Stefan Behnisch Stuttgart,...

20
14 Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagne Nomminé 2007

Transcript of Stefan Behnisch Stuttgart,...

Page 1: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

14

Stefan Behnisch Stuttgart, AllemagneNomminé 2007

Page 2: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

15

Façade principale du Terence Donnelly Centre for Cellular and Biomolecular Research (TDCCBR), Toronto, Canada.

Page 3: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

16

Stefan Behnisch fait partie des pionniers qui ont posé les bases du débat sur l’architecture durable ; lui parle plutôt d’une « architecture climatique et environnementale ». Il a réalisé en Europe des bâtiments qui constituent déjà des repères pour cette jeune histoire, comme l’Institute for forestry and nature research de Wageningen aux Pays-Bas.

Stefan Behnisch, fils de Günter Behnisch, figure majeure de l’ar-chitecture allemande, est né à Stuttgart en 1957. Après une première formation en philosophie et en économie, il étudie l’architecture à Karlsruhe. Il obtient son diplôme en 1987 et part travailler en Californie. Il rejoint en 1988 Behnisch & Partners à Stuttgart, puis crée en 1989 une agence dédiée à la recher-che sur l’architecture climatique. Il fonde en 1999 une agence en Californie, et une grande part de son activité est aujourd’hui américaine. Depuis l’achèvement du siège social de Genzyme à Cambridge, aux États-Unis, Stefan Behnisch est reconnu dans ce pays comme un expert dans le champ encore expérimental du sustainable design.

Il n’est jamais anodin, depuis cent cinquante ans, qu’un archi-tecte européen s’impose outre-Atlantique. Les grandes inno-vations de l’architecture occidentale ont toutes pris le bateau puis l’avion, dans un sens ou dans l’autre. Un tel parcours signi-fie qu’à son tour Behnisch a lancé un pont entre une « scène d’invention » et une « société » prête à l’accueillir. En ce début du xxie siècle, l’invention est européenne, c’est cette architec-ture écologique dont l’Allemagne est un pôle d’excellence ; et la société réceptrice est américaine, c’est la knowledge society, dont la Californie est le creuset depuis vingt ans.

L’échange n’est jamais à sens unique. En exportant ses idées, l’européen Behnisch a pris pied dans un monde qui lui a certaine-ment appris autant qu’il a reçu, et permis de développer son des-sein. On oublie trop souvent le rôle des grands maîtres d’ouvrage, quand ils sont l’avant-garde historique et qu’ils inventent les programmes du futur. Peter Behrens aurait-il eu la même fécon-dité s’il n’avait pas travaillé avec les pionniers de l’industrie ? De la même manière, Stefan Behnisch a certainement voulu ren-contrer les acteurs les plus innovants de la knowledge society, en Europe puis aux États-Unis, pour rejoindre les milieux où la société du xxie siècle s’invente.

L’eNjeu mAjeuR De L’éNeRgie

C’est qu’en effet pour Behnisch, le propre de l’architecture durable n’est pas purement écologique : « Une partie de notre problème pour lutter aujourd’hui contre le déséquilibre de l’écosystème reside dans sa définition limitée. » Le débat sur le sens du mot sustainable n’est pas clos et l’on y rencontre des industrialistes verts aussi bien que des apôtres de la décrois-sance. À l’instar des premiers, Behnisch pense que pour notre avenir, la question énergétique est encore plus stratégique, englobante, que l’enjeu écologique : l’ancien étudiant en écono-mie sait bien que changer d’énergie, c’est changer de monde. Impulser, forcément, un développement nouveau, qui doit être un progrès. En d’autres termes, Stefan Behnisch a « l’optimisme de la volonté » de ceux pour qui la crise écologique n’est pas le Götterdämmerung1 mais l’ouverture d’un cycle historique qui va transformer l’activité humaine et la vie sociale.

L’architecture devra donner forme à la société qui va se construire sur la nouvelle donne énergétique. Qui va définir les bases éthiques, sociales, économiques de la ville durable ? Stefan Behnisch postule qu’en 2008, comme en 1908, c’est au contact des avant-gardes industrielles de ce siècle qu’il faut les mettre au point. Tout simplement parce que cette ville dura-ble sera, comme feu la ville industrielle, le moteur du dévelop-pement : « La protection de notre environnement est ressentie comme une nécessité absolue, et comme une opportunité de croissance. »

