Progressistes N° 3

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N°3 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 7DOSSIER x TRANSPORTS, LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE DANS CE NUMÉRO Parti communiste français 10tarif de soutien – 5tarif étudiant, chômeur, faibles revenus - 7tarif normal SCIENCE x METAMATERIAUX ET INVISIBILITÉ Par Sébastien Guenneau TRAVAIL x DE M-REAL À DOUBLE A : LUTTE DANS L’INDUSTRIE DU PAPIER Entretien avec Gaëtan Levitre ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ x LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE : SANS L’OMBRE D’UN DOUTE Par Amadou Thierno Gaye

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Progressistes N° 3 - janv./fév./mars 2014

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N°3 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 7€

DOSSIER x

TRANSPORTS,LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUEDANS CE NUMÉRO

Parti communiste français

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SCIENCE xMETAMATERIAUX ETINVISIBILITÉPar Sébastien Guenneau

TRAVAIL xDE M-REAL ÀDOUBLE A : LUTTEDANS L’INDUSTRIEDU PAPIEREntretien avec Gaëtan Levitre

ENVIRONNEMENTET SOCIÉTÉ xLE RÉCHAUFFEMENTCLIMATIQUE : SANSL’OMBRE D’UN DOUTEPar Amadou Thierno Gaye

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SOMMAIRE

ÉDITO Coût du capital : un tabou très politique... Amar Bellal.......................................................................................................... 3

DOSSIER : TRANSPORTS, LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUEIntroduction : Transports, la multimodalité écologique Sébastien Elka................................................................................................. 5On a tous droit à l’ écomobilité ! Dominique Gentile................................................................................................................................. 6Écomobilité dans les villes : du slogan à la réalité Jean-Claude Cheinet ............................................................................................... 8Transports Low cost, le paradigme d’un consumérisme libéral Sébastien Elka ................................................................................ 10Une plateforme multimodale « 3R » dans la Drôme Pierre Trapier...................................................................................................... 11Multimodalité et environnement Dominique Launay............................................................................................................................. 12Marchandises : pourquoi traverser les océans coûte-t-il si peu ? Phillipe Chateil ........................................................................... 13Écotaxe : réorienter le transport routier pour peser sur les décisions de production Gérard Le Briquer ....................................... 16La transalpine lyon-turin : La planification écologique en actes Alain Ruiz .................................................................................... 18Système ferroviaire et politiques des transports : contribution du PCF Pierre Mathieu .................................................................... 20Contrôle de la navigation aérienne, la vigilance reste de mise David Saux-Picart ........................................................................ 22Recherche dans les transports : comment l’IFSTTAR perd peu à peu les moyens de remplir sa mission Nicole Rolland ......... 23Transports spatiaux,aventure et big money Sébastien Elka ................................................................................................................ 25

BRÈVES ................................................................................................................................................................................................. 28

VIDÉOS................................................................................................................................................................................................. 31

SCIENCE ET TECHNOLOGIEPHYSIQUEMétamatériaux et « invisibilité » : des perspectives fascinantes Sébastien Guenneau...................................................... 32INFORMATIQUE L’informatique au-delà de l’informatique Ivan Lavallée ............................................................................................... 34CHIMIE Un anniversaire : les cent ans du livre de Jean Perrin « Les atomes » Aurélie Biancarelli-Lopes........................................... 36TECHNOLOGIES Fab lab, mariage des bits et des molécules Yann Le Polotec ..................................................................................... 38

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIEINDUSTRIE De M-REAL à Double A : une lutte exemplaire dans l’industrie du papier Gaëtan Levitre ............................................. 40TRAVAIL Infogérance et alternatives à l’externalisation Pierre Petit ..................................................................................................... 42ENTEPRISE Quelles luttes pour l’avenir de l’aéronautique ? Jean-Louis Cailloux................................................................................. 44ENTEPRISE Réglementer les pratiques sociales des firmes multinationales ? Chloé Maurel ............................................................ 46

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉHISTOIRE Paul Langevin physicien inspiré et figure légendaire Jean Pierre Kahane ........................................................................... 48CLIMAT Le réchauffement climatique : sans l’ombre d’un doute Amadou Thierno Gaye................................................................... 50INTERNATIONALE Pour une coopération scientifique normale avec Cuba Jorge Gallego.................................................................. 52

LIVRES.................................................................................................................................................................................................... 56POLITIQUE Du côté du PCF et des progressistes................................................................................................................................... 58ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE Pour une grande filière technologique, continue et cohérente Hugo Pompougnac..... 59

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ÉDITORIAL

l y a des sujets dont on ne veut pas débattre,qui apparaissent en filigrane des discussionsmais sans jamais être abordés frontalement.

Il en est ainsi lorsqu'on aborde « les difficultésdes entreprises » en France. On loge alors à lamême enseigne les grandes entreprises avec lesPME, on y confond les grands donneurs d'ordreet leurs sous traitants, et dans cette confusion,bien sûr, le responsable c'est toujours le coût dutravail.Pourtant, il y a une ligne de dépense dans les bud-gets des entreprises qui n'est pas du tout média-tisée: le coût du capital. Intérêts des prêts, divi-dendes, frais financiers divers… Un chef d'entrepriseen difficulté se plaindra certainement des diffi-cultés qu'il rencontre pour rémunérer ses sala-riés. Mais il ne manquera pas de mettre en avantaussi le poids des dettes et des intérêts qu'il doitverser régulièrement aux banques. Ces deux postesde dépense sont du même ordre de grandeur, etpourtant, c'est le coût travail, source de richesse,qu'on mettra en avant prioritairement. Pourquoice tabou autour du coût du capital jamais abordédans les médias? Rien à voir ici avec le tabou ausens anthropologique. Non, ici il s'agit d'un tabouavant tout politique, qui met en lumière les rap-ports de forces, le déséquilibre des pouvoirs, lesprojets politiques sous-jacents… Aujourd'hui, onprête à des taux d'intérêt proche de 1% aux spé-culateurs et de 10 % aux entreprises souhaitantinvestir sur des projets de long terme. Dénoncerce coût, c'est forcément poser la question: quiprête et sur quels critères? Puis viennent natu-rellement les autres questions : d'où vient l'ar-gent des banques? Qui décide de la création moné-taire (faire tourner la planche à billets)? Et pourqui et quel projet prioritairement? C'est cette série de questions qu'on ne veut sur-tout pas voir émerger chez les citoyens.

En effet, loin d'être de simples objets techniques,ce sont au contraire des questions redoutable-ment politiques et même révolutionnaires ! Ellespointent des pouvoirs exorbitants et des déci-sions qui sont aujourd'hui laissées à l'arbitragedu marché: c'est l'orientation de toute notre éco-nomie dont il s'agit pourtant (et donc de nos vies!).Si demain nous décidons, en votant une loi parexemple, d'adosser à la BPI, Banque Publiqued'Investissement, censée relancer l'investisse-

ment productif, une série de critères avec descontrôles vérifiant la réalité des créations d'em-plois et des investissements, alors on prend unemesure proprement révolutionnaire. Et c'est pourcela qu'une telle mesure, bien qu'avancée par lesdéputés communistes et de nombreux syndica-listes lors de la création de la BPI, n'a jamais vule jour. En effet il s'agirait d'inscrire dans la loi unprincipe à contre-courant de la logique capita-liste, c'est un renversement des valeurs! Aujourd'huic'est par dizaines de milliards d'euros que l'ar-gent public est distribué sans contreparties, nicontrôles sérieux, et les exemples ne manquentpas. Il arrive même que des entreprises après avoirpourtant encaissé de l'argent public, délocali-sent, tout en faisant du profit et au passage enayant pollué les terrains (à la charge de la collec-tivité). Le diable est décidément dans les détailsdes critères de financement et des dispositifs decontrôle-vérification. Le tabou autour du coût ducapital, c’est la peur de la remise en cause du pou-voir démesuré des marchés, et la reprise en mainpolitique des outils de financement.

Brisons ce tabou si nous voulons vraiment relan-cer le développement, le progrès social, scienti-fique et écologique. La campagne initiée par lePCF et aussi par des syndicats, est salutaire de cepoint de vue, et elle fait écho à un ensemble depropositions pour une autre politique: pôle publicfinancier et nationalisation de banques straté-giques, modulation des taux de cotisations socialesen fonction de la masse salariale, nouveaux pou-voirs pour les salariés, refonte de la fiscalité, sécu-rité d'emploi et de formation, fonds de dévelop-pement social européen, contrôle politique de laBCE… À la crise systémique du capitalisme, etpour en sortir vraiment, il faut des mesures quifassent « système », et nous devons dès mainte-nant engager des campagnes populaires et dansles entreprises autour de ces thèmes. n

COÛT DU CAPITAL : UN TABOU TRÈS POLITIQUE...

