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Note économique Juin 2020 _ AdCF – 22, rue Joubert 75009 Paris 1/11 Rebondir ou subir pour les Territoires d’industrie Les secteurs industriels français face à la crise. Les analyses des experts, les initiatives des acteurs La crise du COVID-19 a accéléré la prise de conscience au sujet des fragilités de notre tissu industriel tout en invitant à des politiques volontaristes de reconquête. Si toute crise économique constitue un moment de bifurcation mais aussi d’accélération de certains changements, les appels au « monde d’après » ne peuvent demeurer dans le registre des seules incantations. Les appels à la réindustrialisation doivent se matérialiser par des pistes concrètes d’action, au risque de demeurer des vœux pieux. Les vastes plans sectoriels annoncés au mois de juin dans les domaines automobile et aéronautique constituent des premiers actes forts. Ils doivent néanmoins être complétés par des approches plus décentralisées et ancrées dans les bassins d’emploi. Les Territoires d’industrie expérimentent sur le terrain des modes d’intervention inédits : ascendants, collaboratifs, territorialisés. Ils peuvent participer d’une politique de résilience industrielle en participant à la restructuration des chaines de valeur, à la consolidation des compétences et savoir faire, à l’accompagnement d’innovations et de transformations. L’AdCF propose dans cette note un recensement des analyses récentes parues sur le sujet de la réindustrialisation (presse, notes…), et évoque des pistes d’action possibles au niveau local. Face au retournement conjoncturel, une somme de plans de relance sectoriels Des impacts de la crise économique différenciés selon les secteurs et les territoires Si les évaluations divergent encore quant à l’ampleur finale de la crise (compte tenu des nombreuses incertitudes qui persistent sur de nombreux paramètres), nul ne doute de ses incidences douloureuses sur l’économie française en général, et le secteur industriel en particulier. Pour l’année 2020, le groupe Xerfi anticipe fin mai une récession de -9,6% du PIB en 2020, suivie d’une reprise partielle. Fin 2021, le PIB devrait demeurer inférieur de 1,4% à son niveau atteint avant-crise1. La mobilisation des aides de l’État a permis d’éviter des niveaux de destructions d’emplois similaires à ceux des États-Unis. Néanmoins, sur le moyen terme, l'emploi restera la principale variable d’ajustement face aux 1 Covid-19 : la contagion sectorielle de l'économie réelle

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Note économique Juin 2020

_ AdCF – 22, rue Joubert 75009 Paris 1/11

Rebondir ou subir pour les Territoires d’industrie Les secteurs industriels français face à la crise.

Les analyses des experts, les initiatives des acteurs

La crise du COVID-19 a accéléré la prise de conscience au sujet des fragilités de notre tissu industriel tout en invitant à des politiques volontaristes de reconquête.

Si toute crise économique constitue un moment de bifurcation mais aussi d’accélération de certains changements, les appels au « monde d’après » ne peuvent demeurer dans le registre des seules incantations. Les appels à la réindustrialisation doivent se matérialiser par des pistes concrètes d’action, au risque de demeurer des vœux pieux. Les vastes plans sectoriels annoncés au mois de juin dans les domaines automobile et aéronautique constituent des premiers actes forts. Ils doivent néanmoins être complétés par des approches plus décentralisées et ancrées dans les bassins d’emploi.

Les Territoires d’industrie expérimentent sur le terrain des modes d’intervention inédits : ascendants, collaboratifs, territorialisés. Ils peuvent participer d’une politique de résilience industrielle en participant à la restructuration des chaines de valeur, à la consolidation des compétences et savoir faire, à l’accompagnement d’innovations et de transformations.

L’AdCF propose dans cette note un recensement des analyses récentes parues sur le sujet de la réindustrialisation (presse, notes…), et évoque des pistes d’action possibles au niveau local.

