Communications paradoxales et conflit intérieur : analyse ...
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ÉL YSE BRUNEAU
COMMUNICATIONS PARADOXALES ET CONFLIT INTÉRIEUR: ANALYSE DE LA PIÈCE GRAND-PEUR ET MISÈRE DU IllE REICH
DE BERTOLT BRECHT
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en Littérature .et arts de la scène et de l ' écran pour l'obtention du grade de maître ès arts (M.A)
DÉPARTEMENT DES LITTÉRATURES FACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LA V AL QUÉBEC
2009
© ÉLYSE BRUNEAU, 2009
RÉSUMÉ
Ce mémoire présente une analyse de l'aspect comportemental des personnages de la
pièce Grand-peur et misère du Ille Reich dans le contexte sociopolitique où l'auteur BertoIt
Brecht les fait évoluer, afin de mieux comprendre ce qui pousse, ou plutôt ce qui semble
obliger les personnages à adopter des comportements contradictoires. Dans un premier
temps, c'est grâce aux concepts empruntés à la pragmatique de la communication qu'il nous
est possible de décortiquer l'ensemble des situations de communication développées dans la
pièce afin de déterminer les règles, ou lois communicationnelles auxquelles doivent se
soumettre les personnages. Puis, la combinaison de ces résultats nous permet de déterminer
deux modèles interactionnels représentatifs de la dynamique communicationnelle adoptée
entre les personnages ; deux modèles interactifs en totale opposition et ayant pour
répercussion directe de déstabiliser l'ensemble du système illustré par l'œuvre, créant ainsi
un environnement dans lequel les personnages agissent et évoluent de manière paradoxale.
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Irène Roy, ma directrice, qui tout au
long du processus, a toujours su m'appuyer et me conseiller judicieusement dans mes
recherches. Merci Irène pour l'intérêt constant que tu as porté à la réalisation de ce
mémoire.
Un grand merci aussi à Mme Chantal Hébert et M. Alain-Michel Rocheleau pour
avoir lu attentivement la première version de ce manuscrit ; vos observations ont permis
d'améliorer grandement mon travail.
Et pour terminer; merci à ma mère, Pauline Bergeron, pour sa générosité et ses
encouragements~ à mon mari, Jean-Charles Perron, pour son support et sa grande patience.
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ ............ · ..................................................................................................................... 2
REMERCIEMENTS ............................................................................................................... 3
INTRODUCTION ................................................................................................................... 6
CHAPITRE 1 : « La société allemande sous le Ille Reich» : portrait d'un peuple soumis au règne fasciste d'Hitler ....................................................................................................... 1 0
Le peuple allemand des années 1920 : une société« sectionale », une passion d' unité .. 10 Les S.A. et les S.S. : le contrôle par la terreur .................................................................. 12 La question juive: de l'antisémitisme vers la solution finale ............................... ........... 15 La passivité du peuple allemand: terreur policière ou antisémitisme héréditaire ? ........ 17 Prélude à l'extermination: le cas des infirmes et des malades mentaux ......................... 18 « Tribunal spécial» : à la recherche du droit et de la justice ........................................... 19 La délation: la crainte au quotidien .................................................................................. 20 La résistance: l'alliance des rebelles ............................................................................... 21 Les camps de concentration: une rumeur qui entretient le sentiment de terreur ............. 21 Figuration de la communauté: « Un Peuple, un Empire, un Chef.» ................................ 22 La classe ouvrière: « Tu n'es rien, le peuple est tout. » .................................................. 25 La Jeunesse hitlérienne: le « fanatisme» dont rêvait Hitler ............................................ 28 La radicalisation: vers un pouvoir total~ .......................................................................... 30
CHAPITRE 2 : « Grand-peur et misère du Ille Reich» : dans la ligne de pensée du théâtre épique ............................................................................... ,' ........................................ 32
Théâtre des événements: pour une transposition de la vie par la narration du réel. ........ 32 Théâtre épique: vision didactique, préoccupation communicationnelle et pédagogie de conscientisation ............................................................................................................ 35
La démarche dialectique ................................ : ............................................................. 36 Les procédés formels ................................................................................................... 38 Pour une réforme par la conscientisation ..................................................................... 41
Problématique de recherche: communications paradoxales et conflit intérieur .............. 41
CHAPITRE 3 : Approche théorique et méthodologique : pour une vision pragmatique de la communication ............................................................................................................. 47
Microanalyse : recherche sur la forme des situations de communication ........................ 49 Mise en représentation : Scène et Coulisse .................................................................. 50 La notion de position dans l'interaction: relation de type symétrique ou complémentaire ............................................................................................................ 53 L'orchestration de la communication: la ponctuation des échanges .......................... 56 Répercussion sur le système de communication: la rétroaction ................................. 57 Discours sur le contenu et la relation: la métacommunication ................................... 59 Paradoxe pragmatique: situations de communication paradoxale .............................. 60 Connaître les règles du jeu: les redondances .............................................................. 64
L' être social en interaction avec son environnement. ... .................................... ................ 66
CHAPITRE 4 : Microanalyse de « Grand-peur et misère du Ille Reich» : démonstration analytique et redondances pragmatiques ............................................................................... 68
Microanalyse : La croix blanche ...................................................................................... 70 Ne jamais dire ce que l'on pense vraiment: commentaires et observations ............... 79
Microanalyse : À la recherche du droit. ........................................................................... 80 Ne pas chercher à connaître la vérité: commentaires et observations ........................ 91
Microanalyse : La femme juive ........................................................................................ 92 Ne plus vouloir combattre et se résigner: commentaires et observations ................... 99
Microanalyse : Le mouchard .......................................................................................... 101 Ne jamais faire confiance à personne: commentaires et observations ...................... 1 07
Redondances pragmatiques: règles de communication et contraintes sociales ............. 1 09 Eri Coulisse: un exutoire à l'oppression hitlérienne ................................................. 1 09 En Scène: un jeu communicationnel qui prend le pas sur la volonté des personnages ................................................................................................................ 111 Un fonctionnement basé sur le dysfonctionnement. .................................................. 114
« Grand-peur et misère du Ille Reich» : mise en représentation de l'échec communicationnel d'une nation ...................................................................................... 115
CONCLUSION ................................................................................................................... 118
ANNEXE ............................................................................................................................. 122
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. 146
INTRODUCTION
Quand je considère où m'a conduit la participation enthousiaste, et en quoi m'a servi la volonté renouvelée d'examen, de ces deux attitudes je conseille la dernière. Si je m'étais abandonné à la première, j ' habiterais encore
_ ma patrie, mais comme en ce cas je n'aurais pas adopté la seconde, je ne serais plus un honnête homme.
Bertolt Brecht, Écrits sur la politique et la société, p.140.
L'homme de théâtre Bertolt Brecht · (1898-1956), par ses œuvres à la fois
dramatiques, scénographiques, théoriques et critiques, a grandement participé à l'évolution
et à l'avancement du théâtre moderne en occident. Il invite les spectateurs, par l'entremise
des procédés de distanciation et de gestus social, à poser un regard analytique sur «les
comportements des hommes les uns envers les autres] », pierre angulaire de son théâtre, et à
se questionner sur les origines et sur les lois, logiques ou illogiques, qui induisent ces
mêmes comportements sociaux. Cette forme de théâtre baptisée «épique» par son
fondateur, mais aussi qualifiée de «pédagogique» par nombre de chercheurs et
d' analystes2, déploie également au cœur de son approche didactique la notion de
contradiction. C'est cette notion omniprésente dans la dramaturgie brechtienne qui, à la
lecture de la pièce Grand-peur et misère du Ille Reich, a su particulièrement retenir notre
attention.
1 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.61. 2 Nous pensons entre autres à Bernard Dort, Lecture de Brecht: augmentée de Pédagogie et forme épique, et à Jean-François Chiantaretto, Bertolt Brecht: Penseur intervenant.
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De cette pièce extrêmement riche en communication paradoxale est alors né le
questionnement suivant: pourquoi les personnages adoptent-ils en société des
comportements inverses à ce que leur dictent leurs désirs, leur conscience, leur volonté
propre? En somme, notre mémoire de maîtrise a pour objectif, à travers une analyse
exhaustive de l'aspect comportemental des personnages ainsi que de l'environnement et du
contexte sociopolitique dans lequel l'auteur les fait évoluer, de mieux comprendre ce qui
pousse, ou plutôt ce qui semble obliger les personnages, à agir de manière contradictoire.
Afin de résoudre cette problématique, nous emprunterons, pour la constitution de notre
approche méthodologique, aux théories portant sur l'étude de la pragmatique de la
communication ; voie d'analyse issue du courant de recherche appelé la Nouvelle
communication ou l'École de Palo Alto et encore très peu exploitée en ce qui concerne les
recherches portant sur la dramaturgie brechtienne. En effet, c'est Alain-Michel Rocheleau,
professeur de littérature au Departement of French, Hispanic and Italian Studies de
l'Université de Colombie-Britannique, qui, au début des années 1990, fut le premier à
aborder le théâtre épique sous cet angle et à formuler une méthode d'analyse qu'il a
appliquée dans l'élaboration de sa thèse de doctorat à la pièce Homme pour Homme.
C'est en grande partie à l'aid~ de ses travaux, mais également par l'emploi d'autres
notions théoriques empruntées à l'étude de la pragmatique de la communication, que nous
tenterons de déceler quels sont les éléments présents au sein des situations de
communication organisées par Brecht dans la pièce Grand-peur et misère du Ille Reich qui
induisent les comportements paradoxaux chez les personnages, qui entraînent des actes très
souvent posés contre leur volonté, créant de ce fait une scission qui divise leur êtr~ entre ce
qu'ils voudraient faire et ce qu'ils doivent faire. Mais avant de couvrir spécifiquement
l'examen des sources de cette scission interne, que nous appellerons dans le cadre de notre
étude le conflit intérieur, nous procéderons à l'établissement et à la description des données
à la fois historiques, idéologiques et théoriques qui sont à la base de notre problématique de
recherche ainsi que de notre démarche analytique.
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De cette façon, le premier chapitre dressera le portrait historique, social et politique
de l'Allemagne des années 1930 sous le règne dictatorial d'Hitler, portrait dont s'inspire
Brecht dans sa pièce Grand-peur et misère du Ille Reich, œuvre entièrement documentée et
qui couvre plus précisément les années 1933 à 1938. Ce panorama nous permettra de
relever les faits historiques marquants, incluant les principaux passages et les
renversements survenus durant la montée du nazisme, ainsi que .les nombreuses
conséquences qu'ils ont engendrées sur le peuple allemand. Nous en profiterons pour
établir des liens entre les événements et leurs répercussions dans la pièce à l'étude, sans
toutefois perdre de vue qu'il. s'agit d'une œuvre fictive.
Parallèlement" le deuxième chapitre aura pour visée de mettre en lumière les grands
P!incipes de la pensée de Bertolt Brecht ainsi que sa prise de position contre les politiques
fascistes qui sévissent en Europe et qui briment les droits et libertés des hommes. Nous
verrons que son objectif ultime « d'éveil des consciences» par la transposition sur scène
d'une réalité quotidienne outrageuse, mais non immuable, sur laquelle l'homme a plein
pouvoir d'intervention ainsi que la faculté d'en modifier les codes, passe par la définition
de ses concepts moteurs tels que la distanciation et le gestus social. Nous introduirons, en
dernière phase de ce chapitre, notre propre «volonté renouvelée d'examen» par la
présentation détaillée de notre problématique et de notre démarche de recherche3•
Puis, au troisième chapitre, suivra une description de l'ensemble des concepts
empruntés à la théorie de la pragmatique de la communication, soit ceux de Scène et de
Coulisse, de type de relation, de ponctuation ,des échanges, de rétroaction, de
métacommunication et de communication paradoxale4• Ces notions, tirées des écrits
3 Nous référons le lecteur aux pages 38 à 40 du ~hapitre 2 pour les définitions des concepts de théâtre épique, de distanciation et de gestus social. 4 Nous référons le lecteur aux pages 50 à 64 du chapitre 3 pour les définitions des concepts empruntés à la théorie de la pragmatique de la communication.
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d'Erving Goffman, d'Alex Mucchielli ainsi que de Paul Watzlawick et autres, sans oublier
ceux d'Alain-Michel Rocheleau, seront appliquées dans le cadre de la microanalyse de la
pièce, le coeur de notre étude, afin de décortiquer l'ensemble des situations de
communication présentes dans chacun des vingt-quatre tableaux, d'en relever les
principaux mécanismes d'interaction et ainsi illustrer de quelle faço"n s' opèrent les
échanges entre les personnages. Une fois cette phase de recherche complétée, il nous sera
possible de prélever les récurrences, ou re~ondances pragmatiques, qui reflètent en somme
les règles de relation auxquelles doivent se soumettre les personnages en situation de
communication, et de dresser en fin de parcours les modèles d'interaction les plus
fréquemment développés au sein de la pièce de Brecht.
Finalement, le quatrième et dernier chapitre de notre mémoire consistera en une
démonstration de notre approche analytique par la présentation détaillée des microanalyses
effectuées sur quatre des tableaux de Grand-peur et misère du Ille Reich. Nous passerons
ensuite au repérage des redondances pragmatiques qui renvoient aux lois
communicationnelles instaurées par le contexte de l'interaction et qui, une fois combinées,
établiront les deux modèles interactionnels les plus représentatifs du comportement des
personnages en situation de communication. Ainsi, nous serons en mesure de synthétiser
nos informations tout en dressant le schéma global de l' œuvre organisée par Brecht. En
effet, par cette compilation des résultats finals, nous serons à même d'identifier clairement
les principales caractéristiques de la dynamique communicationnelle établie entre les
personnages et qui a pour répercussion directe de déstabiliser l'ensemble du système
illustré par l'œuvre, créant · ainsi un contexte de vie dans lequel les personnages agissent et
évoluent de manière contradictoire. Nous espérons aussi que notre analyse saura contribuer
à la compréhension des procédés de distanciation, de gestus et du phénomène de
contradiction qui soutiennent la construction du personnage dans l' œuvre dramatique de
Brecht et, de surcroît, qu'elle pourra éclairer éventuellement l'acteur dans son approche
constructive de ce type de personnage.
CHAPITREl
« La société allemande sous le Ille Reich» : portrait d'un peuple soumis au règne fasciste d'Hitler
L'Allemagne, notre patrie, s'est transformée en un peuple qui compte deux millions de mouchards et quatre-vingts millions de
mouchardés. Sa vie s'identifie au procès qui lui est fait. Elle ne comporte que des coupables.
Bertolt Brecht, Écrits sur la politique et la société, p.191.
Le peuple' allemand des années 1920 : une société «sectionale », une passion d'unité
Quel type de société formait le peuple allemand avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir?
À cette question, les recherches sur la désintégration de la société weimarienne nous
illustrent le peuple allemand comme une nation qui, pour ne pas «se laisser réduire en
grain de sables» suite à la défaite de 1918, s'était plutôt regroupée, de manière instinctive,
en plusieurs collectivités autonomes, soit par professions, tranches d'âge, sexes, localités,
etc. En somme, dès cette époque, on pouvait qualifier cette société de « sectionale6 ».
Cependant, devant les déficiences de ce que décrit Pierre Ayçoberry, auteur de La société
allemande sous le Ille Reich: 1933-1945, comme des «solidarités partielles7 », et sans
chef, sans tête dirigeante pour les encadrer, toute cette fragile organisation fut emportée par
un profond désir d'unification. D'abord les femmes qui, déroutées et embarrassées devant
le nouveau modèle de la « femme moderne », ne cherchaient plus qu'à comprendre le rôle
qu'elles devaient tenir par rapport à leur famille et dans le reste de la société. Les jeunes
5 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.78. 6 Terme employé par l'auteur Pierre Ayçoberry pour qualifier de divisée, de fractionnée la société allemande de cette époque. 7 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.78.
Il
hommes eux, de fiers anciens combattants ou au contraire rabaissés du fait de ne pas l ' avoir
été, entretenaient « un idéal de virilité belliqueuse8 », pendant que les paysans, s' insurgeant
contre la modernisation de la grande ville, défendaient « la supériorité du Sol et du Sang9• »
Parallèlement à eux, les cadres, les techniciens en usine ainsi que leurs employés, aspirant à
jouer un rôle pivot dans l'économie, rêvaient du jour où le progrès technique se
synthétiserait aux traditions. Finalement, le personnel hospitalier, devant la trop grande
charge de travail et l'insuffisance des effectifs, entamait un travail de tri entre les «dignes »
et les «indignes ». Tout cet amalgame de requêtes, parfois complémentaires, parfois
contradictoires, qui en somme ne faisaient qu'illustrer à la fois un profond désir, mais aussi
un profond manque d'organisation, amena les hommes politiques à déplorer l'absence d' un
chef qui guiderait l'ensemble des collectivités vers cette fusion dans un grand « Tout », ve.rs
un nouvel ordre social, vers une société égalitaire et fraternelle.
Or, le Parti national-socialiste allait, à première vue, à la rencontre de toutes ces
espérances: la création de programmes et de regroupements spécialisés qui réuniraient et
répondraient aux intérêts « sectionals », et pour ceux et celles qui regrettaient une unité
perdue, ,l'engagement à fonder de nouveau, sur des bases solides, une véritable
communauté qui, tel que spécifié par Hans Mommsen, « établirait un équilibre social [ ... ] et
abolirait les opp'ositions de classes. lo » Bref, son « leader» se révélait comme étant le chef
si attendu, et la population semblait déterminée à le suivre dans 'cette seule voie qui
permettrait enfin de dire non à la situation actuelle et d'y mettre un terme: «un monarque
et sa suite de fidèles Il.>> Mais comme le démontre Ayçoberry, « Hitler "savait articuler ce
que ses auditeurs souhaitaient à demi consciemment", au point de reléguer dans la
pénombre, quand nécessaire, des thèmes qui lui tenaient particulièrement à cœur, comme la
haine des Juifs ou le rêve de l'espace vital. Une fois placés devant les réalités du pouvoir,
8 Ibid. , p.78. 9 Ibid. , p.78. 10 Hans Mommsen, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.141. 11 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.79.
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le Führer et son Parti n'eurent qu'à transposer les méthodes qUI leur avaient si bien
De cette manière, il est possible d'affirmer que la construction du mythe, de l'image
d'Hitler, n'est que le résultat de l'addition de trois éléments importants: l'autosuggestion,
une fabrication délibérée et son acceptation quasi unanime. Si bien que dans la nuit du 30
janvier 1933, à peine nommé chancelier, Hitler pouvait enfin démontrer à l'opinion
« encore publique» .et ce, en lâchant ses guerriers S.A. dans les rues lors de la marche aux
flambeaux 13, que sa prophétie se réaliserait enfin: «Faire comprendre au marxisme [qui
regroupait à la fois les communistes, aussi appelés les « rouges », et les socialistes] que le
national-socialisme était le maître futur de la rue, et qu'il serait un jour le maître de
l'État I4.>> La vraie nature du nouveau pouvoir se révélait enfin. Est-ce que le national
socialisme était réellement le Parti qui incarnerait les espérances du peuple?
Les S.A. et les S.S. : le contrôle par la terreur
Ayçoberry nous explique que les S.A., ou la « section d'assaut », troupe en uniforme
mais sans arme, avaient pour vocation officielle de protéger les «meetings» du Parti
national-socialiste, tâche, soit dit en passant, légèrement en contradiction avec le titre qui
leur était accordé. Le recrutement de base des S.A. se faisait dans les milieux prolétariens,
en majeure partie chez les ouvriers et les chômeurs âgés pour la plupart de moins de trente
ans. Jeunes, pauvres, opportunistes, désœuvrés, volontaires, célibataires, anciens
combattants, tous avaient pour «motif[s] essentiel[s] de leur adhésion [ ... ] une sensation
d'impuissance [qui] ne pouvait être compensée que par un emploi démonstratif de la
force l5 » ainsi qu'une fascination pour « la personne du grand Chef, et plus encore par
l'atmosphère de solidarité virile et haineuse qui régnait dans les auberges S .A. 16 ». En
12 Ibid., p.79. 13 Le tableau d'ouverture de la pièce de Brecht, intitulé Communauté nationale, fait d'ailleurs état de cette marche aux flambeaux des officiers S.A. suite à la nomination d'Hitler au pouvoir. 14 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.26. 15 Ibid. , p.28. 16 Ibid. , p.28.
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contrepartie, la majorité ne se montrait nullement intéressée par le programme politique du
Parti.
Durant les premiers mois de l'arrivée d'Hitler au pouvoir, le nombre d'adhérents
passa d'environ 500 000 ou 600 000 à près de 3 millions. Grâce à cet effectif toujours
grandissant, les rues furent rapidement conquises, et la propagande, maintenant officielle,
qualifia publiquement de « saisie du pouvoir l7 » le pourquoi de la présence des S.A.. Mais
concrètement, quelles étaient leurs véritables fonctions, quelles tâches devaient accomplir
les S.A. ? Premièrement, il y avait le terrorisme d'État, une stratégie de pouvoir. Hermann
Goering, numéro deux du régime nazi, en engagea plusieurs milliers qu'il baptisa
«policiers auxiliaires», équipes dont l'instinct violent devait écraser les derniers
défenseurs du «Droit» pour ramener leurs principaux dirigeants dans leur rang. Leur
seconde tâche, décrite ici par Gilbert Badia dans son ouvrage intitulé Ces Allemands qui
ont affronté Hitler, «consistait à lutter contre les opposants politiques (communistes,
sociaux-démocrates)l8 », puis contre les syndicats. Évidemment, sur la liste des gens à
persécuter, pour ne pas dire à abattre, figuraient aussi les militants catholiques, les Polonais
ainsi que les Juifs. Bagarres dans les rues, arrestations, tortures dans de multiples locaux et
de vieilles usines, surnommés alors «camps sauvages» (premières ébauches des futurs
camps de concentration), et assassinats, voilà les différents moyens employés par les S.A.
pour une « saisie du pouvoir» comme le disait Hitler. L'auteur de Grand-peur et misère du
Ille Reich s'inspire de cette extrême violence et du contrôle par la terreur qu'exerçaient les
S.A. sur la population pour plusieurs de ses tableaux, dont La caisse (tableau 14) ainsi que
La croix blanche (tableau 3).
Pour leur part, les S.S., « un des piliers du régime hitlé~ien 19 » qui, comme le précise
Marlis G. Steinert dans L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, «incarne parfaitement la
17 Ibid., p.29. 18 Gilbert Badia, Ces Allemands qui ont affronté Hitler, p.29. 19 Marlis G. Steinert, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.96.
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conception nazie du Parti» et de ce fait « évoque le nazisme dans toute son horreuro »,
étaient eux soumis lors de leur recrutement à une sélection et une formation beaucoup plus
poussées. Destiné aux commissariats de police, aux bureaux, aux casernes ainsi qu'aux
camps, ce «type d'homme, l"'homme [mâle] S.S."21 », devait démontrer, à son examen
d'entrée, «ses capacités sportives, son innocence politique [ainsi qu'] un minimum
d'instruction (par une dictée de trois lignes !)22 », sans oublier de devoir « prouver hi pureté
raciale de [ses] ancêtres en remontant d'autant plus loin dans le passé qu'il occupe une
fonction élevée.23 » Mais comme le rappelle Pierre Ayçoberry, il faut dire que, sur ce
dernier point, les examinateurs pouvaient parfois fermer les yeux devant certains cas
douteux, ceux -ci étant parfaitement conscients de l'inanité de leurs critères
pseudobiologiques.
L'homme de base S.S., le petit « sous-officier », plus souvent qu'autre chose enrôlé
dans la section des «Têtes de Mort» (section responsable entre autres des camps de
concentration) pouvait être décrit, selon les propos de l'auteur de La société allemande sous
le Ille Reich: 1933-1945, de la manière suivante: « des ratés de la vie civile auxquels le
système de formation aurait incorporé une ossature artificielle; une gestuelle mécanique
devant symboliser la raideur morale ; dans l'esprit quelques concepts fixes, recouvrant mal
des pulsions souterraines ; "sadisme de dressage et masochisme de caserne" hérités de
l'entraînement (drill)24.» Ce portrait classique se complète par un devoir, une obéissance
militaire S.S., ou plutôt une soumission au national-socialisme. Leur formation idéologique
ainsi que leur sens critique étaient demeurés sous-développés. C'était une formation
physique et psychologique, forgée par la vision de leur chef, qui leur avait inculqué ce
comportement mécanisé. Et pour compléter « l'assemblage» du S.S., l'implantation d'un
20 Ibid., p.96. 21 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: /933-1945, p.42. 22 Ibid., p.42. 23 Michael Pollak~ L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.191. 24 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, pA3.
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sentiment de persécution par « les forces mauvaises25 » que seule une épuration complète et
permanente serait capable d'éliminer et de mener vers une " société nouvelle et stable.
Communistes, marxistes, noirs, handicapés mentaux, juifs, tsiganes, homosexuels, témoins
de Jéhovah, criminels professionnels, asociaux, paresseux, rouspéteurs ... cette liste, qui
découle de deux logiques différentes, soit l'idée «de revanche et de séçurité contre les
protestataires et les adversaires politiques26 » mais aussi celle d'épuration des indésirables,
donc, selon leur critère, dès « étrangers à la communauté27 », pourrait s'étendre à l ' infini,
puisque aucune de ces deux logiques ne permet d'en fixer les limites. La première, la
notion d'adversaire, ne semble pas avoir de borne, ce qui autorise, à la limite, à criminaliser
et à condamner toutes manifestations de mécontentement. La seconde, l'établissement non
scientifique des critères raciaux, a déterminé entre autres le sort de milliers de personnes,
cataloguées comme étant des Juifs sur l'appui d'une simple photographie.
La question juive : de l'antisémitisme vers la solutionfinal~
Le boycott du 1 er avril 1933 fut, selon toutes références, parmi les premières
mesures prises dans la campagne contre les Juifs. Ce cas démontre bien aussi à quel point
le pouvoir politique arrivait à manipuler à sa guise les S.A .. En effet, c'est uniquement sur
ordre de Goering que le 10 mars, les S.A. commencèrent à brutaliser les Juifs, à détruire et
à confisquer leurs biens ; situation que Brecht expose au coeur de son tableau intitulé À la
recherche du droit (tableau 6). Et c'est ce désordre, soigneusement organisé, qui permit à
Joseph Go"ebbels, ministre du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande, de justifier
et d'imposer le boycott sur les commerces juifs, boycott officiellement «né de la colère
publique» (et non provoqué par la violence des S.A.). Tel que démontré dans l'ouvrage
d'Ayçoberry, tout ce manège n'était que le début d'une série d'actes organisés sur trois
lancées: la brutalité instinctive (violence, confiscation), l'exclusion par voie législative
(rédaction des lois de Nuremberg qui interdisaient entre autres le mariage entre sang
25 Ibid., pA6. 26 Ibid. , pA7. 27 Ibid. , pA7.
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allemand et sang juif, nouvelle norme qui inspira Brecht pour son neuvième tableau La
femme juive) et l'émigration organisée (objectif final, réclamé depuis longtemps par les
S.A.). Le harcèlement quotidien se poursuivait.
En 1938, les choses s'accélèrent, le Paiti opère au printemps une aryanisation
économique et politique soutenue, s'ensuivent plusieurs pillages et arrestations de juifs
qualifiés de délinquants, puis en octobre, l'expulsion des Juifs polonais. Difficile de passer
à côté du pogrom du 9 novembre 1938, connu aussi sous le nom de La Nuit de Cristal, où
«7000 magasins furent détruits, toutes les synagogues mais aussi des locaux
communautaires, des cimetières juifs et des maisons d'habitation, [tous également]
Lors de La Nuit de Cristal eut lieu «aussi la première vague
d'arrestations29 . . » En effet, « 20 000 à 30 000 juifs sont arrêtés et déportés dans les camps
de concentration existants (Dachau, Sachsenhausen ... )30. » En tout, «91 personnes
trouv[èrent] la mort au cours de [cette] nuit de violence31 .» En Autriche, qui fut annexée à
l'Allemagne le 10 mars 1938, elle fut particulièrement agressive, car «6500 juifs sont
arrêtés par la Gestapo et 3000 déportés à Dachau32.» Goering profite de cette occasion
suprême « pour lancer une nouvelle série de mesures antijuives33 », dont « une amende d'un
milliard de marks imposée aux Juifs "pour payer les dégâts,,34» de cette nuit destructrice.
Cette mesure sonna le glas pour les commerçants juifs, et au mois de décembre 1938, ils
furent totalement dépossédés. Pour ceux et celles qui refusèrent encore de partir, l'heure
était maintenant à la résignation.
28 Dominique Natanson, Mémoire juive et éducation, http://perso.orange.fr/d-d.natansonJindex2.htm[Site consulté le 27 janvier 2007]. 29 Ibid. 30 Ibid. 31 Ibid . . 32 Ibid. 33 Ibid. 34 Ibid.
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Comme le spécifie Pierre Ayçoberry, les premiers à avoir décidé de partir furent, en
majeure partie, les universitaires ~nsi que les intellectuels et les artistes, peut-être plus
lucides dira-t-on, ou bien davantage convaincus de pouvoir se refaire une autre vie ailleurs.
Malheureusement, les petites gens, les personnes âgées tenaient elles à leur cadre de vie
quotidien, et la plupart cherchaient plutôt à se convaincre de la « légèreté» des mesures
imposées par les nazis (l'étoile jaune, les lois de Nuremberg, etc.). Le calcul s'élève donc à
37 000 exilés en 1933, un nombre qui ne cessa de baisser jusqu'en 1938. Dans les
campagnes, où la brutalité gratuite de la Gestapo et des S.S. sévissait aussi, et où les maires
qui appuyaient le Parti employaient des mesures vexatoires (pancartes insultantes, affiches
avec «défense d'entrer aux Juifs»), les habitants étaient forcés à une autre forme de
« migration », celle vers les grandes villes, où leur passage serait pour la plupart de courte
durée, la situation en ville étant sensiblement la même qu'en campagne. À ce rythme, le
nombre de déportés atteignit 40 000 en 1938, pour grimper rapidement à 78 000 grâce à
l'organisation S.S. qui imposa a~x Juifs riches le financement des voyages des Juifs
pauvres. Les Allemands non juifs, témoins de toute cette violence, de toutes ces injustices,
préféraient pour de multiples raisons, conserver le silence. Cette passivité mêlée .à une
touche d'inquiétude révélait au fond un sentiment d'espoir général; l'espoir que, grâce à
ces mesures de rejet et d'expulsion, on arriverait à isoler le peuple allemand et à recouvrir
une certaine paix. Faux espoirs qui allaient malheureusement se refléter à travers toutes les
étapes de la prise totale du pouvoir par Hitler et les membres de son Parti.
La passivité du peuple allemand: terreur policière ou antisémitisme héréditaire ?
Pour les Allemands, en cette période de tumulte, «c'est le souci de l'ordre qui
prévalait35 ». Les voisins pouvaient aller jusqu'à se dénoncer entre eux sur de simples
soupçons quasi non fondés, mais toujours en affichant l'expression d'une certaine pitié
pour leurs victimes, tel qu'illustré dans le deuxième tableau de Grand-peur et misère du Ille
Reich intitulé La délation. Néanmoins, la population en général continua pendant un
certain temps à entretenir des relations, commerciales ou autres, avec les Juifs, sans jamais
35 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.70.
18
pour autant songer à s'opposer au régime qui les persécutait. Est-ce seulement la terreur
policière qui arrivait à contrôler les gens à ce point? Il est certain que celle-ci a dû
intimider et maintenir dans le silence une bonne partie d'entre eux, mais il est difficile de
croire qu'elle soit la seule responsable de cette « non-réaction », puisque, comme le dit
Ayçoberry, contrairem~nt à cette inertie massive face au malheur des Juifs, les fidèles, à la
fois catholiques et protestants, n ' hésitaient pas à se soul~ver en masse pour défendre leurs
pasteurs et denoncer le retrait des crucifix dans les institutions publiques. Comment
expliquer ce comportement contradictoire? Par ailleurs, «les militants socialistes eux
mêmes dénonçaient l'attitude ambiguë de leurs camarades ouvriers qui, tout en condamnant
les brutalités, étaient "d'accord dans une certaine mesure pour qu'on tranche dans les droits
des Juifs, qu ' on les isole"36 ». Même l'Église qui, afin d'employer une nouvelle tactique de
défense, avait fait le choix de s'unir aux protestants et aux incroyants en vue d ' un soutien
total des droits de l'homme. Du coup, elle prenait donc en charge les libertés en général de
tous et chacun, y compris celles des Juifs, mais elle observait toujours cette dernière partie
d ' engagement avec une extrême prudènce. Si bien que lors du pogrom de novembre 1938
(La Nuit de Cristal), l'Église resta muette.
Prélude à l'extermination: le cas des infirmes et des malades mentaux
Même si ce sont les Juifs qui au total ont subi le plus de pertes durant toute cette
campagne d'épuration, i~s ne sont pas les seuls à s ~ être vus persécutés, martyrisés et même
exterminés pour avoir été catalogués « étrangers» par le régime nazi, catégorie qui, selon
leurs critères, était plus dangereuse et plus menaçante encore pour le Parti que celle de la
résistance. Les infirmes, les malades mentaux, les épileptiques, les schizophrènes, et plus
tard les invalides, les alcooliques, les faibles d'esprit et la catégorie très floue de la
«débilité morale » (condamnant tous les comportements «déviants», comme la
prostitution et la mauvaise tenue de ménage) faisaient partie de ce grand regroupement des
« êtres inférieurs37 » destinés à un nouveau traitement établi par les psychiatres nazis. La
thérapie par le travail, l'insuline et les électrochocs ne s'étant pas montrés assez efficaces
36 Ibid. , p.71.
19
pour contrer ces nombreuses «pathologies héréditaires », une loi adoptée en juillet 1933
permit donc aux médecins, appùyés de juristes, de pratiquer la stérilisation ou l'avortement
sur leurs patients. L'auteur de La société allemande sous le Ille Reich: 1933-1945 rappelle
que, malgré le fait que certains s'y opposaient, notamment les membres des Églises,
30 000 internés des services de psychiatrie sur un total de 160 000 furent stérilisés au cours
de l'année 1934, et le rythme ne cessa de s'accélérer pour atteindre des centaines de
milliers de victimes au début de la guerre, tout ceci sans qu'aucun savant, même les plus
éminents, n'ait pu définir précisément, et avec raison, les termes exacts de ces catégories ·de
pathologies destinées à ces traitements barbares.
« Tribunal spécial» f'- à la recherche du droit et de la justice
Où trouver la justice et le droit commun dans tout ce cafouillis de lois expressément
créées sur mesure, en toute circonstance et en dehors de toute logique, pour ne servir
qu'une seule fin, celle du Parti national-socialiste? Tout ce qui pouvait être considéré et
jugé nuisible pour l'image du Parti, même les plus petites «peccadilles politiques,
protestations verbales, plaisanteries irrespectueuses, etc., fu[t] jug[é] dign[e] d'un "Tribunal
spécial"38» instauré dès mars 1933 (un mois après la nomination d'Hitler comme
chancelier du Reich). Un pour chaque capitale régionale, le droit et la possibilité d'y être
bien défendu y étaient extrêmement limités, et le jugement irrévocable. Les sanctions y
étaient fixées dans une loi intitulée « Loi contre les attaques sournoises contre l'État et le
Parti et pour la protection des uniformes du Parti39 ». Ce Tribunal, en moins de six ans,
entama des poursuites contre 4 500 personnes, la plupart contre des communistes et des
socialistes aux activités plus ou moins discrètes. Les deux tiers de ces verdicts
aboutissaient à des condamnations, des peines pouvant aller jusqu'à un an de prison, sans
oublier qu'une fois leur peine purgée, les libérés pouvaient être repris et utilisés comme
délateurs au service de la Gestapo. Pour ce qui est des cas de haute trahison, ils relevaient
37 Dominique Natanson, Mémoire juive et éducation, http://perso.orange.fr/d-d.natanson/index2.htm[Site consulté le 27 janvier 2007]. 38 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.47. 39 Ibid. , pA8.
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d'un autre Tribunal, étrangement appelé « Tribunal du Peuple ». L'un des cas les plus
connus traité par cette instance est très certainement celui de Hans et Sophie Scholl,
membres piliers du réseau La Rose Blanche, condamnés à mort par guillotine, dans un
procès qui dura moins de trois heures, pour avoir lancé des tracts hostiles au régime nazi et
à la guerre dans la cour intérieure de l'université de Munich. Ils seront exécutés le jour
même, soit le 22 février 19434°.
La délation~· la crainte au quotidien
D'ailleurs, le cas de Hans et Sophie Scholl est un très bon exemple de la délation
interne qui sévissait, puisque ceux -ci furent dénoncés à la Gestapo par le concierge de
l'université, sans motif apparent. D'ailleurs,« en Allemagne, ce sont des dénonciations qui
ont été à l'origine de la majorité des interventions de la G"estapo41.» En effet, Pierre
Ayçoberry démontre dans son ouvrage qu'en 1937, à Wurtzbourg, 57 % des cas de «
relations coupables entre juifs et aryens » furent rapportés par des délateurs ; à .Sarrebruck,
88 % des enquêtes sur des affaires de « mauvais esprits» furent entamées par dénonciation.