AMAR BELLAL,RÉDACTEUR EN CHEFDE PROGRESSISTES I

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5DOSSIER

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PAR SÉBASTIEN ELKA *,

il est une caractéristique unanimement prêtée à notreépoque, c’est bien celle du mouvement permanent, impé-ratif, omniprésent. Modernité hyper-fluide, liquide, caden-

cée par les rythmes fous de la chaîne de production, de la pub et dela conso, des injonctions à la mobilité. Les mieux lotis sont les plusmobiles et le Golden Boy « hyper-nomade » prend l’avion commed’autres prennent le bus: un jour à New York, le lendemain à KualaLumpur. À l’opposé on construit des murs contre les migrants dela faim, et le métro ou le bus desservent bien mal les « quartiers »de nos banlieues. Exclus du mouvement, exclus de la société, ségré-gation par les transports. Être immobile, immobilisé, donc ne pasêtre. Lorsqu’on écrira enfin la constitution de notre VIeRépublique,le droit à la mobilité devra figurer en belles lettres dans le préam-bule.Pourtant, ce « toujours plus » atteint une limite. Mettre en mouve-ment, c’est dépenser de l’énergie, consommer des ressources. Épui-sement du pétrole et des matériaux rares, émissions polluantes,occupation des sols, morcellement des aires de biodiversité. Nosréseaux de transport flirtent plus qu’on ne voudrait avec l’écologi-quement insoutenable. Un virage est à prendre. D’urgence.C’est sur le transport de marchandises que l’irresponsabilité est laplus criante. De containers en chaînes logistiques intégrées, le moin-dre pot de yaourt voyage sur des milliers de kilomètres. Et il n’estpas étonnant que personne ne sache suivre la viande de cheval,puisqu’au nom de la fluidification des échanges notre oligarchielibérale voudrait plus que jamais supprimer les garde-fous régle-mentaires, saper et privatiser les services de contrôle, masquer lescoûts réels de la distance pour mieux exacerber la mise en compé-tition planétaire. La crise de 2008 a ralenti un temps ces projets, lesocial libéralisme au pouvoir en France montre bien qu’ils sontrepartis de plus belle. Or partout où ce sont les financiers qui tien-nent le pouvoir, les fesses en première classe et les yeux dans les

chiffres, ils font la preuve de leur incapacité à investir l’avenir, deleur manque criant d’imagination1. Si on laissait les discours vague-ment verdis nous endormir, on irait droit dans le mur. Heureusement, il est des ruses dans l’Histoire. Car oui le capita-lisme de notre temps et de nos latitudes – celui du consumérisme,du productivisme et de l’injonction paradoxale – a fait de l’hyper-mobilité un outil de sa domination. Mais ce faisant il a ouvert ànotre partie de l’humanité une fenêtre sur le monde, permis commejamais le voyage, la rencontre et la prise de conscience d’une unitéde destin. Et alors que tout semble se crisper, qui ouvre bien les yeuxvoit aussi que nous sommes de plus en plus nombreux à penserl’avenir en termes de coopération et à la hauteur des enjeux, àl’échelle universelle. Les travailleurs des transports – qu’ils soient cheminots, aiguilleursdu ciel, ouvriers de l’automobile, dockers ou camionneurs – sontsouvent de ceux-ci, qui ne manquent pas d’idées pour permettre àleur travail de servir le progrès humain sans s’échouer sur l’obsta-cle écologique ni sur le mur de l’argent roi. Les auteurs de ce dos-sier nous livrent dans les pages qui suivent quelques-unes de cesréflexions, dont la principale est peut-être que si l’on veut conju-guer le droit de tous à une mobilité digne et sereine avec la préser-vation de la planète, si l’on veut rendre possible une « écomobilité »pour tous, alors nous avons besoin de l’intégration bien réfléchiede toutes les formes de transport. Nous avons besoin d’une multi-modalité écologique.

*SÉBASTIEN ELKA est le coordinateur du dossier « Transports, la multimodalité écologique »

(1) C’est exactement ce que montre l’article de J.-L. Cailloux, p.44, avec l’exemple d’Airbus.

TRANSPORTS,LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

LA CLASSE ÉCO N’EST PEUT-ÊTRE PAS (ENCORE)AUX COMMANDES, MAIS ELLE TRAVAILLE DÉJÀ AU PLAN DE VOL !

S’

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DOSSIER TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE6

Le problème du transport individuel est d’une prégnance majeure qui condi-tionne des enjeux technologiques. Il est soumis à des contraintes environne-mentales fortes. Il est nécessaire d’en examiner les différentes facettes.

TRANSPORTS INDIVIDUELS, ON A TOUS DROIT À L’ ÉCOMOBILITÉ !

PAR DOMINIQUE GENTILE*,

L a question du transport indi-viduel de demain ne peut seposer et donc trouver des

réponses que dans un contexte glo-bal prenant en compte différents élé-ments. La problématique est natu-rellement celle de la mobilité, tantprofessionnelle que personnelle. Elles'inscrit directement dans les conceptsde développement durable, d'amé-nagement du territoire, de ville dufutur. Deux types de mobilité doivent êtreconsidérés :• la mobilité « longue distance», typi-quement des déplacements de plusde 100 km;• la mobilité locale, déplacement dequelques dizaines de kilomètres cor-respondant à des déplacements fré-quents voire quotidiens.Ce sont ces derniers qui devraient leplus évoluer dans le futur.

ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX ETSOCIAUX, CONTRAINTESÉCONOMIQUESDans les pays industrialisés, les trans-ports et activités associées sont aucœur de la problématique du chan-gement climatique et des incidencesenvironnementales. Si la part de res-ponsabilité des transports dans lesrejets de gaz à effet de serre est sansévolution depuis pratiquement undemi-siècle, des mesures impor-tantes pour réduire cette contribu-tion – tant technologiques que com-portementales (changement deshabitudes) – ont commencé d'êtreprises. Elles sont insuffisantes maisle virage est amorcé et, on peut l'af-firmer, la tendance déjà irréversible.Toute évolution des transports

aujourd’hui ne peut que s'inscriredans le processus de transition éco-logique et énergétique.

Il y a encore dix ans, l'automobileétait le moyen de transport indivi-duel privilégié, souvent pour des rai-sons économiques liées à l’acquisi-tion d’un domicile éloigné du lieude travail. Aujourd'hui, c’est un objetde consommation coûteux à acqué-rir, entretenir, assurer et utiliser, surlequel les prix de l'énergie et en par-ticulier du pétrole pèsent fortement.À ceci s’ajoute l'intensification desdifficultés de circulation en tousgenres, en particulier dans les métro-poles où le plan collectif signifie amé-nagements urbains et transports col-lectifs qui réduisent l’espace dédiéà la voiture individuelle.Toutes ces raisons militent pour uneévolution des usages en matière demobilité individuelle et c'est plutôtune bonne nouvelle. De fait, on voitévoluer les comportements d'usage,tant au plan individuel que collec-tif. Si bien que la réalité du transportindividuel devient plus complexe etque c'est aujourd'hui la diversité desmodes de transports et intermoda-lités qu'il s’agit d’intégrer.

TRANSPORTS « DOUX », L’ENTRÉEDANS L’ÉCOMOBILITÉLa marche est le mode de déplace-ment le plus ancien, mais il reste lemoins polluant, le plus sain, le pluséconomique et certainement le plusdurable ! De nombreuses raisons enfavorisent l'usage et le développe-ment comme outil efficace de mobi-lité individuelle en milieu urbain,comme sa dimension sportive et sacompatibilité avec la pratique simul-tanée d'autres activités. Ce mode dedéplacement est de plus en plus inté-gré dans la politique de développe-ment des villes (zones piétonnes, par-cours piétons, sensibilisation de lapopulation…) et dans les plans dedéplacements d’entreprise. L’avenirverra s'amplifier les mesures en faveurde l'environnement et sans nul doutela marche en fera partie. La bicyclette est le moyen naturel quiprolonge la marche. Les raisons ensont semblables : pas de pollution,possibilité d’échapper aux embou-teillages, encombrement réduit, peude difficultés de stationnement, coûtstrès faibles… avec la possibilité dedéplacements plus longs en distancequ'à pied. Le regain d'intérêt pour cemoyen de déplacement voitaujourd'hui l'arrivée d’une techni-cité qui limite les efforts physiques,comme l'assistance électrique. Et l’onassiste là aussi à l'intégration de cemode de déplacement dans les poli-tiques de la ville (développement depistes cyclables, signalisations spé-cifiques, vélos en libre-service…).Enfin le roller, la trottinette ou de nou-veaux "véhicules" comme les gyro-podes Segway ou Winglet sont desmodes de déplacement moins fré-quents mais de plus en plus présents,et qui, équipés d'un moteur électrique,peuvent assumer une véritable fonc-tion de déplacement en cycle urbain.Avec ces modes « doux », on entrepleinement dans le concept d'éco-mobilité, appelé à s'amplifier dansles années à venir.

VERS DES TRANSPORTSMOTORISÉS MOINS POLLUANTSA considérer l'augmentation de l’uti-lisation du deux-roues motorisé pourréduire le temps passé dans les embou-teillages, on pourrait imaginer qu'ilsoit dans les années à venir un desmoyens principaux de déplacement

Deux types de mobilité doivent être considérés :- la mobilité "longue distance", typiquement des déplacements de plus de 100km ;- la mobilité locale, déplacement de quelques dizaines de kilomètres“ “

Un véhicule dudispositif Autolibà Paris. Première

utilisationmassive du

véhicule toutélectrique.

