Rebondir - arenes.fr

12

Transcript of Rebondir - arenes.fr

Page 1: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 1/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

Positive attitude

Caroline Le Flour1

a vécu un burn-out à 28 ans, un cancer à 32,

une FIV à 35, avant que son infertilité ne soit déclarée à 36 ans...Coco 2

a ouvert la porte aux terroristes de Charlie Hebdo...

Le Dr Coraline Hingray3, psychiatre, est spécialiste du trauma.

Ensemble, ces trois femmes

Rebondirnous donnent des clés

pour sortir d'un stress

post-traumatique

severe.

une épreuve

Pour m’en sortir j’ai dû mettreen place une série de rebondsCaroline Le Flour : Je suis une résUiente mul

tirécidiviste et mon histoire est riche en rebon

dissements. Pour m’en sortir j’ai dû mettre en

place une série de rebonds, d’où le titre de mon

livre, Le Complexe du Trampoline.J’ai commencé à écrire vers l’âge de 6/7 ans et

je souhaitais faire des études de lettres. Mes

parents s’y sont opposés car ce n’était pas pour

eux une voie me permettant d’avoir un bon

métier. J’ai décidé de m’engager dans l’armée.

Intégrée dans les chasseurs alpins, où rien n’avait

de sens pour moi, j’ai très vite compris que je

ne pouvais pas continuer car j’ai besoin de don

ner du sens à ce que je fais. Ce fut pour moi l’oc

casion de dire non pour la première fois. Je suis

fïère de ce passage chez les militaires qui m’a

apporté un ancrage très positif tant en termes

d’affirmation que de dépassement de soi.

J’ai alors suivi des études de marketing. J’avais

appris à dire non, mais j’avais besoin de recon

naissance. Sous les ordres d’une manager peu

bienveillante, je me suis donnée à corps perdu

dans le travail. Après beaucoup de stress et de

multiples pressions, j’étais dans un état d’épui

sement total. Un vrai burn-out suivi d’un épiso

de de dépression qui a précédé de peu mon

lymphome (un cancer du système lymphatique).

Lorsque je me suis retrouvée dans ma chambre

Page 2: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 2/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

PHOTO. ASTRID Dl CROLLAUNZA © FLAMMARION

"Après le combatphysique j'ai dû

entreprendre le combatpsychologique cor j'ai

traversé ce que j'appelledans mon livre

le naufrage après

la tempête."Caroline Le Flour\

d’hôpital, j’ai décidé d’écrire avec mes tripes etj’ai découvert alors les bienfaits thérapeutiques

de l'écriture.L’épreuve nous fait vivre des choses peu ordi

naires et nos réactions dépassent souvent l’en

tendement. J’ai toujours réussi à capter ces ins

tants, à les voir de manière un peu caricaturale,

peut-être pour mieux les accepter. Ce fut le pre-

juin - août 2021 -9|e- 79

Page 3: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 3/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

mier mécanisme de protection que j’ai pu

mettre en oeuvre. J’écrivais tout ce que j’ob

servais, tout ce qui me faisait rire, mes ana

lyses, mes questionnements existentiels, c’était

un exutoire. J’ai tendance à toujours chercher

le côté humoristique des situations. Pour moi,

l’humour est un ressort qui me permet de tra

verser les événements difficiles de manière

un peu plus légère, de prendre du recul, sans

pour autant nier ce qui se passe. C’est une

excellente façon de se ressourcer et d’avoir

une énergie positive qui m’a permis d’être

dans le rebond plutôt que dans l’abattement.

Je souhaitais également laisser un témoigna

ge positif pour ma famille. J’avais demandé à ma

sœur de partager mes textes avec nos proches

afin de les faire rire une dernière fois si je ne

m’en sortais pas.

Fémitude : Puis vous avez guéri ?

Caroline Le Flour : L’annonce de ma rémis

sion a été un moment merveilleux. Mais après

le combat physique j’ai dû entreprendre le com

bat psychologique car j’ai traversé ce que j’ap

pelle dans mon livre le naufrage après la tem

pête. Je me suis autorisée à ne pas être bien pen

dant quelque temps avant d’essayer de trouver

un ressort qui m’aiderait à reprendre pied.

Fémitude : Quel a été votre moteur ?

Caroline Le Flour : Après mon cancer, je

voulais revenir dans la vie en donnant la vie.

