Amylose cutanée et polyarthrite rhumatoïde : à propos d’un ...

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62 Revue Marocaine de Rhumatologie CAS CLINIQUE Résumé L’amylose est une maladie rare qui peut toucher un grand nombre d’organes de manière très variable. Elle se caractérise par une accumulation de dépôts tissulaires de protéines capables d’adopter une conformation fibrillaire anormale (dite substance amyloïde) et dont la structure ß plissée résiste à la protéolyse. On distingue l’amyloses AL (primitive) isolée ou associée au myélome, dont fait partie souvent le lichen amyloïde, et l’amylose AA (secondaire ou réactionnelle) à une infection, inflammation chronique, tumeurs ... L’association de la forme secondaire à la polyarthrite rhumatoïde reste la plus fréquente. Cependant l’association de la polyarthrite rhumatoïde au lichen cutané est rare et peu décrite dans la littérature. Nous rapportons l’observation d’un homme de 61 ans suivie depuis 2O ans pour une polyarthrite rhumatoïde séropositive déformante et destructrice. Il présente depuis 2 ans des plaques érythémato- papulo-squameuses étendues sur la face antérieure des 2 jambes. La biopsie cutanée était en faveur d’un lichen amyloïde. Le bilan d’extension ne trouvait pas d’atteinte systémique. MOTS CLÉS : 6 cas, polyarthrite rhumatoïde ; lichen cutané ; amylose primitive. Abstract Amyloidosis is unusual disease that can affect many organs in a highly variable way. It is characterized by an accumulation of tissue deposits of proteins able to adopt an abnormal fibrillar conformation (called amyloid substance) and of which the β-pleated structure is resistant to proteolysis. We distinguish amyloidosis AL (primitive) isolated or associated with myeloma, of which often belongs amyloid lichen and amyloidosis AA (secondary or reactive), with an infection, chronic inflammation, tumors... The combination of the secondary form to rheumatoid arthritis remains the most common. However, the association of rheumatoid arthritis to cutaneous lichen has rarely been described in the literature. We report the observation of a 61 years old man followed for 20 years for rheumatoid arthritis that is deforming and destructive. He has been present for 2 years an erythemato-papulo- squamous plates spread on the anterior face of the 2 legs. The cutaneous biopsy was in favour of an amyloid lichen. The extensive assessment did not find any systemic impairment. Key words : rheumatoid arthritis; cutaneous .lichen; primary amyloidosis Correspondance à adresser à : Dr. T .Youssoufi Email : tarikyoussoufi[email protected] Disponible en ligne sur www.smr.ma Amylose cutanée et polyarthrite rhumatoïde : à propos d’un cas. Cutaneous Amylosis and Rheumatoid Arthritis: About a case Hasna Hassikou 1 , Tarik Youssoufi 1 , Jamila Essouiri 1 , Fatima Zahra Haddani 1 , Jalal El bennaye 2 , Fatima Tabache 1 1 Service de Rhumatologie, Hôpital Militaire Moulay Ismail, Meknès-Maroc 2 Service de Dermatologie, Hôpital Militaire Moulay Ismail, Meknès-Maroc Rev Mar Rhum 2018; 62: 5 DOI: 10.24398/A.272.2018 La Polyarthrite rhumatoïde est considérée actuellement comme la première cause d’amylose secondaire, après la diminution de la fréquence des infections chroniques avec l’avènement des antibiotiques [1,2]. L’amylose cutanée fait partie des formes primitives (amylose AL), et son association à une polyarthrite rhumatoïde reste de loin une situation rarement rencontrée.

