occupation de Falloudjah et de Ramadi ne sera qu’“une incursion de courte durée”.

La suite du confl it dépend maintenant des mesures qu’adoptera Al-Maliki et des prochaines initiatives des rebelles. Meyer attend de voir si le Premier ministre chiite Al-Maliki est prêt à s’allier aux chefs tribaux sunnites ou s’il compte rester sur ses positions intransigeantes. “J’imagine qu’il se montrera un peu plus souple, prédit-il. Ce qui permettra à Bagdad et aux chefs tribaux sunnites d’unir leurs forces contre les combattants d’Al-Qaida – avec un petit coup de pouce du renseignement américain.” Si Al-Maliki adoptait une autre position à l’égard des chefs tribaux sunnites, conclut Meyer, “la partie serait très diffi cile à jouer pour les combattants d’Al-Qaida en Irak”.

—Jennifer FraczekPublié le 6 janvier

Bras de fer entre les deux communautésLe sectarisme du gouvernement irakien, à majorité chiite, renforce les rebelles d’Al-Qaida dans les zones sunnites.

Joscelyn, membre de la Foundation for Defense of Democracies, un groupe installé à Washington. Depuis le début, ils veulent un Etat, et le Levant a tou-jours eu leur préférence. Tant que l’Occident les perce-vra comme des terroristes à l’esprit borné seulement intéressés à perpétrer des attentats les plus sanglants possible, nous ne les vaincrons pas.”

La stratégie d’Al-Qaida est de susciter ou de tirer profi t des confl its interconfessionnels et de se présenter comme le protecteur des musul-mans sunnites. Le cas syrien s’est compliqué avec l’émergence de deux groupes diff érents affi liés à l’organisation : l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) et le Front Al-Nosra.

Une idée folle. Pourtant de nombreux oppo-sants syriens ne considèrent pas le Front Al-Nosra comme une menace immédiate. “Nous savons qu’ils veulent instaurer un Etat islamique, souligne Manhal Barish, membre du Conseil national syrien, mais, contrairement à l’EIIL, ils n’ont jamais commis d’exactions à l’encontre de la population, ils n’ont jamais cherché à imposer leur projet par la ter-reur. Le Front Al-Nosra a toujours été présent sur le champ de bataille. Ils n’ont jamais arrêté, enlevé ni torturé des militants ou des journalistes étrangers.”

Thomas Joscelyn estime que c’est précisément le soutien de la population qui est l’élément clé pour combattre l’extrémisme dans la région et au-delà. “Nous devons gagner la confi ance de la population, dit-il. C’est sur ce point que les Etats-Unis ont échoué en Irak et en Syrie. Au début, l’Occident aurait pu aider les Syriens qui souhaitaient uniquement se débarras-ser d’Assad. Le vide que nous avons laissé se creu-ser à l’époque est aujourd’hui investi par Al-Qaida.”

D’après une étude récemment publiée de la fon-dation Quilliam, un club de réfl exion londonien qui étudie le phénomène de l’extrémisme dans le monde, le soutien populaire à ses véritables pro-jets est le point faible d’Al-Qaida. En dépit de la réapparition de l’organisation dans les zones de confl it comme la Syrie, l’Irak et plusieurs pays d’Afrique du Nord, elle manque en défi nitive du soutien populaire eff ectif qui lui permettrait d’im-poser son idéologie et de prendre le pouvoir. [Elle vient de subir une défaite à Alep, reprise par l’op-position syrienne.]

“Vouloir imposer un Etat islamique en Syrie est une idée folle, explique Barish. Je ne pense pas que ce soit réalisable : au début de l’insurrection, les Syriens exi-geaient la liberté et un Etat civil, et ils demandaient la séparation des pouvoirs au sein de l’Etat.”

—Ana Maria LucaPublié le 8 janvier

LE CHOIX DES CHRÉTIENSAu Liban, où les chrétiens jouissaient de nombreux privilèges, leur rôle dans la vie politique s’est considérablement réduit. Dans le confl it opposant sunnites et chiites, les chrétiens libanais sont plus que jamais divisés entre les deux camps, certains s’alliant au Hezbollah chiite, d’autres rejoignant la coalition pro-occidentale soutenue par l’Arabie Saoudite sunnite. Mais une nouvelle tendance à l’isolationnisme commence à émerger. Le site Now. reprend les propos d’un chrétien libanais sur Facebook : “Lorsque le Baas, Al-Qaida ou le khomeynisme sont les choix de la région, se séparer de leurs adeptes serait de bon goût. La création du Grand Liban [en 1920, ajoutant à la montagne chrétienne de nombreuses régions sunnites et chiites] a permis à Nasser, Arafat et Khomeyni de s’implanter chez nous…”

↓ Dessin de Stavro, Liban.

48,8%DE CHÔMEURS EN SYRIEDepuis le déclenchement de la violence en Syrie, sur 6 millions de salariés, 2 965 000 personnes ont perdu leur emploi, soit une proportion de 48,8 % de chômeurs, révèle un centre de recherches syrien sur le site All4Syria.

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34. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

trans-versales.

économie

→ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

Du yaourt au porte-à-porteEn Indonésie, le fabricant japonais de boisson lactée Yakult a bâti son succès sur un vaste réseau de vendeuses à domicile. Un modèle qu’il compte exporter au Brésil et au Mexique.

Economie ......... 34Ecologie ......... 36Médias ........... 38Signaux .......... 39

Yakult, qui réalise aujourd’hui près de 10 % de ses ventes de lait fermenté sucré en Indonésie, compte sur ses agents pour se développer dans le pays musulman le plus peuplé au monde.

Dans les années 1960, la société a suivi l’exemple de la compagnie d’assurances Nippon Insurance, dont la force de vente au porte-à-porte était constituée de veuves de la Seconde Guerre mondiale, des femmes respectables qui avaient besoin de travailler. Au début, pour vendre les mérites digestifs d’une bactérie, il fallait déployer la même force de persuasion que pour placer une police d’assurance. “Pour les gens, une bactérie, c’était quelque chose de nocif”, commente Takashige Negishi, le président de Yakult, à Tokyo. “Il était essentiel de bien leur expliquer les choses.”

Disposer d’un réseau de vendeurs qui entretiennent des liens avec leurs clients peut s’avérer précieux. En Chine, les ventes de Yakult ont progressé d’un quart en 2012, malgré le boycott des produits japonais à la suite d’un diff érend territorial sino-japonais. Yakult possède trois usines en Chine et en

construit deux supplémentaires. “Notre personnel de vente est local et notre boisson est perçue comme un produit fabriqué en Chine”, explique Takashige Negishi.

Malgré tout, trouver la bonne formule n’est pas toujours facile. Lorsque, dans les années 1990, Yakult a pour la première fois essayé d’appliquer le modèle de la “Yakult Lady” en Indonésie, l’entreprise s’est heurtée à de sérieuses difficultés. “Pour 100 postes, nous totalisions au bout d’un an 100 démissions”, résume Sanae Ueno, qui dirige Yakult Indonesia depuis quatorze ans. Pour motiver ces femmes, Yakult les payait uniquement à la commission. Mais elles connaissaient si mal le produit et les techniques de vente que la plupart d’entre elles ne parvenaient pas à vendre suffi samment pour gagner leur vie. Lorsque l’économie du pays s’est redressée au début

—Financial Times Londres

Chaque jour, Mme Sumarni sillonne sur sa bicyclette rose les rues d’une ban-

lieue aisée de Jakarta. Cette femme de 39 ans, mère de trois enfants, vend au porte-à-porte des yaourts à boire probiotiques Yakult. Vêtue d’une chemise en vichy rouge et blanc, d’un pan-talon assorti et d’un hidjab, elle fait partie des quelque 5  000 “Yakult Ladies” qui contribuent à l’expansion en Indonésie du fabricant japonais. “C’est diffi-cile de vendre aux clients haut de gamme, les vigiles et les bonnes ne nous laissent pas leur parler direc-tement”, regrette-t-elle.

Dans le centre de distribution de Yakult du quartier de Cipete, dans le sud de Jakarta, les murs sont couverts d’affiches présentant des argumentaires adaptés à toutes sortes de situations, que le client potentiel soit en train de lire le Coran ou de préparer le dîner. Chaque jour, Yakult organise une réunion à midi pour entretenir le moral de ses troupes. Ensemble, les agents commencent par prier et entonner des slogans (“Continue, va chaque fois plus haut” ou encore “Yakult doit être livré, que le soleil brûle ou qu’il tombe des trombes d’eau”). Ensuite, un cadre japonais traverse la salle à grandes enjambées et lève les bras en criant “Ganbaru” (Tenez bon !).

Tout cela fait partie de la campagne de conquête des marchés émergents lancée par Yakult, dont les ventes au Japon stagnent. L’entreprise emploie plus de 80 000 agents dans le monde, dont plus de la moitié au Japon. Avec leurs uniformes soignés et leurs chariots parés de maximes comme “Aimez votre côlon”, ils sont tout autant ambassadeurs de la marque que vendeurs.

Le Yakult a été mis au point dans les années 1930 par Minoru Shirota, microbiologiste à l’uni-ver sité de Kyoto, qui avait cultivé une souche de bactérie capable de survivre aux acides secrétés par l’estomac et de passer dans l’in testin, où elle avait, selon le scientifique, un effet bénéfique sur la digestion. Depuis, la société promeut le “shirotaïsme”, une phi-lo sophie un peu spéciale qui com-bine la conviction qu’un “appareil digestif sain permet de vivre longtemps” et l’idée que l’entreprise doit vendre ses produits à “un prix accessible à tous”.

des années 2000, après la crise fi nancière asiatique, Yakult a eu du mal à augmenter ses ventes. Résultat : la société a dû jeter plus de 10 % de ses stocks.

Le vent a tourné après la réorganisation mise en œuvre en 2007. La zone couverte par chaque employée a été ramenée de 2 000 à 1 000 foyers, de sorte que chacun puisse être visité environ une fois par semaine et que les agents puissent nouer des liens avec leurs clients. De plus, la formation des vendeuses a été renforcée afi n de leur permettre de gagner assez d’argent pour avoir envie de rester. Depuis 2007, le volume des ventes de Yakult est passé de 1 à 3 millions de bouteilles par jour, malgré plusieurs hausses de prix. Le pack de cinq bouteilles de 65 ml coûte aujourd’hui 7 500 roupies [46 centimes d’euro]. Près de la moitié du chiffre d’affaires est apportée par les agents, contre un quart il y a cinq ans. L’entreprise construit une seconde usine dans le pays, à Surabaya, à Java-Est, pour répondre à la demande croissante.

Parallèlement, le taux de ro ta -tion du personnel chez les agents a chuté à 2 ou 3 % par an. A Jakarta, les Yakult Ladies ga gnent en moyenne de 3 à 4 mil lions de roupies par mois [de 180 à 240 euros], bien plus que le salaire minimum de 2,4 millions de rou pies [145 euros]. Mme Su marni, qui travaille pour cette entreprise depuis plus de dix ans, gagne 4 millions de roupies par mois. Tandis qu’elle additionne soigneusement les chiffres de ses ventes dans le petit carnet bleu remis à tous les agents, elle assure qu’elle entend bien rester à ce poste. “Avant que mon mari soit récemment embauché comme chauff eur par l’un de mes clients réguliers, je gagnais plus que lui”, explique-t-elle.

Yakult savait qu’il était possible de développer sa force de vente en s’appuyant sur toutes ces femmes mariées qui, à l’instar de Mme Sumarni, n’ont pas fait d’études supérieures et ont peu de débouchés professionnels. Mais il lui a fallu près de vingt ans pour y parvenir. Cette expérience va maintenant l’aider à adapter sa politique commerciale à la réalité locale, sur des marchés prometteurs comme le Brésil et le Mexique.

—Ben Bland et Jonathan Soble

Publié le 27 novembre 2013

“Avant que mon mari soit embauché comme chauff eur par l’un de mes clients réguliers, je gagnais plus que lui”

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TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 35

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—The Economist (extraits) Londres

W illiam Morris, le père [britannique] du mouvement Arts and Crafts [Arts et Artisanats], qui a connu

un bref succès à la fi n du XIXe siècle, aurait apprécié Etsy. Cette société américaine basée à Brooklyn gère un fl orissant marché en ligne pour 1 million de bijoutiers, fabri-cants de bougies, créateurs de sacs, graveurs sur bois et autres artistes et artisans du monde entier. Parmi les meilleures ventes fi gurent actuellement des bottes italiennes (367 dollars [environ 270 euros]), un col-lier au motif d’oie des neiges provenant de Raleigh, en Caroline du Nord (29 dollars [21 euros]), et un porte-papier hygiénique en acier inoxydable minimaliste fabri-qué à Portland, dans l’Oregon (36 dollars [26 euros]).

