COMMUNISME, NAZISME ET FASCISME: CE QUE LES MOTS …

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ENTRETIEN François Furet COMMUNISME, NAZISME ET FASCISME: CE QUE LES MOTS VEULENT DIRE « Le Passé d'une illusion », de François Furet, paru voilà quelques mois, a sans nul doute marqué une véritable rupture dans l'analyse du mouvementcommuniste contemporain. Il nous a semblé utile de revenir avec son auteur sur quelques-uns de ses chapitres majeurs, notamment ceux qui sont consacrés au couple fascisme/commu- nisme (ou au triptyquefascisme/nazisme/communisme). Cetentre- tien porte également sur la question, rarement abordée, du regret intellectuel (s'être trompé) et du regret moral (se repentir). Question que l'on pourra juger « périphérique )), mais qui nous paraît cependant être de nature à mieux expliquer certains retards pris dans l'analyse de la réalitécommuniste du Xs» siècle. Ajoutonsaussi, pour que les choses soient claires, que cette question du regret - certains diront cet enjeu - ne fut quasimentjamais intégrée dans la pensée des intellectuelsfascistes. 1 p 1 ASCAL BESNARD-RoUSSEAU - Fascisme - communisme comment aborder la comparaison? FRANÇOIS FURET - Il faut distinguer la question de la « comparabilité » interne de celle des relations externes entre les 48 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 1995

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ENTRETIEN

François Furet

COMMUNISME, NAZISMEET FASCISME: CE QUE LES MOTS

VEULENT DIRE« Le Passé d'une illusion », de François Furet, paru voilà quelquesmois, a sans nul doute marqué une véritable rupture dans l'analysedu mouvementcommuniste contemporain. Il nous a semblé utile derevenir avec son auteur sur quelques-uns de ses chapitres majeurs,notamment ceux qui sont consacrés au couple fascisme/commu­nisme (ou au triptyque fascisme/nazisme/communisme). Cetentre­tien porte également sur la question, rarement abordée, du regretintellectuel (s'être trompé) et du regret moral (se repentir). Questionque l'on pourra juger « périphérique )), mais qui nous paraîtcependant être de nature à mieux expliquer certains retards prisdans l'analyse de la réalitécommuniste du Xs»siècle. Ajoutonsaussi,pour que les choses soient claires, que cette question du regret- certains diront cet enjeu - ne fut quasimentjamais intégrée dansla pensée des intellectuelsfascistes.

1 p 1 ASCAL BESNARD-RoUSSEAU - Fascisme - communismecomment aborder la comparaison?FRANÇOIS FURET - Il faut distinguer la question de la

« comparabilité » interne de celle des relations externes entre les

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deux mouvements. En effet, l'aide objective qu'ils se sont apportée aucours du siècle, avant de se combattre à mort, ne signifie rien quant àleur ressemblance intrinsèque. L'hostilité réciproque qu'ils professentl'un pour l'autre a été capitale dans leur développement respectif; lefascisme se nourrissant de la peur du communisme, le communismede la peur du fascisme. Mais cette double réaction antagoniste, detoutes les façons objectivementfavorable àleur développement, ne lesa pas empêchés, à certaines périodes, de s'unir. L'URSS n'a pas eu demauvais rapports avec l'Italie de Mussolini, dans les dix ou quinzepremières années du dictateur italien, elle a pris appui sur l'extrêmedroite allemande dans les années vingt. Le Komintern a dicté au PCallemand une tactique qui a favorisé l'accession d'Hitler au pouvoirsous l'apparence d'une hostilité radicale. Enfin, l'Allemagne nazie etl'URSS ont été alliées dans la première période de la Seconde Guerremondiale, entre août 1939 et le 22 juin 1941. Des rapports externesentre les deux mouvements et les deux régimes, on peut donc tirerdeux conclusions. Ceux-ci se sont involontairement renforcés l'unl'autre, par les sentiments et les passions antagonistes qu'ils nourris­saient réciproquement. Ils se sont aussi aidés par l'appui caché ououvert qu'ils se sont apporté à différentes périodes.

