Urgences Psychiatriques Et Interventions de Crise C11

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     s     o     m     m     a      i     r     e  2 6 8 10 11 12 13 14 15 18 20 22 23 24 25 28 32 34 35 37 39 41 43 45 47 48 La santé mentale, une matière transversale Rencontre avec la Ministre Christiane Vienne  Les groupes thérapeutiques en réseau Benoît Bourguignon La prise en charge des mineurs en difficulté Virginie Olivier La loi de défense sociale : 75 ans d’application Pierre Titeca Temps(s) et traitement psychiatrique : quelques articulations... Edith Stillemans et Christophe Herman Journée européenne de la Dépression Journée mondiale de la Santé mentale In-Folio Infos : nouveautés  DOSSIER : Urgences psychiatrique s e t interventions de crise  Préface Denis Henrard Les urgences : mise en perspective Philippe Hoyois D’une urgence à l’autre Damien Urgences psychiatriques : des proches dans le désarroi Francine Lejeune La solitude du généraliste face aux urgences en santé mentale Yves Delforge La notion d’urgence dans un centre d’écoute téléphonique  Alain Gontier Profession : urgentiste  Albert Fox L’urgence psycho-sociale dans le champ hospitalier et psychiatrique Henry Dupont  Penser l’urgence Éric Adam De la clinique de la souffrance à la clinique du sens Danièle Zucker Les urgences en hôpital psychiatrique Henri Boon Personnes âgées : l’urgence plus urgente Françoise Duesberg La valse des urgences : témoignage en trois temps Sophie Maes Qu’est-ce que l’urgence pour un psychiatre privé ? Paul Lievens et Alexandre van Acker L’urgence dans un service de santé mentale Paul Jacques Crises, situations d’urgence et services d’urgence Quelques pistes de réflexions Jacques Moriau Existe-t-il des fausses urgences ? Jean-Michel Longneaux Du temps de l’urgence au temps du sujet Francis Turine Repères et références bibliographiques

Transcript of Urgences Psychiatriques Et Interventions de Crise C11

sommaire

La sant mentale, une matire transversaleRencontre avec la Ministre Christiane Vienne

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Les groupes thrapeutiques en rseauBenot Bourguignon

La prise en charge des mineurs en difficultVirginie Olivier

La loi de dfense sociale : 75 ans dapplicationPierre Titeca

Temps(s) et traitement psychiatrique : quelques articulations...Edith Stillemans et Christophe Herman

Journe europenne de la Dpression Journe mondiale de la Sant mentale In-Folio Infos : nouveauts

DOSSIER : Urgences psychiatriques et interventions de crisePrfaceDenis Henrard 14 15 18 20 22 23 24 25

Les urgences : mise en perspectivePhilippe Hoyois

Dune urgence lautreDamien

Urgences psychiatriques : des proches dans le dsarroiFrancine Lejeune

La solitude du gnraliste face aux urgences en sant mentaleYves Delforge

La notion durgence dans un centre dcoute tlphoniqueAlain Gontier

Profession : urgentisteAlbert Fox

Lurgence psycho-sociale dans le champ hospitalier et psychiatriqueHenry Dupont

Penser lurgenceric Adam

28 32 34 35 37 39 41 43

De la clinique de la souffrance la clinique du sensDanile Zucker

Les urgences en hpital psychiatriqueHenri Boon

Personnes ges : lurgence plus urgenteFranoise Duesberg

La valse des urgences : tmoignage en trois tempsSophie Maes

Quest-ce que lurgence pour un psychiatre priv ?Paul Lievens et Alexandre van Acker

Lurgence dans un service de sant mentalePaul Jacques

Crises, situations durgence et services durgence Quelques pistes de rflexionsJacques Moriau

Existe-t-il des fausses urgences ?Jean-Michel Longneaux

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Du temps de lurgence au temps du sujetFrancis Turine

Repres et rfrences bibliographiques

La sant mentale, une matire transversaleRencontre avec Christiane Vienne, Ministre de la Sant, de lAction sociale et de lEgalit des chances de la Rgion wallonne

A la tte du Cabinet de la Sant, de lAction sociale et de lEgalit des chances depuis un an, Christiane Vienne a la sant mentale parmi ses nombreux champs de comptences. Nous lavons rencontre pour connatre son valuation et ses projets dans notre secteur. Cest une Ministre consciente de ses responsabilits et de ses contraintes qui nous a reues, mais aussi une femme sensible qui tire parti de son exprience et de son parcours de vie. Nous avons eu loccasion dchanger librement avec elle autour de son analyse de la situation, de ses questions et de ses intentions.Une interview ralise par Sylvie Grard et Christiane Bontemps, IWSM avec la participation de Emmanuelle Demarteau et Delphine Jarosinski, Cabinet de Madame Vienne

mais en mme temps, et cest li, il y a une dgradation des conditions sociales dans lesquelles vivent nos concitoyens. Il y a, l, une rflexion mener sur le travail des services de sant mentale et sur le rle des autres acteurs sociaux. Dun ct, on pourrait imaginer quon ne fait plus que de la sant mentale et quon arrte tous les projets sociaux parce quune grande partie de la Wallonie nest pas bien dans sa tte . Et dun autre ct, on peut se dire que se proccuper de la sant mentale, finalement, cest du luxe, il suffit daugmenter le minimex ! . La ralit nest videmment pas celle-l parce que les choses simbriquent fortement les unes dans les autres. Effectivement, rien nest simple quand on sintresse la complexit de ltre humain Comment pouvez-vous en tenir compte dans les diffrentes facettes du travail de votre dpartement ? Je suis tout fait consciente que tout ce qui touche la sant mentale est devenu aujourdhui incontournable. Mais cest aussi le cas dans les diffrents secteurs dont je moccupe : le secteur des personnes ges notamment, domicile ou en maisons de repos. Aujourdhui, la dpression chez les personnes ges est en hausse, en lien avec la solitude, le manque de moyens, la diminution des changes avec les autres, labsence de projets. Et cest pareil pour lensemble des thmatiques sociales. Si je prends tout ce qui est li au dcrochage, tout ce que lon va travailler via les CPAS, les relais sociaux, les services dinsertion sociale, les maisons maternelles, les centres de planning, il y a, l-derrire, dimportants problmes qui touchent la sant mentale. Il y a aussi tout le secteur des assutudes. Il y a encore le secteur de lAWIPH. Dans certains cas, le handicap mental est bien clair, mais - et cest aussi pour moi une drive - on a tendance considrer de plus

Comment dfinir la sant mentale ? Cest encore un sujet tabou. Y travailler, nest-ce pas dabord aider les personnes accepter de franchir la porte ? En effet, plus que toute autre matire, la sant mentale soulve la question de la normalit. Il y a une sorte de soulagement de pouvoir dire : moi, je suis normal . Mais les mots renvoient une conception de la norme dont les consquences peuvent tre bien lourdes au niveau social. Pour poser le cadre, pouvez-vous situer la place de la sant mentale dans le champ des comptences de votre Cabinet ? Je voudrais traiter la question dune manire globale. Dans mes comptences, il y a la fois la sant, les affaires sociales, et lgalit des chances. Les thmatiques qui y sont abordes traitent toutes de lHumain. Elles sont transversales et complexes. Et, pour rpondre la question de la place du secteur dans mes matires, je ne peux laborder que dune manire transversale, sur une voie

mdiane entre deux extrmes qui vont du tout au social au tout au psy . On ne peut en effet psychologiser les problmes sociaux. Je suis convaincue que les ingalits sont les produits de mcanismes structurels et, si lon considre que toute personne en dcrochage social est un malade par nature, je pense que lon va vers une drive trs grave. Si lon nest pas bien parce quon est au chmage, parce quon a un logement pourri, parce quon ne trouve pas de solution ses problmes, cest normal ! Ce nest pas une maladie ! Ce quil faut rsoudre, cest lemploi, le logement et limage de soi dans la socit. Le travail dun dpartement comme le mien sera donc aussi de travailler les causes structurelles qui amnent ces difficults. Il faut par ailleurs bien garder lesprit que la Rgion wallonne est un oprateur de deuxime ligne. Son travail, dans ses diffrents dpartements, va consister rparer les dgts ; pas les prvenir car cest le rle de la Communaut franaise. Il ne faut toutefois pas se tromper sur ce qui provoque les dgts. Il est clair quil y a, aujourdhui, une dgradation globale de ce que lon va appeler la sant mentale,

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en plus que tout mal-tre chez lenfant quand il sexprime travers des comportements agressifs devient un handicap. Avec linsertion de la problmatique des 140 dans le secteur de la personne handicape, on va trs vite qualifier de handicap un enfant qui, par exemple, vit une situation familiale difficile grer. Et le champ de la sant mentale prend de lextension parce que finalement tout se passe comme si tout ce que lon ne sait rsoudre ailleurs devait se retrouver dans le champ de la sant mentale. Vous touchez donc diffrents aspects essentiels de la vie des gens. Questce que cela signifie en termes de priorits et en termes budgtaires ? Vu du ct des allocations budgtaires, dans mon dpartement, la sant mentale va concerner la fois les services de sant mentale, les initiatives spcifiques, les deux hpitaux psychiatriques de la Rgion, les services spcialiss en assutudes. En outre, on accorde les agrments pour les structures subsidies par le fdral. En termes de moyens au budget 2005, cela reprsente 22.577.600 pour les services de sant mentale et 2.022.000 en subventions facultatives. Je suis consciente que les moyens ne sont pas suffisants mais tant donn lampleur des problmes sociaux multidimensionnels, il est vident quil faut faire des choix et ces choix soprent entre des priorits. Les arbitrages se font sur des matires dont la lgitimit est incontestable. Dans le cadre budgtaire impos actuellement au niveau wallon, il faut fixer des priorits l o on ne devrait pas avoir en fixer. Dans le secteur de la sant mentale o on a men des expriences pilotes tout fait passionnantes et novatrices, qui mritent, chacune, dtre prennises, il faudra toutefois, dans le contexte budgtaire qui est le ntre, faire des choix, et ce ne sont jamais des choix faciles. Pour lexercice budgtaire 2006, comme votre secteur est concern par les accords du non-marchand, il va y avoir un peu de souplesse avec quelques moyens complmentaires. Cela ne sera pas suffisant pour rpondre lensemble de la demande. Je crois que lon va pou-

voir consolider certains projets qui taient novateurs et qui ont fait leurs preuves, mais il faudra oprer des choix et je compte bien sur le secteur pour maider les oprer. Cette imbrication entre problmes sociaux, de sant mentale et/ou physique et de handicap est bien relle et vous dites quil est important denvisager les orientations dans un ensemble. Trs concrtement, comment y arriver ? Je pense quil faut encourager le rseau. Cest un lment tout fait essentiel pour assurer cette transversalit. Il faut la fois encourager le rseau et transmettre les informations au public. Le patient est un client du service,

un usager et un bnficiaire, mais pas seulement, il est aussi un acteur. Sil ne devient pas acteur, on entre dans des logiques o il ny a pas de porte de sortie. Le rseau, cest une manire douvrir des portes vers autre chose et damener des complmentarits. Laccessibilit est lie au rseau. Sil ny a pas une prise en charge avec des portes qui souvrent vers une formation professionnelle, vers un contact social, vers une meilleure relation avec les autres, alors on cre des mcanismes qui sauto-alimentent et on ne rend pas un vrai service. Et laccessibilit, pour moi, cest la possibilit de passer dun service lautre avec souplesse compte tenu du prix, des horaires... Cest la plus value du rseau. Il y a, quon le veuille ou non, aujourdhui,

