quinzaine littéraire 83

download quinzaine littéraire 83

of 32

Transcript of quinzaine littéraire 83

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    1/32

    e eUlnza lnea3F littraire Numro 83 Du 16 au 30 novembre 1969

    LaS ISO du

    EDueen: ,P i errec ae er

    et le pot de miel

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    2/32

    SOMMAIRE

    3 LE LIVREDE LA QUINZAINE5 ROMANTRANGER8 ROMANS PRANAIS891011

    12 POSIE

    Flannery O'Connor

    Martin Walser

    Georges.Emmanuel ClancierMonique WittigJean SulivanJeanne ChampionClaire Gallois

    Michel Deguy

    Mon mal vient de plus loin

    La licorne

    Un thme privilgi: l'enfanceL'ternit plus un jourLes gurillresMiroir brisXUne fille cousue de fil blanc

    FigurationsPomes - propositions - tudes

    par Genevive Serreau

    par Rmi Laureillard

    par Claude Bonnefoypar Maurice Chavardspar Andr Dalmaspar Gilles Lapougepar Alain Clervalpar Anne Fabre-Luce

    par Pierre Chappuis

    14 ENTRETIEN Pierre Schaeffer e t le pot de mie l propos recueillis par Marc Pierre18 ARTS17 EXPOSITION19 PHILOSOPHIE21 ESSAI22 POLITIQUE24 LETTRE D'ITALIE

    Leszek KolakowskiMichel ZeraffaBrian Crozier

    La Revue de l'ArtGiacomettiChrtiens sans glisePersonne et personnageFrancoUn scandale littraire

    par Franoise Choaypar J ean Selzpar Constantin Jelenskipar Catherine Backspar Herbert Southworthpar Guido Davico Bonino

    2827 THATRE Bertolt Brecht Grotowski Londres et New YorkTambours et trompettes par Raymonde Temkinepar Gilles Sandier28 FEUILLETON w par Georges Perec

    Crdits photographiques

    La Quinzaine

    2

    Franois Erval , Maurice Nadeau.

    Conseiller : Joseph Breithach.Comit de rdaction :Georges Balandier, Bemard Cazes,Franois Chtelet,Franoise Choay,Dominique Fernandez, Marc Ferro.Gilles Bernard Pingaud.Gilbert Walusinski.Secrtariat de la rdaction :Anne Sarraute.

    Courrier littraire :Adelade Blasquez.

    Rdaction, administration :43, rue duTemple, Paris-4.Tlphone: 8874858.

    Publicit littraire :22, rue de Grenelle, Paris-7.Tlphone : 22294-03.Publicit gnrale : au journal.Prix du n au Canada: 75 Abonnements :Un an : 58 F, vingt-trois numros.Six mois : 34 F,. douze numros.Etranger:Un an : 70 F. Six mois : 40 F.Pour tout changement d'adresse :envoyer 3 t imbres 0 ,30 F.Rglement par mandat, chquebancaire, chque postal :C.C.P. Paris 15.551.53.Directeur de la publicationFranois Emanuel.Imprimerie: Graphiques GambonPrinted in France

    p. 3p. 5p. 6p. 7p. 8p. 9p. 10p. Ilp. 12p. 14p. 16p. 17p. 18p. 19p.23P25p.26p.27

    Gallimard d.Gallimard d.VascoVascoVascoVascoLaffont d.MagnumGallimard d.BuchetChastelD.R.Fititjian-BelfondFlammarionGalerie Galerie MaeghtCopyright New YorkReview et Opera MundiCopyright New YorkReview et Opera MundiLe SeuilD.R.Bemand

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    3/32

    LB LIV.B DB

    LA QUINZAIIJB

    Des soleils-poignards

    La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969

    "'lannery O'Connor

    1Flannery O'ConnorMon mal v ient de p lus loinNouvelles t ra d. d e l'anglaispa r Henri MorissetGallimard d., 280 p.Nous voici projets en pleinroyaume des tnbres. L'en-fer c'est ici-bas, et la grcede Dieu, qui tombe et lsur les plus dshri ts, res-semble l'clair de l'pequi tue. Dans les nouvelles dece dernier recueil de FlanneryO'Connor (1) toujours quel-La tragdie e st a in si pose ds

    l e dpar t, et qui dit tragdie di tl'impossibilit de toute solutionaut re que la mort. Cela vient dou-cement, pa r touches irrmdiablesmais lgres. On admire l'ton-nante scurit, la matrise, l'all-gresse qu'une telle certitude dela tragdie en cours donne l 'a ute ur . R ie n d e p lu s p ro pi ce l 'humour - qu i n'est jamais si

    que fai lle profonde apparatentre les personnages mis enprsence. En dehors mmedes di ffrences immdiate-ment visibles, sur le planracial (les Noirs et lesBlancs), ou social (les ma-tres et les domestiques), ousur le plan des gnrations(les mres et les fils). Cettefaille est bien pire, qui n 'estpas incomprhension mo-mentane, malentendu ouerreur rparables, mais bienl'absolu de la surdit, l 'enferde la non-communication.

    bien portant que dans la noiremachinerie de la fatalit.

    Ecoutons l'attaque de la premire nouvelle (celle qu i donneson t it re au recueil) : c'est la ren-contre de l a mr e et du fils, l'tu-diant Asbur y qui r el ou rn e poury mourir dans la maison mater -nelle : Elle avait pouss un petitcri et semblait atterre. I l taitravi qu'elle et, du premier coup

    discern la mort su r son vuage .Ainsi, soixante ans, eUe a lla itprendre con tact avec le rel.L'une es t atterre, l'autre ravi,ces deux-l ne s'entendront ja-mais La cassure es t nette, traceau diamant. Ell e ne f er a plus qu es'ap pro fo nd ir . P lu s l e fils es todieux - et il sait l'tre - plusla mre mult ip li e soins et atten-lions et mobilise l'optimisme desamis autour du mor ibond, et pluss'aggrave en tre eu x l'abme, carjusqu'au bout la mre refuse lavrit de la mort, et on a presquele sent iment que le fils meurt dene pouvo ir l a t ransme tt re , meurtnon tant pour lui que con tr e samre, con tr e son imbc il e aveu-glement. Il s er a obli g d'entrerseul en agonie, d'affronter seulcette terreur de la mort qu'iln'avait pas prvue et qu i l'assailleau d er ni er instant. Qui a tort?Qu i raison? Qu i es t bon? Quimchant? Ce n'est pas entre cestermes-l que passe la coupure :simplement il y a d'un ct ceuxqu i savent (ce qui ne les rend n imeilleurs ni plus pitoyables niplus perspicaces) et de l'autre,les sourds. Pour se faire entendre,les premiers ut il iseront n ' importequel moyen violent, et l e p lu s fouen appar ence sera aussi le plusefficace.

    Mme cassure, fondamentale.irrparable, entre le s personna-ges de les Boiteux entreront lespremiers , l'une des plus bellesde ces neuf nouvelles et sans dou-te des plus insupportahles. Shep.pa rd , tout comme l a mre d'Asbu-ry, est anim des sentiments lesplus al tru is tes et totalement im-permable la vritable connais-sance des tres : il ne voit nison propre fils (qu'a traumatisla mort de s a mre ) ni le petitboiteux abandonn qu'il recueilleet comble de ses bienfait s . L 'or-phelin, aprs avoir fa it su bi r son protecteur les pires avanies,lu i dclare en pleine face, qu'iln'est qu'un gros lard, un Jsus-Christ en peau de toutou, qu i seprend pour le bo n Di eu . J'aime cent fois mieux, ajoute-t-il,la maison de redressement que lasienne... Le dmon le t ient en sonpouvoir Par la bouche infmede l'horrible Rufus, nourri dulangage primitif des prcheurs duSud, c'est tout de mme la vritqu i passe, un e certaine connais-sance terrible laquelle l 'honn-te Sh ep pard es t tra ng er. Ah,

    on n 'e st gure sauv pa r ses u-vres ou ses mrites dans l 'universde la catholique O'Connor ! Maisl'est-on davantage par la fo i ? Etfaut-il appeler grce ce dontrange de connaissance qu i tom-be sur le premier venu (et deprfrence sur le pire) et fait delu i un ricanant messager de l 'au-del? Tous ces illumins ressem-blent peu ou prou au monstreuxvangliste de la dans lesang dont l e g rand -pre portaitJsus dans la cerve ll e comme unaiguillon et qui f in it pa r se br-le r les yeux avec de la chaux vivea fin d 'y voir p lu s c la ir dans sespropres tnbres.

    Lorsque Sheppard. lentement,faisant un prodigieux et mritoireretour su r lui-mme, comprendenfin l 'normi t de son erreur(la rue de l'angoisse et del 'amour dferla sur lu i commeune t ransfusion de vie) , rien nevient l'en r compenser s in on l epetit c ad avre d e s on fils pendu une poutre - suicid pa r safaute.Dans la nouvelle suivante - elle

    s'intitule la Rvlation maisp resque tou tes pourraient porterle mot e n sous-titre - la grosse etp ieuse Mrs Turpin, consciente desa valeur et de ses mrites (ordre,bon-sens et respect de soi) et enremerciant Jsus t ou te heu re ,sera brutalement arrache sonconfort spirituel dans le salon d'at-tente d'un mdecin pa r une filleinconnue, un e grosse laidasse qu i n' a cess de la fixer avec har-gne, e t f in it pa r se jeter sur elletoutes griffes dehor s dans un ac-cft de rage qu i ressemble de lafolie pure. Et quelque chose alonfranchit obscurment l'paissebonne conscience de Mrs Turpin :elle tait sre, maintenant quela fi ll e la connai ssa it , personne l-lement, profondment, par-delle temps, les lieux et les circons-tances. Elle ne se trompait pas etle message es t clair : Retourneen enfer d'o tu viens, vieux pour-ceau verrues , articule la fille,et ds lors c'est en v ain que MrsTurp in tordra son e sp ri t e n toussens pour chapper la justessefulgurante de ce jugement: oui,elle n 'e st qu' un pourceau etses vertus seront la proie dufeu .

    C'est avec la mme furie meur-t ri r e que Mary (dans Vue surle s hois ), l'trange et rbarba-tive petite fille du vieux Fortunese j et te ra sur son grand-pre qui

    3

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    4/32

    l'adore, parce qu'il est demeurferm ce qu i e8t pour el le l 'axemme de la vie. Il mourra de nepu l'avoir saisi temps, nonsans avoir tu auparavant l'in-comprhensible messagre d'unevrit qu i le dpasBe.De la mme faon, un c oup depoing en apparence absurde faitchavi re r dans la nuit toutes lescerti tudes de la mre d e J ul ien(dans Tout ce qui monte con-verge), cette grosse dame tou-chante et ridicule, innnarablemlange de racisme, de gentilles-se et de vanit dsarmante. Julienlu i, comme bien d 'autres dans cerecueil - et comme FlanneryO'Connor elle-mme - a fait destudes l 'Universit, s'est frott des gens, des ides, inconnusaux campagnes arrires du Sud.I l est revenu vivre - comme l'au-teur, l encore - auprs de samre et il la voit telle qu'elle est,et il la ha it et la raille ouverte-ment, dtestant sa propre complici t de fait avec la vieille fem-me mais incapable d 'une rvolteefficace, vou d 'avance la m-diocrit et le sachant. Tels sontla plupart des intellectuels chezO'Connor : des monstres de luci-dit et d'impuissance. Une nor-me ngresse, qu'exasprent lafol ie les bon ts de la dame blan-che, sera cette fois l'instrument, la fois purificateur et destruc-t eu r, d e la c rvlation Simone Weil cr ivai t : Seulsdes tres tombs au dernier degrde fhumi liat ion, b ien au-deuowde la mendici t.. . on t en fait lapOlJlJibilit de dire la vrit. Etaussi : Peut-tre que Dieu seplait il utilUer les dchets, lespices loupes, les ob jets de rebut. Et ailleurs : L'acte mchantest un tramfert sur autrui de ladgradation qu'on contient en soi.e est pourquoi on y inclinecomme ven une dlivrance. Onpourrait multiplier l es c it at ionsde ce genre. A regarder simple-men t l eu rs d eux photos , celle deWeil et celle d'O'Connor, la res-semblance frappe : mme visagesans grce, la bouche gnreuse,et ces yeux cercls des mmes lu-nettes monture de fer, largeouverts sur le monde avec quelquechose d'imprieux qu i semblevouloir forcer les apparences.Catholiques toutes deux (et lachose parat aussi incongruechez l'une que chez l'autre), mor-tes toutes deux avant quaranteans, possdes toutes deu x pa r