Face au retournement conjoncturel, une somme de plans de relance sectoriels

Des impacts de la crise économique différenciés selon les secteurs et les territoires Si les évaluations divergent encore quant à l’ampleur finale de la crise (compte tenu des nombreuses incertitudes qui persistent sur de nombreux paramètres), nul ne doute de ses incidences douloureuses sur l’économie française en général, et le secteur industriel en particulier. Pour l’année 2020, le groupe Xerfi anticipe fin mai une récession de -9,6% du PIB en 2020, suivie d’une reprise partielle. Fin 2021, le PIB devrait demeurer inférieur de 1,4% à son niveau atteint avant-crise1. La mobilisation des aides de l’État a permis d’éviter des niveaux de destructions d’emplois similaires à ceux des États-Unis. Néanmoins, sur le moyen terme, l'emploi restera la principale variable d’ajustement face aux

1Covid-19 : la contagion sectorielle de l'économie réelle

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fluctuations d’activité : non renouvellement des contrats précaires et réduction de l'intérim dans un premier temps, puis licenciements des personnes en CDI suite à la fin des dispositifs types chômage partiel, ajournement des charges sociales et fiscales, prêts garantis par l’État. La réduction de la demande globale (consommation, investissements), les pertes d'activité irrécupérables, l’accumulation des dettes obèrent les capacités de reprise dans un avenir proche. Comme le signale Olivier Lluansi2 ancien Délégué de la mission Territoires d’industrie, « toutes les entreprises ne s’en sortiront pas. Celles qui montraient des signes de faiblesse avant même les événements récents ont peu de chances de voir l’été, tandis que nombre d’entreprises qui commençaient à connaître un réel retour d’activité en 2019-2020 se retrouvent dans une situation comparable à celle d’il y a dix ans ». L’analyse décomposée du groupe Xerfi sur les impacts de la crise confirme les importantes nuances sectorielles anticipées jusque-là : la construction, les matériels de transport et l’hébergement-restauration, les services aux ménages, le commerce ont été directement impactés par les mesures de confinement. Le choc sera massif à court terme dans les activités impliquant de la promiscuité et des contacts interpersonnels (restauration, divertissement, tourisme, transports collectifs...), explique Xerfi. Cependant, d’autres secteurs sont exposés à des risques récessifs plus durables, du fait d’un maintien des charges fixes (capital immobilisé, créances, salaires), malgré une réduction des recettes (changements de comportement des consommateurs, efforts de restauration des marges des entreprises clients). Cet effet ciseaux concerne précisément le secteur industriel, qui se caractérise par des investissements importants et des salaires versés plus élevés que dans le secteur des services.

2PwCendirect–ÉclairagessurlacriseCOVID-19

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Les échanges réguliers de l’AdCF avec les élus et les développeurs économiques locaux des intercommunalités mettent en évidence les craintes de voir surgir une première vague significative de dépôts de bilan à partir de la fin août, en raison de l’arrêt des aides de l’État et du non-renouvellement des carnets de commande. Selon le Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire3, une part non négligeable d’industriels s’inquiètent du « mur de la dette » qui se profile et des défaillances croissantes des partenaires économiques (clients, fournisseurs…). Celles-ci risquent d’engendrer un effet « domino » au sein de certains secteurs d’activité. A certains égards, l’année 2021 pourrait s’avérer plus destructrice de la valeur ajoutée produite par les filières les plus fragiles. Contrairement aux secteurs du tourisme, de la restauration ou encore des services à la personne… dans lesquels les rebonds peuvent être rapides, certains secteurs industriels mettront plusieurs années à retrouver leur niveau d’activité d’avant-crise, étant donné la future baisse de demande prévisible dans certains biens d’équipements, certains types de véhicules ou de biens collectifs. Comme le signalent de nombreuses publications (cf. dossier spécial du Le Monde4), certaines filières industrielles seront plus impactées que d’autres : l’aéronautique (Loire Atlantique, Loir et Cher, Indre et Loire, région toulousaine…), l’automobile (Yvelines, Morbihan, Seine Maritime, Sud alsace et Territoire de Belfort…), le ferroviaire (Nord), la sidérurgie et la pétrochimie (Bouches-du-Rhône). A l’inverse, d’autres comme l’agroalimentaire ou le BTP, font l’objet de demandes plus prévisibles. Ainsi, comme le le soulignait l’AdCF dans une publication précédente sur les impacts économiques de la crise5, les tissus économiques locaux vont connaître des trajectoires d’emploi et de croissance divergentes, selon les filières présentes localement, mais aussi selon leur composition en matière d’emplois et la part d’emplois publics.