Certains de ~es mouchards, des membres du Parti pour la plupart, agissaient par conviction,
mais qu'en est-il des voisins, des collègues de travail, des amis et même des membres de la
famille, contexte que Brecht reprend pour son dixième tableau Le mouchard. Quelles
étaient leurs motivations? Bien évidemment, après les petites rancœurs sordides, la peur
maintenue par la Gestapo est sans aucun doute la raison la plus plausible. Peut-être ces
. gens pensaient-ils pouvoir bénéficier d'une certaine indulgence et même d'une certaine
. protection pour avoir dénoncé leurs confrères, et du coup avoir servi la patrie, ou plutôt le
Parti. C'est ainsi que la Gestapo pouvait exploiter et s'assurer de la collaboration de la
masse populaire, que les arrestations et les cas de délations se succédaient, que d'anciens
prisonniers étaient contraints à servir de mouchards, comme mentionné ci-haut, et que
pendant des années, les groupes résistants continuaient leurs attaques et maintenaient leurs
réunions, sans se douter qu'ils étaient infiltrés par des délateurs.
40 Gilbert Badia, Ces Allemands qui ont affronté Hitler, p.98. 4 1 Ibid. , p.27.
21
La résistance: l'alliance des rebelles
« Certains auteurs ont qualifié de résistance "toute attitude, active ou passive, qui
manifeste le refus du régime national-socialiste ou d'une partie de son idéologie, et qui était
liée à certains risques.,,42» Ces groupes rebelles se constituaient ~ien entendu de socialistes
et de communistes, mais aussi d'intellectuels, d'ingénieurs, d'ouvriers et même de paysans,
partageant tous, comme le précise Gilbert Badia, le même objectif, soit de «combattre un
régime inhumain et crimine143 ». Mais malheureusement, à partir de 1938, plusieurs de ces
petites équipes finirent par tomber. À cette époque, même les précautions les plus
minutieuses ne suffisaient plus, et beaucoup de ses membres se retrouvèrent devant les
tribunaux, les nazis se faisant toujours un plaisir d'annoncer publiquement « l'arrestation, la
condamnation [et] l'exécution de ces "ennemis du peuple et du Führer" 44. » Après plusieurs
années de rafles, certains auraient pu croire, ou auraient aimé ~roire, que la résistance
politique avait complètement disparu. . Cependant, la Gestapo continuait à émettre des
rapports afin de tenir en éveil les autorités contre certains « excès d' optiinisme45.» Pour
eux, chaque nouvelle arrestation, justifiable ou non, était la preuve d'une subversion
toujours présente et toujours menaçante. Il faut dire que les récidivistes étaient fort
nombreux; sur 4 305 personnes arrêtées entre 1936 et 1937, 101 étaient d'ex
concentrationnaires. Bref, grâce à l'extrême détermination des rebelles, le danger de
l'alliance entre socialisme et communisme était, pour le Parti national-socialiste, encore
bien réel.
Les camps de concentration: une rumeur qui entretient le sentiment de terreur
Vers la fin de juillet 1933, avec la disparition presque totale des « camps sauvages»
tenus · par les S.A., les camps de concentration, dont celui de Dachau qui fut le premier
camp ouvert en novembre de la même année, prirent la relève et accueillirent (un bien
grand mot pour décrire la redoutable épreuve qui les àttendait) en majeure partie des
42 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.48. 43 Gilbert Badia, Ces Allemands qui ont affronté Hitler, p.26. 44 Ibid. , p.28. 45 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.59.
22
opposants politiques pour une période de plusieurs mois, VOIre plusieurs années. Le
nombre d'entrées y était considérable. Pierre Ayçoberry rapporte les chiffres suivants: la
police politique (la Gestapo) annonça, entre 1936 et 1937, 20 000 arrestations, dont la
majorité était destinée aux camps, et pour l'année 1938, le camp de Dachau recensa 18 681
prisonniers, dont la 911 juifs. À la base, la création de ces camps avait pour premier
objectif avoué d'établir et d'entretenir un sentiment de terreur chez la population, et
deuxièmement, la « rééducation» des coupables. Ce second objectif pouvait tout au plus
servir de prétexte aux nombreuses oppressions, insultes et humiliations, pour justifier la
drill militaire, exercice totalement absurde poussé jusqu'à l'excès, ainsi que les châtiments
corporels inhumains . . «Ce lien indissoluble entre travail et anéantissement46 », entretenu
par les histoires et rumeurs reliées aux camps et qui se dispersaient dans toute la population
comme une menace qui plane, satisfaisait et servait bien l'idéologie et les intérêts des
dirigeants du Parti. Durant ce temps, aux camps, on s'arrachait les corvées de cuisine et
d'entretien, jugées moins pénibles, pendant que d'autres détenus, contraints aux besognes
exténuantes comme les travaux dans les jardins de plantes médicinales ou le défrichement
des marais à Dachau, s'acheminaient inexorablement vers la mort, suite à l'épuisement la
plupart du temps. Cette dure réalité des camps de concentration, Brecht la reproduit dans
plusieurs de ses tableaux, dont Au service du peuple (tableau 5), qui met en scène un détenu
torturé par un S.S., ainsi que Soldats du marais (tableau 4), où quatre prisonniers sont mis
aux travaux forcés.
Figuration de la commu,nauté : « Un Peuple, un Empire, un Chef~·» .
Ayçoberry, en tant qu'auteur spécialiste de la question nazie, dresse en ces termes le
. portrait du « système », c'est-à-dire de la structure qu'Hitler imposait au Parti national
socialiste :
46 Ibid., p.74.
Dès l'origine en effet, le Führerprinzip n'avait pas seulement légitimé l'omnipotence du Chef suprême, mais joué comme règle de fonctionnement à tous les échelons. Chaque domaine. de
47 Serge Berstein, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.35.
compétence était centré sur un seul individu, sans aucune forme de délibération collégiale ; les permanents mis à sa disposition étaient invités à pratiquer moins les vertus administratives que le dévouement vassalique. En dépit de l'existence d'institutions centrales, inspections, tribunal, trésorerie, etc., les conflits de compétences ou de personnalités ne pouvaient donc être tranchés que par recours au sommet: Hitler seul pouvait maintenir l'intégrité de l'ensemble. Pendant les "années de combat", ce système, ou plutôt cette absence de système [ ... ] non seulement permit au Chef d'écarter ses rivaux, mais se révéla tout aussi efficace à la base en surexcitant le zèle des militants48
•
23
« Pouvoir exécutif, pouvoIr législatif, pouvoir judiciaire49 », Hitler, tel que le
démontre Philippe Burrin daris L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, en tant que guide du
Parti politique, les « assume tous et les confond dans sa personne50 »,. ne manquant pas de
rappeler aux membres du national-socialiste que les qualités maîtresses qu'il prône sont en
somme « l'obéissance aveugle, le courage physique et l'autorité, et la mise en garde contre
l'esprit bureaucratique51 », ce qui accordait comme essence à l'État hitlérien cette
combinaison de centralisation et de domination. Selon les niveaux de la hiérarchie sociale,
les motifs d' adhésion au Parti étaient multiples, personnels à chaque individu, à chaque
groupe, passant de l'obligation, à l'ambition, à l'assurance et pour certains à la conviction.
Les «vieux combattants », qui en majorité se convertirent volontai!ement au Parti, ne
virent malheureusement pas les espoirs qu'ils y avaient mis se réaliser par des gestes
concrets. Au contraire, c'est plutôt l'échec professionnel, le chômage, la faillite et une
perte totale d'indépendance qui les attendaient au bout du chemin, davantage la
conséquence que la cause de leur adhésion au national-socialisme52• En se référant au cas
des «vieux combattants », et à bien d'autres encore, il semble difficile de trouver une
raison valable à cette acception massive du nouveau régime par la communauté populaire,
48 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.93. C'est nous qui soulignons. 49 Philippe Burrin, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.7!. 50 Ibid., p.7!. 51 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p. 93. 52 Le vieux militant, tableau 19 de Grand-peur et misère du IIr Reich, raconte l'histoire d'un commerçant, membre du Parti national-socialiste, qui , ayant pourtant voté pour Hitler quelques années plus tôt, fi nit par se suicider après que l'État lui ait enlevé son fil s et mis en faillite sa boucherie.
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24
mais Pierre Ayçoberry émet tout de même une hypothèse: « "Non seulement il n'y a plus
d'opinion publique [ ... ] mais il n'y a plus d'opinion de groupe [ ... ]. Le rassemblement
forcé de tous en une seule organisation signifie en vérité une automatisation des
jugements"; et ils préféraient, pour définir cette poussière de réactions individuelles, les
termes d'''opinion apolitique" ou d"'humeur populaire"53 ». En d'autres termes, les gens se
sont ralliés à la masse et laissés entraîner par le courant, reléguant à d'autres le contrôle de
leur vie, de leur société, si bien que dès juillet 1933, le « salut allemand» se généralisa, et
que seuls quelques « non-conformistes» refusaient encore cette manifestation
d'assimilation au pouvoir.
Durant les deux années qui suivirent, le mot d'ordre fut Gleichschaltung, nom que
l'historien français Serge Berstein traduit par les termes soit de «mise au pas 54», de
« coordination » ou de « normalisation». Cette métamorphose du système social par la
mise au pas des individus s'opéra par la terreur, l'intimidation ainsi que la séduction. Les
partisans nazis, ambitieux et vengeurs, exerçaient sur les corps professionnels une pression
interne, pendant que les autorités politiques contrôlaient de l'extérieur l'ensemble des
opérations pour une prise totale du pouvoir. Cette passation des pouvoirs entre anciens
dirigeants de gauche et partisans nazis s'effectua en trois étapes : « déclaration initiale de
ralliement et de loyauté, ouverture des organes directeurs [aux] collègues nazis, élimination
des Juifs55.» Si certaines entreprises se montraient trop réticentes aux changements, c'est
l'État ou le Parti qui intervenait directement, et ce, en perturbant entre autres les réunions
par intervention S.A.. Au bout du compte, l'objectif fut atteint, et l'ensemble de la
collectivité et de ses innombrables institutions, que ce soit le contre-pouvoir (maires des
municipalités), la haute fonction publique, la justice, les corps officiers, l'économie, les
voies de communication (radio, journaux), les maisons d'enseignement (primaire,
,secondaire, universitaire), l'Église, l'agriculture, la culture (écrivains, artistes, musiciens),
53 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.l04. 54 Serge Berstein, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.35. 55 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.123.
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25
furent intégrés, par ruses juridiques ou par la force, dans un «Front» commun, structuré
par de multiples organisations parallèles au Parti. D'une certaine façon, cette mise au pas,
cette synchronisation ne fut pas concrétisée uniquement grâce à des mesures d'autorité.
Elle est aussi le résultat d'une première acceptation qui permit au Parti d' accéder au
pouvoir, puis d'une résignation face à «ce qui se présentait comme une fusion dans la
grande "Communauté du Peuple"56 », nouvelle société qui plaçait la performance en tête de
toutes les vertus.
La conspiration fut le choix prôné par une minorité de penseurs qui avaient pressenti
que « normalité », au sens où l'entendait le nouveau régime, et «dignité» étaient
incompatibles. Pour eux, accepter de vivre en travaillant quotidiennement aux rouages de
ce système et « en adoptant comme valeur suprême l'efficacité et la performance57 », c'était
accepter de vivre dans cette ambiguïté. Si pour le Parti, le mot d'ordre était
« mise au pas », et que pour la majorité de la population, celui-ci était « résignation », pour
ces militants, le mot d'ordre se traduisait comme suit: « [ ... ] nous devons nous intégrer
organiquement dans le nouvel État, mais sans jamais renoncer à nous-mêmes, sinon nous
perdrions notre dignité58.» En résumé, ce Parti qui souhaitait fusionner vie privée et vie
publique, pour un contrôle absolu d'une seule communauté avec pour objectif l'instauration
d'un pouvoir de plus en plus totalitaire, avait toujours comme ennemis certains secteurs de
la population qui réussissaient encore à échapper à ce contrôle intégral, secteur où le
maintien d'une vie privée semblait être le dernier moyen de fonctionner sans glisser vers la
complicité.
La· classe ouvrière: « Tu n'es rien, le peuple est touf9• »
Comme l'explique Ayçoberry, afin de rétablir la grandeur de l'Allemagne, il fallait
donc, pour le Parti national-socialiste, détruire par la terreur l'ensemble des groupes
56 Ibid. , p.139. 57 Ibid. , p.143. 58 Ibid. , p.143. 59 Ibid. , p.194.
26
révolutionnaires et les intégrer définitivement dans les bases de la «Communauté du
Peuple »', et à cette intention, une grande partie de leur attention fut dirigée vers l'opinion
ouvrière. Pour ce faire, les syndicats ouvriers furent rapidement dissous, les locaux de
réunion des organisations saisis et leurs dirigeants menacés d'arrestation, et c ' est sur
l'anéantissement total de cette structure que le triomphe du nouveau mouvement radical
nazi, « 1"'Organisation national-socialiste des cellules d'entreprise (NSBO),,60 », fut obtenu.
Pendant ce temps, du côté des chômeurs, le « Service du Travail» les mobilisa pour les
travaux agricoles, les autoroutes ainsi que la construction de logements. C'est ainsi qu'en
1934, Hitler pouvait donc célébrer une première victoire sur la fatalité économique avec
seulement 2,5 millions de chômeurs, une fois que les travailleurs occasionnels, les
chômeurs partiels et les femmes renvoyées de leurs emplois et forcées à un retour à la
maison, étaient éliminés du calcul. De plus, la propagande, pour prouver que les ouvriers
bénéficiaient d'une relance, btandissait des chiffres tels que l'augmentation de 17% du
salaire hebdomadaire, alors que, toujours selon leurs données, le coût de la vie n'avait
augmenté que de 1,4%. En réalité, selon de véritables calculs, en 1939, le salaire des
ouvriers n'avait augmenté que de 7%, ce qui nous ramène à la moyenne nationale d'avant
la Grande Crise, tandis que le coût de la vie avait connu une hausse de 4%. Malgré tout, tel
que le précise l'auteur Henri Burgelin, « pour convaincre les ouvriers que le nazisme veille
à leur bien-être, un " battage" considérable est fait autour de l'organisation du " Secours
d'hiver "61 », dont Bertolt Brecht s'inspire entre autres pour son seizième tableau portant le
même titre. Par conséquent, les familles les plus pauvres, incapables de surmonter une
baisse de salaire et la hausse des prix, devaient faire appel à cette solution humiliante afin
de bénéficier du strict minimum pour survivre (nourriture, vêtements).
Derrière ces chiffres et ces pourcentages mensongers se cachait une tout autre réalité
pour les travailleurs et dans laquelle règne l'intimidation. Les conditions étaient difficiles,
60 Ibid. , p.175.
61 Henri Burgelin, L'Allemagne de Hitler :1933-1945, p.133.
27
les heures de travail allongées et le contrôle renforcé des jeunes ouvriers se faisait par des
membres de la Jeunesse hitlérienne. Pour les chômeurs du Service du travail, sur les .
chantiers des autoroutes, l'atmosphère était invivable. On y employait des termes tels que
« ~mpulsion au travail» pour camoufler les mauvais traitements qu' on y subissait, le tout
aggravé par l'insuffisance de nourriture et le manque de mesures de sécurité. « Tu n' es
rien, le peuple est tout62 » n ' est que l'un des slogans que 1 ~ on faisait répéter aux jeunes filles
requises pour le Service du travail et expédiées à la campagne pour une expérience qu'on
disait libératrice. C'est uniquement le rapport de force qui régnait, et les policiers, à la
moindre indiscipline, envoyaient les prétendus meneurs dans des «camps d ' éducation au
travail », aussi mortels que les camps de concentration. Dans les usines, pour discipliner le
personnel ouvrier, les différentes directions créèrent tout un appareil policier: des chefs de
bloc, des cellules et des «socials-surveillants ». Difficile de croire qu'il s'agissait d 'une
tâche véritablement « sociale» que de ramener les journées d'absence de 22 à 8 par an, et
de déclarer bons pour le travail des demi-invalides. L'entreprise Messerschmitt, à
Augsbourg, reçut le titre d'« entreprise modèle national-socialiste », preuve que cet appareil
policier combiné au règne de l'espionnage rapportait beaucoup à la direction.
Paradoxalement à cet exercice de pouvoir, les ouvriers étaient étrangement invités,
sous la contrainte, à venir témoigner de leur grande satisfaction face au nouveau système
entre autres lors d'un « vote de confiance» en leur délégué du NSBO. Pîerre Ayçoberry
raconte que, forcés de se présenter à ce vote, uniquement créé dans le but de sauver les
apparences et de préserver l' opini~n publique, les ouvriers utilisèrent alors la seule liberté
qui leur restait, soit d'annuler leur vote en cochant plusieurs noms ou bien en rayant
certains noms de la liste. Brecht dénonce aussi ce trafic de.! 'information et de l'opinion
publique par la création du treizième tableau de sa pièce, L 'heure de l'ouvrier, où trois
travailleurs se voient obligés de vanter à la radio les améliorations supposément apportées .
dans leur usine par le nouveau Parti. Devant ce contrôle de l'opinion, et avec la totale
62 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.194.
28
disparition de toute réaction collective face aux persécutions, seuls quelques courageux
osaient encore dénoncer les mauvais traitements et les injustices qu'ils subissaient, et la
Gestapo se réservait toujours le droit de corriger brutalement ces
« critiques malveillantes ». Les ouvriers du textile ainsi que les mineurs furent parmi les
derniers à oser faire la grève, pour un nombre total de 179 grèves en 1936, nombre qui
baissa à 72 en 1937 pour continuer à diminuer d'année en année.
La Jeunesse hitlérienne: le « fanatisme» dont rêvait Hitler
La Jeunesse hitlérienne, fondée officiellement en 1925, fut sans aucun doute le plus
grand succès parmi tous les projets mis en place pour une révolution sociale. Comme
l'explique Jean-Denis Lepage dans son ouvrage intitulé La « Hitler Jugend » : 1922-1945,
«Hitler était persuadé, avec raison d'ailleurs, que la survie du troisième Reich [ ... ]
dépendait de l'éducation et de l'endoctrinement de la jeunesse allemande63.» En majeure
partie, la HJ64 tirait ses origines des milieux prolétaires et profita de la dissolution par les
S.S. des mouvements de jeunes socialistes, communistes et protestants. En seulement
quelques mois, elle atteignit le nombre de 3,5 millions de membres.
Tel que le démontre Ayçoberry, on y prônait le patriotisme, la capacité d'action au
détriment du savoir: « "on ne devient national-socialiste que par l~ vie de camp et par la
marche au pas,,65 ». Ces éléments se reflètent d'ailleurs au coeur du tableau 21 de la pièce
de Brecht, Le mot d'ordre. «L'un des buts principaux de la HJ était d'imposer la discipline
du régime et de soumettre les jeunes à la stricte idéologie nazie. Le libéralisme et la
démocratie étaient des concepts d'un âge révolu, comme l'illustrait bien le slogan "Croire !
Obéir! Combattre !,,66» Pour les jeunes filles, on y enseignait les questions ménagères.
L'enseignement de « la politique "philosophique" raciale nazie, des notions "scientifiques"
de la vitalité et de la supériorité de la race allemande, de l'antisémitisme, des rituels du Parti
63 Jean-Denis Lepage, La « Hitler Jugend » : 1922-1945, p.139. 64 Abréviation pour « Hitler Jugend » qui signifie Jeunesse hitlérienne en allemand. 65 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.197. 66 Jean-Denis Lepage, La « Hitler Jugend » : 1922-1945, p.139.
29
nazi, de l'importance de l'obéjssance, des vertus du régime, du respect de la hiérarchie [ainsi
que] du culte du chef? » étaient destinés à tous. Pour les jeunes garçons, l'accent était mis
sur les travaux manuels, les transmissions radio, la navigation, les exercices de tir, les
stratégies militaires dont les manœuvres sur le terrain «et la nécessité d'employer la
violence contre les ennemis68. »
La Jeunesse hitlérienne, proclamée en 193"6 seule Jeunesse d'État, se considérait
plus apte que les intellectuels, que les enseignants, que les Églises ainsi que les parents à
éduquer la future génération, pour une «réconciliation des classes». On assiste à
l'élimination progressive des écoles primaires et par la suite des écoles secondaires, à la
multiplication des réunions le soir, ce qui empêchait les élèves de faire leurs travaux, à
l'interdiction de l'enseignement des disciplines de base qui donnaient accès aux universités.
«"Un Peuple, un Reich, un Führer, une École !,,69» La jeunesse allemande serait
véritablement «conduite par la jeunesse?o» hitlérienne et l'adhésion obligatoire en 1939
constitua la phase terminale du projet, avec pour objectif suprême de « préparer les jeunes à
devenir de bons fidèles de leur Führer?l.» Pour leur part, les S.S., voyant en cette jeunesse
une belle «occasion de fabriquer une élite à leur ressemblance 72 », une toute nouvelle
génération d'officiers, décidèrent de concevoir, au sein même de la HJ, un service de
patrouille ayant pour tâche de surveiller les adolescents non encore enrôlés. Désormais, la
jeunesse serait bien plus que « conduite par la jeunesse », elle serait également espionnée
par elle. «Hitler demandait plus que le devoir, le dévouement et la discipline ; il exigeait,
selon ses propres termes le "fanatisme hystérique"?3», et ses «exigences» devenaient
maintenant chose concrète.
67 Ibid. , p.140. 68 Ibid., p.140. 69 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.198. 70 Ibid. , p.204. 71 Ibid. , p.205. 72 Ibid. , p.206. 73 Jean-Denis Lepage, La « Hitlër Jugend » : 1922-1945, p.140.
30
La radicalisation: vers un pouvoir total
Jusqu'à maintenant, Hitler, en faisant usage de son charisme, en exerçant sa
propagande, mais aussi en pourchassant sans relâche les résistants, avait réussi à attirer ou
entraîner de force dans l'union nationale la majorité de la population. Tout de même
insatisfait des résultats, il souhaite désormais s'assurer, non plus d'une simple neutralité de
la part du peuple, mais bien de leur entière collaboration: « L'essentiel, pour lui, est que les
Allemands obéissent [ ... ] jusqu'au boue4 ». Il décida alors de renforcer au maximum ses
tactiques, selon lui encore inefficaces par leur «trop grande souplesse» : anéantissement
total des associations de jeunes, d'ouvriers, de catholiques, de protestants, relance en force
des accusations multiples et des pseudoprocès, reprise des lois et des mesures antijuives sur
le territoire de l'Autriche, nouvellement annexée au Reich, qui menèrent à la création du
premier ghetto juif à Vienne75• Comme le précise Pierre Ayçoberry, Hitler ne ménagerait
rien pour une soumission totale du peuple.
À l'autre extrémité de l'échelle sociale, Hitler . ne supportait plus les réserves de
certains dirigeants, et en quelques semaines, les derniers conservateurs furent expulsés et
remplacés par des fidèles nazis. Le peuple allemand se trouvait à la merci d'un pouvoir
fasciste qui, après quelques années de tolérance envers une minorité non-conformiste,
entrait dans sa «phase de raidissement, visant à contrôler totalement l'ensemble de la
population76.» Certains hauts fonctionnaires, assurés d'échapper aux espions lors de
rencontres de cercles intimes, critiquaient sans retenue le Parti et Hitler, allant rreme
jusqu'à souhaiter l'éclatement d'une guerre où l'Allemagne ne pourrait qu'être vaincue,
mettant ainsi fin aux sept années de règne dictatorial. Sûr de l' obéissancè des militaires mis
devant cette masse apolitique, Hitler pouvait être totalement assuré de la fidélité
inconditionnelle de la population civile, élément dont il n'allait jamais cesser de se
74 Henri Burgelin, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.134. 75 L'auteur de Grand-peur et misère du IIr Reich clôt sa pièce sur un tableau intitulé Référendum où il est question de la campagne référendaire de 1938, pour le moins controversée, dans le but d'annexer l'Autriche à l'Allemagne. 76 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.2I1.
31
préoccuper à travers toutes ses démarches et ses politiques d'expansion qui allaient
entraîner la guerre, pour la conquête d'un empire continental, puis mondial: «L'homme
allemand, supérieur aux autres, doit devenir un jour le maître de la Terre 77. »
«Segmentation, individualité, conSCIence dissociée78 », est-il encore légitime de
parler, d'évoquer des termes tels que «peuple» ou «communauté»? À l'aube d'une
guerre, devant le manque d'impact et même l'absence des mouvements de résistance, ne
devons-nous pas plutôt parler de la disparition d'une conscience collective? En résumé, ce
régime, qui promettait une réconciliation et une unification des classes pour une
communauté solidaire, n'a qu'entraîné l'extermination des classes «ennemies », pour
finalement provoquer la 'désintégration d'une population qui souhaitait avant tout former un
peuple en paix. C'est de cette société désint~grée et faussement unifiée que Bertolt Brecht
s'inspire pour sa pièce Grand-peur et misère du Ille Reich.
77 Serge Berstein, L'Allemagne de Hitler: 1933-1945, p.25. 78 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.192.
CHAPITRE 2
« Grand-peur et misère du Ille Reich» : dans la ligne de pensée du théâtre épique
Ce qui n'est pas si ngulier, trouvez-le s urprenan t ! Ce qui est ordinaire, trouvez-le inexplicable! Ce qui est habituel doit vous étonner. Discernez l' abus dans ce qui est la règle [ . .. ]
Bertolt Brecht, Théâtre complet: tome 3, p.30.
Théâtre des événements: pour une transposition de la vie par la narration du réel
En 1933, tout comme les 37 000 exilés contraints à fuir leur pays sans savoir s' ils y
reviendraient un jour, Bertolt Brecht trouve refuge en Tchécoslovaquie, premier pays
d'accueil figurant sur une longue liste où s'ajouteront, à travers quinze années
. d' immigration, la France, le Danemark, la Suède, la Finlande,> les États-Unis puis
finalement la Suisse. Pendant ces années il entreprendra, malgré toute l ' instabilité
sociopolitique générée par la guerre, l'écriture de quelques-unes des pièces les plus
marquantes de son théâtre dialectique, telles que Mère Courage et ses enfan"ts (1939) ,
Maître Puntila et son valet , Matti (1940), Schweyk dans la Seconde Guerre mondiale
(1942), L 'ascension ininterrompue de Arturo Ui (1942), pour ne nommer que celles-ci.
C'est à cette même époque qu'il entame la rédaction de sa pièce Grand-peur' et misère du
Ille Reich, pièce en vingt-quatre tableaux qu'il mettra trois ans à rédiger (de 1935 à 1938).
Étant donné l'agression hitlérienne, cette pièce, qui fut imprimée en 1938, ne put être
diffusée avant la fin de la guerre. En effet, il faudra attendre jusqu'en 1945 pour la voir
montée sur les planches à New York, puis à San Francisco, sous le titre The Private Life of
the Master Race. Ce titre d'occasion révèle bien l'essence même de l'œuvre, soit vingt-
33
quatre tableaux, vingt-quatre scènes relatant de multiples événements inspirés de la vie
privée et publique de gens échantillonnés dans divers groupes d'âge, issus de tous les
milieux et de toutes les couches sociales. Ces citoyens formaient alors la communauté
allemande en pleine montée du nazisme, soit l'époque entre 1933 et 1938.
En effet, par l' écriture de cette pièce, qui repose à la fois « sur des récits de témoins
oculaires et sur des extraits de journaux79 » , Brecht nous livre un véritable documentaire où
il dresse un portrait global de la société allemande de cette époque, panorama où
l'ensemble des nouvelles réalités auxquelles les citoyens ont dû se soumettre ainsi que les
événements majeurs qui les ont tranquillement entraînés vers une guerre, sont présentés aux
lecteurs/spectateurs sous forme de conversations et d ' interactions entre les personnages.
L'action peut se passer tout aussi bien dans l'intimité de la chambre à coucher, au bureau
du médecin, dans un cabinet d'avocat, dans les laboratoires de recherche ou dans la grange
d'un paysan. Construite à partir de données vérifiables, en simultanéité avec les
événements, et toujours dans l'esprit «de restituer dans son œuvre la vie sociale des
hommes80 » sans « aucune crainte [d'y] confronter les paradoxes qui s'y dessinent81 »,
Brecht intègre chronologiquement à Grand-peur et misère du Ille Reich tous les faits
historiques, incluant les pnncipaux passages et les renversements survenus sous le règne
nazi, ainsi que les nombreuses conséquences qu'ils engendrent sur le peuple :
S UJETS TRAITÉS ET ÉVÉNEMENTS msTORIQUES RAPPORTÉS
*La nomination d' Hitler à la chancellerie du Reich ainsi que la marche aux flambeaux des S.A. la nuit du 30 janvier 1933 pour célébrer la victoire du Parti nazi *L'extrême violence des S.A. et des S.S. et la terreur qu'ils exerçaient sur la population *Le Secours d'hiver
TABLEAUX
*tableau 1
*tableaux 1-3-4-5-6-12-13-14-16-20-21 *tableaux 3-16
79 Maurice Regnaut, André Steiger, Grand-peur et misère du IIr Reich. Cette citation se trouve dans les « Remarques sur la pièce» émises par les deux traducteurs, p.96. 80 Alain-Michel Rocheleau, BertoIt Brecht et la nouvelle communication, p.6O. 81 Ibid. , p.60.
*Le Service du travail et les tâches laborieuses et épuisantes qu'on y imposait *L'horreur des camps de concentration *Les lois anti-juives *Le boycott des commerces juifs et le vandalisme *Les conditions de travail difficiles des ouvriers *Les baisses de salaire *La surveillance ainsi que le contrôle de l'opinion *La censure des moyens d ' information (radio, journaux) *La violation de la vie privée *La Jeunesse hitlérienne et sa forte influence sur la nouvelle génération *La délation et l'emploi d'ex-prisonniers comme mouchards *L' imposition du salut hitlérien ou son refus dans certains cas *La résistance *Les vieux combattants ayant voté pour Hitler *La situation dans les tribunaux et l'absence totale de justice *La médecine et la science nazies *Le référendum truqué en vue de l'annexion de l'Autriche au Reich
*tableaux 3-12
*tableaux 4-5-7-17 *tableau 9 *tableaux 6-19 *tableau 13 *tableau 14 *tableau 13
34
*tableaux 3-10 *tableaux 2-3-9-10-14 *tableaux 10-11-21
*tableaux 2-10-15 *tableaux 3-16 *tableaux 17-18-19-24 *tableau 19 *tableau 6 *tableaux 7-8 *tableau 24
Finalement, pour employer les termes d'Alain-Michel Rocheleau, par ce rapport des
événements dont l'Allemagne fut le théâtre, et à travers ce travail de création basé sur
l'élaboration d'une transposition «réaliste du vécu communautaire des hommes82 » , Brecht
« s'emploiera à construire une œuvre capable d'esquisser une image instructive du monde
réel83 », et c'est cette «illustration démonstrative du fonctionnement déshumanisant de
systèmes puissants [qu'il entreprendra d'inscrire] dans [1' ensemble] des contenus
thématiques de ses textes dramatiques et dans les interactions des personnages qui y
figurent84.» En ce sens" Grand-peur et misère du Ille Reich s'intègre directement dans la
ligne de pensée du théâtre épique.
82 Ibid. , pA3. 83 Ibid. , pA3. 84 Ibid. , p.90.
35
Théâtre épique: vision didactique, préoccupation communicationnelle et pédagogie de
conscientisation
Durant ses années d'exil forcé, en raison du contexte sociopolitique et de la montée
du nazisme en Allemagne, Bertolt Brecht fut contraint d'abandonner l'écriture de ses pièces
didactiques. Cependant, ces années de recherche et d'exploration théâtrale permirent à
Brecht ainsi qu'à ses complices, amateurs et professionnels du théâtre, de détecter et de
développèr le lien possible et étroit entre la réflexion au théâtre et l'action dans le quotidien.
Grâce à leurs observations et à leurs découvertes, ils entreprirent alors d'accorder une
fonction pédagogique comme valeur première à cette nouvelle forme de théâtre, et firent
« de l'éducation du public l'un des principaux objectifs du théâtre épique85 ». Ces éléments
fondamentaux tiendront dès lois une place primordiale dans tout son travail d'écriture.
Témoin et victime directe de cette nouvelle structure où le système dominant86, dirigé par
une minorité de puissants, vise la soumission totale d'une majorité de faibles, prov'oquant
du coup sa désintégration par l'anéantissement de sa conscience collective, Brecht ne peut
que se questionner sur le vécu àliénant et, comme l'explique Rocheleau :
[ sur] l'impuissance généralisée dans laquelle sont plongées de vastes majorités d'individus, leur servitude souvent "aveuglée" devant un ensemble de forces et de règles qui les gouvernent socialement, politiquement et économiquement, et des atrocités -guerres, conflits, destructions, dictatures, répressions, génocides -"justifiées" par les puissants comme des faits "inévitables" dans l'évolution de l'humanité87
•
C'est pourquoi, à l'aube d'une seconde guerre mondiale, Brecht décidera de dénoncer les
injustices, le chantage, la manipulation, la terreur dont une grande partie de la population,
peu importe le statut, le métier ou les origines, est victime. De plus, il tentera de démontrer
à ces mêmes victimes comment, par leurs actions et leurs réactions, par leur tolérance et
leur soumission,. le tout entretenu par une «léthargie de l'ignorance heureuse88 »
85 Ibid., p.97. 86 Nous entendons par «système dominant» le regroupement des hauts dirigeants qui solit à la tête de l'organjsation et du contrôle général de la société sur les plans éducatif, militaire, hospitaljer, juridique, etc. 87 Alajn-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.48. 8 Ibid. , p.48.
36
encouragée et maintenue par ceux qui détiennent le pouvoir, elles peuvent bien, malgré
elles, perpétuer ce climat destructeur. Comme le soulignait Brecht lui-même: «Les uns
avaient des quantités d'armes et ils s'en servaient, les autres n'avaient que l'arme de la
raison, et ne l'utilisaient pas89 ». Et c'est ce constat qui l'amènera à « "sonner le réveil" du
public-dormeur9o » et
à bâtir un théâtre "révoluti~nnaire", capable de démontrer que loin d'être les fruits de forces occultes et inchangeables, tous ces phénomènes qui rabaissent l'homme dans son humanité émerg'ent directement de la volonté d'une minorité de personnes - chefs politiques, militaires, industriels, etc. Ces criminels qui, en plus de savoir manipuler l'ensemble de leurs concitoyens et de réduire au silence tous ceux qui s'opposent à leurs projets, parviennent à maintenir en place un "désordre social" qu'ils décrivent paradoxalement comme un ordre souhaitable91
•
Le théâtre épique se dressera donc contre les politiques instaurées en vue de
restreindre la liberté des hommes, en offrant sur scène aux spectateurs la reproduction de
leur propre vie, afin de mieux .comprendre les rouages du système qui les opprime pour
ensuite s'en affranchir.
La démarche dialectique
Afin d'extirper le citoyen de cette condition de vie dans laquelle il se trouve englué,
et dont il est à la fois le responsable et la victime, et ainsi mettre un terme à ce cercle
vicieux où bourreaux et opprimés s'incarnent en une seule personne, l'investigateur de ce
nouveau théâtre dit « didactique» invitera le spectateur à libérer sa pensée, sa raison et son
sens critique en dévoilant sur scène « ce que cachent ou mystifient les actes multiformes
d'oppression et d'exploitation [ ... ] et [en] illustr[ant] comment se manifestent leurs effets,
tant dans le 'vécu relationnel des individus que dans le développement de collectivités
89 Bertolt Brecht, Écrits sur la politique et la société, p.146. C'est nous qui soulignons. 90 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, pA8. 9 1 Ibid., pA8.
37
entières92.» En préconisant une écriture fragmentaire plutôt que continue, Brecht mettra en
scène une série de situations de communication, de comportements face à certains types
d'événements, qui pourront paraître étranges aux spectateurs, mais qui sont en réalité
empreints d'une profonde vérité. Cela peut être transmis par des attitudes verbales ou non
verbales répétées au quotidien, des réactions employées dans la vie de tous les jours mais
qui, une fois mises de l'avant et agrandies sur scène, comme si elles étaient analysées au
microscope, nous semblent dénuées de tout se"ns. De cette manière, en réaction face à ce
qui lui a été présenté sur scène, extraits à travers lesquels il se reconnaissait et qui lui
paraissaient n'avoir aucune cohérence, le spectateur sera en mesure de reconnaître et de
décoder à nouveau ces mêmes attitudes, ces mêmes comportements, ces mêmes réactions
dans son environnement et de s'y opposer en les modifiant, en les transformant.
