Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
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7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
1/258
EMILE VANDERVELDE
LA
BELGIQUE
ENVAHIE
ET LE
SOCIALISME
INTERNATIONAL
Prface de
MARCEL
SEMBAT
AVEC
UN
PORTRAIT
DE L'AUTEUR
,^-Cr^
^^.
BERGER-LEVRAULT,
LIBRAIRES-DITEURS
PARIS
5-7,
RUE
DES
BEAUX-
ARTS
NANCY
RUE
DES
GLACIS,
18
191
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
2/258
//
a
t
tir
dix
exemolaires
sar
japon
numrots
de i
lo.
-
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3/258
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
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PRFACE
Bonnires,
2
novembre
1916.
Mais
certainement,
Dewinne
('),
certainement
je
suis trs
en
retard
et
je
vous
tiens depuis
longtemps le
bec dans
l'eau. C'est votre faute
Pourquoi
vous
tes-vous
fourr
dans
la
tte
qu'au livre de
Vandervelde il fallait une pr-
face? Qui diable
aura
l'ide, pouvant feuil-
leter tout
de suite ce
recueil
enflamm,
de
perdre son temps
lire
d'abord
une prface?
J'aurais
bien
mieux
fait
de
vous la
refuser
carrment,
votre prface, plutt
que
de
vous
la
faire attendre pendant
des
mois. Mais
vous
vous
tiez
fourr
cela
dans
la
tte, dans
votre
dure caboche
flamande,
on
dirait
Gharleroi
dans votre
tte de
houille.,,.
: j'ai
cd,
j'ai
promis; et, ma foi, tant
pis
si vous
avez
attendu,
la
voici.
(i)
Secrtaire
de
M. Vandervelde.
-
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VI
PREFACE
Aujourd'hui,
d'ailleurs,
c'est
le
vrai jour
pour relire
les discours prononcs
par
Van-
dervelde pendant
la
guerre
: c'est le
jour
des
Morts.
De
quelle
voix dchirante
il
les
pleure,
ces
morts de
la
malheureuse
Belgique
Gomme
on les voit couchs,
quand
sa
main
nous
les
montre,
aux
champs
de
bataille
de
l'Yser,
ou
sur
la
place du
massacre, Tamines
Mais
plus
que
tels
morts
et
par-dessus toutes
les morts,
il
a pleur
le martyre
de
la
Belgique.
Je
me
sou-
viens
de
l'avoir
entendu
un
jour,
au
Pr-Saint-
Gervais,
o
nous commmorions
ensemble
la
mort
de notre
courageux
Smanaz (tous
les discours
de
Vandervelde n'y sont
pas, dans
votre
recueil, mon
cher
Dev^inne).
Jusqu'
lui,
la
salle
tait
froide
et
triste.
Il
pesait
sur
l'au-
ditoire
trop
de lugubres
souvenirs :
les
grands
meetings
pacifistes
de
jadis,
tout ct la
Butte
du Ghapeau-Rouge,
...Jaurs
...
et
les
centaines
d'enfants
du Pr
tus
l'ennemi.
Il
parla,
et
bientt
la
Belgique
apparut.
Oui
sa
voix,
une
lumire
se
lit,
et
un grand fan-
tme clair
surgit.
La
Belgique
hroque
et
crucifie, la
Belgique
se vouant
au supplice
par
honneur,
par
haine
de
servir,
Vandervelde
-
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PREFACE
VII
la
dressait
devant
nous,
divine
et
pantelante.
Quelle
minute quels
cris et
dans
cette
salle
quels
transports
dlirants
11
y
a
du
Ver-
haeren dans
Vandervelde.
Il
contemple son
pays tortur
comme
saint Franois
contem-
plait les
plaies
de
Jsus;
et
il
parle
alors
dans
une espce
d'extase, en strophes
lyriques
qui
lui jaillissent du cur.
Ces accents
souverains,
vous
en
retrouverez
l'cho
dans plusieurs
pas-
sages
des
discours
ici rassembls.
Cet
homme,
si
matre
de
lui
et
si
ferme,
a
eu
l'me bouleverse par le martyre
de
la Bel-
gique.
Il
a
t
atteint dans son
intelligence,
dans
sa
notion
du
droit,
dans
son
esprit
de
civilis,
comme
dans son
cur.
Il
est
devenu
l'aptre,
le
fidle,
le
chantre
vengeur
de
la
Belgique
sanglante.
Il
l'a
dresse devant
l'Eu-
rope
et
devant l'Amrique,
comme
il
la
dres-
sait
ce jour-l
devant
nous
au
Pr-Saint-Ger-
vais; et tout l'univers l'a contemple
par ses
yeux, avec
terreur,
remords
et
adoration.
Le
monde
n'en
dtournera
plus
ses
regards.
C'est
elle,
spectre
du
droit
viol,
qui plane
sur
cette
guerre;
c'est
elle
qui
a entran
l'Angleterre;
c'est
elle
qui
a
entran l'Italie
;
c'est
-
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VIII
PREFACE
elle qui
donne aux
neutres un remords
d'tre
neutres. Les Allemands voient avec
horreur
cet
immense
cadavre
emplir
tout
le
ciel,
et
toute
la conscience
humaine. Quand
on
songe
que Bethmann-Hollweg a cru que ce
serait
l'affaire
d'un
moment
et
qu'ensuite
il
rpare-
rait
L'affaire
d'un
moment,
oui
:
un
crime
brutal
et rapide
;
un corps
qu'on jette
terre,
qu'on
abat d'un
coup
sur la tte
pour
passer
dessus en courant Et
tout
de
suite
aprs,
sitt
le
coup
fait,
oh
vite,
accourons,
pardon
il
le fallait mais a notre
but
militaire
atteint
,
que
voulez-vous,
que
vous
faut-il? (( Nous
rparerons
cette
injustice
)>
Ce
crime
et ces
aveux,
Vandervelde
y
revient sans cesse. Il
ne
permet
pas
qu'on
les
oublie.
Il
les
crie
aux
Allemands,
Scheideman,
Noske.
Il
les
leur
remet
sous
le
nez
;
il
veut
les
obliger
dire
ce
qu'ils
en pensent.
Or,
un jour,
dans
Bruxelles
envahie,
deux
soldats
allemands en uniforme
se
prsentrent
la
Maison du
Peuple.
Ils
venaient l
en
camarades
et
comme membres
du parti.
C'tait
Noske
et le D' Koster. Quand
les
sociahstes
belges
s'indignrent devant
eux
de
l'invasion, de
l'incendie
et
des
fusillades.
-
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PREFACE
IX
ils
rpondirent que
tous
ces
malheurs taient
faciles
viter.
La Belgique
n'avait
qu'
laisser passer
les armes
allemandes.
Les
Belges
parlrent
d'honneur et de
traits
inter-
nationaux. L'un d'eux, non pas
Noske,
mais
Koster, rpliqua
que
c'tait
l
de
l'idologie
bourgeoise
et
qu'en cas
de
guerre
les
traits
tombaient.
On nous
demande
souvent, et
avec
raison,
de
distinguer entre
le peuple
allemand et
son
Gouvernement.
Volontiers
mais
c'est
sans
doute
pour
conclure que
le
peuple
est
moins
coupable?
Je
le
veux
bien;
mais
ici
Noske et
Koster
ne
se
distinguent de
leur
Gouvernement
que
parce
qu'ils
tombent au-dessous.
Bethmann-
HoUweg,
du
moins,
avoue
l'injustice
et
accorde
qu'il
y
a
matire
rparation.
Ah
combien d'Allemands,
sans
le
dire si
crment,
combien d'Allemands, au
fond d'eux-
mmes,
ont
accueilli ces
raisonnements
bar-
bares
C'est
l'affaire
d'un
instant
1
une
courte
lutte
et
aprs,
quelle
belle priode
de
civilisa-
tion s'ouvre pour
l'Europe sous
l'hgmonie
allemande
combien
et de
ceux
que
nous
te-
nions
pour
les
meilleurs
-
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PREFACE
Mais quelle leon
pour qui
saura
com-
prendre Ce crime, qui
devait
passer
si
vite
et
s'effacer, voici
au
contraire
que,
loin
que
l'effet
s'en attnue,
il
mord de
plus
en
plus
sur
la
conscience de tous
les
hommes, s'enfonce dans
leur
souvenir,
inoubliable,
et
s'inscrit
dans
l'histoire universelle
comme
un
symbole
ineffa-
able de
suprme injustice :
et,
par
l,
cette
honte
qui ne devait
durer
qu'un
instant devient
ternelle.