William Morris s’était fait le champion de l’artisanat contre la production de masse de son époque, qu’il accusait de promouvoir une conception de mauvaise qualité et un travail déshumanisé. Etsy se donne égale-ment pour mission d’humaniser le travail et le commerce. L’entreprise vient de réa-liser sa meilleure année depuis sa création, en 2005. En 2012, les ventes sur le site se sont élevées à 895 millions de dollars. Fin octobre 2013, avant la saison des achats de Noël, elles avaient déjà dépassé le milliard de dollars. Même si la société ne prélève que 20 cents par article référencé sur son site et 3 à 5 % du montant de chaque transaction, elle serait valorisée à plus de 1 milliard de dollars. On parle d’une introduction en Bourse courant 2014.

Etsy a emprunté au (bien plus impor-tant) site d’enchères en ligne eBay le modèle consistant à mettre en relation de petits marchands et des millions de lointains acheteurs, et à fonder la réputation des deux parties sur une évaluation mutuelle.

Mais Etsy a ajouté un élément social : il enseigne aux “Etsiens”, comme il appelle les vendeurs, les bases du métier, et facilite les rencontres “hors ligne” dans les villes comptant de nombreux utilisateurs, comme Brooklyn, San Francisco, Londres et Berlin.

Parmi les autres entreprises promet-teuses qui assistent les créateurs fi gurent des sites de fi nancement participatif tels Indiegogo et Kickstarter, et ceux spécialisés dans la conception, comme Quirky. Les artisans modernes tirent également profi t des avancées en matière d’impression en 3D et de la conception assistée par ordinateur. En 2013, environ 100 000 articles ont été mis en ligne chaque mois sur Shapeways, un producteur en 3D sur la plateforme duquel 13 500 concepteurs ont ouvert leur boutique.

Le maker movement [traduit parfois par “mouvement des makers”, des “bricoleurs” ou des “fabricants”] ne se résume plus à une bande d’amateurs férus de nouvelles technologies. En novembre dernier, Etsy a publié une enquête menée auprès de 5 500 de ses vendeurs américains, dont 88 % sont des femmes. Bien que 97 % d’entre eux travaillent à domicile, 74 % considèrent leur boutique sur Etsy comme une activité professionnelle, et 18 % assurent qu’il s’agit pour eux d’un emploi à temps plein. Chad Dickerson, le patron d’Etsy, y voit le début d’une tendance, particulièrement sensible chez les femmes et les moins de 30 ans, vers un travail à horaires souples, fondé sur un intérêt personnel et eff ectué à domicile.

Peut-être a-t-il raison. Mais la montée en puissance d’Etsy en dit plus sur les consom-mateurs que sur les vendeurs. “Les gens en ont assez des mêmes vieux produits qu’on voit partout”, estime Chad Dickerson. Les jeunes adultes en particulier sont séduits par le parcours des vendeurs dont ils achètent les créations. “On est très loin des produits de masse livrés chez vous par un drone”, ajoute-t-il, en référence à Amazon.

Les grands distributeurs sont prêts à le prendre au mot. En 2013, Etsy a per-suadé plusieurs d’entre eux, notamment Nordstrom, une chaîne de magasins de luxe, de proposer ses marchandises en test. Les Etsiens font également des démons-trations dans les magasins. De son côté, eBay commence à vendre des produits arti-sanaux sélectionnés par la grande prêtresse

de l’art de vivre Martha Stewart, sous le label American Made. Certains analystes établissent un parallèle avec les débuts des produits bio et locaux, qui sont passés du marché paysan aux magasins spécialisés, avant d’arriver dans les rayons de la grande distribution.

Alors que le mouvement Arts and Crafts était divisé sur le rôle des machines, c’est la question de la sous-traitance qui agite le mouvement des makers. En novembre dernier, Etsy a autorisé les vendeurs à faire fabriquer leurs articles par d’autres, afi n de permettre aux meilleurs d’entre eux de développer leur activité et de les dissuader de partir (pour rejoindre eBay, peut-être).

Les Etsiens ne sont pas tous convaincus, à en juger par leurs discussions en ligne. Selon certains, l’entreprise a trahi les artisans, sous la pression d’investisseurs espérant profi ter de l’introduction en Bourse. En guise de protestation, ils ont quitté le site. D’autres sont rassurés par le fait qu’Etsy soit enregistré comme “benefi t corporation”, un statut qui protège les entreprises répondant à certains critères sociaux ou environne-mentaux des exigences démesurées de ses actionnaires. Si Etsy entre en Bourse, on verra si ses valeurs résistent aux pressions du marché – à supposer qu’il soit possible

Des aff aires dans les règles de l’artCommerce. Etsy, le site de vente en ligne spécialisé dans les articles faits maison, pourrait entrer en Bourse cette année. Son succès refl ète l’émergence d’un nouveau type de consommation.

de convaincre les investisseurs d’acheter ses actions.

Le mouvement lancé par William Morris a échoué parce qu’il rejetait le capitalisme et voulait revenir à un âge d’or de l’artisanat qui n’avait jamais existé. En combinant les nouvelles technologies et les nouveaux modèles d’entreprise, Etsy et l’ensemble du mouvement des makers réussiront peut-être à soutenir les artisans.—

Publié le 4 janvier

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A relire : “Des entreprises éthiques protégées par la loi”, un article du Financial Times publié le 5 juillet 2012 (CI n° 1131), consacré aux benefi t corporations. Proposé par une vingtaine d’Etats aux Etats-Unis, ce statut protège les entreprises dont l’objectif ne se limite pas à créer de la valeur pour les actionnaires, et qui prennent aussi en compte l’intérêt de leur personnel, de leur communauté locale et de l’environnement. La société Etsy est l’une d’entre elles.

Le “mouvement des makers” ne se résume plus à une bande d’amateurs férus de nouvelles technologies.

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TRANSVERSALES36. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

—Fountain Ink (extraits) Madras

Un matin de novembre 2010, Radha Doraisamy s’est retrouvée avec un tube à essai dans la main et des

doutes plein la tête. Trois ans auparavant, ses trois hectares de papayers avaient été détruits par un insecte et elle avait renoncé à cette culture. L’insecte avait envahi l’ex-ploitation en un rien de temps : en deux mois, les fruits avaient été réduits à une masse blanche cotonneuse inexploitable.

Le coupable était la cochenille du papayer, Paracoccus marginatus pour les scientifiques, un insecte jaune plus petit que le chas d’une aiguille, qui était venu du Mexique en semant destruction et ruine économique dans son sillage. En l’espace d’un an, elle s’était répandue dans toute l’Inde du Sud et la production de papaye avait chuté de 80 %. La bestiole avait pour-suivi son expansion, faisant perdre 15 mil-liards de roupies [180 millions d’euros] par an aux producteurs. Cette année-là, Radha avait perdu 3 millions de roupies.

Il lui a fallu huit mois avant de pouvoir recommencer. Cette fois-ci, lui a-t-on dit,

il y avait une solution. Celle-ci semblait d’une simplicité absurde. Tout ce que Radha avait à faire, c’était de prendre un tube à essai fourni par les autorités, de le déboucher et de parcourir sa plantation en l’inclinant vers la terre noire ; le tube contenait une centaine de guêpes minus-cules, à peine visibles, se mirent à parasiter les cochenilles. Elles pondaient leurs œufs dans l’insecte et, quand ils avaient éclos, les larves dévoraient les organes internes de l’hôte et le tuaient [on parle alors de para-sitoïde et non de parasite, car un parasite ne tue pas son hôte]. Comme Radha, plus de 20 000 agriculteurs du Tamil Nadu ont reçu ces tubes.

Cette technique a été inventée à la fin du XIXe siècle, mais elle est davantage en phase avec les sensibilités modernes touchant à la protection de l’environnement. Le bio-

contrôle – la protection des végétaux par des mécanismes naturels – est antérieur à l’usage massif des pesticides et ne pré-sente pas les effets néfastes des produits chimiques. Il repose sur le principe que tout nuisible a un “ennemi naturel”, comme les chats pour les rats. L’ennemi naturel maintient la population de nuisibles à un niveau qui ne provoque pas de dommages économiques.

La cochenille du papayer forme des amas cotonneux sur les feuilles et les fruits. La femelle adulte est jaune, ovale, et mesure environ 2 millimètres de long pour 1,5 de large. Elle est en partie recouverte d’une sécrétion cireuse blanche qui lui permet de bien mieux résister aux pesticides que les autres cochenilles courantes en Inde.

La cochenille se nourrit de la sève de l’arbuste en insérant ses stylets dans la feuille, le fruit ou la tige. De plus, elle injecte dans les feuilles une toxine qui les déforme, les racornit et les empêche de produire de la chlorophylle. Feuilles et fruits tombent prématurément. En cas d’infestation massive, les fruits se retrouvent couverts d’une épaisse sécrétion cireuse qui les rend impropres à la consommation.

En juillet 2010, le ministère américain de l’Agriculture a envoyé par FedEx cinq colis, contenant chacun environ 200 spéci-mens vivants des trois parasitoïdes ennemis naturels de la cochenille du papayer, au Bureau national des insectes importants pour l’agriculture (NBAII), dont le siège est à Bangalore. [Les premiers tests en labora-toire puis sur le terrain furent concluants et, après consultation de plusieurs experts, il apparut que l’Acerophagus papayae était le candidat le plus indiqué pour l’Inde.]

Acerophagus papayae est une guêpe jaune aux ailes transparentes et aux yeux bleuâtres. Chaque femelle vit trente-cinq jours et peut pondre jusqu’à 50 œufs à raison d’un œuf par cochenille. Une guêpe peut ainsi tuer 50 cochenilles et les 50 guêpes qui naissent peuvent en tuer 50 autres, ce qui provoque une croissance exponentielle de la population de guêpes.

Avant l’avènement du biocontrôle, les agriculteurs abusaient des pesticides. Ils doublaient leur concentration et procé-daient à quatre ou cinq pulvérisations au lieu des deux prescrites, explique le Dr M. Kalyanasundaram, professeur d’entomo-logie à l’université agricole du Tamil Nadu (TNAU), à Coimbatore. “Un agriculteur avait même pulvérisé dix doses sur ses papayes. Même si les fruits avaient survécu, ils auraient été extrêmement toxiques”, ajoute-t-il.

Quand les nuisibles sont naturellement résistants aux pesticides, le recours à ces produits les fortifie. Grâce à ses sécrétions cireuses, la cochenille du papayer résis-tait mieux aux pesticides que ses ennemis naturels. Ces derniers, des insectes utiles, étaient éliminés, ce qui avait fait exploser la population de cochenilles du papayer.

Aujourd’hui, les décideurs en matière agricole insistent pour qu’on fasse appel au

↙ Dessin de Magee, Royaume-Uni.ÉCOLOGIE

Inde : comment une guêpe a sauvé la papayeAgriculture. Bien plus efficace que les pesticides, cet insecte a repoussé l’invasion d’un parasite qui dévastait les cultures de papayers depuis trois ans.

biocontrôle quand c’est possible et n’auto-risent le recours aux produits chimiques que quand cette méthode échoue. Les scien-tifiques du NBAII et de la TNAU recon-naissent que le biocontrôle est encore trop peu utilisé en Inde. “Dans les pays développés, 12 % des infestations de nuisibles sont traitées par biocontrôle ; en Inde, cela tourne autour de 1 %”, regrette Kalyanasundaram.

L’Inde a lancé il y a vingt ans une poli-tique de gestion intégrée des nuisibles, mais les résultats ont été décevants. Le gouvernement a donc décidé, dans le cadre du XIIe plan quinquennal (2012-2017), de mettre sur pied une mission nationale pour l’agriculture durable destinée entre autres à promouvoir le biocontrôle.

Les guêpes parasitoïdes ont été lâchées dans les plantations en octobre 2010 et on a diminué une diminution des cochenilles du papayer dès le mois de janvier suivant. “En l’espace de trois à quatre mois, les incidences ont diminué de 32 à 42 %”, rapporte le Dr A. N. Shylesha, entomologiste au NBAII. A la saison suivante, le nombre de cochenilles est tombé au-dessous du seuil de nuisance économique : il était trop faible pour causer des dommages. Deux ou trois ans plus tard, la production de papaye a retrouvé son niveau d’avant l’infestation.