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urbain et périurbain. Toutefois si cesvéhicules présentent de nombreuxavantages, ce n’est pas en matièreenvironnementale puisqu’ils sontparmi les véhicules les plus polluantset bruyants. Même avec l'introduc-tion du scooter électrique ou hybrideou le développement du covoituragedeux places, ce mode de transportalternatif à la voiture est et resteracelui d'une communauté limitée. Quant à l’automobile, deuxièmecause d’émission de gaz à effet deserre (GES), elle demeurera le modede transport individuel le plus uti-lisé. Or les moteurs actuels sont aussiémetteurs de composés toxiquescomme des aldéhydes, des particulesde suie, des hydrocarbures imbrû-lés ou des oxydes d'azote. Il importedonc d’élaborer rapidement des inno-vations technologiques à même deréduire fortement l’ensemble de cesémissions. Pour cela on distinguedeux voies : l’une basée sur les moto-risations « traditionnelles » à com-bustion d’hydrocarbure ou équiva-lente, l'autre sur des énergies ettechnologies nouvelles.La première, concernant les moteursà essence et diesel, fait l'objet derecherches importantes telles quepots catalytiques, réinjection des gazd'échappement dans le moteur, sura-limentation, optimisation électro-nique des cycles moteurs et de lacombustion ou encore jeu électro-mécanique sur la géométrie et l'ar-chitecture moteur. Habilement com-binés, ces procédés ont le potentielpour réduire significativement lesémissions polluantes, si les contraintesindustrialo-concurrentielles et finan-cières qui asphyxient le secteur auto-mobile n'empêchent pas leur indus-trialisation.Il reste que le moteur diesel – intéres-sant sur le plan de l’efficacité énergé-tique et débouché crucial pour lesproduits pétroliers semi-lourds – poseun véritable problème d’émissions departicules que les filtres ne parvien-nent pas à éliminer complètement.Face à cela, une voie prometteuseréside dans le développement demoteurs de type HCCI (HomogeneousCharge Compression Ignition), prochesdes moteurs diesel puisque basés surl'auto-allumage par compression d'unmélange air/carburant pauvre maispré-mélangé permettant une com-

bustion homogène à faible émissionde particules. Un autre axe de recherche concernel'usage de biocarburants. À partir desources ligno-cellulosiques (paille,bois, feuilles, algues…), il est possi-ble d’échapper à la concurrence pro-blématique avec les cultures alimen-taires. Mais le passage à l’échelleindustrielle économiquement via-ble et avec un bilan CO2 toujoursintéressant quand on prend en comptetout le cycle de vie du carburantdemeure un défi.Enfin une solution transitoire maisintéressante est celle des moteurs"hybrides", où la batterie d'un moteurélectrique est alimentée par un moteurthermique à allumage commandé(complété par la récupération d'éner-gie de freinage). Depuis la ToyotaPrius l’on mesure l’intérêt de cetteassociation technologique qui enplus de réduire significativement lesémissions permet une étape vers letout électrique.

NOUVELLES ÉNERGIESUn véhicule électrique n’émet pasdirectement de CO2. Cependant, ilfaut prendre en compte le mode deproduction de l'électricité (nucléaire,hydrocarbure, renouvelable) ainsique les contraintes imposées au réseauélectrique par un déploiement mas-sif de véhicules électriques (notam-ment être capable d’absorber desmises en charge simultanées mas-sives de véhicules en soirée). En termesd’usage, ce sont l’autonomie et letemps de charge qui sont importants.Ce qui pose la question de la batte-rie. Brique technologique critique,celle-ci doit atteindre une grande den-sité d’énergie, être fiable et d’un coûtraisonnable, se recharger rapidementsans problème de sécurité ou de toxi-cité et dépendre le moins possible dematériaux rares ou dont l’extractionpose problème. Des solutions répon-dant à ces exigences apparaissent,notamment à base de nanomatériaux,

mais le défi reste de taille et les enjeuxénormes. De petits véhicules élec-triques, City Swing ou Twizy, offrentdéjà des solutions de déplacementindividuel urbain. Pour autant, le parisur le tout-électrique demeure pourl’heure aventureux.Des solutions plus innovantes encore– véhicule solaire aux batteries rechar-gées par des cellules photovoltaïquesou véhicule à hydrogène dont l’éner-gie provient d’une pile à combusti-ble – pourraient répondre aux défisenvironnementaux. Mais coûteuseset soumises à d’épineux problèmesde stockage d’énergie, ces solutionsne seront pas matures et commer-cialisables à grande échelle avant uncertain temps…

UN ENJEU POLITIQUEFONDAMENTALOn le voit, il n'y a pas de réponseunique à la problématique des trans-ports individuels. Le comportementet les habitudes jouent un grand rôleet les avancées technologiques nefont évoluer les transports qu’en com-plémentarité avec des évolutionssociales. Pour les courts trajets, lesmodes de déplacement doux, « zéroémission », vont se conjuguer de plusen plus avec l'inter-modalité, assem-blage sur un même trajet de plusieursmodes de transports, individuels oucollectifs. Le covoiturage va prendrede l'ampleur, mais pour les trajetsindividuels longs, il est probable quela voiture individuelle reste domi-nante. Néanmoins, elle intégrera denombreuses avancées technologiqueset sera moins centrée autour de sonmoteur à combustion interne. Pour affronter les défis environne-mentaux sans en rabattre sur le droità la mobilité et les conditions de vieet de déplacement dans nos villes,il faudra que les efforts de R&D soientsoutenus – y compris en termes demoyens – jusqu’au déploiementindustriel effectif des bonnes solu-tions, avec une qualité de coordina-tion et d’intégration intermodaleencore atteinte nulle part. C'est unenjeu fondamental. n

*DOMINIQUE GENTILE est professeur desuniversités, Directeur national des formationsau Conservatoire National des Arts et Métierset animateur du groupe Compétences dupôle de compétitivité Mov’eo.

La Twizy, véhiculeindividuel tout

électrique.

La marche reste lemoyen de transport

le moinspolluant...et le plusbénéfique pour la

santé !

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DOSSIER TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE8

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L'écomobilité est une idée séduisante à condi-tion de l'accompagner d’une politique globalede long terme, à rebours des critères de renta-bilité. Les solutions techniques existent, ilmanque la cohérence d'ensemble et les finan-cements.

PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*,

L’écomobilité est un conceptapparu dans le constat simul-tané de la nécessité des dépla-

cements intra-urbains et interurbainsainsi que dans celui de la pollutioncroissante due aux moyens employés.De là naît l'idée "vertueuse" de dépla-cements peu polluants et à faibleempreinte carbone. Curieusementl'approche classique de l'écomobi-lité est essentiellement axée sur lesdéplacements des personnes et peusur les marchandises…

A LA BASE: UN PROBLÈME RÉELDANS LES VILLES : L'urbanisation des années 1850/1950avec ses quartiers concentriques aété suivie du développement despériphéries, accéléré par les prix dufoncier élevés au centre et plus acces-sibles au loin, ce qui a produit unedissociation entre lieux d'habitat etde travail. Les déplacements sontdevenus nécessités et font partie dela vie de la ville ; ils se traduisent parune congestion des centres. Outrela fatigue des personnes, cela entraîne

une pollution de l'air due à la pré-dominance de l'automobile dont onmesure les effets en réductionmoyenne de l'espérance de vie. Les moyennes masquent les diffé-rences dues à la ségrégation socialequi concentre la crise et ses effetsdans les quartiers les plus éloignés,de sorte que les populations pauvresplus fragiles sont celles qui habitent

le plus loin et sont les plus dépen-dantes des moyens de transport. Ces données traditionnelles dansune société de classes sont l'objetd'une prise de conscience qui en estau stade de l'exigence d'une amé-lioration de la qualité de vie… et doncd'une amélioration des transportsmais qui ne va pas toujours jusqu'àla conscience des causes.

LES MOYENS TECHNIQUES DEL'ÉCOMOBILITÉ : Le but est d'améliorer le service renduen diminuant les émissions pol-luantes. On pense alors à la marche(trottoirs, zones piétonnes coupléesà des parkings de dissuasion…) ouaux cycles (pistes cyclables, vélo loca-tif, vélo électrique et dérivés, etc.).L'aménagement des rues (voies rétré-cies et réduction de la vitesse) et l'uti-lisation de véhicules électriques(flottes captives…) vont dans ce sens.Le covoiturage est séduisant (sitesinternet, ou sociétés privées) etdemande un regroupement de tra-jets et d'horaires ; or il se heurte àl'organisation du travail à horairesflexibles et à la dispersion de l'habi-tat. De ce fait, les transports en com-mun sont structurants par leurs lignesrepérables (en site propre : RER,métro, tramways ou sur route/auto-bus). Les moyens sont bien connus ; leurefficacité dépend de la simplicité etd'une multimodalité coordonnée,

proche du terrain et des besoins (cou-plée à une simplification de la billé-tique…). Dans le temps les usageset les besoins évoluent et il faut savoirfaire évoluer l'offre de déplacement.Mais cette mise en œuvre dépendde choix politiques.

LES RÉPONSES TECHNOCRATIQUESET LIBÉRALES : C'est d'abord l'usage de la planifi-cation et des mesures administra-tives : PRQA (plans régionaux pourla qualité de l'air), les PPA (plans deprotection de l'atmosphère) les arrê-tés de limitation des vitesses ou lesobligations du contrôle de la carbu-ration pour limiter les émissions. Viennent ensuite l'incitation parmédias ou publicités interposés, lespanneaux de prévention etc.; les cer-cles de qualité des entreprises orga-nisent le covoiturage ; les mairiesappuient les initiatives citoyennesde pédibus pour les écoliers ; maisles résultats de ces mesures sont sou-vent limités et partiels, ce qui conduità vilipender les "mauvais conduc-teurs/mauvais citoyens". La répression en est le complémentlogique: limitation des vitesses pourcause d'ozone puis PV pour excès devitesse. Ces mesures peuvent avoir quelqueseffets immédiats mais elles ne tou-chent pas aux causes profondes quitiennent aux structures mêmes desvilles.

ÉCOMOBILITÉ DANS LES VILLES : DU SLOGAN À LA RÉALITÉ

un exemple demobilité douce :

le batobusParisien

Les quartiers se sont de plus en plusspécialisés, cela aggravé par les ségrégationsnouvelles générant pour les couches populaires le «métro-boulot-dodo» connu.“ “

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REPENSER LES VILLES ET LESCHANGER À L'ÉCHELLE DU SIÈCLECar il s'agit d'équipements lourdsqui doivent ensuite durer pour mar-quer la ville.

