Sous le vent des steppes infi nies de Mongolie

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Sommaire

I – Retrouvailles avec Nicolas ............................... 9

II – A bord du Transmongolien ............................. 15

III – Arrivée à Oulan-Bator et retrouvailles avec Michael ................................. 29

IV – Premiers jours dans la steppe ........................ 47

V – Rencontre avec Möghui et Äghui ................... 59

VI – départ à cheval ............................................... 67

VII – Dans les collines .......................................... 97

VIII – L’Arkhangai ............................................... 115

IX – La lac blanc de Terkhiin et le volcan éteint du Khorgo ................................ 123

X – Retour sur Oulan-Bator .................................. 137

XI – Départ pour le Khövsgöl ............................... 141

XII – Retour et fin du voyage ................................ 151

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« Le vrai domicile de l’homme n’est pas une maison, mais la route ; La vie elle-même est un voyage à faire à pied »

Bruce Chatwin

« Qui a l’habitude de voyager, sait qu’il arrive toujours à temps où il faut repartir »

Paolo Coelho

« Le meilleur que l’on puisse ramener d’un voyage, c’est soi-même sain et sauf »

Proverbe persan

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I Retrouvailles avec Nicolas

Le 25 juillet 2011, Nicolas arrive à l’aéroport international de Pékin. Je suis en Chine depuis début juillet où j’ai fait un voyage au Xinjiang, le pays des Ouïghours, situé à l’extrême ouest de la Chine. Sur place j’ai rendu visite à une vieille connaissance non loin de Tulufan, à Shanshan précisément qui se trouve aux bordures des sables brûlants du désert du Kumtag où il travaille en tant qu’œnologue. Lors de mon séjour au Turkestan Oriental j’en ai profité pour visiter la capitale provinciale Ürümqi et son Bazar, l’oasis de Tulfan et ses célèbres karez, (canaux hydrauliques souterrains acheminant l’eau des glaciers des monts célestes jusqu’à l’Oasis torride). Ce système de canaux est d’origine perse et est unique au monde. Après m’être rendu un après-midi aux Monts Enflammés, point le plus chaud de la Chine où le thermomètre peut attendre jusqu’à 70 degrés lorsque le soleil est à son zénith, j’ai fait une petite excursion à Nanshan au sud d’Wulumuqi, partie du Tianshan située à 2500 mètres d’altitude dormir chez les nomades Kazakhs, puis pour clore l’aventure dans ce « Far West » chinois, je me

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suis rendu à l’extrême nord de la province, dans l’Altaï où vivent les Kazakhs et les Touvains, peuples d’origines Turco-mongols, m’émerveiller devant la splendeur et la beauté enchanteresse du lac Kanas.

De retour dans la capitale chinoise je m’empresse d’aller chercher mon ami à l’aéroport. Les retrouvailles sont joyeuses et nous nous donnons l’accolade avec entrain. Ça y est ! Nous sommes enfin réunis pour partir en Mongolie le lendemain matin par le Transmongolien qui relie Pékin à Oulan-Bator. Nicolas m’a spécialement rejoint dans la capitale de l’Empire du Milieu pour expérimenter ce train mythique. Il ne reste plus que Michael qui nous rejoindra directement par avion dans la capitale Mongole. Malgré notre excitation et notre impatience de se retrouver sur les rails, il nous faut combler la soirée. J’emmène Nico à l’hôtel que j’avais réservé pour lui afin qu’il dépose ses bagages et qu’il se repose un peu de ses onze heures de vol. Rentré moi aussi à mon hôtel pour une petite douche et m’occuper de quelques affaires, nous nous retrouvons en soirée dans le hall d’entrée de sa pension. Nous décidons d’aller dîner dans un restaurant traditionnel Pékinois où nous en profitons pour manger comme des ogres. Les repas qui nous attendent en Mongolie à base de mouton bouilli et d’abats en tout genre ne me réjouissent guère. Ainsi, nous prévoyons donc un festin gargantuesque et nous commandons au moins une dizaine de plats, quitte à outrepasser toute décence en ne les terminant pas, et à faire un peu de gâchis, honte à nous ! Ainsi nous commandons le fameux canard laqué, des aubergines frites, un riz impérial au poulet cacahuète, des brocolis vapeur, du bœuf sauté, de l’agneau au cumin, des raviolis et d’autres spécialités pékinoises dont je ne

