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EUROPE— LA LEÇON DE MERKEL AFGHANISTAN— EN ROUTE VERS L’INCONNU Histoire— Sand Creek, requiem pour les Cheyennes Notre hors-série en vente chez votre marchand de journaux Un monde sans déchets vu par la presse étrangère (!4BD64F-eabacj!:P;k Rien ne se perd tout se transforme Economie circulaire N°1258 du 11 au 17 décembre 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

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Courrier International du 11 décembre 2014

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EUROPE— LA LEÇON DE

MERKEL AFGHANISTAN—

EN ROUTE VERS L’INCONNU

Histoire—Sand Creek,

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Notre hors-série en vente chez

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p.42 CULTURE

L’écrivain polonais Andrzej Stasiuk s’aventure en Asie, à

la recherche des impressions

de son enfance.

Interview dans

le journal polonais

Newsweek Polska.

ÉDITORIALÉRIC CHOL

Une économie en révolution

Lorsque Karl Marx a écrit Le Capital, en 1867, l’usine du monde ne tournait pas encore

à plein régime. Sans doute les Shadoks pompaient-ils déjà les sous-sols de la Terre, mais avec 1,2 milliard d’êtres humains on ne se marchait pas encore sur les pieds et on était loin d’imaginer que la planète produirait un jour des montagnes de déchets.Un siècle et demi plus tard, les cadences ont explosé : la population mondiale a sextuplé, les courbes des PIB se sont envolées, un habitant sur deux vit désormais en ville, les icebergs fondent comme un cône glacé en plein été et la forêt amazonienne a des airs de grande clairière. Pendant ce temps, les Shadoks creusent toujours plus profond pour trouver du pétrole ou du gaz de schiste. La planète hoquette, ce qui fait dire aux héritiers de Marx – un courant en vogue – qu’elle tourne moins rond : le capitalisme semble s’épuiser aussi rapidement que les ressources en eau.Face à ces mutations, les partisans de l’économie circulaire ont ceci de remarquable qu’ils ne sont ni des utopistes forcenés ni des idéologues rétrogrades, mais plutôt des révolutionnaires réalistes. Le système actuel n’est plus tenable, ils le savent. C’est pourquoi ils proposent de remplacer le triptyque “produire-consommer-jeter” par l’économie de la nouvelle ère : celle qui réemploie, régénère, et qui tourne enfi n rond. Un modèle que n’aurait pas renié le philosophe grec Anaxagore (500 – 428 av. J.-C.), auteur de la formule “rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent puis se séparent de nouveau”. A voir les sociétés multinationales Philips, Michelin, H&M, Starbucks ou Renault prendre à grande vitesse le virage de l’économie circulaire, selon laquelle rien ne se jette et tout se transforme, on comprend pourquoi Anaxagore est considéré comme un précurseur. L’homme de la révolution.

En couverture : dessin de Joe Magee pour Courrier international.

p.28à la une

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Sommaire

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SUR NOTRE SITE

ENQUÊTE. Le témoignage de l’ex-cadre de la banque JP Morgan Chase qui aide les autorités à mettre au jour ce qui pourrait être le plus grand scandale fi nancier de l’histoire américaine.

EN VIDÉO. L’œil de Courrier : le tour du monde des vidéos à ne pas rater cette semaine.

ÉTATS-UNIS. Le suivi des manifestations après l’aff aire Ferguson.

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

Un peu partout dans le monde, des entreprises amorcent leur transition vers l’économie circulaire : un cercle vertueux dans lequel l’idée même de déchets disparaît, explique notamment le site américain Ensia.

TRANSFORME

p.16

Afghanistan. En route vers nulle partReportage du Spiegel sur les diffi cultés de la reconstruction alors que les troupes de l’Otan achèvent leur retrait.

AFGHANISTAN

p.12

France. Torture en boîteL’hebdomadaire américain Newsweek a mené une enquête dans les Landes, sur les terres des plus gros producteurs de foie gras du monde.

p.34

Médias. Le foot enfi n rentable ?

Grâce aux réseaux sociaux, les grands clubs peuvent cibler les millions de fans qu’ils ont dans le monde et gagner beaucoup d’argent. Une enquête du Financial Times.

Chez votre marchand de journaux, retrouvez notre hors-série Le Monde en 2015 vu par l’hebdomadaire britannique Th e Economist.

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2. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 3

Sommaire Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Décembre 2014. Commission paritaire n° 0717c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel lecteurs@courrier international.com Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (Edition, 16 58), Rédacteur en chef adjoint Raymond Clarinard Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Conception graphique Javier Errea Comunicación

7 jours dans le monde Caroline Marcelin (chef des infos, 17 30), Iwona Ostapkowicz (portrait) Europe Gerry Feehily (chef de service, 1970), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alé-manique, 16�22), Laurence Habay (chef de service adjointe, Russie, est de l’Europe, 16 36), Judith Sinnige (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34), Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, Pologne, 16 74), Emmanuelle Morau (chef de rubrique, France, 19 72), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Sabine Grandadam (Amérique latine, 16 97), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Phi-lippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Virginie Lepetit (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Caroline Marcelin (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Corentin Pennarguear (Tendances, 16 93), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Clara Tellier Savary (chef d’édition), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Laura Geisswiller (rédactrice multimédia), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 16 87), Patricia Fernández Perez (marketing) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Hélène Rousselot (russe), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Luc Briand (chef de service, 16 41) Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Informatique Denis Scu-deller (16 84), Rollo Gleeson (développeur) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Wissem Amroune, Edwige Benoit, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Isabelle Bryskier, Camille Cracco, Pricilla Degardin, Camille Drouet, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Marion Gronier, Laurent Laget, Jean-Baptiste Luciani, Valentine Morizot, Polina Petrouchina, Diana Prak, Aude Quenedey, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Anne Thiaville

Service clients Abonnements Courrier international, Service abonnements, A2100 - 62066 Arras Cedex 9. Tél. 03 21 13 04 31 Fax 01 57 67 44 96 (du lundi au vendredi de 9 h à 18 h) Courriel [email protected] Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris Tél. 01 57 28 27 78

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Algérie-Focus (algerie-focus.com) Alger, en ligne. Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. Daily Times Lahore, quotidien. Ensia (ensia.com) Saint Paul (Minnesota), en ligne. O Estado de São Paulo São Paulo, quotidien. Financial Times Londres, quotidien. Global Post (globalpost.com) Boston, en ligne. Al-Hayat Londres, quotidien. Al-Hayat Al-Jadida Ramallah, quotidien. Hürriyet Istanbul, quotidien. Inquirer Business Manille, quotidien Los Angeles Times Los Angeles, quotidien. Moskovski Komsomolets Moscou, quotidien. Nandu Zhoukan Canton, hebdomadaire. Newsweek

New York, hebdomadaire. Newsweek Polska Pologne, hebdomadaire. The New York Times New York, quotidien. Der Spiegel Hambourg, hebdomadaire. Süddeutsche Zeitung Munich, quotidien. Der Tagesspiegel Berlin, quotidien. The Wall Street Journal New York, quotidien. El-Watan Alger, quotidien. Welt am Sonntag Berlin, hebdomadaire.

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici la rubrique “Nos sources”).

7 jours dans le monde4. Etats-Unis. L’Amérique divisée en deux camps ?

D’un continent à l’autre— EUROPE8. Union européenne.Merkel : “Réformes insuffi santes à Paris et à Rome”9. Allemagne. Les rouges sont de retour10. Russie. La “guerre sainte” de Poutine

— FRANCE12. Gastronomie. Torture en boîte

13. Diplomatie. La Palestine reconnaissante

— AMÉRIQUES14. Etats-Unis. La Silicon Valley abat sa Jungle

15. Brésil. Haro sur la spéculation immobilière

—  ASIE16. Afghanistan. En route vers nulle part

— MOYEN-ORIENT21. Israël. Une démocratie grignotée par la haine

22. Turquie. Erdogan sur les pas de Kadhafi

23. Algérie. La frime des friqués

— BELGIQUE24. Urbanisme. Anvers contre les night-shops

A la une28. Rien ne se perd,

Transversales34. Médias. Le foot enfi n rentable ?

36. Sciences. L’apprenti sorcier du climat

37. Signaux. La planète bleue

360°38. Histoire. Les larmes de Sand Creek

42. Culture. “Je vais dans les bazars vérifi er que l’humanité est vivante”

44. Tendances. Les amants imaginaires

46. Plein écran. Jérusalem sans bruit ni fureur

47. Voyage. Le Tonlé Sap, poumon de vie

tout se transforme

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

7 jours dansle monde. ↓ Comment nous donnons des couleurs

à nos conversations sur la race…Dessin d’Adam Zyglis, paru dans

The Buff alo News, Etats-Unis.ÉTATS-UNIS

L’Amérique divisée en deux camps ?

—The New York Times New York

De Ferguson (Missouri)

A shley Bernaugh est blanche, et elle a épousé un Noir il y a dix ans. Depuis, ses proches, dans

l’Indiana, se sont tellement entichés de lui qu’elle se moque d’eux en leur repro-chant de l’aimer plus qu’elle. Aussi a-t-elle été surprise par la réaction de sa famille, après la mort de Michael Brown, un ado-lescent noir abattu par Darren Wilson, un policier blanc, dans la ville de Ferguson. Obligée de s’engager dans des discussions plus franches que jamais sur la question raciale avec ses parents, Ashley Bernaugh raconte qu’ils sont apparemment plus scan-dalisés par les manifestations que par le meurtre, qu’elle considère, elle, comme une injustice.

“Ils ne voient pas à quel point elle est omni-présente, déclare-t-elle au sujet de la discri-mination raciale. C’est vraiment décevant de se dire que sa propre famille est prête à cataloguer tout un peuple, à gober le dis-cours qui dit : ‘Oh, ce sont des manifesta-tions violentes.’”

C’est comme si Ashley Bernaugh, qui, à 29 ans, travaille dans une ONG et réside à Florissant, dans la banlieue de Saint Louis, était écartelée entre deux mondes. Dans l’un, sa belle-mère noire lui tapote le dos et lui dit qu’elle est fi ère de l’en-tendre dénoncer l’assassinat de Brown. Dans l’autre, sa famille et ses amis blancs lui demandent de se calmer – parce que “tu ne sais pas tout”.

C’est toujours avec une certaine gêne que les Américains abordent la question raciale dans leurs conversations. Mais ces derniers temps, la mort, très média-tisée, de Noirs tués par des policiers à Ferguson, New York, Cleveland et ailleurs – et les manifestations que ces décès ont déclenchées dans tout le pays – ont mis en lumière, de façon aussi inattendue que dérangeante, de cruelles divergences d’opi-nion au sujet des relations raciales, entre amis, collègues, voisins et même parents.

Pour tout dire, beaucoup de gens ont le sentiment d’être contraints de choisir

Serge Lazarevic libéréMALI – “Notre dernier otage est libre” : c’est ainsi que François Hollande a annoncé la libéra-tion de Serge Lazarevic près de Kidal, dans le nord du Mali, le 9 décembre. Selon le site malien sahelien.com, Lazarevic a été échangé avec deux prisonniers d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). “Le 6 décembre dernier, deux détenus d’Aqmi sont trans-férés discrètement de Bamako vers le Niger voisin. Là, un négocia-teur d’otages les attend pour faire l’échange avec Serge Lazarevic dans un endroit jusque-là tenu secret.” Et le site d’information ajoute : “Ironie du sort, les deux prisonniers arrêtés en 201, sont soupçonnés d’être impliqués dans le rapt de Philippe Verdon et de Serge Lazarevic le 24 novembre 2011, à Hombori, dans le centre du Mali.

La faim hante le Royaume-UniPAUVRETÉ – Entre 2013 et 2014, près de 1 million de personnes ont eu recours à une banque ali-mentaire pendant au moins trois jours, contre 346 000 entre 2011 et 2012. Selon un rapport par-lementaire fi nancé par l’Eglise anglicane, c’est surtout le régime des aides de l’Etat, plus strict qu’auparavant, qui pousse les Britanniques vers la pauvreté, souligne The Guardian. “Le pays est hanté par la faim, causée par les bas salaires, les inégalités et la désintégration du tissu social”, stipule le rapport publié le 8 décembre.

Des manifestations qui dénoncent les violences policières contre les Noirs se poursuivent dans plusieurs villes du pays, ravivant des tensions raciales que l’on croyait disparues.

leur camp. Dans des interviews réalisées à Ferguson et ailleurs, Noirs et Blancs évoquent des discussions tendues sur le lieu de travail ou au dîner à propos de ces morts et des manifestations qui en ont découlé. Beaucoup avouent avoir eu la sur-prise de découvrir sur les réseaux sociaux les opinions et les stéréotypes de parents et d’amis quant aux représentants d’autres races. Dans certains cas, ces relations ont pris fi n, dans la vraie vie comme en ligne.

Kenny Hargrove, un Noir de Brooklyn âgé de 36 ans marié à une Blanche, rapporte que son épouse et lui se sont disputés avec un membre de sa belle-famille qui avait mis en ligne un mème à caractère raciste sur Facebook à peu près au moment de la mort de Michael Brown. Leur parente en a été si outrée qu’elle les a supprimés de sa liste d’amis. Aujourd’hui, elle s’ef-force de se rabibocher avec eux et leur a de nouveau proposé d’être leur “amie”. Mais Hargrove avoue qu’il a hésité. “Si je vois que tu as encore mis un truc débile, ça sera fi ni pour toujours”, l’a-t-il prévenue.

En fait, le jour où le grand jury de Staten Island a refusé d’inculper un agent de police pour la mort par étouff ement d’Eric Garner, Hargrove a affi ché ce qui suit sur sa page Facebook : “Ce message est destiné à ceux qui, sur ma liste d’amis, se demandent encore pourquoi les Noirs sont en colère en ce moment. Si vous ne comprenez toujours pas, si vous ne voyez toujours pas où est le problème, si vous continuez de penser que les manifestations ne sont l’aff aire que de voyous en colère qui rêvent juste de se procurer des télés gratuitement, dites-le moi. Je n’ai pas la

force de tout vous expliquer, mais il m’en reste assez pour vous virer de ma liste.”

Toutefois, Peter Weiss, un Blanc de 41 ans qui habite à Staten Island, estime que beaucoup de Noirs sont apparemment inca-pables d’écouter d’autres points de vue au sujet des violences policières. Pour l’illus-trer, Weiss nous raconte un incident qui s’est déroulé le 3 décembre au Karl’s Klipper, un bar-restaurant de sa ville. Au moment où la nouvelle du non-lieu était annoncée à la télévision, un Africain-Américain avec qui il entretenait des liens d’amitié s’est approché de lui et l’a traité de “gros beauf”. D’ordinaire, cette personne était calme, gentille et sensible, mais la nouvelle l’avait ulcérée, commente Weiss. Cet échange l’a conforté dans son idée que les gens consi-dèrent les événements actuels à travers le prisme d’un racisme qui, selon lui, appar-tient en réalité au passé. “Les Noirs et les Blancs, on ne se hait plus, il n’y a plus vrai-ment de racisme pour ce qui compte, comme pour trouver un boulot, dit-il. Franchement, les gens sont tellement prisonniers du passé, il est temps d’évoluer.”

Ce sont des attitudes de ce genre qui poussent David Odom, un juriste noir de 50 ans, à penser que les relations raciales se sont détériorées dans le sillage des dernières bavures policières, et qui expliquent pourquoi il préfère éviter d’aborder ce sujet épineux avec des Blancs. Noirs et Blancs n’ont pas la même expé-rience, et il est trop diffi cile de réconci-lier leurs visions du monde, constate-t-il.

—John EligonPublié le 5 décembre

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LA PHOTO DE LA SEMAINE

Drôle de “silence”

UKRAINE —Le 8 décembre, le président Petro Porochenko a décrété un nouveau “jour de silence” dansle Donbass : l’armée ukrainienne s’engage à ne pas ouvrir le feu sur les séparatistes, geste de bonne volonté théorique à la veille de l’éventuelle reprise des pourparlers de paix, prévue pour le 12 décembre. Mais, le jour même de cette annonce, les deux camps se sont déchaînés, comme le montre ce cliché d’un artilleur ukrainienlongeant un tas de douilles d’obus dans le village de Pisky, près de l’aéroport de Donetsk. Le lendemain, “le régime du ‘silence’ a été violé six fois par les séparatistes”, assure le quotidien de Kiev Den. Lesquels séparatistes accusent évidemment les Ukrainiens d’avoir tiré les premiers.

ILS PARLENTDE NOUS

CHARLES BREMNER, correspondant à Paris du quotidien britannique The Times.

Plan anti-pollution à Paris : “Pas trop tôt”Que pensez-vous du plan antipollution annoncé pour Paris par Anne

Hidalgo ?Paris souff re d’un trafi c

pléthorique. Il aurait fallu agir avant. Rome et Berlin ont pris des mesures

il y a longtemps. A Londres, le parking

payant en centre-ville dissuade les automobilistes de prendre leurs voitures. Les voitures électriques et les vélos sont une bonne solution pour faire respirer la ville. En revanche, l’interdiction des moteurs Diesel évoquée par la maire de Paris pour 2020 est plus problématique. Les Français ont été encouragés pendant longtemps à acheter ce type de véhicules, c’était un choix politique. Cette interdiction pourrait pénaliser les ménages les moins favorisés.

Quelle image les Britanniques ont-ils de Paris ?Je vis à Paris depuis vingt ans et l’image de la ville n’a pas beaucoup changé auprès de mes compatriotes. Ils ont tous en tête la hantise d’une circulation infernale avec la place de l’Etoile et la rue de Rivoli bloquées et les Français ont très mauvaise réputation au volant. Si la capitale française est beaucoup plus petite que Londres, on y compte un nombre plus important d’habitants au kilomètre carré, notamment en centre-ville. Cette incroyable densité intra muros surprend et peut déprimer les touristes qui se font l’idée d’une ville romantique où il est agréable de fl âner. C’est le fameux “syndrome de Paris” dont souff rent les Japonais.

Corruption capitaleITALIE – Depuis le démantèle-ment par la police d’un gigan-tesque réseau mafieux à Rome, le 4 décembre dernier, chaque jour apporte son lot de révéla-tions sur l’ampleur du scandale. Lundi 8  décembre, la presse italienne rapportait le soupçon

d’enrichissement illicite concer-nant l’ancien maire de Rome (de 2008 à 2013), Gianni Alemanno. “Alemanno en Argentine avec des valises remplies de billets”, écrit Il Messagero. Appels d’offres faussés, corruption aggravée, détournements de fonds  : les accusations se multiplient et visent des dizaines de personnes, hommes politiques de gauche

et de droite, entrepreneurs, fonctionnaires, etc. Le système mafi eux mis en place favorisait notamment un consortium de coopératives qui géraient des centres d’accueil pour migrants.

Podemos s’inspire de Game of ThronesESPAGNE – “Gagner ou mourir.” C’est le titre d’un essai sur Game of Thrones, la saga de George R.R. Martin, publié aux éditions Akal et coordonné par Pablo Iglesias, le leader de Podemos, mouvement citoyen devenu la formation politique la plus popu-laire du pays. Pour l’eurodéputé de 36 ans, également présentateur télé, le succès de la série repose en partie sur “son scénario de des-truction de l’ordre civil et politique” qui coïncide avec la période de marasme actuelle et “une prise de conscience fataliste que notre civili-sation occidentale telle que nous la connaissons touche à sa fi n”, rap-porte La Vanguardia.

Le cybercrime a-t-il franchi une étape ?TECHNOLOGIE – Fin novembre, des pirates ont attaqué le système informatique du siège de la société Sony Pictures, en Californie, et ont saisi des milliers de données appartenant aux collaborateurs de l’entreprise. L’opération “porte les marques de DarkSeoul, un groupe d’hackeurs suspecté d’avoir des liens avec la Corée du Nord”, avance Bloomberg Businessweek. La sortie du fi lm The Interview par Sony – une comédie sur une ten-tative d’assassinat du leader Kim Jong-un – a pu mener la Corée du Nord à se venger, écrit le Los Angeles Times. Pour Bloomberg Businessweek, “si la Corée

Six ans après l’éclatement spectaculaire de la bulle immobilière qui a entraîné une chute des prix de 50 %, le marché immobilier irlandais a réalisé un bond de 15 % en 2014, rapporte l’Irish Times. Selon une étude menée par le consultant immobilier Knight Frank, l’Irlande a “le marché le plus dynamique du monde”, devant la Turquie (+ 14 %), Dubaï (+ 12,5 %), et le Royaume-Uni (+ 10,5 %). Selon Bruxelles, l’Irlande pourrait également affi cher la plus forte croissance de la zone euro en 2014 : 4,6 %.

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7 JOURS Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 11 décembre 2014 n°�2204

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Zhou Yongkang, le tigre qui a brisé les règlesL’ancien tsar de la sécurité est aujourd’hui le plus haut personnage de l’appareil du Parti à avoir été remis à la justice.

—Courrier international

Zhou Yongkang, ancien res-ponsable de la sécurité au Comité permanent du

Bureau politique, a été placé le 6 décembre en état d’arrestation. Il faisait l’objet d’une enquête interne de la Commission de discipline du Parti depuis un an pour cor-ruption. La transmission de son dossier aux autorités judiciaires annonce de manière certaine une inculpation suivie d’un procès, un processus en général rapide, de l’ordre de quelques mois.

Zhou sera poursuivi pour six crimes : grave manquement à la discipline politique du Parti, aux règles de l’organisation et aux règles du secret ; prise illégale d’intérêts au bénéfi ce de tiers ; corruption passive directe ou indi-recte à grande échelle ; délit d’ini-tié et népotisme ; divulgation de secrets du Parti et de l’Etat ; rela-tions sexuelles illicites multiples.

Certains observateurs estiment que l’ancien tsar de la sécurité risque la peine capitale avec sursis, souligne le South China Morning Post. L’accusation de divulgation de secrets d’Etat mènera sans doute à un procès à huis clos.

La presse hongkongaise et taïwanaise traite abondamment de l’arrestation de Zhou Yongkang, mais la presse de Chine populaire dans son ensemble se borne à reproduire les dépêches de l’agence offi cielle Xinhua. Les conversa-tions des internautes chinois sont largement censurées. “Le monde commente avec ferveur la mise en état d’arrestation de Zhou Yongkang. Sa peine pourrait être plus lourde que celle de Bo Xilai”, lance pourtant le quotidien offi ciel chinois Huanqiu Shibao. Zhou, qui a eff ectué une partie de sa carrière dans l’indus-trie pétrolière, sera le premier responsable de ce niveau à être destitué pour corruption : c’est un “tigre” qui a brisé les règles du Comité permanent.

“L’esprit de justice guide la Chine, Zhou Yongkang s’en rend compte un peu tard”, commente le Huanqiu Shibao dans un éditorial. “Certains ont longtemps pensé que la lutte contre la corruption était trop risquée

pour la ‘stabilité’, d’autres que les grands tigres contreraient l’attaque en se donnant la main.” Mais une série de hauts responsables ont fait l’objet d’une enquête, en particu-lier dans l’industrie pétrolière, et “ont immédiatement craqué psycho-logiquement”, affi rme le journal.

Le quotidien économique hong-kongais Shunpo (Hong Kong Economic Journal) note toute-fois que deux organismes consi-dérés comme les bastions de Zhou se sont dispensés de se féliciter de son arrestation. “Plus de dix villes et provinces se sont expri-mées, la Commission centrale de la politique et du droit s’est félici-tée de la mesure, mais le ministère de la Sécurité publique et la com-pagnie pétrolière nationale sont restés muets.”

De son côté, le quotidien hong-kongais Ming Pao ajoute que les déclarations d’approbation par diverses administrations, mises en bonne place sur leurs sites Internet respectifs dans un pre-mier temps, en ont été rapidement retirées, “de peur que le Parti n’ap-paraisse comme une clique qui règle ses comptes”.

Zhou Yongkang était craint dans tous les milieux, et parmi les Chinois en exil les langues sont plus déliées. “Parmi les gens qui se réjouissent se trouvent ceux qui rappellent que le système d’en-quête par la Commission de disci-pline du Parti a été justement mis en place par Zhou Yongkang”, sou-ligne l’éditorialiste en exil Chang Ping dans le quotidien hongkon-gais Apple Daily. “Qu’un homme soit jugé par les voies qu’il a lui-même tracées, c’est équitable”, disent-ils. “C’est exact, mais du point de vue du droit il s’agit d’une justice tordue”, assure Chang Ping.

du Nord est bien derrière cette attaque, cela serait un changement inquiétant dans le cybercrime d’ori-gine étatique, qui vise généralement des cibles militaires”. Pyongyang a dé menti à deux reprises être à l’origine de l’attaque.

Shinzo Abe confiantJAPON – Le gouvernement a enre-gistré une chute de popularité de 6,7 % puis de 1,9 % au cours des deux derniers trimestres. “Une surprise pour la plupart des ana-lystes, qui prévoyaient une légère atténuation des prévisions annon-cées le mois dernier”, écrit le Nihon Keizai Shimbun. Le Premier ministre Shinzo Abe reste cepen-dant confiant. D’après les son-dages eff ectués par le Mainichi Shimbun, la coalition au pouvoir (formée du Parti libéral-démocrate – PLD – et du Nouveau Komeito) devrait remporter plus de deux tiers des sièges aux élections

législatives du 14 décembre. “Le retour de la récession ne semble donc pas tant fragiliser le pouvoir en place, ce qui ébranle l’opposition”, rapporte l’Asahi Shimbun.

L’extrême droite sème la pagailleSUÈDE – Le parti anti-immigra-tion Démocrates suédois (SD) a provoqué la chute de la nouvelle coalition au pouvoir menée par

les sociaux-démocrates en soute-nant le 3 décembre le budget de l’opposition. Premier ministre depuis deux mois seulement, Stefan Löfven a été contraint d’annoncer des élections légis-latives anticipées pour le 22 mars prochain. Avec 49 sièges au Par-lement, les Démocrates suédois sont devenus en septembre der-nier la troisième force politique du pays. Un sondage Yougov, cité par le Dagens Nyheter, les crédite de 17,7 % des voix aux prochaines élections.

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INTERVIEW

Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

France ........... 1Amériques ........ 14Asie .............Moyen-Orient ..... 21Afrique .......... 23

d’uncontinentà l’autre.europe

—Welt am Sonntag (extraits) Berlin

L’Europe ne donne guère d’impulsions à la croissance. Le plan d’investissement de Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission, d’un montant de 300 milliards d’euros, semble presque désespéré. Est-ce une bonne idée ?ANGELA MERKEL Ce plan d’inves-tissement s’appuie sur la Banque européenne d’investissement, qui sélectionne des projets cohérents et leur accorde des crédits. Lors du prochain Conseil des ministres de l’Union européenne, en décembre, je demanderai qu’il soit assorti d’un portefeuille de projets. Nous avons besoin de projets qui servent l’unité européenne – dans le domaine du numérique, dans les infrastructures énergétiques et dans le secteur des transports, à l’image des projets mis en œuvre dans le domaine des transports qui ont mis l’unité alle-mande sur les rails dans les années 1990. Nous devons pouvoir présen-ter des projets solides et concrets aux investisseurs privés afin de les inciter à investir à leur tour.Pensez-vous vraiment que ce soit une bonne idée ? Les plans de relance font généralement long feu.C’est vrai. C’est pourquoi il est important que ce soit non pas un plan de relance, mais bien un programme d’investissement. Il est indéniable que l’Europe a besoin d’investissements. Ceux qui ont été mis en œuvre à l’aide des fonds européens dans les nouveaux Länder ou en Pologne, par exemple, faisaient sens. J’estime qu’il est tout aussi important de créer des conditions plus propices à l’inves-tissement, notamment en réduisant les formalités administratives, une proposition qui a reçu le soutien du président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Dans le numérique, il convient d’élaborer un cadre juridique afin qu’ici, en Europe, nous soyons capables de créer de la valeur ajoutée dans l’économie numérique, comme cela se fait aux Etats-Unis ou en Asie. Voulez-vous pénaliser Google et les géants américains pour protéger les entreprises euro-péennes ?C’est moins la critique des leaders américains qui nous fera avan-cer que notre réflexion, à nous Européens, sur la manière dont nos entreprises peuvent devenir compétitives à l’échelle mondiale.

Notre conception de la protection des données est importante. Il est tout aussi important que nos entreprises soient dotées des condi-tions qui permettent à l’économie numérique de croître et de créer des emplois. A l’heure actuelle, cela vient surtout des Etats-Unis et de l’Asie et moins de l’Europe. Jean-Claude Juncker a une deuxième idée : il propose de ne pas sanctionner la France et l’Italie, pourtant mauvais élèves en matière de déficit. Trouvez-vous cela également pertinent ?La Commission a fixé un calen-drier qui oblige la France et l’Italie à présenter de nouvelles mesures. Cette proposition se justifie, car chacun des deux pays a engagé un processus de réformes. La Commission leur a toutefois fait comprendre clairement que les réformes qu’ils avaient mises sur la table n’étaient pas suffisantes. Je partage son opinion.Vous jugez également que le Traité de libre-échange transatlantique (TTIP) avec les Etats-Unis peut jouer un rôle important pour la croissance européenne. Or les Allemands ne semblent pas y adhérer.Un accord de libre-échange entre ces deux grands espaces écono-miques sera créateur d’emplois. Par ailleurs, il nous donne la possibilité de fixer des normes dans le domaine de la protection des consomma-teurs, de l’environnement, ou encore dans le domaine social. Les accords qui seront conclus entre les Etats-Unis et l’Europe pourraient également faire référence dans d’autres régions du monde. Nous n’avons pas de temps à perdre dans

les négociations, car les régions Asie et Pacifique multiplient

actuellement les accords de libre-échange – notamment la Chine, qui se montre très entreprenante en la matière.Le TTIP suscite de vives dis-sensions dans votre coalition. Que se passera-t-il si le SPD ne le soutient plus ?Nous avons beaucoup d’arguments de poids à portée de main. Je parle régulièrement de la mondialisation avec les gens. Notre économie aussi est de plus en plus reliée à l’inter-national, cela a des conséquences et nous offre beaucoup d’oppor-tunités sur lesquelles nous devons être au clair.

—Propos recueillis par Robin Alexander

et Beat BalzliPublié le 7 décembre

↙ Dessin de Chappatte paru dans Le Temps, Genève.

Union européenne.Merkel : “Réformes insuffisantes à Paris et à Rome” A l’instar de Bruxelles, la chancelière attend des réformes de la France et d’Italie. Elle plaide aussi activement pour l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis.

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AMÉRIQUES.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

THURINGE

A L L E M A G N E

Erfurt

Berlin

Iéna

Superficie : 16 172 km2

Population : 2 161 000 habitants

200 km

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Nouveaux Länder (ex-RDA)

ALLEMAGNE

Les rouges sont de retourLe Parlement de Th uringe a élu le 5 décembre le premier chef de gouvernement régional héritier du Parti communiste est-allemand. Avec Bodo Ramelow s’ouvre une nouvelle ère, vingt-cinq ans après la chute du Mur.

