Amaury Cullard de Ce Que Nous Apprennent Les Sujets Psychotiques

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fonction du symptome dans la psychose

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  • De ce que nous apprennent les sujets psychotiques

    Amaury Cullard. 7 Juin 2008.

    A quels psys pourrons-nous nous fier demain?

    Se fier , vient du latin fidere , qui signifie avoir confiance, donner sa confiance quelquun. Confiance est un terme emprunt du latin confidentia et driv de confidere , confier. La confiance correspond une esprance ferme que l'on place en quelqu'un, en quelque chose, une certitude de la loyaut d'autrui1.

    A partir de ces deux dfinitions succinctes, il me semble que la question importante est celle des conditions ncessaires la mise en place dun lien entre le sujet et un autre.

    La nature et la pluralit de la formation du psy conditionnent grandement la nature du lien quil va pouvoir tablir. Lorientation et le type de pratique choisi feront que le psy occupera une position particulire par rapport au savoir et au sujet.

    Lapplication dun savoir dont les outils sont standardiss et dont le psy se considre comme le dtenteur engendre t-elle un lien comparable une pratique du singulier qui situe le savoir du ct des sujets ? Je ne le crois pas. Cela reviendrait dire que technicien et clinicien sont des termes quivalents.

    Or, les personnes que nous prenons en charge, leur demande ou non, sont directement concernes par cette question. Ce sont elles qui subissent les consquences de nos orientations thoriques.

    Les jeunes sujets psychotiques et autistes avec lesquels je travaille au sein de linstitution du Courtil en Belgique nous enseignent sur ce point. Je vais essayer de vous transmettre ce quils mont appris des conditions ncessaires ltablissement dun lien.

    La logique du transfert dans la psychose est particulire2. Le nvros place lobjet de son dsir, lorigine de son manque, dans lAutre. Le sujet psychotique est quant lui, du fait de la non extraction de lobjet a, la cible du dsir de lAutre. Le mouvement du transfert se trouve invers, il ne va pas du sujet lAutre mais de lAutre vers le sujet. De ce fait, il est particulirement complexe de nouer un lien apais avec lui. Toute marque de dsir, toute position de savoir peut venir viser ltre mme du sujet et rompre toute attache prexistante.

    1 http://www.academie-francaise.fr/dictionnaire/

    2 Logique du transfert dans la psychose , Alfredo Zenoni, Les Feuillets du Courtil numro 27,

    Prsences du Transfert . www.courtil.be/

  • S A a

    NEVROSE

    S A a

    PSYCHOSE

    Technicien ou clinicien ?

    Le technicien est un professionnel matrisant un ensemble de mthodes ayant pour but, classiquement, la modification de la matire. Dans notre champ, la matire en question est un tre humain.

    Dans le cas de l approche ABA3, c'est--dire Applied Behavior Analysis ou analyse applique du comportement en franais, l outil est une loi dmontre , celle de leffet de Thorndike :

    Un comportement suivi de consquences agrables sera reproduit alors quun comportement suivi de consquences dsagrables ou nayant pas de consquence ne rapparatra pas.

    Lutilisation du mot loi , implique une constante vrifiable exprimentalement. La loi sapplique donc son objet qui y est soumis. Cela fonctionne donc chaque fois.

    Il sagit alors de choisir pour le sujet des priorits et des objectifs , sans se soucier de son avis, dans le but de ladapter au maximum une norme. Le modus operandi consiste augmenter les comportements adapts , faire diminuer les comportements inadapts et apprendre de nouveaux comportements .

    Comment, selon le site ABA France, faire diminuer un comportement inadapt chez une personne autiste ? Voici lun de leurs exemples concernant la technique de l extinction sensorielle :

    Lorsquun enfant sauto-stimule en regardant un fil dans la lumire (stimulation visuelle), nous lui appliquons une main devant les yeux. Comme lenfant na plus accs aux stimulations visuelles, sous extinction, il arrte dmettre ce comportement.

    3 http://www.aba-france.com/abafrance/index.php

  • Cest, semble t-il, de tels techniciens que le gouvernement franais4 veut essentiellement confier les sujets autistes selon le nouveau Plan Autisme France 2008-2010 . Ces techniciens affirment leur efficacit et, de plus en plus, nous voyons dans les journaux tlviss des reportages5 montrant quelques temps dcart des enfants hurlants devenir sages comme des images . Oui, ils paraissent normaliss mais au prix de leur subjectivit sans doute.

