Bat'Carré N°10

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CARRÉ numéro 10 // septemBre- déCemBre 2013 cuLturE MANGA RENCONTRE nIcoLas GIvran

description

En un clic, Bat’carré vous plonge dans l’océan Indien, carrefour d’influences à découvrir, à savourer, à partager… Bat’carré : "Allons faire un tour" avec un beau magazine qui met en relief romans, paysages, cultures et personnages de La Réunion et du monde entier !

Transcript of Bat'Carré N°10

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numéro 10 //septembre-décembre 2013

cultureMANGA

RENCONTREnicolas givran

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ÉVASION CULTURELLEÉVASION BEAUX LIVRES & ÉVASION JEUNESSEAU CŒUR DE L’ÎLE PHILO À MAFATE, LES PÉPITES DE LA PENSÉEESCAPADECOL OU SOMMET, QUELLE EST VOTRE PRÉFÉRENCE ?RENDEZ-VOUS AVEC RENÉ ROBERTLA BIOMASSE ET SON UTILISATION À LA RÉUNIONSAVOIR-FAIRELA RESTAURATION DE TABLEAUX, UNE QUÊTE DE SENSOCÉAN INDIENLA COMMISSION DE L’OCÉAN INDIEN, UN NOUVEAU MONDE EN MARCHERENCONTREQU’EST-CE QUI FAIT RÊVER NICOLAS GIVRAN ?BATAYE KOKPATRICK, PATATE À DURANDVOYAGE-VOYAGEMONTRÉAL, PLEINS FEUX SUR LA CITÉ FRANCOPHONE ET COSMOPOLITECULTURE ET MODEMANGA, UN ART DE VIVRE PLUTÔT QU’UNE MODE ÉPHÉMÈREPAPILLES EN FÊTETAPAS DE MAGRET DE CANARD ET SON TARTARE D’AVOCATTERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES ESCALES AU BOUT DU MONDERENDEZ-VOUS BDDES BULLES AU CHOIX

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Couverture Photographie de Éric LafargueÉditeur BAT’CARRÉ SARLtrimestriel gratuit

Adresse 16, rue de Paris97 400 Saint-DenisTel 0262 28 01 86www.batcarre.comISSN 2119-5463

Directeur de publication Anli [email protected] 24 98 76

Directrice de la rédactionFrancine [email protected] 28 01 86

RédacteursJean-Paul Tapie, Pierre-Henri Aho, Hippolyte, Patrice, Stéphanie Légeron, René Robert,Francine George.

Secrétaire de rédactionAline Barre

Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon [email protected]

Photographes Arnaud Späni,Sébastien Marchal,Hervé Douris,Serge Marizy,Christian Vaisse,Jean-Noël Enilorac,Éric Lafargue,Nicolas Anglade,Bruno Marie,Thierry Hoarau.

Illustrateur Hippolyte

Création & exécution graphique Crayon noir

Vifs remerciements à Benoît Vantaux, Freddy Lafable,Jean-Claude de l’Estrac,Pierre-Aho, l’office de tourisme de Montréal, Patricia Vergez, Olivier Barbaroux, Cécile Oliviéro,Didier Guidarelli, Nicolas Givran, Myriam Barcaville et Sophie Bèguepour leur précieuse collaboration à ce numéro.

Développement web Anli Daroueche et New Lions Sarl

PublicitéFrancine George : 0262 28 01 86

DistributionTDL

Impression Graphica 305, rue de la communauté97440 Saint-AndréDL No. 5565 - Novembre 2013

Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.

ErratumDans le précédent numéro, la photographie de Bataye Kok a été injustement attribuée à Hippolyte, or elle était de Nicolas Anglade. Toutes nos excuses à l’auteur.

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Écouter les frémissements « du monde qui vient », c’est aussi prendre

conscience que le temps ne fait que passer. Alors, vite, regardons les

merveilles qui nous entourent avant qu’elles ne nous échappent.

Allons Bat’carré !

Le monde est à Mafate pour parler philo aux tout-petits, dans l’Indianocéa-

nité qui s’active à fédérer les atouts de nos cinq îles. Le monde est japonais

pour la jeunesse éprise de mangas, il prend les airs de Cité Lumière dans

les rues de Montréal ou il souffle l’appel du large dans les TAAF…

Hissez la voile, le temps est au voyage !

Nous vous offrons un complément web du magazine, et désormais, vous

pouvez sur notre site responsive naviguer à loisir dans l’univers de Bat’carré

avec plein de nouveautés, de photos et de vidéos pour faire vivre l’esprit de

la balade à tout point de vue.

Sur la page d’accueil, vous cliquez sur l’image et l’article s’affiche, les

rubriques vous permettent de vous repérer et de vous distraire avec la

découverte d’un roman, d’une rencontre, d’une musique, d’un paysage

réunionnais ou d’un voyage à l’autre bout du monde.

Dans l’univers de Bat’carré, vous retrouverez les magazines à feuilleter ou à

télécharger, quelques images à regarder, des play-lists à écouter ou des

vidéos à visionner, le temps d’une pause.

Joyeuses fêtes de fin d’année et à l’année prochaine !

Francine George

Bonne balade sur www.batcarre.com

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LA RÉUNION DES POÉSIES

Les photos de Luc Perrot parlent d’un monde enchanté. De page en page,La Réunion est mise en lumière par le prisme de l’astro-photographe, un filéd’étoiles sur la route du Maïdo, les flamboyants tels une estampe japonaise,les forêts perlées d’ombre et de lumière… L’art s’empare de la techniquepour refléter des instants de pure poésie soulignés par les haïkus de Marie-Josée Barre. Un beau livre en cadeau.

TITRE Réunion ÉternelleAUTEURS Photographies de Luc Perrot et haïkus de Marie-Josée BarreÉDITEUR Surya Éditions

LE TEMPS DES ÎLES

Ce beau livre de l’océanographe Philippe Vallette, introduit par Isabelle Autissier, illustré par les photographies d’Alexis Rosenfeld et par les cartes de Jean-Pierre Magnier, est une véritable célébration des îles du monde entier. Laboratoires d’expériences à taille humaine, les îles, par leur espace limité, recèlent des trésors d’expérience en termes de développement, de biodiversité, de reconstruction, qui devraient apporter aux grands territoires matière à réflexion. Îles phares, îles sentinelles, îles dans la tourmente, îles dans le monde qui se réchauffe… tout est dit et expliqué en termes limpides par Christine Causse et par Philippe Vallette, directeur du Nausicaá. L’histoire, la géologie, l’océanographie, la sociologie, l’économie… se conjuguent pour témoigner du destin commun que nousavons à partager. La terre n’est-elle pas une île au milieu de l’espace ?

TITRE Îles pionnièresAUTEURS Philippe Vallette & Christine CausseÉDITEUR Actes Sud - Nausicaa - Mare Nostrum

LE JOLI CLAPOTIS DES SOUVENIRS

Dans ce superbe ouvrage documenté de plus de 200 images dont certainesinédites, Bernard Leveneur fait magistralement revivre Saint-Gilles-les-Bainsde 1668 à 1976, date de la mise en quatre-voies de la route du littoral. Un beau voyage dans le temps qui emporte le lecteur dans la vie quotidienne de la station balnéaire et fait éclore les émotions cachées autour d’une case, d’une plage, des filaos, du murmure des vagues. Un livre de la transmission à offrir et à s’offrir pour garder intacte la mémoire des lieux.

TITRE Les jours d’Avant – Saint-Gilles-les-BainsAUTEUR Bernard LeveneurÉDITEUR Epsilon Éditions

ÉVASION BEAUX LIVRES · 4 SÉLECTION FRANCINE GEORGE

EN COLLABORATION AVEC LA LIBRAIRIE GÉRARD

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DE LA POÉSIE EN GÉOGRAPHIE

Rien de tel pour découvrir le monde et ses mille curiosités ! L’album du jeune couple polonais auteur-illustrateur est une pure merveille.Cartes du monde, cartes des continents et cartes d’une quarantaine de paysoù l’essentiel est dessiné avec fantaisie et humour, faune, flore, monuments,costumes, traditions, spécialités culinaires, populations, personnages marquants, artistes célèbres… La France a droit à une frise de petits cœurs,l’Autriche un patient sur le divan de Sigmund Freud, le Mexique les peintures murales de Diego Rivera, le Brésil un tatou roulé en boule, le Japon son karaoké, la Mongolie ses touristes au pied de la statue de Gengis Khan…Chaque pays, en double page, est introduit classiquement par ses caractéristiques, capitale, langue, nombre d’habitants, superficie et, de manière originale, par un couple au prénom usuel…Benjamin et Lili en Nouvelle-Zélande, Abasi et Neema en Tanzanie, Li et Wei en Chine, Elena et Vladimir en Russie…Un très bel atlas à garder pour la vie et à feuilleter souvent en famille.

TITRE Cartes AUTEURS - ILLUSTRATEURS Aleksandra Mizielinska et Daniel MizielinskiÉDITEUR Rue du Monde

L’AVENTURE EN FILIGRANE D’ORChaque page de ce bel album est magnifiquement illustrée de peintures à l’encre sur soie, aux encadrements dorés, et aux motifs perses, indiens ou chinois. Il met en scène le voyage mythique du grand explorateur, Marco Polo. Pour retracer son extraordinaire aventure, parcourant 50 000 km de Venise à Pékin, sur terre et en mer, l’auteur s’est inspiré de nombreuses versions et traductions du Livre des merveilles. Pour appuyer le récit, une splendide carte retrace son itinéraire aller et retour sur la route de la Soie et en Chine. Un livre à raconter inlassablement comme un conte des mille et une nuits.

TITRE Les fabuleux voyages de Marco PoloAUTEUR - ILLUSTRATEUR DemiÉDITEUR Circonflexe

LE PASSAGER DU RÊVE

Joëlle Écormier, avec son dernier roman, entraîne les jeunes dans un voyage imaginaire au Pays des Rêves. Théodore, le héros, embarque dans la locomotive d’Aristophane, une vieille chouette protectrice, attendrie parson obstination et charmée par sa voix. Seul être Éveillé du conte, il part à la rencontre de l’inconnu où fourmillent des personnages, tous plus loufoques les uns que les autres. Chacun lui apporte un indice pour qu’ilpuisse retrouver l’image troublante de Celui qu’il a croisé fugitivement dansson unique rêve, une quête du Graal en somme, qui porte le nom d’Amour.Une histoire pleine de facéties, de tendresse, et un regard sur la vie qui n’est pas dénué de pertinence.Théodore, le passager du rêve, est aussi mis en scène par le théâtre des Alberts dans une création originale de marionnettes où le décor évoluetout au long du spectacle sous le pinceau de l’illustratrice Aurélia Moynot.

TITRE Théodore, le passager du rêveAUTEUR Joëlle ÉcormierILLUSTRATION Aurélia MoynotÉDITEUR Océan Fiction Ados

Joëlle ÉcormierIllustrations d’Aurélia Moynot

Roman

L e Pa s s a g e r d u rê v e

5 · ÉVASION JEUNESSE SÉLECTION FRANCINE GEORGE

EN COLLABORATION AVEC LA LIBRAIRIE L’ÉCHAPÉE BELLE

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Freddy Lafable, quel nom prédestiné !Guide des cases créoles à Hell-Bourg transmet avec passionfables et contes populaires légués oralement de génération en génération. Il s’est aussi nourri au contact de gardiens de la mémoire tels que Sully Andoche ou Daniel Honoré.

Freddy conduit son public au pays des légendes où la naturese transforme en théâtre de l’histoire. Les repères s’évanouissent et le spectateur devient acteur de ses émotions, comme s’il avait traversé le miroir magique.

Le souffle coupé, une dizaine de personnes écoute le récit queFreddy a mis en scène au coeur de la terre, en compagnie du spéléologue Julien Dezé. Crac ! Une allumette éclaire de sa lueur tremblante le sombre boyau de lave… Ranklor apparaît et l’action se déroule fébrilement par étapes, un sac tombe, le bruit résonne dans un écho étrange conviant ainsi de nouveaux personnages, la tension monte,l’aventure se corse…

Près de la sortie, le passage semble obstrué par un esprit malin,peut-être est-ce grand-mère Kalle ? La nature dresse des pièges redoutables à ceux qui ne saventpas la respecter ! Mais ici, la bonne conscience règne, alors la lumière du jour devient visible et le spectacle de la route des laves s’offre aux yeux éblouis des participants.Fin du voyage !

ÉVASION JEUNESSE · 6 TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE ARNAUD SPÄNI

Les contes de l’île

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PHOTOGRAPHIEARNAUDSPÄNI

AU CŒUR DE L’ ÎLE · 8

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InItIer les élèves d’école prImaIre

à la phIlosophIe est une gageure,

surtout à mafate où l’accessIbIlIté

n’est pas des plus aIsées.

c’est pourtant le parI d’olIvIer barbarroux,

professeur à troIs-bassIns.

les dIrectrIces des écoles sont ravIes de

cette InItIatIve bénévole,

car dans les îlets, relIés au monde

par voIe d’hélIcoptère, les anImatIons

sont rares et les fInancements tout autant.

platon, spInoza, épIcure… et les autres,

sont donc convoqués au mIlIeu du cIrque

pour un décryptage après la projectIon

d’un fIlm, support de la séance d’InItIatIon.

maIs pourquoI faIre cette démarche ?

tout sImplement, par l’envIe de transmettre :

« se penser comme cItoyen faIsant partIe

d’une socIété où Il Importe de défendre

les valeurs de tolérance, d’ouverture

à l’autre et d’acceptatIon de soI… »

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE ARNAUD SPÄNI ET FRANCINE GEORGE

Philo à Mafateles pépites de la pensée

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SE RENDRE À LA NOUVELLE

Après avoir été chaviré par la multitude de virages,

le début de la randonnée en pente raide jusqu’à

la plateforme du Col des Bœufs ne force pas l’en-

thousiasme du marcheur épisodique. Mais, lorsque

le magnifique panorama sur Mafate s’expose dans

la lumière bleutée du jour, le poids de ses efforts

s’atténue quelque peu. L’îlet de Marla, baigné de

soleil, se distingue au loin. Rêverie solitaire avant

le démarrage des opérations. Soudain, un bruit

sourd déchire l’atmosphère, comme une attaque

d’Apocalypse Now. Vite, il faut se mettre à l’abri au

creux du sentier. L’hélicoptère effectue ses pre-

mières rotations. Un magistral coup de vent balaie

le sol en tourbillon. Puis, le calme revient. Pour se

rendre à destination, le chemin descend à flanc de

piton pendant une bonne heure avant d’atteindre

la plaine. Belle récompense, l’endroit est féérique !

Les arbres aux branches déployées s’exposent comme

un théâtre d’ombres et de fantômes errants.

Savane, buissons, tamarins, la panoplie forestière

joue les nuances de vert adoucies par les rayons

de lumière. Puis, la forêt s’intensifie, les rondins

de bois ne facilitent pas la progression de ce faux

plat aménagé. Quoique, lorsqu’il faut, à nouveau,

grimper et redescendre le chemin caillouteux

encombré de racines, un mince regret surgit au

souvenir de ces quelques grandes enjambées...

Une autre heure vient de passer.

De temps à autre, le ciel se dégage sur le cirque où

pointe un ruban de nuages. Le silence est absolu

dans la quiétude du matin. Une impression de

plénitude, en dehors de l’agitation frénétique du

monde. Puis, tout près, une papangue prend son

envol et déploie ses ailes, fauves, sillonnées de

brun doré. Majestueuse ! Après cet arrêt-surprise,

il faut se remettre en marche, le sentier descend,

descend encore et toujours et les genoux com-

mencent à grincer. Et dire que demain, il faudra

remonter tout ça ! Enfin, le chant du coq, puis le

bruit d’une radio, annoncent une arrivée immi-

nente. À la montre, une troisième heure s’est

écoulée !

L’ÉCOLE DU CIRQUE

L’école de La Nouvelle est nichée au creux de l’îlet,

tout près de l’église en bardeaux. Les 150 habi-

tants sont dispersés aux alentours, où quelques

gîtes, le bâtiment de l’ONF et le hangar de l’hélico

sont les seules sources de mouvement. Cécile

Oliviéro, la directrice de l’école, est partie ce matin

inscrire deux élèves au collège Lacaussade,

accompagnée des mamans. Grand moment de

solitude pour ces jeunes enfants au visage blême

d’inquiétude. Hébergés dans des familles d’ac-

cueil, au mieux avec des cousins, ils savent que

leur vie va changer, ils ne rentreront pas souvent

à la maison. Le Collège, pour eux, c’est la première

grande coupure familiale. Les parents qui habi-

tent les îlets ont rarement une voiture, et il n’y a

quasiment pas de transport en commun pour les

emmener du collège jusqu’au Col des Bœufs, en

sachant qu’une fois là-haut, il faut encore quelques

heures de marche avant d’arriver à la maison.

Mais pour ça, ils ont l’habitude. Il en est ainsi pour

la plupart des élèves du cirque, dix classes de

cours primaire sur les huit îlets. Et de fait, très peu

d’élèves Mafatais arrivent jusqu’aux portes du

lycée.

AU CŒUR DE L’ ÎLE · 10

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PHOTOGRAPHIEARNAUDSPÄNI

Cécile monte des projets pour arrondir les angles.