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Pierre Scholtissen, Atelier du CRF, du Club Andr Baillon

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une espce de hirarchisation des acteurs. Ce nest plus trop difficile actuellement daller au Forem sinscrire comme demandeur demploi. Cest une autre dmarche daller vers un CPAS. Cest une autre dmarche encore, un moment donn, de se dire : si je ne trouve pas ma place dans la socit, cest peut-tre parce que je ne suis pas bien dans la tte et je dois aller voir un psychologue. Et pourtant Cette fluidit pour moi, cest lenjeu du rseau. On est au dbut... Vous envisagez donc la question de laccessibilit telle que vous posez le concept de sant mentale, cest--dire bien au del de ce qui se passe dans la tte Et donc bien plus largement que le recours aux seuls services de soins en sant mentale. Tout fait. Jinsisterais aussi sur les outils dont chacun dispose pour tre lui-mme acteur de sa propre volution. Cela suppose que chacun puisse intgrer lide quil y a un dbut et une fin et quon va sen

sortir. Si on a limpression quon nen sortira jamais, alors, aller vers un service de sant mentale, cest entreprendre une dmarche voue lchec. Si on se dit quil y a un dbut et une fin, on traverse une tape dun parcours. Cest important de montrer comment on peut tre acteur, quel que soit le milieu auquel on appartient. On revient ici la question de la reprsentation de la maladie mentale. Les personnes qui vont mieux nosent pas dire quelles ont eu un problme de sant mentale. Les psys ne montrent pas suffisamment le rsultat de leur travail. Cest vrai que, en sant mentale, comme vous le disiez tout lheure, il est difficile de mettre une frontire entre ce qui est normal et ce qui ne lest pas, ce qui est plus fragile ou moins fragile, On peut difficilement dire que tout est termin et que la personne est gurie . Et pourtant, nombreux sont ceux qui ont bnfici dune aide approprie et qui vont mieux, qui se sont stabiliss et qui ont retrouv une place dans la socit. Il faudrait en parler davantage. Aujourdhui, tout cela est encore tabou.

A linverse, il y a aussi des milieux o ne pas avoir de psy , est un peu une lacune intellectuelle . Cela renvoie la question de la norme. Beaucoup de gens traversent des priodes difficiles. Cest normal. On nest pas heureux tout le temps. Le mal-tre fait partie de la vie. On est dans un monde dinscurit et tout le monde nest pas gal par rapport ses capacits grer cette incertitude. Moins on a de capacits grer linscurit, plus on est en difficult. Je me demande, moi, aujourdhui, si tre fort, ce nest pas accepter ses faiblesses. Le service de sant mentale peut aider la personne face cette inscurit, mais le recours ce type de prise en charge nest pas encore considr comme quelque chose de normal. Parfois, mme les CPAS ou dautres acteurs sociaux ont du mal orienter vers un service de sant mentale. Comment pensez-vous que lon pourrait soutenir le secteur dans cette dynamique ? On se rend compte que mme les mdecins gnralistes qui sont souvent confronts ces situations nont pas une bonne image du secteur de la sant

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mentale. Il y a encore un rel clivage entre sant physique et sant mentale et une mconnaissance du service de sant mentale. Il y a beaucoup dides prconues et de clichs. Linformation ne circule pas suffisamment. Je trouve parfois trs surprenant de voir quel point on oriente peu vers un service de sant mentale alors quen mme temps, on va donner facilement des anti-dpresseurs. Et pourtant, souvent, un accompagnement thrapeutique mme lger peut suffire dpasser une priode de crise. On vit dans une socit de grandes solitudes o il est plus facile de rgler le problme en prenant une pilule que par un dialogue. Je crois que la seule manire de dpasser les tabous, cest de communiquer et dencourager le rseau. A partir du moment o les acteurs de terrain se connaissent sur une entit, ils travaillent mieux ensemble. Des expriences sont menes certains endroits pour essayer de mieux connatre la faon dont fonctionne lquipe voisine. Ce sont des projets qui donnent de bons rsultats et qui dbouchent sur des expriences positives qui se renouvellent plus facilement. Un exemple serait la collaboration entre un service durgences dun hpital et un service de sant mentale. Comment arriver ce que la personne qui se prsente aux urgences puisse bnficier dune aide et dun soutien suffisant ? Dans certains endroits, les travailleurs du service de sant mentale vont une journe au service des urgences et mettent en place des techniques de tuilages pour arriver ce que la personne continue tre aide la sortie. La personne va rarement faire elle-mme le choix daller en service de sant mentale parce quelle est mal informe sur ce quelle vit et sur les aides dont elle peut bnficier. Le cadastre que vous avez ralis sinscrit aussi, sans doute, dans cette dynamique dinformation ? Il y a plusieurs aspects votre question. Si jai voulu avoir un cadastre complet de loffre de soins en Rgion wallonne, ctait aussi un peu en rponse lin-

terpellation de mon collgue du fdral dans un cadre de restructuration. Je navais pas dide prcise de loffre de soins. Jai voulu avoir une vue densemble et jai rassembl les informations sur toute loffre de soins : gnraliste et spcialise, ambulatoire et hospitalire. Le cadastre est presque termin mais il nest pas finalis. Il devrait constituer un bon outil de pilotage et mettre en avant les questions daccessibilit en interrogeant notamment la couverture des services. Il y a des zones qui ne sont pas couvertes et dautres o il y a des superpositions Par rapport ce que vous disiez tout lheure, est-ce que lide est dlargir ce cadastre aux autres structures psychosociales ? Pour le moment la premire tape porte sur tout ce qui est sant. Aprs, on pourra lenrichir au niveau social. Ce sera effectivement tout fait intressant de disposer dune carte qui va permettre de visualiser lensemble de laction mene dans mon dpartement et de poser une srie de questions qui alimenteront la rflexion sur les orientations, sur la couverture assure par loffre actuelle, sur les zones qui ont besoin dtre renforces Vous avez voqu les orientations prises au fdral. Le secteur dpend effectivement de politiques diffrentes et il a souvent limpression quau sommet, les choses doivent encore sarticuler Alors, sur le terrain, comment faire pour soutenir cette articulation qui se dessine ? Cest une question importante. En principe, larticulation se fait dans les confrences interministrielles. Maintenant les choses sont parfois compliques. Les intrts des uns et des autres ne sont pas toujours compatibles et les solutions sont difficiles trouver. Il en va ainsi, par exemple, de tout ce qui touche aux lits K ou de la pnurie de psychiatres et de pdopsychiatres. Jai crit mon collgue pour attirer son attention sur les difficults que cela posait en Rgion wallonne. Ce ne sont pas des

dbats simples, mais les dbats ont lieu. Ladaptation aux besoins du terrain se fait beaucoup trop lentement et parfois il faut attendre que la situation soit plus que critique pour initier du changement... Quoi quil en soit, le dialogue est l. Il en va de mme, entre autres pour le secteur de lenfance, la Communaut franaise. Personnellement, je suis trs frquemment interpelle sur des questions relatives laide la jeunesse. L aussi, mon avis, on aurait intrt structurer les choses diffremment, parce que quand il y a 4 ou 5 prises en charge diffrentes dans des cadres diffrents pour des problmes comparables, il est vident quon ne rend service personne. Comment envisager lavenir ? Il faut faire avec la situation telle quelle est, et aussi avec des sensibilits trs diffrentes. Je me rends compte quel point il est important que la Rgion wallonne se situe comme un oprateur rparateur . Cette conception rparatrice des politiques en matire de sant mentale ne correspond pas du tout une approche prventive comme la Communaut franaise, ou une approche judiciarise qui sera parfois celle de laide la jeunesse, On se retrouve devant des cultures trs diffrentes avec, parfois, des dfinitions de champs qui restent nbuleuses. Comment se situer notamment par rapport lAWIPH o, par exemple, lenfant victime de violence familiale reoit une tiquette de handicap ? Il faut lui assurer une prise en charge, mais le problme nest pas de lordre du handicap. La dfinition des champs est en cours. Si vous pouviez effacer le tableau , y aurait-il une priorit que vous voudriez soutenir en sant mentale ? Dabord sortir de la culture du mpris , changer le regard condescendant que lon a parfois envers ceux qui sont en difficults, notamment en matire de sant mentale, et donc considrer chaque individu comme un vrai acteur.

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Groupes thrapeutiques en rseau

Depuis fvrier 2003, le projet Groupes Thrapeutiques en Rseau (GTR) rassemble des professionnels de quatre services de sant mentale1 dans un groupe de travail qui a pour objectifs de penser, mettre sur pied et superviser des dispositifs thrapeutiques de groupe. Le projet a germ, voici cinq ans, dans le cadre du Service de Sant Mentale (SSM) LAccueil Huy, suite des difficults rencontres avec les prises en charge thrapeutiques classiques et suite au dsir dexplorer et de dvelopper dautres modalits de soin. Il se rfre des expriences menes ailleurs, en service public, Bruxelles et ltranger, parfois depuis plus de vingt ans, comme cest le cas en France dans des CMP et CMPP (lquivalent de nos SSM). Il se fonde sur la possibilit de raliser plusieurs ce qui serait hors de la porte dun seul.Benot Bourguignon, Coordinateur du projet Groupes Thrapeutiques en Rseau 2

jouent et se modulent diffremment dans un face face individuel ou dans une situation de groupe : linhibition, la gestion de lexcitation, le regard, le silence, la parole de lautre, la mise en scne, la prise de distance. Les cliniciens qui ont une pratique de groupe sentent parfois demble quune proposition de groupe serait bien indique pour tel enfant, tel adulte ou pour tel adolescent.

Quels groupes et pour qui ?Il suffit de mettre des gens ensemble pour que quelque chose se passe, cest vrai, et cet aphorisme dnote bien lune des bases des T-Group qui taient en vogue il y a plus de trente ans. Notre vise est diffrente, elle sloigne de lexprimentation. Elle part de ce constat : dans un groupe, chaque individu vit une rencontre privilgie avec lui-mme et avec les autres, avec son monde interne, son monde externe, et leurs intrications. Mais, selon ses caractristiques propres, chaque groupe va mettre en avant, va mettre au travail, certains aspects de cette rencontre plutt que dautres : limaginaire de chacun, sa capacit de collaboration une tche, sa capacit de penser et vivre la diffrence, ses ruptions motionnelles, ses impulsions agir, son inhibition, ses craintes, son agressivit, son contrle de lui-mme, sa jalousie, sa constellation familiale, son lien son corps, sa tolrance la rgression, sa capacit et ses niveaux de symbolisation, son rapport la rgle, etc. Depuis une trentaine dannes se sont crs et dvelopps des dispositifs de groupe quon peut diffrencier et regrouper selon deux axes : - Celui de la thorie qui les sous-tend : psychanalyse (groupe analytique, psychodrame, ), systmique (groupe de gnalogie, de systme familial, ), bio-nergie, gestalt, pour nen citer que quelques-uns. - Celui de la vise poursuivie : thrapeutique (groupe de dveloppement personnel, motionnel, de diagnostic, ) ou de formation (groupe de sensibilisation, de supervision, ).