Le biocontrôle a permis à Radha de continuer à cultiver des papayes. Elle est productrice depuis 1997, elle a été parmi les premiers de la région, confie-t-elle. La papaye est une culture très appréciée dans cette région du Tamil Nadu, parce qu’elle nécessite moins d’eau que d’autres et un investissement très faible. Les plants ont un cycle de vie de deux ans et l’agriculteur peut en tirer un bon revenu – près de 400 000 roupies par demi-hectare.

Maintenant que le problème de la coche-nille est réglé, Radha va tenter de cultiver des variétés hybrides. Elle s’est rendue en Thaïlande et en Malaisie au début de l’année pour y observer les plantations de papayers et elle est revenue avec de nouvelles tech-niques qu’elle compte mettre en œuvre sur son exploitation. Elle s’inquiète pourtant : le virus de la tache annulaire de la papaye a récemment fait son apparition. Les spécia-listes de l’université lui ont assuré que ce n’était pas grave. Il n’y aurait pas un tube à essai pour ça ? a-t-elle demandé.

—Shamsheer YousafPublié le 4 janvier

Une fois écloses, les larves consommaient l’hôte et le tuaient

ARCHIVES courrierinternational.com

Organisés comme des abeilles bâtissant leur ruche, des nuées de robots pourraient contribuer à reconstruire les récifs coralliens. “Coralbots, de ruche en récif“, un article du quotidien australien Sydney Morning Herald publié dans CI n°1202 (du 14 novembre 2013).

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TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 37

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SUPÉRIEURES

—USA Today McLean (Virginie)

Il y a une dizaine d’années, dans son dortoir de l’université de Princeton, Mark Herrema a eu une révélation.

En lisant un article sur l’augmentation des émissions de méthane provoquées par l’éle-vage laitier, il s’est dit “et si on récupérait le carbone de l’air pour fabriquer des objets ?” Cet étudiant en sciences politiques qui avait étudié la chimie décida alors de s’associer avec un ami d’enfance, Kenton Kimmel, qui étudiait l’ingénierie biomédicale à l’univer-sité Northwestern. Une fois leur diplôme en poche, ils ont fait des petits boulots pour fi nancer leurs recherches. “Je bossais comme groom et Kenton comme valet de chambre”, se souvient Mark Herrema, qui raconte com-ment, pendant des années, ils ont travaillé quatorze à seize heures par jour – y compris les jours fériés – pour payer leurs factures et louer une salle de laboratoire pour tester leurs idées. Des spécialistes les ont mis en garde contre la folie de l’entreprise. Non sans raison. Des scientifi ques avaient passé des décennies à tenter de capter le carbone pour fabriquer du plastique, mais le proces-sus s’était révélé trop onéreux. Les deux amis trouvèrent la solution en mettant au point un biocatalyseur dix fois plus effi cace, extrayant le carbone du gaz liquéfi é et le transformant en une molécule de plastique à longue chaîne.

Résultat : à 31 ans, ils sont à la tête de la société Newlight Technologies, qu’ils ont fondée en Californie, et de deux usines qui utilisent le méthane produit par des exploitations laitières pour faire de l’AirCarbon. Ce plastique servira prochainement à fabriquer des chaises, des récipients alimentaires, des pièces automobiles, puis des coques pour les téléphones portables de Virgin Mobile. “C’est du carbone que vous aurez entre vos mains”, promet Mark Herrema. Selon les conclusions d’un laboratoire indépendant, la fabrication de ces produits consomme davantage de carbone qu’elle n’en émet. En substituant l’AirCarbon au plastique à base de pétrole, l’entrepreneur souhaite contribuer à atténuer le réchauff ement planétaire. “Nous voulons changer le monde”, résume-t-il.

“Ça va révolutionner l’industrie”, annonce

Des chaises à l’air propreDes ingénieurs américains ont mis au point un procédé bon marché pour fabriquer du plastique à partir du carbone atmosphérique.

Dick Resch, directeur du fabricant de meubles KI, qui soutient Newlight Technologies depuis huit ans et détient les droits de propriété industrielle exclusifs sur ses produits. Selon lui, l’AirCarbon va permettre de fabriquer les premiers meubles à bilan carbone négatif. En 2014, l’entreprise commercialisera des chaises et sans doute d’autres produits à base d’AirCarbon.

“Je regrette de ne pas avoir eu cette idée moi-même”, Avoue William Dowd, ancien directeur du département de recherche et de développement en biotechnologie industrielle du groupe Dow Chemical. Des investisseurs en capital-risque lui avaient demandé de se pencher sur les travaux de Newlight Technologies, mais il avait hésité, doutant des chances de réussite. “J’ai été surpris par ce qu’ils ont été capables de faire.”

Bien qu’il n’ait fi nalement pas investi dans Newlight Technologies, il reconnaît que l’AirCarbon ressemble beaucoup au polypropylène [plastique utilisé notamment pour les emballages alimentaires et certaines pièces d’équipement automobile] et pourrait représenter une solution moins coûteuse. Cependant, compte tenu de l’énorme volume de gaz à eff et de serre émis notamment par les centrales électriques [au charbon], il doute que l’AirCarbon puisse vraiment limiter le réchauff ement climatique. “Cela ne contribuera pas de manière signifi cative à résoudre le problème”, reconnaît David Keith, un physicien de Harvard qui a fondé la société Carbon Engineering, financée notamment par Bill Gates, pour capter le carbone à une échelle industrielle et le transformer en biocarburant [voir son portrait dans CI n° 1207, du 19 décembre 2013].

Mais selon Brent Ehrlich, éditeur de produit chez BuildingGreen, une société spécialisée dans l’étude de bâtiments respectueux de l’environnement, “c’est un pas dans la bonne direction”. Selon lui, l’AirCarbon pourrait remplacer beaucoup de matières plastiques à base de pétrole. “Ça pourrait aider.”

SOURCE

USA TODAY McLean, Etats-UnisQuotidien, 1 700 000 ex. www.usatoday.com Lancé en 1982, c’est le seul quotidien national du pays, avec The Wall Street Journal. Surnommé le “CNN de la presse écrite”, ce titre populaire n’en off re pas moins des articles de qualité, parfois en avance sur les grands journaux. USA Today est sans doute le quotidien qui permet le mieux d’appréhenderles questions d’actualité auxquelles s’intéressent les Américains.

Mark Herrema place de grands espoirs dans son invention, qui, à ses yeux, représente bien plus qu’“une goutte d’eau dans l’océan” et n’en est qu’à ses premiers balbutiements. En 2013, l’AirCarbon a été sélectionné comme “biomatériau de l’année” par la Conférence internationale sur les plastiques et les composites d’origine biologique. Même si ses deux créateurs ont vécu des moments difficiles, ils ont été suffi samment naïfs pour croire à leur réussite. “Nous avons toujours eu le sentiment qu’une grande découverte nous attendait”, confie l’ancien étudiant en sciences politiques.

—Wendy KochPublié le 30 décembre 2013 ↑ Dessin de Belle Mellor, Royaume-Uni.

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TRANSVERSALES38. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

—El País (extraits) Madrid

Francisco Ferreira a 30 ans et il est originaire de Porto. Diplômé en communication et publicité, il s’est

retrouvé au chômage en décembre der-nier. Il a alors commencé à éplucher les petites annonces sur Internet et à diffuser des centaines de CV et de cartes de visite. Au Portugal, le taux de chômage a atteint le taux record de 17 %, c’est pourquoi le jeune homme ne s’est pas limité aux offres liées à son secteur. A sa grande surprise, il s’est aperçu que personne ne lui répondait. Personne. Il s’est dit qu’il était trop vieux pour être stagiaire, trop qualifié pour cer-tains emplois et trop revendicatif par les temps qui courent.

Il a découvert que le marché du travail portugais, à en juger par la plupart des annonces qu’il a lues, confine parfois à la misère totale : partout on trouve des sta-giaires contraints de travailler pendant des mois sans toucher de salaire ou des employeurs qui demandent à leurs sala-riés d’adopter le statut d’indépendant (et de payer la voiture, l’ordinateur et le télé-phone), pour ensuite les obliger à travailler plus de huit heures par jour au bureau.

Il a aussi remarqué l’existence d’une sorte de marché parallèle à celui des annonces d’emploi : il lui suffisait d’envoyer un CV à une entreprise (théoriquement) intéres-sée par son profil et ses compétences pour commencer à recevoir, quelques heures plus tard, une quantité inimaginable de

publicités trompeuses. Il a fini par penser qu’un grand nombre de ces annonces n’étaient qu’une stratégie des sociétés qui collectent des données pour obtenir des informations. Excédé, indigné et très dispo-nible (car toujours au chômage), Francisco Ferreira a créé un blog provisoire et très rudimentaire sur lequel il a commencé à dénoncer les offres qui proposaient des emplois à des conditions illégales. Il a aussi appelé les internautes à envoyer des témoi-gnages de cette exploitation moderne.

Employeurs sans vergogne. En peu de temps, le blog est devenu un site Internet, avec plus de 12 000 fans sur Facebook. Il s’appelle Ganhem Vergonha, que l’on pour-rait traduire par “Vous devriez avoir honte”, et son sous-titre explique qu’il s’agit d’une “plateforme pour dénoncer les employeurs sans vergogne”. Un coup d’œil permet de trou-ver quelques-unes des perles que découvre Francisco Ferreira chaque fois qu’il explore le marché du travail. Par exemple, une bou-tique dans un centre commercial de Porto cherche “une stagiaire non rémunérée dis-ponible immédiatement” et une entreprise cher che des ingénieurs (avec moins de cinq  ans d’expérience) disposés à être stagiaires pendant quatre mois sans toucher 1 euro. Face à ce plafond de cinq ans, Francisco Ferreira se demande combien de temps il faut travailler avant de ne plus être stagiaire.

Le site a commencé à gagner des lec-teurs et des fidèles, mais aussi à accumu-ler les plaintes. La boîte électronique s’est

remplie de témoignages que Francisco (toujours au chômage) s’est mis à étudier, car il s’est engagé dès le départ à ne pas relayer une plainte sans vérifier sa validité. Puis les dénonciations ont été suivies par des menaces : “J’ai déjà reçu quatre appels d’avocats représentant quatre entreprises, qui m’ont assuré que je serais traîné devant les tribunaux. Naturellement, aucun d’entre eux n’a donné suite.”

Il a aussi été confronté à un cas exem-plaire, celui d’une entreprise de Porto spé-cialisée dans le design qui employait des stagiaires (non rémunérés, évidemment) pendant plus de quatre mois à raison de plus de huit heures par jour, y compris le week-end, le tout dans une ambiance qui s’appro-chait du harcèlement au travail, selon les témoignages recueillis par Francisco auprès de cinq personnes. “Par ailleurs, si les pré-tendus stagiaires concevaient quelque chose qui était finalement rentable, tout l’argent revenait évidemment à l’entreprise.” Cette affaire a même été relayée sur RTP, la télévision publique portugaise, qui s’est appuyée sur le travail du site Ganhem Vergonha pour dénoncer la société en question. Depuis, le site attire encore plus d’abonnés et a enre-gistré plus de plaintes. Francisco Ferreira affirme qu’il n’a pourtant publié que 10 % des plaintes qu’il a reçues. “Dans l’immense majorité des cas il n’y a pas de preuves, et je manque de moyens et de temps pour mener l’enquête”, avoue-t-il. En effet, alors que son site a de plus en plus d’audience et qu’il est inondé de messages, Francisco a été embauché dans une agence publicitaire et il n’a plus beaucoup de temps pour s’occuper des conditions de travail des autres.

Annonces trompeuses. Malgré tout, il saisit toutes les occasions qui lui per-mettent de poursuivre son projet : “Il y a une entreprise qui recrute des secrétaires ou des employés de bureau et qui, dès l’arrivée des candidats, leur donne un produit à vendre en faisant du porte-à-porte. Ces personnes doivent y passer la journée. A leur retour, on leur fait savoir qu’il n’y a pas de poste de secrétaire, mais uniquement de vendeur.”

Obnubilé par les annonces trompeuses qu’il a vues pendant sa période de chômage, il a organisé une pétition sur Internet pour que toutes les annonces publiées soient accompagnées du nom de l’entreprise et du salaire proposé.