Sa précédente kermesse a rapporté 700 €, de quoi

payer des livres et des effets scolaires. Pour son

denier projet, elle en a récolté le double avec des

dons en complément. Une aubaine pour acheter

les fiches pédagogiques et le matériel nécessaire

aux cours d’histoire et de géographie. Une fierté

à son actif.

Il est vrai qu’enseigner dans les îlets est un vrai

sacerdoce.

ÊTRE ÉLÈVE À LA NOUVELLE

Il n’y a pas d’eau potable à La Nouvelle, mais à la

cantine on mange très bien. Les enfants, dans

leur petit réfectoire, savourent une cuisine créole

faite pour eux, sur place. Par contre, les habitants

cultivent de moins en moins leur jardin et il y a

peu de produits locaux. Il n’y a pas si longtemps

encore, ils cultivaient à flanc de colline, des len-

tilles et du géranium. Le premier commerce était

une coopérative. Mais l’esprit communautaire a

disparu, d’autant que personne n’a pu encore

remplacer le très charismatique André Bègue,

décédé au cours d’un vol, en mai 2010. Ce jeune

Mafatais avait créé la Compagnie Mafate Hélico

qui assurait le ravitaillement du cirque ainsi que

l’évacuation des déchets. L’école de La Nouvelle

porte désormais son nom.

Deux communes sont en charge des écoles de

Mafate, tout dépend de quel côté de la rivière on

se trouve. Ainsi, la commune de La Possession

s’occupe de La Nouvelle, et Marla, l’îlet tout proche,

est rattaché à la commune de Saint-Paul.

Les priorités semblent différentes et la qualité des

équipements s’en ressent. À Aurère, par exemple,

il n’a pas été prévu de logement pour l’institutrice

– professeur des écoles – alors elle loge à la

« maison des maîtres » de l’îlet d’à côté soit une

bonne demi-heure de marche le matin, idem le

soir. Sous la pluie, le vent ou le soleil, c’est pareil.

Certes, c’est une question d’adaptation, les huit

cents Mafatais sont, eux, habitués à marcher des

heures sur les sentiers abrupts et tortueux, comme

Kalou et ses sacs de ciment sur le dos, le boulan-

ger et son plateau de pains frais sur la tête ou le

célèbre facteur de Mafate.

Une journée de sortie, dira Cécile, c’est un départ

à 7h30 le matin, un retour vers 17h, avec quelques

heures de marche à la clé. Mais il y a toujours de

belles surprises. Sur le chemin de Marla, par

exemple, il y a des framboises, « un petit plaisir »

à déguster sur place et à emporter pour faire, plus

tard, un ou deux pots de confiture.

PHOTOGRAPHIEARNAUDSPÄNI

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Les élèves, sous l’impulsion de « Maîtresse », ont

préparé pour Bat’Carré un résumé de ce qu’ils

font en dehors de l’école. Une attention particu-

lièrement touchante, qui montre combien ils

sont accueillants et heureux de vivre dans le

cirque.

après l’école, « je fais mes devoirs,

je me douche et je fais le travail de la maison » :

aider papa ou maman, s’occuper du petit

- frère, faire rentrer les animaux, les nourrir,

- préparer le café pour le gîte…

pendant les vacances, après l’indispensable

aide aux parents, c’est-à-dire travailler

aux champs, ramasser du bois, nourrir

les animaux, nettoyer la maison, ou le gîte…

la liberté est plus grande :

construire des cabanes, jouer à cache-cache,

- au ballon, aux jeux vidéos, écouter de

- la musique…fort, récupérer les charges

- sous l’hélicoptère, griller du poulet

- en cachette pour goûter avec les copains…

Très peu ont pour l’instant quitté le cirque,

la majorité est allée dans « les bas » visiter

la famille. Deux élèves, seulement,

sont sortis de l’île.

en ville, ce qu’ils imaginent y faire :

on peut aller à la piscine ou à la plage,

- on peut jouer dans un stade ou dans

- un parc, on peut aller au cinéma ou au

- restaurant, on peut faire les magasins,

- on peut faire du sport ou de l’art dans

- un club…

ce qui leur déplaît dans la ville :

il y a des voleurs, beaucoup de bruit

- de voitures, pas beaucoup de place

- pour jouer, on ne peut pas écouter

- la musique fort, on ne peut pas aller seul

- chercher ses camarades pour jouer,

- on ne peut pas faire de cabanes…

Les projets d’animations auprès des jeunes élèves

de Mafate constituent une ouverture exception-

nelle, au-delà de la qualité du spectacle et de

l’aspect festif. Les compagnies de marionnettes

invitées du festival TAM-TAM s’y rendent chaque

année et c’est devenu un rendez-vous très at-

tendu. Récemment, le Conservatoire de Région

a organisé l’expédition d’un quatuor sous l’égide

d’un de ses professeurs de violoncelle, Niels

Hoyrup.

Aujourd’hui, il s’agit d’un cours de philosophie à

l’initiative d’Olivier Barbarroux. L’air pur et le

calme du cirque se prêtent bien à cette fin

d’année scolaire. Il en profite pour sensibiliser les

jeunes enfants à l’art de philosopher. C’est aussi

une gageure, il faut pouvoir s’adapter au jeune

public, à cette génération de l’image. C’est pour-

quoi Olivier base ses séances d’initiation sur un

film, en leur demandant de prendre du recul

par rapport à l’histoire. Il a tenté une première ex-

périence à Marla, l’année dernière. Cette année,

il récidive, à La Nouvelle et à Marla. Il emporte

avec lui quelques supports, des DVD, Le livre de la

jungle 1, Le roi et l’oiseau 2, Kirikou 3. Une initiative

personnelle, hors cadre académique, en toute

simplicité, sans financement, motivée par son

approche de la philosophie : « La philo est une

force qui doit se transmettre, la philo c’est avant

tout l’amour de la sagesse… »

AU CŒUR DE L’ ÎLE · 12

1

De Walt Disney d’après le roman de Rudyard Kipling

2

Scénarisé par Jacques Prévert d’après un conte d’Andersen

3

De Michel Ocelot

Page 15: Bat'Carré N°10

LE FILM DANS LA CLASSE

Le soleil du début d’après-midi est radieux, dehors.

Dans la classe, c’est le choc thermique ! Le froid de

la nuit y est toujours installé. Pas de chauffage,

bonnets de laine et polaires sont de rigueur !

Les enfants, toujours dans les turbulences de la

récréation, s’assoient à leur pupitre. Présentation

d’Olivier et de la séance qui va suivre. Tous les

regards se fixent au tableau, un grand écran blanc

le juxtapose, il n’y a pas de leçons écrites à la craie

aujourd’hui, mais un film va y être projeté ! Bras

croisés, un petit air interrogatif en attente de ce

qui va se passer, suivi d’un regard en coin pour

voir où est assis « Maître » - Didier Guidarelli. Et

le silence s’installe tandis que les premières

images apparaissent. Une concentration absolue.

Ils sont restés 78 minutes, captivés, sans émettre

un son ; parfois quelques-uns gigotaient sur leur

chaise lorsque Baloo chantait « Il en faut peu pour

être heureux ». Juste à la fin, un rire collectif ac-

compagne Mowgli au moment où il fait grimacer

son nez en apercevant une jolie jeune fille en

train de remplir sa cruche à la rivière…

LA LEÇON DE PHILOSOPHIE

Dehors, au chaud de l’après-midi, le cours va

commencer. Olivier explique comment ça va se

passer et présente les consignes : « La philosophie

c’est fait pour discuter, pour s’écouter, alors cha-

cun parle à son tour. On ne va pas refaire le film,

mais se poser des questions. » Ils sont tous très

attentifs, lèvent le doigt pour participer. Au début,

l’effet de groupe joue, les uns et les autres répètent,

en versions différentes, ce qui vient d’être dit. Il

faut beaucoup de patience, beaucoup de temps

avant que les esprits ne se libèrent. Mais, dou-

cement, Olivier à force de « Et pourquoi ? » (de

questionner) arrive à faire naître des idées nou-

velles. Et pour une classe de si jeunes élèves, ça

tient de l’exploit.

Premier tour de table sur ce qu’ils ont particuliè-

rement aimé dans le film. Baloo décroche la palme

« quand il danse ! ». Et pour les filles, c’est « l’amou-

reuse de Mowgli », alors qu’elle n’a qu’un tout petit

rôle à la fin mais « elle chante bien, elle est jolie,

elle a de jolis rubans à ses cheveux… »

En creusant plus en avant, une voix s’élève : « Au

début, Mowgli ne veut pas aller dans le village, il

veut rester avec ses amis dans la forêt, mais à la

fin il est content d’aller dans le village, il a trouvé

une jolie fille ! » Et quelqu’un d’autre d’ajouter :

« Elle ramène Mowgli à la maison, dans le village,

pour avoir une belle famille en humain. »

Page 16: Bat'Carré N°10

AU CŒUR DE L’ ÎLE · 14

La séance est levée, elle a duré plus de deux heures,

les enfants sont tout émoustillés. La plupart ont

suivi avec une grande curiosité la panoplie des

questions. Un grand sourire d’étonnement se lit

sur leur visage. Il s’est passé quelque chose, toute

l’après-midi, ils étaient les rois de cette séance à

la recherche des pépites de la pensée. Seule in-

terruption, le passage de l’hélicoptère qui exerce

une véritable fascination sur les enfants, comme

sur les plus grands !

Contrairement aux idées reçues, les enfants,

dans leur inconscience du monde, ont des ressorts

insoupçonnés, pour peu qu’on sache les solliciter.

Et c’était un grand plaisir de les voir réagir et

percevoir l’essentiel dans toute leur candeur.

C’est ce qu’explique Olivier en faisant référence

à Spinoza et à son 3e niveau de la pensée :

« Comment un esprit plein de candeur peut per-

cevoir des choses sans avoir le bagage intellec-

tuel pour les comprendre ? C’est le niveau de la

connaissance la plus juste, celle de la vérité im-

médiate par l’intuition, seuil différent de la pensée

rationnelle ou de celui de la participation liée aux

sens. »

Un petit florilège des échanges, après moult

questionnements, laissant poindre les ressorts de

la pensée de ces enfants dans leur inconscience

du monde :

la recherche du bonheur -

ça veut dire quoi être content ?

Quand est-ce que vous êtes contents ?

Quand on a des cadeaux, quand on souffle

des bougies, quand on a des amis…

Quand on est dans la nature…

à un moment du film,

mowgli est triste, pourquoi ?

Parce qu’il n’a pas de maman, pas de papa.

Il croit qu’il n’a pas d’amis,

que personne ne le veut…

à quoi ça sert les amis ?

Les amis ça rend heureux, c’est pour s’amuser,

pour partager les secrets, pour construire

des cabanes, pour jouer… On a besoin d’amis

pour faire une soirée pyjama !

Qu’est-ce qui fait peur ?

Nous, on a peur d’aller à St-Denis ou à St-Paul

parce qu’il y a des voitures. Mais Mowgli, lui,

il a peur de rien parce qu’il est dans la nature !

mowgli n’a vraiment peur de rien ?

Si, il a eu peur du tigre !

et est-ce qu’il a surmonté sa peur ?

Oui, il a râlé la queue du tigre, il est courageux !

Quand est-ce que tu es courageux ?

Quand je vais aux toilettes tout seul.

la différence entre un homme et un animal ?

L’animal marche à quatre pattes,

l’animal ne parle pas. Il n’a pas de main.

L’animal doit chasser pour gagner à manger.

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RETOUR SUR IMAGES

Olivier exténué, mais ravi, explique que dans Le

livre de la jungle on peut aisément trouver les

questions qui ont trait à quelques fondements

philosophiques, la connaissance de soi, la com-

préhension des autres, la conscience du Bien et

du Bon, l’Amour, le Bonheur, la Peur, le Courage,

la Mort… Le personnage de Mowgli, petit homme

au pagne rouge parmi les animaux de la jungle,

en concentre la plupart ou va à la rencontre de

ces notions en s’identifiant aux animaux qu’il

croise sur son chemin. Dans l’ensemble de ses

aventures, on peut y lire des questions philoso-

phiques, comme un effet miroir. Baloo, l’ours

hédoniste, rejoint l’approche épicurienne, avec sa

recherche du bonheur, en se satisfaisant du né-

cessaire. Bagheerra, la panthère noire protectrice

de Mowgli incarne l’usage de la raison, agir selon

la connaissance du Bien. Les singes, quant à eux,

et le roi Louie en particulier, n’acceptent pas ce

qu’ils sont, envieux, ils veulent le pouvoir et cher-

chent à devenir des hommes en perçant le secret

du feu. C’est aussi une approche intéressante

pour déceler les différences entre l’homme et

l’animal, selon les grands penseurs… À la fin, la

pensée de Nietzsche « Deviens ce que tu es »

est parfaitement illustrée par l’attitude de Mowgli

qui rejoint ses semblables en éprouvant un at-

trait pour la jeune fille à la rivière. « Ce qui

marque la fin du processus de découverte de son

identité avec toute la richesse acquise au contact

des autres animaux », conclut Olivier.

LA PHILOSOPHIE, UN ART DE VIVRE

Les circonstances de la vie ont amené Olivier à

se tourner vers la philosophie. Ce n’était pas un

choix de départ, mais c’est devenu un choix de

vie. « Penser sa vie, vivre sa pensée », en référence

aux philosophes antiques tels que Sénèque ou

Épicure, l’a aidé à surmonter des épreuves parti-

culièrement difficiles. Pour lui, la philosophie est

un art de vivre. Le but ultime étant d’atteindre le

Bonheur. Disciple des épicuriens antiques, il est

aussi séduit par les contemporains tels que

Michel Onfray, Alexandre Jollien, le philosophe

de la joie ou l’humaniste athée André Comte-

Sponville. En résumé, « La philosophie est moyen

de mieux vivre avec soi et avec les autres. »

La démocratisation de la philosophie, telle que

Michel Onfray la pratique avec son Université

Populaire de Caen, lui a donné envie de poursui-

vre le chemin en s’adaptant au jeune public réu-

nionnais et à l’isolement des habitants du cirque

de Mafate. L’idée étant de sortir du dogme qui

enferme la philosophie dans un carcan élitiste.

Dans sa volonté de transmettre l’art de la sagesse,

Olivier a également mené une expérience au

collège de la Pointe des Châteaux à Saint-Leu.

Cet âge difficile qui commence à entrer en rébel-

lion avec le monde des adultes est pour lui un

territoire de choix : « Face aux violences physiques

et verbales, il faut donner une boussole et la

philosophie peut être cette boussole. »

AU CŒUR DE L’ ÎLE · 16

Page 19: Bat'Carré N°10
Page 20: Bat'Carré N°10

ce n’est pas l’enfant à peine né qui doit choisir un prénom. jean-claude ou brandon ? jessica

ou marie-cécile ? puis sein maternel ou lait maternisé ? et ça continue !

les yeux de maman ou le menton de papa ? les gâteries de tata marcelle ou le gâtisme de tonton

jules ? dolto ou montessori ? tintin ou astérix ?

echapper à la famille et à l’enfance ne suffit pas ! collège ou lycée ? grec ou latin ? lettres

anciennes ou maths modernes ? es ou s ? et à peine diplômé, c’est reparti : vanessa ou Katia ?

jason ou Kevin ? on continue, on continue ! pour la lune de miel, venise ou bruges ? et pour

le plat principal, viande ou poisson ? avec quel vin : bourgogne ou bordeaux ? et pour…

on n’en finit pas. vivre c’est choisir. jusqu’au jour où l’on se retrouve face à l’alternative

ultime : col ou sommet ? ce n’est pas une colle, vous êtes sommé de choisir !

ESCAPADE · 18 TEXTE JEAN-PAUL TAPIEPHOTOGRAPHIE DR

COL SOMMETQUELLE EST VOTRE PRÉFÉRENCE ?

OU

Page 21: Bat'Carré N°10

Moi, je vous le dis tout net, je suis col, quasiment

depuis toujours, et certainement à jamais. Bien

sûr, il m’est arrivé de me retrouver au sommet,

jamais très longtemps, et rarement en pleine

forme. Mais il m’est arrivé aussi de faire marche

arrière avant même d’y parvenir. Sans véritable

regret. Et sans le moindre remords. Jamais je

n’en ai éprouvé la joie que j’en espérais.

En clair, préférez-vous atteindre un sommet ou

franchir un col ?

La question n’est pas anodine et la réponse est

tout, sauf sans importance. Elle en révèle bien

plus sur votre personnalité et votre idéal dans

l’existence qu’une batterie de tests pour entrer

dans une multinationale ou un questionnaire

pour participer à un jeu télévisé.

Page 22: Bat'Carré N°10

Un exemple tiré d’une expérience récente : le mois

dernier, quand j’ai fait le tour des Annapurnas,

je n’ai atteint le sommet d’aucun d’entre eux,

mais j’ai franchi le Thorong La, un col à 5 416

mètres d’altitude, niché entre deux sommets,

sans lequel je n’aurais pu accomplir qu’un demi-

tour. De l’autre côté du col, le monde semblait

avoir changé. Ce n’était plus la vallée encaissée

et sombre de la rivière Marsyangdi, c’était une tout

autre vallée, celle de la Kali Gandaki, dont le vaste

lit, à peine inondé, semblait trancher la terre

brune et sèche. Plus de maigres pâturages, mais

des champs. Plus de frileux hameaux regroupés

autour d’un chorten, mais de jolies aggloméra-

tions sinuant au pied d’un gompa – monastère de

bouddhisme tibétain. C’était toujours le même

pays, mais ce n’était plus le même paysage. Le

col, tel un magicien, ou plutôt tel un enchanteur,

avait transformé tout cela.