    4

    une sorte de violence radicale ettourmente, avec la mme hor-reur organique du mensonge etde l'hypocrisie.Mais peut-tre est-il vain desouligner ces ressemblances:pou r not re dlectation. FlanneryO'Connor laisse quatre admira-bles recueils o chacun puiserace qu' il lui p la ira de trouver danscet unive rs troit de la surdit,de la violence, de la rvlation.La mort - si proche alors - enaccentue encore, dans ce dernierrecueil, l'ombre et l a lum i re,rend plus aigu l e regard, p lus per-cutant l'humour, plus forcene laviolence. C'est toujours le Sud,paysage ingrat, jamais dcri t pourlui-mme d'ailleurs, qui est com-me la forme visible des mes en

    prsence : pauvre et foudroypa r des soleils obsessionnels. Pe-tite bourgeoisie sudiste repue debonnes uvres, intellectuels auxprincipes gnreux, aux actionsp ite uses , Noir s hbleurs, fai-nants, russ, tels q ue leur s matres les on t faits, petits Blancsabrutis, la Caldwell, mprisspa r les possdants et qu i se ven-gent en hassant le Ngre... Flan-nery O'Connor les saisit o ilssont, les cloue devant nous pourtoujours grce un ar t incompa-rable, et cruel, du dtail concret :geste, regard, pauvres mots chan-gs - mme les s ilhoue tt es depassage sont travailles, commele sont les personnages de secondplan chez Bosch. Qui oublierajamais, aprs les avoir rencontrsune fois dans ces pages, l'affreuxRufus , l a laidasBe au visage bleuipa r l'acn, Parker le tatou qu ise fait graver dans l e dos l'imagede Dieu, la mre de Thomas etBeS bigoudis en caoutchouc rOBe...Et l'on re8te obsd pa r ces yeux,bleu ple, dlavs, transparents- et comme ouverts pa r derriresu r un autre monde - des fouset des illumins au momen t dela c rvlation pa r ces soleils-poignards, ces solei ls-coups depoing qui b ru squement ensanglantent le ciel et la mmoire -signes vraiment bloui88ants dela mort.

    Serreau.(1) Morte 3S ans en 1964, FlanneryO'Conno r a publi deux romans: la

    Sageue dan.s le IIQIIg et Ce .ont ka t1oolent. qui femport4!1II, et deux reeuewde nouvelles: la Braves geJl$ li e cou-rent p les rues et Mon mal Vlnt dephu loin.. Tous quatre on t paru enfranais aux ditioDs Gallimard.

    INFORMAT IONS

    Adieu Lop MassonPote, dramaturge, romancier, jour-

    nal iste ( il fu t rdacteur en chef des Lettres franaises - au lendemainde la seconde guerre mondiale), LoysMasson est mor t le 24 octobre 1969 l'ge de clnquante-quatre ans. Ilavait dbut dans les lettres, en 1942.avec un recuei l de pomes int itulDllvrez.nous du mal (Seghers) etnous avait donn depuis, ou tre despices de thtre et de nombreuxrecueils de pomes, neuf romans(Laffont). En 1962, il avait obtenu lePrix des Deux-Magots pour son romanintitul le Notaire des noirs et le Prixde la Fondation Del Duca pour l'en-semble de son uvre. Charles Mou-li n lui a consacr une tude publiedans la collection Potes d'aujour-d'hui -. En mars 1970 paratra, chez

    A para treChez Julliard, on annonce un nou-veau roman de Michel Boulgakov :Un cur de chien. L'auteur du Romanthtral et du Maitre et Marguerite,publis rcemment chez Laffont (voirle numro 54 de la Quinzaine) nousdonne Ici un rcit burlesque, absurde,grinant qui a pour cadre la Russiedes annes 20, c'est-dlre une Russieo, entre la mort de Lhlne 'et l'av-nement de Staline, la ter reur resteencore sous-jacente et o la l iber tdes murs n'a pas encore fait placeau puritanisme d'un retour l'ordretabli.Chez le mme diteur, signalons

    galement t ro is ouvrages sur l 'A lle-magne qui ne manqueront pas deretenir l 'attention : un document surle N.P.D. par R. Kuhn et dont le titren'a pas encore t fix; une tudehistorique su r la Gauche a ll emMdedepuis sa naissance jusqu'au nazis-me, par Grard Sandoz; les MmoI-res d'un Allemand. par Ernst ErichNoth. Auteur tri l ingue, E.E. Noth, quia publi plusieurs ouvrages en fran-ais et, notamment la Tragdie dela jeunesse allemande (Grasset),rside aux Etats-Unis o Il s'estexil en 1933. Les Mmoires de cersistant de la premire heure, dontles l iv res furent mis au pilon par lesnazis, comprendront plusieurs volu-mes. Les deux premiers paratreauront pour sous-t it re les Annes deguerre et les Annes amricaines.LinguistiqueL'association Jean Favard, qui apour but le dveloppement des re-cherches dans les domaines de lal ingu ist ique formelle, quant itative.mathmatique, etc., annonce parmi sesprochaines publications : Traductionhumaine et m6canlque, par A. Ljuds-kanov; Leons de linguistique math-matique, par A. Gladkli; lexis et me-talexls : application IIU problme des

    Robert Laffont, un recueil de nouvelles de l 'cr ivain disparu : de s Bouteilles d8ns les yeux.

    EzpositionDu 1'" au 15 dcembre aura l ieu la Librairie Saint-Germain-des-Prs184, Boulevard Saint-Germain Parisune exposition des liv res - presquetous des recueils de pomes - pubils par les ditions Les EcrivainsRunis -, (Armand Henneuse). On yverra, entre autres, des di tions originales de Louis Aragon, Henri Barbusse, Blaise Cendrars, Andr SalmonEluard, Francis Ponge etc., dont certaines sont devenues tr s rares, emme un petit volume de pomesde Seghers...A cette occasion Armand Henneuseprsentera ses livres les plus rcents

    dterminants, par A. Culioli, C. Fuchet M. Pecheux. La dif fusion de tousces ouvrages est assure par les ditlons Dunod.Le Centre de Linguistique Ouantitatlve de la Facul t des Sciences deParis s'efforce, depuis d ix ans, dedispenser un enseignement Interdisciplinaire, au carrefour de la mathmatique et de la l inguistique. L'assmllat lon de cet enseignement, prcisons-le, ne prsuppose chez les auditeurll aUCI,JOe connaissance pralable(Pour tous renseignements, s'adresser au secrtariat du Centre : Centrede Linguistique Ouant ltat lve, SaintSulpice de Favires-91).

    LarousseLa Librairie Larousse met en souscrlptlon au pri x de 89 F un ouvrageencyclopdique consacr l'archologle. Sous la direction de GilberCharles-Picard, l'Arch60logle. cNcouverte des civ il isat ions dl . . . . . . . sepropose de mieux faire comprendreet connatre les buts, les mthodeset les rsul tats de cette science maInterprte par le grand public. L'ouvrage comprendra 500 illustrations ecartes en noir et seize hors-texte encouleurs.Editions uDversitairesAux Editions Universitai res paraun livre o, sous le titre de Blbllothique Idale de poche, se trouven

    rpertoris et comments par JeanHuguet et Georges Belle les prlncpaux romans et les princ ipales pices de thtre publis ou annoncsdans les dif frentes col lect ions depoche.Pierre BelfondAux ditions Pierre Belfond. MarceBalu publie son premier roman, ole fantastique cde quelque peu lepas l 'rotisme : le Puage de laBite.

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    5/32

    1Martin WalserLa licornetraduit de l 'allemandpar Magda MichelGal limard d. , 389 p .

    rom.an allelDandporte bien

    jourd'hui de l'tre, ils ne se caressent pas . Cet te ngat ion est encortrop, puisqu'elle laisse en place unpotentialit affirmative, une sord'nonc tentateur.Or , notre mmoire est f ai te de cetentations. Dans notre crne s'ag

    tent des faits qu i entretiennent derelations notre insu . I l faut veile r ces manifes ta tions d'indpendance exhorbitantes. Avec les fables forces dont je dispose, je dodonc me jeter l 'assaut de ces revenants.. . , les poursuivre de corrlation en corrlation, les dmasquerompre les contacts, dtruire leconnexions qui ont dj eu le tempde s'tablir, isoler les foyers d'agitat ion, les asscher, les pulvriser.Les mots se pr tent cet te uvrd 'hyg ine menta le dans la mesuo, pareils aux fonctions mnmonques, ils galisent fourmis et grattciel, rdu isent les fourmis commles gratte-ciel une qualit dans laquelle grandeur et petitesse ne comptent plus, dans la mesure o elles nsont toutes deux que des mots./ 'admets grosso modo que dtoute chose il reste des mots .Voil donc l'crivain additionnant les mots pa r hygine mentalpour dompter tous les moi mutiples et proli frants de son dividparmi lesquels la licorne. Quelle e

    roman

    Edouard Mattei

    "une uvre d'art... o les prestiges du langage concilientperfection et frmissement ". COMBAT"son livre... est l 'un de ceux qu i s'imposent d'emble ".

    QUINZAINE LITTERAIRE______CALMANN-LVy 1IIIIIIIi

    l'amateurdeeaf

    xit s'explique par le double aspectde ses romans : ce sont des uvres la fois construites et abandonnes elles-mmes. L'auteur fixe un ca-dre, puis laisse sa plume inventerdes vnements, noter des observations microscopiques et appaJ;.em-ment sans rapport. Ces enchane-ments flexibles et incongrus rpon-den t aux sollicitations de la mmoi-re.Le narrateur est au l it , vacan t e tabsent aux autres, non sans quelquesdif ficults famil ia les. Son trangerecollection le mne vers un passrcent, anim de plusieurs aventu-res amoureuses o Mnmosyne joueun rle de crat ion non ngligeable.Ds lors le narrateur Anselm, dou-ble de l'auteur, s'interroge longue-ment sur la nature du temps e t d e lammoi re . Ce rt ai ns de ses sophis-mes sont saisissants : constatant quele journal parle un jou r des derniersactes de Lumumba et le lendemainannonce qu'il est mort, Anselmconclut que Lumumba ne meurtpas, ne meurt jamais; le f ai t n 'estpas mentionn dans le journal. Puisil met e n doute la notion de simul-tanit : est-il possible que les v-nements effroyables qui ont entourla mort du hros africain aient eulieu au moment o lui-mme s'adon-nait aux actes les plus fut iles ? Lammoire joue aussi un rle ambigu.Que conserve-t-elle? N'est-elle pasavant tout ngation puisque l'ins-tant mmor n 'est plus, donc n 'estpas dans le temps prsent ? Le rcitn de la mmoire, n'est- il pas dnude toute authent icit ? Que procla-met-il sinon une absence, uneinexistence ? Si je dis pa r exemplequ'Or li e t Anselm se sont caresss,c'est donc qu'ils ne se caressent pluse t que mme, absolument, pour l'au-

    l'attention se dp lace vers le je du rcit. L'homme-individu n'estplus un tout indivisible face aux au-tres, un atome inscable, mais bienun holon , pour reprendre le ter-me de Koestler, la fois tout et par-t ie . C'est un maillon qu i lui-mmese dcompose en chanes nombreu-ses. L'individu devient dividu, et leroman explore toutes ses possibilits,ses potential its , ses diverses moti-vations et impulsions. Le moi multipli autorise les singulires in-terfrences, les jeux d e l a mmoir eet de la fantaisie, et nous en arri-vons, non sans une heureuse confu-s ion des valeurs , un ar t baroque,prsent chez Grass , Hildesheimer,Arno Schmidt, Martin Walser, pourne citer que ceux-l.S'il y a d ivorce apparent entre le

    roman social traditionnel et leroman exp riment al, e t mme ausein de chaque romanci er , cela nedo it pa s nous tonner. Plus qu'unautre, l 'crivain allemand est dchi-r entre un pass littralement inas-similable et un prsent peu convain-cant. Devenu impermable auxides reues, aux idologies, dmo-cratiques ou socialistes, incrdule de-vant le bulletin de vote (pour unWalser ou un Enzensberger CDU etSPD sont blanc bonnet et bonnetblanc (1) ) il est sensible au drgle-ments du monde, aux phnomneshippies ou contestataires. C'est enfin de compte, dans le scepticismeque s 'unissent sa Weltanschauunget son moi subjectif. Mais comme letemprament allemand s'accommodemal du dsenchantement et de laretenue, roman social et exprimen-tation subjective se retrouvent dansune mme ironie dbordante, rebel-le la discipline. Le fait est assezneu f pou r mri ter d 't re soulign.I l permet un recul salubre, un d-sengagement la manire d'unJoyce chez qui, d'ailleurs, l'humourest un lment constitutif . L'ironieautorise aussi une satire trs effica-ce, de soi-mme et des autres. L'cri-vain al lemand ne prtend plus nousapporter un message achev, les r-gles d'un bon apprentissage de lavie, il nous communique les rires oules hennissements des faunes et deslicornes qu i s'brouent. Si e lle vi tetout schma didactique, cette mtho-de ne nous met pas moins l'preu-ve.Parmi ces matres d'un nouvel

    humour, Martin WaIser est, aux di-res d'Enzensberger, le plus ba-vard . Prlude La licorne, son pr-cdent roman Halbzeit (non traduit)n'tait pas moins pais . Cette proli-

