UURÈTRERÈTRE Adénocarcinome de l’urètre chez la femme · dossier TUMEURS RARES EN UROLOGIE :...

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dossier TUMEURS RARES EN UROLOGIE : prostate, testis, urètre et pénis Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2014 148 148 Figure 1 Coupe axiale T2 : masse de 3,5 cm développée aux dépens de la paroi urétrale, hétéro- gène et en hypersignal T2. Figure 2 Coupe axiale T2 : masse nodulaire de 3 cm en hypersignal T2 développée dans la loge d’urétrectomie et au contact de la paroi antérieure du vagin. URÈTRE URÈTRE Adénocarcinome de l’urètre chez la femme C.M. Champy*, M.O. Timsit* * Service d’urologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Observation Mme L., 59 ans, ne présente aucun anté- cédent à part un kyste de l’ovaire opéré en 1984. Elle est amenée à consulter devant une hématurie macroscopique isolée. Une fibroscopie permet de retrouver un diverti- cule urétral. La patiente subit alors une diver- ticulectomie par voie basse seule. L’analyse anatomopathologique de la pièce opératoire ne retrouve que des remaniements inflam- matoires non spécifiques. Quatre mois après l’opération, la patiente présente une récidive d’hématurie macro- scopique. L’IRM pelvienne alors réalisée retrouve une masse de 36 mm développée aux dépens de la paroi urétrale (figure 1). Les biopsies mettent en évidence un adéno- carcinome de l’urètre. Il est alors décidé de réaliser une uré- trectomie avec conservation vésicale et dérivation cutanée continente transappen- diculaire (technique de Mitrofanoff ). L’analyse anatomopathologique montre un adéno- carcinome de l’urètre infiltrant avec des marges de résection saines (figure 2). Les suites de l’opération sont marquées par l’apparition d’une fistule vésicovaginale et d’une nécrose surinfectée sur le trajet de la dérivation de Mitrofanoff rendant impos- sibles les autosondages. Il est alors effectué, à 6 mois, une cystectomie, la fermeture de la fistule vésicovaginale et la dérivation cutanée continente des urines avec la consti- tution d’un réservoir iléocolique de type Indiana. Il n’est pas retrouvé de tissu tumoral IRM pelviennes. ILLUSTRATION CLINIQUE

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TUMEURS RARES EN UROLOGIE :

prostate, testis, urètre et pénis

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 4 - octobre-novembre-décembre 2014148148

Figu

re 1

Coupe axiale T2 : masse de 3,5 cm développée aux dépens de la paroi urétrale, hétéro-gène et en hypersignal T2. Fi

gure

2

Coupe axiale T2 : masse nodulaire de 3 cm en hypersignal T2 développée dans la loge d’urétrectomie et au contact de la paroi antérieure du vagin.

URÈTREURÈTRE

Adénocarcinome de l’urètre chez la femmeC.M. Champy*, M.O. Timsit** Service d’urologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.

Observation

Mme L., 59 ans, ne présente aucun anté-cédent à part un kyste de l’ovaire opéré en 1984. Elle est amenée à consulter devant une hématurie macroscopique isolée. Une fi broscopie permet de retrouver un diverti-cule urétral. La patiente subit alors une diver-ticulectomie par voie basse seule. L’analyse anatomopathologique de la pièce opératoire ne retrouve que des remaniements infl am-matoires non spécifi ques.

Quatre mois après l’opération, la patiente présente une récidive d’hématurie macro-scopique. L’IRM pelvienne alors réalisée retrouve une masse de 36 mm développée aux dépens de la paroi urétrale (fi gure 1). Les biopsies mettent en évidence un adéno-carcinome de l’urètre. Il est alors décidé de réaliser une uré-trectomie avec conservation vésicale et dérivation cutanée continente trans appen-diculaire (technique de Mitrofanoff ). L’analyse anatomopathologique montre un adéno-

carcinome de l’urètre infiltrant avec des marges de résection saines (fi gure 2). Les suites de l’opération sont marquées par l’apparition d’une fi stule vésicovaginale et d’une nécrose surinfectée sur le trajet de la dérivation de Mitrofanoff rendant impos-sibles les autosondages. Il est alors eff ectué, à 6 mois, une cystectomie, la fermeture de la fistule vésicovaginale et la dérivation cutanée continente des urines avec la consti-tution d’un réservoir iléo colique de type Indiana. Il n’est pas retrouvé de tissu tumoral

IRM pelviennes.