Et, en attendant qu’un directeur futé l’embauche dans un journal engagé, il réfléchit aux effets pervers de la crise au Portugal et aux jeunes de sa génération, qui cherchent tant bien que mal un emploi médiocre : “Les emplois fixes sont de plus en plus réservés à une élite, non seulement parce que ces personnes ont pu aller à l’université – qui est de plus en plus chère –, mais aussi parce qu’elles ont pu être des stagiaires de luxe pendant un an ou plus, toujours gratuitement. C’est contre ce phénomène qu’il faut lutter.”

—Antonio Jiménez BarcaPublié le 5 janvier

MÉDIAS

Le Robin des bois des stagiairesUn jeune Portugais au chômage a créé un site Internet très populaire qui dénonce les conditions de travail catastrophiques des diplômés de sa génération.

LA SOURCE DE LA SEMAINE

“City Press”Ce journal du dimanche sud-africain dénonce régulièrement les manquements du parti au pouvoir.

Fondé en 1982 sous le titre ori-ginal Golden City Press, cet hebdomadaire dominical sud-

africain était à la fin des années 1980 la principale publication noire lue sous le régime de l’apartheid. Aujourd’hui, le journal, propriété du groupe de médias sud-africain Naspers, est vendu chaque dimanche à près de 125 000 exem-plaires et est lu par 1,7 million de per-sonnes. Composé de plusieurs cahiers, le City Press publie de nombreux reportages pour donner notamment la parole aux Sud-Africains les plus déshérités, qui estiment être les laissés-pour-compte de la nouvelle démocratie sud-africaine. Depuis la nomination d’une directrice de la rédaction, Ferial Haffajee, il multiplie les unes dénon-çant les scandales de corruption du Congrès national africain. En 2012, le parti au pouvoir avait choisi de boycot-ter City Press en raison de la publication d’un tableau représentant le président Jacob Zuma sous les traits d’un Lénine exhibant son sexe, en référence à la polygamie du chef de l’Etat.

CITY PRESSJohannesburg, Afrique du SudHebdomadaire, 125 000 ex.www.citypress.co.za

↙ Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

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TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 39

Bilan humain

1946 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 2000 05 10 12

TURQUIE (Kurdistan) 27,0

SERBIE (Croatie) 3,9

GRÈCE 77,0

RUSSIE (Tchétchénie) 17,6

BOSNIE (Serbie)‡ 11,6

UNION SOVIÉTIQUE (Ukraine) 8,9

UNION SOVIÉTIQUE (Lituanie) 4,3

BOSNIE (Croatie)‡ 3,6

SERBIE (Kosovo) 2,6RUSSIE (Emirat du Caucase) 2,4

ISRAËL (Territoires palestiniens) 9,1

YÉMEN (Sud) 5,7

YÉMEN (Nord) 2,0

ALGÉRIE 91,3

LIBAN 66,3

IRAK (Kurdistan) 34,6

IRAK 18,4

ALGÉRIE 18,3

SYRIE 15,9YÉMEN (Nord)‡ 15,9

MAROC (Sahara-Occidental) 6,4

SYRIE 3,8 YÉMEN‡ 3,7

LIBYE 2,3

CAMEROUN‡ 77,5 OUGANDA 67,4

SOUDAN 57,3

TCHAD 22,3

MADAGASCAR 4,6

AFRIQUE DU SUD 2,2

ÉTHIOPIE (Erythrée) 122,7

ANGOLA‡ 71,3

MOZAMBIQUE 62,9

ÉTHIOPIE 48,4ANGOLA 39,5

NIGERIA 37,5SOMALIE 31,6

R. D. CONGO‡ 15,3

CONGO 14,2ZIMBABWE 13,6SOUDAN (Sud) 11,7

MOZAMBIQUE 11,7

ÉTHIOPIE (Ogaden)‡ 10,8SIERRA LEONE‡, 10.6

RWANDA‡ 9,2

BURUNDI 8,6GUINÉE-BISSAU 7,5AFRIQUE DU SUD (Namibie) 6,7KENYA 6,5

CAMEROUN 5,9

CONGO 3,6

ÉTHIOPIE (Oromia) 2,8

LIBERIA 2,6

PAKISTAN (Est) 55,9

INDE 4,8

PAKISTAN (Baloutchistan) 4,3

IRAN 3,7

IRAN (Kurdistan) 3,3

INDE (Nagaland) 2,2

AFGHANISTAN 334,4

SRI LANKA 62,2

INDE (Cachemire) 19,3PAKISTAN 19,2

NÉPAL 9,9

INDE (Pendjab/Khalistan) 7,6

TADJIKISTAN 6,8INDE 6,3

AZERBAÏDJAN‡ 4,6

HYDERABAD 3,2

GÉORGIE 2,2

INDONÉSIE 17,1

BIRMANIE 25,2

PHILIPPINES (Mindanao) 22,1

INDONÉSIE (Papouasie occidentale) 4,8

THAÏLANDE 2,5

INDONÉSIE (Aceh) 2,3

CHINE 600,0VIETNAM 188,8 CAMBODGE 186,8

SUD-VIETNAM 82,5

INDONÉSIE (Timor-Oriental) 37,7

PHILIPPINES 19,5

BIRMANIE (Kachin) 18,0BIRMANIE (Karen) 17,4

BIRMANIE (Shan) 15,0

LAOS 14,0

CHINE (Tibet) 10,0

MALAISIE 5,4

PHILIPPINES 4,8

BIRMANIE (Arakan) 3,4

INDONÉSIE 1,8

RÉPUBLIQUE DOMINICAINE 2,0

SALVADOR 28,7

GUATEMALA 21,8NICARAGUA 20,3

COLOMBIE 19,3

PÉROU 11,4

ARGENTINE 2,3

PARAGUAY 2,0

ROYAUME-UNI (Irlande du Nord) 1,5

Guerres civiles et conflits armés internes, 1946-2012

LES

100

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050

100150

200250

Nombre total de morts*† (en milliers)

Asie de l’Est, Asie du Sud-Est et Océanie Asie du Sud et Asie centraleAfrique subsaharienneMoyen-Orient et Afrique du Nord

EuropeAmérique du Nord et du Sud

signauxChaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

DR

La revueTHE ECONOMIST. L’hebdomadaire britannique a publié cette infographie en novembre 2013 pour accompagner une analyse sur les guerres civiles dans le monde depuis 1946 et les meilleures façons d’y mettre un terme. La chute du mur de Berlin en 1989

et la fin de la guerre froide ont marqué un tournant majeur en la matière, note The Economist. Non seulement il y a moins de guerres civiles aujourd’hui, mais elles durent moins longtemps (3,7 ans après 1991, contre 4,6 ans avant cette date).

Meurtrières guerres civilesUn bilan des 100 conflits “intérieurs” qui ont fait le plus de morts depuis 1946.

* Bilan de plus de 250 conflits survenus entre 1946 et 2012. † Morts dans des batailles entre des forces gouvernementales et des forces rebelles politiquement organisées ; les conflits qui ont repris dans un délai de moins de dix ans sont considérés comme permanents. ‡ Avec intervention étrangère.

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40. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

360 MAGAZINEDes réfugiées syriennes jouent “Les Troyennes” Culture ..................... 44 La noblesse retrouvée du bambou Culture ..... 46 Retour en terre saine Tendances ............. 48 Un bâtisseur d’histoires Plein écran ......... 50

Longtemps, les périples vers de lointaines destinations, interminables et dangereux, oau XIXe siècle, un prédicateur ait une idée lumineuse qui a révolutionné le monde du vo

HEUREUX QUI COMME

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360°.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 41

VOYAGE

ont été réservés à une élite. Jusqu’à ce que, oyage. — P. M. History, Munich

ULYSSE Les gens massés sur le quai de la petite ville de Leicester, au cœur de l’Angleterre, applaudissent avec enthousiasme. L’homme d’âge mur qu’ils acclament ainsi, vêtu d’une redingote, d’une che-mise à col droit et coiffé d’un haut-de-forme, vient de déclamer un discours théâtral d’un ton vibrant :

“Servons-nous de la force de la locomotive à vapeur pour libérer les masses laborieuses !” Sur ces mots, près de 600 hommes et femmes se pressent dans les wagons à ciel ouvert de la compagnie Midland Railway.

En ce 5 juillet 1841, tous s’embarquent pour un périple extraordinaire : une excursion ferroviaire à Loughborough, bourgade située à 17 kilomètres au nord de Leicester, nichée dans un charmant paysage composé de petits lacs, de mai-sons de maître et de villages de carte postale. Ils y passeront une journée de plaisirs au grand air avec fanfare, cricket et tir à la corde, autour d’une tasse de thé, de pâtisseries et de sandwichs au jambon.

L’idée a germé dans l’esprit du noble orateur de Leicester, un certain Thomas Cook, tourneur sur bois de formation, imprimeur et éditeur d’écrits religieux, mais aussi fervent prédicateur baptiste. Il se destinait initialement au pasto-rat, avant de se raviser et de se contenter de livrer une lutte acharnée au “démon” de l’alcoolisme et du tabagisme. A 37 ans, Thomas Cook a cette idée de génie : “Ne serait-ce point formidable si les forces nouvelles du chemin de fer et les possibilités de voyage qu’elles ouvrent étaient mises au service de la promotion de l’abstinence ?” Pourquoi ne pas organiser des excursions en train pour extirper les ouvriers des pubs et autres assommoirs enfumés, et les amener au grand air ?

Thomas Cook se met aussitôt en devoir de passer à la phase pratique. Avec pour slogan “Adieu le gin, bonjour l’air pur”, il propose des billets de train moyennant la modique somme de 1 shilling. La demande est énorme, et pas seule-ment chez les dévots. Après tout, le chemin de fer n’existe que depuis quinze ans et la plupart des Britanniques n’ont encore jamais pris le train. Qui veut se rendre dans le vil-lage ou la ville d’à côté y va à pied, et ceux qui ont les reins un peu plus solides empruntent une calèche, presque tou-jours dans un but précis. Il est rare qu’une excursion soit motivée uniquement par la curiosité ou le plaisir, autre-ment dit par des envies d’ailleurs.

Aux premiers temps du chemin de fer, les trains sont compartimentés en quatre classes distinctes. Les voyageurs des troisième et quatrième classes sont parqués dans ce qui ressemble à des wagons de marchandises, le plus sou-vent dépourvus de places assises – quand il y en a, ce sont des banquettes de bois dur. Il en va autrement dans les

↓ Dans les années 1860, passagers, parents et porteurs se pressent sur le quai de la gare de Paddington, à Londres, avant le départ d’un train. La Gare (huile sur toile, 1863), William Powell Frith (1819-1909).Photo New Walk Museum & Art Gallery, Leicester, Royaume-Uni.

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360°42. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

la nuit sous un arbre, leur sac leur tenant lieu d’oreiller. Ce dernier contient un peu de pain ou des croûtons, du fro-mage, des fruits secs ou des noix.

La moindre expédition se transforme en chemin de croix, comme en témoigne le périple de Reims à Chartres entrepris par Richer, moine bénédictin de noble extraction, en mars 991. Il se met en route “sans argent, sans habit de rechange, sans aucun objet de première nécessité”, flanqué “pour toute aide” d’un mulet que lui a confié le père abbé, d’un serviteur pour transporter ses maigres bagages et du messager du clerc Héribrand [de Chartres], qui l’a invité à venir étudier les écrits d’Hippocrate. Il faut alors compter quatre jours de cheval, voire une semaine, pour une distance que l’on avale aujourd’hui en deux heures par l’autoroute.

Au début, tout va bien. Mais, dès le deuxième jour, les “malheurs” se multiplient sur des sentiers mangés par la végétation. Faute de signalétique, les voyageurs se trompent de chemin aux embranchements, ce qui les oblige à de longs détours. Le mulet finit par montrer des signes de fatigue, avant de déclarer subitement forfait – 100 kilomètres en deux jours auront eu raison de lui. Pour couronner le tout, il pleut à torrents, et la nuit tombe. Richer laisse son ser-viteur sur place et poursuit sa route avec le messager. Une nouvelle difficulté les attend un peu plus loin : il leur faut traverser la Marne, et le pont est en piteux état, percé d’ou-vertures béantes. “Elles étaient si nombreuses que, ce jour-là, même les gens qui avaient à faire en ville avaient à peine osé traverser.” Il lui faut déployer des trésors d’adresse pour gagner l’autre rive. Après une étape au monastère de Meaux, Richer arrive enfin à bon port, sain et sauf.