L'avis du Dr Coraline Hingray:Lorsqu'on sait qu’un traumatisme se

définit par une confrontation directe

ou indirecte à la mort, je pense que

Caroline a traversé plusieurs épreuves

mais un seul véritable traumatisme,

son cancer. Sa réaction illustre par

faitement le concept de croissance

post-traumatique. Sachez qu’en règle

générale, un traumatisme s'attaque

à nos sentiments de sécurité et d’in

vulnérabilité qu'il détruit en nous lais

sant en morceaux sous la forme d’un

J’avais soif de maternité. Mais j’ai essayé d’être

enceinte naturellement pendant deux ans sans

succès. Les médecins m’ont ensuite orientée

vers la PMA (Assistance médicale à la pro

création, NDLR), j’ai bénéficié de plusieurs FIV

(Fécondation in vitro, NDLR) et même d’un

don d’ovocytes. Malheureusement, les échecs

se sont accumulés et le corps médical a décla

ré forfait.Je ne pouvais plus bénéficier de ces

nouvelles méthodes. Je sombrais un peu plus

dans la dépression. Pour m’en sortir, j’ai déci

dé de me raccrocher au plaisir et de me faire

porteuse de projets.Je pense que j’ai mis toute

mon énergie et transféré mon besoin de mater

nité dans mes projets.

J’ai eu la chance alors de rencontrer les

bonnes personnes, d’être accompagnée, de

pouvoir mettre le plaisir au centre de ma

vie. J’ai repris mes écrits, créé et mis en scène

avec Mathieu Vervisch La Chauve SouriT,

un one-woman-show. J’y raconte mon com

bat contre le cancer de manière très déca

pante. Après la représentation, des specta

teurs venaient me demander comment je fai

sais pour supporter ce que j’avais vécu et

en rire de cette façon. J’ai alors compris que

mon histoire pouvait aider celles et ceux qui

traversaient une épreuve. Je pouvais leur

transmettre les leçons que j’en avais tirées.

Ce que je réalise au travers du livre Le Com

plexe du trampoline. Je vis ces deux créations

comme des maternités.

puzzle. Nous devons alors apprendre

à nous réparer, c’est ce qu’on appel

le la résilience. Caroline va plus loin

qu’une simple reconstruction puis

qu’elle parvient à dépasser et sublimer

son traumatisme et son histoire dif

ficile. Elle s’est découvert des talents,

de l’empathie, un besoin d’aider les

autres. Elle a donné un autre sens à

sa vie, plus profond probablement

qu'elle ne l’aurait eu sans ses diffi

cultés. Elle est dans ce qu’on appel

le la croissance post-traumatique.

Page 4: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 4/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

tout était paralysé, tout était long...

"Cette image de la vague m'estvenue assez rapidement

car elle évoque vraiment ce quevous ressentez lorsque vous êtes

submergée. C'est quelque chosequi vous envahit de partout, del'extérieur et de l'Intérieur, vous

ne pouvez pas y échapper."Coco

Fémitude : Vous racontez dans votre

livre que le 7 janvier au matin, vous étiez

de bonne humeur.Coco

: Oui, je venais de déposer mon fils à la gar

derie et je me sentais bien. J’avais intégré la

rédaction de Charlie depuis quelques années,

comme stagiaire d’abord puis petit à petit, l’équi

pe avait publié un de mes dessins puis un autre

et de plus en plus. J’avais enfin compris les méca

nismes du dessin de presse. J’apprenais, je pro

gressais et tout se passait bien. Depuis 2012, je

dessinais sur Arte qui m’avait félicitée, je dessi-

Page 5: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 5/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

nais un billet d’humeur satirique pour les Inrocks

auxquels Luz m’avait recommandée et Charb

m’avait poussée à proposer mes dessins à VHu

ma qui cherchait un dessinateur Je faisais mes

gammes dans plusieurs journaux, je m’étais vue

confier un petit reportage à Charlie trois semaines

avant, et dans cette bonne dynamique, j’étais

heureuse de la confiance qu’on me portait.

Fémitude : Tout a basculé peu de temps

après ?

Coco : Oui. C’était la première réunion de rédac

tion de l’année. L’ambiance était joyeuse, il y

avait une belle émulation et ces terroristes ont

surgi. Je suis descendue fumer une cigarette et

au moment de remonter, j’ai été la victime d’une

prise d’otage dans l’escalier. Cela a été d’un effroi

absolument terrible et j’ai raconté cette ascen

sion qui en réalité était fulgurante mais que j’ai

vécu de l’intérieur comme interminable. En moi,

tout était paralysé, tout était long. J’ai dessiné

plusieurs pages sur cette ascension de l’escalier

qui m’a semblé si lente car j’ai voulu prendre le

temps de montrer ce temps qui n’en finissait

pas. Je ne voulais pas montrer l’horreur, c’était trop

abominable, irreprésentable et je m’en suis tenue

à cette violence dans l’escalier qui suffisait au

lecteur et à moi-même pour comprendre ce que

j’ai ressenti.