Un col ne flatte pas notre ego, mais il enrichit

notre moi profond. Il nous permet d’aller ailleurs,

de rencontrer autrui. Vous franchissez un col, et

le monde change, vous découvrez une nouvelle

vallée, une nouvelle population, de nouvelles

mœurs, de nouvelles croyances. Parfois même,

grâce au col, vous découvrez la liberté. Un pas

avant le col, vous êtes un homme traqué ; un pas

après, vous êtes un homme libre.

Aucune raison d’en faire une photo, ni d’alerter

les médias.

Le sommet peut certes faire beaucoup pour la

découverte de soi ; le col est indispensable à la

découverte des autres.

Col ou sommet, à vous de choisir selon votre

personnalité. Mais que vous choisissiez le som-

met ne doit pas vous faire oublier que pour venir

au monde, vous êtes d’abord passé par un col.

Demandez à votre mère, elle s’en souvient cer-

tainement.

Juste le soulagement qu’il ne soit plus besoin

d’aller plus haut. Le sommet m’a toujours frustré.

Sauf celui du Mont Blanc, je ne sais pas pour-

quoi. Peut-être parce qu’il n’y a pas plus haut en

France, alors voilà, ça c’est fait.

Il n’existe pas d’études sérieuses sur ce qui diffé-

rencie l’amateur de sommet du partisan du col.

Mais si j’en juge d’après ma propre expérience

et de savantes observations, je crois pouvoir

affirmer ce qui suit.

L’amateur de sommet est un ambitieux doublé

d’un prétentieux. Il a un but et veut qu’on le sache,

surtout s’il l’atteint. Il veut ce qu’il y a de plus haut.

Il ne se contente pas du camp de base, ni des

camps successifs. Il doit planter son drapeau là

où rien ne lui fera de l’ombre. Pour en donner

l’assurance au monde entier, il se fera prendre

en photo et la publiera sur son blog, sur Face-

book, sur Twitter, à croire que l’on n’a pas inventé

les réseaux sociaux pour autre chose.

Où se rencontrent les puissants de ce monde ?

Au sommet, jamais au col. Qu’un artiste nous

livre sa plus belle œuvre, et il est au sommet de

son art. Un sportif décroche une médaille d’or ?

Normal, il était au sommet de sa forme.

Apparemment, rien d’important ne se déroule

au col qui mérite de faire la Une des journaux.

Normal, le col est passage quand le sommet est

objectif. Le sommet ne sert à rien puisque, à peine

atteint, on lui tourne le dos et l’on s’en éloigne.

Alors que le col, lui, est une étape. Il sous-entend

une suite, une continuité, mais qui peut aussi

être une rupture.

ESCAPADE · 20

Page 23: Bat'Carré N°10

Pour la commémoration de cet

exploit, La Poste émet un timbre

d’une valeur faciale de 3,40 €. Le

visuel a été réalisé par le dessina-

teur Romain Hugault, passionné

d’aviation et auteur de la série,

entre autres, le Pilote à l’Edelweiss.

Tiré à 1,2 million d’exemplaires au

total, ce nouveau timbre sera vendu

en avant-première le 21 septembre 2013 de 9h à 17h à l’aéroport Roland

Garros, à Paris et à Fréjus.

À partir du 23 septembre, il sera disponible dans tous les bureaux de

poste de La Réunion. Il est possible de se procurer cette vignette com-

mémorative par correspondance à Phil@poste service clients et sur

le site Internet www.laposte.fr/timbres

L’AVIATEUR RÉUNIONNAIS ROLAND GARROS A RÉUSSI LA

PREMIÈRE TRAVERSÉE DE LA MÉDITERRANÉE À BORD DE SON

MONOPLAN MORANE H. IL N’A PAS ENCORE 25 ANS. L’AVIATEUR

ÉMÉRITE QUITTE DANS LA FRAÎCHEUR DU MATIN L’AÉROPORT

DE FRÉJUS LE 23 SEPTEMBRE 1913 ET, 800 KM PLUS TARD,

ATTERRIT AVEC SUCCÈS À BIZERTE, EN TUNISIE. LE VOL, GUIDÉ

PAR UNE SIMPLE BOUSSOLE, A DURÉ 7 HEURES ET 53 MINUTES.

21 · PUBLI-REPORTAGE BAT’CARRÉ

Le timbre Roland Garros 1913 à La RéunionCentenaire de la première traversée de la Méditerranée

Page 24: Bat'Carré N°10

La biomasse végétale existe partout et se renou-

velle grâce aux sols, à la pluie, au soleil. L’homme

l’utilise depuis toujours soit sous forme de cueil-

lette (bois de chauffe) soit en développant des

cultures multiples (fruits, légumes, céréales,

fleurs…). Cette présence est tellement importante

que personne ne s’en soucie. Devant la pénurie

annoncée des sources d’énergie, beaucoup de

gens se sont intéressés à ces matières premières

végétales qui souvent sont sources de contraintes

(obligations de nettoyage, risques d’incendie,

pestes végétales…).

Et ils ont proposé de les utiliser comme moyens

de production d’énergie.

À La Réunion, l’utilisation de la biomasse re-

monte à quelques années. C’est ainsi qu’au lieu

de jeter la bagasse dont on ne savait que faire, on

s’en servait à Bois Rouge et au Gol, au moment

de la coupe, pour produire de l’électricité.

RENDEZ-VOUS AVEC RENÉ ROBERT · 22 TEXTE RENÉ ROBERT

PHOTOGRAPHIE THIERRY HOARAU

LA BIOMASSE EST L’ENSEMBLE DES MATIèrES FOUrNIES PAr LE DéVELOPPEMENT DES VéGéTAUx ET

DES ANIMAUx ; EN GrOS DE TOUT CE QUI COrrESPOND à L’éTAT VIVANT (L’hOMME éTANT à PArT

BIEN ENTENDU…). DANS UN MONDE Où LES MATIèrES PrEMIèrES FOSSILES (NON rENOUVELABLES),

COMME LE PéTrOLE, LE GAz, LE ChArBON, DEVIENNENT rArES, ChACUN SE DEMANDE COMMENT

rEMPLACEr CES SOUrCES D’éNErGIE QUI ONT PErMIS L’INCrOyABLE réVOLUTION INDUSTrIELLE

DEPUIS ENVIrON TrOIS SIèCLES.

La Biomasse et son utilisation à La Réunion

Page 25: Bat'Carré N°10

Cette économie nouvelle est créatrice d’emplois

et permet l’installation locale de moyens de pro-

duction d’énergie. C’est une des solutions à l’in-

dépendance énergétique. Elle ne pourra pas tout

régler, tout produire face aux besoins d’une po-

pulation qui augmente aussi vite, mais c’est une

production de plus et un recentrage sur les capa-

cités naturelles de l’île. Dans les années qui vien-

nent, la biomasse devrait entrer dans la liste des

matières premières locales. Il appartient aux Réu-

nionnais de la développer et à la fois de maîtriser

les consommations d’énergie. Un des nouveaux

défis pour la prochaine génération.

D’où viendrait cette biomasse ? De plusieurs ori-

gines : des déchets végétaux des particuliers et

des communes, de la récupération des arbres et

arbustes exotiques qui sont considérés comme

des « pestes végétales » (certains acacias des

Hauts de l’ouest, les filaos des bas et des hauts, les

jam-rosats, les arbustes épineux…), des chutes de

coupes des arbres plantés par l’ONF (et par exem-

ple du cryptoméria), des arbres brisés par les ra-

fales des cyclones et transportés vers la mer par

les crues des torrents, etc.). Un bureau d’études

fait l’inventaire de ce potentiel en ce moment.

Quels sont les espaces riches en biomasse ?

Quelles sont les espèces les plus prometteuses ?

Est-il possible de les récolter malgré les difficultés

physiques des sites réunionnais (remparts, ra-

vines, volcanisme actif…) et en l’absence d’un ré-

seau de pistes nécessaires aux engins ? L’étude

devrait le préciser.

Page 26: Bat'Carré N°10

La restauration de tableaux

Patricia Vergez, responsable de la spécialité peinture à l’Institut National du Patrimoine, restauratrice de

tableaux, passionnée et passionnante, nous dévoile avec une grande simplicité les arcanes de son métier.

En l’écoutant, on comprend très vite qu’il ne s’agit ni d’une simple question de dextérité, ni d’un lifting

au gré de quelques coups de pinceau. Fondée sur une profonde éthique, la restauration de tableaux est

toujours au service de l’artiste dans l’esprit de son époque. Alors que nous n’apercevons qu’une image,

Patricia Vergez nous explique comment le tableau est à la fois œuvre et matière. Tout le travail de recherche

sur la matière, des pigments au cachet du fournisseur, permet de comprendre l’œuvre et de la restaurer

après de longues recherches aussi minutieuses que celles des enquêteurs sur une scène de crime. Un métier

rigoureux, d’une dimension considérable, qui se maîtrise à force d’expérience. Un métier basé sur la recherche

pluridisciplinaire qui donne au milieu très conservateur des musées un élan de vitalité inattendu.

TEXTE FRANCINE GEORGE - PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL

une longue Quête de sens

Page 27: Bat'Carré N°10

25 · SAVOIR-FAIRE

se trouver ici. Elles peuvent observer les difficultés

inhérentes au patrimoine sous un climat tropical,

sa dégradation particulière. De plus, l’histoire du

musée est très intéressante, le bâtiment, la per-

sonnalité du créateur… C’est donc un vrai échange

de chaque côté. Il n’y a pas assez d’activités pour

en vivre si quelqu’un s’installe ici, à La Réunion,

il est donc nécessaire de faire venir des profes-

sionnels pour restaurer les tableaux et sortir les

collections des réserves. Pour nous, c’est aussi

l’occasion d’échanger, d’apprendre beaucoup de

choses, de découvrir des collections de ces terri-

toires français injustement oubliés.

c’est un métier où L’on Voyage beau-

coup ? Ça dépend, je suis enseignante indépen-

dante, et dès que je vais quelque part, ça fait boule

de neige sur mon CV. Il faut pouvoir s’adapter, ce

qui n’est pas toujours facile. L’Inde, la Chine, le

Brésil cherchent aussi à valoriser leur patrimoine.

Nous sommes en pleine mondialisation, avec une

volonté plus ou moins importante de valoriser

son patrimoine.

en quoi consiste Le métier de restaura-

trice ? Le restaurateur acquiert de l’expérience

au fil du temps. Il faut comprendre une œuvre,

avoir sa sensibilité toujours en éveil. On passe par

la matière, le tableau est fait de matière quelle que

soit l’œuvre. L’artiste qui a travaillé la matière, il

faut en comprendre ses spécificités. On a trop

tendance à voir une image. Nous, quand nous

regardons un tableau, nous voyons tout, l’œuvre

et la matière. On est sensible à la matérialité de

l’œuvre. La matière est porteuse d’une époque, de

techniques particulières. On va, par exemple, re-

connaître une époque en fonction de la couleur.

Lorsqu’il y a des parties manquantes à recons-

truire, le message porté par cet objet ne doit pas être

perturbé. On est là pour que le message persiste,

pour réparer l’image, pour qu’elle puisse parler

des manques, on n’est pas l’initiateur, on cherche

à comprendre comment l’artiste a travaillé. Quand

l’œuvre est très abîmée on ne cherche pas à rem-

placer l’artiste, on imagine ce que l’artiste a voulu

faire, et on fait une proposition la plus proche

possible, mais légèrement visible néanmoins

Vous êtes à La réunion pour combien de

temps ? Nous sommes là pour une quinzaine de

jours dans le cadre d’un échange. Nous sommes

venues, mes élèves et moi, à la demande de

Bernard Leveneur pour restaurer une douzaine

de tableaux. Nous apportons notre savoir-faire,

ce qui permet d’insuffler une certaine dynamique

au musée. Un musée, c’est quelque chose de vivant,

c’est important de renouveler les accrochages.

D’un autre côté, c’est pour nous un nouveau

territoire d’expérimentation.

comment arriVe-t-on au métier de res-

tauratrice ? À la base, il faut comprendre com-

ment s’est fait le tableau. C’est un métier qui

demande un éventail très large de compétences

en histoire de l’art, physique, chimie organique,

biologie (il faut bien connaître les agents de dégra-

dation comme les insectes, par exemple…). Il faut

aussi des compétences manuelles et artistiques,

et des pratiques selon sa spécialité, peinture,

sculpture, mobilier…

Il faut ensuite être conscient que rien ne remplace

l'expérience. La formation n'est jamais achevée,

on apprend en restaurant. D'où la nécessité d'être

curieux, d'aller dans les musées, de regarder les

œuvres.On arrive à ce métier parce qu’on aime la

peinture, le dessin. C’est un métier proche de la

création. Nous exerçons notre créativité dans le

domaine de la recherche pour adapter les traite-

ments, trouver le meilleur traitement en respec-

tant l’œuvre.

et La formation initiaLe ? La formation

s’effectue à l'Institut National du Patrimoine,

établissement d'enseignement supérieur du

ministère de la Culture et de la Communication.

Le recrutement se fait par concours. À la fin du

cursus, le diplôme de restaurateur du patrimoine

permet d’intervenir sur les collections des musées

de France.

La formation des élèves restaurateurs se déroule

sur cinq ans. En même temps que les cours théo-

riques, les élèves effectuent des stages et des

chantiers-écoles de restauration. C’est ainsi que

je suis venue accompagnée de mes stagiaires.

Pour elles, c’est une expérience exceptionnelle de

Page 28: Bat'Carré N°10

L’expérience pratique, les connaissances li-

vresques, les connaissances chimiques aident à

décrypter tout ça.

Des indices, par exemple si la toile est de qualité

médiocre, on peut supposer qu’il s’agit des pre-

mières années du peintre… le tampon d’encre du

fournisseur est aussi un indice important. Les

grands fournisseurs se sont développés à Paris

au moment de la révolution industrielle. Pascal

Labreuche, auteur de « Paris, capitale de la toile à

peindre », sur le site internet qu’il a monté, a réper-

torié toutes ces maisons et les ateliers des artistes.

On a découvert, par exemple, que Delacroix habite

à telle adresse en 1863, à proximité de l’adresse du

fournisseur dont le tampon figure sur le châssis

d’un tableau. On a pu ainsi attribuer une petite

œuvre à Delacroix grâce à l’inscription du four-

nisseur sur le châssis, ce qui a confirmé les

recherches antérieures.

La recherche pour restaurer un ta-

bLeau touche tous Les domaines… Oui,

l’histoire de l’art est très importante, la science in-

tervient beaucoup aussi, nous avons des échanges

fréquents avec les chimistes. On leur donne des

échantillons à analyser lorsqu’on a des doutes

pour identifier les pigments. L’histoire sur les

pigments raconte plein de choses culturelles,

sociales, politiques, économiques…

Venise à l’époque était la ville la plus dynamique,

une grande spécialiste du verre. Une partie des

déchets produits par la verrerie était pilée et ser-

vait de pigment à épaissir.

La finesse des analyses aujourd’hui permet de

savoir que ce bleu vient de tel gisement. Le bleu

lapis-lazurite provenant des gisements en Af-

ghanistan ramène au commerce du XVIe siècle

où il était transporté dans les caravanes sur la

route de la soie...

qu’est-ce que Vous diriez à un jeune

qui Veut faire ce métier ? Il faut être très

curieux. C’est un métier passionnant. Il faut être

aussi très rigoureux et ne pas chercher à aller trop

vite. On traite une œuvre, mais on cherche aussi

à sentir ce qui a animé la modernité d’une époque.

L’artiste est là pour nous réveiller !

pour que l’on puisse distinguer l’original de la

restauration. On se sert de l’informatique et des

nouvelles techniques par imageries scientifiques,

les rayons X, les infrarouges, qui permettent de

voir d’autres aspects de l’œuvre, pour mettre en

valeur le dessin sous l’œuvre. Ce qui permet de lire

le tableau en comprenant les parties disparues.

C’est ce qui s’est passé notamment pour la res-

tauration des Primitifs Italiens. Récemment, une

étudiante a fait des recherches sur le Térahertz,

une technologie militaire, pour voir d’autres choses

dans la caractérisation des matériaux.

et Vous faites des découVertes ? On a

toujours des choses qui sortent du chapeau,

redécouvrir une signature sur un tableau ano-

nyme, c’est exaltant, ça participe à la redécou-

verte de l’auteur. Il y a aussi des découvertes

exceptionnelles, comme la mémoire de Drancy.

En 2009, les ouvriers qui changeaient les huisse-

ries sont tombés sur des graffitis datant des années

1941 à 1944. Il s’agissait des premières HLM

construites en carreaux de plâtre qui servaient de

contre-cloisons. L’immeuble n’était pas terminé

à l’époque, c’étaient de grands plateaux qui ser-

vaient de salles d’internement avant le départ

pour les camps d’extermination. Les gens ont

laissé des traces, gravées à la main ou écrites au

crayon, leur nom, les dates d’arrivée, de départ,

des poèmes... Il y a eu tout un travail d’évaluation

sur ce qu’il y avait dessous les replâtrages, 200 m2

de murs ont été démontés, analysés et restaurés.

comment se passe Le traVaiL de re-

cherche ? C’est un peu comme un crimino-

logue, la matière laisse des traces. On recherche

à quoi a été soumis le tableau, le stress généré par

le climat… On a moyen de reconnaître, comme

sur une scène de crime, les traces sur l’objet, les

origines historiques, sa fabrication, son parcours,

ce qui lui est arrivé, l’origine géographique, ce

qu’il a subi à travers son histoire, le matériel nous

aide à comprendre et ça permet d’adapter notre

traitement.

