Post on 06-Jul-2018
8/17/2019 Lettre aux mouvements
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Lettre aux mouvements
Rennes, 4 mai 2016
Nous sommes aujourd’hui à Rennes, aux abords
d’une place devenue sanctuaire, une place interdite
aux manifestations depuis deux mois, depuis laquelle
la police a marqué les corps de plusieurs centaines
de personnes. C’est le cycle interminable que nous
vivons depuis plusieurs années à Notre-Dame-des-
Landes, dans les manifestations en ville, dans lebocage que nous habitons et défendons. Mais cette
routine effrayante de la répression, cette nécessité
accrue de blesser les chairs, de briser les histoires
de luttes, est déjà, pour nous qui luttons ensemble,
le miroir d’une vitalité et d’une détermination
nouvelle. Si les deux mouvements contre l’aéroport
et la loi travail sont confrontés à la même répression,
leurs points communs vont bien au-delà. Il s’agit àchaque fois de refuser de soumettre nos existences
aux diktats de l’économie, qui cherche ici ou là
à détruire des lieux de vie pour construire
ses infrastructures, et partout à pressuriser
les conditions de vie et de travail pour
nous rendre encore plus dépendants de
l’argent. Ce qui explose dans la jeunesse
du mouvement contre la loi travail,
ce qui chante dans le cri de ralliement
qu’est devenu la ZAD, peut trouver
à résonner parmi tous ceux qui
n’en peuvent plus de vivre
envoûtés par les
gouvernements.
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La transformation des formes de lutte depuis le début des années
2000 atteste de la défiance généralisée envers la politique
classique. Peu à peu ce qu’on qualifie « d’actes en marge des
mouvements » en sont devenus le cœur. Qui pourra prétendre
aujourd’hui que les cabanes de la ZAD constituent la minoritéactive de la lutte contre l’aéroport quand plusieurs milliers de
personnes viennent aider à les construire ? Qui pour dire que
l’actuel mouvement ressemble aux précédents avec leurs cortèges
de négociations et de grèves reconductibles, quand les seuls
capables de soutenir un rapport de
force semblent être ceux qui prennent
la rue et la défendent face à la police ?
Si ceux qu’on appelle à tout rompre
depuis des décennies « casseurs »sont la cible principale des autorités,
ce n’est pas comme certains
le prétendent parce qu’ils sont
extérieurs au mouvement, mais
précisément parce qu’il faut, pour
le pouvoir, qu’ils le deviennent.
Il n’est pas possible de juger une
personne isolément pour les
manifestations de ces mouvements,
quand nous sommes des milliers à
outrepasser les ordres de dispersion,
à encercler les centres-villes, à subir
les gaz et les tirs de flash-ball. Les
chants, les pierres, les techniques
de protection contre les gaz
lacrymogènes, la force symbolique et
matérielle des tracteurs, les masques,les totems-tritons : comme en
novembre 2012 dans le bois de
Rohanne sur la ZAD, derrière les différents moyens d’expression,
et derrière les débats qu’ils suscitent, c’est un mouvement
commun qui, le temps d’une journée, construit un rapport de force
à même de faire reculer les projets gouvernementaux. Et c’est bien
d’abord cet outrage collectif que la justice cherche à punir.
C’est à cette grossière opération que nos amis se sont trouvés
confrontés, comme tant d’autres avant et après eux. Et dans un
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contexte où les luttent débordent de leur propre cadre, l’appareil
judiciaire est en dernier recours ce qui permet de frapper les
mouvements en leur cœur.
Si les magistrats on toujours prouvé leur capacité à briser des vies,
il faut leur reconnaître cette inclinaison toute particulière à exercerdes condamnations d’une extrême sévérité sans la moindre preuve
valable, et sur la seule foi de profilage et de montage policier.
Déjà depuis plusieurs mois, les actions en justice s’étaient
multipliées contre tout ce qui fait aujourd’hui la force de la lutte
contre l’aéroport. Derrière les attaques
perpétrées en janvier contre les
habitants historiques avec des
procédures d’expulsion, derrière la
saisie des tracteurs et des voitures deceux qui ont choisi de les défendre,
et derrière aujourd’hui la menace de
laisser en prison un habitant de la ZAD
sur les simples allégations d’un expert
spécialisé dans la production de
coupables, nous ne percevons qu’une
seule et même tentative, celle de
couper la lutte de ses attachements.
Deux ans auront suffi pour que les
interdictions de territoire deviennent le
couperet systématique contre tous ceux
qui participent aux manifestations, deux
ans à la justice pour ajuster les peines
à l’impérieuse nécessité que nous avons
de construire dans l’expérience
commune les conditions d’une victoire.
Car après tant de défaites successives,après tant de désillusions, nous avons
appris ces dernières années à retrouver
le goût de la victoire. Nous avons appris à tenir dans un même
geste le fait de descendre dans la rue et de la tenir face aux forces
de l’ordre. Nous avons pris des coups bien sûr, souvent violents,
et même mortels. Nous avons encaissé les multiples renoncements,
les négociations au rabais qui ont terni mouvement après
mouvement la combativité du monde syndical.
La question pour nous maintenant, dans la lente gestation
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de «la lutte contre l’aéroport comme dans l’intensité frénétique
du mouvement actuel, c’est comment on gagne ?
Gagner ne signifie pas arrêter de lutter.
Dans la tradition des négociations de fin de mouvement, qui
doivent déjà faire rage dans les bureaux parisiens, le pouvoira souvent légiféré sur l’ensemble des condamnations issues du
conflit social. Les lois d’amnistie se sont succédé tout au long
du XXème siècle et ce jusqu’en 1994. Aujourd’hui, il ne s’agit pas
de marchander l’arrêt des poursuites contre la fin des troubles
liés aux mouvements. Il s’agit de continuer à faire grandir la force
de ces mouvements pour être en mesure d’imposer cette possibilité.
L’amnistie constitue un socle, un socle depuis lequel penser
comment gagner signifie ramener à nous tous ceux que la prison
garde captifs, tous ceux qui sous le poids d’une condamnationn’osent plus agir, tous ceux qui ont donné de leur courage pour
qu’on soit là aujourd’hui ensemble à partager ce moment.
Nous n’avons pas encore gagné, le chemin sera peut-être encore
long et douloureux, mais nous savons que nous voulons gagner
d’un seul corps, que nos mouvements sont forts, que le pouvoir
les craint comme la peste. Des cabanes de palettes de la ZAD
aux maisons du peuple des centres-villes, des places
occupées aux fermes qui ne veulent pas disparaître,
il nous revient dès à présent de penser l’impossible.
Ceci est une invitation.