    Jai pu observer que les jeunes autistes qui rsistent ces mthodes sont envoys dans les rares institutions dorientation lacanienne en France ou ltranger comme le Courtil. LEtat nous adresse certains sujets en dsespoir de cause. Soit nous les prenons en charge, soit ils sont orients vers un hpital psychiatrique. Les limites des thrapies cognitivo-comportementales ne semblent pas tre les ntres.

    Le clinicien, quant lui, apprend au chevet du patient. Autrement dit, il est celui qui pose des questions ou qui attend des indications de la part du sujet. Nous pourrions le dire partenaire , secrtaire6 , rptiteur de la parole du sujet, co- inventeur 7. Car le clinicien adopte la position qui convient au sujet, qui lui est supportable, voire indispensable toute mise en place dun lien.

    Y a t-il des techniques cliniques?

    Il y a bien quelques formules, des marottes, qui circulent dans les institutions o les professionnels sorientent de la psychanalyse dorientation lacanienne. Cest heureux car elles peuvent tre un premier point dappui mais il ne sagit pas de formules magiques, le sujet ny est pas soumis priori. Cela rate et mme souvent. Mais le clinicien apprend du ratage, il ne llimine pas, il en fait mme la base dun rapport nouveau loccasion.

    Voici quelques exemples :

    - Etre un autre rgl :

    Cela signifie tre un autre dont la jouissance est limite par une loi, par un rglement parfois incarn par un tiers. Un tel positionnement permet au sujet psychotique de se trouver protg dtre lobjet de la satisfaction de lAutre.

    Alors que je fume dans la cour du groupe dans lequel je travaille, Anthony se jette sur moi et me frappe violemment. Aprs avoir mis des paroles l o seul le coup pouvait advenir pour ce sujet, il mexplique : Ben oui ! Cest interdit de fumer dans le groupe, moi je naime pas la fume et Monsieur le directeur il interdit a ! . Nous ne sommes effectivement pas autoriss fumer dans les btiments. Le rglement a sans doute t mal nonc ou mal compris. Il ny a pas de diffrence pour Anthony entre fumer lintrieur ou lextrieur. Ce que cet enfant nous apprend est avant tout limportance de la rgle pour lui, son rle pacifiant dans le rapport quil entretient aux autres. Ici, je ntais donc plus rgl pour lui, ma fume, dans ces conditions, le vise. Le choix dont dispose cet enfant psychotique est alors, soit de se faire lobjet de

    4 http://www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/PLAN_AUTISME_Derniere_version.pdf

    5 http://www.fondation-autisme.org/content/blogcategory/31/81/

    6 Les Psychoses , Jacques Lacan, Sminaire 3.

    7 Linvention psychotique , Jacques-Alain Miller, Quarto 80/81.

  • lAutre et ainsi de disparatre en tant que sujet, soit de dtruire cet Autre. Jaurai pu directement expliciter nouveau la rgle mais je nai pas fait ce choix. Me basant sur laccent quAnthony a mis sur la personne du directeur, je lui ai dit que jallais crire une lettre ce dernier pour mexcuser de ne pas avoir suivi le rglement et lui ai propos de my aider. Jai tout de mme rappel cet enfant que les coups eux-mmes taient interdits et il en a convenu. Un lien pacifi a pu ainsi se renouer. La rgle concernant la cigarette fut explique nouveau par lune de mes collgues quelques temps aprs.

    - Sadresser plutt aux sujets de manire indirecte ou la cantonade :

    Cela peut permettre de ne pas trop viser certains sujets qui ne peuvent le supporter.

    Un soir en rentrant dune activit, je trouve dans le couloir une collgue en difficult avec une jeune fille du groupe. Elle se colle elle, crie et ne la lche pas. Plutt que de les sparer de force, je madresse ma collgue. Je lui dis quil est inacceptable quelle nait pas encore propos aux enfants de prendre leur bain. La jeune fille cesse de crier et se met distance lorsque je parle. Elle me regarde puis me dit : Non mais vraiment tes con ! Tu crois que cest comme a que tu vas me faire faire quelque chose ? Je ne suis pas comme les autres enfants qui ne comprennent pas pourquoi vous parlez comme aJe sais bien que vous parlez de moi . Je lui fais mes excuses tout en lui rappelant quelle a tout de mme le droit de prendre un bon bain. Elle rpond : Bon allez, Amaury, un dessin et tu me fais couler mon bain .

