Quelques secondes d'Eternite

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Les Carnets de l’adepte I Quelques Secondes D’éternité

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Les Carnets de l’adepte

I

Quelques

Secondes

D’éternité

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I - Dans l’œil du cyclone.

"Seuls, les cadavres n'ont pas de contradiction". Jerzy Grotowsky.

Ce livre, comme tous les livres, ne sert à rien. Ce livre, comme tous les livres, ne vous fera pas faire un pas de plus sur la voie de votre propre réalisation spirituelle. Et je ne comprends toujours pas que vous soyez encore attaché( e) à l'illusion commode que procure la vision d'une bibliothèque bien remplie. Sans doute cédez-vous à l'agrément esthétique des tranches reliées rangées comme soldats à la parade sur des rayonnages tracés au cordeau. Le nombre d'ouvrages que vous avez acquis vous rassure certainement, n'est-ce pas ? Comme tout collectionneur, vous espérez ainsi tromper le sentiment insupportable du vide de ]'existence en vous vouant corps et âme au règne de la quantité -mais croyez-moi, tous ces livres ne peuvent vous être d'aucun réel secours !

Brûlez tout ça! Qu'un tas de cendres indistinctes mêle dans une même réprobation les fleurons de la littérature et les scories nauséabondes de l'édition, les plus hautes envolées mystiques et les hagiographies trop complaisantes. Brûlez tout ça! Et que ma prose, comme tout le reste, n'échappe pas à ce brasier! Car "La vraie vie est ailleurs. " Rimbaud.

Que ce feu de joie vous libère de vos encombrantes béquilles. Vous avez, avec elles, parcouru en tous sens la cellule exiguë d'un phantasme d'existence. Les livres sur les murs, les rideaux aux barreaux, tout ce mal que vous vous êtes donné( e ) pour rendre supportable votre incarcération ne vous a pas rendu( e ) plus libre pour autant. Vous avez composé avec vos geôliers, et vous avez rêvé, du fond de votre cachot, qu'un ordre régalien, une grâce inespérée, vous libèrerait demain des fers et du boulet.

Mais au petit matin, le rêve s'est dissipé.

Vous avez lu tous les livres c'était votre seule évasion et votre seul vice mais peau de balle! Tout le savoir du monde ne vous aura même pas renseigné sur le crime dont vous ignorez tout) et qui vous valut un tel sort. L'espoir s'en est allé, la forteresse est toujours là! Et ce n'est rien d'autre que

"Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui." Baudelaire . Le Voyage.

La vraie vie ne se rencontre pas au détour des pages. Voici la complainte qui vous monte aux lèvres lorsque vous repoussez d'un geste négligent le dernier in-folio, que vos yeux fatigués d'avoir trop veillé à la clarté des lampes ne peuvent plus déchiffrer .

C'est alors qu'un miracle se produit.

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Le gardes-chiourme s'efface, les murailles se dissolvent, le pénitencier lui-même se révèle un mirage, une aberration de l'esprit en quête de savoir . La brise d'une aube nouvelle vient effleurer vos joues.

Renoncez à connaître. Ne cherchez pas à comprendre. Débarrassez-vous de vos oripeaux. N'éloignez pas de vos lèvres le calice d'amertume. Faites-vous cynique. Levez l'ancre. En un mot, plongez au cœur de la tourmente, plongez

Au fond de l'Inconnu, pour trouver du nouveau." Baudelaire, poème cité.

Dans chacun des ports où vous échouâtes, vous avez embarqué des hommes d'équipage, des compagnons de route aux noms évocateurs. Sur le pont, Jalousie se pare des atours de l'amour ; sous la hune, Colère mime le jeu de la dignité offusquée; par les nuits sans étoile, le timonier Désir navigue à l'aveuglette, sans carte et sans boussole, abandonnant au caprice des flots le soin de conduire votre destinée ; l'homme de vigie Mâra vous trompe allègrement : il crie "Eldorado", c'est Sodome et Gomorrhe qui pointe à l'horizon et votre fidèle second -Gnose le bien nommé -n'a pas le pied marin: le moindre grain ballottant le navire le terrasse sur sa couche, l'enferme dans ses délires !

Débarquez-moi tout ce joli monde à la prochaine étape! Ou mieux, n'attendez pas! Passez donc sine die cette clique par-dessus bord, sans vous soucier de ce qu'il en adviendra; le Diable en prendra soin, il reconnaît les siens! Allez, ouste! A la baille ! Pendant que vous y êtes, soulagez-vous du poids des objets hétéroclites qui encombrent les cabines. Eparpillez au vent les carnets intimes que Gnose, chaque soir, souillait de sa plume prétentieuse.

Vous êtes capable de mener seul( e ) votre barque. C'est à cette condition que les cieux vous laisseront descendre ou vous voulez aller . C'est à cette condition que, comme Le Bateau Ivre, vous croiserez "d'incroyables Florides".

Voyez Job sur son fumier. Lui se coltine à l'essentiel. Et on l'imagine mal cherchant quelque baume à ses douleurs entre les pages d'un quelconque texte, fût-ce un texte "inspiré", fut-ce LE LIVRE lui-même (si tant est qu'il existe).

Car les livres -quoi qu'ils en disent parfois dissimulent toujours une "morale", ce .qui présuppose qu'ils s'inscrivent dans un cadre manichéen.

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Or, Job est hors-cadre, par-delà le Bien et le Mal. Son drame n'est pas celui d'un homme; c'est le drame d'un Dieu -Yahvé -que consument la colère et la jalousie. Voyez ce Dieu se laisser emporter par ses émotions, et dépasser la mesure à l'invite de Sa- tan, auquel il abandonne le plus fidèle de ses servants. En conséquence, Job ne peut que subir l'amoralité d'un combat de titans qui le dépasse, et dont il fait les frais.

C'est une expérience douloureuse du divin qui s'abat sur lui et qui, finalement, ne le regarde en aucune manière. Aucun livre ne saurait être à la mesure de la violence aveugle de ce combat qui se déchaîne parfois, et dont il est forcément, comme nous le sommes souvent nous-mêmes, la victime impuissante. Aucun livre ne peut guérir le saint homme des plaies qui lui sont infligées. C'est une figure emblématique, dans la mesure où semblable rétribution est notre lot commun -toutes proportions gardées! Je veux dire ici que nos bonnes actions ou celles que nous croyons telles -sont rarement payées de retour.

"Tout se passe, semble-t-il, comme si les plus belles idées, les plus hauts plans créateurs, 1es actes d'amour les plus purs étaient automatiquement défigurés, contrefaits, pollués dès qu'ils descendent dans la vie" Mentalement, nous avons déjà inventé les plus merveilleuses recettes , la Vie n'en a jamais voulu. Vingt ans après Lénine , pour ne parler que de notre civilisation présent , que reste-t-il du communisme pur ? Que reste-t-il même du Christ sous cet amas de dogmes et d'interdits ? On empoisonne Socrate et Rimbaud s'enfuit au Harrar ," nous savons le sort des phalanstères, des non-violence ,. nous sommes ce triomphe, peut-être, après bien des faillites, mais de quel autre triomphe ne sommes-nous pas a faillite ? Chronologie des victoires ou des faillites? La vie semble faite d'une substance irrémédiablement déformante, tout y fond comme dans les sables d'Egypte, tout s'y nivelle dans une irrésistible gravitation vers le bas."

Satprem - Srî Aurobindo, l'aventure de la conscience.

Sans aller jusqu'à évoquer le mystère du mal qui se tapit dans chaque recoin de la création,-il n'est pas l'heure encore d'affronter la question d'une volonté divine dont émane l'imperfection considérez la merveilleuse utopie d'Auroville, et ce qu'il en advint. Et Sri Aurobindo, qui se dépense sans compter jour et nuit pour coucher sur le papier le récit de ses expériences spirituelles. Et sa compagne, Mira Alfas- sa, surnommée "La Mère", qui déjoue un à un tous les pièges de l'existence. Et cette ville âshram au nom plein de promesse: "Auroville", la ville de l'aurore.

Une aube nouvelle ne devait-elle pas éclore pour illuminer le monde au centre circulaire de ce village idéal en forme de galaxie ? Voyez-les abandonner leurs foyers

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et répondre à l'appel, tous ces hommes et ces femmes en quête d'absolu. Ils sont artisans, briquetiers, informaticiens. Ils réalisent le rêve d'une génération perdue dans les déjections d'une société gavée jusqu'à la nausée. Les éoliennes se dressent dans Auroville, ou l'avant-goût d'un retour au jardin

d'Eden !

le ciel, et fournissent une énergie non polluante. La terre aride se Couvre de cultures abondantes. Ils avaient tout laissé derrière eux, hormis. ..hormis ce besoin si humain d'adorer un veau d'or, d'ériger des idoles. Ils voulurent déifier Mère de son vivant. Ils exigeaient d'elle des miracles. Mais elle s'y refusait. Obstinément ! N'avait-elle pas, par le passé, vaincu des tentations bien plus grandes que ce statut illusoire de déesse dont elle n'avait que faire ? Les expériences hors du commun, que ses disciples lui réclamaient à toutes forces étaient, il n'y a pas si longtemps encore, son pain quotidien. Jusqu'à ce jour ou Sri Aurobindo lui fit remarquer, non sans quelque humour :

"Oui, c'est très intéressant, vous arriverez à des miracles qui nous rendront célèbres dans le monde entier, vous pourrez bouleverser les événements de la terre, enfin ce sera un grand succès. Mais c'est une création surmentale, ce n'est pas la vérité suprême. Et ce n'est pas le succès que nous voulons."

"Une demi-heure après, rapporte Mère, tout était arrêté. Je n'ai rien dit, pas un mot, en une demi-heure, j'avais tout défait, coupé la connexion entre les dieux et les gens, tout démoli. Parce que je savais que tant que c'était là, c'était si attractif on voyait des choses étonnantes tout le temps que l'on aurait été tenté de continuer... J'ai tout défait. Et depuis ce moment là, nous sommes repartis sur d'autres bases."

Puisqu'elle dédaignait rétablir le contact avec le surnaturel ou ce qu'ils pensaient tel -les membres de la communauté séquestrèrent Mère dans sa chambre, jusqu'à sa mort. Et ceux qui prétendaient la vénérer malgré elle lui firent des funérailles grandioses.

Auroville vit alors les clans se dresser les uns contre les autres. Les tribunaux furent saisis de leurs rivalités. L'utopie d'un monde meilleur s'acheva, comme toujours, dans la grotesque parodie d'un héritage dont les légataires s'arrachent devant les juges le partage.

Le philosophe Malebranche avait bien raison de mettre en garde : "Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions. "

C'est une des premières leçons que vous devrez mettre en pratique si vous souhaitez réellement devenir autre: n'attendez rien de concret, rien de bien, en échange de vos actes les plus louables ou de vos prières les plus ferventes Vous ne serez jamais payé(e) à l'aune de votre "bonté" ou de l'ardeur de votre foi. Fussiez-vous devenu(e) un(e) saint(e).

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La loi de rétribution divine n'est pas calquée sur la justice humaine. Acceptez en l'augure, c'est votre tribut, aussi douloureux votre sort soit-il.

Car ne voyez-vous pas que c'est cette acceptation, au-delà de toute révolte, qui élève Job au-dessus des deux tentateurs, j'ai nommé Satan et Yahvé, complices tous deux d'un jeu pervers dont le saint homme est le pantin ? Le premier tente de corrompre (mais après tout, n'est-ce pas son rôle ?) ; plus étonnante à première une est l'attitude de Yavhé, qui laisse faire l'Ennemi (pour voir ?). Quoi qu'il en soit, les deux Principes ont parié sur Job, chacun à leur convenance, et que pourrait-il faire d'autre que d'accomplir ce destin qu'on lui impose ?

Ruer dans les brancards, se révolter, plaider sa cause comme dans un prétoire ? Non, Job ne se révolte pas; il n'argumente pas non plus. Confronté à l'épouvante de la destruction totale de ce qui lui était le plus cher au monde, que rétorquera- t-il à la puissance infinie qui autorisa cette abomina- tion ?

"J'ai parlé à la légère: que répondrai-je ? Je mettrai plutôt ma main sur ma bouche. J'ai parlé une fois... je ne répèterai pas ; Deux fois... Je n'ajouterai rien." Job, 40 : 4, 5.

A-t-on jamais lu plus bel éloge de la dignité que confère le silence opposé au sort qui s'acharne ? Bien des siècles après, comme en écho, un poète romantique reprendra ce même thème :

"Fais patiemment la longue et lourde tâche Dans la voie où le sort a voulu t'appeler, Puis après, comme moi, souffre et meurs, sans parlelA.11 Alfred de Vigny -La Mort du Loup.

Mais c'est un canidé faisant face à la horde des chasseurs pour couvrir la fuite de sa progéniture que Vigny met ici en scène. Comme si la vertu d'acceptation avait fui l'humanité, et qu'il faille désormais se tourner vers la gente animale pour que nous puissions entrevoir la voie du Salut.

Car ne vous y trompez pas. L'acceptation est bel et bien la voie du Salut. Le vainqueur inattendu du combat que Yahvé et Satan se livrent dans les cieux, c'est Job, sur son fumier. Parce qu'il "lâche prise". Le "lâcher-prise", vous en avez déjà entendu parler, n'est-ce pas ? Combien de pages exaltantes, brûlantes de la flamme de la pure vérité, y ont fait référence, à tel point que certains soirs, vous vous sentiez tout entier( e) tendu( e) col11lne un arc vers cet idéal. Mais "tendre vers", ce n'est pas "lâcher-prise".

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Votre désir lui-même contredit l'intention, et l'intention elle-même, c'est encore un "vouloir". Pour comble de malchance, aucun texte n'enseigne le "lâcher-prise". Quoique les témoignages abondent, il n'est pas un mystique qui ait écrit là-dessus deux mots que vous puissiez véritablement mettre en pratique pour y parvenir . Job n'ajoutera rien, le loup meurt sans parler. A quoi sert-il de lire, à quoi sert-il d'écrire ? Mais peut -être ne doit -on pas se montrer aussi rigoureux ? Ne pourrait-on sauver de l'autodafé si ce n'est la Bible, du moins le livre de Job en son entier, et la toute dernière strophe de "La mort du Loup" ? Non qu'ils se révèlent à l'usage des "recettes pratiques". Mais ils peuvent éveiller en vous ce désir de vous mettre en marche vers l'acceptation sans condition. Et puis, tant que nous y sommes, pourquoi ne pas arracher des flammes quelques extraits de "Les Chrétiens et la souffrance", ayant pour auteur le pasteur Marc Bregner ? Il vous dira mieux que je ne le saurais qu'accepter pleinement, ce n'est pas faire contre mauvaise fortune bon cœur. Accepter pleinement, c'est dire oui de tout son être, c'est affirmer sa liberté.

"Accepter n'est pas se résigner. Se résigner, c'est se courber devant une fatalité, un coup du sort, des circonstances adverses. Accepter, c'est accomplir un acte de liberté, par lequel nous assumons notre souffrance et l'utilisons au profit de notre croissance dans la foi, l'amour ou l'obéissance. Accepter, c'est donc remporter une victoire. Nous ne dirons plus jamais, n'est-ce pas, que nous subissons nos épreuves ? ...Je ne reviens pas sur ce que je vous ai dit de la résignation qualifiée bien à tort de vertu chrétienne. Le Christ, sur son chemin du Calvaire, ne se résignait pas à mourir. « Personne ne m'ôte la vie, disait-il, je la donne". Et lorsque nous l'entendons, en Gethsémané, prier que s'il est possible s'éloignât de lui la coupe dont il découvrait l'inexprimable horreur, sa dernière parole: "que ta volonté soit faite ", marque non pas une résignation à une volonté implacable mais un libre acquiesce- ment qui est une victoire, la dernière victoire avant Golgotha. Ainsi, nous accepterons nos souffrances, celles d'hier et celles de demain, et nous renouvellerons chaque jour notre acceptation par un acte de liberté... Refusez d'être les esclaves de vos épreuves : affirmez votre liberté en les acceptant, en leur faisant place dans votre existence, mais en gardant toujours pour Dieu la place qu'il ré- clame, précisément pour vous rendre capable de vous donner librement à la souffrance en faisant de ce don une libre obéissance à Celui à qui nous disons, nous aussi, dans la douleur comme dans la joie: "Notre Père. ..que ta volonté soit faite. "

Quitte à préserver quelques livres, autant les conserver tous. Car comment faire un tri ? Et qui serait assez prétentieux pour l'oser ? Rejetterai-je tel recueil de contes

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populaires, sous prétexte que le conte est une forme mineure de littérature, indigne de provoquer le désir d'éveil ? Ce se- rait une grave erreur ! Pour ma part, je suis prêt à troquer bon nombre d’œuvres philosophiques ou mystiques contre la fable du Docteur et du Gueux. Souffrez que je vous la rapporte.

"II y avait une fois un docteur en théologie qui depuis sept ans priait Dieu : "Mon Dieu, vous le voyez, j'étudie tous les livres, sans y trouver comment vivre de votre paix dans la simple lumière. Je vous en supplie, ô mon Dieu, adressez-moi à quelque humain qui m'apprenne la vraie voie dans la vie spirituelle". Un jour, se promenant dans la campagne, il vit au carrefour un gueux à cheveux blancs. Assis au pied de la croix, ce pauvre y prenait le soleil. "Mon ami, lui dit le docteur en lui donnant un denier, je vous souhaite le bonjour. -Je vous remercie, monsieur l'abbé, lui ré- pondit le pauvre, mais de mauvais jours ,je n'en ai Jamais eus. -Oh, mon ami, vous êtes l'homme que je cherche! Jamais de mauvais jours ? Comment cela ? -Ma foi, je me suis dit que puisque Dieu est mon père, je dois m'accoutumer à vouloir ce que Dieu veut. Biens, maux, aubaines, peines, je les reçois comme venant de sa main. Et donc je prends comme bon tout ce qui me tombe dessus... Monsieur l'abbé, voilà, c'est tout."

Avec des mots simples à la portée de tous, ce trésor de la sagesse populaire éclaire de manière concise l'un des secrets du bonheur, qui est une fois de plus l'acceptation.

On le trouvait déjà chez Job, ce secret, lorsqu'il s'exclamait :

" Yahvé avait donné, Yahvé a repris, que son nom soit béni" .

Il perce également sous la sentence du Gueux :

"Et donc, je prends comme tout bon ce qui me tombe dessus".

Le lettré préfèrera lob, et le discours du Gueux ira droit au cœur de l'homme simple. L'important n'est-il pas que chacun trouve son compte ?

Impossible de choisir, donc ! Il faudrait être omniscient pour s'y autoriser, tout connaître de toutes les individualités humaines, passées, présentes et à venir; tout savoir des méandres de l'âme pour prédire à coup sûr qu'un roman de gare ne sera jamais capable d'ouvrir les portes de l'adhésion au réel, ni de propulser sur la voie royale de la libération de la conscience. La vérité avance voilée, dissimulée plus souvent qu'à son tour sous le masque de l'erreur .

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"Le commencement pratique du Secret est de s'apercevoir, d'abord, puis de voir que chaque chose en ce monde, même l'erreur la plus grotesque et la plus égarée, contient une étincelle de vérité sous le voile, parce que tout est Dieu ici- bas en dehors de Lui. En fait, l'erreur est une demi-vérité qui trébuche à cause de ses limitations ; souvent, c'est la Vérité qui porte un masque pour s'approcher de son but sans qu'on la voit. Si une seule chose en ce monde était totale- ment fausse, le monde entier serait totalement faux." Satprern - opus cité.

Dans ces conditions, gardez donc tous les livres.

Je ne feindrai pas d'ignorer qu'à quelques pages d'intervalle, je vous ai recommandé de brûler votre bibliothèque pour déclarer finalement qu'il vous faut la conserver . J'assume ! Dans une dissertation de philosophe, une telle contradiction m'eut valu immédiatement un zéro pointé. Mais mon propos n'est pas de philosopher . La Sagesse que je tente de cerner n'est pas d'ordre intellectuel, murée dans les limites désespérantes de la cohérence du discours. C'est une sagesse vivante. Et la vie est un cyclone qui brasse les contraires.

C'est dans l’œil du cyclone qu'il vous faut vous situer. C'est dans le nœud gordien des contradictions dé- voilées que vous trouverez une première manifestation de la Grâce: un instant de doute, où vous éprouverez la sensation étrange d'être à la pointe du savoir -de votre savoir -au bord de l'abîme que révèle l'antinomie des contraires.

Un instant de doute qui a le parfum de quelques secondes d'éternité.

La contradiction a entre autres le mérite de dévoiler l'impermanence du monde, et d'en affirmer dans le même temps la pérennité. Le philosophe grec Héraclite s'étant assis au bord d'un fleuve, il lui vint cette pensée étrange :

'iOn ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, et pourtant c'est le même fleuve".

Ne vous est-il jamais venu à l'esprit que vous étiez tout à la fois vous-même et un( e ) autre ? Que vous pouviez affirmer une identité qui vous définit depuis votre naissance, tout en étant radicalement différent( e) du bébé et de l'enfant que vous fûtes.

Or, cette contradiction vivante est riche de promesses.

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Commencez par vous imaginer que vous ayez la chance, en cochant une seule grille de loto à six numéros, de décrocher le gros lot. Ne trouveriez-vous pas cela proprement merveilleux ? Pourtant, la probabilité qu'il en soit ainsi (1 sur 13 983 816 possibilités) est plus forte que celle qui vous permit d'accéder à l'existence. Car vous êtes issu( e ) d'un spermatozoïde champion qui, parmi trois cents millions de concurrents lancés à la conquête de l'ovule, a gagné le privilège de transmettre ses chromosomes, et de vous faire ce que vous êtes, vous et personne d'autre. En ce sens, votre identité tient du miracle. En ce sens, tout être humain est un gagnant à la loterie de la vie.

"Sur le bout de vos doigts, dans les sinuosités de vos empreintes digitales, je devine vos caractéristiques les plus secrètes.

Tout est inscrit jusque dans vos moindres fragments. J’y perçois même les gênes de vos ancêtres.