La géographie locale suggère parfoisdes solutions à saisir et valoriser :"batobus" côtier à Marseille, navettesfluviales à Paris, cycles dans une villede plaine comme Avignon… Les auto-rités locales doivent donc équiperdes villes qui depuis 50 ans ont étémodelées autour de la voiture. Ceséquipements sont plus ou moinsfaciles à réaliser (zones piétonnes,parkings…) ou plus ou moins coû-teux (transports collectifs en sitespropres…). Mais les villes sont des lieux de ren-contre et d'échange dont paradoxa-lement les quartiers se sont de plusen plus spécialisés, cela aggravé parles ségrégations nouvelles générantpour les couches populaires le "métroboulot dodo" connu. Dès lors les PDU plans de déplace-ments urbains destinés de manièrejustifiée à coordonner les transportset les rendre moins polluants, peu-vent comme ceux évoqués ci-dessusapporter quelques améliorations limi-tées. Mais c'est dans la durée qu'ap-paraissent ou non leur cohérence etleur efficacité. Car à côté des équipe-ments en transports c'est le remode-lage de la ville et de ses quartiers quipermet de réduire et rationaliser lesdéplacements de façon à accentuer

leur caractère moins polluant. De cepoint de vue, le rapprochement tra-vail habitat paraît incontournable. Et cette restructuration de la villedemande beaucoup de temps. Samise en œuvre demande une volontépolitique dans la durée et une struc-ture politique d'impulsion adaptéeaux dimensions des agglomérationset bassins de vie. Or la mise en placede métropoles coupées du terreaucommunal est grosse de réponsescohérentes mais technocratiques etéloignées des besoins réels en éco-mobilité des populations dans leursquartiers. Une coordination inter-communale à l'échelle des grandesagglomérations est en revanche néces-saire pour ces aménagements.

L'ÉCOMOBILITÉ URBAINE : DE LARECHERCHE DE RENTABILITÉ ÀL'EXERCICE D'UN DROIT La réorganisation de la mobilité enréduisant les impacts polluants a uncoût considérable pour les AOT auto-rités organisatrices des transports.

Les transports collectifs sont de façongénérale déficitaires, les solutionsalternatives à l'état d'amorce, lesPDU à l'état de projets, alors que lemode automobile n'est pas soute-nable. Quadrature du cercle? Et pour-tant se déplacer est non seulementune nécessité pour le travail et la viesociale, mais c'est aussi un élémentessentiel de liberté. L'écomobilité réussie n'est donc pasune question de techniques de trans-ports, mais un changement beau-coup plus profond qui permet ensuitede se donner les moyens d'investirpour un système de transports selondes modes complémentaires, moinspolluants, confortables, denses (fré-quences), et fiables. La multimoda-lité est la réponse souple à la diver-sité de la demande en déplacements.La simplicité de la billétique permetd'attirer tandis que l'évolutivité desréseaux colle aux changements despopulations et de leurs besoins. La vaine recherche de rentabilité finan-cière amène ainsi à poser d'un mêmemouvement la question du droit auxdéplacements dans la ville commeliberté essentielle ainsi que la ques-tion de la gratuité de ces transports.Joints à la refonte de la structureurbaine, ces éléments ne sont-ils pasla condition pour une désaffectionde la voiture au profit de ces modesmoins polluants de déplacement? n

*JEAN-CLAUDE CHEINET est est membredu comité de rédaction de Progressistes.

L'automobile a été l'industrie reine du 20ème

siècle. Le pétrole, son énergie. Dès le 19ème

siècle, cet or noir était devenu une ressourceindustrielle majeure - pour l'éclairage, la lubri-fication des machines ou le goudronnage - àl'origine de fortunes comme celle de J. D.Rockfeller. Reste que c'est bien avec les car-burants automobiles et l'asphalte des routesque le pétrole est vraiment devenu cette matièrepremière indispensable au nom de laquelleon commet tant de crimes. Aussi avec l’es-sor annoncé de la mobilité électrique, et faceà la montée des contraintes écologiques, cesecteur le plus riche du monde aurait à seréinventer.

La multimodalité est la réponse souple à ladiversité de la demande en déplacements. “

La billettique estl'ensemble des

dispositifsutilisant

l'informatique etl'électronique

dans les titres detransport.

Ces dernières années les pistescyclables se sont imposées face autout-automobile.

COMMENT LES PÉTROLIERS (NE) PRÉPARENT (PAS)L'APRÈS PÉTROLE

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10 DOSSIER

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

Acheter un billet d’avion pas cher, c’est tentant, mais ce n'est pas innocent,cela a des conséquences sociales et économiques non négligeables.

PAR SÉBASTIEN ELKA*,

l y a beaucoup d’argent à gagnersur le dos de ceux qui en man-quent. C’est la logique des

modèles d’entreprise qui parient surle « bas de la pyramide1 » : vendre desproduits peu chers pour le large mar-ché des pauvres, faire relativementpeu de marge sur chaque unité ven-due mais compenser par les volumes.C’est le modèle du hard discountdans la grande distribution, du sub-prime dans le marché du crédit, dulow cost dans les transports. Ce low cost, « bas coût », mérite bienson nom, puisque pour vendre desbillets d’avion ou de train (entreautres) significativement moins cherque les concurrents sans en rabat-tre sur le profit, il faut nécessaire-ment réduire les dépenses. Or le grosde ces dépenses ne présente que peude marge de manœuvre pour quel’opérateur low cost se différencie deses concurrents : le prix d’achat dukérosène ou de l’électricité est peunégociable, la consommation qui enest faite dépend de la technologiedes véhicules à moteur, du pilotageet de la gestion du réseau, sur les-quels on ne peut espérer que de lentsprogrès. Le coût du capital pourl’achat des véhicules ou les couver-tures financières est relativementhomogène à l’intérieur d’un secteur.Et les frais liés à l’utilisation, la ges-tion et la sécurité des infrastructuresrépondent à des exigences réglemen-taires, heureusement non négocia-bles.Il ne reste donc aux entreprises pré-tendant au low cost qu’à réduire lescoûts liés au service aux passagerset ceux liés au personnel. Pour lespremiers, il s’agit de ne plus distri-buer de repas dans les vols courtedurée, de vendre des billets nonéchangeables ni remboursables, defaire payer des suppléments pourtout (bagages, paiement par cartebleue, embarquement prioritaire,boissons, journaux, etc.), de serrer

TRANSPORTS LOW COST, LE PARADIGMED’UN CONSUMÉRISME LIBÉRAL

les sièges pour charger le véhiculeau maximum, etc. Pour les seconds,il s’agit d’optimiser les processus detravail et tendre les flux, au risque detransformer le moindre incident enretard irrattrapable, de faire du mana-gement lean (« sans gras »), d’utili-ser au maximum les rames et appa-reils, de sous-traiter la restaurationet l’entretien au moins cher, de « déma-térialiser » les guichets et les rempla-cer par des automates et interfacesnumériques.

Ainsi, la facture du low cost est doncd’abord payée par les travailleurs dutransport, tandis que le voyageur lui,pourrait se dire que s’il perd en qua-lité de service, en ponctualité et encontact humain, il gagne en pouvoird’achat. En période de salaires stag-nants, se déplacer à petits prix n’estpas négligeable. Sauf qu’il y a là un calcul individuelà courte vue. D’abord parce que levoyageur-consommateur est aussitravailleur-producteur. Certes Internetlui donne accès à de puissants com-parateurs de prix (Opodo, partirpa-scher, voyage-sncf…), mais en cher-chant partout les prix bas il encouragela mise sous pression des salaires,suivant un terrible cercle vicieux. Et

au-delà, il faut comprendre que si leprix du ticket devient le déterminantquasi-unique de la décision d’achat,au détriment du confort ou de la qua-lité du service notamment, moinstangibles, il n’y a plus de place sur lemarché pour une diversité d’offre etseul le moins cher survivra. À l’issued’une phase de concurrence féroce,faillites et restructurations s’abat-tront sur la plupart des acteurs et lemarché retrouvera par sa mécaniquepropre un équilibre avec un faiblenombre d’acteurs, qui n’auront plusalors besoin de se différencier etpourront recommencer à monter lesprix. Les coûts liés à la rémunérationdu travail ou à la qualité du serviceoffert resteront bas mais les prixretrouveront un niveau plus élevé.Seuls les actionnaires auront finale-ment gagné à la déstabilisation demarché introduite pendant quelquesannées par le low cost.

En plus de relever d’une logique demiroir aux alouettes, ces modèleslow cost illustrent une contradictionde fond du capitalisme de notretemps. Pendant les 30 glorieuses, lecapitalisme occidental avait besoinpour faire tourner ses usines d’uneconsommation de masse portée pardes salaires suffisants pour soutenirla demande, suivant la logique key-nésienne et globalement sociale-démocrate. Avec la « révolution conser-vatrice néolibérale », il s’est agi àpartir des années 1970 de « conte-nir » les salaires sans cesser de sou-tenir l’indispensable consommation,et pour cela tout a été fait pour struc-turer l’économie autour de la seulebataille sur les prix, réservant la qua-lité et la diversité aux segments « luxe »de chaque marché. Ou autrementdit : bons repas et petits soins pourla classe affaire, low cost pour lesautres…Entre les deux, rien. A tra-vers le low cost, c’est donc le miragede la classe moyenne qui s’évanouit :là où le low cost nous conduit il n’ya que deux classes sociales : la classeaffaire et la classe éco. n

*SÉBASTIEN ELKA est ingénieur.

(1) Couramment appellé «Bottom of thePyramid»

Il ne reste donc aux entreprisesprétendant au low cost qu’à réduire lescoûts liés au service aux passagers etceux liés au personnel. “ “

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

PIERRE TRAPIER est le maire communiste de Portes-Lès-Valence, ville drô-moise de près de 10000 habitants qui verra démarrer en 2014 le chantierd’aménagement d’une plateforme multimodale « 3R » – Rail Route Rhône.

ENTRETIEN AVEC PIERRE TRAPIER,

Progressistes : Pouvez-vous nous expli-quer en quoi consiste cette plateformemultimodale?