Vu d’Italie

PathétiqueMerkel● La chancelière allemande affi rme que les réformes économiques initiées par Matteo Renzi et François Hollande sont “insuffi santes”. Sa mise en garde ne traduit pas tant une position de force qu’un aveu de faiblesse. La chancelière est aujourd’hui prise en tenaille entre une Europe en plein changement et une grande partie de son pays, qui refuse ce changement. A chaque sommet du G20 depuis plusieurs années, Angela Merkel se retrouve isolée dans sa défense de l’orthodoxie de l’austérité. La chancelière a donc dû s’adapter pour ne pas être bousculée par la décision de Juncker [d’off rir un délai supplémentaire jusqu’en mars prochain à Rome et Paris pour accélérer leurs réformes]. C’est ce qui l’a incitée à “être d’accord” avec cette mesure, sans toutefois manquer de rappeler que la France et l’Italie doivent encore cravacher. Comment imaginer que l’establishment allemand accepte ce changement sans broncher, lui qui défi nit sa propre identité par la rigueur monétariste ? Angela Merkel en est parfaitement consciente. Pour conserver sa mainmise sur l’Allemagne, elle ne peut baisser les armes. Elle doit prouver que Berlin est encore capable de demander des eff orts aux pays qui ne se conforment pas aux règles. Mais l’Allemagne a perdu la guerre de l’austérité quand l’Europe a choisi de favoriser les réformes et la croissance.

—Andrea BonanniPublié le 8 décembre

—Süddeutsche Zeitung (extraits) Munich

Les élections régionales sont des élections régionales, pas nationales et certai-

nement pas historiques. Il arrive pourtant qu’elles prennent une telle dimension – comme cela vient d’être le cas en Thuringe. Vendredi 5 décembre, le par-lement d’Erfurt a élu au deu-xième tour le socialiste Bodo Ramelow (Die Linke) ministre-président – il est le premier chef de gouvernement régional issu de La Gauche. Bodo Ramelow prend la tête de la première coalition rouge-rouge-verte [Die Linke, Parti social-démocrate (SPD)

et Verts] de la République. Cette élection a une portée politique inédite, dont l’impact sur le plan national n’est pas encore prévi-sible, mais qui peut se comparer à celle de la Hesse en 1985 et à celle du Bade-Wurtemberg en 2011.

C’est en 1985 qu’a été formé le premier gouvernement rouge-vert [SPD et Verts]. Joschka Fischer [qui deviendra plus tard ministre des Aff aires étrangères et vice-chancelier du gouvernement Schröder] avait alors prêté serment en tennis et allait devenir ministre régional de l’Environnement. Cette date marque le début de la carrière gouvernementale des Verts, qui participeront par la suite à 10 gouvernements régionaux avec le SPD. En 2011, c’est le Bade-Wurtemberg, bastion de la démocratie chrétienne (CDU) qui se choisit Winfried Kretschmann (Vert) comme ministre-président pour diriger une coalition verte-rouge, avec le SPD comme partenaire minoritaire.

Le poids historique du scrutin de Thuringe est encore plus grand : pour la première fois, un Land est gouverné par un ministre-président de Die Linke. Le nouveau gouvernement composé de La Gauche, du SPD et

des Verts a valeur expérimentale. Il suscite d’une part une grande curiosité – Die Linke réussira-t-il à se débarrasser de l’image brouillée qui lui colle à la peau et à jouer le jeu démocratique ? – et d’autre part un fort scep-ticisme, étant donné que le parti successeur du SED [le Parti communiste est-allemand] arrive précisément à la tête d’un Land vingt-cinq ans après la chute du Mur. Joachim Gauck en personne, le président de la République, avait exprimé un tel scepticisme le 2 novembre. Et quelques centa ines de manifestants ont déf i lé à Erfurt ces dernières semaines comme si Bodo  Ramelow et son gouvernement signifi aient le retour de la RDA.

Venu de RFA. A 58 ans, le nouveau ministre-président de Thuringe a tenté de dissiper les doutes dès son premier discours d’investiture, présentant expressément ses excuses aux victimes du régime est-allemand du SED. De même, dans l’accord de coalition, un document de 105 pages, les partenaires au pouvoir affi rment la nécessité de procéder à un “travail conséquent et sans concession sur la dictature au quotidien” de la RDA et saluent le mouvement pacifiste est-allemand [qui a conduit à la chute du Mur].

Ramelow a une réputation de pragmatique, il ne porte pas sur les épaules le poids de la RDA. Diplômé en gestion, son parcours politique est marqué par le syndicalisme d’abord en Hesse, puis en Thuringe, après la chute du Mur. Tous les commentaires à son propos rappellent qu’il est protestant pratiquant (de toute évidence, un élément inattendu de la part d’un responsable de Die Linke).

En Thuringe, la CDU se retrouve donc dans l’opposition pour la première fois depuis vingt-quatre ans, au côté de l’Alternative pour l’Allemagne [Alternative für Deutschland (AfD), droite

populiste] qui a fait son entrée au Parlement régional lors du scrutin du 14 septembre. Si les instances nationales de la CDU rejettent toute collaboration avec l’AfD, il n’est pas exclu que la “coalition Ramelow” fasse monter les voix favorables à un abandon de cette stricte démarcation par rapport à l’AfD. La coalition en Thuringe s ’appuie sur une major ité d’une seule voix au Parlement [46 sièges contre 45 à l’opposition]. Néa nmoins (ou peut- être précisément pour cette raison), le gouvernement Ramelow pourrait être stable, sous la houlette de son chef, qui n’affiche aucun autoritarisme.

Le premier gouvernement régional rouge-vert d’Allemagne en Hesse n’avait tenu que quatorze  mois, mais il avait marqué la percée politique des Verts. Le SPD se targue d’avoir domestiqué ce parti chaotique. Die Linke est, certes, autrement plus expérimenté politiquement que les Verts ne l’étaient il y a trente ans. Il siège actuellement dans dix Parlements régionaux et a une expérience de gouvernement avec le SPD au Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et à Berlin.

Au niveau national, entre le SPD et les Verts d’un côté et Die Linke de l’autre, les divergences en matière de politique étrangère et de défense sont profondes. Elles ne pèsent pas lourd au niveau régional. En conséquence, il est fort possible que, sous l’infl uence d’un ministre-président pragmatique en Thuringe, Die Linke assouplisse ses positions et fi nisse par devenir un partenaire de coalition acceptable au niveau national. L’élection de Bodo Ramelow en Thuringe libère plus que jamais l’imagination.

—Heribert PrantlPublié le 6-7 décembre

Ces élections régionales marquent un tournant historique

Die Linke devient un partenaire potentiel sur le plan national

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EUROPE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

—Moskovski Komsomolets Moscou

L’amiral Poutine a officiel-lement lancé la Fédération de Russie dans une croi-

sière politique en solitaire, pour des mois, voire des années. Au vu de la chute vertigineuse du rouble, de plus en plus de res-ponsables politiques en Occident sont convaincus qu’ils ont touché le talon d’Achille de l’ours russe, et qu’il suffit d’appuyer encore un peu pour le faire céder. Connaissant Vladimir Poutine, je ne doute pas une seconde qu’il préfère se couvrir publiquement de ridicule plutôt que d’envisa-ger un seul instant de capituler. De fait, j’ai moi-même été pris au dépourvu par la teneur de son argumentaire.

“C’est justement ici, en Crimée, dans l’antique cité de Chersonèse… que Vladimir le Grand fut bap-tisé avant de baptiser la Russie tout entière… C’est pourquoi nous pouvons dire que pour la Russie la Crimée revêt une véritable dimension civilisationnelle. Comme le mont du Temple à Jérusalem pour les juifs et les musulmans.” De telles réfé-rences historico-religieuses dans le discours d’un chef d’Etat laïc, selon la Constitution, cela peut sembler pour le moins exotique.

RUSSIE

La “guerre sainte” de PoutineComme en témoigne son discours du 4 décembre, le maître du Kremlin n’a pas l’intention de capituler face à la pression occidentale qui inflige à l’économie russe de graves dommages.

“Personne ne devrait oublier comment tout cela peut finir”Extraits du discours de Vladimir Poutine devant l’Assemblée fédérale le 4 décembre.

LA “SAINTE CRIMÉE”“Pour notre pays, pour notre peuple, cet événement a une signification particulière. Car ce sont nos compatriotes qui vivent en Crimée, et le territoire a une importance stratégique en tant que source spirituelle, tant de la nation russe dans sa diversité et dans son unicité que de l’Etat russe centralisé. Car c’est justement ici, en Crimée, (…) que Vladimir le Grand fut baptisé avant de baptiser la Russie tout entière.”

LA CRISE EN UKRAINE“Nos amis américains cherchent toujours à influencer, en coulisses ou directement, nos relations avec nos voisins. Parfois, on ne sait pas à qui il vaut mieux s’adresser, aux gouvernements ou directement à leurs protecteurs et à leurs sponsors américains. Dans le cas de l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine, il n’y a simplement pas eu de dialogue, je l’ai déjà dit. On nous a signifié que ce n’était pas nos affaires. Pour le dire simplement, en langage populaire, on nous a envoyés paître.”

L’OCCIDENT ET HITLER“Déjà à l’époque [dans les années 1990-2000], il était devenu évident que plus nous faisions de concessions et cherchions à nous justifier, plus nos adversaires devenaient arrogants, cyniques et agressifs. Malgré l’ouverture d’esprit sans précédent dont nous faisions preuve, malgré notre volonté de collaborer sur des questions pourtant épineuses, malgré le fait que nous considérions nos anciens ennemis comme des amis proches, voire des

alliés, ces derniers encourageaient les séparatismes de manière absolument flagrante, tant politiquement que financièrement, via les systèmes d’information et de renseignement. Il ne fait aucun doute qu’ils auraient aimé voir à l’œuvre chez nous le scénario yougoslave d’un effondrement et d’un démembrement, avec toutes les tragiques conséquences que cela aurait eu pour les peuples de Russie. Ça n’a pas marché. Nous ne l’avons pas permis. Comme ça n’a pas marché pour Hitler, qui, avec son idéologie fondée sur la haine de l’humanité, voulait détruire la Russie et la repousser au-delà de l’Oural. Nul ne devrait oublier comment tout cela peut finir.”

MORATOIRE FISCAL ET AMNISTIE“Je propose d’instaurer des vacances fiscales pour les entreprises qui jouissent d’une bonne réputation et qui n’ont pas enfreint la loi durant trois années d’affilée. Ainsi, elles ne seront pas contrôlées pendant les trois prochaines années. Pour les petites entreprises, je préconise des vacances fiscales trisannuelles et une amnistie sur les capitaux rapatriés en Russie… Ceux qui régulariseront leurs avoirs en Russie ne seront inquiétés ni par le fisc ni par la justice.”

OFFSHORE ET PIGEONS“Nous devons tourner définitivement la page [des comptes] offshore de notre histoire. J’espère que le cas chypriote a su démontrer à nos entrepreneurs que dans ces endroits-là ils risquaient de se faire plumer comme des pigeons.”

LE ROUBLE“Je demande à la banque centrale de prendre des mesures strictes pour faire passer l’envie aux spéculateurs de jouer sur les fluctuations du cours du rouble.”—Moskovski Komsomolets

(extraits), Moscou

Mais, en affirmant, après la phrase sur le mont du Temple, “telle est désormais, et pour tou-jours, la position russe sur cette question”, Vladimir Poutine a donné une puissance maximale à son message. Désormais, sa poli-tique étrangère n’est plus seule-ment la ligne idéologique d’un responsable endossant provi-soirement la charge de l’Etat. Il s’agit de quelque chose d’incom-mensurablement plus grand : une guerre sainte, un devoir sacré pour chaque citoyen de Russie. Et s’y soustraire reviendrait à com-mettre un acte de haute trahison.

Ayant commencé sa carrière présidentielle en 2000 en ten-tant de mettre sur pied un vrai partenariat avec les Etats-Unis, Vladimir Poutine a finalement adopté la stratégie inverse quinze ans plus tard : “Quant aux sanc-tions, il ne s’agit pas seulement d’une réaction nerveuse des Etats-Unis et de leurs alliés à notre position par rapport au coup d’Etat survenu en Ukraine, ou même d’une réaction au ‘printemps de Crimée’. Je suis convaincu que même sans cela ils auraient trouvé un prétexte pour endiguer le potentiel croissant de la Russie.”

Poutine l’a clairement laissé entendre : ce que nous obser-vons actuellement entre la Russie

et l’Occident n’est pas un conflit local déterminé par une cause pré-cise, c’est un affrontement absolu entre le bien et le mal. D’après lui, la Russie n’a que deux options : résister ou disparaître. Il pour-suit : “Si, pour certains Etats euro-péens, la fierté nationale est une notion oubliée depuis longtemps, et la souveraineté un luxe hors de portée, pour la Russie la souverai-neté nationale demeure une condi-tion absolument essentielle à son existence. Soit nous serons sou-verains, soit nous nous volatilise-rons, nous nous dissoudrons dans le monde.”

Et pour que cette idée ne se volatilise pas à son tour avant d’ar-river aux oreilles de son auditoire, Poutine utilise la plus puissante des armes rhétoriques de l’homme politique russe, la référence à la Grande Guerre patriotique : “Ça n’a pas marché pour Hitler qui, avec son idéologie fondée sur la haine de l’humanité, voulait détruire la Russie et la repousser au-delà de l’Oural. Nul ne devrait oublier com-ment tout cela peut finir.”

Après avoir placé la barre si haut pour son pays, Poutine se devait de proposer un plan d’ac-tion. Un grand nombre de pro-positions lui ont été soumises. Mais on peut aisément résumer ainsi leur sens général : renonçant par principe à l’autoexclusion, la

Russie met le cap sur l’autosuffi-sance. Le peuple russe est ainsi invité à adopter un nouveau mode de vie, plus modeste, plus austère, plus sobre, et à faire preuve de philosophie face aux difficultés économiques. Quant aux élites, elles ont reçu une offre qu’elles ne peuvent pas refuser : l’amnistie sur les capitaux qui seront rapa-triés en Russie.

L’amiral Poutine en est certain, seule une discipline de fer au sein de l’équipage permettra au navire de résister à n’importe quelle tem-pête. On aimerait croire que le président a correctement évalué nos capacités de résistance. Car “nos amis américains” sont tout disposés à répondre au défi du Kremlin, il n’y a pas le moindre doute là-dessus.

—Mikhaïl RostovskiPublié le 4 décembre

“La souveraineté, une condition essentielle à l’existence de la Russie”

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

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05 David Ben GourionPréface : Jean-Pierre Langellier Vendredi 26 décembre 2014

06 Gamal Abdel NasserPréface : Robert Solé Vendredi 9 janvier 2015

07 GandhiPréface : Frédéric Bobin Vendredi 23 janvier 2015

08 John Fitzgerald KennedyPréface : Bertrand Le Gendre Vendredi 6 février 2015

09 Fidel CastroPréface : Alain Abellard Vendredi 20 février 2015

10 Martin Luther KingPréface : Patrick Jarreau Vendredi 6 mars 2015

11 Hô Chi MinhPréface : Jean-Claude Pomonti Vendredi 20 mars 2015

12 Jean Paul IIPréface : Henri Tincq Vendredi 3 avril 2015

13 Yasser ArafatPréface : Frédéric Fritscher Vendredi 17 avril 2015

14 Lech WalesaPréface : Vincent Giret Jeudi 30 avril 2015

15 Léopold Sédar SenghorPréface : Yann Plougastel Vendredi 15 mai 2015

16 Ronald ReaganPréface : Serge Marti Vendredi 29 mai 2015

17 Margaret ThatcherPréface : Jean-Pierre Langellier Vendredi 12 juin 2015

18 Mikhaïl GorbatchevPréface : Daniel Vernet Vendredi 26 juin 2015

19 François MitterrandPréface : Michel Noblecourt Vendredi 10 juillet 2015

20 Nelson MandelaPréface : Frédéric Fritscher Vendredi 24 juillet 2015

* Chaque volume de la collection est vendu au prix de 6,99 €, sauf le n° 1, offre de lancement au prix de 3,99 €. Offre réservée à la Belgique, sans obligation d’achat de La Libre

et dans la limite des stocks disponibles. Visuels non contractuels. Société éditrice du Monde, 433 891 850 RCS Paris.e

* Si vous commandez 10 volumes : préciser si volumes 1 à 10 ou 10 à 20

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

france—Newsweek New York

A u niveau du château d’eau, la route tourne à droite vers le hameau de Gibret. Là, devant un hangar

construit à f lanc de coteau, se dresse un silo à grains. L’endroit offre une vue magnifique sur le paysage vallonné envi-ronnant, parsemé de bosquets, de champs de céréales et de petites fermes. On entend un ruisseau gazouiller tandis qu’une grue cendrée tournoie lentement au-dessus de la vaste étendue de maïs doré. La scène est idyllique, à un détail près. Quand on ouvre la porte du hangar, le faible éclairage au néon dévoile l’autre face de ce tableau bucolique du sud-ouest de la France, à une heure de voiture de Biarritz. Une fois entrés dans la chaleur fétide, nous nous rendons compte que le ruisseau est une illusion et que le bruit vient, non pas du murmure de l’eau s’écoulant sur un lit de cailloux, mais d’un vieux ventilateur ins-tallé dans ce qui ressemble à un énorme radiateur de voiture. Bienvenue à la ferme de Bellevue, un centre de production de la plus importante industrie de la région : le foie gras.

Nous arrivons à l’heure du déjeuner sans avoir pris rendez-vous. La boîte vocale du producteur, Vincent Dages, prend nos appels mais personne ne répond lorsque nous sonnons et frappons à la porte du hangar, fermée mais pas verrouillée. Il est vrai que c’est l’heure du déjeuner et que dans les Landes cette pause est largement observée.

Durant les longs mois d’été, le ventilateur de ce hangar de 50 mètres de long peine à maintenir la température au-dessous de 25 °C alors que 850 canards colverts vivent leurs derniers jours de gavage avant le court trajet jusqu’à l’abattoir. Les bêtes sont entassées dans des cages individuelles qui ne laissent dépasser que leur tête et leur cou pour que le gaveur puisse, en deux ou trois secondes, leur faire ingurgiter deux fois par jour jusqu’à 1 kilo de bouillie de maïs par un long tube de métal.

Stériles et boiteux. Notre entrée se fait dans le silence car les canards sont muets, comme tous les colverts croisés utilisés pour le foie gras et les préparations à base de viande de canard. Ils sont aussi stériles, incapables de voler et souvent boiteux à cause d’infections aux pattes contractées sur les grilles métalliques de leurs cages (ces grilles permettent aux abondantes déjections dues à la défaillance du foie provoquée par l’ali-mentation excessive de s’écouler dans des fosses). Le spectacle n’est pas beau à voir. Les canards sont amorphes, ils ont viré du blanc au jaune et leur plumage est luisant à cause de l’huile qu’ils produisent pour le rendre imperméable. Ils sont incapables de se lisser les plumes, car leurs cages sont trop étroites pour leur permettre de bouger une fois qu’ils sont passés de 4 à 6 kilos en douze jours de gavage. Pourtant, sur la page web de Vincent Dages, hébergée par le site

des Eleveurs gastronomes d’Excel, l’un des plus gros producteurs de foie gras indus-triel, la ferme de Bellevue apparaît comme un endroit idyllique. Comparée aux petites fermes traditionnelles qui continuent à produire du foie gras dans les Landes et le Gers, cette exploitation est énorme. Mais, sur un marché industriel en pleine expan-sion, elle reste modeste. Vincent Dages gave 17 000 canards par an pour Delpeyrat, l’un des principaux distributeurs mondiaux.

Droits des animaux. Non loin de chez lui, au bout d’un chemin ombragé menant au village de Poyartin, se trouve la ferme de Christophe Muret. Ce dernier possède trois grandes unités de gavage, capables d’accueillir 1 500 canards chacune, ce qui lui permet de produire environ 60 000 foies gras par an pour Euralis, un autre géant du secteur. Les portes des ateliers sont solide-ment verrouillées et nous sommes accueillis par un homme en bleu de travail qui refuse catégoriquement de nous faire visiter les ate-liers, tout en composant le numéro de por-table de son patron.

Ces deux fermes font partie des nom-breuses exploitations de la région de Dax qui fournissent aux géants de l’alimen-taire les quelque 38 millions de foies gras de canard dont le marché international a besoin, en dépit des interdictions votées pour des raisons éthiques par une dizaine de pays, dont l’Inde, Israël, l’Allemagne, la Norvège, la Pologne, la Suède et la Suisse. Bruxelles a également interdit nombre de méthodes industrielles encore largement répandues en France. Juridiquement par-lant, des producteurs comme Vincent Dages enfreignent la loi en utilisant des cages indi-viduelles, même si la France a reçu l’autori-sation de repousser à la fin de 2015 le délai d’application des normes européennes. La partie risque de ne pas être facile pour le gouvernement, 95 % de la production de foie gras venant des géants du secteur.

La prochaine réglementation suscite de telles inquiétudes que des industriels envi-sagent de délocaliser leur production de foie gras en Chine, où les droits des animaux sont loin d’être une priorité. Le problème est que les Chinois, ayant appris à produire du foie gras auprès des Français, veulent désormais tout gérer eux-mêmes. Les importations en provenance de France ont été interdites en avril dernier et les Chinois prévoient de répondre eux-mêmes à la demande inté-rieure. Cette tendance horrifie les défen-seurs occidentaux des droits des animaux, qui craignent qu’il n’y ait plus de restric-tions éthiques à la production de foie gras.

Pour le grand amateur de foie gras Yves Camdeborde, célèbre chef cuisinier et ancien juré de l’émission Masterchef, les méthodes de production industrielle sont une honte pour le pays. “Dès qu’un produit devient industriel, c’est la fin. C’est valable pour le veau, le porc, les produits laitiers et bien d’autres choses. Le problème, c’est que l’indus-trie agroalimentaire a une influence énorme

Gastronomie. Torture en boîte L’hebdomadaire américain Newsweek a mené une enquête dans les Landes, sur les terres des plus gros producteurs de foie gras au monde. Les journalistes n’ont pas toujours été les bienvenus.

↙ Dessin d’Ale+Ale, Italie.

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FRANCE.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

—Al-Hayat Al-Jadida Ramallah

C’est un nouveau pas sur le chemin de l’établissement d’un Etat palestinien libre et indépendant. Un nouveau

pas en phase avec la politique [de l’Autorité palestinienne à Ramallah, en Cisjordanie], qui œuvre à la réalisation de l’émancipation nationale palestinienne. Il est désormais dif-fi cile de l’ignorer et de revenir en arrière.Ce pas a été franchi par la France, pour qui la liberté constitue la règle et les entraves une exception. La France de la civilisation, de l’art et de la culture.

La France avec son histoire de révolutions et de résistance. La France de la célèbre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La France de Voltaire, de Montesquieu et de Jean-Jacques Rousseau. La France de Baudelaire, de Rimbaud, de Jean Cocteau, de Saint-John Perse, de Jean-Paul Sartre, de Michel Foucault et d’André Malraux.La France, qui est présente avec force aujourd’hui sur la scène internationale. C’est cette France-là qui a voté le 2 décembre par 339 voix pour, 151 contre et 16 absten-tions en faveur d’une résolution invitant le gouvernement à reconnaître l’Etat palesti-nien “afi n de parvenir à un règlement défi nitif

DIPLOMATIE

La Palestine reconnaissanteEn adoptant une résolution qui reconnaît l’Etat de Palestine, l’Assemblée nationale a fait valoir cet esprit de résistance de la France, estime le journal proche de l’Autorité palestinienne.

du confl it israélo-palestinien”. La crédibilité du discours palestinien pour exprimer des revendications légitimes s’est imposée parmi les nations et dans un Parlement démocra-tique qui vient de reconnaître la nécessité d’un Etat palestinien. On dit que ce vote n’est que symbolique, mais il sera détermi-nant si l’on considère son impact sur l’opi-nion publique et sur la conscience mondiale.

Chaque fois qu’un tel pas courageux est franchi, la propagande mensongère d’Israël s’eff ondre un peu plus, propagande qui ne cesse de s’empêtrer dans l’énormité et la bêtise des calomnies qu’elle profère contre Abou Mazen [Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne]. Ainsi, le vote du Parlement français, à cette majorité et à ce moment précis, constitue un coup dur pour le discours des Israéliens.

Toute notre reconnaissance à l’Assem-blée nationale française, même pour ceux qui se sont abstenus. Même pour ceux qui ont voté contre.

C’est un pas courageux et encourageant pour la paix dans la région, au profi t de la solution de deux Etats, avec un Etat pales-tinien indépendant dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem comme capitale. Merci à la France d’avoir pris cette déci-sion à ce moment précis.—

Publié le 3 décembre

Ce vote constitue un coup dur pour le discours des Israéliens

sur le gouvernement et qu’on ne peut rien y faire. Ils ont introduit une série de marques pour faire plus authentique, mais c’est juste un écran de fumée”, déplore-t-il. Le dépar-tement des Landes est le plus gros produc-teur de foie gras au monde. A la périphérie de Mont-de-Marsan, la préfecture, se dresse une citadelle d’un blanc éclatant, entourée de hautes clôtures. Installée sur un terrain d’environ 16 hectares, elle semble beau-coup plus vaste que le siège d’Airbus, que l’on aperçoit de la rocade de Toulouse. Nous sommes chez Delpeyrat, l’un des leaders du marché. Là encore, nous ne sommes pas autorisés à visiter l’énorme centre de pro-duction. Telle est la décision de Maïsadour, groupe coopératif agroalimentaire proprié-taire de Delpeyrat, qui fi xe les règles du jeu, et du gouvernement français, qui s’y plie. La visite des bâtiments sollicitée par Newsweek a été rejetée et le courriel demandant des informations est resté sans réponse, tout comme plusieurs appels téléphoniques. “Le seul espoir réside dans une prise de conscience des consommateurs”, soupire Sébastien Arsac, un membre fondateur de L214, une associa-tion française de protection des animaux.

833 euros le kilo. L’un des pionniers de la production éthique est La Patería de Sousa, une exploitation espagnole [en Estrémadure] qui fournit notamment la Maison-Blanche. Ses oies ne sont pas gavées mais élevées en liberté jusqu’à l’époque des migrations hivernales, où elles sont abattues. Ce mode d’élevage a évidemment un coût, puisque le foie gras est vendu 833 euros le kilo hors taxe. Marie-Pierre Pé, déléguée générale du Comité interprofessionnel des palmi-pèdes à foie gras (Cifog), qui représente les très gros producteurs et travaille main dans la main avec le ministre de l’Agricul-ture, s’élève contre l’usage du mot “indus-triel”. “Il est négatif. Qu’il y ait 200 canards à gaver ou 1 000, le processus est le même : un face-à-face entre le gaveur et le canard, un savoir-faire précis qui se transmet de généra-tion en génération. Il n’y a pas de diff érence de processus entre un petit producteur et un grand”, estime-t-elle.

Selon le Cifog, le chiff re d’aff aires de l’in-dustrie du foie gras a franchi l’an dernier la barre des 1,6 milliard d’euros. Marie-Pierre Pé assure que les canards sont élevés dans les meilleures conditions possible et que 100 millions d’euros ont été investis pour remplacer les cages individuelles par des cages collectives. Elle nie que 4 % des bêtes meurent pendant le gavage et situe le chiff re aux alentours de 1 à 2 %. Selon elle, les opposants au gavage sont “pour la plu-part des végétariens et des végans militants pour qui les animaux doivent avoir les mêmes droits que les êtres humains. Nous respectons leur droit à exprimer leur opinion, mais l’image anthropomorphique qu’ils propagent est com-plètement erronée. Les canards sont des créa-tures sensibles, mais pas des êtres humains.”

—Mark Porter et Ana PouvreauPublié le 17 octobre

↙ Le Parlement français vote pour un Etat palestinien. Dessin de Haddad

paru dans Al-Hayat, Londres.

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

Etats-Unis. La Silicon Valley abat sa JungleDepuis plusieurs années, un campement géant de sans-abri se développait en plein cœur de San José, à deux pas des sièges des entreprises des nouvelles technologies. La municipalité a décidé de le démanteler.

—Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

V oilé par les saules et les broussailles, au bord du lit d’une rivière de San

José se cache un des plus grands campements de sans-abri des Etats-Unis, bâti par des centaines de personnes. Une cabane dans un arbre s’y dresse au milieu de bunkers souterrains et de cahutes de fortune.

Ce bidonville de 28 hectares n’est qu’à quelques minutes du centre-ville et des sièges des géants des nouvelles techno-logies qui ont fait de la Silicon Valley une des régions les plus riches au monde. Longtemps, la ville a fermé les yeux sur la Jungle [surnom du campement]. Mais le camp installé sur les rives boueuses de la rivière Coyote est devenu si peuplé ces dernières années qu’il s’est couvert de détri-tus en décomposition, d’excré-ments humains, et qu’il a fini par être infesté par les rats – au point qu’une espèce menacée de

amériques

truites arc-en-ciel qui vivait dans la rivière a quasi disparu.

Après avoir tenté de nettoyer les abords du campement sans grand enthousiasme pendant plusieurs années, la municipalité a décidé de fermer la Jungle pour de bon, le 4 décembre.

Ce camp tentaculaire est en eff et devenu un problème majeur et un symbole gênant de la crise du loge-ment dans la Silicon Valley. En 2013, San José et le comté de Santa Clara comptaient près de 7 600 sans-abri, soit plus que la grande ville voisine de San Francisco. Et 75 % d’entre eux dormaient dehors, sur les trottoirs, dans les parcs et sous les ponts d’autoroutes – une pro-portion plus importante que dans toute autre grande zone métropo-litaine des Etats-Unis.

Les autorités pointent du doigt la fl ambée des prix immobiliers. Quand la Silicon Valley est sortie de la récession, les Américains sont arrivés en masse pour y chercher du travail, faisant exploser les prix des appartements : dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres autour de

San José, le loyer moyen est passé à 2 633 dollars [2 129 euros] en sep-tembre 2014, contre 1 761 dollars [1 424 euros] deux ans plus tôt. Pour ce qui est de l’achat, le prix médian d’une maison a grimpé à près de 700 000 dollars [566 000 euros].

Une goutte dans l’océan. “C’est un cocktail explosif : une partie de la population est extrêmement riche, le nombre de personnes qui travaillent dans les nouvelles technologies s’envole et ceux qui n’ont plus les moyens d’ac-céder au marché du logement sont de plus en plus nombreux”, commente Jennifer Loving, directrice exé-cutive de Destination Home, une organisation issue d’un partena-riat public-privé destiné à mettre fi n au mal-logement dans le comté.

Depuis sa décision de fermer la Jungle, il y a dix-huit mois, San José a dépensé 4 millions de dollars

[3,2 millions d’euros] pour reloger les habitants du camp et les mettre en contact avec des services d’aide.

“La municipalité a vraiment fait des eff orts”, commente Claire Wagner, responsable de la communication de HomeFirst, qui gère un foyer pour sans-abri et une agence de services à San José.

Reste que parmi les habitants de la Jungle, si 144 ont trouvé un toit, plus d’une cinquantaine n’ont tou-jours nulle part où aller, malgré les aides au logement.

“Le problème, ce ne sont pas les campements, c’est le fait que ces per-sonnes n’ont pas de logement”, com-mente Ray Bramson, responsable de l’aide aux sans-abri à San José.

La veille du grand nettoyage, pendant que certains habitants de la Jungle pliaient bagage, d’autres affi rmaient qu’ils comptaient bien rester aussi longtemps que possible. Sous une pluie battante, Tiff any Curtis, 35 ans, vêtue d’une veste de camoufl age, poussait un Caddie rempli de ses aff aires bourrées dans des sacs-poubelle, dans une caisse en plastique et dans un sac Hello Kitty, jusqu’à un monospace. La municipalité l’a relogée dans un studio dont le loyer sera payé tant qu’elle aura un travail.

Doug Wynne, 60 ans, affi rmait quant à lui vouloir rester aussi longtemps que possible avec ses six chats dans son douillet com-plexe de tentes, reliées les unes aux autres par des bâches, des couvertures et des sacs de cou-chage. Installé dans la Jungle depuis quatre ans, il a eu le temps de se construire une petite allée en briques menant à sa maison de fortune, dans laquelle il a disposé un tapis, un canapé et des lits.