Reste à analyser les éléments qui peuvent servir à leurcomparabilité interne. Par leurs racines philosophiques, les deuxidéologies s'opposent terme à terme, comme une philosophieuniversaliste s'oppose à une exaltation du particulier. D'ailleurs,le communisme se réclame d'une œuvre philosophique et d'unedoctrine qu'on peut définir et dater, celles de Marx et d'Engels;le fascisme n'a pas d'ancêtres comparables, et tient dans unbricolage d'idées empruntées à différentes sources et différentsauteurs: l'anti-individualisme contre-révolutionnaire, classique dansles pensées réactionnaires du XIXe siècle, mais mêlé à l'idéerévolutionnaire sous sa forme la plus radicale, celle du syndicalismerévolutionnaire des années qui précèdent la guerre de 1914 :Bonald, Sorel, quelle cohérence? En réalité, la grande innovationdu fascisme n'est pas d'ordre philosophique, mais politique: c'estle mariage de l'idée de nation et de l'idée de révolution. On devraitdire plutôt le remariage, puisque les deux idées ont été associéesen Europe, dans des conditions différentes, entre la Révolutionfrançaise et 1848.

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Approfondir la contradiction intellectuelle entre marxisme etfascisme ne mène donc pas loin, puisque les deux doctrines n'ontpas le même statut philosophique. Par contre, analyser ce qui opposeet ce qui unit bolchevisme et fascisme comme mouvementspolitiques est plus intéressant, puisque sur ce terrain tout suggèreà l'historien ce type d'analyse : non seulement la chronologie,puisque bolchevisme et fascisme naissent comme partis de masseà la suite de la guerre de 1914, mais plus encore la situation,caractérisée par la déstabilisation générale de l'Europe au momentoù ses peuples sont entrés, par la porte tragique de la guerre, dansla démocratie moderne, c'est-à-dire le pouvoir du nombre. A laquestion que ces peuples portent sur la guerre, la victoire desbolchevistes en Russie a été une première réponse au nom duprolétariat. L'avènement de Mussolini en Italie, cinq ans après, enconstitue une autre, au nom de la nation.

Lénine et Mussolini :deux marginaux issus de la Ile Internationale

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PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Au-delà du fait que communismeet fascisme apportent chacun une réponse au traumatisme né dela première guerre industrielle, et qu'ils représentent chacun une« offre» de rupture, quels sont lespoints communs - idéologiqueset « fonctionnels » - existant entre les deux courants?

FRANÇOIS FURET - Lénine et Mussoliniont grandi dans la mêmefamille, celle de la Ile Internationale, où ils étaient tous les deux desmarginaux, pour les mêmes raisons: parce qu'ils se situent à la pointeavancée de la révolution sociale. A partir de 1914, Mussolini trahitl'internationalisme pour le nationalisme, mais il n'abandonne paspour autant l'ambition révolutionnaire : dans ce déplacementd'objectifs accompagné d'un maintien des moyens tient l'ambitiondu fascisme. Encore la formule ne rend-elle pas compte de ce quel'idée de révolution mobilise d'affects parareligieux; au moinsdit-elle bien l'absence de scrupules légaux érigée en système, lasubordination des moyens aux fins, la formation de partis qui mêlent

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l'obsession conspiratrice et l'appel aux masses populaires, lanaissance d'un nouveau type de propagande... Comme on le sait,Mussolini a très consciemment copié, à d'autres fins, le précédentoffert par Lénine et son parti.

Plus profondément, on retrouve dans le bolchevisme et lefascisme les deux faces de la démocratie révélées par la Révolutionfrançaise : l'universel et le national, vécues et pensées l'une parrapport à l'autre de façon antagoniste, mais aussi unies l'une à l'autrepar le même rejet radical du monde bourgeois de l'économie et del'aliénation. Le bolcheviste veut émanciper la classe ouvrière, etau-delà d'elle l'humanité. Le fasciste travaille à libérer le citoyen dece qui le sépare de la communauté nationale. Les deux ambitionsont au moins en commun la volonté de mettre fin à l'individualismede l'homo œconomicus et à la conception de l'humanité définie parla bourgeoisie.

Elles dessinent toutes les deux un avenir où l'homme seravraiment membre de la communauté : elles exaltent toutes les deuxle politique, par où se construit l'être-ensemble, au détriment del'économique, où se forge la solitude de l'individu privé etl'aliénation à l'argent. Le bolchevisme est une version extrémiste dumarxisme, son interprétation la plus subjectiviste : les lois del'Histoire y sont un peu malmenées au profit de l'action révolution­naire ! Elles ne sont guère invoquées, depuis Octobre au moins, quecomme une justification de ce qui s'est accompli en leur nom.L'essentiel reste de construire un instrument politique révolution­naire, de conquérir le pouvoir et de le garder. A cet égard, lesbolchevistes veulent, comme les fascistes, mettre l'homme del'économie sous le contrôle de la volonté politique, c'est-à-dire duparti. Les uns et les autres prétendent abolir l'aliénation de l'hommemoderne à l'économie. Ils ne se détestent qu'à travers ce qu'ilshaïssent en commun, et dans la mesure où les régimes prônés parles uns paraissent aux autres la culmination des fléaux du libéralisme,et réciproquement. Mais ils partagent le même diagnostic surl'origine du mal: l'argent.