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e constat ne surprendra personne : par leurs comptences et leurs diffrences, quatre SSM peuvent gnrer ensemble une dynamique inaccessible un seul dentre eux. Concrtement, le partenariat transversal entre ces quatre services a dabord pris la forme dun groupe de huit professionnels deux par SSM intresss et plus ou moins forms au travail de groupe. Ce groupe nomm cellule sest runi pour la premire fois le 4 fvrier 2003, dans les locaux du Ministre de la Rgion Wallonne Jambes, en prsence de linspectrice du secteur. Il sest choisi un nom projet Groupes Thrapeutiques en Rseau , sest structur et a dfini ses objectifs, ses moyens et ses priorits pour le travail dvelopper au fil de ses runions mensuelles.

groupe il se passe toujours quelque chose, et certaines personnes ne supportent pas quand il ne se passe rien, a les bloque. Comme on y est plusieurs, lattention de lun peut toujours se dtourner vers quelquun dautre, on peut sy sentir moins expos. Se retrouver en relation avec dautres, pour du vrai, renvoie autant soi-mme sa problmatique, sa similitude, sa diffrence qu sa relation aux autres peur, rivalit, agressivit, inhibition, intolrance Mais, direz-vous, ce renvoi soi-mme se met aussi en jeu dans une relation deux ! Bien entendu sauf pour des personnes enfants, adolescents, adultes qui, pour rencontrer ce quils ressentent, vivent, prouvent ; ont besoin que quelque chose de concret se passe, dans une ralit plurielle qui les met dans un palais des glaces sans les rendre chiens de faence. Aprs deux entretiens, certains adultes se taisent parce quils pensent avoir tout dit. Au bout de trois sances un enfant reste impassible au milieu de tous ces jeux qui lentourent. Ainsi, dans leur travail, les cliniciens buttent parfois sur une inadquation entre loffre et la demande de soins. Or, comme nous venons de lvoquer, toute une srie de paramtres

Pourquoi crer des dispositifs de groupes ?Parce que, mis dans une situation de petit groupe (de 5 10 personnes), nous ne sommes pas les mmes que dans une interaction deux. Nous sommes toujours nous, bien sr, mais les registres que nous mobilisons et les modalits de leur mise en jeu dans le groupe se prsentent de faon trs diffrente. Dans un

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Si un groupe de formation peut utiliser le mme support (le psychodrame par ex.) et avoir des effets proches de ceux dun groupe thrapeutique, mettre sur pied lun ou lautre de ces groupes implique des objectifs et des pralables fort diffrents. Nous navons pas voulu organiser dans chacun des quatre SSM une des formes de groupe thrapeutique cl sur porte. Au contraire, nous sommes partis de la situation propre chaque centre, des patients et des problmatiques qui, l-bas proccupantes, taient susceptibles dun abord groupal et, bien entendu, du niveau de ralisation possible, utile et souhaitable pour chacune des quipes. Cest huit personnes, puis dix, que nous avons pu ainsi penser cinq formes de travail thrapeutique de groupe, ralisant par notre propre travail de groupe ce qui naurait pu venir dun seul centre. Par ailleurs, la diversit de nos formations a permis quapproches analytique, systmique et corporelle senrichissent mutuellement.

motionnel et le jeu du groupe, elle amne lors dune sance un fantasme trs agressif qui la surprend, leffraie et dont, au dpart, elle se dfend. Tout ce matriel est contenu par le dispositif du psychodrame de groupe et est labor ensuite dans le transfert par rapport aux animateurs dans les sances. Violette participe galement dautres jeux qui sont sous-tendus par des mouvements motionnels trs forts. Le groupe de psychodrame a constitu, pour Violette, un espace mdiateur identificatoire et un tayage narcissique sur lequel elle a pu sappuyer pour sexprimer et se faire davantage confiance. Le cycle de sances termin, la maman de Violette confirme les progrs de sa fille. En effet, celle-ci peut beaucoup mieux saffirmer dans ses choix personnels, les expliciter davantage, voire parfois sopposer ses parents et dautres adultes, mettre des limites ses soeurs et russir lcole.

Ou pour KvinBien droit sur sa chaise la premire sance de groupe, Kvin observe les cinq autres et ne dit rien. Il scrute aussi ce monsieur et cette madame quil a rencontrs trois semaines plus tt avec sa maman. Sa mre nous avait parl de ce qui la proccupait. Son fils est toujours seul, il ne joue pas avec les autres dans la cour de lcole, il ne veut jamais inviter un copain la maison. Il a toujours la tte ailleurs et la russite de sa troisime primaire est compromise. Derrire son regard craintif, trs attentif pourtant, Kvin na pas desserr les dents. Conduit par ses deux parents, il arrive compltement crisp pour la premire des dix sances. Sous la pousse des encouragements de sa mre, il nous dit en quelques mots bredouills quil ne voulait pas venir. Nous avons accus rception. Il na pas ouvert la bouche cette fois-l. Etre dans un groupe avec deux adultes ; cest dabord comme si on tait lcole. Puis, audel des consignes de dpart crer un jeu ensemble , la mise en groupe fait son uvre. Des liens se tissent et les personnes se mettent bouger, parler, vouloir courir, sauter, grimper sur leur sige, et les deux thrapeutes tentent, pas toujours avec succs, de maintenir cette vitalit dbordante en intervenant sur lacte, la parole et le sens. A la deuxime sance, lors du rituel de pr-

sentation en cercle, Kvin arrive bgayer son prnom malgr son corps parcouru de tremblements. Il redit devant tous quil navait pas envie de venir. Aprs quelques fois, il sort de sa rserve, pris dans les sollicitations des autres et du groupe. Avait-il le choix ? Il aurait pu ne plus venir sans doute. Le voil qui, lui aussi, se risque tenter de dpasser les limites, lancer une injure ou crier comme un putois au cour dun jeu. Trs attentif nos ractions, il embraye pourtant dans le mouvement densemble qui cherche de plus en plus mettre les limites du groupe les ntres aussi lpreuve. Sollicit par les autres et le jeu identificatoire interne au groupe, Kvin rencontre peu peu lagressivit paralyse dans tout son corps. Il lui faut un espace transitionnel suffisamment expos et protg la fois. Et quoi, vous nallez pas raconter tout cela ma mre ? Non, mais on parlera de toi avec tes parents quand on se verra aprs la fin du groupe. Lentretien bilan fait partie du processus. En jetant des ponts entre le quotidien et le groupe, sans en faire le rapport mais en ayant pour vise ce que lenfant a pu y montrer de lui, il constitue un temps essentiel dchange laboratif dans laprs-coup. Aprs notre entretien, Kvin se rendait au goter danniversaire dun copain.

Pour Violette par exempleViolette a 13 ans quand ses parents consultent une pdopsychiatre au Centre de Guidance. En septembre, elle est entre dans le secondaire. Rcemment, elle a cach ses rsultats ses parents. Elle ma menti ! dit sa maman fche. Dhabitude, elle est trs sage, trs obissante et fait tout ce quon attend delle. Ses dissimulations les tonnent donc trs fort. Dans lentretien, la pdopsychiatre apprend galement quavec Violette on ne sait jamais ce quelle pense : elle ne veut plus aller au patro mais on ne sait pas pourquoi ! . Ils ajoutent que, dune manire gnrale, leur fille prouve des difficults exprimer son agressivit. Ils signalent galement que Violette ne sait pas bien se dfendre par rapport ses surs plus jeunes, fort envahissantes, qui sont dcrites comme de vrais dmons . Les parents souhaitent aider leur fille surmonter ses difficults. Un bilan instrumental est ralis afin de vrifier quil ny ait pas de problme ce niveau. Les rsultats sont rassurants. La pdopsychiatre dcide alors de lorienter vers le groupe de psychodrame pour adolescents qui existe au Centre de Guidance. Bien que trs timide, Violette se montre demble intresse par ce dispositif. En sance, elle participe bien. Entrane par le climat

Et prsent ?Cinq groupes ont t construits : trois pour des enfants (lun sorganisant autour de la cration dune uvre commune, lautre ax sur le jeu et le travail de linhibition, le troisime sur la symbolisation mdiatise et lindividuation), un pour des adolescents (psychodrame de groupe), un pour adultes (expression verbale). Actuellement tous ces groupes sont en cours ou ont termin leur premier cycle. Il est donc ce stade encore prmatur de dresser un bilan dfinitif de la situation mais quelques lments dvaluation laissent penser quil serait intressant de poursuivre laction entame, de crer de nouveaux groupes thrapeutiques voire, pourquoi pas, dintgrer ultrieurement dautres SSM au projet.1 Les SSM de Charleroi ( rue L. Bernus), Ottignies (rue des Fusills), Huy (rue de la Fortune) et le CSMU de Lige (rue Lambert-le-bgue). 2 Article co-sign par D. Huon, J-M. Warichet, L. Balthazar, X. Mulkens, A. dHaeyre, M. Blust, V. Liesens, F. Bouchat, F. Dispas.

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La prise en charge des mineurs en difficult.Elments danalyse dans la rgion de Namur

Le paysage de la prise en charge des enfants souffrant dun handicap physique, mental ou psychique sest diversifi au fil du temps pour adapter progressivement les rponses aux multiples situations de dtresse existantes. Rsultat : nombreuses sont aujourdhui les institutions qui se compltent et sarticulent dans diffrents secteurs pour aider les enfants en difficults, au bnfice des enfants mais au dtriment peut-tre dune bonne lisibilit des ressources. De l vouloir mettre de lordre il ny a quun pas bien lgitime certes ! Pour autant que lon puisse se donner les garanties que le secteur pourra suivre et quaucun enfant ne restera sur le carreau. Il faut dire quaujourdhui, les situations sont de plus en plus complexes et mlent trs souvent des paramtres individuels, sociaux, familiaux, conomiques, ce qui ne facilite en rien lanalyse. Cest dans ce cadre, aprs une premire phase de restructuration, que la Commission Jeunes de la Commission subrgionale de lAWIPH Namur a interpell lInstitut Wallon pour la Sant Mentale pour faire son bilan des premiers changements. Ltude tente de donner un aperu de lactuelle prise en charge des mineurs en difficults ainsi quune ide prcise des consquences de la rforme, tout en faisant cho des inquitudes formules par les acteurs concerns dans les diffrents secteurs.Virginie Olivier, charge de recherche, IWSM La rforme en questiontude a pour contexte larrt du Gouvernement wallon du 26 juin 2002, modifiant celui du 9 octobre 1997, relatif aux conditions dagrment et de subventionnement des services rsidentiels, daccueil de jour et de placement familial pour personnes handicapes . Il organise la fermeture progressive des Services dAccueil de Jour pour Jeunes SAJJ dpendant de lAWIPH. Lobjectif de cet arrt tait dune part daugmenter la fois le nombre de places pour personnes handicapes adultes et celui pour enfants et adultes polyhandicaps, et dautre part douvrir des Services dAide lIntgration SAI, prenant en charge davantage denfants selon une autre formule (non quotidienne). Il sagissait aussi de rformer des services aux pratiques fort diffrentes, certains tant, aux yeux du politique, assimils des semi-internats scolaires. Chaque SAJJ pouvait effectuer cette transformation en deux phases, lune effective en 2003, lautre devant ltre en 2006. Notons que ceux qui ont dcid dopter pour cette fermeture en deux temps esprent toujours pouvoir, avec les places dont ils disposent encore, poursuivre le travail spcifique quils mnent en SAJJ, base notamment sur la fonction daccueil. Paralllement, des diminutions de 10 % des lits taient annonces dans les Services Rsidentiels pour Jeunes - SRJ dont la capacit tait suprieure 75 lits, dans loptique de rhabiliter ces places pour des adultes.

