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Jérusalem loin des mythes !4BD64F-eabafa!:P;L PORTRAITS— RWANDA , BHOUTAN, MEXIQUE… ILS OU ELLES ONT MARQUÉ 2013 PLEIN ÉCRAN— AU MIROIR DE LA TÉLÉ Société Les nouveaux canons de la beauté L’ANNÉE EN CARTOONS Au-delà de ses divisions, la ville affiche un renouveau plein de promesses NUMÉRO DOUBLE ! N° 1207-1208 du 19 décembre 2013 au 1 er janvier 2014 courrierinternational.com Belgique : 5,50 € EDITION BELGIQUE

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Courrier International du 19 décembre 2013

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Jérusalem loin des mythes

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PORTRAITS— RWANDA , BHOUTAN, MEXIQUE… ILS OU ELLES ONT MARQUÉ 2013PLEIN ÉCRAN—AU MIROIR DE LA TÉLÉ

Société Les nouveaux

canons de la beautéL’ANNÉE

EN CARTOONS

Au-delà de ses divisions, la ville aff iche un renouveau

plein de promesses

NUMÉRO DOUBLE !

N° 1207-1208 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014courrierinternational.comBelgique : 5,50 €

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PORTRAITS

Plein écran. My télé is richChaque mercredi soir, l’émission Gogglebox fait sensation outre-Manche. Et réconcilie la nation britannique avec elle-même. Son principe ? Regarder des gens qui regardent la télévision…

La beauté est une obsession mondiale

– dont les critères changent peu à peu. Loin du modèle occidental qui prévalait jusque-là, c’est un idéal

composite qui se construit de New

York à Pékin ou Lagos.

p.70

Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 5

pp.49à60

Retrouvez Eric Chol chaque matin à 6 h 55,

dans la chronique “Où va le monde”

sur 101.1 FM

Anonymes ou célèbres, ils ont marqué l’année

Paul Kagame, le président du Rwanda, raconté par The New York Times (p. 18), Chencho Dorji, le seul psychiatre du Bhoutan (p. 22), l’écrivaine Elena Poniatowska (p. 66)… Tout au long de ce numéro, retrouvez notre sélection des meilleurs portraits parus dans la presse internationale en 2013.

LES NOUVEAUX CANONS DE LA BEAUTÉ

p.38 DOSSIER

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ÉDITORIALÉRIC CHOL

L’autre Jérusalem

La ville n’avait pas connu de telles chutes de neige depuis 1953. L’espace de quelques jours,

elle est apparue différente. Une autre cité. Comme si ce grand manteau blanc avait un temps couvert les dissonances d’un lieu où les divisions paraissent éternelles. Un demi-million de juifs, 281 000 musulmans et 14 000 chrétiens s’y côtoient chaque jour sans vivre ensemble. Mais la radicalisation du sentiment religieux, les traitements discriminatoires que subissent les Palestiniens de Jérusalem-Est et les écarts de richesse ne font qu’exacerber les tensions entre Jérusalémites/Hiérosolymitains. Le tramway qui serpente à travers la ville tente de servir de trait d’union entre des quartiers très disparates : son extension programmée témoigne du dynamisme d’une métropole dont la population a triplé depuis 1967. Son maire, Nir Barkat, un ancien entrepreneur du high-tech, veut mettre à profit son deuxième mandat pour transformer la première ville du pays. De nouveaux emplois sont créés, des pépinières de start-up voient le jour. Une autre Jérusalem tente de ressembler à n’importe quelle grande ville du monde. Loin des mythes, la ville-puzzle tente d’emboîter des morceaux chaque jour un peu plus nombreux. C’est cette mosaïque très actuelle que Courrier international a choisi de vous présenter dans ce numéro double de fin d’année, en vous souhaitant de très bonnes fêtes et en vous donnant rendez-vous le 2 janvier pour un numéro spécial 2014.

En couverture :—Décembre 2013, Jérusalem sous la neige. En arrière-plan, la mosquée Al-Aqsa. Photo Uriel Sinai, Getty Images, AFP.—Beauté : photo Mousa Mousa—Cartoons : dessin Burki.

p.12 à la une

SUR NOTRE SITE

www.courrierinternational.comUKRAINE Les suites de la crise politique et des manifestations proeuropéennes.ISRAËL Les laïcs seraient-ils plus misogynes que les religieux ?ÉTATS-UNIS Comment Google cherche à dominer la cartographie de la planète.

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Sommaire

JÉRUSALEM LOIN DES MYTHES

2013 en dessins

La plus grande ville d’Israël est en transition : elle reste divisée,

pauvre, religieuse, mais la croissance économique et le

camp laïc marquent des points.

Pendant les fêtes, continuez à suivre l’actualité sur :

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1 décembre 2013.

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

6. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

Sommaire Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Antoine Laporte. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Décembre 2013. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégo-vine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Sophie Bouillon (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Vir-ginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Hélène Rousselot (russe), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : India Belgharbi, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Chen Yan, Devayani Delfendahl, Mohamed Djelaili, Théo Dorothé, Léo Galtier, Marion Gronier, Dounia Hadni, Carole Lembezat, François Mazet, Jeanne Medeiros, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Isabelle Rosselin, Hélène Rousselot, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Sébastien Walkowiak

Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Claude Tamma (16 52), Sophie Nézet (partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(respon-sable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Lucie Torres (17 39), Romaïssa Cherbal (16 89)

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici, la rubrique “Nos sources”).

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine : Africa is a Country (africasacountry.com) New York, en ligne. Aera Tokyo, hebdomadaire. Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. The Boston Globe Boston, quotidien. The Daily Beast (thedailybeast.com) New York, en ligne. The Daily Telegraph Londres, quotidien. Diário de Notícias Lisbonne, quotidien. Il Fatto Quotidiano Rome, quotidien. Financial Times Londres, quotidien. Gazeta.ru (gazeta.ru) Moscou, en ligne. History Today Londres, mensuel. The Huffi ngton Post (huffi ngtonpost.com) New York, en ligne. Al Jazeera America (america.aljazeera.com) New York, en ligne. Kyunghyang Sinmun Séoul, quotidien. Lietuvos Rytas Vilnius, quotidien. Miftah (miftah.org) Territoires palestiniens, en ligne. Al-Monitor (al-monitor.com) Washington, en ligne. Motherland New Delhi, bimestriel. New York Magazine New York, hebdomadaire. The New York Times New York, quotidien. Novoïé Vremia Moscou, hebdomadaire. El País Madrid, quotidien. Polityka Varsovie, hebdomadaire. Pulse Magazine Lagos,

hebdomadaire. Qandisha (qandisha.ma) Casablanca, en ligne. Shaff af (metransparent.com) Paris, en ligne. The Toronto Star Toronto, quotidien. Süddeutsche Zeitung Munich, quotidien. Tehelka New Delhi, hebdomadaire. La Vanguardia Barcelone, quotidien. De Volkskrant Amsterdam, quotidien. The Wall Street Journal New York, quotidien. Die Zeit Hambourg, quotidien. Xin Zhoukan Canton, bimensuel.

46. Médias. Un marché à la solde de Poutine47. Signaux. Les Etats-Unis donnent, le Pakistan reçoit

2013, l’année en cartoons

360° 62. Reportage. Stilwell, la route des limbes66. Culture. La chroniqueuse des vies brisées68. Prix Courrier international. “Il y a des choses que l’Histoire ne peut transmettre”70. Plein écran. My télé is rich72. Tendances. Une petite maison qui voit grand74. Histoire. Le Persan qui a découvertl’Amérique

7 jours dans le monde8. Corée du Nord. Course de vitesse mortelle en famille10. Controverse. L’Inde qui criminalise l’homosexualité, une honte ?

A la une12. Jérusalem loin des mythes

D’un continent à l’autre— AFRIQUE 18. Rwanda. Le dictateur chéri de l’Occident

— ASIE22. Bhoutan. Chencho Dorji, un psychiatre en son royaume26. Chine. L’empire du bling-bling

— AMÉRIQUES28. Etats-Unis. L’édile le plus révolutionnaire d’Amérique

— MOYEN-ORIENT30. Qatar. La grande dame du Golfe

— EUROPE32. Lettonie. Un Russe aux commandes à Riga

— FRANCE36. Sécurité. Plus fort que la NSA !36. Société. Des mères bosseuses

— BELGIQUEI. Politique. Le coup de gueulede Fientje Moerman

Dossier38. Les nouveaux canons de la beauté

Transversales44. Sciences. Apprenti sorcier et écolo ?

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8. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

7 jours dansle monde.

SOURCE

KYUNGHYANG SINMUNSéoul, Corée du SudQuotidien, diff usion non communiquéeVieux titre d’origine catholique créé en 1946, le Kyunghyang Sinmun est aujourd’hui dirigé sur le mode de la coopérative. Il s’affi che comme un journal soucieux de défendre les droits individuels et sociaux en toute indépendance.

Le facteur ne sonnera plus

C A N A D A – La boîte aux lettres indivi-duelle devrait bientôt appar-tenir au passé dans toutes les villes du pays. En dif f iculté

fi nancière, la poste canadienne a annoncé le 11 décembre son intention de mettre fi n à la livrai-son du courrier à domicile d’ici à cinq ans, ce qui entraînera le départ de 6 000 à 8 000 facteurs. Pour le quotidien Le Droit, cette décision relève d’une “vision tronquée”. La poste est un “ser-vice public”, rappelle le journal d’Ottawa, et ne devrait pas être astreinte à dégager des profi ts puisqu’elle a “des responsabili-tés qui dépassent le simple cadre financier”. Selon le quotidien francophone, la poste aurait pu s’inspirer d’autres pays occiden-taux en s’adjoignant d’autres services, fi nanciers par exemple, pour profi ter de son réseau de distribution très étendu.

La lourde tâche du Premier ministreTUNISIE – Mehdi Jomaâ, “devra disposer du feu sacré pour sur-monter les obstacles qui l’entourent dans un environnement politique et social très tendu”, souligne le quotidien La Presse. Ministre de l’Industrie du précédent gouvernement, Jomaâ a été nommé le 14 décembre chef du gouvernement, après plusieurs semaines de tractations menées par les partis politiques sous le parrainage d’organisations syndicales, dont la puissante centrale UGTT. Ce techno-crate, proche des islamistes d’Ennahda, le parti au pouvoir, devra orga-niser les prochaines élections, sortir le pays du marasme économique et sur-tout “prouver qu’il peut être au-dessus des enjeux partisans et électoralistes”.

CORÉE DU NORD

Course de vitesse mortelle en familleL’oncle du leader nord-coréen Kim Jong-un vient d’être exécuté. Il aurait fomenté le renversement de Kim en vue d’un assouplissement du régime.

—Kyunghyang Sinmun Séoul

Un professeur d’université réfugié en Corée du Sud aurait été en contact avec

Jang Song-taek, ex-numéro deux du régime de Pyongyang [et oncle de Kim Jong-un], dans le but de provoquer des changements en Corée du Nord. C’est du moins ce qu’a révélé l’intéressé, Kang Myong-do, le 13 décembre dernier dans une interview donnée à la chaîne sud-coréenne YTN. Beau-fi ls de l’ancien Premier ministre nord-coréen Kang Song-san, il a fui la Corée du Nord en 1994.

Kang et ses proches auraient essayé de rallier à leur cause Jang Song-taek, que son neveu Kim Jong-un vient de faire exécuter. Kang aurait récemment eff ectué quelques déplacements secrets en Chine et en Asie du Sud-Est pour rencontrer certaines personnali-tés du régime nord-coréen.

“De deux choses l’une, ou Jang Song-taek était écarté du pouvoir,

ou Kim Jong-un était tué, explique-t-il. Mais avec Jang à la tête du régime on pouvait espérer l’aban-don du nucléaire et l’amélioration des relations intercoréennes.”

Il ajoute : “A présent qu’il n’est plus, je peux le dire : nous l’avions prévenu en disant que, s’il n’agis-sait pas le premier, ce serait Kim Jong-un qui le frapperait.”

Quant à la rumeur d’une tenta-tive de coup d’Etat de la part de Jang Song-taek [que ce dernier aurait avouée lors d’un procès expéditif, selon des sources nord-coréennes], Kang pense que “c’est tout à fait possible”. “Nous savions qu’il fi nirait par agir si Kim Jong-un ne renonçait pas au nucléaire et laissait s’aggraver les relations avec la Corée du Sud, la Chine et les Etats-Unis. D’ailleurs, l’homme fort de Pyongyang le savait probable-ment aussi. Cela faisait un an qu’il faisait surveiller Jang Song-taek.”

Ce serait à la suite de la prise de contact, fi n octobre, de proches de Jang Song-taek avec Kim Jong-nam, demi-frère de Kim

Jong-un, que ce dernier aurait décidé de se débarrasser de son oncle. Toujours d’après Kang, Kim Jong-un considérerait le fi ls aîné de Kim Jong-il comme “une épine dans son œil”. “Il est certain que, après l’exécution de Jang Song-taek, Kim Jong-nam va demander l’asile politique aux Etats-Unis”, affi rme-t-il.

—Kang Pyong-han Paru le 13 décembre

L’euro sans joieLETTONIE – Le lat cédera la place à l’euro le 1er janvier dans une ambiance peu enthou-siaste : selon le quotidien Eesti Päevaleht, 20 % seulement des

↙  Sur la poche : P’ti Kim. “Cétait mon mentor. Il fallait que je lui montre que gouverner, c’était dans mes cordes.” Dessin de Sack, paru dans le Star Tribune, Minneapolis.

27%C’est le taux d’infl ation cumulé en 2013 en Argentine, le chiff re le plus élevé depuis l’arrivée des Kirchner au pouvoir (en 2003), “poussé par l’augmentation accélérée des prix des aliments”, précise le quotidien La Nación. Les salaires, quant à eux, ne progressent pas au même rythme, ce qui provoque un malaise social. Ces deux dernières semaines, les débordements se sont multipliés, avec des saccages violents responsables de onze morts alors que la police faisait la grève et exigeait des augmentations de salaire.

↑ Scène de pillage dans la région de Tucuman le 9 décembre. Photo Reuters

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7 JOURS.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 9

franceculture.fr

en partenariat avec

ILS PARLENTDE NOUS

CHRISTIAN RIOUX, correspondant du quotidien canadien Le Devoir

2014, l’occasion d’une remise en question salutaireQuels sont, en France, les événements de 2013 qui auront été pour vous le plus marquants ?Le débat sur le mariage gay a probablement été le principal remue-ménage de 2013 pour

la société française. Contrairement à ce que les Français ont tendance

à croire, ce débat a été très suivi à l’étranger. Malgré quelques débordements inévitables, la France a fi nalement donné

l’exemple d’une discussion en profondeur comme il n’y en a pas

eu dans la plupart des pays développés – notamment au Canada, où seuls les lobbys se sont exprimés sur le sujet. En politique étrangère, 2013 a été l’année du retour de la France en Afrique. La plupart des pays, comme le Canada, préfèrent fuir leurs responsabilités. La France n’a pas le choix, mais l’Afrique est peut-être aussi une chance, celle de refonder une relation avec un continent largement francophone qui, après l’Asie et l’Amérique latine, devrait s’engager lui aussi sur le chemin de la croissance.

Et sur le plan culturel ? L’inauguration à Marseille du MuCEM. Le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, une œuvre profondément ancrée dans son territoire, est peut-être le symbole d’une France qui, en cette ère de mondialisation eff rénée, renoue avec ses racines profondes.

2014 sera l’année des municipales et des européennes. Avez-vous un pronostic ?Avec le triomphe annoncé du Front national aux élections municipales et européennes, 2014 pourrait être l’année d’un véritable choc politique. L’occasion peut-être pour la classe politique française d’une remise en question salutaire. La France n’est pas composée de 20 % de racistes. En même temps, il n’est plus possible d’ignorer les perdants de la mondialisation. S’il existe un “rêve français”, ce sera le moment de lui donner corps.

DR

LA PHOTO DE LA SEMAINE

Bédouins du Néguev : partir, rester, partir, rester…

ISRAËL - Les trente à quarante mille Bédouins vivant dans le désert du Néguev qui devaient être expulsés de force au nom de la loi Begin-Prawer, en cours de discussion à la Knesset, ne seront peut-être pas obligés de partir : l’ancien ministre Benny Begin, l’un des deux auteurs de la loi, a lui-même annoncé son retrait le 12 décembre, après avoir reconnu qu’il n’avait jamais consulté les représentants des Bédouins sur le sujet, contrairement à ce qui avait été dit jusque-là. Mais Ha’Aretz précise, dans son édition du 17 décembre, que le fonctionnaire chargé de la préparation des expulsions n’a pas reçu l’ordre de cesser ses préparatifs, et que la Knesset n’a pas reçu d’instructions du gouvernement pour retirer la loi. Selon le quotidien israélien, Nétanyahou s’apprêterait à modifi er ce texte très controversé de façon à le rendre plus présentable. ↑ Dans le village bédouin de Umm Al-Hiran. Photo Uriel Sinal/Getty Images

332représentants américains ont voté le 12 décembre un projet de budget pour deux ans qui écarte le spectre d’une nouvelle paralysie de l’administration fédérale (shutdown). Ce texte est négocié depuis plusieurs semaines par le représentant républicain Paul Ryan et la sénatrice démocrate Patty Murray.Les ultraconservateurs du Tea Party, qui avaient pesé sur le Parti républicain en octobre dernier, se sont retrouvés marginalisés. Cet accord pourrait ouvrir une nouvelle ère de pragmatisme et de coopération entre les deux partis, veut croire le Los Angeles Times.

Lettons approuvent l’adoption de la monnaie unique. En dépit des affiches indiquant la promesse de ne pas augmenter les prix –” le passage à l’euro honnête”, clament ces affi ches –, nombreux sont ceux qui craignent une envolée des éti-quettes.La Lettonie devient le 18e membre de l’Eurogroupe après l’Estonie voisine, qui y est entrée en 2011. La Lituanie devrait faire de même en 2015.

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7 JOURS10. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

les chrétiens, les dalits [intouchables], les tribus indigènes et les femmes –, a tourné le dos à l’une des plus importantes minorités du pays. Aujourd’hui, je sais ce que c’est qu’être une minorité dans mon propre pays. Aujourd’hui, je suis une minorité, un criminel dans mon propre pays. Ce qui me blesse le plus, c’est que les religieux de tous bords dont nous avons défendu les droits au nom de l’égalité nous refusent nos droits. Englués dans une mentalité médiévale, ils pensent que les seules minorités du pays sont celles de leur religion, qu’il ne doit y avoir d’égalité que pour elles.

La reconnaissance des minorités sexuelles est aussi une question de santé publique. Après l’abrogation de l’article 377 du Code pénal, en 2009, le sida a reculé de 57 % en Inde. Anbumani Ramadoss, alors ministre de la Santé, avait d’ailleurs [en 2009] soutenu l’abrogation de cet article. Somme toute, en ce soir du 11 décembre, il me semble que le jugement de la Cour suprême ne s’attaque pas seulement à la communauté gay. Il touche l’idée même de l’Inde. Depuis l’époque où nos aïeuls se sont assis pour rédiger la Constitution et qu’ils ont décidé de l’Inde dont nous hériterions, il s’agit de l’Inde. Et, chose triste, aujourd’hui, plus de soixante-cinq ans après l’indépendance, nous en sommes toujours à la case départ : quelle sorte d’Inde voulons-nous ? Le combat oppose deux écoles de pensée. La première défend l’égalité pour tous, quels que soient la caste, la religion, le genre et la sexualité. L’autre croit encore en un pays où certains groupes de la société ne sont pas égaux aux autres.

—Kunal MajumderPublié le 11 décembre

sexuelles en légalisant le mariage pour tous, la Cour suprême indienne vient de casser [le 11 décembre] l’arrêt de la Haute Cour de Delhi en remettant en vigueur une loi, d’une sévérité extrême, de l’époque britannique. Non seulement celle-ci fait des rapports homosexuels un crime, mais elle place en outre les homosexuels sur le même plan que les zoophiles et les pédophiles.

“Ceux qui se livrent à des rapports charnels dans l’ordre de la nature et ceux qui se livrent à des rapports charnels contre-nature constituent deux classes différentes.” Mais qui définit ce qui est naturel ? Au nom de quoi deux juges de la Cour suprême peuvent-ils décider pour tous de ce qui est naturel ? Comment savent-ils que ma sexualité est contre-nature ? Plus important encore, comment lire la Constitution indienne : à l’aune de l’ordre de la nature ou de la moralité constitutionnelle ?

“En lisant l’article 377 du Code pénal [celui qui criminalise l’homosexualité], la Haute Cour a oublié que les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ne constituaient qu’une minuscule fraction de la population du pays…” Existe-t-il une seule étude sur les gays, les lesbiennes et les bisexuels dans ce pays ? Les juges connaissent-ils la différence entre les gays, les lesbiennes et les bisexuels, d’une part, et les transgenres, de l’autre ? Hélas, mettre toutes les sexualités alternatives dans le même sac du troisième genre est une erreur qui vient de l’intérieur de la communauté, et elle est transmise par les médias. Du reste, comment fonder un consensus sur l’orientation sexuelle lorsqu’il s’agit de sexualités alternatives plurielles ?

La Cour suprême, gardienne de la Cons-titution, la mère de tant de jugements qui ont fait date en accordant des droits à la plupart des minorités de ce pays – les musulmans,

OUI

Elle nie l’égalité pour tous—Tehelka (extraits) New Delhi

J ’étais étudiant en échange à Paris lorsque, en 2009, la Haute Cour de Delhi, sous la houlette du juge

A.P. Shah, a rendu un arrêt historique dépé-nalisant l’homosexualité. Cette décision a bouleversé ma vie de jeune apprenti journa-liste engagé politiquement, encore en train d’expérimenter sa sexualité. Dans le pays qui a donné au monde libre les valeurs que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, je pouvais désormais être fier de la démocratie de mon propre pays. Aujourd’hui comme alors, l’idée que je me fais de l’Inde est celle d’un espace où tous les individus sont égaux, indépen-damment de la caste, des croyances, de la religion, de la région, de la race, du genre et de la sexualité.

Ainsi, par une ironie du sort toute bollywoodienne, j’ai redécouvert mon patriotisme en terre étrangère, non pas parce que l’Inde avait gagné un match de cricket contre le Pakistan, ni parce que j’avais pris conscience d’être homosexuel, mais parce que, enfin, la démocratie indienne avait légalement reconnu une tranche importante de sa population : les minorités sexuelles.

Malheureusement, un peu moins de cinq ans plus tard, cette idée de l’Inde semble appartenir au passé. Alors que la France a fait un pas en avant pour ses minorités

CONTROVERSE

L’Inde qui criminalise l’homosexualité, une honte ?En rétablissant l’article 377 de la Constitution, la Cour suprême a remis au goût du jour l’interdiction des “rapports charnels contre-nature”. Dans un pays où les pesanteurs sociales restent fortes, nombre de voix se sont cependant élevées contre ce recul.

NON

Le sexe gay n’est pas naturel● Quand la Haute Cour de Delhi a dépénalisé l’homosexualité, en 2009, plusieurs personnes et organisations ont décidé de faire appel devant la Cour suprême, laquelle a rétabli, le 11 décembre, la criminalisation initialement contenue dans l’article 377 du Code pénal. Parmi les partisans de cet article datant de l’époque victorienne, des organisations religieuses hindoues, musulmanes et chrétiennes, ainsi que Baba Ramdev, un gourou enseignant le yoga et connu pour des affaires de corruption. Tous se sont déclarés satisfaits du jugement de la Cour suprême.Rajnath Singh, le leader du BJP, parti nationaliste hindou et principale formation de l’opposition, a expliqué, rapporte The Times of India, que “le sexe gay n’est pas naturel et nous ne pouvons pas défendre quelque chose qui n’est pas naturel”.

↙ Les droits des homosexuels en Inde. Dessin de Tjeerd, Pays-Bas.

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12. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

JÉRUSALEM LOIN

—Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

érusalem 2013 est une ville en tran-sition. Les entreprises high-tech ont découvert la capitale israélienne, la croissance de l’emploi attire les diplô-més et le statu quo en vertu duquel toute activité doit cesser durant le shabbat

a été assoupli. Pourtant, le taux de réussite des bacheliers originaires de Jérusalem aux examens nationaux d’entrée à l’université a fortement chuté, les dépenses consacrées aux services municipaux dans l’est de la ville [côté palestinien] sont très inférieures aux taux habituels et de nombreuses personnes appartenant aux minorités ultraorthodoxe et arabe restent en situation de pauvreté et n’ont guère de perspective d’emploi.

Jérusalem est la plus grande ville d’Israël, tant en termes de nombre d’habitants que de superficie. Elle compte environ 800 000 habi-tants, soit à peu près le double de Tel-Aviv, qui occupe une superficie équivalant à 40 %

de celle de Jérusalem. Mais, selon les chiffres publiés récemment par le Bureau central des statistiques, en 2012 le taux de chômage a été de 7,8 % à Jérusalem, alors qu’il n’était que de 6,9 % dans le pays.

Jérusalem est à 35 % arabe et à 32 % haredi [Juifs ultraorthodoxes], les deux groupes enre-gistrant le plus fort taux de chômage. Mais dans le même temps, la ville manque d’em-plois, d’industries et de centres de technologie.

Pourtant Jérusalem traverse une période de croissance de ses emplois. D’après le Bureau des statistiques, 30 000 emplois ont été créés dans la ville entre 2009 et 2011, et 17 000 s’y sont ajoutés en 2012. Il y a quatre ans, Jérusalem a élu le laïc Nir Barkat [qui vient d’être réélu] au poste de maire. Aujourd’hui le Teddy Stadium organise des matchs de foot le samedi. La ville est par ailleurs sur le point d’inaugurer des zones d’activités nocturnes qui seront ouvertes le vendredi soir.

Malgré les violentes manifestations organi-sées par les ultraorthodoxes, le parking Carta,

à la une

Les multiples discussions pour régler le conflit israélo-palestinien avaient réussi à formuler des solutions à des problèmes aussi inextricables que le tracé des frontières ou le partage de l’eau. Toutefois, le statut de Jérusalem et le contrôle du territoire exigu de ses lieux saints demeurent une des pierres d’achoppement à tout règlement, car les mythes de la ville trois fois sainte semblent plus tenaces que les réalités. Dans ce dossier, Ha’Aretz évoque (ci-contre) la pauvreté de la ville, son taux de chômage, tout comme ses espoirs d’un avenir meilleur ; The Daily Beast souligne les différences entre la ville fantasmée, religieuse, et la ville actuelle (p. 14) ; Miftah rappelle la détresse des Palestiniens (p. 17).

JMISÈRE, FANATISME

ET HIGH-TECH

Jérusalem demeure pauvre, religieuse et divisée. Mais le camp

laïc marque des points. Et la ville attire de plus en plus les entreprises

de nouvelles technologies.

↗ Devant les murailles de la Vieille Ville. Photo Alexandro Gandolfi/Paranelozero

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Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 13

Teddy Stadium Teddy Stadium

ZI* de Har HotzvimZI* de Har Hotzvim

ZI* de Givat ShaulZI* de Givat Shaul

10 km

“SecteurE1”

Nouveau projet de colonisation

SheikhJarrah

Talpiot-Est

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ZI* de Har Hotzvim

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Mur des Lamentations(vestiges du Temple),dôme du Rocheret mosquée Al-Aqsa,église du St-Sépulcre

Le Grand Jérusalem en 2014Colonies israéliennes Villes/villages palestiniens Mur de séparation (en construction depuis 2002)Municipalité de Jérusalem (1967) Ligne verte (armistice de 1949) Vieille Ville Checkpoint

N DES MYTHES RepèresDécembre 1917 — L’Empire ottoman s’eff ondre. La ville va rester sous mandat britannique jusqu’en 1948.A partir de 1918 — Des quartiers juifs voient le jour à l’ouest et au sud de la Vieille Ville, et le nombre des réfugiés juifs venus d’Europe augmente sensiblement avec la montée du nazisme.1947 — Le planonusien de partage de la Palestine propose l’internationalisation de Jérusalem. L’idée est rejetée par les deux camps.Le 14 mai 1948 — David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël. La guerre éclate dans Jérusalem. Le succès des troupes israéliennes est fulgurant, mais la légion arabe les repousse devant la Vieille Ville, qui sera placée comme l’est de Jérusalem sous contrôle jordanien.Juin 1967 — Israël contrôle l’ensemble de Jérusalem, qui devient “capitale éternelle et indivisible de l’Etat d’Israël”. En 1982 puis en 1993, des territoires supplémentaires sont ajoutés à la municipalité de Jérusalem.Novembre 1977 — Anouar El-Sadate est le premier chef d’Etat arabe à se rendre à la Knesset.Septembre 2000 — La visite d’Ariel Sharon à l’esplanade des Mosquées déclenche la deuxième Intifada.2001 — Israël suspend toute activité palestinienne à Jérusalem.2008 — Le candidat laïc Nir Barkat bat les ultraorthodoxes aux élections municipales. Il sera réélu en 2013. Les Palestiniens de la vile boycottent les élections.

proche de la Vieille Ville, est désormais ouvert le samedi. Des zones d’activités nocturnes seront bientôt ouvertes le vendredi soir et le samedi sur les terrains de l’ancienne gare et dans le quartier d’Abu Tor. [Pour les Juifs religieux, du vendredi soir au samedi soir, toute activité doit cesser.]

Un net changement. Les autorités muni-cipales sont engagées dans une autre bataille qui pourrait marquer l’ultime aff rontement entre Juifs ultraorthodoxes et laïcs à propos du caractère de la ville. La chaîne de cinémas Cinema City doit en eff et s’installer prochai-nement dans la Ville sainte. Le conseil muni-cipal de Jérusalem, qui a autorisé l’ouverture du Teddy Stadium le samedi et durant les fêtes religieuses juives, a accordé les mêmes autori-sations à la chaîne de cinémas.

La population de Jérusalem-Est a triplé depuis 1967, la population juive augmentant de 159 % et la population arabe de 327 %. Fragmentée en dif-férentes communautés confessionnelles, la ville compte 499 400 juifs (62 %), 281 000 musulmans

(35 %) et 14 700 chrétiens (2 %), dont 12 000 chré-tiens arabes. Le 1 % restant, soit environ 9 000 per-sonnes, est classé comme sans religion.

D’après une analyse du budget 2011 eff ec-tuée par l’ONG Ir Amim, les quartiers arabes de Jérusalem-Est pâtissent de sous-fi nancement par rapport aux quartiers juifs de la partie occi-dentale de la ville. En 2012, selon cette étude, 10,7 % seulement du budget municipal de 4,7 mil-liards de shekels [977 millions d’euros] ont été consacrés à Jérusalem-Est, alors que ces quar-tiers rassemblent 38 % de la population de la ville. D’après ces chiff res, le budget alloué aux services sociaux pour Jérusalem-Est ne repré-sente que 12,6 % du budget dégagé par la muni-cipalité pour l’ensemble de ses services sociaux – alors que 78 % des familles habitant ces quar-tiers sont classées comme pauvres.

Par ailleurs, depuis quelques années, Jérusalem est devenue un centre de haute technologie. Les principales zones industrielles de la ville sont Atarot, où 200 entreprises emploient environ 5 000 personnes, et Har Hotzvim, où environ

280 entreprises de haute technologie emploient une dizaine de milliers de personnes. Et selon la Jerusalem Development Authority, l’Univer-sité hébraïque de Jérusalem comporte un village high-tech où une vingtaine d’entreprises font travailler environ 400 personnes. L’Authority est fi nancée par le gouvernement central. Elle accorde des avantages aux entreprises, étudiants et employés, ce qui pousse de nombreuses entre-prises à venir s’installer ici, et incite les jeunes diplômés à s’y établir.

Itzik Ozer, le directeur du développement industriel de l’Authority, explique que plusieurs zones industrielles nouvelles sont en voie d’achè-vement à Givat Shaul. “Nous assistons à un net changement depuis deux ans”, souligne quant à lui Arik Grebelsky, qui préside la branche locale de la Manufacturers Association. “Des entreprises qui jusqu’ici ne voulaient pas entendre parler de Jérusalem sont désormais prêtes à venir s’y installer.”

—Hila Weissberg, Moti Bassok, Lior Dattel et Ora Coren

Publié le 9 mai

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14. À LA UNE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

La terre de la diversitéPersonne ne devrait pouvoir imposer son monopole sur la ville.

—Shaffaf (extraits) Paris

ous avons marché dans les ruelles étroites de la vieille ville de Jérusalem avec le poète Assaad Al-Assaad pour guide. Ses expli-cations sur chaque monument accompa-gnaient nos pas. Une musique échappée d’une église nous avait attirés dans le quar-

tier et nous avons suivi ses notes apaisantes à tra-vers les ruelles jusqu’à sa source. Sous une voûte en pierre, une vieille porte en bois. Elle est gardée par un jeune de type européen. Assaad nous dit qu’il s’agit du couvent des Arméniens.

Il s’adresse au gardien en anglais : “Ce sont mes amis, ils viennent de Jordanie et voudraient visiter les lieux.” J’ajoute : “Je suis palestinien et je viens de Ramallah.” Le jeune homme réplique en arabe : “Je suis palestinien aussi. Vous êtes les bienvenus.”

Ses mots me vont droit au cœur. L’identité ne se mesure pas à une origine purifiée, mais à tous les ajouts qu’elle a acquis au cours des siècles. Elle s’enrichit quand elle est accueillante et se rétrécit en s’enfermant sur elle-même. Je n’ai pas plus de droit à Jérusalem que le jeune gardien du couvent arménien. C’est aussi sa patrie. Ces lieux nous appartiennent autant que nous y appartenons.

A Jérusalem, la terre rejoint le ciel et les ethnies, les parcours individuels et collectifs se mêlent. Depuis des millénaires. La ville pèse sur les épaules des vivants. “Qui peut supporter une telle densité de symboles et de sens ?” répétait [l’intellectuel amé-ricano-palestinien] Edward Said.

La diversité des civilisations, des cultures, des ethnies et des langues laissées par les conquêtes est apparente dans les rues, sur les visages des passants, l’architecture des maisons, dans le dia-lecte local et les rites de naissance, du mariage et de la mort. Tous ceux qui ont mis le pied sur cette terre n’en sont pas complètement partis. Ils y ont laissé des traces. Un nom au début d’une ruelle par-ci, un autre au bout d’une impasse par-là. Un livre saint après une bataille. Ainsi notre identité s’est enrichie de l’accumulation des héritages.

Quand nous entendons dire que la Palestine est un bien musulman, il nous faut répliquer que ce pays est unique par son caractère his-torique, qui interdit tout monopole, y compris à ceux qui le considèrent comme une propriété exclusivement juive. Répondre à l’exclusivisme par un autre a toujours constitué une source de tension dans la relation des habitants avec leur identité. Accepter la diversité de Jérusalem ouvre la voie à la coexistence et à la paix. Et la politique au quotidien dans sa petitesse ne saura jamais traduire ce que j’ai vécu à l’entrée du quartier arménien de Jérusalem.

—Hassan KhaderPublié le 24 septembre

UNE VILLE GONFLÉE ARTIFICIELLEMENT La Jérusalem que la droite israélienne veut garder a une superficie cent fois supérieure à celle de la Ville sainte du début du XXe siècle.

—The Daily Beast (extraits) New York

’étoile montante de la scène politique israélienne, Yair Lapid [actuel ministre des Finances], a martelé à maintes reprises qu’il ne consentirait jamais à “diviser Jérusalem” dans l’éventualité d’un accord de paix avec le peuple pales-

tinien prévoyant l’instauration de deux Etats. Mais, quand Lapid ou n’importe quel autre poli-ticien israélien (ou encore des responsables juifs américains) parlent de Jérusalem, de quoi parlent-ils exactement ?

Cela semble une question assez simple, en par-ticulier pour les Juifs qui sont actifs au sein de la communauté juive et/ou dans le soutien à Israël. Jérusalem est notre ville sainte, l’endroit vers lequel nous avons prié trois fois par jour durant des siècles pour pouvoir y revenir, le seul centre raisonnable de nos aspirations nationales et spi-rituelles. Plus qu’un entrelacs de vieilles ruelles et de bâtiments modernes, Jérusalem est le point central de notre existence en tant que peuple.

Je me risquerais à dire que c’est en réalité ce à quoi la plupart des Juifs songent quand ils entendent le mot “Jérusalem” ; mais la vérité toute simple, et rarement énoncée, est que cette vision n’est qu’une partie de l’histoire. Et qu’elle en est même une partie assez modeste.

La ville sainte de Jérusalem est un lieu très exigu. Elle recouvre grosso modo ce qu’on appelle aujourd’hui la Vieille Ville, mais sa partie sainte

est encore plus petite que cela : c’est le mont du Temple, là où se dressait autrefois notre Temple. Quand nous prions devant le mur des Lamentations ou que nous nous tournons dans sa direction depuis nos synagogues ou nos bureaux de Chicago, Johannesburg ou Sydney, nous nous rattachons spirituellement au souve-nir de ce Temple, à la sainteté que lui ont attri-buée nos Saintes Ecritures, ainsi que des siècles et des siècles de nos prières et désirs.

Bien entendu, cela fait longtemps que les Juifs vivent à l’extérieur des murs de la Vieille Ville et, à l’époque où a été créé l’Etat d’Israël, il existait une prospère “nouvelle ville” formée de quartiers juifs, qui s’étendait en gros à l’ouest des murailles de la Vieille Ville et qui, en 1948, couvrait une quarantaine de kilomètres carrés. Durant tous ces siècles et au cours des dernières décennies, il y a eu une présence arabo-palestinienne tout aussi prospère dans la Vieille Ville, ainsi que dans la région alentour. Ces quartiers et villages satel-lites se trouvaient grosso modo à l’est et au nord de la Vieille Ville. Dans la période qui suivit la fin du mandat britannique, soit après 1948, ces vil-lages et quartiers ainsi que la Vieille Ville (qui cou-vraient ensemble entre 6 et 7 km2) furent placés sous contrôle jordanien ; dans le discours actuel, nous les désignons, de façon un peu inexacte, sous l’appellation de “Jérusalem-Est”.

Aujourd’hui, le lieu géographique qu’on appelle Jérusalem englobe tous ces quartiers – la Vieille Ville, la nouvelle ville, Jérusalem-Est – et bien

Démographie En 1967, juste après la guerre des Six-Jours et l’annexion par Israël de la vieille ville de Jérusalem, 9 000 Israéliens ont réclamé leur installation dans le quartier juif, qui avait été vidé de ses habitants en 1948, rappelle The Jerusalem Post. Aujourd’hui, le quartier juif ne compterait que 3 000 habitants plus 1 500 étudiants religieux, ainsi que quelques centaines de juifs qui se sont installés dans les quartiers musulmans et chrétiens. Mais, en dépit du souhait de la municipalité de réduire le nombre des Arabes dans la Vieille Ville, leur nombre atteindrait aujourd’hui 30 000. A noter qu’à Jérusalem le taux de fécondité est le plus élevé du pays. Pour les Juifs, 4,2 enfants par femme, alors que la moyenne nationale est de 2,9 enfants ; côté arabe, il est de 3,6 enfants à Jérusalem et de 3,3 dans le reste du pays.

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→ Les faubourgs de Jérusalem-Est. Photo Alexandro Gandolfi/Paranelozero

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Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 JÉRUSALEM LOIN DES MYTHES. 15

plus encore. (Dans les jours qui suivirent l’en-trée triomphale des forces israéliennes dans la Vieille Ville, en juin 1967, le gouvernement annexa non seulement celle-ci, mais aussi Jérusalem-Est et certaines parties de la Cisjordanie, parmi lesquelles non seulement des villages satellites, mais des parties entières d’autres villes, afin de créer la nouvelle municipalité de Jérusalem. La zone annexée à cette époque représentait quelque 70 km2.)

“Ces territoires annexés”, indique le groupe israé-lien de défense des droits de l’homme B’Tselem, “comprenaient non seulement la partie de Jérusalem précédemment placée sous contrôle jordanien, mais 64 km2 supplémentaires, dont la plupart avaient appartenu à 28 villages de Cisjordanie et dont une partie appartenait aux municipalités [pales-tiniennes] de Bethléem et de Beit Jala. A la suite de leur annexion, Jérusalem devint la plus grande ville d’Israël.”

A part égale. L’annexion des terres ne s’est pas résumée à une simple formalité : dans les années 1970 et 1980, Israël expropria une bonne partie des terres appartenant à des Palestiniens dans la zone de Jérusalem afin de laisser place à des colonies telles que Ramot, Gilo et Taipiyot-Est, toutes situées en Cisjordanie, mais considé-rées à présent comme appartenant au territoire de la municipalité de Jérusalem. En 2008, le ter-ritoire de la municipalité de Jérusalem atteignait un total de 125 km2, soit trois fois la superficie de toute la ville de Jérusalem – quartiers ouest, quartiers est, Vieille Ville, nouvelle ville – à l’époque de la guerre des Six-Jours de 1967 et plus de cent fois la superficie qu’occupait la ville il y a un siècle.