Doug Wynne, un réfugié de la crise immobilière et de la vague de saisies qui a frappé la Floride, est venu à San José dans l’espoir de travailler dans la vente de logi-ciels, mais il s’est retrouvé à faire la manche sur le terre-plein d’une avenue du quartier de Little Saigon.

“Je dormais sur le campus de l’université, ils m’ont emmené en car ici… Partout où j’allais, la police me harcelait, témoigne-t-il. Et puis un jour je suis venu ici et ils m’ont laissé tranquille.”

D’autres habitants de la Jungle travaillent – dans la menuiserie, la restauration, les travaux manuels. Mais tous les soirs ils reviennent dormir au campement, faute d’avoir un meilleur endroit, commente Ray Bramson.

Certains ont des problèmes mentaux ou médicaux, des casiers

judiciaires ou des dettes impayées qui les handicapent pour trouver un logement.

En dehors de la Jungle propre-ment dite, la ville de San José est constellée d’au moins 200 cam-pements de sans-abri, poursuit-il.

“La municipalité a fait énormé-ment pour aider un tas de personnes à trouver un logement, mais c’est une goutte dans l’océan”, déplore Matt King, de Sacred Heart Community Service, un groupe local de lutte contre la pauvreté. “On n’a pas droit à l’erreur dans la Silicon Valley. Si vous n’avez pas de revenus solides et réguliers, vous pouvez très vite perdre votre logement et atterrir sous une tente dans la Jungle.”

Le parcours de Robert Aguirre illustre à quel point il est dur de maintenir un pied dans la classe moyenne dans cette économie surchauff ée.

Dégringolade. Aujourd’hui âgé de 56 ans, ce consultant en ingénie-rie aidait autrefois des entreprises à se mettre aux normes de sécurité internationale. Quand la première bulle des nouvelles technologies a explosé, à la fi n des années 1990, ses aff aires ont commencé à battre de l’aile. Les tâches qu’il eff ectuait ont été massivement délocalisées vers la Chine. Et lui et sa femme ont perdu leur maison.

Son épouse souff rant de pro-blèmes de santé, en particulier d’arthrose, ils ont décidé de quit-ter leur appartement en étage pour s’installer en rez-de-chaussée. Mais, alors qu’ils avaient déjà donné leur préavis à leur ancien propriétaire, le nouveau les a informés qu’il avait changé d’avis et qu’il comptait loger des proches dans l’appar-tement. Or leur ancien logement était déjà reloué.

A force de dormir assise dans leur voiture, son épouse a déve-loppé des œdèmes, raconte Robert Aguirre. Sur les conseils d’un médecin, en janvier dernier, ils ont pris une tente et se sont ins-tallés dans la Jungle.

Malgré tout, assurent-ils, la vie n’est pas trop dure : Robert Aguirre trouve des petits boulots au jour le jour et sa femme travaille comme secrétaire médicale. Ils ont un poêle au propane pour se chauffer et pour cuisiner, et un véritable som-mier pour dormir. A présent, ils ont trouvé un logement, mais ils comptent rester en contact avec la communauté de la Jungle.

—Rong-Gong Lin II et Gale Holland

Publié le 3 décembre

↙ Dessin de Belle Mellor paru dans The Guardian, Londres.

La ville de San José est constellée de 200 campements de sans-abri

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AMÉRIQUES.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

Cette croisière exceptionnelle,de Saigon aux temples d’Angkor, sera accompagnée par une journalistede Courrier international spécialiste de la zone, et éclairée par des conférencierset des journalistes locaux.

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La croisière de vous entraîne au fi l du Mékong du 7 au 19 février 2015

BRÉSIL

Haro sur la spéculation immobilièreLa ville de São Paulo a décidé de frapper fort pour obliger les propriétaires de logements vacants à les remettre dans le circuit et faire baisser le coût des loyers.

“Nous faisons quelque chose de révolutionnaire : nous appliquons la loi”

↙ Ventes. Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

—O Estado de São Paulo São Paulo

São Paulo est devenue la première ville du Brésil à mettre en œuvre la progressivité de l’impôt foncier

en zone urbaine pour les propriétaires de biens immobiliers vacants.

Selon le maire, Fernando Haddad (PT, Parti des travailleurs, au pouvoir), il s’agit de lutter contre la spéculation immobi-lière et de pousser à la baisse les prix de vente et le coût des loyers.

Des avis de taxation ont déjà été envoyés à 68 adresses du centre de São Paulo, mais 500 autres immeubles ont été identifi és dans toute la ville et viendront très pro-chainement s’ajouter à cette liste. Les pro-priétaires ont quinze jours pour contester leur inscription sur la liste, délai au-delà duquel ils disposent d’un an pour régula-riser la situation de leur bien [en l’occu-pant ou en le louant]. A défaut, leur impôt foncier (Iptu) sera augmenté de façon pro-gressive. Par exemple, un bien immobi-lier taxé aujourd’hui à 2 % passera, s’il est vide, à 4 %, et cette part pourra doubler plusieurs fois, dans la limite d’un plafond de 15 %. Au bout de la cinquième année, le propriétaire risque de perdre son bien. “Les immeubles peuvent aussi être expro-priés, rappelle le maire. Mais la diff érence avec l’Iptu progressif, c’est que le proprié-taire exproprié sera indemnisé en titres de la dette publique.”

Fernando Haddad se félicite que São Paulo soit la première municipalité à recourir à ce mécanisme, pourtant déjà

prévu dans le Statut de la ville [un texte qui encadre depuis 2001 l’action munici-pale]. “Nous faisons quelque chose de révolu-tionnaire : nous appliquons la loi”, ironise le maire. Cependant, de précédentes initia-tives sont restées lettre morte. Une loi de 2011 oblige ainsi théoriquement la muni-cipalité à envoyer un avertissement aux propriétaires de logements vacants ; à l’époque, 122 000 contrevenants ont été identifi és. Mais seules 1 053 notifi cations avec “demande d’éclaircissements” ont fi ni par être envoyées en 2012.

La majoration de l’impôt foncier s’ap-plique aux propriétés de plus de 500 m2 situées dans une “zone d’intérêt social” (Zeis, zone comportant des logements sociaux) ou encore d’“urbanisation conso-lidée” [ZUC, zone urbaine à réhabiliter] ou dans le centre-ville élargi. Les lots vides affi chant cette superfi cie, ou ayant un coeffi cient d’occupation des sols inférieur à celui fi xé dans leur zone se retrouveront dans la ligne de mire de la municipalité, de même que les immeubles inoccupés à plus de 60 %.

“Notre objectif n’est pas d’augmenter les recettes fi scales ni d’exproprier”, souligne Fernando de Mello Franco, chargé du déve-loppement urbain. Ainsi, l’indemnisation en titres de la dette publique constitue une forme d’emprunt, puisque la mairie

les rachètera dans plusieurs années. Mais cela ne sera possible qu’une fois que la ville aura renégocié sa dette avec l’Etat fédéral.

Pour identifi er les immeubles vides, les autorités municipales se fondent sur la consommation d’électricité et de gaz, avec la collaboration des fournisseurs de la ville, AES Eletropaulo et Comgás. Les biens concernés par des procédures judi-ciaires seront exemptés, mais pas ceux qui entrent dans le cadre d’une succession.

Légitime. Le syndicat du logement (Secovi) et le Mouvement des travail-leurs sans toit (MTST, un important mou-vement social né en 1997 à São Paulo) s’accordent à dire que la mesure fera bien baisser les prix de l’immobilier à la vente et à la location. “L’impôt foncier progressif est juste, estime Josué Augusto do Amaral Rocha, coordinateur du MTST. Cette taxe s’applique à des propriétés qui font l’objet de spéculation et qui sont situées dans les quartiers les plus recherchés, ceux qui pré-cisément bénéfi cient du plus grand nombre d’infrastructures publiques.”

La libération de terrains où se trouvent des immeubles inoccupés pourrait eff ecti-vement faire baisser les prix, estime le pré-sident du syndicat du logement, Claudio Bernardes, mais il redoute “des recours en justice”. D’autant plus, souligne-t-il, qu’“en vertu des règles de la progressivité, au terme de la 7e année de vacance d’un immeuble, le propriétaire aura payé en taxes 100 % de la valeur de son bien...”.

—Bruno RibeiroPublié le 31 octobre

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

discuter, mais il nous déconseille de nous rendre dans son village natal. “Trop dange-reux pour le moment”, dit-il par téléphone. Nous nous rencontrons donc à Kaboul. Malgré plusieurs années de travaux déjà, la route n’est toujours pas terminée, nous informe Mohammed Fahimi : “Il n’y a que le premier tronçon d’achevé, soit 50 à 60 kilo-mètres.” Au-delà, plus d’asphalte, la route goudronnée redevient un chemin de terre. Il nous déconseille également d’emprun-ter cette route. “Moi-même, je ne la prends que parce que je ne peux pas faire autrement, comme en ce moment, assure-t-il. Et encore, j’ai un dispositif de sécurité monstre : trente agents de police, deux pick-up équipés d’une mitrailleuse et deux véhicules blindés.”

Tout a commencé en 2002, quand le ministère italien des Aff aires étrangères a demandé au nouveau gouvernement afghan ce qu’il pouvait faire pour aider le pays. Les

—Der Spiegel (extraits) Hambourg

Trois fois par semaine, quand la météo le permet, un vieil Antonov de la compagnie afghane East Horizon

Airlines passe en bringuebalant dans le ciel de Kaboul. Si tout va bien, il atterrit trente minutes plus tard sur la piste de terre de Bamiyan, la capitale de la province du même nom [centre-est du pays]. Cet avion de fabri-cation russe a le fuselage un peu rouillé et l’habitacle bien défraîchi, et à plus de 50 ans il n’est plus autorisé à voler à pleine charge – il ne parviendrait pas à franchir le massif de l’Hindu Kuch, qui entoure Kaboul tels d’imprenables remparts. On peut aussi pré-férer ne pas prendre l’avion et rejoindre Bamiyan par la route. Au nord de Kaboul s’ouvre une route qui traverse le district de Ghorband, rendu tristement célèbre en 2012 par une vidéo qui a fait le tour du

Afghanistan.En route vers nulle part

La voie Kaboul-Bamiyan est à l’image du pays, à l’aube d’une nouvelle ère. Son avenir est incertain, son parcours est semé d’embûches, mais quelques

optimistes invétérés y croient encore.FOCUS

années que l’on contemple, et les eff orts titanesques entrepris pour reconstruire le pays. Décembre 2014 marque la fi n de l’in-tervention internationale en Afghanistan, qui aura duré treize ans et réuni au plus fort 40 pays et pas moins de 140 000 hommes. Il fut un temps où 26 organisations des Nations unies étaient présentes dans le pays, et où des milliards de dollars y étaient injectés par des gouvernements étrangers et des agences privées. Dont des millions aff ectés à la route de Bamiyan.

Trop dangereux. Maidan Shahr, où com-mence cette route, se résume à quelques maisons peu engageantes, mais le bourg a un emplacement stratégique : d’ici part également vers Kandahar une autoroute qui relie Kaboul au Sud. Mohammed Fahimi, élu au conseil de la province de Wardak, vit à Maidan Shahr. Il est tout à fait disposé à

AFGHANISTAN

20 kmMaidan Shahr

Vers Kandahar

Vers les lacsdu Band-e Amir

Col d’Hajigak

DISTRICTDE GHORBAND

PROVINCEDE WARDAK

KaboulLe projet de liaison Sud

Kaboul-Bamiyan(en construction)

LiaisonNord

Bamiyan

M A S S I F D E L’ H I N D U K U C H

Montagnes du Kuh-e Baba

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monde et qui montrait une foule lapidant une jeune femme. De nombreux tronçons sont défoncés, jalonnés d’ornières, sans revêtement. Ces dernières années, les tali-bans ont multiplié les attaques le long de la route, auxquelles s’ajoutent les embus-cades de voleurs et de preneurs d’otages.

Troisième itinéraire possible, une route part de Maidan Shahr, une petite ville à 30 kilomètres au sud-ouest de Kaboul. C’est un chantier en cours, fi nancé par des fonds occidentaux. A terme, il est prévu que les voitures fi lent à au moins 100 km/h sur un impeccable ruban d’asphalte jalonné d’échoppes et de sites touristiques. Une fois achevée, cette route mettrait Kaboul à tout juste trois heures de Bamiyan. Si modeste soit-il, ce projet en dit long sur l’évolution récente de l’Afghanistan, sur ses espoirs, ses diffi cultés, sa folie, ses échecs. Du bas-côté de cette route, ce sont toutes les dernières

asie

D’UN CONTINENT À L’AUTRE16.

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ASIE.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

plaies du 11 septembre 2001 sont alors encore béantes, l’armée américaine a envahi Kaboul, et le monde entier propose son aide, pour construire des écoles, creuser des puits, créer des hôpitaux, ouvrir des jardins pour les femmes et rétablir la démocratie. Tout chantier est ici une arme dans la lutte contre le terrorisme international. Même chez nous, nos hommes politiques nous disaient que dans l’Hindu Kuch c’était aussi l’Allemagne que nous défendions. L’Etat afghan a donc demandé à l’Italie une route qui relierait la capitale aux régions isolées de l’intérieur, c’est-à-dire Kaboul à Bamiyan. L’axe fai-sait aussi fi gure de symbole de réconcilia-tion : dans la province de Bamiyan vivent les Hazaras, une minorité ethnique chiite particulièrement visée par les talibans. Les Italiens ont accepté. A l’époque, il n’y a dans tout l’Afghanistan qu’une centaine de kilomètres de routes goudronnées. Mais

la nouvelle route n’est pas qu’un modeste eff ort pour étendre ce réseau routier, et elle ne conduit pas à n’importe quel village au nom imprononçable au fi n fond de l’Afgha-nistan. Bamiyan est connue dans le monde entier comme la ville martyre des isla-mistes : en 2001, parce qu’ils les jugeaient idolâtres, les talibans ont fait exploser les plus grands bouddhas du monde, gigan-tesques statues de 53 et 35 mètres vieilles de mille cinq cents ans. Leur destruction est devenue le symbole de la barbarie tali-bane. C’est à ce site emblématique que la nouvelle route doit relier Kaboul. Les tra-vaux commencent en août 2006, après une

inauguration du chantier en grande pompe, en présence du président Hamid Karzai, de diplomates occidentaux et de celle qui est alors la gouverneure de la province de Bamiyan, Habiba Sarabi. Le souvenir de ce jour-là l’émeut encore. “Cela fait partie des grands moments de ma vie”, dit-elle.

Mohammed Fahimi, lui, tient depuis plu-sieurs années un journal recensant tous les incidents survenus le long de cette route, en tout cas ceux dont il a entendu parler. La liste n’est pas exhaustive, mais elle donne une idée de la situation. Il y a eu en quatre ans entre 20 et 30 morts, assure-t-il, à cause des mines, de bombes artisanales ou de fusillades. Sans parler des attaques à main armée et des enlèvements contre rançon. Si bien que les Afghans et les médias, ici, ont déjà trouvé un surnom à cet axe : c’est la “route de la mort”.

Débuts faciles. “Au départ, tout se passait bien”, soupire Ahmad Najafi , 55 ans, à la tête de ce projet depuis 2005. Son autorité de tutelle, le ministère des Travaux publics, tra-verse une période diffi cile. En avril, le vice-ministre a été enlevé alors qu’il se rendait au travail. Les plaintes se sont multipliées, car de nombreuses routes afghanes partent en charpie sous l’eff et des pluies. Et Ahmad Najafi lui-même n’a pas l’air très satisfait. Lui qui travaille au ministère depuis trente-deux ans a vu défi ler les Russes, les mou-djahidin, les talibans, les Occidentaux. Ces chassés-croisés à la tête du pays sont bien la seule chose qui dure en Afghanistan.

“Durant la phase d’études, nous n’avons ren-contré aucun problème, tout allait comme sur des roulettes. Le constructeur désigné pour le premier tronçon était China Railway”, explique Ahmad Najafi , qui précise que l’off re du chinois était la moins chère. Ils ont tout apporté : les engins ainsi que le personnel, en tout 300 personnes. “Nous avons installé des baraquements de chantier, tout était prêt. Mais, très vite, il y a eu des attaques. Des machines volées, incendiées. Un ingénieur est mort à cause d’une mine.” Puis le responsable fi nan-cier chinois a été enlevé et retenu en otage pendant trois mois. “A cause des attaques des talibans, nous devions sans cesse suspendre les travaux, parfois pendant plusieurs mois.” La province de Wardak est une région calme, peuplée de Pachtounes, et l’Etat central n’y a guère de pouvoir. Mais les villageois y ont beaucoup d’échanges avec les tali-bans. “Et nous avons fi ni par payer des gens des villages pour qu’ils assurent la protection de notre chantier”, raconte Ahmad Najafi . Cette méthode de la demande de protection forcée a fait ses preuves, dit-il. D’abord, les talibans sèment la terreur, ensuite les sages des villages envoient leurs hommes, qui pro-mettent d’assurer la sécurité. L’argent est souvent partagé. En d’autres termes, c’est dans les poches des talibans que fi le direc-tement une partie des 100 millions de dol-lars fournis par l’Etat italien. Mais combien de temps a-t-il fallu pour construire le pre-mier tronçon ? “Cinq ans, répond Ahmad

Najafi . Pour 54 kilomètres.” Après tout cela, les Chinois n’avaient plus tellement envie de participer à la reconstruction de l’Afgha-nistan. Ils n’ont même pas présenté d’off re pour le deuxième tronçon routier. “Ils ont pris leurs jambes à leur cou, ils sont même partis en laissant leurs engins”, constate Ahmad Najafi en se levant pour se placer devant la grande carte affi chée dans son bureau et nous montrer le deuxième tron-çon, qui traverse les hautes montagnes du Kuh-e Baba par le col d’Hajigak. Ce sont des terres rudes.

Pour accélérer le chantier, deux sociétés ont été mises au travail sur ce deuxième tron-çon, et les kilomètres 54 à 74 sont construits par l’entreprise afghane Gholghola, pro-priété de Mohammed Khalili, l’un des frères du vice-président afghan. Les kilomètres 74 à 98 ont été confi és à la société afghane Omra, tandis que c’est l’entreprise

CHRONOLOGIE 1988-1989 — Défaite et retrait des forces soviétiques. 1992 — Prise de Kaboul par les moudjahidin. 1994 — Naissance des talibans. 1996 — Les talibans prennent Kaboul. 11 septembre 2001 — Attentats aux Etats-Unis, revendiqués par Al-Qaida. 7 octobre 2001 — Début de l’intervention occidentale. 13 novembre 2001 — Chute du régime taliban. 5 décembre 2001 — Conférence de Bonn. Création d’une autorité intérimaire dirigée par Hamid Karzai. 4 janvier 2004 — Adoption de la Constitution afghane.9 octobre 2004 — Hamid Karzai remporte l’élection présidentielle. 5 octobre 2006 — La mission de l’Otan est étendue à tout l’Afghanistan. 2 novembre 2009 — Karzai réélu. 1er décembre 2009 — 30 000 soldats américains supplémentaires sont déployés afi n de trouver un accord de paix avec les talibans. 4 septembre 2010 — Création du Haut Conseil pour la paix, une instance destinée à faciliter les pourparlers avec les talibans. 22 juin 2011 — Obama annonce le retrait, avant l’été 2012, du tiers des forces américaines stationnées en Afghanistan, soit 33 000 hommes.29 septembre 2014 — L’économiste Ashraf Ghani succède à Hamid Karzai en tant que président. Novembre 2014 — Obama décide d’autoriser plus de missions de combat en 2015, contrairement à ce qu’il avait annoncé en mai. Il restera dans le pays, en 2015, près de 5 000 soldats américains, qui ne quitteront le sol afghan qu’en 2016, et 4 000 soldats de l’Otan.

Tout chantier est ici une arme dans la lutte contre le terrorisme international →18

↓ Kaboul et la chaîne montagneuse de l’Hindi Kuch. Photo Franco Pagetti/VII

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ASIE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014ASIE FOCUS AFGHANISTAN.

Mais si ! En 2030 tout ira bien…Si les donateurs étrangers ne laissent pas tomber l’Afghanistan après le départ des troupes, le pays pourrait enfin connaître un avenir radieux.

—Daily Times Lahore

En 2030, l’Afghanistan a une popu-lation de 46 millions d’habitants, contre 30 millions en 2014. C’est

un pays en paix, à l’intérieur de ses fron-tières comme à l’extérieur. La république islamique est toujours en place, mais le régime est plus tolérant, et la résolution des litiges plus démocratique. Les manifesta-tions culturelles sont nombreuses, notam-ment à Balkh, lieu de naissance du poète et sage soufi du XIIIe siècle Djalal al-Din Rumi, et des touristes affluent du Pakistan, d’Iran, d’Inde, de Turquie et d’Asie centrale. L’industrie cinématographique, créée avec le concours de producteurs iraniens et de Bollywood, exporte des films en dari en Iran et au Tadjikistan, et des films en pachto dans les provinces pakistanaises de Khyber Pakhtunkhwa et du Baloutchistan, ainsi qu’aux Emirats arabes unis.

Avec un taux de croissance annuel moyen de 8 % entre 2014 et 2030, le PIB en dollars constants atteint environ 60 milliards, contre 17 milliards en 2014. La classe moyenne,

en plein essor, a un pouvoir d’achat et des attentes de plus en plus importants. Grâce au taux de croissance élevé et aux systèmes de protection sociale, le taux de pauvreté a été ramené de 40 % en 2014 à 17 % en 2030. Malgré les efforts pour tenter de contrôler l’urbanisation excessive, 45 % de la popula-tion, contre 25 % en 2014, vit dans les cinq plus grandes villes du pays : Kaboul, Mazar-e Charif, Kandahar, Jalalabad et Herat. La pau-vreté se concentre essentiellement dans les zones urbaines, un phénomène qui reflète la croissance de l’agriculture irriguée et de l’industrie agroalimentaire.

En 2030, l’Afghanistan produit suffisam-ment d’énergie électrique pour répondre à ses besoins. La croissance du secteur agri-cole se poursuit. Le secteur minier, qui exporte davantage, est de plus en plus ren-table. Grâce à cette évolution et à la crois-sance des industries pétrolière et aurifère, les investissements directs étrangers ont bondi de 250 millions de dollars en 2014 à 3 milliards en 2030. Dans le secteur en plein essor des services, les télécommunications et les transports sont les premiers bénéfi-ciaires des investissements et des prêts.

Avec l’aide du Pakistan, de l’Inde, de l’Iran et de pays occidentaux, Kaboul, Mazar, Kandahar, Jalalabad, Herat et Ghazni se sont dotées d’universités privées. Pour défendre les droits des femmes, des élues afghanes ont formé, avec des homologues d’Asie centrale et du Sud, un groupe de femmes

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400 km

AFGHANISTAN

KaboulHeratJalalabad

Ghazni

Kandahar

Mazar-e Charif

1

2

3 4

56

1. Iran 2. Turkménistan 3. Ouzbékistan 4. Tadjikistan 5. Pakistan (province de Khyber Pakhtunkhwa ) 6. Inde

iranienne Abad Rahan Pars qui se charge du tronçon le plus long, du kilo-mètre 98 au kilomètre 136 – loin dans les terres de la paisible province de Bamiyan, où c’est le plus sûr.

Originaire d’Ispahan, Hassan Norusi est un homme solitaire et le chef de chan-tier de ce dernier tronçon. Sur son camp, il demande au cuisinier afghan de lui prépa-rer des plats iraniens – il a le mal du pays. Chaque jour il formule le vœu de pouvoir bientôt quitter l’Afghanistan. “Il n’y a rien ici, même pas l’électricité”, déplore-t-il. Et puis cette route est de très mauvaise qua-lité, ajoute-t-il : vu la façon dont elle est construite, il ne lui donne pas plus de trois à quatre ans de durée de vie. Interrogé sur ce point dans son bureau du ministère à Kaboul, Ahmad Najafi prend le temps de réfléchir. “Oui, c’est un souci”, admet-il. C’est l’asphalte qui inquiète, pour être précis. La route a été construite avec une épaisseur de 6 centimètres d’asphalte, selon les normes italiennes. “Sauf qu’ici nous avons des hivers extrêmes, avec beaucoup de neige, et des cha-leurs tout aussi extrêmes en été”, explique Ahmad Najafi. Et puis il y a les camions, qui circulent totalement surchargés sur les routes afghanes. “Il y a aussi les bombes et les mines. En fait, c’est 10 centimètres qu’il nous faut, voire 11”, reconnaît-il. Les construc-teurs sont du même avis. Telle qu’elle est bâtie aujourd’hui, cette route serait idéale à Turin ou à Florence.

La future route Kaboul-Bamiyan est par-faitement visible depuis les airs, notamment des passagers qui embarquent à bord du vieil Antonov bringuebalant qui survole tant bien que mal les hauts sommets. En bas, les paysages doivent être époustouflants. “Du point de vue touristique, c’est la plus belle route d’Afghanistan, une destination en soi”, assure Mohammed Reza Ibrahim. Le directeur de l’Association touristique de Bamiyan, 32 ans, est un indécrottable optimiste.

Mohammed Reza Ibrahim est conscient que, pour les étrangers, son pays est un peu le cœur des ténèbres. Mais il préfère se concentrer sur le formidable potentiel qu’il recèle. La vallée de Bamiyan est un joyau verdoyant au fin fond d’un pays de poussière et de dangers. Dans les années 1970, avant toutes les guerres récentes, plus de 100 000 touristes se rendaient chaque année à Bamiyan. Mohammed Reza Ibrahim aimerait beaucoup faire renaître cette époque bénie. “Pour commencer, nous nous concentrerons sur le tourisme national.” Ensuite, plus tard, il espère faire venir des visiteurs étrangers. “Nous pouvons proposer de tout, ici : du trek dans les montagnes, du raf-ting dans les rivières, du parapente, même. Et nous avons de très beaux sites, comme les lacs

du Band-e Amir, le tout premier parc national d’Afghanistan.” Il est rafraîchissant de croi-ser en Afghanistan quelqu’un que la situa-tion actuelle ne désespère pas.

Au départ, l’inauguration de la route était prévue pour août 2015. Vittorio Roscio, un Italien de 59 ans, assis dans une salle ano-nyme du complexe qui abrite les autorités italiennes à Kaboul, a l’air épuisé. D’ici, il surveille le chantier à la façon d’un chien de garde de l’Occident. Il a pour mission de garder un œil sur l’argent de l’Italie, un budget de 100 millions d’euros. Vittorio Roscio sait qu’il perdrait son temps à deman-der à Rome quelques millions de plus pour un projet de route en Afghanistan à l’issue très incertaine. Au fil du temps, le pays a perdu en importance stratégique aux yeux des Occidentaux, pour devenir une espèce d’enfant à problèmes qu’on préfère oublier, une préoccupation qui s’évanouit dans les brumes de l’Histoire. Treize ans se sont écoulés [depuis l’invasion par les troupes de l’Otan], et tout le monde est fatigué, désabusé, agacé.

A l’abri. Vittorio Roscio ne s’est pas rendu sur le chantier depuis des lustres, c’est trop dangereux. Alors, il lit les rapports qu’on lui envoie de là-bas et qu’il reçoit à l’abri derrière les murs du complexe italien de Kaboul. Au fil des années, les murs de ce bunker sont devenus sans cesse plus épais, les barbe-lés sont montés plus haut, le protocole de sécurité est devenu plus strict. En 2007 encore, il se promenait relativement libre-ment dans les rues de la capitale afghane. Aujourd’hui, il monte dans un 4 x 4 blindé même pour parcourir les 30 mètres qui le séparent de l’ambassade d’Italie. Comme tous les travailleurs étrangers à Kaboul, l’Italien vit de facto dans une cage de haute sécurité dont il a rarement l’autorisation de sortir. Rien d’étonnant à ce que son auto-rité sur le chantier de la route de Bamiyan se soit considérablement affaiblie avec le temps. “Malheureusement, il est très difficile de comprendre l’Afghanistan depuis Kaboul, dit-il avec lassitude. Quant à le comprendre depuis l’Europe ou les Etats-Unis, n’en par-lons pas.” Vittorio Roscio s’engouffre dans un véhicule blindé qui le conduit à l’ambas-sade ; le mur s’est ouvert furtivement, juste le temps de le laisser sortir.

Mohammed Ibrahim, l’optimiste Monsieur Tourisme de Bamiyan, préfère envisager tout de suite des solutions de rechange. “Nous voulons mettre en place des vols internatio-naux directs, dit-il. Depuis l’Iran, le Pakistan, le Tadjikistan. J’ai une idée de slogan : ‘Direct à Bamiyan, l’endroit le plus sûr d’Afghanis-tan !’” Ainsi pourrait-on survoler la route maudite. Passer au-dessus des talibans, des bombes artisanales, de la misère, de la folie. Contourner tout ce pays trauma-tisé qui, treize ans après l’engagement de la communauté internationale, se retrouve seul, à la case départ.

—Jochen-Martin GutschPublié le 30 septembre

“Cela pourrait être la plus belle route d’Afghanistan”

↓ Une des grandes artères de la capitale afghane. Photo Robin Hammond/PANOS-RÉA

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Courrier international

parlementaires. Bref, l’ancienne enclave ravagée par la guerre et la pauvreté est deve-nue un carrefour régional très animé, sur le plan tant du commerce que des idées, et la société civile, très active, rend le gouver-nement comptable de ses actes.

Il n’est pas certain que cette vision de l’Afghanistan devienne réalité. Un risque majeur est, bien sûr, que le pays ne par-vienne pas à améliorer sa situation sécu-ritaire, ni à réduire la production et la distribution illégales d’opium. Si la sécu-rité est capitale pour le développement économique et social, la corruption et une crise de gouvernance sont ses principaux ennemis. Un autre risque serait une coupe brutale de l’aide étrangère des pays occi-dentaux consécutive au retrait des forces militaires. Il serait tragique pour l’Afgha-nistan que ses partenaires internatio-naux l’abandonnent comme ils l’ont fait à la fi n des années 1980 et dans les années 1990, une fois leur objectif stratégique – la défaite de l’Union soviétique – atteint. Pour se rétablir des ravages des décennies précédentes, le pays aura besoin d’une aide fi nancière et technique pendant au moins une vingtaine d’années supplémentaires. L’impact du retrait du plus gros des forces de l’Otan, prévu pour la fi n 2014, se chif-frera à environ 5 milliards de dollars par an, soit plus d’un quart du PIB, en raison du déclin de la demande de services et de la consommation.

Pour assurer le développement à moyen et long terme du pays, il faudra parvenir à un accord sur un ensemble de projets d’in-vestissement de première importance visant à mieux relier l’Afghanistan aux marchés régionaux et mondiaux dans le cadre de l’initiative “Nouvelle route de la soie”. Dans le secteur énergétique, le projet Casa-1000 [partenariat commercial sur l’électricité entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud] sera prioritaire. Par ailleurs, selon certains rap-ports, l’Afghanistan possède 1 000 milliards de dollars de ressources minières inexploi-tées. Les gisements nouvellement découverts sont si importants et renferment une telle quantité de minerais essentiels pour l’in-dustrie moderne que l’Afghanistan pour-rait devenir l’“Arabie Saoudite du lithium”, une matière première indispensable pour la fabrication des batteries d’ordinateur et de téléphones portables.

En résumé, trois conditions doivent être réunies pour que cette vision de l’Afghanis-tan se réalise : la mobilisation du peuple et du gouvernement afghans, un plus fort sou-tien et une moins grande ingérence des pays voisins, et une aide au développement plus généreuse de la part des donateurs.