Fémitude : Je suppose que la montée

et ce qui s’est passé ensuite ont été une

abomination sans nom ?

COCO : Oui, oui. Je ne voulais pas le dire dans

le livre, c’était trop dur. J’ai préféré montrer

des pages noires mais pas des pages noires clas

siques, des pages qui ont été faites une par une,

des pages noircies feuille par feuille pendant

longtemps par des hachures qui font un peu

comme des grillages sur le papier. Je les ai noir

cies dans une espèce de silence, tard le soir

pour montrer cette vie qui s’est éteinte et ce

silence de mort. Philippe Lançon et Riss ont

raconté ce moment avec leurs mots dans leurs

livres. C’est une démarche un peu différente

car les mots permettent d’être précis mais il

me fallait trouver d’autres moyens pour expri

mer ce que j’ai ressenti.

Fémitude : Comment avez-vous vécu

l’après ?

COCO : Il y a eu beaucoup de moments de

brouillard, beaucoup de moments de blanc. Le

7 janvier était tellement présent, tellement obsé

dant qu’il y a beaucoup de choses que je n’ai

pas pu voir dans les années qui ont suivi. C’est

ce que j’appelle le blanc. Immédiatement après

l’attentat, je me suis focalisée sur le journal. Il

fallait le refaire paraître, ne serait-ce que pour

ceux qui l’avaient créé et porté et qui nous

avaient été arrachés. Je ne voulais pas que les

terroristes aient pris aussi ce qu’on avait de cher,

ce journal si fédérateur qui nous rassemblait. Et

puis j’avais le sentiment que si je ne continuais

pas à dessiner, les Kouachi auraient emporté un

dessinateur de plus. Je me suis accrochée au

dessin car c’était un réflexe de survie d’essayer

de me concentrer sur des idées, sur de l’image,

sur ce qu’il y avait à faire, de plonger dans le tra

vail corps et âme. Plus rien d’autre ne m’ani

mait. Quand il n’y avait plus de travail, le stress

revenait, la nuit était difficile. Mes journées consis

taient à travailler, travailler, travailler, travailler

le plus possible et le plus tard possible pour être

crevée et m’endormir afin de ne pas penser, de

ne pas gamberger encore et encore sur ces

images d’horreur, sur ce 7 janvier, sur ces ter

roristes islamistes, sur les deuils.

Fémitude : L'image de la vague qui vous

submerge est très parlante...COCO : Cette image de la vague m’est venue

assez rapidement car elle évoque vraiment ce

que vous ressentez lorsque vous êtes submer

gée. C’est quelque chose qui vous envahit de

partout, de l’extérieur et de l’intérieur, vous ne

pouvez pas y échapper. J’ai pensé au tableau

d’Hokusai, sur lequel on voit un petit navire sur

une mer agitée menacé par une énorme vague

prête à s’abattre sur lui pour l’engloutir. C’est

très violent, monstrueux, on ne sait pas si le

bateau va couler et si les passagers s’en sorti-

Page 6: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 6/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

DESSINER ENCORE. DE COCO, AUX ÉDITIONS LES AKÈNES BD.

ront. Le doute plane et la vague est là qui sur

plombe le navire. Ce tableau, universel comme

la Joconde, me pariait vraiment. J’ai pensé que cette

image de vague effroyable pourrait m’aider à

faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas vécu,

l’intensité et la violence du traumatisme.

Fémitude : Vous avez essayé différentes

approches pour vous en sortir ?

COCO : Après l’EMDR (eye movement desensi

tization and reprocessing c'est-à-dire désensibi

lisation et retraitement par les mouvements ocu

laires, NDLR), une technique qui s’apparente à

Page 7: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 7/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

l’hypnose et qui ne m’a pas convaincue. J’ai

contacté Paris Aide aux Victimes, une associa

tion de la mairie de Paris qui vient en aide à

toutes les victimes de violences quelles qu’elles

soient. J’ai eu la chance de tomber sur Monsieur

Jean qui m’a plus tard confié que depuis 2015,

il avait reçu plus de 1 700 victimes d’attentats,

venus du Bataclan, de Nice, de Strasbourg ....