Stefan Behnisch a deux décennies de travail à son actif. La pre-mière lui a permis de constituer des savoirs et une méthode – différents du rationalisme constructif vert – pour concevoir des bâtiments à faible consommation énergétique et forte synergie humaine. Il a consacré la seconde à investir ces savoirs dans des programmes souvent très sophistiqués, pour des industries, des laboratoires ou des universités. Le vaste monde ne se réduit certes pas à cette communauté-là. Mais c’est elle qui invente la société future et ses pratiques.

uNe eRgoNomie De L’immATéRieL

En 1992, Stefan Behnisch entame une collaboration étroite avec Transsolar ClimateEngineering, bureau d’études précurseur dans les nouvelles technologies de l’énergie. Le travail avec cette pépinière de chercheurs lui a permis de transformer l’agence paternelle, outil de travail hors pair, en laboratoire de l’architec-ture climatique. Cette recherche a suivi un chemin particulier. Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture durable par la construction ; ils travaillent sur les matériaux, les parois, les énergies alternatives et élaborent des règles de construction qui sont en quelque sorte le hardware de l’architecture durable. Stefan Behnisch aborde, lui, le sujet à l’aval, au stade de l’usage, quand l’architecture accueille les hommes : « Où pouvons-nous réellement faire des économies d’énergie et de matériaux ? Sans aucun doute, ce sont les usagers d’un bâtiment qui peuvent influer sur sa valeur écologique, à tra-vers leur mode de vie et leurs besoins en énergie. » Vu sous cet angle, l’enjeu est moins constructif que culturel : l’architecture durable est celle qui va éduquer les hommes, leur apprendre les règles de conduite de l’après-pétrole, remodeler subtile-ment leurs comportements. Behnisch parle de « confort », de « bien-être » pour définir ce software behaviouriste, ou plutôt ce soft power car il souhaite que l’architecture soit un guide amical vers la société durable.

À la recherche d’une « hospitalité » contemporaine, le travail de Behnisch s’est déplacé de l’enveloppe matérielle vers l’espace intérieur. La recherche ne porte pas sur l’appareil constructif mais sur les facteurs d’ambiance : climat, lumière, air, son, cou-leurs et textures. Ces analyses sont pratiquées par tous les archi-tectes du mouvement écologique mais Behnisch les pousse plus loin et autrement. Avec Transsolar il construit des instruments de mesure puis de canalisation de ces flux, comme la spectacu-laire « cheminée solaire » des bureaux de la LVA State Insurance Agency à Lübeck, ou les « chandeliers » capteurs de lumière qui se déploient dans l’atrium du siège de Genzyme à Cambridge. Behnisch et ses ingénieurs de l’immatériel veulent parvenir à gérer ces échanges (thermiques, solaires, lumineux, etc.) avec

→ Stefan Behnisch

Page 4: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

17

autant de sûreté que ses confrères éco-constructeurs dessinent une ossature en bois et ses panneaux. Behnisch travaille sur le vide, lieu des échanges, il construit un microclimat plutôt qu’une enveloppe. Développés de l’intérieur, les projets obéissent à une dynamique centrifuge plutôt qu’à « l’autorité du plan » de l’âge fonctionnaliste. Ce n’est pas le moindre des apports de Behnisch, dans un débat où d’autres préconisent au contraire un fonctionnalisme vert encore plus rigo-riste que le précédent.

Si l’on reprend le parallèle pertinent qu’éta-blit Jana Revedin entre les avant-gardes du xxe siècle et celles du xxie, on peut se souvenir que le Mouvement moderne fut behaviouriste, cherchant à mode-ler l’homme par des espaces à sa « juste mesure ». Du Modulor de Le Corbusier aux tables de Neufert, cette ergonomie moderne reposait sur le dimensionne-ment de l’espace, pour une optimisation du fonctionnement du corps humain qui n’était pas sans rapport avec le pro-

jet industriel du siècle. Cent ans plus tard, les recherches d’un Behnisch composent une ergonomie d’un autre type : ce sont des flux immatériels que l’on dimensionne. Ces dosages de l’air ou de la lumière composent un climat favorable – hospitalier et studieux – pour une optimisation de l’intellect humain, objectif qui a des liens avec la knowledge industry. L’activité scien-tifique ou tertiaire a moins besoin de corps disciplinés que de têtes bien faites. L’« homme nouveau » de la société du savoir est un hédoniste responsable, un éco-système à lui tout seul, vivant dans de plus grands éco-systèmes, protecteurs et stimu-lants, « des bâtiments qui permettent à chacun d’adapter son espace de travail et d’exercer un contrôle individuel sur son environnement ».