—Mahmood Ali AyubPublié le 21 novembre

Trois conditions nécessaires pour que se réalise le rêve afghan

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

franceculture.fr

en partenariat avec

Israël. Une démocratie grignotée par la haineLes hommes politiques israéliens ainsi que des leaders de la diaspora juive renoncent aujourd’hui à défendreles droits civiques et à combattre la xénophobie.

—Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

En cette triste année qui a vu se multiplier dans le monde les agressions

contre les Juifs, la seule école juive à être incendiée ne l’a pas été en Europe mais à Jérusalem même [le 29 novembre]. Peut-être certains lecteurs objecteront-ils que l’école bilingue [hébreu-arabe] Max Rayne “Main dans la main” ne devrait pas être considérée comme un établis-sement juif, ni l’incendie qui l’a ra -vagé comme un acte antisémite. Après tout, ce fut une attaque per-pétrée par des Juifs, dont la cible était l’unique école publique de la

journaux de soutenir l’Ukip à l’occasion des élections de 2015.

La communauté juive améri-caine, très largement démocrate, ne fait pas mieux. De façon surpre-nante, la quasi-totalité des prin-cipaux politiciens s’attachent aujourd’hui à promouvoir en Israël des lois antidémocratiques. Et le Juif américain le plus infl uent dans la vie politique israélienne, Sheldon Adelson, a publiquement rejeté l’idée qu’Israël doit nécessairement rester une démocratie.

Aveuglement racial. Le malaise dans la démocratie et l’accepta-tion croissante de la xénophobie ne sont pas le seul fait d’Israël et des Juifs. C’est une maladie qui aff ecte l’ensemble du monde occi-dental. La bataille pour l’âme d’Is-raël et du peuple juif n’est pas un combat dichotomique entre des partis politiques de droite ou de gauche, mais de plus en plus un engagement pour la démocratie et les droits civiques. Au cours des der-niers mois, la voix la plus puissante qui ait mis en garde contre ces ten-dances dangereuses dans la société israélienne a été celle du président Reuven Rivlin, pourtant un vieux membre du Likoud [droite]. Une grande partie de la gauche laïque israélienne, en revanche, souff re des mêmes maux que ses camarades occidentaux – une antipathie patho-logique envers les groupes religieux de leurs propres sociétés, doublée d’un aveuglement racial sélectif dès qu’il s’agit de Palestiniens ou de musulmans.

Le camp libéral israélien n’a aucun projet pour la société israé-lienne hormis se débarrasser au plus vite de Nétanyahou. Il y par-viendra peut-être, mais que se passera-t-il une fois Bibi parti ? Pense-t-il que le nouveau gouver-nement – qui comprendra certai-nement des individus du même acabit qu’Avigdor Lieberman [ministre des Aff aires étrangères, extrême droite] – sera en mesure de raccommoder le tissu déchiré de la société israélienne ?

—Anshel Pfeff erPublié le 6 décembre

moyen-orient

capitale qui accueille des enfants de toutes les communautés. Lorsque les diff érentes organisations qui recensent les incidents antisémites dans le monde publieront leur rap-port annuel, je serais le premier surpris si l’une d’entre elles fai-sait fi gurer sur sa liste ce qui s’est passé à Jérusalem.

Dans le chœur unanime de condamnations qui a suivi l’attaque de l’école, je n’ai pas entendu un seul politicien déclarer tout simplement que ces agresseurs-là ne diff èrent en rien de ceux qui attaquent et vandalisent des synagogues, qui harcèlent et agressent des Juifs à l’étranger. Est-ce si diffi cile de

reconnaître qu’il s’agit de la même haine raciale ?

Bien entendu, l’incendie de l’école a été rapidement éclipsé par l’écla-tement du troisième gouvernement du Premier ministre Benyamin Nétanyahou [le 2 décembre]. Nous allons donc connaître des élections “fatidiques”, qui devraient déter-miner la destinée d’Israël pendant une génération.

On semble considérer ces pro-chaines élections législatives comme un référendum pour savoir s’il est pertinent que Nétanyahou reste au pouvoir. Comprendre que le problème d’Israël n’est pas Nétanyahou – qui n’est qu’un

symptôme – est important pour les Israéliens, mais aussi pour les Juifs du monde entier. Bibi n’est pas diff érent de ces politiciens, dans certains pays occidentaux, qui exploitent les inquiétudes et les préjugés de la société afi n de se faire élire – et qui, une fois élus, esti-ment que dans une démocratie rien d’autre n’importe que leur élection. D’ailleurs, les autocrates actuels – Poutine, Erdogan et Sissi – ont tous été élus démocratiquement.

Savoir à quel genre de démocra-tie nous croyons et dans quel genre de société nous voulons vivre ne concerne pas seulement l’avenir d’Israël, mais aussi la diaspora. Les Juifs jouent des rôles centraux dans la vie politique d’autres pays. Les opposants juifs de Poutine l’accusent d’avoir manipulé des déclarations antisémites au sein du mouvement démocratique ukrai-nien afi n de justifi er ses tenta-tives de saper le gouvernement de Kiev. Les partisans juifs de Poutine, au contraire, le portent aux nues, présentant ce nouveau tsar comme un rempart contre l’an-tisémitisme et un farouche défen-seur des Juifs russes (ce qui est peut-être vrai au niveau personnel, mais qui explique diffi cilement la prépondérance de négationnistes de l’Holocauste et d’avocats d’in-sidieuses théories antijuives du complot dans les médias fi nancés par le Kremlin). Tout récemment encore, on a appris que Moscou finançait désormais des partis européens xénophobes, parmi lesquels le Front national français [qui a contracté un prêt auprès d’une banque russe]. Et ce parti bénéfi cie d’ailleurs d’un soutien croissant parmi les Juifs français.

De même, en Grande-Bretagne, Nigel Farage – admirateur de Poutine et dirigeant du parti anti-immigration Ukip – est de plus en plus apprécié par les Juifs britanniques. D’ailleurs Richard Desmond, propriétaire du groupe de presse Daily Express et prési-dent de l’un des organismes cari-tatifs juifs les plus respectés en Grande-Bretagne, s’apprêterait à donner pour consigne à ses

↙ Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö.

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014MOYEN-ORIENT

11e volet Dans une lettre ouverte, un journaliste turc demande au pape François d’expliquer aux musulmans comment l’Eglise catholique est passée de l’Inquisition à la charité.

—Hürriyet Istanbul

Cher pape François,C’est en tant que simple citoyen turc,

et aussi musulman, que je veux vous sou-haiter la bienvenue à Ankara [la visite du pape a eu lieu du 28 au 30 novembre] et partager avec vous quelques réfl exions sur la Turquie, l’islam et même, si vous me le permettez, sur votre mission. Je ne vous apprendrai rien en disant que le monde musulman ne se porte pas très bien. J’irai même jusqu’à dire qu’il ne s’est jamais porté aussi mal.

Le sous-développement des pays musulmans, dans pratiquement tous les domaines, est aggravé par des fana-tiques qui tuent ou oppriment au nom de l’islam. Non contents de menacer les chrétiens ou les Occidentaux, ils s’en prennent également à nombre d’entre nous. Le reste du monde doit comprendre comment et pourquoi ce fanatisme se développe. Les partisans de la laïcité ont souvent du mal à appréhender ce nouveau défi et fi nissent par conclure que c’est la religion qui est en cause et que si les religions n’existaient pas il n’y aurait plus de problème.

Et pourtant l’histoire de votre propre institution, le Saint-Siège, apporte une correction salutaire à ces points de vue simplistes. A une époque, l’Eglise catho-lique, un peu comme les militants isla-mistes d’aujourd’hui, lançait des guerres saintes contre les “infi dèles” et punis-sait les “hérétiques”. Mais aujourd’hui, c’est cette même Eglise catholique qui ouvre des soupes populaires pour les plus pauvres et des centres de soins destinés aux enfants. L’histoire même de votre foi montre que la reli-gion peut se mettre au service du bien mais, parfois, éga-lement au service du mal. La grande ques tion qui se pose pour l’islam aujourd’hui est donc la suivante : comment battre en brèche ou convertir ces fanatiques musulmans et faire à nouveau de l’islam un instrument de paix, de liberté et de charité ? A ce titre, votre expérience et l’évolution

de la doctrine catholique peuvent se révé-ler très précieuses et permettre à mes coreligionnaires d’ouvrir les yeux. Ce qui a été accompli par Vatican II dans les années 1960 a été extraordinaire, sans parler de vos eff orts admirables pour ouvrir vos communautés aux athées et aux homosexuels. Il est crucial pour les musulmans (et peut-être pour les chré-tiens conservateurs) de comprendre que ces décisions progressistes ne vous font pas dévier de votre foi mais vous per-mettent au contraire d’emprunter des chemins encore inexplorés. Aussi per-mettez-moi de vous exprimer toute ma gratitude pour votre volonté de dialo-guer encore et toujours avec les musul-mans. Surtout, ne vous découragez pas.

Sur la Turquie, il y aurait beaucoup à dire. La bonne nouvelle, c’est qu’en ce qui concerne les fanatiques musul-mans nous sommes quand même mieux lotis que nos pays voisins, comme la Syrie et l’Irak. Non, le principal pro-blème en Turquie, c’est ce péché très particulier, admirablement défi ni par saint Augustin : la libido dominandi, c’est-à-dire la volonté de puissance. La Turquie est cruellement divisée entre un gouvernement qui brûle de ce désir de domination et une opposition qui n’agirait probablement guère diff érem-ment si elle était au pouvoir.

Néanmoins, je peux vous assurer que vous avez marqué les esprits, notamment grâce à votre modestie exemplaire. Les médias n’ont pas manqué de souligner que vous aviez refusé de dormir dans des palaces cinq étoiles et de circuler dans

des limousines hors de prix. C’est une leçon pour nos concitoyens,

d’autant que notre président vient tout juste de dépen-ser des milliards de dollars dans un nouveau palais pré-sidentiel démesuré et un jet privé des plus clinquants.

Merci de nous rappeler que la grandeur d’un homme ne

se mesure pas à son train de vie mais plutôt à son humilité. “Les derniers seront les premiers, disait un Nazaréen que nous aimons tous les deux, et les premiers seront les derniers.”

Cordialement,—Mustafa Akyol

(un compagnon de route monothéiste)

Publié le 29 novembre

L’ISLAM EN DÉBAT

Le Saint-Siège en exemple

avant Christophe Colomb ! A considé-rer qu’une pure invention vaut une vraie découverte, les musulmans seraient dans ce cas supérieurs aux Américains. Ainsi, Erdogan essaie de régler un diff érend poli-tique avec les Américains en leur disant qu’ils n’existent qu’à travers les musulmans. Et, qui sait, celui qui fait exister l’existant peut aussi le faire disparaître.

Erdogan n’innove pas en la matière. Porter les diff érends politiques sur les terrains historique et culturel est un trait caractéristique de la culture politique moyen-orientale. En Iran, depuis la révo-lution islamique de 1979, on affi rme qu’il existe une “spécifi cité” qui tiendrait les musulmans à l’écart de l’Occident et de ses connaissances. Mais bien avant, les Frères musulmans, depuis Hassan Al-Banna [leur fondateur, dans les années 1920], ont ancré dans les esprits l’idée selon laquelle il y aurait des choses qui s’appliquent là-bas mais pas en terre d’islam, qui conviennent chez eux mais pas chez nous.

Théories du complot. A partir de cette vision du monde, un nombre croissant de légendes et de théories du complot se sont répandues pour “expliquer” com-ment l’Occident a falsifi é l’Histoire et manipulé les concepts afi n de dénigrer les musulmans et de s’attribuer indûment tous les mérites. La traduction de textes antisémites européens a fait le travail de sape nécessaire pour accréditer l’idée que l’Histoire en cacherait une autre et que les connaissances scientifi ques ne serviraient qu’à voiler la réalité. Il s’agit donc de retrouver “ce qu’on nous cache” et qui serait une sorte de trésor enfoui sous l’accumulation de mensonges occi-dentaux. Quant à la gauche nationaliste arabe, elle a ajouté que l’Occident était en plus un pilleur de nos richesses, ce qui a contribué à accréditer davantage les idées islamistes sur l’Occident et leur a permis d’être à la pointe d’une idéologie largement consensuelle.

Evidemment, dans un monde de répres-sion tel qu’il a été forgé par nos régimes, où la politique relève de l’irrationnel et où l’accès aux informations est réservé à une élite de happy few, on est réceptif à de telles idées d’illuminés qui pleuvent sur nos contrées si arides. C’est le leader libyen Kadhafi qui en avait fourni l’illus-tration la plus ridicule. De temps à autre, il nous gratifi ait de découvertes linguis-tiques des plus étonnantes, expliquant que le vrai nom de Shakespeare était “Cheikh Zoubair” et que le mot Amérique venait de “l’Emir Ka”. J’en passe et des meilleures. Le monde avait supporté ses saillies avec une bonne dose de sar-casmes. Il aura peut-être plus de mal à digérer que le président Erdogan, qui se veut le “réconciliateur de la démocratie et de l’islam”, tombe aussi bas.

—Hazem SaghiehPublié le 19 novembre

—Al-Hayat Londres

Recep Tayyip Erdogan, leader isla-miste et président de la Turquie, a peut-être un diff érend avec les

Etats-Unis au sujet de Fethullah Gülen [chef turc d’une puissante confrérie soufi e résidant aux Etats-Unis dont Erdogan demande l’extradition]. Il reproche peut-être aussi aux Américains leur politique en Syrie et est en désaccord avec eux sur le sort à réserver à Bachar El-Assad ou sur la façon de traiter avec Daech (EI, Etat islamique).

Rien que de très normal d’avoir des diff érends politiques. Ce qui l’est moins c’est qu’Erdogan les porte sur les ter-rains culturel et historique. C’est ce qu’il a fait lors d’une conférence organisée à Istanbul [le 18 novembre], en affi rmant que des navigateurs musulmans avaient découvert l’Amérique en 1178, trois siècles

TURQUIE

Erdogan sur les pas de KadhafiEn affi rmant que les musulmans ont découvert l’Amérique, le président turc règle son diff érend politique avec l’Occident sur le terrain du fantasme.

Le vrai nom de Shakespeare est “Cheikh Zoubair” et le mot Amérique vient de “l’Emir Ka”

↙ Dessin de Kap, Espagne.

↓ Dessin de Cajas paru dans El Comercio, Quito.

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AFRIQUE.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

—Algérie-Focus Alger

C’est l’histoire d’un milliardaire qui a défrayé la chronique à El-Eulma, dans la wilaya de Sétif, en achetant

une villa plus de 1,8 milliard de centimes [de dinars, 167 000 euros] pour la détruire ensuite et faire bâtir à sa place une autre villa plus luxueuse. C’est aussi l’histoire d’un homme très riche originaire de Biskra qui a dépensé en une seule soirée, dans un cabaret à Oran, plus de 1 milliard de cen-times [93 000 euros] en rechka [surenchères pour obtenir les faveurs d’une femme]. Et puis un autre homme d’affaires a offert une

Algérie. La frime des friquésTandis que les nantis affichent leur fortune aux origines douteuses, les pauvres sont condamnés à la précarité.

chkara [corruption] inonde notre pays de voitures prestigieuses, de villas construites dans un luxe sans pareil, de châteaux de marbre et de faïences rehaussant plusieurs de ces quartiers chics qui nourrissent cette même interrogation lancinante : d’où vient tout cet argent dont se targuent nos nouveaux riches ?

Disons-le clairement et sans aucune langue de bois : aujourd’hui, l’Algérie se rue sur les richesses, le clinquant, le luisant trompeur et éphémère, comme les chromes de ces 4 × 4 et autres grosses bagnoles allemandes. Une richesse qu’affiche sans complexe des hommes dont les regards se cachent derrière de grosses lunettes de soleil. Des nouveaux riches qui sont apparus mystérieusement alors que l’économie nationale demeure dans le coma et est entretenue uniquement par notre rente pétrolière. Des nouveaux riches qui s’offrent régulièrement des gros immeubles construits à coups de valises bourrées de cash.

La débrouille. Oui, l’Algérie des nouveaux riches est une nouvelle Algérie dont peu de personnes peuvent décrypter, expliquer et comprendre le fonctionnement. Cette Algérie de la frime, de l’argent tombé du ciel, des filles aux voiles dorés mais en jeans moulants, cette Algérie des restos chics mais sans âme cohabite aussi, nous avons tendance à l’oublier, avec une autre Algérie, revers d’une même médaille. L’Algérie des nouveaux riches réfugiés dans les zones résidentielles surveillées par des sociétés de gardiennage privées s’efforce toujours de faire disparaître cette Algérie des chômeurs du Sud, des harragas [migrants clandestins], des zawalia [des pauvres malheureux], l’Algérie de la débrouille ou de l’embrouille.

En face de ces nouveaux riches au sommet de leur puissance, on retrouve ces futurs pauvres emprisonnés dans leur banlieue populaire, dépossédés d’un pouvoir d’achat digne de ce nom. Privés de toute possibilité de jouir d’un moment de loisir ou d’une évasion à cause de leur précarité continue. Privés de tout bonheur nocturne parce qu’ils ne peuvent pas s’acheter des voitures neuves et partir loin de leurs lotissements, manquant cruellement de tout, y compris d’un réseau d’assainissement.

Ces Algériens-là sont condamnés à demeurer les futurs pauvres à qui on vend le rêve d’une équitable répartition des richesses nationales en allant déposer à l’AADL [Agence pour le développement du logement] une hypothétique demande de logement. Pour les faire taire, les berner et les manipuler, on leur offre surtout : un 13e mois qui atteint les 40 000 ou 50 000 dinars [370 ou 460 euros], un mouton de l’Aïd et un couffin de ramadan. Et pendant ce temps-là, les nouveaux riches cultivent leurs fortunes au-delà de toute moralité, de toute éthique et de toute élégance. A chacun son Algérie…

—Abdou SemmarPublié le 22 novembre

afrique

Porsche Cayenne, dont le prix dépasse aussi le milliard de centimes, à Djabou, joueur de l’équipe nationale, pour le remercier d’avoir inscrit un but contre l’Allemagne lors de la Coupe du monde de football au Brésil.

Ces hommes qui jettent leurs milliards par les fenêtres sont les nouveaux riches de l’Algérie. Les nouveaux nantis qui affichent leur insolente richesse sans craindre personne. Des fortunes amassées dans des conditions douteuses et sous les yeux des autorités, qui n’ont pas bougé le petit doigt pour enquêter sur l’origine de tous ces milliards gaspillés en quelques heures pour s’offrir des frivolités. Toute cette

—El-Watan (extraits) Alger

L’embellie financière des années pré-cédentes a été favorable à l’émer-gence d’une nouvelle caste de

commerçants informels, devenus en un temps record propriétaires de magasins bien approvisionnés, de voitures der-nier cri et d’autres signes apparents de richesse. “L’heure est au pouvoir de l’ar-gent, et je n’invente rien en disant que l’on te juge à travers ton compte bancaire et les biens que tu possèdes”, nous lance tout de go un jeune licencié en droit, vendeur de fripes sur une place publique.

Il attend comme tous les jeunes de son âge un éventuel recrutement dans n’importe quelle boîte publique ou privée. “Je ne renoncerai jamais au commerce, avec ou sans emploi”, ajoute-t-il avant de partir sans avertir vers son ami, qui traîne un ballot de vêtements usés fraîchement arrivé du port d’Annaba. Même El-Harga [l’immigration clandestine] n’inspire plus la nouvelle génération de jeunes, qui préfèrent un départ de luxe outre-mer qu’une traversée

entre les mains des passeurs sans scrupule des villes côtières. “A Latina, en Italie, où j’ai un ami parti clandestinement depuis des années, c’est la grande misère. Et c’est le calvaire du côté du midi de la France ou ailleurs, alors autant profiter des chances que nous avons ici pour mieux gérer une éventuelle harba ( fuite) vers l’Europe avec des papiers de touriste”, nous dit Sofiène B., un informaticien qui fait fonction d’écrivain public, d’agent de saisie et de rédacteur auprès de quelques entrepreneurs.

Nombreux sont ceux qui partagent les mêmes idées et qui font fi de la politique et de tout ce qui a trait aux affaires courantes du pays. Ramzi T. s’en explique à travers ces propos : “Ma politique à moi, c’est mon bien-être et la possibilité d’entreprendre tout ce que j’ai envie de faire dans ma vie. Pour cela, je dois amasser beaucoup d’argent, et c’est à ce moment-là que je dois décider si je dois quitter le pays ou m’acheter un siège à l’APC [Assemblée populaire communale], à l’APW [Assemblée populaire de wilaya] ou à l’APN [Assemblée populaire nationale] (rire narquois), c’est selon la mise.”

—Abderrahmane DjafriPublié le 7 décembre

Les jeunes rêvent d’argentLes jeunes de 20 à 30 ans pensent surtout à se lancer dans des affaires rentables.

↙ Dessin d’Ares, Cuba.

Une nouvelle caste de commerçants informels

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Belgique.Taxe de nuitKoen Kennis (N-VA), L’échevin anversois desclasses moyennes veut taxer plus lourdementcertains types de magasins, dont la présencenuirait à l’image de la ville.

—De Morgen Bruxelles(extraits)

Les cybercafés, les bars àchicha, les agences deparis, les vidéoclubs... A

partir du 1er janvier, tous ceuxqui souhaitent ouvrir ce genrede commerce à Anvers devronty aller de leur portefeuille.

Les officines de ce type sontdésormais considérées comme“dégradantes pour l’image de laville” et une taxe de créationd’entreprise de 6000€ sera per-çue par la municipalité. A celle-cis’ajoutera encore une redevanceannuelle de 1 500 €. Les night-shops, phone-shops et sex-shops

seront également soumis à cettedernière, qu’ils soient nouvelle-ment ouverts ou non.

“Dans certains quartiers il y aune trop grande concentration dece type de magasins”, argumenteKoen Kennis pour défendre sadécision. Il ne trouve pas cel-le-ci sévère mais utile et mêmenécessaire.

Selon lui, ces commerces oc-casionnent non seulement desproblèmes d’image mais desproblèmes tout court. “Le moisdernier, il y a encore eu uneénorme bagarre dans un night-shop de la Statiestraat à Berchem.Et ce n’est pas la première fois.Nous devons constater que l’ex-

ploitation de ces lieux va souventde pair avec du tapage, des trou-bles de l’ordre public, des problè-mes d’alcool et de drogue. C’est celaque nous voulons combattre.”

Koen Kennis est membre d’unparti qui avait promis de ne pasinstaurer d’impôts nouveauxmais il balaie cet argument : ilpréférerait que cette taxe nerapporte rien, autrement ditqu’il n’y ait plus de magasins“dégradants pour l’image d’An-vers”. “Je ne dis pas qu’ils n’ontplus le droit d’être là mais je pré-fère ne plus les voir. Dans le mêmetemps, je ne me fais pas d’illusions:ils ne disparaîtront pas.” Et il es-time que ce n’est pas une catas-

trophe non plus. “Je n’ai pas l’in-tention de faire d’Anvers le nou-veau Bokrijk.”

Mais cette mesure a déclen-ché une tempête de réactions.Non seulement de la part desexploitants qui n’ont jamais étéinvités à la moindre réunion deconcertation, mais aussi de cellede fédérations d’entrepreneursqui sont radicalement opposés àcette taxe. “L’objectif est d’évitercertaines nuisances mais le tout estde voir où l’on trace la limite”, pré-vient Luc Ardies d’Unizo [PMEflamandes]. “D’accord, il y a desvoitures qui s’arrêtent devant lesnight-shops. Mais, comme organi-sation patronale, devons-nouscommencer à nous inquiéter pourles boulangeries qui démarrentleurs machines à l’aube ou les ma-gasins qui sont livrés tôt le matin ?”

Stigmatisation. La sectionanversoise des jeunes OpenVLD y est même allée plus forthier en qualifiant cette taxe deforme larvée de racisme. “Cesont souvent des gens d’origineétrangère qui exploitent ce genre decommerces. Nous devrions au con-traire encourager cette forme d’es-prit d’entreprise : on parle ici degens qui ont décidé de contribuer àl’économie belge.”

L’échevin, lui, ne comprendpas ces réactions. “Plus desoixante villes nous ont précédéavec des taxes similaires.” Selonlui, tous les partis de la majoritéen place (N-VA, CD&V et OpenVLD) ont approuvé la mesure.Et ce n’est pas lui qui a dressé laliste des 363 magasins concer-nés: celle-ci circule depuis desannées au conseil communal etdécoule de recensements desmagasins qui sont organiséstous les deux ans depuis 2006.

“Dégradant pour l’image de laville, c’est un concept général quiavait déjà été utilisé au cours de laprécédente législature”, poursuitl’échevin. Quand on lui de-mande de préciser quels com-merces seraient de nature àaméliorer l’image de la ville, ilrépond “tous les commerces régu-liers”. Qu’il s’agisse de Wibra,Zeeman ou des magasins dutype “Tout à un euro”. “Du mo-ment qu’ils sont réglos.”

Le fait est qu’aucune autreville n’utilisait jusqu’ici l’expres-sion “dégradant pour l’image dela ville”. Ce qu’il y a, ce sont desvilles qui ont adopté le mêmegenre de mesures, notammentvis-à-vis des night-shops.

A Bruxelles-ville, ceux-ci doi-vent acquitter une taxe de créa-tion d’entreprise de 12 500 €, à

laquelle s’ajoutent 2 000 € de re-devance annuelle. Louvain etGand prélèvent également destaxes, pour un montant maxi-mum de 1 500 € dans cette der-nière.

Selon l’échevin gantois Chris-tophe Peeters (Open VLD), lebut n’est pas de faire disparaîtredes commerces. “Notre ville a be-soin de night-shops. Mais nous sa-vons très bien que ces commercesgénèrent des nuisances, comme dutapage nocturne ou des jets de dé-tritus sur la voie publique. Toutcela coûte des frais d’administra-tion sans parler du fait que la po-lice doit s’y rendre plus souvent.”

Pour combattre la proliféra-tion des magasins, la Ville aadopté depuis des années unplan de dispersion stipulantqu’aucun nouveau magasin denuit ne peut s’établir à moins de500 mètres d’un autre. “Maiscela n’est pas suffisant. Si nousprélevons une taxe, c’est aussiparce que les night-shops vendentdes canettes pendant les Fêtes deGand, ce qui fait perdre des clientsà l’horeca.”

“Je ne connais personne qui ap-plaudit quand un night-shop vients’ouvrir à côté de chez lui”, ditaussi Koen Kennis. “Ça, c’est ty-piquement un point de vue de laclasse moyenne blanche”, répliqueStijn Oosterlynck, sociologueurbain à l’Université d’Anvers.“Et qui témoigne d’une vision frag-mentaire. Les night-shops, les pho-ne-shops et les cybercafés sont né-cessaires. Ils sont souvent créésdans un réflexe de survie par desimmigrés ou des primo-arrivants.Ils représentent pour la plupartdes initiateurs la seule possibilitéde gagner de l’argent parce que lemarché du travail ne leur est pasaccessible.”

Et il trouve logique que cesmagasins ne soient pas les plusrentables ou les plus presti-gieux. “Ceux qui entreprennentpar pure nécessité ne disposentsouvent que de peu de savoir-faireet de moyens.” Stijn Oosterlynckne nie pas les problèmes liés àce genre de commerces. “Mais il

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

“C’esttypiquement unevision de la classemoyenne blancheet qui témoigned’une visionfragmentaire.”

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1258 du 11 au 17 décembre 201424.

Page 25: Courrier 20141211 courrier full 20150106 094757

—De StandaardBruxelles (extraits)

Après chaque élection,TNS-Media réalise uneenquête post-électorale

à la demande des partis. L’heb-domadaire Knack a pu l’exami-ner : le jeu politique reste trèscomplexe mais il y a quelquesconstats étonnants.

N-VA. La N-VA a un électoratfidèle. Plus de la moitié de sesélecteurs avait déjà décidé devoter pour Bart De Weveravant même le début de lacampagne électorale. Sa per-sonne et le programme duparti sont les arguments lesplus porteurs. Mais, à côté desmilitants fidèles et des nom-breux nouveaux partisans, lesnationalistes ont aussi perdupas mal d’électeurs : 320 000en tout. Il y a d’abord eu la pré-sentation des plans d’écono-mies qui en a effrayé plus d’un.Et puis tout le monde n’a pasapprécié la polarisation initiéedans les débats non plus. Letaux d’aversion a nettementaugmenté : la proportion desélecteurs qui ne pourraient enaucun cas envisager de voterpour la N-VA, négligeable il y aquelques années, représenteaujourd’hui 28 % des Fla-mands.

CD&V. Les chrétiens-démo-crates flamands jouissent d’ungrand capital sympathie. Leparti ne suscite que peud’aversion et plaît beaucoupaux femmes. Le CD&V a con-vaincu pas mal de nouveauxélecteurs pendant la campagnemais en a perdu d’autres quiétaient avides de changement(notamment au profit de laN-VA mais pas uniquement).Un résultat intéressant : lesélecteurs chrétiens-démocra-tes sont moins désireux de ré-formes de l’Etat qu’aupara-vant. Par contre, le dossier dela faillite d’Arcopar est ultra-

sensible au sein de cet électo-rat, ce qui n’est pas le cas à laN-VA. Toute la question est desavoir si les électeurs ACW(aile gauche du parti) qui ontmaintenant été remboursésrisquent ou non de filer auSP.A ou chez Groen.

Open VLD. “Les gens ont desailes.” Les plaisanteries ontvolé bas quand l’Open VLD alancé sa campagne avec ce slo-gan. Mais le pari a été gagnant.Bon nombre d’électeurs indé-cis ont été séduits par ce mes-sage positif et le parti se re-trouve au pouvoir en Flandrecomme au fédéral. L’OpenVLD avait bien compris qu’ilne pourrait pas empêcher lesindépendants et les chefs d’en-treprise – son électorat habi-tuel – de passer en masse à laN-VA. Mais l’arrivée de nou-veaux électeurs a permis de li-miter la casse. Les libéraux ontmaintenant cinq ans pour re-nouer avec le patronat, ce quiexplique leur inflexibilité enmatière de tax shift. On risque

d’assister à une course impi-toyable entre les “deux partislibéraux” de la coalition. Parceque, si la politique menéeporte ses fruits, tout le créditrisque d’en revenir à la N-VA.Pour l’Open VLD, cela revien-dra à se profiler plus bleu quebleu. Reste à voir ce que leCD&V pourra faire pour survi-vre dans un tel contexte.

SP.A. Le verdict est sans ap-pel pour les socialistes. Zéropersonnel politique, zéro pro-gramme, zéro communication :la campagne a été inexistante.Mais en termes de contenuaussi, le SP.A a un problème.Plus que jamais, il semblen’être le parti d’un seul thème :le socio-économique. Tout lereste, tout ce qui fut porté enson temps par Steve Stevaert– l’énergie, l’environnement,l’enseignement... – est de plusen plus associé à Groen. Et oncherche en vain une part fémi-nine dans le programme, quel-que chose qui séduirait les fa-milles. Le parti souffre d’un

manque criant d’hommesd’Etat: Bruno Tobback ne re-présente un argument de voteque pour 3 % des électeurs, leplus mauvais score de tous lesprésidents de parti. Les enquê-teurs suggèrent que les dé-parts de Steve Stevaert et Pa-trick Janssens ont fait beau-coup de dégâts : que vautencore un parti que ses an-ciens leaders désertent pour lesecteur privé ?