Pierre Trapier:Notreville a une relationparticulière auxtransports. Bordéepar le Rhône, elleaccueille le port decommerce fluvio-

maritime de Valence, principale étapeentre ceux de Marseille-Fos et de LyonE. Herriot. Elle est aussi traversée parl’autoroute A7 et ses 16000 poids lourdsquotidiens, ainsi que par la toujourstrès fréquentée Nationale 7. Enfin laville accueille une grande gare de triageferroviaire qui permet d’offrir une des-serte ferroviaire aux entreprises sansqu’elles aient à financer un embran-chement et positionne l’aggloméra-tion comme distributeur tant vers lesflux nord-sud du Rhône (vers laMéditerranée et la Péninsule Ibérique)que vers celles du « Sillon Alpin » quimène à Romans, Grenoble, Chambéry,Annecy, Genève et au-delà.

L’idée de la plateforme multimodaleest de construire trois quais de déchar-gement ferroviaire de 300 mètres acco-lés aux équipements du port de com-merce et à un espace de chargement/déchargement de poids lourds. Dès2015, la plateforme permettra l’ache-minement de 60000 tonnes de maté-riaux par voie fluviale, soit l’équiva-lent de 2000 poids lourds. L’objectifest que les flux de marchandises nese contentent plus de traverser notreespace mais trouvent au sud de Lyondes infrastructures permettant letransfert de charges et donc le reportdu fret routier vers le fluvial et le fer-roviaire. Un horizon beaucoup plus

UNE PLATEFORME MULTIMODALE « 3R » DANS LA DRÔME

écologique et qui permettrade créer de l’emploi sur la zone.

Progressistes : Il s’agit donc decapter une partie des flux aujourd’huiabsorbés par Marseille et Lyon?P.T. : Nous ne sommes pasdans une logique de compé-tition entre les territoires.Aujourd’hui, beaucoup demarchandises sont transpor-tées par le fleuve ou le rail deMarseille à Lyon, avant deredescendre vers nous par

camion. C’est une aberration écolo-gique et économique! Et cela contri-bue à l’engorgement des infrastruc-tures lyonnaises, qui sont d’ailleurslargement saturées.Marseille et le port de Fos-sur-meront aussi tout à gagner d’un arrière-pays mieux connecté au fleuve ouau rail et qui pourra drainer les mar-chandises de la Drôme, de l’Isère,des deux Savoie, de l’Ardèche et d’unebonne partie du Massif Central. Deszones aujourd’hui desservies presqueuniquement par le transport routier.Enfin il faut noter qu’avec les infra-structures existantes le Rhône pour-rait charrier quatre fois plus de ton-nage, et que le frêt ferroviaire peutaussi être très largement renforcé.

Progressistes : Quelle est la genèse duprojet?P.T. : Portes est une ville de chemi-nots, tout le monde ici a un lien avecle rail. Or face aux nombreusesattaques contre le service public fer-roviaire – démantèlement de la SNCFen filiales, fermetures de gares detriage, affaire des wagons isolés1, etc.– la CGT cheminots a cherché unmoyen d’ancrer durablement cetteactivité historique dans le dévelop-pement de notre territoire.En 2009, nous avons lancé ensem-ble une pétition contre l’abandondu « wagon isolé », qui a recueilli2500 signatures. Puis une associa-tion de préfiguration « ValenceEurorhône » a été créée – réunissant

les collectivités de Portes-lès-Valence,de Valence, la communauté d’agglo-mération, la CCI et l’Association desUtilisateurs de Transport de Fret –avec l’objectif de développer le ter-ritoire Sud Rhône-Alpes autour dupôle multimodal de Valence sud. En2010 la création de l’agglomérationde Valence, qui a compétence surl’économie, a permis de dégager dufoncier disponible près de la zoneportuaire. Les permis de construiresont à ce jour actés pour un chan-tier d’aménagement de 164000 m2.

Progressistes: Quelles sont les prochainesétapes?P.T. : Nous avons encore d’impor-tantes luttes à mener. La premièreest de faire entrer tous les acteurspublics concernés dans le projet.Nous avons dû batailler pour que laCompagnie Nationale du Rhône,concessionnaire du fleuve jusqu’à2023, soit partie prenante, et nousne sommes pas encore parvenus àimpliquer résolument la SNCF. Larégion finance en partie la moder-nisation de l’installation ferroviaireet l’État participe à l’achat de la grueportuaire de 86 tonnes via le planRhône, mais cela n’est pas suffisantcar le financement demeure princi-palement à la charge des collectivi-tés locales alors que cette plateformeest d’intérêt national ! Et si la SNCFne s’implique pas dès maintenant,il y a tout à parier que ce seront lesacteurs privés qui s’empareront desactivités les plus profitables.L’autre enjeu est celui de l’emploi.Mille créations d’emploi sont atten-dues, surtout dans le secteur de lalogistique. Or ce secteur a massive-ment recours à la sous-traitance etaux contrats précaires, et n’offre sou-vent que des conditions de travailtrès difficiles. Développer la forma-tion sur ces métiers et imposer auxentreprises des engagements solideset vérifiables est un chantier qui estencore devant nous. n

(1)-Dans le cadre de son « plan frêt », laSNCF a décidé de ne plus prendre en chargeles wagons uniques des entreprises, pasassez rentables, n’acceptant plus que lestrains complets. Le principal résultat de cettedécision a été un recul énorme du volumetotal de frêt ferroviaire en France.

Dès 2015, la plateforme permettral’acheminement de 60 000 tonnes dematériaux par voie fluviale, soit l’équivalentde 2000 poids lourds.“ “

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

Les transports sont au cœur des enjeux sociaux, économiques et environne-mentaux de notre société. Selon la façon dont on les utilise, ils peuventinfluer sur l’aménagement et le développement économique du territoire, desterritoires.

MULTIMODALITÉ ET ENVIRONNEMENT

PAR DOMINIQUE LAUNAY*,

LES TRANSPORTS: LE GRANDABSENT DES CONFÉRENCESENVIRONNEMENTALESLeur structuration pose des ques-tions de fonds touchant aux choixéconomiques et de société, c’est-à-dire au mode de développement.Ce qui explique, peut-être, pourquoile gouvernement a refusé que la ques-tion des transports soit retenue commethème lors des conférences environ-nementales de 2012 et 2013, à voirses positionnements récents, commeson revirement sur l’écotaxe poidslourds, s’inscrivant dans une conti-nuité du « tout routier » après avoirvalidé la généralisation du 44 tonnes,en janvier 2013, ou encore son sou-tien à la politique du bas coût (lowcost) qui se généralise dans tous lesmodes de transport.

Cela s'inscrit dans un contexte deconcurrence exacerbée, de dumpingsocial, d’oppositions entre modes detransport ou à l’intérieur des modes,de mise en concurrence des salariés,ne répondant pas aux besoins desusagers et allant à l’encontre de leurssouhaits d'une diminution des émis-sions de Gaz à Effet de Serre (GES).

UNE AUTRE RÉGULATIONUne autre régulation que celle du mar-ché et des logiques de concurrence etde flux tendu peut seule permettreune utilisation des transports qui soitéconomiquement, socialement et éco-logiquement responsable.Cela passe, notamment, par une orga-nisation multimodale des transports,appropriée à chaque domaine, voya-geurs et marchandises.

En effet, pour sortir de cette logiquelibérale menée depuis quatre décen-nies des choix politiques sont néces-saires pour organiser les transports,sous maîtrise et contrôle des collec-tivités, en choisissant les modes lesplus pertinents pour les achemine-

ments et en combinant leur com-plémentarité selon d’autres critères.

La multimodalité reconnaît l’utilitéde tous les modes et définit leur placepertinente, sans les opposer. Ellerequiert une volonté de maîtrisepublique de tout le système de trans-ports. C’est un choix politique fon-damental. D’ailleurs le capital, lepatronat, emploient rarement en cesens (à quelques exceptions près) ceconcept de multimodalité : lui estpréférée la logique de concurrenceet profits – y compris dans le cadred’intermodalités (dont ils ont besoinpour leur business)- et cela aux dépensde l’intérêt général, des besoinssociaux et environnementaux.

POURTANT LE DERNIER RAPPORTDU GIEC EST ALARMANT!D’où la nécessité de sortir les trans-ports du marché, car il n’y a pas d’ave-nir pour l’environnement si on nesort pas de ce système économique.Il faut en finir avec le moins-disantsocial, de formation et de rémuné-ration qui régule l’activité des trans-ports routiers (marchandises et voya-geurs) entraînant des suppressionsmassives d’emplois dans le secteur.Le gouvernement a lancé le conceptd’économie circulaire, à la dernièreconférence environnementale.Ce qui pose la question de remettrel’appareil industriel au cœur desenjeux et du débat, d’œuvrer à la

Le transport est curieusement le grand oublié desconférences gouvernementales. Sujet trop sensible ?

reconquête industrielle, de relocali-sation des productions – dans unconcept de circuit court territorial –en pesant bien la question du justecoût du transport des marchandisesdans les coûts de production, de lacomplémentarité entre les modespassant par un véritable service publicdu transport des marchandises parle rail, mais aussi par un renouveaudu fluvial.

Cela nécessite de sortir de la spiralequi empêche une véritable inversionde l’émission des Gaz à Effet de Serreportée par les politiques ultralibé-rales qui s’amplifient, où les maîtresmots sont : compétitivité, concur-rence, coût du travail… alors qu’ils’agit du « coût du capital ».

Tant que l’on considérera le travailcomme un coût alors qu’il est la véri-table richesse, tant que l’on aura l’œilrivé sur le niveau du CAC 40 : on par-lera environnement sans avenir !De quelle compétitivité parle-t-onlorsqu’il s’agit de l’avenir de la pla-nète, de l’être humain?