Je ne doute pas un seul instant que nous, Juifs, ayons le droit d’être à Jérusalem. Je ne conteste pas le fait que les zones qui étaient des zones juives avant juin 1967 sont incontestablement israéliennes, pas plus que je ne conteste que, quel que soit ce que l’avenir réserve à Israël et à la Palestine, la souveraineté sur la vieille ville de Jérusalem et le mont du Temple doive être exercée à part égale par l’Etat juif. Cet endroit unique est vraiment le cœur de notre foi et de notre peuple.

Mais la “Jérusalem” actuelle, celle à laquelle font allusion Lapid et les gens comme lui, n’a qu’une lointaine ressemblance avec la Ville sainte vers laquelle le peuple juif s’est inlassablement tourné au cours de l’Histoire ; et je dirais que les machinations politiques mises en œuvre pour chasser systématiquement les Palestiniens de Jérusalem (une ville qui, après tout, est tout aussi sainte et essentielle pour eux) et les priver de leurs droits civiques et même parfois de tout droit humain alors même qu’ils continuent à vivre à l’intérieur de ses murs privent toute la ville d’une bonne part de sa sainteté.

Quand les gens disent qu’ils ne sont pas prêts à “diviser” Jérusalem, c’est de cette Jérusalem-là qu’ils parlent : un mastodonte artificiellement gonflé à coups de décrets municipaux et nationaux, et que l’on ne maintient debout que par des lois et des politiques ouvertement discriminatoires, souvent teintées de xénophobie et de racisme.

—Emily L. HauserPublié le 1er mars

Le projet d’un musée de la Tolérance à Jérusalem, dont la construction a été approuvée en juillet, est loin de faire l’unanimité, soupire Ha’Aretz. En 2004, le rabbin américain Marvin Hier, flanqué du gouverneur de la Californie Arnold Schwarzenegger et du ministre des Finances d’alors, Benyamin Nétanyahou, ont présenté ce projet, censé être “un centre pour la dignité humaine”. Toutefois, le choix du site, le cimetière musulman historique de la ville, où 70 000 guerriers des armées de Saladin sont enterrés, ainsi que les ancêtres de l’élite arabe de Jérusalem, a provoqué la colère des Palestiniens. Le professeur de l’université Columbia Rashid Khalidi a demandé sans succès au rabbin Hier de trouver un autre emplacement pour faire preuve d’“une authentique tolérance”. Cette décision irrite aussi de nombreux Juifs. Le Centre Wiesenthal a fait valoir que le choix du site sape les efforts du Centre pour protéger de la profanation les cimetières juifs et autres sites sacrés juifs.

Tolérance L’illusion d’une capitale pour deux Etats Le gouvernement a les mains libres pour judaïser la partie Est et empêcher qu’elle ne devienne la capitale d’un Etat palestinien.

—Al-Monitor (extraits) Washington

iviser Jérusalem est impossible, parce qu’on ne peut diviser une idée”, répète Yair Lapid, président du parti Yesh Atid et ministre des Finances. Si cette idée était par-tagée par une majorité de citoyens, les politiciens et hauts fonctionnaires qui tra-

vaillent d’arrache-pied pour trouver une solution définitive au conflit israélo-arabe ne feraient que perdre leur temps. Lapid ne se contente pas de lancer des slogans creux : il a pris part à la déci-sion du premier ministre Benyamin Nétanyahou de lancer, parallèlement à la libération d’un cer-tain nombre de prisonniers palestiniens, une série de projets de construction à Jérusalem-Est. Pourquoi pas ? Si on ne peut diviser l’idée de Jérusalem, alors rien n’empêche de construire de nouveaux quartiers juifs.

Le lendemain de l’annonce du projet de construc-tion, le 30 octobre, une conférence spéciale orga-nisée par Palestinian-Israeli NGO Peace Forum s’est tenue à la cinémathèque de Jérusalem sous l’intitulé : “Jérusalem, deux capitales pour deux Etats : est-il trop tard ou est-ce encore possible ?” Bien que le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Proche-Orient, Robert Serry, qui accueillait les participants, ait déclaré : “Nous devons trouver un moyen d’établir deux capitales pour deux Etats à Jérusalem”, tous les experts univer-sitaires et ceux de la société civile qui ont pris la parole après lui ont peint un tableau plutôt sombre qui soulevait des doutes sérieux sur la faisabilité de cette idée. Danny Seidemann, l’un des juristes les plus au fait des négociations concernant Jérusalem,

a rappelé que, depuis 2010, nous assistions à un boom des constructions de colonies juives d’une ampleur inconnue depuis 1967. Seidemann a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une initiative stratégique destinée à imposer une hégémonie israélienne sur toute la région du Grand Jérusalem. Il a évoqué sa rencontre récente avec un haut responsable gouvernemental israélien qui avait reconnu que les projets et constructions prévus dans la région du Grand Jérusalem étaient destinés à réaliser un “refaçonnage du territoire”.

Seidemann en fut choqué et remarqua aussitôt que les enclaves juives édifiées à Jérusalem-Est allaient finir par tuer l’idée de diviser Jérusalem et, par voie de conséquence, rendraient impos-sible la solution des deux Etats. “C’est là la solu-tion des deux Etats telle que l’envisage Nétanyahou”, rétorqua le responsable gouvernemental. Lorsque Seidemann le mit en garde contre la réaction de la communauté internationale face aux initiatives israéliennes unilatérales à Jérusalem, son inter-locuteur le “rassura” en déclarant : “L’Amérique est sur le déclin et l’Europe ne compte pas.”

Meir Margalit, le responsable sur le départ du dossier de Jérusalem-Est à la municipalité de Jérusalem, a rappelé aux participants qu’“au-jourd’hui des pyromanes se baladent avec des jerry-cans d’essence”, avant d’ajouter : “les démolitions de maisons [palestiniennes] auxquelles nous avons assisté cette semaine ne sont qu’un avant-goût”. Il a ensuite accusé le maire de Jérusalem, Barkat, de se livrer à une astucieuse et insidieuse “israélisation” de Jérusalem-Est [la partie arabe], tout en accélérant la désagrégation de la communauté palestinienne par l’accroissement de la dépendance des

D

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↗ A Jérusalem-Ouest. Photo Alexandro Gandolfi/Paranelozero

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16. À LA UNE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

UNIE MAIS PARTAGÉEUn spécialiste israélien des négociations israélo-arabes propose un plan de paix pour la Ville sainte.

—The Huffington Post (extraits) New York

l paraît fort peu probable que l’on par-vienne à un accord dans les négociations de paix israélo-palestiniennes, car ni le Premier ministre israélien Nétanyahou ni le président Abbas ne sont en position d’accorder les concessions nécessaires

pour parvenir à la paix tout en assurant leur survie politique. Cela dit, l’avenir de Jérusalem pour-rait déterminer la réussite ou l’échec de l’éven-tuel accord. C’est pourquoi il est urgent d’engager des discussions publiques au sujet de l’avenir de Jérusalem car Israéliens et Palestiniens doivent se préparer à accepter l’inévitable – une Jérusalem unie, mais en même temps capitale de deux Etats.

Du point de vue de nombreux Israéliens, il est inconcevable de confier la moindre partie de Jérusalem à la juridiction d’autres peuples ou à un organisme international de gestion. Cet atta-chement et cette affinité uniques à la Ville sainte, qui symbolise depuis des millénaires le sentiment juif de la rédemption, ont constitué une puissante motivation pour s’emparer de la ville lorsqu’elle s’est trouvée à portée de main de Tsahal à l’issue de la guerre des Six-Jours de 1967. La chute de Jérusalem est ainsi devenue un événement sans précédent qui en est venu à symboliser l’absolu-tion juive. La réalisation de ce que l’on considé-rait jusqu’alors comme un rêve inaccessible était à présent considérée comme l’œuvre du Tout-Puissant, qu’aucune force ne saurait arrêter.

En raison des convictions religieuses liées aux troisièmes lieux les plus sacrés de l’islam – la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher –, les Palestiniens n’accepteront aucun compro-mis ne prévoyant pas que Jérusalem devienne la capitale de leur futur Etat. Les musulmans du

monde entier croient que Mahomet a effectué le trajet de La Mecque à Masjid Al-Aqsa à Jérusalem avant de monter au paradis.

Les réalités religieuses, démographiques, phy-siques, psychologiques et politiques auxquelles sont aujourd’hui confrontés Israéliens et Palestiniens à Jérusalem exigent que celle-ci devienne une ville unie – mais partagée – incarnant la coexistence israélo-palestinienne. Ni Israël ni les Palestiniens ne peuvent éliminer la présence de l’autre dans la ville. Jérusalem représente non seulement la plus forte concentration urbaine où Israéliens et Palestiniens cohabitent, mais aussi l’épicentre même du conflit qui les oppose.

La réalité démographique dans les parties est et ouest de Jérusalem rend impossible une division de la ville. Si les habitants palestiniens sont en grande majorité regroupés à Jérusalem-Est, plus de 40 % des habitants de Jérusalem-Est sont aujourd’hui des Juifs vivant à l’est de la Ligne verte qui divisait autrefois la ville avant la guerre de 1967.

En sus de ce mélange démographique, Israël, qui a annexé la ville dès la fin de la guerre de 1967, a développé les parties est et ouest de la ville comme s’il s’agissait d’une ville unique, avec un seul réseau de routes, de transports en commun et d’infrastructures telles que les conduites de gaz ou l’électricité. Israël a compris que ces liens struc-turels rendraient impossible toute future division.

Considérer que le conflit à propos de Jérusalem n’est qu’un conflit entre religieux reviendrait à ignorer les liens psychologiques et émotionnels communs qu’éprouvent Israéliens et Palestiniens à l’égard d’une ville qu’ils considèrent au cœur de leurs aspirations nationales respectives. Les Israéliens soutiendront l’expulsion de certains colons de communautés situées en dehors des

habitants palestiniens à l’égard du régime israélien. Ainsi, selon lui, Jérusalem se transforme peu à peu en une ville binationale dont une grande partie des habitants [arabes] sont déconnectés de tout contexte national ou politique.

Un troisième temple. Yizhar Be’er, auteur d’une étude approfondie sur les mouvements favo-rables à la reconstruction du Temple en Israël, a rappelé ce qu’avait déclaré le vice-respon-sable du Shin Beth lors du procès des membres du Mouvement clandestin juif qui avaient pro-jeté de détruire le Dôme du rocher dans les années 1980. Le succès de leur plan, avait-il souligné, aurait poussé l’ensemble du monde musulman à déclarer la guerre à Israël, ce qui aurait pu aboutir à la destruction de l’Etat juif. D’après Be’er, si le Mouvement juif clandestin fut à l’époque sévèrement condamné, le thème de la reconstruction du Temple est dans le dis-cours des sionistes religieux. L’idée de purifier le mont du Temple et d’y édifier un troisième temple est ouvertement évoquée par les rab-bins, et le tabou juridique interdisant l’entrée de l’esplanade aux juifs a été levé. Deux nou-veaux conseillers municipaux de Jérusalem sont acquis à ces idées.

L’un après l’autre, les intervenants ont décrit l’inextricable écheveau qu’est devenu Jérusalem quarante-six ans après son “unification”. Tous ont répété que, sans la présence de deux capi-tales à Jérusalem, il n’y aurait jamais d’accord et que, si une telle éventualité est encore envi-sageable, le temps pour la réaliser fond rapi-dement. Les forces qui s’emploient à rendre impossible l’installation d’une capitale pales-tinienne à Jérusalem sont puissantes, et leurs opposants ne font pas le poids. J’ai parcouru l’assistance du regard et j’ai vu les participants à la conférence, jeunes diplomates comme vieux Israéliens, se tasser peu à peu sur leurs sièges. Derrière la scène, sur le grand écran de la salle de la cinémathèque, était projetée une diapo-sitive présentant les logos de deux organismes – le Palestinian-Israeli Peace NGO Forum, qui avait organisé la conférence, et le Partenariat de l’UE pour la paix qui l’avait financée. Pendant un instant, j’ai été impressionné par l’audace de l’UE, qui avait donné de l’argent et prêté son nom à une conférence qui entendait remettre en cause la position du gouvernement israé-lien hôte. C’est alors que j’ai remarqué au bas du programme une ligne disant : “Les interve-nants sont seuls responsables de leurs déclarations et ne sauraient être considérés comme exprimant les positions de l’Union européenne.”

Si les représentants des gouvernements occi-dentaux qui investissent chaque année des mil-lions d’euros pour trouver une issue au conflit sont parvenus aux mêmes conclusions que moi au terme de la conférence, ils devraient adres-ser un message urgent aux décideurs de leurs pays respectifs : la situation à Jérusalem est grave et volatile. S’ils ne trouvent pas le courage de passer des protestations polies et modérées prononcées dans une salle de conférence à des actions concrètes et décisives, alors ils perdent leur temps. Et gaspillent notre sang.

—Akiva Eldar Publié le 13 novembre

I

ConsensusJérusalem indivisible sous souveraineté israélienne et capitale éternelle d’Israël : ce n’est pas là une position propre à la droite israélienne. The Jerusalem Post rappelle les déclarations des leaders travaillistes qui vont dans le même sens. Dans les années 1990, en plein processus de paix d’Oslo, Shimon Pérès, actuel président d’Israël, avait déclaré : “Jérusalem ne sera pas redivisée. Ce ne sera pas un Berlin. Nous n’allons ériger ni barrières ni murs.” Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin (assassiné en 1995 par un extrémiste juif) avait affirmé : “Il n’y a pas d’Etat d’Israël sans Jérusalem et pas de paix sans Jérusalem unifiée. La ville ne fera pas partie de la négociation. Elle a été et sera toujours la capitale du peuple juif, sous souveraineté israélienne.” Et pour l’ancien maire de Jérusalem Teddy Kollek (disparu en 2007), le partage de la souveraineté de la ville “ne peut pas fonctionner. Deux systèmes juridiques ? Deux forces de police ? Les barbelés et les mines seraient bientôt de retour.”

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↗ Dans le quartier de Mamilla. Photo Alexandro Gandolfi/Paranelozero

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Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 JÉRUSALEM LOIN DES MYTHES. 17

L’espoir malgré l’humiliationLa “judaïsation” des quartiers arabes de la Ville sainte gagne du terrain mais ne brise pas la résistance des jeunes Palestiniens.

—Miftah (extraits) Ramallah

e nombreux Palestiniens utilisent le terme de “judaïsation” de Jérusalem pour décrire le processus qu’Israël applique à cette ville. En deux mots, il s’agit d’un projet à long terme qu’Israël met progressive-ment en place afin de modifier le caractère

arabo-palestinien de Jérusalem. Cela implique la démolition d’anciens édifices historiques, le dépla-cement d’habitants palestiniens, le transfert de leurs logements à des colons et, d’une manière générale, la tentative d’effacement de l’histoire palestinienne de la ville.

La triste vérité est que de prime abord le projet israélien a dans une large mesure réussi. Des poches de colons juifs sont désormais établies au cœur des quartiers musulmans et entendent bien y étendre leur mainmise. Sheikh Jarrah, l’un des quartiers palestiniens les plus aisés de Jérusalem, est aujourd’hui constellé de drapeaux israéliens flottant aux fenêtres de logements qui ont été arrachés à leurs propriétaires palestiniens, et le tramway israélien atteint le centre-ville après avoir traversé les quartiers palestiniens de la périphé-rie. Le tramway n’est bien entendu pas destiné à desservir la population palestinienne, mais à raccorder les colonies et quartiers israéliens de la ville, et les expropriations auxquelles on s’est livré dans les quartiers de Shufat et Beit Hanina pour la construction des voies participent elles aussi du projet d’ensemble.

Ce qu’une mission de l’Unesco n’aurait pas vu même si elle avait été autorisée à se rendre dans la Vieille Ville est l’humiliation quotidienne que doit endurer la population palestinienne

de Jérusalem en raison de l’occupation mili-taire israélienne. Les soldats israéliens inter-pellent de manière routinière les jeunes pour vérifier leur identité ou simplement les har-celer, et les colons bénéficient de mesures de sécurité maximales quand ils se déplacent dans les rues. Quand les colons veulent manifester en ville, les Palestiniens doivent fermer leurs boutiques, et on les empêche pendant plusieurs heures de rentrer chez eux s’ils habitent sur le parcours de la manifestation. Pourtant il y a toujours cette petite lueur d’espoir qui prouve que tout n’est pas perdu.

Pour Chavouot*, colons et extrémistes israé-liens ont envahi la Vieille Ville, chantant à tue-tête, cognant contre les rideaux métalliques des boutiques arabes et brandissant d’immenses drapeaux israéliens. Le spectacle était, à tout le moins, déconcertant. Et pourtant, dans l’après-midi de cette même journée, aux alentours de la porte de Damas, les passants ont pu assister à une scène très différente. Des drapeaux pales-tiniens fermement agités sous le regard mena-çant de soldats et policiers israéliens lourdement armés. Les jeunes Palestiniens ne montraient aucune peur, exigeant la liberté d’une voix forte et déterminée. Cette vision du drapeau pales-tinien flottant devant la porte de Damas était un bol d’air frais. Tout n’est pas perdu et ne le sera jamais parce que l’espoir est éternel, et que la source qui alimente la force et la détermina-tion est intarissable.

—Joharah BakerPublié le 27 mai

* Fête juive célébrant le don de la Torah sur le mont Sinaï.

principales colonies de Cisjordanie mais n’ap-prouveront jamais l’expulsion des Israéliens des environs de Jérusalem. De la même façon, les dirigeants palestiniens ne renonceront jamais à revendiquer Jérusalem-Est comme capitale de leur Etat. Cette situation exige que l’on envi-sage une approche qui permette de mettre fin au conflit en partageant la souveraineté sur la ville.

Plusieurs des idées suivantes concernant l’avenir de la ville ont déjà été longuement discutées, mais ce qui a toujours manqué jusqu’ici, c’est un débat public concerté abordant les différents aspects d’un éventuel accord. Cela est particulièrement important du fait que les opinions tant israélienne que palestinienne doivent être préparées psy-chologiquement à accepter l’inévitable – une cité unie mais capitale de deux Etats – et disposées à appuyer leurs dirigeants afin qu’ils parviennent à un tel accord. Dans le même temps, les éléments radicaux des deux camps susceptibles de recou-rir à n’importe quel moyen (y compris la violence) pour saborder un tel accord doivent être désarmés.

Aucune frontière. Tout accord devra insti-tutionnaliser la situation réelle sur le terrain. Vu l’entremêlement de la démographie et des infrastructures de la ville, on ne pourra changer que très peu de choses lors de la mise en place de deux capitales. Les quartiers juifs devront être placés sous souveraineté juive, les zones palestiniennes sous souveraineté palestinienne.

Les Lieux saints devront être administrés par des représentants des différentes confessions. Un statut spécial devra être établi d’un commun accord pour le mont des Oliviers et la Cité de David. Une force de sécurité commune devra être mise sur pied pour assurer la sécurité publique et l’intégrité des Lieux saints. Chaque partie admi-nistrera ses propres lieux saints et autorisera les visites mutuelles d’un commun accord.

Il ne devra y avoir aucune frontière ou barrière physique séparant Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est, et la circulation des biens et des personnes devra rester libre comme c’est le cas actuellement. La frontière entre les deux capitales sera unique-ment une frontière politique destinée à délimiter les compétences municipales respectives.

Les Palestiniens qui se retrouveraient du côté israélien (hormis le cas où ils sont citoyens israé-liens) jouiraient d’un droit de résidence permanent mais ne voteraient ni ne pourraient être élus que du côté palestinien ; de même, les Israéliens habi-tant une zone dépendant de la juridiction pales-tinienne de la ville auraient le statut de résidents permanents en Palestine et auraient le droit de voter et d’être élus dans les élections israéliennes.

Une nouvelle municipalité palestinienne serait établie pour gérer la partie orientale de la ville placée sous sa juridiction et une com-mission mixte représentant les deux municipa-lités serait chargée de résoudre les problèmes que la cohabitation pourrait créer d’un côté ou de l’autre. Chaque municipalité se doterait de ses propres forces de sécurité, mais des unités mixtes coopéreraient sur les problèmes de sécu-rité qui pourraient surgir afin d’enrayer toute violence d’un camp contre l’autre. Il est grand temps d’engager de tels efforts.

—Alon Ben-MeirPublié le 26 septembre

D

DémographieEn 1967, juste après la guerre des Six-Jours et l’annexion par Israël de la vieille ville de Jérusalem, 9 000 Israéliens ont réclamé leur installation dans le quartier juif, qui avait été vidé de ses habitants en 1948, rappelle The Jerusalem Post. Aujourd’hui, le quartier juif ne compterait que 3 000 habitants plus 1 500 étudiants religieux, ainsi que quelques centaines de juifs qui se sont installés dans les quartiers musulmans et chrétiens. Mais, en dépit du souhait de la municipalité de réduire le nombre des Arabes dans la vieille ville, leur nombre atteindrait aujourd’hui 30 000 personnes. A noter qu’à Jérusalem le taux de fécondité est le plus élevé du pays. Pour les Juifs, 4,2 enfants par femme, alors que la moyenne nationale est de 2,9 enfants ; côté arabe, il est de 3,6 enfants à Jérusalem et de 3,3 dans le reste du pays.

↗ Dans le quartier musulman de la Vieille Ville. Photo Alexandro Gandolfi/Paranelozero

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

“Ottolenghi : le ‘livre des deux palais’”, un article du New York Times. Le Juif Yotam Ottolenghi et l’Arabe Sami Tamimi, deux fils de Jérusalem, ont publié un livre de cuisine inspiré de leur ville est devenu un best-seller.

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18. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 201418. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

Afrique ........ 18Asie ........... 22Amériques ...... 28Moyen-Orient ... 30Europe ......... 32France ......... 36

—The New York Times Etats-Unis

Paul Kagame a accepté de me rencontrer à 11 heures du matin un samedi. Le

bureau présidentiel est situé au sommet d’une colline, près du centre de Kigali, la capitale. Chaque fois que je viens dans cette ville, je suis étonné par son aspect

propret et son activité bourdon-nante, ce qui est d’autant plus remarquable que le Rwanda reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Même un samedi matin, des cohortes de femmes en gants blancs balaient

les rues en cadence, fredonnant doucement. Je passe devant l’Union

Trade Center, un centre commercial en centre-ville, orné d’une fontaine gigan-tesque autour de laquelle la circulation est

fl uide. Il n’y a pas d’ordures dans les rues, ni aucun de ces sacs en plastique qui s’ac-crochent aux grilles ou aux arbres comme dans tant d’autres villes africaines – le gou-vernement Kagame les a interdits. Il n’y a pas non plus de jeunes sans-abri dormant sur les trottoirs ou renifl ant de la colle pour se couper la faim. Au Rwanda, la police a rafl é les vagabonds et les petits délinquants pour les envoyer dans des “centres de réin-sertion” pour jeunes, sur une île au milieu du lac Kivu. Pour plaisanter, certains res-ponsables rwandais disent de cette île qu’elle est leur Hawaii – elle est en eff et magnifi que et luxuriante. Mais les habi-tants de Kigali en parlent à mots couverts

comme d’une sorte d’Alcatraz. On ne voit pas non plus de grands bidon-

villes à Kigali : ils sont purement et simplement interdits.

Le Rwanda est l’un des pays les plus sûrs que je connaisse, il l’est presque autant que la Suisse. Un vrai paradoxe quand on sait qu’il y a moins de vingt ans plus de civils ont été tués ici en trois mois de folie

furieuse que pendant n’im-porte quelle autre période de

l’histoire humaine, y compris pendant l’Holocauste. Lors du

génocide rwandais, la majorité hutu a pris pour cible la minorité

tutsi, massacrant environ 1 million [800 000 selon les estimations]

d’hommes, de femmes et d’enfants, la plupart à coups de machettes. Au

dire des Rwandais, un étranger aurait du mal à concevoir l’horreur qu’ils ont

vécue. D’autant qu’aujourd’hui on ne voit même plus de piétons indisciplinés

dans les rues.Aucun pays d’Afrique, voire du monde entier, ne s’est autant transformé en aussi peu de temps, et Kagame a habilement

d’uncontinentà l’autre.afrique

Rwanda.Le dictateur chéri de l’OccidentLe président Paul Kagame, main de fer dans un gant de velours, s’est lancé le défi de sortir le pays des violences ethniques et de la pauvreté. Mais ses succès ont un prix : la répression.

→ Paul Kagame. Dessin de Schot (Amsterdam) pour Courrier international.

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AFRIQUE.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 19

première heure dans les rangs des rebelles tutsis, devenant finalement chef d’état-major dans l’armée rwandaise. Quand je lui ai rendu visite en Afrique du Sud, au printemps dernier, il affichait ouverte-ment sa haine pour Kagame.

“Kagame est devenu un idiot arrogant”, m’a-t-il confié avant de faire la liste de ce qu’il considérait comme ses plus grosses erreurs politiques, notamment son ingé-rence en république démocratique du Congo (RDC) et sa tendance à se mettre à dos quiconque était en désaccord avec lui. En 2010, après avoir remis en cause certaines des décisions présidentielles et entendu des rumeurs selon lesquelles il était sur le point d’être arrêté, Nyamwasa a fui le pays pour se rendre à Johannesburg, où il pensait qu’il serait en sécurité. Quelques mois plus tard, alors qu’il rentrait dans son garage, un homme armé s’est préci-pité vers sa voiture. L’homme lui a logé une balle dans le ventre et a essayé de l’ache-ver, mais son arme s’est enrayée. “Kagame a essayé de me tuer, m’a assuré Nyamwasa. Je n’ai pas le moindre doute là-dessus.” Six per-sonnes, dont trois Rwandais, sont actuel-lement en procès à Johannesburg dans le cadre de cette affaire.

J’avais du mal à concilier ces accusations avec l’homme mince, aux airs d’intellectuel, qui était assis face à moi. Quand un mous-tique est passé près de nous dans un vrom-bissement, Kagame a relevé ses verres épais pour tenter d’écraser l’insecte de sa longue main frêle. Par deux fois, il a manqué son coup. Pour répondre à mes questions sur l’opposition politique, il a fait de vagues allusions à des dissidents déclarés comme Nyamwasa, les traitant de “voleurs” qui voudraient faire croire qu’“en Afrique il ne se passe jamais rien de bien, que tous les diri-geants sont des dictateurs, des oppresseurs”. Au mot “oppresseur”, Kagame m’a regardé droit dans les yeux avant d’être pris d’un rire nerveux.

Ton impérieux. Il est devenu encore plus irritable quand je lui ai parlé d’un coûteux voyage à New York en 2011. A l’époque, j’avais appris qu’il avait dépensé plus de 15 000 dollars [près de 11 000 euros] la nuit pour s’offrir la suite présidentielle d’un hôtel de luxe, le Mandarin Oriental. Cela ne semblait pas cadrer avec la per-sonnalité d’un chef d’Etat qui se targue de vivre frugalement, d’occuper une maison relativement modeste au centre de Kigali. Je lui ai alors demandé s’il pensait que le peuple rwandais verrait d’un bon œil de telles dépenses, ce à quoi Kagame a répondu en me jetant un regard furieux : “Je ne vous permets pas !”

Il était un peu effrayant de le voir passer si vite de la sympathie à ce ton impérieux. Manifestement, il n’est pas habitué à la confrontation dans les interviews. Les détracteurs de Kagame affirment qu’il a muselé une bonne partie des médias indépendants au Rwanda. Une journaliste

raison”. Il parle très bien anglais, avec un fort accent rwandais. Soldat de formation, il entre dans un groupe rebelle ougandais peu après le lycée, sort ensuite du rang, puis fait un passage dans l’école d’officiers de Fort Leavenworth (dans l’Etat du Kansas) dans le cadre d’un projet de formation du Pentagone pour les armées africaines.

Mais Kagame quitte rapidement cette école pour aider à commander une force rebelle tutsi qui envahit le Rwanda en 1990. Il va bientôt prendre la tête du Front patrio-tique rwandais (FPR), résolu à renverser le pouvoir hutu. En avril 1994, l’avion qui transporte le président hutu est abattu. Des extrémistes hutus exhortent aussi-tôt leurs partisans, principalement par voie de radio, à exterminer les Tutsis. Des escadrons de la mort déferlent alors sur les collines – jusqu’à ce que l’armée rebelle de Kagame finisse par investir la capitale, mettant fin au génocide et s’em-parant du pouvoir.

Offensive de charme. Kagame est devenu ministre de la Défense, vice-pré-sident, puis président. Conformément à la Constitution rwandaise, qui limite le président à deux mandats de sept ans, il devrait céder la place en 2017. Mais, d’après les rumeurs qui circulent à Kigali, il pourrait inciter le Parlement à modifier la Constitution afin de pouvoir se présen-ter une troisième fois. Quand j’ai interrogé l’un des collaborateurs de Kagame sur la question, il m’a dit que le président s’était déjà exprimé à ce sujet, rappelant que la sécurité et le bien-être des Rwandais ne se réduisaient pas à une simple affaire de mandat. Apparemment, il n’a pas l’inten-tion de quitter le pouvoir.

Si l’aide afflue vers le Rwanda, c’est parce que Kagame est réputé pour la qualité de sa gestion. C’est un dirigeant très impli-qué dans ce qu’il fait, moins intéressé par l’idéologie que par l’efficacité de ce qu’il entreprend. La corruption, m’a expliqué Kagame, est “comme un charançon”. Elle ronge un pays dans sa chair même et “finit par le tuer, ni plus ni moins”. L’un des gardes du corps du président, homme petit au gilet gonflé, a surgi dans la pièce au moins à deux reprises pendant que nous parlions, le temps de vérifier que tout allait bien. Dehors, le soleil tapait, mais les lourds rideaux arrêtaient la lumière, perturbant notre notion du temps. Kagame a pour-suivi son offensive de charme, il a vanté les améliorations dans l’agriculture et le fait que désormais les cultivateurs rwan-dais utilisent davantage d’engrais. Mais, quand j’ai abordé la question du nombre grandissant de dissidents rwandais qui le qualifient de tyran, il s’est crispé.

De nombreux Rwandais m’ont affirmé que Kayumba Nyamwasa était le dissident que Kagame craignait le plus. Les deux hommes ont été très proches quand ils vivaient tous les deux en Ouganda, il y a trente ans, et Nyamwasa est entré dès la

sentiment d’être surveillés personnelle-ment par le président. “C’est comme s’il y avait un œil invisible partout, assure Alice Muhirwa, membre d’un parti d’opposi-tion. L’œil de Kagame.”

Assis dans une élégante chaise en bois en attendant Kagame, je m’armais de cou-rage pour affronter ce personnage inti-midant. Quand j’interroge les Rwandais sur Kagame, ils le décrivent souvent en des termes hyperboliques – soit comme un sauveur, soit comme l’Antéchrist. Certains vont jusqu’à s’agenouiller devant son portrait, puis à fermer les yeux et à lui adresser des prières. Un ancien d’un village m’a confié : “80 % des gens le sou-tiennent, 20 % sont contre lui. Mais ces 20 % ne parlent pas, ils ont peur.”

J’ai donc été étonné quand Kagame est apparu devant moi et qu’il m’a salué avec un sourire timide, après une entrée discrète dans la salle de réception. Il a pris place dans une chaise à dossier rigide. L’air plus tendu que moi, il jetait des coups d’œil à travers la pièce derrière des lunettes qui lui don-naient l’air d’un hibou. Il portait un blazer, une chemise rayée, des chaussures en cuir noir, bien cirées. Je savais que Kagame était grand, il mesure un peu moins de 1,90 m, mais j’ai surtout été frappé par sa mai-greur : il faisait presque maladif avec ses épaules osseuses et ses poignets délicats.

Kagame a 56 ans. Il est né dans un camp de réfugiés ougandais, dans une hutte au toit de chaume [il est né en réalité au Rwanda, mais a dû partir avec sa famille en Ouganda à l’âge de 2 ans pour fuir les per-sécutions]. C’est une profonde humiliation pour un Tutsi comme lui. Des monarques tutsis ont régné sur le Rwanda pendant des siècles jusqu’à ce que les Hutus, majori-taires, reprennent le dessus en 1959, tuant des centaines, peut-être des milliers de Tutsis, et en forçant beaucoup d’autres à l’exil. Alors que Kagame avait 12 ans et qu’il croupissait avec sa famille dans le camp ougandais, il a demandé à son père : “Pourquoi est-ce qu’on est réfugiés ? Pourquoi on est ici ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal ?”

“C’est là que tout a commencé”, a murmuré Kagame, fixant ses yeux sur moi. C’est là, à l’en croire, qu’est née sa conscience poli-tique. Il m’a raconté cette histoire dès le début de l’entretien. Kagame paraissait d’humeur expansive, affable. Quand je l’interrogeais, il faisait oui de la tête avec empressement, commençant ses réponses par des expressions comme “si vous n’y voyez pas d’inconvénient” ou “vous avez

orienté ce changement. Spartiate, stoïque, réfléchi, austère, il veille régulièrement jusqu’à 2 ou 3 heures du matin pour feuille-ter d’anciens numéros de The Economist ou étudier les rapports d’activité sur des vil-lages aux quatre coins du pays. Il recherche constamment de nouveaux moyens, plus rentables, d’utiliser les milliards de dol-lars que reçoit son gouvernement de pays donateurs. Ceux-ci, en retour, citent le Rwanda en exemple pour montrer ce que l’aide internationale peut faire de bon en Afrique. Kagame est un habitué du forum économique mondial de Davos, et il est en bons termes avec les puissants. La Clinton Global Initiative (CGI) [une ONG desti-née à combattre la pauvreté en Afrique] lui a décerné le prix Global Citizen et Bill Clinton a déclaré que Kagame avait “libéré le cœur et l’esprit de son peuple”.

Kagame doit notamment ces louanges aux progrès incontestables qu’il a accom-plis dans la lutte contre l’un des plus grands fléaux de l’Afrique : la pauvreté. Le Rwanda est encore très pauvre [77 % des habi-tants vivaient avec moins de 1,50 dollar par jour en 2011 selon le Pnud], mais il l’est bien moins qu’autrefois. Le gouverne-ment Kagame a réduit la mortalité infan-tile de 70 % ; il a fait croître l’économie en moyenne de 8 % par an depuis cinq ans ; et il a lancé un programme national d’assurance-maladie, ce que des experts occidentaux jugeaient impossible dans un pays pauvre d’Afrique. Progressiste à bien des égards, Kagame a prôné l’accès de femmes à davantage de postes politiques, et aujourd’hui le Rwanda compte un plus grand pourcentage de femmes députées que dans n’importe quel autre pays.

Sans pitié. Mais Kagame est peut-être le plus compliqué de tous les dirigeants africains. Le problème concerne non pas tant les résultats que les méthodes. Le président a la réputation d’être sans pitié, brutal, et, même s’il reçoit force louanges, il a réprimé son propre peuple et soutenu secrètement des groupes rebelles meur-triers dans le Congo voisin. Du moins, c’est ce qu’affirment ses détracteurs, tou-jours plus nombreux, y compris de hauts responsables onusiens et des diplomates occidentaux, sans parler des innombrables dissidents rwandais qui ont fui le pays. Ils font valoir que son petit pays bien propre, plein de promesses, parfois surnommé le Singapour africain, est l’un des plus répressifs au monde. Bien peu de gens au Rwanda parlent librement du président et beaucoup des aspects de la vie sont dictés par l’Etat. Dans certaines régions, de nombreuses règles, mises en applica-tion par les commissaires de village, inter-disent aux gens de porter des vêtements sales ou de partager leur paille quand ils boivent dans le pot de bière traditionnel, y compris chez eux, cette dernière pra-tique étant jugée antihygiénique. De nom-breux Rwandais m’ont dit qu’ils avaient le

“C’est comme s’il y avait un œil invisible partout. L’œil de Kagame”

—Alice Muhirwa, membre d’un parti d’opposition

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AFRIQUE20. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

pays. Ce à quoi il m’a répondu que les Tutsis jouissaient peut-être de certains avan-tages, mais que ce n’était pas “le fruit d’une quelconque volonté”. De nombreux Tutsis comme lui ont vécu à l’étranger, où ils ont eu accès à une très bonne éducation, à des entreprises. Comme j’étais ouvertement sceptique, il a fini par me dire, au bord de l’exaspération : “Cette histoire de Hutus et de Tutsis, si on s’y laisse entraîner, on se perd dans les haines du passé et il ne peut en sortir rien de bon.”

Ce qui est frustrant pour de nombreux détracteurs de Kagame, c’est que la répres-sion au Rwanda n’est un secret pour per-sonne. Human Rights Watch et Amnesty International ont produit de nombreux rap-ports dénonçant la mise en coupe réglée de la société rwandaise par le gouvernement Kagame. Après l’élection présidentielle de 2010, des responsables occidentaux se sont plaints du “manque d’espace politique”. Le robinet de l’aide à Kagame n’en est pas moins resté ouvert. Le soutien des Etats-Unis s’est à peu près maintenu – environ 200 millions de dollars par an d’aide bila-térale directe. Accusé de nombreux actes meurtriers au fil des ans, Kagame a joué sur ses puissantes relations et sur ses succès pour détourner les critiques. Il exploite aussi la culpabilité des Occidentaux en rap-pelant à ses divers partenaires qu’ils ont abandonné le Rwanda pendant le génocide ; certains de ses plus grands admirateurs, comme Bill Clinton, s’en sont mordu les doigts. Le message est clair : personne à l’étranger ne peut se permettre de donner des leçons de morale quand il s’agit du Rwanda, ni de dicter sa conduite à Kagame.

Mélancolique. “Le Rwanda n’est pas un cas facile”, reconnaît un responsable occi-dental qui a travaillé de près avec Kigali sur des projets de développement. “Kagame est-il répressif ? Oui, sans aucun doute. Lui en avons-nous parlé ? L’avons-nous incité à pratiquer l’ouverture ? Tout le temps.” Mais ce responsable ajoute : “Je ne sais pas dans quelle mesure la situation n’est pas fragile. Je n’ai pas accès comme lui au renseignement.” Il estime par ailleurs possible que des mili-tants hutus, soit au Rwanda soit au Congo, essaient toujours actuellement de renverser Kagame. “Alors nous lui accordons le béné-fice du doute”, conclut-il.

Le soleil commençait à filtrer oblique-ment à travers les jours des rideaux, et le visage de Kagame apparaissait marqué par ses courtes nuits de sommeil. Ses réponses devenaient plus brèves, ses silences s’allon-geaient. Kagame devenait presque mélanco-lique. Il s’est lentement levé de sa chaise, a lissé son pantalon et s’est apprêté à prendre congé. “On associe tant de qualificatifs à ma personne, a-t-il conclu. J’en accepte certains, mais d’autres sont injustes.” Avant que je m’en aille, il m’a dit, presque dans un murmure : “Dieu m’a créé d’une très étrange manière.”

—Jeffrey GettlemanPublié le 4 septembre

Le lendemain matin, j’ai rencontré un autre Hutu, qui m’a dit que, si je citais son nom, “ils [viendraient l’]arrêter”. Cet homme s’est plaint que les Tutsis étaient favorisés par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’attribution des bourses d’études ou des postes élevés, sous les dehors d’un pro-gramme de discrimination positive destiné à aider les “survivants du génocide”, qui par définition sont tutsis. Le système favorise les Tutsis et défavorise les Hutus, estime-t-il, et, “pendant les élections, les agents du parti n’hésitent pas à déchirer votre bulle-tin si vous ne votez pas pour Kagame”. En 2010, lors de la dernière élection, Kagame a obtenu 93 % des voix après avoir inter-dit à tous les grands partis d’opposition de se présenter.

Certains Rwandais affirment que, si Kagame essaie de minimiser la question ethnique, c’est pour occulter le fait que son ethnie, les Tutsis, qui ne représen-tent que 15 % de la population environ, tiennent presque tous les leviers de com-mande du pays. Si personne ne peut évo-quer cette question, on voit mal comment on pourrait parler de la domination tutsi. Quand j’ai interrogé Kagame sur ce point, il a d’abord essayé de me convaincre qu’en fait les Tutsis ne dominaient pas la vie poli-tique et économique. Je suis alors entré dans les détails, rappelant que le ministre de la Santé, le ministre de la Défense, le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Finances étaient tous tutsis, de même que la plupart des hommes les plus riches du

rwandaise, Agnes Uwimana Nkusi, a récem-ment écopé d’une peine de quatre ans de prison pour insultes au président et atteinte à la sécurité nationale, après avoir publié une série d’articles où elle critiquait Kagame. Un autre, Jean-Leonard Rugambage, a été abattu d’une balle dans la tête le jour où il a publié un article sur la tentative d’assas-sinat de Nyamwasa.