C'est le sens le plus profond du messianisme révolutionnairedans les deux cas, et le secret le mieux partagé par les contempo­rains : la passion antibourgeoise n'est jamaisbien loin dans le cœurde l'homme démocratique. Elle n'a que faire des subtilités philoso-

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phiques ou doctrinales pourvu qu'elle trouve à nourrir sa détestationdans des mouvements puissants qui parlent plus aux sentiments qu'àl'esprit; et même le bourgeois, personnage constamment divisé àl'intérieur de lui-même, n'échappe pas à la tentation d'éteindre enlui cette haine de soi. C'est par là qu'on peut comprendre que desphilosophies différentes ou contradictoires, devenues mouvementspolitiques, puissent s'alimenter aux mêmes passions, et être l'objetd'une sympathie indistincte: dans l'Europe des années trente, il n'estpas du tout rare de trouver des hommes, intellectuels en tête, quiadmirent à la fois Staline et Hitler. Ce type d'ambivalence estd'ailleurs ancien dans la culture politique européenne : auXIXe siècle, on déteste la bourgeoisie à la fois à partir de la droitearistocratique et à partir de la gauche socialiste. Le nouveau, auXXe siècle, tient à ce que la droite aussi est devenue révolutionnaire.

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Les communistes ont présenté lefascisme comme un moment de l'histoire du libéralisme. Vous dites,vous, que la grande invention du fascisme fut de rendre un projetrévolutionnaire à la droite. Doit-on opposer aussi fortement lesdeux approches de manière à les rendre inconciliables pour jugerce qui fonde l'émergence et l'expérience même du fascisme?

FRANÇOIS FURET - Les communistes ont analysé le fascismecomme le produit du libéralisme, à l'époque de la domination ducapital financier; non pas seulement un « moment» du libéralisme,mais son dernier stade : ce qui les a conduits parfois à ne pas tropdistinguer entre ses formes, puisque toutes les démocraties capita­listes sont grosses d'un « fascisme », Avant 1935, l'adjectif estcouramment employé par le Komintern pour désigner la Francebourgeoise, de droite ou de gauche, nationaliste ou pacifiste,Poincaré et Briand ensemble.

A l'inverse, pour les fascistes (italiens et allemands), c'est lebolchevisme qui est au bout du libéralismebourgeois, dont il partagel'optimisme historique et la vision d'une humanité maîtresse de lanature. En dehors même des nazis, c'est un des lieux communs dela pensée conservatrice allemande, avant et depuis la guerre de 1914,que ce mépris de « l'Occident », précurseur du communisme parson adoration de la productivité et son abandon au matérialismedes intérêts et des mœurs.

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Lecommuniste hait le libéralisme comme fourrier du fascisme,et le fasciste le déteste comme fourrier du communisme. On necomprend rien à l'économie des passions chez l'un et l'autre, si onne voit pas qu'au milieu de leur hostilité spectaculaire ils ont encommun un rejet radical de la démocratie bourgeoise (ou capita­liste). En un sens, l'un et l'autre, l'un contre l'autre, disent d'ailleurschacun la moitié d'une vérité : car fascisme et communisme sontbien deux produits potentiels du libéralisme parvenu à sa phasedémocratique, et sur sa droite et sur sa gauche. Mais « potentiels »

ne veut pas dire « nécessaires », L'illusion communiste consiste àtenir le fascisme pour un fruit inévitable du capitalisme avancé, etle mensonge fasciste tient dans l'universalisation intéressée de lamenace bolcheviste, attribuée au pourrissement de la démocratiebourgeoise. C'est la traduction doctrinale de la détestation quenourrissent les deux ennemis-jumeaux à l'égard du monde bour­geois. Elle ne les empêche pas de se haïr l'un l'autre, mais elle leurdésigne un adversaire commun, qu'ils ne nomment pas de la mêmefaçon, mais qu'ils espèrent chacun vaincre pour s'en approprier lesdépouilles: ce qui peut offrirun vaste terrain de manœuvre et mêmed'entente. Le cas classique, avant le pacte d'août 1939, est fournipar la chute de l'Allemagne de Weimar, dont communistes et nazisescomptent être les bénéficiaires, et à laquelle ils apportentensemble une contribution conflictuelle.