Sans faire de raccourcis et de conclu-sions hâtives, la catastrophe qui vientde se dérouler aux Philippines nepeut nous laisser indifférents et jeme permettrai de citer un extraitd’une interview de Jean Jouzel, cli-matologue, dans L’Humanité du12novembre 2013 « (…) notre crainte,c’est que le réchauffement clima-tique ne favorise des cyclones de plusen plus violents, provoquant desdégâts de plus en plus graves. Si les

événements de ce type continuentà se multiplier, il est probable que–dans le prochain rapport du GIEC–le lien soit fait avec les activitéshumaines » fin de citation.C’est aussi pourquoi nous pensonsque l’accord de libre-échange – quise négocie entre l’Europe et les États-Unis est une mauvaise chose aussipour l’environnement et le conceptd’économie circulaire.

De quelle compétitivité parle-t-on lorsqu’il s’agit de l’avenir de laplanète, de l’être humain ?“ “

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au développement économique età l’aménagement du territoire.Une politique multimodale intégréedes transports impose une gestionen conséquence des infrastructures: Une maîtrise publique totale de cesinfrastructures pour garantir leurfinalité dans l’utilisation des modesfavorable à l’aménagement équili-bré du territoire, et se protéger d’unemise en concurrence qui, par défi-nition, viendrait contrarier les obli-gations de développement durable ;des financements qui garantissentcette maîtrise autant que les réali-sations nécessaires et cela que l’onraisonne à court, moyen ou longterme, sans quoi nous sommes dansune socialisation des pertes et pri-vatisation des bénéfices ;

Une ressource de financement quirepose sur une fiscalité juste, sur les

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

On peut parler « environnement »tant que l’on veut, mais tant que letransport routier de marchandisessera sous-tarifé, tant que la politiquebas coût (low cost) sera soutenue,que le concept de multimodalité serarejeté, tant que ce sera « la loi de lajungle » dans le maritime – où desbateaux coulent avec des milliers deconteneurs dont on ne connaît pasexactement le contenu –, on conti-nuera à polluer la planète, les océans.

PROPOSITIONS POUR UNEPOLITIQUE MULTIMODALELa maîtrise publique, le financementpublic des infrastructures dans unconcept multimodal (ferré-fluvial-portuaire-aéroportuaire…) doiventaussi être priorisés pour sortir desPartenariats Publics Privés dont onmesure bien la nocivité et les sur-coûts et qui sont un véritable frein

contributions de ceux qui réellementprofitent du transport, sur desemprunts et fonds d’investissementdu type « grands travaux ».

La question du financement des infra-structures d’intérêt général néces-site la mobilisation de ressourcesnouvelles. La création d’un pôle finan-cier public, permettant de disposerde ressources nouvelles en dehorsdes contraintes du marché, est unesolution. L’ensemble de ces éléments peutcontribuer – si on change d’orienta-tion politique– à une véritable poli-tique multimodale et aller vers uneéconomie circulaire, s’inscrivant dansune transition écologique et la dimi-nution des Gaz à Effet de Serre. n

*DOMINIQUE LAUNAY est SecrétaireGénéral de l' UIT-CGT

Le transport maritime représente 90 % du transport mondial demarchandises. C'est aussi une des clés de voûte de la mondia-lisation et de la mise en concurrence des territoires. Quellesréalités se cachent derrière ce « bas coût » du transport rare-ment explicité dans tous ses aspects?

PAR JEAN-PHILLIPE CHATEIL *,

LE DÉCLIN DE LA MARINEMARCHANDE FRANÇAISE.Quatrième dans les années 1960, laflotte de commerce française occupeaujourd’hui le 29e rang mondial. Ellene cesse de diminuer alors que letrafic mondial explose. Les arma-teurs français avancent que la dégra-dation de la flotte tient au coût dutravail trop élevé du marin françaiset à sa protection sociale spécifique.Ils n’ont eu de cesse de dégrader lepavillon français par le « pavillonbis », «pavillon Kerguelen» et, depuis2005, la création du pavillon RIF(second registre international fran-çais). La Fédération internationaledes travailleurs du transport (ITF)l'assimile à un pavillon de complai-sance du fait de l’absence de garan-ties sociales de haut niveau et même

de certitude de rémunération. Il aouvert la brèche au moins-disantsocial en mettant les marins fran-çais en concurrence avec les équi-pages des pays européens et ceuxdes pays tiers.En France, plus de 1400 navires sontgérés par des compagnies françaisesavec leurs 199 navires de plus de 500UMS (UMS: unité internationale detonnage), sous pavillon RIF, les autresarborent les pavillons des pays où lalégislation sociale et celle de la sécu-rité sont moins contraignantes etsans contrôle suffisant des pavillonsde complaisance.Le nombre de marins décline, mal-gré tous les démentis : de 16 242marins en 2000 à 13311 en 2011 surnavires de commerce. Le RIF n’a pasarrêté la perte d’emplois de marinsfrançais. Les armateurs français sontexonérés de cotisations sociales sans

aucune contrepartie en termes d’em-ploi et de formation et continuent àliquider l’emploi de marins français,remplacés par des marins des paysdu tiers-monde. La compagnie française, CMA- CGM,3e armateur mondial de porte-conte-neurs, n'a que 20 navires sur 90 enfonds propre et n'emploie que 200marins français; tous les autres naviressont sous pavillon de complaisance

Le porte-conteneurs MSC Flaminia. Un incendie s'estdéclaré à son bord le 14 juillet 2012 alors qu'il était aucentre de l'Atlantique Nord.�L'équipage a quitté le navire,qui contenait environs 2 876 conteneurs, dont 151étiquetés dangereux dont des solvants inflammables et desproduits toxiques (dont du PCB). Peu de transparence surle contenu réel des marchandises transportées, menaçantles écosystèmes marins de pollutions irréversibles surplusieurs milliers d'années en cas de naufrage.

MARCHANDISES : POURQUOI TRAVERSER LES OCÉANSCOÛTE-T-IL SI PEU ?

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

avec des conditions sociales et sala-riales proches de l’esclavage dans cer-tains cas. Malgré les contrôles effec-tués par ITF, certains armateurs françaisne respectent pas les accords signés.

LES PAVILLONS DECOMPLAISANCE: PREMIÈREEXPÉRIENCE DE DÉRÉGULATIONDU TRAVAIL Les pavillons de complaisance règnentsur mers et océans ! Cela n’est passans conséquences sociales et envi-ronnementales. La complaisancecréée par les Américains dans lesannées trente, s'étend après la SecondeGuerre mondiale, aux pavillons pana-méens, libériens, îles Marshall… ettous les pays européens ont désor-mais des pavillons « second registred’immatriculation » qui sont sou-vent parmi les pires du monde enmatière de droits sociaux (Norvegianinternational shipping, Danemarkinternational shipping).Le plus souvent les équipages sonttrès mal formés et travaillent dansdes conditions sociales et salarialesscandaleuses: droit de grève et sécu-rité sociale inexistants, pas de retraite,très peu de congés. D'où des erreurshumaines comme l'échouage duporte-conteneurs libérien RENA enNouvelle Zélande en 2012.Avec l'embauche de marins venusdes pays les plus pauvres, à des salairestrès bas, protection sociale inexis-tante, conditions de travail au rabais,c'est en mer qu'ont été expérimen-tées les premières délocalisations !La mise en place du RIF n’est pas unfrein au dumping social et pousse àla généralisation du « low-cost » dansle maritime :Il n'y a plus d’obligation d’avoir desmarins français à bord ni d’avoir uncapitaine et son remplaçant, offi-ciers français ; finie la règle de l’em-bauche de marins français à hauteurde 35 % de l'effectif de sécurité (etnon de l'effectif réel embarqué),l’équipage est désormais composéde marins communautaires.

L’EUROPE PRIVILÉGIE LA LIBÉRALISATIONLa France doit mettre fin au RIF etdévelopper son 1er registre d’imma-triculation, seul pavillon françaispour garantir des conditions socialeset de travail.

Avec le transfert d’une grande par-tie des navires européens sous pavillonde complaisance et la montée enpuissance de la Chine maritime,l'Europe a privilégié la libéralisationtotale du transport maritime sur les

mers intra-européennes, perdant enpartie ses moyens de transport mari-time intercontinentaux. Les compa-gnies européennes engrangent ainsiun maximum de profits au méprisde la sécurité et du social. Un syndicaliste marin et internatio-naliste ne peut accepter cette dégra-dation des conditions de travail etdes conditions sociales pour les équi-pages du transport maritime mon-dial. La nouvelle convention du tra-vail maritime (MLC2006) ratifiée parla France et en vigueur depuis l’été2013, apportera certes des amélio-rations pour les équipages étrangers(salaires minimums de plus de 500$et des garanties sociales minimales),mais les normes internationales enmatière sociale sont moins exigeantesque nos normes nationales.

LE GIGANTISME AUX DÉPENSDE LA SÉCURITÉET DE L'ENVIRONNEMENTMalgré les normes de sécurité inter-nationales, la course au gigantismedes porte-conteneurs interroge. Onen est arrivé à des navires de 18000conteneurs qui posent un vrai pro-blème de sécurité maritime et por-tuaire ! Le contrôle des contenus estmalaisé : quid des matières dange-reuses (jouets, appareils ménagers,vidéo, produits chimiques explosifs,inflammables) ? Des accidents demer dramatiques font l’actualité, telque le «MSC Flaminia » : incendie etexplosion inexpliqués en 2012 aularge de la Bretagne. Les poids dechargement ne sont pas connus etrespectés comme le spectaculaireaccident du « MOL Comfort » casséen deux et avec un incendie sans per-sonne à bord dans l’océan indien enjuin 2013.