uNe ARChiTeCTuRe De L’hoSpiTALiTé

À l’image des activités qu’elle abrite, l’architecture climatique de Stefan Behnisch consomme moins d’énergie que d’information, tend à une certaine dématérialisation, poursuit une recherche presque a-tectonique sur l’espace. Un projet de Behnisch se lit en coupe plutôt qu’en plan et sans doute est-il conçu ainsi car c’est la coupe qui permet de modeler le vide et de gérer les échan-ges. Et ces coupes sont très éclairantes car elles font apparaî-tre des dispositifs architecturaux de grande envergure : l’atrium du Genzyme est un nef, le hall de LVA est la place active et lumi-neuse d’une petite ville (verticale), la suite d’atriums de l’Insti-tut de Wageningen une rue aux transitions soignées. Dans ses grands projets, Behnisch utilise les cages à chaleur ou à lumière pour déployer son soft power. Ces grands vides sont traités pour offrir l’hospitalité à toutes les échelles : des seuils pour chaque bureau, des squares intérieurs et bien sûr au centre la géné-rosité des halls. Cette « urbanité intérieure », qui est une des données de l’architecture environnementale selon Behnisch, semble être développée plus encore dans les projets américains

en cours, le Harvard’s Allston Science Complex à Boston ou le River Park à Pittsburgh.

Ces systèmes « éco-urbains » sophistiqués ne se laissent pas déchiffrer facilement de l’extérieur. L’enveloppe n’est plus une représentation, tant elle est devenue un système d’échanges. Ces façades sont en verre, matériau qui a toutes les qualités requises par Behnisch : écologique, maniable, programmable, un système d’échanges à lui tout seul (chaleur, lumière, couleurs). En façade, en toiture, les enveloppes de verre de Behnisch ne rompent jamais le contact avec l’extérieur ; elles sont tuilées de dispositifs (ouvrants, écrans, capteurs, pare-soleil) qui intera-gissent en permanence avec les éléments, sans rien qui gêne le rôle actif de la façade. On a coutume de dire qu’une architecture doit être visitée pour être comprise. Celle de Behnisch doit en outre être pratiquée et il faudrait vivre la succession des saisons dans ces espaces pour percevoir comment ils accompagnent le climat dans ses variations, et l’homme dans ses activités.

Les enveloppes de Behnisch ne sont pas mutiques pour autant, au contraire. Les grandes trames des structures vitrées ne figent guère l’ouvrage. Le petit monde intérieur, souvent foisonnant, traverse l’enveloppe et apporte un véritable fourmillement de détails : une salle en saillie, des ouvrants de fenêtre adaptés à chaque situation, des occultations mobiles. C’est le résultat du mode de conception centrifuge de l’architecte. On peut pen-ser aussi en les regardant à l’architecture anti-autoritaire des années 1970 en Allemagne : excellente référence culturelle pour l’architecture environnementale de la société high-tech.

1 Le Crépuscule des Dieux.

Page 5: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

18

TeRReNCe DoNNeLLy CeNTRe FoR CeLLuLAR AND BiomoLeCuLARReSeARCh (TDCCBR)ToRoNTo, CANADA, 2001-2005

maître d’ouvrage : university of TorontoArchitectes : Behnisch Architekten avec architectsAlliance Bureau d’études techniques structure : yolles partnership Ltd, Torontopaysage : Diana gerrard Landscape ArchitectureSurface totale : 20 750 m2

L’université de Toronto et ses laboratoires sont à la pointe de la recherche sur les liens entre gènes et maladie. Le programme du nouveau centre est d’assurer une articulation entre la recherche et les applications médicales. Les chercheurs vien-nent ici développer des projets au sein d’équipes pluridisci-plinaires, dans un environnement qui devait être fonctionnel, flexible et propice aux synergies.

Le projet a été construit dans la partie sud du campus de Toronto, sur College Street, au fond d’une impasse étroite qui servait de parking entre deux respectables institutions. L’exiguïté de la parcelle a été traitée par un bâtiment haut et mince, dominant le quartier de ses deux blocs superposés qui franchissent douze niveaux et vont chercher la lumière grâce à leur enveloppe entièrement vitrée.

Un grand lobby est créé au rez-de-chaussée par adossement au Rosebrugh Building. La vieille façade en briques forme le mur de fond d’une cour intérieure, traitée en jardin et traversée par les piliers en béton de l’ossature primaire. Outre les services d’accueil et les ascenseurs, les chercheurs trouvent dans ce lobby des salles de réunion et des services. L’ensemble est très agréablement éclairé par une verrière en cornière, qui met en valeur la modénature du vieux mur.