SAVOIR-FAIRE · 26

Page 29: Bat'Carré N°10

L'Atelier Oblique est spécialisé dans le graphisme culturel et institutionnel, dans les domaines de l’édition, de l’identité visuelle, de la scénographie, ou des médias numériques.

[email protected]

Page 30: Bat'Carré N°10

La Commission de l’Océan Indienun nouveau monde en marche

OCÉAN INDIEN · 28 TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE HERVÉ DOURIS, SERGE MARIZY, CHRISTIAN VAISSE, FLORENCE WALLEMACQ

Page 31: Bat'Carré N°10

La coi – commission de L’océan indien – a été créée du temps de La guerre froide pour

protéger La zone sud-ouest des îLes de L’océan indien, madagascar, Les comores, Les

seycheLLes, maurice, La réunion. ni g8, ni onu, La coi est un concept inédit d’organisation

intergouVernementaLe qui Vise à fédérer cette région où chaque îLe possède richesses,

expériences, saVoir-faire à partager, dans Le but de préserVer Le bien-être des popuLations,

et de faire face aux défis écoLogiques de demain, mais aussi d’exister en pôLe d’exceLLence

sur La scène internationaLe. son nouVeau secrétaire généraL, L’humaniste mauricien

jean-cLaude de L’estrac, en fait son cheVaL de bataiLLe pour Les quatre ans à Venir :

« L’INDIANOCÉANIE EN TANT QU’ENTITÉ GÉOGRAPHIQUE, CULTURELLE, ÉCONOMIQUE ET ÉCOLOGIQUE,

EST À LA FOIS LE SOCLE ET LE TREMPLIN DE NOTRE DEVENIR. »

PORTRAITS

© SERGE MARISY

Page 32: Bat'Carré N°10

Face aux enjeux liés à la mondialisation des

échanges, aux nouveaux défis climatiques, ali-

mentaires, énergétiques, environnementaux, il

devient nécessaire de fédérer l’intelligence col-

lective, de mutualiser les ressources, et de dyna-

miser la coopération de proximité. D’autant que

d’autres organisations de coopération régionales

telles que la SADC 1 et la COMESA 2 s’activent, elles

aussi, sur la scène internationale. « L’heure n’est plus

aux antagonismes ni à la défense des intérêts

particuliers qui seront bientôt engloutis dans

la marche inéluctable vers la mondialisation »,

stipule Jean-Claude de l’Estrac.

Plateforme de défense des intérêts insulaires, les

domaines d’intervention de la COI couvrent la

diplomatie en tout premier lieu et la recherche

d’une stabilité politique, l’économie, le commerce

et les infrastructures, la pêche et l’agriculture,

l’environnement, la protection des ressources

naturelles et la prévention des risques, la culture,

la sécurité, l’éducation et la santé.

le maIllage des solIdarItés en plusIeurs étapes

En 1989, le colloque de Mahé institue un secré-

taire général chargé de développer les échanges

économiques et décide que le siège de la COI sera

basé à Maurice. Les années 1990 sont consacrées

à la préservation de l’environnement et la gestion

durable des ressources marines et côtières. À partir

des années 2000, la défense des intérêts insu-

laires conduit à s’appuyer sur des soutiens tech-

nologiques et financiers internationaux.

En 2005, de nouvelles orientations posent les

bases d’un cadre d’intervention dans la coopéra-

tion politique, économique, le développement

durable et le renforcement de l’identité culturelle.

En 2008, la vocation économique de la COI est

renforcée dans le but de servir de levier à ses États

membres.

En juin 2012, au sommet de la Terre - RIO +20 -

la COI a fait entendre sa voix et posé les jalons de

coopération interrégionale sur le changement

climatique, avec les Caraïbes notamment.

la coI dans les marches de l’hIstoIre

L’aventure commence en 1982 à Port-Louis, se

concrétise en 1984 par l’accord de Victoria aux

Seychelles et se finalise en 1986 avec l’adhésion de

la France/Réunion et des Comores. Ainsi, les cinq

îles de l’Océan Indien – Maurice, Les Seychelles,

l’Union des Comores, Madagascar, La Réunion –

unissent leurs forces au sein de la COI – Com-

mission de l’Océan Indien – pour développer

une coopération régionale solidaire et fructueuse.

Jean-Claude de l’Estrac, père fondateur et actuel

Secrétaire Général de la COI, revient sur l’origine

politique de cet accord dans le contexte de la

guerre froide au moment où l’Union Soviétique

essaye de développer son influence dans les an-

ciennes colonies occidentales : « Cette partie de

l’Océan Indien voulait se positionner en zone de

paix et refusait d’entrer dans le jeu Est - Ouest. Il

s’agissait, dans un premier temps, de nous pro-

téger en sortant de la politique des blocs sans avoir

à suivre le mouvement des Non-Alignés. Le gou-

vernement des différentes îles menait alors une

politique de gauche progressiste. »

Puis, naturellement, au réflexe de survie politique

s’ajoute celui de la survie économique : « Aucune

de ces îles ne peut rester un îlot de prospérité

dans une mer de sous-développement. Il faut

exister en tant que région », souligne encore

Jean-Claude de l’Estrac : « Le constat est évident,

nous sommes des petites îles isolées et, indivi-

duellement, nous ne pesons d’aucun poids sur la

scène internationale, mais regroupées autour de

la COI, avec ses vingt-cinq millions d’habitants,

six cent mille kilomètres carrés, cinq millions de

km2 de Zone Économique Exclusive (ZEE) et les

richesses qui y sont enfouies, nous avons là

matière à exister en tant qu’entité régionale. »

D’où cette volonté de réunir ces cinq îles en un

espace solidaire qui a une communauté de

destins à partager.

1

SADC – Communauté de Développement de l’Afrique Australe – créée en 1992

2

COMESA – Marché Commun de l’Afrique Australe et Orientale créé en 1998

OCÉAN INDIEN · 3

0

Page 33: Bat'Carré N°10

Autre fer de lance du développement durable et

du bien-être des populations, la sécurité alimen-

taire : « Chacune de nos îles peut apporter une

valeur ajoutée aux autres. Notre région importe

chaque année près de 2 millions de tonnes de

produits alimentaires, en provenance de pays

parfois très lointains : le riz de Thaïlande, le maïs

séché d’Argentine, le poulet du Brésil…

Avec 90 % des terres arables de la région, Mada-

gascar peut devenir le grenier des îles de l'océan

Indien et le pilier du projet de sécurité alimentaire

que nous voulons lancer cette année. Le problème

est réel, l’ONU évoque l’imminence d’une nou-

velle crise alimentaire mondiale. »

Pour ce faire, l’amélioration des connexions

maritimes, aériennes et numériques est indis-

pensable. Un projet de création d’une compagnie

maritime régionale est en cours. De la même

façon, une conférence régionale sur les trans-

ports aériens va avoir lieu. « Les petites compa-

gnies nationales n’ont pas les moyens de leurs

ambitions. Elles sont toutes déficitaires. Elles

abandonnent les routes les moins rentables et c’est

autant de marchés touristiques qui se réduisent.

Le bon sens voudrait qu’elles fusionnent pour

devenir AIR OCÉAN INDIEN. »

une double chance à saIsIr

Pour Jean-Claude de l’Estrac, l’Indianocéanie est

doublement chanceuse : « Chanceuse de par

l’histoire de ses peuples d’horizons divers, dont la

rencontre dans ce bassin îlien irrigue de leur sang

nos généalogies imbriquées. Ce socle commun

fait de l’Indianocéanie une région résolument

moderne parce que métisse. L’Indianocéanie est

aussi chanceuse parce qu’elle est au cœur du

monde de demain, entre les pôles de croissance

que sont l’Asie et l’Afrique, sur une route des

échanges qui s’intensifient. C’est une plateforme

naturelle qui peut se différencier dans un monde

en compétition. L’Indianocéanie est le tremplin

de nos économies. »

Au demeurant, la COI compte à son actif une

cinquantaine de projets aussi variés que des

programmes de prévention contre la pollution

marine, d’adaptation aux changements clima-

tiques, de prévention des risques, de programme

régional des pêches, d’unités anti-pirateries, de

sécurité maritime, de gestion durable des zones

côtières, de prévention sanitaire, d’inventaire des

plantes aromatiques et médicinales, de coopéra-

tion en matière de sécurité civile, de développe-

ment touristique, de manifestations culturelles,

d’observatoire des droits de l’enfant …

un nouveau modèle de socIété

Le 28e Conseil de la COI, qui s’est tenu le 17 janvier

dernier à Mahé, a acté la passation de présidence,

entre Jean-Paul Adam, chef de la diplomatie sey-

chelloise et Mohamed Bakri, chef de la diplomatie

comorienne. Le Conseil a donné carte blanche

au nouveau secrétaire général Jean-Claude de

L’Estrac, qui a présenté ses chantiers prioritaires

pour les quatre années à venir, avec, à la clé, un

budget conséquent de plus de 100 millions

d’euros mis à disposition.

Une nouvelle étape est franchie, il n’est plus

question de défensive, mais d’offensive, en pro-

pulsant cette entité indianocéanique en zone

d’excellence tant sur le plan humain, que sur le

plan du développement et de la protection de

l’environnement. La consolidation de l’Indiano-

céanie n’est pas une utopie, elle est basée sur des

projets concrets pour « une meilleure coopération

économique et commerciale, avec les installations

de base, les routes maritimes, la technologie de

communication adaptée, et surtout la stabilité

politique ».

Basé sur une coopération régionale renforcée, le

premier domaine d’intervention qui revient à

Jean-Claude de l’Estrac en personne est la

garantie d’une stabilité politique sans laquelle

aucune stratégie de développement n’est possi-

ble. Très soucieux d’aider Madagascar à la sortie

de crise, la COI intervient dans le processus de

soutien et de facilitation pour accompagner la

mise en place des élections présidentielles.

Page 34: Bat'Carré N°10

OCÉAN INDIEN · 3

2

MADAGASCAR

© SERGE MARISY

LES COMORES

© CHRISTIAN VAISSE

Page 35: Bat'Carré N°10

LES SEYCHELLES

© SERGE MARISY

MAURICE

© SERGE MARISY

LA RÉUNION

© HERVÉ DOURIS

Afrique

Madagascar

Maurice

La Réunion

Les Comores

Les Seychelles

Page 36: Bat'Carré N°10

la mIse en place d’un nouveau monde en marche

Le Premier colloque sur le concept de l’Indiano-

céanie a été organisé du 6 au 7 juin à Mahébourg

pour « donner corps à l’Indianocéanité, faire

savoir ce qui précisément nous unit, et définir la

plus-value qu’elle donne pour peser sur les affaires

du vaste monde. »

La vitalité de l’Indianocéanie et le vivier de savoir-

faire ont été les maîtres-mots de ces débats où

une quarantaine de chercheurs, experts, institu-

tionnels et journalistes découvraient des expé-

riences inédites menées par les confrères d’une

autre île. En attendant les actes du colloque, fin

décembre, deux projets ont immédiatement vu

le jour, proposés par Jean-Michel Jauze, doyen

de la faculté de Lettres et des Sciences Humaines

de La Réunion et par Yvan Combeau, directeur

du Centre de Recherche sur les sociétés de l’Océan

Indien. Le but étant de dresser un état des lieux

géopolitique, culturel, économique de la région

Indianocéanie pour créer une base de données et

produire des publications destinées à mieux connaî-

tre et à s’approprier cet espace interculturel.

La région indianocéanique ne peut se construire

qu’avec Madagascar, c’est pourquoi depuis quatre

ans la COI a fortement œuvré avec la communauté

internationale pour mettre fin à la crise politique

qui tétanise le pays. Ainsi, les médiations inter-

nationales mandatées par l’Union Africaine et le

travail mené en parallèle par les présidents

successifs de la COI et par son Secrétaire général

aboutissent le 17 septembre 2011 à la signature

d’un accord pour l’organisation des élections

présidentielles dont le premier tour a eu lieu 25

octobre 2013. La COI a salué le « comportement

exemplaire » des électeurs malgaches qui ont

exercé leur droit civique dans le calme et a rendu

hommage à la Commission électorale nationale

indépendante de la Transition (CENIT) pour le

rôle bénéfique qu'elle a joué lors de ce processus

électoral.

Les autres projets d’envergure sont centrés sur les

ressources de l’environnement et l’espace mari-

time qui représente cent fois la superficie des

terres émergées. Les programmes sur la pêche

vont trouver leur prolongement avec la mise en

place de programmes de valorisation et de com-

mercialisation. La protection de l’environnement

est conçue comme « un levier de croissance » et

non comme une contrainte. Dans cet esprit, des

programmes importants viennent d’être signés

dont celui financé par L'Union Européenne à

hauteur de 15 millions d'euros afin de promouvoir

les énergies renouvelables et l'efficacité énergé-

tique dans les pays de la COI. Un autre projet de

surveillance satellite vient d’être mis en place pour

apporter des informations sur les cycles de l’eau,

la détérioration des sols, la pollution marine, l’éro-

sion des zones côtières…

Jean-Claude de l’Estrac souligne que la COI s’ap-

puie sur un réseau d’universitaires et de scienti-

fiques de 385 personnes et son objectif est de

créer « un espace de recherche Océan Indien »

pour renforcer leurs contributions au développe-

ment durable de la zone face aux défis clima-

tiques, à la raréfaction des matières premières, à

la gestion des catastrophes naturelles…

Pour finir, la nécessaire appropriation et le rap-

prochement des habitants de cet espace India-

nocéanique passent par une forte prise de

conscience de son histoire, de son patrimoine :

« Mais ces richesses sont souvent peu connues

alors qu’elles sont le ciment de notre identité.

C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré

une stratégie régionale en partenariat avec

L’UNESCO et nous devons passer rapidement à

un programme d'actions culturelles. Un autre

projet me tient à cœur, c’est la création d’une

chaîne de télévision régionale. Elle contribuera à

faire vivre l’Indianocéanie, en affirmant sa singu-

larité et lui donnant plus de visibilité sur le plan

international.»

OCÉAN INDIEN · 3

4

Page 37: Bat'Carré N°10

PORTRAITS

© SERGE MARISY

Page 38: Bat'Carré N°10

océaniques, énergies renouvelables et tourisme

ont été ainsi au coeur des discussions. Lors de

ce forum, Jean-Claude de l'Estrac a appelé les

quelques 250 participants à relever les défis de

l'Indianocéanie en « transformant les disparités

économiques des îles en levier de développe-

ment ». Il a mis en avant que malgré la crise,

l'Indianocéanie doit être « mieux intégrée et

plus compétitive », notamment avec une meil-

leure « connectivité » entre toutes les îles au

niveau « maritime, aérien et numérique ».

Quelques exemples, parmi tant d’autres, mon-

trant que le Secrétaire Général de la COI multiplie

les interventions et crée les conditions pour

que l’Indianocéanie devienne un espace écono-

mique et culturel viable face à la marche du

monde.

Les 23-24 octobre, la COI a organisé une confé-

rence sur la connectivité numérique dans l’India-

nocéanie avec les opérateurs privés du secteur

TIC - Technologie de l’information et de la Com-

munication - les institutions publiques et les spé-

cialistes pour définir l’ossature d’une stratégie de

développement des TIC, vecteur indéniable de

croissance reconnu des experts. En effet, selon la

Banque mondiale, une augmentation de 10%

des connexions Internet haut débit génère 1,4 %

de croissance supplémentaire dans les pays en

développement.

Le 9e Forum économique des îles de l'Océan

Indien a eu lieu du 21 au 23 octobre 2013 à

Pointe-aux-Piments sous l'égide de la Chambre

de commerce et d'industrie de Maurice en parte-

nariat avec la COI. Transport, TIC, industries

jean-claude de l’estrac, le vIsIonnaIre pragmatIque

Le nouveau Secrétaire Général, élu en juillet 2012, oeuvre depuis trente

ans à la construction et au développement de la COI. Homme politique

d’envergure, il a été à la fois leader de l’opposition et membre du

gouvernement mauricien, et c’est en tant que ministre des Affaires

Étrangères qu’il en a initié les premiers pas. Homme de lettres, auteur

d’une trilogie remarquée sur l’histoire politique de Maurice 3, il a éga-

lement dirigé le puissant groupe de presse mauricien « la Sentinelle »,

dont il est resté Président du Conseil d’Administration jusqu’en décembre

2012. Talentueusement charismatique, il entraîne dans son sillage ceux

qui veulent, au sein de la COI, construire un nouveau monde. Certes

visionnaire et humaniste, Jean-Claude de l’Estrac est avant tout un

homme d’action, pragmatique, qui ne supporte pas l’amateurisme.

Autant dire qu’avec lui, pendant quatre ans, la COI va tourner à plein

régime !