Hlas
qui
nous l'et dit
jadis,
mon
cher
Vandervelde?
Dans
nos
congrs
socialistes
internationaux,
on
vous
voyait sur
les
estrades,
diplomate
intelhgent
et
avis,
saluant
et
sou-
riant. Jaurs
vous
appelait
notre
cardinal,
cause
de
votre
esprit
si fin
et
si
perspicace,
de
votre
vaste information,
de
votre
il
perant,
et de
cette
aimable mimique
de
vous
frotter
les
mains
en
les
ptrissant
doucement
et
lon-
guement,
la
tte penche
en
avant
pour
cou-
ter
l'interlocuteur.
Nous
voyions
en
vous
la
plus
parfaite incarnation
de
l'Internationale;
ne
runissiez-vous
pas
France, Angleterre et
-
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PREFACE
XI
Allemagne? Vous
aimiez,
je
me le
rappelle,
insister
sur
le
rle
de
trait
d'union
qui
revenait
la
Belgique
entre l'esprit
franais
et
l'esprit
germanique.
Hlas un
trait
d'union? un
foss
de
sang
aujourd'hui, un
couloir
d'invasion,
foul aux
pieds
par
les
bandes des
envahis-
seurs
L'esprit germanique
Gomme vous en
com-
preniez
les
qualits
organisatrices
Gomme
on
sentait
que vous
aimiez
l'Allemagne
Il
faut
nous rappeler cela
pour
sonder la profondeur
de
la
plaie
dont cette guerre
vous
a
bless.
Vous
aimiez
l'Allemagne
Vous
aimiez
l'Inter-
nationale
Quelle
douleur
de
voir
l'Internatio-
nale dchire
et
l'Allemagne criminelle
Tant
pis
pour
lui,
diront
certains
Il
n'avait
qu'
ne
pas aimer
les Allemands
et ne pas
tre
internationaliste.
Depuis le
dbut
de
la
guerre,
nous
en avons entendu
des sarcasmes
nar-
quois
Eh
bien
vous
qui
travailliez
pour
la
paix,
vous
qui
alliez
Berne
et
Baie
o
est-elle,
votre Internationale?
En
effet,
il
faut avouer
que cette
guerre met
dure
preuve
les
Internationales.
Les catho-
liques,
de leur
ct, paraissent
parfois
gns
-
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XII
PRFACE
par
l'attitude
laquelle le Pape
est contraint.
Quant aux
socialistes, qui
se
refuserait
le
plai-
sir
de railler
leurs
espoirs vanouis?
Mais, aprs
tout,
si
nous sommes plus
atteints
que d'autres
dans
nos esprances,
c'est que nos
esprances
taient
trs
hautes.
Vandervelde,
lui, n'en
rou-
git
pas.
Il
ne
se
frappe
pas
la poitrine; il ne
bat
pas
sa
coulpe
;
et je vous
recommande
tels
discours, celui
qu'il
pronona sous
la
prsi-
dence
de
M.
Gide,
par exemple, et
aussi
le der-
nier
du
recueil,
celui
de
la
commmoration
de
Jaurs
au Trocadro,
dans lesquels
il
s'affirme
plus que jamais
pacifiste,
socialiste
et
interna-
tionaliste.
Et il
est
mme
all
plus
loin
Si,
di-
sait-il
Gentilly
sous
la
prsidence de
Lon-
guet,
si
je
vous
apporte
aujourd'hui
non
pas
la
paix, mais l'pe,
ce
n'est
pas quoique^
mais
parce
que pacifiste,
internationaliste
et socia-
liste.
Sur
quoi, avec
une
verve
fougueuse,
une
conviction
qui
emporte
tout,
une
colre
d'honntet
qui dix fois
revient
la
charge,
Vandervelde
tablit le bon droit
des
Allis, les
vritables
origines
de la
guerre et
les
attentats
contre
lesquels
nous
sommes
contraints
de
-
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12/258
PREFACE
XIII
nous
dfendre.
Il
dnonce
le
danger d'une
paix
injuste, d'une
paix
sans
rparation,
d'une
fausse
paix
qui
ne
serait
qu'une trve et ne
ferait
que
suspendre
la guerre
au lieu
de
la
finir.
Il
y
a
l
des
pages
que
je
ne me
lasse
pas
de
relire,
des
pages blouissantes de clart,
des
dmonstrations
qu'on n'a
mme
pas
essay
de
rfuter.
Quand
on
a
feint
de
riposter, on
a
eu
soin
de
laisser
de ct
l'argument principal.
Mais
quel
beau
ton, quel accent de
noblesse
gardent
toujours
ces
rquisitoires
Il
a
accus
sans piti les
coupables,
mais il
les a
accuss
sans
haine,
ce En
combattant les
monstres, il
n'est
pas
devenu
un
monstre.
Relisez l'admi-
rable
passage
o les
nous
luttons... nous
luttons...
nous
luttons
rpondent
comme
des
voles
de
cloches aux //s ont approuv...
ils
ont
approuv...
ils
approuvent
Oui,
il
a accus
l'Allemagne,
le
Gouvernement
allemand,
les
intellectuels
alle-
mands, les socialistes
allemands,
et
ces
der-
niers
avec
d'autant plus
de
fermet
que
sa
dception a t
plus
cruelle.
Je
rpte
qu'il
ne
s'est
jamais
laiss
garer
par
la
haine,
et
je
l'en
admire.
Je
l'en admire,
car,
pench
sur
les
blessures
-
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13/258
XIV
PREFACE
saignantes
de
la
Belgique,
il
est
toute
minute
secou
par
des frissons qu'il lui
faut dompter.
Il
a
connu les
massacres de
Tamines,
et
il
ne
hait point.
Il
a connu la
grve
des
travailleurs
de
Belgique,
cette
superbe
rsistance
ouvrire
l'envahisseur,
il
a
connu
entre
vingt
autres
l'hroque
pisode
de Luttre,
et
les
refus
obs-
tins,
ritrs,
multiplis
sous les menaces;
il
a
connu la
tragdie
de
Gand,
et
le
meurtre
hideux
du
directeur Lenoir, fusill
avec
tous
les
dlais
pour
bien
lui
laisser
le
temps
de
rflchir
et
de
sentir
le got
de
la mort,
fusill
vous
lirez
cela
aprs
qu'on
eut
amen
sa
femme et
qu'on
l'eut
promen
devant
le
cercueil
qui
attendait... et
il
ne
hait
pas
Voil
cette
grandeur
d'me
qui
toujours,
en
temps de
paix
comme en temps
de
guerre,
aux
congrs
socialistes internationaux
comme
dans
les
conseils
de
Gouvernement,
au
milieu
des
ouvriers
comme au
milieu
des soldats, a
valu
Vandervelde
un
don
spcial
d'autorit.
J'ai
eu
l'occasion
de
parler rcemment
des
Franais
qui ne
sont
rien
moins
que
socialistes
et
qui
l'ont
rencontr sur
le front
:
ils
derneu-
raient
frapps
de
l'ascendant
qu'il
exerce
sans
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
14/258
PREFACE
XV
y
tcher.
Plus tard,
on lui
saura
gr
d'avoir
gard
la
matrise de soi-mme
sans rien
perdre
de
son
nergie.
Jaurs,
certes, et fait ainsi;
et, pour
nous,
l'un
des
attraits principaux
des
discours de
Vandervelde, c'est qu'en l'cou-
tant
nous
percevons
l'cho
de
la
voix
qui
s'est
tue.
*
Il
n'y
a
gure de
qualit morale
dont on ne
reoive
aussitt
le
bnfice
intellectuel.
Van-
dervelde
est
rcompens
de sa hauteur
d'me
par
la lucidit
de sa
vision.
Mais
cette vision
n'est
jamais
froide
;
je
vous ai
dit
qu'en
lui
il
y
a
du
Verhaeren;
et,
preuve,
ds
que
vous
ouvrez
le
volume,
vous
tombez
sur
ces
quel-
ques
lignes
qui
vous
dcrivent
ce
qui
nous
reste
de
Belgique
libre :
C'est
un
bien petit
pays,
quelques lieues
carres
peine,
un
pays
de
brouillards
et
de
marcages,
arros
de
sang,
sem
de
ruines,
ravag
par
la
fivre
typhode...