Voici la définition que Brecht donne au théâtre épique:
Le théâtre épique s'intéresse avant tout au comportement des hommes les uns envers les autres, là où ce comportement présente une signification historico-sociale. Il fait ressortir des scènes dans lesquelles des hommes agissent de manière telle que le spectateur voit apparaître les lois qui régissent leur vie sociale. En même temps, le théâtre épique doit définir les procès sociaux dans une perspective pratique, c'est-à-dire fournir des définitions qui donnent les moyens d'intervenir sur ces procès. [ ... ] Le comportement humain est montré comme susceptible d'être transformé et l'homme comme dépendant des rapports politicoéconomiques dont il est capable d'assurer la transformation93
•
Bref, tel que cité dans notre introduction, Bertolt Brecht fait du «comportement des
hommes les uns envers les autres94 » la pierre angulaire de son théâtre, comportement, ici
synonyme de communication, notion développée par Paul Watzlawick dans Une logique
de la communication et sur laquelle nous reviendrons plus loin dans l'analyse. "Fonder la
représentation théâtrale sur les interactions développées entr~ personnages et ainsi mettre
92 Ibid. , p.I21. 93 Ibid., p.59. C 'est nous qui soulignons. 94 Ibid. , p.61 .
38
l'emphase sur les types de modèles relationnels qui régissent la communication des
«"hommes aux prises avec d'autres hommes,,95» est, selon l'auteur d'Homme pour
Homme , la meilleure VOle à emprunter pour démontrer aux spectateurs, non le
« pourquoi », mais bien «comment» les processus que renferme chaque procédé
d'échange fonctionnent. En somme, comme expliqué ci-haut, il s'agit d'exposer au public
les lois qui régissent leur vie sociale. En présentant de cette façon le genre de pouvoir
néfaste que ces lois, établies par les plus forts, imposent via une relation/interaction très
souvent de type dominant-dominé - situation que la masse entretient de manière
involontaire et contradictoire par l'ignorance des impacts de ces, lois dans leur vie - les
spectateurs seront en mesure de confronter et de critiquer les paradoxes qui s' y renferment
et qui pourrissent de multiples situations de communication, réalité dont ils ne peuvent plus
se cacher maintenant qu'ils en ont pris conscience.
Mais comment faire ressortir aux yeux du spectateur, par l'entremise de l ' acte
, théâtral, ces lois contradictoires et déshumanisantes? Par quels procédés d'écriture et de
mise en scèn,e Brecht pourra-t-il mettre en relief les paradoxes créés par un système qui
supporte des règles à l'origine d'un mécanisme de communication déséquilibré, pour
qu'enfin les individus, aussi dépendants que responsables des lois qui en découlent,
puissent en prendre conscience en vue d'un rétablissement d'une vie sociale équitable et
juste, où l'homme pourra s'épanouir en toute liberté?
Lesprocédésforl1leh
Si « le comportement des hommes les uns envers les autres» représente la pierre
angulaire de la dramaturgie de Brecht, «le théâtre épique, quant à lui, s'appuie sur l'idée
de contradiction96.» Ce monde réel, Ique la fable brechtienne tente' de reproduire le plus
fidèlement possible sur scène, est basé en fait sur de multiples contradictions que l'auteur
et metteur en scène souhaite démystifier, «par le biais de situations et de comportements
95 Ibid., p.61 96 J.Jacques Roubine, Introduction aux grandes théories du théâtre, p.138.
39
"paradoxaux" [riches de sens], qui emprisonnent ses personnages dans des structures où
ces derniers se contredisent sans cesse97 », pour, dès lors, les définir comme étant .
critiquables et transformables. Afin de réaliser une telle chose, deux procédés formels,
deux dispositifs essentiels à sa démarche dramaturgique 'et à la réalisation de son objectif
final, s'imposent: la distanciation et le gestus social.
Voici comment J.Jacques Roubine définit l'effet de distanciation dans Introduction
aux grandes théories du théâtre: «Il s'agit de mettre l'objet de la représentation [les
comportements humains dans leur aspect interactionnel] à distance du spectateur [en y
exposant de manière flagrante les contradictions] pour qu'il éprouve le sentiment de son
étrangeté. Pour qu'il le considère, non plus comme allant de soi, comme naturel, mais
comme problématique. Pour qu'il excite sa réflexion critique [et du coup remette en
question son engagement socialt8.» En somme, c'est de «rendre inusité ce que nous
expérimentons machinalement dans nos systèmes de communication99 », faire paraître nos
comportements réguliers «étonnants », «insolites », et finalement, par-dessus tout,
remettre en question le fonctionnement du système qui nous englue et auquel le
désintéressement et la soumission participent chaque jour. Le procédé de distanciation
« sert [donc] à illustrer avec "étrangeté" ce que l'homme a souvent peine à objectiver dans
le monde concreeoo », soit sa propre réalité. La distanciation amènera le spectateur à se
questionner sur les contradictions et les paradoxes qu'il Y décèle, à demander des
explications et à l'avenir, à remettre en cause son quotidien via les situations
interactionnelles qui se présenteront à lui. Donc,« le théâtre brechtien fera en sorte que le
public accède "à un niveau plus élevé d'intelligence des choses"lOl », des conditions
inacceptables, mais trop souvent perçues comme naturelles, vu leur récurrence.
97 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.77. 98 J.Jacques Roubine, Introduction aux grandes théories du théâtre, p.138. 99 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.80. 100 Ibid. , p.80. l OI Ibid., p.83.
40
Un autre procédé s'apparente à l'aspect interactionnel des personnages brechtiens,
le gestus social. Celui-ci sert davantage à préciser et à clarifier, pour le spectateur, quel
type de positions relationnelles adoptent les individus dans les situations d'interaction qu'ils
partagent avec leurs congénères. Que cette communication soit digitale (verbale) ou
analogique (non-verbale), quels genres de comportements affichent-ils, de style soumis ou
dominant? Face à leurs interlocuteurs, adoptent-ils une position haute, ou basse, égalitaire,
symétrique/conflictuelle, etc. ? Brecht le décrit en ces termes:
[tout ce qui est] attitudes corporelles, intonations, jeux de physionomie sont déterminés par un gestus social: les personnages s'injurient, s'adressent des compliments, s'instruisent l'un l'autre. Au nombre des attitudes prises par des hommes les uns envers les autres, comptent même les attitudes en apparence entièrement privées telles que les manifestations de la douleur physique dans la maladie, où les manifestations gestuelles sont le plus souvent très complexes et pleines de contradictions, de sorte qu'il n'est plus possible de les rendre en un seul mot102
•
Le gestus social est donc un outil supplémentaire pour venir appuyer ce qui est développé
sur scène, pour amener le spectateur à décoder l'image qu'il renvoie, qu'il projette (le plus
souvent soumise) et pour afficher clairement certaines contradictions qui, sans son
utilisation, pourraient passer inaperçues. Par l'emploi de ces deux procédés, soit l'effet de
distanciation combiné au gestus social, pour une mise en valeur des comportements
contradictoires, Brecht peut réunir de façon efficace la communication digitale et
analogique et ainsi « démarquer [de manière surprenante], dans son œuvre, l'illogisme - ou
'1'aspect "paradoxal" - que renferment bon nombre de circonstances humaines et dans
lesquelles ses personnages sont plus souvent prisonniers.103 »
102 Ibid. , p.86-87. 103 Ibid. , p.87.
41
Pour une réforme par la conscientisation
Brecht, par cette «autre manière de montrer le réel, de mettre en pièces les
apparences104 » et les opinions, de «mobilise[r] le sens critique des spectateurs105 » , et en
faire des « acteurs» de leur vie sociale en « les incit[ant] à découvrir par eux-mêmes une
vérité plus complexe que celle à laquelle ils adhéraient en entrant au théâtre l06 », est
littéralement l'un des précurseurs de ce que nous pouvons appeler l'art théâtral moderne.
Refusant de jouer avec un type de personnage tout droit sorti d'une « vieille littérature 107 .»,
dont la psychologie et l'intériorité amènent le spectateur à s' identifier à lui, et donc à se
réfugier dans une autre réalité qui n'est malheureusement pas la sienne, l'auteur de Mère
courage et ses enfants rêve plutôt d'une nouvelle dramaturgie qui saurait exposer « sur
scène "un réseau de relations sociales entre les hommes" [ ... ] [un théâtre à] portée épique,
qui "enseigne un monde changeant, qu'on peut et doit aménager."108 »
Ce théâtre doit nous apprendre, par la mise en scène «d'attitudes [ ... ] comme
autant de gestus [sociaux] contradictoireslQ9 », à observer, à critiquer et à décortiquer les
comportements des hommes en société (soit nos comportements) dans leur aspect
interactionnel, toujours de manière à les remettre en contexte par rapport au type
d' environnement qui les influence . .
Problématique de recherche: communications paradoxales et conflit intérieur
C'est à la lumière des différents procédés mis de l'avant par Brecht et son théâtre
épique, où le comportement à la fois digital et analogique des personnages lors de
situations interactionnelles est présenté de façon à ce que le lecteur/spectateur y perçoivè
les contradictions et les paradoxes qui s'y développent, que nous avons pu établir notre
104 J.Jacques Roubine, Introduction aux grandes théories du théâtre, p.l37. J05 Ibid. , p.l37. 106 Ibid., p.l37. 107 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.57. 108 Ibid. , p.57. 109 Ibid. , p.l29.
42
propre démarche de recherche. Elle est basée sur l ' analyse de l'aspect comportemental des
personnages de la pièce Grand-peur et misère du Ille Reich, celle-ci toujours orientée vers
la démystification de ces mêmes comportements contradictoires.
En effet, il est parfois difficile de constater, d 'être le témoin, suite à une lecture ou à
une représentation d'une pièce de Brecht, de cette « docile complicité110 » dont font preuve
les personnages. On y expose ce lien étrange et contradictoire qui se manifeste chez les
victimes, à savoir qu ' elles doivent se soumettre au système oppressant qui dicte leur vie et
leurs comportements, mais qu'elles sont aussi les complices de ce même système aux
. mécanismes et aux règles déviantes, complicité que cette soumission entraîne et qui
entretient, malgré elles, des « liens de "réciprocité" avec leurs bourreaux 111. » Brecht, dans
Grand-peur et misère du Ille Reich, comme dans l'ensemble de son œuvre d'ailleurs, n' a
pas peur de mettre aù premier plan ces situations de contradictions extrêmes, de centrer ses
récits épiques autour de mécanismes oppressifs qui n'ont aucun mal à se maintenir en place
grâce à la faib~esse, à l'ignorance et à l'aveuglement qui abrutissent l'ensemble de la
population ·: riches et pauvres, citadins et paysans, hommes et femmes, jeunes et moins
jeünes. Ces systèmes dictatoriaux, où une seule vision, une s~ule idée peut prédominer,
soit celle du plus fort, et qui, grâce à l'asservissement des plus faibles, arrivent à mettre en
place, comme l'explique Rocheleau, des « situations de communications [qui 1 prendront le
plus souvent [ ... l l'aspect de structures [ ... l qui, tout en conservant leur homéostasie l1 2, ne
servent que les intérêts des puissants, qu'à garantir la permanence de certains modèles ·
d'oppression ou le fonctionnement de quelques règles qui, au départ, favoriseront les
oppresseurs et leurs visées destructrices 11 3. »
110 Ibid., p.69. 111 Ibid. , p.69. 11 2 Nous référons le lecteur à la page 64 du chapitre 3 pour la définition de la notion d'homéostasie. 113 Ibid., p.76.
43
Les citoyens eux, tel qu'exposé dans la dramaturgie brechtienne, sont poussés,
englués et pris au piège dans ce système où aucune communication en apparence ne pourra
les éclairer et qu'ils ont contribué à forger par leur « allégeance silencieuse », n'arrivent
plus à restaurer leurs balises et n'entrevoient comme solutions que l'isolement, pour être
sûr de ne pas se trahir ou de se parjurer soi-même, et l'endurcissement face aux malheurs.
En somme, ils choisissent «de fermer les yeux et d'abandonner [ ... ] tout effort de
réflexion critique sur ce type de réalité, quitte à déléguer à des minorités sans scrupules le
pouvoir de diriger leur destinée commune l14.» Comme le démontre si bien cette réplique
tirée du tableau 4 de Grand-peur et misère du Ille Reich, « Entre nous, mieux vaut ne pas
trop comprendre 115» ; c'est derrière ce type de pensées que la population cherchait à se
réfugier afin d'échapper aux horreurs et aux injustices dont elle ne voulait pas être partie
prenante.
Désarmés face à ce contexte insoutenable, il ne leur restait plus qu'à chercher,
chacun à leur façon, le meilleur moyen de s'en tirer, quitte à trahir leurs proches et à
piétiner leurs propres valeurs pour, finalement, s'oublier, sombrer et se perdre dans des
lois, des règles, des maximes établies par leurs oppresseurs telles que «l'intérêt général
prime sur l'intérêt particulier116 », ou bien encore «Tu n'es rien, le peuple est tout11 7• »
C'est à travers elles que chaque individu, comme l'explique Brecht, «saurait bien, par
contre, en considérant sa paye, qu'au terme d'une longue semaine de travail il n'a guère
servi ses propres intérêts ; les familles, en apprenant par un bref avis des autorités que le
père ou le fils est mort au champ d'honneur, sauraient également qu'il n'a servi ni leurs
intérêts ni les siens; néanmoins, on persisterait à raconter qu'il a servi l'intérêt général118• »
11 4 Ibid. , p.46. 115 Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.33. 116 Bertolt Brecht, Écrits sur la politique et la société, p.179. 117 Pierre Ayçoberry, La société allemande sous le IIr Reich: 1933-1945, p.194. 11 8 Bertolt Brecht, Écrits sur la politique et la société, p.179.
44
Nous aussi, en tant que spectateurs, cette situation nous interroge et nous ébranle,
au point de vouloir, tel que le souhaitait Brecht, en connaître et en décortiquer les
fondements qU! entretiennent un effet pervers sur l'ensemble de la population, mais que
personne, paradoxalement, ne conteste ouvertement. Plusieurs questions nous viennent
alors à l'esprit. Comment un contexte de vie non désiré peut-il malgré tout persister ?
Comment des citoyens peuvent-ils être témoins et conscients des défaillances d'un système
aux règles destructrices, mais ne rien faire pour y mettre un terme, et même, y contribuer
par cette non-réaction ? Comment des hommes, des femmes libres peuvent-ils remettre en
des mains sadiques et cruelles la seule arme qui leur garantit leur liberté, à la fois si
difficile à gagner et si facile à perdre, soit la liberté de penser par eux -mêmes? Par
l'entremise de quelle force" des gens peuvent-ils aller jusqu'à perdre tout sens critique, tout
jugement, toute raison? Comment peuvent-ils être spectateurs des pires atrocités, et même
être touchés directement par elles, et ne rien dire, ne rien faire? Pourquoi vont-ils jusqu'à
agir en complète contradiction avec ce que leur dicte leur conscience, prétextant que c'est
ce qu'il y a de mieux à faire pour le « bien-être» de tous, alors que cette alternative ne leur
apporte que malheur, tristesse et culpabilité? Comment une communauté au grand
complet peut-elle tolérer un système politique qui lui impose, sous peine de mort, ce genre
de situation ?
En grande partie parce qu'ils ne sont plus une communauté, parce qu'ils sont seuls,
parce qu'ils ont perdu la force d'être ensemble et de communiquer, seule manière possible
et nécessaire pour rétablir et restaurer l'ordre social. Parce qu'ils ne peuvent plus faire
confiance à leur~ pairs, que leurs repères se sont effondrés et qu'il leur est impossible de
réagir de façon logique, cohérente et efficace. Parce que, comme le dit Brecht, la barbarie
ne peut qu'entraîner la barbarie. Et tant et aussi longtemps que les gens se réfugieront dans
leur solitude, seule complice qui ne peut pas les trahir, tant que certains individus
«expliqueront la mise en place d'un contexte d'oppression en faisant référence aux
"conséquences normales" ou "inoffensives" des jeux de forces sociales qui s'agitent et
45
opèrent en vue du "bien-être" de tous, [pendant que] d'autres, pour avoir ne serait-ce que
contesté ce "savoir-vérité", seront alors traités d'''agents subversifs", d'''adversaires de
l'ordre établi", sévèrement punis pour cet affront et parfois même tués, au nom de l'intérêt
[général]1l9 », tant qu'« autant de gestus contradictoires12o » seront aux commandes du vécu
collectif et quotidien, il n'y aura pas de solution possible à toutes ces questions, aucun
rétablissement ne pourra être envisagé et l'incommunicabilité continuera à se faire le
rempart de ce système dictatorial.
Mais avant de pouvoir en expliquer et mieux en comprendre les raisons, il faut
d'abord savoir en détecter les causes, en connaître la provenance et en analyser le
«processus ». C'est en partant de ce principe, que le théâtre épique a toujours mis de
l'avant, que nous . axerons d'abord notre recherche basée sur «comment» une telle
situation, «comment» un tel «pattern» a pu s'installer. En somme, déterminer quels
principes fondateurs peuvent être à l'origi.ne d'un tel chaos, ou comme le présenterait
Brecht, quelles en sont les règles, quelles sont ces lois assez fortes pour déstabiliser, réduire
au silence et être capable de maintenir sous sa gouverne une communauté au grand complet
en la privant de son autonomie et de son organisation ? Les gestus sociaux, présents dans
Grand-peur et misère du Ille Reich, servent à créer l'effet de distanciation entre ce que
l' œuvre présente et ce que nous recevons, nous permettant alors de percevoir et de ressentir
les contradictions et les paradoxes développés entre la consci~nce des personnages et leurs
agissements. La découverte de ces contradictions dans les agissements des protagonistes,
et du sentiment de conflit intérieur qui s' y rattache, nous amènera à questionner les règles à
. l'origine de leurs fonctionnements. Or, ce type d'analyse, élaboré dans le but de saisir les
éléments inducteurs du contexte dans lequel prennent place les multiples communications
paradoxales, exigera de faire un retour sur l'ensemble des situations de communication
11 9 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.120. 120 Ibid., p.129.
46
elles-mêmes afin d'en faire une étude pragmatique, soit l'étu~e des effets qu'engendre le
contexte sur les différentes manifestations interactionnelles.
Mais auparavant, nous présenterons, dans le chapitre suivant, les notions et les
concepts basés sur une approche pragmatique de l'étude de la communication, qui nous ont
permis de concevoir et de réaliser la microanalyse des multiples situations de
communication présentes dans la pièce Grand-peur · et misère du //{e Reich de Bertolt
Brecht. Ce cadre d'observation, élaboré à partir des théories de la Nouvelle
communication, nous fournira la clé pour ensuite faire l'analyse de l'état général des
situations de communication à l'étude.
· CHAPITRE 3
Approche théorique et méthodologique : pour une vision pragmatique de la communication
La communication est à ce point fondamentale
que la survie même " des êtres vivants [en]
dépend", car elle est directement liée à
" l ' information convenable ou non gu ' ils
reçoivent sur leur environnement" [ . . . ]. Autrement dit, sans l'échange d 'une foule de
messages et de renseignements, " que nous
appelons la communication" , l' homme ne pourrait pas exister.
Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.39-40.
Ce que le père dit à son fils, il le lui dit pour ne pas se faire arrêter. Le prêtre feuillette sa bible pour trouver les phrases qu'il peut prononcer sans se faire arrêter. L'enseignant, ayant à expliquer telle ou telle décision de Charlemagne, cherche quel mobile il peut enseigner sans qu'on l'-arrête. Signant le permis d'inhumer, le médecin choisit d'indiquer les causes de décès qui n'entraîneront pas son arrestation. Le poète se casse la tête à la recherche d'une rime pour laquelle on ne pourra pas l'arrêter. Et pour échapper à l'arrestation, le paysan se résout à ne plus nourrir sa truie121
•
Comment a-t-on pu en arriver là? Quel genre de système politique a bien pu faire
de cette dynamique de groupe, où la liberté d'expression ainsi que les droits individuels
sont brimés, bafoués, le lot du quotidien pour l'ensemble d'un peuple? Afin de bien
comprendre dans quels types de situations de communication les personnages de la pièce
Grand-peur et misère du Ille Reich se retrouvent coincés, situations qui font naître en eux
121 Bertolt Brecht, Écrits sur la politique et la société, p.iSI.
48
cette dualité, ce conflit intérieur où actes posés vont à l'encontre de ce que leur conscience
leur dicterait de faire en temps « normal », il faut d'abord saisir dans quel contexte évolue
ces «personnes-en-communication-avec-d'autres-personnes122 »", et ce, à travers l'analyse
des règles, des contraintes sociales qui caractérisent et que leur impose ce conte~te.
Comme le précise Watzlawick, dans un système en interaction où les êtres sont en
continuelle relation entre eux, ceux-ci se définissent et se décri vent via les situations de
communication qu'ils entretiennent. Puisque ces situations sont établies et régies selon les
règles et les contraintes que dicte le système en place, cela revient à dire que les
comportements des individus sont définis par ce système. En somme, il faut étudier
l'individu en interaction pour saisir le contexte, mais aussi étudier le contexte pour
comprendre l'individu en interaction. Bref, tel que démontré par Alex Mucchielli ainsi que
par l'ensemble des théoriciens qui se sont penchés sur la question de l'analyse pragmatique
des situations communicationnelles, on ne peut expliquer « le sens des communications qui
se déroulent entre des acteurs, [qu'] en les remettant dans le contexte du système des
communications dans lequel elles s'insèrent 123. »
En ce sens, la microanalyse des 24 tableaux de la pièce aura comme cellule de base
la communication entre les personnages. En adoptant une approche inspirée de la Nouvelle
communication basée sur l'étude des effets qu'entraîne la communication sur les
comportements de ceux-ci, nous tenterons de discerner la fonctionnalité de chacune des
cellules de communication que renferme la pièce Grand-peur et misère du Ille Reich. Cette
phase de recherche sur les formes des séquences d'interactions humaines et sur les
processus qui alimentent les dynamiques interactionnelles entre les personnages nous
permettra, en y observant les récurrences, ou redondances, de prélever les règles qui
président aux échanges entre les personnages. Puisqu'« on ne peut pas communiquer sans
être dans un système de règles 12 4 » qui dicte et induit en somme les actions et.1es échanges,
" 122 PaulWatzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.120. 123 Alex Mucchielli , Théorie systémique des communications: principes et applications, p.26. 124 Alex Mucchielli, Les situations de communication: approche formelle , p.14.
~ ~~----~ ---------~------~
49
cette étape sera primordiale pour comprendre ensuite, dans une perspective globalisante, ce
qui conduit les personnages à adopter des comportements contradictoires. Voici
maintenant la présentation détaillée des concepts qui seront utilisés en vue de la
microanalyse pragmatique des situations de communication présentes dans la pièce de
Brecht, concepts qui couvriront à la fois les aspects rationnels et relationnels des
interactions et qui forment la grille d'observation et d'interprétation des multiples
dynamiques d'échange I25•
Microanalyse : recherche sur la forme des situations de communication
[ ... ] la communication affecte toujours le comportement, et c'est là son aspect pragmatique. [ ... ] Nous considérons les deux termes, communication et comportement, comme étant pratiquement synonymes. Car les données de la pragmatique ne sont pas simplement les mots, leurs configurations et leurs sens [ ... ], mais aussi leurs concomitants non verbaux et le langage du corps. [ ... ] Selon cette conception de la pragmatique, tout comportement, et pas seulement le discours, est communication, et toute communication [ ... ] affecte le comportement126
•
C'est sous cet angle pragmatique, défini ici par Watzlawick dans Une logique de la
. communication, que nous avons choisi les concepts qui « sauront efficacement montrer les
grands processus humains l27 » qui relèvent des situations d'interaction développées entre
les personnages, «tout en mettant en relief l'environnement dans lequel ceux -ci se
déploient128.» Comme l'explique Mucchielli, si l'homme se concrétise dans sa pleine
potentialité, se réalise par son engagement social et signe son existence dans le monde
grâce à la communication, allons voir comment son existence peut être aussi affectée par
cette communication et de quelle façon celui-ci peut se positionner ou se repositionner par
rapport à elle et grâce à cette dernière.
125 Voir tableau synthèse de la microanalyse de Grand-peur et misère du IIr Reich de Bertolt Brecht en annexe. 126 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.120. 127 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.53. 128 Ibid. , p.53.
50
Mise en représentation : Scène et Coulisse
Les concepts de Scène (région antérieure) et Coulisse (région postérieure), tels que
présentés dans Mise en scène de la vie quotidienne: la présentation de soi d'Erving
Goffman, ont été choisis pour leur pertinence quant aux séquences développées par
l'auteur. Ces concepts opèrent une grande influence sur l'état mental des personnages et
induisent fortement leurs comportements en situation d'interaction, à savoir que ceux -ci
n'agiront jamais de la même façon, ou ne divulgueront jamais le même type d'information,
s'ils se retrouvent en Scène, sur la place publique, soumis aux regards de tous incluant leurs
bourreaux, ou en Coulisse, dans l'intimité de leur salon, avec pour seul témoin un proche
en qui ils ont confiance.
Commençons par le cas de la représentation antérieure, dite en Scène. Le
personnage, s'il doit prendre part à une interaction dans ce type de circonstance, fera en
sorte, comme le stipule Goffman, d'« accentue[r] l'expression de certains aspects tandis
qu' [il] en dissimule[ra] d'autres qui pourraient discréditer l'impression produite129.» Il
trafique en quelque sorte les apparences, allant même jusqu'à modifier ses opinions pour
ne pas faire ou pour ne pas laisser entendre ce qllÎ pourrait se retourner contre lui. Ce genre
de « comédie réclame une constante tension130 », car le personnage doit se construire une
façade, jouer un certain rôle selon des règles strictes établies par l'ensemble de la mise en
scène sociale, se dépouillant ainsi de sa propre identité. Ce type de langage, employé
spécifiquement lors des représentations en Scène, provient de certains effets que la
représentation en public induit sur la psychologie du personnage. La surveillance et le
regard d'autrui restreignent sa liberté, le gênent, forcent le personnage à porter attention à
ce qu'il fait, et surtout à ce qu'il dit. Celui-ci ressent le jugement que ses interlocuteurs
portent sur lui, ce qui le « pousse à se conformer aux usages en vigueur », « à faire ce qu'il
faut dans la situation]3]. »
129 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne: la présentation de soi, tome 1, p.IIO. 130 Ibid. , p.ll1. 131 Alex Mucchielli , Les situations· de communication: approche formell~, p.44.
51
On comprendra à ce stade-ci que la représentation en Scène du personnage n'est pas
forcément liée à un emplacement dans l'espace, celui-ci pouvant s'y voir propulsé alors
qu'il se trouve assis dans le confort de son foyer. La présence de certains d'entre eux, leur
statut hiérarchique, les opinions qu'ils entretiennent, ou bien la menace qu'ils représentent,
obligeront le personnage à surveiller ses dires, ses actions, puisqu'il se livre à une
représentation de lui -même dans un contexte où certains peuvent chercher à le prendre en
défaut. Dans des systèmes «ayant une forte culture hiérarchique 132 », les haut placés
tenteront d'imposer leurs opinions à leurs subordonnés, d'influencer la communication
grâce à leur statut sùpérieur et menaçant. Très souvent, «la présence prestigieuse133 »
impose certaines « règles de bienséance et de po1itesse134 » en plus d'augmenter la tension
entre les interlocuteurs, phénomène aboli . lorsque le personnage se joint à un collègue du
même statut pour interagir, ce qui donne lieu à des échanges plus libres, à une conversation
plus détendue. En Scène, le personnage fait ce qu'on attend de lui, désire passer pour
quelqu'un d'estimable, oriente sa conduite et ses propos en fonction de qui les reçoit,
même si, souvent, ceux -ci sont en parfaite opposition avec ce qu'il pens,e et ce qu'il
souhaite réellement.
En Coulisse, la situation devient tout autre. C'est là que les masques tombent, que
la pression sociale diminue et que les personnages cessent de «jouer la comédie», de tenir
un rôle qui n'est pas le leur. C'est le lieu d'une plus grande vérité, des échanges spontanés,
des valeurs réelles et des rapports les plus sincères. On s' y réfugie pour se faire
réconforter, pour divulguer ses souffrances, pour être aidé et soutenu par d'autres
personnages. C'est là aussi, comme le précise l'auteur de La mise en scène de la vie
quotidienne, «qu'on fabrique ouvertement les illusions et les impressions135 », que le
personnage peut répéter tranquillement son rôle et préparer son entrée en Scène, lorsque les
132 Ibiq., p.44. 133 Ibid., p.45. 134 Ibid. , p.45. 135 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne: la présentation de soi, tome l , p.IIO.
52
circonstances l'exigent. «La région postérieure peut se définir ici comme l' ensemble dés
endroits sur lesquels la caméra n'est pas braquée à un moment donné, ou qui sont hors de
portée des micros branchés "en direct,,136 » et où, de préférence, le personnage «peut avoir
l'assurance qu'aucun membre du public ne fera intrusion137 » , ce qui donne lieu à des
échanges au contenu clandestin, puisque s'ils «étai[ent] communiqué[s] par des voies
officielles [ ... ], ils contrediraient et discréditeraient la définition de la situation
officielle138.» Pour nous, ce sera le refuge des marginaux, là où manigancent les grévistes,
où la résistance rédige ses pamphlets, où le paysan fait manger secrètement sa truie, où les
scientifiques consultent les dernières découvertes d'Einstein, etc. Cependant, le
personnage en Coulisse n'est pas forcément à l'abri de tout soupçon: il peut également
arriver qu'un autre acteur qui prend part à l'interaction soit mécontent, «devienne un
renégat et révèle au public les secrets de l'activité que ses confrères de naguère poursuivent
encore139.» La délation est une réalité dont les personnages en Coulisse doivent tenir
compte, même si l'interlocuteur est un ami, un collègue, une voisine, et même, un parent
proche.
Pour terminer, Erving Goffman stipule que « partout dans la société occidentale, on
observe la coexistence d'un langage familier du comportement ou langage des Coulisses et
d'un langage du comportement réservé aux occasions où l'on donne une représentation [en
Scène.] [ ... ] Plus fondamentalement encore, il n'existe pas, dans la réalité concrète des
conduites qui seraient toutes de spontanéité ou au contraire d'autres qui seraient tout
entières de cérémonie 140. » Ce constat implique une forte dualité entre les deux mondes,
puisque ceux-ci entraînent des comportements de type Scène et de type Coulisse qui sont
très souvent le foyer de nombreuses contradictions, provoquant chez les personnages un
sentiment de culpabilité face au mélange réel et inévitable des deux st Y les qui
136 Ibid. , p.116. 137 Ibid., p.lll. 138 Ibid., p.163. 139 Ibid. , p.158. 140 Ibid. , p.124-125.
53
s' entrechoque~t. L'étude de certains systèmes sociaux présente parfois, plus fortement que
d'autres, ces contradictions entre ce qui est présenté en Scène et ce qui est révélé en
Coulisse. . Pour refléter et comprendre les véritables enjeux en cause, il s'agit maintenant
d'étudier le personnage, non pas dans une seule des deux situations, prétextant qu'une
reflète plus la réalité (Coulisse) que l'autre avec laquelle elle est en contradiction (Scène),
mais celui -ci comme étant «véritablement impliqué dans les deux formes de
communication, et qu'il doit maîtriser soigneusement cette double implication sous peine
de discréditer les projections officielles141 .» C'est la réalité à laquelle seront confrontés les
personnages de Brecht, et qui sera en grande partie responsable du désordre et du conflit
intérieur qu'ils ressentent: véhiculer en Coulisse une communication, une opinion
«incompatible avec l'impression officiellement maintenue durant l' interaction142 » en
Scène.
La notion de position dans l'interaction: relation de type symétrique ou
complémentaire
La communication va bien au-delà d'un simple envoi de message. En effet, l'auteur
de Les situations de communication: approche formelle, démontre « qu'en coIl1Ii1uniquant,
je ne peux pas ne pas affirmer mon être et donc me positionner par rapport à autrui 143 », et
qu'« ainsi, communiquer, c'est en partie établir et spécifier la relation établie avec notre
semblable144.» Il ajoute à cela que « la communication est un outil de positionnement
social145 » , la trame sur laquelle se dessine notre identité. Identité qui, dans le cas qui nous
intéresse, peut malheureusement être altérée dans certains cas où le type de positionnement
employé et entretenu chez le personnage tout au long de la communication peut aussi lui
être imposé sous la contrainte, par pression psychologique ou bien par la force, par son ou
ses interlocuteurs. En ce sens, l'auteur de Grand-peur et misère du Ille Reich a su
141 Ibid., p.163. 142 Ibid., p.163. 143 Alex Mucchielli, Les situations de communication: approche formelle, p.28. 144 Ibid. , p.28. 145 Ibid. , p.lO.
54
développer différents types d'interaction entre ses personnages, dynamiques qu'ils opèrent
tout au long de la pièce sur une base volontaire ou non, et qui font partie d' une évaluation
complète des qualités propres à la communication interhumaine. Pour notre grille
d'observation, nous avons privilégié les concepts d'interaction symétrique et
complémentaire. Face aux besoins de notre analyse, nous utiliserons également celle
d' interaction métacomplémentaire.
L ' interaction de style symétrique [SHS] caractérise les échanges où s' établit une
relation d'égalité entre les personnages appartenant à un même système de communication
et à travers lesquels ils « ont tendance à adopter un comportement en miroirl46 » basé sur
«la minimisation de la différence l47 ». Tel que précisé dans Une logique de la
communication, «dans une relation symétrique "saine", les partenaires sont capables de
s'accepter tels qu'ils sont; ceci conduit au respect mutuel et à la confiance dans le respect
de l'autre, ' et équivaut à une confirmation positive et réciproque de leur moi. 148 »
Cependant, ce type de relation/interaction peut être source de ~onflit lorsqu'il prend
naissance dans un système de communication où il y a une forte culture hiérarchique
(comme cela est le cas dans Grand-peur et misère du Ille Reich de Brecht). Très souvent,
celui qui doit détenir le pouvoir (l'homme, le soldat S.S. ou S.A., le gardien de camp),
selon les règles du gouvernement hitlérien dans lequel les relations de type complémentaire
haute et basse (relation de type dominant-dominé) doivent prédominer, n'acceptera jamais
que son subordonné (la femme, le citoyen, le prisonnier, un juif) se place en position de
communication égalitaire, donc symétrique, avec lui. Comme nous le verrons dans notre
recherche, lorsque cette situation survient, il y a danger que le système éclate, forçant le
partenaire qui doit conserver une position supérieure soit à mettre fin à cette situation de
communication, dont il est en train de perdre le contrôle, soit à obliger son interlocuteur à
146 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.66. 147 Ibid. , p.67. 148 Idid. , p.l 06.
55
reprendre son statut inférieur, que ce soit en employant la force physique ou bien en
menaçant celui-ci de réprimande s'il s'obstine à vouloir conserver ce genre d'attitude.
Pour sa part, l'interaction de st Y le complémentaire se di vise en deux positions
possibles: l'une qualifiée de supérieure, ou haute selon le terme choisi, et l'autre
d'inférieure, dite basse [CHHCB]. La relation/interaction complémentaire haute et basse
se fonde, contrairement à la relation symétrique, sur le maintien et « la maximisation de la
différence 149 » et sur l'inégalité entre les partenaires, tel qu'on le perçoit dans « les relations
du type "parent-enfant", "maître-élève", "oppresseur-oppriiné" ou "dominant-dominé" 150 ».
Nous pouvons attribuer, selon les circonstances ainsi que le contexte social où elle
. s'applique, une connotation négative à ce type de relation, par exemple lorsqu'un mari ne
permet pas à sa femme d'être son égale dans leur relation de couple, et que celle-ci se
soumet à sa volonté. Mais elle peut aussi être positive, quand un enseignant transmet son
savoir à un élève afin que celui -ci puisse bénéficier de ses connaissances et apprendre, et
que leur relation de complémentarité haute et basse concorde avec ce que recherche chacun
d'eux.
Enfin, un dernier type de relation/interaction possible se nomme
inétacomplémentarité. L'auteur de Une logique de la communication la décrit en ces mots: .
«relation [ ... ] dans laquelle A laisse B dépendre de lui ou l'y contraineS1 », soit par
procédé physique ou psychologique, en employant parfois la violence ou la menace. En
effet, la microanalyse de Grand-peur et misère du Ille Reich nous a permis de prélever ce
type d'interaction dans différents tableaux de la pièce de Brecht. Nous pensons aux S.A.
qui menacent des citoyèns, les obligeant à faire exactement ce qu'ils exigent d'eux, sinon
leur famille pourrait en payer le dur prix, ou aux gardiens des camps qui forcent les
149 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.66. 150 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.23. 151 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.67.
56
prisonniers à travailler durement, dans des conditions inhumaines, sous peine de subir des
sévices encore plus cruels.
L'orchestration de la communication: la ponctuation des échanges
En sachant que «la nature d'une relation dépend de la ponctuation des séquences de
communication entre les partenaires 152 », il nous paraissait important d'intégrer cet autre
concept emprunté à la Nouvelle communication, toujours dans l'optique d'une analyse
pragmatique des procédés d'échange" la plus détaillée possible. Lors d'une communication,
les personnages établissent entre eux des modèles d'échange basés sur des règles et des
conventions se référant la plupart du temps à leur statut: « employeur-employé », « mari
épouse », « gardien-prisonnier », « professeur-élève », etc. En général, ils « ponctueront de
fait la séquence [interactionnelle] de manière que l'un ou l'autre paraîtra avoir l'initiative
ou la prééminence, ou un statut de dépendance 153 ». Les personnages qui mettent en place
ces modèles d'échange peuvent s'entendre ou non sur la manière dont ceux-ci sont
ponctués: celui en position «haute» dirige la conversation, prend toujours la parole en
premier, change de sujet quand cela lui plaît, pendant que celui en position «basse»
l'écoute, le laisse parler, prend la parole uniquement quand cela est possible, etc.