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saurai traduire les noms exacts en français. Contre toute attente, Nicolas qui ne buvait jamais d’alcool, trinque avec moi une bonne dizaine de fois à la Qingdao1. Rassasiés, nous avons du mal à nous lever de table. Après avoir bu une grande quantité de bière, j’ai la panse qui a triplé de volume. J’ai la sensation d’avoir volé le ventre de frère Tuck et je me demande si physiquement je vais pouvoir passer les portes pour sortir du restaurant. Quelques instants plus tard je me sens un peu mieux et sans vouloir faire de folies pour la soirée, nous décidons d’aller au salon de massage pour nous détendre un peu. Arrivés sur les lieux, nous nous installons dans une pièce où nous attendent déjà nos deux masseuses. Nous nous déshabillons et on nous donne une espèce de chemisier à enfiler en guise de pyjama. Nous nous allongeons sur le ventre sur la table de massage. Les filles commencent à nous masser allégrement derrière la tête puis le dos. Les sensations sont vraiment très agréables et je me laisse aller, prêt à m’endormir, confiant entièrement mon corps à la divine « kinésithérapeute ». Ses caresses me plongent dans une léthargie délicieuse. Entre temps je sens ses mains de fée se poser sur mon mollet droit, je suis prêt à plonger dans les bras de Morphée quand soudain une douleur acerbe me fait bondir de la table de massage à tel point que je manque d’encastrer ma boîte crânienne dans le plafond. Et de hurler comme un pestiféré : « Putain, putain la salope ! Qu’est-ce qu’elle m’a fait cette connasse » ? Nico lui se met également à hurler… mais de rire et je le vois pouffer, la tête bien 1 Qingdao ou Tsingtao (Francisé) qui se traduit par île verte, est

une célèbre bière chinoise produite Dans la ville de Qingdao

d’où elle tire son nom. La ville se trouve dans la province du Shandong.

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callée dans son coussin. Mes vociférations ont effrayé la fille qui à fait un grand bond en arrière. Je la toise et elle reste là, interdite sans mots dire. Heureusement qu’elle ne comprend pas le français me dis-je sinon j’aurais vraiment été dans l’embarras. Elle a dû sans le faire exprès me pincer un nerf, c’est un incident, ça peut arriver à tout le monde et dans toutes les professions pensai-je. Je me recouche sur le ventre et là, bizarrement la douleur se fait plus languissante. Tout en faisant la grimace, je lui demande de ne plus me toucher ce mollet mais de passer au gauche. Derechef je suis obligé de serrer les dents. De ses deux mains elle me pétrie le muscle telle une meule avec la force d’un bœuf et de ses doigts m’agrippe l’intérieur du tibia comme si elle voulait désolidariser mon os de sa chair. J’ai désormais l’impression de me faire masser par Goliath. Je prends sur moi et je souffre en silence, les yeux clos et la mâchoire serrée comme un piège à loup. C’est plus du massage, c’est de la torture chinoise ! J’en peux plus, je sens que je vais me péter une dent. D’un ton menaçant, je la somme d’arrêter ce supplice et de me masser à nouveau le dos, ce qu’elle fit aussitôt. Mes mollets me font souffrir énormément et je n’ai plus aucun plaisir à être sur cette table. J’ai hâte que cela se termine. Elle me demande de me retourner et de m’allonger sur le dos. Elle me lève le bras en l’air, me prend la main, puis de son pouce et de son index me fait une pression abominable sur le muscle interosseux dorsal. La douleur est intense et insupportable. Je suis à bout de patience et je lui crie sauvagement, la bouche toute écumeuse : « Gou le ! Wo shou bu liao le » ! (C’en est assez ! j’en peux plus !). Je la repousse en arrière, me lève et me rhabille. Je m’assieds sur une chaise et attends que

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Nico termine sa séance. Apparemment tout va bien pour lui, je le vois dormir comme un loir et ronronner comme un chat. A la sortie, j’ai du mal à marcher, j’ai l’impression qu’un char d’assaut m’est passé sur les mollets et que j’ai les muscles et les tendons broyés. Le sourire aux lèvres mon acolyte s’esclaffe narquois : « divin ce massage, je l’aurais bien prolongé d’une heure ». Ah le truand, il a eu la belle j’ai eu la brute !

De retour à l’hôtel je suis si excité que je n’arrive pas à dormir. Je décide de continuer ma lecture de « l’Adieu aux armes » d’Hemingway, mais rien à faire. Je n’arrive pas à me concentrer et je lis sans véritablement lire, songeant savoureusement au pays de Gengis khan, et à ses grandes épopées. D’après « l’histoire secrète des mongoles », chronique mongole datant du 13ème siècle, Gengis Khan serait venu au monde avec un caillot de sang serré dans la main droite, ce qui selon la tradition mongole, signe la prophétie d’un destin martial auréolé d’honneur et de gloire. La chronique rapporte également qu’en rencontrant Temüjin, Deï le sage racontera à son père Yesugeï son dernier rêve : Un faucon blanc tenant dans chacune de ses serres la lune et le soleil, s’est posé sur son épaule. Ce rêve est un présage bienheureux et voit en Temüjin le faucon. Belle prophétie ! Temüjin deviendra des années plus tard le Grand Khan Océanique, le plus grand conquérant de tous les temps et qui a façonné le plus grand empire que le monde n’ait jamais connu ; empire allant de l’océan pacifique et s’étendant jusqu’aux portes de l’Europe. Je m’endors songeant au pays de Temüjin, m’imaginant galoper au vent sur « Jehol »2 dans la steppe sauvage aux herbes

2 « Cheval fou » qui apparaît dans la grande épopée romanesque

de Joseph Kessel Les Cavaliers, chef d’œuvre de l’écrivain

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folles d’un vert chatoyant, s’étendant à perte de vue et recouverte d’un voile de soie azurée ; l’Agartha céleste des aigles royaux.