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CAS CLINIQUE

RésuméL’amylose est une maladie rare qui peut toucher un grand nombre d’organes de manière très variable. Elle se caractérise par une accumulation de dépôts tissulaires de protéines capables d’adopter une conformation fibrillaire anormale (dite substance amyloïde) et dont la structure ß plissée résiste à la protéolyse.On distingue l’amyloses AL (primitive) isolée ou associée au myélome, dont fait partie souvent le lichen amyloïde, et l’amylose AA (secondaire ou réactionnelle) à une infection, inflammation chronique, tumeurs ... L’association de la forme secondaire à la polyarthrite rhumatoïde reste la plus fréquente. Cependant l’association de la polyarthrite rhumatoïde au lichen cutané est rare et peu décrite dans la littérature.Nous rapportons l’observation d’un homme de 61 ans suivie depuis 2O ans pour une polyarthrite rhumatoïde séropositive déformante et destructrice. Il présente depuis 2 ans des plaques érythémato-papulo-squameuses étendues sur la face antérieure des 2 jambes. La biopsie cutanée était en faveur d’un lichen amyloïde. Le bilan d’extension ne trouvait pas d’atteinte

systémique.

MotS CLéS : 6 cas, polyarthrite rhumatoïde ; lichen cutané ; amylose primitive.

AbstractAmyloidosis is unusual disease that can

affect many organs in a highly variable way.

It is characterized by an accumulation of

tissue deposits of proteins able to adopt an

abnormal fibrillar conformation (called amyloid

substance) and of which the β-pleated structure

is resistant to proteolysis.

We distinguish amyloidosis AL (primitive)

isolated or associated with myeloma, of

which often belongs amyloid lichen and

amyloidosis AA (secondary or reactive), with

an infection, chronic inflammation, tumors...

The combination of the secondary form to

rheumatoid arthritis remains the most common.

However, the association of rheumatoid

arthritis to cutaneous lichen has rarely been

described in the literature.

We report the observation of a 61 years old man

followed for 20 years for rheumatoid arthritis

that is deforming and destructive. He has been

present for 2 years an erythemato-papulo-

squamous plates spread on the anterior face of

the 2 legs. The cutaneous biopsy was in favour

of an amyloid lichen. The extensive assessment

did not find any systemic impairment.

Key words : rheumatoid arthritis; cutaneous.lichen; primary amyloidosis

Correspondance à adresser à : Dr. T .YoussoufiEmail : [email protected]

Disponible en ligne sur

www.smr.ma

Amylose cutanée et polyarthrite rhumatoïde : à propos d’un cas.Cutaneous Amylosis and Rheumatoid Arthritis: About a case

Hasna Hassikou1, Tarik Youssoufi1, Jamila Essouiri1, Fatima Zahra Haddani1, Jalal El bennaye2, Fatima Tabache1

1 Service de Rhumatologie, Hôpital Militaire Moulay Ismail, Meknès-Maroc

2 Service de Dermatologie, Hôpital Militaire Moulay Ismail, Meknès-MarocRev Mar Rhum 2018; 62: 5DOI: 10.24398/A.272.2018

La Polyarthrite rhumatoïde est considérée actuellement

comme la première cause d’amylose secondaire, après la

diminution de la fréquence des infections chroniques avec

l’avènement des antibiotiques [1,2]. L’amylose cutanée

fait partie des formes primitives (amylose AL), et son

association à une polyarthrite rhumatoïde reste de loin

une situation rarement rencontrée.

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obSERvAtIoN

Il s’agit de Mr C.A. âgé de 61 ans, sans antécédent pathologique notable. Il est suivi pour une polyarthrite rhumatoïde séropositive déformante et destructrice depuis 2O ans. L’atteinte articulaire a intéressé les petites articulations des mains avec respect des interphalangiennes distales et les grosses articulations notamment poignets et épaules. Sur le plan biologique, Il avait un syndrome inflammatoire marqué, un bilan immunologique positif (anticorps anti peptides citrulinés > 200 U/ml) et des lésions destructrices au niveau des radiographies des mains et des avants pieds. L’évolution de la maladie était marquée par la survenu d’une sclérite nécrosante de l’œil gauche compliquée de perforation, et par une ostéoporose secondaire. Il était traitée successivement par : Nivaquine prise en 1999 et arrêtée pour toxicité visuelle, Methotrexate 25 mg/semaine pendant 2 ans arrêté en 2002 pour intolérance digestive. Un traitement biologique à base de Rituximab (Mabthéra) a été instauré en 2010. Ce biologique était associé à la salazopirine vu l’intolérance au méthotrexate.