))
Voil
le
dbut du livre,
et
dj
vous vous
sentez le
cur
serr. Suivez
Vandervelde, c'est
un
guide
sr.
Il
ne
force
pas
la
note,
il
ne
cherche
pas
BELGIQUE
ENVAHIS
Z>
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
15/258
XVI
PREFACE
l'effet :
mais
il
voit
juste
et
il
voit
grand.
Vous
parcourrez avec
lui
les lignes
de
tranches
belges
;
il
faudra vous
souvenir
que,
si
l'arme
belge
est
refaite
et si
son
moral
n'a
jamais flchi,
Vandervelde
y
est
pour
quelque
chose
;
il
fau-
dra,
dis-je,
vous
en
souvenir
spontanment,
car
lui ne vous
en
dira
rien. Vous aurez
en-
semble des
rencontres
singulires
: au
fond des
boyaux,
on
lui
signale,
en
uniforme
de
lieute-
nant,
un
moine
: //
est
sorti
de
son couvent
;
f
ai
quitt
ma
Maison
du
Peuple;
nous
nous
d-
fendons
coude
coude
contre
Fagression
brutale
et injuste.
La
Belgique dhier est morte
,
vive
la
Belgique
de
demain
^
Il
voit
juste,
en raliste.
Il
voit
ces
soldats
belges
qu'il
aime
tant,
et
qu'il
est
all
plusieurs
fois
rconforter
jusque
sous
les
obus;
il
les
voit tels
qu'ils
sont,
a
mangs
par
les mouches
Vty
par les
rats l'hiver
^
par
la vermine
en
toute
saison
. Dans
les rues
vides
des
cits
que
l'ennemi
tient
sous
le
feu,
des
souvenirs
d'autrefois,
des
jours
heureux,
lui
reviennent
:
c(
J'y
suis
all
Jadis
en
touriste;
rien
n'empche,
semble-t'il)
d^y
aller encore, de se promener
dans
ses
rues
tranquilles :
rien, que
cette ligne
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
16/258
PREFACE
XVII
blanche
presque
invisible
:
les tranches
alle-
mandes.
Son
entire
sincrit
le
prserve
des
boniments
;
et
il
note
sans
pudeur
un
des
ca-
ractres
de
la guerre
actuelle,
l'ennui,
la
mo-
notonie
fastidieuse
qui
met
si
rude
preuve
la
rsistance
morale
de
nos
combattants,
et
dont ils se
plaignent
tous
pendant les
priodes
d'inaction. Notre
ami
Weill me le
disait,
de
son
ct, le
Weill
qui
fut dput
socialiste de
Metz
au
Reichstag et
qui
est
aujourd'hui
le
lieutenant
Weill
:
Si
vous
saviez
comme
c'est
assommant
de
n'avoir
toute
la
journe
qu'
regarder
des
talus
derrire
lesquels
il
y
a
des Boches
)) Mais
quoi
la
seule
perspective
de
l'action
suffit
les tenir
en haleine .
En
mme temps
qu'il voit
juste, il
voit
grand. Il
possde le
noble don
de vivre
parmi
les
prodiges
sans
les
amoindrir.
C'est
assez
rare.
En gnral,
nous avons besoin
de
recul.
Nous
nous
disons
bien,
de
temps
autre,
que
notre
poque
est
une
grande
poque
et
qu'elle
tiendra
plus tard,
dans
l'histoire,
une
place
aussi
haute
que
la
Rvolution;
mais,
dans
nos
minutes
habituelles,
nous
ne
jugeons pas
comme
l'histoire;
les
proportions
vraies
nous
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
17/258
XVIII
PREFACE
chappent
et les
misres
quotidiennes
nous
cachent
l'pope.
Vanderveide
parle
dans la
mme
phrase
de
son
Roi,
de
Hoche
et
de Mar-
ceau.
Il
apprcie
son
temps, notre
re,
cette
crise,
leur
vritable
valeur.
Il n'a
pas
besoin
de recul.
Il
n'est
pas
cras.
Il
est
la
hauteur
et voit
cette
guerre telle
que
la verront les
sicles.
Le
sort
du monde
y
est en jeu.
Nous
en
avons
tous
obscurment
conscience. Van-
derveide
en
a une
conscience claire,
et cette
conscience
lui
dvoile
le
caractre
pique
de
telle
bataille,
comme
la
grande
bataille sur
l'Yser.
La
grande
bataille
de
l'Yser, il
l'a
vcue,
il
en
a
senti
l'effort
et
l'angoisse
:
eh bien
travers
son
rcit,
au
travers
de
ses
rcits
plutt,
car il
y
revient
mainte
reprise,
nous le
vivons
nous-mmes,
ce
gigantesque
combat,
et nous
le
vivons
pique comme
Jemmapes
ou
comme
Valmy.
Valmy,
Goethe l'a
vu.
L'Yser, Vander-
veide
nous
le
montre.
Contemplez
ces
trou-
peaux en
droute auxquels
on
demande
pour
leur
patrie,
pour la
libert
du monde,
un effort
de quarante-huit
heures.
Deux
jours? et
il
a
fallu
tenir
dix
jours,
sous
la
pression
crois-
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
18/258
PREFACE
XIX
sant
de
l'ennemi
sans
cesse
renforc
Et
quel
ennemi
Vandervelde
l'estime
sa
vraie
valeur.
Les
Allemands
se
ruaient
sous
la
mitraille?
ivres
d'alcool
ou
d'ther,
mais
ivres
aussi
de
carnage
et
de
gloire.
Contre
cet
adversaire
furieux,
contre
ces
bandes
de
jeunes
berser-
kirs, les
Belges
rsisteront-ils?
Ils
tiennent
les
deux jours,
trois jours,
quatre
jours,
recu-
lant
peine sous
la
pousse
furieuse, cinq
jours, six
jours,
quelle lutte
dans la
boue,
dans
l'eau
on
n'a
pens
aux cluses que
plus
tard
sept
jours
Ah
demain,
c'est
fini.
Je
rentrai
Fumes
avec Pimpression
que
cette
fois
la
dfaite
tait
invitable.
Au moment
o
f
entrais
dans
la ville^
quelqu'un
me
dit :
(c
On
passe
une
revue
sur la place,
d
Ouf quel coup
quel
han
de
soulagement
C'tait
l'avant-garde
franaise
Goethe
Valmy
Il
tait
dans le
camp
des
vaincus,
au
lieu
que
Vandervelde
l'Yser tait
dans le
camp
des
vainqueurs. Mais
l'un
comme
l'autre,
au
soir
de
Valmy
comme
au
soir
de
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
19/258
XX
PHKFACK
l'Yser,
ont
senti
commencer
un
nouveau
monde.
Dans
Valmy
il
y
avait
la
Rvolution.
Qu'y
a-t-il
dans
la
Marne,
dans
ITser, dans
Verdun,
dans
la
Somme?
Qu'y a-t-il dans
cette
guerre?
Nous
nous le
demandons
tous;
nous
croyons tous le
pressentir,
mais
nous
ne
voyons
pas encore tous
l'avenir
de
mme.
Gomme
je
le
voudrais,
pourtant
Ce serait
si
beau, si,
chez
les
Allis,
tout
le
monde
tait
d'accord
sur le
sens
de
notre
guerre.
Vraiment
il
ne
me
semble
pas
que
ce
soit
impossible.
Mais
jusqu'ici il
y
a
chez
nous
deux
camps.
Il
y
a
ceux
qui,
contre
les
Alle-
mands, veulent faire
comme
les
Allemands.
Il
y
a ceux
qui
veulent agir
autrement
que
les
Allemands.
Je
ne
sais
si
je me trompe,
et
c'est,
je supplie
qu'on
veuille
m'en
croire,
c'est sans
la
moindre
pense
de
polmique
que
j'cris
ces quelques
lignes
o je
ne
veux
pas
qu'aucun
Franais
puisse
trouver rien
dont
il
soit
pein.
Oui
je
me trompe peut-tre,
mais
il
me
parat
que
c'est
nous qui
sommes
les
plus
exigeants
et
qui
demandons
le plus
notre
victoire.