    En Allemagne, plus nettementqu'ailleurs, le roman suitaujourd'hui deux voies dif f-rentes, mais non divergentes:la voie sociale et la voie subjective ou exprimentale Ilparvient souvent faire lasynthse, et c'est sagrande russite et son intrt. Martin Walser tmoignede cet te russ ite. Dj int ro-duit en France par deux t ra-ductions, Quadrille Philippe-ville (Plon) et Le cygne noir(Gallimard) , et surtout par sapice Chne et lapins angoras (joue au T.N.P.), il mrited'tre largement connu du pu-blic francais.Le roman social est fe rme-

    ment appuy, outre-Rhin, su r la tra-d it ion. Depui s Wilhelm Meister,c'est la fois une enqute et unconstat sur l ' ta t de la socit. Lehros est un individu, trs neuf ettrs solitaire, qui gagne son dipl-me d'homme en explorant toutes lescouches de cet te soci t , en subis-sant ses rebuffades et en conqu-rant une solidit intrieure. I l doitrefouler et anantir ses labyrinthesde poitrine ( le mot est de Gtheet n on de Joyce) pour atteindre unesalutaire srnit.La socit tait.elle, au temps de

    Weimar, une meilleure cole de sa-gesse que la ntre ? I l est sr queles hros de Fontane, de ThomasMann, de Rilke , de Mus il on t af-fronter un monde plus redoutable -fl, miett, o nulle socit dela Tour ne vient sauver l'individudu dsenchantement. Avec Gn-ter Grass, Uwe Johnson et d'autres,la socit a t une bonne fois jetebas, et ce qui en subsiste, habit derevenants et de transfuges, n'offreplus de prise qu""a la dmesure.Cependant l 'a llure du roman n'agure sub i de modification fonda-mentale. Le hros reste une sorte depicaro allemand qu i appel le sanscesse pa r son action de nouvellesaventures sans lien vident. L'arti-fice de cet apprentissage a t

    assez sensible nombre de jeunescrivains, nourris de Joyce, de Faul.kner et de Freud, pour qu'ils tententune autre approche de la ralit.C'e st le roman expr imen ta l o

    Lese

    La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    6/32

    ROMANS

    Un thmecette licorne ? L'auteur Dote eD pi-graphe cette incaDtatioD du Psaume22 : Arrache-moi la gueule dulion Et la corne de la licorne. Quel pige DOUS teDd Walser eD d-formant le t ex te b ib li que qui dit,seloD les versions, la corne dubuffle ou du taureau ? Sym-bole phallique et dyoDisiaque, cettelicorne est saDS doute l ' lmeDt leplus iDcoDtrl de SOD moi di-vers, l e p lu s foltre, le plus fou . Sacapture De va pas sans mal, d'autaDtque toute la socit pousse cet tedispersioD du Darrateur, cetteaDarchie des sens, tant ellemmedsordre, leurre et basse sductioD.

    Ic i Walse r se fait cinglant. Lasatire des murs est cruelle. L'crivain, eDtreteDu , fait figure demarioDDette pour auditoire coDteDtde soi et de peu. C'est UD reprseD'taDt, un placier eD ides reues, entruismes btas, eD circonlocutionsverbeuses. L'auteur eD vogue est untTeboursoufi d'orgueil, odieux, etdevaDt certains portraits prci s lelecteur se preDd essayer quelquesclefs pour deviDer quels cODtempo-r ai ns Wal ser a aiDsi mis sur lasellette. La drisioD de tout rejointle dpassemeDt du rel, par la fan-taisie, l'iroDie, l'onirisme. La bouclee st bieD boucle. Pa r UDe sortede fui te circulaire l'auteur chappesans cesse ses haDtises. Le romaneDtier est une roDde o l'OD vire bonDe allure.La licorne est UDe uvre savou-reuse, qui donDe penser, o l'onD'a pas fini de pui ser e t de rver .Minut ieuse, inlassable, acharne,elle met au jou r des strates ignoresde la conscieDce humaiDe. Persi-fleuse, elle D'est pas directemeutaux prises avec le systme politiqueallemaDd ou occideDtal. SoD projetest plus vaste: c'est une remise eDcause de la consommatioD culturelledans UD pays replet, daDS UDehmisphre gave des produits etsous-produits d'uDe thique sociale boD march et graDde diffusion.C'est aussi UDe qute au sein del'homme, DuaDCe de chaleur et detendresse. Car l'auteur De tranchepas dans le v if, il a mme UDe pr-dilection amuse pour une certainefaiblesse humaine, conditiODqu'elle De veu il le pas donDer lechange. En vrit le romaD aIlemaDd se porte bien.

    Rmi Laureitlard.1. Le cas de G. Grass, thurifraire deWilly Brandt, doi t fai re grincer bien desdents parmi ses pai rs.La traduction de Magda Michel estd'une remarquable qualit.

    FRANAISLes romanciers, cette sai-son, retomberalentlls en en-fance? Voici qu'une dizaine

    d'entre eux, non point avecensemble, mals dans cebeau dsordre qui caractrlse les cours de rcration,font des clins d'il J'enfantqu' ils furent ou se retournent carrment vers les paradis aux verts tendres ou aci-des de leurs jeunes annes.

    Qu' el le so it l e thme principalou l e l ie u partir duquel s'claireDt, autour duque l s 'o rdonnentla dmarche du rcit, la structuredu drame, les relatioDs des per-soDDages, l'enfance est au curde leurs livres, en constitue leDoyau clatant ou secret. Ressus-cite ou rinvente, a u p rem ie rplanou eD coulisses, e ll e est pr.sen te d an s les romans d'HlDeCxous, Jeanne' CressaDges, FraD'oise de Gruson, Marie Nigay,Yolande Par is , Louis Calaferte,Serge Doubrovsky, Georges Gur in , P ie rr e Mertens, RenVictorP ilhes, Miche l Polac , Robert Sabatier...

    Concidence, sans dou te , mai squi ne laisse pa s d'tre curieuse.Aucun de ces auteurs n' a l'geauquel les crivains fODt volon-tiers retour sur l eu r pass, crivent - ou dguiseDt - leurssouveDirs d'enfance. A part Sabatier et Calaferte , qui, du reste,n'oDt pas ou peine dpass qua-rante-cinq ans, p re sque tous enSODt leur premier ou leursecond romaD. Or, les dbutants,d'ordinaire, s'iDspirent de leurspropres aventures, voquent outransposeDt des vnemtmt s r-cents. Le p lu s souveDt ils mettenten scne des hros jeunes ou ado-lescents ttonnant sur les chemiDsde l 'amour ou de la libert, s'efforant de qui tt er t ou t ce qu iressemble l'enfance pour s'affir-mer comme des hommes. Onnotera alors que la plupart desdbutants de cette anne, qu inous entret ieDnent de l'eDfance,n'en SODt plus au stade des brouil-lons d'colier ou de l ' inspirat ionjuvnile. Doubrovsky, Polac,Pilhes , Gurin, Franoise de Gruson, Pierre Mertens, pa r exemple,ont d j comme crit ique, journa-liste, essayiste, nouvelliste, auteur

    \radiOPhOnique, professeur, uneexprience de l'criture et de larf lexion. Mais ce n e p eu t t re l

    qu'une rponse insnffisante etprovisoire.

    Aussi bien, il es t vident ic i quele t hme ne commaDde pas l'criture. Autant d'auteurs, autant demanires de parler de l'enfaDce.Le ralisme potique de Sabatiern'est pas la qute quasi.prous-tienne visant la rcupratioDtotale d'un monde perdu et sonintgration dans le prsent deGeorges Gurin. Le lyrisme caracol an t de Polac et celui, vengeur,de Pilhes so nt aux aDtipodes desanalyses sensibles et rigoureusesd e Franoise de Gruson, comme

    Serge Doubrovskyde la concision brlante de Ca laferte, de la reconstitution d'unlangage enfantin, aussi querou, par-Yolande Paris, ou desrecherches formelles de SergeDoubrovsky. De mme, il es t ceretain que tous les enfants, sauvagesou timides qu i courent, paradentou souffrent dans ces livres nef er ai en t pas partie d'une mmebande, ne joueraient pas aux mmes jeux sous le prau d'unecole, qu'il n' y a pas deux enfan-ces pareilles et que parler del'enfance n'est pas, loin de l,nager dans l'eau de rose des bonssentiments.

    Certaines imagesL'enfance, toutefois, impose cer-

    taines images. A la le ct ure d eces l iv re s, on pourrait imaginerqu'il y a deux enfances, ou , 'l 'intr ieur d 'une mme enfance ,deux aspects, deux expr iencesqui s er ai en t comme l'envers etl'endroit de l 'apprentissage de lavie. I l y a une enfance relativemen t li bre , he ur eu se, n at ur el le ,gnralement campagnarde ol'on s' en iv re de l ongues courses,o l'on se barbouille d e m res,

    R.-V. Pilheso l'on comprend le langage dfleurs et des bt es , et une autrdifficile, pnible , gnratr ice dsouffrance ou de rvolte, o l'ose h eu rt e au x parents, aux coventions sociales, voire danscas de Doubrovsky, victime dr a c i s m e, l'incomprhensiblcruaut du monde. D'un cRousseau et Chateaubriand noufont sigue, de l'autre l e pet it Vals, et p lu s encor e Poil de Crotte.

    Deouverte de la naturLa dcouve rt e de la naturedes champs, des villages et d

    monde, es t prsente chez MarNigay, chez Jeanne Cressangechez Georges Gurin, chez Calf er te , chez Yolande Par is , dancertaines pages d e Mertens omme de Polae (tandis que ehePilhes e ll e n' a de r le q ue symbolique). Paradoxalement, on lrencontre aussi dans le! Allumetes sudoiSe! de Robert Sabatiedont la Quinzaine a djparl , Olivier tant moins un peti t Parisien qu'un enfant de cvillage nomm Montmartre o sconjuguaient encore dans les an

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    7/32

    privilgi l'enfance ROBERTLAFFONT

    La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969

    roman

    roman

    kobortigan't

    roman

    romanrotique

    brancula

    roman

    roman

    l'ternitplus

    un jour

    sauvagine

    la batitude

    Syl

    prsente

    GilbertCesbronje suis mal

    dansta peau

    ses auteursde la rentre

    la nostalgie de la mre-enfant,trop t t perdue, de Robert Sabatier, voil qui e st to ta le me nttranger Pilhes ou Polac. Poureux, comme pour d'autres , le mo tde Gide: Famille, je vous hais :t,ne serait cependant pas j us te . Lafamille est peut.tre ce qu'on n'apas eu, ce qu'on aimerait avoir,et le theme de la btardise (queFranoise de Gruson traite avecpudeur et lucidit, Pilhes avec un efureur vengeresse) es t surtoutdou lour eux par ce qu'il signifiel'absence d'une vraie famille.