Mais Kagame n’a pas tardé à retrouver son calme. Il s’est renversé dans sa chaise et a repris son ton professoral, y mettant même une petite dose d’humour. “Suis-je censé séjourner dans un conteneur à bateau ? a-t-il repris, revenant sur le Mandarin Oriental et riant de son rire timide. J’ai vécu dans des tranchées et dans des tentes. Je n’ai aucune leçon à recevoir de personne, ça non.”

“Question ethnique”. Passons à autre chose. L’un des sujets qui attisent ma curio-sité concerne ses efforts pour neutraliser les tensions ethniques. De nombreuses lois condamnent le “tribalisme” et l’“idéologie génocidaire”, définis comme des “actes qui visent à promouvoir la méchanceté ou à inciter à la haine”. Ces lois ont été vivement criti-quées pour avoir passé sous silence tout débat sur la question ethnique, et actuellement le gouvernement Kagame revoit sa copie.

Mais, quand j’essaie d’aborder la ques-tion ethnique avec des gens de Kigali, cela ne mène pas très loin. Sans vouloir passer pour un provocateur, je mentionnai tout de même que des dissidents rwandais m’avaient expliqué que de nombreux Hutus se sentaient opprimés. Dans le district de Nyamasheke, à l’extrême ouest du Rwanda, j’ai vu des hommes transportant des piles de bois fraîchement scié, des femmes trimbalant des jerricans d’eau clapotante, des garçons pieds nus dribblant avec des ballons de foot-ball faits de vieux chiffons. La campagne grouillait de monde. Les collines étaient découpées en petites parcelles à perte de vue, de petits carrés marron et verts bien nets, tous travaillés du matin au soir par des paysans aux vêtements usés.

Chronologie23 octobre 1957— Naissance de Paul Kagame à Tambwe (Rwanda).Octobre 1990— L’armée du Front patriotique rwandais mène une guerre civile pour reprendre le pouvoir.6 avril 1994— Le président Habyarimana meurt dans un attentat contre son avion. Sa mort provoque un génocide contre la minorité tutsi qui fera plus de 800 000 victimes.Juin 1994— Le FPR, dirigé par Paul Kagame, arrive à Kigali et prend le pouvoir.9 août 2000— Paul Kagame est élu président du Rwanda avec 93 % des voix. Il a été reconduit à cette fonction depuis cette date. La prochaine élection présidentielle est prévue pour 2017.

Contexte

RDC-Rwanda : les frères ennemis●●● Les rebelles du M23, accusés d’être soutenus par le régime de Paul Kagame, ont quitté l’est de la république démocratique du Congo en novembre. Mais la guerre n’est pas finie pour autant. Il reste toujours les FDLR, un groupe armé hutu qui se cache dans les forêts congolaises depuis la fin du génocide et qui menace de reprendre le pouvoir au Rwanda. C’est en tout cas ce qu’avance Paul Kagame pour justifier “son intrusion sur le territoire congolais”, comme le note avec aigreur Le Potentiel, quotidien de Kinshasa. “Tout le monde sait que cette fameuse performance économique montée en épingle par les parrains de Paul Kagame a son origine dans le pillage systématique des ressources naturelles de la RDC.” Après la défection du M23, il est temps de mettre de l’ordre à l’est du Congo et de dialoguer avec toutes les milices qui pullulent dans la région. “Mais Kagame a dit ‘niet’ à un quelconque dialogue interrwandais [avec les FDLR]. Car, en mettant fin à ce conflit, le Rwanda cesserait d’être victime d’une menace. Ce serait scier la branche sur lequel son régime est assis.”

“On associe tant de qualificatifs à ma personne. J’en accepte certains, mais d’autres sont injustes. Dieu m’a créé d’une très étrange manière.”

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FRANCO DRAGONE

The world is my stage, #Wallonia is my home

Franco Dragone dazzles the planet with his amazing shows. Along with thousands of other Walloon entrepreneurs, artists, actors, writers, designers and creators spreading their Belgian creativity and innovation capacity all over the world. Wallonia is in the World.

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22. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

les principaux profils traités au service de Chencho, où la moitié des vingt lits leur sont réservés.

L’alcool occupe une place traditionnelle dans la culture bhoutanaise et des textes anciens mentionnent son rôle dans les rituels bouddhistes. Il est traditionnelle-ment produit à la maison, mais aujourd’hui, avec l’augmentation des revenus disponibles de la population – ainsi que la hausse de la production et des importations –, l’alcool est “peut-être le produit de consommation le plus répandu”, écrit Chencho Dorji en 2005. Aussi les maladies hépatiques liées à l’alcoolisme sont-elles devenues à l’heure actuelle la première cause de mortalité au Bhoutan. Les drogues commencent elles aussi à poser problème. La police a traité sa première affaire de drogue en 1981 (des étudiants rentrés au Bhoutan après avoir étudié à l’étranger consommaient des stu-péfiants, explique le psychiatre). De nos jours, beaucoup de jeunes Bhoutanais sont accros à des analgésiques dont la plupart sont illégalement importés d’Inde. Quant à la marijuana, qui pousse dans la nature, il n’est pas rare que son odeur nauséabonde assaille le nez du quidam. Mais, ici, elle ne se fume que depuis quelques dizaines d’années ; avant, on ne l’utilisait que pour engraisser le bétail.

La plupart des Bhoutanais pratiquent le vajrayana, ou bouddhisme tantrique, et mettent encore largement les maladies et les coups du sort sur le compte des mauvais esprits et des dieux. Selon une étude réali-sée sur 106 patients de l’hôpital et publiée en 2010 dans le Journal of Bhutan Studies, 83 % des personnes interrogées avaient effec-tué au moins un rituel religieux avant de venir – et parmi celles-ci, 41 % en avaient accompli plus de cinq. “Ils pensent que des esprits, des dieux sont entrés en eux”, com-mente Chencho. Mais il les comprend. Il n’y a pas si longtemps, lui aussi y croyait. Lorsque Damchoy perdit la tête, ses parents l’enfermèrent dans un débarras à l’étage de la maison. Ils lui firent passer ses repas par une ouverture dans la porte – à l’origine uti-lisée par le chat de la famille. Ils percèrent un trou dans le plancher pour qu’il puisse faire ses besoins dans la porcherie située juste en dessous. Damchoy y resta plus de dix ans. De temps à autre, il s’échappait par la fenêtre et se sauvait dans les bois. Mais des villageois le ramenaient toujours chez lui. Deux fois, il est parvenu à se dégager de menottes en métal prêtées par la police locale. Une fois, il a été retrouvé dans un vil-lage éloigné, en train de manger de la nour-riture pour animaux. Sa famille ne voyait qu’une explication possible à sa folie. “Nous croyions vraiment qu’il était possédé par une divinité, se souvient Chencho. Nous pensions que si nous parvenions à l’apaiser elle le lais-serait peut-être en paix.”

La famille de Damchoy s’est livrée à plu-sieurs rituels. Elle s’est débarrassée de ses objets anciens, pensant qu’ils contrariaient peut-être les esprits de la maison. Elle a

—The Toronto Star (extraits) Toronto

De Thimbu (Bhoutan)

A utrefois, en haut de l’Himalaya, dans le royaume bienheureux connu sous le nom de “terre du dragon

tonnerre”, un jeune moine jouait avec les enfants de son village. Il les poursuivait autour des chorten, ces monuments boud-dhistes en pierre blanche qui constellent les montagnes verdoyantes du pays. Parfois, il leur jouait des morceaux sur sa flûte de bambou. Jusqu’au jour où il fit une chose qu’il n’avait jamais faite . La violence explosa sans prévenir. Et les enfants fuirent en criant ses poings menaçants. Le moine était devenu fou. Sa famille l’enferma. On accusa les esprits et les dieux. On accomplit des rituels. On fit des offrandes. En vain. Bien plus tard, le frère du moine leva le mystère de cette folie. Il prononça un mot jusqu’alors inouï dans le village : schizophrénie.

Ce frère, c’est le Dr Chencho Dorji, le pre-mier psychiatre du Bhoutan. Et son premier patient a perdu la tête il y a quarante ans. Chencho Dorji a toujours été proche de son frère Damchoy, l’aîné d’une fratrie de huit enfants nés d’un père fermier et de ses deux épouses. Dès l’enfance, il percevait quelque chose de différent chez ce garçon beau et intelligent. “Il se passait dans sa tête tant de choses que je ne pouvais pas m’imaginer, se souvient Chencho. Je me sentais submergé

Bhoutan Chencho Dorji, un psychiatre en son royaumeMarqué par la schizophrénie de son frère, le Dr Chencho Dorji est devenu il y a quatorze ans le premier et le seul spécialiste à soigner les troubles mentaux au pays du bonheur national brut. Des troubles de plus en plus nombreux qui s’expliquent par la modernisation accélérée.

par ses idées, par ce débordement de pensées. Je ne parvenais pas à savoir qui était normal de lui ou de moi.”

Comme tout le monde au village, Chencho était persuadé que son frère deviendrait un grand moine bouddhiste. Damchoy est entré dans les ordres à l’âge de 13 ans, se faisant aussitôt remarquer pour son intel-ligence. Il ne tarda pas à mémoriser tous les sutras [livres bouddhistes], et à se voir confier diverses responsabilités dans le monastère. Puis, un jour d’été, alors que Chencho rentrait de l’école, il trouva ses parents inquiets. Damchoy avait été ren-voyé. Plusieurs objets en or et en argent avaient été volés au monastère. Des biens que Damchoy était censé surveiller. “Ils étaient d’une si grande valeur qu’il n’était même pas envisageable de les rembourser, commente Chencho. Je crois que ça l’a rendu dingue.”

Il eut grand-peine à reconnaître la per-sonne qui franchit le seuil de la maison. Damchoy divaguait – parlant parfois de tuer des gens – et pendant près d’une semaine, Chencho et sa famille, à bout, durent l’attacher à son lit pour l’empêcher de s’agiter violemment jusqu’au matin. Un jour, alors que Chencho portait son frère cadet sur son dos, Damchoy, armé d’une pierre dans une main et d’un cou-teau dans l’autre, fondit sur ses proches. Au dernier moment, pour une raison que nul ne connaît, il stoppa son geste. Et sa famille finit par l’enfermer.

Des années plus tard, lorsqu’il s’est fait embaucher par le plus grand hôpital du pays, à Thimbu, la capitale, en 1999, Chencho Dorji est devenu le premier psychiatre du Bhoutan. Il faut passer le portail principal de l’hôpital pour découvrir ce bâtiment de deux niveaux, gardé par une petite troupe haute en couleur. Aujourd’hui : un moine en toge rouge, un jeune homme le regard vide et une femme en pantalon de survêtement coiffée d’une couronne d’herbes. Comme toutes les constructions au Bhoutan, l’édi-fice a été bâti dans le style traditionnel, avec des fenêtres trilobées, des corniches élaborées et une charpente en bois où ont été peints des symboles bouddhistes pla-çant les lieux sous des auspices favorables. Mais il porte aussi une pancarte cramoisie qui annonce en capitales jaunes : service psychiatrique.

Chencho Dorji a créé ce service psychia-trique en 2003, quatre ans après son arrivée. En 1999, il s’était occupé de 151 patients ; l’année suivante, le chiffre avait plus que triplé. Et en 2012, son service a traité plus de 864 patients – à noter que cette année-là, selon des chiffres de la police cités par la presse, 76 personnes se sont suicidées dans le royaume. Dans un pays de quelque 730 000 âmes, cet homme de 54 ans a pour mission de prodiguer à la population des soins médico-psychologiques sans l’aide d’aucun psychologue, assistant psychosocial ou conseiller médico-psychologique. Il n’a du reste qu’un seul confrère : le Dr Damber Nirola, qu’il a convaincu en 2006 de deve-nir lui aussi psychiatre.

En ce jour d’été, Chencho est seul dans la clinique ambulatoire. Lorsqu’il arrive, des dizaines de visages anxieux se tournent vers cet homme à l’allure d’ours, vêtu d’un gho [robe à motifs traditionnelle des hommes, proche du kimono] bordeaux rayé. Certains esquissent un sourire, révélant des dents rou-gies par le bétel, que beaucoup de Bhoutanais chiquent pour son léger effet stimulant. Il y a des jeunes hommes en tee-shirts Snoop Dogg et des vieux fermiers en gho. La famille de l’un d’entre eux a fait plusieurs jours de voyage pour venir jusqu’ici. Le premier patient de Chencho est un toxicomane tatoué dont l’ami est récemment mort d’une overdose. Selon l’Organisation mon-diale de la santé (OMS), l’utilisation abu-sive de substances psychoactives fait partie des troubles mentaux. Les toxicomanes et les alcooliques se rangent d’ailleurs parmi

→ Chencho Dorji. Dessin de Riber (Stockholm)

pour Courrier international.asie

“Les patients pensent que des esprits, des dieux sont entrés en eux”

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ASIE.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 23

également consulté des tsip, des astrolo-gues, qui lui ont assuré qu’une divinité féminine avait séduit Damchoy et s’était emparée de son corps. Ici, au Bhoutan, il est encore fréquent de consulter un tsip – par exemple pour obtenir des conseils sur l’endroit où construire sa maison ou la manière de remporter un tournoi de tir à l’arc, le sport national.

Même après être devenu médecin, en 1987, Chencho ne savait comment aider son frère. La psychiatrie ne faisait pas partie de son monde. Jusqu’à ce que, après deux ans de carrière médicale, il rencontre un psychiatre venu de Bangalore [dans le sud de l’Inde]. Rangaswamy Srinivasa Murthy avait été invité par l’OMS à passer quatre semaines au Bhoutan. Dès qu’il entendit parler de lui, Chencho partit en ambulance avec son frère et une femme psychotique qu’il connaissait. Ils firent une heure et demie de route pour le voir. A peine entré dans son bureau, Damchoy plongea sous la table pour saisir un objet invisible. Le Dr Murthy lâcha aussitôt : “Emmenez-le. J’ai le diagnostic”, se souvient Chencho, le sourire aux lèvres. Il administra des anti-psychotiques à Damchoy et à la femme qui l’accompagnait. Après avoir dormi pendant plusieurs jours, celle-ci se réveilla complè-tement guérie. “C’était incroyable, s’exclame aujourd’hui le Dr Murthy. Cela ne s’est jamais reproduit.” Si les résultats n’ont pas été aussi spectaculaires avec Damchoy, son état a tout de même commencé à s’améliorer. “Il a amorcé un tournant”, estime Chencho.

L’année passée, le service psychiatrique du Dr Chencho Dorji a soigné 156 personnes pour dépression. Mais il est rare que ces patients se disent déprimés. De toute façon, en dzongkha, la langue officielle du Bhoutan, il n’existe pas de mot pour dési-gner l’état dépressif. Les gens ont davan-tage tendance à se plaindre des esprits et des dieux. Chencho trouve vain de vouloir les convaincre d’une chose qui les attristerait. Il leur dit donc de poursuivre leurs rituels. Mais quid des pilules ? Le médecin a le plus grand mal à faire admettre à ses malades, même à ceux qui ne croient pas mordicus à une explication surnaturelle, que l’origine du problème est psychiatrique. Il donne ses consultations deux fois par semaine. Elles ont un air d’audience au tribunal : les patients sont accompagnés dans la salle et s’assoient devant Chencho, qui siège magis-tralement au centre d’une grande table, flanqué d’infirmières et de collaborateurs qui prennent des notes. Aujourd’hui, il y a aussi un drungtsho, un médecin tradition-nel – qui fait partie des rares thérapeutes à avoir accepté l’invitation de Chencho à venir se faire une meilleure idée de la psy-chiatrie. Au Bhoutan, depuis des siècles, on pratique une médecine traditionnelle fondée sur la philosophie bouddhiste et les remèdes à base de plantes. Les drungtsho ont leur hôpital et leur service au minis-tère de la Santé.

Avant, Chencho rêvait de devenir chirur-gien. Mais après avoir observé l’effet

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ASIE24. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

“Je savais ce qu’il me restait à faire : former tous les médecins”, se rappelle Chencho.

Le Bhoutan possède un système de ser-vices de santé locaux, auquel il est facile d’intégrer des soins psychiatriques. Ce sys-tème compte près de 200 unités de soins élémentaires, certaines d’entre elles man-quant d’équipements et de médecins, mais toutes possédant des médicaments de base et des assistants de santé formés pour admi-nistrer des vaccins et traiter les affections courantes. Chencho traversa le pays de long en large pour former médecins, infirmières et assistants de santé. S’ils ne sont pas en mesure de traiter les troubles mentaux, ils savent désormais les identifier. Quant aux nouvelles recrues, elles reçoivent un manuel de santé mentale, cosigné par Chencho. Du reste, lui et ses confrères tentent de toucher la population dans son ensemble en interve-nant dans des émissions de radio et de télé-vision. Et les résultats sont là : après avoir appris à la radio que leur problème n’était pas incurable, plusieurs alcooliques se sont adressés à son service psychiatrique.

Dans son travail, Chencho se heurte éga-lement à des problèmes financiers. D’après un rapport de l’OMS publié en 2011, le Bhoutan consacre moins de 1 % de son budget de la santé à la santé mentale. Le directeur de l’OMS chargé de la santé men-tale et de l’utilisation abusive de substances psychoactives a déclaré qu’une enveloppe inférieure à 1 % était “nettement insuffi-sante pour fournir les soins de santé mentale de base”, s’ab stenant d’émettre tout com-mentaire sur les diffé rents pays concer-nés. Karma Tshiteem est secrétaire de la Commission sur le bonheur national brut, qui fixe les priorités de développement du pays. Il explique qu’en matière de santé mentale l’organisme met l’accent sur les

Il fallut à Chencho près de cinq ans pour obtenir l’autorisation de faire des études de psychiatrie. Enfin, en 1999, après avoir séjourné au Sri Lanka et en Australie, il rentra au Bhoutan son diplôme en poche, et il commença à travailler à l’hôpital natio-nal. A ce moment-là, la promotion de la santé mentale avait gagné du terrain au Bhoutan. L’OMS avait fait venir un psy-chiatre birman quelques années plus tôt et, en 1997, le pays avait lancé son premier plan de santé mentale. Chencho eut toute-fois toutes les peines du monde à ce qu’on le prenne au sérieux. Son chef l’envoya dans les équipes des urgences. Et il dut occuper des postes à droite à gauche pendant quatre ans avant d’obtenir une salle de psychiatrie.

Là, il était seul, alors que la population du Bhoutan est éparpillée dans des régions montagneuses où les glissements de terrain sont légion. Pour se rendre dans des villages reculés, il devait voyager des jours entiers sur des routes escarpées, et ce parfois à pied. Par un heureux hasard, M. Murthy revint au Bhoutan un an après que Chencho com-mença à y travailler comme psychiatre. Dans son Inde d’origine, le Dr Murthy avait joué un rôle moteur dans la mise en place d’un réseau de services psychiatriques locaux, et il conseilla Chencho sur la façon de procéder.

salutaire des médicaments sur l’état de son frère, il sut que la psychiatrie était sa véritable vocation. Et il se lança dans un parcours semé d’embûches. Peu après avoir rencontré le psychiatre de l’OMS, le Dr Murthy, en 1989, il accompagna Damchoy dans un centre de soins psychiatriques de Bangalore. Mais là il se heurta à un mauvais coup du sort : une grève d’étu-diants. Alors que les internes de l’hôpital dont il dirigeait le service de psychiatrie menaient un mouvement de protestation, le Dr Murthy demanda à Chencho de l’as-sister dans son travail. Il comprit bien vite que son nouvel élève avait un but autrement plus ambitieux. “D’entrée de jeu, il pensait pouvoir devenir un pionnier au Bhoutan, se souvient M. Murthy. Il pensait pouvoir être la solution au problème.”

Il proposa à Chencho une place de sta-giaire à Bangalore. Mais les médecins bhou-tanais sont des fonctionnaires, et ceux qui souhaitent poursuivre des études post-doctorales doivent en faire la demande auprès du gouvernement. Chencho ren-contra cinq représentants de l’adminis-tration, qui le déboutèrent tous de sa demande – à l’époque, la politique du bon-heur ne s’intéressait guère à la psycholo-gie. Un premier représentant lui répondit que la psychiatrie n’était pas une priorité. Un autre lui dit qu’il serait injuste de le laisser passer devant les autres médecins sur liste d’attente pour étudier à l’étran-ger. Un troisième mit purement et sim-plement sa lettre de recommandation à la poubelle, le rendez-vous s’achevant dans les larmes. “Il disait que c’était absurde, se souvient Chencho. ‘Combien de fous y a-t-il au Bhoutan ? Vous voulez devenir psychiatre seulement pour votre frère ?’ Je suis sorti et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.”

“Je travaille dans des conditions très difficiles, et avec peu ou pas de soutien. Je me sens vidé émotionnellement, en état de burn-out”

Contexte

Les maux modernes du Bhoutan●●● En 1955, quand naissait le frère de Chencho Dorji, le Bhoutan était un pays encore foncièrement médiéval. C’était une société de troc sans route goudronnée ni électricité. Pendant des siècles, le royaume avait préféré vivre en ermite, niché dans les plis de l’Himalaya entre la Chine et l’Inde, isolé du monde. Puis, au début des années 1960, le roi du Bhoutan décida d’ouvrir les portes de son royaume. Et le petit pays fut propulsé à toute vitesse vers la modernité. Aujourd’hui,

les klaxons se mêlent au tintement des moulins à prières, des moines en tenue cramoisie envoient des textos sur des téléphones portables – qui ne sont arrivés ici qu’en 2003. Beaucoup de Bhoutanais portent encore les mêmes vêtements que ceux du xviie siècle. Mais, l’été, la nuit, on peut voir un bar à la mode se remplir de minijupes et de tee-shirts, au son de reprises acoustiques de Nirvana. Ici, pas l’ombre d’un gho – la robe à motifs traditionnelle des hommes, proche du kimono. Et une seule femme arbore une kira savamment tissée, qui couvre jusqu’à ses chevilles, au-dessous desquelles des talons aiguilles scintillent.A présent que le Bhoutan est

accessible, le tourisme, qui a généré près de 48 millions de dollars en 2011, occupe une place significative. Les étrangers affluent pour voir “le dernier Shangri-La”, une terre de rizières étincelant au soleil et de pics montagneux déchiquetés. Eux aussi veulent leur part du célèbre bonheur bhoutanais. En 1972, le quatrième roi du pays forgea l’expression qui allait désormais définir le Bhoutan. Le “bonheur national brut, déclara-t-il, est plus important que le PIB.” Aujourd’hui, la Commission sur le bonheur national brut examine toutes les propositions de mesures politiques, et le bonheur est évalué à l’aide d’une multitude d’études et d’indicateurs – sur tout, depuis la spiritualité et les

heures de sommeil jusqu’à la responsabilité environnementale.Le développement récent du Bhoutan est considéré comme une réussite. En 2006, le magazine [américain] Businessweek l’a classé à la huitième place des pays les plus heureux du monde. Et les Nations unies ont récemment commandé le premier rapport mondial sur le bonheur, qui fait l’éloge du petit royaume. “Le Bhoutan ouvre une nouvelle voie et fait preuve d’une profonde clairvoyance, lit-on dans le document. Le monde lui accorde de plus en plus d’attention.” Mais le Bhoutan est loin d’être un Shangri-La. Les bas et moyens revenus sont de plus en plus nombreux et la dette extérieure est à la hausse.

Le pays, qui a expulsé une centaine de milliers de Népalais dans les années 1990, est encore montré du doigt pour avoir tenté de se débarrasser de la plus grande minorité nationale. Sans oublier que, sur cette terre de bienheureux, les troubles mentaux progressent. En ouvrant ses frontières, le royaume a ouvert la voie à une forte croissance économique et à l’allongement de l’espérance de vie, mais aussi à de nouveaux maux : drogue, urbanisation galopante et chômage des jeunes. Depuis 1999, plus de 5 300 Bhoutanais déprimés, angoissés, psychotiques ou toxicomanes sont venus frapper à la porte de l’unique service de soins psychiatriques du pays – presque entièrement porté par un seul homme.

mesures préventives telles que la mise en place de cours de méditation dans les écoles. Il rappelle par ailleurs que le Bhoutan est un pays en développement. Et que promou-voir la fonction de conseiller psychiatrique n’est pas une mince affaire lorsque le pays n’a que six chirurgiens. “Nous reconnais-sons que ce domaine ne bénéficie pas des inves-tissements ni du soutien qu’il mérite, fait-il par ailleurs savoir. Nos ressources sont très limitées, et elles sont généralement allouées à d’autres secteurs.”

Chencho ne baisse pas pour autant les bras. Il participe à des réunions politiques, siège dans diverses commissions et parle de la question à qui veut bien l’écouter. Mais depuis quelque temps il se heurte à un autre problème, qui le concerne cette fois person-nellement : le burn-out. “Je suis le premier psychiatre diplômé du Bhoutan, je travaille depuis quatorze ans non-stop, souvent dans des conditions très difficiles, et avec peu ou pas de soutien. Ce travail m’affecte, confie-t-il dans un e-mail. Je me sens vidé émotionnellement, en état de burn-out.” Aussi a-t-il décidé qu’il était temps pour lui de s’occuper de son bien-être mental : pendant qu’un psychiatre birman le remplacera, il ira travailler un an ou deux en Australie. Il jure qu’il reviendra : “Je n’abandonne pas le Bhoutan.” “C’est le pre-mier psychiatre du Bhoutan, c’est quelqu’un de très déterminé, constate M. Nirola. Si j’avais été à sa place, je ne crois pas que j’au-rais réussi.” Le Dr Murthy, le vieux mentor de Chencho, pense qu’une pause lui fera du bien. Qu’en Australie lui viendront de nouvelles idées. Et qu’il pourra y acquérir une sécurité financière. Mais, pour le bien de son pays, il espère qu’il rentrera. “Pour moi, conclut-il, l’histoire de la santé mentale au Bhoutan est celle de Chencho.”

—Jennifer Yang

Publié le 9 septembre

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ASIE26. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

[près de Xi’an], et quand les fouilles restent infructueuses, ils n’hésitent pas à s’approprier le patrimoine : ils s’approprient des empereurs, des penseurs comme Laozi… Et si vraiment ils n’y parviennent pas, ils créent de toutes pièces des fêtes, comme la fête de la pastèque, la fête du tofu, etc. Avec l’argent public, ces villes font venir les stars préférées des édiles locaux pour que ceux-ci puissent se montrer en train de boire un verre à leurs côtés ou se livrer à de grandes embrassades.

Les touristes chinois sont également du genre bling-bling. Ils arrivent avec en poche des sommes colossales, parlent très fort, crachent à pleine gorge, font la queue à qui mieux mieux, laissent partout leur nom [la découverte d’un nom chinois sur un site égyptien a fait scandale l’année passée]. Ils ont toujours, accrochés autour du cou, de très onéreux appareils photo Leica qui ne leur servent qu’à prendre des clichés d’eux-mêmes en train de faire le signe de la victoire durant dix secondes devant un point d’intérêt touristique. Ils parcourent douze pays européens en sept jours et postent quotidiennement des messages à ce sujet sur leur site de microblogging comme s’ils faisaient le Dakar. Même en bermuda, chaussettes blanches et sandales de cuir, ils n’hésitent pas à faire longuement la queue devant les boutiques Chanel. Ils arrivent en deuxième position des touristes parvenus les moins

aimés de la planète, mais ce sont pourtant eux qui ont joué les sauveurs lors de la crise de l’euro. Ces bons vieux pays capitalistes qui tentent de relancer leur économie sont bien obligés de les accueillir à bras ouverts et de faire ami-ami.

Lors des inaugurations des cinémas Wanda, placés sous la houlette du plus gros milliardaire chinois, Wang Jianlin, le nombre de stars hollywoodiennes présentes dépasse celui de nombreux festivals cinématographiques internationaux. Ces stars et célébrités se fraient un passage, épaule contre épaule avec des membres du service de sécurité en tenue de camouflage, tandis que des seniors locaux jouent une pièce d’opéra chinois. Quel mélange des genres étonnant ! C’est ce qu’on appelle une “cérémonie hollywoodienne”. C’est cela la Chine ! N’espérez surtout pas voir les meilleurs films dans les salles de cinéma, vous verrez seulement les moins mauvais, car ici il n’est pas question de culture mais de billetterie avant tout !

—He XiongfeiPublié le 14 novembre

le style bling-bling a permis à ces “riches bouseux” de recouvrer un sentiment de sécurité, de montrer leur réussite, d’étaler leur notoriété et de s’affirmer. Rupert Hoogewerf [auteur du classement Hurun des Chinois riches ] esquisse le portrait de ces parvenus, à la tête en 2013 d’un patrimoine supérieur à 10 millions de yuans [1,2 million d’euros] : ils ont en moyenne 38 ans, sont de sexe masculin dans 70 % des cas, possèdent en moyenne 3 voitures, 4 montres, voyagent à l’étranger 2,8 fois par an, avec une prédilection pour la France et les Etats-Unis. Ce sont les plus gros consommateurs du monde de produits de luxe devant les nouveaux riches russes. Quatre-vingts pour cent de ces parvenus envoient leurs enfants étudier aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni pour qu’ils ne soient plus aussi “bouseux” qu’eux.

Faux ancien. Les parvenus chinois ont une prédilection pour les objets en or ou en argent pour afficher leurs richesses. Ainsi, pour s’adapter au goût chinois, même Apple a dû s’abaisser à lancer un iPhone 5 doré pour cette clientèle chinoise bling-bling.

A Shanghai, les modestes cols blancs qui économisent sur la nourriture et les vêtements ne peuvent en revanche se passer d’un sac Louis Vuitton. Ils se réfèrent sans cesse au Guide pour faire illusion [publié sur Internet], dans le but unique de donner l’impression d’appartenir à la haute société et de prouver qu’ils sont vraiment des nouveaux riches.

La Chine est en train de devenir de plus en plus bling-bling. Les agglomérations chinoises cherchent désormais à se distinguer par le bling-bling. Toute municipalité un tant soit peu ambitieuse souhaite occuper le devant de la scène et se faire connaître du reste du mon de. Ces villes se vantent de vouloir devenir des “grandes métropoles internationales”, des “centres financiers mondiaux”, des “nœuds du transport aérien international”… Elles aiment le tape-à-l’œil et regorgent de tours, places, points d’intérêt, hôtels de ville et rues piétonnes des plus clinquants, mais n’appartiennent pas à la population : c’est le domaine des pouvoirs publics, des démolisseurs et des promoteurs.

Ces gens-là détruisent des monuments historiques pour construire des bâtiments “anciens”, voire toute une “vieille” ville flambant neuve, puis vous affirment avec aplomb que la ville embellit la vie.

Les municipalités chinoises qui se sont lancées avec passion dans une folle course à l’ancien ou à la fabrication d’ancien prennent en otage toute la gloire de l’héritage historique. La culture traditionnelle devient une houe pour déterrer de l’or. Tous les responsables municipaux rêvent de mettre au jour des sites archéologiques comme ceux de Sanxingdui [dans la province du Sichuan] ou du mausolée du premier empereur

—Xin Zhoukan (extraits) Canton

Qui sont ceux qu’on appelle en chinois les tuhao ? Auparavant, ce terme avait une connotation politique et

désignait une personne qui régnait en des-pote en milieu rural. Aujourd’hui, c’est une expression à la mode, qui renvoie à une catégorie d’individus plus riches que vous et moi (ou du moins qui donnent l’impres-sion de l’être), mais qui restent des ploucs.

Les tourments de ces “riches bouseux” naissent de leur vacuité mentale et de la crainte d’être spoliés de leurs richesses du jour au lendemain. Ce sont des opportunistes, proches du pouvoir et qui aspirent à en avoir, mais qui le redoutent également. Ils savent se glisser avec agilité dans les failles des zones grises et saisir la moindre occasion d’accumuler des biens qui leur permettront de prospérer et d’enrichir leur famille. Une maxime leur est chère : “Les affaires sont les affaires, la politique n’y a pas sa place.” Quand la Chine miséreuse a soudain commencé à s’enrichir,

Ils savent se glisser avec agilité dans les failles des zones grises et saisir la moindre occasion de prospérer et d’enrichir leur famille

CHINE

L’empire du bling-blingS’enrichir vite et n’importe comment : c’est la victoire des ploucs parvenus et opportunistes qui étalent leur fortune.

LE MOT DE LA SEMAINE

“tuhao”riche péquenaud

Lire la presse aujourd’hui ne suffit pas pour comprendre la formi-dable évolution du sens du mot

tuhao. Les deux caractères tu (la terre) et hao (le héros) forment une expression péjorative. Dans le vocabulaire commu-niste, le tuhao, propriétaire foncier, est synonyme d’ennemi de classe. Le slogan “Abattons les propriétaires fonciers et parta-geons leur terres” a ponctué la révolution maoïste jusqu’au début des années 1950. Son impact est encore ancré profondé-ment dans le subconscient national, et se manifeste surtout dans les productions cinématographiques et audiovisuelles. Il n’y a pas longtemps encore, quand la presse a commencé à désigner les entre-preneurs privés comme des tuhao, elle propageait l’idée que ces nouveaux riches étaient sans culture ni morale.

Aujourd’hui, le sens évolue ! Les inter-nautes mènent la révolution en don-nant au mot tuhao un sens positif et en appelant à devenir l’ami de ces nou-veaux riches. Oui, ils sont sans culture ni tradition, mais ce n’est pas leur faute. C’est la société qui les a fabriqués. Ils sont les produits de l’époque. Bref, ils sont comme tout le monde. C’est à la fois un changement de mentalité contre la tradition égalitariste enracinée dans la culture chinoise et une transgression contre la philosophie de lutte des classes maoïste. Sur le plan sociologique, cette révision sémantique correspond parfai-tement à la montée en puissance de la classe moyenne. Elle témoigne d’une prise de conscience de son identité, et véhicule un message de réconciliation entre deux classes, les tuhao, champions de la course à l’enrichissement, et les jeunes internautes, qui s’opposent de concert aux quangui, les puissants, qui sont encore plus riches !

—Chen YanCalligraphie d’Hélène Ho

↓ Dessin de Mayk, paru dans Sydsvenskan, Malmö.

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28. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

amériques

Militant du Black Power, Chokwe Lumumba a été élu maire de Jackson,la capitale du Mississippi, en juin 2013. Ardent défenseur de l’autodétermination des Africains-Américains, il compte bien mettre à profi t son mandat pour faire avancer cette cause.

Etats-Unis. L’édile le plus révolutionnaire d’Amérique

—Al Jazeera America (extraits) New York

De Jackson (Mississippi)

Chokwe Lumumba, avocat et militant de longue date de la cause des Noirs, a pris

ses fonctions de maire de Jackson, capitale du Mississippi, le 1er juil-let 2013. Son intronisation s’est déroulée dans le centre de conven-tions étincelant, jailli il y a quatre ans dans le centre-ville déserté ; 2 500 personnes s’entassaient dans la salle. Les conseillers muni-cipaux et autres dignitaires, pour la plupart africains-américains (Jackson, 177 000 habitants, est à 80 % noire), étaient assis sur l’es-trade. Harvey Johnson, le maire sortant, premier édile noir de la ville, a souhaité bonne chance à son successeur. Le Mississippi Mass Choir a entonné When I Rose This Morning avec jubilation.

Enfi n Lumumba, 66 ans, s’est approché du pupitre et a déclaré :

“Dieu est bon, tout le temps.— Dieu est bon, tout le temps ! a répondu la foule.

la classe moyenne, avec Nubia, sa femme, et leurs trois enfants. Il s’occupe d’aff aires pénales à forte connotation raciale dans le Mississippi et de clients extérieurs comme le rappeur Tupac Shakur [assassiné à Las Vegas en 1996]. Il se brouille avec le barreau de l’Etat et se voit réprimander, entre autres, pour avoir traité un juge de raciste et dit d’un autre qu’il avait “le tempérament judiciaire d’un bar-bare”. C’est lui qui dirige l’équipe d’avocats qui obtient, en 2011, la libération des sœurs Scott, deux Africaines-Américaines condam-nées à perpétuité en 1996 pour une attaque à main armée qui avait rapporté 11 dollars.

Morts de peur. Quand il a annoncé sa candidature à la mairie de Jackson, son parcours a fait froid dans le dos à certains électeurs, en particulier dans la petite mais puissante commu-nauté blanche des aff aires. “Il me terrorisait”, confi e Ben Allen, le président de Downtown Jacskon Partners, qui travaille au dévelop-pement immobilier du centre-ville.

suite de l’assassinat de Martin Luther King [le 4 avril 1968]. En 1969, il com-mence des études de droit à la Wayne State University, renonce à son nom de naissance, Edwin Taliaferro, pour prendre le “nom libre” de Chokwe Lumumba – en l’hon-neur d’un groupe

ethnique d’Afrique cen-trale et du révolution-

naire congolais Patrice Lumumba [ancien Premier

ministre de la république démo-cratique du Congo assassiné en

1961] –, et rejoint la RNA. Pendant deux ans, il abandonne ses études pour se consacrer à la cause. Une fois son diplôme obtenu, il monte un cabinet d’avocats à Detroit et représente Geronimo Pratt et Assata Shakur, deux anciens diri-geants des Black Panthers.

Lumumba revient à Jacskon à la fi n des années 1980 et s’installe dans le Second Ward, quartier de

— Je veux dire  : bienvenue ! et bonjour !— Bonjour !” a répondu la foule.Puis Lumumba a souri, levé son bras droit juste au-dessus du pupitre, et montré brièvement le poing fermé du salut du Black Power.

“Et je veux dire : libérez la terre !”Les applaudissements ont

éclaté, des cloches ont sonné, des bâtons se sont dressés et les gens ont hurlé : “Libérez la terre !”

“Agent du changement”. Telle est la devise de la République de la Nouvelle Afrique (RNA), un mouvement fondé en 1968 qui voulait faire de la Louisiane, du Mississippi, de l’Alabama, de la Géorgie et de la Caroline du Sud une nation noire indépendante.

Le nouveau maire de Jackson a été vice-président de la RNA et est l’un des fondateurs du Malcolm X Grassroots Movement (MXGM), une organisation nationale qui prône l’autodétermination des Africains-Américains, qu’elle appelle les Nouveaux Africains, “par tous les moyens nécessaires”,

selon la célèbre formule du leader noir Malcolm X. Comme beaucoup de personnes marquées par l’époque du Black Power, Lumumba a longtemps boudé les mandats élec-tifs, jusqu’au moment où il s’est présenté et a été élu conseiller municipal en 2009. Désormais maire de Jackson, il cherche à appliquer les prin-cipes du militantisme radical noir à l’admi-nistration d’une ville. “Aujourd’hui, il faut dire qu’on est ‘un agent du chan-gement’, sinon on fait peur aux gens, mais je suis un révo-lutionnaire”, m’a-t-il confi é lors de notre rencontre, en août der-nier, à l’hôtel de ville de Jackson. Lumumba sortait d’une réunion du conseil municipal consa-crée au budget. Il était vêtu d’un costume sombre et ses courts cheveux blancs étaient discrète-ment peignés vers l’avant. Elevé à Detroit, il s’est radicalisé à la

→ Dessin de Joep Bertrams (Pays-Bas) pour Courrier international.

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CHOKWE LUMUMBA EN QUELQUES DATES1969 — Entame des études de droit à la Wayne State University et renonce à son nom de naissance.1978 — Monte un cabinet d’avocats à Detroit, dans le Michigan.1988 — Revient à Jackson, dans le Mississippi.2009 — Elu au conseil municipal de Jackson.2013 — Elu maire de la ville le 4 juin, après avoir remporté les primaires démocrates du 21 mai.

AMÉRIQUES.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 29

Vu d’ailleursVendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10 et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vuede l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

un endroit comme le Mississippi, explique Melvin Priester, avocat élu au siège qu’occupait Lumumba au conseil municipal et ami d’en-fance de Rukia, sa fi lle. “De l’exté-rieur, il est facile de tracer une ligne entre la République de la Nouvelle Afrique et des organisations comme la NAACP, mais pour les Noirs du Sud, il n’y a pas vraiment de divi-sion parce que les militants modérés, ceux qui portaient des costumes cra-vate, se faisaient aussi tirer dessus [à l’époque de la lutte pour les droits civiques].”