Dire qu'il a fallu que ces milliers de gens ne meurent pas trop jeunes. Qu'ils se séduisent, s'accouplent jusqu'à en arriver à votre naissance ! Aujourd'hui, j'ai l'impression de vous voir en face de moi. Non, ne souriez pas. Restez naturel. Laissez-moi lire plus profondén1ent en vous. Vous êtes bien plus que vous ne l'imaginez. Vous n’êtes pas simplement un nom et un prénom, dotés d'une histoire sociale. Vous êtes 71% d'eau claire, 18% de carbone, 4% d'azote, 0,5% de souffre, 0,5% de sodium, 0, 4% de chlore. Plus une bonne cuillerée à soupe d'oligo-éléments divers: magnésium, zinc, manganèse, cuivre, iode, nickel, brome, fluor, silicium. Plus encore une petite pincée de cobalt, aluminium, mo1ybdène, vanadium, plomb, étain, titane, bore. Voilà la recette de votre existence. Tous ces matériaux proviennent de la combustion des étoiles et on peut les trouver ailleurs que dans votre propre corps. Votre eau est similaire à celle du plus anodin des océans. Votre phosphore vous rend solidaire des allumettes. Votre chlore est identique à celui qui sert à désinfecter les piscines. Mais vous n'êtes pas que cela. Vous êtes une cathédrale chimique, un faramineux jeu de construction avec ses dosages, ses équilibres, ses mécanismes d'une complexité à peine concevable. Car vos molécules sont elles- mêmes constituées d'atomes, de particules, de quarks, de vide, le tout lié par des forces électromagnétiques, gravitationnelles, électroniques, d'une subtilité qui vous dépasse Alors, maintenant, installez-vous confortablement pour mieux lire. Tenez votre dos droit. Respirez calmement. Décontractez votre bouche. Ecoutez-moi ! Rien de ce qui vous entoure dans le temps et dans l'espace n'est inutile. Vous n'êtes pas inutile. Votre vie éphémère a un sens. Elle ne conduit pas à une impasse. Tout a un sens. Moi qui vous parle, tandis que vous me lisez, des asticots me dégustent. Que dis-

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je ? Je sers d'engrais à de jeunes pousses de cerfeuil très prometteuses... II est trop tard pour moi... II est trop tard pour moi, mais il n'est pas trop tard pour vous. Vous êtes bien installé ? Détendez vos muscles. Ne pensez plus à rien d'autre qu'à l'univers dans lequel vous n'êtes qu'une infime poussière.

Imaginez le temps accéléré. Pfout, vous naissez, éjecté de votre mère tel un vulgaire noyau de cerise. Tchac, tchac, vous vous empiffrez de milliers de plats multicolores, transformant du même coup quelques tonnes de végétaux et d'animaux en excréments. Paf vous êtes mort. Qu'avez-vous fait de votre vie ? Pas assez, sûrement. Agissez! F ailes quelque chose, de minuscule, peut-être, mais bon sang! Faites quelque chose de votre vie avant de mourir. Vous n'êtes pas né pour rien. Découvrez ce pour quoi vous êtes né. Quelle est votre infime mission ? Vous n'êtes pas né par hasard. Faites attention." Bernard Werber -Le jour des fourmis.

N'en doutez pas. Comme le monde lui-même, vous êtes un véritable miracle, et vous n'êtes pas né par hasard. Vous méritez donc ce qu'il y a de mieux.

Annexe: Srî Aurobindo, de la révolution à "l'abandon".

Aurobindo Ghose, plus communément appelé Sri (Ou Shri) Aurobindo, est né à Calcutta en 1872. Après une formation à l'occidentale qu'il poursuit dans les meilleurs collèges de Grande Bretagne, et où il révèle très tôt un talent de plume certain, Sri Aurobindo rentre dans son pays, et milite activement pour libérer l'Inde de l'emprise coloniale.

"C'est au milieu de ce bouillonnement extérieur, entre les meetings politiques et le journal à faire tomber tous les matins, et sous la menace constante de la police secrète, que le 30 décembre 1907, Srî Aurobindo rencontre un yogi du nom de Vishnou Bhaskar Lélé, qui devait lui apporter une expérience paradoxale dans sa vie déjà paradoxale. C'était la première fois que Srî Aurobindo rencontrait un yogi, du moins volontairement après treize années dans l'Inde! C'est dire assez qu'il se méfiait de l'ascétisme et des spiritualistes. La première question qu'il lui pose est d'ailleurs typique: je veux faire le yoga pour travailler, pour agir, non pour renoncer au monde ni pour le nirvana. La réponse de Lélé est étrange et mérite qu'on s'en souvienne: "Pour vous, ce ne devrait pas être très difficile, puisque vous êtes poète". Les deux hommes se retirent ensemble dans une chambre isolée pendant trois jours. Dès lors, le yoga de Srî Aurobindo va suivre une courbe imprévue qui semblera l'éloigner de

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l'action, mais seulement pour le conduire au secret de l'action et du changement du monde. Le premier résultat, écrit SrÎ Aurobindo, fut une série d'expériences extrêmement puissantes et de changements de conscience radicaux que Lélé n'avait jamais eus l'intention de me donner... et qui étaient tout à fait contraires à mes propres idées. Elles me firent voir le monde, avec une prodigieuse intensité, comme un jeu cinématographique de formes vacantes dans l'universalité impersonnelle de Absolu, Brahman. .. ...Quand je fus arrêté et emmené précipitamment au dépôt de Lai Bazar, ma foi fut ébranlée un moment, car je n'arrivais pas à pénétrer Ses intentions. J'étais troublé et m 'écriais vers Lui dans mon cœur: "Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Je croyais avoir pour mission de travailler pour mon pays et qu'aussi longtemps que le travail ne serait pas terminé, j'aurais Ta protection. Alors, pourquoi suis-je ici, et sous pareille inculpation ? ". Un jour passa, puis deux. Le troisième, une voix me vint du dedans: attends et regarde ". Lors, je de- vins calme et j'attendis. Je fus transféré de Lai Bazar à la prison d’Alipore et mis au secret pendant un mois. Là, j'attendis nuit et jour d'entendre la voix de Dieu en moi et de savoir ce qu'Il voulait que je fasse. Puis je me souvins qu'un mois avant mon arrestation, un appel intérieur m'était venu d'abandonner toute activité et de regarder en moi- même afin d'entrer en communion avec Lui. l'étais faible et ne pus accepter l'appel. Le travail que je faisais m'était cher; dans la fierté de mon cœur, je pensais que sans moi il souffrirait, ou même échouerait et serait perdu; je ne voulais pas le quitter. Il me sembla qu'Il me parlait encore et Il me disait: les liens que tu n'avais pas la force de briser, je les ai brisés pour toi, parce que ce n'était pas mon intention ni ma volonté que tu continues. l'ai autre chose pour toi et c'est pour cela que je t'ai amené moi-même, pour t'apprendre ce que tu ne pouvais pas apprendre par toi- même et t'entraÎner à mon Travail." Satprem -opus cité.

Intermède 1 : Le silence éternel des espaces infinis

"Pour mieux repérer ce sentier, il faut changer nos points de vue." Bernard Werber .

Les "intermèdes" sont autant d'exercices spirituels simples à accomplir. Ils s'inscrivent dans une pratique quotidienne, et ne réclament aucun "don" particulier. Ce ne sont pas des rituels magiques ou religieux. Aucune tenue spéciale, aucun objet de culte ne conditionne dès lors leur mise en oeuvre. Il arrivera cependant que je recommande, dans tel ou tel de ces exercices, l'emploi d'un minéral, d'une illustration, ou d'un objet quelconque. Il n'est nul besoin de consacrer ces ustensiles, par ailleurs non indispensables, puisque, répétons-le, ces pratIques ne sauraient être confondues avec un cérémonial. Seule, mon expérience, nourrIe de celle de tous ceux qui m'ont enseigné, m'incite à vous signaler tout ce qui en peut favoriser la réussite.

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La biffure qui oblitère le mot "réussite" n'est pas une erreur typographique. Elle a pour objet de nier l'emploi même de ce tenue, impropre à rendre compte de la destination véritable de tout ce qui se trouvera consigné dans les intermèdes des "Carnets de l'Adepte". Je n'en avais cependant pas d'autre à ma disposition. Car, comme nous le verrons plus loin, si le langage se révèle singulièrement inapte à remplir sa fonction première de communication dans de nombreuses circonstances de l'existence, il est par définition impuissant à signifier ce qui relève de l'ineffable.

Pour comprendre pourquoi "réussite" est inconvenant, il convient d'aller à contre courant de tous vos schémas de pensée, de tous les agrégats résistants du discours et de la logique que votre éducation à imprimés dans vos circuits neuronaux.

La clé de voûte du mode de penser occidental, c'est l'efficacité. Et il faut lui rendre cette justice : c'est avec constance qu'il s'est employé à garder ce cap, fût-ce par des voies détournées: l'alchimiste en quête de transmutation du vil plomb en or était (peut être) un rêveur, mais sa tentative de domination de la matière n'aura pas été vaine, puisque de l'athanor émerge au cours des siècles la compréhension physico-chimique progressive des structures du réel -et subséquemment, la possibilité de modifier cette structure.

L'efficacité est partout, et elle culmine dans la technique. Le culte matérialiste de la Raison elle- même n'est qu'un épiphénomène d'une volonté d'aboutir à toujours plus de fonctionnalité. Considérer, avec Hegel, que "tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel", c'est projeter cette préoccupation bien humaine sur l'univers tout entier (" Tout ce qui est rationnel est réer'). Pire, la seconde partie de cette proposition rejette purement et simplement dans le néant tout ce qui prétendrait s'échapper à la sphère de la rationalité. Enfin, last but not least, cette formulation donne caution au dogme orgueilleux et faustien de la connaissance scientifique: l'Univers étant rationnel, et la science ayant pour objet de décrypter progressivement ce que la raison peut penser, rien ne s'oppose, de ce point de Vlle, à ce que l'univers tout entier, dans ses manifestations si ce n'est dans son essence même, se dévoile totalement à notre compréhension un jour ou l'autre.

Toute l'éducation scolaire est fondée sur ce mythe qui enchaîne la connaissance à la réussite sociale : plus on apprend, plus on sait, plus on est mesure de réussir des examens qui ne sont rien d'autre que des contrôles du degré de savoir , et qui vous déclarent plus ou moins apte à exercer tel ou tel emploi. Réussir les exercices auxquels vous confronte l'examinateur vous donne de sérieux gages de vous situer plus haut Sur les barreaux de l'échelle sociale que vous ne pourriez l'espérer en cas d'échec.

Inconsciemment, nous attendons tous d'un "exercice" qu'il comporte une évaluation objective apte à déterminer s'il a été correctement effectué ou non. Inconsciemment,

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nous souhaitons être notés, jugés selon la valeur ou le mérite, reconnus par un diplôme, un grade, une mention, qui témoignera de cette reconnaissance à nos propres yeux et à ceux de nos semblables.

En abordant les "intermèdes", il vous faudra constamment faire l'effort de vous départir d'une semblable attente. Ne croyez pas que leur pratique assidue et consciencieuse sera payée en retour de je ne sais quelle "élévation spirituelle". Pour la bonne et simple raison qu'une telle "élévation" est une chimère savamment entretenue par des bricoleurs de l'occulte, qui tournent résolument le dos à cette quête.

"On ne s'élève pas quand on passe dans le nirvana on perce un trou, et on sort", Satprem -opus cité.

Sur les chemins de campagne de cette aventure, vous reconnaîtrez les véritables guides à ce que, jamais au grand jamais, ils ne vous entretiendront dans l'illusion d'une ascension où vous recueilleriez, étape après étape, quelques badges ou quelques signes distinctifs qui sigI1alent les vainqueurs. Ce n'est pas le tour de France, il n'y a pas de prune, et pas de maillot jaune. Les véritables guides ont pour seule mission de vous rappeler le chemin parcouru aux fins de vous encourager à poursuivre -vous offrir quelque gîte ou goûter au repos, et surtout vous préparer à ce qui vous attend, vous et personne d'autre, ce qui suppose qu'ils aient auparavant vécu les mêmes expériences, foulé eux-mêmes ces contrées où votre périple vous mène.

Que les mots sont rétifs: "chemin" en est l'exemple! Il induit à penser qu'il y aurait une "progression", un mouvement. Et on ne peut rien y faire! Tous nos schémas de pensée confondent de manière erronée vie et mouvement .

"i1 n'est pas du tout exact que la vie soit mouvement. Un manège de chevaux de bois n'est pas, pal" son mouvement, plus vivant qu'un arbre. Une auto va plus vite qu'une tortue, elle n'est pas, pour autant, plus vivante. Un yogi, assis en immobile contemplation, est aussi vivant, sinon plus, qu'un champion de course à pied." Vénérable Aryadeva -Paroles de Guru.

Non, on ne "progresse" pas. C'est une histoire de fous, plutôt: on se heurte violemment à des obstacles, toujours les mêmes, toute une vie durant. Il en résulte soit un fort mal de crâne, soit une "illumination" Ï1runédiate, spontanée, une "révélation" instantanée que les barrières ne sont rien d'autre que des purs produits de la pensée, laquelle révélation ne vient que si elle veut, n'étant nullement le résultat garanti de l'obstination méthodique avec laquelle vous entreprendrez de la conquérir .

" Une sensation terrible de quelque chose qui empêche de voir et de passer " on essaye de passer au travers et puis on est en présence d'un mur. Et alors on cogne, et on

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cogne, et on cogne et on ne passe pas, dit la Mère. Puis, à force de besoin, à force de vouloir et de n'en plus pouvoir de cet emprisonnement; la tension psychique, un jour, atteindra .s'on point de renversement et nous aurons l'expérience: la pression devient tellement grande, et l'intensité de la question tellement forte, que quelque chose bascule dans la conscience. Au lieu d'être dehors et de chercher à voir dedans, on est dedans, et de la minute où l'on est dedans, absolument tout change, complètement. Tout ce qui vous paraissait vrai, naturel, normal, réel, tangible, tout cela immédiatement vous paraît très grotesque, très drôle, très irréel, très absurde. Mais on a touché quelque chose qui est suprêmement vrai et éternellement beau; et cela, on ne le perd plus. Satprem -opus cité.

La lecture scientifique de l'univers nous enseigne que le monde est anthropique : l'énergie s'y conserve en quantité, mais se dégrade inexorablement en qualité; l'électricité, sa forme la plus pure et la plus efficiente, deviendra chaleur, créatrice de désordre, et tout travail suppose une déperdition énergétique. L'univers est semblable à un château de cartes qu'une pichenette détruira un jour ; son destin, c'est le chaos.

A l'inverse, la matière et la vie construisent pour exister des structures de plus en plus complexes on l'exprime en disant qu'elles sont néguentropiques. Ce sont elles qui érigent le château de cartes auquel je viens de faire allusion. Cette édification est un travail, qui augmente encore plus l'entropie de l'ensemble dans lequel elle s'inscrit.

Vie et mort, complexité croissante et retour à l'indistinction, sont indissolublement liés. Les exercices spirituels -tous, sans exception - transcendent ce cycle. Ils n'ont pas pour but de combattre ou de démolir le Mal puisque, comme vous le subodorez déjà, et comme je vous le confIrmerai prochainement, le Mal n'a pas d'existence, pas d'être propre, ce n'est qu'une illusion de plus. Ils n'ont pas non plus pour objet d'affirmer une personnalité, ou de favoriser le succès dans quelque domaine que ce soit. Ils embrassent tout à la fois la mort du factice et l'accession à la Réalité.

Cette accession à la Réalité, c'est ce que l'on appelle: la Grâce. La Grâce est labile, entendez par là qu'elle a pour propriété de se répandre partout. Pourquoi donc ne vous emplit-elle pas ?

Rien de plus labile que l'eau. Pourtant, impossible de la faire pénétrer dans un récipient hermétiquement bouché, dans un contenant sous vide ou au contraire rempli de béton compact carrelé sur ses faces; impossible de lui faire franchir des barrages érigés par la main de l'homme.

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Vous êtes -nous sommes -tel(le ). Vous êtes plein(e) de l'erreur qui vous fait confondre ce que vous croyez être, ce que vous vous efforcez d'être, ce que vous vous acharnez à être, et votre être véritable.

Cela, c'est le béton qui vous remplit, et vous vide de votre réalité. Par peur de la souffrance, vous avez enduit ce magma compact d'une solide couche d'impassibilité, que vous confondez à tort avec de la sérénité. Le tout est chapeauté d'un couvercle hermétique, l'intellect. Et comme vous ne tenez rien tant qu'à votre tranquillité, vous avez érigé tout autour de cette orgie de précautions de très hauts murs qui préservent votre intimité. En clair, vous avez obstrué tous les chemins qui conduisent au cœur , au centre de votre être. La Grâce ne demanderait pas mieux que de s'y frayer un chemin pour accomplir son oeuvre. Mais décidément, elle en est bien incapable! Vous avez réussi dans votre entreprise. Vous êtes parfaitement hermétique.

" Telle est la raison pour laquelle Dieu ne peut pas toujours nous accorder ce que nous lui demandons. Cela ne tient pas à lui, car il a mille fois plus hâte de nous donner que nous de recevoir. Mais nous lui faisons violence et tort en l'empêchant d'accomplir son opération naturelle par notre manque de préparation." Maître Eckhart -Les traités.

Les exercices spirituels ne construisent ni ne déconstruisent. Ils ne partent pas en guerre, ils ne seront pas cause qu'un jour proche ou lointain, vous puissiez tout d'abord goûter à quelques secondes d'éternité, et parvenir peut-être à la Félicité. Ce sont des balais, des brosses, des aspirateurs. Ils font place nette, ils désencombrent, ils jettent par les fenêtres, ils nettoient de la cave au grenier cette porcherie, ces écu- ries d'Augias que vous osez parfois qualifier de "Temple intérieur". Quand ce sera récuré, propre comme un sous neuf et vide de bric à brac, la Grâce viendra d'elle-même.

Mais attention, je le répète : c'est une entreprise, une "médecine de l'âme", qui ne comporte aucune garantie de succès. Comme toute thérapeutique, elle est tenue aux moyens, pas aux fins. Inutile de la convoquer au tribunal pour n'avoir pas donné les résultats escomptés. Le médecin peut être coupable de négligence, jamais de n'avoir pas su chasser l'affection mortelle ou bénigne, s'il est avéré que nonobstant un diagnostic juste et des prescriptions idoines, la maladie persiste ou ne fait qu'empirer. Vous voilà prévenu( e ) !

Ce long préambule au premier "exercice", valable pour tous les autres, m'a été dicté par les erreurs communes dans lesquelles j'ai vu s'égarer tant de voyageurs, qui

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s'adonnent à la quête comme à un sport, et s'en détournent si, dans un temps donné, elle ne leur a pas ouvert les portes du Sanctuaire.

Malgré ce, vous ne savez sans doute pas exacte- ment ce que sont les exercices spirituels, et en quoi ils pourraient bien vous venir en aide. Moi non plus, je le confesse.

Mais vous connaissez avec certitude ce qu'ils ne sont pas, ce à quoi ils ne servent pas. Vous éviterez ainsi de vous engager dans des voies sans issue. Vous ne vous croirez pas qualifié( e ) à devenir un( e ) saint( e ) ou un( e ) éveillé( e ). Vous aurez simplement accompli cette longue et lourde tâche qui a illuminé certains qui en sont devenus bien heureux. Le reste ne vous appartient pas.

Ces mises en garde connues de vous, vous pouvez tout aussi bien décider de vous en tenir là. Cette voie que je vous propose n'étant pas la vôtre, autant refermer tout de suite ce livre, et soit en réclamer le remboursement, soit en faire don à quelque bibliothèque, ou il trouvera peut être preneur . Dans le cas contraire, il est temps d'aborder le premier exercice spirituel.

Que va-t-il donc "balayer" ? Tout dépend de ce qui prédomine chez vous: soit le sentiment de vous trouver au centre de l'univers, d'être "important", constamment sous l’œil bienveillant de Dieu, d'être "appelé", d'avoir une mission à accomplir ; soit, au contraire, l'impression désespérante de n'avoir aucune place dans ce monde, aucun but, à l'image de l'univers lui-même, et de n'avoir d'autre fin réservée que de mourir sans savoir, sans doute parce qu'il n'y avait rien à comprendre.

Bien entendu, l'être humain se laissant facilement emporter au gré de ses humeurs et de ses émotions, vous êtes la proie de ces deux croyances, soit alternativement, soit et c'est le plus probable dans le même temps, et alors vous les mélangez, les dosages du mélange variant selon les circonstances.

Arrêtons-nous deux minutes. Examinons croyances à la lumière de nos connaissances.

Nous vivons de nos jours en moyenne 80 ans, mais l'espérance de vie augmente avec le temps. La limite, cependant, que les progrès conjugués de la médecine, de la nutrition et de l'hygiène demeureraient impuissants à repousser semble être de 120 ans. Va pour 120. Ce qui ne fait j aillais -si on exclut les années bissextiles -que 43 800 jours. Ainsi donc, un vieillard chenu qui aurait économisé un franc par jour de sa naissance à sa mort ne laisserait même pas à sa descendance de quoi s'acheter une voiture neuve. On comprend mieux l'agitation effrénée à laquelle se livrent les jouisseurs impénitents, les malades de la possession des richesses, et ceux qui veulent laisser une trace, voire une oeuvre, après eux, pour que persiste leur souvenir dans les

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générations futures : compte-tenu du peu de temps qu'il nous est donné de vivre, il n'y a effectivement aucune seconde à perdre.

Il y a environ quinze milliards d'années de cela, pour une raison indéterminée, une boule de matière et d'énergie infiniment dense et infiniment chaude explosa. Il en résulta l'univers que nous connaissons, qui depuis ne cesse de s'étendre et de se refroidir indéfiniment, à moins que le mouvement ne s'inverse, et que le "Big-Bang" initial soit suivi d'un "Big-Crunch " ( dans cette seconde hypothèse, l'univers trop "lourd" finit par s'effondrer sur lui-même, et par re- trouver son état initial, suivi peut-être d'un autre "Big- Bang"). Dénombrons les années, de l'âge optimal de l'homme d'abord, de celui de l'univers ensuite, en prenant pour convention qu'il vous faut une seconde pour énoncer un nombre. Combien de temps pour l'être humain ? 120 secondes, soit 2 minutes. Et pour l'univers ? 15 milliards de secondes, c'est à dire... plus de 30 631 ans. Plus de 250 vies de 120 ans mises bout à bout, consacrées exclusivement à compter, seraIent nécessaires pour réaliser cette litanie chantant année après année l'âge de l'univers.

Vous avez compris ? A l'échelle du temps, l'univers et l'être humain ne jouent pas dans la même cour. A cette aune, en effet, vous n'êtes même pas une goutte d'eau par rapport à toutes celles que contiennent tous les marécages, tous les fleuves et tous les océans du monde.

Le temps et l'espace sont liés, mais pour l'espace, c'est encore pire. Actuellement, la terre supporte peu ou prou 5 mi]liards d'hommes et de femmes ( elle en a hébergé environ 80 milliards depuis les origines). La terre est l'une des dix planètes qui pérégrinent autour du soleil. Le soleil est une étoile de dimension médiocre située non loin du centre d'une galaxie en forme de disque dont le diamètre est supérieur à 167 millions de milliards de kilomètres, et contenant pas moins de 200 milliards d'étoiles. Les galaxies se comptent par milliards, et sont séparées par des espaces incommensurables de vide stellaire. Et vous, en comparaison ? Laissez-moi vous dire que vous n'êtes pas grand chose. Bien moins qu'une puce sautillant à la surface d'une planète un million de fois plus grosse que la terre. Les deux considérations qui précèdent sont les épingles les plus efficaces que je connaisse pour dé- gonfler la baudruche de votre ego si elle incline à vouloir se faire aussi grosse que la grenouille de la fable. Et pour combattre ce travers que nous avons tous à draInatiser, en bien ou en mal, chaque événement de notre vie.

Modifions maintenant les points de vue, comme c'est notre liberté de pouvoir le faire. Il existe une théorie mathématique récente baptisée "théorie du chaos". Elle prétend qu'un battement d'ailes d'un papillon au-dessus de Tokyo peut être cause d'une bourrasque au-dessus de Los Angeles. Que faut-il entendre qui perce sous cette boutade simplificatrice ?