    Ce qui fait problme, pour lesromanciers actuels, c'est la relation diffici le, voire la communi-cation impossible avec l'un desparents ou - c'est essentiellement le cas pour Doubrovsky -avec la socit. Cette mauvaise re lation es t le venin qui empri.sonne l'existence, qui r end impossible une i ns er ti on norma le , d-nue d'arrires.penses ou de mfiance, dans la socit. C'est e ll equ i es t responsable de l'chec etde la dchance du personnagedans le roman de Polac, elle qu ipousse le narrateur du Loum, deR.V. Pilhes, entreprendre l'ir

    Georges Gurin

    Hlne Cixous

    l'annonce de sa pass ion des voyages qui l'entranera professeur, enInde, au Prou. Tout l'quilibred'une vie, toute la richesse d'unecul tu re qui se g li sse dans les in terstices du rcit trouvent leursource, leur raison d't re dans cetunivers d 'enfance. Et sans douteest-ce cet enrac inement qu i faitch app er Gu rin au pessimismede la plupart des romanciersactuels.Le sens de la famille, du ri-t ue l imp li ci te et complexe qu iprside aux relations de cousinage, te l qu e peut l 'avoir Gurin,

    nes trente les nostalg ies provin-ciales et les lumires de la ville.La v ie provinciale, l'enfances'coulant entre les boutiques d'ar-tisans, l' od em de la bourrellerieet les feux de la forge sont voqus avec un e sensibilit pudiquedans le rcit tout c la ss iq ue d eMarie Nigay, la Vie comme uncadeau. Mais ce sont su rto utGeorges Gurin et Yolande Parisqui, de man i re s for t diffrentes,ouvrent les portes des verts paradis.

    Dans Julienne et Lucie, Yolande Paris nous conte la vie dedeux peti tes filles la campagne,pendant la guerre, une guer re qu iles frle peine et qui leur ap parat comme un g rand j eu , mystrieux et parfois meurtrier, degendarmes et de voleurs ou decachecache, auquel se livrent lesadultes. Bien plu t t, Yolande Pa-ri s laisse parler les deux gamines,les regarde agir, dialoguer avec lesplantes, let' btes, l es choses qu ibougent ou qu i fon t mal, rin-venter leur usage un e sorted 'animisme primi ti f. B ien que liau m ond e des adul tes , celu i desenfants apparat comme indpen-dant, ave c ses rgles et son la ngage, comme entretenant un e secrte complicit avec la nature.

    De. racinesGeorges Gurin, lui , dans Virgo

    et Argo, roman large et foisonnant, l'un des plus singuliers decette anne , empri sonne dans delongues phras es aux images net-tes et savoureuses, l es paysages,les rves, les lans de son enfance.Non seulement il restitue ce qu'ilfut et ce qu'il sentit, son got des ....je ux d e construction, son motion :'devant la mer relat ivement proche de son vil lage , s on moi desenti r contre sa main, l or s d'unba l de mar iage , l e sein rond d 'unejolie dame, mais il cherche sesracines, il se rep lace dans l'arbre- gnalogique, sentimental, cul-turel - qui es t le sien. Du pr Nadeau jusqu ' la ferme du p'titBorde, il dresse l e cadas tre, lagographie des lieux ou se d-r ou la l 'h is to ir e de sa famille, oparmi le r sea u des tantes, desoncles, des cou si ns , des vo isin s,des camarades de classe se formasa sensibilit. Son oncle marin,les maquettes de bateau, les l ivresqui le fai sa ient rver sont comme

    roman

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    8/32

    L'emanGe Trois en unrsistible ascension qui marqueral'crasement de la mre. Mieux,les parents ne sont pa s seulementcoupables de ne pas comprendrel eu rs enf an ts, mai s hien de lesavoir faits. La faute de la mreremonte au moment de la nais-sance: c Maman, pourquoi m'astu laiss t omber de ton ven tre ?interroge le hros de Polac qui,toute sa vie, garde ra la nostalgiede l 'tat foetal. Plus radicalement,c'est le moment de la conception,et le narra teur du Loum poursuitde sa haine la c dame charnue,noire et poudre qui, un jour,s 'est allonge sur une table et aouvert les cuisses pour le plaisird'un mle et son malheur lui.En fait, ce dont souffrent ces enfants, c'est de n 'avo ir pas de modle. personne ou aucune lumirepour les guider su r le chemin dela vie.La relation l'eztrieurAmour de la nature ou vio

    lence des conflits familiaux ne r sument pas toutes les enfances. Ilserait htif d'afficher dans lesvitrines des l ib ra ir ie s, audessusdes romans de la saison, une pan-carte conue la manire des en-seignes d'autrefois: cAux enfantsde Combourg et de Jules Renardrunis . Nature et conflits paren-taux supposent une relation l'extrieur. Quand Calaferte critPortrait de fEn /ant , quand Mertens dans rInde ou f Amriquepeint un petit garon rveur etsecrtement dur, soucieux d'trediffrent des autres, quand Y0 -lande Paris nous montre Juliennechoisissant sa tombe au cimetireou chevauchant un bras de fau-teuil dans l'elpoir de lui faireun enfant , ils cherchent traduire les imaginations, retrouver les secrets de l 'enfance.Si l'enfance fascine les romanciers, c'est parce qu'elle est let emps de l 'i nd is tinc tion e ntr e l erel et l'imaginaire, le visible etl'invisible. Le temp-s o la tendresse et ]a c ruau t fon t bon mnage, o l'on peut tuer un chatou un oiseau pour voir ce qu'est]a mort et pleurer franchementparce qu'on les a tus. Le tempso le langage s uffi t p ou r crerl'insolite, pour mtamorphoserrellement une planche en bateauet une brouette en voiture. Letemps en fi n o l 'o n n'est pas encore pris au moule des conven

    8

    tions et de l'ducation, o lesractions spontanes sont encoreles meilleures, o les seules rglesqu'on respecte vraiment sont celles du jeu.

    Sans doute estce l u ne des raisons du retour des romanciers l'enfance. Il es t possible que lapsychanalyse, ici, ai t jou un rle.Mais ce serait surtout un rle souterrain, en rappelant l ' importancede l 'enfance dans la formation del 'individu. Car, part R.V. P iI hes, e t p ar instant Mertens, aucunde ces auteurs ne nous prsentede situations appelant directement l'interprtation psychanaly.tique.

    Plus srement, ce retour l'enfance, et , t ravers elle, la na ture, es t un recours contre lemonde modeme, la civilisationtechnique, les contraintes de lasocit. Iuvel 'l lement, ceux quimaudissent leur enfance, et plusencore les parents qu i la le ur o ntgche, sont aussi ceux qu i on tconnu le plus t t cette civilisationet ces contraintes sans y tre au cunement prpars. Bref, si lemonde va mal ou si l'on n'est pasbien au monde , l 'enfance est unrefuge. Ou au contraire elle estl'annonce de ces maux, l'originede cet te inadaptation. Et c'est pa rrapport au prsent qu'elle prendson sens.Dans le got des romancierspour l'enfance, surtout s'ils necroient plus aux vertus de l 'int ri gue, il y a encore cec i : plus qued'autres t hmes, e ll e permet lescheminements s inueux, les ruptures brusques, la l ib er t de l 'ima ginaire, elle offre la possibilit deconter quelque chose, une et millehis toires ensemble, sans tomberdans les poncifs du romanesque.

    Claude Bonne/oyGeorges Gurin: Virgo et Argo(Seuil).Pierre Mertens: L'Inde ou l'Amrique(Seuil) .Marie Nigay: La vie comme un cadeau (CalmannLvy).y olande Paris: Julienne et LuciE(Me rcur e de France).Serge Doubrovsky: La Di5persioll(Me rcur e de France).Franoise de Gruson: La clturE(Gallimard) .Hlne Cixous: Dedmu (Grasset).Louis Calaferte: Portrait de fEnfant (DenoI).Ren Victor Pilhes: Le Lou","(Seuil).Michel PoIac: Pourquoi m'QJJ' tulaiu tomber_. (Flammarion).Jeanne Cre88llllfles: La c1aambreinterdite (Julliard) .

    1eorges-Emmanuel ClancierL'Eternit plus un jourLaffont d. , 704 p.Dans le menu romanesque de

    la saison, f Eternit plus un jourfait figure de plat de rsistance :avec ses sept cents pages, ceroman es t certainement un desplus longs, le plus long sans doute,paru ce trimestre. Georges.Emma.nuel Clancier, qu i nous avait habitu des l ivres copieux - notamment ceux du cycle intitul lePain noir - ba t aujourd'hui sonpropre r ecord. S i l'on y regardede prs, cependant, l'ouvrage enquestion n'a cet te paisseur queparce qu' il groupe en un uniquevolume t ro is romans dont rienn'empchait qu'i ls fussent publ issparment, sinon, peut-tre, l 'am-p le hou le qui , du dbu t la fin,entrelace les thmes, les enchev-tre de telle sorte qu'il y auraitbaisse de tension perturber cecourant en en suspendant les alternances...C'est dire que le livre est faitde moments ingnieusementstructurs : la jeunesse s 'y trouveconcomitante avec la mort, laguerre avec l'amour, l'innocenceavec la folie, la tendresse avec lecrime et , pa r une sor te d 'unani -misme pot ique, le quotidien avecl'Histoire comme la terre nataleavec l'univers.Autour du hros qui narre- Henri Verrier - de multiplespersonnages, les uns prsents debou t en bout, les autres apparais.sant et s 'vanouissant comme desmarionnettes, peuplent un espaced'abord circonscrit la petiteville de province o dbut e l'act ion, ens ui te la rg i la France(celle de s anne s de gu erre jusqu' la Libration), puis au monde, que parcour ra , en reporter,Verrier.

    En face du narrateur, Elisabeth.Elisabeth dcouverte , cherche,emprisonne, chrie , perdue etret rouve. Comme au tht re , ilsse donnent l 'un l'autre la rpli.que. On a le sentiment qu'effec.t ivement , dans la premire partiede l 'ouvrage: L'Observatoire ,ils sont c en reprsentation . Comdiens amateurs, c'est au traversde dialogues de tht re , par .delles attitudes de la mise en scnequ' il s s 'avouent un amour rciproque.Se souvenant d'un de ses premiers l ivres - un rcit bref etpotique intitul le QUGdrille sur

    G.E. Clancierla tour - G.E. Clancier inscrdans le dcor de son roman undonjon carr sur la plateformduquel erre, la nuit, une jeunfolle. Vision shakespearienne quitout de suite, incl ine l 'ouvragvers le drame et l e sublime . Ldrame s'y affirmera dans un contexte d'meutes (fvrier 1934), deguerre (1939-40), de rsistanc(1940-45), cependant que l e sublime s'y perd peu peu dans ladgrada tion d 'une pass ion donpourtant Henri Verr ier souhaita iqu'elle durt - selon la formuled'Orlando dans Comme il vouplaira - l'ternit plus unjour .Revenant sur son pass dontsuivant les conseils d'une psychiatr e juive, il a entrepris le rcitle narrateur avoue: Ma viefamour, notre vie n'aura tqu'un seul jour sans fternitsans cette ternit de tendressede juste joie, qui nous tai t promise et nous a t vole. L'insatisfaction est e commun d-nominateur de personnages qu i touspourraient souscrire ce que diElisabeth: Le thtre, ce qum'attire dans le thtre , c 'es t lapossibilit d'avoir dix, vingt, cenvies, tou tes les v ies sauf la mienne, que je n'aime pas.

    Echappant pa r l aux contingences d'une poque l'vocationde laque ll e l'auteur a peuttredonn t ro p de place, ce romanfervent et dsabus apparat comme l a chro ni qu e d'un apprentis.sage de l 'amour en mme t empsqu'un bilan des difficults d'tredans l e monde d'hier et d'aujourd'hui. Maurice Chavards

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    9/32

    Un langage nouveau1

    onique Witt igLes GurillresMinuit, d., 212 p .

    Nous n'avons pas souvent , nousn 'avons mme que raremen t l'occas ion de nous rjouir de l'accomplis-sement d'une uvre littraire entant que telle, c'est-dire d'une uvre l'intrieur de laquelle l'labo-ration d'un langage neuf se fait dansun domaine prcis, celui du rcit,exactement limit pa r le pouvoir etla porte de ce langage.

    Si de telles uvres son t rares,l ' impression qu'elles font est toujours trs forte. Ce fu t le cas du pre-mier livre de Monique Wittig,l'Opoponax. A premire vue, onpouvait croire une nouvelle voca-tion, cette fois, il est vrai, particuli-rement russie, de l 'enfance, de sesj eux, de ses surprises. Ce qui expli.quai t malet surtout imparfaitement,l'attrait du livre, le sentiment queson l ec teur ava it de se trouver enprsence d'une uvre singulire.ment neuve jusque dans ses fondements.