Groen. Ceux qui pensaientque Twitter avait joué un rôleessentiel dans la campagne ensont pour leurs frais : le Stem-test [test permettant à chacunde vérifier sa proximité plus oumoins grande avec le pro-gramme des différents partis]n’a influencé le comportementque de 5 % des électeurs maisc’est Groen qui a le plus pro-fité du phénomène. Le pro-gramme des verts séduit da-vantage que leurs têtes de listemais ils ont encore une bonnemarge de croissance.

Vlaams Belang. Le Belang atout perdu au bénéfice de laN-VA et n’est guère plus qu’unphénomène local anversois. Ilmanque de candidats crédi-bles. Par ailleurs, l’indépen-dance de la Flandre est unthème qui n’intéresse toujourspas ses électeurs.

—Bart BrinckmanPublié le 4 novembre

↙ Dessin de duBus parudans La Libre Belgique.

POLITIQUE

Partis flamands,état des lieuxLe 25 mai, la N-VA a gagné énormément d’électeurs mais, pour la premièrefois, elle en a aussi perdu. Une enquête de TNS-Media analyse la perceptionqu’ont les Flamands des différents partis.

y a différentes manières de lesaborder. Vous pouvez vous atta-quer aux symptômes et barrerainsi la route à un grand nombrede gens. Mais alors, c’est tout ungroupe vulnérable que vous alleztirer vers le fond. Par contre, vouspouvez chercher des solutions pouraider ces gens, leur apprendre àprésenter leurs marchandises, àcréer de bonnes relations avec leurclientèle”

Ce qui dérange le plus StijnOosterlynck, ce sont les termesutilisés, “dégradant pourl’image”. “La municipalité se per-met de porter un jugement de va-leur sur des activités économiquesparfaitement légales, ce qui outre-passe ses prérogatives. Une villedoit mener une politique, définir lecadre dans lequel il est permisd’entreprendre mais pas décider cequi est un bon ou un mauvais ma-gasin. C’est une façon de stigmati-ser certains groupes.”

L’échevin gantois ChristophePeeters est du même avis. “Cer-tains magasins pourraient êtremieux aménagés mais ce n’est pasquelque chose que l’on règle à coupde taxes. Si vous voulez améliorerl’image de ceux-ci, c’est mieux dedonner des primes pour le ravale-ment de façade ou la rénovationintérieure.”

Il estime que des règlementsfiscaux n’auront jamais ce genred’effet indirect. “Cela peut mar-cher pour lutter contre les immeu-bles inoccupés mais pas dans le casde ces magasins. C’est clair qu’il ya une clientèle pour eux. Et tantqu’il y aura des clients, les exploi-tants continueront.”

De plus, les bars à chicha, lesphone-shops et les cybercafésjouent un rôle important pourbeaucoup de personnes, selonlui. “A Gand, il y a des gens de 160nationalités différentes. C’est logi-que que ces gens cherchent des en-droits où ils peuvent entrer encommunication avec leur familleou les gens de leur communauté.”Pour lui, ces magasins sont bienplus que des magasins. “Souvent,ce sont des lieux de confiance oùdes gens se retrouvent. Les famillesde la classe moyenne blanche nes’en soucient probablement guèremais elles ne sont plus les seules àfaire la pluie et le beau temps dansune ville comme Anvers.”

Beaucoup de ces familles ontd’ailleurs quitté les quartiers oùpullulent ces “magasins qui dé-gradent l’image de la ville” pourdes banlieues plus vertes. “Cegenre de commerces contribue àfaire de la ville un lieu où chacunpeut trouver sa place et des lieuxqui lui conviennent. Et donc ilsfont du bien à la ville.”

—Femke van GarderenPublié le 4 décembre

BELGIQUECourrier international – n° 1258 du 11 au 17 décembre 2014 25

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

unioneuropéenne

↙ Dessin de Bertrams paru dans De Groene, Amsterdam.

—Frankfurter Allgemeine Zeitung Francfort

Les élections moldaves ont vu les forces dites proeuro-péennes s’imposer devant

le camp prorusse. L’Union euro-péenne serait toutefois bien

Moldavie. Gare aux oligarques “proeuropéens”Les élections moldaves du 30 novembre ont reconduit de justesse l’Alliance pour l’intégration européenne, une coalition pro-UE mais profondément corrompue.

dans tous les sondages fut exclu du scrutin à la toute dernière minute et le principal parti d’opposition s’est vu fl anqué d’un clone usant du même acronyme et du même logo, venant ainsi semer le trouble chez les électeurs. De tels procé-dés sont symptomatiques des cinq années de mandat de la coalition qui se faisait appeler “Alliance pour l’intégration européenne” : tout en évoquant à l’envi des réformes et un avenir européen, les oligarques au pouvoir ont poursuivi la politique menée durant les deux décennies qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique – vingt années perdues.

Sur fond de confl it ukrainien, l’opposition comme le gou ver-nement ont présenté l’élection du 30 novembre comme un choix d’orientation pour la Moldavie, entre l’Est et l’Ouest  : d’un côté le modèle russe, de l’autre l’européen. Du point de vue occidental, l’alternative était donc la suivante : un régime arbitraire et autoritaire ou la démocratie et l’Etat de droit. Cependant, au vu du contexte moldave, il était également permis de voir ce scrutin comme un affrontement, sous couvert de démocratie, entre des groupes corrompus qui se sont parés de divers oripeaux idéologiques pour obtenir le soutien de puissances extérieures dans leurs luttes internes.

Si l’on choisit la première interprétation, l’UE n’a d’autre choix que de prendre parti, parce que ses valeurs sont en jeu et qu’elle ne peut plus éluder la confrontation géopolitique avec la Russie, comme elle pouvait encore le faire au début de la crise ukrainienne. Dans la seconde interprétation, elle serait mal avisée de prendre parti, car elle se discréditerait elle-même ainsi que les valeurs qu’elle défend. Le problème est que ces deux interprétations du scrutin moldave ne s’excluent pas : elles sont toutes les deux exactes. Et s’il est pertinent de s’intéresser à ce tout petit pays, c’est parce que la Géorgie et l’Ukraine se trouvent dans des cas de fi gure analogues. L’Union européenne se voit donc confrontée à un dilemme qu’elle commence tout juste à discerner. Cette situation ne pose aucun

Les élections n’ont pas respecté les principes d’un Etat démocratique

La Géorgie et l’Ukraine sont dans des cas de fi gure analogues

problème aux dirigeants russes, qui mènent une pure politique de pouvoir : tout ce qui est gage de réussite, donc d’accroissement du pouvoir, est permis. Le Kremlin juge à la même aune les gouvernements des anciennes républiques soviétiques et les gouverneurs de ses régions intérieures, c’est-à-dire moins sur leur action concrète et leur respect des lois que sur leur degré de loyauté.

Ces deux dernières années, la Moldavie a souvent été présen tée comme le pays le plus progres-siste du Partenariat oriental de l’UE – non sans raison. Alors que l’Ukraine de Ianoukovitch s ’enfonça it toujou rs plus profondément dans l’autoritarisme, la Moldavie a réellement engagé un certain nombre de réformes économiques et politiques. En même temps, à Chisinau aussi, le pouvoir politique était dans les mains des oligarques, lesquels, comme les profi teurs du régime de Ianoukovitch, ont privatisé l’Etat et ses institutions et détourné les recettes publiques pour alimenter leurs caisses personnelles. La diff érence avec l’Ukraine d’avant Maïdan est que le pouvoir moldave n’était pas concentré mais disséminé entre plusieurs forces indépendantes qui avaient pris la forme de partis politiques. D’où l’idée d’un “pluralisme involontaire” (une référence au paysage politique de l’Ukraine dans les années 1990) et des aff aires de corruption à répétition.

Résultat : les partis au pouvoir ont perdu tout crédit aux yeux de la population. La chute de confiance des trois partis qui souhaitent aujourd’hui reformer une coalition est bien plus grave que ne le laisse entendre leur décrochage à l’élection du 30 no -vembre. “Beaucoup d’électeurs proeuropéens ont voté pour ces partis à rebours de leurs propres convictions, de peur d’assister à une réorientation irréversible du pays vers l’est, analyse le politologue moldave Victor Chirila. Si rien ne change maintenant, ils ne recommenceront pas.” Les partis qui se sont présentés sous l’étiquette proeuropéenne ont également écorné l’image de l’UE en Moldavie : sous leur gouvernement, l’orientation proeuropéenne du pays

inspirée de jouer la prudence dans ses rapports avec elles. Les partis dits proeuropéens n’ont pas véri-tablement remporté l’élection du 30 novembre en Moldavie. Ils n’ont fait que conjurer la défaite – et ce en recourant à des procédés certes usuels dans l’espace postsovié-tique mais néanmoins indignes

de l’Etat démocratique européen qu’ils disent vouloir instituer : de nombreux électeurs, sympathisants présumés des partis prorusses, n’ont pas pu se rendre dans les iso-loirs, les bureaux de vote installés en Russie étant en nombre insuffi -sant ; un parti dont la cote de sym-pathie grimpait dangereusement

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UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

Le Royaume-Uni a enregistré une hausse de 43 % de l’immigration nette

du gouvernement, qui avait affirmé son intention de réduire l’immigration nette à moins de 100 000 personnes. Toutefois, la coalition n’a pas eu les moyens de tenir sa promesse, tout comme on ne lui permettra pas de contrôler l’immigration européenne tout en restant dans l’UE. Comme l’a enseigné le roi Knut le Grand, faire des promesses que l’on ne peut tenir relève de la folie. Ce monarque médiéval cherchait néanmoins à donner une leçon, ce qui n’est pas le cas de David Cameron.

Le gouvernement n’est pas parvenu à ses fins pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il ne peut maîtriser les flux issus de l’UE et qu’il ne parvient pas à contrôler l’immigration. Tout ce qu’il a pu faire, c’est endiguer l’immigration brute issue des pays extérieurs à l’UE, mais les résultats à cet égard s’avèrent également en deçà des promesses.

Au cours des douze mois qui ont précédé juin 2014, 168 000 ressortissants non européens ont immigré au Royaume-Uni – un nombre inférieur de 37 % au pic atteint en 2004 (266 000 personnes), mais supérieur de 18 % à l’afflux net issu de l’UE. D’ailleurs, même si l’immigration nette européenne avait été inexistante, le gouvernement

n’aurait pas pour autant fait passer le solde migratoire sous la barre des 100 000, puisque seuls 50 000 citoyens britanniques ont émigré pendant la période visée.

La grande attention accordée à l’immigration issue de l’UE est révélatrice d’autres inquiétudes, tout comme la crainte qu’une grande part de ces immigrés viennent profiter des avantages sociaux. Une forte proportion d’immigrés européens vient travailler, car ils sont attirés par l’économie britannique relativement dynamique, le taux de chômage réduit. D’après le dernier recensement, par exemple, 80 % des immigrés européens en âge de travailler et résidant au Royaume-Uni depuis cinq à dix ans avaient un emploi, contre 69 % des personnes nées au Royaume-Uni et 61 % de celles nées en dehors de l’UE. Comme on pouvait s’y attendre, les résultats indiquent aussi que les immigrés européens, jeunes et actifs, représentent une contribution fiscale nette considérable.

Certes, la balance pourrait s’inverser s’ils restent. Et pourtant, comme le montre le Centre for European Reform (CER) dans un rapport consacré aux conséquences d’une sortie britannique de l’UE, l’idée selon laquelle l’immigration européenne aurait un coût économique phénoménal pour le Royaume-Uni est absolument infondée. Cela ne signifie pas qu’elle contribue significativement au bien-être économique des personnes qui habitent déjà dans ce pays. C’est le point le plus discutable : les données montrent que l’essentiel des avantages de l’immigration profite aux immigrés eux-mêmes. En revanche, nous devrions accueillir à bras ouverts les personnes travailleuses et ambitieuses, qui parlent de nombreuses langues et qui renforcent la diversité culturelle tout en étant adaptées à la culture essentiellement libérale du Royaume-Uni. Même en tenant compte des dépenses supplémentaires en infrastructures et des effets éventuels sur les prix de l’immobilier, l’idée que l’immigration puisse être une raison suffisante de quitter l’UE révèle un sinistre manque de confiance en l’avenir.

Il est logique que le Royaume-Uni discute de l’immigration et qu’il en admette à la fois les bénéfices et les défis. Il est également logique d’ouvrir un véritable dialogue exhaustif sur la place du Royaume-Uni au sein d’un continent auquel il appartiendra toujours. L’immigration européenne n’est pas le facteur principal de l’immigration, et elle n’est pas particulièrement problématique. L’inverse est bien plus proche de la vérité. Dans le cadre de ce débat, ce n’est pas sur l’immigration qu’il faut se focaliser.

De la même manière, la décision de rester ou non dans l’UE façonnera l’avenir du Royaume-Uni à long terme. Il serait insensé de laisser une crise d’angoisse sur l’immigration régir ce débat. Malheureusement, nous nous approchons à grands pas de ce degré de stupidité.

—Martin WolfPublié le 27 novembre

↙ Dessin de Vincent L’Epée paru dans L’Express, Neuchâtel.

—Financial Times Londres

Est-il raisonnable que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne à cause de la libre circulation des per-

sonnes ? La réponse est non. Certes, l’im-migration est une question cruciale, tout comme l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE. En revanche, la première ne doit pas déterminer la seconde. Ces deux sujets sont bien trop essentiels.

Néanmoins, David Cameron, Premier ministre du Royaume-Uni, s’isole de plus en plus à chaque débat avec les autres membres de l’UE. C’est notamment dû à l’hystérie de son parti face au succès électoral de l’Ukip, le principal parti eurosceptique. C’est aussi lié au fait que certains conservateurs feraient n’importe quoi pour quitter l’UE. Ce mélange de peur et d’hostilité pousse David Cameron à demander des dérogations au principe de libre circulation défini par les traités fondamentaux – des exceptions qu’il n’a aucune chance d’obtenir. S’il restait Premier ministre après les élections parlementaires de mai 2015, il lui faudrait faire campagne en faveur du non au référendum qu’il serait tenu d’organiser. Une sortie britannique de l’UE est le scénario le plus probable.

Le Royaume-Uni a enregistré une hausse de 43 % de l’immigration nette entre juin 2013 et juin 2014, ce qui ne peut qu’attiser le problème : ce pourcentage correspond à 260 000 personnes, un nombre supérieur à celui de n’importe quelle année précédente. Ce chiffre tourne en dérision la promesse

ROYAUME-UNI

Cameron isolé sur la question de l’immigrationSous la pression de l’aile eurosceptique de son parti et face à la montée de l’Ukip, le Premier ministre pousse son pays vers la sortie de l’Union en raison du problème de la libre circulation.

a perdu la majorité. C’est pourtant l’espoir de changement associé à l’UE qui leur a offert une seconde chance. Si la Moldavie entre dans la sphère d’influence de la Russie, le danger bien réel est qu’un pouvoir autoritaire prenne la place d’un régime encore relativement libre et démocratique à l’heure actuelle. Le renforcement de la lutte contre la corruption et l’instauration d’un Etat de droit seraient alors bien plus improbables qu’ils ne le sont aujourd’hui, faisant reculer les chances de développement économique durable dans ce pays qui est le plus pauvre d’Europe et dans lequel de nombreuses familles ne survivent que grâce à leurs proches partis vivre en Europe de l’Ouest ou en Russie, qui envoient chaque mois de l’argent au pays.

De même que les électeurs europhiles de Moldavie n’ont pas eu de choix, l’UE non plus n’a pas de choix : elle ne peut avoir d’autres partenaires que les partis au pouvoir. Mais elle doit suivre la situation de près et faire savoir très clairement qu’elle n’obéit pas à la maxime en vigueur pendant la guerre froide dans les rapports entre Washington et les dictatures militaires d’Amérique latine  : “Ce sont peut-être des salopards, mais ce sont nos salopards.” L’UE possède quelques points d’appui en Moldavie – il existe des responsables politiques dans les partis proeuropéens qui semblent avoir les mains propres et qui, selon toute vraisemblance, sont animés d’une sincère volonté de réforme. Mais ceux-ci n’ont pas la partie facile.

—Reinhard VeserPublié le 4 décembre

SOURCE

FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNGFrancfortQuotidien, 310 000 ex.www.faz.netFondée en 1949 et menée par une équipe de quatre directeurs, la FAZ est le grand quotidien libéral conservateur d’Allemagne et un outil de référence pour les milieux d’affaires et les intellectuels allemands. Fort de ses journalistes experts et de ses correspondants à l’étranger, ce titre offre à ses lecteurs une information de suprême qualité.

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28. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

RIEN NE STOUT SE TRANSFO

Un peu partout dans le monde, des entreprises amorcent leur transition vers l’économie circulaire. Le concept est à la fois simple et ambitieux : il s’agit d’abandonner le système linéaire “extraire, produire, consommer, jeter” pour créer un cercle vertueux dans lequel l’idée même de déchets disparaît (lire ci-contre). Dans cette logique, matières et objets sont réutilisables à l’infini. Source d’innovations, de collaborations mais aussi d’économies, ce modèle transforme radicalementles schémas de production et de consommation. En voici quelques exemples, de l’architecture (p. 33) à l’industrie papetière (p. 32), en passant par les fermes urbaines (p. 31).—

SERVICE TRANSVERSALES

à la une

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 29

temps. Affi nées par d’infl uents théoriciens sous l’expression d’“économie circulaire”, leurs idées intéressent désormais de grandes entreprises. Ce retour en grâce n’est pas dû au hasard : depuis 1998, les prix du pétrole et de l’énergie ont quintuplé, ceux des métaux ont triplé et ceux des produits alimentaires ont augmenté de 75 %, soulignent Stefan Heck et Matt Rogers dans Resource Revolution: How to Capture the Biggest Business Opportunity in a Century [“La révolution des ressources : comment saisir la plus grande opportunité commerciale du siècle”, éd. New Harvest, avril 2014, non disponible en français].

“Nous voyons deux tendances se dessiner, explique Heck, ancien consultant chez McKinsey. D’un côté, le coût de l’extraction des ressources ne cesse de progresser, car nous avons déjà épuisé celles qui étaient les moins chères et les plus faciles à exploiter.” (Songez au coût du pétrole pompé dans l’Arctique ou extrait des sables bitumineux du Canada.) De l’autre, poursuit Heck, d’ici à 2030, 2,5 milliards de personnes en Chine, en Inde et dans d’autres pays en développement sortiront de la pauvreté et s’installeront en ville. Elles voudront des voitures, des climatiseurs, des produits électroniques, ce qui suscitera une demande massive d’énergie et de matières premières.

Une chance à saisir. Rien d’étonnant, donc, à ce que les entreprises voient dans l’économie circulaire une chance à saisir. Selon une étude réalisée par la Fondation britannique Ellen MacArthur, McKinsey et le Forum économique mondial, qui œuvrent ensemble à promouvoir la pensée circulaire, d’ici à 2025 la transition vers cette économie pourrait permettre d’économiser jusqu’à 1 000 milliards de dollars rien qu’en matériaux. La Fondation a scellé des partenariats avec des entreprises comme Philips, Cisco, Unilever, Renault et le géant européen du bricolage Kingfi sher, qui testent des modèles circulaires.

Philips est de celles qui sont allées le plus loin. Le groupe néerlandais a commencé à intégrer le principe à ses activités il y a deux ans. Les éclai rages à LED des rues de Buenos Aires et de Singapour, comme les nouveaux équipements des parkings de Washington, appartiendront au fabricant, ce qui évitera aux autorités d’immobiliser des capitaux. Les pouvoirs publics verseront une redevance mensuelle calculée sur la consommation. A Amsterdam, un immeuble de bureaux construit pour le cabinet d’audit Deloitte servira de vitrine à un système d’éclairage intelligent : des capteurs transmettront des données permettant d’identifi er les bureaux occupés et qui doivent être climatisés. Philips, propriétaire et gestionnaire du

—Ensia (extraits) Saint Paul (Minnesota)

N e gaspillez pas la mode”, nous conseille la marque de prêt-à-porter H&M. J’ai donc apporté un sac de vieux tee-shirts, pulls et pantalons dans une boutique H&M de Washington, qui l’a pris sans poser de ques-tions, contre un bon de réduction de 15 %

sur mon prochain achat. Ensuite, j’ai ressorti d’un tiroir un vieil iPod et un iPhone 4S dont l’écran était fêlé. Sur le site web de Gazelle, j’ai décou-vert que cette société me proposait 37 dollars [30 euros] pour mes deux appareils. (Si l’écran de l’iPhone avait été en bon état, j’aurais pu en tirer 135 dollars [108 euros].) J’ai imprimé une étiquette d’expédition gratuite, et mes vieilleries sont par-ties, non à la décharge mais vers une nouvelle vie.

Près de chez moi, un parking couvert du ré seau de transports publics de Washington s’apprête à faire peau neuve : les éclairages existants seront remplacés par des LED [diodes électroluminescentes] qui devraient réduire la consommation d’énergie de 68 %. Les LED seront fabriquées par Philips, qui les reprendra lorsqu’il faudra les réparer ou les remplacer.

Bienvenue dans le monde de l’économie circulaire. Confrontées à la fl ambée des prix de l’énergie, et soumises aux pressions du législateur qui, en Europe et dans certains Etats américains, a voté des lois sur la responsabilité élargie du producteur, des entreprises visionnaires inventent de nouveaux moyens de récupérer, réutiliser, transformer ou recycler toutes sortes de choses qui, autrement, fi niraient à la poubelle. Contrairement à l’économie linéaire traditionnelle, qui “prend, utilise, jette”, l’économie circulaire est un système industriel dont l’intention et les principes de conception reposent sur la restitution ou la régénération. Inspirée de la nature, elle cherche non seulement à limiter les déchets mais aussi à éliminer l’idée même de déchet : tout objet parvenu en fi n de cycle devrait être converti en autre chose, de la même façon que, dans le monde naturel, les déchets d’une espèce nourrissent une autre espèce.

Capitalisme naturel. Tout cela n’est pas entièrement nouveau. Dans les années 1990 et 2000, des pionniers de la pensée écologique tels Paul Hawken, Amory Lovins, Hunter Lovins, Janine Benyus et Wil liam McDonough ont posé les jalons intellectuels de l’économie circulaire en développant des concepts comme le capitalisme naturel, le biomimétisme et l’écoconception “cradle to cradle” [du berceau au berceau]. Mais, comme tant de pionniers, ils étaient en avance sur leur

Vers un monde sans déchetsUn nombre croissant d’entreprises, qui cherchent à se prémunir contre la hausse du coût de l’énergie et des matières premières, sont attirées par le modèle d’économie circulaire.

SE PERD

ORMERÉCUPÉRATIONQuand votre sèche-cheveux tombe en panne, il est bien souvent moins cher d’en racheter un neuf que de le faire réparer. Pour lutter contre le gaspillage, la journaliste Martine Postma, spécialiste de l’environnement, a créé à Amsterdam en 2009 son premier Repair Café, explique l’hebdomadaire britannique The Economist. L’idée : permettre aux personnes qui ont un objet cassé ou défectueux de venir le réparer eux-mêmes dans un lieu convivial, en se faisant aider de personnes ualifi ées. Depuis, le réseau de Repair Cafés s’est étendu dans le restede l’Europe, mais aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et même au Brésil. En France, on en compte une trentaine.

→ 30

Les dessins de ce dossier sont de Joe Magee, artiste, cinéaste et illustrateur britannique plusieurs fois récompensé. Son œuvre a été très largement diff usée,tant dans des galeriesque lors de festivals cinématographiques. Il contribue régulièrement à des publications comme Time et The Guardian.

← Dessins pourCourrier international.

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30. À LA UNE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

—Global Post (extraits) Boston

De Berlin

A près avoir escaladé des che-minées d’usine à l’époque où il militait au sein de Greenpeace, Michael Braungart apparaît depuis vingt ans comme un outsider dans la course aux solutions pour sauver la planète. Ce chimiste veut

mettre fi n à la tendance au “réduire, réutiliser et recycler”, afi n d’amorcer la prochaine révolu-tion industrielle. L’idée est de ne plus “consom-mer” de matières premières vouées à devenir des déchets, mais de les “emprunter”, un concept qu’il appelle “du berceau au berceau” [“cradle to cradle”, C2C]. “Cela revient à tout réinventer”, résume-t-il.

Mais le temps presse. “En Europe, nous perdons notre base industrielle si rapidement que lorsque nous savons ce qu’il faut faire, nous ne pouvons plus le faire.” Il montre un téléviseur qu’il a aidé à mettre au point pour le groupe néerlandais Philips. Premier poste conçu pour ne dégager aucune émanation toxique dans votre salon, il économi-

sait tellement l’électricité que la société “aurait pu le

Contre-productif, le recyclage ?En alimentant la fi lière de l’incinération, le tri des déchets retarde la prochaine révolution industrielle, déplore Michael Braungart. Selon ce chimiste, matières et objets devraient être réutilisables à l’infi ni.

PortraitMICHAEL BRAUNGARTAgé de 56 ans, ce chimiste allemand a fondé l’Agence pour l’encouragement à la protection de l’environnement (Epea), à Hambourg, et créé, avec l’architecte William McDonough, la société américaine de conseil McDonough Braungart Design Chemistry. Il est également directeur scientifi que de l’Institut de l’environnement de Hambourg et tient la chaire Cradle to cradle de l’universitéde Rotterdam. Par le passé, il a dirigé la section chimie de Greenpeace.

à Hollywood peut se faire d’un génie – moitié Steve Jobs, moitié Doctor Who. “J’ai parlé à Boris [Johnson, le maire de Londres], raconte-t-il. (…) Londres veut être climatiquement neutre. C’est idiot ! Aucun arbre n’est climatiquement neutre. Est-ce qu’on veut être plus bêtes qu’un arbre ?”

Avec l’architecte américain William McDonough, Braungart veut transformer l’économie mondiale via des processus industriels qui, non content de ne pas nuire à l’environnement, purifi eront l’air, régénéreront les sols de surface et, comme les

arbres, convertiront le dioxyde de carbone en oxygène. Cela peut paraître chimérique.

Mais depuis qu’il a présenté [avec William McDonough] ce concept

en 2002 dans le manifeste – et best-seller – Cradle to Cradle:

Remaking the Way We Make Things [Cradle to Cradle : créer et recycler à l’infi ni, éd. Alternatives, 2011], Braungart en a démon-

tré la validité.Il a aidé des multinatio-

nales à mettre au point des centaines de produits, comme

les dalles de moquette EcoBase de Desso, conçues pour que la sous-couche soit faci-lement enlevée et les fi bres réutilisées. Ou encore le tissu compostable Climatex, développé avec le fabricant de mobilier Steelcase, et dont le proces-sus de production était si vert que l’eau rejetée par l’usine était plus propre que celle qui l’alimentait. La meilleure preuve que le C2C fonctionne, selon Desso, c’est que la part de marché de la société pour les moquettes de bureau en Europe est passée de 15 % en 2007 à 27 % en 2013.

Pourtant, le changement n’est pas assez rapide. Le principal obstacle, ce sont peut-être bien cer-taines tendances écologistes, particulièrement ancrées dans l’Allemagne natale de Braungart. Depuis les années 1970, les Allemands trient obses-sionnellement leurs ordures et réutilisent l’eau de leur bain. Ils ont fait du recyclage une religion. Mais cette mentalité a fait naître une puissante industrie qui repose sur la création et l’incinéra-tion des déchets. Il en résulte d’étranges contra-dictions, explique Braungart. On construit des incinérateurs high-tech pour brûler des maga-zines imprimés en Chine avec une encre consti-tuée de produits chimiques toxiques. Pire, on importe plus de 2 000 tonnes de déchets dan-gereux pour alimenter ces fours. [L’Allemagne, dont les capacités d’incinération sont supérieures à sa production de déchets, continue pourtant à se doter de nouvelles installations.]

Un changement radical de cap politique est indispensable, estime Braungart. Il ne faut plus se concentrer sur la minimisation des dommages, qui ralentit la destruction de la planète mais contribue aussi à l’assurer. Il convient d’éliminer l’incinéra-tion d’ici à 2030, ce qui passe par la fabrication de produits pouvant être réintégrés aux cycles biologiques. A terme, malgré ses bonnes inten-tions, le recyclage est nuisible. “De même que le socialisme n’a jamais été social, l’écologisme ne fait pas avancer l’écologie, affi rme Braungart. Ça nous occupe, c’est tout.”

—Jason OverdorfPublié le 17 octobre

système, fera évoluer la technologie en fonction des besoins, et Deloitte paiera l’éclairage comme un service.

Le groupe suédois H&M reprend des vêtements dans le monde entier depuis 2013. La société suisse I:co les trie à la main, puis les re vend dans des pays pauvres ou les recycle en sièges de voiture, matériaux d’isolation ou jouets en peluche. En fin de vie, un vêtement génère suffi samment de revenus pour couvrir les frais de collecte et de tri et fi nancer des recherches sur le recyclage, affi rme Henrik Lampa, directeur du développement durable chez H&M. “Nous avons besoin d’importants développements technologiques”, précise-t-il toutefois. Des procédés de recyclage chimique pourraient permettre de transformer le coton usagé en vêtements neufs sans perdre en qualité. “Dans l’idéal, nous voudrions fabriquer de nouvelles fi bres à partir de ces rebuts, explique-t-il. Nous disposerions alors de matériaux dont les prix ne seraient pas aussi fl uctuants que ceux des matières premières agricoles.”

Des téléphones démontables. Le modèle circulaire se prête particulièrement bien aux produits de haute technologie dont le cycle de renouvellement est rapide. En rachetant des téléphones à des clients qui souhaitaient s’en débarrasser, puis en les rénovant, la société Sprint a économisé “plus de 1 milliard de dollars”, car cela lui a évité d’acheter des appareils neufs à Apple, Samsung et LG, explique Darren Beck, responsable des initiatives écologiques. Près de 90 % des télé phones que Sprint récupère repartent dans le circuit commercial, soit pour remplacer les appareils perdus ou abîmés, soit pour être revendus à de nouveaux clients comme “téléphones d’occasion certifi és”.

Une nouvelle application proposée par Verizon permet à ses abonnés d’estimer le prix de leur appareil usagé, qu’ils peuvent rapporter dans une boutique de l’opérateur contre paiement en espèces. Selon la Consumer Electronics Association, le secteur américain de l’électronique grand public a ainsi repris ou recyclé l’équivalent de 280 000 tonnes de matériel en 2013, soit deux fois plus qu’en 2010. Selon Darren Beck, ce chiff re pourrait être plus élevé si tous les fabricants concevaient des téléphones plus faciles à démonter ou recycler. Ainsi, des marques comme HP et Herman Miller substituent déjà des vis à la colle et des matériaux purs aux composites.

Reste à savoir comment vont réagir les con-sommateurs. La génération Y [les 20–30 ans] achète moins de voitures et conduit moins ; le marché s’est adapté en proposant des systèmes d’autopartage comme Zipcar. La société de commerce en ligne Rent the Runway permet aux femmes de louer des robes et des accessoires signés par des créateurs, ce qui limite la demande de vêtements neufs. “Un grand volume de capital-risque est investi dans des start-up qui assurent une meilleure productivité des actifs”, souligne Stefan Heck. Pourtant, ces mêmes jeunes consommateurs se ruent sur les cafetières à dosettes et sur les vêtements de mode éphémère de Zara ou H&M, générant au bout du compte davantage de déchets.

—Marc GuntherPublié le 18 août

donner gratuitement en convertissant les éco-nomies d’électricité”. Mais, trois mois plus tard [en 2012], Philips vendait sa division

téléviseurs à une société chinoise.Avec sa tignasse rebelle, ses lunettes

cerclées de métal et son blazer en jean froissé, Braungart

incarne l’idée qu’un agent de casting

SOURCEENSIASaint Paul, Etats-UnisTrimestrielEnsia.comCe magazine fi nancé par l’Institut de l’environnement de l’université du Minnesota met en valeur des solutions concrètes pour l’environnement, à travers des reportages, des analyses et des infographies. Trois numéros sont publiés chaque année. Le site, dont le contenu est sous licence Creative Commons, est enrichi régulièrement.

