Lettre aux mouvements

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    Lettre aux mouvements

    Rennes, 4 mai 2016

    Nous sommes aujourd’hui à Rennes, aux abords

    d’une place devenue sanctuaire, une place interdite

    aux manifestations depuis deux mois, depuis laquelle

    la police a marqué les corps de plusieurs centaines

    de personnes. C’est le cycle interminable que nous

     vivons depuis plusieurs années à Notre-Dame-des-

    Landes, dans les manifestations en ville, dans lebocage que nous habitons et défendons. Mais cette

    routine effrayante de la répression, cette nécessité

    accrue de blesser les chairs, de briser les histoires

    de luttes, est déjà, pour nous qui luttons ensemble,

    le miroir d’une vitalité et d’une détermination

    nouvelle. Si les deux mouvements contre l’aéroport

    et la loi travail sont confrontés à la même répression,

    leurs points communs vont bien au-delà. Il s’agit àchaque fois de refuser de soumettre nos existences

    aux diktats de l’économie, qui cherche ici ou là

    à détruire des lieux de vie pour construire

    ses infrastructures, et partout à pressuriser

    les conditions de vie et de travail pour

    nous rendre encore plus dépendants de

    l’argent. Ce qui explose dans la jeunesse

    du mouvement contre la loi travail,

    ce qui chante dans le cri de ralliement

    qu’est devenu la ZAD, peut trouver

    à résonner parmi tous ceux qui

    n’en peuvent plus de vivre

    envoûtés par les

    gouvernements.

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    La transformation des formes de lutte depuis le début des années

    2000 atteste de la défiance généralisée envers la politique

    classique. Peu à peu ce qu’on qualifie « d’actes en marge des

    mouvements » en sont devenus le cœur. Qui pourra prétendre

    aujourd’hui que les cabanes de la ZAD constituent la minoritéactive de la lutte contre l’aéroport quand plusieurs milliers de

    personnes viennent aider à les construire ? Qui pour dire que

    l’actuel mouvement ressemble aux précédents avec leurs cortèges

    de négociations et de grèves reconductibles, quand les seuls

    capables de soutenir un rapport de

    force semblent être ceux qui prennent

    la rue et la défendent face à la police ?

    Si ceux qu’on appelle à tout rompre

    depuis des décennies « casseurs »sont la cible principale des autorités,

    ce n’est pas comme certains

    le prétendent parce qu’ils sont

    extérieurs au mouvement, mais

    précisément parce qu’il faut, pour

    le pouvoir, qu’ils le deviennent.

    Il n’est pas possible de juger une

    personne isolément pour les

    manifestations de ces mouvements,

    quand nous sommes des milliers à

    outrepasser les ordres de dispersion,

    à encercler les centres-villes, à subir

    les gaz et les tirs de flash-ball. Les

    chants, les pierres, les techniques

    de protection contre les gaz

    lacrymogènes, la force symbolique et

    matérielle des tracteurs, les masques,les totems-tritons : comme en

    novembre 2012 dans le bois de

    Rohanne sur la ZAD, derrière les différents moyens d’expression,

    et derrière les débats qu’ils suscitent, c’est un mouvement

    commun qui, le temps d’une journée, construit un rapport de force

    à même de faire reculer les projets gouvernementaux. Et c’est bien

    d’abord cet outrage collectif que la justice cherche à punir.

    C’est à cette grossière opération que nos amis se sont trouvés

    confrontés, comme tant d’autres avant et après eux. Et dans un

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    contexte où les luttent débordent de leur propre cadre, l’appareil

     judiciaire est en dernier recours ce qui permet de frapper les

    mouvements en leur cœur.

    Si les magistrats on toujours prouvé leur capacité à briser des vies,

    il faut leur reconnaître cette inclinaison toute particulière à exercerdes condamnations d’une extrême sévérité sans la moindre preuve

     valable, et sur la seule foi de profilage et de montage policier.

    Déjà depuis plusieurs mois, les actions en justice s’étaient

    multipliées contre tout ce qui fait aujourd’hui la force de la lutte

    contre l’aéroport. Derrière les attaques

    perpétrées en janvier contre les

    habitants historiques avec des

    procédures d’expulsion, derrière la

    saisie des tracteurs et des voitures deceux qui ont choisi de les défendre,

    et derrière aujourd’hui la menace de

    laisser en prison un habitant de la ZAD

    sur les simples allégations d’un expert

    spécialisé dans la production de

    coupables, nous ne percevons qu’une

    seule et même tentative, celle de

    couper la lutte de ses attachements.

    Deux ans auront suffi pour que les

    interdictions de territoire deviennent le

    couperet systématique contre tous ceux

    qui participent aux manifestations, deux

    ans à la justice pour ajuster les peines

    à l’impérieuse nécessité que nous avons

    de construire dans l’expérience

    commune les conditions d’une victoire.

    Car après tant de défaites successives,après tant de désillusions, nous avons

    appris ces dernières années à retrouver

    le goût de la victoire. Nous avons appris à tenir dans un même

    geste le fait de descendre dans la rue et de la tenir face aux forces

    de l’ordre. Nous avons pris des coups bien sûr, souvent violents,

    et même mortels. Nous avons encaissé les multiples renoncements,

    les négociations au rabais qui ont terni mouvement après

    mouvement la combativité du monde syndical.

    La question pour nous maintenant, dans la lente gestation

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    de «la lutte contre l’aéroport comme dans l’intensité frénétique

    du mouvement actuel, c’est comment on gagne ?

    Gagner ne signifie pas arrêter de lutter.

    Dans la tradition des négociations de fin de mouvement, qui

    doivent déjà faire rage dans les bureaux parisiens, le pouvoira souvent légiféré sur l’ensemble des condamnations issues du

    conflit social. Les lois d’amnistie se sont succédé tout au long

    du XXème siècle et ce jusqu’en 1994. Aujourd’hui, il ne s’agit pas

    de marchander l’arrêt des poursuites contre la fin des troubles

    liés aux mouvements. Il s’agit de continuer à faire grandir la force

    de ces mouvements pour être en mesure d’imposer cette possibilité.

    L’amnistie constitue un socle, un socle depuis lequel penser

    comment gagner signifie ramener à nous tous ceux que la prison

    garde captifs, tous ceux qui sous le poids d’une condamnationn’osent plus agir, tous ceux qui ont donné de leur courage pour

    qu’on soit là aujourd’hui ensemble à partager ce moment.

    Nous n’avons pas encore gagné, le chemin sera peut-être encore

    long et douloureux, mais nous savons que nous voulons gagner

    d’un seul corps, que nos mouvements sont forts, que le pouvoir

    les craint comme la peste. Des cabanes de palettes de la ZAD

    aux maisons du peuple des centres-villes, des places

    occupées aux fermes qui ne veulent pas disparaître,

    il nous revient dès à présent de penser l’impossible.

    Ceci est une invitation.