    On y sentait en mme temps uneeffervescence inhabituelle, commeune jubilation profonde qu i auraitaccompagn l'criture. l'Opoponaxdevenait ce lieu privilgi, o, dansla turbulence des sensibilits nais-santes, On , c'est--dire l'opopo-nax, l 'crivain et sans doute son lec-teur, dcouvraient ensemble le be-soin de voir et de sentir, et bienttcelui de dire cette ncessit. Un lan gage nouveau se formait qui, dans lecercle de l 'enfance, rvlait la viepar l'abondance des s ignes, et lamort, par l'abandon des mo ts. Ce tunivers tait s i vigoureux qu'il tenai t loin de lui le monde des adultes, c el ui des usages, des rgles etdeslois du langage que ceuxci utilisent. Un instinct trs sr , p lu t tqu'une volont dlibre, ajoutait lasduction du dtail l 'e ffet assezremarquable de l'limination d'unlangage pa r un autre.

    Publi cinq ans plus tard, lesGurnlres, second livre de MoniqueWittig, vient son heure pour sou-ligner et fortifier notre conviction.Le talent de cet crivain l e por te ,j'allais crire, pour notre plaisir etnotre profonde sat is fact ion, fairedu rcit le lieu n at ur el d e l a contes-tation du langage, non pas contes-tation abrupte et maladroite, maiscontestation habile pa r le biais d'uneopration beaucoup plus subtile ettou jours sduisante. I l semble, eneffet, que mots et phrases soient

    deux fois prsents dans le texte :d'abord comme les mots et les phra.ses de l 'usage traditionnel, ensuitecomme lments actifs de l'auto-des truction. La mtamorphose esttrs f rappante dans ce nouveau li-vre. Convaincante aussi, tant estsensihle le renouveau des images, etleur force.Notons, pour commencer, que lesGurillres (ce curieux fminin de gurilleros ) ne sont ni les cousi-nes, ni les lointaines descendantesdes Amazones auxquelles Hrodote

    prta le nom scythe d'Oiorpata, outueuses d'hommes. La destruction del 'homme n'est pas l'enjeu du com-bat que les gurillres ont dcid demener jusqu' son terme. Ce qu'el.les combattent, c'est l'oppression, ouplutt sa cause, le langage, celuiqu'elles o nt r eu des hommes, les-quels les ont, pa r ce moyen, d'a-bord nommes, puis soumises et r-duites la merci des mots. Ce qu'el.les veulent promouvoir , c 'est unmonde nouveau o elles retrouveront l'expression de l ' indpendanceoriginelle (rappelant en cela le vusecret des enfan ts de l'Opoponax).Elles disent : Maldiction, c'estpar la ruse qu'il t'a chasse du para-dis de la terre, en rampant i l s 'estins inu auprs de toi, i l t 'a drobla passion de connatre dont il estcrit qu'elle a les ailes de l 'aigle lesyeux de la chouette les pieds du dra-gon. Il t 'a fai te esclave par la ruse,toi qui a t grande, forte, vaillante.

    Il t 'a drob ton savoir, i l a ferm tammoire ce que tu as t, il a faitde toi celle qui n'est pas celle qui neparle pas cel le qui ne possde pascelle qui n'crit pas, il a fait de toiune crature vile et dchue, il t'abi llonne abuse trompe. Usantde stratagmes, il a ferm ton entendement . Leur premire tche serade cul tiver l e dsordr e sous tou tesses formes. Confusion, incohrence,discorde, agitation, chaos, anarchie,deviennent alors les attributs quoti.diens de l'existence des combattantes. Elles se rassemblent, elles's'exal-tent, elles vont parler, elles parlent.

    C ar l e rcit est fait sous la formeindirecte. Le narrateur, la faond'un rcitant, ne dcrit ni l'histoire,ni les murs, ni les plaisirs et lesdis tractions des guri llres . I l secontente de rapporter ce qu'elles endisent. L'arme de ces combattantesest unique, l 'arme absolue, la parole,qui devient la trame de l 'action, saisissant enchevtrement du dire e t dufaire. Si b ien que l a ver tu de ce langage renouvel devient la vrit desgurillres, et leur combat, le livreluimme.

    Et quel livre! Tout tour, leblasphme, la sduction, l 'insulte, lerve, la lgende, interviennent pourdtruire l'difice du langage reu:Elles disent que toutes ces formesdsignent un langage surann. Ellesdisent qu'il faut tout recommencer.Elles disent qu'un grand vent balaie

    la terre. Elles disent que le soleil vase lever . Assiges par l'homme,elles ne se rendent pas : Elles S8tiennent au dessus des remparts, levisage couvert d'une poudre briUan-te. On les vo it su r t ou t le tour de laville, ensemble, chanJnt une esp-ce de chant de deuil. Les assigeantssont prs des murs, indcis. Elles,alors, sur un signal, en poussant uncri terrible dchirent tout d'un couple haut de leurs vtements, dcou-vrant leur seins nus , bril lants. Lesassaillants se mettent dlibrer surce qu'unanimement ils appellent ungeste de soumiss ion. I ls dpchentdes ambassadeurs pour traiter del 'ouverture des portes. Ceux-ci, aunombre de trois, s'croulent frappspar des pierres ds qu'ils sont porte de jet . Mais il ne s'agira qued'une lgende pa r qu oi l 'o n va incplus vite et p lus sremen t que pa rl 'emploi de l'arme vive.

    Pome et discours, l'univers desgurillres se construit mot par mot,phrase pa r phrase, jusqu' la vic-toire finale quand de j eunes hom-mes, sdui ts mais non humilis,troubls mais non pas confondus parla force du langage nouveau, s'ap-prochent en bataillons serrs pourrejoindre le rang des guri ll r es :c( De jeunes hommes revtus de com-binaisons blanches collant leurcorps accourent en foule au devantd'elles. Ils sont porteurs de drapeauxrouges aux paules et aux talons. Ilsse dplacent avec rapidit un peuau-dessus du sol, jambes jointesElles, immobiles, les regardent venirS'arrtant dis tance et saluant , i lsdisent, pour toi la victorieuse je medfais de mon pithte favorite qua t comme une parure .A l a mai n, les femmes tiennentun livre, leur l ivre , qu'el les nom-ment fminaire. Quelques pages portent graves, en lettres capitales, leprnom des combattantes, de Pom-pei a Phdre, de Radegonde Michle, de Whilhelmine Cosima.Entre ces feuillets, des pages blan-ches, prsent, pleines du livrequ'elles viennent d'crire.

    I l ne faut pas dissimuler le trsgrand at trait de ce r c it , son ambigut savante, et ce souci de donn er au spectacle de la rvolte la sduction d'un langage renouvel. Etsi l'on pense que l 'entreprise desGurillres n e pou va it tr e mene son t erme que par une femme, rjouissons.nous. Bien des auteurmasculins souhaiteraient connatreune russite aussi compltement affirme.

    Andr Dalmas

    La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969 9

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    10/32

    Un # eCrIVaIn acharn1ean SulivanMiroir brisGallimard d., 296 p.

    Jean Suliva n es t un crivainacharn..En douze ans, i l a difiun e sorte d'uvre - des romans(Mais il y a la mer, Car je t'aime,0, Eternit, Le5 mot5 dam lagorge), des mditations (Le retour Delphes) , des confidences (De-vance tout adieu). Et cet crivaines t d'un modle insolite. Si lamode ne s 'est pas empare de lui,i l appar tient pourtant ceux quinouent avec leurs lecteurs un dial ogue s ingu li er . Sulivan a desamis fanatiques, un cor tge d 'in-connus qui guettent chacun deses ouvrages. Que cet te voix' tou-che de la sorte, et dans la nuit,commande dj qu'on lui prteattention.

    Cette confrrie de lecteurs psesu r son uvre . Ell e ordonne sont ravail . C 'est probablement pources inconnus que Sulivan publieaujourd'hui Miroir bri5. Les b ri -s ure s d e ce miroir sont de t ou te stailles et de toutes couleurs- f ragmen ts d e r oman s, nouvel-les clates, insolences et colres,

    Jean Sulivanportraits d'amis, rfleXions su rl 'Egl ise, rencontres . Ce fourre-t ou t n 'e st pourtant pas o rgan ispa r le hasard. Sul ivan es t uncrivain jusqu'au bout des ongleset ce dsordre est gouvern. Suli-van es t un crivain chrtien etpas une de ses phrases , pas uneimpertinence ne l'ignore.Il es t vra i que ce chrtien nego te pas le confort . Son ide es tde dynamiter sans cesse les for-

    mes o se ptrifient ce qui futj ad is v ivant - glise et littra-ture, bel les mes et mes nanties,hypocrites et puissants, inst itu-tions. Sa t endresse l'appelle versle s marge s, l es zone s d 'ombre opassent les parias, les les humbles ou les filles. Chrtien, i l n'en a jamais fini dedtester les ors de Rome, lesmalabar5 et 5 techniciem du

    Ce qu i ne le rejette pasdu ct de s chrtiens contestataires. Il sent b ie n qu'un groupen'est que l 'enver s de l 'autre: ilstirent ens embl e l e mme attelageet Dieu, s'il doit dvaster, chemine pa r d'autres solitudes. Suli-van parle beaucoup de Dieu - i lbalbutie plutt son sujet, dansle sillage de ces mystiques qu iLe cherchent moins dans sa pr-sence qu' travers l'expriencedu nant , du rien, de l 'absence -Dieu, le 5ur-tant-non-tre, di tMatre Eckart.La mme foi traverse les brefs

    r omans qui jalonnent le livre. Ilf au t l'y c he rc he r la trace. unpeu comme le sang, dans les fo-rts, di t qu'une bte a t bles-se. Elle n'apparat j amais o on

    l'attend mais illumine pa r sup rise ce qu i en est le plus lointain. On devine le be l usage litraire q ue ces dtours de lgrce, sa malice et ses bizarreriespeuvent favoriser. Sulivan avouluimme - et redoute - qucertains de ces rcits procdende Bernanos.Bernanos ne fut jamais un

    homme de lettres. Sulivan sdfend de l ' tr e, mais allez fairun fleuve remonter vers sa sourceTout son liv re est e nc ombr dce combat entre celui qu i voudrait nier tout apprt et l'iimprieux d'un crivain quobserve, vrifie et o rdonne j usqu' ses dsordres. Ce combatSulivan est loin de le gagner. Ipeut faire le rude o u le familierle vulgaire ou le botien, il ne sdlivre gure des rets d e l'esthtisme. Il peut bien corcher les scribes , les acadmiciens eles fonctionnaires de la littrature, il fai t par ti e de la corporation . Ma is l a bat ai ll e elle-mmees t pathtique par ce qu' el le esl iv r e s an s t ri cher ie . La prciosit elle-mme peut avoir du sensGilles Lapouge

    1anne ChampionBourgois d., 336 p,Dans sa prface Sanctuaire, An

    dr Malraux donnait une dfinitionlapidaire de l'uvre de Faulkner :l' in tr us io n de l a tragdie grecquedans le roman policier. On pourrait ,paraphrasant la formule, dire du li-v re de Jeanne Champion: c'est l'intrusion du surrealisme dans le ro-man bourgeois. L'introduction deMaurice.Edgar Coindreau confirmela filiation faulknrienne du romande Jeanne Champion. Il est, en effet,impossible de ne pas f ai re le rapprochement entre le ressassement hachde l ' idiot dans le Bruit et la Fureuret la voix dlirante du gitan dans X.En fo rme de miroir pulv ri s -emblme important dans le cours dul ivre - dont la lecture doit faire l 'ef-for t de rassembler les clats disper-ss, X s'labore comme une rosacedont les ptales s'ouvrent peu peudevant le symbole qui les fconde.D'o l'importance des t arots et dessignes dans un univers qu i chercheune compensation ludique la fuite

    10

    Miroirdu surnaturel. Paralllement laconfession d'un patient chez un ana-lyste, se dfait l 'cheveau de la viedu mdecin et de son entourage fa-mil ia l. Psych ia tr e r put , PierreBerthier t ient de sa formation didac-tique la vertu de tenir le monde la distance respectueuse de l 'autori t et de l'indiffrence. Mais il voits a v ie d'quilibre morose et de doctepesanteur remise en question parl'irruption dans son cabinet d'un in connu, X, qui lui impose le r c it deses fantasmes, et la tentation du sou-terrain. Il s'agit d'un gitan qu i v-cut une enfance terrible entre samre, Violette, ronge pa r le cancer,cet illet de chair protubrant, etses deux t an tes aux noms de f leur ,Iris et Anmone. Orphelin inconso-lab le, i l par cour t le monde , avecdans une main l'urne qui contientles cendres de sa femme e t, dansl'autre, la Bte de la Jungle, deJames.