Depuis 2015, il y a eu plus de 270 morts du fait

du terrorisme islamique.

Fémitude : Et lui vous a beaucoup aidée ?

Coco : Oui, Monsieur Jean m’a vraiment aidée.

Au départ, c’était dur, j’avais des souvenirs un

peu vagues. En fait, je ne me souviens plus bien

des deux premières années qui ont suivi le 7 jan

vier. Je ne sais pas si c’est à cause du traumatis

me mais il y a quelque chose de la mémoire qui

disparaît. Je me souviens parfaitement du 7 jan

vier dans ses moindres détails. Pas de la suite.

Fémitude : Comment est venue l’idée

du livre ?

COCO : Je ne pensais pas du tout faire un livre.

L’idée ne me plaisait pas, je suis très pudique et

puis j’avais vraiment la tête dans le 7 janvier.

Mais alors que l’échéance du procès arrivait, j’ai

réalisé que plusieurs personnes de ma connais

sance avaient un peu oublié le 7. À ce moment-

là, entre la perspective du procès, la mémoire

qui s’efface et le besoin de prendre ma part

comme les autres à cette histoire collective, je me

suis dit que je devais faire ce livre. J’ai commencé

à dessiner sans trop de pression, juste pour voir

si j’en étais capable. En même temps, je cher

chais les mots que je prononcerais lors du pro

cès alors que je n’en avais pas parlé avant, à part

à un psy. J’allais devoir prendre la parole devant

une cour d’assises, devant d’autres parties civiles

et mettre les accusés de complicité face à ce

qui s’était passé. Je ne voulais pas me défausser.

J’ai commencé à dessiner petit à petit. Cela allait

et j’ai continué.Travailler sur ce livre m’a beau

coup aidée à être précise dans les mots que je vou

lais prononcer. Et puis le procès est arrivé et

quand je me suis retrouvée à la barre, j’ai été

submergée par l’émotion mais j’ai quand même

pu exprimer ce que j’avais à dire. C’était dur,

très dur et c’était dur pour tout le monde.

Fémitude : Comment s'est passée votre

reconstruction ?

COCO : Ce mot de reconstruction est assez par

ticulier. Peut-être que je pense comme un des

sinateur mais pour moi, reconstruire, c’est

reprendre un mur cassé, le recimenter et remettre

des pierres pour le refaire. Pour moi comme

pour beaucoup d’autres victimes, il n’y a pas

vraiment de reconstruction. À l’intérieur de nous,

c’est détruit, c’est pété et on essaie de faire avec,

un peu autrement avec des morceaux pleins la

tête. La vie, le rapport à la vie et la perception

qu’on en a, sont définitivement changés.

Fémitude : Dans votre livre, vous évo

quez aussi la culpabilité que vous avez

ressentie...

COCO : Longtemps j’ai eu cette culpabilité du

survivant qui m’empêchait de profiter pleine

ment de la vie. À chaque fois, cela me rappelait

le 7 et la mort. J’ai tenté de l’exprimer dans mon

livre. Je suis reconnaissante d’être en vie, et en

même temps, cette vie est parfois dure à sup

porter même si je sais que c’est une chance de

vivre encore. Oui cette culpabilité est terrible

parce que j’aurais aimé faire tout mon possible

pour essayer d’empêcher cela mais je ne pou

vais rien faire. Les terroristes m’ont dit devant

la porte : " C’est Charb ou toi ", et j’ai eu l’im

pression longtemps d’avoir fait un choix et d’être

responsable de l’attentat. Il m’a fallu beaucoup

de temps pour comprendre que je n’avais pas

le choix. Personne ne peut rien faire face à deux

assassins qui sont là pour tuer et vous menacent

de deux kalachnikovs.

Fémitude : Le travail, la parole et ce

livre vous ont-ils aidée ?

Coco : Le travail a été comme une branche à

laquelle je me suis accrochée pour ne pas tom

ber. Le dessin m’a en partie sauvée et puis la

parole m’a aidée à mettre un peu de distance

Page 8: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 8/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

DESSINER ENCORE. DE COCO. AUX tOHlOUS LES U EUES ID.