Les laboratoires sont aménagés sur douze niveaux. Les configu-rations varient, du bureau individuel à des modules en plateaux collectifs. Les plateaux traversants est-ouest sont entièrement accessibles à la lumière naturelle. Au sud, la plupart débou-chent sur de grands jardins intérieurs, aménagés sur trois niveaux, espaces d’échanges et de détente. Ces « jardins d’hiver tertiaires », s’ils n’ont certes plus les verrières du xixe siècle, sont néanmoins très visibles depuis l’extérieur, contribuant à animer une enveloppe dont chaque face est conçue selon son éclaire-ment et le programme qu’elle abrite. Le pignon sud, sur la rue, est constitué d’une double peau en verre comportant des dis-positifs de contrôle des apports thermiques et acoustiques. Les autres façades, qui desservent les laboratoires, sont plus pro-tectrices, grâce à des peaux intérieures constituées de verre opaque ou des trames de céramique. Sur la façade ouest, la vie intérieure est cependant bien présente – et confortable – car de grands bow-windows « ajoutés » contiennent les escaliers inté-rieurs et leurs larges paliers. Ces cadres en verre cernent ainsi des « petits mondes » collectifs, actifs et colorés, dans la grande structure. Petits mondes collectifs dont on suit les acteurs jusqu’à leur cellule individuelle, marquée par sa fenêtre et ses garde-fous en verre coloré.

Ces variations de volume, de textures et de couleurs parvien-nent à re-matérialiser l’enveloppe de verre, que le xxe siècle a souvent préféré lisser jusqu’à l’abstraction, et aussi à rendre un lieu de travail lisible et vivant pour tous : form follows human action.

→ Stefan Behnisch

Page 6: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

19

Façade ouest du TDCCBR. Sur le bloc supérieur, les saillies des vastes bow-windows abritent les esca-liers intérieurs des différentes unités de vie.

Page 7: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

20

en haut :élévation ouest et coupe sur le rez-de-chaussée montrant le lobby et la liaison avec le bâtiment mitoyen.

Au centre :La cour intérieure est traitée comme un jardin sous verrière. Cette disposition permet d’éclairer le bloc inférieur sur toute sa hauteur, soit six niveaux.

en bas :une circulation intérieure au niveau du lobby haut.

Page 8: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

21

Au sud, plusieurs jardins d’hiver aménagés sur une triple hauteur animent la façade.

Page 9: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

22

→ Stefan Behnisch

hARvARD’S ALLSToN SCieNCe CompLexhARvARD uNiveRSiTy, CAmBRiDge (mASS.), éTATS-uNiS, 2006-2010

maître d’ouvrage : harvard universityArchitecte : Behnisch ArchitektenBureau d’études environnement : Transsolar ClimateengineeringConsultant lumière : LichtLabor BartenbachArchitecture et ingénierie : philippe Samyn

Un programme de campus typique, complexe, centrifuge et qui doit fonctionner selon une économie déjà urbaine, c’est-à-dire à la fois régulée et ouverte à l’aléatoire : Stefan Behnisch a tra-vaillé sur ce programme avec des préoccupations déjà visibles au stade de la maquette. La recherche poussée de la lumière naturelle traverse le projet, où elle a disséminé des « chemi-nées solaires » et des façades de verre traitées en « écorché » sur les espaces intérieurs. Une certaine chasse au détermi-nisme des lieux est également perceptible dans la façon dont le plan croise les bureaux et les laboratoires, les lieux de tra-vail et de vie, utilise la verticalité pour multiplier les passerel-les et les lieux d’échange (« où on peut travailler, se rencontrer, se parler ou se reposer dans un environnement qui ne soit pas déterminé en termes d’usage. »).

Ci-dessus :Coupe sur le bâtiment principal, typique du travail de Stefan Behnisch sur les échanges thermiques et l’optimisation de la lumière naturelle.

À droite :plan du rez-de-chaussée, dévolu à la recherche.

Page 10: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

23

Les maquettes au stade de l’avant-projet.

Page 11: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

24

iNSTiTuTe FoR FoReSTRy AND NATuRe ReSeARCh (iBN)WAgeNiNgeN, pAyS-BAS, 1993-1998

maîtres d’ouvrage : ministères du Logement et l’Agriculture des pays-BasArchitecte : Behnisch ArchitektenConsultant énergie : Fraunhofer institute for Building physics, StuttgartSurface totale : 11 250 m2