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Vous connaissez Napoléon, et Waterloo. Sur cette morne plaine où s'affrontaient les fidèles de l'empereur et les tenants de la restauration de la monarchie et leurs alliés, l'Aigle attendait impatiemment les renforts nécessaires de l'année du général Grouchy. Et ce fut Blücher, le général ennemi, qui se présenta. Mais la cause du retard de Grouchy, la sait-on ? Des conditions météorologiques épouvantables, des trombes d'eau qui se déversent et paralysent la marche des hommes et des bêtes. Il faut dire que quelques temps auparavant, un volcan des antipodes avait craché des tonnes de poussières emportées par les vents jusque chez nos voisins d'outre-Quiévrain. Ces poussières se sont agglutinées pour former des noyaux de condensation de la vapeur d'eau atmosphérique en quantité surabondante. Il en résulta des pluies conséquentes, et par ricochet le dernier carré, Cambronne et son célèbre mot, Sainte-Hélène, la fin d'un rêve de gloire. Un volcan australien qui rugit à l'autre bout du

monde, c'est sans doute plus impressionnant qu'un papillon qui bat de J'aile. Mais qui aurait pu supposer qu'il puisse mettre à genoux un empire européen ? Et c'est ainsi que la déroute du Petit Caporal illustre la récente théorie mathématique. Sous le désordre apparent qui semble désunir plutôt que lier les causes et les faits, les mathématiciens ont noté qu'un ordre sous-jacent pointe sous le chaos, qui n'est plus de ce fait une simple vacillation insensée. Si la turbulence bouleverse les systèmes ord n- nés, un excès de turbulence ramènera une structure nouvelle. Faites bouillir de l'eau: des remous et d s tourbillons apparaissent dans le liquide, qui devient de plus en plus agité, à tel point que le système frise le désordre le plus complet. Mais augmentez encore la chaleur de telle sorte qu'elle ne puisse se disperser assez rapidement. Elle va alors créer des courants de convection et le système quittera son état chaotique pour se transformer en un réseau de courants hexagonaux connu sous le nom de "cellules de Bénard".

Ainsi, le chaos physique crée un faisceau de con- vergences qui se concentre vers des points bien parti- culiers de l'espace que les hommes de science ont baptisé "les attracteurs étranges". Rendons grâce à l'humilité dont ils font preuve en reconnaissant de facto qu'ils n'en connaissent pas complètement l'essence et la raison d'être.

C'est le chaos qui présida à votre conception. Combien de battements d'ailes de papillons, grands ou petits, ont été nécessaires pour accoucher de votre individu ? D'innombrables! Citons, pêle-mêle, l'uni- vers lui-même, toutes les conditions réunies dès les premières secondes du "Big-Bang" pour que ce monde soit tel, l'inextricable foisonnement de paramètres qui ont permis l'éclosion de la vie sur terre, la reproduction sexuée, l'apparition de l'homo sapiens qui se détache de l'arbre des grands singes pour des raisons encore mal élucidées, la lignée de vos ancêtres en droite ligne des amibes, papa et maman qui se rencontrent et copulent tel jour, telle heure, le spermatozoïde vainqueur de la compétition. ..sans oublier, bien sûr, le volcan australien sans l'éruption du- quel l'histoire de l'Europe eut été changée.

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Où est l'attracteur étrange, là-dedans ? Ce n'est rien d'autre que vous! Par quelque bout que vous preniez le problème, tout converge vers vous, ne se- rait-ce que parce que vous posez la question, preuve de votre existence.

"Quoi qu'elle fasse, toute personne sur terre joue toujours le rôle principal de l'histoire du monde. Et normalement, elle n'en sait rien." Paulo CoeTho -L'alchimiste.

Quelle est la probabilité pour qu'un singe dactylo- graphe tapant au hasard sur les touches de sa ma- chine produise une réplique en tout point exacte du "Discours de la Méthode" ? Plus forte, sans doute, et tout bien considéré, que la probabilité que vous aviez de naître.

Il est là, le miracle! Dans l'ensemble des non causes qui produisent un effet. Dans l'improbabilité virtuelle qui devient une réalité tangible. Dans ces atomes contemporains de la création du monde qui s'or- donnent dans votre corps. Le miracle n'est pas d'être, mais d'être tout de même, alors que tant et tant de "chances" concouraient pour vous taire à jamais. Le miracle, c'est ce monde, cette Réalité, et votre Etre Réel. Tellement époustouflant que l'on comprend mal qu'il vous faille encore des verres teintés pour voir la vie en rose.

Voilà qui devrait vous redonner un sacré coup de remontant au moral les jours de grande déprime. Fin de l'exposé du premier "exercice spirituel".

Un exercice spirituel, où ça, demandez-vous ? Où sont les méditations des heures durant, le silice et l'ascèse, les levers dès potron-minet pour saluer le soleil, les respirations rythmées qui forgent l'âme et trempent les caractères ? Certes, certes, tout cela peut se révéler utile. A condition, toutefois, que ce ne soit pas un opium qui

"donne à l'homme un heureux oubli dont il a si peur quand il est appelé mort. Il en va de même pour les arrachements psychiques provoqués par les drames d'initiations, les masques, les sacrifices, les mutilations rituelles, les évanouissements, les pertes de conscience du corps lourd et limité, comme le retournement de la conscience obtenu par certaines sortes de contemplation. Tout cela, c'est de la science de mort." Vénérable Aryadeva -opus cité.

Mais enfin, réclamer ainsi des conditions contraignantes pour estampiller la pratique du label "spirituel", n'est-ce pas confondre les outils et le but poursuivi ? Faites sÎ1nplement l'effort, peu contraignant au demeurant au regard de toutes les mortifications que vous vous êtes sans doute déjà imposées, de lire quotidiennement comme un curé son bréviaire l'ex- posé de ce premier exercice, sans attention

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particulière. Au besoin, sortez souvent le soir quand le ciel est dégagé, arrêtez-vous un instant, et levez la tête vers les étoiles. C'est tout ce qu'il y a à faire. Un jour proche ou lointain, vous vous apercevrez que votre monde intérieur a changé. Vous ne serez plus égocentrique, sans être pour autant devenu( e ) nihiliste.

Aux yeux du monde, vous n'êtes rien. Mais c'est là le miracle. Ce rien n’a pas besoin de se parer d'atours pour affronter son créateur. D'ailleurs, on n'affronte pas son créateur, on lui fait de la place. Cette prise de conscience de votre infinie petitesse vous aide à accepter et le monde, et vous-même, tels que vous êtes. La réalité, rien que la réalité, sans les fards et les bijoux d'une existence prostituée qui se vend au plus offrant des rêves forcément un cauchemar . Votre peur qui vous commande -peur de ne pas paraître comme il sied, peur de perdre, peur de subir -se relativise, et puis elle disparaît, faute d'aliments pour l'entretenir . Loin de vous effrayer, le silence éternel que les espaces infinis. renvoient en écho à vos questions vous apaise. Ne me croyez pas sur paroles. Faites-le ! Dès aujourd'hui !

II - Ubik.

"La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d'homme. " Albert Camus.

Ce rien miraculeux, ce miracle du rien, cette improbabilité d'être devenue effective mérite ce qu'il y a de mieux. Telle est la pensée qui s'insinue en vous au fur et à mesure que vous relisez ce qui précède. Mais qu'y a-t-il de mieux ? Les "pouvoirs", le "surnaturel", les "visions" ? O, esprits enfantins, que cette image d'Epinal a pu traverser! Ne comprenez-vous pas que penser ainsi, c'est confondre une fois de plus la cohorte des figures grimaçantes de l'illusion, un théâtre d'ombres destiné à s'évanouir avec le temps, et le but ultime ?

"Ce soir, un nouveau venu s'est encadré dans la porte toujours grande ouverte sur la campagne. Sans âge, grand, très droit, imposant, un crâne puissant minutieusement rasé, un étrange regard perçant et impassible, partout on se retournerait sur lui. Il fascine et effraye en même temps.

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Il ne se prosterne pas devant Ramdas : à peine une salutation des mains jointes. Quelques mots d'un swami qui l'accompagne et le présente à Papa nous apprennent que c'est un yogi réputé qui s'insère dans une chaÎne d'initiés fameux et a lui-même plusieurs disciples. Il s'est assis au fond de la salle. Je ne peux détacher mon regard de lui et, pendant un moment, je me détourne de Ramdas. J'ai l'impression inquiétante que le pouvoir et la maÎtrise qui se dégagent de cet extraordinaire yogi ont une puissance qui manque à Papa, si simple, si souriant, si enfantin. La joie inépuisable, la paix, l'amour, bien sûr, bien sûr. Mais la connaissance et le contrôle des énergies subtiles, des forces qui traversent notre univers, les mondes intermédiaires dont parle toute la tradition de l'ésotérisme, l'éveil des possibilités latentes en l'homme, les pouvoirs transmis secrètement de maÎtre à disciple. Tout cela dont j'ai souvent entendu témoigner, je l'ai devant les yeux contenu en cet homme inhumain et surhumain. Un monde mystérieux et déroutant s'ouvre devant moi, auquel je ne pensais plus bien que j'en sache assez pour savoir qu'il existe. Et me voici face à face avec lui. Mais je ne peux regarder plus longtemps vers le fond de la salle. Il faut bien que je me tourne du côté de Papa. Ce que le vis me laissa le souffle coupé. C'était clair, évident, éclatant, lumineux : le venais de me détourner d'un rêve et l'avais l'éveil devant moi. Certes, le ne niais pas que ce yogi eut atteint un accomplissement fantastique. Mais dans le rêve, dans le rêve. Tous les plans occultes, qu'on les appelle astral, subtil ou causal, sont encore Maya. Oui nous dormons, nous dormons, et devant moi, rayonnant, sublime, Vérité, Joie, Amour, le petit vieillard édenté est éveillé. A côté de l'humble Ramdas, le grand Yogi, tout simplement, n'existait pas." Arnaud Desjardins -Ashrams.

Les "pouvoirs" ne sont que la manifestation d'une énergie -dont vous disposez tous en quantité suffisante -lorsqu'elle sait se focaliser sur un seul et uni- que but; le "surnaturel" devient chaque jour un peu plus la nonne quotidienne, grâce notamment aux pro- grès teclu1iques .et les "visions" proviennent des connexions inédites entre quelques neurones du cerveau réveillés d'un long sommeil et reliés entre eux. On ne "lit pas" l'avenir; on découvre parfois dans le présent -et c'est là aussi une grâce qui est accordée - des signes prédictifs.

"Je gagne ma vie en prévoyant l'avenir des gens, dit-il. Je connais la science des baguettes, et je sais comment les utiliser pour pénétrer dans cet espace où tout est déjà écrit. Là, je peux lire le passé, découvrir ce qui a été oublié, et comprendre les signes du présent. Quand les gens me consultent, je ne lis pas le futur: je le devine. Car le futur appartient à Dieu, et Lui seul le révèle, et seulement dans les occasions extraordinaires. Comment est-ce que j'arrive à deviner le futur ? Grâce aux signes du présent. C'est dans le présent que réside le secret." Paulo Coehlo -opus cité.

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En vérité, rien de tout ceci' ne mérite le terme de "miracle". Ce n'est qu'un potentiel donné dès votre naissance, qui est là, et qui n'attend plus que vous le mettiez en oeuvre. Ne le dédaignez pas, puisque vous êtes de tous temps destiné( e ) à accomplir en acte ce qui demeure en vous latent. Ne le surévaluez pas non plus. Si, vous adonnant à quelque entraînement sportif rigoureux, vous en arriviez à réaliser de tels progrès que ce que vous teniez hier encore pour un exploit soit devenu aujourd'hui réalité, tiendrez- vous pour miraculeuses ces performances qui vous eussent été interdites sans votre assiduité à l'effort ? Vous diriez simplement que vous avez employé la bonne recette pour y parvenir. Et bien sachez que tous les "pouvoirs" de clairvoyance et d'ubiquité ne sont qu' " une machinerie au second degré; c'est pourquoi d'ailleurs nous les aimons. Certes, le hatha-yoga a son efficacité, de même que toutes les méthodes plus ou moins yogiques qui consistent à fixer une chandelle allumée, (tratak), élaborer des diététiques infaillibles, faire des exercices respiratoires et s'étouffer scientifiquement (pranayama). Tout sert, tout peut servir. Mais ces méthodes ont le désavantage d'être longues et d'une portée limitée. En outre, elles sont toujours incertaines et parfois périlleuses quand elles sont maniées par des individus insuffisamment préparés ou purifiés il ne Suffit pas de vouloir le pouvoir, il faut que la machine ne craque pas quand elle reçoit le pouvoir; il ne suffit pas de "voir", il faut encore être prêt à comprendre ce que l'on voit." Satprem : opus cité.

En vérité, le "miracle" est ailleurs. Le miracle, c'est que :

" le Divin est plus proche de nous que nous le pensons...Quand nous avons déchiffré un seul de ces petits signes qui nous croisent, deviné une seule/ois l'imperceptible lien qui tient les choses, nous sommes plus près du grand Miracle que si nous avions touché la manne du ciel. Parce que le miracle, c'est peut-être que le Divin est naturel aussi. Mais nous ne sommes pas attentifs." Satprem : opus cité.

Hélas, nous ne le sommes pas ! certes pas ! Tâchez d'y remédier .

En prenant conscience de tout ce que fut accompli depuis vos premiers vagissements. Remarquez par quelles voies détournées la vie a fait de vous ce que vous êtes devenu(e) aujourd'hui. Même si vous n'êtes pas satisfait( e) de votre sort présent, ne ressentez-vous pas qu'il serait criminel de s'arrêter en chemin ? Périodiquement, les cellules qui constituent votre corps se renouvellent totalement. Vous restez vous- même, et pourtant, vous êtes autre. Effacez ce passé qui vous colle à la peau. Effacez l'ardoise d'un prétendu "Karma". Vous ne l'êtes "Une pâquerette très coquette disait à une violette: "c'est curieux, quand même, que je sois blanche et immaculée comparée à toi". La violette méprisante

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lui rétorqua: "c'est parce qu'on a oublié de te colorer et de te parfumer". Une vache qui passait par là et qui n'entendait pas tel langage les mit d'accord. Le karma, mes amis, n'est pas ce que vous pensez. " V énérable Aryadeva -opus cité.

Vous pouvez faire demain -et même en ce moment -pour vous-même et les autres, plus que vous n'avez fait toute votre vie durant. Changez votre mode de pensée, vous changerez le monde. Mettez-vous en route! On the road ! Again !

.Vous dites ? Le chemin est ardu, vous en ignorez l'issue, vous manquez de repères. Dame! Je sais bien tout cela! Je connais cette même incertitude sur la destination, les mêmes découragements devant la pente abrupte, et cette même angoisse qui étreint l'aventurier lorsque dans le blizzard, toutes bornes sont éclipsées par un manteau obscur . S'arrêter, c'est mourir. Continuer ? A dieu va ! Chaque pas est peut-être le dernier de nos actes : sous le manteau de neige, un précipice ne se dissimule-t-il pas ? Mais dans le premier cas, la mort est certaine, dans l'autre hypothétique.

Jouons donc le va-tout !

Pour le courage -ou l'inconscience -d'entreprendre l'ascension, j'en ai à revendre! Et c'est pourquoi je me sens autorisé -sur ce point tout au moins -a vous faire partager ma modeste expérience. Comme Sysiphe, chaque jour, je me suis retrouvé au bas de la montagne, un rocher devant moi, et j'ai chaque matin roulé ma pierre, aujourd'hui comme hier, aujourd'hui comme demain. On m'a dit bien souvent qu'il était imbécile de pousser devant moi cette charge incongrue, qui ne manquerait pas de dévaler la pente le soir venu, vouant ainsi à néant mes efforts quotidiens. J'ai souri en réponse, et de quoique qu'on m'ait alors traité, j'ai comparé ma tâche au labeur inutile de qui me tançait ainsi. Tout idiot que ça semble, j'ai choisi de rouler ma pierre, quand mes railleurs, trop souvent, ne font que subir leur vie. Et quand le découragement menace de m'envahir - songez donc, rouler ce bloc pour l'éternité vers un sommet qu'il n'atteindra sans doute jamais, sur une pente qu'il dévale à peine la nuit tombée, sans même savoir pourquoi -oui, quand le doute s'installe, et que je me sens prêt de rentrer dans le rang, de m'adonner à quelque occupation qui pourrait me donner l'illusion du progrès, de justifier mon existence, je répète un mantram évadé de ma mémoire : "Il faut imaginer Sysiphe heureux." Albert Camus -Le mythe de Sysiphe.

Pour le but, je diffère! J'esquisserai par ailleurs cette notion de vide, d'absence, de rien, à moins que ce ne soit le Plein, la Présence, le Tout, qui se tient immuable tout au bout

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du sentier. Présentement, je ne me sens pas la force de me hasarder dans un combat serré entre les mots et l'ineffable.

Mais si vous souhaitez dès à présent vous en faire une idée, rendez-vous chez un libraire et achetez, ou commandez, un livre de l'écrivain américain Philip K. Dick : "Ubik", format "poche" chez "J'ai Lu". Vous n'avez jamais entendu parler de ce mystique et de ce texte ? Pas étonnant. Ce n'est pas dans ce genre littéraire qu'on a coutume de le ranger, mais plutôt dans la catégorie "Science-fiction". Diantre! Se faire une "idée "du "but" (qui n'en est pas un) à travers un ouvrage de science-fiction, est- ce bien sérieux ? Et pourquoi ne le serait-ce pas ? La Sagesse est partout, il suffit de la voir .

Donc, Ubik est un roman de 250 pages qui, dans le format précité, comporte 17 chapitres. Son originalité, compte-tenu du "genre", c'est que chacun de ces chapitres s'ouvre sur un exergue. A la fin de la lecture de ce roman, on comprend en fait qu'il y a deux livres en un, et que la clé de sa compréhension du roman réside principalement dans les exergues.

Premier exergue :

"Les amis, tout doit disparaître ! Nous soldons la totalité de nos Ubiks électriques, silencieux, à des prix défiant toute concurrence. Oui, nous liquidons l'ensemble de nos articles. Et n'oubliez pas que tous les Ubiks de notre stock ont été utilisés conformément au mode d'emploi."

Second exergue :

"Le meilleur moyen de commander une bière, c'est de dire: Ubik. Fabriquée avec des houblons sélectionnés, de l'eau parfaitement pure, lentement vieillie afin d'acquérir une saveur parfaite, Ubik est le numéro un des bières de ce pays. Produite exclusivement à Cleveland."

Seizième exergue : " Dès le réveil, un plein bol de flocons Ubik, la céréale pour adultes, plus croustillante, plus délicieuse, plus nutritive.

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La céréale des petits déjeuners joyeux, exquise jusqu'à la dernière cuillerée ! Ne pas dépasser la portion conseillée pour un repas. "

Assez, dites-vous, c'est intolérable. Comment osez-vous vous moquer ainsi de nous ? Ces exergues ne sont rien d'autre que des parodies de publicité. Un peu de patience! Voici le dix-septième -et dernier -exergue.

"Je suis Ubik. Avant que l'univers soit, je suis. J'ai fait les soleil. J'ai fait les mondes. J'ai créé les êtres vivants et les lieux qu'ils habitent ; Je les y ai transportés, je les y ai placés. Ils vont où je veux, ils font ce que je dis. Je suis le mot et mon nom n'est jamais prononcé. Le nom qui n'est connu de personne. Je suis appelé Ubik, mais ce n'est pas mon nom. Je suis. Je serai toujours."

C'est on ne peut plus clair .Ubik est l'un des noms dont se pare le Principe Créateur , un Yahvé Adonaï de la consommation en quelque sorte. Et si on le rencontre aussi au détours de publicités qui vantent di- verses marchandises, cela nia rien qui doive vous étonner: le Principe Créateur, qu'on ne peut ni dire, ni définir- et donc son nom n'est connu de personne - est partout, en tous temps et en tous lieux, même là ou on ne l'attend pas (Ubik renvoie à ubiquité).

Le roman se termine sur cette phrase :

"Tout ne faisait que commencer."

C'est alors que l'on saisit instantanément que l'histoire narrée et les exergues sont imbriqués -deux livres, un seul et même t11ème -qu'on n'y avait rien compris tout au long des 249 premières pages, et qu'il ne reste plus qu'à reprendre cette lecture "au commencement" . Vous ferez de même le jour où vous rencontrerez l'illumination de la prise de conscience de l'impermanence de toutes choses, excepté Cela qui se révèle au travers et se reflète dans ce qui en émana -vous y compris. Ce jour là, vous serez bien obligé( e ) de relire votre vie pour en embrasser le sens . Je n'en dirai pas plus pour l'instant.

Pour borner le sentier, par contre, je réponds pré- sent, et plutôt deux fois qu'une! Je n'ai aucun mérite. J'ai croisé le chemin d'un être d'exception qui daigna baliser mes chemins de traverse.

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Il avait tout prévu, même les plus fortes tempêtes. J'ai conservé les cartes qu'il avait dressées, et les tracés des constellations, où des signes apparaissent quand la terre se dérobe à la vision. Je ne fais que transmettre. J'accomplis sa volonté.

C'est en ce sens que ce livre et ses suivants marqueront d'une pierre vos pérégrinations dans la Bibliothèque -je n'en suis plus à une contradiction prêt, après avoir recommandé de les livrer aux flammes, puisqu'il ne servaient à rien, voila que j'en fais maintenant l'éloge. C'est que les livres sont Comme les gurus. Si vous croyez qu'ils vont vous ajuster aux circonstances, vous libérer de l'extérieur, tuez tous les gurus et brûlez tous les livres. J'y reviens !

Car l'illumination libératrice ne se prescrit pas, ne se détermine pas; elle surgit de l'intérieur. Vous êtes le (la) seul(e) à pouvoir la réaliser. Mais rien ne vous interdit de vous y préparer . Rien ne vous interdit de réclamer de l'aide. Rien ne vous interdit d'emporter avec vous -c'est même recommandé -un Guide du Voyageur , un simple recueil de relevés topographiques, de cartes à l'échelle, de sentiers de randonnées, de bonnes adresses d'étapes.

Je n'ai pour ma part jamais rien écrit d'autre

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Intermède 2 : lâchez prise !

"Le lâcher dont il est question est un se confier. " Maître Eckhart.

Aucun texte, laissai-je entendre en préambule, n'est en mesure d'enseigner de manière pratique le " lâcher prise" . Il ne peut que décrire certaines conditions préalables qui y amènent progressivement, mais le "lâcher- prise", n'en doutez pas, est en fait une grâce. Le "lâcher prise" n'est jamais un acquis, on ne peut que s'y préparer.

Dans "Les Cahiers de l'Adepte" 8 & 9, je décris longuement une expérience vécue qui s'apparente au "lâcher prise". Pierre le Gitan m'avait demandé de trouver "ma place", et tous mes efforts pour y parvenir n'avaient abouti à rien. C'est seulement lorsque j'eus renoncé à la chercher qu'il me fut donné de la trouver .

Le "lâcher prise" est un proche parent du renoncement. On ne peut l'approcher qu'au moyen de métaphores, forcément impropres à en donner au lecteur une idée exacte.

Le meilleur exemple qui me vienne à l'esprit, c'est le "jeu de la corde".