Les
autres voudraient
traiter
l'Allemagne
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
20/258
PREFACE
XXI
comme
elle
nous a
traits
aprs
sa
victoire
de
1870,
et
annexer
la
France
des
territoires,
comme
l'Allemagne s'annexa
l'Alsace
et
la
Lorraine.
Mais
imiter
demain
l'Allemagne,
n'est-ce
pas
l'absoudre
pour
hier?
Les
Alle-
mands
n'auront-ils
pas
le
droit
de
penser que,
s'ils
ne
sont
pas,
cette
fois,
les
plus
forts,
c'est
du
moins
l
leur seul tort,
puisque
la
France
victorieuse se
conduit comme
eux?
Nous
sommes plus exigeants, je
le
rpte. Il
nous
faut deux
victoires.
Nous
voulons
d'abord
la
victoire
matrielle
:
celle
qui
sur les
champs
de
bataille
obligera
l'envahisseur
reconnatre
que
notre dfense a
bris
son assaut
et l'a
rduit
notre
merci. Mais
elle
ne nous suffit
pas.
Nous
voulons en outre
la victoire morale.
Nous
voulons
vaincre
d'abord
l'arme alle-
mande, et
ensuite vaincre
chaque
Allemand
jusqu'au
fond
de
son
me.
Il nous
faut
qu'au
fond de
lui-mme,
dans son
for
intrieur, dans
le
secret de
sa
conscience
intime,
il
entrevoie
qu'il
avait
tort, et que
nous
reprsentons
quel-
que chose
de
plus lev
que
ce
qu'il
reprsente.
Il
faut
qu'il trouve
notre
Europe
nouvelle
meilleure que
la
sienne.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
21/258
XXII
PRKFACE
Lui
aussi,
FAllemand,
et
Vandervelde
Ta
bien
rappel,
lui
aussi
il
croit
par
cette
guerre
crer
une Europe
nouvelle.
Ostwald
nous
l'a
promise
ds
le
dbut
de la
guerre,
avec les
gaz
asphyxiants.
Les
Germains
apportent
au
monde
l'organisation;
et, s'ils
taient
les
ma-
tres,
ils
organiseraient
l'Europe
sous
leur
hgmonie.
Eh
bien
ce
rve
d'avenir,
il
est
tar,
gt,
pourri
dans
son
essence,
car
il
sup-
pose
l'emploi
de
la
contrainte
pure,
de
la
force
brutale,
de
la
force sans
droit.
Ce
rve-
l
ne
peut
s'accomplir
qu'en
pliant
d'abord
les
peuples
sous un joug
de
fer,
et, en
cons-
quence,
ds
son
premier
essai
d'avnement,
il
est clair
par
la lueur
des
incendies
de
Louvain
et
rougi
du
sang
des
victimes belges
et
franaises.
Il
n'est
pas
possible
que ce
qu'il
y
a d'humain
chez
l'lite
allemande
n'en soit
pas dj
tourment.
Mais
les Allemands
luttent
contre
ces
inquitudes
et
ces remords. Ils
all-
guent
que
cela,
c'est
la
loi
de
la
guerre,
qui
s'impose
tout
le
monde,
nous
comme
eux.
Ne leur
donnons
pas raison Poussons
bout liotre
conqute Pour
cela, nous oppo-
serons
leur
Europe
germanise par
force
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
22/258
PREFACE XXIII
^Belle
sera
fonde
sur
la
volont
des
nations par-
^Pticipantes.
Elle
formera, comme
on
l'a
dit,
une
socit
de
nations.
Nous
n'obligerons
pas
du
tout
l'Allemagne
y
entrer,
ce
qui
serait une
faon
dguise de
revenir
au
rgime
de force
et
de
contrainte.
Pas
du
tout
Au
contraire
nous
ne voudrions
pas
d'elle
de
but en
blanc,
du
jour
au
lendemain,
et
sans garantie.
Gomme
l'a dit
Vandervelde,
l'Internationale ne
se
comprend qu'entre peuples
qui
ont
l'esprit
de
libert.
Nous
craindrions
de
l'hypocrisie,
des
arrire-penses,
un
calcul
de
tratrise.
Nous voudrons
un
stage,
des
gages, une
cer-
titude
qu'elle est
gurie
de
sa
frnsie furieuse.
Mais
nous
lui
donnerons
le grand
spectacle de
peuples
victorieux
qui
se
fdrent pour
fon-
der la
paix
et
l'ordre stable,
et
rgler
leurs
rapports
d'aprs
les lois
de
la justice interna-
tionale.
Est-ce
donc
le
vieux rve
qui
recommence?
et
la
guerre
ne nous a-t-elle
rien
appris?
Si fait
la
guerre nous
a
donn vis--vis
de
nos rves
des exigences
nouvelles.
D'abord
nous
ne
comptons plus
pour
les
raliser
sur
le
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
23/258
XXIV
PREFACE
seul
enthousiasme
des
peuples.
C'est aux
gou-
vernements
qu'il
appartiendra
d'organiser
entre
eux,
aprs la
victoire,
certes,
mais
en s'y pr-
parant
ds
aujourd'hui,
ces
rapports entre
les
peuples.
Ensuite,
il
ne
peut plus
nous
sufBre
de
vux
ni
mme
de
traits
signs par
les di-
plomates.
Gela, c'tait
bon
avant la guerre.
Depuis,
nous ne nous
berons
plus
de
chi-
mres;
nous voulons
du
solide,
et
nous n'ac-
ceptons
plus
de
rve
que
s'il est
pratiquement
et prochainement ralisable.
Donc, il
faut,
pour
donner corps
la
socit
des
nations,
autre chose qu'un
change
de
si-
gnatures.
On
ne
nous
refera
plus le
coup
du
chiffon
de
papier.
Il
faut
au service
du droit
international
une
gendarmerie
internationale.
Cette
gendarmerie-l, les armes
allies
en
for-
ment
aujourd'hui
le noyau. Peut-on
en rgler
le
fonctionnement pratique?
Je
le
crois
pour
ma part; mais
peu
importe
ce que je
crois
:
c'est
aux
divers
gouvernements
allis qu'il
appartient de mettre
cela au
point
et
d'en
assurer
dans
le dtail
l'application pratique.
C'est une
grande
uvre,
mais c'est
une
uvre
ralisable.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
24/258
PREFACE
XXV
C'est
la
seule
ralit
qui
soit digne
de
notre
grande
guerre.
Une
telle guerre
ne
peut
finir
qu'ainsi.
Toute autre
paix
ne
mettrait
pas fin
la
guerre
et
ne
ferait
que
l'interrompre.
En
revanche,
si notre
victoire
aboutit
ce rsul-
tat, nos
morts
ne
seront
pas
tombs
en
vain.
Marcel
Sembat.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
25/258
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
26/258
LA
BELGIQUE
LIBRE
IMPRESSIONS
IDE
OUERRE
BELGIQUE
ENVAHIE
-
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27/258
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
28/258
EN
BELGIQUE
Janvier
191
5.
Je viens
de
passer
quelques
jours
en
Belgique,
dans ce
qui nous
reste
de
Belgique,
de Belgique
indpendante.
C'est
un
bien
petit
pays,
quelques
lieues
carres
peine
un
pays
de
brouillards
et
de
marcages,
arros
de
sang,
sem
de
ruines,
mais
c'est
le dernier refuge
de
nos
esprances,
le
su-
prme
rduit de nos
liberts.
Ce
pays, hier
encore,
avait une
capitale
:
Furnes,
dont les
monuments
unissent
la
grce
de
la
Renaissance
la svrit
du
gothique.
L'artillerie
lourde
des
Allemands
nous
en
a
chasss.
Mais
s'il
n'a
plus de
capitale,
il
lui reste une
arme,
et
il lui
reste un
Roi. Hier
encore, ceux
qui
connaissaient
mal
le roi Albert
ne
voyaient
en lui
qu'un
jeune
homme timide, appliqu,
un
peu
gauche.
On
le savait courageux. On
n'ignorait
pas
qu'
l'exemple
d'autres
souverains, comme
le
roi
d'Espagne
et
le
roi
d'Italie, il
tait
d'esprit
libral,
il
rvait
de
rconcilier
la
royaut avec
la
dmo-
cratie,
et
peut-tre
avec le socialisme.