Devenu un classique de l’architecture bioclimatique, l’IBN n’a que dix ans mais peut déjà être « relu » sous plusieurs angles. Celui de l’anti-monument, par exemple : l’IBN combine un nou-veau monde de valeurs et de savoirs avec une construction anti-héroïque, à base de composants du marché – établissant dès 1998 que l’éco-architecture n’est ni une utopie ni un privi-lège. Behnisch y a posé ses fondamentaux. L’articulation d’une enveloppe dynamique qui filtre les énergies avec l’inertie d’un vide intérieur (ici un atrium) qui régule les flux. Un réglage fin des atmosphères par la présence de jardins intérieurs partagés en microclimats, acteurs et symboles du confort ambiant. La conception d’anti-façades, déformées de l’intérieur, qui gèrent les échanges plus qu’elles ne circonscrivent l’espace, enve-loppent plus qu’elles ne signifient – les parois sont réalisés ici avec des charpentes métalliques standards et des fenêtres de catalogue, les jardins d’hiver avec des serres horticoles. La plasticité du plan : des plateaux tertiaires à double épaisseur, modulaires, distribués par des atriums et reliés par des passe-relles. La vie arrive ensuite, lorsque ces systèmes ouverts cap-tent les micro-possibles et les transforment en espaces et en usages. Un bureau se prolonge en terrasse sur le bassin. Les bois huilés des mains courantes, odorants et agréables. Les résidus du chantier utilisés pour modeler les extérieurs.

→ Stefan Behnisch

Page 12: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

25

vues du nord, les façades « standards » de l’iBN don-nant sur un bassin de retenue.

À gauche :Coupe longitudinale sur les atriums.

Page 13: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

26

vue d’un des atriums, dont les jardins servent à réguler l ’atmosphère. À l’arrière-plan, la façade vitrée offre une vue, depuis le bassin intérieur, vers le paysage environnant.

Cartographie et plan de masse de l’iBN.

Page 14: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

27

Les composants de serres agricoles qui couvrent les atriums laissent voir les roues dentées de leur système d’ouverture.

À droite :Schéma montrant le système de collecte des eaux de pluie par la toiture végétalisée et dans le bassin extérieur.

Page 15: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

28

Balkrishna Doshi Ahmedabad, indeNomminé 2007

Page 16: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

29

vue actuelle des maisons du quartier d’Aranya, construit en 1986 à indore.

Page 17: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

30

Le débat architectural mondial n’a pas attendu le tournant éco-logique pour, dès les années 1960, saluer en Balkrishna Doshi, né en Inde en 1927, une des grandes figures de l’architecture moderne. Trente ans plus tard, il est reconnu comme l’un des précurseurs de l’architecture durable. Une nouvelle génération critique étudie son travail pour y trouver des enseignements assez différents de ceux qu’y cherchèrent les « corbuséens ». Cette double fortune critique est singulière. Elle s’explique au moins par deux raisons. La première est que Doshi ne sera pas le seul architecte à se voir ainsi réexaminé. Alvar Aalto, Frank Lloyd Wright, Jean Prouvé sont aussi « relus » aujourd’hui. La scène écologique a acquis une maturité suffisante pour avoir le besoin et l’autorité de reconstruire l’histoire du dernier siècle selon son propre questionnement. La seconde raison est que Doshi lui-même a profondément évolué et ne s’est pas laisser statufier dans son rôle de grand Moderne. L’homme a vécu un tournant à la fin des années 1970, après cette première crise de l’éner-gie qui a commencé à fissurer l’optimisme historique moderne. En 1978, il crée la Fondation Vāstu Shilpā et lance de nouvelles recherches sur l’habitat, la planification urbaine et l’élaboration de solutions constructives économiques. Cinquantenaire, cou-vert d’honneurs, l’architecte se remet en question, moins sou-cieux d’édifier une nouvelle architecture pour l’Inde que pour l’homme indien, son habitat, son environnement, sa culture. Une recherche qui réinterroge, aussi, les rapports entre culture occidentale et orientale. C’est cette traversée puis ce dépas-sement du xxe siècle que la nouvelle critique écologiste salue aujourd’hui.

L’épopée moDeRNe

L’œuvre architecturale de Balkrishna Doshi, qui appartient pour l’essentiel au xxe siècle, fut d’abord commentée par les meilleurs historiens corbuséens. Peut-être ont-ils envié sa vie elle-même, épique et généreuse, une saga des Modernes.