Ltude en questionLIWSM a choisi dapprocher cette mutation transectorielle de manire qualitative, par le biais dentretiens avec diffrents services du Namurois concerns directement ou indirectement par la rforme. Transectorielle car, si seuls certains services bien dfinis ont t directement touchs par cette restructuration, cest toute une panoplie de services, issus de divers secteurs (AWIPH, Sant mentale, Enseignement, Aide la jeunesse, etc.), qui sest sentie concerne par le mme souci de continuer trouver une aide approprie pour des jeunes qui en montrent le besoin. Il a aussi choisi de centrer son approche sur les enfants et leurs trajectoires de vie. Car un enfant pris en charge dans un service vient de quelque part (parfois dun autre service) et poursuit son chemin par la suite. Ltude se voulait particulirement vigilante par rapport au devenir des enfants qui avaient d quitter une structure SAJJ ou SRJ suite la restructuration : des jeunes avaient-ils perdu leur place en se retrouvant sans solution ?

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Les consquences au niveau des enfants...La rponse cette question sest avre heureusement ngative pour la majorit des cas. En SRJ, les places perdues correspondent des fins de prise en charge et, en SAJJ, mis part pour un seul des services qui a transform toutes ses places en places pour adultes, les bnficiaires taient soit en fin de prise en charge, soit orients -gnralement les plus gs- vers le SAI cr suite la restructuration. Des contacts avec les partenaires scolaires laissent toutefois entendre les risques de dcrochage pour les enfants issus du seul SAJJ qui a ferm ses portes.

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... et des institutionsLtude sest aussi intresse aux fonctions redfinies des SAI, SAJJ et des SRJ. Il sest avr que chacun de ces services offrait bien une prise en charge spcifique adapte des besoins particuliers denfants, en fonction tantt de lge (par exemple les enfants plus jeunes se retrouvent plus souvent en SAJJ), tantt de la problmatique (les problmatiques doivent tre plus limites pour tre suivies en SAI) ou des ressources familiales (on pourra plus facilement viter une prise en charge rsidentielle en SRJ si on peut compter sur la collaboration de la famille), etc. On ne peut donc remplacer un service par un autre mais la diversit des rponses permet de mieux rencontrer la diversit des besoins.

dautres difficults sont encore voques, comme la slection des situations par les institutions (effectue notamment pour maintenir lquilibre du groupe), les parents quil faut convaincre de lintrt de lorientation tablie, la prise en compte des besoins de logopdie et de psychomotricit, les intervenants quil faut trouver (dans certaines rgions) et les situations urgentes, entre autres.

diminution de lquipe mdicale en SRJ. En conclusion La recherche se clture par lavis des professionnels sur les restructurations dans le secteur de lAWIPH, avec ses apports positifs et ngatifs et propose des pistes concrtes creuser. Parmi elles, citons : laisser la possibilit de combiner plusieurs types daides tous secteurs confondus ; valoriser le travail de prvention ; repenser le travail avec la famille ; passer le relais en douceur ; prendre ses responsabilits ; travailler avec des listes dattente ; tenir compte des enfants momentanment dscolariss ; miser sur la polyvalence et la flexibilit des services. In fine, la conclusion gnrale nest pas nouvelle mais les faits montrent quelle nest pas encore vraiment assimile. Cette analyse de la situation des mineurs en difficult confirme que toute restructuration -voire, plus loin, toute offre de service - ne peut sarticuler quautour de la question des besoins, en tenant compte avant tout de lintrt du bnficiaire et des ressources des autres services existants, quel que soit leur pouvoir de tutelle. SAJJ : Service dAccueil de Jour pour Jeunes SRJ : Service Rsidentiel pour Jeunes (anciennement IMP Institut mdicopdagogique) SAI : Service dAide lIntgration Pour en savoir plus : rapport et synthse disponibles sur www.iwsm.be

et ses impassesEnfin, nous avons rpertori les demandes qui sont orientes vers des services de lAWIPH sans quune rponse nait pu tre apporte dans ce cadre. La question des autres relais possibles sest alors pose. Il en ressort que, malgr les efforts de chacun, cest la disponibilit de places qui semble primer sur la relle adquation de la prise en charge et nombre denfants se retrouvent bien souvent avec une prise en charge inapproprie leur situation voire sans solution du tout. Lorientation des mineurs en difficult dpasse donc largement le cadre de lAWIPH puisque des relais sont trouvs, pour autant quils le soient, dans TOUS les secteurs lis lenfance.

Lorientation des situationsLe profil des demandes concernant des enfants en difficult est en mutation depuis quelques annes. On peut notamment pointer de plus en plus de situations de polyhandicaps, lamplification des problmes psychiatriques, labandon plus frquent des familles, une augmentation des enfants qui ne suivent plus lenseignement ordinaire, un accroissement de situations complexes issues du secteur de lAide la Jeunesse, etc. Linvestigation sest porte sur lorigine de ces demandes, puis sur leur parcours, souvent sem dembches.

Si la restructuration se poursuivaitCette tude pointe galement les risques lis la poursuite du mouvement de restructuration dans le secteur AWIPH qui risque, si lon y prend garde, daccentuer encore ces difficults. Ainsi, trois menaces planent suite la transformation des SAJJ : la disparition du travail thrapeutique particulier qui y est men et qui ne pas sera remplac ; le risque de dscolarisation li limpossibilit dornavant de soutenir le jeune dans sa scolarit et une exclusion de certains enfants ncessitant des soins. Pour les SRJ, les tmoignages font ressortir le risque de slection des problmatiques ; la crainte de devoir accepter des cas trop lourds ; lobligation de placements loin du domicile ; la peur dabsence de post-cure aprs passage en pdopsychiatrie. A cela sajoutent encore dautres pierres dachoppement qui rendent le travail de plus en plus compliqu dans le secteur comme, la

ses difficultsParmi les principaux obstacles, on recense le manque de places disponibles, les listes dattente subsquentes et les lacunes au niveau de la rpartition gographique. Certains profils posent particulirement problme : en cas de cumul des problmatiques par exemple, ou de troubles pdopsychiatriques avrs. Paralllement, certaines exigences institutionnelles sont parfois difficiles rencontrer : que se passe-t-il, par exemple, quand une famille na pas la disponibilit ou les moyens dassurer le relais le week-end et les vacances, quand un jeune ou son entourage nadhre pas au projet, quand les dplacements sont consquents ? Enfin,

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La loi de Dfense Sociale : 75 ans dapplication

Voil 75 ans que la loi de Dfense Sociale a t adopte en Belgique ; un moment cl pour dresser un bilan de son application et des ventuelles difficults qui sont, au quotidien, rencontres sur le terrain. Un colloque sera galement consacr cette question en novembre prochain1Pour le Groupe de Travail Francophone Dfense Sociale , Pierre Titeca, Psychiatre Centre Hospitalier Jean Titeca - Bruxellesla suite du mouvement de Dfense Sociale n la fin du 19me sicle en Europe Occidentale, une premire loi belge, dite de dfense sociale, a vu le jour le 9 avril 1930. Cette loi prvoit que les personnes responsables de dlits ou de crimes soient internes si, au moment des faits, elles sont considres comme ayant t en tat de dmence ou dans un tat grave de dsquilibre mental ou de dbilit mentale les rendant incapables du contrle de leurs actes. Linternement a pour fonction non seulement de protger la socit mais aussi de permettre ces personnes de bnficier dun traitement appropri dans un tablissement de dfense sociale (EDS) sous le contrle dune commission de dfense sociale (CDS). En cas dvolution positive, elles pourront tre libres lessai moyennant le respect dune srie de conditions dont une tutelle mdicale et sociale. Cette dernire peut sexercer en ambulatoire ou, si la situation le ncessite, dans un hpital psychiatrique ou tout autre lieu de vie protg. Enfin, la CDS peut librer dfinitivement lintern si elle lestime apte rintgrer la socit sans suivi mdico-judiciaire obligatoire. Aprs 75 ans dapplication, et bien que rforme en 1964, cette loi pose encore aujourdhui un grand nombre de difficults dans sa mise en pratique comportant trois tapes. Chacune delles soulve en effet des cueils bien spcifiques. La premire phase qui conduit au statut dintern est celle de linstruction et de lexpertise. Lautorit judiciaire comptente peut ordonner

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quil soit procd lexpertise psychiatrique dun dlinquant poursuivi du chef dun crime ou dun dlit. Ds lors, le magistrat sollicite de plus en plus le psychiatre et le psychologue, attendant deux un avis clair. La dcision prise lanalyse des conclusions de lexpert nest pas, bien entendu, sans consquence sur le devenir de la personne inculpe. Cette dernire reste incarcre et attend durant de nombreux mois dans une annexe psychiatrique (AP) dun tablissement pnitentiaire que son sort soit dtermin par la justice. Par ailleurs, de nombreuses questions se posent encore en ce qui concerne la formation des experts, leur statut scientifique, leur rmunration, et un consensus ventuel sur les critres de rfrences (notamment les dlais de remise des rapports dexpertise) et les mthodologies utiliser. La deuxime phase est celle de linternement et du traitement. Selon le rapport Cosyns2, la Belgique compte plus de 3300 personnes internes. Parmi celles-ci, 40% environ relvent dune mesure effective (article 14 de la loi). Certaines sont incarcres dans un tablissement du Service Public Fdral (SPF) de la Justice (AP des prisons, complexe pnitentiaire de Bruges, EDS de Paifve, Merksplas, Turnhout) ne pouvant y bnficier que dun traitement limit faute de moyens. Dautres sont places dans des tablissements de soins pour y tre soignes (EDS de Tournai et Mons, hpitaux psychiatriques, homes, habitations protges, maisons de soins psychiatriques, ...). Il existe dimportantes diffrences entre les parties francophone et nerlandophone du pays. Par

exemple, la quasi totalit (99%) des patients nerlandophones est incarcre dans un tablissement du SPF de la Justice dfaut de structures spcifiques pour leur accueil. Cette phase pose galement toute une srie de problmes : les spcificits des prises en charge (en particulier celles des dlinquants sexuels et handicaps mentaux), les modalits de rintgration dun patient sorti lessai, les contraintes financires pour les patients et les tablissements qui les accueillent, les difficults de trouver des alternatives linternement ... La troisime phase est celle de la rinsertion et du suivi socio-mdico-judiciaire. Elle implique lintervention de diffrents acteurs tant du domaine de la justice (assistants de justice, CDS) que de celui de la sant (hpitaux psychiatriques, initiatives dhabitations protges, centres de sant mentale ). Chacun de ceux-ci a un angle dapproche qui lui est propre. Cette situation complexe ncessite une collaboration troite entre les intervenants afin de faciliter, le cas chant, le parcours des patients au sein des rseaux socio-mdico-judiciaires. Ceci concerne les 60% des patients interns librs lessai (article 18 de la loi). Les mondes politique et judiciaire sont parfaitement conscients de toutes ces difficults. Ainsi des dbats parlementaires et des travaux de commission sont en cours depuis de nombreuses annes, sans pour autant avoir abouti jusqu prsent une rvision de la loi. Nanmoins, un changement important a dj vu le jour cette anne : le financement des soins nest plus charge du SPF de la Justice mais de lINAMI. De plus, le Conseil des ministres a avalis en juin dernier les recommandations du rapport Cosyns ce qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives dans le champ de la dfense sociale.1 Le Groupe de Travail Dfense Sociale organise les 24 et 25 novembre un colloque : 75 ans de Dfense Sociale : du droit au soin ! Bruxelles. Informations : 02/ 738 09 46 www.colloquium2005.be. 2 Groupe de travail Circuit de soins Psychiatrie Lgale. Rapport de synthse mai 2005. Prof. Paul Cosyns (prsident).