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Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 ÉCONOMIE CIRCULAIRE. 31

SOURCES : FONDATION ELLEN MACARTHUR, INSTITUT DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE, CHAIRE “BUSINESS AS UNUSUAL” DE KEDGE BUSINESS SCHOOL

RECYCLAGE

REMANUFACTURAGE,RÉNOVATION

REDISTRIBUTION,RÉEMPLOI,MUTUALISATION

RESTITUTION

Biosphère

Biogaz

Composésorganiques,matières premièresagricoles

MÉTHANISATION, COMPOSTAGE

EXTRACTIONDE COMPOSÉSBIOCHIMIQUES(postrécolteou postconsommation)

COLLECTE, TRI

RÉCUPÉRATIOND’ÉNERGIE

ENFOUISSEMENT

ASSEMBLAGE (PRODUITS)

FABRICATION (COMPOSANTS, ÉLÉMENTS)

UTILISATION

DISTRIBUTION(VENTE PRODUITS, SERVICES)

CONSOMMATION

Matériauxtechniques

Nutrimentsbiologiques Effet cascade*

MAINTENANCE(préventive

ou curative)

Schéma simplifié de l’économie circulaire

AGRICULTURE, ARBORICULTURE,

ÉLEVAGE, AQUACULTURE, CHASSE ET PÊCHE

EXTRACTION MINIÈRE,FABRICATION

DE MATÉRIAUX

A minimiser et optimiser

* Succession d’utilisations

diverses.

—Der Tagesspiegel Berlin

D e la vapeur s’élève de la terrasse du restau-rant Oberstübchen, dans la Malzfabrik [un espace culturel aménagé sur une friche industrielle]. La fumée blanche serpente puis se perd dans le ciel encore clair de ce début de soirée. C’est signe que le buff et est

ouvert : les convives déposent salade et légumes sur une assiette en feuille de bananier, ils ajoutent un poisson, puis vont s’attabler pour savourer les produits qu’off re l’agriculture biologique en plein cœur de Berlin. Nous mangeons jusqu’à la disparition de la dernière perche, alors qu’il fait à présent sombre et que de petites bougies sont là pour nous aider dans la chasse aux arêtes. Impossible de s’arrêter. De superbes poissons, farcis aux légumes et aux fi nes herbes – une

merveille. Christian Echternacht et Nicolas Leschke ont l’habitude d’être félicités pour leurs poissons berli-nois. C’est déjà la troisième année consécutive que les fondateurs de la société Effi cient City Farming Farmsystems (ECF) lancent des invitations pour la soirée de clô-ture de la saison. Les perches grillées sont exclusivement pré-parées pour les “Parrains de la perche”, qui, pour 20 euros par an, ont le plaisir de déguster un pois-son frais élevé dans le quartier de Tempelhof.

Cela fait deux ans et demi que Chris tian Echternacht et Nicolas Leschke sont associés. Tous deux s’intéressaient au développement

Une ferme bio au cœur de BerlinDeux jeunes entrepreneurs allemands ont lancé un projet urbain de culture de légumes en symbiose avec un élevage de poissons. Ils espèrent essaimer dans d’autres villes.

durable, tous deux avaient de l’expérience comme entrepreneurs et tous deux étaient assez fous pour tenter l’impossible. ECF conçoit et construit des fermes qui permettent, en pleine ville, sans pes-ticides ni engrais chimiques, d’élever des pois-sons et de cultiver des légumes. Les fermes d’ECF s’installent sur des friches ou sur des toits. Plus de 400 variétés de végétaux s’y plaisent. Côté poisson, ce sont des espèces d’eau douce, avant tout le sandre et la perche.

“Notre but, c’est de fournir aux citadins des aliments produits dans une optique de développement durable, tout près de chez eux”, résume Nicolas Leschke. L’approche est autant écologique qu’économique. Et elle résout tout un tas de problèmes liés au système agroalimentaire actuel. Ainsi, entre 17 et 35 % des émissions de CO2 mondiales pro-viennent de l’agriculture et de la transformation des aliments – sans tenir compte des émissions générées par le transport et la chaîne du froid. Ces activités consomment 70 % de l’eau douce utilisée dans le monde. Pour couronner le tout, 85 % des mers de la planète sont déjà victimes de la surpêche ou sur le point de l’être.

La production de poissons et de légumes à proximité immédiate du consommateur pourrait bien révolutionner l’agroalimentaire. Le système conçu à cette fi n par Christian Echternacht et Nicolas Leschke est tout aussi révolutionnaire : il repose sur l’aquaponie, une combinaison de l’aquaculture et de l’hydroponie [agriculture → 32

Dessin pourCourrier international.

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32. À LA UNE Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

plusieurs fois, puis elle est traitée par des procédés biologiques avant d’être rejetée dans la rivière.

L’engagement en faveur de l’économie circulaire a été inscrit dans le mandat opérationnel de l’usine en 2009, formalisant ainsi la politique d’élimination des déchets et d’utilisation de matériaux recyclés initiée dix ans plus tôt. Si cette stratégie est née de la nécessité de satisfaire une clientèle de plus en plus sensible à l’environnement, elle a aussi

des retombées fi nancières positives. “Il n’y a rien de mal à gagner de l’argent”, lance Joe Cox.

Une boucle est bouclée. Située dans une zone très industrialisée, aux confi ns de l’Allemagne et

la Belgique, la papeterie peut facilement se fournir en matière première bon marché. En eff et, la région consomme et recycle beaucoup de papier : le taux de recyclage atteint 80 % aux Pays-Bas. Les balles de papier comprimé sont traitées à l’eau chaude, puis placées dans un pulpeur où les fi bres sont nettoyées, afi n d’éliminer les agrafes, les plastiques et les cires. La pâte passe ensuite dans les machines à papier tandis que la majeure partie des déchets non fi breux sont transformés en Rofi re, des granulés qui peuvent remplacer le charbon dans des fours à chaux. Une nouvelle boucle est ainsi bouclée : un déchet devient un combustible pour une autre industrie et constitue une source de revenus pour l’usine, tout en “économisant” 20 000 tonnes de dioxyde de carbone qui auraient été émises si son partenaire avait utilisé du charbon.

Il y a une trentaine d’années, Roermond Papier a été la première usine d’Europe à se doter de cuves hermétiques de traitement des boues organiques pour produire du biogaz, qui alimente une chaudière à vapeur. “Une usine de papier présente des possibilités magnifi ques, il faut juste les relier”, commente Joe Cox. C’est ce qui s’est de nouveau produit quand l’usine s’est aperçue que les cultivateurs des environs jetaient l’amidon contenu dans les cuves dans lesquelles les tubercules étaient découpés et rincés. La papeterie a trouvé le moyen de le récupérer afi n de l’incorporer à son processus de fabrication.

—Christopher F. SchuetzePublié le 18 novembre

—The New York Times (extraits) New York

T rois fois par semaine, des camions partent d’une usine d’aliments pour bébés située à Nunspeet, dans le centre des Pays-Bas, pour rejoindre une usine de papier à Roermond (Ruremonde), dans le sud-est du pays, à une heure de route. Ils viennent livrer du phos-

phate, un sous-produit de l’industrie alimentaire, qui servira à nourrir les bactéries de la cuve de fer-mentation anaérobie de la papeterie.

Les déchets des uns peuvent être un trésor pour les autres. “Ça leur coûtait très cher de s’en débarrasser et ça nous coûtait cher de nous en procurer, nous sommes donc tous les deux contents”, résume Mark Nabuurs, responsable de l’innovation et du développement de Roermond Papier, une usine du fabricant d’emballages irlandais Smurfi t Kappa. Cet accord illustre parfaitement l’engagement de l’entreprise en faveur de l’économie circulaire. “L’économie linéaire, c’est fi ni. J’en suis vraiment persuadé”, affi rme Joe Cox, directeur général de l’usine. Celle-ci a reçu plusieurs prix récompensant sa politique environnementale, ce qui est loin d’être anodin dans un secteur industriel souvent associé à la pollution de l’eau et à la déforestation.

Roermond Papier, qui fabrique du papier d’em-ballage à partir de fi bres recyclées et alternatives, produit moins de 1 kilo de déchets solides par tonne de papier et n’utilise que 2,7 litres d’eau pour produire 1 kilo de papier, soit moins de 2 % de la consommation d’une usine conventionnelle. L’eau pompée dans la rivière voisine est recyclée

L’industrie papetière s’y met aussiRéduire ses coûts et son empreinte environnementale, c’est possible – même dans un secteur très polluant.

EN EUROPEEn juillet, la Commission européenne a adopté des “propositions pour convertir l’Europe à une économie plus circulaire et promouvoir le recyclage dans les Etats membres”. Mais, pour le site britannique The Conversation, “ces mesures ne sont pas suffi santes pour provoquer les changements radicaux nécessaires en matière de production et de consommation”. L’exécutif européen a adopté une série de mesures contraignantes, comme un taux de recyclage de 70 % pour les déchets récupérables et de 80 % pour les emballages d’ici à 2030, ainsi que l’interdiction de mettre en décharge les déchets recyclables ou biodégradables d’ici à 2025. Les propositions manquent d’“une approche systémique”. Il faudrait par exemple “des mesures sur la symbiose industrielle”, pour promouvoir la coopération entre diff érentes industries dans un cycle où les déchets de l’une pourraient servir d’intrants dans une autre.

hors-sol]. Autrement dit, l’association d’un aquarium et d’une serre. Les excréments des pois-sons fournissent l’engrais nécessaire aux légumes, et l’eau circule en cycle fermé : les végétaux qui absorbent l’eau, riche en nutriments, font offi ce de station d’épuration.

Malheureusement, Nicolas Leschke ne peut nous montrer ni poissons frétillant dans leur bassin ni légumes en train de pousser. La petite ferme-container plantée sur le terrain de la Malzfabrik est fermée, elle hibernera jusqu’en mars. Et la grande ferme est encore en construction sur la pelouse attenante. Elle doit être achevée à la fi n de l’année. En février 2015, on pourra peut-être récolter les premiers légumes et pêcher les pre-miers poissons. Ce sera la première ferme d’une telle taille : 1 800 mètres carrés, avec un poten-tiel de 30 tonnes de poissons et de 35 tonnes de légumes par an. La récolte sera commercialisée en vente directe. “Impossible de trouver un poisson plus frais à Berlin, s’enthousiasme Nicolas Leschke. Une heure avant, il était encore vivant.”

Un système de franchises. Ce n’est toutefois pas sur la vente de produits alimentaires que repose le modèle économique d’ECF, mais sur la construction de fermes. Christian Echternacht et Nicolas Leschke prévoient un système de fran-chises. Ils ont déjà reçu des demandes du monde entier, depuis l’Afrique du Sud jusqu’à Mindanao, la deuxième plus grande île des Philippines. Parmi les clients potentiels fi gurent des produc-teurs agroalimentaires, des restaurateurs et des développeurs de projets durables. Et même des exploitants de centrales solaires et d’installations à biogaz. “Stratégiquement, ce sont de bons parte-naires parce qu’ils peuvent utiliser la chaleur qu’ils produisent”, explique Nicolas Leschke.

Le jeune homme est de bonne humeur : il construira bientôt son premier projet en dehors de Berlin. Il ne dévoile aucun détail. Il préfère attendre que la ferme berlinoise soit opération-nelle et, espérons-le, fonctionne sans problèmes. En attendant, une caméra fi lme le chantier en continu et permet d’assister en ligne à la nais-sance de la plus grande ferme aquaponique au monde. Il est aussi possible de parrainer une perche – et de s’assurer une sympathique soirée grillade en 2015. S’il fait beau, rendez-vous sur la terrasse de l’Oberstübchen.

—Sabine HölperPublié le 3 novembre

36 %DES ENTREPRISES PRÊTES À SE LANCERSelon une enquête menée par la sociétéde conseil Accenture pour les Nations unies auprès de 1 000 PDG de grandes entreprises opérant dans 25 secteurs, plus d’un tiers d’entre eux prévoient de s’engager dans l’économie circulaire, annonçait fi n octobrele magazine américain Fortune. Il s’agit d’une véritable “révolution silencieuse”, estime l’auteur de l’étude.

↑ Dessin paru dansThe Guardian, Londres.↑ Dessin paru dansThe Guardian, Londres.

→ Dessin paru dansThe Economist, Londres.

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Construction

L’écoconception séduit de plus en plus de professionnels du bâtiment et de l’urbanisme. Le secteur de la construction, qui produit énormément de déchets, s’intéresse depuis plusieurs années déjà au modèle du cradle to cradle (C2C, du berceau au berceau). L’une des réalisations emblématiques dans ce domaine est sans conteste la Sustainability Base de la Nasa, un centre de recherches chargé de transférer les technologies et les savoir-faire de l’agence spatiale américaine dans le domaine du développement durable. Inauguré il y a deux ans en Californie, ce bâtiment intelligent a été conçu par l’architecte William McDonough, l’un des théoriciens du C2C. L’immeuble “produit plus d’électricité qu’il n’en consomme”, grâce à des panneaux photovoltaïques, une éolienne et une pile à combustible, “et sa consommation d’eau est inférieure de 90 % à celle d’un bâtiment conventionnel”, expliquait en 2012 le San Jose Mercury News. De plus, sa conception et son orientation lui permettent de se passer d’éclairage artifi ciel plus de trois cents jours par an. Enfi n, une grande partie des matériaux (qui provenaient tous de la région) ont été recyclés : du chêne récupéré dans une souffl erie de la Nasa s’est par exemple transformé en plancher. Cette démarche est actuellement appliquée à la rénovation

du Mazerin, un immeuble de bureaux situé à Genval, en Belgique. Une opération “présentée comme une première mondiale”, relève le site belge Architectura. Racheté en septembre 2013 par l’Intercommunale du Brabant wallon et le groupe privé BIA, c’était un bâtiment “comme il en existe beaucoup en Europe : construit dans les années 1990, énergivore et au look dépassé”.Confi é au bureau d’architecture Synergy International, le projet a été accompagné par le Bruxellois Steven Beckers, un spécialiste du C2C, qui a notamment signé l’Agora, le bâtiment général du Conseil de l’Europe à Strasbourg. “Plutôt que de démolir, le choix a été fait de démonter et de conserver tout ce qui pouvait l’être”, résume Architectura. “Châssis métalliques, faux planchers, dalles de tapis, câbles électriques, faux plafonds ou encore cloisons de bureaux : tous ces matériaux ont été récupérés”, précise Le Soir. Quant aux matériaux neufs, ils sont tous certifi és C2C. Pour l’occasion, l’entreprise belge Derbigum a même mis au point un nouveau matériau, composé d’un isolant en liège et d’un pare-vapeur végétal, posé côté intérieur de la façade. “La rénovation est plutôt intéressante fi nancièrement, puisqu’elle aura coûté 800 euros le mètre carré”, poursuit le quotidien belge. Les travaux devraient être achevés au premier trimestre 2015.

Des architectes pionniers

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34. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

Sciences ......... 36Signaux .......... 37

Le foot enfin rentable ?Réseaux sociaux. Grâce à Facebook et Twitter, les grands clubs peuvent connaître et cibler les millions de fans qu’ils ont dans le monde. Et gagner beaucoup d’argent.

trans-versales.

médias il n’est jamais allé en Europe, et encore moins à Old Trafford, le stade du club, mais il possède un faux maillot du Manchester United, parcourt Internet pour trouver les actus du club et regarde les matchs à la télé, dans un restaurant de son quartier. Il ne procure aucun revenu au club et pendant des années celui-ci n’a même jamais su qu’il existait.

Les réseaux sociaux changent tout. Sur les plus de 1,3 milliard de personnes présentes sur Facebook, 500 millions sont des “fans de football purs et durs”, a déclaré Glenn Miller, le responsable du sport et du divertissement à Facebook, à la conférence de l’International Football Arena (IFA) sur le football et les réseaux sociaux qui s’est tenue à Berlin le mois dernier.

Les réseaux sociaux sont désormais un élément essentiel pour les fans de foot. Les jeunes en particulier regardent les matchs sur leur téléphone mobile – ce qu’on appelle le “deuxième écran” – en plaisantant avec leurs amis. En 2012, le sport représentait 1,3 % des programmes télévisés seulement mais 41 % des tweets relatifs à la télévision, selon l’institut Nielsen.

Le football dépasse de loin les autres sports. La Coupe du monde de 2010 a généré plus de recherches que les Jeux olympiques de 2012, le Super Bowl et le Tour de France réunis, rapporte Google. La Coupe du monde de cet été a été le plus grand événement médiatique de l’Histoire à en juger par les audiences télévisuelles et les clics en ligne.

Et l’intérêt suscité par le football ne fait que croître. Les grands clubs européens récoltent enfin des fans en Chine, en Inde, aux Etats-Unis et en Indonésie, des pays qui, pris ensemble, représentent 45 % de l’humanité. Les réseaux sociaux sont l’un des moyens de toucher ces gens.

Or les clubs de football tardent toujours à adopter les nouveautés technologiques. Les retransmissions télévisées en direct représentent aujourd’hui une grande partie des recettes des clubs, mais jusqu’aux années 1990 la plupart d’entre eux con-sidéraient la télévision comme une menace, un phénomène qui empêcherait les gens de venir au stade. De même, les clubs ont pendant des années eu peur des réseaux sociaux : c’étaient des plateformes pour les gaffes, les scandales et les attaques de pirates. Manchester United s’est montré “très prudent” vis-à-vis de Facebook, a expliqué Richard Arnold au Dublin Web Summit le mois dernier. Le club n’a rejoint

—Financial Times (extraits) Londres

Il y a quelques années, les responsables de Facebook ont déclaré à Polaris Sport, l’équipe qui gère les droits à

l’image de Cristiano Ronaldo : “Ecoutez, il faut que vous soyez sur Facebook. Il a le potentiel pour récolter 10 millions de fans.” Luis Correia, le directeur de Polaris Sport, se souvient de la réponse de son équipe : “Impossible. C’est la population du Portugal.”

Ronaldo a quand même fait son apparition sur Facebook, discrètement, en 2009. Un an après, il y annonçait la naissance de son fils, né d’une mère anonyme. Le mois dernier, il est devenu le premier sportif au monde à atteindre les 100 millions de fans. Le seul être humain à en avoir davantage est la chanteuse Shakira.

Il y a à peine trois ans, beaucoup de grands clubs de football n’étaient même pas sur Twitter ni sur Facebook. Aujourd’hui, ils y sont tous, en plusieurs langues, et le nombre de leurs fans augmente à chaque minute. Richard Arnold, le directeur général du groupe Manchester United, proclame que le club suscite “plus d’engagement” sur Facebook que n’importe quelle autre célébrité sur terre, tous domaines et sports confondus. Ce n’est pas par vanité que les clubs et joueurs vont sur les réseaux sociaux. Ils savent depuis longtemps qu’ils ont des légions de fans dans le monde entier – Manchester United revendique 659 millions de supporters. Le problème, c’est qu’ils n’avaient pas le moyen de les toucher jusqu’à présent. Les réseaux sociaux le leur ont donné. Facebook, Twitter, Instagram, le réseau chinois Weibo et autres permettent aux clubs et aux joueurs de constituer des bases de données informatiques de leurs fans. Prochaine étape : convertir enfin l’amour de ceux-ci en argent. C’est la nouvelle quête du football.

Un petit business. Contrairement à ce qu’on croit généralement, le football a toujours été un petit business. Le Real Madrid a annoncé 521 millions d’euros de chiffre d’affaires l’année dernière, un record historique, tous clubs sportifs confondus. L’analyste financier finlandais Matias Möttölä a cependant calculé qu’en matière de chiffre d’affaires le club ne serait que la 120e société de Finlande. (Le dernier chiffre d’affaires du Real était de 604 millions d’euros.) Et rares sont les clubs qui font des bénéfices.

Le football professionnel est une petite entreprise. C’est assez paradoxal : émotionnellement, le football est énorme. Les joueurs sont célèbres et les grands clubs sont des marques mondiales. Mais ce sport a toujours eu du mal avec ce que les économistes appellent l’appropriabilité : les clubs ne peuvent gagner de l’argent qu’avec une infime partie de l’amour des fans.

Imaginez un fan de Manchester United qui s’appelle Abdul et vit à Kuala Lumpur ;

↙ Dessin de Falco, Cuba.

Sur les plus de 1,3 milliard de personnes présentes sur Facebook, 500 millions sont des “fans de foot purs et durs”

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 35

Facebook qu’en 2010 (il compte maintenant 61,5 millions de fans) et Twitter en 2012.

Ses craintes étaient rationnelles. Manchester United jouit probablement d’une couverture médiatique supérieure à celle de toutes les autres entreprises britanniques. La prudence du monde du football irrite Glenn Miller. Pour lui, les clubs s’inquiètent trop des scandales médiatiques. La plupart des jeunes ont l’habitude des échanges vifs et spontanés sur les réseaux sociaux. Il n’en reste pas moins que les clubs submergent leurs joueurs de règles sur ce qu’il ne faut pas dire en ligne.

Un club qui comprend les réseaux sociaux présente une grande valeur pour les sponsors. Ce n’est pas un hasard si en 2012, peu après son arrivée sur les réseaux sociaux, Manchester United a signé un contrat de 47 millions de livres par an [59 millions d’euros], un record mondial, avec Chevrolet pour que le nom de la marque figure sur ses maillots.

L’enjeu final pour les clubs va toutefois bien au-delà des sponsors. Grâce aux réseaux sociaux, Manchester United peut entrer en contact avec les fans comme Abdul. Si le club parvient à les répertorier, il deviendra peut-être, de fait, une banque de données. Et sa valeur résidera essentiellement dans sa connaissance de l’identité et des habitudes de consommation de ses supporters.

Les entreprises poursuivent plus ou moins le même objectif, quel que soit leur secteur d’activité. Facebook et Google sont des “fournisseurs d’identités” bien connus. Leurs services sont gratuits et en échange l’utilisateur leur donne son identité. Les bases de données des clubs de football pourraient cependant être particulièrement précieuses, explique le spécialiste des marques Oliver Kaiser, qui dirige l’agence Ledavi. Pour commencer, les grands clubs comptent plus de followers que les entreprises ordinaires : Manchester United en a plus que Nike ou McDonald’s. Deuxièmement, contrairement à la plupart

des entreprises, les clubs suscitent amour et fidélité. “Un fan, c’est ce qui, au monde, marche le plus à l’émotion. Il est prêt à tout”, a déclaré Kaiser à la conférence de l’IFA. Si on peut toucher le fan par son deuxième écran pendant qu’il regarde un match, on le prend à un moment d’émotion maximale.

Base de données. La banque de données du club permettra bientôt d’adapter les offres à chaque fan. Le club pourra ainsi lui vendre un maillot de l’équipe ou un abonnement télévisé, mais elle permettra aussi à des entreprises bien plus grandes de lui vendre des choses. Imaginez par exemple qu’un club donne à un constructeur automobile une liste des fans de football allemands d’une vingtaine d’années qui gagnent plus de 50 000 euros par an et ont besoin d’une nouvelle voiture. “Le club intelligent dira : ‘Bon, tu veux avoir mes 25 millions de fans mais je ne te les donnerai pas, ils sont à moi’”, explique Kaiser. L’entreprise devra cracher au bassinet. Une base de données de 25 millions de fans vaudra peut-être des milliards d’euros.

Les clubs ont besoin de savoir exactement qui est chaque fan. Il ne suffit pas de savoir qu’“Abdul de KL” vous suit sur Twitter. Quel âge a-t-il, 12 ans ou 42 ? Combien gagne-t-il ? Qu’est-ce qu’il achète ? Quelles sont les coordonnées de sa carte de crédit ? Un responsable du club portugais de Benfica a demandé lors de la conférence de l’IFA : “Comment puis-je tirer de l’argent de gens avec qui je ne serai jamais en contact directement mais qui sont sur notre page Facebook, notre compte Twitter ?”

Mettez au point une appli du club, recommande Carlos Moreira, le fondateur de la société de sécurité des données en ligne WISeKey. Les fans qui la téléchargeront devront s’inscrire.

Kaiser doute cependant que les clubs, qui sont rarement des entreprises de pointe, parviennent à constituer des bases de données d’identités sérieuses. Google et Facebook sont des concurrents habiles.

Thomas Röttgermann, un des dirigeants de Wolfsburg, un club allemand de taille moyenne, a écouté avec ravissement les visions de l’avenir exposées à la conférence de l’IFA puis a confié : “Je trouve ça intéressant mais, pour les clubs, tous les réseaux sociaux sont des boîtes noires. La véritable activité de notre club, c’est de jouer au football.” De plus, cette folie des réseaux sociaux en laisse plus d’un sceptique, ce qui est compréhensible : ils ont encore en mémoire la montée et la chute du pay-per-view.

Un changement culturel. Il n’en reste pas moins que les grands clubs jugent aujourd’hui les réseaux sociaux essentiels à leur activité. La création d’une page Facebook, d’un compte Twitter et même d’un compte Instagram en Indonésie, ce n’est que le début. Les fans n’utiliseront ces plateformes que s’ils y trouvent des contenus qui les intéressent. Il ne faut donc pas que les tweets des clubs aient l’air de sortir du service communication d’une entreprise, met en garde Paul Keuter, le directeur des sports de Twitter Allemagne. Un club de football qui cherche à recruter des followers doit sonner comme un club de football. Il doit donner aux fans des aperçus apparemment intimes sur la vie interne du club. La Juventus de Turin, par exemple, a récemment posté une vidéo où on voit Andrea Pirlo, son meneur de jeu, s’asseoir sur un bloc de béton en face de l’opéra de Sydney puis contempler toutes sortes de scènes bizarres sans jamais se départir de son impassibilité caractéristique. Elle a récolté près de 1 million de vues sur YouTube sous le hashtag #Pirloisnotimpressed [Pirlo n’est pas impressionné].

Les grands clubs recrutent des équipes de vidéastes, de rédacteurs web et de

journalistes polyglottes. “C’est un sacré changement culturel dans l’organisation”, confie Francesco Calvo, chargé des recettes à la Juve. La plupart des nouveaux employés du club italien ne viennent pas d’autres clubs de football mais d’autres secteurs. Beaucoup sont anglophones.

“Un club de football comme le Bayern Munich est une société de production”, explique Stefan Mennerich, directeur des médias numériques du club. L’équipe médias numériques du Bayern se déplace avec les joueurs et loge dans les mêmes hôtels qu’eux pour pouvoir donner aux fans un aperçu approuvé par le club. C’est la même chose à Manchester United. “Nous sommes une organisation médiatique orientée sur le téléphone mobile, confie Richard Arnold. Nous travaillons en 18 langues – c’est une grosse somme de travail pour nous de nous adapter à chaque culture.”

Les fans se plaignent depuis vingt ans de la commercialisation du football. D’un autre côté, ils sont peu nombreux à avoir renoncé à leur passion. Les recettes des clubs augmentent. William McGregor, le drapier écossais qui a fondé l’English Football League en 1888, a probablement été la première personne à qualifier ce jeu de “gros business”. L’expression est depuis devenue l’un des clichés du football. Elle va peut-être se révéler exacte à l’ère des réseaux sociaux.

—Simon KuperPublié le 21 novembre

↓ Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

“Un fan, c’est ce qui, au monde, marche le plus à l’émotion. Il est prêt à tout”

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TRANSVERSALES36. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

—Der Spiegel Hambourg

Est-ce par aveuglement ou pour le plaisir de la polé-mique que le spécialiste

du climat David Keith dit vouloir rafraîchir l’atmosphère à l’aide d’un nuage d’acide sulfurique ? En discutant avec lui, on est saisi d’une étrange impression : celle qu’il pourrait avoir raison.

Agé de 50 ans, ce Canadien à la silhouette mince et sympathique, amoureux de la nature, ne respire pourtant pas la haine. Mais il en inspire. En témoigne un flot de courriers électroniques le traitant de “déchet”, de “danger pour l’hu-manité”, de “Docteur Folamour” ou de “fou dangereux”. Le chercheur a même reçu deux menaces de mort.

C’est son champ de recherche qui est visé : Keith est géo-ingénieur. Il veut mettre au point une tech-nologie permettant de réduire la quantité de rayonnement solaire [reçu par la Terre] afin de ralen-tir le réchauffement climatique. Autrement dit, David Keith veut réparer le climat de la planète.

Professeur à Harvard, le “plom-bier du climat” – ainsi qu’il se sur-nomme lui-même – défraie une nouvelle fois la chronique en décla-rant qu’il ne souhaite pas mener ses expériences en laboratoire mais directement dans la stratos-phère. Dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society, il a révélé [le 17 novembre dernier] les détails d’une première interven-tion dans la stratosphère, baptisée

SCIENCES

L’apprenti sorcier du climatGéo-ingénierie. Le chercheur canadien David Keith veut tester les effets de l’acide sulfurique sur l’atmosphère. Le but : rafraîchir la planète. Un projet plus que risqué, dénoncent ses détracteurs.

Scopex (Stratospheric Controlled Perturbation Experiment).

Non, il n’y a aucun contrat offi-ciel, reconnaît Keith. Mais il est en discussion avec les autorités. Il pourrait même commencer à tra-vailler sur son projet stratosphé-rique dès la fin de l’année 2015. Son plan : envoyer un dirigeable à une vingtaine de kilomètres d’al-titude pour y pulvériser de l’acide sulfurique. Les hélices du ballon seraient idéales pour le dissiper de manière uniforme. Il en ressorti-rait un monstre d’un kilomètre de long sur une centaine de mètres d’épaisseur.

Coup de froid. Cet aérosol sou-fré [des particules en suspension] permettrait alors de renvoyer les rayons du Soleil et de réduire la température à la surface de la Terre. Les chercheurs ont en effet largement étudié ce phéno-mène lors d’éruptions volcaniques. Ainsi en avril 1991, le Pinatubo [aux Philippines] a libéré près de 17 millions de tonnes de gaz sul-furique dans la stratosphère. Et la température moyenne de la Terre a diminué de 0,4 °C.

L’acide sulfurique est tellement efficace qu’il pourrait permettre à l’homme de manipuler le climat. Et, selon David Keith, il en coû-terait près de 1 milliard de dol-lars pour obtenir rapidement des effets visibles sur la planète. Une somme dérisoire quand on parle d’un programme de manipulation du climat.

Mais le projet Scopex, estimé à 15 millions de dollars, ne vise pas à refroidir la Terre. L’objectif de cette expérience stratosphérique est plutôt d’étudier et d’évaluer les risques d’un traitement par nuage d’acide sulfurique. Assisté d’un collègue de Harvard, le chimiste spécialiste de l’atmosphère James Anderson, David Keith analysera surtout si la diffusion d’acide sul-furique contribue à amplifier la destruction de la couche d’ozone.

Pour étudier la composition chimique de l’aérosol qui se for-mera, il faut moins d’un kilo d’acide sulfurique, soit la quan-tité qu’un avion peut libérer en l’es-pace d’une minute. Toute erreur – pour le climat ou pour la stratos-phère – sera irréparable.

Les chercheurs de Harvard ont néanmoins raison de se préparer à rencontrer de la résistance. Leurs détracteurs craignent que ces “inof-fensives” expériences n’ouvrent la voie à de dangereuses manipula-tions globales du climat, ce qu’on appelle la “géo-ingénierie”. Ces expériences, préviennent les adver-saires de David Keith, pourraient avoir des conséquences aussi catas-trophiques qu’imprévisibles. On commettrait en outre une grave erreur en utilisant l’acide sulfu-rique, gaz ayant lui-même un effet de serre, pour contrer cette menace.