3[Covid-19]Enquêteflash-Suividel'impactsurlesETI#10-METI4Lesentreprisesfrançaisesfaceauxvaguesdefaillitesquis'annoncent5Impactséconomiquesdelacrisepandémique:Quelseffetssectorielsetterritoriaux

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Un plan de relance national qui cible les filières les plus impactées Au niveau national, des plans de relance thématiques se mettent en place6 avant l’annonce d’un plan de relance plus général à la rentrée de septembre. Les filières automobiles, aéronautiques et touristiques sont les premières visées, en raison d’une part de la forte contraction des carnets de commande au vu de la réduction des déplacements, d’autre part, en raison de leurs effets d'entraînement sur l’ensemble de l’économie. L’aide automobile se divise en trois pans, dédiés au soutien à la demande (prime électrique, à la conversion, bornes…), à la production (subventions pour la montée en gamme des sous-traitants, fond d’investissement de modernisation de la filière de 600 millions d’euros, 150 millions dans la R&D), et une aide directe aux constructeurs (8 milliards d’euros d’aides dont 5 milliards pour Renault, avec des contreparties en matière de relocalisation et de consolidations des sites de production de véhicules propres). L’aéronautique bénéficie de 4 milliards d’euros de prêts bancaires et une avance de 3 milliards pour Air France-KLM, avec certaines contreparties environnementales. Huit autres pistes ont été récemment proposées par le député Mickael Nogal7. Enfin, le tourisme bénéficiera d’un plan d’1,3 milliard d’euros d’investissements. A ce plan s’ajoutent les propositions des Régions, divisées en deux temps : une relance de la demande à court terme, puis un « new deal » industriel et environnemental à moyen-long termes8. Si ces différents programmes visent à « amortir le choc », ils visent surtout à apporter des soutiens d’urgence sans proposer à ce stade une stratégie de réindustrialisation à long terme. C’est ce que de nombreux commentateurs de la presse économique ou spécialistes des politiques industrielles tendent à souligner dans leurs écrits.

6http://www.seance-publique.com/uploads/Catalogues/notes/111/a5ece6b3a07ca0.pdf7Planderelanceaéronautique-ContributiondudéputéMickaelNogal8Planderelancedel'économie:lesRégionsproposentunnewdealindustrieletenvironnemental-Régions

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Pour un rebond industriel dans la durée Au niveau national, comme le soulignent Anaïs Voy-Gillis et Olivier Lluansi9, la crise met en évidence une situation de multi-dépendances, « dépendance pour gérer les situations d'urgence puisque la France produisait peu des biens essentiels et indispensables à la gestion de la crise ; dépendance sur le plan des technologies du numérique puisque de nombreux outils et plateformes utilisés pendant cette période de confinement ne sont pas développés par des entreprises françaises ou européennes, enfin dépendance industrielle aux pays asiatiques et vulnérabilité accrue des chaînes d'approvisionnements ».

Cette dépendance est d’autant plus forte qu’elle est impossible à contrer sur le court terme. « L’atelier du monde » qu’étaient certaines régions d’Asie sont progressivement devenues des pôles industriels majeurs où se concentrent R&D, capital humain, et réseaux d’entreprises en mesure de concevoir et produire une grande partie des biens manufacturés mondiaux. Comme l’expose Olivier Wajnsztok10, « sur l'électronique par exemple, il y a un écosystème qui s'est créé en Asie du Sud-Est et cet écosystème a complètement disparu en Europe. Cela veut dire que si vous voulez acheter un produit électronique, ce sera l'Asie du Sud-Est et vous n'avez pas le choix. En informatique, on a de belles entreprises qui font un boulot incroyable et qui, justement, ne se laissent pas abattre par le bas coût, mais il est clair qu'il y a des écosystèmes qui n'existent plus en France. Donc il y a des cas où ce ne sera pas possible de relocaliser parce que les produits n'existent plus sur le territoire. Ça demanderait un effort de formation extrêmement important et compliqué. » Cet effort semble néanmoins nécessaire, pour des raisons de sécurité sanitaire et militaire, d’équilibre de la balance des paiements, de conservation des emplois, d’équilibre des territoires, de maintien des capacités d’innovation… 11. Plus cet effort de réindustrialisation sera opéré tardivement, plus il sera complexe à réaliser. A court terme, face aux risques de faillites ou d’OPA hostiles, il est possible d’activer le décret « Montebourg » actualisé par la Loi PACTE, soumettant certains investissements étrangers à l'autorisation préalable de l’État (défense, santé, énergie, transport, télécom, semi-conducteur, spatial, cybersécurité robotique...). A long terme, la concentration des productions dans les pays à bas coûts de main d’œuvre n’a rien d’indubitable : l’économie française dispose d’une solide base de savoir-faire techniques et d’une forte diversité de productions. Selon Arnaud Florentin et Elisabeth Laville 12 , l’économie française est quatrième mondiale en matière de « résilience productive » (celle-ci se définit comme la capacité d’un territoire à couvrir un large espace productif au vu de sa consommation). De fait, sur les 1242 produits inscrits dans la nomenclature internationale développée par l'Organisation mondiale des douanes pour classer les produits échangés au niveau international, la France est capable d’en produire 44%, avec de fortes disparités sectorielles et régionales. En comparaison, aucun pays n’a une résilience productive supérieure à 50%, y compris la Chine. La moitié des pays ont un score inférieur à 15%, six pays ont un score supérieur à 30%. La résilience industrielle française ne provient pas de sa capacité à produire directement les produits dont elle a besoin (elle se classe dans ce cas au treizième rang mondial). Elle est issue d’une forte capacité à réaliser des « sauts productifs », grâce à la présence de ses entreprises dans une grande diversité de secteurs. En matière de « production indirecte », la France occupe le premier rang mondial, et dispose ainsi d’opportunités de développement non négligeables « en amont » et « en aval » des chaînes de valeur. Si ce travail de remontée et de descente des chaînes de valeur est impossible à réaliser dans un temps très court (comme l’ont montré les difficultés à produire soudainement des millions de masques et de tests en quelques mois), cette extension de