Le jeune indien, formé à Bombay puis à Londres, découvre le Mouvement moderne au Ciam de Hoddesdon en 1951 et rejoint Le Corbusier lui-même, dont l’agence est une pépinière de jeu-nes architectes venus du monde entier. Le Maître reçut alors de Pandit Nehru la commande d’une capitale pour la nou-velle démocratie indienne. Balkrishna Doshi n’a pas 25 ans quand il se retrouve à Chandigarh et Ahmedabad pour construire les bâtiments qui vont deve-nir les symboles de l’indépendance de son pays et des icônes de l’architec-ture. Il a à peine 30 ans quand il colla-bore avec Louis Kahn, l’autre fécondeur de l’architecture indienne, pour le pro-jet de l’Indian Institute of Management à Ahmedabad. Mais dès 1955, il s’est émancipé de ces maîtres et a fondé sa propre agence, Vāstu Shilpā. Il réalise de très nombreux bâtiments publics, dont le plus célèbre reste le Centre for

Environmental Planning and Technology d’Ahmedabad, achevé en 1972. Devenu, avec Charles Correa, le guide de l’architecture indienne moderne, Doshi s’engage aussi comme professeur. Il est co-fondateur en 1962 de l’école d’architecture d’Ahmeda-

bad, puis en 1972 du Centre for Environmental Planning and Technology et du Kanoria Centre for Arts. L’historiographie sou-ligne alors les progrès de l’internationalisme moderne en repé-rant sur chaque continent des « héros nationaux ». Doshi est l’un deux. Il « donne finalement sa propre interprétation d’une nou-velle architecture indienne, fondée sur de subtiles combinai-sons de béton, de brique et de carreaux d’argile »1.

LA ReCheRChe Du SyNCRéTiSme

En 1981, Doshi achève à Ahmenabad la construction du complexe Sangath pour abriter ses bureaux et la Fondation Vāstu Shilpā d’études et de recherches sur l’esthétique environnementale. Ce bâtiment inaugure une nouvelle démarche. Il reprend certes un module de cellule recouverte d’une voûte de béton en berceau, d’inspiration corbuséenne, mais ce module devient ensuite l’ins-trument d’une transformation du terrain, aux abords d’une ville torride et surpeuplée, en oasis urbaine. Le terrain est agencé comme un jardin en terrasses où les bâtiments sont à demi enter-rés, précédés d’une cour d’entrée. L’eau circule dans ces décli-vités : des fontaines se déversent sur les voûtes, recouvertes de tessons, pour refroidir les intérieurs, puis l’eau est recueillie dans des bassins et des pièces d’eau tapissés des mêmes tessons. Les voûtes sont orientées pour optimiser la lumière naturelle et une ventilation naturelle parachève le système de rafraîchissement. Le module corbuséen n’est plus utilisé comme une solution mais comme un moyen au service d’une nouvelle fin, la recherche d’un mode d’organisation de la ville. La Fondation est une insti-tution ouverte au public et aux débats. Doshi l’a conçue comme un exemple d’aménagement pour Ahmenabad ; pour ce faire il s’est explicitement rapproché de la culture indienne, dans sa spatialité, ses matériaux, son rapport à l’eau.

Dix ans plus tard, Doshi construit sur le campus d’Ahmenabad un petit bâtiment, en rupture encore plus nette avec les pro-jets réalisés au même endroit quarante ans plus tôt. Le petit musée, consacré aux œuvres de l’artiste M. F. Hussein, est un espace-sculpture, construit avec des matériaux pauvres et des techniques vernaculaires. Les voûtes sont formées d’un treillis métallique recouvert d’une fine couche de béton. Elles sont recouvertes d’une couche isolante en terre, montée en cordons de glaise selon une technique locale puis d’une enveloppe de céramique en tessons. Cette couverture étanche est facile à entretenir, alors même que Doshi a appris avec les années que le béton laissé nu vieillit mal dans le climat indien. Elle est en même temps élégante et plastique ; le déroulé des coupoles du Hussein Gufa ressemble au serpent Naga de la mythologie bouddhiste.

On doit chercher à comprendre les raisons d’une évolution si sen-sible. Le meilleur biographe de Doshi, James Steele, évoque le rôle croissant du bouddhisme dans l’évolution de l’architecte ; il souligne aussi que Sangath peut se lire comme un dépasse-ment de l’enseignement corbuséen plutôt qu’une rupture. Mais il avance une hypothèse perspicace en postulant que cette évolution résulte d’une lutte intérieure, celle qu’ont vécue les architectes du Sud, « dans leur tentative d’assimilation des technologies “développées” avec leurs propres valeurs cultu-relles »2. En d’autres termes, Hussein Gufa nous révèle qu’il est peut-être temps d’arrêter de croire que la génération de Doshi