Si les personnages sont en accord su~ la façon dont « la ponctuation structure les
faits de comportement154 », celle-ci sera donc, concordante, chacun y tiendra son rôle
volontairement selon le type de ponctuation établi. Par contre, une ponctuation peut être
aussi dite concordante, mais sous la contrainte, selon que l'un des personnages accepte de
se soumettre aux règles de ponctuation, sachant très bien que la communication pourrait ,
éclater si jamais il les contestait. Parallèlement, un phénomène de ponctuation discordante
peut aussi survenir si au moins un des partenaires ne souhaite pas établir ou bien poursuivre
une communication selon le type de ponctuation choisi, ce qui mènera forcément « à des
152 Ibid., p.57. 153 Ibid. , p.53. 154 Ibid. , p.53.
57
impasses dans l'interaction, points auxquels sont finalement proférées les accusations
réciproques de folie ou de malignité l55• » Ce genre de conflit de ponctuation provient d'une
«conviction solidement établie156 », chez l'un des personnages, «qu'il n' existe qu 'une
seule réalité, le monde tel qu [' il le voit, lui] , et qu' il faut attribuer toute conception qui
diffère de la [sienne] à la déraison ou 'à la mauvaise volonté d'autrui 157 . » Ce type de
personnage souhaite agir uniquement selon ses règles, ne laissant aucune marge de
manœuvre possible à ses partenaires. La seule et unique façon de régler ce conflit serait
alors la 'métacommunication, soit de «communiquer sur la communicationl58 » en elle
même, autre concept que nous présenterons plus loin dans ce chapitre.
Répercussion sur le système de communication: la rétroaction
Le concept de rétroaction, ou de «feedback », part du principe que « le
comportement de l'un affecte celui de l'autre et est affecté par lui159 », ce qui entraîne un
phénomène de circularité dans l'ensemble des situations de communication. Cette
rétroaction peut être qualifiée de négative ou de positive selon le type d'impact qu 'elle
entraîne. En ce qui concerne la rétroaction négative, elle est associée à la conservation de
l'équilibre, à l'acceptation et au maintien de la situation, à « la permanence ou la stabilité
d'un système160 ». La rétroaction positive, elle, s'accorde davantage au changement, à la
perte d'équilibre et au bouleversement des règles mises en place.
Voici comment Rocheleau définit ces deux volets du concept de rétroaction, suite à
l'étude de différentes œuvres de Bertolt Brecht. Ces définitions correspondent
parfaitement au type d'application et d'interprétation que nous en avons fait lors de notre
analyse de Grand-peur et misère du Ille Reich:
155 Ibid. , p.92. 156 Ibid., p.94. 157 Ibid. , p.94. 158 Ibid. , p.35. 159 Ibid. , p.26. 160 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.21.
les "rétroactions négatives" regroupent le plus souvent les "actions-réactions harmonieuses" de personnages impliqués dans des relations du type "dominance-soumission". Celles-ci, dans bien des cas, parviennent à se stabiliser, ou à se maintenir en équilibre [même dans la contradiction et le paradoxe] d'un bout à l'autre [de la] pièce, lorsqu'aucun des interlocuteurs-protagonistes ne remet en question ce type de rapport dans leurs échanges mutuels - l'un acceptant de dominer, l'autre de se soumettre docilement, comme c'est souvent le cas dans l'œuvre de . Bertolt Brecht l61
•
58
Nous voyons clairement ici un lien de causalité étroit à faire entre la rétroaction, que nous
décrivons ici, et la ponctuation, qui fut présentée plus tôt dans le chapitre. Une ponctuation
concordante mène très souvent à une rétroaction négative, alors qu'une ponctuation
discordante déclenchera une rétroaction de type positive. Poursuivons avec la définition de
Rocheleau:
Quant à la catégorie "rétroaction positive", nous avons remarqué qu'elle définit généralement l'ensemble des comportements discordants entre au moins deux antagonistes - conflits, des rebuffades, des contestations, etc. - et qu'elle prend forme le plus souvent lorsqu'un personnage cherche à en dominer un autre sans le consentement de ce dernier. [ ... ] En perdurant, [ ... ] ce refus de soumission pourrait conduire . à un changement radical du modèle relationnel "respecté" [ ... ] aussi bien qu'à un renversement ·des positions et des rôles de chacun, etc. 162
•
Dans un monde idéal, il serait souhaitable pour une population d'atteindre un
équilibre entre les deux, celle-ci ayant besoin à la fois de stabilité et de changement. Il
serait faux de dire que la rétroaction négative serait préférable pour le maintien du système
en général alors que la rétroaction positive mènerait au dysfonctionnement de celui-ci.
Leur complémentarité, leur interdépendance permettrait aux gens de vivre dans un
environnement cohérent, où la stabilité des bases serait une force rassurante pour les
citoyens, tout en permettant à ceux-ci d'intervenir et de faire bouger les choses lors de
161 Ibid., p.2I. 162 Ibid. , p.2I.
59
situations illogiques ou néfastes· pour l'équilibre de leur communauté. Malheureusement,
comme nous le verrons au cours de l'analyse qui suit, certains systèmes dominants, avides
de pouvoir, empêchent d' atteindre cet équilibre entre rétroactions négative et positive,
préférant ainsi maintenir en place, en ayant recours à la force et la peur, un gouvernement
qui dicte les règles à sa façon, ne se souciant nullement du bien-être du peuple qui les subit.
Discours sur le contenu et la relation: la métacommunication
Lorsqu'il y a discours sur la communication, lorsqu'un personnage communique
avec son partenaire sur la communication en tant que telle, nous parlons alors de
métacommunication. Nous pouvons retrouver celle-ci sous plusieurs formes: de manière
digitale, ce qui renvoie au discours rationnel du langage, aux mots et au contenu du
message envoyé, ou bien sous forme analogique, soit l'aspect relationnel, le non verbal, ce
qui concerne entre autres les gestes et les expressions du visage. Voici quelques exemples
de ce que pourrait être une métacommunication digitale: si un personnage exprime
verbalement à son interlocuteur comment il se sent par rapport aux agissements de celui-ci,
si un autre tente d'expliquer que ce qu'il a voulu dire était tout simplement une blague, ou
bien si l'un demande des conseils à l'autre sur la façon d'agir dans une situation à venir,
etc. Du côté de la métacommunication ànalogique, comme l'explique l'auteur de Théorie
systémique des communications : principes et applications, c'est communiquer «mon
engagement sur ce que je communique163 » en employant le langage du corps : comme
nous le verrons ·au chapitre 4, si un personnage dit « Heil Hitler» avec une main molle, la
bouche pleine et sans aucune conviction, si un autre affirme ne pas souhaiter le départ de
son partenaire tout en lui tendant sa valise et puis, finalement, si un personnage soutient
être prêt à affronter ses adversaires tout en épongeant son front de sueur, etc .
. Comme nous pouvons le constater, il peut y aVOIr «des confusions et des
contaminations entre ces deux niveaux - communication et métacornmunication -
163 Alex Mucchielli, Les situations de communication, p.16.
60
pouv[ant] conduire à des impasses dont la structure est analogue à celle des [ ... ] paradoxes
de la logique164.» Le tableau 9 de la pièce de Brecht intitulé La Femme juive, extrait que
nous analyserons en détail dans le prochain chapitre, en sera d'ailleurs un très bon exemple.
Mais si la métacommu~cation peut s'avérer être le catalyseur de nombreuses
contradictions et révéler au grand jour plusieurs paradoxes, elle peut aussi mettre fin à ce
cercle vicieux en brisant le silence. Si la communication devient elle-même objet de
communication, il sera possible alors de remettre en question certaines règles qui brouillent
l'ensemble des réseaux de communication, et ainsi de contester le système qui les a mises
en place et qui contamine jour après jour les relations de couple, de travail, les amitiés, les
familles , etc. Enfin, si cette métacommunication s'opère, des phrases telles que « Nous
n'en parlons jamais, absolument jamais L .. 165», «moi aussi, je devrais me taire166 » et
« Entre nous, mieux vaut ne pas trop comprendre167 » cesseront d'étouffer la population et
deviendront chose du passé.
Paradoxe pragmatique: situations de communication paradoxale
Tel que démontré dans Une logique de la communication, « quelque chose dans la
nature du paradoxe a une portée pragmatique directe, et même existentielle, pour chacun de
nous. Non seulement le paradoxe peut envahir l'interaction et affecter notre comportement
et notre santé mentale, mais il est un défi à notre croyance en la cohérence, et donc
finalement en la solidité, de notre univers168 ». Les auteurs de cet ouvrage décrivent le
paradoxe comme étant « une contradiction qui vient au terme d'une déduction correcte à
partir de prémisses "consistantes"169 », en d'autres termes, une incohérence qui découle
d'un esp~it sensiblement logique au cœur d'une communication en' évolution. Et puisque la
notion de contradiction chez les personnages, le conflit intérieur qui les habite et qu'ils
164 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.51. 165 Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.51. 166 Ibid., p.53. 167 Ibid. , p.33. 168 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.187. C'est nous qui soulignons. 169 Ibid. , p.188.
61
ressentent face à la perte de sens et de logique dans toutes choses et dans toutes actions, est
au cœur de notre problématique, nous nous devons de bien distinguer et de bien décrire
chacun des types de manifestation que peuvent abriter les situations de communication
paradoxale.
À cet égard, les derniers concepts présents dans notre grille d'observation, et qui
vont clore la microanalyse, seront le paradoxe, la situation paradoxale, le dilemme
paradoxal, l'injonction paradoxale et, finalement, la double contrainte. Pour définir ces
différentes facettes de la communication, nous nous sommes une fois de plus inspirées des
différentes descriptions qu'en fait Paul Watzlawick, mais en nous laissant une certaine
marge de manœuvre face à l'application que nous souhaitions ' en faire selon les types de
situations rencontrées au cours de notre analyse du texte de Brecht.
C'est pourquoi, dans notre recherche, le paradoxe s'applique lors d'une situation où
l'on retrouve des éléments de contradiction au cœur même du discours que tient le
personnage, discours à la fois digital et analogique. On peut distinguer ce type de situation
grâce à une ou plusieurs répliques regroupées dans un seul tableau: lorsqu'un personnage
affirme une chose pour, deux répliques plus loin, affirmer totalement le contraire, ou bien
si, dans une seule phrase, nous retrouvons deux éléments, deux affirmations qui, une fois
réunis, se contredisent, par exemple: « Nous ne dévorons personne. Vivre et laisser vivre.
[ ... ] Nous ne sommes stricts qu'en matière d'opinion170• »
La situation paradoxale survient lorsque le contexte général de la communication,
où prennent place paroles et actions, n'offre aucune logique. Les actes posés, autant que le
discours prononcé, font en sorte que cette situation de communication se développe dans
l'incohérence la plus totale et que, d'un bout à l'autre du tableau, on y perçoit une profonde
170 Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.iS.
62
et sérieuse confusion: des physiciens n'ayant pas le droit d'élaborer une vraie science, un
médecin ne pouvant pas poser de diagnostic, des ouvriers devant livrer leur opinion à la
radio pendant qu'un S.A. les intimide et les surveille de près, un prisonnier qui doit se
fouetter lui-même en sont des exemples que nous retrouvons au sein de la pièce à l'étude.
Le dilemme paradoxal provient d'un questionnement intérieur où, au bout du
compte, un choix difficile et dépourvu de toute logique doit se faire. Ce genre ~e situation,
que le système impose au personnage, force très souvent celui-ci, s'il tient à la vie, à
prendre une décision dans un cadre communicationnel où aucun choix censé ne peut
s'exercer, et où on l'oblige, comme le dit Alain-Michel Rocheleau, à « désobéir» à toute
logique et à toute vérité afin d'« obéir» à ce que lui dictent les règles mises en place: pour
nous, il s'agira d'un boulanger qui doit choisir entre produire du mauvais pain et ne pas
aller en prîson, ou vendre un produit de qualité et en payer le dur prix ; un juge qui doit
rendre un faux jugement pour avoir la vie sauve, ~u bien appliquer la loi, comme son
devoir l'exige, et se retrouver au camp de concentration. Que choisiront-ils?
Une injonction paradoxale précède très souvent le dilemme paradoxal, puisqu'elle
est l'ordre, la règle contradictoire qu'impose le système à ses acteurs et de laquelle découle
le questionnement problématique. Elle prend le plus souvent naissance dans une
relation/interaction entre personnages basée sur la structure de type complémentaire haute
et basse, comme vu précédemment, «où la personne en autorité exige d'une autre un
comportement qui dépasse l'entendement "logique"171.» Ce genre de situation de
communication paradoxale s'élabore, comme le souligne l'auteur de Bertolt Brecht et la
nouvelle communication, à partir de trois conditions:
1. [la présence d'] une forte relation de complémentarité [ ... ]. 2. Dans le cadre de cette relation, [celle d'] une injonction [qui] est faite [et] à laquelle [ ... ] il faut désobéir [à sa conscience] pour obéir [au système] [ ... ]. 3. L'individu qui, dans cette relation,
171 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.30.
occupe la position "basse" nè peut pas sortir [de ce] cadre, et résoudre ainsi le paradoxe en le critiquant, c'est-à-dire en métacommuniquant à son sujet172
d'où émerge forcément le dilemme paradoxal.
63
Si techniquement, .Je dilemme paradoxal nous offre encore la possibilité de s'en
sortir par l'illusion d'un choix possible, il existe cependant une autre sorte de situation de
communication paradoxale créée par le système, mais qui, elle, n'offre aucune sortie de
secours et s'avère être une impasse totale. Watzlawick définit bien ici cette impasse que
l'on nomme la double contrainte:
Le récepteur du message [contradictoire] est mis dans l'impossibilité de sortir du cadre fixé par ce message, soit par une métacommunication (critique), soit par le repli. Donc, même si, logiquement, le message est dénué de sens, il possède une réalité pragmatique: on ne peut pas ne pas y réagir, mais on ne peut pas non plus y réagir de manière adéquate (c'est-à-dire non paradoxale) puisque le message est lui-même paradoxal. Cette situation est souvent combinée à la défense plus ou moins explicite de manifester une quelconque conscience de la contradiction ou de la ' question qui est réellement en jeu. Un individu, pris dans une situation de double contrainte, risque donc de se trouver puni ' [ ... ], lorsqu'il perçoit correctement les choses, et d'être dit "méchant" ou "fou" pour avoir ne serait-ce qu'insinué que, peut-être, il y a une discordance entre ce qu'il voit et qu'il "devrait" voir. C'est là l'essence de la double contrainte173
•
Aucune façon de s'en sortir indemne, voilà bien ce qui résume l'essence de Grand
peur et misère du Ille Reich de Bertolt Brecht. À plus petite ou plus grande éèhelle, à tour
de rôle, les personnages seront tous condamnés à cette réalité, car d'un côté comme de
l'autre, ils se retrouveront punis par et pour leurs actes: punis par le système pour avoir
« désobéi» aux règles, punis éternellement par eux-mêmes et par leur conscience pour y
172 Ibid., p.30. 173 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la ,communication, p.213.
64
avoir « obéi ». Concrètement, dans Grand-peur et misère du Ille Reich, se retrouver face à
une double contrainte, c'est un juge qui, n'ayant d'autre choix que de rendre un verdict,
sera d ' une façon ou d'une autre châtié par l'un des deux camps qui réclament un jugement
en leur faveur: le camp des S.A., vrais coupables, ou bien le camp des Juifs, associés à des
Allemands haut placés, coupables selon le système. C'est aussi un boucher qui, devant
continuer à ouvrir boutique, devra se s'approvisionner auprès des Juifs pour pouvoir offrir
de la viande à ses clients, et se voir sanctionné pour cet acte, ou bien ne rien avoir à vendre
sur ses tablettes, et ne plus pouvoir vivre de son métier. Face à cette réalité, certains,
comme le personnage du boucher, choisiront de mettre fin à leurs jours, seule façon pour
eux de se soustraire définitivement à ce système dominant « déviant» et de rester fidèle, de
cette manière, à leurs propres valeurs.
En résumé, les situations de communication paradoxale enchaînent et affectent
l'ensemble des interactants qui y participent. La seule façon de sortir de ce modèle
incohérent et de mettre un terme à toute cette confusion serait de métacommuniquer sur les
règles qui semblent illogiques et ainsi provoquer un changement majeur dans le système de
communication. Mais cette possibilité étant visiblement exclue, puisque c'est interdit, ces
paradoxes ont pour conséquence pragmatique de pousser les personnages à l'inertie,
permettant au système de maintenir son «homéostasie (permanence ou stabilité du
système)174» et de perdurer en s'appuyant sur des valeurs contradictoires.
Connaître les règles du jeu : les redondances
Après avoir examiné attentivement les comportements des personnages dans leur
aspect interactionnel, en analysant les principaux éléments relatifs au contenu et à la forme
que prennent les échanges, nous pouvons maintenant, en tant que chercheuses, y discerner
une certaine répétitivité, un modèle sur lequel se calque la majorité de leurs échanges.
L'observation de ces répétitions dans l'attitude des personnages que nous appelons, dans
174 Alain-Michel Rocheleau, BertoZt Brecht et Za nouvelle communication, p.2I.
65
l'étude de la pragmatique de la communication, redondances, permettra de tirer des
conclusions sur les règles qui régissent leurs comportements communicationnels.
Étudier « la redondance pragmatique [du] comportementJ75 » humain, c'est prélever
les configurations de communication qui sont les plus courantes. Comme l'expliquent les
auteurs de Une logique de la communication: «La recherche d'~n modèle est le
fondement de toute investigation scientifique. Là où il y a modèle, il y a sens. Cette
maxime épistémologique est valable aussi pour l'étude de l'interaction humaineI76.» Mais
comme le précisent aussi ces théoriciens de la communication humaine: « une telle étude
serait relativement facile s'il ne s'agissait que d'interroger des personnes engagées dans
une interaction et d'apprendre ainsi de leur propre bouche les modèles qu ' elles ont
l'habitude de suivre, ou en d'autres termes les règles de comportement réciproque
auxquelles elles obéissentl77.» Or, puisque Bertolt Brecht fait visiblement en sorte que ses
personnages ne soient pas en mesure de comprendre et d'assimiler les règles et la
« logique» auxquelles ils se soumettent jour après jour, nous devons passer par une
analyse complète des situations de communication organisées par l'auteur et dans lesquelles
il les fait évoluer afin d'identifier les redondances et les contraintes et, finalement, tenter
d'y trouver un sens et d'en connaître les origines, tel que démontré dans cette citation:
Programmer un ordinateur consiste à ordonner un nombre relativement faible de règles spécifiques (ce que l'on appelle le programme) ; ces règles guident ensuite l'ordinateur et lui permettent d'effectuer un grand nombre d'opérations, très souples et conformes à des modèles. C'est exactement le contraire qui se passe lorsque [ ... ] on cherche à discerner la redondance dans l'interaction humaine. On commence par observer le système donné en action [micro analyse ], et on tente ensuite de définir les règles gui président à son fonctionnement, nous dirons son programme par analogie [repérer les redondances ]178.
175 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.34. 176 Ibid. , p.31. 177 Ibid. , p.31. 178 Ibid., p.34. C'est nous qui soulignons.
66
Les redondances sont donc à l'image des règles qUI organisent la VIe en
communauté, elles sont le reflet des « lois qui régissent les comportements des hommes les
uns envers les autres 179 », comme l'expliquait Brecht. C'est sur cette base que nous
pourrons inettre au jour la dynamique communicationnelle à l'œuvre dans Grand-peur et
misère du Ille Reich et y donner sens.
L'être social en interaction avec son environnement
Comme nous pouvons le constater, la communication, digitale et analogique, est à
la base de tout. Une fois qu 'un système décide de mettre en place les règles, les contraintes
sociales, qui sont en somme des éléments inducteurs de cette communication, « le jeu qui
est alors créé prend le pas sur les volontés des acteurs : c'est le jeu [dicté par les règles du
système] qui mène le jeu180.» Et pour qu'il y ait bonne communication, ce jeu doit leur
permettre d'établir une communication en exploitant leur identité propre, en étant
totalement eux-mêmes, autonomes et libres d'agir selon leurs propres convictions. De cette
manière, ils pourront maîtriser totalement le processus d'échange, y établir et y maintenir
un sens logique et cohérent, leur permettant ainsi de bien saisir le fonctionnement de
l'ensemble dont ils font partie.
Qu'arrive-t-il alors quand il y a perte de sens, quand la commuilication est brisée,
bloquée par des règles qui ne permettent pas aux individus d'évoluer de façon logique?
« La perte ou l'absence de sens dans la vie est peut-être le plus commun des dénominateurs
de toutes les formes de détresse [ ... ]. L'absence de sens, c'est l'horreur du néant
existentiel. l81 » Cette réalité, ce monde paradoxal, cette perte de sens que réservait
l'Allemagne nazie d'Hitler à sa population, Brecht la transpose dans Grand-peur et misère
du Ille Reich. C'est à travers le discours de ses différents personnages, riches et pauvres,
hommes et femmes, parents et enfants, que nous pourrons observer comment l'ensemble
179 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.7l. 180 Alex Mucchielli , Théorie systémique des communications: principes et applications, p.32. 181 Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, Une logique de la communication, p.270.
67
d'une société a pu adopter des comportements aussi contradictoires que ceux qui y sont
exposés dans les diverses situations inventées par l'auteur.
L'analyse des situations de communication atnSI que de la dynamique
interactionnelle développée et mise en place dans les tableaux du texte, et la description des
nombreuses contradictions qu'on y retrouve serviront à mettre au jour l'origine du conflit
intérieur des personnages, les causes de cette perte de sens entre ce qu'ils auraient voulu
faire et ce qu'ils ont fait. Nous démontrerons que, dans un contexte de communication où
les règles choisies ne permettent que d'envoyer des informations paradoxales aux
indi vidus, « "toute réaction à ce message à l'intérieur du cadre qu'il fixe ne peut être que
paradoxale, elle aussi", car il "est absolument impossible de se comporter de manière
cohérente et logique dans un contexte incohérent et illogique." 182 »
182 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.29. C'est nous qui soulignons.
CHAPITRE 4
Microanalyse de « Grand-peur et misère du Ille Reich» : démonstration analytique et redondances pragmatiques
La grande parade allemande
Cinq années s'écoulèrent. Puis on nous annonça: Celui qui se dit l'envoyé de Dieu est prêt Pour sa guerre - il a forgé tanks, canons, croiseurs, Et des avions dans ses haqgars en si grand nombre Qu'il n'a qu'un geste à faire et le ciel devient sombre. Nous avons décidé alors d'examiner Ce peuple qu'il allait appeler sous son drapeau, Hommes, femmes, où ils en sont et ce qu ' ils pensent. Nous avons passé la grande revue.
Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.7.
Bertolt Brecht, en exposant le fruit de ses observations par le biais de sa pièce
Grand-peur et misère du Ille Reich, nous propose une « grande revue» du peuple allemand
des années 1930, outil des plus riches dans le cadre de notre analyse axée sur
l'identification des processus et des contraintes communicationnels qui orientent et
déterminent les interactions au sein de l'œuvre ici transposée. En effet, à travers le chapitre
qui suit, nous proposons d'illustrer, selon les critères d'analyse sélectionnés et présentés au
troisième chapitre, de quelle façon les «faits de communication183 » s'organisent et
évoluent entre les multiples personnages lors des procédés interactionnels, et ce, par la
présentation des microanalyses effectuées sur quatre tableaux de Grand-peur et misère du
Ille Reich: La croix blanche (tableau 3), À la recherche du droit (tableau 6), La femme
183 Alain-Michel Rocheleau, BertoZt Brecht et Za nouvelle communication, p.136.
69
juive (tableau 9) et, pour terminer, Le mouchard (tableau lOy 84. Vu l'ampleur du travail
réalisé lors de la microanalyse des vingt-quatre tableaux que comprend l'œuvre, le choix de
ces quatre tableaux, sélectionnés pour leur pertinenc~ sur le plan de la problématique
étudiée ainsi que pour leur valeur représentative de l 'ensemble des différentes situations de
communication exposées par Brecht au sein de sa pièce, s' avérait être la meilleure option
afin d'éviter certaines répétitions inutiles et, de ce fait, respecter une longueur acceptable
pour le type de recherche que nous souhaitons présenter1 85 186.
Dans un premier temps, en respectant toujours l'évolution originale des tableaux
retenus, nous procéderons, via notre grille d'analyse inspirée de celle utilisée par Alain
Michel Rocheleau, à la description détaillée de chacun des phénomènes interactionnels
observés et à leur examen complet: soit le contexte de mise en représentation, en Scène ou
en Coulisse, le type de relation établi entre les protagonistes ainsi que le positionnement de
chacun des interlocuteurs à travers lui, la ponctuation des échanges, le type de rétroaction,
la présence ou non de métacommunication et, finalement, les faits liés à des situations de
communication paradoxale. Comme le précise Rocheleau, cette présentation de chacune
des variables choisies pour la microanalyse nous permettra, en quelque sorte, de raconter
l'évolution des tableaux, tout en nous invitant «à tenir compte, à chaque instant, du
"contexte relationnel" dans lequel [ils] s'inscrivent directemene 87 », élément-clé de toute
organisation et de toute compréhension d'un système. Pour finir, afin de compléter
efficacement cette investigation, chaque microanalyse sera suivie d'un bref commentaire
sur les observations pertinentes et importantes à retenir suite à la démonstration effectuée,
184 Voir microanalyse complète des 24 tableaux de Grand-peur et misère du IIr Reich de Bertolt Brecht en . annexe.
185 Cette sélection de quatre tableaux s'avère être en quelque sorte un condensé de la microanalyse qui permettra aux lecteurs d'obtenir au minimum un exemple d'analyse pour chacun des concepts interactionnels retenus - et présentés au troisième chapitre - dans le cadre de notre recherche effectuée sur les origines de la communication paradoxale et de la présence de conflit intérieur chez les personnages de la pièce Grand-peur et misère du IIr Reich de Bertolt Brecht. 186 Nous référons le lecteur aux pages 32 et 33 du chapitre 2 pour un résumé de la fable de Grand-peur et misère du IIr Reich. 187 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.1 36.
70
en vue de prélever les redondances pragmatiques, soit les phénomènes interactionnels les
plus présents et les plus récurrents qui orientent, influencent et déterminent le sens des
communications établies. Cette dernière étape de prélèvement, qui prendra en compte
l'ensemble des statistiques observées lors des microanalyses des vingt-quatre tableaux,
rendra possible l'identification des règles, des contraintes sociales dictées par le système
politique nazi, qui organisent les échanges communicationnels et auxquels participe et doit
se soumettre, de gré et parfois de force, chacun des interlocuteurs de Grand-peur et misère
du Ille Reich.
Microanalyse : La croix blanche
Et voici les S.A. en chasse. Ils suivent leur frère à la trace, le rapportent, eux les bons chiens, aux pieds des grands pachas pansus, puis lèvent leurs mains et saluent. À part le sang, rien dans leurs mains. (p. 10)1 88
L'action se déroule à Berlin en 1933, dans une petite cuisine d'un appartement
bourgeois. Au commencement du tableau, nous retrouvons quatre personnages : un officier
S.A. prénommé Théo, . sa fiancée .(qui est femme de chambre), une cuisinière et un
chauffeur, deux amis du jeune couple. Étant donné la présence autoritaire du S.A. , fidèle
partisan du national-socialisme et soldat au service d'Hitler, l'action œbute en Scène.
L'autorité conférée au S.A. [CHP89 lui permet d'établir une relation complémentaire avec
les autres personnages présents [CB], telle que la cuisinière qui lui « apporte un plateau»
de nourriture (p.11). «Puisque tous respectent la position qu'occupe chacun dans le
système190 », les échanges se ponctuent de manière concordante et stable, donnant lieu ainsi
à une rétroaction négative. Cependant, dès le début du tableau, Théo manifeste une
certaine fermeture d'esprit, alors que la femme de chambre ainsi que la cuisinière tentent de
188 Pour l'ensemble des citations tirées de la pièce Grand-peur et misère du IIr Reich de Bertolt Brecht (Paris, Éditions de L'Arche, 1984) et répertoriées en microanalyse au chapitre 4, la pagination de référence sera intégrée directement au texte et placée entre parenthèses à la fin de chaque extrait ~ité. 189 Nous référons le lecteur aux pages 54 et 55 du chapitre 3 pour la signification de la codification intégrée à l ' analyse. 190 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.141.
71
métacommuniquer sur ses engagements et responsabilités en tant que S.A .. L'officier reste
de glace, en prétextant que ses fonctions relèvent du « Secret militaire» (p.10) et que
personne n'apprendra jamais rien de lui. «Un peu déconcertée» (p.11), la femme de
chambre, qui visiblement souhaiterait en savoir davantage sur les activités ete son fiancé, se
soumet malgré tout à la volonté de celui-ci et change de sujet, annulant ainsi la possibilité
de métacommunication. Puis, elle « sort en courant» (p. 12) chercher une bière au S.A. qui
trouve le plat que la cuisinière lui a apporté « un peu sec» (p.12), elle qui, selon les dires de
la cuisinière, « se ferait mourir à courir pour [ ... ] monsieur Théo» (p.12). La venue d'un
cinquième personnage viendra alors modifier le rythme et la dynamique de la scène.
Un ouvrier, le frère de la cuisinière, fait son entrée en Scène, apportant avec lui des
pièces de rechange pour la radio brisée de sa sœur. Théo [CH] ainsi que le chauffeur [CB]
saluent fièrement l'ouvrier avec un «Heil Hitler! » (p.12) des plus décidé. L'ouvrier, qui
métacommunique analogiquement son indifférence au salut hitlérien, accepte tout de même
de se plier au jeu (ponctuatIon concordante sous la contrainte) en « murmur[ ant] quelque
chose qui, à la rigueur, peut vouloir dire: HeU Hitler» (p. 12),. se plaçant ainsi en position
complémentaire basse [CB] vis-à-vis du S.A., et assurant du coup une rétroaction négative
sous la contrainte. Pendant que la cuisinière et l'ouvrier sortent de la pièce pour aller jeter
un coup d'oeil à la radio défectueuse, Théo, en leur absence et en Coulisse. prend des
renseignements sur l'ouvrier auprès du chauffeur. Tous deux établissent des soupçons non
fondés à son sujet (ponctuation concordante erronée), prétextant qu'avec un «Heil
Hitler! » aussi « marmotté» (p.13), il serait préférable de se méfier de lui, car pour le S.A.,
« un soupçon, c'est ni plus ni moins qu'une certitude. Et alors, gare! »(p.13). Une fois la
cuisinière et l'ouvrier de retour à la cuisine, le S.A. et le chauffeur, de nouveau en Scène,
font comme si de rien n'était (rétroaction négative), conservant ici en apparence la stabilité
de la communication.
72
Théo se met alors à poser quelques questions à l'ouvrier qui, selon les dires de sa
sœur, « s'y connaît bien en radio », mais qui, « à côté de ça, [ ... ] ne l'écoute pas du tout,
[qu'] il s'en moque» (p.l3). C'est d ' ailleurs ce détail qui retient davantage l'attention du
S.A., celui-ci ayant du mal à croire qu 'un ouvrier, au chômage et ayant une radio, ne prenne
cependant pas le temps de l'écouter: « Vraiment? Vous avez la radio et vous ne l'écoutez
pas ?» (p.13). L'ouvrier répond froidement à l'interrogatoire du S.A. tout en «le
regardant fixement d'un air de défi» (p.l3), ce qui les place l'un et l'autre en position
symétrique. Au même moment, la femme de chambre revient à la cuisine avec une bière à
la main pour son fiancé. Théo [S] essaie alors de détourner la situation à son avantage, au
détriment de l'ouvrier, et se met à faire des blagues afin d'attirer l'attention de tous [CB]
sur lui. Mais l'ouvrier [S], très peu impressionné par les « trucs [peu] nouveaux » (p.14) du
S.A. [S], réussit tout de même à narguer celui-ci (ponctuation discordante) et à lui voler la
vedette. Voyant que la plaisanterie risque de mal tourner (rétroaction positive) et que Théo,
métacommuniquant de façon analogique sur son profond mécontentement, est sur le point
de piquer une colère, l'ouvrier, «préférant faire machine arrière» (p.14) (rétroaction
négative sous la contrainte), décide de présenter ses excuses · au S.A. (ponctuation
concordante sous la contrainte). Par cette action, il reprend une position complémentaire
basse. Pendant ce temps, la femme de chambre et la cuisinière [CB], toutes deux très
surprises par la réaction pour le moins exagérée de Théo [CH], tentent de calmer le jeu en
essayant de lui faire comprendre la «plaisanterie» (p.15), mais le S.A. ne veut plus en
discuter et souhaite, de toute évidence, passer à autre chose (métacommunication
impossible ).
À ce moment, le S.A. [CH] invite l'ouvrier à s'asseoir, affirmant que les S.A. «ne
dévorent personne» : «Vivre et laisser vivre. [ ... ] Nous ne sommes stricts qu'en matière
d'opinion» (p.15). L'ouvrier [CB], malgré le caractère paradoxal de cette dernière
information, décide tout de même de prendre le risque de métacommuniquer avec le S.A.
en lui demandant ce qu'il pense de l'opinion publique, question à laquelle Théo répond
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simplement: «l'opinion est bonne» (p.I5). L 'ouvrier, se gardant bien à présent de
contrarier le S.A., soutient, en faisant bien attention de ne pas contredire celui-ci, que si
l'opinion est bonne, c'est parce que «personne ne raconte ce qu'il pense » (p.I5),
déclaration qui met au jour l'un des grands paradoxes de la société allemande de cette
époque. Théo, en total désaccord avec l'ouvrier, rétorque qu'il est facile de savoir ce que
les gens pensent réellement, même les plus habiles rouspéteurs ; il suffit simplement de
savoir où aller et comment les faire parler, pour mieux pouvoir les coincer et les corriger
par la suite. Le S.A. donne comme exemple le bureau des visas, où se réunissent un tas de
chômeurs; un endroit parfait pour un S.A. qui souhaite mettre la main au collet de quelques
rouspéteurs. L'ouvrier, intrigué et surtout peu convaincu que les chômeurs acceptent de
parler à cœur ouvert avec un S.A., soutient que si un ' officier en « pêche un » (p.I5) qui en a
dit un peu trop, en' Coulisse, il est aussitôt repéré et que les autres chômeurs savent
maintenant qu'ils sont sous surveillance, et donc en Scène. Théo décide alors de révéler un
des «trucs» (p.I5) qu'il utilise afin de coffrer les rouspéteurs qui croient avoir «des
chances de s'en sortir» (p.I5), et ce, sans se faire « repérer» (p.I5) par quiconque, mais
seulement si l'ouvrier se prête au jeu.
Sous prétexte que « tout le monde a quelque chose à dire» (p.I6), il lui demande de
« commencer à rouspéter» (p.16), ce que l'ouvrier refuse de faire, sachant très bien qüe le
S.A., en lui demandant de parler à cœur ouvert, risque de prendre ses dires pour acquis et
de le coffrer sur-le-champ. Théo insiste pour que l'ouvrier participe à sa démonstration en
employant un argument plus ou moins en contradiction avec son statut de S.A. : «Vous
n'allez pas prétendre que tout est déjà parfait?» (p.I6). La femme de chambre et la
cuisinière, curieuses de connaître les tactiques du S.A. (ponctuation concordante), tentent
de rassurer l'ouvrier, déclarant que Théo « ne le prendra pas de travers» (p.I6) et qu'il peut
«compter sur lui» (p.I6) (rétroaction négative). L'ouvrier, toujours sur ses gardes,
, spécifie au S.A. : « Quand on est faible, il faut être prudent. Je ne suis pas un lion, je n'ai
pas de révolver »(p.I7). Le S.A. qui, sentant que sa tactique ne fonctionne pas, commence
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à perdre patience, rétorque à l'ouvrier pour le provoquer que de toute façon, peu importe si
les gens sont prudents ou non, ils se retrouveront tous au « service volontaire du travail»
(p.18) : les prudents, par choix, les imprudents, par obligation.
C'est alors que l'ouvrier, voyant bien que le S.A. ne lâchera pas prise tant qu ' il
n' aura pas eu ce qu'il veut, embarque de plein fouet dans sa mise en scène (ponctuation
concordante sous la contrainte) et consent finalement à se «salir la gueule » (p.16),
toujours sous le couvert du «jeu », bien entendu (rétroaction négative sous la contrainte).
L 'ouvrier qui, profitant de cette situation pour le moins paradoxale pour dire franchement
ce qu'il pense du Reich et de ses politiques écrasantes, joue alors le rôle du rouspéteur qui
métacommunique digitalement sur le système et adopte une position symétrique face à son
interlocuteur S.A. qui, lui, ne cherche qu'à le provoquer tout au long du jeu afin qu ' il en
dise toujours plus. S'ensuit une envolée de protestations contre le Troisième Reich,
échange argumentatif dirigé par l'ouvrier qui, loin de ménager ses mots, révèle au grand
jour les pires injustices que le Parti nazi peut commettre au quotidien: la délation, la
trahison entre membres d'une même famille, les hausses de prix abusives et injustifiées, les
pertes d'emplois, etc. Échange qui se clôt sur une réplique sarcastique de l'ouvrier [S]
demandant au S.A. [S] : « C'est mieux joué? Vous êtes content de moi?» (p.20).