Mais
il
a
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
29/258
LA BELGIQUE
LIBRE
fallu la
guerre
pour
le
rvler
lui-mme
et aux
autres, pour
faire
surgir
des
lisires
de
la royaut
un
homme, ferme,
droit,
intrpide, qui
force l'ad-
miration
de
nos
ennemis,
et
en
qui
les
rpubli-
cains
eux-mmes
nous
en
sommes
saluent
les
vertus militaires
et
civiques
d'un Hoche
ou
d'un
Marceau.
Quant
l'arme
belge, elle
a,
depuis
sept
mois,
subi
les plus
dures
preuves.
Un
instant
mme,
aprs la
chute
d'Anvers,
on
a
pu
croire que c'en
tait
fait
d'elle,
et
je
me
souviendrai
toute
ma vie
de
l'impression
dsastreuse
que
nous emes
lors-
que,
le
10
octobre,
nous
vmes,
sur
la
route
de
Furnes
Dunkerque,
dfder dans
un
effrayant
dsarroi
les
avant-gardes
de
la retraite,
3o.ooo
sol-
dats
de
forteresse,
ple-mle
avec
un
flot
de
60.000
rfugis. Mais,
l'arrire,
heureusement, les
divi-
sions
de
l'arme
de
campagne
tenaient
tte
l'in-
vasion. Elles
tinrent
pendant
deux
jours,
pendant
dix
jours, en attendant
que
les
Franais
arrivent. Elles
tinrent
malgr
des pertes
terribles...
Elles tinrent
contre trois
corps
d'arme,
jusqu'au moment
o,
pour la premire fois
depuis le
dbut de
la
guerre,
elles
entrrent
en
contact
avec
la
grande
arme
des Allis,
et,
relayes
par
celle-ci
ou
mises
l'abri
par
les
inondations
de l'Yser,
elles
connurent
enfin
un
repos
relatif. Qui
les
et
vues
alors, sans
les revoir
depuis,
aurait peine
les
reconnatre.
11
y
a
quatre
mois, l'arme belge
tait
rduite
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
30/258
EN BELGIQUE
quelques
milliers
d'hommes, sans
souliers,
sans
couvertures,
sans
vtements
d'hiver.
Mais,
avec
une
rapidit merveilleuse,
elle
s'est
refaite.
Ses
effectifs
sont rtablis, ses
pertes
sont
rpares, son
moral n'a
jamais t meilleur, et,
tout le
long
des
ctes
de
la Manche,
depuis
la
Normandiejusqu'aux
Flandres,
la
Belgique
d'aujourd'hui, frmissante
et
en
armes,
se prpare
refaire la
Belgique
de
demain.
Dans
les
camps d'instruction,
tout
d'abord de
Rouen
Dieppe,
il
y
a
des milliers
de
recrues,
venues
pour
la
plupart
de
la
Belgique
occupe.
A
l'appel
du
Gouvernement,
elles
ont pass
les
lignes
allemandes,
au
pril
de
leur
vie,
et
attendent
avec
impatience le
moment
d'aller
faire le
coup
de
feu
contre les Allemands.
Viennent
ensuite,
autour
de
Calais,
les
dpts
divisionnaires,
o
il
y
a
encore
quelques
milliers
d'hommes
:
soldats
des anciennes
classes
ou
conva-
lescents
que,
bientt,
l'on renverra
au
front.
Enfin,
par del
la
frontire
franaise, les
six
divisions
de l'arme
de campagne,
bien
quipes,
bien
armes,
avec
leurs
effectifs complets.
Toutes
ces
troupes, bien
entendu,
ne
se
trouvent
pas
en mme
temps
sur la
ligne
de
feu.
Dans
la
rgle,
les hommes
restent
pendant
^quarante-huit
heures
aux
avant-postes,
aux
tranches ou
au
piquet,
et
quarante-huit heures
au
repos,
dans
les
cantonnements.
Mais,
pendant ce repos
mme,
ils
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
31/258
LA
BELGIQUE
LIBRE
ne
connaissent
pas la
scurit, car
il
n'y
a
pas,
dans la
Belgique
d'aujourd'hui,
une
seule localit
qui ne
soit sous
le
feu
des
batteries
allemandes,
que
cette localit
s'appelle,
par
exemple,
X...
l'arrire.
Y...
sur
la
ligne
des
tranches,
ou
Z...
aux
avant-postes.
Voici
X...
d'abord,
un
petit
village
de
la
rgion
de F...
plus
d'une
lieue
des
lignes
ennemies.
Jamais
un
projectile
n'y
tait
tomb,
et
jamais,
sans
doute,
un soldat allemand n'y mettra les
pieds.
Mais,
au
mois
de
janvier
dernier,
on
y
a
fait
cantonner
des troupes.
Toute une compagnie
avait
t
loge
dans
l'glise.
La
nuit
aprs,
tout
dormait d'un
profond
sommeil,
lorsqu'un
obus
de
2
10,
faisant
crouler
la
vote,
tua
43
hommes
Ce
sont
l,
au
surplus,
des
accidents
excep-
tionnels.
Pour
entrer rellement
dans
le domaine
de
la
mort,
il
faut
aller
jusqu'
cette
interminable
ligne
de tranches,
qui,
partant de
la
mer,
va
de
Nieu-
port
Dixmude,
et
de
l,
par
Soissons et par
Reims,
.jusqu'aux
Vosges.
Encore
ne
faudrait-il
pas
se
figurer
que,
dans
cette
zone
dangereuse,
tous
les
points
soient
galement
dangereux.
A
Nieuport,
Dixmude,
devant
Ypres,
la
ba-
taille
est,
pour ainsi
dire,
continue, et
les
obus
ne
cessent
gure
de
pleuvoir.
Mais, dans
d'autres
endroits,
o
l'on
s'est
terriblement
battu
au
mois
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
32/258
EN
BELGIQUE
de
novembre,
et
o
depuis
lors
les
inondations
ont
rendu
toute
avance
peu
prs
impossible,
c'est
peine si,
de
temps
autre,
on
change
quelques
salves
de
shrapnells.
Aussi,
depuis
la
bataille
de
l'Yser,
le
village
de
Y...,
ou
plutt
les dcom-
bres
du
village
de
Y..., sont
devenus
en
quelque
sorte un
but
d'excursion
pour toutes
les
personnes
qui
sont
admises
aller
au
front. Le
pote Emile
Verhaeren
y
est
all
;
la
Reine
y
vient quelquefois, et
un
abri
o
elle
s'est
arrte s'appelle
Le Repos
de
la
Reine
.
Les
hommes
politiques
qui
dsirent
faire
figure
de
hros
ne manquent
pas,
eux
aussi,
de
s'y
rendre,
et
peuvent,
leur
retour,
dire
qu'ils
ont
visit
les
troupes
sous
la
pluie
des
shrapnells
En fait,
comme
on
ne
tire
que
par
intermittence,
et
que
les
artilleurs
allemands ont,
cet
gard,
leurs
habitudes,
le risque
est aussi rduit
que pos-
sible,
et
actuellement,
pour courir
des
risques
Y...,
il
faut
y
sjourner,
comme
le
font
les
sol-
dats
et
comme
le font
ces
dames
anglaises,
qui
y
ont
tabli
un
poste
de
secours
o
elles
recueillent
les
blesss.
Elles
s'taient
installes
au
dbut
cinquante
mtres
des
tranches,
dans
la
premire maison
du
village,
mais
cette
maison
a t
dtruite,
et
elles
habitent
aujourd'hui
un
autre logement, pour
tre
moins
exposes,
mais qui
peut
nanmoins,
d'une
heure
l'autre,
tre
ventr par
un
projectile.
Que
l'on
no
se
figure
pas
au surplus
que
le
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
33/258
LA
BELGIQUE
LIBRE
danger
qu'elles
courent
les
empche
de
goter,
malgr
tout,
la joie
de
vivre. Ce
ne
seraient
pas
des
Anglaises
si,
dans cet enfer
de
pays,
elles
n'a-
vaient
pas trouv
le moyen de
se
crer
une
sorte
de
home, o
elles
aiment
recevoir leurs amis.
La
dernire fois
que
j'y
suis
all,
deux
officiers
aviateurs
taient
venus
en
auto
avec
un
appareil
cinmatographique, et,
pendant
qu'au
dehors les
canons
belges
et les
obus allemands faisaient
alterner
leurs
dtonations,
ces
dames
et
leurs
htes prenaient le
th et
regardaient
passer les
films.