9Lesdéfisdelarenaissanceindustriellefrançaise10Quepeut-onrelocaliserenFrance?11LesRégionsFrançaisesenTransitionIndustrielleCentre-ValdeLoire,GrandEstetHauts-de-France 12«Lacrisesanitairenousinviteànousinterrogersurlacapacitédenossystèmesdeproductionàfairefaceauxaléas»

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l’horizon productif reste possible sur le long terme, et rendrait possible une intégration stratégique dans la mondialisation.

Profiter de la réorganisation des chaînes de valeur mondiales

Cette dimension stratégique -passer d’un libre échange comme fin à un libre échange comme moyen- a pour corollaire une accentuation des efforts portés sur des programmes tels que Territoires d’industrie, qui viserait à exploiter un trois opportunités et de leviers de développement nouveaux. Comme le souligne Pierre Veltz13, la montée en puissance des pôles industriels marquent une évolution de la mondialisation, à savoir un rapprochement et une régionalisation des activités de filières, de production et de distribution. Le multilatéralisme de l’OMC a depuis plusieurs décennies laissé place à des séries d'accords bilatéraux ou régionaux, auxquels s’ajoutent des tensions commerciales mondiales entre la Chine et les États-Unis et la montée des taxations environnementales sur les produits importés. L’accès aux marchés est de plus en plus conditionné à des investissements locaux, et les entreprises savent qu’elles doivent désormais combiner leurs objectifs et gammes de produits avec des adaptations nationales et locales. En parallèle, l'intérêt même des délocalisations tende à s'essouffler. Les avantages associés à l’internationalisation de la production se réduisent, les différentiels internationaux de coûts de main d’œuvre sont moins importants. Les consommateurs accordent une importance croissante aux délais de livraison, à l’origine des productions, à leur qualité et leurs spécificités, ainsi qu’à leur impact environnemental. En parallèle, les tensions commerciales, les peurs d’espionnage industriel, les délais de livraison, les coûts de stockage, sont des coûts externes importants, qui induisent de forts besoins en fonds de roulement. Ces tensions sont accentuées par la crise sanitaire : la dernière étude d’AgileBuyer pour le Conseil national des achats menée auprès de 800 entreprises montre que 58% des entreprises prévoient des difficultés de livraison de leurs fournisseurs stratégiques et craignent un défaut du fournisseur. En réaction, un quart des entreprises envisagent de relocaliser une partie de leurs achats, essentiellement vers la France (98%) et vers l’Europe (62%). Relocaliser en France ou en Europe permet de sécuriser les approvisionnements (92%), réduire l’impact environnemental (64%), accélérer la mise des produits sur le marché ou de réduire l’impact social14.