3

Mauriciens enfants de mille combats, premier volet paru en 2004 Mauriciens enfants de mille races, second volet paru en 2005Passions politiques Maurice 1968-1982, troisième volet paru en 2009

Pour plus d’informations sur les actions de la COI, connectez-vous

sur www. ioconline.org/fr/

OCÉAN INDIEN · 3

6

J-C DE L’ESTRAC© FLORENCE WALLEMACQ

Page 39: Bat'Carré N°10
Page 40: Bat'Carré N°10

RENCONTRE · 38 PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC

Qu’est-ce qui fait rêverNicolas Givran ?

TRÈS CALME EN APPARENCE, NICOLAS GIVRAN

N’EST PAS UNE ÂME TRANQUILLE, ON SENT

LE BOUILLONNEMENT INTÉRIEUR ÉMERGER À

CHAQUE COIN DE PHRASE. CET ACTEUR DE

TALENT, IMPASSIBLE ESPIÈGLE, AIME RESTER

DANS L’OMBRE. CE N’EST PAS UN TRIBUN, ET

POURTANT, IL JOUE AVEC JUSTESSE ET PRO-

FONDEUR UN MÉSYÉ DIJOUX QUI EXPLORE LES

COULISSES DE SCÈNES ÉLECTORALES DANS

LES ANNÉES 60.

TRÈS EXIGEANT, NICOLAS GIVRAN NE CHOISIT

PAS LA FACILITÉ, PREND DES RISQUES, SORT

DE SON CADRE, DANSE OU ÉVOLUE DANS DES

RÔLES SURPRENANTS, SE MESURE AUX ACTEURS

DU 7E ART. SON LIEU D’EXPRESSION N’EN RESTE

PAS MOINS LE THÉÂTRE, SA LANGUE ARTISTIQUE,

LE CRÉOLE. AVANT DE RETROUVER L’URGENCE

DE DIRE, IL S’OCTROIE UN TEMPS DE LATENCE,

SE RÉGÉNÈRE À LA LECTURE DE GRANDS CLAS-

SIQUES TOUT EN TRANSMETTANT SON AMOUR

DES MOTS ET DE LA SCÈNE AUX JEUNES ÉLÈVES

DU CONSERVATOIRE.

Page 41: Bat'Carré N°10
Page 42: Bat'Carré N°10

RENCONTRE · 40

OÙ EN ÊTES-VOUS ACTUELLEMENT ?

Cela fait quinze ans de pratique et j’ai besoin

d’une pause, j’ai besoin de retrouver cette urgence

de dire. C’est un luxe qui a un prix, bien évidem-

ment. À force de dire non, je prends des risques !

Louis Jouvet disait dans le livre Écoute mon ami :

« Ton premier dégoût sera souverain, salutaire,

c’est un moyen. »

Ces derniers temps, j’ai pu ressentir une forme

d’écœurement de mon métier. Et j’espère qu’il y

aura cet aspect salutaire dont Jouvet parle, mais

c’est un peu tôt pour le dire. À partir de ce constat

que la nécessité n’est plus à sa juste place, je serais

malhonnête si je continuais à monter au plateau,

c’est pour ça que je préfère faire une pause, malgré

les belles propositions qu’on a pu me faire.

Et depuis que j’ai pris cette décision, paradoxale-

ment, je fais beaucoup de rencontres. Avec Carlo

de Sacco, leader du groupe Grèn Semé, on a écrit

un concert théâtralisé ensemble, qui va se jouer

au Théâtre de Champ Fleuri en octobre. J’ai ren-

contré Soraya Thomas et je me suis mis à danser

dans Écoutes, une pièce chorégraphique. Avec

des copains artistes, j’ai joué un peu de musique,

retrouvé l’envie première, le stade de l’envie.

C’EST UNE PAUSE PLEINE D’OPPORTUNITÉS…

Oui, je réfléchis à différents projets en prenant le

temps de faire des choix. En attendant, je me suis

investi dans l’éducation artistique, j’encadre des

stages au conservatoire. Je suis un très mauvais

communiquant, je ne suis pas dans des stratégies

et je n’aime pas faire de concessions, les conces-

sions c’est pour les cimetières disait Desproges.

VOUS LISEZ QUOI ?

À l’origine, je n’étais pas un grand lecteur, je suis

venu à la lecture par le théâtre. C’est Benjamin

Constant qui m’a donné au départ l’envie de lire.

Je me suis identifié au personnage d’Adolphe et

ça m’a beaucoup interpellé. Et puis, dans Madame

Bovary, l’ironie de Flaubert sur la démagogie et le

populisme politicien dans le chapitre sur les

comices agricoles m’a beaucoup amusé. Ensuite,

j’ai lu les grands classiques de la littérature, Céline,

Camus. Je suis amoureux des mots.

je suis amoureux

des mots

Page 43: Bat'Carré N°10

ET POUR LE THÉÂTRE…

C’est pareil. N’ayant pas de formation de type

conservatoire ou autre, je suis allé fouiller les

grands textes de référence sur la pratique de

comédien, Être acteur, de Michael Chekhov, par

exemple. C’est ma boîte à outils. C’est ce qui me

permet d’explorer mon potentiel, si tant est que…

Si on n’a pas d’outils, on atteint vite des limites.

Avec ce que j’ai pu explorer au travers de ces

ouvrages et de mon expérience du plateau, je fais

de la transmission, je partage avec les élèves du

Conservatoire ce qui me semble être les bonnes

questions à se poser sur le jeu.

CE QUI VOUS FAIT VIBRER…

L’identification, c’est quelque chose à trouver,

l’artiste arrive à vous toucher, c’est comme s’il

parlait de vous. C’est bouleversant, il réussit à

synthétiser quelque chose que vous ressentez.

ET CETTE TRANSMISSION AUX ÉLÈVES…

En 2001, j’ai commencé à intervenir en atelier

théâtre, c’est aussi comme ça que j’apprends mon

métier, en les accompagnant dans la recherche du

dépassement des difficultés ; avec eux, j’apprends

aussi mon métier d’interprète.

VOTRE PERFORMANCE À L’ARTHOTHÈQUE

SUR L’ESTHÉTIQUE DE LA BRODERIE :

C’était une belle rencontre avec la plasticienne

Myriam Omar Awadi. Elle cherchait un comédien

pour la visite guidée de son expo sans tableau au

mur. Le texte qu’elle a écrit m’a emballé. Je l’ai

rencontrée, ce fut une très belle surprise. Elle

n’avait jamais dirigé d’acteur, pourtant elle savait

obtenir ce qu’elle voulait avec une justesse in-

croyable. Très exigeante, elle m’a empêché d’aller

dans la facilité, d’entretenir mes tics d’acteur. Elle

m’a vraiment bousculé, c’était un beau cadeau,

merci encore !

VOTRE PREMIER LONG MÉTRAGE AVEC LE TV

FILM UN AUTRE MONDE…

J’ai très peu d’expériences de caméra, on donne

souvent des miettes aux acteurs réunionnais.

Là, je suis tombé sur quelqu’un qui m’a fait

confiance, le réalisateur et scénariste Gabriel

Aghion. Nous avons construit ensemble cer-

taines scènes, c’était une super expérience.

VOUS TENEZ UN DES RÔLES PRINCIPAUX,

ÇA S’EST PASSÉ COMMENT ?

Au départ, c’était un concours de circonstances.

Je me suis présenté au casting sans savoir de quoi

il s’agissait, qui étaient les comédiens principaux...

Je ne connaissais personne. Celle qui s’occupait

des auditions s’est trompée de fiche, j’ai fait deux

ou trois essais. Mais il n’y avait pas de rôle pour

moi. Puis, l’acteur parisien n’était plus disponible

au moment du tournage et finalement j’ai eu ce

rôle-là !

VOTRE SOUVENIR LE PLUS MARQUANT

DE CETTE NOUVELLE EXPÉRIENCE

Côtoyer et travailler avec une grande actrice comme

Dominique Blanc, c’était très réconfortant, sa façon

d’aborder le jeu, son discours sur le métier…

Nous avions l’occasion de discuter entre deux

prises et elle m’a demandé quel était mon par-

cours. Je lui ai répondu que je suis devenu acteur

un peu par hasard, par le biais d’une compagnie

qui proposait des stages de réinsertion par le

théâtre. Et elle m’a répondu : « Alors, moi j’ai raté

tous les conservatoires ! » Puis elle a rencontré

Patrice Chéreau et ce fut le démarrage d’une car-

rière d’abord théâtrale, puis cinématographique,

avec quatre Césars et deux Molières à la clé !

Page 44: Bat'Carré N°10

RENCONTRE · 42

CETTE EXPÉRIENCE DE CINÉMA

PAR RAPPORT AU THÉÂTRE ?

Mon rôle dans ce film est assez évident, avec une

énergie assez proche de la mienne. À l’inverse,

dans Mésyé Dijoux c’est un jeu tout en rupture

de ce que je suis. Lorsque j’ai vu ma prestation sur

grand écran, ça a été insupportable ! En tant

qu’enseignant, je voyais tout ce qui n’allait pas.

C’est comme lorsqu’on entend sa propre voix. J’ai

vu quatre fois le film, à la troisième projection, ça

allait un peu mieux !

SI ON PARLAIT UN PEU DE VOUS,

VOTRE PARCOURS…

Mon père est Réunionnais, mais il est né à Ma-

dagascar. Mon grand-père paternel s’est installé

en France par le biais du Bumidom et travaillait à

la chaîne chez Renault. Ma mère est métisse,

malgache-mauricienne. Ce lien indianocéanique

est très vivace en moi. Au départ, je voulais aller

à Madagascar, mais je ne suis jamais parti de La

Réunion.

Je suis né en banlieue, ça fait partie de mon en-

fance, puis j’ai un peu dérivé, mes études m’ont

abandonné…et je me suis retrouvé sans rien.

Alors, j’ai décidé de rentrer à La Réunion, j’avais

19 ans. J’avais besoin de savoir qui j’étais. Mes

parents ne sont pas des militants, j’avais besoin

de vivre cette culture créole.

À l’ANPE du Port, j’ai eu la chance de tomber sur

une annonce de Cyclones production qui pro-

posait à des non-professionnels d’intégrer une

création de théâtre, une adaptation par Sully An-

doche d’un roman d’Axel Gauvin, le texte était en

créole. C’était pour moi un acte de transmission,

une nourriture par la langue, j’avais besoin de ça.

Et je suis très reconnaissant envers ces tuteurs

qu’ont été Luc Rosello et tous les membres fon-

dateurs de cette compagnie qui m’ont permis, à

moi comme à d’autres, d’accéder à ce milieu ar-

tistique. Je suis amoureux de notre langue !

Pour la musique, l’anglais ça swingue, ça groove,

pour le théâtre, le créole réunionnais, c’est pareil.

Mais ce n’est pas donné à tout le monde de faire

un beau texte. Une langue, c’est une autre énergie.

VOTRE PLUS MAUVAIS SOUVENIR…

En 2001, une pub m’a rendu malheureux, pas fier

de moi. Je respecte ceux qui le font, ce n’est pas

la question, mais moi, ça ne me convient pas et

je me suis juré de ne pas recommencer.

ET SI ON REVENAIT À MÉSYÉ DIJOUX …Le spectacle continue ! Il y a de belles perspec-

tives dans les îlets de Salazie. C’est un projet de

Cyclones production avec un travail en amont avec

les associations. On se produit dans les quartiers.

C’est tout mon univers, ma langue de théâtre ma-

ternelle au travers de l’écriture de Sully Andoche.

VOUS AIMEZ ALLER À LA RENCONTRE

DU PUBLIC, HORS LES MURS…

En 2008, j’ai vécu une grande expérience, je

jouais Le Songe d’une nuit d’été au théâtre de

Champ Fleuri devant 900 personnes, et dans le

même temps, avec l’équipe de la Fabrik, nous

faisions des représentations d’une création dans

des appartements de la cité de Patate à Durand,

ce grand écart était exaltant !

VOTRE EXPÉRIENCE LA PLUS MARQUANTE…

Le spectacle Dis-oui avec Samy Waro. Nous

sommes restés 15 jours enfermés, c’est un grand

luxe de pouvoir travailler comme ça, avec le soutien

de la Fabrik qui nous a fait confiance dès le départ.

C’est l’expérience la plus marquante parce que

Samy est un ami, nous avons une admiration ré-

ciproque l’un pour l’autre. Il y a quelque chose

d’évident, une vraie alchimie entre nous. Dans ce

spectacle, il y avait des petites marches d’impro,

les mots et les sons se faisaient écho, s’entrecho-

quaient, c’était jubilatoire.

ET SI C’ÉTAIT DEMAIN…

Il y a deux, trois ans, j’étais récitant dans Ti pièr èk

lo lou (adaptation de Pierre et le Loup d’Axel

Gauvin) avec un orchestre, une petite formation

de 30 musiciens. La puissance de la musique m’a

marqué dans ce spectacle. Aujourd’hui, ma fille a

trois ans, qu’est-ce que j’ai envie de dire à ma fille,

à ses copines, aux enfants de son âge ? Ça pourrait

être une nouvelle piste de création !

Page 45: Bat'Carré N°10
Page 46: Bat'Carré N°10

BATAYE KOK · 44 TEXTE & ILLUSTRATION HIPPOLYTE

PHOTOGRAPHIE NICOLAS ANGLADE

PatrickPatate à Durand

Page 47: Bat'Carré N°10

Retrouvez le webdoc

de Bataye Kok sur pils.re

Rendez-vous a été pris face au jardin d’enfants,

dans la cité de Patate à Durand, aux abords de

Saint-Denis. Le nom de cette cité provenant de

ces herbes folles aux fleurs roses courant sur les

galets en bords de mer. Un certain Durand aurait

imaginé employer ces longues tiges traînantes

en guise de seine pour la pêche des crustacés

et des petits poissons de rivage... C’est ici que

nous retrouvons Patrick, au pied de ces barres

d’immeubles jaunis par le temps, constellés de

carrés de fenêtres leur donnant l’apparence d’un

grand damier décharné.

Page 48: Bat'Carré N°10

BATAYE KOK · 46

Patrick est né ici, il y a 43 ans. Le lieu n’était alors qu’un vaste bidon-

ville sans étage ni ascenseur. Tous ses souvenirs d’enfance se trou-

vent là. Sa nostalgie aussi. Sous ce bitume et ces constructions

modernes. La ruelle d’alors, les animaux, la terre, la case sans eau ni

électricité, où bruissait une télé à batterie. Batterie qu’il fallait rechar-

ger à temps pour suivre les aventures de zorro, le fameux vengeur

masqué. Patrick en garde un souvenir ému. « Ce n’était pas la misère.

On était solidaire et on appréciait chaque chose que la vie pouvait

nous offrir. Tout se transformait en jeu. Charrier l’eau à la fontaine

centrale le matin avec nos bacs à huile ou nos pots de peinture

vides, revenir en faisant la course et perdre la moitié de la cargai-

son hilares… Observer le voisin par les trous dans la tôle… de bons

moments. »

Patrick se rappelle cette case tapissée de pages (du catalogue) de

la redoute, où, dans le lit commun, le soir, au milieu de ses deux

grandes sœurs, éclairé d’une simple bougie, il s’amusait à chercher

des inscriptions. Le reste du temps, il soignait les animaux avec

son père : chiens, chats, volailles, coqs … coqs de combat.

Au début des années 1980, le cyclone hyacinthe menace La réunion,

il faut reloger les gens du bidonville. En 1982, ils seront installés

dans ces nouveaux immeubles. Changement de vie. radical.

Aujourd’hui la ville a pris la place, s’est étendue,

de plus en plus, inexorablement. Le monde mo-

derne s’est installé. On est passé de cette grande

vie communautaire et des cases courant d’air au

chacun chez soi. Gagnant en sécurité ce qu’on

perdait en proximité et en solidarité évidente. Au

milieu de ces immeubles, en contrebas des fenê-

tres damiers, Patrick a commencé par installer

un cageot pour un coq acheté 70 francs. C’était

en 1995. Il lui a fallu du temps. La terre et les ani-

maux lui manquaient trop. Il a redéposé de cette

terre ocre, a tracé son carré pour les entraîne-

ments, a entraîné son coq comme il le faisait

quand il était jeune. Puis il l’a emmené combattre

au grand rond de Deux Canons, celui de l’époque,

aujourd’hui disparu.

Première victoire. Patrick sourit à nouveau. Il

agrandit son cageot, un nouveau coq, puis deux,

trois, quatre… La passion reprend vie. refait

surface. Il entraîne avec lui d’anciens amis du

bidonville avec qui il aimait partager du temps

autour des animaux, sentir cette odeur de terre

et de poussière, sous ses pas, dans ses mains,

dans ses narines.

Page 49: Bat'Carré N°10

Avec Thierry et yannice, ils se retrouvent alors

sous le grand manguier aux abords de la quatre-

voies, à quelques pas du logement de chacun. Ils

seront bientôt rejoints par d’autres éleveurs les

apercevant régulièrement depuis la route. Les

habitants de la cité viennent aussi en curieux.

Leur petit rond marron prend de l’ampleur. Ils

installent des bancs, des éclairages de fortune

pour rester tard le soir autour du rond une fois

que le soleil plonge dans la mer.

Puis ils décident de se lancer : recréer un rond

de coqs digne de ce nom à Saint-Denis. Là. à

l’ombre du manguier résistant aux mâchoires de

cette ville carnassière. Le terrain appartient à la

mairie, qui accepte de le leur prêter. rien n’est

prévu sur ce terrain. Pour l’instant.