L’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUEDE LA FRANCE MISE À MALL’indépendance énergétique de laFrance est mise en cause à travers letransport de produits énergétiques(pétrole brut, produits raffinés, gaz).En effet, en dépit de l’interventiondes sénateurs communistes, pourélargir les termes de la loi de 1992sur l’approvisionnement minimal

Remarquez la taille minuscule de la péniche à ses côtés... Symbole du gigantisme, Le Maersk McKinney Møller est le premier navire d'une série de vingt navires identiques, capables de transporterplus de 18 000 conteneurs !

Les pavillons de complaisancerègnent sur mers et océans! Cela n’est passans conséquences sociales etenvironnementales.“ “

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stratégique de la France sous pavillonfrançais, le gouvernement n’a pasvoulu légiférer sur le maintien d’uneflotte stratégique de pétroliers, chi-miquiers, gaziers. C'est un risquetrès important pour l’indépendancede la France en cas de crise. Très peu de pétroliers appartiennentà une société française. À court terme,c'est la perspective dudépavillonnage desnavires encore françaisvers la complaisance,la liquidation desemplois d’officiers etde personnels d’exé-cution très qualifiés,avec risque de perteirrémédiable des cer-tificats internationaux.La politique maritimeultra-libérale de l’Europe, et uneconcurrence exacerbée à l’échellemondiale, conduisent à l’ineffica-cité des réglementations : c'est ladérive vers le low-cost. Des plans delicenciements se multiplient (maersktankers, Gazocean, BW…) Désagrégation sociale, perte desmétiers et des savoir-faire, le risqueest grand de voir toute l'économiede la mer « externalisée » et de fra-giliser un peu plus la place de laFrance dans le monde, en dépit deses atouts.

DES CATASTROPHES PÉTROLIÈRESPASSÉES ET À VENIR…Les grandes sociétés (EXXON, TOTAL,SHELL) n’ont plus de flottes pétro-lières et s'exonèrent en cas de catas-trophes. L'Amocco-Cadiz, l'ExxonValdès, l'Erika et récemment le nau-frage de I’Union Neptune, sont lesplus noirs symboles des effets decette dérégulation rampante, par lesterribles tragédies environnemen-tales et sociales qu'elles ont susci-

tées. Autre exemple d' « adaptation»:l’Allemagne, pour se prémunir de cerisque d' « image » a l'une des plusgrandes flottes de navires (3 549),mais moins de 10% sont sous pavillonallemand…

FILIÈRE DE DÉMANTÈLEMENT ETDÉPOLLUTION DES NAVIRESConcernant le démantèlement desnavires en fin de vie, on ne peut pluscontinuer à tirer profit de la naviga-tion de navires qui finissent leur car-rière dans des chantiers de décons-truction en Chine, Inde, Pakistan, oùles conditions de travail sont catas-trophiques pour la santé des travail-leurs et leur sécurité.Il faut exiger la mise en place d’unefilière française et Européenne dedémantèlement et de dépollutiondes navires, pour mettre fin à leurenvoi en déconstruction dans ceschantiers de pays pauvres! La Francevient de ratifier la convention deHong Kong sur le recyclage sûr etécologique des navires, mais ne l’atoujours pas signée…

PIRATERIE : LA PROTECTION DESMARINS ÉGALEMENT PRIVATISÉE !La piraterie a imprégné l'imaginairehistorique des conquêtes et bataillesnavales sur les mers du monde ; elles’est concentrée durant les 40 der-nières années dans le sud-est de l'Asie(sud de la mer de Chine, Détroit deMalacca, mer de Java, Détroit de laSonde, Indonésie), dans certaineszones d’Amérique du sud et d'Afriqueoccidentale, dans le golfe d'Aden aularge de la Somalie, avec le dévelop-pement d'une nouvelle forme : lerançonnage des équipages.La Marine nationale n’a plus lesmoyens de remplir ses missions. Lerecours au secteur privé avec gardesprivés armés, lui est substitué : véri-table scandale lié à la carence del’État dans l’exercice de ses missionsrégaliennes.La France, 2e domaine maritimeincluant l’Outre mer, avec11035000 km2, ne serait plus capa-ble d’assurer la sécurité de son pro-pre territoire, sans le recours au sec-teur privé ?

UNE AUTRE POLITIQUE S'IMPOSELa politique maritime ultralibérale,à l’échelle européenne et mondiale,

dévoie les réglementations et laissedériver le transport maritime vers lelow-cost et le moins-disant social.Éradiquer les pavillons de complai-sance sans tergiverser avec les arma-teurs et sortir d’une sous-tarifica-tion du transport maritime, générateurd'instabilité sociale et économique,sont de grandes priorités. La sécu-rité des équipages en dépend pourréorienter l'activité maritime.De plus, les armateurs français reçoi-vent des aides directes, exonérationsde cotisations sociales, et des faveursfiscales liées à la taxe au tonnage (enlieu et place de l’impôt sur les socié-tés) ; l’Europe s’en mêle pour rejetertout contrôle des aides quant auxcontreparties en termes d’emploi demarins européens: encore un cadeaude la Commission européenne, sousla pression de l’association des arma-teurs européens (ECSA).

Faire émerger une nouvelle politiquemaritime est urgent, qui aborderaitl'économie maritime dans sa globa-lité, en améliorant en premier lieules droits sociaux des marins. En ce sens l'exemple remarquableet récent de la SNCM, qui, par unelutte forte, très majoritaire, à l’ini-tiative des syndicats CGT de marinset des Officiers, a permis d’obtenirdu Gouvernement Français des déci-sions de rupture pour garantir lepavillon français, moderniser la flottedes navires et lutter contre le dum-ping social de la compagnie mari-time Corsica-ferries, sur les liaisonsmaritimes de cabotage entre le conti-nent et la Corse. n

*JEAN-PHILIPPE CHATEIL est secrétairegénéral adjoint de la fédération CGT desOfficiers de la marine marchande.

Parmi lesnombreux

pavillons decomplaisance : ledrapeau des Îles

Caïmans. Letransport maritimen'a pas attendu la

directiveBolkestein pour

pratiquer ladéréglementation.

juin 2013, le MOL Comfort et les4382 conteneurs qu'il portait, couleen plein océan indien.

Côtesouillée parla maréenoire duPrestige.

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Les contradictions de la politique de transport routier en Europe, ses consé-quences sociales et environnementales sont flagrantes. Quels moyens peut-onse donner pour une autre politique ?

PAR GÉRARD LE BRIQUER*,

Depuis des décennies, lesdébats et interventionspubliques en France ou en

Europe, et jusqu’aux grands som-mets internationaux, pointent lesdommages et dangers de la dégra-dation de l’environnement, duréchauffement climatique, de l’épui-sement des ressources énergétiquesfossiles, de la montée des inégalitéssociales ou entre territoires. Ils disentmoins que cela résulte de la mon-dialisation capitaliste des échangescommerciaux et que les transports– notamment de marchandises – ensont fortement responsables.

FAIRE ENTRER LA DURABILITÉSOCIALE, ENVIRONNEMENTALE ETÉCONOMIQUE DANSL’ORGANISATION DES TRANSPORTSLes transports sont les grands absentsdes réflexions et décisions pour pren-dre en compte la question de l’effi-cacité et de la sobriété énergétiqueet réduire des émissions de gaz à effetde serre (GES) jusqu’à atteindre d’ici2050 le fameux « facteur 4 ». Ils sontpourtant responsables de 26 % del’ensemble des émissions et de plusde 40% des émissions de CO2 liées àl’énergie sur le territoire national (enEurope 25% des GES et 20% du CO2).Ils représentent 32 % de la consom-mation finale d’énergie et concen-trent à eux seuls 70% de la consom-mation française de pétrole. En France,ils sont le premier émetteur de GES,devant l’agriculture, le résidentiel etl’industrie. Alors que les autres sec-teurs connaissent une diminutiondes émissions de CO2, celles issuesdes transports ont augmenté de 36%depuis 1990. Ils constituent donc unlevier essentiel pour toute transitionécologique.Mais le patronat du transport– logis-ticiens, grands transporteurs routiers,armateurs, également les grands don-

ÉCOTAXE : RÉORIENTER LE TRANSPORT ROUTIER POUR PESER SUR LES DÉCISIONS DE PRODUCTION

neurs d’ordres… – n’est pas mis devantses responsabilités. Préoccupé de laseule rentabilité de son capital, il conti-nue d’imposer déréglementations,austérité et politiques contraires àl’intérêt général qui lui permettentd’exploiter ses salariés dans des condi-tions inadmissibles tout en conti-nuant impunément à polluer la pla-nète.Il est grand temps d’avancer dans lavoie de la transition écologique, et deplacer le développement humaindurable au cœur de la réorientationdes systèmes de transport.