13https://www.telos-eu.com/fr/economie/relocaliser-oui-mais-surtout-developper-lindustrie.html14EtudeAgileBuyer–CNATendancesetPrioritésdesDépartementsAchats2020suiteauCovid-19Lesrelationsclients-fournissa

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En favorisant des économies d’échelle distribuées en réseau, les briques technologiques de l’industrie 4.0, permettent de concilier spécification, agilité et réduction des coûts de production. La fabrication additive, la robotique et la cobotique ouvrent la possibilité de « customiser » les produits finis à proximité immédiate des marchés, d’adapter la taille des lots aux commandes sans perdre en productivité. Les relations-clients changent sur le modèle de l’industrie-service : les modèles économiques reposent sur l’efficience industrielle et la qualité du service que ceux-ci rendent, induisant des relations plus durables avec les partenaires commerciaux. La performance industrielle d’un territoire dépend de la solidité de relations en son sein, de leur capacité à susciter une confiance synonyme d’investissements et de montée en gamme. Enfin, on constate un changement de l’organisation du travail, sur le plan organisationnel (rapprochement des phases de recherche, de production, et de commercialisation) et humain (compétences multiples, maitrise du numérique, adaptabilité). En ce sens, l’industrie 4.0 est un vecteur d’industrialisation d’autant plus important que les entreprises françaises possèdent en moyenne moins de robots que les autres pays industrialisés15.

Par-delà une relance conjoncturelle, la diversification industrielle En année 2019, l'industrie connaît une dynamique positive de croissance, d’investissements et de création d’emplois16. Comme l’indique Business France17, la France se hisse au premier rang européen des investissements directs à l’étranger. Elle attire 1 468 nouvelles décisions d’investissement étranger en 2019. Le tissu industriel concentre plus du quart de ces investissements, avec dans 76% des cas des projets d’extension, et dans 13% des cas de nouvelles implantations. Concrètement, 10 100 emplois sont créés et 3715 sont maintenus, dans 56% des cas au sein des Territoires d’industrie, et 43 % des projets sont localisés dans des agglomérations de moins de 200 000 habitants. Cette forte dynamique avant-crise témoigne d’une grande confiance de la part des industriels étrangers déjà implantés, et confirme l'attractivité et le renforcement du tissu industriel.

15L'industriefrançaiseestloind'êtrelaplusautomatiséed'Europe16En2019,l'emploienFranceaconnuunebelleembellie17https://www.businessfrance.fr/presse-cp-bilan-2019-juin-2020

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Si le regain industriel français s’esquissait avant crise, il sera nécessaire de le conforter dans la durée et d’exploiter la réorganisation des chaînes de valeur mondiales pour diversifier les tissus industriels. Cette diversification est synonyme de consolidation de l’emploi industriel sur le long terme. Comme l’explique Business France : « Peu de toiles d’araignées sont exemptes de défauts, mais la rupture d’un fil ne mettra jamais en péril l’ensemble de la toile, et rarement l’araignée ne devra reprendre son ouvra à zéro »18. Un certain nombre de Régions comme la Nouvelle Aquitaine, Grand Est, la Normandie ou Auvergne Rhône Alpes engagent ainsi des programmes de consolidation industrielle : protéger les filières d’autonomies stratégiques, renforcer l’industrie existante, faciliter les relocalisations. Ces programmes s’opèrent selon trois axes : cibler, soutenir, animer.