Non, les fascistes ne furent pas les instrumentsdu monde bourgeois

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Tous les historiens ne partagentpas cette thèse...

FRANÇOIS FURET - Les historiens hostiles à cette interprétationtirent leurs objections d'une reprise plus ou moins compacte de lathèse communiste, selon laquelle les mouvements fascistes sont nonseulement les produits du monde bourgeois, mais ses instruments :l'argumentation classique fait référence à la manière dont Mussolinid'abord, en 1922, puis Hitler, en 1933, ont été aidés dans leur

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conquête du pouvoir par le consentement d'une partie des milieuxdirigeants. Le fait est avéré dans les deux cas, bien qu'il ait étéexagéré, mais il n'a pas la signification qu'on lui a prêtée si souvent.Il ne traduit pas l'instrumentalisation des mouvements fascistes parles milieux capitalistes ou les politiciens bourgeois, mais bien plutôtl'aveuglement de ces milieux et de ces politiciens, que les fascistessoumettront au contraire à leurs volontés totalitaires.

Ce qui est à comprendre n'est pas que, par haine ou peur ducommunisme, des possédants ou des hommes politiques conserva­teurs aient pu faire les yeux doux àdes aventuriers fascistes; c'est queces aventuriers aient pu, préalablement, acquérir une influence politi­que considérable sur le peuple, et qu'ils se soient montrés ensuite siintransigeants sur leur refus de partager le pouvoir politique avecquiconque. Mussolini a été plus long qu'Hitler à imposer sa seulevolonté, mais, sans lui, l'Italie n'eût pas choisi en 1938 l'alliance avecHitler, qui scella son destin dans la Seconde Guerre mondiale.

Dans le cas d'Hitler, la démonstration a une clarté d'épure :aussitôt au pouvoir, le chancelier nazi impose par la terreur unerévolution qui lui donne le pouvoir absolu, et rien de ce qui suivra,qui va bouleverser l'Histoire, ne peut s'expliquer sans prendre encompte l'affreuse indépendance qu'il a conquise par la violence àl'égard des élites allemandes.

Considérée empiriquement, la thèse qui fait du nazisme leproduit du capital financier et d'Hitler l'instrument des trusts ou dumilitarisme allemand ne résiste pas à l'examen des faits: l'aidefinancière apportée au mouvement nazi n'a pas été aussi importanteque l'historiographie marxiste l'a prétendu. Et quant à faire d'Hitlerla marionnette des capitalistes, à qui faudra-t-il attribuer le massacredes Juifs? Considéré sous l'angle philosophique, ce type d'interpréta­tion fait voir une fois de plus le point aveugle de l'explicationmarxiste de l'Histoire. Le politique y est censé trouver son principed'intelligibilité dans l'économique et le social. Type d'interprétationqui avait posé à Marx des problèmes insolubles en ce qui concernela crise politique française du XIXe siècle (qu'on pense à sesvariations sur le bonapartisme), et qui fausse chez ses successeurstoute la compréhension du XXe siècle.

Le léninisme lui-même, pris comme doctrine politique,constitue à cet égard un démenti au marxisme de Marx puisqu'il

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a préconisé et effectué la prise du pouvoir d'Etat au nom de la classeouvrière dans le pays le moins « ouvrier » d'Europe; puis il aprétendu « construire le socialisme» ex nihilo, dans un monde dontle capitalisme n'en avait pas mûri les conditions. La critiquesociale-démocrate - Kautsky, Léon Blum - de la révolutionsoviétique ne dira pas autre chose; mais elle n'ira pas jusqu'à voirque le fait même que celle-ci ait eu lieu, née d'un accident del'Histoire (car si février 1917 peut être analysé comme nécessaire,ce n'est pas le cas d'octobre), remettait en cause la conception dupolitique chez Marx. Il en est de même pour les régimes fascistes,dont nulle «infrastructure» ne peut utilement rendre compte, et dontl'effrayant caractère est d'avoir été indépendants de la société oùils s'étaient formés : régnant sur elle, loin de lui obéir, ou mêmede l'écouter. Le marxisme aura atteint son apothéose de rayonne­ment dans le siècle où sa capacité d'explication aura été la plus faible.