→ Balkrishna Doshi

Page 18: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

31

fut la protagoniste d’une lutte clairement positive pour le pro-grès, avec les armes pacifiques de l’architecture moderne occi-dentale à la main, et de comprendre qu’elle vécut plutôt une lutte intérieure difficile entre sa culture d’origine et son accul-turation à l’Occident. Et que cette lutte a connu une issue moins prévisible qu’on ne le pensait durant les Trente Glorieuses, à mesure que le modèle de développement occidental s’est fis-suré et a révélé les dommages qu’il causait, aux environne-ments mais aussi et surtout aux hommes et à leur culture. « Le combat personnel de Balkrishna Doshi réconcilie les décala-ges flagrants dont il découvrit l’existence entre les principes (…) du Mouvement moderne et les réalités rudimentaires de la construction dans un pays en voie de développement. »3 Le Hussein Gufa est construit avec ces réalités rudimentaires : des matériaux disponibles sur place, de la terre et des morceaux d’assiettes cassées, selon une technique qui demande plus de main d’œuvre que d’outillage, et qui est employée depuis des siècles dans les rues d’Ahmenabad pour édifier les petits tem-ples reliquaires en forme de grottes sculptées.

L’hABiTAT Comme pRoCeSSuS

C’est ce lent et long travail de rééquilibrage des échanges entre Nord et Sud qui valent à Balkrishna Doshi d’être reconnu comme l’un des fondateurs de l’architecture écologique contempo-raine. « Si le débat sur l’architecture durable contemporaine est aujourd’hui si riche dans le monde, déclare Benno Albrecht, c’est parce que des précurseurs comme Doshi ont entrepris “d’infléchir” les puissants flux mondiaux du développement industriel pour les recentrer au service des sociétés, d’en cana-liser les effets pour qu’ils irriguent leur culture et leur économie au lieu de les détruire. »

Le manifeste singulier d’Hussein Gufa fait date mais il est un « temps d’arrêt » dans une démarche. Avant et après lui, l’agence a eu une production importante, au service du développement d’Ahmenabad et de sa région, en donnant au mot « dévelop-pement » une définition plus complexe qu’au dernier siècle. L’architecte s’est particulièrement consacré à l’habitat, en agis-sant à travers sa Fondation Vāstu Shilpā pour promouvoir des méthodes plus appropriées d’aménagement et de construc-tion. Le travail mené par la Fondation à Madiah Pradesh, dans la ville d’Indore en 1983 illustre la démarche plus syncrétiste de Doshi. Les services du développement de la Ville s’adressent à la Fondation pour l’aménagement d’un territoire de 86 hectares, où ils souhaitent construire des logements, dont une grande part à loyer modéré pour reloger les habitants des zones insalu-bres. Dans cette région au sud de Dehli, la pénurie de logements et l’insalubrité générale n’étaient abordées que par la construc-tion de quartiers de logements en série. Mais ces quartiers sont vite dégradés.

Pour Doshi, le dysfonctionnement des quartiers modernes tient au fait qu’ils privent leurs habitants des libertés d’usage, de la possibilité d’agrandir, et qu’ils imposent des modes de vie cou-pés de la culture commune. Observant les bidonvilles voisins, Doshi y repère des éléments positifs : ces logements de bric et de broc s’agencent en fait en petits quartiers, avec leurs maga-sins ; ils ont aussi leurs places, des rues actives et propices aux échanges, et forment un « tout » où les familles trouvent des services, des solidarités et des libertés : construire, travailler sur place, cultiver son jardin... À leur instar, Doshi abandonne

le quadrillage moderne et organise le projet d’Aranya en six quar-tiers, irrigués par une avenue centrale qui suit le terrain. Dans chaque quartier, les maisons sont regroupées par dizaines en hameaux, séparés par des patios pavés. Des rues desservent l’en-semble et les commerces s’installent facilement car les habi-tants peuvent en créer dans leur maison ou louer une pièce à un artisan. Aux carrefours, des places publiques sont aménagées.

La Ville finance la voirie et les infrastructures du quartier et des maisons. Doshi a dessiné une unité de base, orientée, éclairée, ventilée, construite avec une ossature de béton. La Fondation reçoit chaque famille et adapte ce plan, qui s’augmente de « piè-ces détachées » que les habitants construiront eux-mêmes. Ils pourront encore transformer par la suite leur maison, dans la limite de leur parcelle. Pour Balkrishana Doshi, l’habitat doit être conçu « comme un processus et non comme un produit ». L’expérience d’Aryana n’a pas été poursuivie en Inde mais elle se dissé-mine dans le monde. Le lien entre architecture et autoconstruction de l’ha-bitat réunit dans ce livre des personnalités aussi différentes que Balkrishna Doshi, Alejandro Aravena ou Carin Smuts. Tous y voient une clé du dévelop-pement durable et criti-quent le logement social du xxe siècle : ce produit est inflexible, avec les hommes et leur culture, avec son propre environne-ment, il leur interdit une « prise en main » de l’habitat qui est le premier levier de leur propre autonomie.