Le danger est l’inséparable compagnon du voyageur à l’époque médiévale. Les bandits sont à l’affût aux abords des chemins, les animaux sauvages, comme les ours ou les sangliers, peuvent attaquer à tout moment, et les chemins sont souvent obstrués par des éboulis ou par la végétation. Le cheval est un luxe, alors réservé aux seuls messagers, ecclésiastiques et seigneurs. A la campagne, on se déplace

compartiments de première classe : le voyageur y est géné-ralement tranquille et passe le temps à lire ou à somnoler en rêvassant dans un petit compartiment qui est encore conçu sur le modèle des diligences. Chaque côté est équipé de portes vitrées, les banquettes sont généreusement rem-bourrées, le dossier et l’assise tapissés d’étoffes raffinées.

Jusqu’alors, les voyages étaient loin d’être aussi confor-tables. Rares étaient les gens qui se hasardaient dans une contrée étrangère uniquement par plaisir. Dans l’Antiquité, par exemple, c’est pour se rendre dans des lieux de culte que l’on prend la route. Ainsi, les Egyptiens aisés vont visiter des monuments célèbres, comme la pyramide à degrés de Saqqarah [au sud du Caire], les Grecs fortunés se rendent aux jeux pythiques de Delphes pour y assister à des repré-sentations musicales ou à des compétitions sportives, les Romains cossus quittent la cité pour profiter de lieux de villégiature aux portes de la ville.

A la Renaissance, les voyages éducatifs deviennent à la mode. Les fils de l’aristocratie européenne partent faire leur “grand tour”, une sorte de voyage réservé aux jeunes gens de bonne famille pour parfaire l’éducation qui sied alors à un homme du monde. Ils sont flanqués d’un tuteur qui doit posséder de bonnes compétences linguistiques, une solide culture générale et des talents d’organisateur, mais aussi prémunir leur protégé contre les dangers physiques et moraux qui le guettent. Le voyage se fait généralement en voiture à cheval, laquelle transporte également tous les bagages nécessaires, de la literie à la vaisselle, en pas-sant par les médicaments. On fait étape dans des endroits

connus comme Paris, Lyon, Gênes, Florence ou Rome. Seule la bonne société peut cependant se permettre de tels périples. De manière générale, on part en voyage à cause d’obligations religieuses ou professionnelles.

Les Phéniciens [1200-300 av. J.-C.], qui avaient la bosse du commerce, expédiaient déjà des objets de verrerie et de la pourpre par-delà la mer Noire, jusqu’en Grande-Bretagne. Les Grecs de l’Antiquité aussi commerçaient acti-vement avec les contrées lointaines. Au début du Moyen Age, dans le bassin méditerranéen et en France, Syriens et Juifs prennent la relève. En général, ils maîtrisent plu-sieurs langues et naviguent avec aisance aussi bien dans le monde chrétien que dans le monde musulman.

Pour eux tous, le voyage n’en recèle pas moins des dangers. Le marchand trouvera-t-il le soir table mise et couche pour la nuit ? Peut-il se fier à l’hospitalité de l’étranger ? Ou bien se fera-t-il détrousser ? Pour garantir sa sécurité et ne pas se sentir totalement perdu, le voyageur se

met en quête de coreligionnaires ou de compatriotes avec lesquels il pourra communiquer sans peine, et à qui il pourra faire confiance. C’est ainsi que certains marchands constituent une “hanse”, autrement dit une association qui leur permet de faire front commun face aux bandits de grand chemin. Entre autres compétences indispensables, le marchand doit posséder de bonnes connaissances topographiques, c’est-à-dire savoir quels itinéraires il peut emprunter et où il pourra trouver un pont ou un gîte.

Les auberges sont à l’époque les seuls endroits qui offrent un tant soit peu de sécurité aux voyageurs. Les pèlerins y trouvent eux aussi refuge. Au Moyen Age, les hôtelleries ne permettent pas d’accueillir tout le monde ; elles ne com-menceront à se multiplier qu’au xviie siècle. Rares sont les voyageurs qui emportent une tente dans leurs bagages – en cas d’urgence, ils se blottissent sous leur cape et passent

La moindre expédition se transforme en chemin de croix

↑ Seuls les nobles pouvaient voyager à cheval. A l’entrée d’une auberge, un cavalier se voit offrir un verre de vin. Tacuinum sanitatis, traité de médecine et de diététique, XIVe siècle, Bibl. Braidense, Milan. Photo Costa/Leemage

↑ Les déplacements en voiture à cheval n’étaient pas sans risque. Diligence versant dans un précipice (1828), peinture d’Hippolyte Lecomte (1781-1857). Photo DeAgostini/Leemage

↑ Le bateau restait le moyen de transport le plus sûr. A Khambhat, en Inde, des marchands débarquent des ballots de leurs navires. Miniature tirée d’une version du Livre des merveilles de Marco Polo (1254-1324) réalisée vers 1410-1412. Photo Josse/Leemage

VOYAGE

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360°.Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014 43

du chemin de fer, au xixe siècle, pour que les voyageurs puissent s’adonner aux joies du voyage dans des condi-tions de confort relatif.

Le 17 mai 1861 [vingt ans après sa première expérience ferroviaire], Thomas Cook propose le premier voyage orga-nisé entre l’Angleterre et Paris, qui comprend, réunis dans un même forfait, un aller-retour en train et bateau, ainsi que l’hébergement, les repas et les tickets pour les visites. Il supervise tout, reconnaissant lui-même les lieux. Il est l’inventeur de toutes ces choses qui facilitent la vie des tou-ristes : le billet combiné, le coupon de réservation pour l’hô-tel et, surtout, le chèque de voyage.

Dès 1863, Thomas Cook met le cap sur le mont Blanc en compagnie de 130 touristes, essentiellement des femmes. Enchantées, les dames de la bonne société victorienne, en crinolines et brodequins à lacets, partent à l’assaut des cimes et citent des poèmes de Lord Byron sous leurs ombrelles déployées pour préserver la pâleur aristocra-tique de leur teint. En 1865, Cook inaugure ses légendaires croisières sur le Nil, en 1872 son tour du monde en deux cent vingt-deux jours. Il a bientôt des clients dans toute l’Europe – grâce aux tarifs de groupe, les voyages organi-sés sont devenus abordables pour une classe bourgeoise en plein essor.

Ceux qui peuvent se le permettre ne se contentent plus désormais des traditionnelles vacances d’été en famille à la campagne, mais s’inscrivent pour des voyages organi-sés à destination de contrées plus lointaines.

à pied. On parcourt en moyenne une trentaine de kilo-mètres par jour. Les pays européens développés devront attendre le xviiie siècle pour disposer d’un réseau routier digne de celui que connut l’Empire romain à son apogée.

Même alors, les routes ne sont qu’empierrées – bien que régulièrement nivelées et réparées avec du gravier. A la fin du xvie siècle, le tronçon Paris-Orléans, relativement car-rossable, passerait presque pour la huitième merveille du monde, alors qu’il est loin

d’être pavé sur l’ensemble du parcours. Sur la plupart des routes, les nids-de-poule se remplissent d’eau lors des averses et transforment la chaussée en bourbier. Ce qui explique que les marchandises soient essentiellement transportées par voie fluviale.

Les marchands n’optent pour le char à bœufs, garan-tie d’un trajet pénible, que s’ils n’ont pas d’autre choix. Sous l’Empire romain, les routes sont certes idéalement tirées au cordeau et pavées de dalles taillées ou recou-vertes de sable et damées, mais elles ne sont pas destinées à un usage civil, étant réservées aux légions romaines. En cas de pluie, elles se transforment en patinoires pour les véhicules comme pour les bêtes.

Enfin, à l’époque moderne, les voyages se trouvent faci-lités non seulement par le meilleur entretien des routes, mais aussi par l’apparition de nouveaux modes de trans-port. A partir du xviie siècle, la poste assure la protection des voyageurs. Les malles-poste desservent des destina-tions fixes, y compris par-delà les frontières, et les corres-pondances sont assurées. Il devient désormais possible de calculer son temps de trajet, et les voyages sont dès lors un peu moins angoissants et éprouvants. Malgré tout, il n’est pas rare que les usagers d’une malle-poste se retrouvent coincés parce qu’un essieu du coche a cédé ou parce que des brigands les ont détroussés. Il faudra attendre l’arrivée

En 1963, un voyagiste de Francfort, Josef Neckermann, reprend l’idée pour l’Allemagne. Un moyen de transport arrive alors en force : l’avion. Il est désormais possible de rallier le Sud par la voie des airs : quinze jours en pension complète, aller-retour, compris pour Majorque, la Dalmatie ou la Tunisie. Les Allemands deviennent bientôt les cham-pions du monde du tourisme. Après la guerre et la recons-truction, beaucoup rêvent de plages et de soleil.

Au début, c’est surtout pour l’Allemagne que l’on opte, en train ou en voiture. La commune de Ruhpolding, dans la région de Chiemgau, en Bavière, est la première desti-nation touristique allemande à attirer les foules. Puis on part à Rimini [en Emilie-Romagne] ou sur les bords du lac de Garde [dans les Alpes italiennes] en Coccinelle. Un peu plus tard, les Allemands découvrent les charters et se massent sur les plages de l’Adriatique et de la Côte d’Azur. De retour chez eux, ils fredonnent O Sole Mio ou Die Capri-Fischer [Les pêcheurs de Capri], portent des cols Lido [sans bouton de fermeture sur la bande de col] et des capris, à la mode méditerranéenne, et la pizza et les spaghettis enva-hissent les cuisines allemandes – l’Allemagne succombe à l’italomanie !

L’été prochain, la plupart des vacanciers mettront une fois encore le cap sur les plages de la Méditerranée, de la mer du Nord ou de la Baltique. Malmenée par la crise, la Grèce retrouvera alors des couleurs. Et partout les vacances commenceront tôt le matin par une lutte pour savoir qui décrochera la meilleure place au bord de la piscine ou sur la plage. Le premier à étaler sa serviette sur la chaise longue aura gagné. A l’époque des premières croisières déjà, Thomas Cook recevait des réclamations liées à la “guerre des serviettes” : “Ces Teutons tapageurs ont pris possession de toutes les places sur le pont supérieur et nos femmes sont obligées de rester sur le pont inférieur.”

—Tania GreinerPublié en septembre 2013

SOURCE

P.M. HISTORYMunich, AllemagneMensuelwww.pm-magazin.deCette revue est une déclinaison, consacrée à l’histoire, de P.M. Magazin, revue de vulgarisation scientifique créée en 1978 par Gerhard “Peter” Mossleitner – d’où les initiales du titre. Elle appartient à Gruner + Jahr, le premier groupe de presse magazine européen, détenu à 74,9 % par Bertelsmann.Au début des années 1990, l’histoire devenant un marché à part entière, P.M. Magazin se positionne sur ce créneau. Après une première mouture plutôt élitiste lancée en 1993, P.M. History change de visage en 1998, avec l’ambition de toucher un plus large public en adoptant une approche des sujets plus populaire que scientifique.

Grâce au chemin de fer, le voyage devient un agrément

→ En 1900, le tourisme en est encore à ses débuts. Lors d’une croisière Cook en Egypte, des Occidentaux longent une palmeraie. Photo Lux-in-Fine/Leemage

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← En scène, à Amman, en décembre 2013.

Photo Lynn Alleva Lilley

Des réfugiées syriennes jouent “Les Troyennes”La Britannique Charlotte Eagar a monté, en Jordanie, une adaptation de la tragédie d’Euripide avec des exilées syriennes. Sur scène, elles exorcisent les épreuves qu’elles ont subies.

les Athéniens avaient massacré tous les hommes et vendu les femmes et les enfants comme esclaves.

Nous avons passé un mois à chercher des Syriennes prêtes à participer au projet. Nous avons fait traduire la pièce en arabe. Omar doit la travailler avec les réfugiées, de façon à ce qu’elles puissent incorporer leur histoire personnelle dans le texte : intégrer les bombardements aériens, mor-tiers, tireurs isolés et maisons détruites de Homs au milieu des lances grecques et des tours de Troie.

J’ai à peine dormi la nuit précédente. Itab me dit : “Je crois que personne ne vien-dra.” Comment allons-nous expliquer cet échec aux donateurs qui nous ont versé 75 000 livres [90 000 euros] ? Puis je me souviens de toutes les femmes que j’ai rencontrées, de tous les réfugiés des guerres précédentes que j’ai croisés lors de mon ancienne vie de correspondante à l’étranger. Leur douleur d’avoir vu leur existence brisée, leur frustration de ne pouvoir raconter leur histoire au monde.