Mais c’est sur le plan politique que les détracteurs redoutent le plus les conséquences de la géo-ingénierie. Toute avancée dans ce domaine permettra aux industriels de justifier leurs rejets de dioxyde de carbone. Si l’on est convaincu de pouvoir résoudre le problème du réchauffement climatique avec un nuage d’acide sulfurique, pourquoi se priver de charbon, de pétrole ou de gaz ?

“Je partage ces inquiétudes”, assure le “plombier du climat”, qui va même plus loin dans l’évocation des dangers posés par la géo-ingénierie. Au grand dam de son collaborateur, il a ainsi affirmé dans un entre-tien au New Yorker que ces tech-niques avaient théoriquement été développées pour “éradiquer toute forme de vie sur terre”.

Compte à rebours. Ces raisons suffisent-elles à exclure toute forme d’intervention sur le climat ? C’est un luxe que l’humanité ne peut pas s’offrir, répond David Keith. Et il n’a peut-être pas tort. La protec-tion de la nature nous semble sûre-ment une noble cause. Pourtant il n’existe plus de nature origi-nelle. Cela fait longtemps que nous sommes entrés dans l’ère de la géo-ingénierie. L’homme a modifié la composition de l’atmosphère et avec elle l’évolution du climat. Il ne lui reste plus qu’à prendre ses responsabilités.

“Certes, il faut réduire fortement les rejets de dioxyde de carbone”, explique Keith. Mais il n’est pas certain que cela suffise. Le temps que l’économie mondiale opère sa transition énergétique, il sera peut-être trop tard pour éviter la catastrophe.

Il fut un temps où l’idée de mani-puler un système aussi complexe que le climat paraissait complète-ment folle à David Keith. Que faire si, à la suite d’une expérience, la mousson indienne ne venait plus ? Si la sécheresse s’étendait de façon

Expériences chimiques●●● La “feuille de route” publiée le 17 novembre dans Philosophical Transactions of the Royal Society par David Keith et ses collègues ne se concentre pas que sur la pulvérisation d’acide sulfurique. D’autres solutions pourraient être testées en grandeur nature d’ici deux ans, expliquent les chercheurs, notamment injecter des aérosols composés d’eau salée dans les nuages marins. Selon le New Scientist, on cherche à augmenter le nombre de gouttelettes d’eau dans le nuage, afin qu’il réfléchisse mieux les rayons du Soleil. La troisième expérience consisterait à tester la fabrication dans la haute atmosphère de cirrus plus poreux aux radiations réfléchies par la Terre, en les ensemençant avec du triiodure de bismuth. L’idée est toujours la même : rafraîchir la planète.

incontrôlée dans le Sahel ? Ou si un super El Niño venait s’abattre sur la côte Ouest américaine ?

Les simulations informatiques de diffusion d’aérosols dans la strato-sphère l’ont toutefois convaincu. A son grand étonnement, le cher-cheur a découvert que ces simu-lations ne faisaient apparaître aucun dangereux caprice clima-tique. Utilisé avec prudence, le traitement à l’acide sulfurique semble provoquer un refroidisse-ment presque uniforme de toutes les régions de la planète.

Naturellement, David Keith sait que les simulations climatiques peuvent se tromper. Leurs résultats paraissent toutefois suffisamment encourageants pour continuer à explorer la voie de la géo-ingénie-rie avec des projets comme Scopex. Comme tout traitement, il s’agit de trouver le bon dosage. “Nous ne devrions pas essayer de revenir à une ère préindustrielle”, explique Keith. Mais on pourrait essayer de ralentir le processus de réchauffe-ment. “Cela donnerait un peu de répit à l’homme et à la nature.”

—Johann GrollePublié le 29 novembre

Des techniques développées à la base pour éradiquer toute vie sur terre

↙ Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 37

signaux

océans

eau souterraine salée

eau douce

UTILISÉE PAR LES HUMAINS

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bétail

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agriculture

dilutionde la pollution

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cultures agricoles

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champignons

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Sources : FAO, “Atlas mondial de la biodiversité”, Nature.com /Data : bit.ly/KIB_WaterWorldLes chiffres étant arrondis, les totaux peuvent être supérieurs à 100 %.

69 %

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calottes glaciaires et neige

eau souterraine

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glace souterraine

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marécages

atmosphèreorganismesvivants

Chaque semaine, une page visuelle pour présenter

l’information autrement

La planète bleueComment l’eau se répartit-elle sur la Terre ? Quelle part est contenue dans les organismes vivants ?

DAVID McCANDLESS. Pionnier du journalisme de données, ce Britannique est l’un des principaux contributeurs du datablog du Guardian. Son nouveau livre, Datavision 2. Le savoir est un art, vient de paraître aux éditions Robert Laff ont :

cette infographie en est extraite. Elle détaille la répartition de l’eau sur notre planète. Et particulièrement celle de l’eau douce, un bien de plus en plus rare et précieux. Retrouvez l’interview de David McCandless sur notre site Internet.L’auteur

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En 1864, en pleine guerre de Sécession, les troupes nordistes ont détruit un village cheyenne du Colorado – la Proclamation d’émancipation du président Lincoln ne valait pas pour les “hommes rouges”. L’arrière-arrière-grand-père du journaliste Michael Allen figurait parmi les assaillants. Cent cinquante ans plus tard, celui-ci s’interroge sur le rôle joué par son aïeul dans ce massacre. —The Wall Street Journal (extraits)

38. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

Les larmes de Sand Creek

MAGAZINEAndrzej Stasiuk s’aventure en Asie Littérature . 42 En Chine, les amants imaginaires Tendances .. 44 Jérusalem, sans bruit ni fureur Plein écran . 46 Le Tonlé Sap, poumon de vie Voyage .......... 47360

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360°.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 39

↓ Le massacre de Sand Creek, 29 novembre 1864, peint par Robert Lindneux au XIXe siècle. Document De Agostini Picture Library/Bridgeman Images

↓ Affiche de recrutement de volontaires pour combattre les Indiens, 13 août 1864. Collection privée/ Peter Newark American Pictures/Bridgeman Images

↙ Le site du massacre de Sand Creek, aujourd’hui un parc national historique du Colorado, photographié en avril 2013. Photo John Wark

↙ ↙ Portrait de William M. Allen, ancêtre de l’auteur de l’article et participant au drame. Photo History of The State of Colorado

HISTOIRE

En ce 29 novembre 1864, l’aube se lève sur les plaines de l’est du Colorado. Un régiment de la cavalerie américaine, composé de volontaires assemblés à la hâte, approche de son objectif : un paisible village de Cheyennes et d’Arapahos qui hiverne sur la Sand Creek. Quelque part parmi les cavaliers se

trouve mon arrière-arrière-grand-père, William M. Allen.Son commandant, le colonel Chivington, un ancien

prédicateur méthodiste au tempérament fougueux, rappelle à ses hommes que les Indiens ont récemment lancé des raids contre des colons. “Maintenant, les gars, tonne-t-il, je ne vais pas vous dire qui vous devez tuer, mais n’oubliez pas nos femmes et nos enfants assassinés.”

Dans les neuf heures qui suivent, les soldats massacrent près de 200 personnes, dont au moins les deux tiers ne sont pas des guerriers, puis ils infligent d’atroces mutilations aux cadavres. Le massacre de Sand Creek choquera toute une nation alors en pleine guerre de Sécession et sèmera chez les Amérindiens le ferment d’une méfiance et d’une douleur qui persistent encore aujourd’hui.

William M. Allen avait 27 ans à l’époque, et il s’était engagé dans le 3e régiment de cavalerie du Colorado, répondant à un appel pressant du gouverneur, qui avait réclamé des volontaires pour poursuivre des “Indiens hostiles”. Cette unité, mal équipée et mal entraînée, était constituée d’agriculteurs, de mineurs, de boutiquiers et de négociants. Elle ne servit qu’un peu plus de cent jours avant de retourner à la vie civile. Allen, lui, devint un

notable local, il acquit d’importantes propriétés et occupa les fonctions de commissaire de district. Un quartier et une rue d’Arvada, une banlieue de Denver, portent son nom. Il ne parlait jamais de Sand Creek.

A l’heure du 150e anniversaire du drame et des commémorations, il est toujours pénible aux descendants des protagonistes de revenir sur le sujet. A mon humble façon, je me pose également des questions, mais mon ancêtre a laissé fort peu d’indices sur ce qu’il a pensé ou fait ce jour-là. J’ai donc entrepris d’éplucher les archives, de scruter les vieilles photographies et de me plonger dans les récits d’autres témoins des événements. J’ai même rencontré un spécialiste des scènes du crime qui a accepté de me guider sur le site du massacre. Mais c’est plus près de chez moi que m’attendait un souvenir étonnant. Dans une malle, dans la cave de mes parents, j’ai découvert l’histoire d’un petit Indien qui avait réchappé du carnage dissimulé dans un four de la cuisine roulante de l’armée.

Quand je leur ai annoncé mon intention d’explorer Sand Creek, certains de mes proches ont fait grise mine. “Ne va pas mettre ton nez là-dedans, c’est de l’histoire ancienne”, m’a déclaré mon oncle, âgé de 86 ans. Je dois admettre que, j’éprouvais moi-même quelques doutes. Ainsi, j’ai très vite appris que William Allen avait rapporté de Sand Creek un scalp d’Indien. Mon père et mon oncle se souviennent qu’enfants ils le voyaient lors des déjeuners de famille, accroché au mur de la maison de leurs grands-parents, entre la cuisine et la salle à manger.

Un autre objet est resté pendant des années remisé dans le tiroir de la commode de mon père : une amulette en argent terni, en forme d’oiseau. Une note griffonnée de la main d’une des filles de mon arrière-arrière-grand-père, Laura A. Brown, précisait qu’il s’agissait d’un “colifichet en argent repoussé porté pour se prémunir de la mort. Pris par feu William Allen sur le corps d’un Indien tué à la bataille de Sand Creek.”

Un jour, l’an dernier, je me suis rendu sur les hauteurs à l’est de Denver, jusqu’au modeste ranch de David Halaas, ancien historien de l’Etat du Colorado. Il m’attendait dans son salon, en compagnie d’un autre éminent spécialiste de Sand Creek, Gary Roberts. Quand je leur ai fait part de mon projet, tous deux ont, au départ, tenté de me rassurer. A Sand Creek, beaucoup des soldats présents n’ont pas pris part aux crimes de guerre. Certains ont simplement été affectés à la garde des chevaux indiens capturés. C’est alors que j’ai tiré l’amulette en argent d’un sac en plastique. Halaas, les yeux embués de larmes, a quitté précipitamment la pièce. Une fois remis de ses émotions, il m’a expliqué : “Ça, c’est explosif. Pour les Cheyennes, c’est un objet sacré.” Il s’est raclé la gorge. “Il semble plus que probable que votre arrière-arrière-grand-père se soit trouvé au cœur des pires atrocités.” → 40

Page 40: Courrier 20141211 courrier full 20150106 094757

ÉTAT DU COLORADO

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NOUVEAU-MEXIQUE OKLAHOMA

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360°40. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

En savoir plus

Repères

Un anniversaire très discretFin novembre, le Denver Post a été l’un des rares journaux américains à mentionner en une les commémorations de Sand Creek. “En ce 150e anniversaire de l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire du Colorado, tout le monde s’interroge sur l’identité des auteurs du massacre”, commente le principal quotidien de l’Etat. Ce n’est que très récemment que le Colorado a entrepris d’examiner le rôle joué par John Evans, gouverneur à l’époque des faits et figure tutélaire de Denver. Une étude publiée en novembre par l’université locale conclut ainsi qu’il porte “une lourde responsabilité” dans la tuerie, soulignant ses négligences dans la conduite des négociations avec les Indiens et ses décisions à l’emporte-pièce.

ControverseSand Creek a-t-il été le théâtre d’une bataille ou d’un massacre ? La frontière entre les deux est ténue, et cela tient au caractère particulier des guerres indiennes, où les batailles rangées entre armées étaient rares, voire inexistantes. Il n’était pas rare que les forces américaines attaquent des camps peuplés majoritairement de femmes, d’enfants et de vieillards, défendus par des guerriers. Affrontement mobile, opposant des forces montées en déplacement constant, la guerre que mène Washington contre les Cheyennes et les Sioux, entre autres, ne connaît pas de pitié. Bien que débutant comme une bataille, Sand Creek est bien un massacre. Quatre ans plus tard presque jour pour jour, sur les rives de la Washita, un autre camp est ravagé. Parmi les victimes, le malheureux chef Black Kettle. Son tourmenteur est le célèbre colonel Custer, lui-même tué avec 268 de ses hommes lors de la bataille de Little Big Horn, en 1876. Même lors du massacre de Wounded Knee, en 1890, le dernier des guerres indiennes et un des plus tristement célèbres, les Américains déplorent plusieurs morts. Mais cette fois, il semblerait que dans leur précipitation les “Tuniques bleues” se soient entre-tués.

Gary Roberts, professeur d’histoire à la retraite affublé d’une barbe broussailleuse, a philosophé, avec son accent chantant du Sud : “C’est une histoire très humaine, et l’homme fait parfois des choses terribles.”

C’est en 1859 que William Allen, fils aventureux d’un capitaine au long cours du Nouveau-Brunswick, arrive dans le Colorado, en pleine ruée vers l’or. Presque du jour au lendemain, la population du territoire enfle de près de 100 000 habitants, qui ont tôt fait de transformer un camp de mineurs installé sur un site de campements traditionnels arapahos en une ville-champignon connue sous le nom de Denver. L’or n’étant pas au rendez-vous, Allen troque sa paire de bœufs contre 80 hectares de riches terres agricoles au pied des Rocheuses.

Les responsables de la tragédie de Sand Creek étaient tous beaucoup plus haut placés que mon ancêtre. Le gouverneur John Evans, allié de longue date d’Abraham Lincoln, était bien décidé à faire du Colorado un Etat, ce qui passait par l’implantation d’agriculteurs et le percement de voies ferrées. Les Cheyennes et les Arapahos – de même que le traité leur concédant de vastes terres dans l’est du territoire – représentaient donc un obstacle. Dans le même temps, la principale autorité militaire locale, le colonel John M. Chivington [auteur de vagues coups d’éclat contre les Sudistes au Nouveau-Mexique en 1862] brûlait de se couvrir de gloire aux dépens d’Indiens de plus en plus agités. L’avenir politique du “pasteur combattant” [ainsi qu’il était surnommé] en dépendait.

A l’été 1864, la tension monte à Denver. En juin, des Indiens attaquent un ranch à une cinquantaine de kilomètres de là. Ils assassinent le propriétaire, son épouse et leurs deux petites filles. Les cadavres, scalpés et mutilés, sont déterrés et promenés dans les rues de Denver. La ville sombre régulièrement dans l’hystérie tandis que se répand la rumeur d’une attaque imminente. Les journaux publient des récits sur des atrocités commises par les Indiens et abondent en menaces sinistres. “S’il est une idée qui devrait devenir un axiome de la politique américaine, écrit ainsi le Black Hawk Mining Journal à la fin d’août 1864, c’est que L’HOMME ROUGE DOIT ÊTRE DÉTRUIT. Son existence est une malédiction pour lui comme pour nous.” Le colonel Chivington, dans un discours public, ira même jusqu’à dire qu’il ne faut pas épargner les enfants indiens.

Quand le gouverneur Evans appelle des volontaires à l’aide pour se battre contre les Indiens en août 1864, mon ancêtre est prompt à s’engager. Puis il attend. Pendant des semaines après la création du 3e régiment de cavalerie, la situation semble perdre de son urgence. Alors que la

bureaucratie de l’armée de l’Union rassemble lentement chevaux, uniformes et armes, les volontaires s’occupent en se divertissant dans le centre de Denver, où leurs ardoises deviennent considérables dans les bars.

A en croire ses états de service, William Allen est affecté à la compagnie C, également surnommé la “Batterie de Morgan”. Placée sous le commandement d’un comptable reconverti en capitaine d’artillerie, William H. Morgan, la compagnie aligne deux obusiers de montagne. Les armes de ce type, qui tiraient des boulets explosifs et des obus à mitraille, n’avaient encore jamais été utilisées contre les Indiens sur le territoire du Colorado.

Après des jours d’inaction, l’ordre d’agir arrive enfin. Mais le blizzard s’est levé, et les hommes parcourent les 130 premiers kilomètres de leur voyage, qui en compte près de 400, à piétiner dans 60 centimètres de neige. Aucun des volontaires ne sait où ils vont. En revanche, ils sont conscients de leur piètre situation. Un homme de la compagnie C meurt d’épuisement en chemin.

Dans l’après-midi du 28 novembre, ils arrivent à Fort Lyon, un avant-poste sur l’Arkansas tenu par des vétérans du 1er régiment. Là, le colonel Chivington fait part aux officiers locaux de son intention d’attaquer un camp indien situé à une soixantaine de kilomètres de là, dans une boucle de la Sand Creek. Sa décision soulève un tollé. Les officiers de Fort Lyon savent parfaitement que les Cheyennes et les Arapahos de ce camp sont guidés par d’éminents “chefs du parti de la paix”. Obéissant aux instructions du gouverneur Evans, ces chefs sont venus se mettre sous la protection du fort. L’un de ces officiers en particulier, le capitaine Silas S. Soule, prend la tête de la résistance. Il entrera dans l’Histoire comme l’un des rares protagonistes à la réputation sans tache. Soule, fervent partisan de l’abolition de l’esclavage et ami du poète Walt Whitman, déclare à ses collègues : “Tout homme qui prendrait part aux meurtres, avec les informations dont nous disposons, ne serait qu’un couard de la pire espèce et un fils de garce.”

Le 3e régiment, accompagné d’éléments du 1er, se met en route le soir même. Ce sont près de 700 hommes en tout, ne sachant rien de la controverse entre leurs officiers, qui arrivent peu avant l’aube en vue d’un campement indien de dimensions inhabituelles, composé d’environ 120 wigwams.

Selon divers témoins, le colonel Chivington donne alors personnellement l’ordre de charger. Dès que sifflent les premières balles, les Indiens pensent qu’il ne peut s’agir que d’une erreur. Black Kettle, un de leurs chefs, sort de sa tente et hisse un mât surmonté d’un drapeau américain qui lui a été offert par le commissaire aux affaires indiennes et d’un drapeau blanc, histoire de clarifier définitivement les choses. Accueilli par une grêle de balles, il se replie. Un autre chef, White Antelope, s’élance en courant vers les officiers, rapportera par la suite un éclaireur du nom de James Beckwourth : “Les mains levées, il criait ‘Stop ! Stop !’ dans un anglais aussi bon que le mien.” Quand les tirs se font plus nourris, le chef, d’après les récits cheyennes et arapahos, croise alors les bras et entonne calmement son chant funèbre : “Rien ne vit longtemps, sauf la terre et les montagnes.” Criblé de balles, il meurt dans le lit de la rivière.

Toujours réticent, le capitaine Soule refuse de prendre part à l’attaque et fait manœuvrer ses hommes sur le côté, tandis que les combats basculent dans le chaos. Le massacre dure plus de neuf heures et s’étend sur plus d’une centaine de kilomètres carrés. C’est dans les étendues sablonneuses le long de la rivière, à un kilomètre et demi en amont du village, qu’a lieu le véritable carnage. Là, des hommes, des femmes et des enfants avaient creusé des tranchées et s’étaient dissimulés derrière des tas de bois mort qu’ils avaient empilés. Au début, plusieurs cavaliers sont tués quand ils s’approchent, abattus par les Indiens dans les tranchées. Alors, les obusiers de montagne de la compagnie C sont mis en batterie. Tirant pratiquement à bout portant, ils pulvérisent ces abris de fortune et tous ceux qui s’y étaient réfugiés.

Les témoins font état d’actes d’une barbarie sans frein. “Je vous le dis, Ned, c’était dur de voir des petits enfants à genoux se faire fracasser le crâne par des hommes qui se disaient civilisés”, écrit le capitaine Soule à son ancien supérieur. Le commandant Scott J. Anthony, à la tête d’un des bataillons de Fort Lyon, affirmera par la suite avoir vu des soldats s’entraîner au tir sur un petit garçon qui trottinait pour rejoindre ses proches en fuite. “J’ai vu un homme descendre de cheval, à une distance d’environ 75 mètres, prendre son fusil et tirer – il a raté l’enfant, raconte Anthony. Un autre arrive et lui dit : ‘Laisse-moi essayer, ce petit salaud je peux le toucher.’ Il descend de cheval, s’agenouille et tire, mais le rate. Un troisième les rejoint, dit la même chose, tire, et le petit bonhomme est tombé.”

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360°.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 41

SOURCETHE WALL STREET JOURNALNew York, Etats-UnisQuotidien, 2,38 millions d’ex.www.wsj.comLa bible des milieux d’affaires, à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales excessivement partisanes.

Aucun de ces récits ne se retrouve dans les premiers articles sur Sand Creek parus dans les journaux de Denver. De retour dans la ville, les soldats du 3e régiment, brandissant leurs trophées, sont reçus en héros. “Les scalps de Cheyennes sont ici aussi nombreux que les crapauds en Egypte”, commente le Rocky Mountain News. Les souvenirs macabres sont exposés dans un théâtre de la région. Le lieutenant-colonel Leavitt Bowen, qui commandait le bataillon de mon arrière-arrière-grand-père, les surpasse tous. Il porte les oreilles de White Antelope dans une de ses poches et les exhibe dans les bars de Denver pour se faire payer à boire.

Quand les politiques et les quotidiens de l’Est commencent à en entendre parler, l’affaire prend une autre tournure. Le Chicago Tribune évoque “un acte d’une hideuse cruauté”. Plus tard, une commission du Congrès conclut : “Il est difficile de croire que des êtres ayant forme humaine, et souillant l’uniforme des officiers et soldats de l’armée des Etats-Unis, aient pu commettre ou tolérer les actes de cruauté et de barbarie dont les témoins font état.”

Avec le temps, la culture populaire a réduit les soldats du 3e régiment à des stéréotypes. Dans le film Little Big Man (1970), ils sont présentés comme des désespérés, et comme des psychopathes dans Soldat bleu (1970). Incontestablement, les hommes du 3e régiment ont laissé leur empreinte sur l’Ouest. Le commandant de l’unité, le colonel George Laird Shoup, ne fut pratiquement pas inquiété et devint plus tard sénateur de l’Idaho. Le capitaine David H. Nichols fut élu gouverneur adjoint du Colorado. Silas Soule, qui avait dénoncé le colonel Chivington, fut abattu dans les rues de Denver en 1865. Ses assassins n’ont jamais été traînés en justice. Pas plus qu’aucun des coupables de Sand Creek.

Quand à mon arrière-arrière-grand-père, il réussit donc dans la région de Denver, étant l’un des premiers investisseurs dans un projet d’irrigation à l’origine du développement des faubourgs de la ville. Si l’on en croit son avis de décès, il n’a jamais touché ni à l’alcool ni au tabac. Dans sa vieillesse, mon ancêtre adorait raconter

des histoires de l’Ouest sauvage à ses petits-enfants, et il leur faisait peur en poussant des cris de guerre indiens. Toutefois, le grand âge ne l’a pas épargné, et je n’ai pu m’empêcher de comparer sa mort à celle de White Antelope. D’après son dossier médical, il était devenu si vieux qu’il comprenait à peine les mots qu’on lui hurlait dans l’oreille. Sénile, presque aveugle, il lui fallait un garde-malade à plein temps “pour éviter qu’il ne blessât autrui ou lui-même ou endommageât ses biens”. Tard dans la nuit du 31 juillet 1925, à 88 ans, le vieux pionnier a fini par pousser son dernier soupir.

Or l’histoire de Sand Creek ne s’arrête pas là. Sur le chemin du retour vers Denver, en décembre 1864, les soldats de la compagnie C étaient chargés de trophées : des scalps, des morceaux de cadavres, des peaux de bison, des coiffes. C’est alors qu’ils se sont aperçus qu’ils avaient avec eux un

passager clandestin. Un petit Indien qui avait survécu au massacre en se cachant dans un four d’une cuisine roulante de l’armée. Comme le dit un manuscrit, rédigé par l’épouse de l’un des petits-fils de William Allen et que j’ai retrouvé dans une vieille malle ayant appartenu à mon père : “Les histoires racontées par William Allen à ses petits-enfants sur cette période de sa vie mettent en lumière des aspects de la personnalité de ceux qui ont été impliqués dans cette bataille. L’un des récits favoris portait sur un petit Indien qui s’était enfui en se faufilant dans le four de la cuisine roulante du camp. Il ne fut découvert que quand la compagnie eut parcouru une grande partie de la longue route la ramenant à Denver. Le petit Indien est devenu la coqueluche des habitants de Denver, vivant dans les rues, où il divertissait les passants par ses tours de passe-passe indiens en échange de quelques piécettes.” Plus tard connu sous le nom de Tom White Shirt, ce rescapé de Sand Creek n’a pas eu une vie facile, mais il s’est marié et a eu des enfants. Il est mort en 1933, à l’âge supposé de 70 ans. En octobre 2014, j’ai pris le train pour Washington pour

assister à un symposium sur Sand Creek organisé dans l’enceinte du musée national de l’Amérindien. Plusieurs descendants des survivants du massacre devaient être présents, ce qui me mettait mal à l’aise. Bien qu’ayant grandi dans la ville de Cheyenne et ayant été lycéen dans un établissement dont l’équipe de football était baptisée les Indians, je n’en connaissais que peu.

Il régnait une atmosphère étrange dans l’auditorium. Quelques personnes réfléchissaient à la visite privée qui leur avait été offerte au musée de l’Holocauste, la veille. Des universitaires révisaient une dernière fois leurs notes, plongés dans les détails de Sand Creek. C’est là que j’ai aperçu un jeune Arapaho, portant une queue-de-cheval, un costume trois pièces, avec un foulard en guise de cravate. Je me suis installé à ses côtés et, le cœur battant, lui ai expliqué pourquoi j’étais là. Il a gardé le silence un instant, puis s’est tourné vers moi, la main tendue, en me disant : “C’est comme ça que l’on se réconcilie.”

Il s’appelait Henry Little Bird, et il n’était autre que l’arrière-arrière-petit-fils de Tom White Shirt.

—Michael AllenPublié le 29 novembre

↑ Septembre 1864, des chefs indiens et des officiers américains se rencontrent pour des négociations de paix. Assis de gauche à droite : White Antelope, Neva, Black Kettle, Bull Bear, Na-ta-nee. A genoux, à droite : le capitaine Silas Soule. Photo Denver Public Library

↑ Le colonel John Chivington (1821-1892), commandant du détachement responsable du massacre. Collection privée/Peter Newark American Pictures/Bridgeman Images

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360°42. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014360°

culture.

“Je vais dans les bazars vérifier que l’humanité est vivante”

Après avoir parcouru l’Europe orientale, l’écrivain polonais Andrzej Stasiuk s’aventure en Asie. Un voyage dans l’espace et dans le temps, à la recherche du pays de son enfance, celui de l’industrialisation forcée et du déracinement.

LITTÉRATURE

—Newsweek Polska (extraits) Varsovie

Te rendre à Babadag [ville de Roumanie, titre d’un précédent livre de Stasiuk] ne te suffit plus. Pour ton dernier livre, Est, tu as voyagé jusqu’en Mongolie, au Kirghizistan, en Sibérie et en Chine. J’ai l’impression que c’est l’un de tes ouvrages les plus personnels. Plus tu pars loin, plus tu parles de toi ?Est est assez personnel et c’est voulu. Dans ce livre, je m’exprime directement. Je raconte ma vision personnelle du communisme. Or pour raconter cette histoire, j’ai dû partir loin vers l’est, pour éviter d’écrire un banal récit de voyage de plus. Voyager me permet de mieux me rappeler certaines choses, d’examiner ce qui se passe dans mon esprit, dans ma mémoire. Je ne voyage pas pour “visiter”. Visiter m’a toujours mortellement ennuyé.Aller vers l’est ne se résume pas pour toi à un trajet dans l’espace, c’est aussi un voyage dans le temps. Est-ce pour cette raison que tu vas chercher le pays perdu de ton enfance dans ces lointaines contrées ?Le style épique nécessite de l’espace pour attribuer à une expérience individuelle une signification qui dépasse les frontières d’une seule province, pas vrai ? Une certaine distance permet de voir où l’on a été, ce que l’on a fait, ce à quoi on a participé, ce que l’on a pu éviter. Tu te retrouves à l’aube à l’autre bout du monde, dans un village du Pamir, par exemple, et soudain tu entends des bruits qui t’étaient familiers il y a qua-rante ans, tu sens des odeurs qui remontent de ta propre enfance.Les mêmes qui flottaient dans l’épicerie de village que tenait ta famille en Podlachie ?Oui, c’est un sentiment déchirant et beau à la fois. Tu sais pourquoi tu as roulé

7 000 kilomètres sur des routes défoncées. Avant d’y aller, tu n’en avais pas la moindre idée. Tu es parti tel un idiot, avec de l’essence à deux zlotys le litre [moins de 50 centimes] pour tout viatique.Est me remet en mémoire des scènes de ton roman Neuf [Ed. Bourgois, 2009]. Encore aujourd’hui, je vois Praga, le quartier varsovien où tu as grandi, sur la rive orientale de la Vistule, comme une tête de pont pour les gens qui, à l’époque communiste, arrivaient ici de l’Est, en quête d’un sort meilleur. De l’Est polonais et campagnard, celui de tes parents, puis par la suite de l’Est postsoviétique [après 1989, c’est dans le quartier de Praga que se tenait le plus grand marché à ciel ouvert d’Europe, fréquenté par des ressortissants de l’ex-Union soviétique].Tout a commencé là : au carrefour des rues Targowa et Swierczewskiego [aujourd’hui rebaptisée avenue Solidarnosc], vers 2 ou 3 heures de l’après-midi. Une foule qui se déverse à proximité de la gare de Vilnius. Des paysans-ouvriers, de vieilles paysannes avec des paniers en osier, des Tsiganes vendant des poêles, de mau-vais garçons du marché Rozycki [les plus grandes puces de Varsovie, à l’époque communiste], des péquenauds, des margi-naux, des prolétaires, le sel de la terre de la classe ouvrière, la première et la deuxième équipe qui se croisent sur le chemin de l’usine automobile toute proche, des ados des écoles professionnelles du coin et de la banlieue… Et tout cela à l’ombre du monument des Quatre Frères endormis, sur lequel des patriotes agités veulent prendre une revanche tardive [des nationalistes demandent la démolition du monument, érigé en 1945 en signe de reconnaissance à l’armée soviétique libératrice].