Les partisans de Lumumba adhèrent à un programme appelé Plan Jackson, posté par l’organisa-tion MXGM sur son site Internet en 2012. Il vise à “édifi er à Jackson un pouvoir autonome pouvant servir de catalyseur à l’autodétermination des Noirs et à la transformation démocratique de l’économie”. Ce plan comporte plusieurs points très précis, et même favorables aux entreprises – amélioration du calamiteux système de recyclage de la ville, installation de serres et introduction de techniques bio dans les jardins publics, construc-tion de logements bon march é et peu gourmands en énergie.

Je demande à Lumumba com-ment il projette de bâtir une économie solidaire maintenant qu’il est maire. Sa réponse est mesurée :

“Il y a des gens plus aisés que les autres qui ont des entreprises. Nous voulons les pousser à inves-tir pour aider ceux qui ont moins de chance. Nous voulons essayer de donner aux gens des maisons dans lesquelles ils puissent vivre, de leur donner du travail. Nous voulons montrer aux entreprises qu’elles peuvent obtenir davantage de contrats avec la ville, par exemple, si elles font appel à des sous-traitants

Lumumba à l’investissement dans les infrastructures correspond à l’objectif qui sous-tend toute sa vie de militant : l’autodétermi-nation. Son désir d’autonomie et sa méfi ance vis-à-vis des autori-tés extérieures sont certes dans la ligne de ses conceptions de gauche, mais appliqués au niveau municipal, ils n’en sont pas moins compatibles avec certaines idées conservatrices.

“S’occuper des infrastructures, c’est éviter de se faire dépouiller de son autodétermination, déclare-t-il. On voit ce qui se passe à Detroit : toute la ville est passée sous le contrôle de l’Etat. Nous ne vou-lons pas que cela arrive ici, donc nous voulons régler ces problèmes. Nous ne sommes pas en train d’es-sayer de nous créer de nouveaux ennemis.”

Lumumba se fait manifeste-ment plus d’amis que d’ennemis. Le conseil municipal a adopté son budget à la mi-septembre, augmen-tations de tarifs incluses, par cinq voix contre deux. Son élection a en outre provoqué un affl ux de propo-sitions enthousiastes venues d’or-ganisations progressistes avides de mettre leurs conceptions en application à Jackson. “On reçoit de tout, confi e Nsombi Lambright, de l’équipe de transition. Une charte des droits de l’homme, des proposi-tions de légalisation de la drogue… doucement, les gars !”

Face à ce type de propositions extérieures, Lumumba se montre prudent. “Notre philosophie, c’est que c’est au peuple de décider. Je ne vais pas m’en détourner pour donner à des gens qui sont peut-être révolu-tionnaires dans un autre contexte une autorité disproportionnée ici.” Qu’elle réussisse ou qu’elle échoue, l’expérience de Jackson se dérou-lera à l’échelle de Jackson. “Je pense que je suis en train de faire quelque chose qui peut aider le mouvement, conclut Lumumba. Tester nos idées, les mettre en pratique en situation réelle. En somme, appliquer une philosophie anti-impérialiste à la réparation des rues.”

—Siddhartha MitterPublié le 19 septembre

“Edifi er à Jackson un pouvoir autonome pouvant servir de catalyseur à l’autodétermination des Noirs”

“Pratiquement tous les gens que je connaissais étaient morts de peur. Parce que si on tape Chokwe Lumumba sur Google, on voit qu’il a adopté des positions très contro-versées sur des gens très controver-sés qu’il a représentés. Chassez le naturel, il revient au galop.”

Les volontaires qui ont fait cam-pagne pour Lumumba ont été accueillis fraîchement dans les quartiers du nord-est de la ville, essentiellement blancs et aisés. “On nous claquait la porte au nez”, raconte Mike Walker, militant du mouvement MXGM qui a parti-cipé à la campagne de Lumumba.

Economie solidaire. C’est la primaire démocrate, en mai, qui a décidé de l’issue de l’élec-tion. Jackson est une ville à forte majorité démocrate et les élec-tions municipales ne sont qu’une formalité [une fois le candidat démocrate désigné]. Lumumba et Jonathan Lee, jeune homme d’aff aires et ancien président de la chambre de commerce locale, ont battu Harvey Johnson, le maire sortant. Lee, qui était le favori, a alors cherché à faire passer Lumumba pour un extrémiste, tandis que Lumumba insinuait que Lee était inféodé aux inté-rêts républicains blancs.

“C’était ‘oncle Tom contre les radicaux’. Cela a fait remonter plu-sieurs sujets profondément enra-cinés dans notre communauté”, souligne Nsombi Lambright, un des responsables de la branche de la NAACP du Mississippi [Association nationale pour la promotion des personnes de cou-leur, principale organisation de défense des droits civiques].

Mais Jackson est une petite ville et il était diffi cile de diabo-liser Lumumba, qui était aussi connu pour être un bon père de famille, l’entraîneur d’une équipe de basket (baptisée les Panthers), un membre de la Word and Worship Church [Eglise du mot et de l’adoration] et un bon voisin.

De plus, il est absurde de traiter un militant noir de radical dans

qui développent notre base écono-mique et contribuent à son exten-sion. Nous pensons pouvoir faire jouer la solidarité ici aussi.”

Enthousiasme. Le premier défi de Lumumba, ce sont les infras-tructures. Les routes sont défor-mées et défoncées. Le réseau de distribution d’eau et les égouts ne suffi sent pas à répondre aux besoins et les compteurs et la facturation sont obsolètes. Les ruptures de canalisation et les inondations sont fréquentes. Les eaux usées mal traitées se déversent dans la Pearl River. L’eau qui coule des robinets est souvent marron. La ville a signé l’année dernière un accord avec l’Agence fédérale de protection de l’environnement qui l’oblige à investir 400 millions de dol-lars pour mettre ces installa-tions aux normes. Un problème épineux, en partie parce que la base d’imposition de la ville est anémique. La population a chuté de 12 % depuis 1980 à cause de l’exode des classes moyennes blanche et noire vers les comtés voisins de Rankin et de Madison. Et plus de 27 % des habitants de Jackson vivent dans la pauvreté.

En août, Lumumba a défendu son projet de budget devant le conseil municipal. Chiffré à 502 millions de dollars, il repré-sentait une augmentation de 43 % par rapport à l’année précédente, une augmentation due essentiel-lement à d’importantes dépenses d’infrastructures. Parmi les pro-positions de fi nancement, le texte proposait une forte augmentation des tarifs de l’eau et de la rede-vance d’assainissement. “On ne peut plus laisser traîner les choses”, a déclaré Lumumba.

Le pragmatisme de Lumumba a agréablement surpris certains sceptiques. “Je ne peux pas vous dire à quel point je suis impres-sionné par ce type, déclare Ben Allen. Il a pris certains de ses plus grands adversaires dans son équipe de conseillers pour le déve-loppement économique. Je suis l’un d’entre eux.” L’attachement de

AL JAZEERA AMERICANew York, Etats-UnisSite Internetwww.america.aljazeera.comLancée en août 2013, Al Jazeera America (Ajam) est la dernière-née des chaînes d’information en continu du groupe qatari Al Jazeera. Doublée d’un site Internet, elle a pour ambition de révolutionner le journalisme télé “en privilégiant les reportages approfondis et les longs formats”. Pour son lancement, elle n’a pas lésiné sur les moyens : outre le débauchage de journalistes prestigieux de chaînes concurrentes comme CNN et ABC, elle a embauché 850 salariés et ouvert 12 bureaux sur le territoire américain. Accueillie avec méfi ance aux Etats-Unis, Ajam fait tout pour se forger une réputation de média respectable.

SOURCE

Biographie

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30. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

→ Cheikha Mozah.Dessin de Joe Cummings, paru dans le Financial Times, Londres.

Brookings à Doha [un institut de recherche socio-économique]. “Mais, comme son mari, elle conti-nuera à avoir une certaine influence sur les événements.” Certains pen-sent que l’élégante Mozah est à l’origine du fonds d’investisse-ment qatari qui a acheté l’an passé la marque de créateur Valentino. Sur la scène internationale, elle a disputé l’attention des journalistes de mode aux premières dames comme Michelle Obama ou encore Carla Bruni.

Au Qatar, elle fascine autant qu’elle agace. Dans une région où les premières dames se montrent rarement, son apparence (elle porte le foulard mais pas le voile) et son engagement économique et social en ont choqué plus d’un. La rumeur veut qu’elle soit intervenue dans certaines décisions du gouverne-ment : elle aurait même suggéré de puiser dans les fonds souverains du Qatar, qui s’élèvent à plus de 100 milliards de dollars, pour inves-tir à l’étranger, par exemple dans les magasins Harrods [à Londres].

Ménard claque la porte. Elle a également établi son influence politique grâce à la Fondation du Qatar, une organisation en faveur du développement, de l’éducation et de la recherche scientifique. Il y a quinze ans, la fondation a créé Education City, un campus fier d’abriter des antennes de presti-gieux établissements américains tels que l’université de Georgetown et la faculté de médecine Weill Cornell, où une nouvelle généra-tion d’Arabes cherche à acquérir un savoir occidental dans un envi-ronnement islamique.

Ses projets de développement se sont heurtés aux contraintes du régime autoritaire qatari. En 2008, cheikha Mozah a créé un centre pour la liberté de la presse à Doha, présidé par Robert Ménard, ancien président de Reporters sans fron-tières. Mais, moins d’un an après sa prise de fonctions, M. Ménard claquait la porte en dénonçant violemment l’ingérence du gou-vernement qatari.

Cheikha Mozah est un bourreau de travail et elle tient aussi à garder la ligne (elle pratiquerait assidû-ment le fitness). Elle est considé-rée comme une femme ouverte et loyale, mais c’est également une femme déterminée. Ceux qui ont eu affaire à son cabinet ou à la Fondation du Qatar disent que ce sont des paniers de crabes. En réa-lité, c’est une habituée des intrigues

moyen-orient

Qatar. La grande dame du GolfeCheikha Mozah, la deuxième épouse de l’émir Hamad, s’est imposée au Qatar. Et rien ne prouve qu’elle compte s’éclipser après avoir poussé son mari à abdiquer en faveur de son propre fils.

—Financial Times Londres

Le nouvel émir du Qatar, son fils, ne l’a pas mention–née pas lors de son premier

discours adressé à la nation [le 26 juin], dans lequel il rendait pour-tant un hommage passionné à son père. Elle n’apparaissait pas non plus sur les images diffusées en continu à la télévision mon-trant des milliers de Qataris venus prêter allégeance au cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani et au nouvel “émir-père”.

Mozah bint Nasser Al-Missned n’a pourtant pas été un person-nage secondaire dans l’intrigue qui s’est jouée au palais de Doha et qui a atteint son point culmi-nant le 25 juin dernier, lorsque son mari a abdiqué en faveur de son fils – un événement sans pré-cédent dans l’histoire récente des monarchies du Golfe.

Non seulement son fils, l’un des 24 enfants qu’Hamad ben Khalifa Al-Thani a eus de ses trois femmes, a accédé au trône, mais

elle a aussi vu son pire ennemi à la cour du Qatar, l’influent

Hamad ben Jassem, être démis de ses fonctions

de Premier ministre. A 53 ans, cheikha Mozah, célèbre pour ses pommet-tes sail lantes, ses superbes robes longues et le rôle inhabituel qu’elle a dans la vie publique d’une région profondé-ment conserva-trice, a triomphé en tant que figure féminine du Qatar moderne. “C’est son moment de gloire”, note l’un de ses alliés.

Son mari ayant abdiqué, elle de vra

toutefois s’habi-tuer à une vie plus discrète, après avoir été la femme la plus remarquée de la ré gion pendant des années, puisque c he i k h Ta m i m , 33  ans, désignera

l’une de ses deux épouses comme pre-

mière dame. “Je suis per-suadé qu’elle restera en retrait

de la vie politique”, affirme Salman Shaikh, qui travaille au centre

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Courrier international —

rencontrent constatent leur com-plicité intellectuelle et leur ten-dance à terminer les phrases de l’autre quel que soit le sujet : des arts aux aff aires étrangères.

Décisions révoquées. Cheikha Mozah aurait même convaincu son mari de soutenir les rebelles libyens en 2011, quand Muammar Kadhafi menaçait d’envahir Benghazi, une décision qui a d’ailleurs marqué un tournant dans la politique régio-nale du Qatar ces dernières années. L’attachement que cheikha Mozah porte à Benghazi remonte à la période d’exil de sa famille, quand son père s’est associé avec une grande famille de cette ville pour monter des aff aires.

Toutefois, selon les commenta-teurs politiques, son fi ls pourrait adopter une position diff érente dans la région, notamment dans la guerre en Syrie, en raison des accu-sations d’ingérence de la part de l’Etat syrien et des inquiétudes voi-lées des Qataris, qui craignent que la stabilité de leur pays, l’une des nations les plus riches du monde, ne soit menacée.

C’est dans son pays que cheikha Mozah a eu le plus d’infl uence : elle et son mari étaient à la tête des élites qui menaient les pro-grammes politiques, culturels et éducatifs pendant que la nation peinait à s’adapter aux change-ments. Certaines décisions qui lui sont associées ont été révoquées à la suite de violentes réactions du peuple. Elle avait, par exemple, engagé des consultants qui recom-mandaient de faire de l’anglais la langue principale de l’université nationale du pays. On dit que c’est cheikh Tamim lui-même qui serait revenu sur cette décision. Il était sans doute soucieux de renvoyer une image plus traditionnelle de son pays à l’approche de la passa-tion de pouvoir.

Les Qataris sont nombreux à espérer que le règne du nouvel émir mettra l’accent sur la préser-vation de leur identité nationale et des traditions dans un pays où les expatriés constituent 85 % de la population. Maintenant que sa victoire est scellée, cheikha Mozah doit s’adapter à sa nouvelle situa-tion. “Elle va devoir faire atten-tion à sa nouvelle image, explique M. Shaikh, du centre Brookings. Ce qui ne devrait pas lui poser de problème.”

—Simeon Kerr et Roula Khalaf

Publié le 28 juin

de cour. Elle naît en 1959 au sein d’une grande famille marchande dans une ville côtière du Qatar. Peu après sa naissance, son père se brouille avec l’émir et part en exil en Egypte et au Koweït. Elle aurait rencontré le prince héri-tier Hamad alors qu’il tentait de négocier le retour de sa famille au pays, et elle l’épouse à 18 ans. Sa famille trouve ensuite une douce revanche lorsque le prince Hamad chasse son propre père rétrograde par un coup d’Etat sans eff usion de sang, en 1995.

Elle a beau n’être que la deuxième femme de l’émir Hamad (ses alliés prétendent d’ailleurs qu’il a pris une troisième épouse afi n de faire taire ceux qui se plaignaient du pouvoir excessif de cheikha Mozah), elle était incontestablement la pre-mière dame du petit émirat, qui a su exploiter ses ressources en gaz naturel pour exercer une infl uence fi nancière et politique à Londres et dans d’autres capitales ces der-nières années.

Cette femme à l’esprit ouvert, comme son mari, est retour-née à l’université du Qatar après leur mariage pour terminer ses études de sociologie. Leur union paraît solide : tous ceux qui les

BiographieCHEIKHA MOZAHEN QUELQUES DATES1959 Mozah naît à Al-Khor dans une famille d’opposants réformistes.1977 Elle épouse l’émir Hamad dans le cadre d’un compromis qui scelle la réconciliation de son père avec le souverain du Qatar.1986 Diplôme de sociologie à l’université de Doha.1996 Elle lance la Fondation du Qatar pour l’éducation.2007 Le magazine Forbes la classe au 79e rang de la liste des femmes les plus puissantes du monde.2011 Dans le classement de Vanity Fair des femmes les mieux habillées du monde, cheikha Mozah fi gure à la deuxième place.2013 Son fi ls succède à son père comme émir du Qatar. Cheikha Mozah lance le programme Genôme du Qatar.

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur “La grande dame du Golfe, Cheikha Mozah” dans l’émission de William Leymergie, mardi 24 décembre à 7 h 38.

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32. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

—Lietuvos Rytas Vilnius

Un agent du Kremlin. Un mini-Poutine. Ces quatre dernières années, le maire russophone de

Riga, Nils Usakovs, a tout entendu. Les épi-thètes continuent de fleurir, mais glissent sur lui. “Je fais simplement mon travail”, commente le populaire homme politique, en haussant les épaules.

En Lettonie, le Centre de la concorde, considéré comme un parti prorusse, est un paradoxe ambulant. Il y a deux ans, il a rem-porté les législatives, mais a dû demeurer dans l’opposition, car les partis “lettons” ont fait alliance contre lui. Dans un seul but : ne pas laisser les Russes accéder au pouvoir. Mais ceux qui n’avaient pas réussi à entrer par la grande porte sont entrés de manière tout à fait légale par la fenêtre. Au début de l’été 2013, le Centre de la concorde, conduit par son leader Nils Usakovs, a remporté la majorité lors des élections municipales.

Cette fois, rien ne les a empêchés de prendre la direction de Riga. “Certes, parmi ceux qui ont voté pour nous, il y a 65 % de rus-sophones”, reconnaît Nils Usakovs, ne cher-chant en rien à masquer l’image de parti représentant les russophones. Mais ce poli-ticien de 37 ans s’empresse de préciser que 35 % des votants étaient des Lettons et que cela reflète la composition ethnique de Riga. Quarante-deux pour cent des habitants y parlent letton, le reste d’entre eux le russe.

Lettonie. Un Russe aux commandes à RigaTrès jeune, hyperactif et consensuel, Nils Usakovs, le maire de la cité hanséatique, est plébiscité par les habitants, mais soupçonné par certains d’être l’homme du Kremlin.

europe

→ Nils Usakovs. Dessin de Finn Graff (Norvège) pour Courrier international.

Nils Usakovs est partout : dans la presse, à la télévision, sur Internet et sur les réseaux sociaux

avec des chiens, des chèvres, et même une fois en compagnie d’un castor.

Il faut inaugurer un nouveau site ? Nils Usakovs, qui a coupé plus d’un ruban, n’est toujours pas lassé. Riga fait l’acquisition d’une nouvelle machine pour faire fondre la neige ? Nils Usakovs s’assoit obligatoi-rement le premier à son volant. Lors d’une soirée du Centre de la concorde, il se montre vêtu de façon plutôt sportive afin de paraître plus proche du simple citoyen. A l’occasion du 8 mars, il distribue des milliers de roses aux femmes travaillant au conseil muni-cipal de Riga. Et bien sûr, si un nouveau problème surgit, Nils Usakovs s’en charge personnellement, sans oublier de prévenir les médias entre-temps. Cette façon de faire ne nous est-elle pas déjà familière ? A l’est de la Lituanie [en Russie], se comporter de la sorte est très habituel. Rien de surprenant alors que les détracteurs de Nils Usakovs se moquent parfois de cette hyper activité et l’affublent du surnom de mini-Poutine. Néanmoins, cet ancien journaliste n’est

pas seulement devenu l’homme politique le plus populaire de la ville, mais un réel facteur d’union à Riga.

Nils Usakovs, né dans une famille rus-sophone, avait d’abord pensé faire carrière dans l’armée. Il a finalement étudié l’éco-nomie et est devenu journaliste de télévi-sion. Lui-même apatride, comme on nomme les russophones qui n’ont pas obtenu la citoyenneté lettonne après l’indépendance du pays [en 1991], il a été naturalisé letton à 23 ans. Il aime souligner ce fait dans sa biographie. “Mon père aussi était apatride, ma mère n’a toujours pas la citoyenneté let-tonne, cette question a quelque chose de très personnel pour moi”, a-t-il écrit à ce sujet.

Ces quatre dernières années ont été par-ticulièrement difficiles selon le maire de Riga. La crise de 2008 a fait perdre 100 mil-lions d’euros de recettes à la ville. Comme le rappelle Nils Usakovs, il était donc extrê-mement important de s’accorder sur les prio-rités : quelles réductions, et pour qui, dans les transports publics ? Lesquelles suppri-mer ? Quelles écoles fermer ?

“Il s’agit d’un moment historique. Pour la première fois depuis 1991, les gens n’ont pas voté sur une base ethnique. Alors que les partis nationalistes parlaient des différences entre Lettons ethniques et Russes, nous nous sommes assis à la même table avec les autres forces politiques et nous nous sommes mis d’ac-cord pour former une seule équipe de travail, sans parler de ligne politique ni de quotas.

Mais que signifie pour les Lettons un maire russophone ? Et toutes les rumeurs sont-elles vraiment infondées ?

Nils Usakovs, élu pour la première fois il y a quatre ans [à l’âge de 33 ans] pour diriger la capitale lettonne, devenait ainsi le plus jeune maire du pays. Si l’on ignore qu’il s’agit de Nils Usakovs, considéré par une partie des Lettons comme un cheval de Troie ayant l’intention de faire passer Riga et toute la Lettonie dans la sphère d’influence russe, on peut penser qu’on a affaire à un jeune entrepreneur très sérieux. Evidemment, il s’agit d’une image soigneusement tra-vaillée et qui fait la réputation du maire de Riga : un professionnel, pouvant parler des heures durant de projets sociaux et de son souci des habitants, en subjuguant ses interlocuteurs. Mais voilà que le téléphone sonne. Nils Usakovs s’excuse, il doit donner une interview pour la radio. Le ton change du tout au tout, il se met à critiquer sévère-ment le parti letton Unité.

Nils Usakovs est partout : dans la presse, à la télévision, sur Internet et les réseaux sociaux. Il apparaît comme un homme poli-tique soucieux, sportif, intellectuel. Sévère et directif. Seuls les chats adoucissent cette image et le voilà aussi ami des animaux. Pas étonnant, donc, que ses deux chats, Kuzia et Muris, aient un compte Twitter qui relate leurs paresseuses journées. Le maire ne manque jamais l’occasion de se faire prendre en photo avec d’autres animaux. On l’a vu

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EUROPE.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 33

du lundi au vendredià 16h15 et 21h45

franceinfo.fr

L’ACTUALITÉINTERNATIONALE“UN MONDE D’INFO”

malade avait abusé du facteur émotionnel, que le curé avait juste voulu lui apporter un réconfort spirituel et non pas le convertir, que le geste était innocent, que le malade n’avait rien senti, etc.

“En général, nous formons nos prêtres dans le respect de la liberté de conscience”, assure l’aumônier en chef du secteur de la santé, le père Stanislaw Warzeszak. Cette affaire en dit long sur notre époque. Quiconque a mis les pieds dans un hôpital sait que le prêtre fait partie de cet environnement et que 90 % des patients trouvent cela normal et s’en réjouissent. Or on commence à parler de cette minorité infime mais grandissante grâce à laquelle la Pologne se transforme lentement mais sûrement en pays multiethnique et multiconfessionnel. En dépit des affirmations des fondamentalistes qui dénoncent une campagne contre l’Eglise et une discrimination envers les croyants, c’est tout le contraire qui se produit. L’Etat se laïcise, lentement mais inévitablement.

—Daniel PassentPublié le 30 novembre

—Polityka Varsovie

Il n’existe probablement pas un chro-niqueur à qui l’on n’ait demandé un jour où il puisait ses sujets. On les

trouve partout, il suffit de se servir. Le quo-tidien [conservateur] Rzeczpospolita rapporte que la Cour suprême a donné raison à un athée qui avait porté plainte pour avoir reçu les derniers sacrements pendant qu’il était inconscient à l’hôpital, affirmant que cela lui portait préjudice et violait la liberté de croyance. L’affaire semble entendue, mais elle fait sensation en Pologne. La victime (“une personne qui se considère comme vic-time”, selon Rzeczpospolita) demande à l’hô-pital une généreuse réparation car, selon elle, le prêtre lui a administré l’extrême-onction sans vérifier qu’il s’agissait bien d’un chrétien. Or c’était possible puisque le malade était conscient au moment de son admission. L’affaire est passée par toutes les étapes judiciaires et tous les tribunaux ont rejeté la plainte de l’athée – un signe des temps. Il a fallu qu’elle arrive devant la Cour suprême pour que le verdict soit cassé.

Ceux qui ne voyaient rien de mal à accorder les derniers sacrements à un athée ont argumenté que le prêtre avait agi à la demande des infirmières, alertées par le fait que la vie du patient était menacée, que 90 % des patients étaient catholiques, que le prêtre avait agi en toute bonne foi, qu’il n’y avait pas eu de préjudice, que le

C’est ainsi que nous avons pu résoudre des problèmes laissés en plan depuis l’indépen-dance”, assure le maire.

D’où viennent alors ces rumeurs concer-nant sa politique prorusse ? Ce n’est un secret pour personne, Nils Usakovs se rend régulièrement à Moscou et fréquente les élites économique et politique russes. Il y a quelques années, sa correspondance avec Alexandre Hapilov, employé de l’am-bassade de Russie et soupçonné d’espion-nage, a été révélée. Le Centre de la concorde ne cache pas non plus qu’il entretient des liens étroits avec Russie unie, le parti au pouvoir en Russie.

“Qui d’autres devrions-nous fréquenter ? Il n’y a pas d’alternatives en Russie”, rétorque Nils Usakovs en énumérant les avantages d’une coopération avec la Russie. “Ma tâche est de faire la publicité de Riga et de créer un climat politique favorable, puisque les tou-ristes viennent, l’argent des entrepreneurs russes afflue, et tout cela est utile à la ville.”

Une telle réponse était attendue. Quel est vraiment le regard que porte Nils Usakovs sur la Russie, pays peu amical, pour le dire gentiment, à l’égard de la Lettonie et des autres Etats baltes ?

“On peut considérer la politique du Kremlin de diverses manières, mais prenons la ques-tion par l’autre bout. Est-ce que pour vous, les Lituaniens, ou pour les autres Etats baltes, la situation serait plus favorable si les commu-nistes ou les nationalistes étaient au pouvoir en Russie ? Il n’y a pas d’autre solution que de coopérer avec ceux qui sont au Kremlin”, dit-il. Loin de faire les louanges du Kremlin, il reconnaît même que les coupables sont à chercher des deux côtés. D’où viennent alors les plaintes de certains Lettons à l’égard de ce politique russophone ? Evidemment, c’est la “loyauté” qui revient fréquemment dans les discussions avec les Lettons ethniques. Ils ne font pas confiance aux hommes poli-tiques russes, un point c’est tout.

Le maire, parlant lui-même parfaitement letton, reconnaît que la langue lettonne est obligatoire pour les russophones. Pourquoi fallait-il alors un référendum pour légali-ser le russe comme seconde langue d’Etat ? Il s’agissait d’une sorte de revanche, dit-il, sur les élections de 2009, quand les partis “lettons” se sont mis d’accord pour ne pas laisser le pouvoir au Centre de la concorde, qui avait remporté la majorité.“Les électeurs se sont sentis trahis. Trente et un mandats sur cent ne permettent pas d’avoir le pou-voir. La langue officielle en Lettonie doit être le letton, cela ne fait aucun doute. Mais par-fois les hommes politiques doivent se placer aux côtés de ceux qui les soutiennent”, avoue Nils Usakovs. Il serait enclin à considérer de la même manière les passions déclen-chées par l’histoire et les reliques sovié-tiques. En ce moment, le grand sujet de discussion à Riga concerne le déplacement d’un monument symbolisant les soldats soviétiques “libérateurs”, tout comme cela a été fait à Tallinn, en Estonie, en 2007. A son avis, ce monument ne symbolise que

POLOGNE

Pas facile d’être athéeDonner l’extrême-onction à un non-croyant contre son gré est une faute. Certes… mais pas pour tous les Polonais.

la victoire sur le nazisme et rien de plus. Il est 19 heures. La mairie de Riga est quasi-ment vide. Un autre rendez-vous profession-nel attend encore le maire. Les détracteurs de Nils Usakovs soupçonneront qu’il s’agit d’un nouveau rendez-vous de l’agent du Kremlin avec ses maîtres de Moscou. Mais il semble que ces soupçons soient de moins en moins nécessaires. Nils Usakovs est un homme politique dont le nom n’a jamais été associé à aucun scandale. Du moins pour le moment.

—Tomas Ancytis et Vaidas Saldziunas

Publié le 16 novembre

BiographieNILS USAKOVS EN QUELQUES DATES1976 Nils Usakovs naît à Riga, capitale de la république socialiste soviétique de Lettonie. Grandit et étudie à Odense, au Danemark.1998 Diplômé d’économie analytique à l’université de Lettonie.1999-2004 Exerce le journalisme dans divers médias, notamment à la télévision lettone.2002 Diplômé de la Syddansk Universitet (Danemark) en économie, spécialité intégration européenne.2005 Intègre le Parti de la concorde populaire. Est élu président du Centre de la concorde, alliance sociale-démocrate.2006 Elu député au Parlement letton.2009 Elu maire de Riga.2013 Réélection.

SOURCE

LIETUVOS RYTASVilnius, LituanieQuotidien, 70 000 ex.Fondé en 1989, “Le Matin de Lituanie” est un journal indépendant en langue lituanienne, de tendance libérale, qui a révélé certaines grandes affaires politiques et économiques. C’est le premier quotidien du pays, et son supplément du samedi se vend à 100 000 exemplaires.

Au cinémaAime et fais ce que tu veux, de Malgorzata Szumowska, est un film qui brise les tabous, par son sujet d’abord – les amours interdites d’un prêtre homosexuel –, puis par l’image qu’il donne d’une Pologne provinciale où l’Eglise catholique reste une autorité morale de premier plan. Bien reçu par la critique, primé dans différents festivals, le film a fait 200 000 entrées lors de sa sortie en Pologne, devant les blockbusters traditionnels, comédies sentimentales et autres films d’action à gros budget. Date de sortie en France : le 1er janvier 2014. Courrier international est partenaire de ce film.

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EUROPE34. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

PARTOUT

AILLEURSERIC VALMIR

LE VENDREDI À 19H20LA VOIXEST

LIBREen partenariat avec

—Gazeta.ru (extraits) Moscou

Les reportages réalisés depuis Maïdan [la place de l’Indépendance] à Kiev

montrent souvent des membres du clergé en train de discuter ardem-ment avec les manifestants. Ils organisent même des prières col-lectives depuis l’estrade érigée sur la place. Il s’agit d’orthodoxes, de membres de l’Eglise gréco-catho-lique et de protestants. Il y a trois grandes Eglises orthodoxes en Ukraine, sans parler des autres organisations religieuses. Quelles sont leurs relations avec les évé-nements en cours ?

Le 23 octobre, les membres du Conseil national des Eglises ont rencontré le principal parti d’opposition, Batkivchtchina, et ont soutenu l’accord d’association avec l’UE. Il ne faut certes pas imaginer une touchante unanimité. Certains ont exprimé leur rejet d’une série de valeurs européennes, notamment morales, et fait valoir qu’il n’y avait pas lieu de se fâcher avec la Russie. Néanmoins, ils considèrent le rapprochement de l’Ukraine avec l’Europe comme une priorité essentielle qui affi rmerait son droit à choisir son destin. Il y a dix ans, l’Eglise polonaise avait obtenu que

—Süddeutsche Zeitung (extraits) Munich

Les Chinois viennent de réussir à se poser sur la Lune. Les sociaux-démo-

crates allemands aussi. En tout cas, c’est ce que ressent leur chef, Sigmar Gabriel, et c’est l’image qu’il donne. Certes, la lune qu’il espé-rait atteindre n’est pas un astre aussi lointain : il ne s’agit que de la grande coalition. Mais personne ne savait vraiment si le SPD porte-rait si loin son dirigeant. Gabriel a mis à feu le vote des militants comme une fusée porteuse, sans être sûr que le combustible suf-fi rait. La fusée s’est acquittée de

UKRAINE

Le clergé penche vers l’OuestL’“eurorévolution” favorise l’indépendance des Eglises ukrainiennes par rapport au patriarcat de Moscou.

la Pologne ne soit pas contrainte d’adhérer aux accords européens relatifs aux valeurs familiales. Cela signifi e que des compromis sont possibles.

L’opposant le plus farouche aux actions du pouvoir est l’Eglise orthodoxe ukrainienne [EOU] du patriarcat de Kiev, dirigée par le métropolite Philarète. La direction de l’EOU autocéphale et le synode de l’Eglise ukrainienne gréco-catholique affi chent la même position. L’EOU du patriarcat de Moscou se tient en revanche un peu à l’écart de cette unanimité. Et cela se comprend. Le président Ianoukovitch a reçu son soutien lors des élections. Et pourtant, elle préfère aujourd’hui prendre ses distances par rapport à son fidèle enfant. Elle a approuvé l’idée de l’intégration à l’UE et condamne maintenant la violence du pouvoir à Kiev. Ces dernières années, le patriarcat de Moscou a fait des eff orts considérables pour conserver l’orthodoxie ukrainienne dans sa sphère d’infl uence. Les visites répétées du patriarche Cyrille Ier n’ont pas pour but le seul horizon politique. Elles reposent sur la doctrine du “rousskiï mir” [Le monde russe], selon laquelle la Russie et l’Ukraine sont issues des “mêmes fonts baptismaux” et unies par une même culture religieuse qui ne leur permet pas de se séparer. Or voilà que l’EOU du patriarcat de Moscou, la plus importante d’Ukraine, penche pour l’indépendance nationale. Si la conscience nationale de ses membres l’emporte sur l’idée d’unité orthodoxe avec la Russie, elle se rapprochera inévitablement des autres Eglises, qui rêvent depuis longtemps d’une orthodoxie ukrainienne unie et autonome.

Boris FalikovPublié le 16 décembre

sa tâche, avec une poussée d’une force étonnante [76 % de voix favo-rables]. Gabriel s’est posé en dou-ceur, en tant que vice-chancelier, sur la grande coalition, dans la Mare crisium.

Respect. Pour inaugurer cette grande coalition, le SPD peut oublier le chagrin de sa défaite électorale du 22 septembre [25,7 %] et être fier de son référendum interne. On peut cependant se demander si l’approbation des militants a effectivement été affaire de conviction. Car elle tient aussi à la faiblesse du parti, qui n’avait d’autre choix que Gabriel, Steinmeier [nommé ministre des Affaires étrangères] & Cie, et qui redoutait de perdre la face. Le SPD est une formation disciplinée.

Gabriel & Cie, au prix de quelques subtilités et d’eff orts habiles, ont réussi à transformer leur défaite en succès. Cela n’a pas été tant le résultat de leur génie que la conséquence de la constellation complexe dans laquelle Angela Merkel, grande gagnante des élections, s’est retrouvée impliquée [la CDU-CSU obtenant 41,5 %, mais pas de majorité absolue]. Quoi qu’il en soit, Gabriel, ces dernières semaines, a su s’attirer le respect dans son parti et à l’extérieur. Ce qui n’est pas rien,

car depuis longtemps le mot respect n’était plus associé au SPD que pour évoquer son passé. Le référendum interne peut être considéré comme une sorte de test de fi n d’apprentissage pour candidat du SPD à la chancellerie [en 2017].

Il se pourrait que le vote des militants signifi e le début de la fi n du traumatisme lié à l’Agenda 2010 [néolibéral de Gerhard Schröder], même si des protagonistes de l’époque se trouvent encore dans les cercles dirigeants du parti. Peut-être a-t-il aussi sonné l’heure de la fi n des lamentations. Peut-être. En tout cas, Gabriel veut voir dans le référendum interne comme l’événement fondateur d’un SPD rénové. Mais ce n’est pas parce que le temps de son humiliation est révolu que l’on peut déjà parler de renaissance d’un parti.

Pour ce qui est de la constitution du gouvernement, on en est encore aux exclamations de surprise – avec, du côté de la CDU, la nomination d’Ursula von der Leyen, novice en matière militaire, au poste de ministre de la Défense.Quant à Sigmar Gabriel lui-même, il ne se retrouve pas à la tête d’un “superministère” pour le simple fait qu’à l’économie s’est ajoutée la politique énergétique : ne mérite le titre de superministre que celui ou celle qui accomplit un supertravail.

Le référendum des militants a démocratisé en interne le SPD. Il serait désolant que cela porte maintenant atteinte au parlementarisme. Cette grande coalition est beaucoup trop grande pour une saine démocratie parlementaire. Il serait bon qu’elle ne réduise pas les Verts et La Gauche à la portion congrue au Bundestag. Pourvu qu’elle ne mijote pas dans son jus, autrement dit, pourvu qu’au Parlement on ne se contente pas de discourir, mais que l’on se contredise aussi. Quoi qu’il en soit, un Parlement dont la vitalité dépend des bonnes grâces du gouvernement est un Parlement de complaisance.

—Heribert PrantlPublié le 16 décembre

↖ Et maintenant le tournant énergétique, M. le Superministre.Un drone de combat ?Sur la boîte : Référendum interne du SPD.Dessin d'Oliver Schopf paru dans la Süddeutsche Zeitung, Munich

ALLEMAGNE

Le SPD décroche la luneDerrière Sigmar Gabriel, le Parti social-démocrate a transformé sa défaite électorale en victoire, grâce au vote des militants en faveur de sa participation au gouvernement d’Angela Merkel. Cela suffi ra-t-il à le faire renaître ?

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FRANCE36. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

—The Wall Street Journal New York

Vous vous souvenez du tollé soulevé en Europe par le fait que les renseigne-

ments américains espionnaient les internautes et les conversa-tions téléphoniques en temps réel, sans mandat et pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la sécu-rité nationale ? Je plaisante. Les services américains sont loin d’avoir des capacités aussi vastes. Les Français, eux, si, ou du moins

ils sont sur le point de les avoir, dès que Paris se sera doté, l’an prochain, de moyens de sur-veillance numérique considérable-ment renforcés. Une seule chose fait défaut : la levée de boucliers hypocrite qui avait accompagné les révélations, cette année, des

pratiques pourtant bien plus modestes

de l’Agence de sécurité natio-nale (NSA) américaine.

Les mesures annoncées en France vont exiger des presta-taires d’accès à Internet, des opérateurs télécoms et des

fournisseurs de contenu qu’ils transmettent “les communica-tions, les informations ou les docu-ments traités ou conservés par leurs réseaux ou leurs services de com-munication électroniques” quand les autorités l’exigeront. Cela pourrait concerner aussi bien les métadonnées et le contenu des transmissions des utilisa-teurs que l’emplacement phy-sique de leurs appareils.

Les responsables français char-gés de la sécurité peuvent d’ores et déjà avoir accès à une grande partie de ces informations sur les utilisateurs de téléphone et d’In-ternet, mais il leur faut d’abord passer par la justice. Ces nou-velles réglementations prévoi-raient un “accès administratif”, à la demande de plusieurs ser-vices français, accès qui ne serait soumis qu’après coup à une com-mission de contrôle. Certains services clairement définis pour-raient également obtenir les infor-mations directement auprès des opérateurs de réseaux et les récu-pérer en temps réel.

Ces nouvelles mesures sont rat-tachées à la loi de programmation militaire [LPM 2014-2019, adop-tée le 10 décembre]. Mais, mani-festement, le volet de surveillance numérique va bien au-delà des questions de sécurité nationale, puisque non seulement les res-ponsables de la défense, mais également ceux de l’économie et du budget pourraient avoir accès à ces données. Conformément à ces règles, une demande de sur-veillance devrait être “conçue pour rechercher des informations” se rapportant aussi bien au ter-rorisme qu’au crime organisé, mais aussi à la “protection des élé-ments essentiels du potentiel scien-tifique et économique de la France”, ce qui vise, selon nous, l’espion-nage industriel.

En octobre dernier, en réponse à une question sur la NSA, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait lancé : “La sécurité est une exigence, mais elle ne doit pas être garantie à n’importe quel prix, elle ne doit pas porter atteinte aux libertés ni à la vie privée : c’est la position de la France.” Bien sûr.—

Publié le 11 décembre

—De Volkskrant (extraits) Amsterdam

Plus de la moitié des mères françaises qui travaillent le font à plein temps, contre

moins de 20 % aux Pays-Bas. On peut discuter sans fin pour savoir si c’est une bonne chose ou non. Pour certains, les Pays-Bas sont un paradis du temps partiel où les femmes ont la possibilité de voir grandir leurs enfants. Pour d’autres, les Néerlandaises sont des oies sans ambition qui se bri-dent elles-mêmes.

En France, il est considéré comme normal que des femmes puissent s’épanouir professionnellement. Elles y sont nombreuses à être indépendantes financiè rement, ce qui est prudent dans un pays où près de 1 mariage sur 2 se termine par un divorce [contre un peu plus de 1 sur 3 aux Pays-Bas]. “En France, environ 60 % des femmes travaillent, aux Pays-Bas ou en Allemagne ce chiffre dépasse les 75 %”, commente Angela Greulich, maître de conférences en économie à Paris 1. “Mais ce dernier chiffre ne signifie pas grand-chose, car il comprend toutes les femmes qui ont un emploi, même celles qui ne travaillent qu’une heure par jour. Et, lorsqu’on étudie en particulier les mères de jeunes enfants, la France est très bien classée, tout comme les pays scandinaves, car nombre d’entre elles ont un emploi à temps plein.”