avec cet événement qui m’étouffait, même si

ce 7, cet attentat, fait partie intégrante de moi

et ne partira pas. Le travail avec le psy a été

comme un processus, un cheminement pour

essayer d’avancer palier par palier.Aujourd’hui,cela va quand même un peu mieux même s’il

y a des moments douloureux. Et puis il y a eu

le procès, une épreuve très difficile, qui nous a

Page 9: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 9/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

replongés dans quelque chose qui ne nous

quitte pas, qui fait partie de nous mais nous

devions trouver la force de dire devant la cour

d’assises ce que nous avions traversé. Quand

j’en ai parlé à la barre, c’était comme si je le

revivais, comme si j’étais encore là-bas, que

j’étais de nouveau dedans. Mais cela m’a fait

du bien de le dire et que des gens autres que

le psy l’entendent. Après comme je l’ai dit

devant la cour d’assises, il m’était difficile de

L'avis du Dr Coraline Hingray:Coco a été victime d’un traumatisme

extrêmement sévère et profond. Au-delà

même de l’attentat et de son horreur,elle a été tenaillée par la culpabilité

d’avoir ouvert la porte aux tueurs qui

ont exécuté la rédaction de Charlie.

Sa

description d’une montée interminable

des escaliers évoque une distorsion tem

porelle provoquée par l’épouvante. C’est

cette réaction normale, appropriée et

physiologique, la dissociation qui donneà Coco cette vision erronée de la réali

té. Confronté à de très fortes montées

d’adrénaline et/ou de cortisol, notre corpsse protège d’une surcharge émotionnelle

insoutenable, voire d’un arrêt cardiaque,

en déconnectant ses sensations, ses

émotions et ses pensées. Toutes les

pièces du puzzle de sa vie, de sa perception du monde se sont éparpillées

comme après une explosion.

parler de moi quand d’autres avaient perdu la

vie, d’autres un père, un époux, un enfant,

d’autres encore avaient été gravement blessés.

Fémitude : Vous avez été blessée psy

chiquement pourtant...Coco : Oui et nous sommes plusieurs à souf

frir de blessures invisibles. Le livre est peut-

être un moyen de parler de ces blessures et

de les montrer.

Coco s’est d’abord accrochée à son tra

vail, au dessin pour reprendre contactavec la réalité mais le trauma et ses

blessures invisibles étaient toujours

présents. Coco n’a vraiment rebondiqu’après un travail sur la notion de cul

pabilité et/ou de honte très fréquente

chez les victimes. Aujourd’hui, elle est

en train de reconstruire, d’essayer de

sublimer sa douleur avec son livre. C’est

grâce son art, le dessin, avec ce livre et

au procès, qu’elle commence à reposi

tionner les pièces du puzzle. Autre point

intéressant, elle dit que l’attentat faitpartie intégrante d’elle-même et ne par

tira jamais. Elle a raison : guérir d’un

traumatisme, ce n’est pas l’effacer mais

accepter qu’il fasse partie de soi. Le

trauma c’est le passé qui vit au présent,le but est de le transformer en un sou

venir extrêmement difficile, bien repla

cé dans le passé.

Apres une epreuve,nous passons souventpar une période de déni

Fémitude : Comment sortir de la sidé

ration et comprendre ce qui vous arrive

et avec qui en parler ?

Caroline Le Flour : Après une épreuve, nous

passons souvent par une période de déni. Il

me semble que pour rebondir, il faut d’abord inté

grer ce qui s’est passé, laisser s’exprimer les

émotions, qu’il s’agisse de tristesse ou de colè-

Page 10: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 10/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

" Briser le silence en

en parlant est une priorité.Je conseille de vous

tourner vers des proches

bienveillants, en capacitéd'entendre nos émotions

et de consulter unprofessionnel (psychiatre

ou psychologue).Dr Coraline Hingray

ne, être à l’écoute de soi.Verbaliser un événement thérapeutique, mais attention à ne pas réveiller

traumatisant en exprimant les émotions qui y et renforcer le traumatisme, ce qui serait contre-

sont associées est souvent nécessaire au niveau productif. Je pense donc indispensable de

Page 11: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 11/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

consulter un psychologue thérapeute afin d’évi

ter les impairs. Je recommande également le

recours à l’EMDR, une technique qui fonc

tionne très bien.

COCO : Je pense qu’il faut beaucoup de force,

qu’il faut essayer de nous accrocher à ce qui a

de l’importance pour nous, comme moi avec

le dessin. Je ne me sens pas capable de donner

des conseils. Je peux juste dire que Paris Aide aux

victimes est une structure importante qui peut

vraiment aider après un traumatisme. On y est

reçu par des spécialistes qui connaissent ce

qu’on traverse et qui entrevoient des choses

que, pris dans le traumatisme, on ne peut pas voir.