ILLUSTRATION CLINIQUE

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Données anatomopathologiques.

Tumeur urétrale après diverticulectomie

correspondant à un adénocarcinome.

Prolifération d’architecture tubulo-papillaire constituée de cellules aux cytoplasmes claires (A)

ou éosinophile avec des noyaux en clous de tapissier (B) [HES × 200].

Récidive vaginale d’un adénocarcinome infi ltrant

à contingent papillaire.

Papilles bordées par des cellules éosinophiles (HES × 16).

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 4 - octobre-novembre-décembre 2014 149149

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sur la pièce opératoire. Aucun traitement complémentaire n’est réalisé. L’évolution est favorable, et la patiente est suivie régu-lièrement.

Mme L. présente, 1 an après l’urétrectomie, des métrorragies. L’IRM pelvienne objective une masse nodulaire de 3,2 cm au contact de la paroi antérieure du vagin ainsi qu’une adé-nopathie de 13 mm en arrière du releveur de l’anus droit (fi gure 3). Les biopsies vaginales réalisées retrouvent un adénocarcinome de l’urètre. Le bilan d’extension, comportant un scanner thoraco-abdomino-pelvien, est sans particularité. Devant cette récidive locale à 1 an, il est décidé de compléter le geste chirurgical par une pelvectomie antérieure et d’y associer une radiochimio-thérapie adjuvante. Il n’est pas retrouvé de carcinose péritonéale en peropératoire. L’analyse anatomopathologique retrouve

un adénocarcinome à cellules claires mal limité avec une volumineuse infi ltration de la paroi antérieure du vagin (fi gure 4). Les marges de résection sont microscopiquement envahies (R1).

La patiente reçoit une radiothérapie pel-vienne de 60 Gy associée à une chimio-thérapie radiosensibilisante par 5-FU à la posologie de 225 mg/m2/j. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien et un TEP scan ont été depuis réalisés tous les 6 mois : la dernière récidive locale date de 5 ans. Mme L. est satisfaite de sa continence urinaire et s’auto sonde 5 fois par jour. Elle n’a pas présenté d’infection urinaire du haut appareil urinaire ni de complication obstruc-tive (absence de dilatation des cavités pyélo-calicielles). La fonction rénale est satisfaisante, avec une créatininémie à 85 μmol/ l (DFG : 58 ml/ mn).

Discussion

L’adénocarcinome de l’urètre est une entité rare et représente seulement 5 % des cancers de l’urètre. La littérature rapporte essen-tiellement des séries de quelques patients ou des case report (tableau, p. 150) [1, 2]. La majorité des adénocarcinomes de l’urètre sont développés aux dépens d’un diverticule de l’urètre. Il est établi que la tumeur se développe à partir des glandes para- urétrales de Skene, l ’équivalent embryo logique de la glande prostatique masculine (3). Deux sous-types sont iden-tifi és : l’adéno carcinome de type mucineux, caractérisé par une expression cytoplas-mique d’ACE et développé aux dépens de la partie proximale des glandes para- urétrales, et l’adéno carcinome à cellules claires, déve-loppé aux dépens de la partie distale des glandes para-urétrales (4).

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TUMEURS RARES EN UROLOGIE :

prostate, testis, urètre et pénis

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 4 - octobre-novembre-décembre 2014150150

Tableau. Données de la littérature sur l’adénocarcinome de l’urètre chez la femme.

Série, année Nombre de patientes

Âge moyen (ans)

Traitement Survie

Scantling et al. (2013) [7] 1 47 Chirurgie (pelvectomie antérieure) Vivante sans récidive à 1 an

Wang et al. (2012) [1] 2 48 Chirurgie conservatrice/chirurgie (pelvectomie antérieure) + chimiothérapie

Vivantes sans récidive à 5 ans et 1 an

Weng et al. (2013) [2] 1 65 Chirurgie (pelvectomie antérieure) Vivante sans récidive à 2 ans

Dalbagni et al. (2001) [8] 6 70 Chirurgie (pelvectomie antérieure) + radiothérapie + curiethérapie ± chimiothérapie

Suivi médian de 21 mois. 3 décès avec métastases, 1 vivante avec récidive locale, 2 vivantes sans récidive