Ce
ne
sont
pas
nos
soldats belges,
au
surplus,
qui
y
trouveraient
redire. Eux-mmes,
dans les
tranches, rivalisent
de
bonne
humeur
avec
leurs
amies
les misses
anglaises. Au
fond
de
leur
abri,
couchs
sur
la
paille,
prs
du
feu o
ils
cuisent
leurs
pommes
de
terre, le riz,
le
pain,
ils
jouent
aux cartes.
Je
me
suis
mme
laiss
dire qu'on
avait
amen aux
tranches
un vieux piano,
trouv
Nieuport.
D'aucuns,
d'ailleurs, se
plaignent
de mener une
vie trop
calme, et
regrettent
de
n'avoir
pas l'occa-
sion
de
tirer
plus
souvent
des
coups
de
fusil
sur
les
Boches.
Les Boches,
en
effet,
sont
maintenant
assez
loin
sur
la
rive
droite
de
l'Yser,
ou,
tout
au
moins,
de
l'autre
ct
de
la
zone
inonde.
Pour les
approcher,
il faut
aller
jusqu'aux
avant-
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
34/258
EN BELGIQUE
postes,
dont
certains se
trouvent
deux
kilomtres
au
del
des
tranches.
En
face
de
nous, derrire
leurs
sacs
de
terre,
Toeil
fix
au
miroir
du
priscope, les
sentinelles
enne-
mies
nous
guettent
et,
par-dessus
le parapet,
nous
voyons, de
trs
prs, le
Grand-Htel
de Westende,
les
glises
de
Middelkerke
ou d'Ostende,
et,
quand
il n'y
a
pas
trop
de
brume,
le
beffroi
de
Bruges.
C'tait
notre Belgique, hier.
Ce
sera
notre Bel-
gique, demain
Cette Belgique
de demain,
que
sera-t-elle
?
Qui
saurait,
qui oserait
le
prdire?
Mais,
quoi
qu'il
arrive,
quoi
que
l'avenir
nous
rserve,
nous
savons,
nous osons
affirmer
que
cette Belgique
sera.
Peut-tre
mme
pouvons-nous aller plus
loin,
et
nous
risquer
dire
ce qu'elle
ne sera
pas,
ce qu'elle
ne
doit
pas
tre.
Avant
mme d'avoir vaincu,
d'aucuns affirment
dj
que
la
Belgique
de
demain
doit
tre
une
Bel-
gique agrandie
aux
dpens
de
l'Allemagne.
Quand
nous
allions
aux
Etats-Unis
et
passions
par
l'Angleterre, nous emes
l'honneur de rencon-
trer
un diplomate
minent,
qui
jouera
sans doute
un
grand
rle
quand
seront
fixes les conditions
de.
la
paix
future. Il
nous disait
:
La Belgique,
aprs
cette guerre, doit devenir
un
grand
pays.
Et
d'autres,
moins
mesurs
dans
leurs
propos,
se
hasardent
dire
:
a
II faut
que
la
Belgique
de
demain
s'tende
jusqu'
la
rive
gauche
du
Rhin.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
35/258
10 LA
BELGIQUE
LIBRE
Il
est trop tt pour
parler
de
ce que nous
pour-
rions
lgitimement
demander
au
jour
de
la
victoire
:
peut-tre une
rectification
de la
frontire
du
ct
de
Moresnet
et
de
Malmdy,
ou
mme le
Grand-
Duch
de Luxembourg,
si, librement
consults, les
Grands-ducaux
manifestent le
dsir
de
s'unir
la
Belgique.
Mais
il
n'est
pas
trop tt pour dire,
ds
prsent,
les
raisons
qui nous feraient
repousser le
dangereux
cadeau
que
serait
un morceau d'Alle-
magne.
Au
point
de vue de notre
politique
intrieure,
d'abord,
notre
pays
est
suffisamment
divis
par
le
dualisme
des
langues,
par
la
diffrence
des
points
de vue entre
les
Flamands
et les
Wallons,
pour que
ce soit
folie
d'y
vouloir
annexer des
populations
allemandes,
avec d'autres
murs,
d'autres habi-
tudes,
d'autres traditions.
De
plus,
et
surtout,
procder
par
force
des
annexions
de
territoire,
crer
en
Europe
de
nou-
veaux
irrdentismes, transformer
une
guerre
de
dfense
contre l'imprialisme
germanique
en
une
guerre
de
conqute contre
le peuple
allemand,
ce
serait
enlever
notre cause
tout
ce
qui
fait
sa
grandeur,
sa
noblesse et sa
lgitimit.
Il
y
a quelques
semaines,
Londres,
les
socia-
listes
des
nations
allies,
Franais, Russes, An-
glais,
Belges,
se
runissaient
en
confrence
dans
le
but
d'affirmer, s'il
tait
possible,
une
politique
commune.
Pareille
tentative
semblait
condamne
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
36/258
EN
BELGIQUE
II
un
chec.
Comment
faire
concider
en
effet les
points
de
vue
d'hommes
aussi
diffrents,
placs
dans
des
conditions aussi
diffrentes,
que
les
socialistes belges, lgitimement
exasprs
par
le
traitement
dont leur
pays
a
t
l'innocente
victime,
les
socialistes
franais,
conscients
d'tre
en tat
de
lgitime
dfense,
et
les anti-imprialistes
de
la
Confdration
gnrale
du
Travail,
les Tolstoens
de
l'Independent
Labour
Party,
et
les rvolution-
naires
russes,
placs
dans cette alternative
tragique
de
faire
crdit
au
tsarisme
qui
ne
dsarmait
pas
ou
de
faire
tort
la
dmocratie occidentale
en armes
contre
l'imprialisme
germanique
?
Nous
y
sommes
parvenus cependant. Certes, l'ordre
du jour
vot
par
la
confrence
a
t critiqu.
On
l'a
trouv
vague et
imprcis.
On
n'a
pas
compris, on n'a
pas
voulu comprendre,
que
c'tait un
rsultat
essentiel
d'avoir obtenu
l'uniformit
sur cette
affirmation
que
la
victoire
de
l'Allemagne
serait
l'crasement
de
la
dmocratie
en
Europe
et
que,
pour
viter
cette
catastrophe,
la
guerre devait
tre
mene
jus-
qu'au
bout.
Mais
les
socialistes
n'eussent
pas
dit
leur pense
tout
entire s'ils
n'avaient
pas
ajout
que ce
bout
ce n'est
l'crasement
politique
et
conomique de
l'Allemagne,
mais,
au
contraire, la
libration
de
l'Allemagne, domine
ou
trompe
par
ceux
qui
la
gouvernent.
Ce
qui
fait
pour nous,
en
effet, de
la
guerre
ac-
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
37/258
12
LA
BELGIQUE
LIBRE
tuelle
une
guerre
sainte,
c'est
que nous
avons
conscience
de lutter pour
le droit,
la
libert et
la
civilisation.
Nous
luttons
pour le
droit,
incarn
dans la
Bel-
gique,
dont les
plaies
saignantes
crient
vengeance
au
ciel, et le
droit ne sera
veng
que
le
jour o
notre
pays
sera
rendu
lui-mme
et
intgralement
indemnis.
Nous luttons
pour la
libert,
c'est--dire
pour
la
libert
des
peuples
disposer
d'eux-mmes,
et la
libert ne
triomphera
que le jour o
la
Pologne
sera
ressuscite,
o
la
France
recouvrera
ses
fron-
tires
naturelles,
o
de
la
mer
du
Nord
aux
Bal-
kans il n'y
aura
plus un peuple
qui
subisse
la loi
du
plus
fort.
Nous
luttons, enfin, pour
la civilisation,
et
la
civilisation
ne
sera
sauve
que
le jour
o sera
vaincue,
non
pas TAllemagne
des penseurs
et
des
potes,
mais
l'Allemagne
des hobereaux,
des mili-
taires
professionnels,
des fabricants
de
canons,
l'Allemagne
des
Krupp,
des Zeppelin,
des
Guil-
laume
II,
et
aussi
l'Allemagne
des
intellectuels,
qui ont si
compltement donn
raison
cette
parole
:
Science
sans
conscience
est
la
ruine
de
l'me.