Garder son hidjab. Trois semaines aupa-ravant, dans un appartement miteux de la banlieue d’Amman, la femme d’un colonel de l’Armée syrienne libre [armée des rebelles non islamistes] nous servait des biscuits et du jus de fruit sous les yeux de sa sœur, de sa fille adolescente et de deux fillettes. “Nous adorerions être dans la pièce”, avait-elle déclaré, son beau visage encadré par un foulard. “Est-ce que ça fait quelque chose si nous gardons notre hidjab ?”

—Financial Times (extraits) Londres

D ébut novembre. Je suis installée, ner-veuse, dans l’immense salle grise de l’Institut Reine Zein Al-Sharaf,

un centre de loisirs du centre d’Amman. Un tableau de conférences attend sur un chevalet, conformément aux instructions d’Omar Abu Saada, notre metteur en scène syrien. La salle est pratiquement vide, il n’y a qu’Omar, le coproducteur [américain] Hal Scardino et moi, devant une série de fauteuils disposés en U. Une seule pensée me hante : et si personne ne venait ?

Aujourd’hui ouvre notre atelier “Les Troyennes de Syrie” : une mise en scène de la grande tragédie d’Euripide, interpré-tée par des réfugiées syriennes, dans un théâtre de Jordanie. La guerre en Syrie a fait à ce jour plus de 2 millions de réfu-giés, soit 10 % de la population syrienne,

dont 500 000 se trouvent en Jordanie. Nous espérons lancer un programme à long terme d’ateliers de thérapie par le théâtre et attirer l’attention sur les réfu-giés syriens. Enfin, si les participantes viennent.

Yasmine Fedda, une réalisatrice de docu-mentaire ayant des origines syriennes, ins-tallée au Royaume-Uni, fait son entrée. Avec tact, elle se met à bidouiller sa caméra. Itab Azzam, notre productrice syrienne, arrive à sa suite. Elle fixe la porte ouverte, presque paralysée.

L’action se déroule juste après la chute de Troie. Tous les hommes sont morts et la reine Hécube, sa fille Cassandre et les autres Troyennes attendent dans un camp de réfugiées de connaître leur sort. [Le dramaturge grec] Euripide a écrit la pièce en 415 avant J.-C., pour dénon-cer la conquête de l’île neutre de Milo :

L’AUTEURCharlotte Eagar est une journaliste britannique. Ses enquêtes et reportages, écrits depuis Sarajevo, Moscou ou Bagdad, sont publiés entre autres dans The Sunday Times Magazine et The Spectator. Elle est l’auteur du roman The Girl in the Film, dont l’action se déroule lors du siège de Sarajevo (inédit en français). Elle est également scénariste. Elle et son mari, Willy Stirling, se sont rencontrés à l’âge de 17 ans à un cours de grec ancien. D’où leur passion commune pour Euripide et la tragédie antique.

culture.

360°44. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

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→ En coulisses, avant la première. Photo Lynn Alleva Lilley

nerveuse que je l’étais le premier jour. Il y a encore 60 centimètres de neige. Quelques amis qui travaillent dans l’humanitaire arrivent au compte-gouttes ; les familles des réfugiées viennent, plus des inconnus qui ont vu des tracts dans les cafés de la ville, un noyau dur d’intellos jordaniens. Les 250 places du théâtre sont bientôt à moitié occupées.

De vraies actrices. Une masse humaine murmurante apparaît sur scène à travers l’obscurité et un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Les lumières s’allument et Hécube se met à parler. L’une après l’autre, les femmes racontent leur histoire : la guerre du xxie siècle transposée à Troie. Quand les Troyennes sont finalement regroupées pour être emmenées en exil, le public se lève d’un bond en criant : “Bravo !” Les femmes, inter-loquées, reviennent sur scène pour saluer sous les trépignements et les acclamations du public, puis elles se mettent à sourire. Quand le rideau tombe sur la deuxième et dernière représentation, nos Syriennes agitent la main pour saluer leurs nouveaux fans. En coulisses, la réalité s’installe : elles pleurent, se disent au revoir en s’embras-sant, comme de vraies actrices.

Mais apparemment le spectacle va conti-nuer. L’UNHCR souhaiterait que la pièce soit jouée dans toute la Jordanie, dans d’autres communautés de réfugiés, voire dans un camp. Nous sommes invités cette année au festival de théâtre de Tbilissi et Omar songe aux festivals du Royal Court et d’Edimbourg – à condition de pouvoir régler la question des visas, à condition que les familles soient d’accord. Et là les femmes seront vraiment payées.

Tu pourrais aller à Londres ou en Géorgie ?, demandé-je à Reema, 23 ans, célibataire. “J’ai toujours rêvé de voyager. C’est mon rêve”, confie-t-elle, rayonnante. Elle n’est plus une réfugiée, mais une actrice en tournée.

—Charlotte EagarPublié le 3 janvier

THÉÂTRE

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur “Des réfugiées syriennes jouent Les Troyennes” dans l’émission de William Leymergie, le vendredi 17 janvier 2014, à 7 h 35.

retrouver dans cette salle vide d’Amman. Le projet est complexe : outre un docu-mentaire sur la pièce, il prévoit également un film. Itab, une productrice de télévision syrienne qui vit désormais à Londres, a fait venir Omar, un éminent metteur en scène de théâtre qui a travaillé au Royal Court Theater de Londres.

Itab revient dans la salle, tout sourire, en menant un groupe de femmes. Celles-ci sourient timidement en serrant leur sac d’une main, des enfants accrochés à l’autre. La femme du colonel, sa sœur et beaucoup d’autres encore que je ne reconnais pas, les cheveux dissimulés par un foulard de cou-leurs vives. La femme aux lunettes de soleil Jackie O franchit la porte.

Elles sont près de vingt en tout, issues de milieux très divers. Omar leur demande de former un cercle et de scander leur nom. Il les divise en petits groupes qu’elles bap-tisent Espoir et Victoire, les incite à écrire des choses sur le tableau de conférence. Les femmes se détendent, posent le sac qu’elles avaient attrapé en quittant la Syrie, laissent leurs enfants courir partout.

La première journée d’atelier prend fin. Les femmes rassemblent leurs enfants en bavar-dant avec excitation. La salle est parsemée

de fausses Barbie démembrées, telles des parodies de plastique rose de la guerre que ces femmes

ont fuie. L’épouse du colonel nous raconte que sa sœur était institutrice au pays. Elle est instantanément recrutée pour la crèche. Un problème : nous n’avons toujours pas d’hommes. Omar hausse les épaules. “De toute façon, on réécrit la pièce… Ne gardons que les personnages féminins. Ce sera plus agréable pour elles comme ça.”

Une grande famille. Le troisième jour nous sommes débordés : avec plus de 50 participantes à l’atelier et 51 enfants à la crèche, nous devons encore refuser 100 can-didates. Après trois semaines d’improvisa-tion, d’exercice et de travail vocal, Omar retient 24 femmes qui souhaitent monter sur scène.

“J’ai toujours rêvé d’être interviewée pour raconter aux gens ce qui se passe”, confie Souad, une jeune mère en hidjab bleu et abaya noire. “Maintenant notre histoire est incluse dans le texte.” La pièce présente des parallèles avec sa situation personnelle. Son mari, soldat, a déserté quand on lui a demandé de tuer ses compatriotes. “Dans Les Troyennes, Hécube se retourne pour jeter un dernier regard sur Troie, explique-t-elle. A la frontière, mon mari m’a demandé de regar-der la Syrie une dernière fois, parce que nous ne la verrions peut-être jamais.”

Faten, 25 ans, une ancienne étudiante en droit islamique dont le père et deux frères ont été tués par le régime, déclare : “La pièce m’a rendue plus forte. Je peux affronter la vie. Je sais que je pourrai obtenir ce que je veux en travaillant dur.” Avec son niqab et son abaya noirs, Faten ne ressemble pas au genre de personne qu’on s’attend à voir sur

La maison syrienne du colonel avait été rasée lorsqu’il avait déserté l’armée régu-lière, sa famille avait dû tout quitter. “Cette maison [où nous habitons à Amman] se trouve dans un très mauvais quartier, plein de dro-gués”, nous confiait sa femme. Le loyer était d’environ 170 livres par mois [210 euros]. Ils recevaient 100 livres par mois [120 euros] du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et le fils, qui travaillait dans une boutique après l’école, rapportait 100 livres par mois de plus. Cela ne faisait que 30 livres par mois pour vivre. Les jus de fruit avaient dû entamer une part substantielle de leurs revenus. “J’ai dû donner ma fille en mariage à un Jordanien, avait ajouté tristement la femme du colo-nel. Il est très strict et ne la laisse pas nous voir.” Il n’y avait presque rien dans l’ap-partement, à part des matelas de mousse par terre – ni tableaux, ni chaises, ni pho-tographies, ni jouets pour les petites filles.

Barbie démembrées. Nous nous étions ensuite rendus dans un appartement situé dans un quartier plus chic. Une grande famille était installée dans une pièce sans âme, elle aussi vide de tout objet personnel. Le mari, un promoteur immobilier d’une trentaine d’années à l’air épuisé, s’efforçait de se réinventer en Jordanie. Il avait fui Homs avec sa femme, sa belle-mère, trois belles-sœurs et trois petits enfants. Horrifiés par le vide de l’appartement précédent, nous avions apporté des poupées “Barbie” à 1 livre et des balles en caoutchouc pour les enfants. Ils s’en étaient saisis avec un grand sourire.

A l’origine, nous avions prévu de réali-ser notre projet dans un camp de réfugiés. La thérapie par le théâtre est considérée par la plupart des psychologues comme un bon moyen de travailler sur le trauma-tisme et la dépression dont souffrent par-fois les personnes déplacées. Nous n’avons pas obtenu l’autorisation. Peter Kessler, le porte-parole de l’UNHCR pour la Syrie, nous a fait remarquer que la plupart des réfugiés vivaient en ville. “Les réfugiés urbains sont souvent plus isolés et déprimés que les per-sonnes vivant dans des camps”, a-t-il ajouté.

Hal et Itab se sont donc installés à l’Insti-tut Reine Zein Al-Sharaf, où ils demandaient aux Syriennes de passage de se joindre au projet. Hal se souvient qu’Itab visait les femmes qui portaient les hidjabs les plus colorés. “Elle pensait qu’elles étaient plus pro-gressistes.” Il y a eu pourtant des exceptions. Une femme tout de noir vêtue, tellement décente qu’elle portait d’immenses lunettes noires Jackie O même à l’intérieur, a accueilli l’idée avec un enthousiasme débordant.

Mais aujourd’hui, il est 10 h 10, et elles ne sont toujours pas là. “Je vais voir où elles sont”, déclare Itab en se dirigeant vers la porte.

C’est en mai que Willy Stirling, mon mari, qui est écrivain et réalisateur, et moi avons eu l’idée de monter une pièce avec des réfu-giées syriennes. Il nous a fallu des mois de réunions et de collectes de fonds pour nous

une scène. Elle vit dans une maisonnette délabrée d’Amman avec sa mère diabétique et épileptique, quatre neveux et sa belle-sœur. “J’adore travailler avec mes nouvelles amies de la pièce – c’est comme si nous for-mions une grande famille heureuse.”

Un psychologue de Bright Future, une ONG syrienne basée à Amman, est à la dis-position des participantes. Nous ne pou-vons citer son nom, car il est recherché par le régime d’Assad. “Une fois que leurs besoins de base – sécurité, nourriture, abri – sont assurés, 70 % des réfugiés reviennent à leur routine d’antan du mieux qu’ils peuvent, explique-t-il. Dix pour cent ont besoin d’un véritable traitement clinique. Ce projet concerne les 20 % restants, ceux qui ont besoin d’aide pour parler de leurs angoisses.”

En décembre, nous déménageons au Centre national de la culture et des arts, dans la banlieue d’Amman. La crèche est installée à la cantine du théâtre. Les cos-tumes, hidjabs noirs, abayas noires, chaus-sures noires, sont faits par les femmes qui ne souhaitent pas monter sur scène. Les dames nerveuses d’il y a quelques semaines s’agitent joyeusement entre répétitions, essayages et crèche.