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Temps(s) et traitement psychiatrique : quelques articulations...Autre thme de rflexion mis en dbat, celui du temps consacr au traitement. Peut-on valuer quelle sera la dure dun traitement psychiatrique ? Comment ragir face aux pressions dimmdiatet et de rentabilit ? Est-il possible de croire que les liens peuvent se crer, hors temporalit, de manire presque virtuelle ? Le temps nest-il pas un lment essentiel du traitement ? Comment tre sr de ne pas senliser dans un processus de soins sans fin ? En guise dintroduction cette journe dtude1, voici quelques pistes de rflexions... Edith Stillemans, Mdecin-chef Christophe Herman, Psychologue Centre Hospitalier Jean Titeca, Bruxellesj, dans lantiquit grecque, les temples dAsclpios offraient diffrentes approches thrapeutiques spcifiques des tats qualifis, lpoque, daveuglements . Ces thrapeutiques comprenant jene, processions, longues heures de suggestions verbales, mettaient en jeu, dans sa dure, le temps qui apparaissait dj indissociable du traitement. Plus prs de nous, au cours des derniers sicles et jusqu il y a peu, les reprsentations sociales ont parfois qualifi lasile de lieu de soins mais, plus souvent, de lieu denfermement vie. En effet, faisant cho la maladie mentale considre comme chronique voire incurable, le temps du traitement a t lui aussi suppos interminable, se confondant ainsi avec une dure dhospitalisation illimite. Dans les faits, pourtant, il semble que la ralit ait t bien diffrente. Cest ce que nous constatons notamment au travers de lexamen de la population accueillie au Centre Hospitalier Jean Titeca (CHJT) Bruxelles durant la seconde moiti du XIXme sicle2. 87,3% des personnes hospitalises y sjournaient moins dune anne. Les courts sjours y constituaient vritablement la rgle. Nanmoins, il faut souligner le taux important de dcs relev dans cette population (un tiers des personnes hospitalises). Celui-ci a certainement contribu soutenir certaines reprsentations sociales confirmant dramatiquement la formulation : lorsquon entre lasile, on nen ressort pas . Depuis plus de trente ans, dans les suites de la dcouverte des psychotropes et dans la mouvance du courant antipsychiatrique et de dsinstitutionnalisation ainsi que du dveloppement des psychothrapies, les alternatives thrapeutiques se sont vues crotre de manire exponentielle. Actuellement, la rorganisation en rseaux et circuits du champ de la sant mentale et de la psychiatrie vise concilier de manire optimale ces offres thrapeutiques avec le bien-tre de la personne tout en tenant compte des impratifs budgtaires. Ces dernires contraintes introduisent au cur mme des soins la ncessit de rendement et defficacit. Ainsi, la performance dun traitement sapprcie-t-elle, entre autres, la brivet de la prise en charge. Si nous nous rapportons une lecture descriptive des troubles mentaux, il savre que le traitement contrle rapidement les symptmes de certaines personnes, les attnue chez dautres ou reste sans effet, mme au fil du temps. Chroniquement aigus, ces dernires personnes ne sont pas, brve chance, candidates aux structures ambulatoires et sjournent parfois durant de longues priodes lhpital. De plus, une mme personne peut, divers moments de son histoire, passer de lune lautre de ces situations en fonction de ce quoi elle est aux prises dans son existence. Ds lors, nous le voyons, point de solution dfinitive ou de rgle invariable en ce qui concerne lefficacit des traitements et leur dure. Au-del de labord descriptif des symptmes, de la diversit des approches thrapeutiques et de leurs modes opratoires, relevons un enracinement commun, savoir laccompagnement du patient dans la recherche dune qualit de vie optimale au sein de la socit ; ceci, quels que soient le dispositif thrapeutique et la modlisation sur laquelle ils sappuient. Ainsi des notions telles que laccueil, lhospitalit, lengagement des professionnels et la qualit des changes humains, restent donc des pierres angulaires de nos pratiques. Et, de par leur nature, le temps imparti ces notions ne peut tre fix lavance. Comment, en effet, imaginer rduire ce temps existentiel et subjectif, ce temps de la rencontre dans ses dimensions transfrentielles un temps mtrique parfaitement contrl et rentabilis ? Les spcificits dun hpital psychiatrique comme le CHJT rsident, notamment, dans une efficacit se voulant incisive sur la souffrance et les symptmes, souvent rsistants, particulirement incompatibles avec la vie en socit. En outre, la ralit clinique que nous accueillons nous enseigne que si les troubles psychiques peuvent sapaiser, nous ne parlerons pas, pour autant, de leur gurison . En outre, lapaisement est souvent transitoire, fragile et la psychose, en particulier, reste invalidante sur le plan relationnel. Les modalits et la dure du traitement lhpital psychiatrique sinscrivent, pour nous, dans un processus pouvant aider la personne sapproprier se rapproprier ce dont elle a besoin pour renouer avec une existence qui lui soit plus supportable. Diffrents niveaux sont concerns : traitements, volet affectif et relationnel, aspects sociaux et conomiques, Tous participent ce que la vie lextrieur soit nouveau praticable, ce qui ne signifie pas quelle soit asymptomatique. Bien souvent, la sortie ne savre compatible quavec la poursuite dun accompagnement individualis et pacifiant. Les modalits en prennent les formes varies quoffrent aujourdhui les structures extra hospitalires. A chaque fois, dans la rencontre, soignants et patients construisent ensemble un temps de prise en charge. Temps qui est source de surprises. Parfois il se suspend... mais il connat aussi ses ellipses. Les rcits dune prise en charge que se donnent patient et soignants ne sont habituellement pas superposables. Chacun a ses enjeux propres, son rythme, ses effets... Ainsi, en va-t-il des rpercussions potentielles, de la rinscription par un sujet dlments significatifs dans son histoire. Aujourdhui, les notions de progrs, defficacit et de rendement sont omniprsentes dans notre socit. Nous permettra-t-on encore de prendre le temps ncessaire laccompagnement du sujet ? L o les rponses court terme restent insuffisantes ou sans effets, nous laissera-t-on encore le temps de susciter des instants diffrents ? Quelles seraient lavenir les alternatives oprantes ces traverses thrapeutiques au long cours ?1 Le Centre thrapeutique et culturel Le Gu et le Centre Hospitalier Jean Titeca organisent, le 11 octobre, Bruxelles, une journe de rflexion intitule : Quand le temps devient traitement . Informations : 02/ 738 09 58 www.chjt.be/colloque 2005. 2 Schellekens A., Herman C., Brves chroniques des longs sjours. Centre Hospitalier Jean Titeca- Bruxelles, nov 2004. Disponible en ligne. http://www.chjt.be/colloque2005/docs/CHJTiteca-Schellekens-Herman.pdf

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A vos agendas !Exposs, rencontres et dbats seront au programme de ce mois doctobre dans le cadre de la Journe europenne de la Dpression et, quelques jours plus tard, de la Journe mondiale de la Sant mentale. LInstitut Wallon pour la Sant Mentale est partenaire de ces 2 campagnes dinformation et de sensibilisation. Rendez-vous est pris du 6 au 12 octobre Nous vous attendons nombreux !Journe europenne de la DpressionLa dpression est devenue un vritable problme de sant publique. Selon lOMS, elle sera, en 2020, la premire cause mondiale dinvalidit aprs les maladies cardio-vasculaires. LEDDA (European Depression Day Association) est une association non gouvernementale qui a pour objectif dorganiser, dans tous les pays dEurope, une journe commune consacre limportance des troubles dpressifs. La Belgique en sera partie prenante avec lorganisation, lArsenal Namur, dune journe de rflexions, danimations et dchanges : La dpression ; quest ce qui marche ? 1. Il sagira de mieux informer tout un chacun de limportance de la prvention, du diagnostic prcoce, des traitements adquats, mais galement de promouvoir une recherche de qualit, de dstigmatiser le patient dpressif, dencourager une rpartition adquate des ressources ainsi que de contribuer amliorer la qualit de vie des patients en soutenant leur rinsertion dans la socit, dans le milieu professionnel, dans leur culture. En 2004, la premire Journe europenne de la Dpression avait pour thme : La dpression, le compte rebours pour 2020 a commenc . Cette anne, nous traiterons donc, tant en Wallonie quen Flandre2, de la dpression travers diffrents exposs, centrs, entre autres, sur ce qui se passe rellement dans cette pathologie, sur les rsultats des diffrents traitements, sur le fonctionnement et les capacits dadaptation du cerveau humain, Cette initiative concerne la fois les mdecins gnralistes, les psychiatres et tous les autres professionnels de la sant, les organisations nationales, les associations de patients et le grand public. Grce aux efforts de tous, nous pourrons peut-tre vaincre la dpression mais pour cela, nous avons besoin de votre participation, venez nous rejoindre !Dr. Carine Lambot Service Psychosomatique Clinique Universitaire de Mont-Godinne