Comme les Pays-Bas, la France a un bon système de crèches : environ la moitié des enfants néerlandais vont en crèche, contre 45 % en France. Ces dernières années l’Etat français a peu investi dans les garderies, aussi est-il de plus en plus difficile d’y trouver une place. La solution, c’est l’assistante maternelle, qui est également subventionnée par l’Etat.

Julia Golovanoff est une architecte paysagiste qui réussit à combiner son plein-temps et

sa vie de famille. Elle habite avec son mari et ses 4 enfants à Paris, près de la place Saint-Michel. Elle exprime le point de vue de beaucoup de mères françaises : les enfants c’est formidable, mais j’ai aussi mon boulot. Les Françaises sont-elles moins sentimentales que les Néerlandaises ? “Je n’en sais rien, répond-elle. Une mère qui ne se soucie pas de ses enfants me fait peur. Mais une mère qui s’en soucie trop m’inquiète aussi.”

La France est le pays de la révolution et de l’égalité, où les progressistes se sont toujours démarqués radicalement de la tradition catholique. Cela a éga-lement influencé les idées sur la maternité. Les Françaises, celles, notamment, diplômées de l’en-seignement supérieur, refusent l’idée selon laquelle la mère a une place “naturelle” auprès de ses enfants. L’éducation est éga-lement différente. “A l’instar de Rousseau, les Français croient que l’enfant naît avec une âme vierge. Il doit développer son caractère. C’est pourquoi il faut l’exposer à autant d’influences extérieures que possible. Dans des pays comme les Pays-Bas et l’Allemagne, on pense plutôt que l’enfant naît avec une âme parfaite, qu’il faut protéger le plus longtemps possible du monde exté-rieur”, explique Angela Greulich.

Dans la tradition française, l’éducation des enfants dans les crèches et dans les écoles est éga-lement importante d’un point de vue social. Dans la République tous les enfants sont égaux. A l’école ils reçoivent une éducation pour devenir de bons citoyens, une éducation qui essaie d’aplanir autant que possible les différences sociales. Bien que cette promesse ne soit pas du tout concrétisée – la relation entre origine sociale et résultats scolaires est paradoxa-lement très forte –, elle joue un rôle important dans la politique de l’enseignement et de la famille.

On pourrait donc s’attendre que le plafond de verre soit beaucoup plus facile à briser en France, mais la situation est très décevante de ce côté. “Peu de femmes arrivent jusqu’aux conseils d’administration des grandes entreprises, souligne Angela Greulich. C’est la raison pour laquelle le gouvernement français a annoncé des quotas pour 2016 [40 %], d’après l’exemple norvégien. Le Parlement pose également problème : la France a relativement peu de députées femmes.”

—Peter GiesenPublié le 6 décembre

SÉCURITÉ

Plus fort que la NSA !Après s’être offusquée des programmes d’espionnage électronique américain dans le monde, la France a adopté une loi qui lui permettra de devenir la championne incontestée de la surveillance numérique.

Les services américains sont loin d’avoir des capacités aussi vastes

SOCIÉTÉ

Des mères bosseusesLes Françaises sont nombreuses à cumuler travail à plein temps et vie de famille. Un exemple à suivre pour les Néerlandaises ?

ÉDITORIAL

↓ Dessin d’Eva Vásquez, paru dans El País, Madrid.

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Belgique.Les hommespolitiques ontdroit au respectPas un jour sans qu’ils ne se fassent traiterde profiteurs et d’opportunistes. Pour l’ex-ministre devenue députée régionale flamandeFientje Moerman, la coupe est pleine.

—De Standaard Bruxelles(extraits)

Achaque pays ses parias. En Inde,ce sont les intouchables ; enFlandre, les hommes politi-

ques. En Inde, il existe des lois poursortir les intouchables de leur condi-tion ; chez nous, les lois ne font qu’ag-graver le problème. On en hésiterait àsigner une telle lettre ouverte.

La peur, tous les matins. La peur dece qu’on va trouver dans les journaux,dans lesquels on peut tous les jourss’en prendre à votre réputation sansque vous n’ayez le droit de vous défen-dre. Pas de fumée sans feu, n’est-cepas? Se réveiller toutes les nuits verstrois heures, l’heure à laquelle les jour-naux sont mis en ligne.

La peur de perdre votre popularité,qui est remise en jeu tous les quatre àcinq ans, voire encore plus souvent.Toujours le risque d’être trop jeune,trop vieux, pas marié à la bonne per-sonne, pas né au bon endroit ou n’y ha-bitant pas. Comme un paquet de Bo-nux, dont l’emballage tout neuf finiratôt ou tard dans la poubelle.

La peur en rue, à cause de tous cesfous, qui pourraient être incités pardes spots publicitaires, comme celuid’une chaîne de magasins de vête-ments il y a quelques années, à se faireun homme politique. Avec une penséepour Anna Lindh. [ministre suédoiseassassinée en 2003]

La peur de tomber sur des gens quine font pas la différence entre une fillepublique et une femme qui exerce unmandat public quand vous faites cam-pagne de porte à porte. Toujours trèsamusant.

La peur et la colère quand des gensresquillent devant vous dans la filed’attente d’un magasin. Si vous ouvrezla bouche, c’est un torrent d’injures quisera déversé sur vous. Pour qui vousprenez-vous?

La peur lorsque vous roulez en voi-ture, laquelle est immatriculée au nomde votre partenaire. Peur qu’on dise devous dans l’un ou l’autre tweet quevous roulez trop vite, trop lentement,trop sur la bande du milieu ou de ma-nière trop agressive. Et ne vous avisezpas d’afficher une plaque de parlemen-taire, parce que celle-ci générera en-core plus d’agressivité.

La peur, parce que vous ne cumulezpas et que vous n’êtes qu’un politicienà boîte à tartines. La peur d’être taxéde profiteur sans scrupules dans le cascontraire.

La peur de remplir vous-même votredéclaration d’impôts, parce que voussavez que la cellule fiscale aux prati-ques gestapistes qu’on a créé rien quepour les hommes et femmes politiquesvous cherchera la petite bête, mêmes’il n’y a rien à trouver.

La peur, chaque fois qu’il y a encoreeu un cambriolage avec violences dansvotre quartier, parce que vous ne serezjamais certain que la police ne va pas

mettre un peu plus de temps le jour oùce sera chez vous que cela arrive. Votremaison ressemble dès lors à un campretranché.

La peur quand vous lisez une fois deplus dans le journal que vous êtes tropbien payé alors que vous n’osez riendire quand le plombier, le peintre oul’électricien vous facture bien tropcher ses prestations. “Ceux-là gagnentbien assez d’argent, hein !”

La peur d’exprimer une opinion,quelle qu’elle soit, parce que, si vousêtes dans la majorité, vous êtes sup-posé vous taire, et si vous êtes dansl’opposition, vous devez rester dans laligne du parti. Et à l’extérieur du Parle-ment, il y a toujours le risque d’être at-taqué en justice.

La peur de passer pour un profiteurlorsque vous êtes en mission à l’étran-ger. Celle-là vous fait respecter unagenda qui ferait passer Stakhanov lui-même pour un vulgaire amateur.

La peur quand vous constatez avoiroublié dans votre déclaration de patri-moine quelques dizaines d’euros d’uncompte commun créé il y a 25 ans pourune sortie d’indivision lors du décès devotre grand-père. Heureusement quepersonne ne s’en est rendu compte.

La peur que l’on discrimine vos en-fants parce que vous appartenez à telou tel parti ou, de plus en plus souvent,juste parce que vous faites de la politi-que.

La peur que l’on jette votre vie pri-vée en pâture parce qu’un jour vousavez osé poser pour une photo avec vo-tre mari/épouse/enfant/ami. Ils l’ontbien cherché, hein monsieur, tous cesgens qui veulent toujours occuper ledevant de la scène.

La peur d’avoir commis un jour uneerreur et de passer désormais pour ledébile de service.

La peur domine votre vie. Une peurdiffuse qui ne vous quitte jamais.

Eh bien, chers gens des médias, poli-tologues, publicitaires et autres élec-teurs, vos politiciens en ont marre !Bien entendu, nous ne sommes pas dessaints mais vous non plus. Nous com-mettons des erreurs mais vous aussi.En général, nous ne sommes ni des gé-nies, ni des rois ou des reines de beautémais, chers gens de médias, profes-seurs, journalistes et autres électeurs,vous non plus. Nous sommes les repré-sentants du peuple. Nous incarnons ceque vous êtes et nous tentons de ré-soudre vos problèmes ou ceux quevous pensez avoir. Nous n’attendonsrien de vous si ce n’est de respecter untant soit peu notre travail. Celui-ci estloin d’être parfait mais c’est pareilpour vous. Et comme vous, nous conti-nuons à essayer de faire de notremieux, jour après jour. Pensez-y à l’oc-casion. Sinon vous n’aurez bientôt plusd’hommes politiques mais des pro-duits en solde inodores, incolores etinsipides.

—Fientje MoermanPublié le 11 décembre

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014I.

Page 39: Courrier 20131219 courrier full 20131227 155810

—De Morgen Bruxelles

Qu’on songe par exempleaux propos du producteurde films Peter Bouckaert,

patron de la société Eyeworks,pas plus tard qu’hier dans cemême journal : “Lors d’une projec-tion du film Dossier K, la premièresemaine après sa sortie, quelqu’un aété surpris en train de filmer l’écranavec une caméra haute définition etdeux micros directionnels. Il a étéinterpellé par la police mais a dûaussitôt être relâché. Il bénéficiaitd’une immunité diplomatique” Cen’est là, semble-t-il, qu’un casparmi tant d’autres de diplomateétranger profitant abusivementde son statut.

A l’origine, l’immunité diplo-matique a été créée pour permet-tre aux fonctionnaires en postede pouvoir exercer leurs activitésà l’étranger sans qu’on puisseleur mettre de bâtons dans lesroues. Mais, dans la pratique, elleest invoquée dans bien d’autrescas. Depuis le piratage de filmsjusqu’au non-paiement d’amen-des routières en passant par desabus en matière immobilière.

Selon le sénateur Karl Van-louwe (N-VA), qui vient de de-mander au ministre des Affairesétrangères, Didier Reynders

(MR), des chiffres en la matière,les choses vont de mal en pis. “En2011 et 2012, le service Protocole adû chaque fois régler cinq conflits.Mais cette année nous en sommesdéjà à dix.” Des conflits locatifsqui prennent des proportions ho-mériques par exemple. C’est ainsique l’ambassade de la Républiquedu Bénin a loué pendant plu-sieurs mois un appartement deluxe à Bruxelles. Lorsque le bail apris fin et que les diplomates s’ensont allés vers d’autres cieux, lepropriétaire a retrouvé son bienen état de ruine envahie par lesinsectes. La remise en état deslieux lui a coûté 60000 euros.Des mois de négociations avecl’ambassade n’ont rien donné etimpossible d’assigner les fautifspuisque du personnel d’ambas-sade ne peut être poursuivi.

“La plupart des problèmes se pro-duisent avec des diplomates afri-cains, affirme Karl Vanlouwe. Celan’a aucun sens d’aller en justice. Leseul recours possible est de solliciterune médiation du service Protocoledes Affaires étrangères. Mais l’issued’une telle démarche sera toujoursincertaine et dépendra entièrementdu bon vouloir de l’ambassadeurpour qui les diplomates travaillent.”

Mais parfois les excès vont en-core plus loin. En juillet dernier,

une jeune femme s’est vu déro-ber son ordinateur portable. Lesauteurs ont immédiatement étéinterpellés. L’un d’entre eux s’estrévélé être le fils majeur d’un am-bassadeur africain. Il a dû être re-lâché immédiatement.

Didier Reynders reconnaîtl’existence de ce problème. Soncabinet fait savoir qu’il compteintervenir de manière ferme. LesAffaires étrangères viennent decréer une cellule à part pour trai-ter des problèmes impliquant desdiplomates. Le chef du Protocole,Pierre Labouverie, annoncemême l’instauration d’une tolé-rance zéro. “J’ai averti les ambas-sadeurs que nous ne comptions plustolérer un tel nombre d’abus et qu’ilsdevraient dorénavant être plus vigi-lants.”

Pierre Labouverie insiste sur lefait qu’une nouvelle coopérationentre ses services et la Justice aété mise en place. “Nous avons debons contacts avec les parquets etceux-ci nous transmettent la listedes infractions commises par dupersonnel sous statut diplomatique.Nous obligeons les ambassades àpayer toutes les amendes. Je n’affir-merai pas qu’ils le font dans 100%des cas mais la situation s’améliore.Nous les poursuivons au téléphoneet nous leur envoyons des rappels. Etcette pression continue fait en sorteque les diplomates sont davantageattentifs à ce qu’il n’y ait plus d’in-fractions qui soient commises.”

Les services du Protocole sontégalement attentifs aux affairesde retards dans les paiements deloyer. “Un membre de notre person-nel suit l’ensemble de ces dossiers. Ilcontacte les ambassades concernéeset les invite aimablement à réglerleurs arriérés. Nous ne pouvons pasles y obliger mais elles finissent engénéral par le faire, même si, par-fois, cela peut prendre des années.”

—Jan StevensPublié le 11 décembre

Tolérance zéropour les diplomatesLes diplomates étrangers font de plus en plus unusage abusif de leur immunité. Les Affairesétrangères ont décidé de créer une cellule à partpour traiter le problème.

—De StandaardBruxelles (extraits)

Il serait facile de balayerle cri du coeur de FientjeMoerman d’un revers de

la main, avec des clichés dugenre “Si vous ne supportez pas lachaleur, tenez-vous à l’écart de lacuisine”.

Mais même s’il pèche parmanque de nuances, son plai-doyer ne manque pas de perti-nence en ce qui concerne le rap-port entre les médias et leshommes politiques.

Bien entendu, on pourrait ex-pliquer le fait que les politiques,comme tant d’autres notablesd’ailleurs, sont tombés de leurpiédestal par l’émancipationdes citoyens et la montée del’individualisme.

De plus, en participant à tou-tes sortes d’émissions de diver-tissement, les hommes politi-ques eux-mêmes ont contribuéà cette évolution, et à faire ensorte que l’attention finisse parse porter davantage sur les per-sonnes que sur les idées qu’ellesdéfendent.

Et pourtant, là est le para-doxe, on n’a jamais autant in-formé sur la politique. Les Fla-mands aiment ça. Mais cela vade pair avec une méfiance crois-sante. Et de la méfiance, le pasvers la défiance est vite franchi.La politique a un problème delégitimité. Dans une sociétémondialisée, elle n’a plus prisesur les événements. Elle s’effacedevant cette Europe toute puis-sante face à laquelle ni la Belgi-que ni la Flandre n’ont grand-chose à dire.

Mais cette impuissance vajusqu’à se manifester dans lesgrands dossiers régionaux. Leshommes politiques n’osent plusprendre les devants. Ils n’arri-vent même plus à résoudre unproblème comme celui de lamobilité à Anvers ni à faireaboutir la nécessaire réforme del’enseignement.

Et lorsque les dossiers im-portants sont dans l’impasse oudeviennent trop compliqués àexpliquer, c’est la bourde dujour qui prend le relais. Leshommes politiques n’ont alorsplus que des bricoles pour se

différencier des autres. On dis-cute, sur un ton moralisateur,de problèmes d’indemnités dedépart ou de cumuls (et, dansce rôle de curé, les journalistesne sont pas en reste). On meten exergue tel ou tel petit inci-dent, certainement s’il est mé-diatique ou si un perdant et ungagnant s’en dégagent de ma-nière nette. Et dans cet inciden-talisme opiniâtre, les hommespolitiques et la presse sont deparfaits partners in crime.

Des médias qui tournent 24heures sur 24 doivent être cons-tamment nourris. Les médiasne peuvent pas nier que la révo-lution numérique a modifié leurmodus operandi de manière fon-damentale. Ils portent une partde responsabilité dans le mé-contentement de la classe poli-tique, laquelle peut avoir l’im-pression que le plus petit com-mun dénominateur finitdésormais toujours par l’em-porter sur les nuances.

Tout cela fait que ni le mondepolitique ni les médias n’évo-luent aujourd’hui dans un cadretrès clair et que chacun a désor-mais besoin d’une bonne bous-sole pour s’y retrouver. Chacunde ces deux mondes doit main-tenant décider ce qu’il entendfaire et s’en tenir à la méthodede travail qui en découle. Etainsi, se dessinera, à partir despropres forces de chacun, lenouveau cadre de relations. Cene sera pas encore idéal maiscela devrait rassurer tout lemonde.

Les quartiers généraux despartis rencontrent actuellementtous de gros problèmes de re-crutement. Les carrières sont deplus en plus courtes. Les hom-mes politiques n’ont plus guèrele temps d’acquérir l’expériencenécessaire. Et ce n’est pas l’ana-lyse féroce de Fientje Moermanqui va faire de la publicité pourles carrières politiques.

Bien entendu, il y aura tou-jours assez de candidats pourles postes de députés à pour-voir. Mais si la qualité généralediminue, il ne faudra pas s’éton-ner de ce que l’impuissance dela politique augmente encore.

—Bart BrinckmanPublié le 12 décembre

Un cadre nouveauLa lettre ouverte de Fientje Moerman (voir p.I)manque de nuances mais révèle un réel malaisedans les relations entre médias et monde politique.

↗ Dessin de duBusparu dansLa Dernière Heure

Courrier international – n° 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 II

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

Citoyenneté européenne. Le passeport le plus rentableLa décision de Malte de vendre la nationalité maltaise pour 650 000 euros met en évidence deux vérités essentielles : malgré la crise financière, le passeport européen reste l’un des plus convoités au monde ; ensuite – et c’est une réalité nouvelle –, le capital humain a aujourd’hui autant de valeur que le capital financier.

europe

financières plus globales, créant ainsi un monde où des entreprises comme Google ou Amazon paient un impôt sur les sociétés modique, où qu’elles aillent. L’Irlande a fait florès en la matière.

Aujourd’hui, la nouvelle cible est le capital humain – les gens riches, intelligents et talentueux –, car nous sommes parvenus à créer un monde dans lequel les entre-prises et l’argent peuvent passer les frontières à la vitesse de la lumière, mais où il demeure des obstacles assez importants à la mobilité humaine. En règle géné-rale, les endroits dans lesquels les citoyens du monde développé ont du mal à travailler sont ceux que nous n’avons pas particulièrement envie de visiter. Pour les gens qui n’ont pas eu la chance de naître dans le bon pays, le monde n’est pas du tout un grand village, car l’accès à une bonne partie de la planète fait l’objet de restrictions sévères. Nous voyons le monde depuis notre piédestal ; or il est très différent vu d’en bas.

L’idée que la citoyenneté soit un bien monnayable comme un autre gêne beaucoup de gens. David Hanson, porte-parole de l’opposi-tion pour les questions liées à l’im-migration, explique que le projet maltais “[l]’inquiète profondément”.

“Cela risque de devenir un moyen détourné pour s’installer n’importe où dans l’UE et ce n’est pas une politique migratoire rigoureuse ni appropriée”, a-t-il déclaré au Financial Times. Le projet a toutefois le mérite de la clarté. En effet, il constitue un moyen officiel et légal d’obtenir la nationalité d’un pays, contraire-ment au système en vigueur, qui est capricieux et, en dépit de tous les efforts déployés pour prou-ver le contraire, assez arbitraire. Il pousse également l’Europe à répondre à quelques questions épi-neuses et brûlantes. Par exemple: qui veut-elle attirer et de qui ne veut-elle pas ? Qui souhaitons-nous accueillir et qui préférons-nous garder à distance ?

Aux yeux d’une bonne partie du reste du monde, l’Europe est une success story. Au beau milieu du marasme économique qui frappe actuellement le sud de l’Union, il est bon de s’en souvenir.

—Hamish McRaePublié le 10 décembre

nombre de pays sont très exigeants en matière de visas, en réaction aux contrôles frontaliers aux Etats-Unis ; l’autre, qui prend de l’im-portance, est que les exigences américaines en matière d’impôts et de déclarations coûtent parti-culièrement cher aux Américains de l’étranger. Cela ne concerne encore qu’une minorité d’entre eux, mais le nombre de citoyens américains qui rendent leur pas-seport s’est envolé ces trois der-nières années.

Seconde réalité  : les pays cherchent aujourd’hui à attirer du capital humain autant que matériel et financier. Voilà une génération de cela, les pays se bagarraient pour attirer les entreprises étrangères qui construiraient des usines chez eux et leur offraient souvent des subventions pour le faire. Depuis, ils recourent à des incitations

↙ Dessin de Falco, Cuba.

—The Independent Londres

Pour un citoyen d’origine extracommunautaire, il existe plusieurs façons

d’obtenir un passeport européen. La première façon est que son pays adhère à l’Union européenne, comme l’a fait la Croatie en juillet et comme beaucoup d’Ukrainiens aimeraient que leur pays le fasse. Une autre façon est de braver les flots de la Méditerranée en espé-rant finir par obtenir l’asile poli-tique. Une troisième est de signer un chèque.

Le projet de Malte de proposer la nationalité maltaise moyen-nant 650 000 euros n’est pas neuf. Chypre propose un passeport pour 3 millions d’euros et, ici, en Grande-Bretagne, une procédure permet aux personnes qui y investissent

plus de 1 million de livres la pos-sibilité de décrocher un permis de séjour à durée indéterminée, leur donnant la possibilité d’obtenir à terme la nationalité britannique. D’autres pays européens ont encore d’autres procédures visant à accor-der la nationalité à des gens qu’ils veulent faire venir à eux.

Néanmoins, le projet maltais lancé le mois dernier par le nouveau gouvernement est le plus explicite de tous. Votre dossier sera certes examiné soigneusement, mais la procédure semble assez simple à première vue. Le Premier ministre, Joseph Muscat, explique que le projet est conçu pour séduire des personnes “à forte valeur ajoutée” susceptibles d’investir sur l’île. L’opération devrait attirer jusqu’à 300 personnes par an et un pas-seport initialement délivré à une personne permettra à celle-ci d’en

obtenir d’autres pour sa famille pour la somme de 25 000 euros par tête. Les titulaires seront des citoyens européens à part entière qui pourront voyager et travailler dans n’importe lequel des 27 Etats membres. Tout cela peut sembler un peu intéressé et, d’une certaine manière, ça l’est. Mais cela illustre aussi plusieurs réalités du monde moderne.

La première – et il convient de s’en réjouir – est que le passeport européen est sans doute le plus convoité au monde. Sa version britannique est légèrement meil-leure que les autres parce qu’elle permet de voyager un peu plus librement sans visa, mais les pas-seports suisses et norvégiens ne sont pas mal non plus. Le passe-port américain, en revanche, n’est pas aussi utile, et ce pour deux raisons : l’une est qu’un certain

Personne ne peut expliquer pourquoi la Turquie serait plus européenne que l’Ukraine

Le monde n’est pas du tout un grand village

III.

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EUROPE.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

sociaux-démocrates ou les conser-vateurs d’une élection à l’autre.

En revanche, si l’on considère l’Union européenne comme un lieu où, de plus en plus souvent, sont adoptées des décisions qui portent sur la distribution d’im-portants budgets, sur lesquelles les citoyens souhaitent donner leur avis et réagir en récompensant les dirigeants qui savent satisfaire le désir de la majorité et en sanction-nant ceux qui ne le font pas, alors la tonalité nationale que prennent les élections européennes est bien un problème.

Un problème très semblable à celui que l’on aurait si le Congrès des députés [Assemblée natio-nale] était désigné selon le pro-cessus farfelu décrit plus haut. Comment sanctionner les acteurs politiques européens dont l’action est insatisfaisante, comment sou-tenir ou peser sur les programmes de la politique communautaire si chacun des Européens choisit ses représentants à l’UE en fonction de la popularité de ses élus natio-naux du moment ?

Nul ne peut dire si nous, Euro-péens, saurons “normaliser” nos élections au Parlement euro-péen à moyen ou à long terme. Personnellement, je suis sceptique. Mais, si nous n’y parvenons pas, je crains qu’il ne faille se résigner à ce que l’approfondissement de l’in-tégration politique, que beaucoup jugent aujourd’hui indispensable, passe par la perte de notre capacité collective à décider des politiques qui nous touchent directement.

—José Fernández AlbertosPublié le 12 décembre

participé au moins à deux élec-tions européennes et sur leur évolution en fonction des circons-tances nationales et européennes du moment. J’ai pu constater que la croissance économique dans l’Union n’avait aucune répercus-sion sur le sort électoral réservé aux partis dont sont issus les com-missaires européens ; en revanche, l’état de l’économie dans chacun des pays membres se faisait bien ressentir sur les résultats des partis détenant le pouvoir national. De plus, c’est dans les périodes de crise économique que la nationa-lisation du vote aux européennes apparaît le plus marquée.

Une structure politique unique. Faut-il s’en inquiéter ? On pourrait penser que, puisque l’Union européenne est une struc-ture politique unique en son genre, il n’y a rien d’étonnant à ce que les Européens élisent leurs représentants aux institu-tions européennes d’une façon, elle aussi, unique en son genre. Si l’on considère le Parlement euro-péen comme un simple organe de représentation plurielle des inclinations des citoyens au sein d’un système complexe de prises de décisions dont le contenu est d’intérêt limité pour ces mêmes citoyens, il n’est pas très grave que ses membres soient élus de façon aussi “originale”. Car, en somme, puisque la grande majo-rité des décisions du Parlement font l’objet d’un consensus entre les grands partis politiques, peu importe que les contextes natio-naux favorisent plus ou moins les

présentent ; pendant quelques jours, politiques et “experts” décortiquent le “message” que les citoyens ont voulu “envoyer” au gouvernement et à l’opposi-tion, mais, bientôt, ces parlemen-taires entament leurs va-et-vient entre Bruxelles et Strasbourg, ils forment des groupes politiques avec d’autres députés d’autres pays et prennent des décisions sur des enjeux à propos desquels ils peuvent être parfaitement sûrs que leurs électeurs ne leur demanderont pas de comptes cinq ans plus tard.

Sanc tionner le gouverne-ment en place. Les chiffres sont éloquents. Selon l’enquête réali-sée [en Espagne] pa r le Cent re d’études sociolo-giques (CIS) après les dernières élec-tions européenne, en 2009, seuls 13,7 % des sondés disaient

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ÉLECTIONS EUROPÉENNES 2014

Drôle de démocratieLe scrutin européen est une élection transnationale qui se joue lors d’une campagne portant sur des enjeux locaux et avec des conséquences politiques essentiellement locales. Ce paradoxe est un obstacle majeur pour l’intégration européenne.

↙ Dessin de Mayk, paru dans Sydsvenskan, Malmö.

avoir voté d’abord en fonction de “thèmes en lien avec l’Union euro-péenne et le Parlement européen”, quand 58,6 % reconnaissaient que c’est “la situation politique actuelle de l’Espagne” qui avait le plus pesé dans leur choix.

Selon le même sondage, seul un Espagnol sur trois estimait que, dans les élections européennes, il était plus important de désigner le parti qui détiendrait la majorité à Strasbourg que de récompen-ser ou de sanctionner le gouver-nement de Madrid. C’est comme dans le scénario saugrenu ima-giné plus haut : alors même que nous glissions dans l’urne un bul-letin pour un type d’élection, c’est un tout autre scrutin que nous avions en tête.

Lors de récents travaux, je me suis penché sur les suffrages accor-dés aux partis ayant

—El Diario.es Madrid

Imaginez qu’aient lieu demain des élections municipales. Vous allez évaluer le bilan

de l’équipe au pouvoir dans votre commune et examiner les alterna-tives que représentent les groupes d’opposition, et c’est en fonction de ces analyses que vous irez voter.

Imaginez maintenant qu’en pleine soirée électorale les auto-rités chargées du scrutin fassent cette annonce étonnante : “En raison d’une série d’erreurs informa-tiques, administratives et de commu-nication, les élections qui ont eu lieu aujourd’hui n’étaient pas des muni-cipales, mais des législatives. Nous avons décidé de rassembler les voix réunies par les candidats de chaque parti dans toutes les communes d’une même province et de désigner ainsi des députés au Congrès comme s’il s’agissait d’élections législatives.”

Du grand n’importe quoi, non ? Pourtant, c’est à peu près le prin-cipe des élections au Parlement européen. C’est en fonction d’une analyse exclusivement nationale que les électeurs récompensent et sanctionnent les partis qui s’y

IV

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38. À LA UNE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

LES NOUVEAUX CANONS DE LA BEAUTÉBelle ou laide ? Ronde ou mince ? Maquillée ou naturelle ? Nez refait ou traits assumés ? La beauté est une obsession mondiale. Notre image et notre corps ne nous appartiennent pas tout à fait puisqu’ils obéissent aux diktats d’une société, d’une tradition, d’une religion ou d’une stratégie marketing. Derrière la question : “à quoi ressemblons-nous ?” nous cherchons avant tout à savoir qui nous sommes vraiment. La question de la beauté est politique. Ne plus vouloir se conformer aux critères imposés par la mondialisation (peau claire, silhouette de top model, nez fin, etc.), être

différente, c’est aussi assumer son identité et s’imposer sur la scène internationale (lire ci-contre). Etre palestinienne ou d’origine éthiopienne lorsqu’on est Miss Israël n’est pas seulement une question de tour de hanche (p. 41). Une femme noire défilant sur les podiums des plus grandes fashion weeks mondiales ne défend pas qu’une nouvelle collection printemps-été (p. 40). Une actrice de Bollywood qui ose se montrer avec sa peau foncée déclenche une petite révolution sur les écrans, mais aussi dans les consciences de milliers de femmes (p. 42). —Courrier international

dossier

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Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 39

← La première top model albinos, dans les coulisses de la fashion week de Johannesburg (Afrique du Sud) en 2012. Photo Per-Anders Petterson/Cosmos

Japon●●● Deux jeunes filles regardent la réplique grand format de poupées Barbie dans un magasin de Tokyo. Les photographies de ce dossier font partie de Love Me, un projet de l’artiste Zed Nelson. Pendant cinq ans, il a parcouru 17 pays sur les 5 continents pour comprendre l’obsession de la beauté et sa mondialisation. Photo Zed Nelson/Institute

Un idéal devenu composite Aux Etats-Unis, la lutte pour les droits civiques et la reconnaissance des minorités ethniques ont fait évoluer les canons de beauté. Le reste du monde pourrait suivre.

—The Daily Beast New York

’ai toujours pensé que Miss America était une fille comme les autres et qu’elle évoluait en fonc-tion de l’évolution de la diversité dans le pays”, a confié Nina Davuluri à la mi-septembre, avant de devenir la première reine de beauté d’ori-

gine indienne des Etats-Unis. “En tant qu’Améri-caines d’origine asiatique, nous sommes en train de faire l’Histoire”, a-t-elle poursuivi en faisant allu-sion à Crystal Lee, la Miss Californie 2013, élue première dauphine et qui est d’origine chinoise. Nina Davuluri n’est pas le type de Miss America auquel Julie Chen, la présentatrice de Talk, l’émis-sion de CBS, était habituée. Début septembre, celle-ci a révélé qu’elle avait eu recours à la chirurgie esthétique pour agrandir ses “yeux asiatiques”. La nouvelle Miss America a réagi par ce commen-taire : “Je ne suis pas pour la chirurgie esthétique, mais je peux comprendre son point de vue.”

La référence de Julie Chen était la “fille comme les autres” d’antan – l’idéal de beauté au teint clair et aux grands yeux incarné par les premières Miss America –, référence qui a prévalu dans le monde entier pendant la majeure partie du xxe siècle. Ce type d’Américaines a commencé à voyager à l’étran-ger à la fin du xixe siècle. A cette époque, l’idéal de beauté a connu une homogénéisation spec-taculaire à l’échelle mondiale avec l’arrivée des parfums français (Guerlain, Coty, Channel) sur le marché international, ainsi que nous l’a expli-qué Geoffrey Jones, professeur d’histoire de l’en-treprise à la Harvard Business School et auteur de Beauty Imagined: A History of the Global Beauty Industry (La beauté imaginée : Histoire de l’in-dustrie mondiale de la beauté). “Les canons occi-dentaux de la beauté et l’idée que Paris est la capitale de la beauté se sont répandus dans le monde”, dit-il. Cette tendance a été renforcée par Hollywood, qui a fait appel à des vedettes américaines – majori-tairement blanches – pour la publicité et exporté des films et des émissions de télévision améri-cains. Dans Glamour: A History (Histoire du gla-mour), Stephen Gundle écrit qu’après la première élection de Miss Monde, qui a eu lieu en 1951 au Royaume-Uni, et celle de Miss Univers, organisée l’année suivante aux Etats-Unis, la retransmission à l’étranger des concours de beauté américains a contribué à perpétuer l’idéal occidental de la beauté. “Ce courant d’homogénéisation s’est for-tement développé jusqu’aux années 1980, époque à laquelle la tendance inverse est apparue pour s’in-tensifier plus récemment”, précise Geoffrey Jones.

Cependant, vers le milieu des années 1990, Julie Chen ressentait encore la pression. A 25 ans, alors qu’elle travaillait pour une chaîne d’infor-mation à Dayton, dans l’Ohio, on lui a dit qu’elle ne serait jamais présentatrice du journal télévisé

car le public aurait du mal à s’identifier à elle et parce que ses yeux bridés lui donnaient un air indifférent (la chaîne lui a récemment présenté des excuses). Un important agent d’Hollywood l’a découragée en lui disant : “Je ne peux pas vous représenter à moins que vous ne recouriez à la chirur-gie esthétique pour agrandir vos yeux.” A la suite de ces commentaires, la journaliste s’est fait faire une blépharoplastie, une opération consistant à créer une double paupière. “A partir de là, les choses ont commencé à bouger”, raconte-t-elle tout en recon-naissant qu’elle s’est longtemps demandé si elle n’avait pas “capitulé”. Mais si c’est le cas, six décen-nies de femmes ont capitulé avant elle.

La culture de la consommation et de la beauté ainsi que la technologie médicale de l’Occident ont introduit la chirurgie esthétique dans les grandes villes chinoises telles que Shanghai et Pékin dans les années 1930, rappelle Wen Hua, titulaire d’un doctorat en anthropologie et auteur de Buying Beauty: Cosmetic Surgery in China (Acheter la beauté : la chirurgie esthétique en Chine). “Dans la Chine du début du xixe siècle, les portraits de belles femmes présentent tous des yeux très bridés”, sou-ligne Geoffrey Jones. “A la fin du siècle, les grands yeux étaient déjà très prisés.”

Si Julie Chen incarne un nouvel idéal de beauté est-asiatique, Nina Davuluri ne semble pas jouer le même rôle pour l’Asie du Sud. Depuis qu’elle a été élue Miss America, certaines personnes en Inde

ont suggéré que sa peau était trop sombre pour un concours de beauté dans son propre pays, idée que le journaliste Tunku Varadarajan a associée à une “pigmatocratie”. La préférence de l’Inde pour une peau claire remonte à “des centaines, voire des milliers d’années” et vaut pour toutes les classes sociales du pays, note Nina Jablonski, éminente pro-fesseure d’anthropologie à l’université de l’Etat de Pennsylvanie et auteur de Living Color: The Biological and Social Meaning of Skin Color (Couleur de vie : la signification biologique et sociale de la couleur de la peau) et Skin: A Natural History (Histoire naturelle de la peau). “Cette préférence vient du fait que les gens qui avaient une peau claire n’avaient pas à travailler à l’extérieur et étaient considérés comme jouissant d’une position sociale élevée.” “Avec l’éta-blissement du système de castes moderne, les couleurs – que nous appelons varna en Inde – ont commencé à être associées à des attributs spirituels, explique Nina Jablonski. Les couleurs les plus claires, en particu-lier le blanc, ont été associées aux castes supérieures et aux vertus morales.” Et d’ajouter : “C’est l’une des raisons pour lesquelles les produits qui blanchissent la peau se sont incroyablement répandus.”

Si les Etats-Unis peuvent changer, tous les pays le peuvent. L’idéal de beauté occidental a lente-ment évolué aux Etats-Unis avec le mouvement des droits civiques des années 1960, la décoloni-sation de l’Asie et de l’Afrique, la croissance éco-nomique de pays comme la Chine et l’Inde et le renforcement des droits des minorités : autant de facteurs qui ont engendré ce que Geoffrey Jones qualifie de “beauté composite”. En mars 2011, le magazine Allure a présenté les résultats d’un son-dage effectué auprès de 2 000 Américains des deux sexes, selon lesquels 69 % d’entre eux estimaient ne plus avoir une apparence totalement améri-caine. Bref, le nouvel idéal de beauté occiden-tal n’est plus du tout un idéal. N’est-ce pas beau ?

—Soraya RobertsPublié le 25 septembre

J

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40. À LA UNE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

CORPS SOCIALLes femmes ne sont que le reflet d’une société régie par les hommes. Ce sont eux qui imposent leurs désirs et leurs codes.

—Qandisha Casablanca

e visage découvert, couvert. Civilité ? Soumission ? Il me semble que, si nous voulons comprendre et mieux poser ce débat, il faut que nous partions aussi d’un point fondamental qui consiste à discuter du corps des femmes tel qu’il a été envi-

sagé par la société, en nous posant une question mi-empirique mi-théorique : à qui appartient le corps des femmes ? Un corps couvert et effacé, tel qu’il est représenté dans la photographie de la Yéménite Bouchra Almutawakel [ses modèles disparaissent sous la burqa], ou un corps nu, objet des revendications des Femen. Depuis toujours, le corps des femmes est l’objet d’un traitement très différent de celui des hommes. Recueillant autant de louanges émues quand il est jeune, objet de dégoût en cas de non-conformité par rapport à un idéal de séduction jamais atteint, étalé nu ici, honteusement couvert et recou-vert là, cet “éternel féminin” semble cultiver la contradiction.

Depuis les travaux des champs jusqu’à ceux de l’usine et de la maison, depuis le poids de la culpabilité des désirs “illégitimes” des hommes jusqu’à leur satisfaction même non consentante, la construction sociale d’un corps féminin est tou-jours problématique : compliqué, faible, malade, centré sur ses fonctions reproductrices… Pourtant bon à tout faire, notre corps supporte des assi-gnations qui deviennent à la fois cause et consé-quence du statut inférieur des femmes, de leur dévalorisation symbolique, de leur exploitation et de leur marchandisation.

Qu’on les veuille voilées ou dévoilées, les unes comme les autres dans la rue, dans l’espace public, les femmes sont ramenées à cette dure réalité : elles ne valent qu’en tant que “sexes”, et non en tant que personnes ayant des intérêts et des fonc-tions multiples. Leur corps ne leur appartient pas tout à fait, puisque n’importe quel inconnu peut se permettre d’en commenter les caracté-ristiques ou l’accoutrement. Cantonnées dans ce rôle, réduites à un “sexe”, elles sont à chaque instant susceptibles d’être évaluées, désirées ou agressées par un homme.

Dans le viol, dans la prostitution, dans les films X, dans les mutilations sexuelles, dans l’obligation de se cacher sous un voile, dans les publicités et, tout bonnement, dans la pression constante prônant la beauté, la minceur et la jeu-nesse. C’est toujours la même chose qui est rappe-lée aux femmes : la société, régie par les hommes, a un droit de regard, et même un droit d’usage sur leur corps, à des fins de reproduction ou de guerre, à des fins religieuses ou commerciales.

—Sannaa TakhssaitPublié le 26 août 2013

Ces femmes noires jamais contentesAu nom de la diversité, un styliste américain a fait défiler récemment des danseuses de step, séduit, dit-il, par leur “côté brut”. De quoi exaspérer cette journaliste qui s’insurge contre pareille condescendance.

—Africa is a Country New York

ernier épisode en date de la “fascina-tion pour les Noires” : le styliste Rick Owens a ramené des Etats-Unis cinq troupes de danseuses de step [style de street dance, dans la culture noire amé-ricaine, où l’on frappe très fort avec les

pieds pour marquer le rythme], silhouettes massives, noires pour la grande majorité, pour présenter sa dernière collection. De leurs pas lourds, en rythme, elles ont martelé le podium de la Fashion Week de Paris. Les critiques de la mode se sont extasiés entre deux accolades, qualifiant le show de “puissant”, “provocateur”, “bouleversant”. Pour ma part, je l’ai qualifié de “grand bordel tendance”, ce qui m’a valu d’être immédiatement accusée d’être la femme noire typique. Comprenez : jamais contente.

Il faudrait sans doute que j’accepte tout sans rechigner, comme un chien à qui on jette son “nonos”. Tout accepter, même les trucs avec des vêtements calamiteux, une coiffure cauche-mardesque et une tête furibarde. En réalité, on m’a fait comprendre qu’en tant que Noire je n’ai pas la capacité de saisir où se situe la frontière entre le fascinant et le révolutionnaire. Et, pour être encore plus franche, le véritable message, c’était que les femmes noires n’ont pas leur mot à dire sur ce qui est beau ; leur boulot, c’est de déconstruire les normes de la beauté, et celui des blanches, de les réinventer.