En deux mois, ils montent une structure en bois

sous tôle. Conservent le manguier qui les a si bien

abrités au cœur du rond marron. Un manguier

qui leur apporte l’ombre, vitale lors des journées

d’été gorgées de soleil. Ce manguier devenu cet

ultime rapport à la terre et à leur passé.

« Aujourd’hui, tout ce qui faisait La réunion se retrouve dans les

hauts. Si on continue ainsi, dans les bas il n’y aura plus que du

béton. Lutter contre la ville ? Non. Mais il faut garder un rapport à

la nature, à ce qu’on est, à ce qui nous fait, savoir d’où l’on vient.»

Depuis lors, le rond ne désemplit pas. Chaque week-end.

Patrick et ses amis ont mis en place une association destinée à

valoriser cette tradition du Batay Kok : l’association Ti Rond Deux

Canons. Pour partager leur histoire, ce qu’ils sont. Au milieu de

tous ces hommes, unis autour de cette même passion, loin des

tracas du quotidien. Ils retrouvent leurs racines, et ce lien fort qui

les unit. Ici, ils sont libres, comme hors du temps.

Chaque jour de la semaine, Patrick est toujours aux petits soins

avec ses coqs, après son travail. Il les nourrit, les lave, les entraîne

et les soigne. Au milieu des barres d’immeubles de la Cité, il donne

de petits galops d’entraînement. Comme une échappatoire et une

dernière résurgence du passé, la terre ocre resplendit à nouveau.

Ce carré de terre rouge, celle de son enfance, continue de vivre

parmi les barres de béton. Sous les regards complices et protecteurs

des voisins aux fenêtres damiers, veillant sur ces scènes d’un autre

temps.Ces scènes pleines d’émotions, et de souvenirs. Telles une

oasis au cœur du monde moderne. Une oasis de tradition et de paix.

Page 50: Bat'Carré N°10

Groenland

Canada

États Unis

Montréal

VIEUX-PORT DE MONTRÉAL © STÉPHAN POULIN

Page 51: Bat'Carré N°10

MONTRéALPLEINS FEUX SUR LA CITÉ FRANCOPHONE ET COSMOPOLITE

49 · VOYAGE VOYAGE TEXTE PIERRE-HENRI AHOPHOTOGRAPHIE OFFICE DE TOURISME DE MONTRÉAL

Page 52: Bat'Carré N°10

VOYAGE VOYAGE · 50

fière de ses 370 ans d’existence, la ville aux

mille clochers est une île et son contraire.

carrefour le plus au sud du majestueux fleuve

st-laurent, elle appartient au fabuleux destin

de l’amérique du nord dont elle a favorisé

la découverte puis l’essor industriel.

ancien berceau de civilisations amérin-

diennes algonquines et surtout iroquoises,

des immigrants du monde entier continuent

chaque jour à conquérir la capitale d’une

nouvelle-france à la fois moderne et pitto-

resque. résolument américaine dans son

« beat » et européenne dans l’âme, montréal

est une mosaïque de ce que la civilisation

occidentale peut offrir de meilleur. son titre

de deuxième plus grande ville francophone de

l’hémisphère nord n’empêche pas à plus de

120 langues d’y coexister. capitale écono-

mique qui accueille dans son agglomération

presque la moitié de la population québécoise,

montréal s’impose comme leader mondial

dans plusieurs domaines d’activités tels que

les biotechnologies, les arts numériques et

ceux du cirque. liberté, création, tolérance et

dynamisme sont les principes animant la cité

aux contrastes étonnants.

PLACE D'ARMES © STÉPHAN POULIN

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Page 53: Bat'Carré N°10

citoyenne

du monde contemporain

Montréal se décline en une succession de quartiers

bâtis par des populations issues de différentes

communautés. Tout au long de son histoire, des

vagues importantes d’immigration ont agrémenté

la ville de leurs cultures diverses et variées : après

les anglo-saxons au XIXe siècle, les Italiens, les

Grecs, les Portugais, les Polonais, les Ukrainiens

et les Juifs d’Europe de l’est seront parmi les pre-

mières communautés à s’y implanter durablement.

Ils seront suivis par des Haïtiens, Libanais et Viet-

namiens au gré des changements politiques dans

leurs pays d’origine, ainsi que par de nombreuses

autres communautés, et ce jusqu’à ce jour. C’est

en remontant la « main », la rue Saint-Laurent, que

l’on s’approprie le mieux cette diversité. On y voit

de nombreux commerces grecs et portugais

avant d’aboutir sur la Petite Italie. Dans le Mile

End adjacent au chic quartier d’Outremont, de

nombreux juifs orthodoxes facilement recon-

naissables nous rappellent l’importance de cette

communauté à Montréal. On peut aussi rencon-

trer une diaspora arménienne à Ville Saint-

Laurent, et hindoue dans le quartier de Parc-

Extension.

retour succinct sur

son histoire

Comprendre Montréal c’est imaginer une arrivée

dans la ville par voie maritime, comme au temps

de ses premiers explorateurs. Tout s’est d’abord

construit le long du mythique fleuve Saint-Laurent.

Ses affluents servirent de point de départ aux pre-

miers découvreurs européens du continent. La

ville a longtemps été le bastion du commerce

nord-américain, d’abord prisée par les coureurs

des bois - les vendeurs de fourrures - puis par les

vendeurs de bois et de blé. L’industrialisation dont

elle garde des traces impérissables lui permettra

d’accéder au rang des capitales les plus riches du

monde. De larges rues et imposants édifices té-

moignent encore de ce passé. La ville fut jadis

fortifiée pour se protéger des amérindiens les

plus farouches, les « Haudenosaunee » (iroquois).

Mais Montréal est avant tout un grand village

construit sur une île autour d’une montagne

verdoyante, une cité à taille humaine où l’on zig-

zague harmonieusement entre le passé et le futur,

déjà présent.

Page 54: Bat'Carré N°10

VOYAGE VOYAGE · 52

Le Vieux montréaL

Les quais et le Vieux-port

Le Vieux-Port, lieu unique qui concentre à la fois

un des poumons économiques de la ville, avec

son port, et un pôle touristique de premier ordre.

Bâti par les premiers français qui s’y sont établis,

le Vieux-Port affiche une architecture de goût

français, agrémentée du renouveau victorien que

l’on retrouvera dans plusieurs autres quartiers de

la ville. Après avoir flâné sur les quais réaménagés

en plage l’été et en jeux de neige et patinoire

l’hiver, les plus audacieux parcourront les pistes

cyclables (ou de ski de fond) le long du canal

Lachine et de ses écluses. D’immenses silos à grains,

qui ont jadis fait la fortune de la ville, apparaissent

comme des vestiges d’une époque révolue.

Comme dans tout port, l’aventure ne s’arrête pas

sur terre et on peut découvrir les rives du fleuve

et ses nombreuses îles lors d’une croisière. La

visite des quais se complète par les spectaculaires

expositions du Centre des sciences de Montréal

ou une projection à l’Imax, cette technologie ca-

nadienne qui permet de voir des films diffusés

sur des écrans à 360 degrés.

RUE SAINT-PAUL © ANDRÉ RIDER

La rue saint-paul

La rue Saint-Paul baigne dans une ambiance à la

modernité baroque. Un grand nombre de cafés,

galeries d’art et magasins en tout genre occupent

des édifices anciens. Au détour de certaines ruelles

presque moyenâgeuses, des artisans et bijoutiers

sont installés au milieu d’une petite place à l’atmo-

sphère française, avec ses pavés et ses murs jon-

chés de lierre. Le Musée de la Pointe-à-Callières,

musée d’archéologie et d’histoire de Montréal,

propose notamment des visites guidées sur les

premiers lieux d’habitation. À l’entrée du bâtiment

moderne, une œuvre de Nicolas Baier, un artiste

montréalais, accueille les visiteurs. Et le soir, la

fameuse Boîte à Pierrot produit ses chansonniers

au charme typiquement québécois.

Page 55: Bat'Carré N°10

Le quartier international

Le Square Victoria, surplombé par un gratte-ciel,

la Tour de la Bourse, et entouré de buildings an-

ciens et modernes, est composé d’une grande

esplanade ornée d’une époustouflante sculpture

de l’artiste chinois Jiu Ming représentant un

mouvement emprunté du Taï Chi et d’un espace

boisé où trône une statue de la fameuse reine bri-

tannique. Nous sommes en plein quartier inter-

national, district qui a contribué à l’obtention du

premier Prix de « Ville Design » attribué à Mont-

réal par l’UNESCO en 2007 ; un passage dans le

Centre de Commerce mondial nous permet de

comprendre pourquoi : les visiteurs peuvent y

admirer un atrium géant, fort agréable l’hiver, et

entamer un premier passage souterrain le reliant

à l’immense Palais des Congrès qui accueille un

impressionnant ballet d’évènements organisés

chaque année. Les éléments vitraux de cet édifice

sont d’une luminescence colorée, à dominance

rose, jaune, mauve et verte, ce qui transmet le

tempo d’une ville délurée. Ils font écho à la char-

mante Place Riopelle, du nom du plus célèbre des

peintres canadiens, magicien des couleurs bo-

réales. Cette aire de repos accueille une réalisa-

tion artistique majeure du célèbre artiste, un

ensemble sculptural érigé en fontaine, d’abord

pensé pour l’exposition de 1967, qu’on anime l’été

à chaque heure par des brumisateurs, et par un

spectacle pyrotechnique en soirée. De l’autre côté

de cette petite place, l’édifice de la Caisse de

dépôt est une véritable réussite architecturale,

tout en vitres également et pensé comme un im-

meuble couché. Des œuvres d’art des meilleurs

artistes de la ville y ont été intégrés et son long

corridor suspendu et ouvert sur les étages laisse

une étrange impression de flottement aérien.

L’île sainte-hélène

En regardant le fleuve, on aperçoit l’île Sainte-

Hélène reliée par le Pont Jacques-Cartier, ainsi

qu’un édifice exceptionnel dans l’histoire de l’ar-

chitecture, conceptualisé par Moshef Safdie -

Habitat 67 - pour l’exposition universelle. Sainte-

Hélène fut ainsi nommée en l’honneur de

l’épouse de Samuel de Champlain, « père de la

Nouvelle-France ». Les espaces du Parc Jean-

Drapeau font le bonheur des amateurs de mu-

sique l’été avec des concerts d’envergure, et

surtout les « Piknic électronik » qui, chaque di-

manche, donnent aux DJ du monde entier une

tribune de choix au pied de l’imposant monu-

ment du célèbre artiste américain, Alexandre

Calder. Lieu d’attractions multiples pour les

Montréalais, visite au Musée Stewart dans l’an-

cien fort, circuit Gilles-Villeneuve pour les ama-

teurs de F1, La Ronde, parc d’attractions aux

frissons garantis pour les plus jeunes, les vestiges

de l’Exposition Universelle de 1967, avec notam-

ment la Biosphère ou le Casino, sur l’île voisine

de Notre-Dame…

La place d’armes

En remontant vers la Place d’Armes, point central

du Vieux-Montréal, un imposant édifice art-

nouveau aux allures new-yorkaises nous rappelle

que nous sommes bien en Amérique. De chaque

côté de cette place récemment rénovée, se si-

tuent l’édifice néoclassique de la Banque de

Montréal, une des plus anciennes du pays, mais

surtout la célèbre église Notre-Dame. Fief des

Sulpiciens, prêtres diocésains qui dirigèrent

longtemps la ville et qui y ont toujours une im-

portante curie, cette église offre un spectacle

époustouflant de lumière et de dorures néo-ba-

roques. Lieu de culte et de rendez-vous impor-

tant pour l’élite des siècles précédents, elle est à

juste titre un des sites les plus visités de Montréal.

Page 56: Bat'Carré N°10

VOYAGE VOYAGE · 54

La place jacques-cartier

La rue Saint-Jacques, ancienne rue des banques,

témoigne du riche passé de la ville, avec des hô-

tels parmi les plus prestigieux tel le St-James,

dont la suite est généralement réservée aux stars

de passage. Sur la rue Notre-Dame, on pourra

admirer les immenses portes de la Cour d’appel,

avant d’arriver sur l’ancienne place du marché au

cœur du village qu’on nommait jadis Hochelaga

(ancien nom amérindien de Montréal). Cette

grande esplanade piétonne, nommée en l’honneur

du célèbre malouin qui, le premier, découvrit ce

territoire, offre au visiteur un regard historique

sur la métropole. Surmonté par la colonne Nelson,

le terrain pavé est entouré d’édifices porteurs

d’histoire : le marché Bonsecours, premier hôpital

de la ville fondé par Sainte Marguerite Bourgeois,

devenu un centre d’artisanat réputé.

Le Château Ramesay, quant à lui, laisse décou-

vrir la vie d’antan alors que l’imposante façade

néogothique de la mairie fait encore résonner

les célèbres mots du Général de Gaulle : « Vive le

Québec libre ! » À proximité, la plus grande galerie

d’art inuit du Canada permet de s’approprier les

particularités culturelles de ce peuple. Sur la Place,

restaurants, boutiques de souvenirs, animateurs

en tous genres, rivalisent d’ingéniosité pour atti-

rer le touriste qui se laissera tenter par la dégus-

tation d’un homard ou d’une autre spécialité

régionale telle que la queue de castor (une sorte

de gaufre canadienne). De l’autre côté, se situe le

Champ-de-Mars et sa grande pelouse, jadis une

place de réunion populaire. Vestige archéolo-

gique, elle offre une vue surprenante sur la ville

que l’on découvre enfin en dehors de ses antiques

murailles. On quitte alors le Vieux Montréal, en

traversant le quartier chinois dont deux grandes

portes rappellent la présence vivace de cette

communauté. Une ruelle piétonne, toujours

bondée, nous fait voyager l’espace d’un instant

en Orient. Les amateurs de gastronomie asiatique

ont alors l’embarras du choix pour se restaurer.

PLACE JACQUES-CARTIER © STÉPHAN POULIN

Page 57: Bat'Carré N°10

Le centre-ViLLe

La rue saint-denis

Avec les rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent,

la rue Saint-Denis est un des cœurs névralgiques

de Montréal et une artère à multiples vocations.

À l’est de cette grande rue emblématique, la ville

devient presqu’exclusivement francophone. Au

sud, on trouvera en bordure du quartier justement

baptisé « quartier latin », la Grande Bibliothèque,

édifice récent qui en impose de l’extérieur mais

qui est très convivial à l’intérieur, grâce à la pré-

dominance de bardeaux en bois clair et de grands

panneaux vitrés. Le quartier latin est un concen-

tré de restaurants, cinémas, théâtres et bars en tous

genres, quelques boutiques et librairies rappellent

qu’on n’est pas loin de l’Université du Québec.

Celle-ci a réussi le pari audacieux d’occuper plu-

sieurs quadrilatères, dont celui d’une ancienne

église dont le clocher et la nef ont été conservés

en atrium. C’est une pratique que l’on retrouve de

plus en plus dans le paysage urbain montréalais :

la transformation d’édifices industriels ou reli-

gieux en lieux contemporains voués à l’éduca-

tion, l’habitation ou le travail. Un peu plus loin, la

Place Émilie-Gamelin souligne l’anticonformisme

urbain qu’adopte parfois Montréal. Un jeu d’échecs

géant orne son centre, et l’endroit accueille l’été

des scènes extérieures. Point central des trans-

ports en commun, souvent squatté par les plus

marginaux, cette place fut le point de départ des

manifestations étudiantes du « Printemps Érable »

en 2012. C’est ici que se démarque « le village »,

célèbre quartier gay, très festif, dont la portion de

la rue Ste-Catherine qui le traverse est exclusive-

ment piétonne pendant la période estivale.

SHOPPING À MONTRÉAL © ANDRÉ RIDER

Le carré saint-Louis

Place mythique de Montréal, autrefois un châ-

teau d’eau juché en haut de la vieille ville, le Carré

Saint-Louis est aujourd’hui une petite oasis appré-

ciée des passants de la rue piétonne Prince-Arthur,

faisant la jonction entre les deux grandes artères

commerciales et festives : la rue Saint-Denis et la

rue Saint-Laurent. La place est ceinturée des plus

belles maisons d’architecture victorienne de la

ville. Son flanc nord, aux toits colorés, est un

symbole époustouflant de Montréal. On peut y

prendre un café accompagné de crêpes ou crèmes

glacées l’été ; la place est souvent animée par des

musiciens en après-midi. Les poètes et écrivains

y ont souvent célébré les vertus de leur Montréal,

et deux statues de leurs plus illustres représen-

tants rappellent le caractère singulier de l’endroit :

le « Rimbaud » canadien, Émile Nelligan y a

composé ses vers les plus légendaires ; l’autre

buste, celui d’Octave Crémazie, est surmonté

d’une figure allégorique d’un poème célèbre pour

sa verve nostalgique de la présence française au

Canada, « Le chant du vieux soldat canadien ».

Au centre du carré, une fontaine permet de se ra-

fraîchir et de se déconnecter, l’espace d’un ins-

tant, du vacarme incessant de la réalité urbaine.