Le lendemain matin en me réveillant, la douleur au niveau des mollets est encore plus intense que la veille et j’ai les tendons aussi rigides qu’un mikado. Je peine à marcher normalement. Je regroupe mes affaires et fait mon barda : mon sac de trek comprend un sac de couchage, 3 pantalons ; dont deux de trek The Northface et un jean, 5 T-shirts, une veste polaire, 5 boxers, 6 paires de chaussettes, une veste imperméable et respirante, une couverture de survie, des chaussures de trekking légères et polyvalentes, un chapeau à large visière, des lunettes de soleil polarisées, des baskets de détente chinoise de marque Fei yue, une lampe frontale, un vieil appareil photo, une trousse de toilette, une serviette de bain, une petite trousse de secours, et surtout le plus important, 4 rouleaux de PQ. Préparé pour l’aventure, j’appelle un taxi. Je file à la gare de Pékin où je retrouve Nicolas pour prendre le petit déjeuner. Notre train part à 7h30 et n’arrivera à Oulan-Bator que le lendemain matin vers 14h soit plus de 30 heures de train. Bien évidemment nous aurons un compartiment couchette quatre places que nous partagerons avec un Mongol.

consacré à L’Afghanistan, aux Pashtounes et au célèbre jeu équestre du Bouzkachi.

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II A bord du Transmongolien

Sur le quai, les passagers sont à 90 % étrangers et en grande majorité européens ; Allemands, autrichiens, australiens, irlandais, hollandais, belges, espagnols s’affairent avec entrain à prendre place dans leur wagon respectif. Cette ligne de chemin de fer du Transmongolien (ligne sud du grand Transsibérien) a été planifiée à la fin de la dynastie Qing (1644-1912) afin de relier Pékin à la capitale Mongole (à cette époque la Mongolie faisait partie de L’Empire chinois). Avec la chute des Qing en 1911, le projet de construction est abandonné. Puis, suite à l’alliance Soviético-Mongole, une ligne de chemin de fer est ouverte entre Oulan-Bator et Oulan-Oude capitale de la république de Bouriatie en Sibérie et située sur les rives du fleuve Selenga. Dans les années 50, les bonnes relations qu’entretient Staline avec Mao permettent de relancer le projet de construction de la ligne ferroviaire entre Pékin et Oulan-Bator. La ligne sera opérationnelle en 1956. Cela ne durera pas car entre-temps Kroutchev, nouveau chef du soviet suprême prendra ses distances avec le grand Timonier. Dès lors,

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la ligne sera inopérante pendant près de vingt ans pour rouvrir à notre plus grand bonheur au début des années 80.

Je sens comme une effervescence autour de moi. Chacun sait que ce train magique, malgré son manque de célérité, « enfoncera » sans faillir la frontière chinoise au nord tel un brise-glace fracassant nonchalamment la banquise, impassible, pour nous mener au pays des Xiongnu, ces « barbares » mangeurs de viande, ennemis séculaires des chinois, condamnés à vivre au septentrion de la grande muraille dans des contrées sauvages et hostiles. En 221 av J.-C, lorsque le Premier empereur de Chine Qin Shi Huangdi (l’auguste souverain) unifie le pays, il poursuit de grands travaux de défense dans le nord et va prolonger les murailles déjà construites auparavant par les royaumes de Yan, de Zhao et de Qin, car les cavaliers nomades se font de plus en plus menaçants. Sous la dynastie des Han, l’empereur Wudi lance des offensives victorieuses en Mongolie. Ces offensives se poursuivront pendant la première moitié du 1 siècle avant J.-C, puis cesseront en 43 après la dissolution du grand empire des Xiongnu qui contrôlaient toute la zone des steppes du nord depuis le 3ème siècle avant J.-C. En effet, les offensives militaires s’accompagnent de missions diplomatiques visant à diviser les tribus et à rallier les nomades aux Han (chinois). Par la suite les Mongols ne cesseront de représenter une menace pour la Chine jusqu’à la fin du 16ème siècle où les Ming se retrouveront sévèrement mis en danger sur leur frontière nord et se verront contraints et forcés de renforcer la muraille. Ainsi, une haine féroce et inaltérable perdurera dans le temps entre les nomades et pasteurs des steppes avec les sédentaires et