En effet, l'époque peut être vue comme celle où s'imposa lapuissance du volontarisme politique, indépendant des circonstancesde sa naissance. Staline et Hitler, à travers le parti, possèdent unpouvoir total sur la société, transformée en brigades d'acclamation.Au-delà de leurs contradictions philosophiques, communisme etfascisme sont unis par le culte du pouvoir politique, la convictionque celui-ci peut tout faire, y compris et avant tout gouvernerl'économie. L'ambition en est inscrite dans la suppression de lapropriété privée, dans le premier cas; dans le second, le parti-Etatconserve ses capitalistes, mais les transforme, eux aussi, en sujets.Les deux types de régimes constituent comme deux tentationsextrêmes d'exorciser le déficitpolitique inséparable de la démocratielibérale. Ils forment deux réponses pathologiques à la vieillequestion de la nature du lien social dans un monde dominé parl'individualisme privé. Là est la source du totalitarisme, dans cetteangoisse de l'homme moderne devant l'énigme de la citoyenneté.

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Peut-on et doit-on distinguerfascisme et nazisme? Car sifascisme, nazisme et communisme onten commun le même adversaire, la démocratie, deux d'entre euxseulement, le nazisme et le communisme, ont pour particularitéd'avoir mis en œuvre des instruments d'extermination qui en ont

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fait des régimes tragiquement inédits. Le vrai couple « théorisable »

n'est-ilpas constitué par le nazisme et le communisme?

C'est le concept de totalitarismequi permet de distinguer entre nazisme et fascisme

FRANÇOIS FURET - La distinction entre fascisme et nazisme estnécessaire. Elle est d'ailleurs classique dans la littérature historique.Le fascisme italien n'a eu le caractère raciste et criminel du nazismeallemand ni dans ses intentions ni dans son développement. Bien qu'ilait été violent et répressif, et qu'il ait marqué profondément, ennégatif, l'histoire italienne, il n'y a pas pris l'allure d'apocalypse qu'aeue le nazisme dans l'histoire allemande et dans celle de l'Europe.Reste que c'est Mussolini l'inventeur d'un trait fondamental dufascisme, dont Hider fera bon usage : la récupération de l'idée derévolution au profit de la droite. Au XIXe siècle, la droite européenneest contre-révolutionnaire, et se trouve par là même prise dans lacontradiction de ne pouvoir se fixer d'autre but que la restaurationd'un « ancien régime» d'où la Révolution était née. Mussolini lui faitle cadeau d'un avenir, en lui apportant le bénéfice de l'idée révolu­tionnaire, tirée du fond socialiste, qu'il avait partagé avec Lénine.

Mais si l'on cherche à comparer les régimes, c'est bienl'analogie entre URSS stalinienne et Allemagne hidérienne quis'impose, même si Hider a pris pour modèle préféré Mussolini. Iln'y a rien dans l'histoire de l'Italie fasciste qui puisse être comparéà ce qui réunit les régimes d'Hitler et de Staline : les purges et laterreur à l'intérieur du parti, les camps, l'extermination de vastespopulations, le contrôle absolu du pouvoir sur la société. C'est cequ'essaie de cerner le concept de « totalitarisme »,

Ces comparaisons sont indispensables à l'intelligence histori­que du siècle, à condition de prendre garde, car comparer ne veutpas dire identifier. Ce qui les rend difficiles à conduire est, d'unepart, qu'elles ne se présentent pas de la même façon selon l'anglechoisi, soit qu'il s'agisse des philosophies, ou des passions, ou desmouvements, ou des régimes; d'autre part, que l'Union soviétiquea une durée relativement longue par rapport aux régimes fascisteou nazi, et que son histoire a comporté plusieurs phases distinctes.

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Enfin, l'analogie entre l'Allemagne d'Hitler et l'URSS de Stalinea été longtemps un sujet tabou en Europe, par suite de l'effetd'intimidation exercé par la victoire de la seconde sur la premièreen 1945.

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Permettez-moi de revenir sur maquestion: diriez-vous, comparant le régime nazi et d'autres régimesfascistes ou identifiés comme tels (franquisme, salazarisme), quele nazisme est un accident du fascisme ou qu'il peut procéder- pour tout ou pour partie - d'une autre logique?