L’évolution était satisfaisante aussi bien sur le plan clinique et biologique, mais au terme de 2 ans de traitement, le patient rapporte des poussées articulaires récurrentes améliorées par la prise d’AINS se traduisant par une polyarthrite bilatérale fixe symétrique additive intéressant les grosses et petites articulations, et des cervicalgies inflammatoires, associées à des lésions cutanées prurigineuses bilatérales intéressants la face antérieure des jambes. Le tout évoluant dans un contexte d’apyrexie et de conservation de l’état général.

L’examen ostéoarticulaire objective des déformations en coup de vent cubital des 2 mains, un pouce en Z, une boutonnière du 5ème doigt bilatéral, un indice articulaire à 16 et un indice synoviale à 8.

L’examen cutané objective des plaques érythémato-papulo-squameuses prurigineuses étendues sur la face antérieure des 2 jambes (figure 1), sans œdème distal. Il n’y avait pas d’autres lésions sur le reste du tégument.

Le reste de l’examen somatique, à la recherche d’autres localisations d’amylose ainsi qu’une autre étiologie bénigne ou maligne à ces lésions cutanées, était normal. Notamment il n’y avait pas d’hépato-splénomégalie, d’adénomégalie, de macroglossie, et l’examen cardio-vasculaire et pleuro-pulmonaire étaient sans anomalie.

Un avis dermatologique a été sollicité et une biopsie

cutanée a été réalisée. Celle ci mis en évidence un derme papillaire élargi par un matériel éosinophile amorphe et floconneux extra cellulaire et d’abondance variable d’un territoire à l’autre. Ce matériel apparaît rouge en coloration rouge Congo (figure 2), avec biréfringence jaune verte en lumière polarisée (figure 3). L’examen a conclu à un lichen amyloïde. Mis sous dermocorticoïdes avec bonne évolution.

Dans le but de chercher d’autres localisations d’amylose et de découvrir une association à certaines pathologies, un bilan a été fait comprenant :

Un bilan rénal : créatinine à 9 mg/l (7-12), protidémie à 79 g/l (64-83), protéinurie de 24h à 166mg/24H (20-140). L’hémogramme, le bilan hépatique, l’échographie abdominale ne décelaient pas d’anomalie.

L’électrophorèse des protéines et l’immuno-fixation des protéines plasmatique et urinaire, le dosage de la beta 2 microglobuline, les marqueurs tumoraux (CA125, ACE, CA19-9 et alpha foetoprotéine) et les sérologies virales (HIV, hépatite B et C) étaient normaux. La Radiographie pulmonaire de face, la TDM cervico-thoraco-abdomino-pelvienne, et le bilan cardiaque (électrocardiogramme et

échographie cardiaque) étaient sans anomalie.

Les AC anti SSA et SSB et anti nucléaires étaient négatifs. La biopsie des glandes salivaires a objectivé une discrète sialadénite chronique non spécifique, sans dépôts amyloïdes, ni granulome, ni vascularite.

DISCUSSIoN

L’amylose cutanée localisée est caractérisées par le dépôt

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Figure 1 : Lésions papulo-squameuses érythémateuses de la face antérieure des jambes chez notre patient.

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de protéines amyloïdes ou amyloid-like dans le derme. Elle comporte plusieurs entités incluant l’amylose maculaire et le lichen amyloïde [3]. L’amylose cutanée nodulaire localisée constitue une entité à part ; elle est rare et se distingue des autres types par un dépôt dermique de chaine légère d’immunoglobuline (Ig).

Le lichen amyloïde est une forme primaire d’amylose cutanée localisée qui se manifeste cliniquement par des papules hyperkératosiques érythémateuses ou brunâtres.

L’association amylose cutanée localisée et polyarthrite rhumatoïde est rare. Un seul cas semble être rapporté dans la littérature en Bulgarie par Tchernev et all. Il s’agit d’une femme de 80 ans présentant depuis 2 ans une histoire clinique très évocatrice de polyarthrite rhumatoïde mais

jamais diagnostiquée. L’apparition de lésions cutanées à type de papules erythémato-prurigineuses au niveau des deux jambes concomitante à une poussée d’arthrite touchant les articulations métacarpo-phalangiennes et interphalangiennes proximales a conduit au diagnostic de polyarthrite rhumatoïde séropositive associée à un lichen cutané. Les lésions cutanées ont bien évolué sous dermocorticoïdes et la malade fut référée en rhumatologie pour prise en charge de sa polyarthrite rhumatoïde.