Théo, satisf~it de la démonstration et comptant bien maintenant reprendre sa
position haute vis-à-vis de l'ouvrier, décide de mettre fin au jeu et de révéler à tous son
« truc ». Pour clore la mise en scène, « il lui frappe l'épaule de la main» (p.20) tout en
promettant de ne jamais révéler à personne ce qu'il vient de lui confier: [ ... ] «je t'ai
compris, nous t'avons tous compris, pas vrai les copains? Mais tu peux compter sur moi,
collègue, je suis muet comme une tombe» (p.20). Le S.A. arrête complètement le jeu et
demande à l'ouvrier de se lever, comme s'il allait «tranquillement faire viser sa carte»
(p.21), pour que tous puissent voir la « croix blanche» qu'il vient de lui étamper entre les
épaules à l'aide d'une craie dissimulée dans sa main, signe qui permet aux autres S.A. de
75
repérer le rouspéteur et de le « boucle[r] » (p.21) sur-le-champ. «L'ouvrier [CB] enlève
son veston et examine la croix» (p.21), stupéfait de s'être fait prendre aussi vite par le S.A.
[CH]. Théo, extrêmement ravi que son « expérience» ait fonctionné, et surtout fier d'avoir
repris le contrôle total de la situation, métacommunique analogiquement sa joie de voir
l'ouvrier ainsi dupé en affichant un air «satisfait» (p.21).
La femme de chambre ainsi que le chauffeur [CB], visiblement gênés de constater
comment Théo [CH] s'y prend pour envoyer de pauvres chômeurs en prison, préfèrent ne
pas réagir (rétroaction négative sous la contrainte) à ce qu'ils viennent de voir, choisissant
de garder le silence (ponctuation concordante sous la contrainte) et de ne pas passer de
commentaires sur les moyens employés par les S.A.. Seule la cuisinière [CB] semble
heureuse de la démonstration. Déçu de voir aussi peu d'enthousiasme de la part de son
«public », le S.A. demande sèchement à la femme de chambre d'essuyer la croix blanche
dans sa main; elle s'exécute. Le chauffeur, préférant quitter les lieux, décide d'aller laver
sa voiture, sans omettre de saluer les autres en sortant de la cuisine avec un « Heil Hitler ! »
bien prononcé (p.21). L'ouvrier [CB], moins arrogant qu'au début, remercie sa sœur de
l'avoir accueilli et décide lui aussi de partir. A vant de quitter, il demande une fois de plus
au S.A. de l'excuser pour les plaisanteries du début (ponctuation concordante sous la
contrainte), tout en se permettant de métacommuniquer digitalement sur la démonstration
qu'il vient de vivre: «Vous m'avez convaincu, je dois dire. Celui qui en voudrait au
Troisième Reich n'aurait aucune chance de s'en tirer, ce qui est rassurant. En ce qui me
concerne, jamais je n'ai le moindre rapport avec de pareils éléments de désordre» (p.22).
Théo [CH] lui donne tout de même un bon conseil: «Ne soyez pas trop innocent. Ça
étonne. Avec moi, vous pouvez lâcher quelques ballons d'essai, je comprends la
plaisanterie» (p.22). Sur cet avertissement indirect mais tout à fait clair du S.A., l'ouvrier
quitte rapidement la cuisine en saluant, cette fois-ci, «clairement et nettement: Heil
Hitler! » (p.22) (rétroaction négative sous la contrainte).
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Une fois l'ouvrier parti, la femme de chambre [CB] demande à son fiancé [CH] s'ils
peuvent avoir un entretien. Théo lui rétorque de «vider son chargeur» (p.22). La
cuisinière [CB] les laisse seuls et sort faire du lavage. Pour débuter, la femme de chambre
souhaite faire promettre au S.A. qu'il ne se fâchera pas. Sans lui jurer quoi que ce soit, il la
presse de parler: « Allez, déballe ! »(p.22). La femme de chambre, se retrouvant dans une
situation «très désagréable» (p.22), trouve tout de même la force de demander à Théo
vingt marks sur leur compte commun. Le S.A., très surpris par cette requête, se demande
bien pourquoi elle désire avoir cette somme, ce à quoi la femme de chambre refuse de
répondre (ponctuation discordante), sachant trop bien qu'il ne « sera pas d'accord» (p.22)
de toute façon. Théo, extrêmement offusqué par ce manque de confiance qu'il considère
comme un affront direct, la soupçonne de vouloir «liquider [leur] livret à la Caisse
d'épargne» (p.23), tout en refusant lui aussi de lui faire confiance: « Comment est-ce que
je peux savoir si ce n'est pas pour quelque chose de mal ? J'ai conscience de mes
responsabilités» (p.23). La femme de chambre, qui lui assure qu'« il n'y a rien de mal»
(p.23), essaie de métacommuniquer calmement avec lui, mais sans succès.
Tentant tant bien que mal de rétablir la situation, elle lui précise qu'ils ont
suffisamment d'argent pour effectuer ce minime retrait: « Si je retire vingt marks, il m'en
restera encore quatre-vingt-dix-sept» (p.23). Théo, visiblement déstabilisé que sa fiancée
soit meilleure que lui en calcul et que, malgré son refus de lui donner l'argent, celle-ci
continue d'argumenter pour les obtenir, l'accuse de vouloir rompre et d'avoir «quelqu'un
d'autre en vue» (p.23). Et afin de la maintenir de force . en relation complémentaire basse
avec lui (métacomplémentarité), le S.A. menace même la femme de chambre de la
dénoncer si elle est enceinte d'un autre et si cet argent est destiné à son avortement. La
femme de chambre, voyant bien que les choses prennent une tournure des plus
catastrophiques (rétroaction positive), cède sous la menace et accepte de lui dire à quoi
l'argent servira: «C'est seulement parce que je veux aider Frida [sa sœur] à s'acheter un
manteau d'hiver» (p.24).
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Mais cette révélation ne fait qu'aggraver les choses, car Théo l'accuse maintenant
de ne pas avoir « confiance en l'État national-socialiste» (p.24) et en ses ressources mises
sur pied, telle « Secours d'hiver », afin de venir en aide auX' gens en difficulté. Le S.A.
ajoute que la chose ne le surprend guère vu le genre de « propos qu'on tient ici, dans cette
cuisine» (p.24), et qu'il avait cru voir, à la toute fin de l'expérience, qu'elle avait «réagi
froidement» (p.24) à sa démonstration, «tout comme les frères qui sont partis à la
sauvette! » (p.24). La femme de chambre, ne pouvant plus supporter ces accusations et ces
reproches (ponctuation discordante), se place en position symétrique vis-à-vis son
interlocuteur (rétroaction positive) : « Si tu veux savoir ce que je pense vraiment, c '.est aussi
une chose qui ne me plaît pas. [ ... ] Que tu fasses arrêter ces pauvres diables avec tes
pièges, tes trucs et tout. Mon père aussi est chômeur» (p.24). Le S.A. [S], satisfait d'avoir
obtenu cette déclaration sur laquelle il peut maintenant s'appuyer pour confirmer ses
accusations, soutient qu'il s'était déjà fait sa petite idée sur elle et sur le frère de la
cuisinière lors de son « expérience ». La femme de chambre [S], en colère et confuse, lui
réplique qu'il ne peut tenir coupable l'ouvrier d'avoir tenu des propos contre le Troisième
Reich puisque c'est lui qui l'a encouragé à le faire. Devant cette accusation qui démontre
qu'elle a bien deviné son stratagème, Théo préfère se rétracter, soutenant qu'il n'a
absolument rien à dire de plus à ce sujet, que le silence est sa « règle» d'or et que ce qu'il
fait, il le fait dans « l'accomplissement de [s]on devoir» (p.24).
La femme de chambre lui demande une fois de plus les vingt marks, ce à quoi le
S.A. répond: « Nous avons peut-être rejeté les juifs de la vie nationale que pour nous faire
exploiter par nos propres camarades» (p.25). Il ajoute à cela qu'il n'est « pas précisément
d'humeur à [se] laisser dépouiller de vingt marks », qu'il a déjà «pas mal de frais» à
couvrir, comme ses bottes qui lui « ont coûté vingt-sept marks », bottes qu'il disait avoir
« touchées gratuitement» (p.25) quelques jours plus tôt. La femme de chambre, intriguée,
désire obtenir plus de précision , sur les raisons et les provenances de ces supposés « autres
frais» (p.25), mais celui qui, peu de temps avant, l'accusait de vouloir dilapider leur argent,
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trouve comme seule explication à lui donner: «Je n'arrive pas à me rappeler» (p.25).
Malgré toute la confusion dans son discours, Théo tente tout de même de rassurer sa
fiancée en lui demandant étrangement de lui faire confiance, qu'il est en ordre avec
l'argent: « Sois tranquille, je ne veux pas t'escroquer. [ ... ] Tu peux compter sur moi. Ce
que tu me confies, c'est comme dans un coffre-fort. [ ... ] Alors, tu fais encore confiance à
Théo ?» (p.2S). La femme de chambre [CB], ne pouvant plus supporter tous ces
mensonges, ces menaces et insultes, préfère désormais se taire (ponctuation concordante et
rétroaction négative sous la contrainte), résignée à ne plus tenir tête à son fiancé qui tient à
tout prix à avoir raison (métacomplémentarité), et pleure maintenant à chaudes larmes.
Pour réconforter celle-ci, Théo [CH] lui «frappe l'épaule» (p.2S) légèrement en lui
suggérant de se reposer, puis il quitte la pièce en la saluant: « Heil Hitler! ». La femme de
chambre « pleure sans .répondre» (p.2S) en le regardant partir.
Pendant que la femme de chambre «essaie de sécher ses larmes» (p.2S), la
cuisinière revient à la cuisine, et trouve celle-ci seule, en Coulisse. Toujours en pleurant, la
femme de chambre, qui partage une excellente relation symétrigue avec la cuisinière, lui
suggère de rejoindre son frère et de « lui expliquer qu'il fasse très attention à lui» (p.26).
Elle métacommunigue aussi avec son amie sur la situation de communication qu'elle vient
de vivre avec son fiancé, lui confessant qu"elle ne sait vraiment plus quoi penser, que Théo
« est tellement changé» (p.26) depuis un certain temps. «Ils l'ont complètement abîmé. Il
n'est pas en bonne compagnie. Quatre ans que nous sommes ensemble et maintenant il est
exactement comme ·si ... » (p.26), lance-t-elle à sa vis-à-vis. Finalement, la femme de
chambre [S] demande une dernière chose à la cuisinière [S] qui tente du mieux qu'elle peut
de la consoler (ponctuation concordante): «Je voudrais vous demander de regarder sur
mon ~paule s'il n'y pas une croix blanche» (p.26).
79
Ne jamais dire ce que l'on pense vraiment: commentaires et observations
Les éléments principaux à retenir de cette première démonstration analytique sont
l'omniprésence d'une communication à effets pervers sur l'ensemble des personnages en
interaction, communication négativement entretenue par une forte présence de relations de
types complémentaires hautes et basses et maintenues sous des contraintes néfastes via une
série de ponctuations concordantes, de rétroactions négatives, le tout accentué par une
métacommunication constamment annulée. En Scène, le S.A., quine manifeste aucune
confiance envers ses confrères et qui soupçonne co~stamment des complots sans avoir
aucune preuve tangible, dégage une soif de pouvoir et une rigidité d'esprit pouvant aller
jusqu'à menacer ceux qui tenteraient de s'édifier contre son autorité et sa volonté (par
exemple, il prend au piège l'ouvrier pour mieüx le discréditer, insulte et menace sa fiancée
qui tente de lui faire entendre raison). Malgré les trois tentatives de confrontations
symétriques (deux, de la part de l'ouvrier et une, venant de la femme de chambre), qui
ébranlent pendant de courts laps de temps (ponctuation discordante, rétroaction positive) les
contraintes oppressantes orchestrées par Théo, aucune n'arrive à rétablir correctement le
réseau interactionnel, à corriger et à bonifier celui-ci de règles plus souples.
En somme, face à ce cadre communicationnel paradoxal et malsain, nul ne peut
tenter un changement, que ce soit par métacommunication (tentative de la femme de
chambre, de la cuisinière) ou bien par la confrontation directe et argumentative (l'ouvrier
qui provoque le S.A. avec ses plaisanteries, qui le défie sur le plan des idées par l'entremise
du «jeu»). Et puisque aucun échange constructif n'est envisageable, les acteurs doivent
accepter de se plier à cette « mise en scène » sous la direction du S.A. ou de se voir puni
(avertissement à l'ouvrier, menace à la femme de chambre) pour en avoir rejeté ses règles
du jeu et essayé de changer la dynamique relationnelle. Le discours drastique de Théo fait
également transparaître la fermeture complète aux changements de la part du système
dominant, entre autres par la démonstration des tactiques d'arrestation que les S.A.
emploient afin de «boucler» les rouspéteurs désirant contester les politiques nazies.
80
Finalement, les nombreuses incohérences et les divers paradoxes présents tout au long des
échanges sont à la fois conséquences et révélations du désordre important qui règne au sein
du système de communication et, par conséquent, au cœur même des interactions qu ' il
oriente. Mais, pour les personnages de ce tableau, impossible de métacommuniquer
ouvertement (en Scène) sur ces déviances, pas le droit de contredire l'autorité ;
l'homéostasie doit être maintenue par le mensünge et les menaces, et ce, malgré les brisures
qu'elle entraîne et sans apporter de réels changements constructifs (situation qui se dégrade
constamment entre la femme de chambre et le S.A., sans toutefois pouvoir être corrigée par
une saine métacommunication).
Microanalyse : À la recherche du droit
Et voici les juges. La clique leur a dit: Est juste ce qui est utile au peuple allemand. Mais ce droit, comment le connaître? Ils devront siéger jusqu'à mettre le peuple à l ' ombre entièrement. (p.30)
Le sixième tableau de la pièce de Brecht se passe en 1934, à Augsbourg, dans la
chambre des délibérations d'un Palais de justice. Cet endroit fermé, à l'abri des regards et
d'une écoute extérieure, situe l'action en Coulisse. Deux personnages s'y trouvent: le juge
Goll et l'inspecteur Tallinger de la ,police criminelle. U ne relation de type complémentaire
s'établit entre les deux interlocuteurs, relation qui, par le statut social respectif des deux
protagonistes, place le juge en position haute et son vis-à-vis, en position basse. Toutefois,
malgré le fait que les deux personnages respectent la position adoptée par chacun, une
ponctuation discordante, menant à « la colère ou à l' obstination191 » (rétroaction positive),
se tisse entre les deux acteurs. En effet, le juge Goll [CH] doit rendre un verdict très
important sur une affaire concernant trois soldats S.A. qui auraient, selon toute
vraisemblance et sans motif apparent, vandalisé une joaillerie juive tenue par un dénommé
Arndt. Cependant, le juge perçoit certaines incohérences dans les dossiers qui lui furent
remis afin de présider l'examen de cette cause: «L'histoire ne me semble à vrai dire pas
191 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.138.
81
très claire» (p.3D). C'est pourquoi il a demandé que l'inspecteur [CB] qui a mené cette
enquête vienne le rencontrer au Palais de justice, afin de lui fournir des explications
supplémentaires qui l'aideront à éclaircir le tout: «Je vous serais obligé, Tallinger, de me
donner, avant les débats, un bref aperçu général» (p.31). Mais voilà, après que l'inspecteur
ait métacommuniqué analogiquement son inconfort (ex. « L'inspecteur hausse les épaules»
(p.31)) à divulguer certains détails que le juge Goll désirait. obtenir, il se met à lui répéter
« mécaniquement» (p.31) les informations contenues dans le dossier, ce qui manifestement
irrite le juge. Celui-ci lui spécifie que ces informations, il les a déjà lues, et que s'il l'a fait
venir jusqu'à lui, c'est pour en connaître davantage sur «les arrière-plans de l'affaire»
(p.31). Tallinger refuse de métacommuniquer plus avant sur cette cause, prétextant qu'« à
proprement parler, l'affaire n'a aucun arrière-plan» (p.31). Le juge Goll ne peut se
résigner à « prétendre que l'histoire est claire» (p.31) telle que présentée dans le dossier,
déclaration à laquelle l'inspecteur acquiesce en « ricanant» (p.31), contredisant de ce fait
son affirmation précédente (paradoxe). Le juge somme Tallin~er d'accomplir son devoir et
de répondre à ses questions, par exemple, de bien vouloir lui dire où sont passés les bijoux
disparus «au cours de l'agression» (p.31). Il . insiste en spécifiant que «cet acte
d'accusation est le plus maigre et le plus mal fichu qu['il n'a] jamais vu. Et pourtant [il
n'a] pas été gâté ces derniers mois! »(p.31). L'inspecteur refuse toujours catégoriquement
de lui divulguer davantage d'informations: «Monsieur le juge, j'ai une famille» (p.31),
laissant ainsi sous-entendre qu'il ne peut en dire davantage sous peine de représailles.
Le juge, « impatienté» (p.32), maintient que lui aussi a une famille et, que malgré le
fait qu'il ne « comprend pas grand-chose» (p.32) à cette affaire, il doit pourtant rendre « un
arrêt» (p.33). L'inspecteur lui répond « vaguement» : «Entre nous, mieux vaut ne pas
trop comprendre» (p.33). Le juge, devant cette impasse et n'entrevoyant pas d'autre
solution possible, décide donc de maintenir « l'hypothèse d'une provocation directe venant
de ce Ardnt. Sinon, l'incident est incompréhensible» (p.33), décision avec laquelle
l'inspecteur est soudainement en parfait accord (ponctuation concordante) : «Tout à fait
82
mon avis, monsieur le juge» (p.33). À partir de ce moment, la conversation prend une
tournure différente: Tallinger qui, quelque temps auparavant, refusait totalement de
métacommuniquer sur l'affaire; change paradoxalement son fusil d'épaul.e et accepte
d'aider le juge dans l'éclaircissement de cet acte d'accusation. Sans plus attendre, il lui
confirme que les trois soldats S.A. ont bel et bien été provoqués et qu'ils ont un témoin
pour corroborer leur version des faits: un dénommé Von Miehl, propriétaire de
l'établissement où se situe la joaillerie juive, aryen de surcroît et, par-dessous tout, membre
des S.S.. Celui-ci affirme avoir vu et entendu de sa fenêtre Ardnt, ainsi qu'un chômeur
qu'il emploie pour balayer la neige, insulter «grossièrement» (p.33) les S.A. qui passaient
au même moment dans la rue. De plus, Tallinger ajoute que l'associé aryen du bijoutier
. Arndt, un ancien membre des S.A. dénommé Stau, aimerait bien, selon l'inspecteur, faire
accuser le juif afin de pouvoir toucher l'assurance des bijoux «disparus» suite à son
inconduite avec les S.A.. Celui -ci « a reconnu qu' Ardnt, même devant lui, son associé, ne
cessait de parler des S.A. en termes méprisants» (p.33). Avec tous ces détails
nouvellement amenés par l'inspecteur, le juge se sent désormais pleinement en mesure de
déposer un verdict en faveur des S.A. et ainsi mettre un term~ à cette enquête. Il remercie
l'inspecteur pour son aide (rétroaction négative) en lui offrant un cigare, puis Tallinger
quitte la chambre.
Au même moment, le procureur Spitz [CB] entre dans la chambre des délibérations,
demandant à son supérieur, le juge Goll [CH], s'il peut s'entretenir avec lui au sujet de
«l'affaire Haberle, Schünt, Gaunitzer» (trois soldats S.A.) (p.35). D'entrée de jeu" il
précise au juge que, pour lui, « cette affaire est en somme assez claire ... »(p.35). Le juge
appuie son collègue, en disant qu'il n'y voit « là qu'un cas fort clair de provocation juive,
rien d'autre» (p.35). Le procureur Spitz réagit brusquement à cette déclaration (rétroaction
positive) et communique son mécontentement, prétextant de manière paradoxale que ce
n'est pas parce que leurs actes d'accusation « ont maintenant l'air un peu laconique» qu'ils
ne méritent pas la « plus grande attention» de la part des juges (p.35). il ajoute à cela qu'il
83
est extrêmement déçu de voir que celui-ci se contente de s '"en tenir « à la solution la plus
simple» (p.35) aux yeux de tous (ponctuation discordante). Le juge, très surpris de
l'attitude pour le moins cavalière du procureur, réaction qui d'ailleurs établit une relation
symétrique entre les deux interlocuteurs, lui avoue ne pas saisir ce que son affirmation
laisse sous-entendre: «Je n'y comprends rien du tout. Vous n'allez tout de même pas me
dire que votre intention est de disculper le juif Ardnt ?» (p.35). Le procureur [S] lui
rétorque «avec grandeur»: «Parce qu'il est juif, pensez-vous qu'il ne puisse obtenir
justice devant un tribunal du Troisième Reich» (p.35), et accuse le juge Goll de manquer
de considération. Pour le procureur Spitz, la preuve est évidente: « ce n'est pas Ardnt [qui
" a provoqué], c'est ce chômeur, là, comment s'appelle-t-il? qui balayait la neige. Oui,
Wagner» (p.35). Le juge [S], irrité (p.35), lui répond « qu'il n'y a pas un mot de cela dans
[son] acte d'accusation» (p.35). Le procureur justifie ce nouveau détail en affirmant qu ' il
n'a obtenu ce renseignement que très récemment, que le témoin Von Miehl soutient
dorénavant, « sous la foi du serment» (p.38), que ce n'est pas le bijoutier juif qui a insulté
les S.A., mais uniquement le chômeur Wagner. Le juge Goll, qui a peine à croire les
déclarations plus ou moins décousues du témoin Von Miehl, se demande si la déposition du
propriétaire peut encore prouver quelque chose. Le procureur conseille vivement au juge
de tenir Von Miehl « pour un homme honorable» (p.36), vu son statut de membre des S.S.
ainsi que les « excellentes relations [qu'il a] au Ministère de la Justice» (p.36). Le juge,
« à présent vraiment en colère» (p.36), le relance en lui disant: « Mon cher Spitz, ce n'est
pas si simple. Je pensais que son " associé allait le couvrir, il va le charger. Et le
propriétaire, qui l'avait dénoncé, va le couvrir. Allez vous y reconnaître ! » (p.36).
Afin de détendre l'atmosphère et de recouvrer leur esprit suite à cette escalade
symétrique, les deux hommes décident d~ s'allumer un cigare, puis «fument en silence»
(p.36). Après réflexion, le juge, «sombre» " (p.36) et examinateur, relan'ce la
métacommunication: «Mais s'il est juridiquement établi que Ardnt n'a pas provoqué, il est
net qu'il peut introduire contre les S.A. une demande en dommages et intérêts. [Donc,] si
84
le juif s'en tire, la section ne sera guère satisfaite» (p.36-37). Le procureur Spitz [CB], qui
affiche maintenant plus . de respect face à son supérieur (relation complémentaire), est
parfaitement conscient de ce que le juge [CH] soulève (ponctuation concordante), mais
soutient «avec force» (p.37) que le juif y «réfléchira peut-être avant de déposer une
plainte contre des S.A. » et que, pour ce qui est du tribunal, il «confirme que les S.A. ont
été provoqués. Que ce soit par le juif ou par le marxiste [le chômeur], ça leur est égal! »
(p.37). Le juge, « toujours perplexe» (p.37) face à de tels paradoxes juridiques, soutient
cependant que, peu importe qui a provoqué les S.A., «la section demeure responsable»
(p.37) des dommages causés lors de l'altercation dans la joaillerie. Le procureur acquiesce,
tout en précisant qu' « on ne peut pas tout avoir» : « Vous ne pouvez pas faire droit à tout le
monde. À qui le faire? C'est à votre sentiment national de vous le dire [ ... ]. Je peux
simplement vous assurer que dans certaines sphères nationales - et par là j' entends" la haute
hiérarchie des S.S. - on attend de la magistrature allemande, disons, un peu plus de tenue»
(p.37). Face à cet avertissement clair de la part du procureur Spitz, le juge Goll, qui ne peut
que métacommuniquer analogiquement son inquiétude et son désappointement, dit à son
collègue en « soupirant profondément» : «Rechercher où est le droit, aujourd'hui, n'est
plus simple» (p.37). Le procureur Spitz se lève et, avant de quitter la pièce, réplique
finalement au juge : «Est juste ce qui est utile au peuple allemand. [ ... ] Vous connaissez
maintenant les arrière-plans. Alors pas de difficultés» (p.37). Le juge, « sans joie» (p.37),
le salue (rétroaction négative).
Le juge Goll [CH] sonne alors le huissier [CB] et lui demande d'aller chercher
« discrètement» l'inspecteur Tallinger dans la salle des témoins. ~e huissier s'exécute
(ponctuation concordante, rétroaction négative). Une fois l'inspecteur Tallinger [CB]
arrivé dans la chambre des délibérations, le juge Goll [CH] l'accuse immédiatement «avec
fermeté» (p.38) (ponctuation discordante ) d'avoir voulu le «mettre dans de beaux draps
avec [son] conseil de voir l'affaire comme une provocation de Arndt» (p.38). Il
métacommunique avec l'inspecteur sur les renseignements que vient de lui fournir le
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procureur Spitz: «Il paraît que monsieur Von Miehl est prêt à témoigner, sous la foi du
serment, que la provocation ne vient pas de Arndt, mais du chômeur Wagner» (p.38).
L'inspecteur demeure «impénétrable» (p.38) face aux divulgations du juge (~étroaction
négative), visiblement déjà au courant du changement de témoignage de Von Miehl qui
désire désormais protéger le juif. «L'air fermé» (p.38), il précis~ que, peu importe si la
chose est vraie ou non, ils ne peuvent tout simplement pas accuser les S.A. d'avoir
provoqué cette altercation. De plus, l'inspecteur métacommunique sur l'information
apportée par le procureur Spitz qu'il juge douteuse en ajoutant que, même si le chômeur
Wagner, lors de son interrogatoire au camp de concentration, a avoué avoir lancé des
injures aux S.A., il serait faux de croire que Von Miehl ait pu l'entendre de la fenêtre du
deuxième étage de son appartement, puisque Wagner «a reçu un éclat d'obus dans la gorge
lors la dernière guerre» et que, depuis ce temps, « il ne peut pas parler très fort» (p.38).
Tallinger va plus loin et se permet même, «par bonté d'âme» (p.39), de remettre en
doute auprès du juge Golll'honnêteté et la droiture du procureur Spitz: «Vous êtes-vous
demandé si monsieur le Procureur ne voulait pas tout simplement votre place, et si dans ce
but il ne cherchait pas à vous perdre? Cela se fait beaucoup en ce moment ... » (p.39).
L'inspecteur [CH], profitant du fait que le juge [CB] demeure muet (ponctuation
concordante) face à cette déclaration, emprunte une position haute vis-à-vis de celui-ci afin
de bien lui faire comprendre que si jamais il déclare le juif innocent, c'est Stau, l'associé
aryen de celui-ci, qui, ne pouvant plus ainsi réclamer l'argent au juif pour la, perte des
bijoux, s'en prendra à la section S.A. afin d'obtenir dédommagement: « Ce que la section
pensera alors de votre verdict, vous pouvez vous l'imaginer ... De toute manière, ce verdict,
l'homme de la rue ne le comprendra pas. Car enfin, dans le Troisième Reich, comment un
juif peut-il avoir raison contre les S.A. ? [ ... ] Un bon conseil, tenez-vous-en à Arndt et
laissez les S.A. tranquilles» (p.39-40). Au même moment, le huissier [CB] entre dans la
chambre pour prévenir le juge [CH] que bon nombre de personnes sont là pour assister au
jugement et que, parmi elles, plusieurs S.A. demandent à passer en priorité, ayant reçu
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1'« ordre d'assister aux débats» (p.40). Il ressort aussitôt. Le juge [CB], « l'air effrayé»
(p.40), reste assis, communiquant analogiquement son profond désarroi. Le dos « courbé,
la tête dans les mains» (p.40), il demande «avec lassitude» (p.40) à l'inspecteur de le
laisser seul, qu'il doit maintenant réfléchir, ce à quoi l'inspecteur Tallinger [CH] répond, en
guise de dernier avertissement: «Vraiment vous feriez bien, monsieur le juge» (p.40).
Puis, l'inspecteur Tallinger quitte la pièce après avoir réussi à ébranler le juge, semant le
doute et le chaos dans l'esprit de celui-ci (rétroaction positive).
«Le juge se lève lourdement et sonne» (p.40). Il demande au huissier d'aller
chercher le conseiller Fey, un ami de longue date du juge Goll. Le huissier repart aussitôt
(ponctuation concordante. rétroaction négative). La bonne [CB] fait alors son entrée dans
la chambre des délibérations, apportant avec elle le petit déjeuner du juge Goll [CH].
Après l'avoir taquiné gentiment (ponctuation concordante) sur le fait qu'il travaille trop et
ne prend pas assez le temps de bien manger, elle métacommunigue avec lui sur cette affaire
concernant les S.A.: «aujourd'hui, ils vont se faire rappeler à l'ordre, n'est-ce pas,
monsieur le juge ? [ ... ] Heureusement qu'il Y a encore une justice! Frapper un
commerçant, tout simplement! Dans la section, il y a la moitié d'anciens criminels, tout le
quartier le sait» (p.40). Elle ajoute que si les S.A. ont vandalisé la joaillerie, c'est parce
que l'un d'eux, Haberle, souhaitait voler une bagq.e pour sa fiancée qui « fait le trottoir»
(p.40), et que c'est pour cette raison qu'ils ont assommé à la fois le juif Arndt ainsi que le
chômeur Wagner: [ ... ] « tout le monde [les] a vu[s]. Ils ne se gênent pas, ils terrorisent le
quartier, et ceux qui disent un quelque chose, ils les repèrent, et puis ils les battent et les
laissent sur le terrain» (p.40). Le juge, qui ne souhaite pas en entendre davantage, remercie
la bonne et lui demande poliment de quitter la pièce. Elle acquiesce à sa demande
(rétroaction négative) et, avant de partir, l'assure qu'elle lui fait confiance, qu'elle sait qu'il
est honnête homme et qu'il traitera les vrais coupables «comme il faut» (p.41).
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Suite à toutes ces rencontres qui n'ont fait que dévoiler bon nombre de versions
contradictoires et décousues, où chacun tente de tirer son épingle du jeu au profit du parti
qu ' il désire protéger, peu importe la justice, peu importe la vérité, le juge se rend
maintenant compte qu'il se trouve malgré lui plongé au cœur d' un dilemme paradoxal, dont
l'issue pourrait malheureusement lui être fatale: remplir son devoir, respecter le droit et
faire justice au bijoutier juif et au chômeur Wagner" en accusant les S.A. de vandalisme et
en payer les lourdes conséquences, ou bien accuser faussement le juif ou, comme certaines
versions le soutiennent, le chômeur Wagner, d'avoir provoqué les S.A., acquittant de ce fait
les véritables coupables, mais ayant du coup la vie sauve. Peu après que la bonne ait quitté
la chambre, le conseiller Fey rejoint le juge Goll en Coulisse.
Au départ, la relation de confiance et d'amitié que partagent depuis toujours les
deux ho~es place les personnages en relation symétrique. Dès son arrivée, le conseiller
[S] demande au juge le pourquoi de sa présence. Le juge [S], qui marche « nerveusement
de long en large» (p.41) de la pièce, l'informe qu'il a une «affaire assez effroyable »
(p.41) à débattre ce ma~in, et que c'est dans le but d'obtenir ses précieux conseils qu' il lui a
demandé de venir. Le conseiller Fey prend le temps de s'asseoir, tout en l'informant qu' il
connaît déjà assez bien cette « affaire très déplaisante» (p.41) ainsi que les enjeux qu'elle
représente, et que personne ne l'envie. « Avec curiosité» (p.41), il demande au juge Goll
ce qu'il compte faire. Le juge, étonné de savoir que la cause est si connue du milieu
juridique, lui répond qu'il n'en a vraiment aucune idée. Les deux protagonistes se mettent
alors à métacommuniguer, partant des diverses informations qui leur ont été transmises sur
la situation. Le juge, « soucieux » (p.42), affirme que Stau, l'associé aryen du juif Arndt,
passe pour un «personnage très dangereux» (p.41), pendant que le conseiller précise que
Von Miehl, propriétaire de la joaillerie, n'est pas non plus un saint et que, parce qu'il est
membre des S.S., il a de très bonnes et de « très hautes» (p.41) relations. Le conseiller Fey
explique également au juge que si Von Miehl tient tant à protéger Arndt, c'est parce que
celui-ci détient «des traites à sa banque» (p.42), et que c'est Von Miehl que les lui a
- - - - - - --- --- - -
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signées. Si le juif coule, Von Miehl coule aussi: « Von Miehl ne peut en aucun cas laisser
impliquer et ruiner Arndt. li a besoin de lui» (p.42). Le juge lui répond que, malgré le fait
que Von Miehl risque de lui « casser les reins» (p.42) si jamais il accuse le juif, il ne peut
pas non plus protéger les S.A. en accusant le chômeur Wagner, car dans ce cas-ci, c'est
l'associé du juif qui risque de causer des problèmes en allant « réclamer aux S.A. les objets
de valeur» (p.42).' Le conseiller reste « visiblement surpris» (p.42) par l'argument de son
confrère.
Entre alors le huissier qui, demande au juge quels sièges il souhaite réserver au
Président de la Cour d'appel ainsi qu'au Procureur général. Voyant que le juge [CB],
« effondré» (p.42), ne répond pas, le conseiller [CH] prend le contrôle de la situation et
ordonne au huissier [CB] de libérer deux sièges et de ne plus les déranger. Le huissier obéit
(ponctuation concordante, rétroaction négative). Le juge, littéralement « anéanti» (p.42)
par toute cette histoire invraisemblable, se met à insulter le propriétaire Von Miehl, le
traitant de « vache à lait» (p.42), remarque qui semble déplaire fortement au conseiller Fey
(ponctuation discordante) et à laquellè visiblement il ne souhaite pas être associé : « Je tiens
à affirmer que je n'ai pas prononcé la moindre parole contre monsieur Von Miehl. Je
regrette d'avoir à le préciser, Goll» (p.42). Ce revirement d'attitude de la part du
conseiller Fey, qui manifeste soudainement une rigidité et une étroitesse d'esprit face aux
remarques et aux difficultés de son ami, crée à lui seul un renversement dans le
déroulement de l'action. «Agité» (p.42), le juge, qui sent maintenant le regard accusateur
du conseiller se poser sur lui, demande à son ami, vu les circonstances et « étant donné ce
[qu'ils sont] l'un pour l'autre» (p.42), de ne pas prendre sur un mauvais ton tout ce qu'il
dit. Le conseiller, désormais froid et désintéressé, ne semble pas vouloir comprendre ce
que le juge insinue par «ce que nous sommes l'un pour l'autre» (p.42) et préfère
désormais se distancier des affaires de celui-ci, répliquant que, peu importe à qui il souhaite
faire justice, cela le regarde lui et lui seul: «Aujourd'hui, en fin de compte, il n'est
meilleur ami que soi-même» (p.43). Le juge, debout « à la porte pour écouter les' bruits
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du dehors» (p.43), lui répond « aux abois» (p.43) qu'il est parfois difficile de se donner
des conseils à soi -même et lui confesse que depuis un certain temps, il ne reconnaît plus
son ami. li ajoute que peu importe ce que le conseiller de justice, la police criminelle ou
encore la section d'assaut lui demanderont de faire, il faudrait seulement s'entendre sur
quel type de jugement rendre, et que si personne n'a la réponse, c'est « qu'il n'y a plus de
justice» (p.43).
Le conseiller Fey, qui juge maintenant son ami plus qu'il ne le conseille, lui suggère
de faire un peu plus attention et qu'« à [sa] place, [il] ne crierai[t] pas si fort qu'il n'y a plus
de justice» (p.43). Le juge, qui tente de rétablir la communication avec le conseiller,
explique à son ami qu'il se sent perdu face « à de telles contradictions» (p.43), ce à quoi le
conseiller rétorque: «Il n'y a pas de contradictions dans le Troisième Reich» (p.43)
(métacommunication annulée). Le juge, « en sueur» (p.43), lui répond que ce n'est pas ce
qu'il a voulu dire et l'implore d'arrêter de peser chacun de ses mots, mais le conseiller
continue de le menacer en lui rappelant que lui aussi est juge et qu'il fait simplement son
devoir. Le juge, complètement déstabilisé et démuni face à la situation, supplie son ami de
lui venir en aide, de lui dire « en faveur de qui il faut trancher» (p.44), qu'il est « prêt à
tout» (p.44) pour prendre une « décision conforme aux intérêts supérieurs» (p.43), mais
qu'il n'a cependant aucune idée de ce que les intérêts supérieurs attendent de lui (situation
paradoxale) : «Ne me regarde pas comme ça! Je ne suis pas un accusé! Je suis prêt à
tout! »(p.44). Le conseiller, debout et sur le point de partir, réplique au juge «qu'être
prêt, ce n'est pas tout» (p.44) et que la bonne décision à prendre, « en général, [ ... ] est
dicté[e] au juge par sa conscience» (p.44). Sur ce, il quitte la pièce, pendant que le juge
continue de le supplier de l'aider (rétroaction positive). Pendant. que le conseiller s'éloigne,
« le juge, sans un mot, le suit fixement du regard» (p.44).