FRANÇOIS FURET - Je pense que le nazisme est une des formeshistoriques, la pire, d'un genre qu'on a appelé le fascisme, sur unmot latin réinvesti d'un sens neuf par Mussolini. Je ne suis pas sûrpar contre qu'on puisse mettre dans la même famille le franquismeou le salazarisme, car il s'agit à mes yeux de régimes dictatoriauxplus traditionnels, c'est-à-dire contre-révolutionnaires, prenant appuisur l'Eglise, les propriétaires fonciers, l'armée, les forces réaction­naires classiques de l'âge prédémocratique. Hitler, lui, se réclamebeaucoup plus explicitement du précédent italien, et il est, commeMussolini, l'homme du parti, son leader charismatique. Tous les deuxsont des chefs fascistes de plein exercice, si je puis dire, c'est-à-diredes hommes d'aventure, ivres de leur pouvoir sur les masses.Pourtant, ils sont aussi très différents subjectivement, et Hitlerinfiniment plus démoniaque, plus mystérieux aussi. Objectivement,l'Italie d'un côté, l'Allemagne de l'autre leur font des rôlesincomparables : c'est en Allemagne que se sont accumulés lesmatériaux explosifs du siècle, de par la culture, de par la puissancede la nation.

Si bien qu'il y a eu des raisons proprement allemandes, endehors de la personnalité du peintre autrichien, à la tragédieexceptionnelle par sa profondeur qu'a été le nazisme. Le travailhistorique consiste à les démêler sans les transformer rétrospective­ment en nécessité: tentation très fréquente en l'occurrence, tantl'effondrement de 1945, accompagné de la vérité sur les crimes durégime, et entouré de la réprobation universelle, apparaît commeune fin de l'histoire allemande. Il nous est devenu difficile d'imaginerque des effondrements historiques de cette dimension puissent tenirà autre chose qu'à de profondes contradictions, dont ils forment

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l'inévitable aboutissement. L'historien doit y rétablir pourtant la partde l'accident : le rôle joué par le personnage Hitler, par exemple.

Nazisme etcommunisme :une absencede dénonciation etde compréhension immédiates

liée àdes raisons différentes

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Tout autant dans le cas dunazisme que dans celui du stalinisme, on estfrappé d'un fait: lesgens ne savaient pas, ou, s'ils savaient, n'étaient pas entendus.Pourquoi?

FRANÇOIS FURET - Je crois qu'il faut dissocier les deux cas sousce rapport. Le nazisme est une idéologie antiuniversaliste, si bienqu'il y a eu peu de nazis hors d'Allemagne (à l'exception desminorités allemandes à Dantzig, dans les Sudètes, en Autriche ...). Dèslors, la vérité sur la dictature d'Hitler (l'incendie du Reichstag, la Nuitdes longs couteaux par exemple) a été largement sue et commentéeen Europe. Si la persécution antisémite l'est moins, c'est que l'anti­sémitisme y est largement partagé un peu partout, et que les opinionspubliques ont sur le sujet des réactions très différentes de ce qu'ellessont devenues aujourd'hui. Pendant la guerre, quand ont lieu lesgrands massacres collectifs, entre l'été 41 et l'été 44, le mêmesentiment continue sûrement à jouer, accompagné de l'abaissementdevant la force, mais il faut immédiatement ajouter que la dimensiondes crimes nazis a été largement ignorée jusqu'au printemps de 1945,au moment où les armées alliées ont libéré les camps. Encore la naturedu génocide juif a-t-elle été plus longue encore à pénétrer lesconsciences, pour des raisons que je tente d'expliquer dans mon livre.

Le cas de l'URSS est différent. Le communisme soviétique s'estenveloppé dans une idéologie universaliste de filiation démocrati­que qui « protège» la réalité historique de la force d'une foi partoutprésente: il y a des communistes dans tous les pays du monde. Cettecroyance universaliste en l'histoire, sous étiquette soviétophile,s'avère extrêmement adaptable à des traditions culturelles diverses:elle enchante les jacobins, séduit les chrétiens, regroupe les ennemis

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du monde bourgeois, à commencer par les intellectuels, plait mêmeaux libéraux face au fascisme.