Ceux-l sont
pires
que ceux qui
ont
commis les
pires
mfaits,
car
ils les
ont
approuvs
sans avoir
l'excuse
de la
fureur
du
combat.
La Belgique
a t
viole, et
ils
ont
approuv
;
la Belgique
a
t
mar-
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
38/258
EN
BELGIQUE
l3
tjrise,
et
ils ont
approuv;
la
Belgique
a
t
ruine,
affame, dcime,
et
ils
approuvent
encore
I
Aussi,
contre
ceux-l,
le
monde
entier
se
lve,
et,
c'est
notre ferme
conviction,
dans cette lutte,
le
dernier
mot restera
l'Humanit.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
39/258
UN MOINE
GUERRIER
(^)
Je
suis
all,
ces
temps
derniers,
en
West-Flandre,
un
pauvre pays de brumes et
de marcages,
arros
de sang,
sem
de
ruines.
De Nieuport
Ypres, les
tranches
belges et
franaises en
marquent la
frontire.
Devant elles,
une
large zone
d'inondation
leur
sert
de
foss.
Au
dix-septime
sicle,
quand
ils
se
battaient
i
dans les mmes rgions,
les
soldats
de
Maurice
de
\
Nassau
appelaient
cette
guerre la guerre
des
gre-
nouilles.
Les choses n'ont pas
chang.
Aujourd'hui,
comme alors,
on
se dispute
une
grenouillre.
Sauf
sur
quelques
points,
o
il
y
a
des ponts, les
armes
ennemies
sont
spares
par
deux
kilomtres
d'eau
ou
de
boue.
Des fermes ou des
hameaux
ruins
mer-
gent,
de
place en
place.
On
y
a
tabli
des
avant-
postes. La
plupart sont
inaccessibles le
jour,
cause
de
la
mitraille.
Mais on
s'y rend la
nuit,
pour
la
relve
des
troupes
ou
leur ravitaillement.
Pendant que
j'tais
P...,
des
officiers
se
propo-
srent
de
visiter l'un de ces avant-postes, l'ex-
trme
pointe
des
lignes
belges
:
(i) Journal, 8
avril
191
5.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
40/258
UN
MOINE
GUERRIER
l5
Vous
y
rencontrerez
,
me dit-on,
un
homme
peu
ordinaire. Hier,
c'tait
un moine.
Aujourd'hui,
c'est un officier. Aprs
de brillants
dbuts
dans
l'arme, il
entra, un
beau jour, dans
un
couvent
de
franciscains.
La guerre l'y
surprit
et
l'en ft sortir.
Son
froc
jet,
il
reprit
l'uniforme,
et
le voici
lieute-
nant,
dcor
pour
fait
de
guerre,
rclamant
comme
une faveur
d'tre
envoy
des
postes
pnibles
et
prilleux.
Nous
partmes
donc,
pour aller voir
ce
moine
guerrier
dans
son
ermitage.
Une
digue
de fascines
y
conduit,
reliant
des lots
boueux,
o
l'on
enfonce
jusqu'aux
genoux.
Pour
les
traverser,
chaque
compagnie
dispose
de
quel-
ques
paires
de
hautes
bottes
en
caoutchouc.
La
nuit tait claire.
Un
mince croissant
de lune
se
refltait
dans la
lagune. Du ct
de Nieuport,
les
Allemands
lanaient
des fuses
lumineuses,
pour
clairer
leurs
approches
en
prvision
d'une
-attaque possible.
Les
canons
ennemis
grondaient
au
loin
et,
par-dessus
nos
ttes,
les
120
longs fran-
ais
envoyaient
leurs
obus
dans les
cantonnements,
de
l'autre
ct
de l'Yser.
Ils
passaient
en
sifflant,
comme
des
oiseaux,
trs
haut
dans
le
ciel.
Aprs avoir
march
pendant une
heure,
le
bton
la
main,
pour
ne
pas
trbucher,
nous
atteignons
le
village
de
0...,
ou, plutt,
ce
qui
reste
du
village
de
0...
:
quelques
pans
de
murs, un
clocher
croul,
une
ferme
ventre
par
les projectiles.
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
41/258
i6
LA
BELGIQUE
LIBRE
C'est
l
que
se trouve
la
grand'garde
comman-
de
par
le lieutenant L...
Une
quinzaine de
soldats font
le
guet,
car les
tranches
allemandes sont
deux
cents
mtres.
Les
autres,
dans
une
cave,
jouaient
aux
cartes.
Une
recrue,
arrive
d'hier,
dort,
le nez
sur
une
poutre.
Le
chef
est
l-haut,
dans
une
sorte
de
pigeonnier,
qui
lui
sert d'observatoire.
Nous
montons,
et
il
nous
fait
les honneurs de sa
cellule.
Cinq
mtres
de
long
sur
quatre
de large.
Pour
meubles,
une
paillasse,
une chaise troue
et
une
table
boiteuse.
Pas
d'autre
luminaire
qu'une
lan-
terne
sourde,
invisible
au
dehors.
Notre
ermite
vit
dans
ce
taudis
depuis
plus
d'un
mois.
On
relve ses hommes
toutes
les
vingt-quatre
heures.
Lui
refuse
d'tre
relev.
Observateur
pour
l'artillerie, il
ne
bouge
pas
de
son
poste, sans autre
lien
avec
le
monde
extrieur
que
le
fil
de
tl-
phone
qui
le relie au quartier gnral.
On
le
ravi-
taille comme
on
peut, les
nuits
de
calme.
Mais,
parfois,
les
communications,
sous
le
feu
des
mitrailleurs,
deviennent
impossibles. Il
y
a
quel-
ques
semaines, pendant trois
jours, on
n'a
pu
envoyer
d'eau
potable.
L...,
pour
tancher
sa
soif,
prit
de
l'eau
des inondations,
de
l'eau sale
o
macrent des cadavres,
il
fit
bouillir
dans
une
marmite
et
lcha les
gouttelettes qui se
dposaient
sur le couvercle. L'autre soir, un
obus
est
entr
chez
lui.
Il
clata
;
mais
par
un
hasard
extraordi-
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
42/258
UN
MOINE
GUERRIER
I7
naire
peut-tre,
dit-il,
un
miracle
L...
n'eut
d'autre
mal
qu'une
corchure
au
doigt.
A
qui
lui
demande
si la
vie,
dans
ces
conditions,
n'est
pas
insupportable, s'il
ne
meurt
pas d'ennui
et
de
solitude,
notre
hte
rpond
:
Je
n'ai
jamais
t
aussi
heureux. Le
temps passe vite.
Je
fais
mon
petit
mnage.
Je
veille
sur
mes
hommes.
Je
com-
munique mes
observations.
J'ai
conscience d'tre
utile
mon
pays.
Et, pour
complter
sa pense,
il nous montra, sur la
muraille,
ces
mots,
gravs
au
canif
:
Vive
le
Roi
Quelle distance entre
cet
homme, ce
religieux,
ce
conservateur,
ce
royaliste,
et
le
rpublicain,
le
socialiste,
l'incroyant auquel
il fait accueil. Et
cependant, lorsque
je
lui
serre la main, en
toute
sympathie, cette distance
s'efface.
Nous
sommes
tout prs
l'un de
l'autre. Nous voulons, nous
sen-
tons,
nous
esprons les
mmes
choses.
Si les
modes
d'expression
diffrent,
les sentiments
sont
iden-
tiques.
Il est
sorti
de
son
couvent. J'ai
quitt
ma
Maison
du
Peuple.
Nous
nous dfendons, coude
coude,
contre l'agression brutale
et
injuste.
La
Belgique
d'hier est
morte.
Vive
la
Belgique
de
demain
bluiquk
knvaHIe
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
43/258
SUR LA
LIGNE
DE
FEU
LA
MAISON
DE
LA JOCONDE
C'est
quelque part, l-bas, dans ce qui nous
reste
de
la Belgique. L'Yser, lente
et
trouble, coule
derrire
de
hautes
digues
de
gazon.
Une maison
isole s'y
adosse,
qui
tait,
hier
encore,
proprette
et
avenante.