Au terme de ces entretiens, et à travers tout ce processus métacommunicationnel
servant à mettre en lumière l'état actuel des choses, le juge qui, au départ, cherchait à
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connaître la vérité dans le put de faire respecter le droit et la justice, n'aura réussi qu'à faire
le point sur sa propre situation et à prendre pleinement conscience de l'impasse dans
laquelle il se trouve: peu importe la décision qu'il prendra, il n'a visiblement aucun moyen
de s'en sortir. Si le magistrat accuse le chômeur Wagner d'avoir provoqué les S.A., il aura
l'associé aryen du juif, et par conséquent la section d'assaut, sur le dos. S'il condamne le
juif Arndt, c'est le propriétaire Von Miehl qui reviendra contre lui. Finalement, si le juge
tient les S.A. responsables de l'incident, c'est toute la section d'assaut qui s'en prendra à lui
et à sa famille. La double contrainte étant ainsi établie, le juge doit désormais quitter les
Coulisses et préparer son inévitable entrée en Scène, pleinement conscient que les
événements, peu importe leurs issues, se retourneront contre lui. Le huissier [CB] entre
dans· la chambre des délibérations, signifiant au juge Goll [CH] que tout le monde est arrivé
et qu'il est temps de commencer la séance. Il lui spécifie également que le Président de la
Cour d'appel a accepté de siéger à la table de presse, mais que « le Procureur . général ~
refusé de prendre place au banc des témoins» (p.44), et que si, comme juge, il accepte de
l'installer au Tribunal, il lui faudrait ironiquement «diriger les débats [ ... ] depuis le banc
des accusés» (p.44). Le juge, qui «cherche son dossier », «rit sottement de sa
plaisanterie» (p.44) et refuse catégoriquement de présider depuis le banc des accusés.
« Complètement perdu» (p.44), il s'apprête à sortir de la chambre, oubliant derrière
lui sa serviette contenant l'acte d'accusation. Le huissier, remarquant cette distraction, lui
demande s'il ne serait pas préférable d'apporter sa serviette avec lui. Le juge trouve
comme seule réponse: «Oui, j'en ai besoin. Sans cela je ne saurais plus du tout qui est
accusé» (p.44). Il s'apprête de nouveau à quitter la pièce, lorsque pour une seconde fois le
huissier l'arrête: « Mais c'est l'annuaire du téléphone que vous avez pris, monsieur le juge.
Voici votre serviette» (p.44). Le huissier lui glisse le bon document « sous le bras, [puis]
le juge sort, tout égaré, en s'épongeant le front» (p.44).
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Ne pas chercher à connaître la vérité: commentaires et observations
La microanalyse des multiples interactions que renferme ce tableau met tout d'abord
en valeur ' une réalité pragmatique à laquelle les personnages sont confrontés : en dépit du
fait que la présence en Coulisse des protagonistes encourage une forte métacommunication,
celle-ci ne leur permet en aucun cas d'améliorer les relations entre interlocuteurs dans le
but de maintenir un meilleur contrôle et une plus forte compréhension du système dominant
qui les organise et auquel ils doivent contribuer, bien au contraire. Cette
métacommunication biaisée et contrôlée par la peur (l ' inspecteur Tallinger qui, par
exemple, refuse de métacommuniquer librement par crainte des représailles) , contaminée
de mensonges, de contradictions et de paradoxes, où le profit personnel passe avant tout,
n'améliore en rien la situation. Elle ne fait que révéler l'absence totale d ' un objectif
commun, soit le respect des lois, du droit commun et de la justice, tout en faisant prendre
conscience au personnage principal (le juge Goll) de la nouvelle réalité qui domine et dirige
leur société, la loi .du plus fort (Stau, l'associé du Juif ou Von Miehl, propriétaire de la
joaillerie, les soldats S.A.). Mais qui est le plus fort?
Devant une finalité aussi nébuleuse, répondant à des doctrines telles que « Est juste
ce qui est utile au peuple allemand » , comment reconnaître le droit et comment savoir à qui
cela s'applique? En dernier recours, le juge tente d'établir en fin de tableau une
métacommunication franche et honnête avec son ami le conseiller Fey, métacommunication
qui lui est refusée. Sans aucun support des ressources extérieures (l'inspecteur Tallinger de
la police criminelle), sans aucune coopération de la part des autres membres du système
juridique (Spitz, le procureur de la couronne, Fey, juge et conseiller juridique) et devant
l'absence d'objectif commun (manque de finalité), le juge Goll se retrouve piégé au cœur
de mille et une infonnations dénuées de sens et doit obligatoirement prendre seul une
décision qui ne relève plus d'aucune logique (double contrainte), ce qui provoque
inévitablement l'éclatement du système (rétroaction positive). Dans une société où le
rétablissement de la vérité n'a plus aucune valeur et, par conséquent, n 'est plus la seule
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justice qui soit (vérité que le juge Goll apprend de la bouche de sa bonne), comment un
juge peut-il pleinement jouer son rôle, comment peut-il comprendre clairement ce qu'on
attend de lui, comment peut-il juger d'une situation en «toute science et conscience» sans
y laisser son honnêteté, sa droiture, sa loyauté, et même sa vie?
Microanalyse : La femme juive
Voici venir dans l' amalgame ceux auxquels il a pris leur femme, conjoints à présent d'une aryenne. À quoi bon maudire et gémir ? À la race ils osaient faillir, lui , dans la race il les ramène. (p.49)
Francfort, 1935, dans la chambre à coucher d'une maison bourgeoise. Au
commencement de ce neuvième tableau, une femme juive, Judith Keith, prépare seule ses
malles. C'est avec beaucoup de difficulté qu'elle sélectionne les éléments à emporter.
« Elle hésite longuement» (p.49) entre autres à amener « une grande photographie de son
mari» (p.49), qu'elle laisse finalement sur la commode. Elle s'assoit, «la tête dans les
mains », «fatiguée» (p.49), puis se lève et va au téléphone. Malgré le fait que ce
préambule se déroule en Coulisse, le contact qu'établit le personnage avec ses
interlocuteurs, par l'entremise du téléphone, situe l'action en Scène. Tout d'abord, elle
téléphone au docteur, avec qui elle et son mari aryen Fritz jouent régulièrement au bridge.
Afin de lui cacher sa tristesse, Judith [S] prend un ton tout à fait naturel pour annoncer au
docteur que lui et sa femme Thécla devront « chercher un quatrième au bridge» puisqu'elle
part en voyage à Amsterdam «pour quelques semaines ... » (p.49). Judith explique
rapidement au docteur [S], qui ne semble pas comprendre les motifs d'un tel voyage,
qu'elle compte rejoindre des amis là-bas, en clarifiant que ce voyage «n'est pas si
soudain» et qu'elle «le remettai[t] [seulement] depuis longtemps» (p.50). Au fil de la
conversation, les échanges entre Judith et le docteur, qui s'établissent dan's un rapport
symétrique amical, laissent entendre que, depuis un certain temps, leurs fréquentations
n'étaient plus aussi régulières qu'auparavant, et que le docteur et sa femme, à plusieurs
reprises, auraient annulé pour différents motifs leurs rencontres de bridge. Judith rassure le
93
docteur qui, visiblement gêné, souhaiterait communiquer sur ces annulations, en l'assurant,
d'un ton faussement détaché, qu'elle et son mari n'ont jamais pris la chose de travers
(ponctuation concordante sous la contrainte). De plus, le docteur fait également référence à
une soirée au cinéma qui vraisemblabl~ment aurait mal fini. Judith refuse catégoriquement
de discuter de cette affaire: « Oui, cette sortie au cinéma, n'en parlons plus » (p'.50), puis
ne voulant pas éterniser la conversation, elle met poliment un terme à cet appel et raccroche
(rétroaction négative sous la contrainte).
Elle compose un second numéro. Judith [S] rejoint au bout du fil une amie du
couple, Mme Schoek [S] (relation symétrique). Elle lui annonce également qu ' elle part
cette nuit en voyage, question de « voir des visages nouveaux» (p.50), elle qui plus tôt
affirmait partir rejoindre des amis. Elle l'informe aussi que son mari «Fritz a le professeur
à dîner mardi prochain» (p.50), pour finalement l'inviter à se joindre à eux: « Peut-être
pourriez-vous venir dîner, je te l'ai dit, je pars cette nuit. .. » (p.50). Cette dernière
précision concernant son absence lors du repas semble déplaire à Mme Schoek, choquée de
croire que Judith pourrait lui attribuer des jugements racistes malveillants. Judith, inquiète
d'avoir pu contrarier Mme Schoek, lui affirme que son départ n'a rien à voir avec ce dîner
et tente de préciser sa pensée pour ne pas offenser celle-ci: «Non, je voulais dire que je
pars cette nuit, c'est tout, ça n'a aucun rapport avec le dîner, j'ai simplement pensé que
vous pourriez venir. .. Eh bien, disons alors: bien que je ne sois pas là, ça va ? .. Mais je le
sais que vous n'êtes pas comme ça, et puis, même, à notre époque, tout le monde doit faire
attention» (p.50). Après avoir réussi de justesse à sauver les apparences (ponctuation
concordante sous la contrainte), mais sans pour autant avoir réellement discuté de quoi que
ce soit, Judith relance son invitation à Mme Schoek, puis raccroche (rétroaction négative).
Elle compose à nouveau un autre numéro de téléphone et rejoint cette fois-ci
Gertrude (relation symétrique), la sœur de son mari. Étant donné que « toutes les deux
[sont] brouillées» (p.50), Judith [S] s'excuse de la déranger puis demande très gentiment si
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celle-ci ne pourrait pas venir s'occuper de son frère Fritz pour quelque temps : « je pars en
voyage pour quelques mois» (p.50). Judith insiste auprès de Gertrude [S] qui, malgré
certaines réticences, finit par accepter (ponctuation concordante sous la contrainte). Judith
poursuit la conversation en lui expliquant le fonctionnement de la maison, lui parle de sa
bonne Ida et des tâches qu'elle devra accomplir durant son absence. Faisant usage de la
plus grande délicatesse, elle lui suggère fortement de ne pas parler à son frère Fritz ava~t le
repas, tout en lui précisant que, de son côté, elle en a « toujours tenu compte » (p.50). Au
cours des recommandations, Gertrude fait allusion à un certain sujet que manifestement
Judith préfère éviter: « Je ne tiens pas à discuter de cela maintenant, mon train part bientôt,
et je n'ai pas fini mes bagages ... » (p.51). Judith termine ses explications, puis fait ses au
revoir à sa belle-sœur, tout en la remerciant poliment pour son aide. Elle raccroche
(rétroaction négative sous la contrainte).
Judith décroche le combiné pour la quatrième fois. Ce dernier appel s'adresse à une
amie proche, Anna, et leur relation symétrigue, basée sur la confiance et la sincérité, situe
de nouveau l'action en Coulisse. Pour la première fois depuis le début de ses appels , Judith
[S] accepte de se confier et confesse à Anna [S] que la situation est devenue «trop
difficile» (p.51), qu'elle part cette nuit et qu'« il le faut» (p.51). Elle lui avoue également
que son mari n'est pas encore au courant, mais que de toute manière, elle ne pense «pas
qu'il en · dise grand-chose» (p.51), que c'est devenu trop pénible pour lui aussi, «c'est
évident. . . » (p.51). Anna écoute son amie (ponctuation concordante), lui demandant si elle
et Fritz n'ont pas tenté de discuter ensemble de cette situation insoutenable avant d'en
arriver à cette extrême solution, ce à quoi Judith répond: «Nous n'en parlons jamais,
absolument jamais» (p.51). Malgré tout, elle spécifie que Fritz n'a «pas changé, au
contraire» (p.51), qu'il est resté le' même avec elle. Judith demande finalement à Anna si
elle ne pourrait pas venir voir son mari dimanche pour lui conseiller de déménager, que
l'appartement est trop grand pour une personne seule. En terminant, elle s'excuse de ne pas
pouvoir passer la voir directement chez elle pour la saluer, qu ' elle aurait souhaité lui faire
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.ses adieux en personne, mais que le concierge la surveille depuis quelque temps. Anna
suggère de la rejoindre à la gare, ce à quoi Judith s'oppose catégoriquement, pour la
protéger. Elle met fin à la conversation, lui promettant de lui écrire bientôt (rétroaction
négative sous la contrainte).
Judith raccroche et « brûle le carnet où elle a cherché ses numéros de téléphone»
(p.51). Elle s'allume une cigarette et «se promène de long en large'» (p.51) dans la
. chambre. Elle décide de répéter en Coulisse « le petit discours qu'elle compte tenir à son
mari» (p.51) dès son arrivée à la maison. Elle se tient face à une chaise, comme si son
mari était là à lui donner la réplique. Judith commence par lui dire qu'elle est « restée trop
longtemps déjà» (p.51), qu'il doit l'excuser, mais que maintenant il est temps pour elle de
partir. «Elle s'arrête, réfléchit, et recommence autrement» (p.51). Elle le supplie de ne
pas la retenir, qu'elle ne lui cause que du tort, lui répliquant qu'elle sait bien qu'il n'est
« pas un poltron» et qu'il ne craint « pas la police» (p.51), mais que si elle demeure auprès
de lui, ils finiront par lui interdire l'accès à sa clinique. Tout en simulant que son mari la
retient, Judith lui dit que c;est par pur égoïsme de sa part et rien d'autre si elle quitte la
maison, qu'elle ne supporterait pas de le voir malade et «passant [son] temps à feuilleter
des revues» (p.51). Elle termine ce premier essai en implorant Fritz de garder silence: -'
« Ne dis rien ... » «Elle s'arrête de nouveau» (p.52), puis recommence sa mise en scène,
mais cette fois-ci en haussant le ton.
Brusquement, Judith reproche à son mari (ponctuation discordante anticipée)
d'avoir changé, contredisant de ce fait l'affirmation faite à son amie Anne précédemment.
Elle l'accuse aussi de ~enir des propos méprisants envers son « peuple» et de sans cesse lui
« répéter [qu'elle n'a] jamais fait preuve d'un tel nationalisme juif », ce à quoi elle rétorque:
« Évidemment je deviens nationaliste. C'est un mal contagieux» (p.52). Elle s'arrête, tente
de se calmer et de reprendre ses esprits, mais sa détresse est trop grande. Judith
recommence en métacommuniquant sur le fait qu'elle et lui ne communiquent plus jamais
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sur ce qu'ils pensent, sur ce qu'ils vivent, sur la peine qu'ils ressentent. Elle confesse
qu'elle n'arrive même plus à lui parler quand elle le regarde, pressentant que «tout est déjà
réglé» (p.52) de toute façon . . Judith déverse sans retenue sa colère (rétroaction positive),
répliquant à pleine voix à son interlocuteur invisible: « Qu'est-ce qui leur a pris? Qu'est
ce qu'ils veulent? Qu'est-ce que je leur fais? »(p.52). Elle affirme avoir toujours mené
un bon train de vie, et se demande pourquoi dorénavant «seules les femmes blondes
auraient le droit de vivre ainsi? »(p.52). Finalement, elle se reproche à elle-même d'avoir
cru pendant si longtemps aux grandes idées que son mari véhiculait, à savoir qu'il Y a des
individus sur terre plus précieux que d'autres, et que certains, en cas de maladie, avaient le
droit aux médicaments et d'autres non: « Et j'approuvais, imbécile que j'étais! lis ont fait
aujourd'hui une nouvelle classification de ce genre, et maintenant je suis de ceux qui valent
moins que rien. Je l'ai bien mérité» (p.52) (relation de type symétrique face à son :t:nari
« virtuel »).
Judith poursuit son discours en suppliant Fritz d'arrêter d'agir comme s'il ne voyait
rien, qu'elle est prête à tout sauf une chose, qu'elle et son mari ne se regardent « pas en face
pendant la dernière heure qui [leur] reste» : «Il n'ont pas le droit d'obtenir cela de nous,
ces menteurs qui contraignent tout le monde au mensonge» . (p.52). Elle invoque avec
nostalgie certains moments de bonheur vécus à une époque où son rpari pouvait encore la
taquiner en faisant référence à son « type juif ». «Aujourd'hui, pourquoi tergiverser»
(p.52), la réalité désormais, c'est que si elle reste auprès de lui, ce n'est qu'« une question
de temps» avant que son poste de médecin-chef lui soit enlevé, que déjà ses collègues de la
clinique ne le saluent plus, et «que déjà, la nuit, [il n'arrive] plus à dormir» (p.52).
Désorientée et abattue par toutes ces émotions, Judith avoue à Fritz qu'elle n'en peut tout
simplement plus, que toutes les idées se mélangent et s'entrechoquent en elle: « Je ne veux
pas que tu me dises que je ne dois pas partir. Et je fais vite, pour ne pas t'entendre me dire
que je dois partir» (p.53). Épuisée, elle soutient malgré tout ne pas être en colère, pour
spontanément affirmer le contraire: « Si, je le suis» (p.53). -De nouveau en furie contre
97
elle-même et contre le monde entier, elle exige des explications, elle désire comprendre
pourquoi on en veut à sa religion, à la forme de son nez, à la couleur de ses cheveux.
Enragée de devoir «quitter cette ville, où [elle est] née, pour qu'ils n'aient pas à [lui]
donner [sa] ration de beurre» (p.53), elle se demande bien quels genres d'hommes
mauvais, incluant son mari, peuvent être à l'origine d'un tel chaos: «Vous inventez la
théorie des quanta et vous vous laissez commander par des brutes qui vous donnent le
monde à conquérir, mais qui vous retirent le droit de choisir votre femme» (p.53) (dénonce
une situation paradoxale). Comme si son mari la suppliait de se montrer raisonnable, elle
lui réplique que « dans un monde pareil, à quoi sert la raison? »(p.53). Judith accuse Fritz
d'être un monstre, le qualifie de lâche et d'être là à regarder « sa femme faire ses bagages»
sans rien dire: «Les murs ont des oreilles, n'est-ce pas ·?» (p.53).
Dans une dernière envolée, elle lui reproche à lui et au reste du monde ce silence qui ,
assassine et n'épargne personne. Découragée, elle déclare à Fritz son éternel amour, tout
en lui avouant que le prochain homme qu'elle aura devra avoir le «droit» de la garder
(p.53). Judith ord<?nne à Fritz de s'ouvrir les yeux et d'arrêter de se raconter des histoires,
qu'ils savent très bien tous les deux qu'il ne pourra pas lui faire parvenir de l'argent, et que
malgré ce que les gens disent, les choses dureront plus que quelques semaines: « Alors ne
me dis pas: en somme, c'est l'affaire de quelques semaines, en me donnant le manteau de
fourrure dont je n'aurai besoin que l'autre hiver» (p.53) (paradoxe). Ravagée, elle termine
en disant à son mari que jamais elle n'acceptera de croire que toute cette histoire, que toutes
les atrocités qu'ils' subissent ne sont au fond qu'un triste « malheur », mais qu'ils doivent
plutôt assumer haut et fort que c'est une véritable « honte» (p.53). Elle s'écroule et garde
silence.
« On entend . une porte. Elle s'arrange à la hâte. Entre [en Scène] son mari»
(p.53). Fritz [CH], en relation complémentaire avec sa femme [CB], lui demande ce qu'elle
est en train de faire, «pourquoi ces bagages ?» (p.53). Judith, qui vient tout juste de
98
répéter son discours, déterminée à ne plus contenir sa douleur et à révéler les véritables
motifs de son départ, reste figée, muette devant son mari (rétroaction négative sous la
contrainte). Paradoxalement, elle lui cache la vérité en lui répondant tout bonnement
qu'elle part en voyage pour quelque temps, qu'elle envisageait cette possibilité depuis un
moment déjà (ponctuation-concordante sous la contrainte). Son mari soutient que « c'est
absurde» (p.54) et qu ' il ne comprend pas sa décision. Judith lui réplique aussitôt: « Alors,
je reste?» (p.54). Fritz, visiblement incapable de lui répondre, détourne le sujet: « Où
veux-tu aller?» (p.54). Ne voyant plus aucune raison d' insister, Judith abandonne le
combat et lui répond qu 'elle part pour Amsterdam cette nuit, «simplement pour partir
d'ici» (p.54). Fritz, qui ne semble pas vouloir comprendre, lui fait remarquer qu 'elle ne
connaît personne là-bas, puis insiste de nouveau pour connaître les raisons de son départ:
« Pourquoi veux-tu partir d'ici? Si c'est à cause de moi, tu n'as aucune raison. [ ... ] Tu sais
bien que je n'ai pas changé, tu le sais, Judith? »(p.54). Démunie et impuissante face à
cette question, Judith donne pour seule réponse à son mari un « oui» discret, coupable et
mensonger. «Il la prend dans ses bras. Ils restent silencieux, debout au milieu des
bagages» (p.54). Pour la dernière fois, il lui demande si elle «'n'a pas d'autre raison»
(p.54) de vouloir quitter la maison. Judith ferme la porte à cette dernière opportunité de
métacommunication, en lui répondant uniquement: « Tu le sais bien» (p.54), déclaration
qui à la fois so~s-entend tout ce qu'elle est incapable de lui dire en face tout en signifiant
qu'il sait autant qu'elle qu'il n'y a plus d'issue.
Fritz, qui tente de remédier au malaise qui inonde la pièce, change soudainement de
discours et soutîent que, malgré ces circonstances «malheureuses» (p.54), l'idée «n'est
peut-être' pas si bête» (p.54) au fond, que les choses ne dureront pas ainsi encore très
longtemps et qu'une fois le calme revenu, il ira la rejoindre de l'autre côté de la frontière.
Judith, fatiguée et résignée à laisser son mari à ses illusions, approuve sa déclaration avec
renoncement. Fritz, qui continue à fuir la réalité, entreprend un beau discours optimiste sur
le fait que les gens ne s'esquiveront pas toujours si facilement devant ces humiliations
99
gratuites, qu'ils ne se laisseront pas «mépriser à ce point» (p.54) et, qu'à force de défis, ils
finiront bi~n par réagir (paradoxe). Il demande finalement à sa femme où il devra lui faire
parvenir de l'argent. Même si Judith sait que son mari ne pourra pas l'aider
financièrement, elle lui répond tout de même qu'il pourrait «peut-être [lui envoyer] poste
restante, à Amsterdam» (p.54) (paradoxe). D'un air absent, elle précise à Fritz qu ' elle a
aussi rejoint sa sœur et que celle-ci lui rendra visite le plus souvent possible, démarche que
son mari qualifie de « [t]out à fait superflu[e]. Pour quelques semaines» (p.55). Judith,
« qui a recommencé à faire ses bagages» (p.55), demande à Fritz, comme pour le tester, de
lui donner son « manteau de fourrure» (p.55). Son mari s'exécute, tout en lui répliquant de
manière paradoxale: « En somme, c'est l'affaire de quelques semaines» (p.55).
Ne plus vouloir combattre et se résigner: commentaires et observations
La microanalyse de ce tableau se révèle être la parfaite démonstration de cette
dualité oppressante qui sévit entre l'image et le type de communication établis ouvertement
et en toute spontanéité en Coulisse, mais qui sont, la plupart du temps, incompatibles avec
la « projection officielle» contraignante qu'implique la représentation communicationnelle
à laquelle doivent se soumettre les personnages en Scène. L'observation des nombreuses
contradictions qui découlent directement de la mise en parallèle de ces deux st y les
témoigne de l'ampleur et de la gravité de cette situation paradoxale, qui se veut en somme
le foyer du conflit intérieur qui contamine le personnage. Judith, jeune femme juive de la
bourgeoisie et épouse d'un médecin aryen, métacommunique digitalement en Coulisse
(avec son amie Anna, lors de son dialogue virtuel) sur ce contexte insoutenable qu'elle et
son mari entretiennent en Scène par leur absence de communication (<< Nous n'en parlons
jamais, absolument jamais !» ), situation invivable mais à laquelle elle accepte
« honteusement» et jour après jour de se plier (ponctuation concordante sous la contrainte)
en masquant ses véritables pensées et son réel sentiment (cache sa tristesse et son angoisse
à ses connaissances et aux membres de sa famille - docteur, Mme Schoek, Gertrude).
100
Ayant laissé consciemment ces conditions défaillantes mener sa vie et détruire son
couple, elle rage à présent de n'avoir rien fait pour y remédier et d' avoir été incapable d'y
faire face (relation symétrique imaginaire avec · son mari, ponctuation . discordante), de
chercher en vain des réponses à des questionnements qui ne font aucun sens, de voir son
mari, un carriériste intelligent, jouer le jeu des puissants en laissant sa femme partir sans
rien dire pour l'en empêcher (loi de Nuremberg interdisant le mariage entre juif et aryen).
Tout en affichant une rétroaction positive face au système dominant, qui nourrit son conflit
intérieur en lui imposant une séparation qu' elle ne souhaite pas, Judith se montre décidée à
ne pas laisser ses derniers moments passés avec son époux être gâchés par le silence et le
mensonge. Pourtant, une fois de retour en Scène et alors qu'elle fait face à son mari [CH] ,
malgré son désir de contestation, malgré l'immense besoin de se faire entendre, Judith [CB]
se rétracte et cède paradoxalement une fois encore, et contre sa propre volonté, pour
finalement « recommenc[erJ àfaire ses bagages» (rétroaction négative sous la contrainte).
Après avoir révélé en Coulisse la détresse qui se cache au quotidien derrière le mensonge et
le refus de métacommuniquer, Judith revêt de nouveau son masque façonné par les
contraintes sociales, affichant une humeur qui n'est pas la sienne, assumant des décisions
qui ne reflètent en rien son réel désir, laissant ainsi le silence, le déni et les fausses illusions
dominer à nouveau sa relation conjugale: «Moi aussi, je devrais me taire [ ... ]. Tout est
déjà réglé. »
Microanalyse : Le mouchard
101
Voici messieurs les professeurs. La jeunesse hi tlérienne leur enseigne à se tenir bien droi t. Chaque écolier est un mouchard. Terre et ciel , rien n'est à savoir. Mais sur tel ou tel , qui sait quoi? Et voici donc les chers marmots qui s' en vont chercher les bourreaux et les conduisent au foyer. Puis ils montrent du doigt leur père et le nomment du nom de traître. On l ' emmène pieds et poings liés. (p.55)
La scène se passe à Cologne, en 1935, dans un appartement bourgeois, par un
« dimanche après-midi pluvieux» (p.55). Au départ; nous retrouvons quatre personnages:
le père (prénommé Charles), son épouse (Mme Furcke), leur fils Henri et leur bonne, Erna.
L'action se situe en Coulisse, dans la salle à manger de l'appartement, sans aucun témoin
gênant. Au commencement du tableau, Erna [CB] annonce à M. et Mme Furcke [CH] un
appel téléphonique de la part d'un couple d'amis, M. et Mme Klimbtsch, leur demandant .
s'ils sont disposés à les recevoir. Le père, « grognant» (p.55) et sans même se lever pour
aller répondre lui-même au téléphone, ordonne à Erna de leur faire savoir qu'ils ne sont pas
à la maison. «La bonne sort» (p.55). Mme Furcke [CB], malgré le statut inférieur qu'elle
accepte d'occuper au sein de leur relation complémentaire, manifeste son profond
désaccord avec les agissements de son mari (ponctuation discordante), lui faisant remarquer
que les Klimbtsch ne croiront pas éternellement qu'ils sont sans cesse sortis : « C'est une
erreur de ne pas être allé au téléphone. Maintenant ils savent que nous ne voulons pas
d'eux à la maison [ ... ]. Rompre avec eux au moment où tout le monde en fait autant, ce
n'est pas très élégant» (p.56). Offusqué des commentaires de sa femme, Charles [CH]
refuse d'admettre ses torts et réplique à Mme Furcke qu'il n'a «pas rompu avec eux»
(p.56) comme elle le prétend - et ce, malgré le fait qu'il refuse de les recevoir à la maison
(paradoxe) - que c'est uniquement parce que ce Klimbtsch 1'« ennuie à mourir» (p.56) à
présent, et que, même s'il pleut, « il y a une foule d'endroits» (p.56) où ils pourraient être
sortis. Mme Furcke relance son mari en lui rappelant qu'« autrefois» M. Klimbtsch «ne
[l]'ennuyait pas» (p.56), qu'autrefois il n'aurait pas rompu avec lui uniquement «parce
102
qu'il est l'objet d'une enquête de l'inspection scolaire» (p.56) et qu'autrefois, même quand
il pleuvait, « [ils pouvaient] au moins aller chez l'un ou chez l'autre» (p.56). Pendant que
le père et la mère continuent de s'obstiner, leur fils Henri, témoin de la dispute depuis le
début, s' amuse à syntoniser différents postes de radio. La mère [CH] ordonne alors à son
fils [CB] de cesser son petit jeu et de « ne pas touche[r] à la radio» ; « le garçon se rabat
sur les journaux» (p.56).
À la suite de quoi le père [CH] reprend la métacommunication, se plaignant qu'il en
a assez qu'on lui reproche constamment «son manque d'enthousiasme pour la défense
passive» (p.56), et qu'en vérité, dans un pays où pleuvoir représente une véritable
«catastrophe, la vie n'est pas possible» (p.56). La mère [CB] demande à son mari de
cesser « de faire des réflexions pareilles à haute voix» (p.56), ce qui ne fait qu'augmenter
la colère de celui -ci : «Entre mes quatre murs, je fais les réflexions qui me plaisent. Dans
ma propre maison, je ne' me laisserai pas imposer silence ... » (p.56-57) rétorque-t-il alors à
sa vis-à-vis. Au même moment, la bonne entre dans la salle à manger porter le service à
café. Charles se tait subitement (paradoxe), comme par méfiance, et ne recommence à
parler qu'une fois la bonne sortie: «Faut-il absolument que nous .ayons une bonne dont le
père est gardien d'immeuble» (p.57) lance-t-il. Charles précise aussi à sa femme, en
employant un ton menaçant, que tout ce qui est dit à l'intérieur de cette demeure ne doit
jamais en sortir, qu'elle ne doit même pas en dire mot à sa propre mère. Mme Furcke est
sur le point de lui répondre, lorsque la bonne fait de nouveau son entrée dans la pièce ; elle
se rétracte: « Laissez, Erna, vous pouvez sortir, je m'en occupe» (p.57). Une fois qu'Erna
a quitté la salle à manger, Henri [CB] se lève pour montrer le journal à son père [CH] :
«Tous les ecclésiastiques font ces choses-là, papa?» (p.57). Le père «lui arrache le
journal des mains» (p.57), mais le jeune garçon lui rétorque que c'est son chef de groupe
qui leur a permis de lire ce journal (ponctuation discordante). Charles, dans un élan
d'autorité paternelle, rappelle à Henri que c'est lui et à lui seul de décider ce que son fils a
le droit de lire ou non, et qu'il n'a « pas à tenir compte de ce que le chef de groupe a dit »
103
(p.57). La mère, cherchant à faire baisser la tension, donne dix pfennigs à son fils pour
qu'il sorte s'acheter quelque chose à la chocolaterie. Henri, visiblement déçu, réplique à sa
mère qu'il ne veut pas sortir et qu'il pleut à torrents. «Il s'appuie avec irrésolution contre
les vitres» (p.57).
Le père [CH], toujours en furie, soutient que si le journal continue à publier « de
pareilles cochonneries» (p.57), il annulera son abonnement. La mère [CB] lui précise que,
de toute manière, les journaux publient tous sensiblement la même chose, et, qu'à ce
compte, il serait préférable de ne plus en acheter du tout. Charles continue de déblatérer sur
l' « épuration» (p.57) journalistique, sur les horreurs commises dans les sacristies, puis sur
les « mesures d'hygiène» : «Hygiène! belle hygiène! si c'est ça la santé, je préfère la
maladie» (p.58). Dans son élan de protestation, il va même jusqu'à insinuer que les
premières mesures d'hygiène à prendre devraient être appliquées à la « Maison Brune»
(siège du Parti nazi) : « [ ... ] tout n'est pas si propre, d'après ce qu'on dit » (p.58). La mère
lui demande s'il ne s'est pas passé quelque chose d'inhabituel à l'école où il travaille pour
qu'il se montre aussi nerveux, puis tente de le calmer et lui rappelle délicatement
qu'autrefois, elle et lui ne se chicanaient pas si souvent. Mais rien à faire, les interventions
de Mme Furcke ne font qu'aggraver les choses: « Je l'attendais, celui -là. Autrefois ! [ ... ]
Et je t'en prie, ne dis pas sans arrêt que je suis nerveux. Ça ne peut avancer à rien, qu'à me
rendre vraiment nerveux. [ ... ] Ni autrefois, ni aujourd'hui, je n'ai envie qu'on empoisonne
.l'esprit de mon enfant» (p.58). La mère, voyant bien qu'elle n'arrivera pas à faire entendre
raison à son mari, juge qu'il est préférable dans les circonstances de ne plus ajouter un seul
mot et de laisser son orgueilleux d'époux à sa colère (rétroaction négative sous la
contrainte ).
C'est alors que la mère remarque que leur fils Henri n'est plus dans la pièce. Elle
l'appelle, le cherche dans la maison, « sort en courant» (p.58) et crie son nom à l'extérieur,
aucune réponse. «Il est vraiment sorti ! [ ... ] Mais il pleut à torrents» (p.58) (paradoxe).
104
Charles lui demande pourquoi elle s'énerve tant du fait que leur fils soit sorti? Mme
Furcke reproche alors à son mari de ne plus être maître de lui-même ces derniers temps, et
que, par sa faute, le petit à peut-être entendu des choses qu'il n'aurait pas dû entendre et
que maintenant, il est parti les rapporter à quelqu'un d'autre: «Tu sais pourtant ce qu'on
rabâche sans arrêt aux Jeunesses hitlériennes. On les pousse carrément à tout rapporter.
C'est curieux qu'il soit sorti aussi discrètement. [ ... ] Je voudrais savoir ce qu'il a entendu
de notre conversation» (p.59). Le père qualifie de «parfaitement absurde [ s]» les
inquiétudes de sa femme, lui rappelle que . leur fils sait très bien ce qui « arrive quand on
dénonce les gens» (p.59). Pourtant,« il court [aussitôt] dans les autres pièces en appelant
le garçon» (p.59) (paradoxe). Soudain, l'idée leur vient qu'Henri est peut-être parti chez
leurs voisins, les Mummermann, voir un ami. La mère téléphone immédiatement à
madame Mummermann, mais malheureusement, le garçon n'est pas chez elle. Mme
Furcke en profite pour s'informer si «le local des Jeunesses hitlériennes est ouvert le
dimanche après-midi» (p.59). À son grand désespoir, la réponse est «oui ». « Elle
raccroche. Tous deux sont assis et se taisent» (p.59).
La panique s'installe (rétroaction positive, perte d'homéostasie). La mère [S],
affolée, se place en position symétrique face à son mari [S] et ordonne à celui -ci de se
rappeler sur-le-champ ce qu'il a pu dire concernant le gardien d'immeuble, « les journaux
qui sont pleins de mensonges» (p.60), la défense passive, la Maison Brune et sur le fait de
vivre dans 1'« Allemagne d'Hitler» : «Mais rappelle-toi ! »(p.60). Charles, visiblement
déstabilisé d'être si brusquement attaqué, se défend bien maintenant d'avoir tenu des
propos contre qui ou contre quoi que ce soit. Il s'empresse de rétorquer à sa femme qu'il
n'a jamais employé « l'expression Allemagne d'Hitler» (p.61) et que, par-dessus tout, il
refuse de croire que son fils ait pu interpréter ses paroles comme des critiques négatives.
Malgré cela, il tente tout de même de métacommuniquer sur ses derniers commentaires en
corrigeant et en justifiant maladroitement ses dires auprès de son épouse ; il se reprend,
s'éternise sur certains détails, change ses mots, explique les remarques qu'il a voulu
105
émettre, etc. La mère lui réplique qu'elle essaie seulement de savoir qu ' est-ce que leur fils
a bien pu entendre de déplacé et qu'il n'a pas besoin d'agir avec elle comme si elle était de
la police. Hors de lui, le père rejette la faute sur sa femme, insinuant qu'elle aussi doit
également, « en bavardant» avec ses amies, propager des « étourderies» (p.60) concernant
les conversations qu'ils tiennent de temps à autre entre ces quatre murs. Insultée, elle lui
répond furieusement: « Maintenant ça suffit! Tu ferais mieux de tenir ta langue! » (p.6l)
(ponctuation discordante).
Mme Furcke se sent subitement très mal à l'idée que son petit Henri soit assez.
méchant pour dénoncer ses propres parents. De plus en plus paranoïaques, ils se mettent
tous deux à culpabiliser sur des détails insignifiants: sur la grenouille verte qu' ils lui ont
enlevée parce qu'il n'en prenait pas soin, sur le fait qu'ils lui offrent peut-être trop d ' argent,
donnant ainsi l'impression qu'ils veulent acheter son silence, etc. Les idées se confondent
et se brouillent, rendant impossible une communication saine entre les deux protagonistes.
La mère demande à son mari si les autorités pourraient avoir quoi que ce soit contre lui.