Car les circonstances y ajoutent leur contribution : la grandedépression du capitalisme des années 1930, l'avènement d'Hitler,la victoire finale de l'armée Rouge sur le nazisme. L'extraordinaireperformance de mensonge réussie par l'Union soviétique au coursdu siècle s'explique moins par l'excellence de la propagande duKomintern et de Moscou - encore que cette excellence ait existé ­que par la force de la mythologie révolutionnaire dans les espritsdes hommes en ce siècle; cette force, en plus, a bénéficié decirconstances favorables, dont les principales sont les deux guerresmondiales. Rien que ça!

PASCAL BESNARD-RoUSSEAU - Contrairement au nazisme, lecommunisme a lui-même révélé ce qu'il était (ou avait été: rapportKhrouchtchev). Vous avancez que ce rapport, parce qu'il condam­nait des déviations, permettait de sauver l'essentiel : le commu­nisme. Or, ce rapport, notamment en France, a été dénoncé commeun faux. Sachant ce qu'a été, longtemps après 1956, le poidsélectoral du PCp, peut-on dire ce que ce refus de reconnaître lerapport Khrouchtchev a contribué à préserver l'illusion commu­niste en France (avant de la (( tuer )) )) sans doute à terme,contrairement à ce que nous apprend l'exemple italien).

FRANÇOIS FURET - Le rapport Khrouchtchev n'a pas prétendurévéler ce qu'avait été le communisme. Il a dénoncé des déviationsdu communisme, en préconisant le retour aux origines; Léninecontre Staline. De la sorte, il a voulu en sauver le principe en faisant,comme on dit, la part du feu. Il y a réussi pour un temps, en donnantvie à une nouvelle version du communisme, débarrassée de sa formela plus dogmatique à l'extérieur, et des formes les plus extrêmesde la terreur, à l'intérieur. En ouvrant une lutte d'influences àl'intérieur de l'univers communiste, il a multiplié les visages ducommunisme et donné corps à l'espoir d'une réconciliation ducommunisme et de la liberté (Kadar, Togliatti, Dubcek), tout enmaintenant le principe intangible de la supériorité principielle ducommunisme sur le capitalisme. En fait, cette réconciliation n'ajamaispu se produire, et le régime soviétique a toléré le nationalisme(Ceaucescu), mais non la liberté (Dubcek) : Gorbatchev en a

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administré la dernière démonstration. Mais il reste que Khroucht­chev, au XXe Congrès, a bien donné une espèce de deuxième souffleau communisme soviétique, au prix, il est vrai, de la délégitimationcoûteuse de Staline.

Les chefs communistes français ont résisté un temps à ladénonciation de Staline parce qu'ils avaient été parmi les plus zélésdans le« culte de la personnalité », A moyen terme, ils ont dû céder,car le système international, dont ils étaient un des élémentsessentiels à l'Ouest, dépendait toujours étroitement de Moscou. Maisils ont probablement été parmi les premiers à sentir que le mondecommuniste, à si forte teneur idéologique, ne pourrait pas résisterdans le long terme à l'ébranlement créé par le XXe Congrès. Surce point, leur nostalgie cachée du stalinisme était lucide.

Le communisme après Staline :le tempsdes substitutions sociales et territoriales

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Après la remise en cause del'illusion soviétique, l'idée communiste a pris corps dans d'autresdiscours non européens.' castrisme, maoïsme. S'agissait-il de lamême idée, de son dernier avatar?

FRANÇOIS F~T - Il me semble que oui. Le maoïsme et lecastrisme, tels qu'ils sont vécus à Berkeley, à Paris, à Berlin ou àRome, sont une dénégation du rapport Khrouchtchev par lesétudiants de l'Ouest. Il s'agit de repartir dans une utopie dure, encoreintacte, à l'abri des tragédies de l'histoire soviétique. SiKhrouchtcheva ouvert la voie à un communisme révisionniste, il a aussi abandonnéle terrain du maximalisme révolutionnaire à son rival Mao. Lescirconstances ont changé à l'Ouest par rapport à l'âge d'or dustalinisme : non seulement à cause du rapport Khrouchtchev, maisaussi parce que vingt ans ont passé depuis la guerre, et que laprospérité économique a commencé à transformer les vieillesdémocraties. Les ouvriers, quand ils ne sont pas fidèles à leurs partiscommunistes, penchent plus vers l'intégration sociale que vers larévolution, C'est désormais à des secteurs de la population étudianteque Mao et Castro, ou Guevara, offrent des territoires de substitution

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pour y loger l'espoir de la société nouvelle. Cette aventure n'a pasencore trouvé son historien, et je suis moi-même passé trop vitesur cet épilogue de l'histoire de l'idée communiste, que je n'ai pasétudié avec le soin du détail qu'il mériterait. Les révoltes étudiantesdes années soixante, en Occident, mêlent des idées et des désirscontradictoires : on peut voir à la fois l'individualisme hédonistetriomphant, le dégoût de la société de consommation naissante, ledandysme situationniste et le crépuscule exotique d'un néo­stalinisme. Peut-être, d'ailleurs, ce mot de « crépuscule» est-il tropfort, si l'on songe que l'anticommunisme n'a jamaisété plus vivementcondamné dans les milieux étudiants et universitairesde l'Ouest quedans les années soixante-dix et même quatre-vingt.