Cibler les filières d’autonomie stratégique et développer l’existant Cibler tout d’abord, car les budgets publics vont être placés sous contrainte. Dans la Communauté d’Agglomération du Val de Garonne par exemple, sur 40 millions d’euros de recettes, la collectivité accuse une perte de presque 3 millions d’euros. L’heure est à la rationalisation du soutien des pouvoirs publics à l’économie : identifier les filières à sauvegarder coûte que coûte, en raison des emplois qu’elles créent, de la sécurité (alimentaire, énergétique, technologique, militaire) qu’elles apportent, ou encore des perspectives d’avenir qu’elles ouvrent au regard des compétences présentes localement. Une relocalisation complète des processus de production reste peu envisageable. Elle se heurterait aux disponibilités des matières premières et à des problèmes de hausse des coûts de production, dont les écarts ont certes diminué en vingt ans, mais demeurent significatifs. Autrement dit, le rapatriement de la production n'est viable que pour un ensemble limité de biens tributaires d'une livraison rapide, de préférence spécifiques des clients, pour lesquels l'automatisation peut remplacer la production délocalisée, ou pour lesquels un écosystème spécialisé sur un segment de valeur précis existe préalablement19. De fait, la réindustrialisation passe davantage par un développement des activités déjà présentes que par des relocalisations ex-nihilo, peu courantes malgré diverses politiques incitatives en ce sens. A titre d’exemple, le crédit d'impôts relocalisations mis en place en 2005 n’a conduit qu’à une centaine de relocalisations). De même, entre 2009 et 2020, le cabinet spécialisé Trendeo n'a comptabilisé que 144 relocalisations d'entreprises, (hausse de 1 % de l'emploi industriel), contre 469 délocalisations (-6,6 %20). Concrètement, les Territoires d’industries parient eux aussi davantage sur la réindustrialisation par le développement des activités existantes que sur des relocalisation21. Il s’agit ainsi de faire croître chaque jour les pousses déjà présentes, plutôt que « d’attendre une pluie sur un sol sans graines ». La réindustrialisation passe surtout par un « resourcing » des intrants. La crise stimule une volonté des entreprises de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement, mais celles-ci n’ont pas toujours une connaissance précise des productions proches. Selon le Conseil national des achats, 31% des entreprises se disent contraintes dans leurs projets de relocalisation par le manque de disponibilité des produits Made In France. Il s’agit donc de les cartographier (par filière ou territoire), puis identifier et formaliser les « clusters » possibles, en mesure de porter ce « resourcing » par des commandes groupées, voire des mutualisations d’équipements pour une intégration accrue des productions, opérée par exemple par certaines entreprises alsaciennes22. Dans cette perspective,

18Ibid19 La relocalisation massive des chaînes de valeur est un voeu pieux - Economie 20 Penser le territoire comme solution face à la crise 21 Entre mantra politique et mirage économique, la difficile relocalisation 22 Estelec Industrie et Thurconnect créent la co-entreprise Esteconnect

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plusieurs régions élaborent des schémas d’approvisionnement, en vue d’un sourcing local pouvant conduire à des alliances entre industriels.

Soutenir l’émergence d’écosystèmes locaux

Pour stimuler l’émergence de ces filières, il s’agit de de concevoir des stratégies de soutien, et de formaliser les aides qui en découlent. Les Territoires d’industrie offrent une solide base organisationnelle : ils rassemblent les acteurs économiques locaux autours de stratégies partagées élaborées par eux-mêmes. Ils rendent possibles des soutiens à des filières moins visibles nationalement. Aussi, ils sont un moyen de formalisation d’une politique industrielle efficace parce qu’intégrée. Pour fonctionner, un tissu industriel a besoin de compétences, de foncier, de moyens de transport et de fret, de structures de financement, de logements disponibles, etc. autant d’enjeux multiples et contextuels, difficilement saisissables par une administration centralisée23. Au regard des conséquences de la crise sanitaire sur notre économie, nombre de Territoires d’industrie repensent l’ambition de leur action, qu’elles adaptent aux enjeux nouveaux révélés par le contexte actuel. La préservation et le développement des compétences adéquates à la relocalisation sont le premier enjeu. La Banque de France prévoit une perte de plus un million d’emplois d’ici 2021 24 . Il s’agit de pérenniser les compétences acquises malgré la fragilisation des parcours professionnels (cf. publication prochaine de la note de l’AdCF sur les enjeux de recrutement et d’attractivité dans les bassins d’emploi industriels). La préservation du capital humain est tout particulièrement décisive dans le secteur industriel, car dans certaines filières comme l'aéronautique, les compétences mettent cinq à dix ans pour émerger. De fait, les recrutements dans le secteur de l’industrie sont devenus particulièrement complexes à réaliser, à la fois sur des postes très qualifiés (ingénieur, chercheur), mais surtout sur des postes de techniciens qualifiés allant du bac-3 au bac +3. Avant la crise du COVID-19, près de la moitié des recrutements étaient jugés difficiles par les employeurs, créant de véritables goulets d’étranglements. Ces pénuries structurelles en matière de ressources humaines limitent les perspectives de croissance des entreprises, qui doivent alors refuser des commandes faute de main d’œuvre disponible. Localement, elles conduisent à des situations a priori aberrantes de maintien d’un taux de chômage élevé, en dépit d’un besoin de recrutement des entreprises. Si la crise du COVID rebat les cartes en matière de recrutement sur un temps court, il semble probable que le déficit de compétences connu se reproduira à l’avenir, notamment si les appels à la relocalisation des activités se concrétisent. Les parties prenantes des Territoires d’industrie (Pôle Emploi, chambres de Commerce, intercommunalités, Régions, clubs d’entreprises…) mettent ainsi en place des dispositifs sécurisant les trajectoires professionnelles comme le prêt de main d’œuvre, lancé par exemple au travers d’une plateforme dans la communauté d’agglomération de Nevers25. Le maintien, voire le renforcement des dispositifs de formation, est également un sujet central, d’une part afin de permettre aux jeunes générations de se former et de s’insérer dans le marché du travail, d’autre part, pour permettre des reconversions et des transferts de main d’œuvre, des secteurs exposés à la crise économique vers les secteurs abrités ou stimulés par elle (vélo, pharmaceutique, agroalimentaire…). Cela passe par le chaînage « attirer, recruter, former », qui consiste par exemple à créer un Groupement d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification, qui facilitent l’embauche d’alternants et de salariés en formation, dont l’avenir est actuellement fortement remis en cause par l’arrêt net des recrutements.