Journe mondiale de la Sant mentaleCa se passe prs de chez vous les 7, 10, 11 et 12 octobre. Que vous habitiez Namur, Ciney, Mons, Mouscron ou les environs (la Wallonie nest pas si grande !), nous vous convions une soire cin-dbat sur la sant mentale. Quatre films sont laffiche : La Moustache dEmmanuel Carrre ; Wilbur wants to kill himself de Lone Scherfig ; Les Mots bleus dAlain Corneau et Gabrielle de Patrice Chreau qui explorent, tour tour, la confusion des sentiments, le doute, la culpabilit, lamour, la vie, la mort, lintime, lincommunicabilit, la dcouverte de soi Quatre longs mtrages, graves ou lgers, parfois dcals, souvent films avec pudeur qui nous parlent tantt de la difficult dun homme donner sens sa vie ; tantt du silence tendre et meurtri de lenfant face au monde ou encore dun tre qui voit son identit vaciller ; dun couple que tout semble dsormais sparer Quatre coups de projecteurs sur des acteurs qui ont su jouer de leur talent pour rendre compte de la complexit des sentiments, des peurs, des motions, des dsirs, des doutes. Des films qui, nous lesprons, auront une rsonance suffisante que pour vous donner lenvie, au terme de la projection, de dbattre, discuter, changer vos points de vue, vos questions, vos tentatives de rponses en matire de sant mentale. A qui sadresser quand cela ne va plus ? Quel relais prconiser lorsque lon ne se sent plus les comptences suffisantes que pour pouvoir aider une personne en souffrance ? Quels sont les services existants dans la rgion ? Quels types daides proposent-ils ? Quelles sont les expriences des uns et des autres ? Du tout public , des intervenants de premire ligne, des professionnels en sant mentale ? Leurs vcus ? Leurs expertises ? Usagers, familles, professionnels se sentent encore trop souvent seuls, dmunis ou peu informs face aux questions de sant mentale. Cet vnement, coordonn par lInstitut Wallon pour la Sant Mentale, est organis en partenariat avec les Plates-formes picarde et namuroise de concertation en sant mentale, avec le Centre de jour Laurent Marchal Mouscron, avec les cinmas Forum Namur, Plaza Art Mons et les cin-clubs de Ciney et de Mouscron. Le Fonds Reine Fabiola pour la Sant Mentale, gr par la Fondation Roi Baudouin, soutient linitiative et profitera de loccasion pour lancer officiellement la publication de son livre La sant mentale au plus prs des gens . (www.kbs-frb.be)Sylvie Grard - IWSM Renseignements : IWSM : 081/ 23 50 15 Nhsitez pas nous demander le programme et lafficher ! Ces informations sont disponibles sur le site www.iwsm.be

Renseignements : IWSM - 081/ 23 50 151 Deux modules sont proposs au public dans le cadre de cette journe : Adolescence et dpression (de 13H30 16H00) et Plasticit neuronale et dpression de 19H30 un peu plus de 22h00. Entre gratuite. 2 N. Zdanowicz reprsente la Belgique au sein de lEDA. La coordination est assure en Wallonie par le Dr. P. Schepens et en Flandre par le Dr. P. Beusen. Le Comit scientifique belge est reprsent par F. Bartholom, L. Beusen, K. Demyttenaere, P. Flroris, P. Meesters, P. Nijs, par les Prof. D. Pardoen et H. Vandenameele. LInstitut Wallon pour la Sant Mentale, Penses de Psychiatrie asbl, la Socit Scientifique de Mdecine Gnrale et Newton 21 sont membres du C.O. de cette journe.

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In-Folio - InfosA pointer parmi les nouveauts du centre de documentation :Ct revues :La Parentalit lpreuve de la prcarit Dans : LObservatoire, n 45, aot 2005

Ct livres :Les Naufrags avec les clochards de Paris Patrick Declerck, Paris, Editions Plon, 2001, 475 p. (coll. Terre humaine/Poche)

Douleur en sant mentale Dans : Sant mentale, n 99, juin 2005 Le Couloir des urgences Dominique Meyniel, Paris, Le Cherche midi, 2002, 185 p. (Le Livre de poche)

Psychologues en tension Dans : Rhizome, n 19, juin 2005 Suicide par prcipitation Dans : Sant mentale, n 98, mai 2005 Politique de la ville et sant mentale Dans : Pratiques en sant mentale, n 3, aot 2005 Les Famillles des patients (2me partie) Dans : Ethica clinica, n 38, juin 2005 La Rsidence alterne : quel choix pour lenfant Dans : Le Journal des Psychologues, n 228, juin 2005 LExamen psychologique : intrt et renouveau Dans : Le Journal des Psychologues, n 230, septembre 2005 Etre infirmier en psychiatrie, dhier aujourdhui Dans : Soins psychiatrie, n 239, juillet/aot 2005 Les Psychoses rfractaires : modles de traitement qubcois et canadiens Dans : Sant mentale au Qubec, vol. XXX, n 1 Approche centre sur la personne : pratique et recherche Le premier numro (juin 2005) de la revue francophone internationale

LAdolescence en rupture : le placement au fminin : une enqute de terrain Jacinthe Mazzocchetti, Louvain-La-Neuve, BruylantAcademia, 2005, 170 p.

Envie den savoir plus sur lactualit en sant mentale en Wallonie ? Conuenciel ! Vous pouvez, gratuitement, vous abonner Confluenciel, le bulletin lectronique de lInstitut Wallon pour la Sant Mentale. Ce nouveau support complte la revue Confluences en vous communiquant, une fois par mois, les informations qui traversent le secteur, les questions souleves par les Membres de lInstitut Wallon pour la Sant Mentale, les projets et initiatives en perspective, les nouvelles de partenaires en Wallonie ou ailleurs et les communications officielles. Infos : Delphine Doucet - [email protected] O81/23.50.12

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Urgences psychiatriques et interventions de crise

dossierC

e troisime dossier de lanne 2005 aborde lui aussi un aspect de laccessibilit en sant mentale. Dans ce numro, lInstitut se penche sur lpineuse question de lurgence. Epineuse car le terme urgence nous renvoie la question du temps ; au sens quon lui attribue, la perception du monde quil reflte, aux actions qui en dcoulent Notre perception du temps est intrinsquement li notre culture, notre vcu, nos angoisses, notre milieu social... En sant mentale plus particulirement, le temps, par nature introspectif, est aussi peru travers la souffrance psychique. La ncessit de recourir lurgence pose question. Qui ncessite lurgence et dans quelles circonstances ? Comment est-elle accueillie et traite ? Dans ce numro, les tmoignages recueillis auprs de diffrents intervenants montrent que lurgence peut se dposer partout. Des professionnels, de premire et seconde ligne, y font part de leurs pratiques ; de leurs questions aussi. Certains services durgence semblent, premire vue, des modles daccessibilit : ils sont ouverts 24h sur 24h, accueillent toutes les demandes, proposent un bilan mdical complet Or, vous lirez, notamment travers le tmoignage de familles, quil rgne une forme dincomprhension rciproque autour de lurgence. Les professionnels se disent submergs durgences toutes relatives . Quant aux familles, elles regrettent parfois le peu de considration dont elles font lobjet : leur demande nest pas entendue, le dlai dattente est trop long, le temps dintervention qui leur est rellement consacr, en dfinitive, bien court ... Dans une socit qui se modernise et se complexifie, les rponses de plus en plus rapides apportes nos questions nous font bien souvent perdre le sens du temps. Aujourdhui, linsoumission lattente saccompagne dune frustration toujours plus grande. Le temps du malade nest pas celui de la famille, encore moins celui du prestataire de soins. En sant mentale, la famille a souvent vcu son urgence dans la tension elle demande donc que les prestataires agissent rapidement pour dsamorcer les problmes, mais quils prennent le temps de les entendre. Cest bien l le paradoxe. Comment agir rapidement et prendre le temps ncessaire lcoute, pour des problmes parfois trs complexes, sans augmenter la longueur de la file dattente ? Dans les pages qui suivent, certains auteurs lancent des pistes pour une meilleure prise en charge aux urgences. Le ct prventif pourrait remplir un rle important : responsabiliser certains patients qui encombrent les services durgences, intervenir directement au domicile des patients psychiatriques, dgager les moyens qui permettent aux professionnels de prendre le temps de lcoute au sein mme des urgences et surtout assurer le suivi du patient au-del de lurgence. Cest dans cet esprit que lInstitut wallon pour la sant mentale vous propose de prendre le temps de lire ce dossier afin de rflchir au sens de lurgence en sant mentale, de repenser laccueil des malades et des familles.

Denis Henrard Comit de rdaction de Confluences

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Les urgences : mise en perspective

Lorsque lon souhaite apprhender un phnomne comme celui des urgences , mises en contexte et en perspective historique paraissent indispensable une pleine comprhension. Le court espace de cet article ne permet pas une analyse dtaille mais quelques points de repres sont envisags. La problmatique des urgences aborde sera, essentiellement, celle des services des urgences des hpitaux gnraux qui est la mieux connue. Les urgences rencontres en mdecine gnrale, pour nombreuses quelles soient, ont fait lobjet de peu dtudes et les gnralistes les grent le plus souvent seuls1. Comparativement ces deux grands rcepteurs des urgences, hpitaux psychiatriques et services de sant mentale occupent une place numriquement beaucoup moins importante et, la diffrence des hpitaux gnraux et des mdecins gnralistes, les urgences quils reoivent rsultent dune orientation pralable, implicite ou explicite, vers lunivers spcialis quils reprsentent.Philippe Hoyois, Sociologue, chercheur Service de Sant Mentale de lULB et Unit de Psychologie Mdicale, UCL.histoire des hpitaux de Paris permet de se faire une rapide ide de lvolution de ce type particulier dinteraction entre des patients ncessitant des interventions trs diversifies et un dispositif de soins. Ds 1666, un grand rglement mdicochirurgical organise laccueil de ceux enfants, adultes, dtenus, alins, blesss, accouches, scorbutaires, victimes de la peste ou de la contagion - qui, toute heure, se prsentent la porte de lHtelDieu2. Aprs 1801, trois modes dadmissions diffrents y sont reconnus : se prsenter le matin la consultation gratuite, solliciter une admission en urgence en dehors des heures de consultation - impliquant la mise en place dune liste de garde pour les mdecins ou sadresser au bureau central des admissions qui statuera. La notion durgence napparat vritablement que dans la seconde moiti du 19me sicle. En 1876, un service de nuit est organis qui demble interviendra

Cas o le malade ou laccident qui se prsente hors des heures de fonctionnement des consultations ou qui arrive sans rendez-vous une consultation et quon doit examiner et traiter sans dlai 5, celle de Clment, en 1995, qui indique que la mission des services durgence est laccueil de tout patient arrivant lhpital pour des soins immdiats et dont la prise en charge na pas t programme, quil sagisse dune situation durgence lourde ou dune urgence ressentie 6. En Belgique, la premire loi relative laide mdicale urgente est publie le 8 juillet 19647. Le service 900, destin dabord secourir les accidents et les blesss sur la voie publique, dbute son activit en juillet 1965. Les normes minimales pour lagration dun hpital dans la chane 900, tablies en 1966, ne seront cependant jamais ratifies par les autorits. Malgr cela, 196 hpitaux seront agrs mais, en 1977, seuls 60 disposent dune permanence mdicale organise lintrieur de linstitution. En 1977 toujours, le constat est fait que le public fait de plus en plus appel aux salles durgence, sans recourir au 900. Un directeur dhpital plaide pour louverture de salles durgence dans tout hpital rgional, considrant que lorsque laccueil des cas urgents ou des cas urgents supposs ne seffectue pas correctement [dans lhpital auquel les patients ont lhabitude de sadresser -NDLR], la relation de confiance hinterland-hpital est brise Tout hpital pour maladies aigus doit assurer par consquent un service de garde en permanence . Cette mme anne 1977, des normes architecturales et fonctionnelles sont fixes, dterminant deux types de services, organiss en ensembles spcifiques correspondant une hirarchie des moyens humains et techniques. Lorganisation hospitalire des urgences ne cesse ensuite de samliorer8. Les Services Mobiles dUrgence et de Ranimation (SMUR) sont fonds en 1998. En mai 2005, on compte, dans les hpitaux gnraux, 140 services de soins urgents spcialiss (dont 100 participent un des 80 SMUR) et 24 services de premier accueil des urgences9.