Dalbagni et al. (1998) [9] 72 59 Radiothérapie – Curiethérapie – Chirurgie Survie sans récidive à 5 ans (46 %)

Garden et al. (1993) [10] 97 63 Radiothérapie ± chirurgie Survie spécifi que à 5 ans (49 %)

Les principaux facteurs de risque identi-fi és sont l’irritation chronique, les polypes, la leuco plasie, les accouchements par voie basse, le papillomavirus humain et d’autres infections virales (1). Le cas de notre patiente illustre d’ailleurs l’errance diagnostique clas-sique, puisqu’elle a été opérée initialement d’un diverticule uréthral sans qu’un bilan complémentaire ne soit fait.

La plupart des patientes sont sympto-matiques au moment du diagnostic (dysurie, urétrorragie, pollakiurie, masse palpable).

Le bilan devant une suspicion d’adéno-carcinome de l’urètre comprend une cysto-scopie avec biopsies multiples et examen

pelvien sous anesthésie générale et un scanner thoraco-abdomino-pelvien pour le bilan d’extension à distance. L’IRM pelvienne est l’examen de référence pour apprécier l’extension locale, la tumeur apparaissant en hyposignal T1 et en hypersignal T2 (5).

L’extension de la tumeur est principale-ment locale : vers la vulve et la peau en cas de tumeur distale ; vers le vagin et la vessie en cas de tumeur proximale. L’extension ganglionnaire est rare au stade précoce. Les métastases surviennent principalement dans les poumons, le foie, les os et le cerveau (6).

L’arsenal thérapeutique des adénocarcinomes de l’urètre comprend la chirurgie, la chimio-

thérapie et la radiothérapie. Actuellement, la plupart des traitements sont combinés. La chirurgie doit être la plus complète possible. Seules d’exceptionnelles petites tumeurs superfi cielles et distales peuvent permettre un traitement conservateur. Les tumeurs proximales ou avancées imposent une pelvectomie antérieure sans rempla-cement de la vessie, l’adénocarcinome de l’urètre récidivant le plus souvent localement. Le taux de survie sans récidive atteint alors 73 %, alors que la diverticulectomie seule ou la radiothérapie seule obtiennent des taux de survie sans récidive de seulement 33 et 20 %, respectivement (2). ■

C.M. Champy déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.

1. Wang X, Bai P, Su H et al. Management of primary adenocar-cinoma of the female urethra: report of two cases and review of the literature. Oncol Lett 2012;4(5):951-4.

2. Weng WC, Wang CC, Ho CH et al. Clear cell carcinoma of female urethral diverticulum—a case report. J Formos Med Assoc 2013;112(8):489-91.

3. Reis LO, Billis A, Ferreira FT et al. Female urethral carcinoma: evi-dences to origin from Skene’s glands. Urol Oncol 2011;29(2):218-23.

4. Kato H, Kobayashi S, Islam AM et al. Female para-urethral adenocarcinoma: histological and immunohistochemical study. Int J Urol 2005;12(1):117-9.

5. Gourtsoyianni S, Hudolin T, Sala E et al. MRI at the com-pletion of chemoradiotherapy can accurately evaluate the extent of disease in women with advanced urethral carci-noma undergoing anterior pelvic exenteration. Clin Radiol 2011;66(11):1072-8.

6. Karnes RJ, Breau RH, Lightner DJ. Surgery for urethral cancer. Urol Clin North Am 2010;37(3):445-57.

7. Scantling D, Ross C, Jaff e J. Primary clear cell adenocar-cinoma of a urethral diverticulum treated with multidisci-plinary robotic anterior pelvic exenteration. Case Rep Med 2013;2013:387591.

8. Dalbagni G, Donat SM, Eschwège P et al. Results of high dose rate brachytherapy, anterior pelvic exenteration and external beam radiotherapy for carcinoma of the female urethra. J Urol 2001;166(5):1759-61.

9. Dalbagni G, Zhang ZF, Lacombe L et al. Female urethral carcinoma: an analysis of treatment outcome and a plea for a standardized management strategy. Br J Urol 1998;82(6):835-41.

10. Garden AS, Zagars GK, Delclos L. Primary carcinoma of the female urethra. Results of radiation therapy. Cancer 1993;71(10):3102-8.

R é f é r e n c e s