Charles lui répond qu'ils ont quelque chose « contre tout le monde [ et que] tout le monde
est suspect» (p.62), qu'ils n 'ont besoin que d'un petit soupçon pour faire immédiatement
arrêter quelqu'un. Il ajoute que, depuis un moment, son métier devient de plus en plus
laborieux, qu'il doit continuer à éduquer la jeunesse, une jeunesse qui lui «fait peur»
(p.62) à présent. Mme Furcke s'obstine à croire qu'un enfant ne peut constituer «un
témoin digne de foi» (p.62). Mais depuis quand, lui fait remarquer son époux, les autorités
ont-elles besoin d'un témoin? Ils doivent désormais se mettre d'accord sur ce que le père
aurait pu dire devant son fils. La mère essaie tant bien que mal de remanier les dires de son
mari, pour tenter de ramener les choses en leur faveur. Charles trouve l'exercice inutile et
s'avoue condamné d'avance, par sa « propre chair» (p.63) en plus. Il qualifie d'imprudent
d'avoir continué à fréquenter si longtemps les Klimbtsch malgré l'enquête dont ils étaient
victimes, et se demande maintenant avec inquiétude si le gardien d'immeuble ne pourrait
pas avoir quelque chose contre eux. La mère croit que non, vu les bonnes relations qu'ils
106
ont toujours entretenues avec lui, et ajoute qu'il y a d'autres familles dans le quartier qui
pourraient être sujettes davantage qu'eux à une enquête de la police: certains lisent encore
des journaux défendus, d'autres ont mis beaucoup de temps à pavoiser sur les couleurs du
Parti nazi, etc.
Tout à coup, la « sonnerie du téléphone» retentit (rétroaction positive). Apeurés, ni
l'un ni l' autre n'osent répondre. «Ils attendent. Le téléphone ne sonne plus» (p.63). La
tension est à son comble. À bout de nerfs, le père explose et traite son fils de Judas, de
mouchard, lui qui plus tôt était le premier à le couvrir (paradoxe). La mère interdit
formellement à son mari de traiter son fils de la sorte ... mais soutient qu'il serait préférable
de prendre des dispositions (paradoxe). Ils se mettent alors d'accord (ponctuation
concordante) sur les préparatifs à exécuter en Coulisse en v~e de leur entrée en Scène lors
de l'arrivée de la police. Le mari [CH], qui prend le contrôle des « opérations» (relation
complémentaire haute et basse), suggère d'épingler à son veston sa croix gammée en fer.
«Il va chercher la croix qu'il épingle avec des mains tremblantes» (p.64). Charles
demande ensuite à sa femme [CB] de donner encore dix marks à la bonne: « Elle 'passe son
temps à nous écouter» (p.64). Elle« approuve de la tête» (p.64). Pour terminer, la mère
propose, pour faire bonne impression, d'accrocher le portrait d'Hitler au-dessus du bureau,
. mais elle change aussitôt d'idée, croyant que leur fils pourrait dire qu'ils l'ont « changé de
place exprès ». «La mère ràccroche le portrait à l'ancienne place» (p.64). Dans la
confusion la plus totale, la mère demande une dernière fois à son mari de lui dire la vérité et
de lui assurer qu'ils n'ont rien à retenir contre lui à l'école: « Comment veux-tu que je le
sache? Je suis prêt à enseigner tout ce qu'ils veulent, mais qu ' est-ce qu'ils veulent? Si
seulement je le savais! » (p.64) (situation paradoxale).
« On entend la porte s'ouvrir» (p.64) La mère se jette dans les bras de son mari.
Le père, qui tente de garder un certain contrôle sur ses émotions, supplie sa femme de
maîtriser ses nerfs, puis lui demande de lui préparer « un petit paquet de linge.» «Le père
107
et la mère, interdits, sont debout l'un contre l'autre dans un coin de la pièce. La porte
s'ouvre et le garçon entre, un petit sac de papier à la main. Un temps» (p.64). La
présence du jeune garçon en tant que délateur potentiel transpose l'action en Scène. Henri
[CB] regarde ses deux parents [CH] d'un air interrogateur: «Mais qu'est-ce que vous
avez? »(p.64). La mère, soupçonneuse, lui demande ce qu'il a fait tout ce temps. «Le
garçon montre son petit sac de chocolateries» (p.64). La mère, à la fois sceptique et
méfiante, continue de le questionner: «Tu as acheté du chocolat, c'est tout ce que tu as
fait? »(p.64). En guise de réponse, Henri demande à ses parents ce qu ' il aurait bien pu
faire d'autre par un temps pareil et précise, avant de quitter la pièce, qu'« il n'y a rien de
secret» (p.64). Malgré le fait qu'Henri affirme n'avoir absolument rien fait d'autre que de
s'acheter des sucreries, le père et la mère jugent tout de même préférable pour leur sécurité
de ne pas mettre leur fils au courant des inquiétudes qu'ils ont eues à son sujet durant son
absence, et décident de le laisser partir sans lui poser davantage de questions (ponctuation
concordante sous la contrainte). Henri« traverse la chambre en mangeant. Ses parents le
suivent avec un regard scrutateur» (p.65), sachant qu'ils ne pourront plus désormais avoir
confiance en leur garçon. De nouveau en Coulisse, le père [CH] se retourne vers la mère
[CB] et lui demande, d'un air incrédule: « Tu crois qu'il dit la vérité?» «La mère hausse
les épaules» (p.65).
Ne jamais faire confiance à personne: commentaires et observations
Pour cette dernière démonstration analytique, nous avons ici l'exemple parfait du
piège, induit par le système dominant, que réserve la communication en Coulisse aux
acteurs téméraires qui souhaiteraient profiter de ces moments de recul pour livrer leurs
véritables opinions: soit la délation. En effet, les deux protagonistes (le père et la mère)
voient leur équilibre familial détruit (addition de rétroactions positives) au dépend de
l'homéostasie générale du système, puisque leur propre fils Henri, encouragé à la
dénonciation (éducation de la Jeunesse hitlérienne), incarne l'éventuel mouchard
responsable de leur perte. Du coup, l'éclatement de cette homéostasie familiale, qui au
108
cours de l'interaction entraîne confrontations, disputes, accusations (relation symétrique,
ponctuation discordante) et paradoxes au sein des différents échanges, empêche
l'établissement d'une communication positive entre les différents interlocuteurs (père,
mère, fils), rendant impossible .la résolution des problématiques de communication. Le
père, qui déjà par un manque d'informations et d'encadrement ne sait plus comment gérer
et aborder l'enseignement dans ses classes (<< mais qu'est-ce qu'ils veulent? »), se sent
doublement piégé. Il n'arrive plus en tant que professionnel à prendre sa place et, en tant
que parent, il se sent épié, jugé et impuissant face au mouvement (Jeunesse hitlérienne) et
aux idées Gournaux, radio) qui contaminent l'esprit de son fils et d'une génération entière,
jeunesse à laquelle maintenant il a peur d'enseigner.
Tout au long de la microanalyse de ce tableau, la communication qui s'effectue
difficilement (renversement de positions de complémentarité à symétrie, ponctuation
discordante, concordante sous la contrainte, rétroaction positive, négative sous la
contrainte, métacommunication en, déséquilibre, paradoxes) témoigne aussi du contexte
relationnel emprisonnant qui étouffe et restreint l'interaction entre les personnages, reflet
d'un système «borné» où la moindre métacommunication sur les problèmes perçus
(désinformation dans les journaux, enquêtes injustifiées, pillages des sacristies, mesures
d'hygiène excessives) risque d'être sévèrement punie. Face à la crainte constante d'être
pris en défaut et de voir les remarques émises en Coulisse dévoilées au grand jour en Scène,
les personnages optent pour des solutions telles que l'isolement (le père refuse de sortir
sous prétexte qu'il pleut), le contact restreint avec les autres (le père refuse de recevoir ses
amis), la méfiance menant à la paranoïa (le père et la mère qui n'osent même plus parler en
présence de leur domestique, et à présent devant leur propre fils) ; contraintes de vie qui,
sans , résoudre quoi que ce soit, leur permettent, non pas de vivre, mais au mieux de survivre
un temps, toujours dans l'objectif ultime d'éviter les camps de concentration.
109
Redondances pragmatiques: -règles de communication et contraintes sociales
Au-delà de l'observation des différents phénomènes communicationnels répertoriés
lors de la microanalyse des 24 tableaux de l'œuvre de Brecht, il y a la mise en commun des
données récurrentes, à la fois sur les plans digital et analogique, qui s'avère être en somme
le reflet du programme de vie dans lequel évoluent les personnages. En effet, la synthèse
des redondances pragmatiques permet de repérer les règles orchestrées par le système nazi
et servant à maintenir en place un mode de fonctionnement, à préserver un code de vie qui
se base principalement sur la soumission totale des microsystèmes (familial, conjugal,
parental, etc.) ainsi que sur l'élimination des idées, des désirs et des valeurs propres aux
personnages qui y prennent place.
Or, une fois le repérage des redondances effectué, la combinaison des «faits de
communication» les plus courants nous a permis d'établir deux principaux modèles
d'interaction, soit un en Coulisse. et l'autre en Scène, qui, une fois mis en parallèle,
illustrent bien les comportements opposés mais aussi contradictoires que doivent adopter
les personnages, foyer de leur conflit intérieur. Pendant que l'un exige une conduite qui
répond en tout temps aux contraintes sociales et qui respecte à n'importe quel prix les
règles prévalant dans le système-nazi (Scène), l'autre représente le siège de la vérité, de la
libre pensée, de l'authenticité, où le plus souvent le citoyen profite de ce moment de sursis
pour exprimer ce qu'il ressent, en toute ouverture et en toute quiétude, en se débarrassant
des contraintes qui l'assaillent (Coulisse).
En Coulisse: un exutoire à l'oppression hitlérienne
Dans un premier temps, l'étude des redondances pragmatiques, prélevées dans le
cas des interventions effectuées dans la région postérieure du système de communication,
permet d'en arriver au modèle - ou pattern - interactionnel suivant: dans une majorité des
cas, la communication s'organise autour d'une relation de type complémentaire haute et
basse, la ponctuation des échanges s'exécute de manière concordante, la rétroaction
110
demeure négative et la métacommunication s' effectue courarnrnen~. Cette façon récurrente
qu'ont les personnages de configurer les interactions en Coulisse met en relief toute la
latitude ressentie dont ils peuvent bénéficier afin d'établir entre eux, peu importe la couche
sociale à laquelle ils appartiennent, une communication qui favorise un riche transfert
d'informations qui serait profitable pour l'ensemble du système. L'aspect concordant des
échanges et la stabilité dont témoigne la rétroaction négative démontrent bien que, pour une
forte majorité des interventions étudiées, même dans des rapports «dirigeants-dirigés»
(CHHCB), la communication se structure de manière positive et enrichissante, dans un
esprit d'ouverture et d'accord mutuel qui encourage une métacommunication constructive.
En effet, en Coulisse, la forte présence de métacommunication confirme que les
personnages, en réaction à toute cette pression extérieure malsaine, s'autorisent à échanger
en toute confiance et sans aucune censure sur les lacunes dont ils sont conscients et sur les
injustices qui frappent jour après jour l'ensemble de la population (ex. Le père qui proteste
contre les horreurs commises dans les sacristies ; la bonne qui révèle la vérité au juge
concernant les barbaries commises par les S.A.), mais aussi sur les souffrances et les
atrocités dont ils sont quotidiennement victimes (ex. La femme de chambre qui se confie et
demande conseil à la cuisinière; la femme juive qui s'insurge contre les politiques nazies
qui la contraignent à un départ forcé). Ces discours à vocations libératrices, tenus en retrait
et à l'abri des contraintes sociales, permettent aussi aux personnages de mettre à jour les
nombreux paradoxes perçus ainsi que les messages contradictoires qui leur sont envoyés
(ex. Le juge qui doit accuser les victimes et défendre les coupables pour avoir la vie sauve),
tout en contestant les règles · qui, en Scène, tendent à maintenir les oppresseurs en position
d'autorité [CH] et entretiennent auprès des opprimés [CB] une peur et une pression
constantes dictées par une seule loi, celle du . silence (ex. La femme juive qui se révolte
contre l'inaction dont fait preuve le peuple allemand).
En Scène: un jeu. communicationnel qui prend le pas sur la volonté des
personnages
111
Toutefois, il en va autrement en ce qui concerne les redondances prélevées lors des
interactions développées dans la région antérieure du système de communication qui, pour
leur part, présentent un modèle d'interaction répondant à des règles qui préconisent une
logique communicationnelle diamétralement opposée à celle instaurée en Coulisse :
relations de type complémentaire haute et basse, dont le tiers sont en relation
métacomplémentaire (maintenue par la force), ponctuation concordante sous la contrainte,
rétroaction négative sous la contrainte, et absence de métacommunication, dont 42 % sont
des tentatives échouées. Ce que nous devons retirer de cette analyse et de cette mise en
rapport des mécanismes récurrents tirés de la communication en Scène, c'est que les règles
qui président aux relations/interactions entre personnages se regroupent autour d'un
dénominateur commun instauré par les puissants de façon à orchestrer l'ensemble du
système en leur faveur: les microsystèmes doivent se soumettre uniquement et entièrement
aux décisions et aux commandements du système dominant, et ce, sans jamais s' y
interposer, peu importe la logique et les conséquences que cela peut entraîner sur leur vie.
Par conséquent, les détenteurs du pouvoir [CH] ' doivent en tout temps mener et
dicter la conversation selon leur entendement, et les subalternes ne doivent jamais s'élever
contre ce pouvoir qui leur est réservé. Au besoin, les dirigeants doivent user de la menace .
et de la force afin de maintenir les faibles [CB] en position d'infériorité
(métacomplémentarité). Empêcher toute métacommunication, rester fermé ,à la discussion,
à l'argumentation et aux idées nouvelles afin de bloquer tout changement. Pour ceux qui
sont dominés, ne jamais révéler leurs véritables pensées, ne jamais exposer leurs opinions,
ne jamais divulguer ce qu'ils ressentent, car cette ouverture pourrait passer aux yeux des
dirigeants comme une manifestation de mécontentement directe à l'égard du pouvoir en
place. Ne jamais contester l'autorité, ne jamais critiquer ses ordonnances, ne jamais
112
remettre en question les ordres reçus et les exécuter sans poser de question. Vivre dans un
silence absolu !
Cette liste de contraintes, qui dictent les échanges entre « oppresseurs-opprimés »,
pourrait s'étendre à l ' infini, mais le principe important à retenir, c'est qu'elles s'organisent
dans le seul but de favoriser «les détenteurs de position haute» afin d ' assurer la
permanence de ce mode de fonctionnement totalitaire qui maintient des conditions de
domination constante sur le peuple. Comme le souligne Alain-Michel Rocheleau, en
contraignant les acteurs à se soumettre à ces procédés communicationnels, et «en
éliminant, par ailleurs, tout ce qui pourrait compromettre leurs visées économiques,
expansionnistes ou hégémoniques - les mouvements de contestation, les grèves ou les
manifestations publiques, perçus comme autant de "rétroactions positives" [ ... ] dirigées
contre eux -, les puissants peuvent alors contrôler leurs systèmes en toute impunité. l92 »
À présent, tel que démontré via les concepts de Goffman et de la pragmatique de la
communication présentés au troisième chapitre, la prise en compte et la juxtaposition de ces
deux situations de communication, dans leur confrontation. et dans toutes leurs oppositions,
nous révèlent l'amplitude de la réalité conflictuelle à laquelle se percutent les personnages
brechtiens: soit l'acceptation en Scène des contraintes, d'une mentalité et d'un mode de vie
contre lesquels ils se révoltent une fois en Coulisse. Car au-delà des règles autocr~tiques
observées lors de la prise en compte des redondances pragmatiques, et que le gouvernement
nazi impose à l'ensemble de la nation, il y a cette soumission de la part des citoyens
allemands face à ces règles oppressives qui leur enlèvent toute liberté et tout pouvoir
décisionnel. C'est par la mise en parallèle de ces deux procédés de communication et par
l'illustration du rapport conflictuel qu'ils entretiennent que Brecht a su brillamment
exposer, mais aussi dénoncer par l'entremise de sa pièce Grand-peur et misère du Ille
192 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.220.
113
Reich, cette résignation, cette « capitulation face à la terreur d'une trop grande parti 93 ,» du
peuple allemand. Les contradictions, qui surgissent de l'observation des récurrences
présentes dans l'aspect interactionnel des personnages, nous démontrent également que si
les citoyens allemands se déclarent victimes d'un gouvernement hitlérien qui les tyrannise
et leur inflige un mode de fonctionnement duquel ils ne retirent absolument rien de positif,
ils doivent aussi reconnaître en eux-mêmes leur propre bourreau pour avoir accepté de s'y
soumettre, acceptation qui contribue au roulement du système et qui, de ce fait, lui permet
de perdurer et de continuer à exercer sa force destructrice.
Ces deux côtés d'une même médaille reflètent le conflit intérieur qui habite bon
nombre de personnages de Brecht, ces deux côtés qui à la fois doivent coexister dans une
même réalité, mais qui ont pour conséquence de briser l'équilibre de vie des personnages,
les re.ndant incapables d'agir de manière cohérente et rationnelle : réalité extérieure
imposée qui commande leurs actions en opposition à une réalité intérieure, dictée par leurs
valeurs, qui domine leurs pensées. Malheureusement, malgré la volonté parfois avouée de
certains de faire changer les choses (tentative de métacommunication en Scène: ex. la
femme de chambre qui tente de faire entendre raison au S.A. ; le juge Goll qui souhaite
échanger avec le conseiller Fey sur les illogismes dont il est témoin) afin de stabiliser' leur
existence, le système allemand des années 1930 que Brecht se fait un devoir
« d'examiner194 » par le biais de son œuvre Grand-peur et misère du Ille Reich est ponctué
de caractéristiques qui dressent un contexte relationnel empêchant la résolution de cette
césure dans la communication et qui, au contraire, encourage un jeu interactionnel qui
brouille les repères des personnages tout en bloquant toutes possibilités de changement de
leurs conditions de vie.
193 Maurice Regnaut, André Steiger, Grand-peur et misère du IIr Reich. Cette citation se trouve dans les «Remarques sur la pièce» émises par les deux traducteurs, p.96. 194 Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.7.
114
Un fonctionnement basé sur le dysfonctionnement
Aux termes de ces analyses , d'après les gestus sociaux à la fois « dominant
autoritaire195 » parallèlement à «soumis-obéissant196 » , adoptés et exposés par une part
importante des personnages au sein de la pièce de Brecht, et dont la microanalyse nous a
permis de dégager les phénomènes pragmatiques les plus redondants , nous pouvons
désormais affirmer, en observant les règles décelées grâce à l'observation des récurrences
qui instaurent la communication, que le cadre contextuel, tel que démontré dans la pièce,
tend à maintenir et à favoriser le déploiement d'un mode de fonctionnement paradoxal qui,
tel que présenté par l'auteur, fonde son organisatîon sur la désorganisation du peuple qu ' il
contrôle. «La discorde du peuple a fait notre force 197.» Les contraintes, imposées par les
membres du gouvernement national-socialiste [CH] et éprouvées par le reste de la
population [CB], obligent les citoyens à « se conformer à l'ordre établi 198 », les forçant à
évoluer dans ·un contexte à l'intérieur duquel leurs libertés d'opinion et d ' action sont
complètement inhibées. La soumission totale au système qui les commande devient la
seule et unique condition de survie, au dépend de leurs propres équilibres mental et
émotionnel.
Il est évident q~'un régim~ politique tel que celui de « l'Allemagne d'Hitler199 », en
soutenant une logique aussi contradictoire que de concevoir son équilibre, son homéostasie,
sur le déséquilibre et sur l'éclatement des microsystèmes qui le constituent (ex. M. et Mme
Furcke qui, soupçonnant leur fils d'être un « mouchard », voient leur homéostasie familiale
se détruire ; la femme juive qui, pour se conformer aux nouvelles lois instaurées par le
gouvernement hitlérien, doit quitter son mari qu'elle aime, etc.), en entretenant en Scène
des rapports communicationnels déshumanisants et dysfonctionnels (métac omplémentarité ,
ponctuation concordante sous la contrainte, rétroaction négative sous la contrainte, absence
195 Alex Mucchielli, Les situations de communication: approche formelle , p.48. 196 Ibid. , p.48. 197 Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.99. 198 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.274. 199 Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIr Reich, p.61.
- -- - - -
115
de métacommunication, paradoxes) afin de conserver ses avantages et son pouvoir, en
détruisant ainsi toutes possibilités et toutes visions de changement, ne peut qu 'influencer et'
qu 'induire de manière tout aussi contradictoire les «choix comportementaux200 » des
personnages qui s'y trouvent, à travers une structure interactionnelle oppressante qui ne les
autorise en aucun cas à être eux-mêmes.
À l'image de La femme juive de la pièce de Brecht, le peuple se voit enfermé, isolé,
coupé du reste du monde, sans pouvoir partager librement ses impressions, demeurant seul
dans l'incompréhension la plus totale, submergé par les problèmes et les questionnements.
Dans ce contexte d'emprisonnement, et ne pouvant dès lors entrevoir d'autre option que
celle que le système lui propose et à laquelle il lui ordonne de participer, il se soumet, sans
que les actes posés soient pourtant en accord avec ses idées.
« Grand-peur et misère du Ille Reich » : mise en représentation de l'échec
communicationnel d'une nation
Un texte qui souhaite avant tout, en exposant de manière claire, et récurrente « les
paradoxes qui s'y des sineneo 1 », présenter aux lecteurs/spectateurs une «illustration
démonstrative du fonctionnement déshumanisant de systèmes puissants202 », telle que fut
l'Allemagne des années 1930 sous le régime totalitaire nazi, voilà ce que Bertolt Brecht
réalise par l'entremise de ses pièces et, en ce qui nous concerne, de Grand-peur et misère
du Ille Reich. Les personnages mis en scène nous dévoilent tableau après tableau, par .
l'adoption de comportements contradi~toires, le conflit intérieur qui divise leur être pensant
de leur être agissant. En effet, tel que démontré au deuxième chapitre, c'est en s'intéressant
tout d'abord aux «comportements humains dans leur aspect interactionne[203 », à
« "comment ils agissent les uns envers les autres, comment ils deviennent ennemis ou amis,
200 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.224. 201 Ibid. , p.60. 202 Ibid. , p.90. 203 Ibid. , p.88.
...-------------:--- - ---- -- -------- ---
116
[ ... ] comment ils se mentent, se préfèrent, s'instruisent les uns les autres,,204 », que Brecht a
su projeter au premier plan de son ouvrage le double niveau comportemental - ou
communicationnel - (un employé en Coulisse , l'autre appliqué en Scène) qui rivalise au
sein des personnages et qui, dans leur adoption mutuelle et par leur entrechoquement au
quotidien, entretient un rapport conflictuel qui déstabilise et désoriente ceux -ci dans la
globalité de leurs décisions et de leurs actions.
Grâce aux outils empruntés à la pragmatique de la communication, nous sommes
maintenant en mesure de discerner les origines -de cette rivalité, la provenance de ce conflit
intérieur qui affecte constamment le discours intrapersonnel des personnages et, par
rétroaction, contamine leurs relations interpersonnelles, et de comprendre comment ce
« pattern» a pu s'établir de façon si homogène sur l'ensemble des microsystèmes en
interaction. Ainsi, c'est en analysant en détails les dynamiques communicationnelles de
chacun des tableaux organisés par Brecht que nous avons pu dresser au terme de la
microanalyse, .grâce au prélèvement de plusieurs séries de redondances pragmatiques, deux
schémas interactionnels majeurs qui, une fois mis en parallèle, s'avèrent être le foyer de
multiples situations de communication paradoxale.
En somme, Brecht, «en faisant évoluer ses personnages dans un contexte à
l'intérieur duquel205 » aucune logique constitutionnelle n'est établie, parvient à décrire une
nation qui, elle aussi, à l'image de la société allemande qu'il désire mettre en représentation
et du gouvernement qu'il souhaite dénoncer, n'est qu'en perpétuelle réaction contradictoire
face à ce même contexte. Ces modes d'interaction, « tout en se déployant dans les rapports
entre oppresseurs et opprimés, amènent [les interlocuteurs de la pièce] à participer,
volontairement ou non, à l'élaboration de stratégies communicationnelles [ ... ] qui font en
sorte qu'exploiteurs et exploités contribuent "ensemble" à maintenir en état d'équilibre
204 Ibid. , p.275. 205 Ibid. , p.27!.
117
plusieurs structures que06 » ruinent leur existence, leur enlèvent toute liberté et toute force
décisionnelle. Obligés de collaborer à un système de communication construit sur des
bases paradoxales, il est tout à fait «conséquent», qu'à l'image des contradictions qui
guident leur existence, les personnages, conscients des incohérences auxquelles ils
contribuent, n'arrivent plus ni à trouver ni à faire sens via leurs propres discours, leurs
agissements ainsi que les relations qu'ils instaurent, ne faisant que nourrir sans cesse leur
conflit intérieur.
En conclusion, les personnages, conformément au système porteur de règles et de
messages paradoxaux qui organise leur environnement social et à travers lequel le
dramaturge les fait .. évoluer, n'avaient d'autre choix que de réagir de manière tout aussi
désordonnée et contradictoire à ces mêmes messages. Par conséquent, ils se voient forcer
d'adopter, tout au long du récit épique, le double rôle 'de bourreau et de victime par leur
contribution à la fois obligatoire et incohérente à ce contexte relationnel déviant qui dévaste
leur existence, les poussant dès lors à agir à l'inverse de leur propre volonté et provoquant
de ce fait leur conflit intérieur.
206 Ibid. , p.272.
CONCLUSION
À ceux qui viendront après nous
Vous qui émergerez du flot Où nous avons sombré Pensez Quand vous parlez de nos faiblesses Au sombre temps dont vous êtes saufs. [ . .. ] Mais vous, quand le temps sera venu Où l',homme aide l 'homme Pensez à nous A vec indulgence.
Bernard Dort, Lecture de Brecht: augmentée de Pédagogie et forme épique, p.31.
Tel que démontré au chapitre 1, ,le peuple allemand du début des années 1930, brisé,
humilié et incapable de se relever suite à la défaite de la Première Guerre mo~dia1e, est
animé par un profond désir d'unification, en quête d'un chef qui saurait rallier la population
vers une organisation nouvelle de l'ensemble de la société, basée sur des valeurs égalitaires
et fraternelles, un «leader» qui saurait rétablir l'équilibre social pour une Allemagne
solidaire, prospère et engagée dans un véritable projet de communauté nationale.
Paradoxalement, l'auteur de Grand-peur et misère du Ille Reich, soucieux de créer des
œuvres théâtrales telles des « "reproductions vivantes d'événements,,207 » qui caractérisent
la réalité de ses contemporains, nous présente un peuple dissocié et affaibli, une société
confuse où les membres sont isolés les uns des autres, brouillés dans leur compréhension du
monde qui les entoure et sur lequel ils n'ont aucun pouvoir décisionnel, prisonniers et
207 Alain-Michel Rocheleau, Bertolt Brecht et la nouvelle communication, p.276.
119
soumis à la gouverne d'un système qui les maintient volontairement dans l'ignorance et
l'instabilité afin de préserver son pouvoir absolu.
Ce récit épique, par l'entremise de 24 tableaux visant à créer une mise en « image[s]
instructive de la réalité» afin de «mettre en lumière le fonctionnement des relations
humaines et des structures dominantes208>> qui les commandent, propose au
lecteur/spectateur de poser un regard critique sur les conditions et les règles de VIe
contradictoires qui induisent les comportements communicationnels des citoyens allemands
sous le Troisième Reich. Ces individus, influencés par leur environnement et à l'image de
l'organisation gouvernementale qui les dirige, déterminent aussi leurs discours et leurs actes
de manière tout aussi contradictoire. En effet, les gestus sociaux, mis en relief par Brecht et
développés chez ses personnages, permettent d'exposer au premier plan les multiples
situations de communication et comportements paradoxaux qui, grâce à l'effet de
distanciation qu'ils provoquent auprès du lecteur/spectateur, amène celui-ci non pas à
s'identifier, mais bien à s'interroger sur les causes, sur «comment» une structure
interactionnelle aussi déficiente a pu s'établir, persister et surtout être entretenue, aussi
illogiquement soit-il, par ses principales victimes.
C'est dans cet ordre d'idée que nous avons élaboré notre cadre de recherche, ayant
pour objectif de définir les origines du rapport conflictuel (ou conflit intérieur) entretenu
chez les personnages de Grand-peur et misère du Ille Reich et qui divise leur être entre ce
que leur dictent leur conscience et leur volonté propre et ce que leur impose le contexte de
vie instauré ; double comportement où les victimes deviennent également leur propre
. bourreau. C'est par l'application de concepts empruntés à la théorie de la pragmatique de la
communication que nous avons pu décortiquer, tel que vu au chapitre 4 lors de la
démonstration analytique de quatre des tableaux de la pièce, chacun des processus
interactionnels conçus par Brecht, autant sur le plan de la communication digitale et/ou
20 Ibid., p.275.
120
analogique, afin d'y déceler les contraintes relationnelles oppressantes qu'impute de
manière récurrente le régime dominant. Ces contraintes qui, lors de l'évolution en Scène
des personnages, commandent leurs comportements dysfonctionnels, et dont ils ne peuvent
que trop rarement se soustraire lors de leurs échanges en Coulis.se, exutoire permettant
l'affichage de leurs réels besoins en opposition aux illogismes qu~ leur impose leur code de
VIe.
Un tel plan sociétaire, qui exige de ses acteurs une participation ac"tive et cohérente
tout en bafouant leur droit d'obtenir les outils relationnels nécessaires pour y parvenir
(ponctuation concordante, rétroaction négative et/ou positive, métacommunication, etc.), ne
peut qu'engendrer une évolution inconstante et contradictoire de ses mêmes acteurs qui
doivent finalement, jour après jour, soutenir et contribuer à un système qui paradoxalement
ne leur apporte absolum~nt rien, hormis la désinté~ration du contexte communicationnel à
travers lequel ils tentent tant bien que mal de survivre, de se forger une identité désormais à
jamais divisée entre victime et collaborateur.
Finalement, comme le souhaitait Brecht, que les récepteurs du théâtre pédagogique
prennent conscience à leur tour que, tels les personnages de Grand-peur et misère du Ille
Reich, ils sont le produit, le résultat d'un environnement social dont ils ont également les
commandes, qu'ils sont à la fois sous la responsabilité d'une organisation mais aussi
responsables du déroulement de cette organisation. Prendre conscience de cette réalité, de
ce double statut que nous portons, c'est prendre conscience que le monde dans lequel nous
vivons nous façonne en tant qu'individu, mais qu'il est également de notre devoir, de notre
responsabilité de forger ce monde par l'entremise de nos apprentissages, de nos découvertes
et de nos valeurs.
Nous sommes « spectateurs» du monde, des êtres à l'affût des enjeux majeurs dans
nos communautés tout c,omme à l'échelle planétaire. Nous sommes « acteurs» du monde
121
et loin de s'en laver les mains, nous devons prendre part à son évolution. Nous sommes
« spectacteurs » de ce monde qui constamment se construit et se reconstruit par et pour
nous. Nous sommes aussi victimes et responsables de ces changements, et c'est en
conservant un équilibre dans ce double rôle, par la prise en charge de nos responsabilités,
de notre pouvoir d'action et de notre devoir. de conscience sociale, qu'enfin «le temps
[ ... ] où l'homme aide l'homme209 » sera notre nouvelle réalité, celle dont l'homme de théâtre
Bertolt Brecht a toujours rêvé et à laquelle son théâtre participe encore aujourd'hui.
209 Bernard Dort, Lecture de Brecht: augmentée de Pédagogie et forme épique, p.31.
ANNEXE
Tableau synthèse de la microanalyse de '« Grand-peur et misère du Ille Reich»
~ DYNAMIQUE DES ÉCHANGES tu
r-m » PAGES PERSONNAGES CONTEXTE TYPES DE PONCTUATION RÉTROACTION MÉTA- SITUATIONS DE COMMUNICATION c:: >< SITUATIONNEL RELATION COMMUNICATION PARADOXALE
...... 8 1 er officier S.S. Coulisse Symétrique Concordante Négative M étacommunique Situation paradoxale n et 1 er officier S.S. [S] H -digitalement Les soldats affirment qu'il faut, pour 0
2e officier S.S. 2e officier S.S. [S] réaliser la communauté nationale d'Hitler, § t: « éveiller l 'homme allemand» et « le :::s sortir du bourbier de la sous-humanité. » p:l
S Or, c'est le gouvernement hitlérien qui (1),
:::s maintient l'homme allemand dans cette ~ o' condition de sous-humanité. (p.8) :::s ~ (1) 8-9 1 er officier S.S. Coulisse Symétrique Concordante Positive Nulle ,.-,. ...... et 1 er officier S.S. [S] H -erronée \0 W
2e officier S.S. 2e officier S.S. [S] ~
N 9-10 L'Homme Coulisse Complémentaire Discordante Négative Nulle Paradoxe t'""'I bourgeois et L' Homme bourgeois -sous la -tentative de la part L'homme bourgeois a jeté des soupçons p:l
0- La Femme [CH] H La Femme contrainte de la femme sur son voisin, et maintenant que les S.A. (1),
bourgeoise bourgeoise [CB] bourgeoise l'ont arrêté, celui-ci tente de retrouver a o' bonne conscience en déplorant l'extrême :::s
violence employée lors de son arrestation. ,.-,.
~ w ~ Situation paradoxale
Malgré le fait que l'homme bourgeois pourrait témoigner en faveur de son voisin, , celui-ci aime mieux garder silence, par peur de subir les mêmes traitements.
w 10-11-12 ILe S.A., La Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle ~ ~emme de ILe S.A. [CH] H La tentati ve de la part ~
~hambre, La ~emme de chambre, La ~e la femme de (") ""1
~uisinière et Le ~uisinière et Le chauffeur ~hambre et de la 0 :;<. cr" ~hauffeur [CB] ~uisinière ~ ::s g. 12 rLe S.A., La Scène Complémentaire Concordante Négative M étacommunique Paradoxe (tl
.--. ~uisinière, Le tLe S.A. [CH] H La sous la sous la analogiquement tL' ouvrier exécute son salut, mais en ~
\0 ~hauffeur et ~uisinière, Le chauffeur et ~ontrainte ~ontrainte < murmur[ ant] quelque chose qui, à la w w
l'ouvrier tL'ouvrier [CB] '!rigueur, peut vouloir dire: Heil Hitler », ce ""'-"
~ui laisse transparaître son désintéressement e plus total. (p.12)
12-13 Le S.A. et Le Coulisse Complémentaire Concordante Négative Métacommunique chauffeur tLe S.A. [CH] H Le erronée digitalement
~hauffeur [CB]
13-14-15 ~eS.A., Scène Symétrique Discordante Positive M étacommuniq ue IL' ouvrier, La ILe S.A. [S] H L'ouvrier analogiquement ~emme de [S] ~hambre, La ~uisinière et Le Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle ~hauffeur ~e S.A. [CH] H La sous la sous la
~emme de chambre, La ~ontrainte ~ontrainte
~uisinière et Le chauffeur [CB]
15-16-17 Scène Complémentaire Concordante Négative Métacommunique Paradoxe LJe S.A. [CH] H L'ouvrier sous la sous la digitalement fLe S.A. dit à l'ouvrier, pour le rassurer: [CB] contrainte ~ontrainte analogiquement ~< Nous ne dévorons personne. Vivre et
~aisser vivre. [ ... ] Nous ne sommes stricts ~u'en matière d'opinion. » (p.15)
Paradoxe .. tLe S.A. affirme que « l'opinion est bonne »,
~e que l'ouvrier explique facilement par le ~ait « que personne ne raconte ce qu'il ~ense. » (p.15)
Situation paradoxale Le S.A., après avoir spécifié que le ~ouvernement n'est « strict qu'en matière ~'opinion », demande à l'ouvrier de parler < à cœur ouvert» et de dire ce qu'il pense éellement de la situation en Allemagne. p.16)
Paradoxe Le S.A., pour provoquer l'ouvrier, lui déclare: « Vous n'allez pas prétendre que out est déjà parfait », alors qu'un des
mandats premiers des S.A. est justement d'arrêter les gens qui protestent contre le système. (p.16)
Scène Complémentaire Concordante Négative Métacommunique ~e S.A. [CH] H La digitalemen t emme de chambre, La ~uisinière et Le chauffeur [CB]
17-18- Scène Symétrique Concordante Négative M étacommunique Situation paradoxale 19-20 Le S.A. [S] H L'ouvrier sous la sous la digitalement, par L'ouvrier, afin de démontrer ce qu'il pense
[S] contrainte ~ontrainte 'entremise du jeu éellement du Reich, doit exposer ses opinions comme si elles n'étaient pas vraiment les siennes, afin de ne pas en subir es conséquences.
Paradoxe ILe S.A. explique que tout le monde se < retrouve au service volontaire du travail »,
Aue tu sois volontaire ou pas. (p.l8)
Scène Complémentaire Concordante Négative le S.A. [CH] H La ~emme de chambre, La ~uisinière et Le chauffeur [CB]
~O-21-22 Scène Complémentaire Concordante Négative M étacommunique Le S.A. [CH] H L'ouvrier sous la sous la digitalement [CB] ~ontrainte ~ontrainte analogiquement
Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle ~e S.A. [CH] H La sous la sous la ~emme de chambre, La ~ontrainte ~ontrainte
~uisinière et Le chauffeur [CB]
22-23 ~e S.A. et La Scène Complémentaire Disco rdante Positive Nulle ~emme de métacomplémentarité tentative de la part de ~hambre ~e S.A. [CH] H La a femme de chambre
~emme de chambre [CB]
124-25 Scène Symétrique Discordante Positive Nulle Situation paradoxale ILe S.A. [S] H La femme
~
ILe S.A. accuse maintenant l'ouvrier d'avoir kle chambre ES] enu des propos contre le Reich, alors que
~'est lui qu'il l'a poussé à le faire, sous tprétexte de devoir jouer le jeu.