L

prs de 10 fois quotidiennement. Craintes de suffoquer, affections nerveuses, convulsions, nvralgies, nvroses, suicides font partie des troubles traits. La fin du 19me sicle voit la multiplication des postes de secours et lapparition des premires ambulances urbaines. Au dbut du 20me sicle, les systmes de garde sont encore organiss de faon dsinvolte et lexpression mdicale il ny a pas durgence, il ny a que des gens presss, traduisant bien cette dsinvolture, date de cette poque3. A partir des annes 20, des services portes souvrent progressivement dans la plupart des hpitaux pour recevoir, traiter et oprer les malades amens toute heure de laprs-midi et de la nuit, sans perturber le fonctionnement des autres services. Le systme sera progressivement amlior pour aboutir linstitution de vritables services durgence au dbut des annes 704. Enfin, pour rendre compte des volutions rcentes, il est intressant de comparer la dfinition de lurgence donne en 1971 par Chevallier :

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Si, en Belgique, les donnes sur loffre sont facilement accessibles, elles savrent beaucoup plus fragmentaires du point de vue de lactivit. Les plus anciennes montrent que sur 23 ans, entre 1964 et 1987, le nombre des appels pour ambulance au 900 passe de 63.195 200.945, soit une augmentation moyenne de prs de 9,5 % par an. En 1984, une enqute du Conseil National des Etablissements Hospitaliers portant sur les urgences arrives aux hpitaux de janvier juin, les chiffrait 579.892 ; 63 % des patients retournant domicile ensuite. En 2003, pour les mois doctobre dcembre, sur base des donnes du Rsum Clinique Minimum compltes par 110 services durgence sur 113, le nombre total de sjours avait t de 574.255 dont 71 % ambulatoires. Sappuyant sur ces chiffres, on peut estimer que le nombre durgences arrives dans les hpitaux gnraux tait de plus de 2,35 millions en 2003, soit environ le double de 1984 ou, en prs de 20 ans, une augmentation moyenne annuelle denviron 5 %. Mais la forme de cette croissance, continue ou par paliers, reste inconnue. Ainsi, depuis 40 ans, le recours aux services des urgences hospitaliers na cess de crotre : ces services sont un symble-phare des systmes de soins modernes. Leurs taux de frquentation connaissent des augmentations largement suprieures celles de la plupart des services hospitaliers comme de la majorit des prestations ambulatoires10. Ces services prodiguent des soins immdiats 24 heures sur 24 et offrent une facilit daccs des plateaux techniques parfois extrmement sophistiqus. Cette volution de loffre mdicale, visant dabord les situations les plus critiques, sest traduite par une augmentation des demandes de soins qui y sont adresses, y compris pour des situations qui, selon les critres mdicaux qui prsidaient leur cration, ne prsentent pas un caractre urgent11. Les services durgence se sont adapts cette demande nouvelle et le rflexe dy recourir pour les situations les plus diverses sest largement implant dans le public. Cette tendance se retrouve dans la plupart des pays, y compris ceux en dveloppement. En Europe, elle se manifeste alors mme que les mdecins gnralistes continuent assurer des interventions urgentes dans le cadre de gardes organises ou au bnfice

de leur patientle12. Cette croissance nest pas non plus lie un changement dmographique dans la population et ce ne sont pas les patients utilisateurs plus ou moins rguliers des dispositifs de soins urgents de 5 prs de 50 % selon les services tudis - qui suffisent lexpliquer. Laugmentation prononce des actes mdicaux raliss sans programmation traduit donc une volution indniable dans les modes de recours aux soins. Les causes en sont multiples. Globalement peuvent tre envisags : la sensibilit croissante de la population aux problmes de sant, souvent vcus, de plus, sur un mode motionnel ; le consumrisme mdical de certains patients ; lincapacit danticipation ou le dni dbouchant sur un tat critique pour un individu ou une famille ; lexacerbation ponctuelle de pathologies chroniques chez des patients vivant domicile ; des amnagements instables des modes de vie, lis notamment aux pressions professionnelles et familiales, lindividualisme ou la diminution des solidarits... Plus spcifiquement, pour les services durgence, on retiendra notamment la facilit daccs de services qui accueillent sans conditions et 24 heures sur 24 les situations mdico-chirurgicales les plus varies; lanticipation par le patient - fonde dans 80 % des cas - du besoin dexamens complmentaires ncessaires, effectus dans la continuit, mme au prix du temps dattente13 ; limpression de gratuit14 ; la possibilit daccs aux soins quils offrent des personnes marginalises ; la qualit perue des soins et probablement une image faite de comptence et de technicit mais aussi et surtout dhumanit dont les sries tlvises Urgences et New York 911 seraient un reflet. Pour nombre de ces visites portant sur des problmes a priori mineurs, deux groupes dutilisateurs tendraient se distinguer sociologiquement : une population de milieu social dfavoris qui souvent consulte bon escient et pour qui lhpital est frquemment la seule source de soins disponibles et une population relativement aise, consumriste et scuritaire, cherchant une rponse immdiate et la plus efficace possible son problme15. Dans ce contexte de demande toujours croissante de soins urgents16, il ny avait aucune

raison que les problmatiques psychiatriques ou psychologiques chappent au mouvement. Dautant que ces demandes sadressent dans leur presque totalit des services durgence ou des mdecins gnralistes dont la reprsentation que peut en avoir le public ne les associe pas la folie, la psychiatrie ou la sant mentale, encore stigmatises aux yeux de beaucoup. Lorsque lon sait quau Canada, aux PaysBas et aux Etats-Unis, 68 78 % des personnes qui ont souffert dun trouble mental17 au cours des douze derniers mois nont reu aucun traitement18 et quun constat similaire est fait en Belgique, dans la province de Luxembourg19, on conoit quune partie dentre elles soit susceptible de consulter en urgence. Dautant quen termes cliniques, les volutions paraissent aussi sensibles. Dj en 1982, Samitca20 relevait des changements significatifs dans le profil de la demande daide psychiatrique, notant laugmentation des patients prsentant des troubles du caractre et de la personnalit ; lapparition de nouvelles catgories de demandeurs de soins pour des troubles motionnels lis au passage dune classe dge une autre et un nouveau type de demande lie une dstabilisation, une mise en chec de la capacit dadaptation autrement dit, lie des tats de crise. Les transformations socitales et le contexte socio-conomique ny sont pas trangers. Inscurit demploi, exclusion du march du travail, obligation de performance mais aussi conflits relationnels, difficults se projeter et se construire une identit sont sources dun mal-tre qui peut apparatre flou . La demande oscille alors, pour reprendre lexpression de Donnet21, entre le tout dun besoin trs global de compltude, didentit, de tout-savoir et le rien dun bien de consommation. Si lon met en rapport ces situations cliniques avec trois temps possibles dvolution pour une situation particulire, ceux de lmergence, de la crise ou de lurgence (voir encart ci-joint), on concevra que nombre de personnes souffrant de ces troubles sont plus que susceptibles de consulter en crise, voire en urgence, un moment ou un autre de leur existence.

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Les situations de crise et durgence psychiatriques reprsentent selon les auteurs et les hpitaux, de 10 30 % du total des urgences22. Pour les plus grandes salles durgence du pays, gnralement associes aux plus grands hpitaux, cela peut reprsenter entre 10 et 15 situations de crise ou durgence psychiatrique par jour23. Il ny a rien dtonnant alors ce que, depuis longtemps, certains de ces hpitaux surtout lorsquils ne disposaient pas dun dpartement de psychiatrie important aient mis en place des quipes psychiatriques spcialises, intgres la garde gnrale24 25. Il sagit le plus souvent dinitiatives internes spontanes qui ont trouv ensuite, tant bien que mal, des financements (auto-financement, financement interne, contrats de scurit, projets pilotes) assurant leur prennit. Dans ces units spcialises, en gnral, 20 30 % des cas sont des dcompensations de pathologies psychiatriques avres et 70 80 % des situations de crise, qui concernent essentiellement des problmatiques relationnelles (famille, couple, problme de ladolescence) ou psycho-sociales, certaines savrant parfois particulirement complexes. Compte tenu des caractristiques cliniques des situations rencontres dans ces services, des modes de prise en charge spcifiques ont t peu peu labors qui trouvent, pour la plupart, leur rfrence initiale dans les travaux sur les thrapies brves. En fonction des personnes, des situations, de la prsence ou de labsence dentourage soutenant les stratgies de soins varient, allant de la mise jour des mouvements inconscients qui ont conduit la crise ouvrant une interrogation susceptible de soutenir une dmarche thrapeutique la cration dun espace de ngociation du soin, impliquant patient, entourage et professionnels26. Ce contexte trs particulier de la salle durgence comme lieu de transition implique invitablement sous peine dpuisement professionnel la mise en place dun travail en rseau. Il sagit, dune part, dapprhender les diffrentes facettes dune situation souvent confuse et complexe, que le contexte de crise rend cependant parfois plus ais lucider et, dautre part, dorganiser, lorsque ncessaire, la poursuite des soins en aval. Cela implique ncessairement lintgration de lquipe psychiatrique de crise et durgence

un dispositif plus large, mme doffrir la plupart des ressources ncessaires tant la rsolution de la crise ou de lurgence qu la mise en place dun suivi thrapeutique ultrieur. La plupart des auteurs qui se sont penchs sur les problmes dorganisation des soins en psychiatrie, reconnaissent que les quipes de crise et durgence reprsentent un lment essentiel dun dispositif de soins cohrent. Beaucoup dpend alors de la nature et de la gamme de services offerts par le dispositif existant27, de son tendue gographique et de la taille de la population couverte. Emergence : Apparition dune situation problmatique pour laquelle diffrentes issues sont possibles. Crise : Situation problmatique dans laquelle la (les) personne(s) implique(s) est (sont) dans limpossibilit darrter un choix parmi ceux possibles. Urgence : Situation problmatique laquelle une solution ne peut tre apporte que par un tiers extrieur (le plus souvent spcialis mais il peut aussi tre profane).1 Hoyois

aux urgences. Enqute de Sant, Belgique, 2001.14 Remise un moment en cause par la cration dhonorai-