Le styliste explique qu’il a eu cette idée en regardant le show de step dance de ces dan-seuses sur YouTube. “J’ai été séduit par leur côté brut. Elles faisaient un superbe bras d’honneur à la beauté conventionnelle. Elles disaient : ‘On est belles à notre manière.’ Pause. Retour en arrière. Décodage. En d’autres termes, les femmes noires se foutent d’être belles ou, du moins, elles ne cherchent pas à l’être comme les gens normaux. Enfin, comme les Blancs.

Mais voyons, Owens, ce n’est pas ça du tout ! Si nous dominons le marché des extensions de cheveux, c’est justement parce que nous voulons inventer notre propre conception de la beauté. J’aimerais bien qu’il y ait une part de vérité là-dedans, mais, malheureusement, le fait est que les Noires s’intéressent à la beauté autant que toutes les autres femmes de l’univers. En nous retirant cela, on nous rend exceptionnelles, dif-férentes de la plupart des autres femmes, donc plus susceptibles d’être traitées avec condescen-dance – il faut penser pour nous – par de bonnes âmes bien intentionnées mais mal informées.

En parlant de mal informé : Owens est complè-tement à côté de la plaque en matière de culture step – voir le visage crispé, la mine féroce et vio-lente de ses danseuses. Il explique que c’est la norme dans la step dance. Faux ! Dans les groupes de femmes en particulier, il est très rare de cris-per les traits comme ça, parce que ce n’est pas considéré comme joli. J’ai été initiée à la step dance dans une sororité noire de l’université, et nous nous produisions souvent en talons hauts, parce que nous nous considérions comme des dames. Et c’est toujours vrai. J’aimerais bien savoir pourquoi, quand je regarde des vidéos de step sur YouTube, j’y trouve en général un souci de délicatesse et un côté sexy, alors qu’Owens semble n’y voir que des femmes furibondes. Cette insistance à les faire paraître particuliè-rement laides a même désorienté certaines de ses danseuses, à qui il a ordonné de faire cette tête furax alors que ça les mettait mal à l’aise.

Il est naïf de croire que ce défilé représente un tour de force dans la lutte pour la diversité dans la mode. Ces femmes n’étaient pas man-nequins mais danseuses. On ne les verra plus jamais sur un podium de mode, et aucun agent ne les engagera pour la Fashion Week 2014. Elles ne remettront pas plus en cause le manque de diversité dans la mode que des mannequins blancs photographiés sur fond de savane afri-caine. Le plus intéressant dans tout ça, c’est que Naomi Campbell et Iman ont gardé un curieux silence. Ces deux top models noires font partie de Diversity Coalition, une organisation qui, peu avant la Fashion Week, a rédigé une lettre appe-lant à davantage de couleur sur les podiums. Je suis persuadée que, comme moi, la Noire jamais contente, elles ne pensaient pas vraiment à ce genre de défilé lorsqu’elles ont lancé cet appel.

—C.E. CummingsPublié le 7 octobre

DL

Dans les groupes de femmes en particulier, il est très rare de crisper les traits comme ça

SOURCE

QANDISHACasablanca, MarocWebzinewww.qandisha.maLancé fin 2011, ce “‘magazwine’ collaboratif féminin”, comme il se présente, a été fondé par une jeune femme, Fedwa Misk, médecin de formation et journaliste de profession. Ce site, arabophone et francophone, “nourrit l’ambition d’être le porte-voix des femmes actives, intelligentes et citoyennes”. Les sujets abordés sont variés : culture, religion, santé, droit, économie. La rubrique “Le mâle a dit” est faite de contributions écrites par des hommes. Le nom de Qandisha fait référence à Aïsha Qandisha, personnage féminin mystérieux au charme ensorceleur. Une femme libre mais redoutable, capable de mener l’homme à sa perdition. Le site se propose de participer à la lutte contre cette représentation misogyne de la femme indépendante pour conférer à Aïcha Qandisha une image positive.

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Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 BEAUTÉ. 41

sa communauté. Mimas Abdelhai, une Israélienne d’origine palestinienne, hésitait depuis l’an dernier à se présenter au concours. “J’avais peur de prendre la décision et même d’en parler à mes proches”, avoue cette étudiante en administration publique. “Mais la gagnante de cette année m’a encouragée à le faire.”

En porte à faux. Contrairement à Yityish, qui s’est présentée au concours en vue de devenir man-nequin, les motivations de Mimas sont politiques et culturelles. “Miss Israël diffère des concours de beauté des autres pays. Son nom a une connotation sociopolitique, en particulier si la candidate est issue d’une minorité ethnique”, explique-t-elle.

Et pour la minorité palestinienne d’Israël, qui, avec 1,6 million de membres, est souvent qualifiée de “population arabe israélienne”, cette dimension politique est très importante. De par son impli-cation dans un conflit vieux de plusieurs décen-nies, la communauté se trouve en effet en porte à faux, comme Rana Raslan – qui avait décroché le titre en 1999 – a pu le constater. Bien que les Israéliens d’origine palestinienne se soient féli-cités de sa victoire, en particulier dans sa ville

—Ha’Aretz Tel-Aviv

ityish Aynaw, Titi comme l’appellent ses amis, est la première femme d’origine éthiopienne à avoir été élue Miss Israël. Comme toutes les reines de beauté, son couronnement l’a fait passer de l’ombre à la lumière. Mais sa victoire comporte une dimension politique

qui fait souvent défaut dans l’univers superficiel des concours de beauté. La jeune femme étant issue d’un des groupes ethniques les plus margina-lisés d’Israël, certains ont interprété son élection comme un signe de la tolérance israélienne et de l’intégration accrue des Ethiopiens dans le pays.

Pourtant, en l’absence d’un réel changement, son succès risque de s’avérer comparable à une injection de Botox, dont les effets s’estompent rapidement, et la face hideuse de la discrimination pourrait très vite réapparaître. Dans la commu-nauté éthiopienne, beaucoup se sont réjouis qu’une des leurs ait été sacrée reine pour un an. “Pour les gens de la même origine que moi, c’est une source de grande fierté”, observe la nouvelle Miss Israël. Yityish n’a pas seulement motivé les membres de

natale de Haïfa, un grand nombre de Palestiniens des Territoires occupés et d’Arabes des pays envi-ronnants ont violemment réagi contre le concours, une manifestation qui leur inspirait à la fois répul-sion et méfiance.

Répulsion, parce que l’idée qu’une femme arabe soit ouvertement cataloguée “israélienne”, qu’elle porte le drapeau israélien et représente Israël sur la scène mondiale était détestable, en particulier pour des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui continuaient à vivre sous la domination des forces d’occupation israéliennes. Mais Rana a publique-ment reconnu son israélité : “Je suis une Israélienne à part entière et je ne me demande pas si je suis arabe ou juive”, a-t-elle proclamé. Méfiance, parce que les gens craignaient que les autorités israéliennes n’exploitent cette manifestation très médiatisée à des fins de propagande, même si elle ne repré-sentait au fond aucune menace.

Propagande. Il est vrai que Bibi Nétanyahou [Benjamin Nétanyahou, Premier Ministre entre 1996 et 1999 et à nouveau depuis 2009] n’avait pas perdu de temps. “C’est un signe évident de l’égalité et de la coopération qui existent entre les Juifs et les Arabes d’Israël”, a-t-il déclaré à l’époque. Une jurée du concours, Pnina Rosenblum, est allée encore plus loin en disant que c’était la preuve que les Israéliens “veulent une paix réelle”.

Même si de nombreux Israéliens se sont félicités de la victoire de Rana, dans les cercles nationalistes de droite et les milieux religieux, il n’était guère question d’“égalité et de coopération” ou d’“aspira-tion” à une “paix réelle”, ainsi qu’en témoigne un mail d’un fan(anatique) exhortant la reine de beauté à renoncer à sa couronne en faveur d’une Juive.

Face à ces réactions, on peut se demander pour-quoi Mimas Abdelhai, Israélienne d’origine pales-tinienne, souhaite s’aventurer sur le terrain miné de la politique. “[Participer à un concours de beauté] attire l’attention des milieux politiques. Avec cette attention, je crois pouvoir braquer les projecteurs sur des questions qui me tiennent très à cœur”, dit-elle en niant avoir agi au nom de Hope for Change, le parti pour lequel elle s’est investie lors des der-nières élections. Et quelles sont ces questions ? Faire parler de sa communauté et des discri-minations dont elle est victime, représenter sa génération et les femmes en général, mettre en évidence la situation tragique des Palestiniens des Territoires occupés et agir comme une ambassa-drice de la paix et de la cohabitation.

Je doute qu’un concours de beauté puisse avoir une réelle incidence sur la politique, mais il est possible que l’émergence d’une génération plus désireuse de faire entendre sa voix, comme celle de Mimas Abdelhai, bouscule les préjugés et les divisions artificielles. L’atténuation des clivages identitaires pourrait ouvrir la voie à une cohabi-tation pacifique entre Juifs et Arabes.

—Khaled DiabPublié le 9 juillet

Plus qu’un concours, une tribune en IsraëlEt si les Miss devenaient des ambassadrices de la différence ? Cette année, c’est une jeune fille d’origine éthiopienne qui a remporté le concours. A quand une nouvelle Miss Israël palestinienne ?

Iran●●● Elham, 19 ans, et sa mère dans une clinique de chirurgie esthétique. Avec 200 000 patients chaque année, l’Iran est le pays qui enregistre le plus d’opérations du nez au monde. C’est, proportionnellement, sept fois plus qu’aux Etats-Unis. Cette obsession pour l’apparence et l’influence des canons de beauté occidentaux – qui touche les hommes comme les femmes – contrastent avec la morale islamique et l’austérité du régime des mollahs.Photo Zed Nelson/Institute

Y

Miss Israël diffère des concours de beauté des autres pays

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42. À LA UNE Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

être en bonne santé. Il y a des gens que certains considèrent peut-être comme gros mais qui sont en fait très actifs.” Tolu Oniru travaille depuis l’âge de 15 ans et n’aime pas que les gens attribuent sa réussite au seul fait qu’elle est la fille d’un homme riche [la famille Oniru est une grande famille, célèbre à Lagos]. Elle travaille dur, alors vous avez intérêt à la respecter sinon vous vous ferez remonter les bretelles. BlackBerry en main, réunions, appels téléphoniques, séances photo, tournage télé, elle adore négocier de nouveaux projets et réaliser de nouvelles idées. Mais ne vous y trompez pas, messieurs, elle trouve tou-jours du temps pour son chéri. Eh oui, elle est prise, très prise même, ce n’est pas la peine de tenter votre chance.

Elle a passé l’année dernière à dispenser son “charme Toolz” sur les écrans de télévision et à ses admirateurs sur tout le continent. On peut la voir interviewer les plus grands noms de la musique

nigériane à The Juice, sur Ndani TV, ou faire montre de ses talents d’actrice dans The

Island, la nouvelle série télévisée réa-lisée par Bobby Boulders.

“Une sorte de Beverly Hills nigérian, explique-t-elle. C’est très moderne, ça se passe à Victoria Island [quar-tier chic de Lagos], il y a beaucoup de drame, ce n’est pas comme ce qu’on a pu voir jusqu’à présent

à la télévision nigériane.” Ca n’a pas été facile de grandir à Londres avec cette silhouette géné-reuse. Les autres filles rêvaient d’être minces et sautaient les repas pour maigrir, et Toolz avait du mal. Elle était gênée en permanence et dissimulait son corps. “Je portais des manteaux en été, j’avais l’impression d’être un monstre. J’ai toujours

eu les hanches larges, c’est génétique, ça vient de ma mère. Une fois j’ai essayé un régime liquide pendant trois mois. Quand je perds du poids, c’est sur-tout au niveau du ventre. J’ai appris à être à l’aise avec mon corps et à aimer ma silhouette. Quand on s’efforce d’être ce qu’on

n’est pas, on se plante à tous les coups.”

—Onnaedo Okafor Publié en juillet

—Pulse Magazine (extraits) Lagos

lle est intelligente et sûre d’elle, et avec le corps prodigieux qu’elle a il n’est pas éton-nant que Tolu Oniru soit devenue l’exemple même de la Nigériane fière de ses formes. Quand Toolz ne court pas d’une émission de radio ou de télévision à l’autre, elle traîne avec

les célébrités, musiciens, acteurs et prescripteurs de tendance locaux les plus en vue. Tolu Oniru a mis du temps à accéder à la sphère des orobo toh bad [femmes plantureuses et fières de l’être]. De l’écolière dissimulant ses formes au Royaume-Uni à la championne de la cause des femmes, à la radio et à la télévision, permettez-nous de vous présenter la superbe Toolz.

Quel est son argument de vente ? Gros, c’est beau. Et ces jours-ci, la culture pop donne à fond dans les divas aux formes généreuses, de Oprah Winfrey à la chanteuse Jill Scott, en passant par l’humoriste et actrice américaine oscarisée Mo’Nique. Bootylicious, de Destiny’s Child [“Délicieux derrière”, titre d’une chanson du groupe de variétés américain] Baby Got Back, de Sir Mix-A-Lot [MC améri-cain], et bien sûr You Bad, de Wande Coal [star de la chanson au Nigeria] : toutes ces odes aux femmes ayant des formes se vendent comme des petits pains.

Cela dit, être bien en chair peut être difficile car les kilos supplé-mentaires ont en général des conséquences à long terme pour la santé si on ne s’en occupe pas correctement. Le plus important, c’est d’être en bonne santé, explique Toolz. Et le bonheur, c’est bien sou-vent le résultat d’un mode de vie sain : “Je ne suis pas du matin, donc faire de l’exer-cice le matin, ça me réveille. Je suis moins vaseuse et plus heu-reuse.” Elle essaie de faire au moins trente minutes d’exer-cice par jour – cross training ou course sur tapis roulant, parfois kick boxing. Alors n’imaginez pas une seconde qu’elle ne travaille pas dur pour avoir cette silhouette, mesdames. La beauté, c’est beaucoup de travail, tous ceux qui sont dans la mode et la beauté vous le diront.

“C’est une erreur de croire que si on est maigre on est en bonne santé. Ce qu’il faut, c’est s’accepter, accepter son corps et

LA REVANCHE D’UNE RONDETolu Oniru a grandi à Londres, honteuse de ses formes. Aujourd’hui, la star nigériane des médias est devenue le symbole des orobo toh bad, ces “femmes plantureuses et fières de l’être”.

PRISE DE CONSCIENCEDepuis quelques années, la presse indienne essaie d’en finir avec les préjugés liés à la pigmentation. En 2010, l’édition indienne de Vogue faisait sa une sur “l’aurore des beautés crépusculaires”. C’est en effet ainsi que l’on décrit les personnes, des femmes le plus souvent, à la peau foncée. Le magazine consacre son numéro d’octobre 2013 à “la magie noire” et met en avant la beauté des mannequins et actrices “foncées”. Quelques mois plus tôt, l’actrice Nandita Das lançait la campagne “Dark is beautiful”.

En 2012, l’opinion avait été choquée par l’arrivée sur le marché de produits censés blanchir le sexe des femmes. L’hebdomadaire Open avait consacré un dossier entier à cette question et aux risques sanitaires que les femmes prenaient pour se conformer à des diktats absurdes sur la beauté.

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ALLEMAGNEFAB FORTIESwww.fabforties.deJanne et Irit ont la quarantaine passée et ont créé ce blog parce qu’il n’y avait jusqu’ici pas de site pour les femmes “comme [elles]”. Dans FabForties, le “blog pour les fabuleuses femmes de plus de 40 ans”, elles écrivent sur la vie, le couple, les amitiés et sur les produits de beauté, crème antiâge, maquillage et crèmes soins de peau – mais exit les vernis à ongles brillants, “ce n’est plus de notre âge”. Un blog mis à jour au quotidien avec beaucoup d’humour.

ZIMBABWEHER ZIMBABWEwww.herzimbabwe.co.zwPremière plateforme média pour les femmes du pays, Her Zimbabwe veut “encourager les débats et les discussions et aider à la construction d’une identité féministe et féminine” dans ce pays d’Afrique australe. On y parle autant de viols, du sida et des rapports hommes-femmes que de mode et de beauté. Her Zimbabwe encourage une affirmation de la beauté “indigène”, noire, dans un pays où l’influence “néocolonialiste” est avant tout une question politique.

ITALIELE CORPS DES FEMMESwww.ilcorpodelledonne.net Créé par Lorella Zanardo et né comme un prolongement de son documentaire éponyme, Le corps des femmes est un blog résolument féministe qui s’applique à dénoncer les mises en scène dégradantes subies par les femmes. Il est suivi par plus de 6 millions d’internautes. M

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↑ Dessin de Mix & Remix paru dans Le Matin-Dimanche, Lausanne

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Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 BEAUTÉ. 43

Parmi tous ces adultes, rares sont ceux qui ont directement demandé leur avis aux pre-mières personnes concernées. Une journaliste de Slate, Katy Waldman, a donc interviewé une star du genre âgée de 14 ans et qu’on pourrait qualifier de “courageuse” ou de future vedette de la télé-réalité.

“Je vous autorise vous et le magazine Slate à parler de mes fabuleuses vidéos et de l’incroyable personne que je suis”, nous fait-elle savoir. Un peu plus tard, au téléphone, elle nous explique avec enthousiasme que poster cette vidéo a été “l’une des meilleures décisions de [sa ] vie”. “Aujourd’hui, je suis plus connue à l’école”, explique-t-elle, avant d’ajouter que sa vidéo a été vue près de 20 000 fois.

Jouer à la star. Interrogée sur les commen-taires cruels qu’elle a pu recevoir, elle les écarte d’un revers de la main. “Je sais que je suis super-belle. Du genre canon. Du coup, j’en ai rien à faire de ce que les gens pensent.” Quand on lui demande pourquoi elle s’est donné la peine de faire cette vidéo si les réactions des autres ne l’intéressent pas, elle répond qu’elle voulait seulement “voir ce que les gens diraient”.

Son témoignage laisse entrevoir une explication insoupçonnée à la démarche de ces jeunes filles. Et si ce n’était pas l’ennui ou le désir de se faire du mal qui animait ces adolescentes, mais une volonté de se frotter à la célébrité ? Les auteurs de ces vidéos ne font, en un sens, que “jouer” à la star. Après tout, toutes les célébrités ont leurs détracteurs. Les célébrités en parlent dans leurs interviews, s’en plaignent sur Twitter, leur consacrent des chan-sons. De même que les petites filles “jouent” à la ménagère pour imiter les adultes, les adolescentes qui postent ces vidéos s’exposent volontairement à la critique pour augmenter leur “popularité” à l’école ou sur Internet. Etre un objet de détesta-tion pour certains est devenu une preuve de statut social, même si cela peut être lourd à porter sur le plan émotionnel.

Faire fi de ses détracteurs est à la fois une stra-tégie de survie et un rituel culturel. Nous sommes tous confrontés à des personnalités tyranniques dans notre vie privée. Mais les formes de haine et de détestation entre inconnus se multiplient sur Internet [phénomène en vogue, ils sont appelés les haters] : mépriser les critiques est devenu une sorte de passe-temps, un talent à cultiver. Les petites phrases sur les haters sont un genre à part entière qu’on retrouve sous toutes les formes sur le réseau Pinterest [ou Twitter]. Les guides de survie contre les haters se vendent comme des petits pains. Les vidéos POU pourraient donc s’apparenter aux pre-mières armes d’une interminable bataille contre les aigris de tout poil.

—Maureen O’ConnorPublié le 30 octobre

—New York Magazine New York

l est tellement courant de juger de la beauté des jeunes femmes – dans une conversation, sur Internet, à la télévision, ou même lorsque le président remet des distinctions – que la pratique est devenue un passe-temps dans notre pays. La bienséance voudrait que les

femmes ne répondent pas à ces commentaires. Une femme jugée belle peut se montrer “flat-tée” par des commentaires positifs, mais la politesse voudrait qu’elle change rapidement de sujet. Considérée comme laide, une femme peut critiquer le système, se retirer pour se refaire une beauté ou simplement disparaître. Dans tous les cas, la femme s’efforce de pré-venir ce jugement et cette évaluation, soit en les évitant, soit en les détournant. Il faudrait être folle pour rester simplement là, sous les regards scrutateurs – folle ou bien adolescente.

Sur YouTube, les vidéos Am I Pretty or Ugly ? [Suis-je belle ou moche ?], où des adolescentes s’exposent volontairement aux critiques les plus brutales, suscitent tour à tour effarement et fascination dans le monde des adultes. Le phénomène a d’ailleurs inspiré nombre d’ar-tistes se présentant dans des vidéos sous les traits d’adolescentes. Celle de la Britannique

Louise Orwin, intitulée Pretty Ugly, a été pré-sentée lors d’un festival féministe à Londres. “J’ai été abreuvée d’insultes. Des gens me disaient d’al-ler me faire foutre ou d’aller crever, explique l’ar-tiste au magazine Wired UK. [Un jour ], je me suis réveillée et j’ai lu toutes ces injures et ça m’a vrai-ment fait mal au cœur. J’ai dû me faire violence pour me rappeler qu’il ne s’agissait pas de moi mais de mon personnage.”

Mais alors qu’en est-il des jeunes adolescentes qui postent ces vidéos et posent sérieusement la question : “Me trouvez-vous belle ou laide ?” Elles ont déjà fait des recherches sur ce genre de conte-nus “Pretty or Ugly ?”(POU en langage Internet abrégé) ; elles sont allées voir les concours de beauté sur Instagram [site de partage de photos]; elles savent que les commentaires sont toujours des torrents d’obscénités. “Ces jeunes filles sont-elles donc si courageuses ?” se demande Louise Orwin sur son blog. D’autres théories d’adultes évoquent une “nouvelle forme d’automutila-tion”. Une manière de s’offrir à une foule déchaî-née pour avancer dans sa quête d’identité. Pour certains, il s’agit tout simplement d’inconscience ou d’ennui. Ils y voient une version externalisée et dramatique de l’obsession de ces jeunes pour leur image ou une nouvelle façon de comparer ses défauts avec ceux de ses amis.

YouTube,mon beau miroir “Belle ou moche ?” C’est la question que posent des milliers d’adolescentes aux internautes en postant des photos ou des vidéos. Une nouvelle mode qui frise l’autoflagellation et déchaîne la haine.

Royaume-Uni●●● Miss Essex pleure après avoir perdu le concours de Miss Angleterre. Au terme de son projet Love Me, le photographe écrivait : “Nous confrontons notre estime de nous-même avec l’image que l’on nous renvoie. Les conséquences psychologiques et émotionnelles peuvent être une vraie torture.”Photo Zed Nelson/Institute

“Je suis super-belle. Du genre canon. Du coup, j’en ai rien à faire de ce que les gens pensent”

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44. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

trans-versales.

sciences

→  Dessin de David Bromley (Australie) pour Courrier international.

Apprenti sorcier et écolo ?Géo-ingéniérie. David Keith est un pionnier des techniques de modifi cation du climat à l’échelle planétaire.Pourtant, il est pleinement conscient des risques que cela comporte.

Médias ........... 46Signaux .......... 47

n’importe quoi, pour refroidir la planète, pourrait ne laisser que peu de solutions. Si ce jour arrive, estime-t-il, mieux vaut savoir ce que l’on fait.

Un soir, un mois après les inondations de Calgary, David Keith assistait à un forum de géo-ingénierie de l’Institut de technolo-gie du Massachusetts (MIT), dans la ville de Cambridge, à deux pas de Boston. Il a quitté son poste à l’Institut de politique énergétique de l’université de Calgary en 2011 pour venir travailler à l’université Harvard [située elle aussi à Cambridge].

Des idées controversées. Depuis, David Keith est devenu une équipe de géo-ingénieurs à lui tout seul. Outre l’enseignement, l’écriture, les conférences et congrès scientifi ques en des lieux loin-tains, il assure la direction d’une start-up. L’entreprise a pour but de construire et d’exploiter des “nettoyeurs” géants conçus pour retirer le dioxyde de carbone de l’air. Elle revendra le gaz à des entreprises du sec teur de l’énergie qui l’utilisent pour aug menter la pression de certains puits de pétrole et en extraire de l’or noir diffi cilement accessible – le gaz sera ensuite enterré sur place. Ces entreprises pourront également donner le CO2 en pâture à des algues conçues pour le transformer en biocarburant.

Autre idée, bien plus controversée, que David Keith veut tester  : pulvériser un nuage de particules d’acide sulfurique dans la stratosphère pour réfl échir la cha-leur du Soleil et la renvoyer dans l’espace, l’empêchant ainsi de réchauff er la Terre.

A la fi n des années 1980, David Keith poursuivait son doctorat en physique expérimentale au MIT. Mais il commençait à trouver que le domaine qu’il avait choisi ne touchait aucun “grand problème du monde réel”. C’est à cette époque qu’il a commencé à lire des choses à propos de la géo-ingénierie.

En 1991, refusant un poste en physique des lasers à l’Institut de technologie de Californie, il s’est lancé dans un postdoc-torat en politique climatique à l’université Carnegie Mellon, à Pittsburgh. Cette année-là, le Pinatubo explosait aux Philippines. L’éruption a tué des centaines de personnes et rejeté 20 millions de tonnes de dioxyde de soufre dans l’atmosphère. Les tempé-ratures mondiales ont chuté d’environ 1 degré Fahrenheit [0,55 °C] pendant deux ans. En 1992, dans un article intitulé “A Serious Look at Geoengineering” [Prendre la géo-ingénierie au sérieux], il a proposé plusieurs options dont celle du soufre stra-tosphérique.

En dehors du monde de la politique climatique, personne n’a accordé beaucoup d’attention à l’article. Le scientifique a continué à travailler à d’autres projets liés au climat. En 2004, il a rejoint l’université de Calgary. Et là encore ses textes sur les “solutions de secours” pour refroidir la planète ont pris la poussière sur les étagères.

—The Boston Globe (extraits) Boston

Au mois de juin, David Keith, spé-cialiste du climat, et ses voisins de Calgary, dans la province d’Alberta,

au Canada, retiraient la moquette et les plaques de plâtre des murs de leurs maisons. Encore une fois. En 2005, l’“inondation du siècle” avait pulvérisé les records de la ville. Or l’inondation de 2013 a été encore plus violente : 100 000 habitants ont dû aller se réfugier dans des zones élevées [Calgary est située en altitude, à proximité des Rocheuses].

Pour David Keith, deux inondations du siècle en moins de dix ans, c’est beaucoup. Et c’est plutôt ironique quand on sait que Calgary, troisième ville du pays, est le centre névralgique de l’industrie pétrolière canadienne.

Les appels internationaux à des réduc-tions massives des émissions de dioxyde de carbone se sont multipliés –  le CO2 piège les radiations solaires dans la basse atmosphère, contribuant ainsi à l’effet de serre. Mais les émissions mondiales continuent d’augmenter. Cette inertie ainsi que le sentiment d’urgence croissant dans le monde scientifi que ont poussé David Keith à s’engager corps et âme pour l’expérimentation dans le monde réel de

techniques parfois drastiques visant à refroidir la planète.

La géo-ingénierie, qui rassemble des techniques semblant tout droit sorties de Star Trek, est

longtemps restée un gros mot dans le monde des spécialistes de l’environnement. Mais les émissions de dioxyde de carbone augmentant et

les forces politiques ayant peu de pouvoir à l’échelle

mondiale, David Keith a fini par se consacrer à temps plein

à son cheval de bataille. Et il a sorti début novembre un livre : A Case for Climate Engineering [Plaidoyer en faveur de l’ingénierie climatique, non traduit en français].Pour les sceptiques, la géo-ingénierie est une arrogante hérésie qui ne peut que se retourner contre nous. Dav id

Keith salue l’existence d’un débat, mais il en a

marre qu’on le prenne pour un inconscient. Manipuler

le climat pré sente de réels dangers, il le sait. Mais s’obstiner à ignorer le problème en comporte

selon lui encore plus. Et si l’on ne fait rien, le réchauff ement

climatique pourrait un jour être tel que l’urgence d’agir, de faire quelque chose,

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 45

“Est-ce que je pense que [la géo-ingénierie] créera de nouveaux problèmes qu’il faudra résoudre ? Oui, bien sûr.”

moyen facile d’échapper au réchauff ement climatique – notamment les électeurs, qui n’ont pas envie de payer plus cher leur essence, de changer leurs ampoules, ou de subir le choc économique que causerait sans nul doute une réduction radicale des émissions de CO2, nécessaire selon de nombreux scientifi ques. Du reste, le dioxyde de carbone persistant dans l’atmosphère, il faudra peut-être un siècle avant de ressentir les bénéfi ces de la réduction des émissions sur le climat. Pas facile de demander aux gens de se sacrifi er aujourd’hui pour leurs arrière-petits-enfants. Aussi beaucoup craignent que la géo-ingénierie ne sape complètement la volonté politique de réduire les émissions.

C’est une crainte que David Keith partage. Il l’évoque presque chaque fois qu’il écrit sur la géo-ingénierie ou qu’il en parle : il explique qu’il ne s’agit que d’une rustine, d’une solution provisoire que nous voudrons peut-être utiliser pour maintenir le navire à fl ot pendant que nous eff ectuerons les vraies réparations.

“Est-ce que je pense que [la géo-ingénierie] créera de nouveaux problèmes qu’il faudra résoudre ? Oui, bien sûr.” Mais il ne pense pas que cela justifi e de rester les bras croisés quand la calotte polaire fond et que des petites nations insulaires disparaissent sous la montée des océans. “En politique climatique, souvent, les représentants du monde académique partent du principe naïf qu’il faudrait connaître toutes les réponses avant de prendre une décision”, raconte David Keith lors du forum du MIT. “Mais la réalité, c’est que nous prenons des décisions chaque jour, en agissant ou en n’agissant pas. Dans notre domaine, il n’y a pas de certitude.”

— Chris BerdikPublié le 20 octobre

“commercialement viable” pour nettoyer l’atmosphère des gaz à eff et de serre. La même année, Bill Gates a créé un fonds de recherche sur le climat et la géo-ingénierie – qui fi nance à hauteur de quelques millions de dollars par an le travail de David Keith et de Ken Caldeira, un chercheur de l’Institution Carnegie pour la science qui étudie l’acidifi cation des océans et eff ectue des recherches en géo-ingénierie avec des modèles informatiques. Le fonds soutient également d’autres projets choisis par les deux scientifiques. Et Bill Gates a par ailleurs investi dans la société de David Keith.

Pour certains, le fait que des milliardaires, des entrepreneurs du domaine militaire et des fabricants d’armes apocalyptiques soient en train de discuter de la manière de contrôler le climat est une raison suffisante de redouter la géo-ingénierie et s’y opposer. Les amateurs de la théorie du complot se disent que David Keith, avec ses intérêts dans les aff aires de Bill Gates, fait probablement partie de “la clique secrète des géo-ingénieurs”. Le chercheur reçoit des tonnes d’e-mails et de cartes postales adressées au “Docteur David ‘Folamour’Keith”, qui l’accusent d’aider le gouvernement à pulvériser secrètement de l’aluminium, du baryum, du magnésium et d’autres métaux dans l’atmosphère, pour contrôler le climat, les populations et les esprits. Il s’est même fait menacer de mort à deux reprises. Pendant une interview, il passe des extraits de messages vocaux qu’il a enregistrés pour la police. “Vous êtes un sale, sale, sale, sale, sale menteur !” lui crache un homme. “Les géo-ingénieurs sont la pire engeance jamais créée.”

Cela étant, on en est droit de s’inquiéter du fait que certains adoreraient trouver un

David Keith estime qu’au vu des ravages engendrés par le réchauff ement climatique, les dirigeants du monde seront prêts à appuyer sur le bouton de la géo-ingénierie en 2020. “Si l’on est réaliste, conclut-il, pour commencer en 2020, nous aurions dû nous mettre à la recherche il y a dix ans.”

D’aucuns craignent que de telles expériences dans le monde réel, même si elles restent limitées et si elles sont très bien planifiées, ne nous fassent glisser sur la mauvaise pente d’une intervention à grande échelle. “Les tests à petite échelle paraîtront toujours insuffi sants, et certains feront pression pour passer rapidement à de grandes interventions”, avertit dans un rapport de 2009 le Groupe ETC, une organisation canadienne à but non lucratif spécialisée dans le développement durable et la conservation. “Ce schéma est celui de l’histoire des cultures génétiquement modifi ées et des armes nucléaires.”

Cette année, pour tenter d’apaiser ces craintes, David Keith a coécrit un article, paru dans la revue Science, dans lequel il propose que toutes les recherches à petite échelle soient accompagnées d’un moratoire international sur la pulvérisation à grande échelle de soufre dans la stratosphère. “Ceux qui pensent que la géo-ingénierie fonctionnera parfaitement et ne présente aucun risque sont des fous”, s’insurge-t-il. Pour lui, il ne s’agit pas d’une simple analyse des coûts et des bénéfices. Mais d’un engagement personnel. A Ottawa, David Keith et son père allaient souvent faire du canoë, observer les oiseaux et chasser. Après l’université, il a fait une année de pause pour explorer les zones sauvages depuis le désert de Californie jusqu’au Haut-Arctique. Il a passé quatre mois à étudier les morses avec des scientifi ques, première d’une longue série de grandes excursions dans la nature. Il explique que ces expériences ont éveillé en lui une forme d’attachement primaire à la nature, un sentiment qu’il n’hésite pas à appeler amour.

Les débats sur le changement climatique, qui se focalisent sur les villes inondées, les dégâts sur les cultures et les extinctions massives d’espèces, négligent selon lui cette motivation profondément ancrée en nous, qui nous pousse à agir d’urgence.

Menaces de mort. Après la publi-cation de l’article de Paul Crutzen, l’argent a commencé à affl uer. En 2007, le milliardaire britannique Richard Branson a lancé le Virgin Earth Challenge : un prix de 25 millions de dollars [18 millions d’euros] pour récompenser la meilleure technique

En août 2006, un autre article de géo-ingénierie a tout changé. L’important n’était pas tant ce qu’il disait, mais qui le disait : son auteur, le Néerlandais Paul Crutzen, avait reçu le prix Nobel de chimie. Du jour au lendemain, on parlait de géo-ingé-nierie, ouvertement et partout. Pendant les quelques années suivantes, plusieurs grandes conférences scientifi ques furent organisées pour savoir s’il fallait venir en aide au climat, et si oui quand et comment. D’infl uents groupes de réfl exion et instituts scientifi ques lancèrent des appels pour que des recherches soient entreprises.

Mais en jouant aux apprentis sorciers avec le climat, on risque d’avoir de désagréables surprises – peut-être plus graves encore que les problèmes prévisibles du réchauff ement climatique. Que se passera-t-il si la géo-ingénierie altère radicalement les moussons en Asie du Sud-Est ou provoque de vastes sécheresses en Afrique ? Si elle voile soudain la lumière du Soleil sur de grandes zones de terres agricoles ? Qui contrôle le thermostat de la Terre ? Que faire si nos interventions engendrent la misère dans un pays qui possède l’arme nucléaire et qui exige par exemple l’arrêt des pulvérisations ?

David Keith, comme d’autres partisans des tests, pense que nous ne connaîtrons jamais la réponse à toutes ces questions, mais que la seule façon de répondre à nombre d’entre elles est de réaliser des recherches dans le monde réel et d’engager des discussions internationales sur la gouvernance de la géo-ingénierie – sur les règles et les réglementations qui guideront les recherches à venir sur les solutions climatiques et leur éventuelle mise en œuvre. Les décisions que l’on prend en temps de crise, en l’absence d’informations suffi santes, sont généralement mauvaises, rappelle-t-il.

BiographieDAVID KEITH EN QUELQUES DATES1991 Postdoctorat en politique climatique à l’université Carnegie Mellon (Pittsburg).1992 Publie un article intitulé “A Serious Look at Geoengineering” (Prendre la géo-ingénierie au sérieux).2007 Bill Gates fi nance son travail sur la géo-ingénierie.2009 Elu par Time Magazine sur sa liste des “héros de l’environnement”.2011 Vient travailler à l’université Harvard.2013 Publie l’ouvrage A Case for Climate Engineering (Plaidoyer en faveur de l’ingénierie climatique, non traduit en français).

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TRANSVERSALES46. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

AUNG SAN SUU KYI SUR FRANCE CULTURE

SAMEDI 21 DÉCEMBRE / 12H45-13H30

ENTRETIEN EXCEPTIONNEL AVEC CHRISTINE OCKRENT DANS AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en partenariat avec

Écouter, réécouter et télécharger

sur franceculture.fr

—Novoïé Vremia Moscou

Le pouvoir construit délibé-rément et méthodiquement un système dans lequel tout

ce qui en vaut la peine, que ce soit le business ou certains actifs poli-tiques, est capté par l’entourage de Vladimir Poutine. Ces personnes sont peu nombreuses car, dans le cas contraire, Poutine aurait du mal à les contrôler.” C’est ainsi que le politologue Dmitri Orechkine commente la vente de toutes les actions de la holding ProfMedia. Composée de trois chaînes de télévision (2x2, Piatnitsa  ! et TV3) et de quatre stations de

radio, dont Avtoradio, écoutée dans 1 300 villes de Russie et des pays voisins, elle sera vendue par la société Interros, de Vladimir Potanine, à la société Gazprom-Media, qui possède trois chaînes de télévision (NTV, NTV Plus et TNT) et cinq radios, dont Echo de Moscou.

Jusqu’à très récemment, le marché des médias russes était officiellement détenu par cinq grands acteurs. L’Etat était repré-senté par la holding VGTRK (soit quatre chaînes fédérales, cinq stations de radio et plus de 80 télé visions et radios régionales) et la première chaîne nationale

(Perviy Kanal), dont 51 % des actions sont détenues par des structures étatiques. Le secteur privé et quasi privé est représenté par Gazprom-Media Holding, Natsionalnaïa Media Grouppa des frères Kovaltchouk, STS Media (dont le plus gros action-naire est le suédois Modern Times Group, avec 38 %) et ProfMedia, de Vladimir Potanine.

Mais cette diversité n’est qu’illusoire. Dans les faits, à l’exception de la holding d’Etat VGTRK, tous ces holdings sont, d’une façon ou d’une autre, liés à des entités contrôlées par Iouri Kovaltchouk, principal action-naire de la banque Rossia. Les schémas d’actionnariat sont, comme d’habitude, très com-plexes, et partout les amis de Poutine ont au minimum une minorité de blocage.

A la suite de cette vente, annon-cée le 26 novembre, Gazprom-Media deviendra propriétaire de toutes les chaînes de télévision et de radio de ProfMedia, ce qui place Gazprom-Media sur un pied d’égalité avec le plus gros holding d’Etat VGTRK, estime Anna Katchkaeva : “L’audience du nouveau géant est maximale à la fois selon les critères d’âge, de catégorie sociale et de niveau de politisation de l’audience.” Le point clé de la stratégie de l’empire des Kovaltchouk consiste à élargir l’audience et, ce qui est peut-être plus important, à contrôler les yeux et les oreilles de ce nouveau public. Selon TNS Russie, plus de 40 % des téléspectateurs de STS Media et de ProfMedia sont âgés de moins de 34 ans.

Et puis, qui dit nouvelle audience dit nouveaux revenus publicitaires. Grâce à l’absorp-

tion de ProfMedia, la part totale des revenus publicitaires des chaînes qui vont être réunies au sein de Gazprom-Media passera de 26,29 % à presque 32 %. Alors, bien entendu, se pose la question de savoir comment l’apparition sur le marché d’un tel monstre rassemblant 60 % des téléspec-tateurs et presque 80 % de toutes les recettes publicitaires peut être conforme à la législation antimonopole. Au sein du Service fédéral antimonopole, personne n’a pu répondre explicitement. Les experts indépendants sont sûrs que les frères Kovaltchouk n’ont pas de soucis à se faire. “Nombreux sont les actifs qu’ils ne possèdent pas directement : il y a une structure pour STS, une autre pour la première chaîne, une troisième pour Gazprom-Media”, fait savoir l’analyste des médias Vladimir Borodine.

Concurrence. Ces experts s’accordent également pour affi r-mer qu’il n’y a pas de limitation de la concurrence, même si les chaînes de TV fédérales sont, de facto, entre les mains d’un seul groupe. “Il n’y aura violation de la législation que si les partenaires commencent, une fois l’accord négo-cié, à éliminer leurs concurrents, c’est-à-dire à abuser de leur posi-tion sur le marché.” S’il y a abus de position, c’est seulement dans le domaine du “lavage de cerveau”. “Sur le contenu, il n’y aura même rien à changer, ironise Dmitri Orechkine. Il suffi t de continuer à alimenter l’audience en médiocri-tés, de la distraire et de ne pas lui donner d’information superfl ue.”