Une semaine avant la représentation, elles demandent de l’argent. Omar avait conseillé de ne pas payer les participantes, de peur d’attirer les candidates pour de mauvaises raisons, mais nous avions trouvé un com-promis en leur accordant de généreuses indemnités de transport et d’alimenta-tion. Les actrices veulent davantage pour monter sur scène. Nous acceptons : ça va être difficile d’un point de vue budgétaire, mais c’est merveilleux de les voir prendre conscience de leur valeur.

Coup de froid. Le jour de la répétition en costume, le blizzard s’abat sur Amman, on a droit aux plus fortes chutes de neige enregistrées au Moyen-Orient en un siècle. Les routes sont de vraies patinoires la nuit. Faudra-t-il repousser la représentation ? Le premier soir [le 18 décembre], je suis aussi

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46. n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014360°

← Le Festival international d’architecture en bambou, sur l’île de Lombok, Indonésie. Photo Budi Pradono

borax dans le chaume lignifié du bambou. Pon Puradjatnika, son confrère, a quant à lui privilégié des techniques traditionnelles quand il a conçu à Bogor [sur l’île de Java] son amphithéâtre en forme d’ailes d’oiseaux déployées. “Avant que les bambous puissent être utilisés comme piliers, ils doivent subir un traitement spécifique assez complexe, explique Pon. Cela commence par la coupe, qu’il faut impérativement faire entre 11 heures et midi, car c’est à ce moment-là de la journée que la teneur en sucre dans le chaume est le plus faible. Or, ce qui attire les termites, c’est le sucre. Par ailleurs, il ne faut surtout pas couper les bambous à l’approche de la pleine lune : c’est la période de fertilité pour ces plantes, et la teneur en glucose augmente. Ensuite, on les met à tremper pendant plusieurs semaines dans une rivière ou dans la mer, puis on les fait sécher en position verticale – si l’on est pressé, on peut aussi les passer au four.”

Selon Andry, il y a trois choses importantes auxquelles il faut veiller au moment de dessiner une structure en bambou. Premièrement, le toit doit être large et bien couvrir les piliers, pour les protéger de la pluie et du soleil. Deuxièmement, la distance au sol entre les piliers doit être assez grande pour prévenir les phénomènes de moisissure. Enfin, une ventilation importante doit assécher l’atmosphère. Andry croit fermement que le bambou va devenir le matériau de construction du futur, parce qu’il pousse très vite et qu’il est bon marché “Bientôt, il remplacera le bois, assure-t-il. Mais, pour cela, il faut que la chaîne en amont suive, c’est-à-dire que les plantations soient bien exploitées. Cela suppose le soutien du gouvernement et de l’industrie.”

—Kurniawan, Cheta Nilawaty et Sorta Tobing

Publié le 6 janvier

le Great Hall Outward Bound Indonesia. La structure ressemble à un navire qui aurait fait naufrage dans le ciel. La voûte de la toiture, haute de 17 mètres, forme une coque gigantesque qui semble flotter dans des trouées d’azur, apportant lumière et circulation d’air naturelles. Aucun pilier central ne soutient cet édifice végétal de plus de 1 000 mètres carrés, pouvant accueillir 700 visiteurs. Andry a marié là les techniques traditionnelles et modernes. Les écrous et les boulons sont doublés de cordes en fibres végétales. La structure du toit, qui joue sur les poussées et contre-poussées, repose sur des poteaux fichés dans le sol.

Huit mille bambous ont été employés pour cette construction, à raison de 30 000 roupies [2 euros] le bambou de 8 à 9 mètres de long et de 10 centimètres de diamètre. “Le matériau est bon marché. Ce qui est cher, c’est le travail et le temps”, précise Andry. Pour protéger l’édifice contre les termites, le jeune architecte a injecté du

XXe siècle et avait été construite par les Hollandais. “C’est là que j’ai pris conscience du fait que les constructions en bambou pouvaient résister au temps”, raconte Andry, qui enseigne aujourd’hui l’architecture à l’Institut technologique de Bandung [sur l’île de Java]. A l’époque de cette découverte, il venait juste de terminer son doctorat ; il s’est aussitôt lancé dans des recherches sur la plante. Très vite, il les a appliquées à des maisons résistantes aux tremblements de terre, dans la région de Sukabumi, à Java-Ouest. Pour les murs, il a développé une sorte de plâtrage en bambou, très souple et léger, capable d’épouser les ondes sismiques. Le prix de revient de cette construction s’est révélé bien inférieur à celui d’un équivalent de briques et de ciment. En 2006, l’architecte est parti approfondir ses recherches en Colombie. Sur place, il a rencontré plusieurs architectes également adeptes du bambou.

Il a constaté que c’était un matériau non seulement durable mais très précieux.

“Là-bas, les constructions en bambou sont splendides et prestigieuses, alors qu’en Indonésie ce sont les maisons des pauvres ou bien des structures provisoires comme les abris construits après les catastrophes naturelles”, explique Andry. A son retour en Indonésie, il rêvait de bâtir un bâtiment public monumental en bambou. Deux ans plus tard, son rêve se réalisait sous la forme d’un hall de sport ouvert sur la nature à Purwakarta, à Java-Ouest :

—Tempo Jakarta

Le soleil tombe dans l’océan teinté d’orange, tandis que le sable de la plage de Senggigi, sur l’île de

Lombok, commence à se refroidir. Le long du rivage se dressent une cinquantaine d’installations en bambou, œuvres de divers créateurs du monde entier venus [à la mi-décembre] participer au Festival interna-tional d’architecture en bambou. Certaines ont la forme de nids étranges, d’autres sont des constructions plus monumentales, qui mettent en valeur les techniques d’assem-blage utilisées pour édifier des échafau-dages. L’artiste russe Ingemar a travaillé ces cannes flexibles pour leur donner la forme de longs rouleaux de vagues.

Le festival célébrait le retour du bambou comme matériau noble de construction. En Indonésie, ce renouveau est porté par une nouvelle génération de jeunes architectes qui allient traditions locales et techniques d’ingénierie internationale. Andry Widyowijatnoko et Pon Puradjatnika en sont les principaux représentants.

C’est une vieille masure, dans un village de Java-Est, qui en 1999 a éveillé Andry à la science du bambou. Les murs de l’habitation semblaient en briques, mais, en les observant de plus près, le jeune homme s’est aperçu qu’ils étaient faits d’un tressage de bambou associé à un plâtrage de sable. D’après ses occupants, la maison datait du début du

La noblesse retrouvée du bambouUne exposition indonésienne célèbre les mérites de cette graminée. Son intérêt n’est plus à démontrer pour de nombreux architectes.

En savoir plus

L’EXPOSITIONLe Festival international d’architecture en bambou a été lancé à la mi-décembre 2013 à Senggigi, la plage la plus touristique de l’île de Lombok, située juste en face de Bali. Les constructions érigées à cette occasion resteront visibles jusqu’à la mi-février 2014.

LE PAYS DU BAMBOU“Bagai aur dengan tebing” (“Comme le bambou et la berge du fleuve”) : tel est le dicton que Barack Obama prononça en indonésien pour illustrer les relations entre l’Indonésie et les Etats-Unis, lors de son discours au palais présidentiel de Jakarta, le 9 novembre 2010.

De la même façon que le bambou a besoin de l’eau du fleuve pour pousser, les berges du fleuve ont besoin du bambou pour résister à l’érosion. Sur les îles de l’archipel indonésien, le bambou, décliné en quelque 160 espèces, se plie à de multiples usages : tambour d’alarme, instrument de musique pour chasser les prédateurs des rizières, récipient de cuisson à la vapeur, instrument de massage et de thérapie, meuble, cloison et charpente. Entre 1945 et 1947, les combattants indépendantistes l’affûtèrent et l’utilisèrent comme arme contre l’armée coloniale hollandaise. Un monument commémoratif “aux bambous affûtés” se dresse au centre de la grande ville portuaire de Surabaya, la capitale de Java-Est… mais il est en béton !

ARCHITECTURE

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360°48. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

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La plus grande piste de danse du mondeMEXIQUE— Faire danser sa ville pour qu’elle perde du poids. C’est l’idée développée par Gabriella Gómez-Mont, à la fois artiste et directrice du Laboratoire citoyen, un organisme

qui travaille avec la municipalité de Mexico. Elle a ainsi créé une plate-forme en ligne qui encourage les habitants de la capitale du Mexique à se défier dans

des “batailles de danse” au cœur des espaces publics, relate le magazine espagnol Yorokobu.

Les danseurs doivent filmer leurs exploits et les poster sur le site web, avec des récompenses à la clé. “D’un côté, nous sommes une ville d’obèses avec un problème de santé publique

gravissime et, de l’autre, nous sommes une ville dynamique et amoureuse de la danse. Il nous faut réunir ces deux aspects pour résoudre nos soucis de poids”, fait valoir celle qui est à l’origine de l’initiative. Avec près d’un tiers de sa population en

surpoids, le Mexique a ravi aux Etats-Unis, en 2013, le titre de champion américain

de l’obésité.

Aux frontières du réelLes machines, comme les humains, n’échappent pas à l’erreur. L’artiste italien Emilio Vavarella a passé un an à répertorier les bugs “artistiques” de Google Street View pour en tirer une exposition intitulée Report

a Problem (Signalez un problème) et présentée à la galerie Jarach, à Venise, jusqu’à fin janvier. Il s’agit du premier volet d’un plus vaste projet de l’artiste, The Google Trilogy, “qui s’articule autour des rapports entre l’humain, le pouvoir et la surveillance, et explore l’esthétique de l’erreur”, rapporte Wired Italy.

tendances.

Mariages en réseauIRAK—“C’est une histoire de plus en plus fréquente dans le pays, raconte Your Middle East. Après seulement deux mois d’échanges sur Facebook, Haider Al-Saadi, un commerçant de la province de Karbala, s’est marié avec l’une de ses amies rencontrées sur le réseau social.” D’après le site d’information sur le Moyen-Orient, Facebook aiderait les Irakiens à surmonter leur timidité naturelle : ceux-ci “déclarent leurs sentiments plus facilement en ligne”. Et, surtout, les jeunes “n’ont plus besoin aujourd’hui de demander de l’aide à leurs proches pour arranger une rencontre, ou même un mariage”.

Teheran burgerIRAN— Le hamburger fait partie du paysage gastronomique iranien depuis des décennies, y compris depuis la révolution islamique de 1979, qui a vu l’utilisation de tout produit symbolisant la culture américaine déconseillée. “Jusqu’ici, il était plutôt servi dans des quartiers ouvriers, à des travailleurs en manque de calories ou à des étudiants faisant attention à leur budget”, note The Washington Post. Depuis peu, néanmoins, Téhéran voit se multiplier les restaurants à burgers haut de gamme, “et la quête du meilleur sandwich constitue la dernière mode dans les dîners de la capitale”,

selon le quotidien. “Ce succès n’est pas un phénomène culturel”, assure toutefois Amir Javadi, restaurateur à Téhéran. “Plus personne aujourd’hui ne voit le burger comme un produit américain, ni même étranger. Il passe juste pour l’une des meilleures nourritures au monde.”

Coffee timeROYAUME-UNI – “La nation est en danger : nous devenons des buveurs de café”, s’inquiète The Guardian. Le quotidien britannique constate avec effroi que les ventes de thé baissent considérablement d’année en année outre-Manche (– 6 % en 2013), alors que celles de café suivent le chemin inverse (+ 6,3 % sur les douze derniers mois). La raison ? “Nous avons été séduits par la culture américaine du café, ses saveurs sucrées et crémeuses”, regrette le journal. L’autre explication avancée est le penchant des Britanniques à consommer de plus en plus en dehors de chez eux. “Nos habitudes vis-à-vis du café ont été modelées par les pintes de cappuccino servies dans les grandes chaînes de cafétérias. Ils pourraient nous servir n’importe quoi, on le boirait et on en serait ravis. Mais le thé, c’est un autre sujet. […] Ce n’est pas quelque chose que l’on peut confier à un serveur à moitié endormi, muni de gobelets en carton.”

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INSOLITES

Les croisés de la passoire

Allahou Akbar

“dangereuse provocation”,The Moscow Times.

New York Daily News.

qu’ils ne savaient plus ni où ni comment leur nourriture était produite. “Les gens avaient pris l’habitude de faire leurs courses au marché et de ne pas se poser de questions. Mais aujourd’hui, ils s’inquiètent de plus en plus, surtout en ville, à propos de l’origine des aliments qu’ils consomment”, résume Dan Dockery, qui dirige Highway 4, une chaîne de restaurants présente à Hanoi, Hô Chi Minh-Ville [Saigon] et Hoi An.