Deux personnes, ou deux équipes, s'emparent chacune d'une extrémité d'une corde très solide, et tirent de toutes leurs forces. Le but du jeu, c'est de faire chuter l'adversaire. Si on admet que c'est là le seul objet de tant d'efforts, il est peut-être vain d'en déployer autant pour y parvenir . Tirez de toutes vos forces durant un laps de temps très court pendant que votre compétiteur en fait de même, puis, brutalement, lâchez la corde. Immanquablement, votre adversaire va chuter sur le derrière. C'est une loi physique ! Vous vous exclamerez que c'est "tricher". A "Intervilles", je ne doute pas que ce soit interdit, mais nous ne sommes pas dans un jeu télévisé !

Ce que je veux signifier par cet exemple, c'est que nous sommes sans cesse en conflit avec le monde, les autres, nous-mêmes, et toutes les pensées qui nous assaillent. Il arrive parfois que nous le regrettions, mais ces regrets ne sont rien d'autre que des larmes de crocodile. En fait, nous avons pris goût à ce jeu, tellement que nous nous y adonnons sans cesse automatiquement et inconsciemment. "Lâcher prise" revient à dire: "je ne joue plus".

"Lâcher suppose aussi l'abandon de l'idée pré- conçue selon laquelle tout devrait être tel que nous l'attendons, tel que nous le désirons. De sorte que l'idée préconçue d'une justice divine "compréhensible" (selon nous) aboutit à une déception et est toujours la cause d'une perte de la foi. Par conséquent, l'abandon de cette idée pré- conçue est la

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condition préalable d'une piété authentique. Celle-ci ne grandira que dans une acceptation de la vie telle que l'insondable destin nous la réserve, tout en admettant tout ce qui jaillit vers la lumière, malgré notre état conditionné. Parce que ce jaillissement est issu de la vie incommensurable, issu de l'Etre authentique inconditionné qui nous touche dans nos états psychiques et nos impulsions... En ce qui concerne l'attitude générale, "lâcher" signifie avant tout abandonner le centre de gravité situé en haut, qui emprisonne l'homme dans le cercle du "moi". Durckheim -Pratique de la voie intérieure.

Cet abandon du centre de gravité situé "en haut" peut être favorisé par un simple exercice respiratoire.

Oh, rassurez-vous, il n'est pas bien compliqué! Il ne comporte aucun rythme. Pas question de respirer sur deux temps, de retenir le souffle sur quatre et d'expirer sur six. Nous sommes là pour nous abandonner, pas pour nous transformer en comptables ou en métronomes. Personne n'a "inventé" cet exercice respiratoire, puisqu'il est tout sÎ1nplement consubstantiel de l'humanité. Il s'agit, en fait, de respirer "naturellement".

Olt est donc l'exercice, demandez-vous ? Dans le fait que, bien souvent, nous ne respirons pas ainsi ( ce qui est d'ailleurs dommageable pour notre santé). Les préoccupations, le stress, la "vitesse", tout cela concourt à bloquer cette respiration juste, celle que nous retrouvons automatiquement dans le sommeil.

Mais dès le réveil, le "moi" domine le corps. Il lui impose sa conduite au gré de ses humeurs. Respirer "naturellement", au contraire, c'est rendre au corps la pleine maîtrise de ses fonctions, c'est "admettre" que le corps échappe pour un temps à l'emprise de votre ego, qu'il cesse d'en être le jouet. Respirer naturelle- ment, c'est faire confiance au corps, en lui rendant sa liberté pleine et entière.

Lorsque votre ego domine votre corps, il bloque généralement l'expiration de l'air vicié. Sous la proie d'une émotion, par exemple, vous inspirez très rapidement, mais vous oubliez d'expirer complètement. C'est pourquoi, d'ailleurs, cela peut nuire à votre bien-être physique: vous retenez en vous le poison du gaz carbonique.

Donc, pour respirer "naturellement", il faut et il suffit de se retirer tout d'abord dans un endroit calme, de s'installer confortablement, et pendant deux à trois minutes, de respirer simplement, mais en veillant à pousser l'expiration à fond. C'est tout, dans un premier temps.

L'inspiration est un "faire", l'expiration un "admettre". En portant votre attention sur votre expiration, vous induisez une inversion des valeurs qui régissent votre vie: durant trois minutes, vous ne serez plus un être "volontaire", mais un observateur

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impartial et attentif de ce qui se fait, à votre insu, lorsque vous vous accordez le privilège de "décrocher" quelques instants.

Il n'est pas interdit -il est même recommandé -de veiller à respirer ainsi lorsque vous sentez monter en vous le trac, la souffrance, la timidité, ou toute autre sentiment perturbateur. La respiration naturelle a pour vertu de calmer le mental qui s'agite.

Progressivement, vous constaterez que vous respirerez de plus en plus souvent ainsi. Tout simplement parce que cette respiration vous donne du plaisir , et que nous sommes tous attirés par ce qui nous fait du bien.

Progressivement également, vous prendrez con- science que cette forme de respiration a pour effet quasi-immédiat de relativiser l'importance que vous prêtez aux incidents qui vous empoisonnent la vie. Votre chef de bureau vous agresse ? Respirez normalement, naturellement. Au lieu de vous emporter , vous restez calme. Et vous pensez finalement que cette péripétie ne doit pas vous gâcher la joie qui vous emplit lorsque vous réfléchissez au miracle que vous êtes, ce miracle qui mérite ce qu'il y a de mieux.

Sans le savoir, vous venez de "lâcher prise".

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III

La danse des voiles.

" Vivre, c'est lutter contre les démons du coeur et du cerveau. Ecrire, c'est prononcer sur soi le jugement dernier. "

Henrik Ibsen.

Mais écrire -ou tenter d'écrire -pour soi-même ou pour autrui revient à faire un choix.

Malheureusement, quelque route que l'on prenne, il semble bien que les efforts les plus méritoires soient condamnés à l'échec. Inutile de se leurrer: l'écriture est un exercice solitaire, et le lecteur hypot11étique n'est rien d'autre qu'un exutoire qui le justifie.

L'auteur veut-il favoriser une communication optimale entre son exposé et la compréhension que son lecteur est susceptible d'en avoir ? Il s'efforcera alors d'employer des tenues précis, si tant est que la précision même des mots soit autre chose qu'un leurre. Car tout spécialiste de la communication vous le dira, relayant en cela les multiples approches phénoménologiques de l'être humain: les mots ne portent pas les choses. Ou plutôt, les mots sont des signes dont on n'est pas bien sûr qu'ils ont, pour deux individus différents, la même signification. Ainsi, un même signifiant (un même mot), pourtant partagé par tous, pourra renvoyer à autant de signifiés (autant de sens) qu'il y a d'auditeurs, ou de lecteurs. Il peut même, tout simplement, n'évoquer rien. Plus les mots se télescopent, plus ils s'enchaînent comme wagons accrochés au tirant implacable de la locomotive d'un sens exclusif, et plus ils risquent de dérailler dans une totale indifférence. La raison en est simple: le signe, transcrit ou prononcé, ne saurait faire l'économie de la vie et de l'expérience individuelles de chacun. Sous l'écorce des mots, des coeurs palpitent, qui ont aimé, qui ont pleuré, qui ont souffert. Sous l'écorce des mots, il y a l'expérience.

Il SOUS les pavés, la plage" .Stricto sensu, cela ne veut rien dire. C'est le cri de révolte lancé en 68, qui fait tout d'abord référence aux pavés parisiens déterrés par les manifestants et utilisés comme projectiles contre les forces de l'ordre. C'est bien plus que cela : c'est l'espoir affirmé que la grisaille de la vie recouvre des plages de liberté aux sables dorés, et qu'il suffit de creuser la chape de l'hypocrisie pour retrouver dessous les rêves authentiques. Mais pour qui nia pas vécu la révolte étudiante qui embrasa Paris en mai de 68, " sous les pavés la plage" est vide de sens.

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Ainsi, je peux bien écrire ce que je veux; jamais, au grand jamais, je n'aurais accès aux images et aux émotions que cette prose, peut-être insipide pour certains (l'ennui est aussi une émotion), vous évoque. Or, la véritable communication réside dans le diapason des émotions.

On peut alors se tourner vers la forme poétique qu'on ne saurait définir, seulement désigner, et dont l'effet, qui ne peut être prédit par avance, est moins d'informer que de communiquer une émotion. Le discours rationnel se produit dans le calme propice à la rigueur et à la logique linéaire de son exposé univoque qui donne à penser; la poésie surgit de la fatigue, de l'ivresse, de la fièvre, de la distraction même qui suit une tension extrême, et du rêve. La richesse de son don est toute dans son expression plurivoque d'une autre forme de logique, une logique rayonnante, qui donne à voir et surtout à en- tendre puisque,

"La poésie ne prend son sexe qu'avec la voix. Comme le violon ne prend le sien qu'avec l'archet qui le touche." Léo Ferré.

A la lecture d'un texte poétique, l'oeil écoute. Un tel texte n'informe pas; il transforme, il transporte, il colore la pensée, il la rend plus obscure, plus étrange, plus lointaine, il enchaîne l'attention et porte à acquiescer. L'absence y est présence, la présence absence, la surprise s'y renouvelle sans cesse, le monde y prend chaque fois un nouveau sens presque magique.

Et alors, il arrive qu'en de très rares occasions :

"On entend, on ne cherche pas ,. on prend, on ne demande pas qu; donne. Tel un éclair, la pensée jaillit soudain avec une nécessité absolue, sans hésitation ni recherche. " Nietzsche.

Cependant, pour que l'art poétique éveille cette adhésion fulgurante, il faut bien entendu qu'une même sensibilité soit à l'oeuvre chez l'artiste et son contempteur. Ce qui est rarement le cas, et ne peut de toutes manières être prédit d'avance.

Ma forme d'expression usera ses souliers sur l'une et l'autre route. Mais principalement, je vagabonderai allègrement dans une troisième voie, le champ du symbole, pour mieux approcher l'objet de notre étude, une

"Singulière fortune où l'objet se déplace Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !! " Baudelaire -poème cité.

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Mon collègue et ami Emile Sentier s'étant déjà livré à une étude remarquable du symbolisme dans un livre qui mérite bien mieux que son titre (le pouvoir sorcier), je la reproduis ici sans presque rien y changer avec son aimable autorisation.

L'univers symbolique est sans doute le plus puis- saut qui soit. C'est l'espace où conjointement le psychisme humain brasse littéralement l'affectif, le désir, le raisonnable et le déraisonnable, le connu et 1'inconnaissable, la réalité concrète et le rêve, le juste et l'arbitraire, et tous les signes vecteurs de sens, sans pour cela qu'ils aient été nécessairement portés à votre connaissance. L'universalité de ces images archétypales est telle que des ethnologues ont pu remarquer que des esquimaux n'ayant jamais vu de serpents en rêvent cependant ( souvenir génétique d'une époque où le Pôle Nord était une fournaise ?).

Mais pour un même symbole, il y a non pas un, mais plusieurs sens possibles, qui constituent si l'on peut dire son " épaisseur". Ces sens divers se présenteront sous forme de strates et vous seront progressivement dévoilés.

"A l'origine, le symbole est un objet coupé en deux, fragments de céramique, de bois ou de métal. Deux personnes en gardent chacune une partie, deux hôtes, le créancier et le débiteur, deux pèlerins, deux êtres qui vont se séparer longtemps. ..En rapprochant les deux parties, ils re- connaîtront plus tard leurs liens d'hospitalité, leurs dettes, leur amitié. Les symboles étaient encore, chez les grecs de l'antiquité, des signes de reconnaissance qui permettaient aux parents de retrouver leurs enfants exposés. Par analogie, le mot s'est étendu aux jetons, qui accordent le droit de toucher soldes, indemnités ou vivres, à tout signe de ralliement, aux présages et aux conventions. Le Symbole sépare et met ensemble, il comporte les deux idées de séparation et de réunion ; il évoque une communauté qui a été divisée et qui peut se reformer. Tout symbole comporte une part de signe brisé: le sens du symbole se découvre dans ce qui est à la fois brisure et lien de ses termes sépares. .. Catégorie de la hauteur, le symbole est aussi une des catégories de l'invisible. Le déchiffrement des symboles nous conduit, pour reprendre les tern1es de Klee, vers les insondables profondeurs du souffle primordial, car le symbole annexe à l'image visible la part de l'invisible aperçue occultement." Jean Chevalier, Alain Gheerbrant -Dictionnaire des symboles.

La méditation sur les symboles ouvre l'esprit sur l'Infini, et permet réellement de réaliser le vieux rêve de tous les auteurs de science-fiction : changer de dimension. Elle déchiffre et maîtrise le destin de celui qui s'y adonne. Elle lit dans son inconscient avec une évidence absolue le désir et la crainte, l'ambition et la faiblesse, les potentialités et les névroses qui le structurent.

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"Le symbolisme est une donnée immédiate de la conscience totale, c'est à dire de l'homme qui se découvre comme tel, de l'homme qui prend conscience de sa position dans l'univers: ces découvertes primordiales sont liées de façon si organique à son drame que le même symbolisme détermine aussi bien l'activité de son subconscient que les plus nobles expressions de la vie spirituelle." Mircea Eliade -Traité d'histoire des religions.

Parce qu'il est ainsi "ouvert", le symbole ne peut se définir. Il brise littéralement les cadres rigides de l'ordonnancement raisonnable, pour tisser une toile d'araignée qui unit la Raison, l'Art et l'Amour sous toutes leurs formes. Les mots tentent de cerner le symbole sans jamais l'atteindre; seule la méditation ( c'est à dire une visualisation d'une notion abstraite) peut permettre un accès direct à l'énergie émotionnelle qui l'engendra, et qu'il incarne tout en la dissimulant, de même que notre corps est le réceptacle de notre esprit qu'il fixe ( au sens chimique du terme), exprime et masque tout à la fois.

"Les symboles révèlent en voilant et voilent en révélant." Georges Gurvitch.

Les symboles ne sont ni : * des emblèmes ( exemple: le drapeau d'un pays) ; * des attributs ( exemple: la balance est l'attribut de la justice) ; * des allégories ( exemple: la corne d'abondance est l'allégorie de la richesse) ; * des métaphores ( exemple: il pleut comme vache qui pisse) ; * des analogies ( exemple: la fureur des vents) ; * des paraboles ( exemple: les nombreuses paraboles christiques) ; * des symptômes ( exemple: d'une maladie) ; * des apologues ou des fables ; * des signes conventionnels ( exemple = qui traduit l'égalité en mathématiques). Ce point méritait d'être précisé, car la langage courant, à tort, emploie quelquefois le mot symbole pour les désig11er ( exemple d'utilisation abusive: les symboles mathématiques).

Le symbole est plus qu'un signe arbitraire. Ce n'est pas une convention. Il s'impose naturellement à l'esprit humain. Dans le symbole, il y a vraiment homogénéité entre l'objet et le sujet, le signifiant et le signifié. La convention arbitraire de l'emblème est close sur elle-même. Le symbole est évolutif, dynamique, affectif, en un mot: vivant.

"Le symbole peut être comparé à un cristal restituant différemment la lumière suivant la facette qui le reçoit. Et on peut encore dire qu'il est un être vivant, une parcelle de notre être en mouvement et en transformation. De sorte qu'à le contempler, à le saisir, comme objet de méditation, on contemple aussi la propre trajectoire qu'on s'apprête à

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suivre, on saisit la direction du mouvement dans lequel l'être est emporté." R. de Becker -Les machinations de la nuit.

Donc, qu'on ne confonde pas les symboles avec les images erratiques d'un cerveau malade. Le symbole est au-delà de la raison pure, et non pas en deçà. Chaque symbole est en lui-même un monde cohérent, et la profusion des sens multiples renvoie aussi bien aux humbles travaux des champs qu'aux cycles cosmiques. La logique dit "ou" de manière exclusive. Une porte est ouverte ou fermée, c'est le principe du tiers exclus. Le symbole inclut et réunit les polarités opposées: l'immanent et le transcendant, le ciel et la telle, l'eau et le feu, l'existence et la mort.

Le symbole reste donc le seul moyen d'exprimer l'ineffable qui par définition se refuse au discours. n agit comme un explorateur de l'univers supra humain. Il donne à voir ce qui ne peut se concevoir .

"Lorsque l'esprit entreprend l'exploration d'un symbole, il est amené à des idées qui se situent au-delà de ce que notre raison peut saisir. L'image de la roue peut, par exemple, nous suggérer le concept d'un soleil divin, mais à ce point notre raison est obligée de se déclarer incompétente, car l'homme est incapable de définir un être divin... C'est parce que d'innombrables choses se situent au-delà des limites de l'entendement h main que nous utilisons constamment des termes symboliques pour représenter des concepts que nous ne pouvons ni définir, ni comprendre pleinement." Jung -L'homme et ses symboles.

Parce qu'il est vivant, parce qu'il relève d'une expérience vécue de la transcendance, le symbole ne se laisse pas enfermer dans des classifications desséchantes. Il n'a de compte à rendre qu'au groupe (les archétypes) ou à l'individu, et non pas à quelque tentative d'archivage que ce soit. S'il se révèle opératif, il vit et il croît. S'il ne correspond pas ou ne correspond plus à l'imaginaire collectif ou individuel, il se dessèche et il meurt. Son existence est sa seule justification. La logique symbolique s'oppose donc à la logique mathématique en ce sens que sa cohérence dépend avant tout de sa fonctionnalité.

"Analyser intellectuellement un symbole, c'est peler un oignon pour trouver l'oignon. Le symbole ne saurait être appréhendé par réduction progressive à ce qui n'est pas lui; or il n'existe

qu'en vertu de l'insaisissable qui le fonde. La connaissance symbolique est une, indivisible, et ne peut être que par l'intuition de cette autre qu'elle signifie et cache à la fois."

Pierre Emmanuel -Etudes carrélitaines. Polarité du symbole.

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Grâce aux symboles, au-delà des apparences, il est donc possible d'aller à la rencontre de l'évidence immédiate.

Je m'efforcerai alors de ne pas choisir ou privilégier telle forme d'expression plutôt que telle autre, mais d'adapter le style aux circonstances, de le plier à l'intention du moment.

La majorité de mes lecteurs, tout comme moi- même, étant des occidentaux, il leur est tout d'abord nécessaire de comprendre avec leur intellect, d'ad- mettre avec la Raison ce qui leur est exposé, même si, au demeurant, c'est pour mieux réduire au fil du temps ce filtre qui déforme notre vision de la réalité. Dans ce cas, le discours linéaire, la prose la plus classique sera la plus appropriée. Le désir nous enchaîne à la roue des projections incessantes dans le passé et dans l'avenir .Il est l'obstacle majeur à notre premier objectif : goûter quelques secondes d'éternité. Il déclenche les émotions dont nous verrons dans le prochain "Carnet" à quel point il convient de s'en défier . Soit ! Mais ce n'est pas en le niant par des mortifications absurdes ou des contraintes excessives qu'on résoudra le problème qui ne ferait alors qu'empirer. Etouffer le désir revient à chauffer à blanc une chaudière en bouchant au préalable toutes les soupapes. C'est, finalement, retenir le désir en soi. Au lieu de se réunir au centre de son coeur, l'être explose littéralement, se fragmente en mille morceaux, s'enfonce dans la névrose et la schizophrénie. Il convient au contraire de laisser au désir toutes occasions de s'exprimer pour qu'il puisse mieux s'échapper, afin de s'en vider. L'expression des désirs, la transcription des émotions requière, sans nul doute, la forme poétique.

Quand le sens se dérobe, quand la réalité dont il convient de rendre compte n'est ni le fruit d'une perlaboration de la pensée, ni le produit d'une aspiration ou d'un émoi, quand ça se refuse à l'analyse intellectuelle, quand il est nécessaire de recollecter ici et maintenant des éléments dispersés dans le temps et l'espace, le discours symbolique brisera alors l'ordre apparent qui sépare tout ce qui doit être réuni.

C'est donc tour à tour -et parfois conjointement - que je convoquerai sur les pages des "Carnets" les outils de la logique, les humeurs de la passion, et la profusion des sens multiples qui s'annulent dans l’intuition immédiate d'une certitude aveuglante.

Bien souvent, je m'effacerai derrière des citations exactes puisées dans mes notes de lecture. Ce procédé, pour universitaire qu'il paraisse et agaçant qu'il soit, est une règle que je m'impose. je pourrais certes paraphraser bien des passages de bien des livres et m'en attribuer la paternité, mais un tel plagiat -outre qu'il n'échapperait pas à l'oeil avisé du lecteur averti - relèverait sans conteste de la pure malhonnêteté intellectuelle.

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Ne vous étonnez pas non plus si je répète sans cesse, sous des formes différentes, les même propos. Je suis un fervent partisan du dicton japonais qui postule : "toute chose peut acquérir une valeur religieuse, mais à la double condition d'être simple et de pouvoir être répétée.

Ce que nous concevons bien s'énonce clairement, mais justement: nous ne concevons pas bien ce qui nous est demandé, encore moins quelle en est la finalité, sans doute parce qu'il n'y a rien à concevoir. Et tous ces auteurs que j'appelle à la rescousse disent certes tous la même chose, mais de manière différente, selon leur sensibilité et leur propre vécu.

L'intérêt d'ajouter alors à ma propre prose de nombreuses citations se révèle bien vite: la profusion des témoignages augmente la probabilité d'entrer en sympathie avec l'un d'eux, parce qu'il aura su vous émou- voir, favorisant du même coup votre adhésion.

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Intermède 3 : les deux gouttes d’huile.

Essayez donc de goûter une symphonie de Mozart dans le même temps que vous regarderiez un film

"la connaissance de soi n'est rien d'autre que d'être conscient" Karl Marx.

"Faites attention", recommande Bernard Werber. "Nous ne sommes pas attentif', constate Satprem. "Tâchez d’y remédier", vous ai-je demandé.

Mais comment?

Tous les journalistes, tous les spécialistes de la communication, tous les rédacteurs de programmes informatiques vous le diront: la profusion excessive des informations revient à nier l'Information.

Pour notre bonheur -mais aussi pour notre malheur nous avons à notre disposition cinq sens qui ne cessent de nous Communiquer ce qu'ils perçoivent. Et il est rare que chacun de ces canaux réussisse pleinement dans sa mission, tant il est vrai que les quatre autres ne cessent de la perturber .

comique muet à la télévision. Vous n'arriverez ni à vous élever dans les hauteurs de l'extase musicale, ni à vous dérider. Ce que voit votre oeil contredit ce que votre oreille entend. C'est sans doute pour cette rai- son que les mélomanes s'adonnent à leur passion les yeux fermés.

Ils coupent le canal visuel pour mieux faire attention à ce qu'ils entendent.

L'attention, c'est d'abord s'efforcer de ne se préoccuper que d'une seule chose à la fois.

"Et pendant que je mange, je ne fais rien d'autre que manger. Quand je marcherai, je marcherai, c'est tout. Et s'il faut un jour me battre, n'importe quel jour en vaut un autre pour mourir. Parce que je ne vis ni dans mon passé, ni dans mon avenir. Je n'ai que le présent, et c'est lui seul qui m'intéresse. Si tu peux demeurer toujours dans le présent, alors tu seras un homme heureux. Tu comprendras que dans le désert, il y a de la vie, que le ciel a des étoiles, et que les guerriers se bat lent parce que c'est là quelque chose d'inhérent à la vie humaine. La vie sera alors une fête, un grand festival, parce qu'elle est toujours le moment que nous sommes en train de vivre, et cela seulement." Paulo Coehlo -opus cité.