Aucun expert ne doute que la transaction ait été entéri-née par le président Poutine

↙ Dessin de Tiounine, paru dans Kommersant, Moscou.

MÉDIAS

Des ondes à la solde de PoutineAudiovisuel. La société Gazprom-Media vient d’acheter ProfMedia, éliminant l’un des cinq acteurs du marché des médias russes et captant 60 % de l’audience et 80 % de la publicité.

personnellement. “Quand des proches du Kremlin réalisent de telles transactions, il faut tou-jours se demander ce qu’ils doivent rendre comme service et résoudre comme problème d’ordre poli-tique en échange de l’approbation du pouvoir”, fait remarquer le di recteur de la société Nikkolo M, Igor Mintoussov. Et quelles tâches de haute importance les Kovaltchouk ont-ils réalisées pour pouvoir acheter les actifs de Potanine dans les médias, au prix [très dévalué] de 1 mil-liard de dollars ? Il faudra sans doute chercher la réponse dans le rapport du Centre d’études stratégiques, publié au mois de juillet, qui conclut que le nou-veau tournant de la contestation anti-Poutine pourrait avoir lieu en province. Par conséquent, l’at-tention du pouvoir doit se dépla-cer du centre vers les régions. Or, curieusement, les chaînes REN TV, TNT, STS et ProfMedia ont toutes un réseau régional bien développé et approprié.

Du point de vue du chef de l’Etat, l’empire des Kovaltchouk va constituer un allié de poids. Le holding VGTRK, en tant que société d’Etat, dépend et dépendra toujours de ceux qui se trouvent au sommet du pouvoir et sa position peut s’en trouver modifiée après un remanie-ment ministériel. Mais les frères Kovaltchouk ne dépendent, eux, que d’une personne, Vladimir Poutine. Ainsi, même si le pré-sident actuel décide un jour de s’éloigner des aff aires de l’Etat, la télévision, elle, restera à son entière disposition.

—Dmitri Kamychev, Olga Bechleï et Janna Oulianova

Publié le 2 décembre

Page 51: Courrier 20131219 courrier full 20131227 155810

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 47

Millions de dollars

Millions de dollars

Source : Global Humanitarian Assistance Report 2013

1. Etats-Unis 4 288

2. Union européenne (UE)

1 863

3. Roy.-Uni 1 205

4. Japon 977

5. Allemagne 848

Les

ligne

s re

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titude moyenne des cinq

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don

ateu

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(verts

) et des cinq premiers

béné

ficia

ires (

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s).

Donateurs

Bénéficiaires

1 426

1 107

849

771

681

32 %

Millions de dollars

Millions de dollars

1. Pakistan

2. Somalie

3. Gaza

4. Afghanistan

5. Ethiopie

2011

14 904

TOTA

LITALIE 362 (13 e)

12 314TOTAL

ITALIE 354 (10e)

2006

8 644

TOTAL

ITALIE

311 (9e )

2001

201110 100

TOTA

L

20067 347TOTAL

4 460

TOTAL2001

COMMENT LIRE CETTE INFOGRAPHIE

Les lignes vertes représentent les 20 premiers donateurs d’aide humanitaire au cours de différentes années et les traits roses,

Millions de dollars

TOP 52006

1. Etats-Unis 2. UE3. Royaume-Uni4. Allemagne5. Pays-Bas

3 318 1 879 1 122

822659

TOP 52001

Millions de dollars

1. Etats-Unis2. UE3. Arabie Saoudite4. Royaume-Uni5. Allemagne

2 0431 201

657605581

TOP 52001

1 036 608 329229

199

1. Gaza2. Afghanistan3. Serbie4. Ethiopie5. Républiquedémocratiquedu Congo

TOP 52006

1 476 622578 561 531

1. Soudan2. Gaza3. Indonésie4. Liban5. Pakistan

TOP 52011

L’inclinaison de la sphère terrestre montre la différence, en pourcentage, entre les montants versés en 2011 par les 20 principaux donateurs (14,9 milliards de dollars) et ceux reçus par les 20 premiers bénéficiaires (10,1 milliards de dollars).

TOP 52011

les 20 principaux bénéficiaires. L’épaisseur des traits représente le montant des dons en millions de dollars.

signaux Chaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

L’auteure

DR

Les Etats-Unis donnent, le Pakistan reçoitLes principaux donateurs et les principaux bénéfi ciaires de l’aide humanitaire depuis 2001.

MONICA�SERRANO. Cette graphiste espagnole, diplômée de l’Institut d’arts visuels de Jerez, a travaillé pour les services d’infographie de plusieurs quotidiens espagnols et pour le Corriere della Sera, en Italie. Elle enseigne depuis 2012

à l’Institut européen du design, à Madrid. L’infographie ci-dessus, publiée le 10 novembre dans le Corriere, confi rme que l’aide internationale vient principalement des pays occidentaux et part vers les mêmes destinations, toujours au sud.

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CARTOONS.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 49

2013 en dessins

De cette année on peut dresser à grands traits un portrait en trois mots : contestation, espion, disparitions.

Chávez, Thatcher et Mandela se sont effacés – et, d’une façon un peu différente, Benoît XVI et Berlusconi.

La contestation, c’est celle qui s’est fait entendre en particulier en Turquie, au Brésil et en Tunisie.

Quant à l’espion, il tient en trois petites lettres à l’ombre portée immense : NSA. Et, cette année encore,

en sinistre bruit de fond, la guerre en Syrie, retombée dans l’oubli après l’épisode des armes chimiques.

Elle dure depuis mille jours.

↗ Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

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CARTOONS50. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

MALIInterventionLa France entre en guerre au Mali le 11 janvier, répondant à l’appel au secours de Bamako. De “capitaine de pédalo”, Hollande se transforme en chef de guerre pour chasser les islamistes qui contrôlent le nord du pays. Mais Paris monte seul au feu : ni ses partenaires européens ni les Etats-Unis n’envoient de troupes sur le terrain.

← Dessin de Burki paru dans 24 Heures, Lausanne.

CYCLISMEConfessionLors d’un entretien télévisé avec Oprah Winfrey diffusé le 17 janvier, le champion cycliste l’avoue du bout des lèvres : oui, il s’est dopé à l’EPO, aux transfusions sanguines et à la testostérone.

↑ Sérum de vérité. Une dernière piqûre. Dessin de Broelman, Australie.

RUSSIEDéfiscalisationGérard Depardieu se voit remettre un passeport russe par Poutine en personne, le 6 janvier. L’acteur français, quelques mois plus tôt, avait déjà pris ses quartiers en Belgique pour échapper à l’impôt en France.

← Dessin de Pismestrovic paru dans la Kleine Zeitung, Vienne.

ROYAUME-UNISécessionDans un discours très attendu sur l’avenir du Royaume-Uni en Europe, le 23 janvier, le Premier ministre David Cameron annonce la tenue d’un référendum sur le maintien du royaume au sein de l’Union… en 2017. L’opinion britannique est de plus en plus europhobe.

↑ Un discours. Dessin de Bertrams paru dans De Groene Amsterdammer, Amsterdam.

janvier

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CARTOONS.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 51

MALBOUFFEConfusionL’affaire des “lasagnes Findus à la viande de cheval” éclate le 8 février. Elle prend rapidement une dimension européenne, met en cause des circuits agroalimentaires opaques qui vont d’un abattoir roumain à un fabricant luxembourgeois. Le 10, les Chinois entrent dans l’année du Serpent.

↑ Dessin de Dilem paru dans Liberté, Alger.

VATICANDémissionLe 11 février, Benoît XVI annonce à la stupéfaction générale qu’il renonce à la fonction papale : à 85 ans, il estime ne plus avoir la force de diriger l’Eglise. Sa démission prend effet le 28 février. Son successeur, François, est élu le 13 mars.

← Dessin de Kap paru dans La Vanguardia, Barcelone.

CORÉE DU NORDFiliationPyongyang procède à un essai nucléaire souterrain le 12, entraînant des sanctions de la part de l’ONU. Deux mois plus tard, le pays fera à nouveau monter la tension internationale en menaçant d’effectuer des frappes contre les Etats-Unis. Kim Jong-un, qui dirige la Corée du Nord depuis décembre 2011, ne dévie pas de la ligne tracée par son père et son grand-père.

↑ Dessin d’Ammer, Autriche.

février

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CARTOONS52. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

mars

CHYPREDésintégrationLe système bancaire chypriote – connu entre autres pour attirer l’argent russe et suspecté de blanchir des fonds issus d’activités illégales – est prêt à sombrer. Le plan de sauvetage concocté par l’Union européenne et le FMI, annoncé le 17 mars, prévoit de taxer les dépôts bancaires. Devant la bronca soulevée par cette mesure, l’UE et le FMI feront machine arrière.

↓ Dessin de Tom paru dans Trouw, Amsterdam.

VENEZUELADisparitionLe décès d’Hugo Chávez est annoncé le 5 mars. L’homme qui a présidé le pays pendant quatorze ans, largement soutenu par son peuple, était un personnage controversé, proche de dirigeants comme Ahmadinejad ou Assad.

→ “C’est un cas difficile.” Dessin de Chappatte paru dans l’International Herald Tribune, Paris.

ITALIEExclusionBerlusconi est condamné le 7 mars à un an de prison pour violation du secret de l’instruction. C’est le début de la fin : en juin, il écope de sept ans dans l’affaire du Rubygate ; en août, la Cour de cassation confirme sa condamnation pour fraude fiscale ; fin novembre, il est déchu de son poste de sénateur.

↓ Dessin d’António paru dans Expresso, Lisbonne.

IRAKDestructionDix ans après la guerre d’Irak, lancée le 20 mars 2003 sous prétexte que le pays dirigé par Saddam Hussein aurait disposé d’armes de destruction massive, le bilan est catastrophique : des centaines de milliers de morts, des attentats à répétition, de sanglants conflits interconfessionnels.

← “Déjà dix ans ? ! C’est fou comme le temps passe vite quand on s’amuse.” Dessin de Bill Schorr, Etats-Unis.

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CARTOONS.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 53

avril

ÉTATS-UNISAttentatsLe 15 avril, le marathon de Boston est endeuillé par deux explosions criminelles : 3 morts et plus de 175 blessés. Le souvenir du 11 septembre 2001 hante les Etats-Unis. Les auteurs – Tamerlan et Djokhar Tsarnaev – sont rapidement identifiés ; le premier est tué par la police, le second est sous les verrous.

→ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

ÉTATS-UNISAssassinatsPrix Nobel de la paix, Obama recourt énormément aux drones pour mener ce qu’il appelle une “guerre juste”, destinée à éviter des pertes humaines sur le terrain. Depuis sa prise de fonction, en 2009, les attaques de drones se sont multipliées, faisant plus de 2 000 morts – dont, sans doute, plusieurs centaines de civils.

↑ Dessin de Riber, Suède.

ROYAUME-UNITrépasMargaret Thatcher meurt le 8 avril. A la tête du pays de 1970 à 1990, la Dame de fer l’a profondément transformé. Pas forcément pour le meilleur.

↗ Le cimetière de Mme Thatcher. De g. à d. : syndicats, libéralisme conservateur, régulations bancaires, intégration européenne ; cohésion sociale, Etat providence.Dessin de Martyn Turner paru dans The Irish Times, Dublin.

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CARTOONS54. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

BANGLADESHDestructionAprès l’effondrement d’une usine de confection textile au Bangladesh, le 24 avril, les recherches pour trouver des survivants se poursuivent jusqu’au 14 mai. On dénombrera 1 129 victimes. Six mois plus tard, des ONG constatent que très peu a été fait pour améliorer les conditions de travail des ouvriers, en dépit des promesses et des élans “postcatastrophe”.

← Des machines à coudre retirées des décombres au Bangladesh.“Dieu merci, en voilà une autre !— Tout n’est pas perdu, nous ne sommes pas fichus, nous allons continuer !— Il te reste des sœurs ? Va les chercher…”Dessin de Danziger, Etats-Unis.

SYRIETensionLes soupçons d’utilisation d’armes chimiques dans la guerre contre les rebelles syriens pèsent de plus en plus lourdement sur le régime de Bachar El-Assad. Barack Obama a fait de l’usage

FRANCEUnionEn France, le premier mariage homosexuel est célébré à Montpellier le 29 mai. Le texte, adopté par le Parlement le 23 avril, avait donné lieu à un interminable débat à l’Assemblée, à des

mai

de ces armes une “ligne rouge” à ne pas franchir par le régime syrien.

↑ “T’as pas intérêt à franchir cette ligne…”Dessin de Gado paru dans Daily Nation, Nairobi.

manifestations d’opposants farouches et à des insultes racistes à l’égard de la ministre Christiane Taubira, auteur de la loi.

↑ Dessin de Schneider paru dans Tageblatt, Luxembourg.

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BRÉSILJouer de la matraqueLe géant sud-américain est secoué par d’énormes manifestations déclenchées par la hausse du coût des transports publics, qui dénoncent également la facture du Mondial 2014. Les manifestations, qui démarrent le 13 juin, sont brutalement réprimées par la police.

← Dessin de Nerilicon, Mexique.

ÉTATS-UNISVoir loinEdward Snowden, ancien collaborateur de l’Agence nationale de sécurité américaine (la NSA), révèle à partir du 5 juin, via The Guardian puis The Washington Post, l’ampleur des écoutes pratiquées en toute illégalité par l’agence fédérale américaine

TURQUIETourner au vinaigreUne vague de protestations ébranle le régime turc. Initialement mené par des écologistes et des riverains qui s’opposent à la destruction d’un parc, le mouvement s’étend rapidement, mettant en cause le Premier ministre Erdogan

et son gouvernement islamiste. Par ses revendications et par sa nature, il s’inscrit dans la filiation du mouvement Occupy. La répression fera six morts.

↓ Dessin de Kountouris, Athènes.

juin

auprès des citoyens et des chefs d’Etat étrangers. Le scandale est planétaire.

↑ “L’ampleur de cette surveillance commence vraiment à me faire flipper !”Dessin de Nate Beeler paru dans The Columbus Dispatch, Etats-Unis.

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CARTOONS56. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

TUNISIEEliminationDéputé de gauche et de l’opposition, Mohamed Brahmi est assassiné le 25 juillet. Sa mort, attribuée aux salafistes, déclenche une crise politique dans le pays, et des appels à la démission du gouvernement dirigé par le parti islamiste Ennahda.

↓ Assassinat en Tunisie. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

ÉTATS-UNISDémolitionDétroit se déclare en faillite le 18 juillet. Ancien fleuron de l’industrie automobile, la ville, sinistrée, endettée à hauteur de 18 milliards d’euros, verra sa demande de mise en faillite avalisée par la justice le 3 décembre.

↑ Dessin de Vincent paru dans Vigousse, Lausanne.

ÉGYPTEEjectionL’armée écarte du pouvoir le président Morsi, le 3 juillet, et reprend les rênes du pouvoir. Le parti islamiste des Frères musulmans, celui du président déchu, dénonce un coup d’Etat.

↓ Dessin de Hajjaj, Jordanie.

ROYAUME-UNIApparitionEmoi chez les Windsor et dans tout le pays le 22 juillet avec la naissance de George Alexander Louis, fils premier-né du prince William et de Kate Middleton. Il est troisième dans l’ordre de succession au trône après son grand-père Charles et son père.

← De bas en haut sur le biberon : chevalier, duc, prince, roi. Dessin de Kichka paru sur Channel I, Jérusalem.

juillet-août

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SYRIEEchappatoireAlors que les Etats-Unis sont sur le pied de guerre pour intervenir en Syrie, où le pouvoir a utilisé des armes chimiques, la situation se retourne le 10 septembre : Damas accepte la proposition de Moscou de placer son arsenal chimique sous contrôle. Il n’y aura pas

ALLEMAGNEVictoireAngela Merkel remporte les élections fédérales du 22 septembre. La chancelière entame donc un troisième mandat à la tête d’un pays plus puissant que jamais dans une Europe déprimée. Mais elle doit se résoudre à une “grande coalition” avec les sociaux-démocrates du SPD.

IRANEspoirLe nouveau président iranien prononce le 24 septembre un discours très attendu à la tribune de l’ONU. Hassan Rohani se déclare prêt à reprendre le dialogue avec Washington. En novembre, Téhéran signera un accord provisoire sur le nucléaire avec les grandes puissances. La République islamique accepte de limiter son programme en échange d’un allègement des sanctions économiques.

→ Dessin de Bill Day, Etats-Unis.

septembre

↑ “Miroir, mon beau miroir, qui va rester la plus puissante de tous ?” Dessin de Schrank paru dans The Sunday Business Post, Dublin.

d’intervention étrangère en Syrie, où la guerre “ordinaire” se poursuit.

↓ Poutine : “Nous avons neutralisé son dangereux arsenal.” Dessin de Chappatte paru dans l’International Herald Tribune, Paris.

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IMMIGRATIONNaufrageUne embarcation chargée de 500 migrants africains sombre au large de l’île italienne de Lampedusa, le 3 octobre. 366 d’entre eux périssent – c’est la plus grande tragédie en Méditerranée depuis le début du XXIe siècle. L’émotion est immense en Europe, mais fugace. ← Le drame des clandestins. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

RUSSIEVerrouillageTrente militants de Greenpeace interpellés lors d’une expédition qui visait à dénoncer les forages pétroliers en Arctique, mi-septembre, se voient inculpés le 2 octobre de “piraterie en bande organisée”, qui peut leur valoir dix à quinze ans de prison. La justice

ÉTATS-UNISChantageOpposés à la réforme de la santé du président – le fameux Obamacare –, les républicains, radicalisés par la tendance “Tea Party”, refusent de voter le budget 2014. Résultat : le 1er octobre, l’Etat américain est paralysé – c’est le shutdown. Ce blocage durera deux semaines, jusqu’à ce que le Congrès accepte de relever le plafond de la dette.

octobre

↑ La logique du Tea Party. “Ou vous en finissez avec la politique d’Obama qui menace l’Oncle Sam… ou je descends le mec à la barbe blanche.” Sur le pistolet : paralysie.Dessin de Kal paru dans The Baltimore Sun, Baltimore.

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requalifiera ultérieurement le délit en hooliganisme, moins sévèrement puni. L’amnistie présidentielle proposée par Poutine en décembre devrait s’appliquer à leur cas.

↑ “Je préfère les ours blancs !” Dessin de Tom paru dans Trouw, Amsterdam.

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CLIMATDévastationLe typhon Hai yan ravage les Philippines le 8 novembre, faisant 5 200 morts au moins. Quelques jours plus tard débute à Varsovie la Conférence de l’ONU sur le changement climatique. Pays pauvres et pays riches s’y écharpent sur la responsabilité du réchauffement de la planète, cause probable d’ouragans toujours plus dévastateurs.

← Dessin d’Ammer, Autriche.

THAÏLANDEIllusionUne loi d’amnistie adoptée par les députés – mais rejetée le 11 novembre par le Sénat – déclenche des manifestations monstres à Bangkok, qui se soldent début décembre par la dissolution du Parlement. Selon les opposants, cette loi d’amnistie avait pour but de permettre le retour d’exil de l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra. Il est soupçonné de manipuler en sous-main le gouvernement, dirigé par sa propre sœur, Yingluck Shinawatra.

← Dessin de Taylor Jones, Etats-Unis.

CHINE-JAPONDémarcationPékin annonce le 23 novembre avoir délimité une “zone d’identification de la défense aérienne”, dont le tracé inclut les îles Senkaku (Diaoyu en chinois), sous contrôle japonais mais

novembre

revendiquées par Pékin. Tokyo, soutenu par Washington, dénonce une “provocation”. La tension monte en mer de Chine orientale.

↑ Dessin de Miel, Singapour.

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UKRAINEDiviséeDepuis que le président ukrainien a annoncé qu’il ne signerait pas l’accord d’association avec l’Union européenne, fin novembre, des manifestants occupent la place Maïdan, à Kiev, pour demander la démission de leur gouvernement et un rapprochement avec l’Europe. A la mi-décembre, le mouvement persistait.

→ Dessin de Kroll paru dans Le Soir, Bruxelles.

AFRIQUE DU SUDDécédéNelson Mandela tire sa révérence le 5 décembre, au terme d’une vie de combats pour la justice. Emprisonné de longues années sous le régime de l’apartheid, premier président d’une Afrique du Sud “arc-en-ciel”, promoteur du dialogue et de la réconciliation, Prix Nobel de la paix, présence forte et souriante, tel était “Madiba”.

← Dessin de Dario, Mexique.

ÉTATS-UNISRatésLe calamiteux site Internet dédié à la gestion des adhésions à l’assurance-santé perturbe la réforme de la santé d’Obama, lancée début octobre, et plombe la cote de popularité du président. Le 3 décembre, celui-ci prend la parole pour affirmer que les problèmes techniques sont en voie de résolution.

↑ Sur les feux : “Attendez”. Dessin de Sack paru dans Star Tribune, Minneapolis.

décembre

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360 MAGAZINELa chroniqueuse des vies brisées Culture .... 66 Jaume Cabré Prix Courrier international ..... 68 My télé is rich Plein écran ................. 70 Une petite maison qui voit grand Tendances .. 72Le Persan qui a découvert l’Amérique Histoire 74

Construite au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle est encore aujourd’hui l’un des rares axes routiers permettant de circuler entre Inde, Birmanie et Chine. Longtemps, des raisons géopolitiques ont dissuadé les pays riverains de développer d’autres infrastructures. Cela commence à changer. — Motherland, New Delhi

Stilwell, la route d

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360°.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 63

↙ La route Stilwell traverse l’Etat birman de Kachin. Photo Maria Stenzel/National Geographic Creative.

des limbesT

rois fois par mois, Shobhita Kolita, 40 ans, quitte sa demeure de Tinsukia, dans l’Assam, pour par-courir plus de 100 kilomètres à travers un paysage accidenté. Son périple lui impose d’emprunter une piste de terre longue de 3 kilomètres, connue depuis la Seconde Guerre mondiale comme le

“défi lé de l’Enfer”. [A 1 136 kilomètres d’altitude, dans le massif de Patkai,] il relie la ville indienne isolée de Nampong, dans l’Arunachal Pradesh, au village birman de Pangsau, dans l’Etat Kachin.

Pour Shobhita Kolita, le défi lé de l’Enfer, de son vrai nom le col de Pangsau, n’a pas grand-chose de menaçant. C’est à cet endroit qu’elle franchit la frontière indo-birmane pour aller gagner sa vie, avec sur le dos son bhikhu, un panier d’osier en forme de cône qu’elle porte maintenu par un bandeau sur le front, chargé de près de 10 kilos de marchandises.

Les 10, 20 et 30 de chaque mois, Shobhita Kolita se rend au “marché international” de Pangsau. L’essentiel de son voyage se résume à un éprouvant parcours en bus le long d’un tronçon de 60 kilomètres de la route Stilwell (brièvement connue sous le nom de route de Ledo avant d’être rebaptisée à la fi n de la Seconde Guerre mondiale). Si, à certains endroits, la chaussée ne mérite guère d’être qualifi ée de carrossable, elle est ce qui se rapproche le plus d’une artère commerciale dans la région. La route Stilwell commence à Ledo, dans l’Assam, elle traverse Jairampur – le poste-frontière entre les Etats indiens de l’Assam et de l’Arunachal Pradesh – et atteint Nampong après des tours et détours au milieu de bambouseraies vert sombre et de champs dorés d’herbe à éléphant.

Du côté indien de la frontière, la tribu des Tangsas vit encore dans des machang, ces maisons traditionnelles sur pilotis qui lui permettent d’échapper aux inondations de la mousson, se nourrissant de ce qu’elle cultive. C’est auprès de négociants marwaris [du Rajasthan], bengalis et assamais que les Tangsas se procurent les produits qu’ils ne trouvent pas sur place – les piles, les téléphones portables, et le sel, qui vient de Guwahati, de Calcutta et même de Delhi.

Pour les Tangsas qui résident de l’autre côté de la frontière, où la route Stilwell devient la “route de Birmanie”, les marchands comme Shobhita Kolita sont la seule source d’approvisionnement en produits de ce genre. “La route est si mauvaise ! explique-t-elle. C’est vraiment pénible… Certains d’entre-nous, parmi les colporteurs, vont jusqu’à Tinsukia [en Assam] reconstituer leurs stocks, parce que c’est moins cher. Là-bas, on peut acheter à des prix de gros.” Malgré tout, ajoute-t-elle, à cause du coût du transport

des marchandises en terrain accidenté, il est diffi cile de réaliser des bénéfi ces. De son point de vue, la faute en revient à Stilwell – la route, pas l’homme. Et quand je lui pose la question de l’origine de ce nom, elle répond avec un sourire timide : “Je ne suis pas sûre de savoir qui c’était.”

La route tire son nom d’un général américain, Joseph “Vinegar Joe” Stilwell, responsable de sa construction, un chantier qui a mobilisé 15 000 soldats alliés et 35 000 ouvriers chinois, birmans et indiens, de décembre 1942 à octobre 1944. Le but de l’exercice était de se frayer un chemin à travers la Birmanie pour venir en aide aux Chinois qui, sous le commandement du général Tchang Kaï-chek, résistaient aux Japonais. La piste est longue de 1 736 kilomètres au total. A partir de l’Inde, elle traverse tout le nord de la Birmanie pour aboutir à Kunming, capitale de la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine. Sa construction a exigé des eff orts surhumains – beaucoup de soldats et d’ouvriers ayant succombé au paludisme et la dysenterie en chemin. Deux livraisons de vivres et de matériels seulement ont été eff ectuées, une fois la route terminée, à destination de la Chine avant la reddition japonaise, le 2 septembre 1945.

Lourdement lestée, se dandinant comme une mère poule, Shobhita Kolita, un sourire rayonnant sur son visage brun ponctué de taches de rousseur, atteint le premier poste de contrôle du défi lé de l’Enfer. Elle dépose sa charge et présente un permis émis par les autorités de Nampong au garde de service, un soldat des Assam Rifl es, brigade paramilitaire indienne chargée de la surveillance frontalière. Elle répète la manœuvre aux deux autres postes de contrôle, dont un occupé par l’armée birmane, avant de pouvoir enfi n entrer dans le village de Pangsau avec ses marchandises. Là, au milieu d’autres marchands indiens, dont beaucoup de boutiquiers de Nampong, elle étale des toiles sur le bas-côté de l’unique rue de Pangsau. Puis elle y dispose des biscuits au glucose, des paquets de nouilles instantanées, des sandales en caoutchouc, des vêtements pour bébé, de la fi celle, des jouets, du tabac, des pommes quand c’est la saison, et surtout du sel.

Tout au long de la journée, elle va négocier avec effi cacité, discutant en ahomiya, en hindi et dans deux dialectes tangsas (tangshangs, en Birmanie), des langues qui se soucient peu du fait qu’en 1972, en traçant les frontières administratives de l’Arunachal, le gouvernement indien a divisé sans y prendre garde ce groupe ethnique entre deux pays. Au lendemain de la guerre sino-indienne de 1962, la paranoïa et l’agitation insurrectionnelle allaient déjà bon train tant en Inde qu’en Birmanie. L’armée indienne aurait fermé le col de Pangsau au trafi c civil jusqu’à un dégel

Kunming

Ledo

Nampong

Jairampur

Frontièredisputée

Tinsukia

Pangsau

T I B E T 400 km

BIRMANIE(MYANMAR)

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La route Stilwell

Contexte

UNE RÉGION DISPUTÉELe nord-est de l’Inde a une histoire mouvementée. Lors de la guerre sino-indienne de 1962, la Chine avait brièvement annexé cette partie de l’Inde aujourd’hui connue sous le nom d’Arunachal Pradesh, “le pays du soleil levant”. En se retirant du territoire, Pékin avait du même coup contribué à en dessiner la frontière. L’Arunachal Pradesh est devenu un Etat de l’Union indienne en 1987. Début 2013, le ministère des Aff aires étrangères indien a indiqué qu’il était prêt à reconnaître la souveraineté chinoise sur l’Aksaï Chin, entre le Tibet et le Cachemire, contre une reconnaissance de la souveraineté de l’Inde sur l’Arunachal Pradesh, toujours contestée par Pékin.

REPORTAGE

→ 64

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géopolitique dans les années 1990. Mais les Tangsas, des deux côtés de la frontière, ne semblent pas avoir tenu compte de cette interdiction. Les autorités ont rapidement compris que Nampong et Pangsau étaient trop interdépendants pour que puisse être imposés passeports ou visas.

Ce sont les prix que les habitants de Pangsau sont prêts à payer, en particulier pour le sel, qui poussent à trimballer ses marchandises pendant près de 150 kilomètres. A Nampong, le sel se vend environ 20 roupies le kilo. A Pangsau, il atteint aux alentours de 100 roupies. Shobhita Kolita achète des sandales de caoutchouc à 100 roupies à Nampong, et elle les revend 250 roupies à Pangsau. Un paquet de nouilles instantanées qui vaut 20 roupies coûte le triple en Birmanie.

Shobhita Kolita et d’autres négociants sur le marché de Pangsau m’ont certifié qu’il fallait cette différence de prix pour couvrir les frais de transport. Mais l’état de la route Stilwell, toujours délabrée et boueuse au point de rendre impossibles les échanges commerciaux à un niveau plus ambitieux, n’a

En dépit des accidents du relief, des caprices du climat et de l’absence d’engins de terrassement, il n’a fallu que trois ans pour achever la route

↑ Convoi de charbon en cours de chargement à Ledo, dans l’Assam (Inde). Point de départ de la route.

→ Dans l’Etat birman de Kachin, sur le site d’un ancien aéroport utilisé par les Américains durant la Seconde Guerre mondiale. Photos Maria Stenzel/National Geographic Creative.

→ De 1942 à 1944, 15 000 alliés et 35 000 ouvriers chinois, birmans et indiens ont travaillé sur le chantier. Photo Bettmann/Corbis

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font appel à ses services pour interpréter entre le tangsa, l’assamais et l’hindi.

Tout Tangsa qui souhaite aller voir de la famille ou des amis de l’autre côté de la frontière doit désormais profiter des jours de marché pour la passer. Tant qu’il ne s’agit que d’aller partager une bière de riz avec un ami ou boire le thé chez une tante, c’est un risque que l’on peut choisir de prendre ou pas. Mais lorsque l’amour s’en mêle, les choses se corsent. Comme partout en Inde, les liens tribaux restent très forts en Arunachal Pradesh, où il ne reste plus que quelque 6 000 Tangsas. Ce peuple étant endogame, il est rare qu’un Tangsa aille chercher l’âme sœur dans une autre tribu, et les hommes de Nampong puisent volontiers dans le vivier matrimonial des femmes de Pangsau.

Sur le marché de Nampong, on peut ainsi voir de jeunes épouses venues de Birmanie marchander avec les commerçants dans un hindi ou un assamais hésitant, prononçant d’une voix perçante des chiffres compris par tous ou comptant sur leurs doigts pour tenter de s’accorder sur un dernier prix. Elles s’entraînent inlassablement afin d’apprendre à échanger avec les membres des autres sous-tribus et avec les étrangers. A Nampong et dans les environs, on repère ces femmes au premier coup d’œil, mais les gens du pays n’en parlent pas très facilement. L’Office régional d’immatriculation des étrangers n’a pas d’antenne en Arunachal Pradesh et ni le bureau de la sous-division de Nampong ni celui du commissaire suppléant de Jairampur ne sont habilités à régulariser les mariages transfrontaliers. Techniquement, ces épouses sont donc des immigrées en situation irrégulière.

“Passer par les voies officielles peut poser des problèmes et prendre beaucoup de temps, reconnaît Maitu Mama. Nous essayons parfois de faire venir les jeunes filles par la jungle.” Des pistes relient les villages situés de part et d’autre de la frontière, poursuit-il, et les Tangsas prêts à risquer le passage clandestin peuvent par la suite se fondre aisément dans la population. Sinon, “nous essayons de parlementer avec les officiers des fusiliers de l’Assam pour les convaincre de les laisser entrer”.

Si la route Stilwell a d’abord été tracée dans la jungle pour venir en aide à la Chine, nombre d’initiés affirment que l’enclavement persistant de l’Arunachal Pradesh sert désormais une stratégie inverse : empêcher les Chinois d’entrer dans le pays – et contenir le passage des rebelles séparatistes. Au lendemain de la guerre sino-indienne de 1962, le gouvernement central, appuyé par l’armée indienne, a maintenu cette politique en s’abstenant scrupuleusement de développer l’Arunachal Pradesh et ses routes. Dans l’esprit de New Delhi, explique Nidhi Srivastava, commissaire suppléante de Jairampur, le Nord-Est s’est toujours arrêté en Assam. “Le Pandit Nehru [Premier ministre de l’Inde de 1947 à 1964] craignait de fournir aux Chinois une voie de pénétration en construisant des routes dans la région.”

Cette politique s’est poursuivie jusqu’en 2007, souligne Mme Srivastava, qui nous reçoit dans sa résidence confortable d’un quartier décrépit mais tranquille de Jairampur. Soudain, le gouvernement central “a injecté beaucoup d’argent”. Certains signes laissent penser que l’Arunachal Pradesh pourrait bénéficier d’investissements supplémentaires : en présentant le budget 2013-2014, le ministre des Finances, P. Chidambaram, a en effet signalé que New Delhi envisageait de demander plusieurs millions de dollars à la Banque mondiale et à la Banque de développement asiatique “afin de construire des routes dans les Etats du Nord-Est pour les relier à la Birmanie”.

Au moment de ma visite, en février 2013, le tronçon de la route Stilwell qui passe devant le bureau de Mme Srivastava venait d’être goudronné et l’on traversait la ville en voiture sans rencontrer le moindre nid-de-poule. Ce revêtement

pas que des inconvénients. L’isolement de la région en fait un marché favorable aux vendeurs, et ce jour-là, à Pangsau, les articles, bien que trop chers, partent comme des petits pains.

Maitu Mossang, un octogénaire grassouillet, membre de la tribu des Tangsas, n’a pas oublié à quoi ressemblait la vie avant que les siens se retrouvent séparés par une frontière. Maitu Mama, Oncle Maitu comme il est surnommé affectueusement, se souvient encore du rugissement des chasseurs alliés dans le ciel, des hauteurs jonchées de débris d’avions, et des milliers d’hommes qui s’escrimaient sur le chantier de la route Stilwell. “Longtemps après la reddition des Japonais et la fin de la Seconde Guerre mondiale, des étrangers ont continué à venir par ici, raconte-t-il. Tous des hommes de grande taille, le visage rouge comme une tomate.” Il rit. “Jusque dans les années 1960, des étrangers empruntaient régulièrement la route [Stilwell]. On leur faisait faire visiter le coin. A partir de 1972, le gouvernement a empêché les étrangers d’aller plus loin que Jairampur.”

Dans sa maison moderne de brique rouge, aux fondations en béton, Maitu Mama raconte que, dans les années 1940 et 1950, quand il était jeune, il faisait librement la navette entre Nampong et Tavi, son village de l’Etat Kachin. “J’avais de la famille tout autour de Nampong et

de Tavi. J’allais rendre visite à mes deux grands-pères, un dans chaque ville. J’y restais un mois, parfois dix jours, avant de gagner l’autre ville”, explique-t-il. Rattrapé par l’âge, il admet ne plus faire le voyage à Pangsau que lorsque les autorités locales (c’est-à-dire le commissaire suppléant ou l’administrateur de la sous-division de Nampong)

a dû toutefois être mis à rude épreuve par la mousson, qui débute généralement en mars, dure six mois et déverse parfois des averses torrentielles qui peuvent emporter d’un coup d’un seul des pans entiers de bitume. En dépit des accidents du relief, des caprices du climat et de l’absence d’engins de terrassement, il n’a fallu que trois ans pour achever cette route à main d’homme : lorsqu’on y songe, la prouesse paraît encore plus impressionnante.

Au cours des premiers mois de son mandat de commissaire suppléante, Mme Srivastava s’est rendu compte que les gens de la région avaient “introduit de nombreuses innovations agricoles : on cultive maintenant des orangers, du thé vert et des hévéas. Mais où peuvent-ils aller vendre

ces produits ?” Il reste effectivement bien des points à régler : trouver des débouchés, transporter les produits par-delà les frontières de l’Etat vers de plus gros marchés avant qu’ils ne pourrissent, régulariser la situation des immigrés ou reconnaître les mariages transfrontaliers. “Mais aucun fonctionnaire de l’administration n’a envie de s’installer dans des endroits aussi perdus que Nampong, déplore Mme Srivastava. Du coup, la population ne dispose d’aucun mécanisme de réparation des préjudices.” Le gou-vernement local assure certes les services élémentaires, mais “à l’heure actuelle, les gens demandent tout simplement que leurs routes soient construites au plus vite”.

La National Highways Authority of India (NHAI, administration nationale des routes) a été chargée de transformer le tronçon indien de la route Stilwell en une quatre-voies suffisamment fiable pour accroître les transports et les échanges commerciaux. Pour réaliser ce chantier, elle a fait appel à un sous-traitant privé (car l’armée birmane refuse que des représentants de l’Association des routes frontalières ou de la NHAI interviennent dans la construction). Les autorités ont donc fait venir un petit groupe d’ouvriers migrants d’Assam, d’Utar Pradesh, du Bihar et du Jharkhand pour travailler à la rénovation et l’extension de la route. La reconstruction du tronçon qui passe dans l’Arunachal Pradesh pourrait à lui seul – et dans le meilleur des cas – exiger plusieurs mois.

“Combien de temps et combien de gens faut-il pour faire une route ?” s’exaspère Shobhita Kolita en remballant ses marchandises invendues à la fin du marché de Pangsau. “Ils n’arrêtent pas de la réparer et elle n’arrête pas de se détériorer.” Le commerce transfrontalier entre l’Inde et la Birmanie génère chaque année plusieurs millions de roupies. Il est impossible d’estimer la valeur des échanges qui transitent par la seule route Stilwell, mais si le développement de cet axe est lié au fait que le gouvernement birman commence à rompre des décennies d’isolement, le défilé de l’Enfer pourrait enfin rapporter de l’argent sonnant et trébuchant à l’Arunachal Pradesh.

Shobhita Kolita ne perçoit peut-être pas encore l’ironie de la chose, mais le trajet tout en douceur sur une belle route dont elle et d’autres rêvent risque de mettre un terme au monopole des marchands de Nampong à Pangsau. Cela étant, une quatre-voies, associée à un vrai poste frontalier, pourrait aussi rendre la vie un peu plus douce aux Tangsas.

—Gayathri SreedharanPublié en novembre

REPORTAGE← Dans la vallée de Mogaung, Etat Kachin. Photo Maria Stenzel/National Geographic creative

↑ La route se termine dans la province chinoise du Yunnan. Photo Bettmann/Corbis

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360°66. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

La chroniqueuse des vies briséesElena Poniatowska s’est toujours intéressée aux opprimés. L’écrivain mexicain Juan Villoro lui rend hommage alors qu’elle vient de recevoir le prix Cervantes, la plus importante récompense de la littérature hispanophone.

culture.avant de sombrer dans le mysticisme. Les monologues de l’héroïne, Jésusa Palancares, tissent une toile où le récit populaire frôle la métaphysique.

Le livre le plus marquant de Poniatowska reste très certainement La Noche de Tlatelolco [1971, non traduit en français], portrait polyphonique du mouvement étudiant mexicain de 1968 réprimé par le prési-dent Gustavo Díaz Ordaz [un événement sur lequel le silence plane encore et qui a fait au moins 300 morts le 2 octobre 1968]. Pendant deux ans, Elena est allée voir les étudiants et les professeurs incarcérés à la prison de Lecumberri (celle-là même où, quelques années plus tôt, elle était allée interroger le poète colombien Alvaro Mutis et le chef du syndicat des cheminots mexi-cains Demetri Vallejo). Elle y a rencontré la génération la plus éloquente du Mexique, capable de construire l’avenir par la force de mots. Elle a écouté patiemment des lea-ders qui pouvaient parler quatre heures d’af-filée, et a sélectionné les phrases que notre mémoire devait rendre célèbres. Elle a écrit ce livre avec sa plume, mais aussi avec des ciseaux. Reprenant la technique de Juan Rulfo dans Pedro Páramo [œuvre culte de

la littérature latino-américaine publiée en 1955], elle a com-posé une tapisserie de voix

solitaires, mêlant aux témoignages des pri-sonniers des mots anonymes tracés en hâte sur un mur ou scandés dans une manifes-tation. L’ouvrage constitue la grande boîte noire d’une ignominie. Tandis que le gou-vernement du Parti révolutionnaire insti-tutionnel [PRI, au pouvoir de 1928 à 2000, puis depuis 2012] maintenait une chape de silence sur le massacre, Elena exerçait l’art qu’elle avait appris dès sa plus tendre enfance : elle écoutait ceux qui n’avaient pas droit à la parole. Si l’écrivain Carlos Monsiváis [intellectuel incontournable du Mexique contemporain, mort en 2010] a voulu voir dans la chronique une occasion d’écrire l’histoire et d’associer les événe-ments aux opinions, Elena Poniatowska, elle, la conçoit comme un détecteur de voix qui ne doivent pas se perdre.