Page 58: Bat'Carré N°10

VOYAGE VOYAGE · 56

Le quartier des affaires

Le quartier des affaires est aussi celui des centres

commerciaux et d’une vie sociale animée aux

accents anglophones. Les gratte-ciels sont légion

mais difficiles d’accès. Toutefois, une visite au

sommet de l’un deux est possible au restaurant

chic du 737 de la Tour Ville-Marie, la plus grande

de la ville. Les trois derniers étages de cette tour

sont d’ailleurs consacrés aux visiteurs avides de

panorama en altitude. C’est ici que se déploie la

partie souterraine du quartier, la légendaire

« ville sous terre », fief commercial où l’on peut

« magasiner » - faire du shopping - tout au long

de l’année. Ce sont plutôt de vastes couloirs reliés

entre eux que l’on parcourt, principalement le

long de l’hétéroclite rue Sainte-Catherine. En

empruntant la populaire rue Crescent, on arrive

au Centre Bell, arène du hockey, le sport national

des Canadiens. Un peu plus haut, c’est la rue

Sherbrooke et ses somptueux édifices qui ac-

cueillent de grands magasins, des hôtels et des

galeries d’art parmi les plus prestigieuses. On ne

peut évoquer la chaotique rue Sainte-Catherine

sans mentionner les nombreux bars de danseuses

nues (et même de danseurs nus) aux pancartes

aguicheuses, réservés aux aventuriers avertis.

Plus loin, la rue - qui totalise tout de même 27 km

- débouche sur le Square Phillips et un des plus

vieux magasins d’Amérique du Nord, celui de

La Compagnie de la Baie d’Hudson, corporation

intimement liée à l’histoire du Canada.

S’ensuit la Place des Arts, haut lieu de diffusion

culturelle : conçue dans les années 60, plusieurs

salles de spectacles, le Musée d’art contemporain,

le Théâtre du Nouveau Monde, et à quelques pas

de là, la nouvelle Maison symphonique qui

conserve le plus grand orgue à traction méca-

nique au monde.

Le mont royal

La liberté qui règne dans cette ville et son atmo-

sphère conviviale se ressentent particulièrement

à l’esplanade du Mont-Royal, cette montagne qui

a inspiré Jacques Cartier pour nommer la bour-

gade amérindienne qu’il découvrit à l’époque.

Elle aurait été aussi un lieu de culture vivrière

pour les amérindiens. Son sommet, autrefois

consacré aux rites reliés aux semences et récoltes,

accueille désormais une grande croix visible de

tout côté. Sacré pour tout Montréalais, le domaine

du Mont-Royal est aujourd’hui convoité par les

sportifs, avec ses nombreux sentiers, ses glis-

sades et son Lac aux castors où l’on peut appren-

dre à patiner l’hiver. Une fois au sommet, on y

découvre des vues uniques de Montréal et son

étendue à perte de vue, un panorama incompa-

rable sur le Saint-Laurent, agrémenté au loin des

paysages de la Rive-Sud de Montréal, et des

États-Unis que l’on devine à l’horizon. À l’ouest

l’Oratoire Saint-Joseph, édifice de culte

imposant qui accueille la sépulture du Frère André

récemment canonisé. Ce haut lieu de recueille-

ment devient accessible après avoir grimpé plus

d’une centaine de marches que les pèlerins gra-

vissaient à genoux, il y a encore quelques années.

Le Mont-Royal est aussi l’hôte d’un des plus

grands cimetières en Amérique du Nord, qui a

son charme propre.

BOUTIQUE DANS LE VIEUX-MONTRÉAL © LINDA TURGEON

Page 59: Bat'Carré N°10

ESCALIERS EXTÉRIEURS SOUS LA NEIGE & PARC DU MONT-ROYAL ÉTÉ COMME HIVER © STÉPHAN POULIN

Page 60: Bat'Carré N°10

VOYAGE VOYAGE · 58

Une fois redescendu sur l’avenue du Parc, le mo-

nument dédié à la paix est le lieu où les hippies

se donnent rendez-vous chaque dimanche de-

puis plus de 50 ans dans une ambiance festive,

rythmée par un vacarme incessant mais joyeux

de percussions en tous genres. Artère incontour-

nable de la ville, l’avenue du Mont-Royal, avec le

célèbre Stade Olympique à l’horizon. Cette rue

offre le concentré le plus juste de la vitalité de

l’âme marchande montréalaise : friperies, bou-

tiques, disquaires, libraires, restaurants et bars qui

l’animent sont parmi les plus prisés de la ville.

Plus on s’y enfonce, plus on se rapproche de la

petite France du Plateau, avec ses maisons aux

façades bariolées et ses escaliers typiques. Ce

quartier populaire est désormais choisi comme

lieu de résidence par les « Français de France »,

comme on les appelle au Québec.

L’esprit de la ville

Profitant d’une grande ouverture d’esprit permet-

tant un climat social des plus tolérants, Montréal

a toujours su attirer de nombreux créateurs. L’art

urbain y est omniprésent. Ville aux élans punk et

hippie, on y rencontre un grand nombre de ci-

toyens et d’organismes engagés pour un monde

plus juste et écologique. Cité des poètes, source

d’inspiration captivante, on ne peut parler de

Montréal sans rappeler le succès planétaire de

quelques-uns de ses enfants : Céline Dion, Leo-

nard Cohen, le Cirque du Soleil, ou plus récem-

ment Arcade Fire. Centre de développement

technologique, Montréal fournit une des plus

grandes productions mondiales de l’industrie du

jeu vidéo et a vu naître Real Ventures. Son sep-

tième art est également réputé, des cinéastes tels

que Denys Arcand et Xavier Dolan sont issus de

cette industrie que Montréal cultive jalousement.

Enfin, parmi ses plus grands écrivains, il faut lire

les textes de Michel Tremblay, Anne Hébert et,

honneur à un créole (haïtien) d’origine, Dany La-

ferrière, pour s’approprier des reflets de son âme.

À l’instar des grandes capitales, Montréal est en

perpétuelle ébullition. Elle évolue, mais sans ja-

mais déroger à sa forte personnalité. La célèbre

maxime de Robert Charlebois « Je reviendrai à

Montréal » résume cet attrait unique au monde.

PALAIS DES CONGRÈS DE MONTRÉAL © MARC CRAMER

Page 61: Bat'Carré N°10
Page 62: Bat'Carré N°10

honneur aux femmes ! mis à part dany laferrière, auteur d’origine haïtienne vivant à montréal, les auteurs canadiens couronnés par leurs pairs en francesont des femmes. alice munro en est la plus belle illustration. premier auteur nouvelliste à être distinguée du prestigieux prix nobel de littérature : « alice munro est appréciée pour son art subtil de la nouvelle, empreint d’un style clair et de réalisme psychologique. [...] ses histoires se déroulent généralement dans des petites villes, où le combat des gens pour une existence décente aboutit souvent à des problèmes relationnels et des conflits moraux - question qui est ancrée dans des différencesde génération ou des projets de vie contradictoires. on trouve imbriquées dans ses textes des descriptions d’événements quotidiens mais décisifs, sortes d’épiphanies, qui éclairent l’histoire ambiante et illuminent au flash les questions existentielles. »

Balade littéraire à Montréal

VOYAGE VOYAGE · 60 SÉLECTION PIERRE-HENRI AHOPHOTOGRAPHIE OFFICE DE TOURISME DE MONTRÉAL

Retrouvez les balades littéraires sur www.batcarre.com

Page 63: Bat'Carré N°10

BONHEUR D‘OCCASIONRéédité récemment, ce roman se déroule à Montréal et relate l’histoired’une jeune serveuse rêvant à un monde meilleur, prise dans un dilemmeamoureux. À travers son histoire, c’est celle d’un Québec de plus en plusmoderne qui surgit. L’auteure, d’origine franco-manitobaine, reçut pourcette œuvre le Prix Fémina. Elle est une des auteures canadiennes les plustraduites.

AUTEUR Gabrielle Roy ÉDITEUR Boréal

LES FOUS DE BASSAN

La célèbre romancière a obtenu le Prix Fémina dès la sortie de ce roman en 1982. Drame empreint « d’amour, de haine et de cruauté », l’histoire raconte le meurtre de deux cousines survenu dans un village fictif du Québec. L’auteure a eu l’audace de composer son roman en six parties,avec pas moins de cinq narrateurs différents s’échelonnant dans le temps !

AUTEUR Anne Hébert ÉDITEUR Le Seuil

COMMENT FAIRE L’AMOUR AVEC UN NÈGRE SANS SE FATIGUER

Roman qui a fait connaître cet auteur prolifique, il permet de regarder Montréal à travers la relation de deux colocataires noirs vivant dans une petite pièce du Carré St-Louis où ils tiennent des discussions existentielles et relatent leurs expériences sexuelles, avec des « blanches ». Texte adapté au cinéma, il aborde les barrières sociales et raciales présentesdans la société, ainsi que la notion du désir comme source réparatrice. L’auteur a décrit son arrivée en tant qu’haïtien à Montréal dans les années 70dans son roman Chronique de la dérive douce (1994), réédité par Boréal en 2012. Désormais célèbre en France, il a reçu en 2009 le Prix Médicispour son magnifique ouvrage L’énigme du retour, publié chez Grasset.

AUTEUR Dany Laferrière ÉDITEUR VLB

UNE SAISON DANS LA VIE D’EMMANUEL

L’auteure reçut le Prix Médicis en 1965 pour ce chef-d’œuvre précurseurd’une Révolution. Mouvement de la libéralisation des mœurs.Elle y relate la vie d’une famille québécoise au début du XXe siècle, et s’attarde notamment sur les mœurs décadentes de la société traditionnelle.

AUTEUR Marie-Claire Blais ÉDITEUR Léméac

PÉLAGIE-LA-CHARRETTEElle est une des rares auteures nées à l’étranger à avoir obtenu le Prix Goncourt, avec ce roman qui relate en toile de fond la déportation de son peuple en Louisiane. Son œuvre a souvent été portée sur scène et au petit écran, notamment La Sagouine publié chez Léméac, personnagecélèbre pour son franc-parler aux accents typiquement acadiens.

AUTEUR Antonine Maillet ÉDITEUR Grasset

LA GROSSE FEMME D’À CÔTÉ EST ENCEINTE

Il s’agit du premier tome des Chroniques du plateau Mont-Royal, dont l’histoire se déroule en plein quartier ouvrier de Montréal. L’auteur est célèbre pour ses pièces de théâtre mettant en scène, souvent avec un humour décapant, les travers de la culture populaire québécoise et son enracinement religieux. À découvrir absolument.

AUTEUR Michel Tremblay ÉDITEUR Léméac

MARIE LAFLAMME

Auteure prolifique, elle se consacre beaucoup à la littérature jeunesse. Cette trilogie toutefois destinée à un plus large public relate l’histoire de laconquête de la Nouvelle France du XVIIe siècle, à travers le trépidant destind’une jeune nantaise. Son aventure tient le lecteur en haleine du début à la fin, alors que le souci du détail historique permet de mieux appréhenderla difficile vie des colons à cette époque, et en particulier celle des femmes.

AUTEUR Chrystine Brouillet ÉDITEUR Flammarion

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CULTURE ET MODE · 6

2

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lolita gothique, guerrière samouraï, lotus geisha, et autres fantaisies directement liées

aux mangas ne sont pas seulement des accessoires de mode, ou le style à arborer dans

une soirée branchée. Il s’agit là d’une véritable passion qui conduit le jeune (collégien,

lycéen et adulte jusqu’à la trentaine) à incarner son personnage préféré. bien plus que

le mouvement hippie, en marge de la société, ou les jeux de rôles « donjon dragon » qui

s’appuient sur un imaginaire pour faire évoluer les personnages, la culture otaku issue

des mangas, jeux vidéos et tous les avatars s’y attenant, est devenue un mode de vie.

« on s’habille manga, on mange manga – les bento – on pense manga, on danse jpop,

voir Kpop... » l’otaku a souvent été présenté comme un refuge pour adolescent mal dans

sa peau, adepte fanatique de jeux vidéo, enfermé dans sa chambre et coupé du monde. Il

a certes existé à la fin des années 80, ce fanatisme de l’imagerie virtuelle, exalté par la

violence et par la pornographie qui s’est illustré par le cas dramatique de tsutomu

miyazaki, le tueur otaku. aujourd’hui, les temps ont changé, la culture manga est restée.

au japon, elle fait partie de la vie quotidienne et s’adresse à toutes les tranches d’âge, les

shônen manga pour les jeunes filles, les seinen manga pour les hommes adultes, les josei

manga pour les femmes… regard critique sur les problèmes de société, le manga est aussi

porteur de messages et de traditions. les héros ne sont pas infaillibles, ils ont le regard

émotif ; les thématiques ont aussi pour cadre les occupations de tous les jours, les

histoires comportent souvent des phases d’initiation aux grandes étapes de la vie ; les

mangas ne crient pas à la victoire, mais invitent à la réflexion et à l’optimisme. là encore,

il y a foison de styles et de sous-catégories, comique, policier, science-fiction… le manga,

véritable industrie commerciale, est parti à la conquête du monde. la france et les etats-

unis en sont les plus grands adeptes. ce premier week-end de juillet a eu lieu le Japan Expo

à villepinte, le plus grand rassemblement européen d’otakus et de passionnés de culture

japonaise, dédicaces d’artistes, de dessinateurs, tutoring de personnages et défilés

de cosplay. partie intégrante de la culture otaku, le cosplay – réduction de « costume

playing » - désigne l’art de se déguiser et de jouer le rôle de son personnage favori. la

plupart des cosplayers mettent un point d’honneur à fabriquer eux-mêmes leurs costumes

et à ne les utiliser qu’une seule fois lors d’un concours ou d’un défilé. le but est toujours

d’exprimer sa passion. à la réunion, via facebook, le cosplay.re compte déjà plus d’un

millier d’adhérents. la culture otaku y est honorablement représentée, mais discrète,

comme une double vie, elle se manifeste au cours d’une flash mob ou lors des fêtes guan

di, car il y a beaucoup de chinois de l’île parmi les cosplayers réunionnais.

culture MANGAUN ART DE VIVRE PLUTÔT QU’UNE MODE ÉPHÉMÈRE

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CULTURE ET MODE · 6

5

Page 68: Bat'Carré N°10

TEXTE FRANCINE GEORGE

PHOTOGRAPHIE ERIC LAFARGUE

STYLISME MYRIAM BARCAVILLE

MAQUILLAGE SOPHIE BÈGUE

MANEQUINS SOPHIE, MYRIAM ET FANNY

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CULTURE ET MODE · 6

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PAPILLES EN FÊTE · 70 RECETTE BENOÎT VANTAUX

PHOTOGRAPHIE PIERRE CHOUKROUN

tapas

de magret de canardet son tartare d’avocat

Recette de l’Atelier

de Ben

Page 73: Bat'Carré N°10

Ingrédients

pour quatre personnes

Deux magrets de canard

Deux avocats

Deux tomates

Un petit bouquet de coriandre

Une échalote

Le jus d’un citron

20 cl d’huile d’olive

Sel, poivre

Quatre piques en bambou

recette par étapes

1. Eplucher les avocats. Les couper en

dés. Epépiner les tomates et les couper

en petits dés. Hacher la coriandre

grossièrement. Ciseler finement

l’échalote.

2. Mélanger l’avocat avec la coriandre,

la moitié du jus de citron, le sel

et le poivre. Réserver au réfrigérateur.

3. Mélanger les tomates avec l’autre

moitié du jus de citron, l’huile d’olive,

l’échalote, le sel et le poivre.

Réserver au réfrigérateur.

4. Enlever le surplus de graisse

des magrets et les cuire à la cuisson

désirée : cuire 3/4 du temps sur le côté

graisse et 1/4 du temps sur le côté

viande. Saler, poivrer. Laisser reposer

pendant 10 minutes environ dans du

papier d’aluminium.

5. Couper les magrets en morceaux et

les enfiler sur des piques en bambou.

6. Servir avec les tomates en verrine et

le tartare d’avocat. Poser une tuile aux

noisettes pour parfaire la présentation.

Pour accompagner joyeusement

ces tapas de magret de canard,

la Cave de la Victoire vous conseille

un domaine du Pas de l’Escalette,

savoureux Coteaux du Languedoc.

Retouvez cette recette filméesur www.batcarre.com

Page 74: Bat'Carré N°10

le nom des territoires éloignés frappe souvent l’imaginaire. c’est le cas des « terres australes

et antarctiques françaises » qui évoquent le mystère des grands espaces et embrassent des

distances si vastes que seul le mot « terres » pouvait parvenir à les désigner. fermons les

yeux et bientôt une mosaïque se dessine, fragments de bleus lagon et de blanc banquise,

verts des mangroves, des filaos, des euphorbes arborescentes, palettes grises des mers

froides chahutées par les vents sur lesquelles planent les grands albatros…

Depuis La réunion, les escales les plus proches s’égrènent en un chapelet de cinq îles tropicales,

sans compter la petite île du Lys et trois formations coralliennes - le rocher du Sud, les roches

Vertes et l'Île aux Crabes - dans l'archipel des Glorieuses. D’un bout à l’autre du canal du Mozam-

bique se succèdent ainsi les Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India et la méridionale Europa.

Isolée à l’est de l’Ile rouge, Tromelin, récif surélevé ou sommet émergé d'un ancien volcan

océanique, conserve encore aujourd’hui le secret de ses origines.