L'attention est donc tout d'abord, elle aussi, une manifestation du fameux "ici et maintenant" .Mais si nous savons tous qu'un très jeune enfant peut se montrer

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exclusivement consacré à son jeu, si nous avons tous rencontré des personnes que l'on dit par- fois "dans la lune", tout simplement parce qu'elles sont tellement concentrées sur ce qu'elles font ou pensent qu'elles négligent de répondre à nos questions -elles ne les entendent pas -il nous est bien difficile de retrouver à volonté cette vertu, d'autant plus que toutes nos conditions de vie nous invitent à nous disperser entre diverses sollicitations.

La tâche se complique singulièrement du fait que non seulement les sens sont multiples, mais en plus ils sont trompeurs.

La vision est un exemple flagrant de ce que je viens d'énoncer. Prenez par exemple une photo d'un endroit que vous fréquentez quotidiennement, et que vous croyez bien connaître ce peut être une pièce de votre habitation. Contemplez cette photo: vous y découvrirez une foule de détails que votre oeil avait pourtant enregistrés, mais qu'il s'était bien gardé de communiquer à votre conscience. La photographie vous restitue l'en-soi de la pièce, la pièce telle qu'elle est, hors son environnement visuel (les autres pièces de la maison), sonore, olfactif, palpable et même gustatif s'il s'agit d'une cuisine, par exemple; hors les sentiments habituels qui vous habitent quand vous vous y trouvez, tout ce qui vous empêche en fait de voir cette pièce. Dès lors, pour devenir attentif(ve), il faut tout d'abord apprendre à dissocier. Et c'est pourquoi notre "exercice spirituel" s'y attachera premièrement.

Regardez attentivement cette illustration :

Selon le point de vue qu'adoptera votre oeil, vous pourrez y voir soit deux visages parfaitement symétriques, qui se font face ce sont en fait deux silhouettes noires soit un vase blanc.

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La première partie de votre "exercice spirituel" consiste à vous entraîner à voir alternativement et immédiatement à volonté soit les visages, soit le vase. Certaines personnes y arrivent du premier coup, d'autres ont plus de mal.

Vous vous demandez peut-être pourquoi il vous faut apprendre à devenir attentif(ve) ? Un jour ou l'autre, nous serons bien obligé d'aborder dans un intermède à venir dans un prochain carnet la méditation. Il vous sera demandé alors, progressivement, de vous concentrer sur une seule et unique pensée ou image. Cet exercice vous y prépare.

"L'attention, c'est le Grand Secret de la vie et de la mort, qu'on l'appelle vigilance, veille, concentration ou de bien d'autres noms grecs, latins, japonais, arabes ou sanskrits encore. Le yogi est un homme attentif Nous pressentons que nous pourrions l'être et que nous devrions l'être nous aussi. Mais attentifs à quoi ? Comme nous n'avons que des pressentiments et des indices, mais aucune certitude dont nous soyons assez convaincus, nous ne faisons pas d'effort d'attention suffisant et nous restons la proie du déroulement incessant de nos pensées que l'Inde compare à des singes fous et saouls, bondissant sans cesse et sans but de branche en branche -et des moments qui, de notre naissance à notre mort, se succèdent et nous engloutissent sans que nous y puissions rien, emprisonnés, aveugles, endormis et morts que nous sommes. Il Arnaud Desjardins -opus cité.

Mais l'apprentissage de la méditation n'est pas la seule raison.

L'attention vigilante est, dans la vie courante, une source de plénitude, l'un des secrets du bonheur.

"Certain négociant envoya son fils apprendre le Secret du Bonheur auprès du plus sage de tous les hommes. Le jeune garçon marcha quarante jours dans le désert avant d'arriver finalement devant un beau château, au sommet d'une montagne. C'était là que vivait le Sage dont il était en quête. Au lieu de rencontrer un saint homme, pourtant, notre héros entra dans une salle où se dé- ployait une activité intense: des marchands entraient et sortaient, des gens bavardaient dans un coin, un petit orchestre jouait de suaves mélodies, et il y avait une table chargée des mets les plus délicieux de cette région du monde. Le Sage parlait avec les uns et les autres, et le jeune homme du patienter deux heures durant avant que ne vînt enfin son tour.

Le Sage écouta attentivement le jeune homme lui expliquer le motif de sa visite, mais lui dit qu'il n'avait alors pas le temps de lui révéler le Secret du Bonheur. Et il lui suggéra de faire un tour de promenade dans le palais et de revenir le voir à deux heures de là. Cependant, je veux vous demander une faveur, ajouta le Sage en remettant au jeune homme une petite cuiller, dans laquelle il versa deux gouttes d'huile: "Tout au long de

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votre promenade, tenez cette cuiller à la main en faisant en sorte de ne pas renverser l'huile ". Le jeune homme commença à monter et descendre les escaliers du palais, en gardant toujours les yeux fixés sur la cuiller. Au bout de deux heures, il revint en présence du Sage. Alors, demanda celui-ci, avez-vous vu les tapisseries de Perse qui se trouvent dans ma salle à manger ? Avez-vous vu le parc que le Maître des Jardiniers a mis dix ans à créer ? Avez-vous remarqué les beaux parchemins de ma bibliothèque? Le jeune homme, confus, du avouer qu'il n'avait rien vu du tout. Son seul souci avait été de ne point renverser les gouttes d'huile que le Sage lui avait confiées. Eh bien, retourne faire connaissance des merveilles de mon univers, lui dit le Sage. On ne peut se fier à un homme si l'on ne connaît pas la maison qu'il habite. Plus rassuré maintenant, le jeune homme prit la cuiller et retourna se promener dans le palais, en prêtant attention, cette fois, à toutes les (L’oeuvres d'art qui étaient accrochées aux murs et aux plafonds. Il vit les jardins, les montagnes alentour, la délicatesse des fleurs, le raffinement avec lequel chacune des (L’oeuvres d'art était disposée à la place qui convenait. De retour auprès du Sage, il relata de façon détaillée tout ce qu'il avait vu. Mais où sont les deux gouttes d'huile que je t'avais confiées ? demanda le Sage. Le jeune homme, regardant alors la cuiller, constata qu'il les avait renversées. Eh bien, dit alors le Sage des Sages, c'est là le seul conseil que j'aie à te donner: le secret du bonheur est de regarder toutes les merveilles du monde, mais sans jamais oublier les deux gouttes d'huile dans la cuiller." Paulo Coehlo -opus cité.

Pour être parfaite, l'attention doit être tout à la fois analytique et synthétique -associative, si l'on préfère ce dernier terme. Dans la première partie de cet exercice, votre attention a analysé tour à tour les deux représentations qu'il était possible de voir dans le dessin. Nous allons maintenant associer ces deux sensations visuelles à des palpations.

Lorsque vous maîtrisez parfaitement la première partie de cet exercice, vous prenez dans votre main droite une tête d'améthystel. Efforcez-vous en même temps de sentir le contact de la pierre et de voir les deux visages. Passez la pierre dans votre main gauche, sentez-la au creux de votre paume, et voyez cette fois-ci le vase. Alternez de plus en plus rapide- ment.

Quand cette alternance ne vous fait plus problème, vous pouvez alors aborder la troisième et dernière partie de l'exercice. Rangez l'illustration, fermez les yeux au besoin, et prenez la pierre dans votre main droite. Serrez-la bien fort, jusqu'à ce que ce contact vous fasse apparaître en pensée

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l'image des deux visages. Passez à la main gauche: automatiquement, c'est le vase que vous devez visualiser . Répétez cet exercice jusqu'à sa complète réussite.

Lorsque l'on parle d'exercices spirituels, il convient toujours de les envisager sous deux aspects. Il y a l'exercice que l'on pratique à un certain moment de la journée, mais si ce n'était que cela, vous découperiez votre vie en tranches, ce que nous n'avons que trop tendance à faire, alors que nous cherchons à l'unifier. C'est pourquoi les exercices doivent se doubler d'une pratique dans la vie quotidienne. Ne regardez donc pas uniquement vos actions fussent-elles fort éloignées apparemment de votre quête -sous l'angle de son rapport au monde extérieur. Demandez-vous en quel sens elles peuvent également vous accomplir.

Si vous ne vous montrez pas attentif(ve), vous ne pourrez pas répondre à cette question. Mais si vous soumettez votre attention a une intention, une vole royale s'ouvre devant vous.

L'attention étant un acte volontaire semble s'opposer au "lâcher prise". Mais l'attention peut très bien se combiner avec l'intention de s'abandonner , comme l'illustre cette histoire.

"Longtemps, à l'oraison du soir, je fus placée devant une soeur qui avait une drôle de manie. .. Aussitôt que cette soeur était arrivée, elle se met- tait à faire un étrange petit bruit qui ressemblait à celui qu'on ferait en frottant deux coquillages l'un contre l'autre. Il n’y avait que moi qui m'en apercevais, car j'ai l'oreille extrêmement fine... Vous dire combien ce petit bruit me fatiguait, c'est chose impossible: j'avais grande envie de tourner la tête et de regarder la coupable qui, bien sûr, ne s'apercevait pas de son tic, c'était l'unique moyen de l'éclairer; mais au fond du coeur je sentais qu'il valait mieux souffrir cela pour l'amour du Bon Dieu et pour ne pas faire de peine à la soeur. Je restais donc tranquille, j'essayais de m'unir au Bon Dieu, d'oublier le petit bruit, tout était inutile, et j'étais obligée de faire simplement une oraison de souffrance, mais tout en souffrant, je cherchais le moyen de le faire non pas avec agacement, mais avec joie et paix, au moins dans l'intime de l'âme. Alors je tâchais d'aimer le petit bruit si désagréable; au lieu d'essayer de ne pas l'entendre (chose impossible) je mettais mon attention à le bien écouter, comme s'il eut été un ravissant concert. "

Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus -Manuscrits autobiographiques.

L'attention extrême de la religieuse sur le tic de la soeur a fait "lâcher prise" a son énervement, qui s'est alors transmué en ravissement.

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Tous les exercices spirituels que nous allons prochainement aborder seront peu ou prou des avatars de l'attention: attention à soi, attention aux autres, attention au monde enfin.

IV Objections, votre honneur !

"Le refus permanent et la plupart du temps inconscient que nous opposons aux choses, c'est précisé- ment ce que les voies religieuses nomment la volonté propre. A notre insu, nous aimerions sans arrêt re- faire le monde pour qu'il corresponde à nos désirs, à nos aspirations. Ce refus est tellement constant qu'il aurait fait dire à Maître Eckhart, alors qu'on lui demandait ce qui brûle en enfer: c'est le NON qui brûle en enfer." Véronique Loiseleur .

La variété des libellés de mes propos va se révéler singulièrement utile lorsqu'il s'agira dès à présent de débloquer les freins qui vous retiennent -autant d'objections, autant de refus de s'extraire de la gangue -et qui usent sans vergogne des ruses de l'intelligence (nous les débusquerons en faisant assaut de logique ), de la mauvaise foi des affects (nous la confondrons par l'émotion esthétique ), de l'attachement à une pensée unique (nous le délierons en en brisant les cadres), feignant d'ignorer que bien souvent, ces excuses commodes ont déjà été balayées dans ce qu'il vous fut déjà donné de lire (mais de même qu'il n'est pire sourd que celui qui ne sait pas entendre, pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, il n'est pire interprète mensonger des textes que 1'arapède de la personnalité qui s'accroche au rocher des habitudes ) .

Tous ces faux-fuyant seront exposés sous formes de questions que je vous prête -des interrogations que j'ai maintes fois entendues, celles, n'en doutez pas, que j'ai posées et pose encore moi-même, ayant tout comme vous en réserve un stock considérable de bonnes raisons de ne pas

"m'appeler à la guerre sainte dénoncer les ………traîtres que j’ai nourris. " René Daumal -La guerre sainte.

L'ordre même dans lequel ces questions interviennent ne renvoie nullement à une échelle de classe- ment de toutes ces échappatoires en considération de ce qu'il convient d'accomplir, tous ces "traîtres" sont également redoutables. Mais ce serait mentir que d'affirmer qu'il est purement aléatoire. Il témoigne de ma propre histoire -entendez par là que ces questions sont ici reprises dans l'ordre chronologique où elles me sont apparues pour faire obstacle à mon avancement.

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1 : ou il est question d’orgueil et de blasphème.

Je revendique haut et fort mon appartenance à l’une des trois grandes religions du livre, et je ne veux nullement y renoncer. Or , elles ont toutes en commun de prôner une faute originelle qui exclut tout commerce direct avec le créateur avant la mort. Prétendre, comme vous semblez le faire, que certains êtres d’exception ont réalisé « Dieux en eux » de leur vivant et que, à défaut que cette extase nous soit donnée , c’est la un encouragement à les prendre pour exemple,n’est-ce pas même blasphémer ?

Les religions du Livre s'appuient sur des textes dont le caractère symbolique n'échappera à personne. Par ailleurs, le plus souvent, nous ne les lisons pas dans leur langue même, mais dans des traductions ou même des traductions de traductions déformantes.

Serions-nous même en mesure de lire les textes originaux qu'il n'est pas du tout certain que cela nous autorise l'accès à la rectitude et à la force des principes qui les gouverne.

Il existe en fait autant de niveaux de lecture de la Bible, des Evangiles ou du Coran que l'on peut dénombrer d'herméneutes s'étant attelés à cette tâche. Mais pour simplifier, disons que certaines interprétations sont exotériques elles prennent le texte au pied de la lettre , alors que d'autres seront qualifiées d'ésotériques elles explorent la parabole, l'illustration ou le récit pour mettre à jour les mystères (au sens de son origine étymologique, mustérion : ce qui initie, ce que savent les initiés) voilés dans la révélation, dévoilés dans l'obscurité.

Judaïsme, christianisme et Islam s'accordent à dire que le péché originel, c'est la connaissance ( de l'arbre du Bien et du Mal). Ce n'est d'ailleurs pas la Connaissance en soi qui est ici en cause, mais sa perversion orgueilleuse et intellectuelle qui nous éloigne de Dieu, qui nous empêche de contempler Sa Face, qui nous empêche tout simplement de vivre. "Ce qui est défendu, ce n'est pas le savoir, c'est la déification de l'intelligence. Le premier des intellectuels, c'est Lucifer. Il porte vraiment une lumière. Mais elle est glacée par l'orgueil; elle se meurt de la volupté d'être seule, et elle ressuscite sans cesse par une volonté tenace de domination. L'archange déchu est l'idéal de ceux que la force de leur pensée enivre: il fut créé pour la Vie et il en préféra l'image inversée, parce que dans celle- ci il règne, tandis que dans celle-là il lui faudrait servir." Sédir -Les forces mystiques et la conduite de la vIe.

La condamnation est -elle pour autant sans rémission, et ce pour l'humanité entière ? Les portes du jardin d'Eden nous sont-elles irrémédiablement closes tant que nous endosserons un manteau de chair ?

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Le christianisme répond très clairement par la négative à cette question. Jésus institue le baptême qui lave du péché originel; il meurt sur la croix pour racheter l'humanité souffrante; il enseigne à ses disciples que " le royaume des cieux est au-dedans de vous", et que ce royaume est contemporain de l'existence ; il invite enfin à le suivre, c'est à dire à réaliser l'état de Christ, un mot qui signifie "l'oint du Seigneur" Et ce n'est pas une impossibilité d'y parvenir "durant ce siècle présent", si l'on en croit Origène, qui commente ainsi le récit de la création :

"Et c'est un soir, et c'est un matin. L 'homme vit dans un soir continuel jusqu'à ce que vienne le matin... Au cours de ce soir soyez vigilants... Vous vous réjouirez au matin, si durant ce siècle pré- sent vous recueillez dans les pleurs et la peine les fruits de justice." Origène -Homélie Sur Rebecca.

L'orthodoxie juive aura plus de peine à me suivre sur ce terrain, dans la mesure où selon elle, la promesse messianique n'a pas encore été historiquement réalisée. Cependant, il convient de noter qu'elle identifie les quatre fleuves qui sortent du jardin d'Eden avec les deux Nils, le Tigre et l'Euphrate, indiquant bien que ce paradis-là se trouve sur terre, et nulle part ailleurs. Elle s'aventure certains diront parfois qu'elle s'égare -dans les méandres de la kabbale ; or la finalité ultime de la méditation sur les 22 lettres n'est rien d'autre que l'extase mystique, la fusion réalisée avec le Principe Unique qui se trouve au-delà de l'apparence des formes. Pour au moins un personnage d'exception, Moïse, elle transgresse l'interdit de la contemplation directe de Yahvé. Enfin, il ne me semble pas exagéré de donner quelque crédit à la thèse suivante :

"Quand la Bible dit: "On ne peut voir Dieu en face et continuer à vivre", elle indique bien qu'en face de Dieu, l'individu ne peut subsister." Arnaud Desjardins -opus cité.

Il me sera moins aisé de traiter de l'Islam, que je connais moins bien que la tradition judéo-chrétienne. Cependant, il ne m'échappe pas que dans cette troisième voie également, le vrai croyant n'a d'autre mission que de parfaire en lui-même cette réplique, puisqu'il est

"un reflet de Dieu, et la réplique ressemble à la personne... L'univers est un ensemble de miroirs dans lesquels l'Essence infinie se contemple sous de multiples formes ou qui reflètent à divers de- grés l'irradiation de l'Etre unique. "

Djalal-ud-Dîn Rûmi, mystique musulman, fondateur de l'ordre des derviches tourneurs.

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"toutes les créatures, jour et nuit, révèlent Allah, mais certaines d'entre elles savent qu'elles le révèlent tandis que d'autres ne le savent pas". Fîhi-mâ-fillÎ -traduction Eva Meyerovitch.

Où se situe Allah ? Ni au ciel, ni sur la terre, mais dans le coeur de l'homme.

"Dans la goutte de sang du cour est tombé le joyau qu’Allah n'a donné ni aux océans, ni aux cieux, le joyau de sa connaissance et de sa lumière... L 'homme parfait est, sur terre, le lieu de l'irradiation divine la plus complète." Abolosi.

La perfection est donc bien une possibilité effective en ce monde, si l'on sait retrouver et ouvrir l'écrin qui contient ce joyau.

Ainsi donc, il n'est ni incompatible avec une pratique religieuse, ni orgueilleux, ni blasphématoire, de prétendre avec l'Inde que tout en n'étant pas "de ce monde", la perfection est "de cette vie". C'est même tout le contraire! Toute pratique des rituels religieux, quels qu'ils soient, ne sont que lettre morte, ostentation et récitation de perroquet si, dans le même temps, elle ne fait pas sienne et de manière quasi obsessionnelle la recherche de tous les grands mystiques. celle de

Il la meilleure et plus haute vertu par quoi l'homme peut le mieux et le plus étroitement s'unir à Dieu. Je l'ai cherchée avec sérieux et de tout mon zèle, et je ne trouve rien que ceci: le pur détachement est au-dessus de toutes choses, car toutes les vertus ont quelque peu en vue la créature alors que le détachement est affranchi de toutes les créatures... Et l'homme qui demeure ainsi dans un total détachement est tellement emporté dans l'éternité que rien d'éphémère ne peut l'émouvoir."

Maître Eckhart -opus cité.

2 : ou il est question d’effort et de « lâcher prise »

Tous les textes mystiques s’accordent pour dire que le renoncement, l’abandon, « le lâcher prise » sont la voie la plus sure et la plus unique pour parvenir à l’Absolu. Dans le même temps, ils regorgent d’incitations à se montrer vigilantes et à redoubler d’efforts.

Tant que cette contradiction n’est pas résolue, tant que je ne sais si je dois m’abandonner ou au contraire me tenir prêt, tant que je ne connais pas la nature des « efforts » qui me sont demandés , ni même si on m’en réclame, que puis-je faire ? Rien, si vous envisagez ce paradoxe sous cet angle. Mais il n'y a pas de contradiction. C'est encore et toujours le même piège que nous tend le langage.

L'effort est généralement perçu comme la condition d'un travail dont le but est de créer quelque chose de nouveau. Mais ici, il n'y a rien à créer qui soit en projet, le but est

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déjà là, quoiqu'il soit au-delà de la cause et de l'effet. Cependant, l'abandon ne nous étant pas naturel, il nous faut bien faire des efforts pour le (re)trouver. Ces efforts sont requis le long de

"deux lignes qui vont de pair et se renforcent l'une l'autre: pour créer l'instrument de la libé- ration et pour écarter l'écran de sommeil qui nous sépare du Self éternellement présent, comme les nuages cachent le soleil mais ne l'empêchent pas de briller. Ainsi, il y a bien quelque chose à créer, mais ce n 'est pas le résultat, c'est le moyen: la possibilité que nous n'avons pas aujourd'hui de réunir toutes nos énergies dans la même direction...

S'il n'y a rien à créer, il n'y a rien non plus à détruire de réel pour que tombe le voile de l'hypnotisme (maya) empêchant en nous le contact avec ce qui est là de toute éternité. L'ego avec ses désirs et ses répulsions n'a aucune réalité: ...il disparaît à la lumière de la Conscience." Arnaud Desjardins -opus cité.

3 : ou il est question de renoncement de béatitude et d’égoïsme.

Le renoncement que maître Eckhart présente comme la vertu par excellente, la Béatitude qui semble être des voies du cœur, ne sont-ils pas au contraire une des dernières ruses de l’égoïsme, un repli sur soi, un « cocooning » qui se pare des traits du mysticisme ?

Ce peut l'être, mais :

"Je l'ai déjà dit bien des fois: si quelqu'un était dans un ravissement comme saint Paul et savait qu'un malade attend pour qu 'il lui porte un peu de soupe, je tiendrais pour bien préférable que, par amour, tu sortes de ton ravissement et serves le nécessiteux dans un plus grand amour." Maître Eck1lart -opus cité.

Le cheminement vers le centre de l'être pour y re- trouver le joyau qui y fut déposé n'entraîne pas l'insensibilité. C'est même tout le contraire, puisqu'il développe la compassion, c'est à dire la sensation intime de tout ce que soufflent nos semblables. Et la compassion commande d'agir et d'intervenir , quand le besoin s'en fait sentir .

4.ou il est question de mauvaises odeurs.

Je me suis déjà par le passé, efforcé d’y voir clair en moi,de nettoyer, selon votre expression,mes « écuries d’Augias ». J’ai pratiqué souvent mon « examen de conscience ». Cette plongée en moi même m’a littéralement terrifié(e) et dégoûté(e) à cause de ce qu’elle m’a révélé sur les faces cachées de ma personnalité, et je n’ai pas poursuivi plus avant cette expérience traumatisante. Est-ce que je cours le même risque ? comment surmonter cette répulsion ?

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Ce n'est pas un risque que vous courez, c'est une certitude que vous serez confronté(e) à semblable mésaventure. Car :

" Une mare pleine d'immondices dégage son odeur la plus agressive au moment où on la récure. Bien des ordures qui gisaient cachées dans les profondeurs présentent l'aspect le plus repoussant quand elles sont remontées au grand jour. L'étendue et l'épaisseur de la saleté ne se mesurent que lorsqu'on nettoie." Arnaud Desjardins -opus cité.