    Ici, ma premire intervention a leffet escompt, la jeune fille peut sparer son corps de celui de ma collgue. Sa raction montre bien quelle nest pourtant pas dupe de mes paroles, elle sait en tre la cible. Nous avons ici un bel exemple de traitement de lautre par lironie psychotique. Il est ncessaire de se plier son jugement et cest pourquoi je mexcuse, jaccepte dtre le con . Finalement nous sommes galit, cest du 50/50, elle a pu se calmer mais je suis con . Il en va de mme pour ma proposition daller prendre un bain. Elle laccepte condition dintroduire elle-mme une tape supplmentaire laquelle je me plie. Ainsi, elle ne se soumet pas demble ma parole. Cette jeune fille, en dnonant avec ironie les manuvres de lautre et en dcalant ma proposition vite de se trouver en position dobjet.

    Vers le lien Linvention conjointe.

    Pour crer un lien de confiance avec les sujets psychotiques ou le maintenir, ces quelques repres pratiques ne suffisent pas. Les enfants avec lesquels je travaille mont enseign mettre le savoir de leur ct, ne pas savoir pour eux. Il ne faut pas considrer que ce qui a restaur un lien le fera quinze minutes plus tard, ni non plus transposer automatiquement la solution dun sujet un autre. Il y a couter la parole du sujet et lentendre comme un indice, une piste suivre

    Il me semble que rien nempche que de telles leons venant de la clinique quotidienne soient enseignes au sein de luniversit. Il est vrai que professeur ne rime pas ncessairement avec clinicien, mais lintervention de consultants extrieurs est toujours possible.

  • Valentin : vers lchange de parole.

    Valentin est autiste. Il parle peu, met quelques bruits et semble mimer de nombreux personnages dont il ne dit rien directement. Il demande dessiner rgulirement et son corps est alors apais. Lors de sa pr-admission, Valentin me parle de ses jeux pokmons, de leurs volutions, des pouvoirs de chacun8. Alors que nous gotons ensemble, il me dit quil voudrait avoir un Pikachu, un Rachu, un Steelix et bien dautres pokmons mais quil ne peut pas. Je linvite venir avec moi dans la salle ordinateur afin de chercher des modles sur internet. Il accepte et lorsque nous trouvons le pokmon qui lui convient il souhaite limprimer. Malheureusement, limprimante est en panne. Je prends une feuille blanche que je pose directement sur lcran et commence dcalquer limage. Il mobserve attentivement. Lorsque je termine il dit : Cest bien ! Ouais ! Super ! Je suis un dessinateur Pokmon et toi aussi ! . Je rpte ses mots : oui, il est bien un dessinateur pokmon et moi aussi. Il va colorier son dessin puis le dcoupe sur le trait avec un soin impressionnant. A partir de ce jour, Valentin demande faire plusieurs dessins selon cette technique quotidiennement. Nanmoins, nous avons limit les choses afin quil ne se trouve pas encombr et Valentin laccepte. Un travail dextraction a eu lieu qui permet cet enfant de ne plus incarner lun ou lautre des pokmons. Cest le dessin dcoup qui bouge maintenant. Nous pouvons aussi observer que Valentin nous parle de plus en plus chaque jour. Dessiner lapaise nous lavions dj not. Parler en passait dans un premier temps par le thme des pokmons. Suivre la solution du sujet cest laccompagner et lui proposer une connexion indite partir de ses signifiants. Valentin sest appropri cette invention. Il est le dessinateur de pokmons et exporte cette activit chez lui. Depuis, il parle aussi beaucoup plus ses parents et ne se replie plus sur sa gameboy pendant des heures. Enfin, rgulirement, avant que je parte, moment habituel du dessin journalier, Valentin vient me trouver. Il me dit tout sourire : Cest impossible que tu partes sans avoir fait un dessin . Lorsque jacquiesce et donc que je me plie cette obligation, il arrive souvent quil me rponde : Je te fais confiance hein ? Et toi aussi tu me fais confiance ! .