Escales au bout du monde

DESCENTE DU MONT BRANCA AVEC EN ARRIÈRE-PLAN L’ILE E DE L'EST

Page 75: Bat'Carré N°10

73 · TAAF TEXTE STÉPHANIE LÉGERON

PHOTOGRAPHIE BRUNO MARIE

L’îLE D’EUROPA NE RESSEMBLE À AUCUNE

AUTRE, ROYAUME DES OISEAUX ÉTONNANT

DE CONTRASTES

Une semaine plus tard, en partance sur le tarmac

de la base aérienne, l’avion militaire de transport

et de ravitaillement avait cette fois pour destination

l’île d’Europa, où nous avons dormi une nuit, de

même qu’à Juan de Nova. Dès les premiers mo-

ments Europa a été pour nous un immense coup

de cœur, une île incroyable de beauté et de diver-

sité, avec ses tortues marines - un des principaux

sites mondiaux de reproduction des tortues vertes -,

ses colonies de fous à pieds rouges et de frégates,

ses sternes, ses pailles-en-queue. Forêts sèches à

euphorbes arborescentes, joncs, ficus, mangroves

de palétuviers en bordures du lagon, steppe salée,

arinas et bois matelot partant à l’assaut des dunes

littorales… la diversité des formations compose

un couvert végétal insolite et très bien préservé.

Accueillis à la « station météo », nous avons assisté

en début d’après-midi à la cérémonie de passa-

tion des pouvoirs sur le camp Robinson, puis

avons profité au maximum des quelques heures

restantes de lumière pour réaliser des prises de

vues aux abords du camp, sur les sentiers et le

long du littoral, à la rencontre de la faune sau-

vage.

UNE CARTE POSTALE GRANDEUR NATURE Où

LES FILAOS BORDENT D’IMMENSES PLAGES DE

SABLE BLANC

C’est à Juan de Nova qu’a commencé notre « tour-

née » des îles. Le 25 juin 2012 au petit matin, nous

décollions de la base aérienne 181 Lieutenant

Roland Garros à Sainte-Marie, à bord d’un transall

des Forces armées de la zone sud océan Indien

(Fazsoi). Nous rejoignions ainsi un détachement

de 14 militaires du 2e RPIMa (Régiment parachu-

tiste d’infanterie de marine) et d’un gendarme,

dont la mission est de garantir, par des relèves de

30 à 45 jours, la protection des îles et d’assurer la

surveillance des eaux territoriales de la Zone éco-

nomique exclusive (ZEE). Juan de Nova est une île

plate en croissant dont le lagon aux eaux tur-

quoise est ceinturé par une grande barrière de

corail. Parfaite illustration de l’île paradisiaque,

avec ses immenses plages de sable fin, elle tient

son nom de l’amiral galicien João da Nova, le na-

vigateur qui en fit la découverte en 1501, à la tête

de la troisième expédition portugaise sur la fa-

meuse Route des Epices, en direction de l'Inde.

Juan de Nova, façonnée de dunes de sable attei-

gnant jusqu’à douze mètres de hauteur, de col-

lines rocheuses, de filaos et cocotiers - ces deux

espèces n’étant pas indigènes -, présente des

paysages assez peu variés. En revanche, la faune

est riche, comprenant par exemple la plus grande

colonie de sternes fuligineuses de tout l’océan

Indien et l’une des plus importantes au monde.

Cette biodiversité revêt une importance majeure

pour la sauvegarde de l’avifaune à l’échelle mon-

diale. Pascale Chabanet, chargée de recherche à

l’Institut de recherche pour le développement

(IRD), explique : « les récifs de ces îles désertes et

isolées comme l'île Juan de Nova sont préservés

de toute pollution et de toute influence anthro-

pique. Mais elles sont affectées par les changements

climatiques. L’enjeu ? Utiliser ces bouts de nature

primitive comme témoins et mesurer la part im-

putable à l’homme dans les bouleversements qui

ébranlent l’équilibre de la planète. » JUAN DE NOVA

DES PAYSAGES PARADISIAQUES

A PERTE DE VUE

Page 76: Bat'Carré N°10

UNE îLE-CAILLOU QUI RAPPELLE LA PUIS-

SANCE DES ÉLÉMENTS ET LA FRAGILITÉ DE

L’HOMME

La troisième escale de notre itinéraire dans les

TAAF a été Tromelin, que nous avons sillonnée

en septembre 2012, l’espace de quelques heures.

Ce qui interpelle dès que l’on pose le pied sur

cette petite terre corallienne dénuée de relief et

sablonneuse, c’est l’absence de végétation hor-

mis quelques veloutiers, et donc l’absence totale

d’ombre, mais aussi la force terrifiante des vagues

qui se brisent sans relâche sur la barrière de récifs

coralliens, et dont on comprend qu’ils rendent

l’abordage extrêmement difficile. De forme ovoïde,

Tromelin est en effet toute petite, il suffit d’une

heure pour en faire le tour. Pendant la saison

chaude, géographiquement située sur leur route,

il n’est pas rare qu’elle subisse de plein fouet cy-

clones et dépressions tropicales. Par ailleurs, elle

est dépourvue d’eau douce. Ce décor singulière-

ment inhospitalier ne peut qu’inspirer une peine

profonde à la pensée du sort des « naufragés de

Tromelin » qui au XVIIIe restèrent prisonniers -

pendant quinze interminables années pour les

esclaves malgaches survivants, sept femmes et un

petit enfant de huit mois - sur ce caillou venteux

et aride où même la pêche était rendue impossible

en raison d’un océan par trop déchaîné. L’histoire

des TAAF porte les stigmates de nombreux épi-

sodes tragiques de pertes de navires en mer qui

obligèrent leurs victimes à affronter les éléments

hostiles dans des conditions plus que précaires

voire, comme à Tromelin, absolument terrifiantes.

DES JOURS AVEC SEUL L’OCÉAN À PERTE DE

VUE, UNE îLE À LA BEAUTÉ âPRE ET SAUVAGE

Des naufrages, il y en a eu d’innombrables dans

une toute autre région des TAAF située sous des

latitudes bien plus élevées : les îles subantarctiques

françaises. Le 9 novembre 2012 appareillait au

Port le mythique Marion Dufresne II, navire ravi-

tailleur et océanographique des TAAF. Heureux

de vivre une expérience au long cours en terres

australes, nous installions nos bagages en cabines,

avant de parcourir le labyrinthe des couloirs, des

ponts, de repérer les laboratoires ou la « DZ »

(drop zone), plateforme réservée à l’hélicoptère...

Bref, nous prenions nos marques, tout en com-

mençant à faire connaissance avec les membres

de l’équipage, le personnel des bases et la dizaine

de touristes de cette rotation dite « OP3 », la troi-

sième opération portuaire de l’année. Au total,

près de 100 passagers étaient du voyage, dont de

nombreux scientifiques de l’Institut polaire fran-

çais Paul Emile Victor (IPEV) et du Centre national

de la recherche scientifique (CNRS) présents dans

le cadre de leurs programmes respectifs, très va-

riés, allant, pour n’en citer que quelques-uns, de

l’étude du climat ou de la chimie de l’atmosphère

à celle du champ magnétique terrestre, en passant

par l’activité en mer des gorfous, le déplacement

des manchots ou encore la pose de balises

ARGOS sur les orques.

Notre première escale : une île du sud de l’océan

Indien qui, après cinq jours de navigation relati-

vement calme même si nous avions dépassé les

quarantièmes rugissants, nous a dévoilé à l’aube

du 14 novembre ses côtes aux falaises déchique-

tées, sous une fenêtre météo typiquement « cro-

zétienne », caractérisée par un léger brouillard

et une pluie fine persistante. Cette île, c’est la Pos-

session dans l’archipel de Crozet, qui est divisé en

deux groupes distants d’environ 110 km : à l’ouest

les îles aux Cochons, des Apôtres et des Pingouins

appelées « îles Froides » par le navigateur Marion

Dufresne qui les découvrit en 1772, et dans la

partie orientale la Possession et l’île de l'Est.

ELEPHANT DE MER ET MANCHOTSA LA BAIE DU MARINSUR LE SITE DE PORT-ALFRED

Page 77: Bat'Carré N°10

Nous avions vu émerger pour la première fois les

petites têtes oranges et noires de quelques groupes

de manchots royaux, l’équipe d’Hélilagon avait

tout juste ravitaillé un « arbec », terme « taafien »

désignant une cabane isolée destinée aux opéra-

tions scientifiques, nous venions de faire des

clichés de la Roche Percée, arche haute d’une

centaine de mètres à quelques encablures de la

Pointe des Moines au nord-ouest de l’île, quand

soudain… le Marion Dufresne heurta un haut-

fond dans cette zone encore mal cartographiée.

Le commandant nous apprit rapidement que la

situation était sous contrôle et le bâtiment stable,

mais que la tournée de ravitaillement des îles

Kerguelen et Amsterdam devait être annulée afin

de garantir notre sécurité. L’ambiance à bord res-

tait sereine, personne n’ayant cédé à la panique,

mais une évidente déception se lisait sur les

visages, notamment ceux des chercheurs qui

pour la plupart avaient planifié cette mission de

longue date et savaient ne pas avoir la possibilité

de la reporter. Tous les passagers ont ensuite été

évacués en hélicoptère sur la base Alfred-Faure,

où nous avons été accueillis durant neuf jours

dans une ambiance très conviviale par le chef de

district François Zablot. Le temps pour nous de

photographier à différentes reprises la mancho-

tière de la Baie du Marin en contrebas de la sta-

tion, de randonner dans plusieurs sites magnifiques

tels le Mont Branca, la Baie Américaine ou la

Grotte du Géographe sur le plateau Jeannel, et

d’entrevoir des lieux atypiques, royaumes de la

mer et du vent, où s’ébattent en liberté albatros,

pétrels, skuas et autres cormorans. Les plateaux

rocailleux dénudés sont recouverts par endroits

d’azorelles, qui forment à même le sol de grands

coussins verts très sensibles au piétinement.

Autre espèce végétale emblématique : le chou de

Kerguelen, endémique des îles subantarctiques

Kerguelen, Heard, Crozet et Marion.

Notre séjour à Crozet ayant pris fin, le voyage de

retour a été en soi une autre aventure, puisque

nous avons embarqué sur le Léon Thévenin,

câblier de France Telecom Marine, qui nous a

conduits jusqu’au Cap en Afrique du Sud après

cinq jours de mer. Deux jours plus tard, nous

nous sommes envolés vers La Réunion, via

Johannesburg, des souvenirs plein la tête et des

milliers de photographies enregistrées sur nos

cartes mémoire et disques de stockage numé-

rique.

Dans le prochain numéro de BAT’CARRE, nous

vous ferons partager notre expérience de douze

jours à Europa, où nous avons bénéficié il y a

quelques semaines du temps nécessaire pour

réaliser un reportage beaucoup plus complet. La

vie en liberté d’espèces aussi magnifiques que les

fous à pieds rouges, les tortues vertes et, dans les

îles subantarctiques, les éléphants de mer, les

papous… A l’heure où les scientifiques tirent la

sonnette d’alarme sur les inquiétantes dégrada-

tions environnementales qui rongent notre

planète, et insistent sur l’urgence qu’il y a dès

aujourd’hui à agir tous ensemble pour en limiter

les causes, les TAAF nous montrent qu’il existe

encore au XXIe siècle des zones du globe prati-

quement intactes, et donnent la mesure de ce

que nous risquons de perdre définitivement,

dont la valeur est inestimable : des écosystèmes

très peu perturbés par l’intervention humaine où

l’on découvre émerveillé les fragiles richesses

d’une nature encore à l’état pur.

LA MISSION DES TAAF

75 · TAAF

LES MANCHOTS ROYAUXJUVÉNILES SE RECONNAISSENTA LEUR FOURRURE ROUSSE

Page 78: Bat'Carré N°10

LA MISSION DES TAAF

Les TAAF sont une collectivité française d’outre-

mer créée le 6 août 1955 et dont le siège admi-

nistratif se trouve sur l’île de La réunion, sous la

responsabilité d’un préfet. L’administration

supérieure des TAAF gère 2,39 millions de km²

de zones économiques exclusives, soit la deuxième

zEE de France après la Polynésie française.

Ces immenses espaces protégés sont riches d’une

biodiversité terrestre et marine remarquable.

L’isolement géographique, les conditions clima-

tiques et une occupation humaine historique-

ment très limitée ont contribué au développement

d’un fort endémisme et à des adaptations sin-

gulières de la faune et de la flore. Par exemple,

certaines Iles Eparses abritent des écosystèmes

parmi les plus diversifiés et complexes de la

planète, comme les mangroves ou les récifs

coralliens fossiles. Avec près de 15 000 tortues al-

lant pondre chaque année sur ses plages, l’île

d’Europa est le premier site de ponte de tortues

vertes de l’océan Indien. Ces îles tropicales sont

reconnues en tant que stations de référence au

niveau mondial. Autre exemple, celui des îles

subantarctiques françaises : le caractère unique de

leur patrimoine naturel a donné lieu à la créa-

tion en 2006 de la réserve naturelle nationale

des Terres australes françaises, qui est la plus

grande réserve naturelle de France et la princi-

pale zone humide protégée d’Europe, avec 700

000 hectares terrestres et 1 570 000 hectares de

domaine maritime.

Sanctuaires de la faune et de la flore couvrant

presque toutes les latitudes de l’hémisphère sud,

les TAAF représentent des laboratoires uniques

pour la recherche sur les grands enjeux de la pla-

nète. De nombreuses expéditions scientifiques

sont conduites tout au long de l’année dans ces

territoires en partenariat avec l’Institut polaire

français Paul-Emile Victor (IPEV), et divers tra-

vaux sont menés avec le CNrS, le Centre na-

tional d’études spatiales (CNES), Météo France...

En moyenne, 225 chercheurs français et étran-

gers se rendent dans les TAAF chaque année pour

œuvrer à travers une soixantaine de pro-

grammes.

TAAF · 76

BRUNO MARIEET STÉPHANIE LÉGERON

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VIEILLES CLÉS, NOUVEAUX POUVOIRS

On retrouve la famille Locke dans ses démêlés avec les clefs magiques de leur demeure et les tentatives de Zack de s’approprier ces clefs et leurspouvoirs… Série fantastique à plus d’un titre, Locke & Key est la nouvelle référence du genre. Le tome 4 est dans la même veine d’excellence que les trois premiers. Si vous appréciez l’idée d’utiliser des clefs pour ouvrir des têtes ou devenir un oiseau, ne manquez pas la lecture de cette série. Vivement la suite !

TITRE Locke & Key Tome 4 : Les clés du royaumeSCÉNARIO Joe HillILLUSTRATION Gabriel RodriguezÉDITEUR Milady Graphics

TÉMOIGNAGES ET RÉFLEXIONS

Périple kafkaïen et tragique de l’exilé N°214 qui doit justifier sa demanded’asile. Retour sur le passé, les ombres de sa famille « voix des aimés que la vie exila » le poussent à ne pas oublier. Les monstres aux différents visages, passeurs, escrocs… donnent une image des étapes effrayantes que subissent ceux qui s’embarquent dans ce voyage, parfois du non-retour« nous ne sommes qu’un petit tas d’os ». Hippolyte déborde d’imaginationpour rythmer cet enfer onirique en jouant sur les contrastes de planches en noir et blanc, aux ambiances froides, à la luminosité solaire avec des dessins totalement épurés et d’autres foisonnant de détails. Une belle équipe où l’illustration et le scénario fonctionnent à merveille pour nous interpeller énergiquement sur ce que l’actualité noie dans sontourbillon déshumanisé..

TITRE Les OmbresSCÉNARIO Vincent ZabusILLUSTRATION HippolyteÉDITEUR Phébus

MANGA ET RENAISSANCE ITALIENNE

Archevêché de Pise, fin du XV e siècle, Cesare Borgia, toujours étudiant,laisse entrevoir ses ambitions et ses capacités à manipuler son entourage.Cesare est une œuvre rare : foisonnante, documentée, précise. Fuyumi Soryo (Eternal Sabbath) s’est adjoint les services d’un universitaire,spécialiste de la Renaissance italienne. Un grand soin est apporté à tout le contexte historique et visuel sans jamais perdre le lecteur. En complément, des notices explicatives permettent de bien comprendreles méandres de l’époque. Le paradoxe, une bande dessinée japonaise relate avec précision l’Histoire européenne !

TITRE Cesare, Il Creatore che ha distruttoSCÉNARIO ET ILLUSTRATION Fuyumi SoryoSUPERVISION Motoaki HaraÉDITEUR Ki-oon

DREAM, MORPHÉE, ONEIROS...Après avoir récupéré ses attributs de maître des rêves dans le tome précédent, le Sandman se voit remettre la clef du domaine des Enfers suite au départ de Lucifer. Ne voulant pas de cette charge, il décide de donner les Enfers au plus méritant. Réédition d’une œuvre culte de la bande dessinée mondiale. À tous ceuxqui n’ont jamais eu l’occasion de poser les yeux sur cette œuvre magistrale,allez-y, foncez ! Le récit et les dessins sont riches ; le travail fourni par l’éditeur est de grande qualité et de nombreux bonus agrémentent le tout.Incontournable !

TITRE Sandman Volume IISCÉNARIO Neil GaimanILLUSTRATION Kelley Jones et al.ÉDITEUR Urban Comics

RENDEZ-VOUS BD · 78 SÉLECTION PATRICE

EN COLLABORATION AVEC LES BULLES DE L’OCÉAN INDIEN

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