    Comment ne pas tre surpris pa rla violence et le lyr isme chevel decet panchement o la dmence estvisionnaire et la drision emphati-que? L'allgor ie potique se mle

    pulvrisau tahleau de murs ou l'anticipa-tion, la gerbe torrentielle des symbo-le s l'ironie qu i dcape. Les squen-ces alternent qui nous fon t passerdu monologue dcousu, par fois su-perbe de X, charriant les images la peinture du milieu parisien deBerthier. Depuis sa naissance, X estun homme errant, plerin qu i re-monte le cours de ses rves , explorele souterrain la recherche d'unevrit perdue, victime qu i veut d-sorma is per s cu te r son bourreau.C'est pourquoi le phnomne dutransfert, au l ieu de s'accomplir seIon la dialectique freudienne, du gi-sant au mdecin, se renverse, etPierre Berthier subit l 'envotementde son malade. Des remous violentsse produisent au cur de la familledu mdecin, soudain inquite de levoir rpondre aux chos du dmontentateur et plonger de l'autre ctdu miroir. Cette pet ite socit par i-sienne, microcosme de notre universde consommation, spare des raci-nes de la vie et des valeurs primiti-ves de la te rr e, du sang et du sexe,accueille X avec le t roubl e d'unefemme qu i se voile le visage devant

    la manifestation sauvage de la faimou les prophties de la bouche d'om-bre. Le gitan introduit la mdiationtragique du sens de la :vie, de l'a-mour fou et de la mort dans un mon-de sophistiqu baignant dans l 'acidede l'intelligence e t de l'rc;.tisme.

    Une enfance malheureuse opposele prolongement nocturne de la pr-histoire la connaissance diurne e tdesschante du mdecin. Trs signi-f icat ives sont les images de la mreimmerge pa r les vagues de l 'agonieou les belles scnes la frontired'une Espagne encore fumante desr ui ne s d e la gu er re civile.

    L'pigraphe et les tex tes de Lautramont, que Jeanne Champion achoisis, nous donnent l'une des clsde cetteuvre singulire, o les correspondances oniriques s'amplifientjusqu' l'apocalypse finale. L'entre-mlement de la sat ire, de la rvolteet d'un imaginaire flamboyant, qu in'est pas exempt de complaisance,fait l'originalit, souvent savoureuse,de ce livre.

    Alain Clerval

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    11/32

    Chagrin d'enfant

    1laire GalloisUne f ill e cousue de f il b lancBuchet-Chastel d. 199 p.Comment vivre et survivre dans

    le scandale que constitue la mortd 'un e su r aime? Cette ques-tion - celle que Caligula se po-sait propos d e la perte d e Dr u-silla - l a jeune nar ra tr ice de uneFille COlUue de f il b lanc la rsout,elle aussi, mai s dans le sens desa propre libration et non danscelui de son auto-destruction.Dans la vision de l 'e nf ance b ru -talement confronte au nant qu'avoulu reprsenter Claire Gallois,

    Claire Galloisla peur de la mort, le mystre jou dont elle fait l'objet dela part des proches, suscite- undouble scandale dans la conscien-ce de la narratrice: celu i de ladisparition absurde d 'un tr e qu itait le modle du bonheur conqurir, et celui de la triche-ri e ambigu et gnralise qu icaractrise les conduites desadultes.Ce rcit n'est pas seulementcelui d'un chagrin d 'enfan t e t ducoup fatal port son universi nt r ie ur , c 'e st ga lement l'his-toire des ractions cruelles, can-dides et ironiques d'une adoles-cente devant la dcouverte d'unmonde devenu absurde. Avec un egrande j us tesse psycholog ique ,l'auteur nous mon tre u ne cons-cience dchire entre deux uni-vers: celui de la candeur et del'amour bless qui refusent lamort par le fantasme, le retour l'enfance, et celui du cynisme,de la colre dest ins djouerles mythes du monde adult e.Pour faire exister Claire et

    nier sa mort, la narra tr ice entre-prend de se l'approprier menta-lement et mme de se substituer e ll e dans une aventure qu'elleimagine en partie et qu'elle vi tcontre les autres; tout le restedevient ncessairement caricaturecompar ce rve merveilleux,protg du rel et q ui n 'est aut reque l 'accomplissement et l'assou-vissement secrets du deuil.La dcouverte d'une Clairefiance et morte aprs un. rendez-vous secret avec un amant cris-t al li se chez l 'enfant l 'appti t delibert et la volont de s'affran-chi r, c omme elle, par la trans-gression de la morale convention-nelle. La t rahi son de C la ir e pa rrapport au monde des adultessera l'encouragement dcisif et laconfirmation de la valeur du mo-dle choisi pour se l ibrer: C'tai t c ela la vie que je vou-lais, hors des limites du mtro-nome, cr it la narratrice, bondis-sant dans f in s ta nt du Prou la mai son t rop bien range enBretagne, sans peur de la terrequi enfou it pui sque la terre estsi

    Ce qu i es t cousu de fil blancd ans c ette h ist oir e peut tre led rap don t on enveloppe la j eu nemorte, mais c 'est surtout la visionfausse de la ra li t que les adul-tes tentent d'imposer la cons-c ience des ado lescen ts .Le rcit, ironique, acr, a par-fois un peu de la belle cruautdes romans de Marie-Claire Blais ;i l demeure pourtant, nous sem-ble-t-il, un e sorte de revendica-t ion vio lente et tendre la foisdu d ro it a u rve et au romantis-me. On y dcouvre un ct Sa-gan dans les aventures du preavec Lulu Diamant ou celle deClaire avec son b el aman t, lafois P ru vi en e t impo ss ib le L'auteur y dpeint aussi avec uncynisme parfois trop complaisantdes scnes macabres que viennentponctuer les normits com-mises pa r les adultes.

    Mais i l n'en res te pas moins quel'auteur a rendu trs sensiblel'aspect d 'a tt en te qui enveloppede toutes par ts le monde d e l'en-fance; elle a 8U galement faireun tableau saisissant et ralistedu choc de l a mor t dans une meenfantine et des con squ en ce sambigus et dsordonnes de cel-le-ci su r un tre indign, meurtridans ses rapports avec lui-mmeet avec le monde qui l'attend.

    Anne Fabre-Lucs

    peter laslettUN MONDEQUE

    NOUS AVONSPERDULes structures sociales de l'Angleterrepr-industrielle"De Lucien Fbvre Braudel, puis Goubert, troisgnrations d'historiens ont entrepris l'inventaire dela France perdue. C'est une semblable explorat ionque Laslett inaugure pour l'Angleterre ".GILLES LAPOUGE - Le Monde

    NOUVELLE BIBLIOTHEQUE SCIENTIFIQUEDIRIGEE PAR FERNAND BRAUDELEPflammarionPierre Frdrix

    HISTOIRE DE LA VILLE TERNELLEUne fresque vivante, image, captivante de Rome travers 30 sicles d'Histoire.

    ALBIN MICHELLa Quinzaine littraire, du 16 au 30 novempre 1969 1

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    12/32

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    13/32

    INFORMATIONSnature

    La Quinzainel i t traire

    43 rue du Temple, Paru 4.C.C.P. Paris 19, rueJacob, Paris

    C.C.P. Paris 1154-

    Novembre 1969, 7 F

    Les sous Nixon

    THOMAS MOREet lacrise de la penseeuropenne

    Andr PrvostDocleur es Lellres

    MAME

    L'interrogatoire deP.-M. LitvinovV. Boukovski

    devant ses jugesLe gnral Gr igorenk

    Les crivainsclandestins

    Le Samizdat :t

    LA CONTESTATIOEN U.R.S.S.

    Deux Allemagnesocialistes

    ESPRIT

    ESPRIT

    DEFENSE DES l 'IDAYINB

    LB GBNlAL 8TRAT*GEPlotr Grigorenko, le gnral sovit ique mis la retraite et rcemmentplac dans un asile psychiatriquepour avoi r p ri s la d fense des Tatarsde Crime, avait mis en doute, on lesalt, la gnialit de Staline en cequi conce rne les dbu ts de la gue rregermano-russe. Sous le titre Stalineet , . deuxime guerre mondiale, lesdI ti ons de l 'He rne pub li en t l ' tuderetel l tlssante de Piotr Grigorenko.

    Jacques Vergs, l'avocat bien connupour ses prises de pos it ion en faveurdu F.L.N. et de Djamila Bouhlred du-rant la guerre d 'A lgr ie , publi e, auxEditions de Minuit, Pour les , idayine.C'est la p la idoi rie qu' il aurai t pronon-ce en faveur des commandos pales-t iniens qui attaqurent f in 68 et dbut69 deux avions de la compagnie isra-lienne El AI Athnes et Zurich, siles autor it s ne lui avalen t contestle droit de plaider.Cet ouvrage est prcd d'une pr-face de Jrme Lindon qui prendvigoureusement par ti pour les Pales-tiniens, ces hommes aux mainsnues (qui) n'ont pour armes quece ll es qu' il s nous on t drobes, etd'abord les Instruments de ruptured'o sont nes nos liberts dmocra-t iques.. Il les volt acculs l'espoir '.

    DISTINCTIONSNotre ami et conseiller", JosephBreitbach, dont le de rnier ouvrage,Rapport su r Bruno (GalilmaFd), estprsent toutes les mmoires, vientde recevoi r l 'une des plus hautes dis-t inctions allemandes : la Grand-Croixde l'Ordre du Mri te . Nous nous r-jouissons qu'elle vienne rcompenser,en mme temps que l 'cr ivain, un desmeilleurs artisans du rapprochementintel lectue l ent re la France et l'Alle-magne.Maurice Nadeau vient de recevoi r leGrand Prix de la Critique, dcern parle Syndicat des Cri tiques l it tra ires .pour son Gustave Flauber t, cr iva in.

    !lOuscrit un abonnemento d'un an 58 F 1 Etranger 70 Fo de six mois 34 F 1 Etranger 40 Frglement joint paro mandat postal 0 chque postalo chque bancaireRenvoye! celle carte

    M.A.u-VilleDate

    Pierre Ch.appuis,

    1. Mais comment sans arbitraire dtacher ces deux aspects d'une formeell e.mme indis sociab le du fond?Ce dont le pome est l 'e xpr ience,et que nous pouvooa appeler le po.tique, et le langage de tle exprience (la potique), ne pas deu.Telle est la diff icul t;) (p. 145).2. L'exprience, on le sait, s'enpoursuit autour de 1. Rcwue de po-sie; cf. le fra@:ment intitul F/lcequ(p. 169) et l a concl us ion du livre,comme, antri eurement , 1. dernirepage de Actes (1966),3. L'expression et l'explication qu ila s ui t s on t d'Octavio paz (L'Are el , .lyre, Gall . 1965, p, 180, et, plus gn.ralement , toute 1. aection de Le rv.lation potique),4. Et Michel Deguy s 'anacl le Lautramont comme acharn, plI.r la pa.rodie, rendre Jevrai du faux.

    5. Grille, dans Pomes deltJ presqu'le (1961, p. 13&).6. Jcqes Derrida: L'criture et ladiffrence (Seuil, 1967, p, 104), et unpeu plus loin: c: Laisser l'criture.c'est n'tre l que pOUl' lu i laisser lepassage, pour tr e l ' l ment diaphanede sa procession: tout et rien (,..)seul l'crit me fai t e xi st er en me nommant .7. Actes, p. 172.8. Gestes, par exemple, du repas prisensemble, de la jeune fille promenantles enfimts bout de br as, du collierque l'on pas se, o u, parmi les signes,c e simple tas de n eu f p ie rr es ri gau dbut du voyage, sur un basctde p is te neigeuse. .. ( p. 194) .

    l 'immanence, que notre reconnais-sance es t effectuer, ce n'est pasau-del du fini, mais en lui, quel'infini es t chercher :Aucun dsir n 'est exaucLes choses d'ici font figure pour[ici

    J'en demande pardon ceuxqui c ri eron t de dlirantes lu-cubrations propos de ce l iv re e tdes graves questions qu'il soulveen effet , mai s, je les pre sse derpondre, y at-il pages p lus b elles, plus mouvantes, plus d-pouilles en somme pour dire,mieux qu' ic i, non les transportsde la pa8sion, mais l 'accord dumerveilleux et du quotidien, lapat ience de vi vr e, le doux effortde paix, de sympath ie , d ' amour(voyez notamment p, 79, la con-clusion de la pice intitule Leprincipe)? Aveugle, volontaire-ment, celui qu i ne vei'rait pas,mme, que dans l'vocation dessignes de reconnaissance, des gest es l es plus lmentaires (8), pel"ce la nostalgie, rousseauiste enco-re , d'une communication imme-diate aude l ou plus exactementen de des mots, a van t eux etles rendant inutiles. Mais c e n'estdans le livre qu'un point de fuitepa r lequel juger m ieux de notremisre et de notre chance : pa ret dans la posie (figure primor.diale de l'amiti, de l 'amour?) .tout es t possible, tout es t vain,tout est accue il , d if f rence, toutse rejoint, tout es t vrit, illu-sion, manque, pa ri , vidence ob!;cure. Aussi, n 'avais-je pas tort deme rfrer Pascl ? Notre vraienature n'est pas tant perduequ'elle es t inventer et ce n'estpas hors de ce monde , mai s d ans

    En confondant figure et origine. Michel Deguy ne s'esquivepas pa r un e pirouette: Dieune nous par le plus, il s'est in-terrompu: i l faut prendre lesmots sur soi (6) . C 'e st commeprinc ipe qu 'i l nous faut accueil-li r le pome , comme le lieu, etle seul, d'une naissance, comme,vr it ab lement , notre seule ressource, notre source de vie, derecommencement (d'o le retourd e te rmes comme inaugural , a nnonce, piphanie), de reposses-sion pa r la justice rendue auxrelat ions simples o DOUS avonst mis (7)

    parlant des choses, renvoyant auxchoses, 'ramne e n r a lit lui-mme, (page169) plutt qu'allgoriquement.Voil 'pourquoi t e pome c mythi.que di t la figure de sa naissancecomme naissance de l a figure,anamnse du secret, c du secret (p. 181). Le titre dul ivre s 'clai re ainsi suffi samment.