Et vous n'êtes pas obligé( e ), effectivement, d'entreprendre dès ce jour une tâche aussi peu ragoûtante. Seulement, réfléchissez. Ce n'est pas parce que vous ne vous collerez pas le nez sur toute cette saleté qu'elle va cesser d'exister. Que diriez-vous d'un homme qui, pour ignorer le dépôt d'ordures qui jouxte son habitation, condamne portes et fenêtres, et s'empêche de respirer quand un vent contraire insinue les effluves nauséabondes entre les interstices ? Plutôt que d'endurer sans fin un tel calvaire -privation de soleil, privation de lumière, privation de souffle ne se trouverait-il pas mieux, quitte à s'en rendre malade durant un temps donné, de prendre une bonne fois pour toutes le problème à bras le corps et déblayer ces immondices ? On peut, bien entendu, sans cesse remettre à de- main cette tâche, pour peu qu'on accepte de contraindre sa liberté et de composer avec l'inacceptable. Et puis, un jour, la mort survient, et tous les embaumements du monde, tous les parfums mortuaires ne pourront tromper la balance dévolue à la pesée des âmes. La crasse est là, dans le plateau, et cette fois- ci, il n'y a plus d'échappatoire possible. Vous êtes nu(e) et aussi désarmé qu'au jour de votre naissance. Aucun masque, aucune barrière ne peuvent plus re- pousser sa pestilence.

Dans ce monde ou dans l'autre, vous n'y échapperez pas. Dans ce monde, vous pourrez espérer, si vous surmontez l'épreuve, recouvrer la pureté; dans l'autre, vous ne pourrez que subir la sanction: l'enfer de devoir vivre plus ou moins longtemps en compagnie de votre puanteur, sans aucun artifice qui puisse en atténuer l'effet.

5 : ou il est question d’indignité. Malgré tous ce que vous venez de dire, je ne me sens ni capable, ni digne d’entreprendre ce que vous proposez. Je peux peut être apprendre à supporter « ma puanteur », mais comment ne pourrait-elle pas éloigner Dieu de moi ?

Comme mère Thérésa a trouvé sa voie au milieu des chiffonniers du Caire vivant dans les immondices des décharges publiques -certains étant de fieffés brigands -Dieu est partout; il n'a pas les narines délicates.

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"L 'homme ne doit aucunement se croire jamais loin de Dieu, ni à cause d'une faute ou d'une faiblesse, ni à cause de quoi que ce soit. Et même si tes grandes fautes t'avaient chassé si loin que tu ne puisses te considérer comme proche de Dieu, tu dois cependant admettre qu'il est près de toi. Car c'est un grand préjudice pour l'homme de se croire loin de Dieu; que l'homme chemine loin ou près, Dieu n'est jamais loin ; il reste constamment proche, et s'il ne peut rester à l'intérieur, il ne va pas plus loin que devant la porte." Maître Eckhart -opus cité.

Toute votre erreur vient de ce que vous vous jugez indigne ou incapable à l'aune de ce que vous êtes actuellement, ou de ce que vous croyez être. Loin d'être un jugement sévère, cette croyance n'est rien d'autre qu'une ruse de votre complaisance envers vous même. En marge des jeux olympiques "officiels", se tiennent des compétitions où s'affrontent des handicapés. C'est ainsi que l'on voit des hommes et des femmes paralysés des membres inférieurs rivaliser de vitesse dans une piscine.

S'ils s'étaient arrêtés sur leur handicap, si, compte tenu des circonstances, ces sportifs avaient décidé qu'ils n'étaient pas capables d'affronter ce qui leur est échu, de "faire avec", ils se seraient interdits à tout jamais la joie de pouvoir surpasser leur condition. Rien n'est jamais perdu. Personne n'est indigne. Personne n'est incapable.

Par le seul fait de vous libérer de cette croyance, de voir ce qui se cache derrière, vous allez éveiller en vous

"toute une gamme de facultés latentes et de forces invisibles qui débordent considérablement les possibilités de notre être extérieur et qui peuvent faire pour nous ce ,que nous sommes normalement incapables de faire." Satprem -opus cité.

6 : ou il est question de « déjà vu » ou « déjà lu »

j’ai lu avec attention tout ce qui précède. Franchement vous ne m’apportez rien de neuf. J’ai l’impression d’avoir déjà lu la même chose sur des dizaines de fois, sous des formes différentes, peut être. Et je n’en suis pas plus avancé pour autant . Finalement, n’aviez vous pas raison lorsque vous écriviez au tout début : « ce livre , comme tous les livres, ne sert a rien. ? »

D'une certaine façon, vous dites vrai : "Tout a déjà été dit, été vécu. Mais c'est la façon de le dire, de le vivre qui est perdue. Alors, tout doit être redit et revécu, mais selon une nouvelle façon." Vénérable Aryadeva -opus cité.

Et que ce soit clair : je n'ai jamais prétendu faire oeuvre originale. J'en veux pour preuve le nombre d'auteurs que je convoque pour appuyer ma pensée et étayer mes dires.

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Vous êtes intellectuellement familier de tout ce que j'expose, je n'en doute pas, mais... l'avez-vous sérieusement mis en pratique ?

"Qui a pu descendre aux cryptes du Dekkan, lire l'Y -King, parler aux dignitaires de Bénarès ou aux illuminés de Roum, de Médine ou de Fez, a vu que tous les signes, tous les schémas et tous les caractères disent la même chose: que le cabinet de réflexion maçonnique, l'Imitation de Jésus Christ, les règles des ordres contemplatifs promulguent un même précepte. Et cet axiome fondamental, unique, universel, s'énonce: charité, humilité, prière. Mais qu'on le déchiffre en français, en sanscrit, en hébreu, en parvi, ou en quelqu'un des mille idiomes initiatiques, on pense : oui, je connais cela; et on passe à la page suivante. Soyons raisonnable. L'Evangile nous semble trop enfantin ? Commençons à réduire en actes ses conseils si simples ,. nous constaterons bientôt qu'il n’y a pas de besogne plus absorbante ,. et nous n'aurons plus le temps de discuter pour sa- voir si le Logos est triple ou septuple. Nous ne comprenons pas la transsubstantation ? Allons d'abord à notre ennemi, tendons-lui la main, invitons le à notre table, en mémoire de ce Jésus aux paroles si peu savantes ,. ensuite, nous comprendrons. "

Sédir -opus cité.

7- ou il est question de la peur d’entreprendre.

Deux tendances se livrent en moi un combat sans merci. Quand je referme des livres comme celui ci je suis convaincu que ma vie n’aura pas de sens si je ne me mets pas en route, quoique ce terme soit impropre. Mais au moment de passer a l’acte, la peur

D’échouer me paralyse littéralement et je renonce. Comment surmonter cette peur ?

Je pourrais tout d'abord répondre que cette peur d'échouer n'a pas de raison d'être, puisqu'il n'y a rien à réussir, mais ce serait une réponse un peu facile, et je doute qu'elle soit de nature à dompter cette crainte profondément enracinée. La peur est là, faisons avec. Elle a d'ailleurs sa raison d'être, car :

"La carrière d'un bateau n'est jamais sans tempête." V énérable Aryadeva -opus cité.

Et reconnaissons que s'il n'y a pas de but, il y a bien quelque chose à "entreprendre", il y a bien un "voyage" à faire (cf. question 2).

La peur de "l'échec" qui interdit d'oser demander ou agir est commune à bien des personnes. Elle n'est cependant rien d'autre qu'une pure création du mental. Que se

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cache-t-il derrière cette peur ? Une évaluation erronée d'une souffrance possible. Donnons- en un exemple concret.

Soit un jeune homme timide qui se meurt d'amour pour une jeune fille, sans cependant oser le lui déclarer, de crainte d'une rebuffade toujours possible. D'un simple point de vue logique, ce comportement est aberrant. En admettant, en effet, qu'une réponse positive ou négative de l'aimée tienne au seul hasard, le jeune homme a une chance sur deux de voir son rêve aboutir en faisant part de ses sentiments, et aucune en les taisant. Même si on ne gagne pas à tous les coups, comme l'énonce la lapalissade publicitaire d'une loterie: " 100% des gagnants ont tenté leur chance."

Bien entendu, dans la vie, rien n'est jamais le fait du seul hasard. S'il se montre timide, c'est sans doute que notre amoureux a par le passé vécu douloureusement d'autres refus, ou bien qu'il a une piètre opinion de lui-même qui l'induit à conclure qu'on ne saurait 1'aimer. Mais même dans ce cas, son abstention l'enferme dans la douleur née de ses croyances qui lui dessinent à tout jamais un avenir funeste, fait de frustrations. Le destin n'est jamais totalement écrit d'avance, il le sait, et pourtant il se refuse de courir sa chance de le briser. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il ne cesse de se projeter tout à la fois dans le passé et le futur .Se fondant sur son expérience ou son opinion -le passé, il phantasme sur un avenir probable et refuse par avance la douleur intolérable qu'entraînerait le déni, même si ce dernier n'est que probable, nullement certain. Et la perspective de cette souffrance vécue uniquement en imagination lui est plus insupportable encore que l'insatisfaction à laquelle il se condamne. De deux maux, il choisit le moindre, sans considérer que l'un, qu'il re- pousse, est hypothétique, tandis que l'autre, qu'il accepte de subir, est lui bien réel.

C'est donc la projection dans le temps, où à partir d'un passé, on fabrique un avenir, qui est cause bien souvent que l'on se résigne à vivre un présent des plus ternes. Et cette projection dans le temps s'accompagne parfois d'un autre transport, dans l'espace cette fois-ci, qui s'ajoute à la peur d'entreprendre maintenant ce que l'on ne saurait remettre.

Un de mes amis -il se reconnaîtra en lisant ces lignes -est persuadé que "l'illumination" qu'il recherche, et dont il déclare qu'elle est le seul véritable but de sa vie -ne pourra jamais se produire que dans un ashram où un Maître, un jour, l'éveillera d'un simple regard, par transmission directe. Je ne partage certes pas ce point de vue, mais je le respecte: chacun sa voie, et toutes les voies concourent au même but. Cependant, que fait ici cet ami, à m'entretenir de son rêve, au lieu d'être déjà en train de parcourir en tous sens les routes de l'Inde, en quête de son initiateur ?

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Pour ne pas s'embarquer vers l'Orient, mon compagnon s'est inventé -il n'y a pas d'autre mot -des tas de contraintes. Pour faire face à ses obligations, il lui faut bien entendu de l'argent. Aussi, me répond-il toujours, quand je lui pose la question: "si c'est ce que tu penses, que fais-tu là ?", qu'il se donne cinq années pour réussir "un gros coup " qui lui permettra de partir l'esprit tranquille, libéré de toutes contingences financières. Je ne doute pas qu'il réussira à remplir ses coffres, car il est très doué pour les affaires. Mais je mettrai ma main au feu que la manne d'espèces sonnantes et trébuchantes que je lui souhaite, loin de servir à le libérer, contribuera encore plus à l'enchaîner à de nouvelles obligations: l'argent sera "investi" dans d'autres affaires, qui réclameront toujours plus sa présence. Je gage que dans cinq ans, il me tiendra encore le même discours, tout au moins s'il n'a pas pris conscience qu'il pourrait peut-être, ici et mainte- nant, sans attendre le guru, entreprendre un travail personnel qui aurait au moins l'avantage de le préparer à ce qui l'attend là-bas. Impossible, me répond-il, si j'évoque cette possibi1ité. Les affaires, me dit-il, sont toujours un peu "limites" d'un point de vue moral. Je reste persuadé du contraire, je rétorque que l'on peut gagner très bien sa vie, et même faire fortune, sans pour autant se compromettre à tout bout de champ, il n'en veut pas démordre. On lui a appris qu'il fallait éliminer par tous les moyens les concurrents pour tirer son épingle du jeu, c'est un dogme qu'il n'envisage même pas de remettre en question. Ainsi donc, il consent à se faire "voyou" pour s'acheter une liberté future qui devrait lui permettre de racheter ses fautes passées. Sa quête s'apparente à l'idéologie: au nom d'un "grand soir" qui n'est jamais venu, d'une "société sans classe" qui signerait la fin de l'histoire, le marxisme a privé et continue de priver de la liberté d'expression des peuples entiers -que de crimes n'a-t-on pas commis en les excusant ainsi ? Au nom d'une prospérité future qui rejaillirait sur tous -ce que la crise économique actuelle dément chaque jour un peu plus -le capitalisme exploite la classe ouvrière sans vergogne, particulièrement dans les pays du Tiers- Monde. Au nom du Christ, l'inquisition a fait plus de morts que la peste.

Demain, on rase gratis -en attendant, la soupe à la grImace.

Bien entendu, féru de culture orientale, en quête sans cesse d'une "spiritualité" qui le fuit, où qu'elle se trouve, mon ami fait des "stages de méditation", d'éveil de la kundalini, et autres joyeusetés qui, le temps d’un week-end ou d'une semaine au prix fort, lui donnent l'impression de se ressourcer .

Il a lu Vijayananda qui écrit

"Les pratiques spirituelles comme la méditation, le japa et d'autres sont d'une très grande importance. Néanmoins, ainsi que j'ai entendu Mataji le répéter en diverses occasions, leur seul but est de nous aider à écarter le voile qui nous cache la Réalité.

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Ce voile est fait de désirs, de la colère, de la peur, etc., et c'est dans notre existence de tous lesjours que nous avons la chance d'étudier ces écrans au moment où ils se manifestent, de les ramener dans le champ de notre conscience et de nous en débarrasser." Vijayananda- Ananda Varta.

C'est sur ses recommandations expresses que j'ai plongé dans le livre du Dr Emile Cady, où j'ai trouvé cette perle :

"Désirez-vous manifester le Christ parfait ? Affirmez alors, de tout votre coeur, de toute votre âme et de toute votre force, que vous le faites maintenant; que vous manifestez la santé, la force, la vérité, la puissance. Abandonnez cette notion d'être ou de faire quelque chose dans l'avenir. Dieu ne connaît d'autre temps que maintenant l'éternel Présent. Vous ne pouvez vous baser sur aucun autre temps, car il n yen a pas. Vous ne pouvez vivre une heure ou même dix minutes dans l'avenir. Vous ne les pouvez vivre avant d'être parvenu à ce moment-là, mais alors il est devenu Maintenant. Dire ou croire que le salut et la délivrance appartiennent au futur, c'est les maintenir à jamais devant vous, presque à votre portée, comme un feu follet prêt à atteindre ce qui vous échappe sans cesse. "C'est maintenant le temps favorable, c'est aujourd'hui le jour du salut", a dit Paul. Il n'a fait aucune allusion touchant le salut de notre être après la mort; au contraire, il a toujours enseigné le salut présent. L 'Oeuvre de Dieu en nous est achevée maintenant. La plénitude absolue réside maintenant dans le christ qui est en nous. Tout ce que nous affirmons avec persévérance est fait maintenant, manifesté maintenant, nous le verrons s'accomplir." Dr. H. Emile Cady -Comment j'ai mis en pratique la vérité.

Sur mon instigation cette foi-ci, maître Eckhart est devenu un de ses auteurs de prédilection. Maître Eckhart qui dit :

" En vérité, ceux qui attendent sont vigilants et regardent autour d'eux d'où viendra celui qu'ils guettent, et ils l'attendent dans tout ce qui vient, si étranger que cela paraisse, pour voir s'il n’y serait pas. De même nous devons en toutes choses consciemment chercher notre Seigneur. Il faut y déployer du zèle, y dépenser autant qu'on le peut ses pensées et ses forces; ainsi ces personnes se comportent comme elles le doivent et elles saisissent Dieu également en toutes choses et trouvent également Dieu en toutes choses... Mais ce que tu veux fortement et de toute ta volonté, tu le possèdes, et ni Dieu ni aucune créature ne peut te l'enlever, pourvu que ta volonté soit entière et véritablement divine, et appliquée au présent" Non pas, par conséquent 'j"e voudrais bien..."- ce serait encore pour l'avenir - mais: 'je veux qu'il en soit ainsi maintenant".

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Or, note-le bien, une chose serait-elle éloignée de mille lieues, si je veux l'avoir je la possède plus véritablement que ce qui est posé sur mes genoux et que je ne veux pas. Il Maître Eckhart -opus cité.

Il a lu -il croit avoir lu -, il connaît -il croit connaître -tout cela, mais il ne l'a pas véritablement intégré. Ses lectures, ses connaissances lui sont restées extérieures. Il a embrassé superficiellement tout ce sa- voir, sans faire le plus petit effort quotidien appliqué à la plus banale de ses conduites de le mettre véritablement en pratique. Comme le dit Sédir dans la réponse à la question précédente: il est passé à la page suivante. Mais ne raillons pas mon ami ; les bonnes raisons de ne rien faire ne nous font pas non plus défaut. Combien de fois ne nous exclamons-nous pas: "je manque de temps, je manque d'argent, je vis dans un monde et dans des conditions qui ne favorisent pas ma propre réalisation" ?

"Lorsqu'on parle de sagesse, de recherche psychique ou spirituelle, notre pensée se porte immédiatement vers l'Orient d'où nous viennent les enseignements, les doctrines si belles, si pures, du Tao, des Védas, des Upanishads et du Yoga. Et avec un peu de mélancolie, nous regrettons de ne pouvoir vivre dans ces pays où la sagesse est accessible à tous, au riche comme au pauvre, à l'illettré comme à l'homme instruit.

Là-bas, il suffit à celui qui se sent appelé de demander à un maître de bien vouloir l'accepter comme disciple, et si le postulant en est digne, le maître lui prodiguera l'enseignement, après une préparation indispensable. La vie sociale, les besoins de l'homme, le climat, n'étant pas les mêmes que chez nous, l'adepte peut consacrer sa vie entière à ces séances merveilleuses. Il peut tout quitter pour partir à la recherche du divin. Partout il sera bien reçu et traité avec égard. Il pourra se joindre à d'autres adeptes dans des monastères ou prendre la robe jaune du Sannyasin ; ou encore, s'il le dé- sire, il pourra se retirer dans la forêt. Ceux d'entre nous qui ont les mêmes aspirations sont tristes à la pensée que ces facilités leur sont refusées. Ils recueillent bien ici et là quelques bribes de l'enseignement. Des livres ont paru qui en donnaient l'essentiel, mais n'ayant aucune direction, après lecture de ces ouvrages, ils restent généralement au point où ils en étaient auparavant et passent leur vie dans l'attente d'un maître bien problématique et qui ne vient jamais. Ils vont de groupe en groupe, de secte en secte, et leur vie reste la même, leurs connaissances les mêmes, leurs angoisses, et leurs inquiétudes ne sont pas apaisées.

Il faudrait pourtant finir par nous rendre à la raison que nous ne sommes pas en Orient. Que le destin nous a placés ici. Que c'est ici que nous devons nous perfectionner, et s'il y a une sagesse à acquérir, c'est ici que nous devons la rechercher.

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Nous nous heurtons toujours à une foule d'objections. Pour ne pas faire l'effort imposé on trouve quantité de raisons. Le manque de temps, la société, la famille, l'entourage, le manque d'argent. On incrimine aussi l'absence de maîtres qui, selon la croyance de beaucoup, n'existent que

dans les pays lointains. Comme si la connaissance avait une Patrie, comme si les maîtres d'Orient ne pouvaient, eux qui ont vaincu le temps et l'espace, agir n'importe où. Comme si la vérité n'était pas partout et en chacun de nous. Voyons, réfléchissons et raisonnons calmement sur ce sujet. Nous sommes en Occident dans une région où la matière prime tout. C'est là que nous devons travailler. Est-il vraiment impossible de rechercher et de trouver la sagesse, et de vivre selon ses lois dans nos régions où la vie sociale accapare toutes nos activités, et où la lutte pour la vie est sans merci ?

De grands problèmes sollicitent notre attention. Que sommes-nous, d'où venons-nous, où allons-nous ? Ces problèmes paraissent insolubles. Alors que la plupart s'en désintéressent complètement, d'autres affirment les avoir résolus. y -a-t-il un moyen, une méthode qui puisse nous permettre d'approfondir ce mystère qu'est notre vie, la vie de l'univers, celle de toute la création ? La science nous enseigne que nous sommes comme des fourmis sur une sphère tournant à une vitesse vertigineuse, parmi une multitude d'autres sphères lancées elles-mêmes à travers l'espace dans une ronde que notre pensée peut à peine concevoir; au fur et à mesure que les appareils des astronomes se perfectionnent, ces savants en découvrent toujours de nouvelles, et d'autres existent encore derrière les plus lointaines.

Et nous, humains, devant ce grandiose spectacle d'un univers toujours en mouvement, nous ne trouvons d'autres sujets de réflexion, d'autres activités, en dehors de nos occupations quotidiennes, d'autres idées maîtresses que de vouloir le triomphe de nos idées, de nos opinions, de notre parti, et ceci toujours contre nos frères qui peinent comme nous, qui luttent pour nourrir leur famille, mais qui se permettent de ne pas avoir la même conception que nous de l'organisation du monde ou du bonheur de l'humanité.

II y a tant de gens qui veulent faire notre bonheur, même au prix d'un massacre général, tant de partis prétendent nous apporter l'âge d'or, que nous arrivons à cette conclusion que celui qui nous veut vraiment du bien, c'est celui à qui nous sommes indifférents. Celui-là au moins nous laisse vivre en paix.

Devant les flots d'envie, de jalousie, de haine, qui submergent le monde, bien des êtres sont épouvantés, et cherchent autour d'eux un secours, une évasion. D'autres, attirés vers les sciences spirituelles, se trouvent désemparés, car ils croient que ces études ne sont pas possibles parmi les luttes et les soucis quotidiens qui nous assaillent

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continuellement, et s'imaginent que dans nos pays, nous ne pouvons vivre une vie adaptée à la recherche de la vérité. C'est là une profonde erreur.

Ne pouvons-nous trouver quelques instants dans la journée, malgré nos occupations multiples, pour réfléchir sur nous-mêmes, pour observer l'inconnu que nous sommes pour nous, pour communier avec notre âme ? Le grand argument de ceux qui n'ont pas encore analysé ces questions est toujours l'absence de temps à y consacrer. Sous prétexte d'être trop pris par les affaires ou le travail, on ne fait aucun effort, on vogue un peu à la dérive. Ce qui est surprenant dans ces réponses, c'est que ceux qui les font ne prennent même pas la peine de s'in- former de quel genre d'études il s'agit et ce qu'on peut en espérer, quel est le point de départ, quel en est l'aboutissement. Mais même si nous ne voulons pas aborder ces études, ne devrions-nous pas avoir un comporte- ment dans la vie qui rendrait celle-ci plus agréable aux autres et à nous mêmes ? Notre travail journalier, nos occupations, notre gagne-pain, si pénibles qu'ils puissent être, ne sont et ne peuvent être un obstacle pour celui qui veut adopter une attitude conforme aux grandes lois qui régissent l'univers. Pour éviter de faire l'effort nécessaire, on dit que le monde est méchant, que les êtres ne cherchent qu'à se nuire, à satisfaire leurs jouissances. C'est une réponse qui ne correspond absolument a rien. Est-ce parce que certains individus sont malveillants que nous devons l'être ? Est-ce parce que d'autres font souffrir que nous devons les imiter ? Est-ce parce que d'autres s'agitent que nous ne pouvons être calmes ? Est-ce parce qu'on sème la haine à pleines mains que nous devons renoncer à aimer ? Pourquoi ne pourrions-nous vivre au milieu de nos semblables, l'âme paisible et sereine ? Nous n'en verrions que plus clairement leurs besoins, ainsi que ce qui pourrait leur être profitable. Si nous sommes pressés d'arriver à un rendez-vous ou si nous sommes en retard pour notre travail, ne pouvons-nous courir l'âme étant en paix ? Le corps peut s'agiter et le mental rester calme et paisible comme l'eau d'un lac. Il ne suffit que d'un peu de bonne volonté, d'un peu de bienveillance pour son prochain."