Le succès remporté par l'Archipel du Goulagen France (maisen France surtout) n'empêche pas que renaisse, à la même époque(1975), un brusque regain de messianisme révolutionnaire àl'annonce de l'évacuation forcée de la population de Phnom Penhpar les Khmers rouges : les manifestations attestées d'un des grandsmassacres du siècle sont célébrées ici et là, y compris dans la pressela plus sérieuse, comme le début d'une grandiose expérience sociale.

S'être trompé et ne pas se repentir?

PASCAL BESNARD-ROUSSEAU - Vous êtes l'un des rares ancienscommunistes à adjoindre au regret intellectuel (s'être trompé) leregret moral (se repentir). Comment expliquez-vous cela? Cetteabsence de repentir ne tient-elle pas au fait que l'engagementcommuniste était d'abord fondé sur une indéniable générosité?

FRANÇOIS FURET - Le communisme a formé un mouvementdont les fidèles partagèrent une foi très vive, mais aussi trèsvulnérable, puisque suspendue à l'Histoire: de là vient qu'il y a eu,entre 1917 et Gorbatchev, de si nombreux anciens communistes.Tous n'ont pas eu le sentiment d'avoir commis une grosse erreur :certains s'en sont écartés par lassitude, d'autres ont continué à voterpour les hommes de leur ancienne église après l'avoir quittée,comme pour les moins mauvais des candidats; d'autres conserventun faible pour l'enthousiasme qui les a aveuglés, d'autres enfin ne

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sont pas plus doués pour l'analyse après qu'avant. Parmiceux d'entreeux qui ont voulu approfondir les causes de leur engagement etde leur reniement, quelques-uns ont écrit des livres qui sont parmiles œuvres les plus intéressantes sur le communisme : Souvarine,Kœstler par exemple. Il me semble que le repentir moral n'en estpas absent, à côté de la lucidité politique retrouvée.

Pourtant, vous avez raison dans l'ensemble. Chez les ancienscommunistes, le sentiment de l'erreur est plus répandu que laconscience d'une faute. S'ilen est ainsi, c'est peut-être d'abord parceque l'erreur communiste comporte ceci de particulier, qu'elles'inscrit dans le nihilisme moral. De l'universalisme démocratique,le marxisme, a fortiori le marxisme-léninisme, supprime la viséemorale en faisant du mouvement de l'Histoire l'instrument de laréalisation. Il lui substitue une sorte de religion de l'accompli (cequi est est ce qui doit être), qui probalement survit, dans denombreux cas, à l'abandon de la croyance politique proprement dite.Le repentir est un sentiment qui ne trouve pas facilement sa placedans la panoplie de l'analyse historique moderne.

Et puis, il y a ce que vous dites : la foi communiste continueà bénéficier, malgré les tragédies des régimes communistes, de lafinalité universaliste qu'elle a prétendu servir. Si bien qu'en fin decompte, et en dépit de sa doctrine, le communiste ou l'ex­communiste tire sa défense de ses intentions, sans voir qu'il retombede ce fait dans quelque chose comme le pharisaïsme bourgeoisvilipendé par Marx : déguisant la réalité de ses actes dans la puretéde ses sentiments.

Lui-même, d'ailleurs, peut être dupe de ce système à doubleentrée, conservant un fond traditionnel de moralité à l'intérieur d'ununivers prétendument scientifique : de là vient sa capacité aurepentir, qui est le ressort existentiel, même quand il n'est pasexprimé, dans les meilleurs livres écrits sur le communisme pard'anciens communistes. J'observe d'ailleurs qu'il n'y a pas dephénomène comparable dans la littérature sur le fascisme, où lacontribution des anciens fascistes est négligeable.

François FuretPropos recueillis par Pascal Besnard-Rousseau

©François Furet

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