Elena Poniatowska déploie de nouveau son talent pour les biographies-entretiens dans son dernier ouvrage de fiction, Leonora [Actes Sud, 2012], consacré à la vie et à l’es-prit de l’artiste peintre, sculptrice et écri-vaine surréaliste Leonora Carrington. La romancière explore ici avec une finesse exceptionnelle l’inconscient de son per-sonnage, et jusqu’à ses délires. Plus que l’intimité scabreuse à laquelle aspirent cer-tains portraits de célébrités, elle cherche à rendre fidèlement une esthétique qui croyait à la liberté de penser, par-delà le travail de

↙ Elena Poniatowska. Dessin de Cost (Belgique) pour Courrier international.

LITTÉRATURE

Bio express

19 mai 1932 — Naissance à Paris d’Hélène Elizabeth Louise Amélie Paula Dolores Poniatowska Amor. Son père est le prince Jean Joseph Evremond Sperry Poniatowski, descendant direct du roi Stanislas II de Pologne. Sa mère, Paulette Amor de Freitas e Yturbe, est une Mexicaine d’ascendance française.1942 — Arrivée au Mexique.1971 — Publication de La Noche de Tlatelolco, sur le massacre des étudiants en 1968.1979 — Première femme à obtenir le Prix national de journalisme.1985 — Publication de Nada, nadie : Las voces del temblor, sur le tremblement de terre de 1985 (inédit en français).2007 — Prix Rómulo Gallegos, plus haute distinction littéraire d’Amérique latine.2013 — Prix Cervantes.

censure de l’inconscient.Tout au long de son errance dans les

régions les plus diverses de la réalité, Elena Poniatowska a consigné les injustices qu’ont endurées des fillettes violées, des handi-capés et des sinistrés du tremblement de terre [de 1985]. Elle a également écrit l’ha-giographie d’une militante [Tina Modotti] d’une inoubliable beauté (Tinísima), enquêté sur le microcosme des astronomes (La Piel del cielo) et récupéré pour les enfants une fable qui avait échappé à Esope (El Burro que metió la pata) [autant de titres iné-dits en français]. A travers le nom d’Elena Poniatowska, le prix Cervantes honore les milliers de cancaniers, d’indignés, de déses-pérés et de dénonciateurs qui lui ont parlé. Aucune bibliographie n’intègre davantage la sincérité d’autrui.

Dans l’esprit des “interviews impos-sibles” que publiait le caricaturiste mexi-cain Miguel Covarrubias dans Vanity Fair (allongeant par exemple la diva Jean Harlow sur le divan du Dr Freud), nous serions tentés de demander à Elena Poniatowska d’interviewer le soldat qui s’est battu dans des guerres sans gloire, a perdu ses dents, collecté des impôts et décidé de raconter différents échecs avec l’humour compré-hensif de celui qui conçoit la réalité comme de la littérature.

L’écoute d’Elena Poniatowska mériterait des confidences exclusives de Miguel de Cervantes, car après tout le premier roman-cier moderne se fiait plus aux propos des autres qu’aux siens propres. Il se considé-rait moins comme le père de don Quichotte que comme son parâtre. Mais, puisque cette rencontre d’outre-tombe est impossible, réjouissons-nous qu’Elena Poniatowska mérite également le prix Cervantes.

—Juan VilloroPublié le 19 novembre

—El País (extraits) Madrid

J e serai mort lorsque je ne saurai plus écouter quelqu’un parler de soi”, disait Elias Canetti [Prix Nobel de littéra-

ture 1981, mort en 1994]. Elena Poniatowska, qui a recueilli avec minutie la voix des autres, s’inscrit dans cette lignée. Née à Paris en 1932 dans l’aristocratie franco-polonaise (elle descend du maréchal Poniatowski, qui participa aux côtés de Napoléon à la campagne de Russie), elle est arrivée au Mexique à l’âge de 10 ans. En réalisant sa vocation litté- raire, elle n’a pas tenté une vision mexicaine d’A la recherche du temps perdu.

“C’est dans la pratique du journalisme qu’Elena Poniatowska a affiné sa capacité d’écoute”

Elle s’est intéressée aux gens auxquels per-sonne ne faisait attention et a voulu entendre des histoires ignorées.

Lorsqu’une domestique répond au télé-phone et que ses patrons sont sortis, elle dit généralement : “Il n’y a personne.” Elle est pourtant bien là, elle, mais elle ne représente aucune vie. Qui sont donc ces fantômes qui servent le café et disparaissent ? Dans son recueil de nouvelles Domingo siete [non traduit en français], Poniatowska donne voix à ces gens qui vivent comme s’ils s’ignoraient eux-mêmes et auxquels il ne peut arriver quelque chose que pendant leur jour de congé. Les histoires de ceux qui n’ont de vie qu’à des moments exceptionnels narrent le repos singulier des sans-caste.C’est dans la pratique du journalisme

qu’Elena Poniatowska a affiné sa capacité d’écoute, témoignant d’une remarquable empathie avec ses sujets. Armée du sou-rire de petite fille qui ne l’a jamais quittée, elle pose des questions faussement inno-

centes. Ses interlocuteurs se laissent envoûter, baissent la garde

et se livrent sans fard. “Ce n’est pas la voix mais l’écoute qui guide une histoire”, écrivait, dans Les Villes invisibles [Seuil], Italo Calvino,

à propos des récits faits par Marco Polo au grand khan des Mongols.

Les entretiens d’Elena Poniatowska – réunis dans les deux volumes de Todo México [1990-1994, non traduit

en français] – représentent une chro-nique dialoguée de notre vie intellec-tuelle. Le procédé lui a permis de réaliser d’exceptionnels portraits parlés du peintre Juan Soriano et du photographe Gabriel Figueroa, et de brosser avec maestria une image de la vie intérieure d’Octa-vio Paz [Prix Nobel de littérature 1990]. Il lui a également inspiré [en 1969] un premier roman-vérité, Vie de Jésusa [Gallimard, 1980], l’histoire d’une Indienne de l’Etat d’Oaxaca qui prend les armes pour participer à la révolution mexicaine,

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360°68. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014PH

ILIP

PE M

ATSA

S/O

PALE

LITTÉRATURE

JAUME CABRÉ. Oui, le violon est un élément symbolique. Adrià y voit un objet de culture qui crée de la beauté, tandis que son père l’antiquaire ne voit que sa valeur économique, celle d’un objet qui peut aussi être la cause de malheurs et de tragédies.Dans votre roman, vous tracez une his-toire du mal en Occident. George Steiner, un penseur juif que vous citez, disait déjà que la culture n’est pas un antidote à la barbarie.Toute l’histoire de l’Europe, de la civilisation occidentale, est une histoire de cruauté, de violence, de pays créés à l’issue de guerres, de confl its frontaliers et de guerres de religion. L’Europe a toujours été une pétaudière, mais, quand on regarde ce qu’il se passe ailleurs, on constate que ce n’est pas très diff érent et que les xxe et xxie siècles n’ont pas le monopole de la cruauté.Isaiah Berlin est un de vos personnages… Ce philosophe libéral [1909-1997] se demandait si les hommes avaient une morale commune et universelle.Dans le roman, le père de Sara, issue d’une famille juive qui a vécu les horreurs du nazisme, dit à Adrià : “Après tout ce que j’ai vécu, la seule chose que je veux, c’est non pas faire le bien, mais tenter de ne faire de tort à personne, de ne pas faire le mal.” Moi qui suis dans une certaine mesure un sceptique, je partage ce point de vue.Dans le livre, Adrià, l’érudit, affi rme que l’artifi ce littéraire est ce qui se rapproche le plus de la vérité de l’expérience vécue. Vous partagez ce point de vue ?Oui, il y a des choses que l’histoire ne peut pas transmettre. C’est à la littérature de les expliquer.Dans votre livre, il y a un certain parfum de fi n d’un monde humaniste.Je ne dirais pas que nous assistons à la fi n de l’humanisme, mais c’est un peu cela. Dans le roman, Adrià déplore que ses élèves ne sachent pas qui est Horace ou qu’ils soient incapables de reconnaître du Bach, et qu’ils s’en fi chent. Aujourd’hui, il faut à tout prix se spécialiser, et ceux qui souhaitent apprendre le grec ou le latin s’entendent dire que ce sont des langues mortes. C’est aussi idiot que d’affi rmer qu’on se fi che de savoir ce qu’est un chapiteau romain parce qu’on ne l’utilise plus en architecture.

—Propos recueillis par Josep MassotDéjà publié dans Courrier international

n° 1092, du 6 au 12 octobre 2011

Vargas Llosa ou Jonathan Littell, l’un des grands thèmes de la littérature contempo-raine : le mal, mais aussi la faute et l’impos-sible expiation, le réconfort éphémère de l’art et de l’amour, le fanatisme et la quête de savoir. “Confi teor, explique Cabré, est une référence claire au J’accuse de Zola, à ceci près

qu’en catalan cette expression possède au moins deux signi-fi cations : confesser au sens du

sacrement religieux, mais aussi avouer un délit à la police ou sa culpabilité à quelqu’un.”LA VANGUARDIA Un violon taché de sang qui passe de main en main sert de fi l conduc-teur à l’histoire. En fonction du regard porté sur lui, ce violon est un instrument de culture et de plaisir esthétique ou, au contraire, un objet de convoitise.

—La Vanguardia (extraits) Barcelone

A vec Confi teor [éd. Actes Sud], Jaume Cabré a écrit l’une des œuvres les plus ambitieuses de la littérature

catalane contemporaine. Ce roman aux mul-tiples niveaux de lecture s’adresse aussi bien au lecteur du Nom de la rose, d’Umberto Eco, qu’à l’ama-teur de romans d’idées. Dans cette œuvre symphonique de 998 pages, Cabré insère l’autoportrait d’un humaniste barcelonais, Adrià Ardèvol, né en 1940, dans tout un puzzle d’histoires où se suc-cèdent les époques et les personnages, et dont se dégage un scepticisme très hobbe-sien à l’égard de la nature humaine. Jaume Cabré traite, comme J.M. Coetzee, Mario

Prix Courrier international

“Il y a des choses que l’Histoire ne peut transmettre”Jaume Cabré est le lauréat 2013 du prix Courrier international du meilleur roman étranger. Dans Confi teor, le Catalan se livre à une magistrale réfl exion sur la mémoire et le pardon, de l’Inquisition à Auschwitz. Entretien.

SUR NOTRE SITEcourrierinternational.com

Pour en savoir plus : le prix Courrier international récompense depuis 2008 un livre traduit en français et témoignant de la condition humaine dans une région du monde.

Extrait Ce bureau est mon monde, ma vie, mon univers, et presque tout y trouve place sauf l’amour. Quand je courais dans l’apparte-ment en culotte courte, les mains pleines

d’engelures à cause du froid des automnes et des hivers, je n’avais pas le droit d’y entrer, sauf occa-sionnellement. Je devais donc le faire de façon clandestine. J’en connaissais tous les recoins et pen-dant plusieurs années j’ai eu un fort retranché et secret derrière le canapé, que je devais démon-ter après chaque incursion, que

Lola Xica ne le découvre pas lorsqu’elle passait la serpillère. Mais chaque fois que j’y entrais légalement je devais me com-porter comme si j’étais en visite, les mains dans le dos tandis que papa me montrait le dernier manuscrit que j’ai trouvé dans une boutique misérable de Berlin, regarde-moi ça, et attention où tu mets les mains, je ne veux pas avoir à te gronder. Adrià se pencha sur le manuscrit plein de curiosité.— C’est en allemand, n’est-ce pas ? – les mains en avant, comme sans le vouloir.— Psst ! On ne regarde pas avec les doigts. – Il lui donna un coup sur la main. – Tu disais ? — Que c’est en allemand, n’est-ce pas ? – en se frottant la main endolorie.— Oui.— Je veux apprendre l’allemand.

Fèlix Ardèvol regarda son fi ls avec fi erté et lui dis tu vas bientôt pouvoir commen-cer à l’appendre, mon fi ls.

En réalité, ce n’était pas un manus-crit mais une liasse de feuilles marron-nasses : sur la première feuille fi gurait, dans une écriture très ornée, Der begra-bene Leuchter. Eine Legende.— C’est qui, Stefan Zweig ?

Papa, la loupe à la main, occupé à regar-der une correction dans la marge du pre-mier paragraphe, au lieu de me dire un écrivain, mon fi ls, m’a seulement dit un gus qui s’est suicidé au Brésil il y a dix ou douze ans. Pendant très longtemps la seule chose que j’ai sue de Stefan Zweig c’est que c’était un gus qui s’était suicidé au Brésil il y avait dix ou douze ans, ou treize, quatorze ou quinze ans, jusqu’au moment où j’ai pu lire le manuscrit et où j’en ai appris un peu plus sur lui.

Et alors la visite prit fi n et Adrià sortit du bureau avec la recommandation de ne pas faire de bruit : à la maison on pou-vait jamais ni courir ni crier ni claquer la langue parce que si papa n’était pas en train d’examiner un manuscrit avec sa loupe il contrôlait l’inventaire des cartes médiévales ou réfl échissait aux endroits où il pourrait faire de nouvelles acquisi-tions de n’importe quel objet qui lui fasse trembler les doigts. La seule chose que je pouvais faire dans ma chambre, qui fasse du bruit, c’était étudier le violon.

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↓ Stephanie et Dominique Parker, critiques sur canapé. Photo Channel 4 Television

TÉLÉ-RÉALITÉ

étiez à la place des clandestins, vous feriez comment pour passer ?” Baasit lui répond : “Je traverserais la Manche à la nage.” Raza poursuit alors avec malice : “Comment avons-nous fait, déjà, papa, la dernière fois que nous sommes entrés en douce ?” Et toute la famille d’éclater de rire.)

C’est une ancienne amie de l’université qui a recommandé Baasit pour le programme. “Elle m’a dit, tu es un drôle de numéro, tu vas faire un tabac. Et comme mon père est un peu m’as-tu-vu, lui aussi, je savais qu’il allait adorer, se souvient Baasit. Nous étions un peu inquiets au départ à l’idée de déraper, mais les producteurs nous ont rassurés : l’ob-jectif du programme n’est pas de se moquer de nous, mais juste d’avoir notre opinion.”

Gogglebox a l’air tourné si simplement qu’on pourrait presque imaginer qu’il y ait, dans le téléviseur de chacun des foyers parti-cipants, des caméras en mode automatique. En fait, l’émission est réalisée suivant un calendrier hebdomadaire très strict, com-portant des séances de montage de quinze heures. Des équipes de quatre personnes circulent entre les quatorze foyers, deux ou trois soirs par semaine, pour filmer jusqu’à six heures de visionnage. Les participants regardent tous les mêmes programmes après s’être concertés entre eux et avec les pro-ducteurs. Il s’agit le plus souvent d’émis-sions d’actualité ou de variétés comme Strictly Come Dancing [l’équivalent outre-Manche de Danse avec les stars]. Tandis que deux caméras commandées à distance sont braquées sur le groupe qui regarde la télé, l’équipe regarde les images depuis une salle de projection installée dans une pièce voi-sine ou une chambre à coucher.

Très drôle. “Au bout d’un certain temps, on ne pense plus [aux caméras], reconnaît Parker. Donc on finit par dire des choses sans réfléchir” Baasit Siddiqui renchérit : “Oui, c’est sûr, on s’y habitue tellement qu’on oublie leur présence.” Regarder Gogglebox, c’est presque comme naviguer entre deux niveaux de réalité. Tout d’abord, on s’in-vite dans l’intimité d’une famille – Leon et June, les vieux époux [de Liverpool] qui passent leur temps à se taquiner, affalés dans leurs fauteuils, les amis gays Stephen et Chris [deux coiffeurs de Brighton], vau-trés en pyjama, ou encore Sandy et Sandra [deux copines londoniennes, chômeuses], qui mangent leurs pâtes instantanées directement dans l’emballage.

Parallèlement, vous prenez part à une réaction collective face à la télévision. Quand le récent documentaire sur la peur de l’avion a été diffusé, presque tous les groupes ont commencé par se moquer de ceux qui en souffraient, jusqu’au moment

vie quotidienne et familiale, conquis par cette galerie de personnages hauts en cou-leur plus vrais que nature.

N’allez pas dire à la productrice, Tania Alexander, que son programme ne coûte pas grand-chose à produire, car alors “[son] sang ne fait qu’un tour”. Le succès de l’émission tient en grande partie à son casting, et il a fallu faire des repérages dans tout le pays pour dénicher les personnes les plus sus-ceptibles de représenter la société britan-

nique, plaide-t-elle. “J’avais constaté que les gens qui se présentaient pour passer à la

télé étaient tous un peu pareils, alors nous avons choisi de partir sur les routes, pour repérer des gens plus intéressants.”

Parmi les personnages récurrents : Baasit Siddiqui, un trentenaire professeur d’in-formatique de Derby. Il vit avec ses frères Umar et Raza, ainsi que son père Sid. Leurs échanges lapidaires valent leur pesant d’or (quand le Premier ministre David Cameron parle de l’immigration au journal télévisé, Raza demande à ses frères : “Et vous, si vous

regardons visionner, commenter, railler ou fustiger une sélection de programmes diffu-sés sur le petit écran la semaine précédente. Leurs propos nous choquent ou nous font rire ; très souvent, ils nous confortent dans ce que nous pensons déjà. Des commen-taires de Leon [un retraité de Liverpool] sur la chanteuse Miley Cyrus (“Elle se touche, là, non ?”) à ceux de Stephanie sur le présentateur Kevin McCloud (“Tu crois qu’il sait qu’il est con ?), en passant par Caroline, une mère de famille [de Brighton], décla-rant avec sagesse à propos du maire de Londres, Boris Johnson : “Il faut se méfier des bouffons parce que, dans toutes les pièces de Shakespeare, ce sont sou-vent eux les plus intelligents.”

Sur le papier, personne n’aurait parié sur Gogglebox. La télé-réalité n’avait-elle plus rien à donner en pâture aux téléspec-tateurs que sa propre chair ? Pourtant, dès le premier épisode, l’émission fut un succès : les téléspectateurs ont immédia-tement été captivés par ces scènes de la

—The Daily Telegraph (extraits)Londres

Grâce à nous, les gens ont moins de scru-pules à picoler”, plaisante Stephanie Parker au téléphone. Je ne l’ai jamais

rencontrée, pas plus que son mari Dom, et je n’ai jamais séjourné dans leur bed & breakfast huppé du Kent. Pourtant je sais que les aboiements que j’entends dans le fond sont ceux de Gigi, leur teckel préféré, et je les imagine assis dans leur salon sur leur canapé couleur crème, un verre de vin à la main, en train de s’al-cooliser gentiment en regardant la télé. J’avoue que je passe presque plus de temps à regarder la télévision en compagnie de Steph et de Dom que je ne le fais avec ma propre famille et mes proches. Mais je ne suis pas la seule.

Steph et Dom comptent parmi les stars du programme de Channel 4 Gogglebox. Tous les mercredis soir, plus d’un million de télé-spectateurs ont rendez-vous avec eux et les autres protagonistes de l’émission. Nous les

My télé is rich Regarder des gens qui regardent la télévision : rien de plus ennuyeux a priori. Et pourtant Gogglebox fait sensation outre-Manche. Chaque mercredi soir, l’émission réconcilie la nation britannique avec elle-même.

plein écran.“Gogglebox nous apporte l’esprit communautaire, fraternel, qui manque dans nos vies”

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360°.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 71360°.Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014 71

Gogglebox leur donne le sentiment que tout va bien dans notre pays, que cela les rend fi ers d’être britanniques.”

Des versions chinoise, ukrainienne et américaine de Gogglebox sont dans les tuyaux. Tania Alexander voudrait garder les mêmes participants pour l’année pro-chaine [dans la version britannique], “pour eux c’est très intense, ils n’ont pas le temps de souffl er, alors nous cherchons de nou-veaux candidats”, dit-elle. Malgré les lon-gues et pénibles séances de tournage, Siddiqui dit en plaisantant que “la chaise de Papa porte l’empreinte de son derrière tel-lement il est resté assis dessus”. Comme lui, Stephanie Parker semble ravie de l’expé-rience. Au téléphone, elle assure que ça a été très bon pour les aff aires de son bed & breakfast : “Les clients qui viennent espèrent prendre place avec nous sur le canapé.” Et de conclure : “Avec mon mari, nous passons aussi plus de temps ensemble qu’avant. Cela nous force à nous asseoir côte à côte, à boire un verre, à dire des conneries. C’est comme un plan drague. La prochaine série, toute-fois, ce sera peut-être Steph et Dom en cure de désintoxication…”

—Bernadette McNultyPublié le 28 novembre

où des séquences d’accidents d’avion ont été montrées à l’antenne : à partir de ce moment-là, comme nous devant notre poste, ils ont été horrifi és. “On nous accuse de scénariser l’émission, mais la plupart du temps nous diff usons des séquences sans rien couper au montage, souligne Tania Alexander. Seulement occasionnellement, on demande aux participants de forcer la dose pour que ce soit encore plus drôle. C’est pour ça que ça fait vrai.”

Nostalgie. Gogglebox est une émission très drôle, réconfortante. Elle montre les Britanniques dans leur formidable diversité et, dans le même temps, elle nous fait sentir que nous sommes tous les mêmes der-rière les apparences. Y entre une certaine nostalgie. Aujourd’hui, le Royaume-Uni compte deux fois plus de foyers compo-sés d’une seule personne qui regarde la télévision en solitaire que de familles tra-ditionnelles où parents et enfants se réu-nissent autour du petit écran. Gogglebox nous apporte peut-être l’esprit commu-nautaire, fraternel, qui manque dans nos vies. “Le meilleur moment, note la produc-trice, c’est quand nous recevons les commen-taires de gens qui nous disent que regarder

En savoir plusLE PROGRAMMELe concept de Gogglebox tient sur un ticket de métro : fi lmer les réactions d’une brochette de téléspectateurs alors qu’ils regardent, chez eux, dans leur canapé, une sélection de programmes de la semaine écoulée.Lancée en mars 2013, cette émission de télé-réalité en est à sa deuxième saison sur la chaîne publique britannique Channel 4. Elle est diff usée tous les mercredis soir à 22 heures.

LE SUCCÈSA la création de Gogglebox, les critiques ont fait la fi ne bouche. Quel intérêt de regarder des gens qui regardent la télévision ? A quoi bon guetter leurs réactions et commentaires, à une époque où Twitter permet à chacun de commenter en direct ce qu’il a sous les yeux ?Six mois plus tard, le ton a changé. L’émission fait certains soirs jusqu’à 10 % de part de marché. Et la presse en raff ole : “un

excellent divertissement” (The Guardian) ; “le meilleur programme actuellement” (New Statesman). Comme le résume The Independent : “Certes, l’émission ne montre que des gens qui répondent à leur poste de télévision et qui discutent entre eux, mais c’est ce que font 20 millions d’entre nous chaque soir. Ça paraît peu, mais c’est l’un des meilleurs programmes que propose actuellement la télévision britannique.”

LES PRÉCÉDENTSCe n’est pas la première fois que les Britanniques se prennent de passion pour une émission dont des téléspectateurs sont les protagonistes. De 1998 à 2000, la sitcom The Royle Family a ainsi fait les beaux jours de la BBC. Elle suivait le quotidien d’une famille de la classe ouvrière de Manchester dont les membres, de vrais couch potatoes, passaient une bonne partie de la journée aff alés devant le petit écran. La série a remporté plusieurs Bafta, l’équivalent britannique des 7 d’or.

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360°72. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

125Course à métroROYAUME-UNI — Adam Fisher a développé un usage bien à lui du métro : il navigue entre toutes les stations d’un même réseau pour en faire le tour en un minimum de temps, rapporte le magazine Wired. Ce jeune Anglais a, par exemple, récemment rallié les 125 stations du métro de Boston en huit heures, cinq minutes et seize secondes. S’il est le seul inscrit au Guinness Book des records pour ses exploits à Londres et à New York, il affirme que dans au moins six des dix-neuf villes qu’il a traversées “d’autres se lancent le même genre de défi”. “Les locaux vont sûrement plus vite en utilisant des chemins différents, mais eux ne l’affichent pas publiquement”, fait-il remarquer. Pas encore…

Les liens discrets du mariageTERRITOIRES PALESTINIENS — “Les cheiks ont donné leur accord à l’unanimité” pour qu’Ashraf Alkiswani ouvre son entreprise à Ramallah, annonce Ynetnews. Demander une fatwa (avis juridique fondé sur l’islam) pour ouvrir son commerce n’est pas chose courante, précise le site d’information israélien, mais cela était nécessaire pour ce vendeur qui “a décidé de lancer le premier sex-shop palestinien en ligne”. L’intéressé définit sa société comme un “projet social”. “Nous voulons fournir des produits de bon goût afin d’aider les couples mariés à retrouver pureté et passion”, détaille-t-il. Le magasin en ligne Karaz – “cerises” en arabe –

fait profil bas malgré cet accord des autorités religieuses : ses produits seront distribués dans tout le Moyen-Orient à l’intérieur de simples

emballages marron sans logo. Le plus discrètement possible.

Dans l’ombre du drone“Les drones, assure James Bridle au New Yorker, sont des objets de réseau par excellence. Ils vous permettent de voir et d’agir à distance, mais restent eux-mêmes invisibles.” Pour les rendre visibles, l’artiste britannique peint leurs ombres sur les trottoirs des villes occidentales, afin de donner à “ressentir ce que cela fait de se tenir à proximité de l’un d’eux”. Le musée d’Art moderne de New York expose son travail pour la première fois cet hiver, à l’occasion de son projet “Design and Violence”. “Il replace ces engins, qui opèrent principalement à l’étranger - du moins pour les Américains -, dans un environnement domestique et familier”, note le magazine.

SUISSE—Un premier restaurant excluant tout produit d’origine animale vient d’ouvrir à Genève. Beaucoup d’autres devraient suivre, selon Le Temps, qui constate que “la vague végane gagne la Suisse romande”. Le véganisme, qui exclut toute consommation d’un produit animal ou issu de son exploitation, sera à la carte de nombreuses enseignes suisses en 2014,

affirme le journal helvétique. On pourra y retrouver des menus du type : “burger 100% végétal, tartare aux légumes crus, terrine au tofu, à l’avoine et aux olives.” A Zurich, c’est une “boucherie végétarienne”, avec des produits végétaux imitant le goût et la texture de la viande, qui a ouvert ses portes en novembre. La chaîne de fast-food végane Loving Hut (qui dispose de sa propre chaîne de télévision

et de 200 restaurants de par le monde) prévoit elle aussi de bientôt déferler sur la Suisse.

tendances.

Y a pas d’âge pour les impôtsLIBAN — Face aux “nombreuses lacunes” qu’affichent les Libanais en matière de connaissances basiques sur les finances publiques, le gouvernement a décidé d’enseigner l’économie dès le plus jeune âge, relève L’Orient-Le Jour. Pour cela, l’Institut Basil Fuleihan, rattaché au ministère des Finances, publie un livret intitulé Dis, pourquoi on paie des impôts ? “avec des illustrations ludiques et un langage extrêmement simplifié. Entre les questions de fiscalité, d’épargne, de budget, de rôle du Parlement, les grands débats autour des finances publiques y sont évoqués avec chiffres à l’appui”, souligne le journal.

La viande décampe

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INSOLITES

Smog militaire et vélo dépolluant

● Vivre régulièrement dans la purée de pois, comme des millions de Chinois ? Cela n’a pas que des inconvénients. La pollution contribue à la défense nationale, se félicite le Global Times. “Le smog affecte peut-être la santé des gens et leur vie quotidienne, mais sur le champ de bataille il offre un avantage défensif lors des opérations militaires”, assure le quotidien nationaliste. Le brouillard polluant entrave le guidage des missiles et il réduit à néant les opérations de reconnaissance photographique par satellites et drones, explique le journal du groupe du “Quotidien du peuple”, organe du PC. L’article, repris par le South China Morning Post, a vite disparu de la Toile. Il faut dire que cette analyse a passablement énervé les internautes. Les vertus de l’air vicié ne convainquent pas tout le monde : à Bangkok, on planche sur un vélo mangeur de pollution, rapporte le site Fastcoexist. Cette bicyclette imaginée par une équipe d’ingénieurs et de designers thaïlandais a une double action. Son cadre métallique génère de l’oxygène par un “système de photosynthèse”, en faisant réagir de l’eau (contenue dans un réservoir) avec l’électricité d’une batterie lithium-ion. Le guidon est doté d’un filtre purifiant l’air respiré par le cycliste. Bon, d’accord, pour l’heure, cette merveille conçue par Lightfog Creative and Design Company n’a pas de prototype. Elle n’existe qu’à l’état de maquette. Mais ne chinoisons pas : ce concept a déjà remporté le prestigieux prix de design Red Dot.

—Die Zeit (extraits) Hambourg

En plein Kreuzberg [quartier branché de Berlin], au pied du pont Baerwaldbrücke, parquée

entre deux voitures, trône la plus petite maison de la capitale allemande. A pre-mière vue, ce conteneur noir de 4 mètres carrés posé sur une remorque a plutôt l’air d’une camionnette de livraison. Sur son toit, une demi-coupole à laquelle on accède par une échelle située sur le côté du conteneur : bienvenue dans la chambre à coucher de l’Unreal Estate House [jeu de mots construit sur l’an-glais real estate, qui signifie “immobi-lier”, et unreal, “irréel”].Au rez-de-chaussée, on peut faire tenir 4  adultes debout. Pas un de plus. Mais on y fait aussi tenir tout ce dont une maison a besoin. A gauche, un coin cuisine avec un réchaud à gaz portatif. Une planche de bois qui va jusqu’à la paroi opposée sert de table. Lorsqu’on la relève, on découvre des toilettes mobiles et un trou pour l’évacuation de l’eau de la douche. Le réservoir d’eau est accroché au pla-fond. Les deux portes coulissantes en Plexiglas qui composent la paroi avant de l’Unreal Estate House offrent à ses occupants une vue imprenable sur le Landwehrkanal. Cette maison minia-ture est toutefois encore en travaux :

sa chambre à coucher prend l’eau et ses équipements intérieurs doivent être vissés et vérifiés.Ce nouvel habitat a été imaginé par Van Bo Le-Mentzel, designer militant allemand d’origine laotienne. Avec ce projet, il veut attirer l’“attention sur la hausse des loyers et la réduction des espaces habitables” et pas uniquement à Berlin. “Pour moi, le logement est un droit de la personne qui ne devrait pas dépendre des revenus”, explique-t-il.Dès qu’il l’aura achevée, l’architecte mettra son Unreal Estate House gra-tuitement à la disposition de la collectivité. Il entend également publier ses plans de construction sur Internet, pour que tous ceux qui le sou-haitent puissent se construire un tel espace. Il destine sa maison à de mul-tiples usages : toit pour les sans-abri, bureau ou boutique éphémère.Il existe déjà une Unreal Estate House. Elle est installée devant la Pinacothèque de Munich. Dans l’esprit de Van Bo Le-Mentzel, les maisons miniatures sont vouées à se multiplier en Allemagne. Car cette idée d’unité d’habitation mobile n’est pas unique en son genre. Au mois de juin, l’architecte Renzo Piano [qui a conçu le Centre Pompidou, à Paris] a dévoilé la maison

miniature Diogène sur le campus du fabricant de mobilier Vitra, à Bâle. L’idée, là encore, est de promouvoir une certaine forme de liberté dans le logement. Avec ses doubles parois et son chauffage au sol, Diogène offre nettement plus de confort que l’Unreal Estate House. Mais ce standing a un coût : au minimum 20 000 euros. Le chemin qui mène à la maison indivi-duelle parfaite est semé d’embûches, précisait Renzo Piano lorsqu’il l’a pré-sentée cet été.A Berlin, la vie n’est pas non plus un long fleuve tranquille. La nuit dernière, l’Unreal Estate House a été cambriolée et des outils volés. “Si quelqu’un nous cambriole, c’est qu’il est vraiment dans le besoin”, commente Van Bo Le-Mentzel, qui ne veut pas monter l’affaire en épingle. Lui préfère poursuivre son travail, une scie à bois plate et longue à la main. “Si mon esprit était un outil, ce serait une scie japonaise, confie-t-il. Il faut la tirer vers soi, et non la pousser comme une scie à main occidentale.” Le symbole, à ses yeux, de rapports humains plus sensibles.Au fil de la journée, quelques passants s’arrêtent devant le chantier. Une dame à vélo risque quelques questions et repart convaincue, les deux pouces tournés vers le haut. La police passe deux fois en voi-ture. Les agents regardent, mais n’inter-

viennent pas. “En Allemagne, une voiture peut légalement occuper

10 mètres carrés pour son station-nement ; il nous reste 6 mètres carrés”, justifie l’architecte. Il est toutefois interdit de vivre

dans une voiture, mais cela ne le préoccupe guère : “La police voit

bien que nous ne faisons rien de mal. Nous sommes des adeptes de l’‘économie du karma’.”A la fin de cette journée de travail, le poêle n’a pas bougé et des tuyaux jonchent le sol. Toujours pas de solution en vue. En revanche, les fuites dans la demi-cou-pole sont colmatées. Il faudra encore un peu de temps pour que les locataires de l’Unreal Estate House puissent y prendre leurs quartiers. Objectif : que le proto-type berlinois soit sur pied avant la pre-mière vague de froid.

—Lara SielmannPublié le 3 décembre

Une petite maison qui voit grandAfin d’alerter sur la hausse des loyers et le manque de logements en Allemagne, un architecte militant élabore des maisons de 4 mètres carrés.

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360°74. Courrier international — no 1207 du 19 décembre 2013 au 1er janvier 2014

↗ Al-Biruni, érudit de génie, était un touche-à-tout. Outre l’existence d’un autre continent, il s’était également intéressé aux phases de la Lune, comme le prouve cette illustration de sa main provenant d’un de ses ouvrages.Photo DR

En savoir plusLES AVENTURES DE SAINT BRENDAN

Al-Biruni a beau revendiquer le titre de “découvreur virtuel” des Amériques, le saint irlandais Brendan de Clonfert aurait, selon certains récits, rallié le Nouveau Monde bien plus

tôt. Né vers 484, le moine Brendan, dit “le Navigateur”, se hasarde vers 544 dans l’Atlantique, en quête du jardin d’Eden. A son retour, il affirme avoir découvert une île semblable au Paradis. Dès l’an 900, une version féerique des aventures du saint homme circule en Europe. Certains exégètes estiment qu’il aurait pu découvrir l’Amérique. En 1976, l’Irlandais Tim Severin, à bord d’une embarcation comparable à celles du vie siècle, atteint Terre-Neuve en passant par l’Islande, démontrant ainsi la possibilité du voyage de saint Brendan.

eux, ont bel et bien débarqué en Amérique du Nord un peu avant l’an 1000, même s’ils n’ont pas compris à l’époque ce qu’ils venaient de trou-ver. Mais Biruni mérite au moins autant qu’eux le titre de découvreur de l’Amérique. Surtout que le processus intellectuel par lequel il a fini par conclure à l’existence d’un nouveau continent n’est pas moins époustouflant que ses conclu-sions elles-mêmes. Car plutôt que les méthodes de navigation aléatoires des marins vikings, il a usé d’une habile combinaison d’observations méticuleuses, de données quantitatives soigneu-sement collectées et de logique rigoureuse. Il faudra attendre encore près cinq siècles avant qu’une analyse aussi rigoureuse soit appliquée à l’exploration du monde.

—S. Frederick StarrPublié en décembre

la géographie, la cartographie, la géométrie et la trigonométrie. Il parlait le persan, l’arabe et le chorasmien, la langue de la dynastie sunnite qui régnait alors sur une grande partie de l’Iran. Par la suite, il apprit également le sanskrit.

A 17 ans, Biruni calcule la latitude et la longi-tude de Kath. Puis, s’aidant de sources grecques antiques, il collecte des données géographiques sur le monde méditerranéen, auxquelles il entre-prend d’ajouter les coordonnées d’autres lieux situés aux quatre points cardinaux. Ayant lu des auteurs antiques comme Claude Ptolémée (90-168 de notre ère), mais s’inspirant aussi de sources plus récentes et de ses propres observations sur le terrain, il en déduit que la Terre est ronde. A l’âge de 30 ans, il fait appel aux systèmes les plus sophistiqués de son temps pour en calculer la cir-conférence précise.

Arrivé à la conclusion que la Terre est une sphère, il entreprend de placer sur la nouvelle carte du monde qu’il dresse tous les endroits connus à son époque. C’est là qu’il s’aperçoit que, selon ses calculs, toute la masse eurasienne, du point le plus occidental de l’Afrique au point le plus orien-tal de Chine, ne représente que deux cinquièmes du globe. Qu’y a-t-il sur les trois cinquièmes res-tants ? La plupart des géographes, de l’Antiquité jusqu’au XIe siècle, considéraient que le continent eurasiatique était entouré d’un “Océan mondial”. Mais un monde ainsi couvert d’eau ne risque-t-il pas d’être déséquilibré ? Biruni en conclut qu’un ou plusieurs autres continents doivent exister. Ces terres sont-elles des déserts sauvages ou abritent-elles des populations ? Se replongeant dans ses données sur les latitudes et les longitudes de lieux connus, il constate que l’homme peuple une vaste bande nord-sud qui va de la Russie au sud de l’Inde et au cœur de l’Afrique.

C’est en 1037 que Biruni parvient à ses conclu-sions historiques quant à l’existence du Nouveau Monde, en se fondant sur ses recherches menées pendant trente ans. Peut-on dire qu’il a découvert l’Amérique durant le premier tiers du XIe siècle ? En un sens, non, bien sûr. Il n’a jamais posé les yeux sur le Nouveau Monde ni sur les continents dont il parle dans ses écrits. Alors que les Vikings,

—History Today (extraits) Londres

Depuis plus de cent ans, universitaires, pas-sionnés et farfelus se posent la question : qui a vraiment découvert l’Amérique ?

Certaines théories, totalement excentriques, évoquent la présence de Phéniciens à Rhode Island, ou de Chinois dans ce qui n’était pas encore la baie de San Francisco. Dans les années 1950, Thor Heyerdahl, anthropologue et naviga-teur norvégien haut en couleur, affirmait que les Péruviens, à bord de voiliers en balsa, faisaient régulièrement l’aller-retour entre les Amériques et la Polynésie, longtemps avant que Christophe Colomb ne prenne la mer. Plus sérieusement, des spécialistes scandinaves se sont penchés sur les sagas nordiques, en quête de preuves de l’anté-riorité de la découverte des côtes nord-améri-caines par leurs ancêtres. L’histoire des Vikings fendant les flots à bord de leurs navires pour explorer et coloniser le Groenland est aujourd’hui bien connue. Elle a été confirmée par des fouilles archéologiques le long du littoral groenlandais. Au début du XXe siècle, le professeur norvégien Gustav Storm a aussi démontré que les hommes du Nord avaient effectué plusieurs voyages jusqu’au Canada, vers des contrées qu’ils avaient baptisées Markland (le sud de l’actuel Labrador), Helluland (l’île de Baffin) et Vinland (la Nouvelle-Ecosse).

A peu près à l’époque où les Vikings explo-raient le Groenland, une découverte d’un autre genre se déroulait loin de tout océan. Depuis des milliers d’années, des négociants venus de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, le Turkménistan et l’Afghanistan convoyaient des marchandises dans de longues caravanes parcourant l’Eurasie. Rentrés chez eux, ces marchands d’Asie centrale racontaient leurs aventures, consignant des infor-mations détaillées sur la géographie et le climat des terres qu’ils avaient visitées, des récits qui étaient ensuite rassemblés et étudiés par des lettrés locaux.

Le plus brillant de ces érudits était Abu Rehan Al-Biruni (973-1048). Né à Kath, près de la mer d’Aral, il s’était dans sa jeunesse familiarisé avec les mathématiques, l’astronomie, la minéralogie,

Le Persan qui a découvert

l’AmériqueXIe siècle Ouzbékistan

Abu Rehan Al-Biruni, lettré musulman, aurait peut-être découvert le Nouveau

Monde des siècles avant Christophe Colomb, grâce à la seule puissance de ses calculs.

histoire.

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