Alexandre Pavot -La force du silence.

Quiconque ne fait pas l'effort de se rendre dans une piscine ou au bord de la mer n'apprendra jamais à nager. y consentirait-il, que ce serait insuffisant si la crainte de se noyer, ou bien encore la peur du ridicule, l'empêchait de se mettre à l'eau. Et s'il vous est impossible de surmonter vos craintes, n'utilisez sur- tout pas de bouée, une béquille de plus! Réclamez à un maître-nageur en qui vous avez toute confiance qu'il vous fasse violence, qu'il vous jette littéralement dans un bain pas trop profond. Constatez ce qui s'en suit. Vous vous agitez -ou plutôt, la peur vous agite -et vous avez tendance à couler. Mais vous avez déjà fait un grand pas. Le prochain plongeon vous sera moins difficile, puisque vous savez dès lors que vous l'avez déjà fait au moins une fois, sans grand dommage.

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Plus on vous jette à l'eau, moins vous avez peur, et donc plus vous êtes calme. A force de répéter cet exercice un peu difficile au début -mais bien moins terrible que vous ne l'imaginiez -vous êtes capable, fut-ce une seconde, de rester parfaitement détendu. Et le miracle se produit: vous flottez, vous ne faites plus qu'un avec l'élément liquide. Ce n'est pas un miracle. C'est l'application d'une loi physique, la loi d'Archimède, qui s'énonce ainsi : "tout corps plongé dans l'eau reçoit une poussée vers le haut égale au poids du volume d'eau qu'il déplace. " Cette loi existe de tous temps, elle s'applique à tous sans distinction. Mais votre peur a ordonné des mouvements convulsifs qui ont contrarié les effets de cette poussée. ..et voilà pourquoi vous couliez. C'est en agissant que la peur se- dissout progressivement. Quand elle disparaît totalement, la grâce vous est donné de goûter la fusion avec l'eau. Et si cette grâce ne dure que quelques secondes au début, demain, ce sera plus long, puis de plus en plus long. Enfin, vous savez nager !

Me rendant récemment dans un séminaire, dont le clou de la soirée était une marche pieds nus sur le feu, je sentis un violent combat intérieur se livrer en moi. Certes, je n'étais venu que pour cette marche, par curiosité, mais dans le même j'étais littéralement paralysé par la peur .Plus l'heure tournait, plus je cherchais des raisons d'échapper à la seule raison pour laquelle j'avais fait tant de kilomètres, et des subterfuges pour m'en dispenser. J'invoquai une récente opération du genou, on me répondit que ce n'était pas un obstacle, puisque j'étais tout de même capable de marcher et de mettre un pied devant 1'autre. J'imaginai me tordre volontairement le pied, m'échapper avant l'heure, mais je fus incapable de me causer volontairement la douleur d'une foulure provoquée, ou la honte d'avouer ma peur à ceux qui m'accompagnaient. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, je me suis retrouvé devant le tapis de braise. Et bien sûr, j'ai marché sur le feu. J'ai compris, bien sûr, qu'il n'y a rien d'extraordinaire à cela: c'est comme lorsque vous passez rapidement votre main dans une flamme qui n'est pas assez longtemps en contact avec votre peau pour vous brûler la plante des pieds ne séjourne pas suffisamment longtemps sur des charbons pour que vous ressentiez d'autre dommage qu'un léger picotement. Cependant, cette explication naturelle n'a pas réussi à doucher mon enthousiasme. J'en tirai pour conclusion qu'au lieu d'agiter mon esprit pour fuir une épreuve qui n'en était pas une, j'aurais mieux fait de réfléchir: puisque l'organisateur du séminaire, mon- diablement connu pour son pragmatisme, prenait le risque de faire engager sur ce lit rougeoyant 1700 personnes, c'est que ce risque était inexistant et s'il n'existe pas, c'est qu'il y a une raison physique. Mon enthousiasme, cependant, vint de ce que, moitié porté par les autres participants, moitié fataliste, j'avais vaincu cette peur qui était née du jour même où j'avais réservé ma place, et qui n'avait fait que croître sournoisement depuis, m'interdisant toute

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capacité de réflexion. J'avais été capable de croire suffisamment en moi pour m'en remettre à l'abandon d'agir c'est à dire d'avancer sur le feu. Trois jours après, je trouvais en moi les forces nécessaires pour arrêter de fumer .

La peur est là, il est donc vain de la nier .

Mais qu'y a-t-il à craindre ?

"Que craindrais-tu ? Cette place trouvée est inviolable, nul n'entre ni ne peut entrer dans ce jardin de délices. De l'extérieur rien, rien ne se voit, ni même ne se soupçonne. Les merveilles du Bouddha ne sont pas dans les livres, que ceux-ci ne font qu'à peine indiquer, et un caillou les vaut tous pour qui sait lire. Tous regardent, les yeux fermés; le Sage aussi; mais pas de la même façon. Tous courent après quelque chose, sans très bien savoir quoi. Mais cela est trouvé. A chacun de reprendre l'aventure, d'arriver ou d'échouer, car sur cette mer, la route n'est pas visible, et sur ce plan les indications sont voilées et ces voiles même sont, encore, voilés. N'aie crainte, le Secret en est bien gardé et seul verra qui devra voir, non les autres, comme les âges sans nombre l'ont dé- montré." Vénérable Aryadeva -opus cité.

Ne dites donc pas: "la lecture me donne envie, l'action me paralyse". Si c'est le cas, relisez l'intermède n°1, fermez ce "carnet" et répétez-vous mentalement cent fois: "j'en suis capable".

Puis, toutes affaires cessantes, prenez une épingle, aseptisez-la en la passant dans de l'alcool à 90° et, sans tergiverser, piquez-vous le pouce.

Ne discutez pas ! Faites-le ! Maintenant ! Ou renoncez, à tout jamais!

8 :ou il est question d’un cœur qui semble s’égarer.

Dans votre précédente réponse, vous faites l’éloge de la sécurité, de la détente, de l’abandon , qui empêche l’impétrant nageur de « couler ». Or, je ne suis un(e) anxieux(se), un(e) hypertendu(e). Pour cette raison, je me suis inscrit dans un cours de yoga et/ou je pratique le plus souvent possible certaines techniques de méditation.

Hélas, je n’y au jamais trouvé le calme intérieur, bien au contraire. Des tas de pensées ne cessent alors de m’assaillir, dont la plupart fort désagréables. De quoi cela témoigne t-il, et puis-je un jour espérer dépasser ce stade ?

Je connais bien ce problème, car je me reconnais dans votre description. Mais il témoigne simplement que vous êtes vivant.

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Vous courez après le monoïdéisme et le calme, c'est l'abondance de sensations contradictoires et la clameur d'une fête foraine qui se déclenche dans votre cerveau. Une fois de plus, l'effet contredit l'intention. Mais n'êtes-vous pas dans l'oeil du cyclone qui définit la vie ? Souvenez-vous de Grotowsky , metteur en scène de théâtre polonais, cité en exergue du premier chapitre: "seuls, les cadavres n'ont pas de contradiction". Invité à une soirée à la Mutualité qu'organisait Jack Lang, en 1972, c'est par cette formule lapidaire elle suffisait amplement qu'il fit taire ceux qui lui reprochaient de prétendre créer un "théâtre libre" en dépendant financièrement d'un gouvernement totalitaire.

Bien plus: cette surabondance de "voix" qui semble vous empêcher de "méditer", ce vacarme qui contrarie l'image que vous vous faites du parfait "méditant" prouve que vous êtes sur la bonne voie : vous avez au moins pris le temps d'écouter votre coeur .

" Ecoute ton coeur. Il connaît toute chose parce qu'il vient de l’Ame du Monde, et qu'un jour il y retournera. Et le jeune homme s'efforçait d'écouter son coeur. C'était un coeur difficile à entendre. Auparavant, il était toujours prêt au départ, et maintenant il voulait arriver à tout prix. Certaines fois, son coeur restait longtemps à raconter des histoires pleines de nostalgie, d'autres fois il s'émouvait du lever du soleil dans le désert, et faisait pleurer le jeune homme en cachette. Il battait plus vite quand il lui parlait du trésor, perdu dans l'horizon infini du désert. Mais il ne se taisait jamais, même si le jeune homme n'échangeait pas un seul mot avec l’Alchimiste. -Pourquoi devons-nous écouter notre coeur ? demanda-t-il ce soir là quand ils firent halte. Parce que là où sera ton coeur, là sera ton trésor. Mon coeur est agité, dit le jeune homme. Il fait des rêves, il se trouble, et il est amoureux d'une fille du désert. Il me demande des choses, me laisse des nuits et des nuits sans dormir quand je pense à elle. C'est bien. Ton coeur est vivant. Continue à écouter ce qu'il a à te dire. Au cours des trois journées suivantes, ils croisèrent plusieurs guerriers et en aperçurent d'autres à l'horizon. Le coeur du jeune homme commença à parler de peur. II lui contait des histoires qu'il avait entendues de l’Ame du Monde, des histoires d'hommes partis à la recherche de leurs trésors et qui ne les avaient jamais trouvés. Parfois, il l'effrayait de la pensée qu'il pourrait bien ne jamais parvenir jusqu'au trésor, ou qu'il pour raft trouver la mort dans le désert. Ou bien encore il lui disait qu'il était maintenant satisfait, qu'il avait déjà rencontré un amour et gagné de nombreuses pièces d'or. Mon coeur est traître, dit le jeune homme à l'Alchimiste, quand ils s'arrêtèrent pour laisser reposer un peu leurs chevaux. Il ne veut pas que je continue.

-C'est bien, répondit l'alchimiste. Cela prouve que ton coeur vit. Il est normal d'avoir peur d'échanger contre un rêve tout ce que l'on a déjà réussi à obtenir.

-Alors, pourquoi dois-je écouter mon coeur ? -Parce que tu n'arriveras jamais à le faire taire. Et même si tu feins de ne pas entendre ce qu 'il te dit, il sera là, dans ta poitrine, et ne cesse- ra de répéter ce qu'il pense de la vie et du monde.

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-Même en étant un traître ? -La trahison, c'est le coup auquel tu ne t'attends pas. Si tu connais bien ton coeur il n'arrive- ra jamais à te surprendre ainsi. Car tu connaîtras ses rêves et ses désirs, et tu sauras en tenir compte. Personne ne peut fuir son coeur. C'est pourquoi il vaut mieux écouter ce qu'il dit. Pour que ne vienne jamais te frapper un coup auquel tu ne t'attendrais pas.

-Mon coeur craint de souffrir, dit le jeune homme à l'Alchimiste une nuit qu'ils regardaient le ciel sans lune. -Dis-lui que la crainte de la souffrance est pire que la souffrance elle-même. Et qu'aucun coeur n'a jamais souffert alors qu'il était à la poursuite de ses rêves, parce que chaque instant de quête est un instant de rencontre avec Dieu et avec l'Eternité." Paulo Coelùo -L'Alchimiste.

N'essayez pas de contenir ce tumulte -d'ailleurs, si vous le tentez, vous saurez d'expérience que c'est peine perdue. Contentez-vous dans un premier temps d'être attentif(ve) à ces parasites, de les voir sans les juger, de les laisser s'exprimer et vagabonder librement, s'embarquer dans des considérations annexes, aboutir à des impasses ou au contraire s'égayer indéfiniment. Laissez faire! Laissez courir ! Laissez-vous aller ! Puis, dans un second temps, décidez abruptement que vous allez saisir une pensée au vol. Il ne faut pas la choisir , et le mieux, pour que soit parfaitement aléatoire, c'est de remonter la sonnerie d'un réveil ; dès qu'elle se fait entendre, arrêtez-vous sur la pensée du moment et répétez-la, à haute voix si vous le pouvez, jusqu'à en être fatigué, jusqu'à, peut-être même, vous endormir La répétition tue la pensée. Les perroquets ne pensent pas.

Répétez cette pratique quotidiennement si possible, mais surtout sans rien en attendre.

Les "fritures" sur la ligne finiront par s'exaspérer, puis par se lasser d'un hôte si peu

complaisant. Leur nombre diminuera progressivement, ainsi que leur Intensité. Un jour, demain, dans un mois, dans un an, dans plusieurs années, mais un jour , certainement, l'intellection cessera de s'exercer sur des objets. Elle retrouvera sa source où elle se fondra, l'Océan de toute chose.

Ce sera le calme. Enfin!

9 : ou il est question d’absence de joie

La voie que vous semblez proposer n’est elle pas trop rigoureuse ? ne manque t’elle pas singulièrement de joie de vivre et ce serait un comble de joie toute pure ?

A la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, les écrivains spiritualistes ont usé et abusé, selon moi des termes "d'étudiant" ou de "chercheur" pour définir toute personne qui se préoccupe de quête d'absolu.

Je n'en fais, pour ma part, jamais usage en ce sens.

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Tout d'abord, ces mots sont impropres. Il n'y a rien à "étudier" qui ne soit déjà su, rien à "chercher" qui ne soit déjà trouvé. Mais ayant précédemment abondamment disserté sur la nécessité d'employer des termes approximatifs quand le langage se dérobe, je ne leur en ferai pas grief. Par contre, ce qu'ils évoquent des relents d'efforts pénibles en condamne l'emploi à mes yeux. L'étudiant se penche sur des connaissances qui lui sont extérieures au prix d'efforts et de sacrifices. Il n'a pas besoin d’aimer ces connaissances pour les apprendre, et quand il les a intégrées, elles le servent dans sa vie sociale, rarement dans sa vie propre. Le chercheur est généralement une personne passionnée par son domaine de recherche. Mais cette "passion" ne le mène pas à une "illumination". Elle est incapable d'éclairer sa conduite dans d'autres domaines de sa vie. Et ça vaut pour tous les "chercheurs", y compris les philosophes. Totalement déboussolé par la faillite du marxisme, Althusser a étranglé son épouse; Gilles Deleuze s'est récemment défenestré; Garaudy, après avoir commis "Pour Marx", se lance maintenant dans les thèses révisionnistes, sous prétexte qu'il s'est de- puis converti à l'Islam.

Puisqu'il faut bien nommer, je préfère pour ma part le mot "voyageur" .Certes, il est tout aussi impropre que les deux précédents ; mais le voyage, cela a un côté festif, n'est-ce pas ? Ou bien, c'est "inventeur" qui vient sous ma plume. Inventeur est ici employé dans le sens bien précis de "celui qui a trouvé un trésor". C'est un peu la même chose: on sait par ouïe dire que quelque part -il est rarement précisé où exactement -il existerait un trésor. C'est peut-être une légende, mais qui ne risque rien n'a rien. Alors, on délimite des périmètres de fouilles de plus en plus circonscrits. On gratte, on déblaye, on explore. Et si la grâce s'en mêle, on trouve -pardon, on "invente".

Mais même si elle ne s'en mêle pas, si on "n'invente" rien, ou si on passe à côté, ces heures de terrassement ne sont jamais perdues. Comme cet archéologie qui a cherché toute sa vie durant une météorite trouvée dans le désert, puis y a renoncé, pour s'apercevoir que c'est au milieu des bédouins et des caravanes qu'il a vécu les plus belles heures de sa vie à la poursuite de son rêve, même si ce dernier ne s'est jamais réalisé.

"Il ne faut jamais confondre un trouveur avec un chercheur, l'un s'amuse, et l'autre peine, l'un sait et l'autre doute, et si parfois l'aboutissement est le même, les deux voies d'approche furent à l'opposé."

Vénérable Aryadeva -opus cité.

Mais cette voie est-elle joyeuse. Quand bien même je vous répondrai: oui, cent fois oui, cela suffirait-il à vous convaincre ?

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Le seul moyen de savoir si elle vous donne de la joie, à vous, c'est de l'expérimenter avec un tant soit peu de patience. Ce que vous n'avez certes pas fait. Dans le cas contraire, vous ne poserez pas cette question.

"Ne vous est-il pas venu à l'esprit que s'ils cherchaient quelque chose de froid, de sombre et de morne, les sages ne seraient pas des sages, mais des ânes !" Satprem -opus cité.

Si la voie peut sembler austère, c'est qu'elle contredit ce que nous avons coutume d'identifier fausse- ment avec de la joie de vivre, et qui n'est rien d'autre qu'une soif de vivre, que rien n'étanchera jamais.

10. ou il est question de soumission.

Je n’ai pas très bien compris la distinction ,sans doute très subtile, que vous faites entre « abandon » et soumission. Pour ma part, je me sens révolté depuis toujours et ce que je vois , ce que j’entends chaque jour dans le monde ne fait qu’augmenter cette révolte.

Je n’ai nullement l’intention de me « soumettre », je ne suis pas un esclave, mais un homme / une femme libre. Cette liberté que je revendique est elle conciliable avec votre approche ?

Il est évident que la plupart d'entre nous éprouvent une répulsion quasi instinctive à dire: "que ta volonté soit faite."

Les souvenirs désagréables qu'ont pu imprimer dans l'inconscient les sévérités excessives de l'éducation d'une part, le désir trop souvent tu durant l'enfance et l'adolescence de s'exprimer personnellement d'autre part, le spectacle du monde enfin, prédisposent mal à embrasser l'Islam (littéralement: soumission), à se rendre aux directives d'un guru, à intégrer l'ordre de saint Benoît la Règle des bénédictins exigeant l'abandon de sa volonté propre entre les mains de l'Abbé représentant dans le cloître l'autorité du Christ ou à choisir quelque voie spirituelle authentique que ce soit, puisque partout, on retrouve ce même thème: point de "progrès" réel sans abandon.

L'abandon a mauvaise presse dans une société démocratique qui cultive les valeurs de la Liberté et de la Responsabilité (même si bien souvent, elle les prône sans les mettre en pratique ), encourage à ne compter que sur soi-même et à se défier de tout et de tous. De plus, l'actualité a mis en lumière quel usage les "maîtres Il des sectes ont pu faire et continuent de faire de la confiance que leurs disciples placent en eux: spoliation des biens, privation de liberté, privation de sommeil, absence de soins, abus sexuels, voire même suicides ou massacres collectifs. A ce compte-là, on comprend que tout être sensé n'ait guère envie de s'abandonner à une voie qui garantit un véritable enfer ici et maintenant, quelques chatoyantes qu'en soient les perspectives, souvent trompeuses.

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Notons cependant que l'on se fait souvent une fausse idée de ce qui se passe dans les monastères religieux ou dans les asl1fams de l'Inde: la Règle n'y est pas inhumaine, et le fatalisme en est exclu.

"Une petite histoire survenue à l'ashram de Mâ AnandamayÎ, la célèbre sage indoue contemporaine, illustre l'attitude relative qui peut être la nôtre: une dame européenne qui s'était beaucoup réjouie d'aller en Inde et de séjourner quelque temps auprès de Mâ Anandamayî se trouve malade sitôt arrivée auprès de celle-ci. Effondrée, elle se plaint auprès de Mâ Anandamayî: "Je suis malade, j'ai beaucoup de température." Mâ Anandamayî toute souriante répond: "C'est la volonté de Dieu. ". Et la dame fait une grimace, pas du tout rassérénée ni apaisée par cette réponse. Puis Mâ Anandamayî prend un temps et ajoute: "C'est aussi la volonté de Dieu qu'il y ait à côté d'ici un très bon médecin que vous pouvez aller voir de notre part. ". Voici l'attitude hindoue... : c'est la volonté de Dieu que vous soyez malade, certainement, mais c'est aussi la volonté de Dieu qu'il y ait un médecin, et que vous puissiez vous faire soigner." Arnaud Desjardins -Préface au livre de Véronique Loiseleur: "Anthologie de la non dualité".

Il n'est pas du tout question que vous fassiez le deuil de votre faculté de jugement, de votre discernement et de votre sens critique. Il est même particulièrement recommandé que vous les exerciez pleinement avant de vous engager, et à chaque étape que vous voudrez bien vous accorder. Vous devez éprouver votre confiance, mais lorsque vous l'avez donnée, elle doit être totale. Pour reprendre l'exemple d'une personne qui souhaite apprendre à nager, qu'elle choisisse, en toute connaissance de cause, le maître-nageur qui lui semble le plus qualifié, le plus compétent, bref, celui qui sera le plus à même de l'aider dans cette tâche. Lorsque ce choix est fait, il est toujours possible de le remettre en question c'est votre liberté mais jamais, au grand jamais, au cours d'une séance d'apprentis sage. Dans ces moments-là, votre seul et unique but, c'est de vaincre votre peur de l'eau, qui vous empêche de "faire un" avec elle. C'est déjà suffisamment compliqué comme cela, sans qu'il soit besoin d'y rajouter des craintes issues de je ne sais quelle défiance que vous nourririez à l'égard de votre "initiateur" .

Ainsi, on ne comprend vraiment bien la différence entre l'acceptation et la soumission que si on fait intervenir le concept d'action.

La résignation correspond à un double refus. Le premier, c'est de ne pas reconnaître que ce qui est ne saurait qu'être le second, c'est de baisser les bras, c'est à dire de refuser l'action. Si vous vous sentez soumise( e ), c'est d'une part que vous regrettez un

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état de fait, d'autre part que vous vous estimez impuissant( e ) à le modifier. Il en résulte donc deux raisons de souffrir .

Dans l'acceptation, au contraire, une double prise de conscience est à l'oeuvre. La première consiste à analyser les conditions objectives de la souffrance et à ce stade, il est possible d'intervenir pour les modifier; la seconde de reconnaître que la souffrance ne trouve pas sa source réelle dans quelque extériorité mais bien en nous. "Accepter n'est pas autre chose que reconnaître que quelque chose est. " Simone Weil -Cahiers.

Je reconnais bien volontiers que la différence entre l'acceptation et la soumission peut paraître subtile, aussi vais-je l'éclairer au moyen d'un exemple.