    La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969 1

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    14/32

    ENTRET IEN

    P. Schaeffer et le

    Pierre Schaeffer, qui dirige leService de la Recherche l'O.R.T.F. et qui est plus gn-ralement connu comme compo-siteor et thor ic ien de la mu-sique concrte (on se souvientde son Trait des objets mu-sicaux, publi en 1966), estgalement l 'auteur d'un rcitcomme Clota ire Nico le , d 'unessai comme Amrique, noust 'i gnorons (1945), du romanles Enfants de cur (o ilrelatait son exprience desmouvements de jeunesse ca-tholique). JI vient de publier,aux Editions du Seuil, un se-cond roman. le Gardien de!mi ttr_Marc Pierret . Lorsque Gurd-jieff rpondait aux questions,comment le faisait-il?Pierre Schaeffer. Il Y avaitbeaucoup de monde : des gensser rs, assis au tour de lui, quile regardaient fumer tranquille-ment des cigarettes. Sa seuleprsence faisait que le moindregeste, la moindre question, lap lus impercept ib le ract ion dugroupe prenaient un sens inatten-du, se dployaient au travers deconscience extrmement ducti-les, ouvertes d'autres dimen-sions, de multiples significa-tions... Gurdjieff prvenait : cc Jerpondra i aux quest ions qu 'onme posera . Et le processus dedsintgration commenait :coup de balai sur les habitudesmentales, sur le cloisonnementdu moi. .. C'tait cruel, exasp-rant, a n'en finissait pas. Audbut, lorsque le silence deve-nait t rop gnant, des quest ionsfusaient, idiotes vraiment : laveuve inconsolable, la conciergequi avait ses phobies, les amou-reux en mal d'amour, les scru-puleux qui s 'app liqua ient . Lesquest ions tombaient dans le si-lence. Alors, Gurdjieff rpondait,c'tait se lon, avec humour ougenti ll esse, par fo is durement .Tout le monde coutait.M. P. Quelle tait votre atti-tude personnelle?P. S. Je jubilais; je me gor-geais de cette noce de campa-gne... Je sentais chez Gurdj ieff,contrairement ce qu'on a sou-vent dit, une grande dlicatesse.Mais il ne s'arrtait pas labont:.. Puis, aprs le temps des

    14

    IDvolcan, qui se rfre uneconfrence internationale te-nue Mexico en 1948 surle partage des longueurs d'on-de entre les 90 pays de laplante" et d'o ne sont pointabsentes maintes allusions l'un des veilleurs " dePierre Schaeffer : l 'nigmati-que Gurdjieff.Dans le recueil des Entretiensavec Pierre Schaeffer queMarc Pierret publie chez Pier-re Belfond dans quelques joursnous avons choisi un extraitdu dialqgue sur le Gardien devolcan, JI y est prcismentquestion de Gurdjieff.

    jE" &&5 Ip r , ' ;1quest ions personnelles, peu apeu les gens prenaient de ladistance : plutt que d'eux-m-mes, il s commenaient parlerde ce dont il es t inutile qu'onparle Ici, du travail. justement.M. P. Comment entrait -onchez Gurdjieff ?P. S. Les gens taient d'abordprpars par des groupes -comme ceux de Madame deSalzmann, qui avait reu l 'ensei-gnement de Gurdj ieff et l'avaitaccompagn dans ses voyages.Personnellement, ce groupe mesuffisait. Je n'avais pas trs en-vie de voir Gurdjieff. Mais unjour, Madame de Salzmann mefi t rejoindre une quarantaine deces cc idiots D , entasss dans lefameux appartement de la ruedes Colonels Renard.M. P. Comment prenait-on laparole dans ces runions?P. S. Je me rappelle ce si-lence, terriblement pesant!.. .Une fois passs les balbutie -ments du dbut, lorsque quel-qu'un osait prendre la parole,c'tait avec crainte... Mais lors-que Gurdjieff maltraitait l'un denous: Vous, stupidemerdit ! ce n'tait pas une insulte adres-se spcialement te l ou tel,mais un rappel l'ordre gnral.Chacun mesurait alors sa propreinattention, sa propre lgret.M. P. N'est-ce pas le dses-poir qui vous a men l ?P. S. JI disait qu'i l ne pouvaitquelque chose que pour les d-sesprs.M. P. Finalement, que vousa-t-il apport, votre Gurdjieff?P. S. JI m'a presque dl ivrde mon anxit, sauv de ma

    propre destruction. Je m'interro-geais, chaque jour davantage, surle quest ionnement mme, maisje ne m'intressais plus tel le -ment aux banales questions quej'tais venu poser, dont la sot-tise, la vanit ou la navets ' ta ient d'eUes-mmes rv-les... Ainsi je suis rest long-temps muet, assidu et combl.Gurdjieff m'a toujours rendu monrespect, sans paroles.M. P. Lorsque nous avonsparl de Clotaire Nicole, vousavez voqu l'exe rcice du lan-gage, ses trahisons, mais enmme temps ce noyau i rrduc-tible de vr it qu' il y a dans lelangage; prsent, vous dites-qu'avec Gurdjieff vous avez abou-ti au silence. Qu'est-ce que vousmettez dans ce silence? Est-ceencore du langage ou bien autrechose? Quelque chose dont onne peut parler? Quelque chosecomme ce silence vers quoi tendtoute musique, selon une inter-prtation clbre?P. S. L'histoire du pot demiel, que raconte Luc Die tr ich,rpond votre question. Commetous Jes crivains, je m'offre etj e me mange. Aussi , lo rsque jeme suis approch de Gurdjieff,je compris que parler, voire seconfier sous la houppelande del'amiti, c'tait donner mangerson miel aux mouches. Au con-traire, chaque fois qu'un homme

    s'efforce de rentrer en lui-mmeet de faire silence, il produit sonmiel... A un ce rtain moment, ilfaut s'arrter de parler si l'onveut se rassembler soi-mme. Ilfaut apprendre taire tout cequi est de l'ordre de l'indicible.L'indicible, ce n'est pas plus.ou mieux. que l ed icible : c'estson envers. Cer ta ins tats deferveur, de densit ou de souf-france rclament expressmentle silence.. . Bien entendu, par-Ier n'est pas cr ire. Ecr ire, aumoins d'une certaine faon, estaussi faire son miel. Plus exac-tement, la cire.M. P. Mais on peut aussi sementir sol-mme.P. S. A quoi bon?M. P. Le mensonge consola-teur, n 'est -ce pas un thme fon-damental de l 'enseignement deGurdjieff ?P. S. Gurdj ie ff d isai t que1homme es t une crature si d-sesprante, dont le destin est sifuneste, qu'on se demande com-ment il a le courage de vivre...Gurdjieff disait avoir hrit desenseignements thibtains ou au-tres de trs anciens et tr.s im-portants tmoignages sur cepoint. Mais c 'est une histoire

    trop longue et trop compliquepour que je l'entreprenne.M. P. Sur votre dernier ro-man, le Gardien de volcan, plane

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    15/32

    pot de miel AUBIER-MONTAIGNE 13,quaiConti Paris2 ouvrages de Franois PERROUX Professeur au Collge de FranceD irec teur de l ' , S E,Acollection RES (O;r;ge par Henri Chambre et A Jeann;re)

    avec une rponse de Marcuse en postface

    Par ce t essai sur les Essais, le lecteurest invit sa propre relecture.124 pages 6,15 F

    .. L'affaire Panagoulis ". c 'est cellede la lut te du peupic grec cont rcla dic ta ture . Par la voix dc Panagouli s tor tur, bravant ses juges ,la Rsistance gn:cque exprimc son espoir.6,15 Fil 161, 124 pages

    Les auteurs de ce numro ont t parmi les art isans de la prhis-toire, de l 'histoire et le seront, ils l 'esprent , de l 'avenir du mouve-ment lycen. C 'es t ce t it re que Par ti sans l eu r a donn la parole .8,70 F

    1, PlacePaul-PainlevParis VC

    CAHIERS DENIS LANGLOISLIBRES Panagoulis, le sang de la Grce

    TEXTES BARRINGTON MOORE Jr .A L'APPUI Les origines sociales de la dictatureet de la dmocratie

    Traduit de l 'anglais par Pierre ClinquartL'auteur tente de dgager les conditions historiques qui ont prsid l 'closion des dmocraties de type parlementaire, occidental , oudes dic ta tures de droite ou de gauche.432 pages 27,80 F

    PAUL LAFARGUELe droit la paressePrsentation nouvelle de Maurice DommangetAvant tous, Paul Lafargue opposait l'essentiel au droit au travil:le dro it la paresse. La rdi tion, avec une pr fa ce nouvelle deDommanget , de cet ouvrage - f igurant auparavant dans la Biblio-thque soc ia li ste - lui rend la place qui lui ta it due .nO 50,192 pages 6,15 F

    MAURICE DOBBEtudes sur le dveloppementdu capitalismeTraduit de l 'ang la is par L iane MazreLe concept de fodali t, les origines de la bourgeoisie, l'mergencedu capital industr ie l, la c roissance du prol ta riat , etc. L 'auteurinterroge l 'volution conomique, tant au pass qu'au prsent.424 pages 27,80 FJEAN-YVES POUILLOUXLire les Essais de Montaigne

    collection DveloppementFranois PERROUX interrogeHerbert MARCUSE 9,90F

    n Indpendance de la nation"18,00 F

    PETITE PIERRE JALEECOLLECTION L'Imprialisme en 1970

    MASPERO Par l 'auteur du Pillage du t ie rs monde , un examen des contradic -tions du systme imprialiste, aboutissant certaines perspectivespolitiques.n 49, 234 pages 6,15 F

    PARTISANS N 49FRANOIS Le mouvement des LycesMASPERO

    C by Pierre Belfond,

    tite Mexicaine exquise et brune,une Lady Butterfly, berl inoise etbaroque, aux week-ends capita-listes et adultrins, la srieuseThrse...M. P. Si nous parlions deThrse ...P. S. Thrse, l'ternel nin qui me surveil le , l'ange gar-dien qui me houspille tout aulong de mon uvre... Thrse estvridique, rigoureuse, srieuse,elle... La Thrse du Gardien devolcan est semblable cettejeune femme qui, un jour, memena chez Gurdjieff...M. P. Vous m'aviez annonctrois entres dans ce roman.trois thmes. Quel est le troi-sime ? S'agit- il des femmes?P. S. Attendez ... quand je discc les autres n, j' y comprends lesfemmes... (je les comprendsmme assez bien, si vous mepermettez!) ... Non, le troisimethme es t tou t 'bonnement so-trique.M. P. Comment l 'entendez-vous?P. S. Il f aut lire entre les li-gnes : l 'auteur , selon une trad i-t ion mil lnaire, dpose ici et ld'imperceptibles signes d'intelli-gence ; il en di t le moins possi-ble ; au lecteur de se dbrouil leravec ces marques... Que ce luiqui a des yeux...M. P. Aidez-moL ..P. S. J'aurai la bont de vousdire qu'il y a, dans le premierchapi tre, puis dans le dernier,deux petites phrases, phrasesqui chatouillent le bon got d'uneautre de mes Thrse, nommeLia Lacombe... La premire, c'estTli causes donc je suis (sans vir-gule, la ligne) ; mme chosepour la deuxime, qui en est larplique : Tu causes donc jedors ... Vous ai-je suffisammentaid?

