Soins de support, soins palliatifs
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É D I T O R I A L
Médecine palliative
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N° 3 – Juin 2005
Med Pal 2005; 4: 99-100
© Masson, Paris, 2005, Tous droits réservés
Soins de support, soins palliatifs
Lucie Hacpille, médecin, Unité Mobile de Soins Palliatifs, CHU Rouen.
D
epuis la nuit des temps l’homme s’est situé dansles sociétés à la fois comme un être POUR la mort etcomme un être contre la mort en se dressant et s’angois-sant à la fois individuellement et collectivement CONTREtrois grandes peurs universelles : la peur de l’anéantisse-ment (la mort), la désespérance face au non sens et l’ab-surdité, et le caractère inconsolable de la solitude (ou ab-sence de sollicitude).
Notre société occidentale a beaucoup œuvré par lascience et la technique pour repousser la mort. Ce faisantelle a modifié les repères et les équilibres traditionnelsessentiels. Les anciennes frontières ont été déplacées, lesnouvelles restent encore imprécises et mal dessinées lais-sant le champ libre à un inquiétant «
no man’s land
» : nenous acheminons-nous pas vers le calvaire d’une fin devie interminable (Alzheimer…) et déshumanisée dontaucun de nous ne rêve honnêtement ? Que reste-t-il de ladignité de l’Homme lorsque celui-ci est réduit à une sommed’organes ou à un organisme délabré ? Telle est l’une desquestions fondamentales de nos sociétés contemporainesoccidentales centrées sur le concept de « guérison » en-tendu comme retour à un état de santé
ad integrum
.Le fil rouge des soins palliatifs dans une société en
quête de sens circule entre quatre grands axes qui en dé-finissent le champ :
1. Les soins palliatifs (étymologiquement
palliare
: re-couvrir d’un manteau) recouvrent d’un manteau au dou-ble sens de réchauffer et cacher la réalité, c’est-à-dire ceque le processus mortifère a de corrosif, de choquant etd’insoutenable.
2. Les soins palliatifs luttent contre la souffrance ens’adressant à la personne malade et non pas seulement auprocessus de la maladie.
3. Les soins palliatifs s’inscrivent dans une recherchede sens de l’existence en laissant l’Homme « acteur » desa vie et de sa mort (« qualité de vie »).
4. Les soins palliatifs s’exercent à saisir dans le mondemoderne les opportunités pour approfondir la communi-cation et la relation « non évitée » avec soi-même, entresoi-même et les autres, et enfin, entre soi-même et une« autre dimension » dite celle de l’« esprit ». Les soins pal-liatifs s’inscrivent donc dans une anthropologie ternaire :
corps (physique), âme (aspect psychique ou psychologi-que) et esprit (aspirations profondes et essentielles ou phi-losophiques de l’homme).
Dans le contexte de la mondialisation, de la domina-tion économique de notre système de santé en cours demutation, de nouveaux concepts font leur apparitionaujourd’hui : les « soins de support » tendant à réduire lechamp des soins palliatifs à la seule phase terminale d’unemaladie. Ce terme de « soins de support » vient de noscollègues anglo-saxons et le vocabulaire « franglais » estlourd de sens et donne aujourd’hui à penser.
En anglais le terme «
to support
» (
supporting team
…)s’utilise dans le cadre d’un rôle, d’un devoir : je m’occupe(
I support
) de mes enfants parce que c’est mon rôle demère : c’est mon devoir de mère. Ce terme s’inscrit dansun sentiment d’obligation « légale » sans engagement par-ticipatif. En revanche, le terme «
to care
» est utilisé poursouligner « ma responsabilité éthique dans mes actes » :je m’occupe (
I’m caring
…) de mes enfants, non pas parceque je suis leur mère, mais parce que je les aime et doncje m’investis dans leur « grandir ».
Cette subtilité de la langue anglaise remise dans lecontexte des soins qui nous occupent ici témoigne del’oubli ontologique de la dimension de la « personne » hu-maine dans le concept de «
to support
» qui suscite unglissement de sens dans le faire sur le symptôme ou lamaladie aux dépens de la dimension de l’être et de la per-sonne malade. La réduction de l’homme à l’état d’objet,de connaissance rationnelle, membre d’une organisationétablie, et instrument d’une production chiffrable, repré-sente une terrible limitation de son humanité, et donc degrands risques éthiques pour l’art médical. Servir d’ins-trument ou de pièce interchangeable (cancérologue, dié-téticien, assistant social, kinésithérapeute, centre de dou-leur chronique, équipe de soins palliatifs… phase curative,phase de « démarche palliative » et phase terminale réser-vée dans ce modèle aux soins palliatifs…
dispatching
…)c’est mettre entre parenthèses son individualité. L’exi-gence d’un monde mécanisé, où tout doit se conformer àun fonctionnement bien huilé, oblige l’homme à s’adapteren faisant d’une existence sans friction la valeur suprême.L’absence de conflit devenant le but suprême de la vie
Hacpille L. Soins de support, soins palliatifs. Med Pal 2005; 4: 99-100.
Adresse pour la correspondance :
Lucie Hacpille, Unité Mobile de Soins Palliatifs, CHU Rouen, 1, rue Germont, 76000
Rouen.
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N° 3 – Juin 2005
Soins de support, soins palliatifs
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justifie toute lâcheté devant la douleur et légitime l’emploide n’importe quel moyen pour refouler ou étouffer ce quine peut s’éviter (la mort) dans une existence humaine.L’homme passe ainsi à côté de la vérité de la vie qui estnaissance ET mort.
Ainsi « soins de support » et « soins palliatifs » peu-vent-ils s’entendre aujourd’hui comme les icebergs d’unprofond débat de société autour du grand paradoxe de lamédecine actuelle : comment la médecine dont l’objectifest la « guérison » (restitution
ad integrum
de toutes ses
fonctions…) peut-elle atteindre son but alors qu’elle nepermet pas au patient de recouvrer la santé ? Le champde la dimension éthique de la médecine s’ouvre alors de-vant nous : la santé (la maladie) n’est peut-être pas la vé-ritable fin de la médecine ? La fin absolue de la médecineserait-elle dès lors la « personne » ? La personne peut-elleconstituer pour la médecine une fin qui ne soit ni un but,ni un objectif ? On le voit, l’éthique est si inhérente à lamédecine qu’une médecine amputée de sa dimension éthi-que risquerait de ne plus être vraiment de la médecine.