Chez M. Sach, une épicerie ouverte en 2010 dans la capitale, les clients rem-plissent leur panier de légumes produits localement, à Ba Vi, et d’avocats venant de la province de Moc Chau. Tous les articles sont emballés sous plastique et portent une étiquette mentionnant leur région d’origine.

“Je suis vraiment préoccupée par la qualité de la nourriture au Vietnam, j’essaie d’acheter des produits sûrs”, confie Nguyen Thu Huong,

—The Diplomat (extraits) Tokyo

P endant vingt ans, M. Thanh a été le seul vendeur de fruits de la rue Phan Huy Chu, en plein centre de la

capitale Hanoi. Mais l’année dernière, une boutique a ouvert juste de l’autre côté de la rue, avec comme annonce publicitaire : “Rau an toan” [“Produits sûrs”]. Un atout qui manque manifestement aux paniers de litchis et de mangues de M. Thanh, expo-sés quasiment sur le trottoir.

Il y a peu encore, personne au Vietnam ne parlait de sécurité alimentaire. Mais l’année dernière, la question a fait les gros titres de la presse. Les rumeurs sur des raisins contaminés aux pesticides et des porcs impropres à la consommation, passés en contrebande depuis la Chine, ont fait prendre conscience aux consommateurs

Retour en terre sainePréoccupés par les questions de santé alimentaire, les Vietnamiens redécouvrent une agriculture responsable et biologique qui avait disparu il y a près de quarante ans.

30 ans, pendant que le caissier enregistre ses achats : tofu, œufs et céleris. “Dans les médias, ils disent que les produits chimiques que l’on utilise sur les végétaux et les animaux sont très dangereux pour la santé.” Une brochure éditée par une association de consomma-teurs liste 122 boutiques de légumes sûrs à Hanoi. Depuis sa publication, des dizaines de nouveaux points de vente, comme l’épi-cerie de M. Sach, ont ouvert. “Quand je me suis installée ici il y a six ans, il n’y avait pas un seul magasin bio. Aujourd’hui, ils se multi-plient quotidiennement”, témoigne Stéphanie Ralu, qui dirige 100 %, un détaillant d’Hô Chi Minh-Ville qui propose des aliments traçables et produits au Vietnam.

L’agriculture vietnamienne se fait encore principalement à petite échelle, la plupart des agriculteurs individuels travaillant sur moins d’un demi-hectare de terre. Mais le bio n’était plus la règle depuis les années 1970 et une grave pénurie alimentaire qui avait frappé le pays. Les produits chimiques avaient alors permis de donner un coup de fouet à la productivité et de remplir les assiettes vides.

A la fin des années 1980, la transition vers l’économie de marché a accentué la dépen-dance vis-à-vis des produits chimiques. Pour la première fois, les agriculteurs culti-vaient des légumes dans un but lucratif et voyaient les engrais comme un moyen facile d’augmenter leur production. “Les gens vou-laient gagner de l’argent rapidement, alors ils ont utilisé un tas de produits chimiques pour que leurs cultures poussent plus vite, constate Tran Trung Chinh, qui a lancé M. Sach en 2010. Résultat : beaucoup de personnes sont tombées malades. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, chacun sait que ces substances chimiques sont dangereuses pour l’homme.”

Dans un mouvement inverse, les gouver-nements d’Asie du Sud-Est s’activent, eux, à démanteler l’agriculture traditionnelle pour adopter des formes de production à grande échelle et mondialisée. Et cette intégration au marché mondial a un prix. La Thaïlande a agressivement industrialisé son système agricole dans les années 1960 et s’est lancée avec enthousiasme dans les accords internationaux de libre-échange, à la fin des années 1990. Mais rares sont les pro-ducteurs à en avoir tiré profit. Aujourd’hui, bien des paysans thaïlandais sont criblés de dettes et, à Bangkok, les consommateurs se pressent sur les marchés de petits pro-ducteurs à la recherche de produits bio.

Le Vietnam peut-il revenir à une agricul-ture biologique à petite échelle ? M. Chinh, le propriétaire de M. Sach, l’espère. Lui ne se contente pas de la vente et dirige des pro-grammes pour éclairer les consommateurs et former les agriculteurs aux bienfaits des pratiques biologiques. “C’est ma mission de faire comprendre aux gens ce que sont les produits alimentaires bio, explique-t-il. C’est essentiel si nous voulons préserver le Vietnam.”

—Elisabeth RosenPublié le 2 janvier

Photo Hoang Dinh Nam / AFP

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360°50. Courrier international — n° 1211 du 16 au 22 janvier 2014

↙ “Storyteller, c’est un jeu vidéo… qui utilise entre autres le langage de la BD…

comme le ‘deuil’ !… Il y a des histoires d’amour… de mort… et de sainteté.”

Extraits du jeu Storyteller

↓ Daniel Benmergui. Photo DR

JEUX VIDÉO

Un bâtisseur d’histoiresL’Argentin Daniel Benmergui est une star parmi les développeurs de jeux vidéo indépendants d’Amérique latine. Son succès ouvre la voie à des créations 100 % latinos.

latine, personne ne sait négocier”, affi rme Daniel Benmergui. Les développeurs lati-nos ne savent pas combien vendre un jeu ou comment évaluer un contrat. Le problème est le même en Argentine, au Brésil, au Chili, en Colombie ou au Pérou. Des développeurs conçoivent des jeux, ils ont un public au sein de leur pays, mais aucun moyen facile de commercialiser leurs créations.

Que faudrait-il pour qu’apparaisse un marché local de consommateurs ? Selon Daniel Benmergui, trois facteurs sont à prendre en compte : un moyen simple de facturation, un prix raisonnable et des jeux qui intéressent les Latino-Américains. Acheter des jeux sur Steam [la princi-

pale plate-forme de distribu-tion en ligne de jeux vidéo] nécessite une carte de crédit ;

pour réussir sur le marché latino-américain, il faudrait quelque chose de plus pratique. Par ailleurs, comme les revenus sont moins élevés en Amérique du Sud, les prix devraient être revus à la baisse. Enfi n, les consommateurs veulent des jeux qui leur parlent. Que signifi e concevoir un jeu argentin ou latino ? La question n’est pas de parler de tango, du bœuf ou de la culture inca. Il faut comprendre la sensi-bilité latine, et non faire appel aux clichés.

En 2008, après avoir quitté Gameloft, Daniel Benmergui commence secrète-ment à travailler sur Storyteller, son pre-mier projet à portée commerciale, un jeu dont le but est de construire des histoires. Il n’arrive pas à le mener à son terme : quelque chose cloche. En 2011, il tombe sur L’Art invisible de Scott McCloud [un essai en forme de BD sur l’art de la bande dessinée, éd. Vertige Graphic]. Il y trouve ce qui lui manque : l’idée d’aboutissement, et cette tendance que nous avons à termi-ner des images ou des histoires incom-plètes, à combler les lacunes. C’est alors qu’il reprend Storyteller et termine un pro-

totype qui lui permet de remporter le prix Nuovo à l’IGF, en 2012.

Depuis, le jeu a encore évolué. Il pos-sède bien une logique, qui dérive des pensées de Benmergui sur la vie et la sensibilité des Latino-Américains. Selon

le jeune homme, c’est dans le cadre du jeu que les joueurs comprennent comment

inventer des histoires. Chaque niveau propose une phrase, énonçant la

fi n de l’histoire, et un grand nombre de cases – comme

dans une BD – que le joueur doit remplir avec des per-

sonnages et des objets.Daniel Benmergui est

convaincu que les gens adorent les histoires. Avec Storyteller, il leur

apprend ce en quoi il est devenu expert : en inven-

ter de nouvelles.—Luis Wong

Publié le 30 décembre 2013

n’a rien à montrer, quand d’autres déve-loppeurs indépendants vantent leurs pro-jets du moment. A son retour en Argentine, il déprime. Persuadé qu’il est temps de passer à autre chose, il démissionne de son poste de directeur technique à Gameloft [cette société française spécialisée dans les jeux vidéo téléchargeables a un studio en Argentine].

Il a assez d’économies pour vivre pen-dant un an, pas plus. Il sort I Wish I Were the Moon (2008), dans lequel le joueur peut choisir un personnage – ou un objet – et le déplacer sur l’écran pour créer de nouvelles interactions. Le jeu suit l’histoire de deux amoureux, par une nuit calme de pleine lune. Le joueur peut décider si la relation aura une fi n heu-reuse ou triste. En général, ceux qui tentent leur chance en viennent à se poser cette question : “Est-ce que je peux faire quelque chose pour changer le cours de l’histoire ?” Dès la sortie du jeu sur [la plate-forme de jeux en ligne] Kongregate, les compteurs explosent – les internautes y ont joué plus de 500 000 fois à ce jour. En 2009, à la conférence de San Francisco, tout le monde sait qui est l’Argentin.

La scène indépendante argentine est aujourd’hui dans une position rêvée pour lancer des projets artistiques. Cela n’a pas toujours été le cas. En Amérique latine, un grand nombre de développeurs indépen-dants sont autodidactes, car il existe peu de formations dans le secteur. Pendant longtemps, chacun a travaillé de son côté sur de petits projets, sans partager aucune information, car il n’existait pas vraiment de plate-forme permettant de collaborer. Le problème était également culturel. Sur le continent, on croit souvent qu’il vaut mieux ne pas solliciter l’avis de confrères, de peur qu’ils ne volent vos idées. Cette tendance s’inverse néanmoins depuis quelques années : les déve-loppeurs ont compris qu’ils ne se faisaient pas concur-rence et qu’ils devaient travailler ensemble pour que leurs jeux soient diffusés dans le monde entier. Pourtant, il reste du chemin à parcourir. “En Amérique

de théâtre et des concerts sont program-més toute l’année. Le mois de novembre ne fait pas exception, puisque y a lieu la plus grande conférence argentine sur les jeux vidéo, l’Exposición de Videojuegos Argentinos (EVA). Daniel Benmergui est la vedette du milieu argentin des jeux indépendants.

Le jeune homme travaille au café El Faro uniquement parce qu’il ne veut pas bosser là où il dort et que l’endroit est calme. “Rien à voir avec ces cafés où, à 15 heures, plein de vieilles dames arrivent et crient à tue-tête. Ici, je peux être effi cace.” Il est assis devant un ordinateur portable et une tasse de café. C’est un Argentin typique, au look hirsute, qui adore la viande de bœuf. Rien ne laisse penser qu’il a remporté en 2012 le prix Nuovo de l’Independent Game Festival [IGF, festival du jeu indépendant], lui qui trafi que constamment les rouages des jeux pour en extirper une signifi ca-tion, une trame.

Tout commence en 2005, à la Game Developers Conference de San Francisco [conférence des déve-loppeurs de jeux vidéo, un ren-dez-vous incontournable pour les professionnels du secteur]. Pour la première fois, Daniel Benmergui assiste à l’événement. “A l’époque, la conférence était suffi samment importante pour attirer les gens qu’on voulait y voir et suffi samment petite pour que l’on puisse les approcher et discuter avec eux.” Mais lui

—Kill Screen (extraits) New York

Tout ce qui entoure Daniel Benmergui ressemble à de la fi ction.

Le jour où je dois le rencontrer à Buenos Aires, en Argentine, je suis en retard et prends un taxi. Quelques minutes plus tard, je demande au chauff eur si nous arri-vons bientôt à destination et il me répond par une question : “Pourquoi allez-vous là-bas à cette heure ? En général, les gens y vont pour dîner, pas pour déjeuner.— Oui, je sais, mais je vais voir quelqu’un qui travaille dans ce quartier.— Il travaille dans un café ? Comment il s’appelle ?— Daniel — Daniel Benmergui ?”Je suis interloqué. Est-il célèbre au point d’être connu des chauff eurs de taxi ? “Oui, réponds-je. Vous le connaissez ? Vous avez joué à ses jeux ?— Oui. Je suis son beau-père.”

Buenos Aires est une métropole de 3 mil-lions d’habitants. Environ 40 000 taxis y circulent en permanence. Les probabilités de tomber sur le beau-père de Daniel en allant rencontrer ce dernier étaient quasi nulles. Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant El Faro, le café où Daniel travaille sur ses jeux. Lui n’en croit pas ses yeux.

La vie culturelle, à Buenos Aires, est parmi les plus dynamiques d’Amérique latine. Des festivals de cinéma, des pièces

plein écran.

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