    M. P.P. S. Non?M. P. C'est cela l 'sotris-me?P. S. Le contraire de l'ensei-gnement habituel. Le Matre n'arien dire, mais il promet derpondre la question quandelle est bonne.M. P. A Gurdjieff, vous luiavez pos. la bonne question?P. S. Il est mort avant. Maisde toutes faons, je n'en auraispas t capable...

    l 'ombre de Gurdjieff ...P. S. Gurdjieff es t mort, maisje me souviens.M. P. Il Y est prsent maisinsaisissable.... P. S. Justement. Le Gardiende volcan n'est pas un tmoigna-ge, c'est un roman! Pour unefois, j'ai consciemment, volontai-rement, dcid d'crire ul'!e u-vre qui possdait ses ncessitspropres. Mais comme je suis unpeu compliqu, j'ai crit un ro-man plusieurs entres, portantl e df i d'une triple exprience.M. p' . Pourquoi, en quoi, tri-ple lt?P. S. En langage musical ,cela s'appellerait une fugue trois vo ix : tout le monde se fuit

    et parfois se rattrape.... M. P. Tout le monde. c'est--dire qui?

    P. S. Il y a d'abord l 'auteurqui crit, comme vous savez,pour s'lucider. lui-mme. Nousn'en parlerons pas. Cette voix-lest celle qui m'agace le plus,mais elle persiste et je n'y peuxrien.M. P. Ensuite?P: S. Ensuite, il yale thme,et le thme c'est les autres. Etles autres, ce sont les dlgusde tous les pays du monde, ru-nis au Mexique pour cette gran-de confrence internationale devolcano-sismologie. Ces autresqui act ionnent de faon si dri-soire, si rasoir, le mcanismearide, strile, de ces grandesconfrences internationales. Lemilieu est gourm, les priptiespratiquement nlles, la procdu-re Irritante de btise et d'ineffi-cacit... J'ai vcu cette exp-r ience vipre au poing, et je

    crois bien avoir rendu, dans sonfiligrane le plus perf ide et leplus vrai, ra sottise de l'hommecollectif - surtout quand cethomme-l est dlgu par songouvernement.M. P. Intressant, mais la fa-on dont vous en parlez prsente,ces choses de faon bien aus-tre!P. S. Austre? Oui et non. Jevous recommande l'histoire desBarnk Houllouj, des trois petitsMongols extr ieurs... Et l 'nig-matique Seminovitch, dlgu del'U.R.S.S., disparu de manirebien trange chez les IndiensOtomis insoumis...M. P. Pas de femmes?P. S. Quelques-unes. Une pe-

    La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969 1

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    16/32

    ARTS

    La Revue de l'Art

    Jean Mignon: Combat d'hommes nus. Vienne

    Jusqu'au dbut de l'anne1969, les revues d'art en Francepouvaient tre classes en deuxcatgories : celles consacres l'actualit, tendance souventpolmique et tonalit frquem-ment l i ttraire - et les autres,qui, accordant une part plus oumoins large au pass, dans desarticles gnralement de se-conde main, d 'humeur ou d'op-portunit, participent de cette

    littrature du dlassement queles Anglo-saxons nom, men tcoHee table books.De revue d'art scientifique, etqui f t sa part l 'rudition, sanspour autant se muer en bulletinconfident ie l - po int , C'est cettelacune que vint combler en jan-vier dernier la Revue de l 'Art.Publication trimestrielle consa-cre aux arts du Moyen Age etdes temps modernes (mettantdonc dl ibrment de ct pr-histoire et antiquit) , elle s'estassigne le champ total de la pro-duction plastique, avec la volon-t explicite d 'accorder son im-portance lgitime l'architec-ture. Elle comporte deux parties.D'une part, des articles de fondcrits par des spcial is tes et16

    consacrs soit la publicationde documents indits ou de d-couvertes, soit des mises aupoint de problmes gnraux.D'autre part, une sorte d'appareilcritique compos par une biblio-graphie internationale (savante,mais encore trop mince), une re-vue des expos it ions internatio-nales (encore t rop l imite et d-cale dans le temps) et un bilande l'activit des muses fran

    ais. Enfin, fait digne de remarque dans notr e tradition chauv ine, la Revue compte parmi sescollaborateurs d'illustres historiens trangers, tels Mayer Shapiro et Anthony Blunt.Les cinq premiers numrosparus ont concrtis ce program-me par des textes la hauteurde son ambit ion. Quelquesexemples. Jean Taralon, dans lenumro 4, consacre un long arti-cle aux peintures romanes duXII sicle rcemment dcou-vertes au cours de travaux, dansl 'gl ise de La Varenne-Bourreau(Mayenne) : une description mi-nutieuse permet l 'auteur de po-ser des problmes d'interprtation - te l le mystre de lavierge, unique en son genre au

    XII sicle, assise en majestdans une dposit ion de croix -et d'voquer partir de ces dif-f icul ts hermneut iques, l 'ensemble de la prob lmatique del 'art roman. Bella Bessard et Syl-vie Bgin (n 1) reconst ituen t,grce des documents d'archi-ves, l 'tonnant htel de Tarpan-ne, sis rue des Bernardins, dmoli en 1830 et dont seul sub-siste aujourd'hui un portique l 'Ecole des Beaux-Arts. C'est aucontrai re comme le bilan des recherches et dcouvertes del ' rud it ion depuis 1945 que sesitue l 'article de Carol Hei tz surl'art carolingien, tandis queMayer Shapiro lucide avec sub-tilit le rle de la nature mortedans l 'uvre de Czanne (n 1) .Aprs un te l sommaire, le lec-teur ne sera pas peu surpris desa prsentation matriel le. L' il -lustration est abondante, certes,pertinente et qui accompagne laprogression des textes. Mais latypographie est banale, les ca-ractres t rop peti ts, la mise enpage monotone, sans surprise etsans ge. Pourquoi cette routinede l 'express ion, ce mpris de lalettre?

    Le problme mrite d'autantplus d'tre pos qu' il n 'est pas,en France, propre la Revue del'Art. Il vaudrai t qu'un de nos s-miologues se pencht une foissur la signif ication de la mise enpage, sur l es rapports qui l ientle contenu des articles et leurd isposi tion dans l 'espace : rap-port ambigu et complexe, de ren-forcement mutuel, de subordina-tion ou encore d'antagonisme,opposant al ors contenu mani-feste et contenu latent. Parei lletude ncessiterait une confrontation et une comparaison de lamise en page dans les diffrentspays. On s'apercevrait par exem-ple que l'Italie et la France re-prsentent des attitudes anti-th tiques. Dans les revues ita-l iennes la charge smantique dela mise en page est si fortequ'elle en arrive parfois pren-dre le pas sur celle des articles.Les publications franaises, aucontraire, tendent rduire l'ap-port signif iant de l'organisationgraphique. (Comparez Metro Connaissance des Arts ou Edilizzia Maderna l'Architectured'aujourd'hui.)

    En fait, et pour les mmes rai-sons qu'i l faudrait dvelopper. legraphisme (contemporain) n'in-

    tresse pas plus le Franais ql'architecture (contemporainet ne suscite pas davantagemcnat. Mais outre cette movation gnrale. le par ti neuadopt par la Revue de l'Art crespond sans doute au dsnaf, de combatt re une certaiimage clinquante de la Franpar l 'understatement graphiquen mme temps qu' une thiqde l'ascse intellectuelle :livrer le savoir qu' ceux ql 'ont mrit et ne se sont laisarrter ni par l'aridit ni pl'ennui.Plus profondment, la neutlit de la mise en page adoptpar la Revue de l 'Art semble crespondre une volont decantonner dans l' objectivitLe refus d'une organisation cotemporaine de l 'espace grapque expr ime bien le refus oudfiance d'une certaine approcet de certaines mthodes :Revue a pris le par ti de l' rut ion contre celu i de la s tructut ion. L'analyse des sommairen apporte la preuve. Au dernnumro: Serlio esti1I'archlted'Ancy leFranc? A propos ddessin indit de la Bibliothqnat ionale , par Jean Guil laumQuelques uvres oubliesindites des peintr es de lamille de Beaubrun, par JacquWilhem, Antoine Coypel: lalerie d'Ene au Palais Royal,p rsenten t les Etudes, tanque les Notes et documents sconsacrs une tte de satde Cellini, un album de croqindits de Jacques-Louis Davetc. De mme, l'art actuel -chitecture ou peinture, exigepar leur nature mme une probmatique et une approche nve lles - est pratiquementsent. (Le dernier numro s'rte une interview de 1921Kandinsky.)

    La naissance de la Revuel'Art doit donc tre salue avrespect. Ma is si ce tte publition veut conqurir le pubqu'elle mr ite et pas seulemcelui des spcialistes, il fqu'el le opte pour une crituretuelle et que, par le texte etmise en page conjugus, esatisfasse non plus seulemencuriosit - hritage du XIX scle - mais aussi le besoin ctemporain d'organiser et de pblmatiser le savoir.

    Franoise Ch

  • 8/14/2019 quinzaine littraire 83

    17/32

    .XPOSITION

    GiacomettiPeu d'expositions ont taussi clai rantes pour l 'uvre

    d'un artiste que la rtrospec-t ive A lber to Giacometti . Ceuxqui suivaient depuis longtempsses travaux, les expositionsque lui a consacr depuis dix-huit ans la Galerie Maeght, et,plus encore, ceux qui se sou-viennent de ses envois aux an-ciennes exposit ions surral is-tes, pouvaient croire qu'ils con-naissaient bien l 'uvre de Gia-cometti . Pourtant, de nombreu-ses pices demeures dansl 'ombre de son atelier apparais-sent aujourd'hui beaucoupcomme une rvlation, en parti-culier ce lles des annes 1925 1935, d'un intrt fondamen-tal pour la comprhension duparcours singuli er suivi par lescu lp teur pendant plus de cin-quante annes avec une nergieconstamment en lutte contre"insatisfaction et l'inquitude.L'tendue de l 'uvre sculpt,et l 'importance paral l le despeintures et des dessins, cettet riple act iv it dont chaque ta-pe est ici reprsente, faisantsurgir le sens profond d'un tra-vail qu'il nous est donn decontempler pour la premirefo is dans son ensemble, c'estcela d'abord qui frappe dansune exposition o le choix desuvres et leur prsentat ion(groupement, sries, juxtaposi-tions) sont l 'effet d'une r-f lexion judic ieuse. Le grandmrite en r evient Jean Ley-marie et Hlne Adhmar,ses organisateurs.Ce que nous savions dj, etce qui nous est confi rm parles trois cents uvres rassem-bles l'Orangerie des Tuile-ries, c'est que la f igure humai-ne - le corps humain et sur-tout le visage, le corps n ' tan tpour ainsi dire qu'une torche au

    bout de laquelle brle la flam-me d'un visage - a toujourst, du dbut jusqu' la fin,l'unique thme et le grand tour-ment de Giacomett i, l'insonda-ble miroir o s'est heurte con-tinuellement la lance de sesin ter rogat ions. Il est ainsimouvant et significatif que sonpremier buste, un portrait enpltre de son frre Diego, mo-del en 1914, l 'ge de t re izeans, soit une Image si manifes-tement Interrogatrice. En outre,son excution, encore t im ide ,La Quinzaine littraire, du 16 au 30 novembre 1969

    Giacometti:L'Obier illVi$ible

    marque l 'apparit ion d'une tech-nique au doig t nerveux de la-quelle il ne s'cartera que fur-tivement pour y revenir et yrester f idle jusqu' sa mort.L'intelligence, le pouvoir ex-pressif d'un te l model, s'affir-ment dans un premier bronze,la Tte d'enfant, de 1917. Maiscet enfant qu'il tait encorelui-mme au dbut de son ap-prentissage se dsoriente bien-t t devant les difficults quelui apporte l'tude mme deson art. Lorsqu'il aura sur-mont ses premires incerti-tudes, voyag en Italie, vu Rome "art gyptien, et dcou-vert Paris le Cubisme, c'estdans une nouvelle direction,trs loigne de ses premie rstravaux, que se droulerad'abord son volution.L'influence cubiste, nous latrouvons dans un Torse de 1925et dans le Petit homme