Paradoxe ~e S.A. accuse la femme de chambre de ~ouloir dilapider leur argent, alors que c'est ~ui qui dépense sans compter, sans respecter ~eur budget.
125 Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle Paradoxe . métacomplémentarité sous la sous la ILe S.A. tente de rassurer la femme de ~e S.A. [CH] H La ~ontrainte ~ontrainte ~hambre en lui affirmant que leur argent est lcemme de chambre [CB] ~n sécurité, alors que celui-ci n'arrive même
!pas à tenir un livre de comptes et à faire le elevé de ses propres dépenses.
26 La femme de Coulisse Symétrique Concordante Négative M étacommunique chambre et La ~a femme de chambre digitalement ~uisinière ES] H La cuisinière ES] analogiquement
~ ~6-27 tBrühl, Lohmann Coulisse Symétriques Discordantes Positive Métacommunique VJ ~t Dievenbach tBrühl [S] H digitalement 0 0:: lohmann [S] ; ~ tBrühl [S] H Dievenbach r.n Q..
[S] c: 3 ~ ~7 !Le S.S., Brühl, Scène Complémentaire Concordante Négative Situation paradoxale e:.
r.n !Lohmann, métacomplémentarité sous la sous la ILes détenus du camp de concentration ",-...,
~ lDievenbach et Le !Le S.S. [CH] H Brühl, ~ontrainte ~ontrainte d'Esterwegen doivent, tout en exécutant w ~ ~ectateur lLohmann, Dievenbach et ~eurs travaux forcés, chanter une chanson
tLe sectateur [CB] ~ui parle d'espoir et de la venue de jours ..
meilleurs.
[27-28 Brühl, Lohmann, Coulisse Symétrique Discordante Positive M étacommunique Dievenbach et Le Brühl [S] H Lohmann [S] digitalement ~ectateur
Coulisse . Symétriques Concordantes Négatives M étacommunique Dievenbach [S] H digitalement tLe sectateur [S] ; tLohmann [S] H
Dievenbach [S]
28 tLe S.S., Brühl, Scène Complémentaire Concordante Négative tLohmann, métacomplémentarité sous la sous la Dievenbach et Le tLe S.S. [CH] H Brühl, contrainte contrainte ~ectateur tLohmann, Dievenbach et
tLe sectateur [CB]
[28 tBrühl et Coulisse Symétrique Discordante Positive Métacommunique !Lohmann IBrühl [S] H Lohmann [S] digitalement
~9 ILe S.S., Brühl, Scène Symétrique Discordante Positive tL~hmann, ILe S.S. [S] H Brühl, Pievenbach et Le tLohmann, Dievenbach et ~ectateur tLe sectateur [S]
Vl ~9-30 K=hef du groupe Scène Complémentaires Concordantes Négatives Nulle Paradoxe > ~.S., Le S.S. et le métacomplémentarité sous la sous la [Le S.S. accuse le détenu de lui gâcher sa c:
~étenu Çhef du groupe S.S. ~ontrainte ~ontrainte ~ortie en ville parce qu'il est mort de fatigue Ç/) (tl "'1 [CH] H Le S.S. [CB] ; là force de rester là à le fouetter et à lui taper <: (:;'
~e S.S. [CH] H Le détenu pessus. Il dit que c'est lui le véritable (tl
0.. [CB] ~alaud. c: "'0 (tl c:
Situation paradoxale "'0 (D
Lorsque le chef du groupe S.S. quitte la ,.-..., - pièce un instant, le S.S. demande au détenu \0 w ~ de continuer à fouetter sur·le sol tout en
poursuivant son travail, afin que celui-ci puisse se reposer un peu.
0\ ~O-31- Le juge et Coulisse Complémentaire Discordante Positive Nulle Paradoxe > ~2-33 L'inspecteur Le juge [CH] H tentati ve de la part L'inspecteur affirme « qu'à proprement ;- [L'inspecteur [CB] ~ujuge parler, l'affaire n'a aucun arrière-plan », et "'1 (tl
~u'i~ n'y a rien à ajouter, mais ()
:r paradoxalement, il ne peut « prétendre que (tl
"'1 ()
'histoire est claire. » (p.3I) :r (tl
0.. c: ~3-34 0.. Coulisse Complémentaire Concordante Négative M étacommunique Situation paradoxale "'1 g. ~e juge [CH] H digitalement . L'inspecteur refuse de divulguer trop de
,.-..., [L'inspecteur [CB] détails sur l'enquête, mais une fois que le -\0 juge penche en faveur des S.A., l'inspecteur w
~ "-" ui fournit des détails supplémentaires qui
aideront à acquitter les S.A ..
~4-35-36 Le juge et Le Coulisse Symétrique Discordante Positive Métacommunique Paradoxe procureur
. ILe juge [S] H Le digitalement [Le procureur déclare que malgré le fait que IProcureur [S] es actes d'accusation qu'il rédige « ont
maintenant l'air un peu laconique », ils méritent cependant la plus grande attention ~e la part des juges. (p.35)
~6-37 Coulisse Complémen taire Concordante Négative Métacommunique Situation paradoxale Le juge [CH] H Le digitalement Le tribunal tient à ce que l'on acquitte les procureur [CB] analogiquement S.A. , peu importe la vérité, peu importe la
ustice: « Le tribunal confirme que 'les S.A. ont été provoqués. Que ce soit par le juif ou par le marxiste, cela leur est égal! » (p.37)
Paradoxe te procureur affirme que la justice n'est pas ~à pour servir le droit des individus, mais Ibien pour défendre le « sentiment lI1ational » : « Est juste ce qui est utile au lPeuple allemand. » (p.37)
~7 te juge et Le Coulisse Complémentaire Concordante Négative ~uissier te juge [CH] H Le
huissier [CB]
68-39 Le juge et Coulisse Complémentaire Discordante Négative Métacommunique Situation paradoxale t'inspecteur te juge [CH] H digitalement tL' inspecteur et le procureur présentent tous
t'inspecteur [CB] analogiquement kleux des versions tout à fait différentes au ~uge ; non dans le but d'établir la vérité et la D ustice, comme ils en auraient le devoir, mais bien dans le but de protéger chacun ~eur parti.
~9-40 Coulisse Complémentaire Concordante Positive Métacommunique lL'inspecteur [CH] H Le digitalement ~uge [CB] analogiquement
~O-41 Le juge, Le Coulisse Complémentaires Concordantes Négatives Métacommunique Situation paradoxale huissier et La Le juge [CH] H Le , digitalement ~< Dans la section [section d'assaut - S.A.], il Ibonne huissier [CB] ; analogiquement IY a la ~oitié d'anciens criminels », alors que
Le juge [CH] H La bonne ~a section devrait en principe incarner la loi [CB] ~t l'ordre aux yeux de la population. (p.40)
Dilemme paradoxal - lRespecter le droit et faire justice au joaillier
'uif et au chômeur Wagner, que les S.A. ont tvandalisés et tabassés, et en payer les ourdes conséquences, ou bien accuser ~aussement le juif et le chômeur d'avoir IProvoqué les S.A., acquittant de ce fait les ~éritables criminels, mais aya'nt ainsi la vie ~auf.
41 -42 te juge et Le Coulisse Symétrique Concordante Négative Métacommunique ~onseiller ILe juge [S] H Le digitalement
~onseiller [S] analogiquement
~2 Le juge, Le Coulisse Complémentaire Concordante Négative ~onseiller et Le le conseiller [CH] H Le ~uissier ~uge et Le huissier [CB]
~2-43-44 Le juge et Le Coulisse Complémentaire Discordante Positive Nulle Situation paradoxale conseiller lLe conseiller [CH] H Le tentative de la part ILe juge sait qu'il doit prendre une décision
'uge [CB] du juge Rui sera conforme, en premier lieu, non au ~roit et à la justice, mais bien « conforme aux intérêts supérieurs.» Cependant, le 'uge n'a aucune idée de ce que les «intérêts ~upérieurs », en l'occurrence les hauts ~irigeants du Parti nazi, souhaitent qu'il prenne comme décision. (p.43)
~4 Le juge et Le Coulisse Complémentaire Concordante Positive Double contrainte Ihuissier lLe juge [CH] H Le ~i le juge accuse le chômeur Wagner d'avoir
Ihuissier [CB] IProvoq ué les S.A., il aura l' associé aryen du üuif et, par conséquent, la section d'assaut, ~ur le dos. Si le juge condamne le juif IArndt, c'est le propriétaire Von Miehl qui i
eviendra contre lui. Finalement, si le juge !
ient les S.A. responsables de l'incident, ~'est toute la section d'assaut qui s'en
~------- _ ._--- -------- - te..rendra à 1 ui et à sa famille.
-.l ~5 1 er malade et 2e Coulisse Symétrique Concordante Négative M étacommnunique
~ Illlaiade 1 er malade [S] H 2e digitalement ~
malade [S] ;--0.. ;. ~ ~5 lUne sœur, 1er Scène Complémentaire Concordante Négative '"1 0
malade et 2e tune sœur [CH] H 1er sous la sous la ~ rFJ
malade Illlaiade et 2e malade [CB] ~ontrainte ~ontrainte rFJ
o' :::3 :::3
~ ~5-46 ILe chirurgien, 1 e,r Scène Complémentaire Concordante Négative (D
assistant, 2e ILe chirurgien [CH] H 1er ,.--. - assistant et 3e
~ssistant, 2e assistant et 3e \0 W .:; assistant ~ssistant [CB]
~6 ILe chirurgien, La Scène Complémentaire Concordante Négative Métacommunique Situation paradoxale ~upérieure et 3e ILe chirurgien [CH] H La analogiquement pans son enseignement, le chirurgien met ~ssistant ~upérieure et 3e assistant ~'emphase sur le «questionnement », l'outil
[CB] !numéro un d'un bon médecin. Mais quand !Vient le temps de questionner les « origines kies maladies» de certains de ses patients, il /préfère ne pas trop s'attarder, élabore un kiiagnostique à la hâte et passe rapidement à ~n autre patient. (p.46)
~6-47 Le chirurgien, 1 er Scène Symétrique Discordante Positive Nulle malade, La t-e chirurgien [S] H 1er tentative de la part ~upérieure et 3e malade [S] du 1er malade ~ssistant
Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle ILe chirurgien [CH] H La sQusla sous la ~upérieure et 3e assistant ~ontrainte ~ontrainte
[CB]
~7 1 er assistant et 2e Coulisse Symétrique Concordante Négative Métacommunique assistant 1 er assistant [S] H 2e sous la digitalement
assistant [S] contrainte
00 47 IPhysicien X et Coulisse Symétrique Concordante Négative Métacommunique Situation paradoxale ~ IPhysicien y IPhysicien y [S] H sous la digitalement !Les physiciens détiennent de nouvelles ::r
'-< IPhysicien X [S] ~ontrainte découvertes scientifiques d'une grande \/)
n' o mportance, mais ils ne peuvent les (D'
::s ~i vulguer puisqu'elles proviennent d'une \/)
~
~cience et d'une pensée juives (Albert te; w ~instein). Ul "-'
Situation paradoxale Les physiciens sont donc à la recherche d'une science. Une science qui soit < authentiquement germanique aryenne, oui, [qui soit] exacte, non. » (p.47)
\0 ~9-50 ~a femme juive e Scène Symétrique Concordante Négative Nulle ~ !Le docteur !La femme juive [S] H Le p:l
sous la sous la tentative de la part ~ ~octeur [S] a
~ontrainte ~ontrainte ~u docteur
a ~O !La femme juive e Scène Symétrique Concordante Négative Nulle (Il
t...... C \M:me Schoek ILe femme juive [S] H sous la sous la <' (Il
~
Mme Schoek [S] ~ontrainte ~ontrainte -\0 w ~O-51 La femme juive e Scène Symétrique Concordante Négative Nulle Ul "-'
Gertrude La femme juive [S] H sous la sous la tentati ve de la part Gertrude [S] contrainte ~ontrainte de Gertrude
51 La femme juive Coulisse Symétrique Concordante Négative Métacommunique et Anna Le femme juive [S] H · -sous la -digi talement
Anna [S] contrainte
51-52- La femme juive Coulisse Symétrique Discordante Positive Métacommunique 53 et Le mari La femme juive [S] H -digitalement Situation paradoxale
« virtuel» Le mari « virtuel» [S] « Vous inventez la théorie des quanta et vous vous laissez commander par des brutes qui vous donnent le monde à conquérir, mais qui vous retirent le droit de choisir votre femme. » (p.53)
53-54- Le mari et La Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle Situation paradoxale 55 femme juive Le mari [CH] HLa -sous la -sous la La femme juive vient tout juste de se
femme juive [CB] contrainte contrainte préparer un beau discours, afin d'expliquer à son mari les vraies raisons de son départ, mais une fois celui-ci rentré à la maison, elle se rétracte et n'avoue rien.
Paradoxe -Le mari: « Tu sais que je n'ai pas changé, tu le sais, Judith ? » -La femme juive: « Oui. » (p.54)
-Paradoxe
lLa femme juive tenait à ce qu'on qualifie de tvéritable honte ce qui se passe, et non de ~imple malheur. Maintenant, elle dit ~omme son mari, que ce n'est qu'un k< malheur. » (p.54)
Paradoxe La femme juive désire que les gens cessent de s'imaginer que « les choses» ne dureront plus que quelques semaines; pourtant, orsque son mari déclare: « Ça ne durera
plus longtemps ici », elle acquiesce à ses propos. (p.53-54)
Situation paradoxale Le mari garde espoir pour l'avenir en affirmant que les gens « ne s'esquiveront pas si facilement », et il est le premier à ne rien faire et à laisser sa femme partir sous la pression sociale. (p.54)
...----,
Paradoxe , La femme juive sait que son mari ne
pourra lui envoyer de l'argent, mais elle lui indique tout de m,ême où faire parvenir le tout.
~5 Métacommunique Paradoxe analogiquement «En somme, c'est l'affaire de quelques
~emaines » dit le mari à la femme juive, en ~ui donnant le manteau d'hiver dont elle ln' aura besoin que dans plusieurs mois. Kp·55)
~ 55-56- Le père, La Coulisse Complémentaire Discordante Négative M étacommunique Paradoxe 0 57-58 mère, Le fils et Le père [CH] H La -sous la -digi talement Le père affirme « qu'il y a une foule ~
~ La bonne mère, Le fils et La contrainte d 'endroits» où ils pourraient sortir, pour 3 bonne [CB] ensuite dire le contraire. (p.56) 0 c (")
::r' ~ Paradoxe 0.. ,-., Le père nie avoir rompu avec ses amis. ~
\0 Cependant, il ne veut plus les recevoir chez VJ
~ lui.
Paradoxe Le père clame haut et fort: « Entre mes quatre mûrs, je fais les réflexions qui me plaisent. Dans ma propre maison, je ne me laisserai par imposer silence.» Et pourtant, il se tait immédiatement en présence de la « bonne dont le père est gardien d'immeuble. » (p.56-57)
58-59- Le père et La Coulisse Symétrique Discordante Positive Nulle Paradoxe 60-61- mère Le père [S] H La mère Malgré le fait « qu'il pleut à torrents », la 62- [S] mère donne de l'argent à son fils pour aller 63-64 s'acheter quelque chose, mais une fois qu'il
est parti , elle ne comprend pas qu 'il soit sorti par un temps pareil. (p.58)
Paradoxe Le père affirme que « c'est parfaitement absurde» de penser que leur fils pourrait les « moucharder », pour ensuite se mettre à le chercher activement dans toutes les pièces de la maison. (p.59)
Paradoxe La mère accuse le père d'avoir émis de mauvais commentaires sur la « Maison Brune », et quand celui-ci se justifie et lui explique ce qu'il a voulu dire, elle lui répond: « Tu n'as pas besoin de parler comme ça avec moi. » (p.60)
Paradoxe Le père refusait de croire que leur fils les ait dénoncés à la police, et maintena'nt, il le traite de « Judas ». (p.63)
Paradoxe La mère, qui fut la première à soupçonner son fils, refuse maintenant que le père l'accuse. Cependant, elle souhaite tout de même prendre des « dispositions », au cas pù ... (p.64)
kJ4 Coulisse Complémentaire Concordante Positive Nulle Situation paradoxale se préparent à ~e père [CH] H La mère ~e père dit : « Je suis prêt à enseigner tout ~ntrer en scène [CB] ~e qu'ils veulent, mais qu'est-ce qu'ils
lVeulent ? Si seulement je le savais ! » (p.64)
Situation paradoxale Irlus tôt, le père ne faisait que critiquer le ~ystème que le gouvernement hitlérien a ~nstauré, et maintenant, il est prêt à faire tout ~e qu'ils exigeront de lui.
64-65 Le père, La Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle mère et Le fils Le père et La mère -sous la -sous la
[CH] H Le fils [CB] contrainte contrainte
~5 Le père et La Coulisse Complémentaire Concordante Négative Nulle mère (.e père [CH] H La mère sous la
[CB] ~ontrainte
-~5-66 (.a mère et La Coulisse Complémentaire Concordante Négative Nulle Situation paradoxale - ~ille lLa mère [CH] H La fille lLa mère, qui n'a déjà pas assez d'argent ~ ~ [CB] lPour faire manger sa fille convenablement, en en
~oit malgré tout verser à « ia Jeunesse 0 E.
Ihitlérienne » deux pfennigs pour un voyage (S. ""i
~ la campagne durant l'été; voyage rn ::s
~ortement recommandé par le Führer lui-8. ""i
même. (p.65) rn ,,-.. -\D w
Double contrainte ~ ~i la mère donne à sa fille les deux pfennigs Inécessaires pour le voyage à la campagne, ~lle n'en aura plus suffisamment pour jacheter « un peu d'abats» afin que sa fille Ill'ait plus le « ventre ballonné par les tpommes de terre» (comme la maîtresse la lcait remarquer). Par contre, si la mère ne ~onne pas les deux pfennigs exigés par la maîtresse pour le voyage (voyage ecommandé par Hitler), sa fille ne pourra y
aller comme tous les autres. (p.65-66)
Paradoxe Les souliers de la fille sont troués, il faudrait es faire ressemeler, mais la fille ne veut pas
tparce qu'elle sait que sinon, sa mère ne lui ~onnera pas l'argent pour le voyage à la ~ampagne. Par contre, elle ne veut pas non !plus porter les « souliers de la Ibienfaisance» parce qu'ils sont trop vieux et qu'elle ne se trouve pas coquette dedans. p.66)
N 67 Le jeune ouvrier Coulisse Symétrique Concordante Négative M étacommunique
en ~t L'étudiant Le jeune ouvrier [S] H digitalement ~ L'étudiant [S] ~ <:: (S. ~
(J7 0.. Coulisse Symétrique Discordante Positive c:
Le jeune ouvrier [S] H q ~
IL' étudiant [S] ~ ,-,.
'67-68 Le chef de Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle Paradoxe ...... \0 UJ groupe, Le jeune métacomplémen tarité sous la sous la k< épaule contre épaule et pas de vanité Ul "-"
puvrier et ILe chef de groupe ~ontrainte contrainte ~ociale. Dans ses camps de travail, le Führer IL' étudiant [CH] H Le jeune ouvrier ~e veut aucune discrimination. » (p.68)
et L'étudiant [CB]
~8 ILe jeune ouvrier Coulisse Symétrique Discordante Négative ~t L'étudiant Le jeune ouvrier [S] H sous la
L'étudiant [S] contrainte
...... 68-69 Le speaker, Le Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle Situation paradoxale UJ ~ieil ouvrier, Le métacomplémentarité sous la sous la Goebbels , « homme du peuple », qui envoie L: Iffionsieur de la ILe speaker, Le monsieur ~ontrainte ~ontrainte ses « agents» contrôler et censurer ce que le ::r-(1)
~irection et Le ~e la direction et Le S.A. peuple a à dire. (p.68) c: ~ (t)
~.A. [CH] H Le vieil ouvrier 0.. (t) [CB] Situation paradoxale -o~
ILe speaker dit être là pour laisser « parler c: <:
Inos camarades eux-mêmes », mais il leur ~
(D' ~ Imet littéralement les mots dans la bouche: ,-,.
k< C'est ce que vous pensez. », « C'est aussi ...... \0 UJ
~e que vous voulez dire ». (p.69) ~ "-"
69-70 Le speaker, Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle Situation paradoxale 1
1
L'ouvrière, Le métacomplémentarité sous la sous la tentative de la part L'ouvrière doit supposément livrer son monsieur de la Le speaker, Le monsieur ~ontrainte ~ontrainte ~e l'ouvrière opinion, mais en vérité, elle doit réciter 'un 1
~irection et Le de la direction, Le S.A. exte appris par cœur, ou bien dire ce que le ~.A. -[CH] H L'ouvrière [CB] monsieur de la direction lui dit de dire.
L- . 1
rO ILe speaker, Scène Complémentaire Discordante Positive Nulle ~'ouvrier, Le lL'ouvrier [CH] H tentative de la part de tmonsieur de la ILe speaker, Le monsieur 'ouvrier ~irection et Le ~e la direction et Le S.A. ~.A. [CB]
rO-7I Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle métacomplémentarité sous la sous la ~e speaker, Le monsieur ~ontrainte ~ontrainte
de la direction et Le S.A. [CH] H L'ouvrier [CB]
....... ~I La femme, Coulisse Symétrique Concordante Négative Métacommunique ~
L'enfant, lLa femme [S] H L'enfant, sous la digitalement ~ ~ ~ouvrier et La !L'ouvrier et La jeune ~ontrainte (")
~. ~eune femme remme [S] 00 00 (D
,-..., rI ILes S.A., La Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle \0
w ~emme, L'enfant, métacomplémentari té sous la sous la ~ '-"
!L'ouvrier et La ILes S.A. [CH] H La ~ontrainte ~ontrainte
oeune femme ~emme, L'enfant, L ouvrier et La jeune femme [CB]
rl-72 L'ouvrier, Coulisse Complémentaire Concordante Positive M étacommunique L'enfant et La rL'ouvrier [CH] H digitalement ~eune femme ~'enfant [CB]
Coulisse Symétrique Discordante Positive M étacommunique !L'ouvrier [S] H La jeune digi tal emen t ~emme [S]
r2 lLa femme, Coulisse Complémentaire Concordante Négative Métacommunique Situation paradoxale lL'enfant, ~a femme [CH] H sous la digitalement Malgré le fait qu'elle souhaiterait connaître L ouvrier et La L'ouvrier, L'enfant et La contrainte la vérité, savoir ce qui est arrivé à son mari 'eune femme 'eune femme [CB] et comprendre les circonstances de son
~écès, la femme refuse d'ouvrir la caisse de rzinc dans laquelle les S.A. ont enfermé le ~orps de son défunt époux, par crainte des eprésailles.
........ 72-73 L' homme et La Coulisse Complémentaire Concordante Négative Métacommunique Ul
femme L'homme [CH] H La digitalement ~ (1) femme [CB] cr: (1), '""t
73-74-75 L'homme, La Scène Symétrique Concordante Négative Nulle Situation paradoxale (1), ,.-.... ........ ~emme et Le ~'homme [S] H Le libéré sous la sous la tentative de la part L'homme tente d'agir et de converser avec \0 w
~ibéré [S] contrainte ~ontrainte ~u libéré ~on vieil ami comme si les choses n'avaient E)
pas changé, mais son non-verbal :(analogique), sa façon d'éviter certains ~ujets ou. d 'y répondre « superficiellement» kIémontrent le contraire. (p.75)
Scène Complémentaires C onco rdantes Négatives L'homme [CH] H La sous la sous la ~emme [CB] ; contrainte çontrainte ~e libéré [CH] H La ~emme [CB]
........ 75-76 La vieille, Erna, Scène Complémentaire Concordante Négative M étacommunique Situation paradoxale 0\
1er S.A. et 2e S.A 1 er S.A. et 2e S.A. [CH] H digitalement Le Führer achète le silence de son peuple. C/:J (1)
La vieill~ et Erna [CB] analogiquement Un jour, il leur donne d'une main pour ("') 0 c :mieux leur enlever de l'autre, plus tard. '""t r:n 0- 1cr S.A. : « Oui, la maman, c'est le Führer g ~ui vous l ' envole. » <:: (1)
~c S.A. : «Pour qùe vous ne puissiez pas A tO kIire qu'il ne s'occupe pas de vous. » (p.75-
1
w ........) 176) '--"
76-77 Scène Complémentaire Discordante Négative Nulle Situation paradoxale métacomplémentarité sous la tentatÏ ve de la vieille Ce sont les mêmes personnages (les S.A.)
1er S.A. et 2e S.A. [CH] H contrainte !cemme qui, d'un côté, volent soi-disant au secours ~a vieille et Erna [CB] du peuple, et qui, de l'autre, les surveillent,
es accusent et les terrorisent tout à la fois. Ils entrent pour offrir de la nourriture et un peu de réconfQrt à une fàmille, et puis ~inalement, ils repartent en embarquant de ~orce leurs enfants avec eux.
,.... ;;7-78 1 er boulanger Coulisse Symétrique Concordante Négative Métacommunique Injonction paradoxale -:J Kl'un) et 2e 1 er boulanger (l'un) [S] H sous la digitalement ILe système exige que les boulangers U
("D boulanger ~e boulanger (l'autre) [S] ~ontrainte ~ontinuent de faire du pain, mais on ne leur c: ~ l'autre) ~ournit pas, et même on leur interdit les cr" 0
~ngrédients nécessaires pour le faire. c: ;--:::s
ao Situation paradoxale ("D
'"1 r/J
ILe 1er boulanger (l'un) fut emprisonné parce ,-..,
~ ~u' il ne mettait « pas de son et pas de w 0\ !pomme de terre» dans son pain, alors que le '-"
l2e boulanger (l ' autre) fut lui aussi ~mprisonné, mais pour avoir mis du son ~ans son pain à une époque où cet acte était ~ncore qualifié de « falsification de ~enrées. » (p.77-78)
Dilemme paradoxal faire du vrai pain, et se retrouver en prison,
!Ou falsifier la denrée, et avoir la liberté.
00 ~8-79 ILe paysan, La Coulisse Complémentaire Concordante Positive M étacommunique Double contrainte ~ paysanne, 1 er Le paysan [CH] H La digi talemen t ~i le paysan ne nourrit pas son cochon, il rD
~nfant et 2e enfant paysanne, 1 er enfant et 2e subira des pertes, mais s'il le nourrit, il "'0
~ enfant [CB] isque la prison. r/J P' :::s :::s
Situation paradoxale 0 c:
Le paysan: « Mon grain, je dois le livrer '"1 g. \Zl pour rien, et la nourriture du bétail, je dois 0
'acheter au prix fort. » (p. 78-79) :::s (')
0 (") ::r 0 :::s
,-.., ,.... \0 W -:J '-"
..... ~9-80 ~n petit Coulisse Symétrique Concordante Négative M étacommunique \0
~ne femme [S] H Un digitalement ~ Ibourgeois, Une
(tl ~emme; Un jeune lPetit bourgeois [S] <: -~. ~arçon et Une c >< ~econde femme Coulisse Complémentaires Discordante Négative -M étacommunique Paradoxe S ~e jeune garçon [CH] H digitalement ILe jeune garçon affirme que « le Führer a ~ fJ lUne femme et Un petit Ibesoin d'un soutien, si l'on peut dire, pour g
Ibourgeois [CB]; jaccomplir ses grandes choses », mais il ne ...-..... ~ait même pas de quelles « grandes choses» \0
l;..) .......,J
~l s'agit. (p.80) "-"
Coulisse Une seconde femme Concordante Négattve M étacommunique Situation paradoxale [CH] H Une femme [CB] digitalement ILes gens n'ont même pas de quoi s'acheter à
!manger, et malgré tout, ils doivent donner ~< volontairement» à la collecte et au ~ecours d'hiver afin de supporter le ~ystème. (p.80)
1 Coulisse Symétrique Discordante Négative M étacommunique ILe jeune garçon [S] H digitalement lUne seconde femme [S]
80-81 La crémière, Un Coulisse Complémentaire Concordante Négative Métacommunique Injonction paradoxale petit bourgeois, La crémière [CH] H -digitalement L'état ne-peut plus fournir de denrées aux Une femme, Un Un petit bourgeois, Une commerçants, mais continue de leur jeune garçon et femme, Un jeune garçon interdire « d'acheter au marché noir, c' est-Une seconde et Une seconde femme à-dire chez les juifs. » (p.80) femme [CB]
81 La bouchère, La Scène Symétrique Concordante Négative Métacommunique crémière, Un La bouchère [S] H La -sous la -sous la -analogiquement petit bourgeois, crémière, Un petit contrainte contrainte Une femme, Un bourgeois, Une femme, jeune garçon et Un jeune garçon et Une Une seconde seconde femme [S] femme
81-82 lLa crémière, Un Coulisse Complémentaire Concordante Négative Métacommunique Injonction paradoxale petit bourgeois, La crémière [CH] H digitalement ILe boucher doit continuer à mettre de la Une femme, Un pn petit bourgeois, Une ~iande dans sa vitrine, mais n'ayant déjà eune garçon et {emme, Un jeune garçon presque plus rien à vendre sur ses étalages,
Une seconde ~t Une seconde femme on lui ordonne de mettre de la viande femme [CB] < factice » , de la viande en carton, dans sa
vitrine. (p.82)
82 ILe boucher, La Scène Complémentaire Discordante Positive M étacommunique Double contrainte Ibouchère, La Le boucher [CH] H La digitalement Le boucher a le choix de continuer à ouvrir ~rémière, Un petit bouchère, La crémière, analogiquement boutique en affichant de la viande factice ~ourgeois, Une Un petit bourgeois, Une dans sa vitrine, mais en n' ayant rien à offrir L'emme, Un jeune femme, Un jeune garçon à ses clients sur ses étalages, ou bien acheter: garçon et Une ~t Une seconde femme au marché noir (chez les juifs) et avoir seconde femme [CB] ~uelque chose à offrir à sa clientèle, mais
out cela au risque de faire de la prison ou ~'être condamné à mort.
N 83-84 Le mourant, Le Scène Complémentaires Discordante Négative Nulle 0
prêtre, La Le prêtre [CH] H Le -sous la -tentative de la part ~ ('t)
femme, Le fils mourant [CB] ; contrainte du mourant r:n ('t)
S.A. "'"t
3 0 Scène
Nulle ::: La femme [CH] H Le Concordante Négative \/)
= mourant [CB] ; -sous la -sous la "'"t
;- contrainte contrainte 3 0 Scène ::: S" Le prêtre [CH] H La Concordante Négative OCI :::
femme [CB] ('t)
,-..., -\0 w
84-85 Scène Complémentaires Discordante Négative Nulle Situation paradoxale -.l '-"
ILe prêtre [CH] H Le sous la tentative de la part ILe prêtre a pour devoir de soulager la mourant [CB] ; ~ontrainte ~u mourant ~onscience du mourant, mais la présence du
~.A. le contrarie et l'intimide, si bien qu'il Ille peut librement accomplir sa tâche.
Scène ILe mourant [CH] H La Discordante Négative Nulle ~emme [CB] ; sous la
~ontrainte
Scène ILe prêtre [CH] H La Concordante Négative ~emme [CB] ;
Scène ILe fils S.A. [CH] H La Concordante Négative Nulle ~emme [CB] sous la sous la
~ontrainte ~ontrainte
Scène Symétrique Discordante Négative Nulle ILe mourant [S] H Le fils sous la ~.A. [S] ~ontrainte
N 86 1 er garçon, 2e Coulisse Complémentaire Concordante Négative Nulle ...... garçon, 3 e garçon, 1 cr garçon, 2c garçon, 3c sous la sous la
~ CD 4 e garçon et Sc ~arçon et 4 e garçon ~ontrainte contrainte 8 ~ garçon [CH] H Sc garçon [CB] 0. o~
87 Le chef de Scène Complémentaire Concordante Négative Nulle a.. ""1
Woupe, 1er métacomplémentarité sous la sous la CD
~
~arçon, 2e garçon, Le chef de groupe contrainte ~ontrainte ...... \0 W ~e garçon, 4c [CH] H 1 cr garçon, 2c -.) "-"
~arçon et Sc garçon, 3c garçon, 4e
garçon garçon et Se garçon [CB]
Scène Complémentarité Concordante Négative Nulle 1 er garçon, 2c garçon, 3e sous la sous la ~arçon et 4 e garçon ~ontrainte ~ontrainte
[CH] H Se garçon [CB]
0. N 8'8-89 1 er prolétaire et 2e Coulisse Symétrique Concordante Négative M étacommunique Situation paradoxale ~N prolétaire 1 er prolétaire [S] H 2e sous la digitalement Le 1er prolétaire ne comprend par pourquoi SO CD, = prolétaire [S] contrainte es soldats « sont dans tous leurs états », ont ~.~ < des mines de fromage blanc» et « braillen
'"0 ~""1 comme à la fête» maintenant qu'Hitler a
1
...... CD \0= wo. finalement déclaré la guerre à l'Espagne. ~ ~,
;- Pourtant, ce sont des soldats, « ce qu'Hitler (") veut, ils le veulent aussi. » (p.88) ~ r:/)
CD ""1 ::s
Paradoxe CD
CD ~e 1er prolétaire ne connaît et ne comprend cr 0 ~bsolument rien au contexte politique actuel, 8 cr ~ux projets d'Hitler en ce qui a trait au futur ~ 0. ~es Allemands et se fait tout expliquer par le CD 8 Ile prolétaire. Pourtant, il dit « Heil Hitler» CD a ~n saluant. (p.89)
N 89-90 la voisine et Coulisse Symétriques Concordante Négative w tL'homme l'homme [S] H La
~ ~ [emme [S] ; (j ('l)
a 90 ('l) Coulisse L'homme [S] H La Discordante Négative Nulle g
0.. voisine [S] tentative de la part ('l)
a de la voisine ~
5' 0: ~0-91 la voisine, Coulisse Complémentaire Concordante Négative @ IL' homme et La l'homme [CH] H La c: <: ~emme [emme [CB] '"1 ('l)
.---tO Coulisse Symétriques Discordante Négative Nulle w ~ L'homme [S] H La tentative de la part
voisine [S] ; ~e la voisine
Coulisse la femme [S] H La Concordante Négative ~oisine [S]
&1-92 Coulisse Complémentaires Discordante Positive Nulle La voisine [CH] H tentati ve de la part de ~'homme [CB] ; a voisine
l'homme [CH] H La Concordante Négative [emme [CB]
&2 Coulisse Complémentaire Concordante Négative M étacommunique Situation paradoxale L'homme [CH] H La digitalemen t l'homme n'est pas pour la guerre, mais la Ivoi sine [CB] ~eule façon d'avoir du travail et de ne pas
mourir de faim, c'est de travailler pour elle.
Coulisse Symétrique Discordante Positive Nulle l'homme [S] H La tentative de la part Ifemme [S] ~e la femme
&2-93 Scène Complémentaire Discordante Positive Nulle Double contrainte la femme [CH] H tentative de la part k< Sous prétexte que nous crèverons si nous ' l' homme et La voisine ~e la femme Ine fabriquons pas leurs bombardiers ? Mais [CB] kle toute façon, est-ce' que nous ne crèverons
!pas quand même? » ... si la guerre éclate ... Kp·93)
93 Scène Complémentaire Discordante Positive Nulle métacomplémentarité tentative de la part de
L'homme [CH] H La a femme femme [CB] ,
1
N 93-94 La femme, Le Coulisse Symétrique Concordantes Négatives M étacommunique +:>.
vieil ouvrier et Le [La femme [S] H Le vieil digitalemen t ~ (1), jeune ouvrier puvrier [S] H Le jeune ~ '"i puvrier [S] (1) ::s 0-c::
~4 3 Coulisse Symétriques Concordante Négative M étacommunique ,-..
Le jeune ouvrier [S] H Le digitalement -\0 UJ vieil ouvrier [S] ; 00 '-"
Coulisse La femme [S] H Le jeune Discordante Positive M étacommunique ouvrier [S] digi talemen t
Coulisse Complémentaire Concordante Négative M étacommunique [Le vieil ouvrier [CH] H digitalement [La femme et Le jeune ouvrier [CB]
1
95 Coulisse Complémentaire Concordante Positive M étacommunique - [La femme [CH] H Le digitalement
~ieil ouvrier et Le jeune puvrier [CB]
BIBLIOGRAPHIE
(les livres et sites Internet précédés d'un astérisque sont ceux cités dans cet ouvrage)
Oeuvre à l'étude :
*BRECHT, Bertolt, Grand-peur et misère du Ille Reich, Paris, Éditions de L'Arche, 1984, 101 p.
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Éditions de Minuit, collection «Sens commun », 1973, volume 1,251 p. GOFFMAN, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne: les relations en public, Paris, Éditions de Minuit, collection «Sens commun », 1973, volume 2, 376 p. *MUCCHIELLI, Alex, Les situations de communication: approche formelle , Paris, Eyrolles, collection « Méthodes en sciences humaines», 1991, 131 p. *MUCCHIELLI, Alex, Théorie systémique des communications: principes et applications, Paris, A. Colin, collection «U. Communication », 1999, 160 p. *W ATZLAWICK, Paul, Janet HELMICK BEAVIN et Don D. JACKSON, Une logique de la communication, Paris, Éditions du Seuil, collection« Points », no. 102, 1979, 280 p.