23https://www.adcf.org/articles-territoires-d-industrie-l-adcf-analyse-pres-de-600-fiches-actions-5132 24 L'économie française mettra deux ans à se relever du Covid-19, selon la Banque de France 25Leprêtdemaind'oeuvre:décryptageetplateformedemiseenrelationinterentreprises

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L’émergence d’écosystèmes industriels reste ainsi tributaire de compétences spécifiques nourrissant les filières locales. Ainsi, sans chaînage des acteurs de l’emploi, de l’insertion, de la formation, du monde économique... la montée en puissance et en gamme de l’industrie restera impossible faute de compétences. En ce sens, les différents bassins d’emploi organisés autour des villes moyennes sont des espaces privilégiés pour accueillir des dynamiques industrielles nouvelles, mais il conviendra d’y implanter plus de lieux d’innovation, de formations supérieures et techniques, tout en dynamisant les réseaux des différents CFA, écoles d’entreprises... présents et nécessaires à la constitution des compétences. Le foncier représente le second levier, essentiel à l’accueil des activités industrielles (16% des fiches actions du programme Territoire d’industrie). Les travaux récents de l’AdCF et du CGET-ANCT sur le sujet montrent qu’une gestion active du foncier économique et une anticipation des implantations restent le meilleur moyen de faciliter l’accueil26. Côté entreprise, les douze sites d’activités « clés en main » retenus par la Délégation Territoires d’industrie (DTI) et l’opérateur Choose France œuvrent dans ce sens d’une facilitation plus grande des implantations27. L'objectif est de fournir des sites viabilisés et équipés, après avoir mené les procédures administratives relatives à l'urbanisme, aux autorisations environnementales, aux études sur la biodiversité (avec la règle dite des « quatre saisons » qui impose de mesurer l'impact sur la faune et la flore sur une période d'un an), aux fouilles archéologiques. La DTI compte approfondir cette démarche avec un second appel à candidature, qui ciblerait des sites de taille moindre (actuellement 50 ha). Les relocalisations pourraient profiter en priorité à ces sites. Cependant, du côté de collectivités, des questions structurelles demeurent quant aux possibilités réelles d’émergence d’un foncier économique disponible pour les activités industrielles nouvelles. La doctrine Éviter Réduire Compenser (ERC) et l’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols limitent les extensions de l’urbanisation et des aménagements économiques. En réponse à ces objectifs, nombre de Territoires d’industrie ambitionnent de réhabiliter les friches industrielles présentes dans leurs périmètres, pour y accueillir de nouvelles activités. Ces projets demeurent toutefois complexes (identifier le propriétaire, démolir, dépolluer), longs et coûteux. Il en est de même pour les projets de densification du foncier économique, qui restent limitées du fait des réglementaires urbanistiques et de sécurité. A cet enjeu purement foncier s’ajoute l’adaptation de l’offre immobilière, afin de rendre possible l’émergence d’activités productives hybrides, au sein de sites accueillant bureaux, conciergerie, laboratoires de recherche, et petites unités de production via une offre « plug and play » en mesure de se greffer sur d’autres activités, industrielles ou non. Le lourd portage nécessaire conduit nombre d’intercommunalités à développer des projets fonciers prenant en considération d’autres dimensions des politiques publiques que l’accueil des entreprises. Il s’agit par exemple d’intégrer une mixité des usages avec des espaces de formation, de logistique, des tiers lieux numériques, etc… Ces espaces permettent de concrétiser et “faire atterrir” les écosystèmes industriels par le développement d’actifs mutuels ; infrastructures de transport, imprimante 3D, machine de fabrication additive... Ainsi, le foncier est un moyen de modernisation de l’industrie, troisième enjeu phare (25% des fiches actions Territoires d’industrie). 10 000 accompagnements Industrie du Futur ont été réalisés avant crise, afin de diagnostiquer et aider les entreprises dans leurs démarches de modernisation de leur appareil productif. Cette initiative est à amplifier, afin d’aider les entreprises à gagner en productivité et réduire les coûts de production, première barrière à la relocalisation des achats pour 60% des entreprises. C’est en apparence paradoxal, mais il sera nécessaire de