1 William J. Curtis, notice Balkrishna Doshi, Dictionnaire d’architecture du xxe siècle, Hazan / Ifa, Paris, 1996.

2 James Steele, Architecture écologique, une histoire critique, Thames and Hudson, Londres / Paris, 2005.

3 Ibid.

Page 19: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

32

→ Balkrishna Doshi

SANgAThBuReAux De LA FoNDATioN vASTu-ShiLpA eT ATeLieRS De L’ARChiTeCTe AhmeDABAD, iNDe, 1979-1981

maître d’ouvrage : Fondation vastu Shilpa Architectes : Balkrishna Doshi

Le projet-clé de Sangath peut être décrit aujourd’hui autre-ment qu’il ne le fut à sa création, au début du moment postmo-derne, ce récit nostalgique qui s’efface devant les perspectives du développement durable. On peut décrire Sangath comme un accomplissement du syncrétisme architectural auquel est par-venu Doshi entre le vitalisme moderne et la vitalité contempo-raine de la culture indienne.

Le complexe de bureaux et de jardins est logé dans l’angle nord d’un terrain en pente de 2 500 mètres carrés aux abords d’Ah-medabad. On accède aux bâtiments par une allée en biais qui retarde leur découverte : Doshi rappelle qu’il a retenu cette leçon de Le Corbusier. Le bâtiment principal est construit sur la butte nord, adossé à la limite de la parcelle ; il contient l’ate-lier, les bureaux et des salles de réunion. Il est flanqué au sud de pièces d’accueil, décentrées vers l’allée, qui forment la façade principale. La déclivité du site permet d’échelonner l’ensemble à travers une succession de paliers intérieurs. Elle permet aussi à chacune des voûtes en berceau qui recouvrent chaque module en double enfilade de reprendre la lumière naturelle à travers une fente taillée dans le tympan.

Le système des voûtes s’inscrit dans une filiation corbuséenne : il reprend le prototype inventé dans la série indienne du Monol, où Le Corbusier avait cherché des modèles constructifs appro-priés à la culture indienne. Doshi reprend moins un système que cet infléchissement survenu dans la pensée et le mène dans une nouvelle direction : une adhésion complète au paysage et à sa morphologie, une intrication entre architecture et jardin. Le tout forme moins une « promenade architecturale » qu’une sym-biose entre les trois éléments, le minéral, le végétal et l’eau.

La découverte de Sangath est en effet une immersion dans un tout, par progression douce d’un niveau à l’autre, à travers des terrasses et des patios qui mènent aux lieux habités, certains à demi enterrés dans la pente, recouverts de leur coupole et lar-gement éclairés par le tympan. Ces demi-berceaux dessinent des espaces intérieurs amples et hauts, bien ventilés car leur enfilade a été orientée dans le sens des vents dominants.

Dans la série du Monol, Le Corbusier avait imaginé de recou-vrir les toitures de terre et d’herbe. Sous le climat indien dessé-chant, Doshi abandonne ce rêve de nature européen. Les toits qui doivent protéger du soleil et de la pluie deviennent, par une inversion sémantique saisissante, des parois d’écoulement pour l’eau, qui circule dans tout le complexe et le transforme tout entier en jardin. Le béton a été entièrement recouvert de tessons de céramique. L’architecture fait la part de la terre, où le béton est encore apparent, et du ciel avec ses coupoles blanches. Entre

les voûtes parallèles, des canaux recueillent l’eau puis la déver-sent dans des bassins, d’où elle descend par une succession de fontaines. Dans l’architecture moderne, l’eau est émotion. Ici, elle est aussi la vie même, elle rafraîchit les hommes et irrigue le jardin, héritière d’une société où son partage est une condi-tion de la vie.

Ce lieu de vie a pu être classifié comme « moderne tardif » dans les années 1980. Regardé avec les questions d’aujourd’hui, il révèle plutôt que Doshi, né avec la Modernité, ne s’est pas figé dans les nostalgies postmodernes mais a su enjamber ce moment d’incertitudes pour poser les bases d’une architecture du nouveau siècle.

Page 20: Stefan Behnisch Stuttgart, Allemagnemultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782281194548.pdf · Au tournant des années 1990, la plupart des acteurs abordent l’architecture

33

La découverte du complexe depuis le jardin inférieur. un système de canaux collecte les eaux de pluie depuis les toitures en voûte jusqu’aux bassins.