et al., rf. bibliographique 23

2 Chapelin J., Essai sur la mdecine hospitalire avant la

Rvolution. Paris, 1945. 3 Martineaud J.-P., Une histoire de lhpital Lariboisire; le Versailles de la misre. LHarmattan, 1998. (Coll. Histoire de Paris). 4 Copel D., rf. bibliographique 9 5 Chevallier J.-F., rf. bibliographique 6 6 Clment J., rf. bibliographique 7 7 Cette mme loi instaure le service A (service neuropsychiatrique dobservation et de traitement) dun hpital gnral fonctionnant dans le cadre de laide mdicale urgente. 8 Hoyois Ph., rf. bibliographique 22 9 Source: Service Public Fdral Sant : Direction gnrale de lOrganisation des Etablissements de Soins. 10 Daprs lEnqute de Sant de 2001, 48 % de la population rapporte avoir dj eu un contact avec un service durgence et 12 % en 2000. Ce phnomne est plus frquent dans les grandes villes. 11 Fineberg et Stewart, 1977 ; Murat et al, 1980 ; Delvaux, 1987. 12 Ainsi, en France, en 1999, ct de 12,34 millions de visites dans les services des urgences, les mdecins libraux ont pos 41 millions dactes urgents (actes rels et non des conseils tlphoniques) dont 15 ont t traits sans attendre, 13 traits en temps diffr, 12 reprogramms; soit au total, pour les services durgences et les mdecins libraux, 53 millions dactes demands en urgence dont 80 % ont t raliss sans programmation INPH : Rapport des groupes de travail sur les urgences. Paris , 2002. 13 Ces deux motifs figurent en tte des motifs de recours

res supplmentaires pour les urgences non justifies. 15 Rieffe C. et al., Reasons why patients bypass their GP to visit a hospital emergency department. Accid. Emerg. Nurs., 7 (4), 1999, 217-25 ; Bertolotto F., Congrs de la Socit Franaise de Pdiatrie, Tours, 1999. 16 Il faut cependant nuancer : Bruxelles, les plaintes, les maladies ou dautres motifs reprsentent, aux dires des personnes interroges, 61 % des recours aux urgences pour 38 % en Flandre et 46 % en Wallonie. Dans les autres cas, il sagit daccidents. Enqute de Sant, Belgique, 2001. 17 Selon la Classification Internationale des Maladies. 18 OMS, 2000. 19 Ansseau et al., Epidmiologie des troubles psychiatriques dans la province de Luxembourg. Plate-forme de concertation psychiatrique de la province de Luxembourg, Bertrix, 1999. 20 Samitca D., Linfluence des facteurs socio-culturels sur la demande en soins psychiatriques. Arch. Suisses Neurol., Neurochir. Psychiat., 130 (2), 1982, 159-77. 21 Donnet J.L., A propos de lindication danalyste . LEvolution Psychiatrique, 59 (3), 1994, 443-53. 22 A notre connaissance, cette proportion ne semble pas avoir t srieusement documente pour la mdecine gnrale. 23 Dans les hpitaux plus petits, vocation essentiellement locale, le nombre quotidien de ces urgences serait aux alentours de 3 par jour. Il faut toutefois tenir compte de la richesse du dispositif hospitalier dans une rgion et de lextension plus ou moins importante des gardes de mdecine gnrale. 24 Lorganisation des services psychiatriques de crise et durgence commence tre envisage ds les annes 65-70 aux Etats-Unis, dans le courant des annes 70 en Europe. 25 Lorsquun grand dpartement de psychiatrie existe dans lhpital gnral ou lorsquun hpital psychiatrique est associ plusieurs hpitaux gnraux, la tendance est la cration dun centre de crise et durgence extrieur au service des urgences gnrales. 26 Par ailleurs, il est utile de sarrter sur les demandes de mises en observation. On sait, depuis longtemps, que la procdure dexception en matire de mise en observation est la rgle et que prs de 80% ont lieu en urgence. Les seules donnes rcentes disponibles concernent la rgion flamande : en 2003 : 2.234 mises en observation y ont eu lieu, ce qui reprsente une augmentation de 21 % par rapport 2001. Il nexiste pas de donnes pour la Rgion wallonne ni pour Bruxelles, mais une croissance des mises en observation y est aussi constate par plusieurs observateurs. 27 Et des tensions qui peuvent le traverser.

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Dune urgence lautre

TmoignageAprs quatre ans de maladie, 22 ans, je me sens un peu mieux. La souffrance schizophrnique sest quelque peu tasse. Un traitement chimiothrapique et deux ans de psychanalyse ont en partie dissip les dlires et attnu les angoisses. Je me retrouve Lyon pour y suivre une prparation au concours de conservateur de bibliothque. Mais l, la solitude et le retour la ralit faisant, je dcompense. Trs vite, je suis submerg par des pulsions suicidaires. Au terme dune ultime crise, je fais une TS (tentative de suicide) et me retrouve aux urgences psychiatriques de lhpital Edouard-Herriot.TS- Tes l pour quoi ? - Jai essay de me foutre en lair. Et toi ? - Mme chose. TS. TS. Pendant la semaine passe aux urgences psychiatriques de lhpital Edouard-Herriot, le mot TS fonctionne comme un passe, deux lettres qui figurent une exprience commune, un lit de souffrances. Et autour de ces lits de souffrance, des liens entre les patients se tissent, une solidarit stablit. Moi qui, quatre annes durant, navais vu en autrui que de ltrange, trouve ds lors du familier, du mme, de lidentique. TS. Abrger est important. Deux lettres pour rsumer un acte. Bien souvent, nul besoin daller plus avant. On sarrte l. Le pourquoi et le comment semblent inutiles. Limportant rside dans linstauration dune identit commune, car de lidentit, pour tous aux urgences psys, il y en a rcuprer. Des pltres didentit mme ! Des faons de pyjamas synthtiques bleu clair sur le dos, des chaussons en plastique aux pieds, nous portons dj luniforme, et luniforme nous nous reconnaissons. Se reconnatre... Nous qui savons peine ce qutre veut dire. instant je ne mennuie. Je me sens avide de communication. Des lieux stratgiques ponctuent ce service. Il en est un de la plus haute importance pour les patients : la machine caf. L, fumant clope sur clope, on discute btons rompus. Ds six heures du matin, je my prcipite, engageant la discussion avec le premier venu, avec une prfrence pour un premier venu de sexe fminin. Pour la premire fois depuis quatre ans, je retrouve le plaisir daborder, dessayer de nouer une discussion, voire dobtenir un numro de tlphone. P. et moi sympathisons ds le deuxime jour. Nous sommes arrivs lhpital le mme jour et pour les mmes raisons. P. est au premier tage et moi au rez-de-chausse. P. me plat et, pour la premire fois depuis longtemps, je ne crains pas mon dsir. P. minvite un soir dans sa chambre. Nous discutons longuement. Comme moi, cest un tre cass, dmoli. Nous poursuivons la soire jusqu une heure du matin, assis prs de la machine caf. Nous nous plaisons, nous flirtons. A ma grande surprise, je ne me sens pas menac par ce contact physique. Je me sens protg par mon statut de malade qui est aussi le sien et quelle sait tre le mien. L, aux urgences, une sexualit est possible, une sexualit quil faut cacher car dsapprouve par le personnel soignant, une sexualit heurte, apanage des dsesprs. Nous ne ferons que flirter avec P., mais ce retour du dsir sans la peur sera un gage de rsorption de ma schizodie, un retour du dsir aliment par la promiscuit entre les tres propres lhpital. A lenvie de rester lhpital, soppose le dsir de retrouver la libert. Lenfermement (relatif) des urgences me rassure, agit comme une protection contre ma bte intrieure. Mais les urgences ne peuvent tre quun passage transitoire, et la question de la sortie se posera bientt.

Des soignants tout-puissantsAux urgences, deux mondes cohabitent : les soignants et les soigns. De temps en temps, je discute avec linfirmire. Elle est bienveillante et douce. Tous les midis, jai rendezvous avec la psychiatre : cest une femme intelligente, je ne men mfie pas. Trs vite, je constate que les ponts que je peux tablir avec les soignants sont fragiles, quun rien suffit pour quils se rompent. En effet, un soir, je me rends dans la chambre de deux filles avec lesquelles jai sympathis pour regarder la tl. Ensemble nous rions, nous nous sentons en famille. Au bout dune vingtaine de minutes, un infirmier fait irruption dans la chambre et, me voyant, me somme de sortir. Comme je tarde un peu mexcuter, il mattrape par le col, me projette dans le couloir, me bouscule. Je bous intrieurement mais ne rplique pas. Si javais ragi la violence de linfirmier ce moment-l, on aurait attribu ma colre la maladie. La violence de linfirmier naurait pas t remise en cause car sa fonction la lui autorise : de la lgitimation de la violence par linstitution la violence du patient considre comme symptme.

Interdit, je taimeAux urgences, je romps avec la solitude et le sentiment de solitude. Toute une vie sy organise, avec discussions, rencontres, drames, petits et grands bonheurs. Pas un

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Squences clairsLes urgences psychiatriques sont un thtre. Etres hauts en couleurs, situations paroxystiques, sentiments exacerbs des naufrags de lme. Je prends plaisir ces embolies des tres et des situations, y trouve ma place, l o, dans la vie courante, dans le trop normal , je me sens tranger. Dans les drapages, je me glisse pour, petite souris, regarder la grande tragdie du monde. Le troisime jour de mon sjour lhpital, une jeune fille de 16 ans arrive dans le service. Elle est moiti abasourdie, suite lingestion dune forte quantit de mdicaments. L, au premier tage, devant nous, nous la voyons entoure de sa famille, pleurant, gmissant. Les parents semblent dsempars. Je linterpelle : Tu est l pour quoi ? - Jai aval des mdicaments, et toi ? - Jai fait une TS. Elle fond alors en larmes et rpte Toi tu me comprends au moins et se jette dans mes bras. Le lendemain, onze heures du matin, je me rends au premier tage pour y chercher compagnie. Je trouve la jeune fille de la veille tendue sur le lino du salon. Affaiblie par les barbituriques, elle a perdu lquilibre pendant sa promenade. Je laide se relever et la raccompagne jusqu sa chambre, animal humain trop humain qui dans sa chute ma mu, figure du tragique qui flatte mon penchant romantique pour la folie et le dsespoir.

Une trange nostalgieJe sors des urgences au bout dune semaine. Je me retrouve ainsi seul dans mon appartement, dans cette ville o je ne connais pratiquement personne. Je suis comme jet dans larne avec les lions, dans une situation similaire celle qui a prcd ma tentative de suicide. Seul le traitement neuroleptique que lon ma donn maide me sentir plus chez moi (dans mon corps et dans ma tte). Je vais la facult deux fois par semaine, bouquine, me fais une overdose de cinma. Trs vite, je me surprends attendre le soir, attendre le moment o je vais me mettre au lit. Et peu peu, cest une sorte de rituel qui

sinstaure, ce moment o, blotti sous les draps, la lumire teinte, je me remmore lhpital Edouard-Herriot avec dlectation, comme sil sagissait dun lieu ferique. Je me passe et me repasse les mmes scnes, des dizaines de fois. Mon passage aux urgences surgit dans mon esprit comme un souvenir merveilleux, tel point que cela devient une obsession. Alors, un aprs-midi, je pntre dans lhpital, comme pour vrifier que tout cela a bel et bien exist. Jespre trouver quelquun prs de la machine caf ou au salon au premier tage. Mais... personne ! Je men retourne du de ne pas avoir retrouv les choses intactes, telles quelles apparaissaient dans mes souvenirs.

Damien1

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Tmoignage publi sur le site : www.schizosedire.com dans la rubrique : Paroles de Patients.

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