    Jordan ou comment attendre deux.

    Jordan ne supporte pas lattente, le report dune demande. Lorsquil djeune, une fois la dernire bouche avale, il doit aller dans lautre partie du groupe qui nest accessible quune heure plus tard car occupe par dautres jeunes qui doivent aussi pouvoir manger tranquilles. Toute parole est entendue comme un refus capricieux de notre part. Notre corps, notre regard sont alors insupportables. Jordan nous agresse ou seffondre c'est--dire quil tente de dtruire lAutre qui le vise ou disparat devenant lobjet de celui-ci. Une solution quil avait mis en place pour pouvoir sinstaller table et manger tait un jeu : il cachait un objet dans une serviette puis nous la donnait comme si cela tait un cadeau merveilleux. A lintrieur, nous trouvions un dchet. Notre dception

    8 Pour plus dinformations (se sont les deux sites que Valentin consulte) :

    http://www.pokebip.com/pokedex/pokeliste1__liste_des_pokemon.html http://www.pokemontrash.com/diamant-perle/pokedex_diamant_perle.php

  • thtralise lapaisait et le faisait rire. Lui proposer une activit ou la commencer sans en passer par une parole, en esprant quil nous rejoigne, ne lui permet pas dattendre. Dernirement, je remarque que, lorsquil me demande de passer de lautre ct, ses phrases se terminent toujours par un hein ? appuy. Sans rflchir vraiment, je lui rponds sans mettre dintonation particulire dans ma voix et sans le regarder directement: Deux. Il rpte son hein ? . Je ritre mon deux . Cela dure environ une minute. Il finit par me rpondre : Trois . Je le regarde et dis Dix mille . Il sourit en rptant. Nous changeons alors de nombre ou de chiffre de manire alatoire. Au bout dun certain temps, aprs quil ait donn lui-mme un chiffre, je lui dis quil a gagn et fais semblant de pleurer. Il rie et recommence ce jeu . Aprs vingt minutes, il propose dautres jeux plus conventionnels et attendra sans problme quarrive lheure de pouvoir se rendre de lautre ct. Il commence mme demander combien de minutes il doit attendre. Le passage par les nombres est apaisant. Jordan utilise dornavant rgulirement cette invention.

    L encore il a fallu entendre le sujet et proposer indirectement une connexion indite en sappuyant sur la solution de Jordan qui est le jeu. En effet, Jordan ne joue pas au dpart, cest son existence en tant que sujet qui est en danger, do la violence de sa raction. Lamputation de lAutre que je suis grce au semblant, lacceptation de la perte, vite dans ce moment dlicat de me faire incarner un Autre plein. Enfin, prendre appui sur ses signifiants, mme sils semblent anecdotiques. Ce hein ? , par un glissement homophonique, permet de crer un espace de parole hors sens. Introduire un aspect ludique et de semblant permet ltablissement dun lien nouveau et apais. Par cette opration, je suis pass du statut dAutre plein celui de partenaire. En effet, Jordan peut me faire confiance pour jouer avec lui quand cela lui est ncessaire.

    Mthode universelle ou pratique de linvention singulire ?

    Il me semble que le travail avec les sujets autistes et psychotiques nous montre la voie suivre. Je pense que nous devrions en tenir compte en ce qui concerne la formation des psys de demain.

    Si la psychopathologie accepte de sorienter exclusivement dun savoir vrifiable et applicable tous, elle ne sera alors plus que lun des agents techniques dun systme dshumanis. Il importe dans le contexte actuel dopposer cette logique du tous semblables, de la norme comme loi, une pratique clinique oriente par une thique du sujet en tant que singulier.

    Lors de mon premier stage, un jeune psychotique me parle pour la premire fois aprs plusieurs semaines defforts me faire tout petit, rgl. Il me demande si je suis stagiaire et si je fais des tudes de psychologie. Je lui rponds quen effet il a raison. Aprs un temps, il se tourne nouveau vers moi : Et tu sais ce que cest dtre psychotique ? . Je fais signe que non. Il sourit et durant lheure qui suit me parle de ce que sont ses difficults, ce quest tre psychotique pour lui.

    Dans le cadre de nos rflexions, je crois que les leons de ces vignettes ne doivent pas tre oublies. Ni aujourdhui, ni demain.