Je suis très reconnaissante du travail qu’elle

m’a fait accomplir. C’est dur, il faut du courage

pour parler de soi et de sa blessure. Mais le fait

d’être accompagnée permet de se sentir un

peu moins seule même si ce type d’épreuve se

traverse toujours seule même lorsqu’on est

bien entouré.

Dr Coroline Hingray : La sidération pendant

ou après le trauma est due à la dissociation, un

mécanisme normal de protection. Envahi par

un surplus d’informations extrêmement dan

gereuses et riches en émotions, le cerveau se

déconnecte pour tenter de les intégrer petit à

petit. Cet état peut perdurer quelques jours

voire 3 ou 4 semaines. Au-delà d’un mois, cela

devient pathologique et il faut faire des exer

cices d’ancrage dans l’ici et maintenant. Par

exemple : qu’est-ce que je vois, qu’est-ce je sens

autour de moi et quelles sont les différences

avec l’environnement tel qu’il était lors de mon

traumatisme ? Briser le silence en en parlant

est une priorité. Je conseille de vous tourner

vers des proches bienveillants, en capacité d’en

tendre vos émotions. En cas de souffrance au

quotidien, il faut consulter un professionnel

(psychiatre ou psychologue) formé aux troubles

de stress post-traumatique, donc aux méthodes

efficaces comme les thérapies cognitives et

comportementales, l’EMDR mais aussi l’hyp

nose et certaines techniques de relaxation.

Fémitude : D’après vous, qu’y a-t-il de

mieux à faire dans les premiers temps

ou à ne pas faire ?

Caroline Le Flour : Nous devons suivre cette

maxime de Marc Aurèle : " Que la force me soit

donnée de supporter ce qui ne peut être chan

gé et le courage de changer ce qui peut l'être

mais aussi la sagesse de distinguer l'un de

l'autre." Nous pouvons également agir sur

notre état d’esprit en essayant d’être optimiste

plutôt que défaitiste. Cultiver la pensée positive

conduit vers un cercle vertueux qui permet

de trouver les ressorts nécessaires pour tra

verser l’épreuve. Je conseille aussi d’essayer

de percevoir les opportunités qui se présen

tent comme découvrir un talent insoupçon

né et développer une compétence nouvelle. Ce

fut l’écriture pour moi, pour d’autres cela sera

la peinture, la méditation, le sport... Ensuite,

nous devons avancer à notre rythme, nous

fixer si besoin de petits objectifs afin d’offrir

à chaque jour sa petite victoire. Je l’ai prouvé

dans mon histoire, ne pas se mettre la pres

sion, cela fonctionne bien, on n’est pas dans

l’injonction de devoir à tout prix rebondir.

Coco : Je ne peux pas vous répondre. Chacun

réagit à sa façon face à un attentat, un deuil, une

rupture. Dans tous les cas, c’est dur et il faut

s’accrocher encore plus. Beaucoup de gens qui

ont lu mon livre m’ont dit qu’il leur avait per

mis de mieux comprendre. J’ai senti que cela

les touchait car face à ce type d’épreuve, nous

devons tous essayer de nous accrocher à la vie

coûte que coûte parce que nous avons la chan

ce de l’avoir encore.

Dr Coroline Hingroy : Briser le silence en

en parlant est une priorité. Je conseille de vous

tourner vers des proches bienveillants, en capa

cité d’entendre nos émotions et de consulter

un professionnel (psychiatre ou psychologue).

Personnellement je conseillerai d’éviter de consul

ter uniquement un psychanalyste car la psy

chanalyse n’a pas prouvé son efficacité sur le

Page 12: Rebondir - arenes.fr

Date : Juin - aout 2021

Pays : FRPériodicité : Trimestriel

Page de l'article : p.78-89

Page 12/12

ARENES 2207031600508Tous droits réservés à l'éditeur

Je 0»e) prends »mû v/ie e»i main

trauma. Lorsque le patientcomprend ce qu’il lui arri

ve et qu’il possède les outils

pour agir sur ses émotions

et sa vie, il peut parfois travailler et rebondir par

lui-même si la souffrance est intense.Nelly Fouks

1/Autrice du Complexe du trampoline, Éditions Flammarion,

400 pages, 19,90 euros.

2/Autrice de Dessiner encore. Éditions les Arènes, 346 pages,28 euros

3/ Coautrice avec le Pr Wissam El-Hage du Trauma, Éditions Vuibert,

192 pages, 19,95 euros.

"Il faut essayerde nous

accrocher à cequi a de

l'importance

pour nous,comme moi

avec le dessin."

LINE

1REUSS

Coco

face aux gale