Dans Neuf, tu décrivais Praga du point de vue d’un habitant de la ville. Aujourd’hui, rien que par la description de ta famille, tu t’identifies avec les “envahisseurs”. Tu as réussi à mieux te connaître avec le temps ?Ça ne sert à rien de se faire passer pour quelqu’un que l’on n’est pas. Je sais d’où je viens : de ce pays, tout simplement.De ce pays où des millions de gens, à qui on avait promis une vie meilleure, ont quitté les villages pour rejoindre la ville [lors de vagues d’industrialisation forcée]. Est-ce qu’Est est le récit de l’échec de ce déracinement généralisé ?Mon livre évoque les migrations de ces “damnés de la terre” [selon la formule de L’Internationale], partis à la recherche de la Terre promise à la période communiste. Mes parents et des centaines de milliers de leurs semblables ont quitté leur campagne, mais ils n’ont pas pour autant cessé d’être des paysans et ne sont pas devenus des citadins.Dans les villes asiatiques, comme dans la ville kirghize d’Och ou à Bichkek, la capitale, ce sont les “salons”, comme on les appelle – ces magasins qui vendent smartphones et iPhone, ces instruments de l’illusion – qui attirent les marées humaines. La foule y est tellement compacte qu’il est difficile de s’y mouvoir. Et quand tu penses que la majorité de ces gens viennent à peine de quitter leur yourte et leur village en boue séchée, c’est vraiment impressionnant.C’est en cela que réside la dimension uni-verselle de notre expérience polonaise ?Oui. C’est l’histoire d’un déracinement, et c’est ainsi que le monde évolue. Il n’y

aura plus de progrès linéaire, il n’y aura que des explosions civilisatrices. Mais quand nous

serons tous déracinés, nos cerveaux s’adap-teront et nous continuerons sur cette lancée.Chaque jour, j’ai l’occasion d’observer combien Varsovie a changé. Le matin, les voitures de luxe descendent dans les parkings souterrains, les voitures ordi-naires tournent en rond à la recherche d’un bout de place disponible où elles ne risquent pas la fourrière. Au termi-nus du tram, des foules se déversent à intervalles réguliers pour se répartir dans les immeubles de bureaux alentour. Pas d’enfants, pas de vieillards, pas de chiens, pas d’ivrognes… Le capitalisme d’aujourd’hui n’est-il pas une version mieux formatée de la promesse que le communisme avait faite en son temps ? On sait désormais que les prolétaires veulent s’embourgeoiser et non deve-nir des révolutionnaires, qu’au lieu d’acheter une promesse de liberté, ils

préfèrent s’offrir deux semaines sur la côte turque…Cela était à prévoir. Te souviens-tu, au temps du communisme, des gens qui col-lectionnaient des emballages de produits occidentaux et qui les exhibaient tels des trophées sur les étagères de leur salon en préfabriqué – des canettes Heineken vides, des boîtes métalliques pour le thé ? Moi-même, je collectionnais les boîtes de cigarettes. Te souviens-tu de celle de Philip Morris qui était en plastique ? Elle sentait le chocolat.Bien sûr, même si je préférais collection-ner des emballages de chewing-gums…Ce genre de collections était aussi prati-qué par les adultes. Ils construisaient des sortes d’autels domestiques à partir de ces objets. A l’époque déjà, on savait que la liberté ne comptait pas sans l’argent.Aujourd’hui, presque tout le monde pos-sède ces choses. Elles nous entourent de toutes parts.Ce sont plutôt des ersatz, de la pacotille à usage unique qui tombe en miettes aussitôt achetée. Car il faut vendre et toujours acheter du neuf, pour que tout le monde soit satisfait. Des sushis que l’on va acheter dans telle chaîne de supermar-ché, du caviar dans telle autre, il en faut pour tout le monde afin que les gens ne se rebellent pas.Alors les damnés de la terre sont restés des damnés de la terre. La promesse communiste et la promesse capitaliste d’émancipation se sont-elles soldées par une déroute ?Une “déroute” dis-tu… Mais si les gens sont prêts à se contenter des sushis du supermar-ché ? Et si tous ces baratins sur la liberté n’étaient qu’un truc de marketing pour bien emballer ce qu’on achète ? Pour le mettre

“Nous produisons du néant pour remplir le monde, nous fabriquons notre propre désert”

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360°.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 43

sur l’étagère de notre salon comme on le faisait jadis avec nos canettes vides ?Qu’est-ce qui te fascine dans les gens qui font des courses dans les centres commerciaux ?Ils se ressemblent tous de plus en plus. Ils poussent les mêmes caddies dans des endroits semblables, vers les mêmes rayons. A quelques différences près : à Och, au Kirghizistan, vous ne trouvez pas d’alcool ; au Kazakhstan, vous pouvez acheter des conserves de viande de cheval ou du koumys, du lait de jument, vendu en berlingots ; en Mongolie, vous voyez des étalages entiers de produits de l’entreprise polonaise Urbanek. Des haut-parleurs déversent des annonces publicitaires en russe ; pourtant, pour nous, le russe a toujours été la langue de l’idéo-logie communiste. Je me balade dans ces endroits de torpeur globalisée, puis je vais dans un bazar pour vérifier si l’humanité est toujours vivante.Pourquoi aller si loin à l’Est, si l’inertie de la globalisation est arrivée jusque là-bas ?Simplement, j’aime le vide, l’espace. Si tu vas où tout le monde va, tu n’apprendras rien sur le monde, ni sur toi-même. Tout sera caché par la foule.C’est la raison pour laquelle tu ne voyages pas en Suisse ?Je me suis relativement peu intéressé à l’Occident. A l’époque communiste, je n’ai jamais fait de tentatives pour y aller, contrairement à la majorité de mes amis [il était difficile d’obtenir un passeport]. Je me suis rendu en Occident pour la première fois en 1995 ou 1996, et j’y ai vu l’opulence, sans que mon regard soit attiré par quoi que ce soit. Beaucoup de gens, de choses et d’événements dont tu te fiches. Aucune profondeur, il n’en reste rien. Parfois j’y vais, malgré moi, à l’invitation de mes éditeurs,

des gens gentils. De temps à autre, je me transforme en Gastarbeiter [travailleur immigré, en allemand] littéraire, pour gagner de quoi pouvoir voyager à l’Est.Car tu préfères aller dans la “patrie du prolétariat” [la Russie] ?Elle m’intéresse beaucoup. Rien de plus intéressant ne s’est produit au cours du XXe siècle que le communisme. Je suis curieux de savoir de quoi il avait l’air dans une perspective plus large, mondiale. Le versant asiatique de ce concept – particu-lièrement européen – et son implantation dans les steppes et dans les déserts sont très intéressants. Tout comme il est intéressant d’observer comment tout cela s’achève, rouille, se désintègre. Voir la mer d’Aral se dessécher et des milliers d’éoliennes instal-lées par les Chinois parsemer le désert de Gobi. Ce sont des images apocalyptiques. En Occident, nous n’avons rien de tel.Tu pars à la recherche d’endroits qui n’ont pas été touchés par ce que Milan Kundera a appelé l’“insoutenable légèreté” ?Les lieux marqués par l’insoutenable légèreté de l’être me semblent insuppor-tablement tristes. Avant tout, parce que toute joie y est feinte. Je préfère passer du temps là où l’on fait moins semblant, où l’on a moins de rôles à jouer mais plus de choses à faire, des choses nécessaires. C’est en suivant ce principe que j’ai, dans le temps, choisi de vivre à la campagne. Aujourd’hui, je voyage dans des endroits qui sont une sorte de village démultiplié.Mais la Chine, qui fait aussi partie de l’Est, n’a rien d’un village ou d’un désert. Elle bouillonne d’excès !C’est une question de contrastes. Tu quittes Pékin, la ville folle, et en quelques heures tu te retrouves en plein désert de Gobi. La surabondance d’objets et la surproduction

font penser à un désert. La plupart de ces objets deviennent inutiles aussitôt après l’achat et s’accumulent en une gigantesque décharge. Nous produisons du néant pour remplir le monde, nous le comblons avec des restes jetables, nous fabriquons notre propre désert. Bientôt, il n’y aura plus rien pour susciter en nous un sentiment d’attachement, tout sera disponible et indifférent. La Chine est incroyable car d’un côté il y a la folie capitaliste, et de l’autre, Mao qui vous regarde sur les por-traits officiels, les tee-shirts et les billets de banque… Un génocidaire surveillant son peuple qui a trahi son enseignement. En voyant cela, tu commences à te demander si les Chinois seraient capables de fabri-quer un autre monde, ou de copier celui qui existe déjà. Car la Chine devra un jour faire quelque chose de sa surproduction, l’exporter quelque part quand elle manquera de place pour l’écouler chez elle.As-tu découvert la sagesse légendaire de l’Orient ? As-tu trouvé le “sens de la vie” (rires) ?Je ne connais pas de “gens de l’Est”. J’ai eu des compagnons de voyage occasionnels. Le “sens de la vie”, ça sonne bien, mais ce qui importe pour moi, ce sont les lieux où j’entends plus clairement mes pen-sées. La steppe, les montagnes, l’espace, une sorte d’infini. Mais tout comme en Asie, je suis un solitaire ici, en Pologne. Je ne cherche pas de compagnie, mais si elle se présente, je l’accepte. Si un gars arrive à cheval, je lui offre de la bière ou du thé. Quand je pars camper, j’essaie de me rendre invisible. Parfois je vais chez quelqu’un et nous parlons de la vie. La sagesse, dis-tu… Probablement. Mais tout le monde aujourd’hui a une télé, même là où il n’y a pas de ligne électrique, il suffit de brancher un générateur, puis ils regardent la télé russe ou CNN par satellite. Alors, bientôt, nous partagerons tous la même sagesse. Dommage.

—Propos recueillis par Piotr Bratkowski

Publié le 26 septembre

L’auteur

← Sur la route entre Bichkek et Jalalabad. Photo Christian ALS/PANOS-RÉA

A lire

ANDRZEJ STASIUKNé en 1960 à Varsovie, Andrzej Stasiuk est un écrivain, dramaturge et poète polonais. Après une scolarité difficile, il s’engage dans un mouvement pacifiste anticommuniste et déserte pendant son service militaire, ce qui lui vaut un an et demi de prison au début des années 1980. Avec sa femme Monika Sznajderman, il s’installe en 1987 à la campagne dans un petit village du sud-est de la Pologne. Leur maison d’édition, Carne, se spécialise d’abord dans la littérature d’Europe orientale, puis dans le reportage et les essais. Stasiuk a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Nike, en 2005, le plus prestigieux d’entre eux. Ses romans sont disponibles en français aux éditions Noir sur blanc et Christian Bourgois.

“Andrzej Stasiuk voyage à l’Est pour mieux retrouver son enfance”, annonce l’hebdomadaire Polityka. Dans Est, paru en Pologne

à l’automne 2014 et encore inédit en français, Stasiuk évoque ses souvenirs du village de ses parents en Podlachie, dans l’est de la Pologne, lieu de ses premières vacances, et de la banlieue ouvrière de Varsovie où il a vécu dans sa jeunesse. Il les fait entrer en résonance avec des images rapportées de ses récents voyages en Mongolie, en Sibérie ou encore en Chine.

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360°44. Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014

—Nandu Zhoukan Canton

Jeunes filles au cœur rose, vos doux sen-timents ne sont-ils pas toujours brisés par la dure réalité ? Venez sur notre site,

qui satisfera tous vos rêves d’amour !” C’est ainsi que Wei Xixi, la patronne d’une bou-tique de Taobao [le principal site de vente en ligne en Chine], cherche à attirer les clientes sur son site spécialisé dans un “ser-vice inédit” : la location d’amoureux(ses) virtuel(le)s.

Zhou Jun, 26 ans fait partie des curieux attirés par ce genre de prestations. Quand il est tombé sur le service proposé par Wei Xixi, il s’est tout de suite inscrit. On lui a attribué de façon aléatoire une petite amie de type “lolita”. Il venait d’avoir un accident de moto la veille, et son “amoureuse” lui a tenu compagnie sur son lit d’hôpital par téléphone interposé. Ils ont discuté de leurs centres d’intérêt et goûts respectifs, ont parlé cinéma et musique. Dans la vie réelle, sa petite amie virtuelle était étudiante en deuxième année à l’université. Cela a été l’occasion pour Zhou Jun de se remémo-rer les belles heures de sa vie d’étudiant.

“Une jeune fille sauvage, fraîche et savou-reuse, vient de rejoindre notre menu de luxe. La dégustation est ouverte !” En découvrant cette annonce, M. Lee, qui travaille dans le secteur de l’énergie en Mongolie-Intérieure, a tout de suite porté son choix sur cette jeune femme. Comme ces dernières sont rares dans son entourage du fait de son travail, il espère ren-contrer différents types de jeunes filles. “J’ai envie de tenter l’expé-rience, mais pas dans la vraie vie. Dans la vraie vie, il faut payer le prix fort pour trouver l’âme sœur, c’est usant !” Pour lui, avoir une relation amoureuse virtuelle est moins stres-sant. De plus, quand vous en avez assez d’une personne, vou s p ou ve z

facilement en changer pour une autre. Il vient d’ailleurs de commander une petite amie de style “sophistiqué” et a supprimé toute trace de son “ex”…

A l’autre bout du monde, Mlle A., qui pour-suit ses études à l’étranger, est tombée sur ces services de location d’amoureux virtuels au hasard de sa navigation sur Weibo [l’équi-valent chinois de Twitter]. Quand, quinze jours après avoir passé commande d’un petit copain de type “dominant”, elle a vu un inconnu rejoindre

son réseau WeChat [application de messa-gerie chinoise], elle a compris que c’était lui.

L’attention que lui portait ce petit ami vir-tuel correspondait aux souhaits de Mlle A. “Avec ce système, pas de comportement déplacé, pas de risque de tomber sur un gros rigolo ! C’est juste bien, très sympa, on reçoit de la tendresse, tout simplement…” Son “amou-reux” lui rappelait quand c’était l’heure de manger ou de dormir, qu’il ne fallait pas qu’elle consomme ceci ou cela au petit déjeuner sous peine d’avoir des douleurs d’estomac, qu’il fallait qu’elle prenne un manteau quand le temps se rafraîchis-sait, etc. Pendant trois jours, il lui a tenu compagnie tous les soirs au moment du coucher, en tenant compte du décalage horaire, avec des conversations sans tabou.

Au bout de ces trois jours, son petit ami virtuel lui a recommandé de bien prendre soin d’elle quand il ne serait plus là pour s’oc-cuper d’elle, et aussi de penser à lui mettre une bonne note. “Ces trois jours ont été du pur bonheur. J’ai compris ce que c’était que d’être chouchoutée et d’avoir quelqu’un d’atten-tif à mes moindres sautes d’humeur, raconte Mlle A, très satisfaite de son expérience

d’amour virtuel. On peut recevoir ce genre d’attention de la part

d’amis solides, mais ils ne peuvent pas le faire du

matin au soir. Et, dans la vraie vie, ce n’est vraiment pas souvent que l’on peut avoir un petit copain aussi cor-rect. Les petits amis virtuels ressemblent à ceux que l’on voit au cinéma.”

Li Dongzhi est journaliste. Il a décidé

de proposer ses presta-tions via l’entreprise de

Wei Xixi pour enquêter sur les motivations des acheteurs de

ce genre de services. “Les amoureux vir-tuels disponibles sur Taobao sont pour la plupart l’équivalent du coup d’un soir sur un plan psychologique, explique-t-il. Les deux partenaires ne se connaissant pas aupara-vant, il leur est difficile d’avoir des conver-sations approfondies. Le plus souvent, il s’agit juste de prêter une oreille attentive à quelqu’un qui a besoin de vider son sac.”

Wei Xixi conseille à ses clients de ne pas rester dans une relation d’amour virtuel au-delà d’une semaine, dans l’intérêt des deux parties. “La plupart des clients sont des citadins qui souffrent de solitude. C’est devenu une véritable épidémie. Qui ne se sent pas isolé de nos jours ?”

—Guo LipingPublié le 10 novembre

Le loueur est dans le préROYAUME-UNI – Le magazine Smithsonian l’a déjà surnommé le “Airbnb des carrés de pelouse”. En effet, suivant le modèle de la plateforme de location de logements entre particuliers, le site Internet Field Lover met en relation “ceux qui ont un champ et qui ne savent pas quoi en faire” et “ceux qui en ont désespérément besoin d’un”. Et ces derniers sont nombreux d’après le mensuel, “étant donné le nombre d’événements sociaux qui nécessitent un pré : mariage, concert, camping, départ de montgolfière, équitation, vente de voitures…”. Le système n’existe pour l’instant qu’outre-Manche mais “pourrait se développer aux Etats-Unis et au Canada sous peu, s’il y a suffisamment de demandes”, explique la publication.

Lectures catalanes

ESPAGNE —  Pour sauver le livre, publions-le en catalan. C’est

la solution qu’essaient de mettre en place les maisons d’édition

espagnoles en ces temps de forte chute des ventes, avec une diminution

de 40 % du nombre d’exemplaires vendus depuis 2008. “Ça vaut ce que ça vaut, mais la glissade est moindre

pour les publications en catalan”, justifie La Vanguardia. De plus,

si les aides de l’Etat à la publication “ont été réduites au minimum” ces derniers temps, le soutien

financier de la Generalitat de Catalogne pour publier ou traduire des œuvres

en catalan est attrayant pour les maisons d’édition. “La situation

politique et culturelle du pays oblige aussi les petits et moyens éditeurs

à se positionner par rapport à l’avenir”, poursuit le quotidien de Barcelone,

soulignant que de plus en plus de personnes parlent catalan

“mais hésitent encore à le lire”.

tendances.

Les amants imaginairesPour lutter contre la solitude, les Chinois sont de plus en plus nombreux à recourir, sur Internet, aux services de “location” d’amoureux virtuels.

↙ Dessin de Zhong Ling paru dans Nandu Zhoukan, Canton.

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur la location d’amoureux virtuels en Chine dans l’émission de William Leymergie, jeudi 11 décembre à 7 h 38

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Les fantômes de DamasUne famille de réfugiés syriens sur la route. Le plus jeune s’arrête et se retourne. Il a remarqué quelque chose, “un objet qui pourrait refl éter aussi bien un espoir que la cruauté”, écrit le site d’information Barakabits

pour décrire l’œuvre lumineuse d’Alaa Minawi. “Quand des gens quittent leur ville contre leur volonté, ils ne laissent pas seulement derrière eux leur maison, leurs amis, leurs jouets et leurs biens, explique l’artiste libano-palestinien. Leurs traits s’eff acent et se perdent dans les mémoires ; ils deviennent des lignes, des lignes de lumière.” Son installation est visible en ce moment au IIIe Festival des lumières d’Amsterdam, qui se déroule jusqu’au 18 janvier.

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A méditer cette semaine : Oublie ce qu’en dit le verdict du magazine Time. A qui décernerais-tu le titre de “personnalité de l’année” ?   

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Surfer entre les gratte-cielAUSTRALIE — Le surf débarque dans le centre-ville de Melbourne. Il sera en eff et bientôt possible de prendre des vagues de plus d’un mètre cinquante dans le port Victoria, au cœur de la deuxième ville d’Australie. Le projet, imaginé par l’entreprise de design Arup, a rencontré un accueil positif des autorités municipales et cherche désormais des fonds privés pour être mené à terme, ce qui ne devrait pas poser de problème, affi rme The Age. Selon le quotidien australien, en plus d’une zone de surf, l’installation sera dotée d’une longue plage de sable blanc, d’un ponton, d’une pelouse et d’une piscine pour la baignade. L’eau utilisée pour créer les vagues proviendra directement du port et sera fi ltrée et chauff ée toute l’année.

Drone, la note, s’il vous plaît !SINGAPOUR – D’ici à la fi n de 2015, les drones seront des serveurs presque comme les autres dans les enseignes de Timbre Group, la plus grande chaîne de bars et restaurants de Singapour, annonce Tech in Asia. Le pays fait face à une pénurie de personnel dans le domaine des services, qui compte pour deux tiers dans l’économie nationale, notamment en raison du durcissement des lois migratoires ces dernières années. “Avoir des drones serveurs va améliorer l’expérience des repas au restaurant, prédit Woon Junyang, le président de l’entreprise qui produit les robots, cela va sûrement augmenter le nombre de clients et les revenus des établissements qui les utilisent.” Et, au moins, la question du pourboire ne se posera plus.

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Jérusalem sans bruit ni fureurCe critique de cinéma recherche en vain le film israélien qui montrerait la ville telle qu’elle est aujourd’hui, avec toutes ses divisions et ses tensions.

CINÉMA

plein écran.

—Ha’Aretz Tel-Aviv

La Jérusalem qui apparaît dans les films israéliens est une ville pleine de belles maisons en pierre, de mer-

veilleux paysages entourant le dôme doré de la mosquée Al-Aqsa, de ruelles exotiques dans ses quartiers ultraorthodoxes et de rues animées dans sa partie occidentale. Mais où est le film montrant la ville de ces derniers mois ? La Jérusalem des émeutes, de la fureur, du danger et de la mort, celle dont les quartiers périphériques menacent le centre, une ville divisée. Cette Jérusalem-là n’apparaît jamais sur les écrans israéliens.

Jérusalem n’a pourtant cessé d’être filmée depuis les débuts du cinéma israélien : de Ha-Fuga d’Amram Amar (Cessez-le-feu, 1950) et The Faithfull City de Joseph Lejtes (1952) à The Farewell Party de Tal Granit et Sharon Maymon, aujourd’hui en salles [en Israël]. Ces dernières années, nous avons vu un nombre considérable de longs métrages dont l’action se situe dans l’actuelle Jérusalem ou ses environs, mais quel portrait brossent-ils de la ville ? Celui de la vraie Jérusalem ou d’une Jérusalem très éloignée de ce qu’elle est en réalité ?

Le Fonds du film et de la télévision de Jérusalem, qui encourage les tournages dans la ville, est devenu l’une des principales sources de financement du cinéma israélien. Beaucoup des films qu’il a aidé à produire ne dépeignent certes pas Jérusalem comme un havre de paix, mais pas un seul ne décrit à quel point Jérusalem [avec ses quartiers juifs et arabes] est loin d’être une ville unie.

En juillet dernier, le Festival du film de Jérusalem devait présenter en ouverture Mon fils, un film d’Eran Riklis sur un jeune Arabe poursuivant ses études dans un internat de Jérusalem. Mais la projection a été annulée et la distribution du film suspendue en raison de l’offensive militaire lancée sur Gaza. On a estimé qu’il n’aurait pas été de bon goût de présenter dans un tel contexte un film sur un adolescent arabe, d’autant que le titre aurait pu paraître provocateur à un public de plus en plus remonté [Le titre original du film, qui sortira en France en février 2015, est Dancing Arabs, la danse des Arabes]. Mon fils ne décrit pas la réalité de Jérusalem de la façon la plus pénétrante qui soit, mais

ContrechampGONFLÉ, ARAFAT !Peu de films palestiniens ont été récemment tournés à Jérusalem, les obstacles administratifs étant trop nombreux pour les potentiels cinéastes. L’un de ceux qui auront le plus marqué les rétines est Intervention divine, de l’Arabe israélien Elia Suleiman. Présentée au Festival de Cannes en 2002, cette comédie grinçante met en scène un cinéaste palestinien, Es, qui vit à Jérusalem et aime une femme

de Ramallah. Celle-ci ne pouvant le rejoindre, le couple se retrouve dans un parking désert, près d’un checkpoint israélien. Dans l’une des scènes marquantes du film, le protagoniste lâche un ballon rouge à l’effigie de Yasser Arafat à proximité du checkpoint. Celui-ci s’élève, survolant dômes et toits, et vogue vers la Ville sainte… à une époque où l’accès de Jérusalem était interdit au président de l’Autorité palestinienne, décédé en 2004.

ce long métrage a le mérite de la montrer – surtout par les temps qui courent.

J’ai vécu à Jérusalem de 1964 à 1968, à l’époque où je faisais mes études à l’Université hébraïque, alors située dans le quartier central de Givat Ram. J’ai apprécié mon séjour dans cette ville et ces années fascinantes qui m’ont permis de voir les changements provoqués par la guerre des Six-Jours [à l’issue de laquelle Jérusalem-Est et la vieille ville, auparavant sous administration jordanienne, sont passés sous contrôle israélien]. Le jour où le conflit a éclaté, le 5 juin 1967, j’ai pris le dernier bus pour Tel-Aviv. Au lendemain de la guerre, je suis retourné à Jérusalem et je me suis

promené dans la vieille ville avec ravissement, comme beaucoup d’Israéliens en ce temps-là. Je ne

suis jamais retourné depuis à Jérusalem-Est, non pas par peur mais parce que ce secteur est devenu méconnaissable. Jérusalem me manque, mais c’est la Jérusalem d’avant la guerre des Six-Jours, une ville qui n’existe plus.

C’est peut-être la raison pour laquelle mes deux films favoris sur Jérusalem – un documentaire et un long métrage – ont été produits dans les années 1960. Le premier est l’exemplaire Dans Jérusalem, réalisé par David Perlov, qui jette un regard profane – et captivé par la magie de la ville– sur la Jérusalem divisée. Le second est Trois Jours et un enfant, réalisé par Uri Zohar et adapté d’une nouvelle d’A. B. Yehoshua. Chaque fois que je le vois, les images en noir et blanc de David Gurfinkel me rappellent la ville où j’ai passé une partie de ma jeunesse.

La Jérusalem d’aujourd’hui doit être filmée telle qu’elle est. Un réalisateur aura-t-il le courage de le faire ? En ne situant pas l’histoire de la ville dans son passé ornementé, mais dans son présent ravagé, qui fait aussi partie de son passé. Un tel film serait vital pour nous en ce moment, alors que la réalité israélienne, au cœur de laquelle se trouve Jérusalem, semble se diluer dans un chaos démagogique, populiste, voire messianique, le plus grand danger qui soit.

Je ne pense pas que le cinéma ait la capacité de changer la réalité. Mais je crois en sa capacité de nous la faire regarder en face. Oui, le cinéma israélien est en plein essor, mais à quoi sert-il si la réalité s’effondre autour de lui ?

—Uri KleinPublié le 21 novembre

↑  Tourné avant l’unification de la ville, Dans Jérusalem a marqué un jalon dans l’histoire du cinéma israélien (en haut et en bas à gauche). A droite : Trois Jours et un enfant. Photos DR

↑ La sortie de Mon fils a été repoussée à cause de l’offensive sur Gaza. Photo Film Press Plus.

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En croisière avec Courrier internationalDu 7 au 19 février, Courrier international vous propose de partir à votre tour à la découverte du Mékong. Douze jours d’une croisière inoubliable organisée par Rivages du monde pour sillonner, de Saigon à Siem Reap, les rives de ce fleuve mythique de l’Asie du Sud-Est. A bord de La Marguerite, superbe réplique des bateaux coloniaux d’antan, vous sentirez les vibrations du Vietnam, un pays en pleine mutation, et les pulsations de la jeune société cambodgienne.

Renseignements au + 33 (0) 1 83 96 83 40.http://tinyurl.com/mkkgeqg

360°.Courrier international — no 1258 du 11 au 17 décembre 2014 47

Le Tonlé Sap, poumon de vieLes habitants des villages sur pilotis établis autour de ce lac cambodgien ont appris à vivre en harmonie avec la nature. Découverte.

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↑  Dans le village de Kompong Phluk, on circule en bateau pour accéder aux habitations installées au-dessus de l’eau du Tonlé Sap, ce lac dont la superficie est multipliée par six au moment de la mousson. Photo James Whitlow Delano/Cosmos.

voyage.

—Inquirer Business Manille

La capacité de résilience des Cambodgiens n’est nulle part aussi visible que dans la petite commu-

nauté que je visite près des plaines inon-dables du lac Tonlé Sap, dans le centre du pays. Considéré comme le plus grand réser-voir naturel d’eau douce d’Asie du Sud-Est, le Tonlé Sap abrite plus de 400 espèces de poissons, de reptiles et d’oiseaux, dont les rares crocodiles du Siam, diverses tor-tues d’eau douce et le poisson-chat géant du Mékong. Plus de la moitié des poissons pêchés au Cambodge proviennent du lac.

Durant la mousson, la superficie du Tonlé Sap est multipliée par six du fait du reflux venant de la rivière éponyme. Pendant la saison sèche, celle-ci se jette dans le Mékong. Située au sud-est du lac, elle sert alors avant tout de déversoir. Mais, durant la mousson, lorsque la pluie fait monter les eaux du delta du Mékong, la rivière inverse son cours et vient alimenter le lac. Elle envahit les plaines alentour, épargnant à de nombreuses régions du Vietnam des inondations catastrophiques.

Les rives du Tonlé Sap abritent une

biodiversité unique qui offre des ressources à plus de 3 millions de personnes vivant autour du lac. Véritable source de vie, capable de s’étendre et de se contracter, celui-ci est surnommé “le cœur battant du Cambodge” et il a été reconnu réserve de biosphère par l’Unesco en 1997.

Je me rends dans une petite communauté appelée Kampong Phluk, un groupement de trois villages “flottants” où les habitants ont appris à s’accommoder des caprices du lac. Mon périple commence par 16 kilomètres de voiture depuis Siem Reap sur une route finissant en chemin de terre défoncé. Un voyage déconseillé à ceux qui n’ont pas le cœur bien accroché. Nous sortons de notre voiture au milieu d’un nuage de poussière avant d’embarquer sur un bateau qui nous emmène sur un bras de la rivière partant du Tonlé Sap. C’est sur cette rivière que sont construites les maisons de Kampong Phluk.

A cette époque de l’année, il n’y a pas beaucoup d’eau. La rivière est boueuse mais, de ses rives, des hommes lancent leurs filets et les ramènent presque aussitôt, pleins de poissons. Les bateaux se font plus nombreux à mesure que nous approchons des villages. Nous pouvons voir le sol sur lequel sont construites les maisons, qui est recouvert

hauteur n’empêche pas de nombreuses structures d’être imposantes ; elles abritent les centres névralgiques du village, comme l’école ou les temples. Ainsi construites, ces structures restent au sec. Elles sont fonctionnelles même lorsque le niveau de l’eau monte.

Dans ces communautés de pêcheurs pauvres, les maisons sont rudimentaires et les couleurs brunes dominent. Mais de nombreux occupants apportent une touche de gaieté en ajoutant de la couleur ou certains détails architecturaux. Même chose pour les bateaux. Les teintes s’harmonisent comme si tout était concerté. Les toits sont traditionnellement plats, sans trace d’influence khmère, excepté les écoles et les monastères récents.

En dépit de son environnement inhabituel, le village forme une communauté à part entière. Des escaliers et des chemins flottants rendent possibles les déplacements à pied, même lorsque l’eau recouvre la terre. Il y a même de larges pontons pour laisser jouer les enfants et permettre aux familles de se réunir. Sans oublier les bateaux qui peuvent les emmener jusque dans les coins les plus reculés du voisinage, à terre ou sur le lac.

Cette visite est incontournable au Cambodge, tant pour son intérêt visuel que pour comprendre la capacité des Cambodgiens à se relever après avoir subi la terreur destructrice des Khmers rouges de 1975 à 1979. Lors de mon prochain voyage, j’espère aller dans le nord-est du pays et visiter en canoë les réserves ornithologiques considérées comme le principal site de reproduction d’oiseaux migrateurs et d’oiseaux d’eau de toute l’Asie du Sud-Est.

Le village de Kampong Phluk est la preuve que l’homme peut coexister avec la nature et vivre en harmonie avec son environnement lorsqu’il sait s’y adapter.

—Isabel Berenguer AsuncionPublié le 15 février 2013

400 km

Deltadu Mékong

Merde Chine

méridionale

Hô Chi Minh-Ville(Saigon)

LAOS

THAÏLANDE

CAMBODGE

VIETNAM

PhnomPenh

SiemReap

Tonlé Sap

Mékong

d’eau pendant la mousson. Je suis d’abord frappée par cette scène qui semble tirée d’un scénario d’apocalypse : la boue, les troncs d’arbres, les tas de branches, la fumée qui flotte dans l’air, les coques de bateaux retournées. C’est que nous sommes en pleine saison sèche. Les villageois consolident leur maison, réparent leur bateau et se préparent à affronter la mousson.

Des enfants jouent sur les rives alors que je découvre avec stupéfaction des maisons sur pilotis se dressant à une hauteur équivalant à trois étages. Durant la saison humide, l’eau monte jusqu’à 1 ou 2 mètres de leur porte. D’où l’appellation de “village flottant”. Leur

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