26 La revitalisation des friches industrielles Enjeux et synthèse de 40 fiches-actions portées par les Territoires d'industrie 27SITESINDUSTRIELSCLÉSENMAIN

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robotiser davantage l’industrie pour réindustrialiser les territoires et renforcer l’emploi industriel au sens large (avec les emplois connexes induits par l’industrie). L’industrie 4.0 donne aussi à voir des facteurs travail et capital complémentaires, avec l’exemple de la cobotique, mobilisée notamment lorsque les machines sont peu adaptées (tissus souples, rénovation énergétique, etc..), ou pour des activités de contrôle, de maintenance, de finition... Si les objectifs et moyens de cette modernisation sont à organiser nationalement, la mise en œuvre ne peut être que locale, en fonction des entreprises, filières et infrastructures présentes sur le territoire (raccordement à la fibre, 4G voire 5G demain). Enfin, l’’acquisition et les mutualisations d’équipements ne peuvent s’opérer qu’à l’échelle d’un site. Celles-ci peuvent ensuite servir à former localement la main d’œuvre à ces machines, initiant par une montée en compétence bénéfique à l’ensemble des entreprises du territoire. Un autre pan de la modernisation industrielle est sa « décarbonation », par le biais de dispositifs et d’infrastructures favorisant l'Écologie industrielle Territoriale (les résidus d’une industrie sont les intrants d’une autre : CO2, matières premières, chaleur) ou des filières vertes (énergie hydrogène, production électrique verte, constructions durables...28). Plusieurs Territoires d’industrie sont en attente d’un plan de relance spécifique à cette filière, qui pourrait être fortement pourvoyeuse d’emplois à l’avenir29.

Porter et animer des stratégies industrielles territorialisées et collaboratives Les différentes opportunités et leviers à saisir et mobiliser nécessitent un portage dans la durée pour dépasser les actions singulières, et ainsi renforcer les tissus industriels par-delà les turbulences économiques et politiques. Pour cela, renforcer l'ingénierie (financière, de projet) des collectivités reste crucial pour permettre l’émergence de projets répondant réellement aux besoins d'industriels, que ce soit en matière de compétences, de mobilité, de foncier disponible et aménagé, etc… En amont, il s’agit donc de renforcer les Territoires d’industrie, de rendre possibles l’anticipation et la mise en cohérence de ces besoins et des politiques qui en découlent, par exemple au travers d’une contractualisation globale qui englobe Contrats de Transition Écologique, Action Cœur de Ville, Territoires d’industries. En aval, il s’agit de concrétiser le portage de ces projets, par des opérateurs intégrés associant les différents acteurs du territoire (SEM, associations, clusters…), mais aussi par une animation forte permettant de faire émerger des relais locaux, de faire vivre les stratégies localement. Cette intermédiation est aussi essentielle pour clarifier les accompagnements, et réorienter les industriels vers les interlocuteurs pertinents, locaux (CCI, UIMM, CETIM) ou nationaux (Frenchfab, la Frenchtech, BPiFrance, Business France).

28https://www.adcf.org/files/dossier--economique/Note-territoires-dindustrie-et-transition-ecologique-.pdf29https://www.youtube.com/watch?v=F-5ImuFp7Ig&feature=emb_logo