La manifestation clinique de l’amylose cutanée localisée est pratiquement indiscernable de celle de l’amylose systémique primitive et du myélome. Cependant ces derniers se distinguent sur le plan histologique par une infiltration locale de cellules plasmatiques avec des chaines légères d’Ig dérivée d’une para protéine circulante [4]. Ces lésions cutanées peuvent se voir chez plus de 40% des patients atteints d’amylose systémique primitive ou myélome.

En revanche, dans le lichen amyloïde, il s’agit de dépôts tissulaires de peptides kératiniques de kératinocytes nécrotiques [5]. La prédisposition familiale a également un rôle pathogène [6].

Bien que l’étiologie ne soit pas entièrement comprise, une irritation chronique de la peau a été proposée comme facteur étiologique possible [7].

Les rayures chroniques sont considérées comme une cause de dommages des kératinocytes dans le lichen amyloïde. Les dépôts amyloïdes chez les patients atteints de lichen amyloïde sont principalement limités au derme supérieur et surviennent à cause d’un afflux épidermique focal avec une conversion ultérieure des kératinocytes nécrotiques en amyloïde dans le derme papillaire.

Cela persiste pendant de nombreuses années associé à un prurit intense, mais une variante asymptomatique a également été rapportée dans la littérature [8,9].

Les diagnostics différentiels évoqués devant ces lésions cutanés chez notre patient étaient : une sarcoïdose cutanée, une hyperplasie lymphoïde bénigne, un lymphome cutané et à moindre degré une vascularite. Toutes ces pathologies ont été écartées suite aux bilans biologiques et histologiques réalisés. Le diagnostic de l’amylose est confirmé par la biopsie cutanée. Ainsi l’étape suivant le diagnostic est la recherche d’une éventuelle atteinte systémique. Pour cela un bilan initial s’avère indispensable. Il doit comprendre au minimum un hémogramme, un bilan rénal et hépatique, une protéinurie de 24h, une électrophorèse des protéines et immun fixation des protéines sériques et urinaires, un

Figure 2 : Présence de dépôts amyloïdes, éosinophiles et acellulaires autour de structures glandulaires (rouge Congo).

Figure 3 : En lumière polarisée, les dépôts sont bi-réfringents et apparaissent jaune verts.

CAS CLINIQUEH. Hassikou, et al.

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dosage de la beta 2 microglobuline, une radiographie thoracique, un électro cardiogramme, une échographie cardiaque et abdominale.

Même en cas de bilan initial négatif, comme c’est le cas chez notre patient, des progressions vers des atteintes systémiques ont été décrite avec un risque estimé à 7% dans l’amylose nodulaire cutanée localisée [10-11].

Il n’y a pas de recommandation concernant la surveillance des patients et la fréquence des examens complémentaires.

Le traitement fait appel essentiellement aux stéroïdes en topique. En cas d’évolution défavorable, le traitement chirurgical utilisant la méthode de dermabrasion ou scapel scrapping peuvent être indiqués.

CoNCLUSIoN

Cette association est rare et probablement liée à une forme indéfinie de dérèglement auto-immune; contrairement à la coexistence de la polyarthrite rhumatoïde et amylose systémique qui est fréquente, mais dont la relation pathogénique demeure inconnue.

S’agit-il de la manifestation initiale d’une amylose systémique ?

La rareté de ces lésions cutanées et les données limitées de la littérature concernant cette association ne permettent pas d’apporter des réponses dans l’immédiat. Toutefois la surveillance s’impose.

DéCLARAtIoNS D’INtéRêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements A tous les auteurs qui ont participé à l’élaboration de ce travail.

RéféRENCES

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Response and survival in 64 patients. Medicine (Baltimore)

1991;70:246–56

3. Gertz MA, Kyle RA. Secondary systemic amyloidosis.

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