Vous êtes emprisonné( e ) à la suite d'une erreur judiciaire, ce qui est particulièrement révoltant. L'attitude fataliste de la soumission vous conduit d'une part à pleurer sur votre sort, d'autre part à considérer qu'il est impossible de faire éclater la vérité. D'ailleurs, vos pleurs vous occupent tellement et vous vident tellement d'énergie que vous n'avez plus ni temps, ni force à consacrer à votre dossier de défense, ou à envisager des plans d'évasion si, décidément, les dés sont pipés. De toute manière, ce n'est pas en se lamentant d'une part, en se soumettant d'autre part que cet état de fait va changer . Quelle sera à contrario l'attitude du sage ? Le Sage dira premièrement: "je suis en prison pour un crime que je n'ai pas commis, c'est dommageable, mais c'est ainsi". Il enchaînera ensuite: "dans ces conditions, et puisque je suis contraint de me retrouver seul avec moi-même, je vais essayer de le mettre à profit pour entretenir un dialogue intérieur encore plus fructueux". Ce qui ne l'empêchera nullement, lorsque son avocat se présente au parloir, de mettre en oeuvre avec lui tous les moyens de démasquer l'in- équité de la situation. Bien au contraire, libéré du regret, le Sage peut être entièrement présent à sa défense.

Derrière la différence entre acceptation et résignation, c'est encore et toujours une approche différente du temps qui est à l'oeuvre. Quiconque se résigne se projette doublement : dans le passé d'abord, en regrettant la série d'enchaînements qui l'ont conduit là, que ce monde et cette vie ne soit pas différents de ce qu'ils sont; dans l'avenir, ensuite, en conjecturant que tout destin est écrit d'avance. Le résigné n'est jamais là, hic et nunc, ici et maintenant; il n'est jamais présent à l'instant, n'étant préoccupé que par la douleur que lui cause le passé, et la manière dont il préjuge de l'avenir . Le Sage sait bien qu'on ne saurait modifier ce qui fut, ni intervenir sur un certain nombre de paramètres qui échappent radicalement à sa sphère d'influence. S'il fait froid, il fait froid, s'en plaindre ne changera rien aux conditions météorologiques qu'il convient d'accepter; ce qui n'interdit nullement bien au contraire d'agir, de faire du feu ou de sautiller pour se réchauffer. Et si c'est décidément impossible, alors il

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considérera que c'est là un défi qui lui est jeté, et qui représente une chance supplémentaire: il lui faut trouver en lui la force de ce feu intérieur qui combattra les rigueurs d'un ciel inclément.

Gandhi ne s'est pas résigné à l'occupation de l'Inde par les britanniques; mais il a accepté une idée novatrice, qui l'a libéré de la spirale de la violence: au dessus de l'idéal révolutionnaire se trouve le respect de la vie humaine, y compris et surtout celle des ennemis ; c'est en tournant résolument le dos à une croyance erronée, à savoir que l'on ne peut répondre aux armes que par les armes, à la force que par la force, c'est, à l'exemple du Christ qui interdit à Pierre de sortir son glaive, en désarmant ses troupes des outils de mort pour mieux les armer d'une volonté pure de secouer le joug de l'oppression, qu'il a réussi à libérer tout un peuple.

Faisant parler Dieu lui-même, G. Desbuquois lui prête ce conseil :

"La conformité à la volonté de ton Seigneur, tu le sais, n'est point de la passivité ni de l'inertie. Elle te fait accepter constamment d'agir sans défaillir dans les conditions voulues par moi. Elle te demande, au premier chef, de réagir contre les déficits même, de tout ordre, que j'ai voulus ou permis en toi, contre les difficultés du dehors dont je suis le mystérieux auteur, contre les contradictions dont je sème la vie de mes justes." G .Desbuquois -L'Espérance. L'acceptation" "le don" "l'abandon" ne sont , , , donc pas une soumission, une attitude passive devant les faits ou une contrainte extérieure imposée par un pouvoir sadique ou incompétent. C'est ni plus ni moins qu'adopter une règle de conduite résumée par cette lapalissade: "ce qui est ne saurait qu'être". C'est, à proprement parler :

"La capacité de voir les situations telles qu'elles sont." Chôgyarn Trungpa -Pratique de la voie tibétaine.

Je ne prétends pas avoir exploré ici de manière ex1laustive le champ des objections. Ni avoir épuisé les réponses. Cent fois, sur le métier, il faut remettre son ouvrage. J'y reviendrai donc dans les prochains "Carnets". Certaines, que je connais pertinemment, ont été délibérément écartées. Parce qu'elles se présentent rarement de prune abord; parce qu'elles feront l'objet de longs développements dans mes prochains écrits, voire de livres entiers. D'autres me sont inconnues, soit que ma vie et mon expérience ne m'y ait jamais confronté, soit qu'elles soient encore inédites. Le pouvoir de dire Non est pervers polymorphe: il se gave de toutes occasions. Le pouvoir de dire Non est des plus inventifs.

Mais laissons cela. j'espère tout au moins vous avoir donné ce désir, aussi ténu soit-il, qui résonnera désormais dans votre tête de plus en plus souvent, et suscitera ces interrogations qui vont vous surprendre dans votre vie quotidienne, puis devenir une

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règle de vie: "mais qu'est-ce que tu fais là ? ", "est-ce conforme à ce que tu souhaites pour toi-même et pour les autres ?", "quelle est la nature de cet attachement ? ", "d'ou vient que tu souffres de cette perte, et qu'as-tu perdu ?", autant de signes qu'en vous, Ca commence à parler, à chuchoter, peut-être, mais enfin, le dialogue est renoué.

Bien entendu, ce désir-là est encore un "vouloir", Il est bouffi d'orgueil, corrompu par les images d'une "sainteté illusoire, il se montre tyrannique, ou parfois indolent, il est "mauvais genre. " Ne Je rejetez pas pour autant. Il est seul capable de vous chuchoter certains soirs :

"Tu es un miracle !

Tu mérites ce qu'il y a de mieux!".

Intermède 4 : Stop !!!

"C'est une illusion de croire que nos mouvements soient volontaires. Tous nos mouvements sont automatiques. Et nos pensées, nos sentiments le sont tout autant. L'automatisme de nos pensées et de nos sentiments correspond, de façon précise, à l'automatisme de nos mouvements. L'un ne peut pas être changé sans l'autre. De sorte que si l'attention de l'homme se concentre, disons, sur la transformation de ses pensées automatiques, les mouvements et attitudes habituels interviendront aussitôt dans le nouveau cours de pensée, en lui imposant les vieilles associations routinières... En vue de s'opposer à cet automatisme et d'acquérir un contrôle sur les poses et mouvements des différents centres, il existe un exercice spécial. " Ouspensky rapportant les paroles de Gurdjieff.

Dans les Campagnes de mon enfance, la vie s'égrenait au rythme de trois cloches qui, le matin vers sept heures, à midi, et le soir vers dix-neuf heures, ponctuaient les longues journées de travail. Ayant eu le privilège de participer aux heureux travaux des champs, j'ai souvent vu alors les ouvriers agricoles se tenir parfaitement immobiles à cet appel et, mains jointes, procéder à la récitation de l'Angélus. Un célèbre tableau de Millet a d'ailleurs immortalisé cette pratique.

Parce que, comme le dit Gurdjieff, l'automatisme de nos mouvements est en relation étroite avec l'automatisme de nos pensées, il convient de briser l'un si l'on ne veut plus être l'esclave de l'autre.

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Je vous invite donc, trois fois par jour, à proférer mentalement l'ordre "stop". A ce moment-là, vous observerez le silence le plus complet, et vous vous efforcerez de vous tenir entièrement immobile durant une minute.

Progressivement, vous prendrez conscience que les actions humaines, pour la plupart, n'ont que l'importance que l'on veut bien leur accorder et que celle-ci, le plus souvent, est très surévaluée. Vous développerez également ainsi votre obéissance à un ordre intérieur. Vous briserez enfin, par votre immobilité, l'agitation perpétuelle de votre corps.

Le "stop" peut être utilisé pour lutter contre certains défauts ou certaines dépendances physiques ou psychiques. Prenons l'exemple d'une personne qui souhaiterait cesser de filmer. Sans baisser sa consommation de tabac par un acte de volonté, il lui suffit de pratiquer le "stop" avant chaque cigarette. La mauvaise habitude disparaîtra d'elle-même.

V

CANAAN

"Or donc La Voie est grande

Le Ciel est grand La Terre est grande

Et l'Homme est grand C'est pourquoi l'Homme est l'un des quatre

Grands du monde L 'homme suit les voies de la Terre

La terre suit les voies du Ciel Le Ciel suit les voies de la Voie

Et la Voie suit ses propres voies. " Tao Te King.

S'il était possible de résumer tout ce qui vient d'être esquissé au moyen de quatre propositions fondamentales simples, valables pour n'importe quel être humain de la planète, ces propositions ressemble- raient beaucoup, je pense, à celles qui, selon Arnaud Desjardins, subdivisent le Vedanta, l'enseignement toujours vivant des anciennes écritures, les Vedas.

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"La première de ces propositions affirme: la réalité essentielle, fondamentale de l'Univers et notamment de l'être humain est absolument différente de l'apparence sensible, de ce que nous en connaissons et de ce que nous tenons pour vrai. La seconde, dont la formulation pourrait varier suivant les écoles: cette Réalité unique voilée par les apparences multiples est Cela que de tous temps les hommes ont appelé Dieu. La troisième: c'est notre attachement à l'apparence, que nous prenons pour garantie, que nous ne mettons pas en question, qui nous empêche de voir cette Réalité, de la "réaliser". Enfin, la quatrième proposition de l'Hindouisme est sûrement: "Et maintenant, à vous de Jouer". Parce qu'en Inde aucun théologien, et plus encore aucun Maître, ne conçoit la Religion autrement que comme une expérience vécue, une "réalisation" ". Arnaud Desjardins -opus cité.

"A vous de jouer" .Que dire de plus ?

Qu'il y a de cela plusieurs millions d'années, quel- que part en Afrique, des bouleversements géologiques ont isolé du reste du continent une portion du territoire, et modifié dans le même temps les conditions climatiques qui y régnaient. Pour s'adapter à ce changement, pour survivre, tout simplement, une race de singes a également modifié sa morphologie; elle s'est redressée, et sa station verticale a libéré la main, et la main a créé l'outil, et l'outil a excité les neurones, et la main est devenue de plus en plus habile, et la pensée s'est installée, et avec elle, le premier meurtre qui, col11lne le rire, caractérise l'espèce humaine, la seule qui, dit-on, tue sans nécessite.

Que cette hypothèse scientifique de l'origine de l'homme soit avérée ou non, nous l'adopterons pour illustrer notre propos. Les barrières dressées par le glissement de terrain furent, quelques années plus tard, allègrement franchies. A pied ou par mer, comme tache d'huile, cette nouvelle race se répandit à la surface du globe. Toujours plus loin, toujours plus vite. Et il advint que de hardis navigateurs, s'embarquant sur des esquifs de plus en plus perfectionnés, après bien des échecs, après bien des victimes, aillent déflorer de nouveaux continents, conquérir de nouvelles terres. Toujours plus loin, toujours plus vite. Un jour, toutes les terres furent connues. L'homme blanc s'en empara. Armé d'une épée, d'une croix et d'une solide dose de bonne conscience, il foula au pied sans vergogne des cultures et des peuples qui n'en demandaient pas tant.

Toujours plus loin ! Toujours plus vite! Toujours plus de meurtres, au nom d'un dieu quelconque, fut-ce le dieu Profit. L'espace narguait ce bipède englaisé ? En ballon, en avion, en fusée, l'espace fut investi. Lui aussi abdiqua. Toujours plus haut! Toujours plus de profits. Et tout autant de crimes.

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Sans cesse, la frontière recule; elle n'est jamais atteinte. Cette soif irrépressible d'être toujours en mouvement ne trouve, le soir venu, que des conquérants insatisfaits.

Il a fui un chagrin d'amour, un crime impuni, ou simplement l'ennui. Il a négocié toutes ses possessions, et il s'est embarqué pour un voyage qu'il pensait sans retour, un périple expiatoire, une raison de vivre.

Mais dans les temples d'Ankor, sur la muraille de Chine, au pied du mont Atlas, il a retrouvé partout le visage de l'aimée, le souvenir de sa victime innocente, ou

" l' ennui, qui ferait volontiers de la terre un débris, et dans un bâillement avalerait le monde." Baudelaire -Au lecteur .

Toujours plus loin. En pure perte! Il a embarqué avec lui ses propres démons, qui ne

lui laisseront pas une seconde de répit. A supposer même qu'ils se taisent, y avait-il seu- lement quelque chose à voir ?

Qu'aurait-il vu ? Il aurait vu partout, et sans l'avoir cherché

l' Du haut jusque en bas de l'échelle fatale, Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché."

Baudelaire -Le Voyage.

En vérité, ces aventures là sont des amantes dont on regrette au petit matin de s'être laissé aller à partager la couche. E:n vérité, il n'est pas d'aventure digne de ce nom tant que

" La sottise, l'erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords Comme des mendiants nourrissent leur vermine." Baudelaire -Au lecteur .

En vérité

"Le règne de l'aventure est terminé. Même si nous allons jusqu'à la septième galaxie, nous irons là, casqués et mécanisés, et nous nous re- trouverons tels que nous sommes: des enfants devant la mort, des vivants qui ne savent pas très bien comment ils vivent ni pourquoi ni où ils vont. Et sur la terre, nous savons bien que le temps des Cortez et des Pizarre est fini: la même Mécanique nous enserre, la souricière se referme. Mais comme toujours il se révèle que nos plus sombres adversités sont nos meilleures occasions et que l'obscur passage est un passage seulement, conduisant à

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une lumière plus grande. Nous sommes donc mis au pied du mur, devant le dernier terrain qu'il nous reste à explorer: nous-même." Satprern -opus cité.

Moïse a imposé ses mains sur la tête de Josué, il s'est rendu en sa compagnie sous la tente des rencontres.

Il a remis la Loi aux anciens et aux prêtres. Il a gravi le mont Nebo, des hauteurs duquel il contemple Kenaani.

Cent vingt années le séparent du jour de sa naissance. Sa verdeur est intacte, sa vue ne faiblit pas. Et pourtant, sa route se termine là. Pour un instant de doute, ou quelque autre faiblesse, pour avoir hésité à s'abandonner sans réserve, Yahvé lui interdit de fouler le sol de la terre réservée à son peuple. Cet arrêt divin lui est connu depuis Merba de Qadech. Lui que Yahvé connaissait face à face se laisse emporter dans un baiser de Dieu. Ne vous attardez pas à rechercher sa tombe. Nebo n'est qu'une étape, il reste tant à faire. Entrez en Canaan. Osez la terre promise.

Intermede 5 : Revue de détail.

"Connais-toi toi-même." Formule inscrite au fronton du temple de Delphes.

"L'examen de conscience" est une pratique quotidienne commune à toutes les religions et à toutes les voies spirituelles.

A la fin de chacune de vos journées, passez en revue les principaux événements du jour, dans l'ordre ou ils se sont produits. Pour chacun de ces événements, tentez de répondre le plus sincèrement possible à cette double question : la manière dont je me suis comporté fut elle bénéfique pour moi et pour les autres, ou au contraire me suis-je nui à moi-même, et aux autres ?

Curieusement, la réponse à ces questions importe peu. En effet, de même que ce qui est ne saurait qu'être, ce qui fut ne peut être modifié.

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Les buts poursuivis par cet "exercice spirituel" sont les suivants: d'abord, vous prendrez conscience de vous-même, vous apprendrez à y voir de plus en plus clair sur la finalité et la portée de vos actes; ensuite, vos contradictions internes vont se révéler avec de plus en plus d'acuité; enfin, progressivement, votre "présence au monde" deviendra de plus en plus limpide.

"L'examen de conscience" comporte une difficulté. Son but, c'est de vous apprendre à entretenir un dialogue sincère avec vous-même, et certes pas de vous transformer en juge implacable. En effet, l'ego fait feu de tous bois, et il pourrait très bien se repaître d'une telle tendance à vous condamner.

Aussi, pour éviter ce travers, les deux phases suivantes, que vous réciterez, doivent elles conclure tout examen de conscience:

" Je ne reproduirai pas demain les erreurs de ce jour. Chaque jour me rapproche un peu plus de mon Centre véritable".

VI

ANAHATA

"Qui allume sa lampe peut éclairer les autres." Vénérable Aryadeva.

Le chakra du coeur est représenté sous la forme d'un lotus à douze pétales. Chacun d'eux représente un élément de la personnalité humaine. Le second, c'est l'anxiété. Le troisième, la peur de l'effort. Le quatrième, le désir de possession. Le cinquième, l'arrogance et l'hypocrisie. Le sixième, la paresse. Le septième, la suffisance. Le huitième, l'illusion. Le neuvième, la cupidité. Le dixième, la duplicité. Le onzième, l'indécision. Et le douzième, les regrets. N'est-ce pas tel que vous êtes ? Ne voyez-vous pas dans cette énumération une liste de tous vos mauvais génies ?

Et le premier pétale, demandez-vous. Pourquoi n'en parlez-vous pas ? Est-il donc si terrible ? Le premier pétale représente l'Espérance. A qui- conque entre dans l'Espérance, ses péchés lui sont remIs.

Mais comment y entrer ?

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En suivant l'exemple de tous ceux qui, avant vous, ont écarté les voiles de la peur et du dégoût d'eux- mêmes. J'ai passé ma vie à les interroger . Et j'ai réuni dans ce "Carnet" et dans ceux à venir tout ce qu'ils m'ont enseigné pour y parvenir.

Tous mes "maîtres" n'étaient ni meilleurs, ni pires que toi.

Pourtant, ils ont trouvé le chemin de l'Espoir . Il ne tient qu'à vous de suivre leur exemple.

Intermède 6 : Orate. Fratres !

"C'était une prière qu'il n'avait encore jamais faite, car c'était une prière sans parole, et par laquelle il ne demandait rien." Paulo Coehlo.

Rien ne vous sera permis s'il ne vous est donné la grâce de l'accomplir. C'est le but essentiel et unique de toute prière, une pratique vieille comme le monde, que d'attirer sur soi cette grâce.

Mais la prière ne saurait être assimilée à la récitation mécanique et sans âme de formules toutes faites. On peut même ajouter qu'une prière qui demande quoi que ce soit, y compris la grâce précitée, n'est pas une authentique prière.

De fait, cette grâce n'est pas une rétribution, mais une conséquence du retour au centre de son être. Ce retour étant un abandon, un "lâcher prise", toute requête va donc à l'encontre. C'est là une des multiples contradictions apparentes de la Voie, qui se trouve analysée en détail dans le quatrième "Cahier de l'Adepte". Autrement dit, la prière authentique, comme le "lâcher prise", ne s'enseigne pas. Mais on peut s'en approcher.

Le sixième "exercice spirituel" vous indique des voies de prières non en intentions, ou en récitations, mais en actes. Par exemple: une médisance vous monte aux lèvres ? Arrêtez-la à tous prix. Comme le dit le proverbe persan: le mot qui t'échappe est ton maître ; celui que tu retiens est ton esclave." Vous verrez alors que, parfois, la tentation de passer outre est si forte, qu'il vous faut réellement appeler à l'aide Cela qui est en vous pour vaincre cette tentation.

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Ce cri est votre première, et votre plus belle prière.

Chaque instant est la meilleure des occasions de "prier" ainsi. Une colère qui n'éclate pas, une colère que l'on donne, c'est un sourire qui éclôt.

Et c'est le moyen le plus sûr que je connaisse pour que Sa volonté s'accomplisse en vous.

Postface

"Le mal, lorsqu'on le regarde vraiment, n'a aucune consistance, aucun être." Emile Sentier .

Peu de temps avant qu'il ne disparaisse, je rencontrai l'ingénieur D. chez des amis communs, en Angleterre. Je lui fis part alors que j'avais pris des notes de tous nos entretiens postérieurs a ceux qui ont été rapportés dans les douze volumes des "Cahiers de l'Adepte."

D. m'autorisa à les publier à deux conditions. La première était que je brise le rythme de la chronologie de nos conversations et rencontres adopté dans les "Cahiers", mais qu'au contraire je m'efforce d'en extraire la substantifique moelle, et que je l'expose dans une série de livres.

C'est ce que j'ai fait dans ce carnet. C'est ce que je me propose de faire dans le suivant. Dans celui-ci, après avoir exposé le mode de correspondances symboliques que nous utiliserons dé- sonnais, après avoir également dressé le "plan" de la voie particulière que nous emprunterons, après avoir enfin circonvenu le "but" auquel nous aspirons, nous aborderons de front le problème du mal, que je n'ai fait qu'esquisser dans le présent ouvrage.

D. avait posé une seconde condition: l'accession aux "Carnets" devait correspondre à une démarche volontaire. Si donc vous désirez vous inscrire sur la liste de ceux qui seront informés de la parution du second, intitulé: "délivrez-vous du mal", vous devez dès à présent m'en faire part, en m'écrivant chez mon éditeur. Par la même occasion, vous m'obligerez en me faisant toutes remarques, commentaires, suggestions et critiques concernant ce livre dont vous êtes en train d'achever la lecture.

A bientôt, donc

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Intermède 7 : la réconciliation.

"Aime ce que tu n'aimes pas." Gurdjieff.

A un moment ou à un autre, nous entrons en conflit avec notre environnement, le monde qui nous entoure, des collègues, des amis ou des proches. Cette situation, généralement, nous fait souffrir . Comble de malchance, cette souffrance même aggrave les conflits, car elle vous fait perdre la maîtrise de vous-même.

Briser ce cercle vicieux, c'est le but du septième et dernier "exercice spirituel" de ce livre le plus difficile que j'emprunte une fois de plus à mon ami Emile Sentier .

Donc, si vous êtes en conflit latent ou déclaré avec une personne, vous agirez de la manière suivante. Durant sept jours, deux à trois minutes par jour, isolez-vous. Représentez-vous votre "adversaire" (au besoin, si vous avez une photo de lui ou d'elle, vous pouvez la regarder attentivement). Laissez alors libre cours à votre courroux. Dans votre fureur, prononcez fréquemment le nom et le prénom de cette personne. Dites-lui tout ce que vous avez sur le coeur, faites-lui part de tous vos reproches, et ne choisissez pas vos mots. Le septième jour, après votre ultime accès de rage, relaxez-vous durant environ cinq minutes. Puis, sans remettre cela à plus tard, prenez une feuille de papier, et écrivez une lettre à qui vous venez ainsi de fustiger. Dans cette lettre, vous expliquerez que vous aime- riez renouer de meilleurs rapports. N'ayez pas peur de reconnaître vos propres torts dans le différent qui vous opposa. Présentez des excuses, au besoin. Affirmez en conclusion que les pires antagonismes ne méritent pas qu'on s'y arrête, car finalement tout passe, tout lasse et tout trépasse.

Votre lettre doit être écrite d'un seul jet. Vous ne devez pas la relire !

En la rédigeant, ne conjecturez pas de ce que sera la réaction du récipiendaire (le plus souvent, elle vous surprendra). N'ayez pas peur qu'on vous juge ridicule, ou de passer pour un lâche. Car ce qui est ridicule, c'est de vivre ad vitam en nourrissant des pensées négatives ou de haine qui, c'est inéluctable, finissent toujours par se retourner contre vous .

Les sept "intermèdes", les sept "exercices spirituels", forment un tout indissociable.

Certes, je le rappelle, ils n'assurent aucunement une quelconque "progression".

Page 75: Quelques secondes d'Eternite

Pourtant et ce sera le dernier de nos paradoxes je peux vous assurer que tous ceux qui s'y sont adonné avec constance ont fini par atteindre quelques secondes d'état de grâce... ...Quelques secondes d'éternité, auxquelles je vous ..., ai invité.