Des
officiers
belges,
un soir,
y
entr-
rent
pour
se
chauffer,
au
sortir
de
leurs
tranches
boueuses
et
froides. Ils furent
reus
par
une
vieille
femme
qui
leur
offrit,
le
cur
sur la
main,
tout
ce
qu'elle avait
de
meilleur. L'un
d'eux, enchant
du
contraste,
s'cria
:
Nous
sommes
au Louvre
Un
autre
ajouta,
en dsignant
l'htesse
:
Et voil
la
Joconde
Ce
nom lui
resta.
On
l'inscrivit
sur
la
porte.
Depuis
lors, on
s'est prement
battu dans
ce
coin
des
Flandres.
La digue, coupe
de tranches,
n'a
cess
d'tre
battue
par
l'artillerie
allemande
et,
naturellement,
la
maison
de
la
Joconde
a
eu
sa
part,
sa
large
part
de projectiles.
Mais,
pendant
longtemps,
la
Joconde
n'a
pas
voulu
partir.
Pendant des
semaines,
elle
s'est
rendue
utile
aux
soldats.
Les jours
de
calme,
elle
leur
faisait
la
soupe
ou
le caf. Quand la
pluie de
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
44/258
SUR
LA
LIGNE
DE
FEU
I9
shrapnells devenait trop
forte, nos
poilus
l'emme-
naient dans
leurs
trous de
taupes.
Un
jour,
le roi
Albert vint
passer.
Il
la flicita
;
peut-tre
l'et-il
dcore
comme les
dames
an-
glaises
de Y... Mais
la
Joconde
dsirait
autre
chose.
Sa
maison,
sa
pauvre
maison
tait
en
ruine.
Le
Roi,
aprs
la
guerre,
voudrait-il
la
re-
btir? On
le
lui promit.
On
la rassura
sur
Tavenir
de
son
home.
Il
n'tait
plus
ncessaire,
ds
lors,
d'y
monter
la garde. Elle
s'en
fut
sans
plus
tarder.
Sans doute elle
reviendra
tt
ou tard,
comme
est
revenue
l'autre
Joconde,
celle
de
Paris.
En crivant
cette histoire,
je
m'avise
qu'elle n'a
gure
d'intrt.
Mais
qu'y
puis-je?
La guerre,
telle
qu'elle
est,
ressemble si peu
la
guerre telle
qu'on
la
raconte
vingt kilomtres
du
front
Une
fois
de
plus,
je
m'en rendis compte, le jour
o
le
gnral
commandant
la ...D. A.
nous
mena
voir
la
maison
de
la
Joconde.
Dans
cette
zone
o
il
n'y
a
pas
un
arpent
de
terre qui n'ait
t
labour par les
obus
ou
qui
ne
risque
tout
moment
de
l'tre,
rien
ne bougeait
rien
ne
se montrait.
Nous pmes,
sans encombre,
passer
sur l'autre
rive
et, par un
boyau
d'accs, la
tte
rentre dans
-
7/25/2019 Vandervelde Emile - La Belgique Envahie Et Le Socialisme International
45/258
20
LA
BELGIQUE LIBRE
les
paules, gagner
rextrme
point
des
positions
belges.
De
cet
endroit aux
avant-postes allemands,
il
n'y
a
pas
plus
de
quatre cents
mtres.
A
croppetons
dans la
tranche,
nous regardions
sans
nous
dcouvrir.
La
ville
de
X...
est
tout
prs.
On
la
bombarde
depuis six mois. Mais
du dehors,
comme
l'ordi-
naire, elle parat intacte. J'y
suis
all
jadis en
tou-
riste.
Rien
n'empche,
semble-t-il,
d'y
aller encore,
de
se promener
dans
ses rues tranquilles;
rien,
que
cette
ligne
blanche,
presque
invisible
: les
tranches
allemandes.
Des
hommes
sont
l
aux aguets;
des
hommes
comme nous;
des
hommes
qui,
laisss
eux-
mmes,
ne demanderaient
qu' vivre et
laisser
vivre.
Ils
ont une
famille.
Ils
ont
des
enfants.
Ils
se
demandent, comme les
ntres,
combien
de
|
temps encore
durera
cette guerre...
|
Mais
quelqu'un
de
nous
a
d
se montrer.
Une
|
balle
siffle.
La
dtonation
d'un coup
de fusil
nous
|
parvient,
trs
faible,
comme
le
bruit
d'une
brique
I
tombant
l'eau.
Puis, quand
nous
avons
dj
re-
pass
l'eau,
des
shrapnells
et
des
obus
brisants
commencent
tomber,
de
minute
en
minute.
Ni
tus
ni blesss
d'ailleurs.
Ce sont
des
munitions
gaspilles
sans
plus. Le
calme
renat
bientt,
jus-
qu' l'heure, prochaine
peut-tre,
o,
sur
ce
coin
de l'immense ligne,
on
se
battra
pour
de
bon.
-
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SUR
LA LIGNE DE
FEU
21
*
*
Cette
guerre
de
tranches doit paratre
nos
sol-
dats
aussi
monotone
et
fastidieuse que leur
travail
d'ouvriers
industriels.
Pendant
des
semaines
rien
ne' se passe. Les
hommes
dorment,
jouent aux
cartes,
parcourent,
en billant,
un
journal,
sans
autre
diversion
de temps
autre
qu'un arro-
sage
de
shrapnells.
Parfois,
deux ou
trois
camarades
sont
tus
par
un
obus.
On
les
enterre
quelques
pas
des
abris
et, peu
peu,
une
ligne
de
tombes
vient
doubler
la
ligne
des
tranches.
Je
vois
encore,
P...,
quelques-unes
de
ces
tombes,
avec
leurs croix de
bois
blanc,
coiffes
de
la
casquette du mort, ou
couronnes
de
fleurs, ou
prcdes
d'un
tertre
de
gazon,
avec
des
arabes-
ques en
douilles de
cartouches.
De
l'autre
ct,
dans
l'eau des
inondations,
on
me
montre une
chose
noirtre
et
informe,
puis
une
autre,
avec
un
ceinturon
brillant
au
soleil : des
ca-
davres
allemands
du
dernier
hiver,
remonts
la
surface, ballonns,
dcomposs,
couverts
de
moi-
sissures.
La
mort devant, la
mort
derrire,
et
au
milieu
de
jeunes
soldats, spars
de
tout,
n'ayant
gure
autre chose
faire
que
de
penser, de
penser
ce
qui,
peut-tre,
les
attend
demain.
-
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22
LA BELGIQUE
LIBRE
Il
semble
que
nul
moral
ne
puisse
rsister
pa-
reille
preuve.
Mais
la nature
humaine
est
merveil-
leusement
lastique.
Ces mmes
hommes,
je
les
avais
vus,
le mois
dernier,
dans
la
paix
de
leurs
cantonnements.
Ils
se
plaignaient,
ils
maudissaient
cette
guerre.
Ils demandaient
anxieusement
quand
ce
serait
la
fin.
Ici,
au
contraire,
personne
ne
murmure. La
seule
perspective
de
l'action
sufft
les
tenir
en haleine. Ils
ne
demandent
qu'une
chose
:
se
battre, refouler
l'ennemi, rentrer
chez
eux, certes,
mais
drapeau en
tte.
Et,
malgr
tout
ce
qu'ils
ont
souffert,
tout ce
qu'ils
souffrent, tout
ce
qu'ils
souffriront
encore,
leur
humeur
est
joyeuse, car
une
grande
esprance les
soutient :
ils
se battent pour
tre
des
hommes libres,
dans
une
Europe libre.
DANS
LES
TRANCHES
BELGES
(0
Il
y
aura
bientt
un
an
que
le front
ouest
est
indiqu,
sur
les
cartes
de
guerre,
par
une
ligne
continue
qui
va
de
la mer aux
Vosges.
Cette
ligne,
au
dbut,
tait
fictive.
Les
armes
en
prsence
se
retranchaient
sur
certains
points
;
elles
combattaient
en
rase
campagne
sur
d'autres.
Aujourd'hui, au
contraire,
toute
solution de
continuit a
disparu.
La
(i)
Le
Petit Parisien,
29
septembre
igi.
-
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SUR LA
LIGNE
DE
FEU
23
fiction
est
devenue
une
ralit.
Celui
qui
entrerait
dans
les tranches
de
premire
ligne,
prs
de
la
Grande-Dune
de
Lombartzyde,
pourrait
y
cheminer,
sur
un
parcours
de
six
cen