LE TRANSPORT-LOGISTIQUE EST AUCŒUR DE LA MONDIALISATIONCAPITALISTE, UN MOTEUR DESDÉLOCALISATIONSLa concurrence est organisée entreles modes et au sein de chacun d’eux.La politique européenne des trans-ports se veut la plus flexible possible,au service de la compétitivité desgrands groupes. Les transporteursinternationaux et grands logisticiensqui ont la main sur l’organisation, la

répartition des modes et des marchésfont pression sur les entreprises clientespour augmenter leurs bénéfices etpayer d’énormes dividendes à leursactionnaires. Très présents, les fonds de pensionsdéploient des stratégies telles quecelle révélée récemment par les 3000licenciements annoncés de Mory-Ducros: grossir, disparaître, revenir,sous-traiter et externaliser massive-ment, tout faire pour abaisser les coûts,faire payer la facture aux salariés. Lesgrandes ambitions stratégiques affi-chées de rééquilibrage entre les modesde transport, d’efficacité énergétiqueaccrue, de réduction d’encombre-ment sur les routes, de report modalvers des modes plus sobres, s’éva-nouissent bien vite. La politique de baisse des coûts, ini-tiée au début des années 1990 etappuyée par toutes les formes dedumping social, fiscal et tarifaire quipoussent à la mise en concurrencedes salariés français avec notammentles travailleurs des pays de l’Europede l’Est, s’est imposée partout. Le coûtdu transport a fortement baissé et lefret routier, mesuré en tonnes-km,s’est envolé. Le prix du transport n’estmême plus un frein aux délocalisa-tions ! Dans l’optique capitaliste de divisioninternationale du travail, ces trans-ports très bon marché permettent ladélocalisation de la production versles zones à «bas coût» de main-d’œu-vre, sans prise en compte des dégra-dations sociales et humaines mais enfaveur de la rentabilisation du capi-tal, qui résonne sur le coût global desproductions industrielles, achemi-nement compris. Il faut impérative-ment sortir de la logique de ces modesde production et de consommationpour lesquels le transport estaujourd’hui maintenu bien moinscher que les coûts qu’il impose à sestravailleurs comme à la collectivité età l’environnement. Si l’on continuecomme cela, c’en est fini des fonda-mentaux du transport durable, onabandonne l’idée de découplage, sui-vant laquelle il est possible et souhai-table de rompre le lien entre crois-

Le patronat du transport continue d’imposerdérèglementations, austérité et politiques qui luipermettent d’exploiter ses salariés dans desconditions inadmissibles tout en continuantimpunément à polluer la planète.“ “

Le transport demarchandisespar camion, unmode dominant.

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sance économique et croissance dutransport.Cela supposerait d’éviter les trans-ports superflus et parcours parasitesdes marchandises, de changer l’or-ganisation d’une logistique aujourd’huià flux tendu et sans stocks, dans lecadre d’une économie circulaire. Ils’agirait de replacer l’appareil de pro-duction au cœur des enjeux et dudébat sur la reconquête industrielle,de relocaliser des productions en

faveur de circuits courts dans nos ter-ritoires, mettre ainsi un coup d’arrêtà la désindustrialisation, aux ferme-

tures de sites de production et auxvagues de licenciements… Aller versune tout autre conception du rôle etde la place du transport routier demarchandises qui a un avenir dansune réorientation vers le transportmultimodal et complémentaire desmodes alternatifs à la route.

SORTIR DE LA SOUS TARIFICATIONNOTOIRE POUR MODIFIER LESDÉCISIONS DE PRODUCTIONIl faut réinstaurer une tarificationsociale obligatoire (anciennementla Tarification routière obligatoiresupprimée en 1986 dans le cadre desdéréglementations successives), quisoit aujourd’hui également environ-nementale, contraignante en Franceet en Europe. Sur ce chemin vers uneharmonisation sociale et fiscale, uneétape urgente est aussi de remettreà plat la directive des « travailleursdétachés » pour éradiquer les dérivesactuelles et garantir des conditionsde travail décentes aux salariés, tirervers le haut le niveau social lié à leursalaire et à leur protection sociale,améliorer leurs conditions de travailet de vie.Surtout, il faut sortir ces salariés dela concurrence avec ceux du rail etdu fluvial. Le transport routier est

actuellement dominant car le modede transport le moins cher, mais cebas coût tient au fait que nombre deses coûts véritables – externalitésnégatives telles que les dommagescausés par les poids lourds sur lesinfrastructures, le coût des conges-tions routières, les nuisances et pol-lution, etc. – ne sont pas facturés.Défendre une tarification socialeobligatoire et une revalorisationsociale des travailleurs de la route,c’est élever le coût du transport rou-tier et l’amener à reprendre sa justeplace dans les chaînes de transportcelle du transport terminal et local.Évidemment, le report modal a desimpacts sociaux et il faut assumerdes reconversions nécessaires dessalariés du transport routier versd’autres modes de transport. Au total, une internalisation des coûtsexternes combinée avec une tarifi-cation sociale obligatoire en faveurdes travailleurs du transport routiersont les leviers pour protéger la col-lectivité et les salariés des pratiquesde dumping.

UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉNÉCESSAIRE Il y a bien sûr une nécessité impéra-tive d’aller vers une réforme de la fis-calité et de mettre à plat les multiplessubventions et exonérations fiscalesde l’État – réductions de la taxe à l’es-sieu et remboursements partiels dela TICPE sur le gasoil professionnelpar exemple – afin de gagner en effi-cacité et en justice fiscale. Et ce fai-sant redonner aux citoyens un signalfort pour le consentement à l’impôtcomme levier fort des politiquespubliques. Mais il ne faudrait pas pourautant que ce manque de confiancefiscal torpille des projets nécessairescomme cette écotaxe poids lourds. Car en reculant à ce sujet, leGouvernement condamne un peuplus toute ambition de report vers lesmodes alternatifs (rail-fluvial) moinspolluants et plus économes. Le rejet politique général des cadeauxau capital, ne doit pas faire baisserles bras pour prendre des mesuresvéritablement efficaces vers une tran-sition écologique. On n’en prend pasle chemin ! n

*GÉRARD LE BRIQUER est secrétaire del'UIT-CGT.

Evidemment, le report modal a des impactssociaux et il faut assumer des reconversionsnécessaires des salariés du transport routier versd’autres modes de transport. “ “Conçue et labellisée par le Grenelle de l’environne-

ment en 2009, l’Ecotaxe Poids lourds se veut unpremier pas vers cet objectif. Elle devait entrer en vigueurdès le 1er janvier 2014. Le Gouvernement, en suspen-dant sa mise en œuvre, vient une nouvelle fois de céderaux pressions du patronat, aux lobbies routiers. Cette reculade coûte cher à la France ! Le manque à

gagner direct est d’environ 1,2 milliards d’euros derecettes fiscales pour l’Etat (ainsi que pour les dépar-tements, à qui 140 millions doivent être rétrocédés).Des recettes auxquelles il faut soustraire 250 millionspour payer le loyer annuel au consortium « Ecomouv »,attributaire d’un scandaleux contrat de privatisation dela mission publique de collecte de l’impôt ! La gabegiefinancière de « Partenariat Public Privé » (PPP) a été

dénoncée à juste titre lors des mobilisations1 contrel’écotaxe, en Bretagne notamment. Cependant l’objec-tif des « bonnets rouges » – sur fond de « ras le bol fis-cal » – est bien de torpiller les véritables justificationsde cette contribution. Car la bataille est bien de savoirqui doit payer pour les coûts externes aujourd’hui nonassumés du transport routier de marchandises. Et cen’est pas aux salariés du transport de porter cette charge,mais aux donneurs d’ordre et aux chargeurs, bénéfi-ciaires directs et depuis longtemps des transports rou-tiers sous-tarifés, tandis que les entreprises de trans-port doivent revoir leur mode de rémunération quiaujourd’hui coûte si cher socialement, économiquementet pour l’environnement. C’est le sens que nous devonsdonner à une nouvelle Tarification Sociale Obligatoire.

(1) Même si l’amalgame scandaleux qui a été mis enavant par les différents protagonistes (allant de la FNTR,la FNSEA, le MEDEF ou autre CGPME … au soutien parles forces politiques de droite et d’extrême droite) , desmouvements de décembre en Bretagne avait pourunique but de diviser –un peu plus- les salariés qu’ilsexploitent, menacent, licencient à longueur d’année enprenant appui sur le juste mécontentement des salariéspar rapport au Gouvernement qui a choisi le camp dupatronat auquel il multiplie les cadeaux fiscaux pendantque s’enchainent les reculs sociaux pour les salariés.

L'autorisationpour les poidslourds de 60t decirculer sur nosroutes : unsymbole de fuiteen avant.

L’ÉCO-TAXE POIDS LOURDS, UNE RECULADEQUI COÛTE CHER

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« Grand projet inutile » la ligne Lyon-Turin? C'est pourtant un projet essentiel pour libérer les vallées des Alpesde la pollution du trafic routier, notamment par camions. Plus largement il contribuerait à réduire les émissionsde gaz à effet de serre et à créer des emplois stables et de qualité.

PAR ALAIN RUIZ*,

L a liaison ferroviaire Lyon Turinest le maillon manquant dufutur grand réseau ferroviaire

transeuropéen. Retenu dès 1994 commel’un des 14 projets prioritaires enEurope, il doit permettre de relier lesports de la Manche, la région pari-sienne, la péninsule ibérique et lesvilles françaises des Alpes et du Rhôneà la plaine du Pô et aux pays d’Europede l’Est. Les travaux n’ont commencéque pour les galeries de reconnais-sance et la liaison ne sera au mieuxopérationnelle que vers 2025. Or, elleavait été officialisée lors du sommetdu 20 janvier 2001 et un traité bilaté-ral ratifié en 2002 par les parlementsfrançais et italien pour une mise enservice autour de 2015. Un projet quiaccusera donc un retard d’au moinsdix ans.

LA LIGNE DU MONT CENIS,PRINCIPAL GOULETD’ÉTRANGLEMENT ENTRE ITALIE ETFRANCEInaugurée en 1871, la ligne historiqueentre la France et l’Italie enjambe lesAlpes. Depuis Lyon elle chemine parChambéry et Saint Jean de Mauriennepuis monte en altitude par Modanepour rejoindre le tunnel de faîte (voirencart) du Mont-Cenis avant de redes-cendre vers Suze et Turin. Entre St-Jean-de-Maurienne et Bussolène, laligne connaît des contraintes trèsimportantes, dues au tracé et au pro-fil de la ligne, à l’absence d’itinérairede détournement, à la différence dessystèmes de signalisation, d’électri-fication, de cantonnement… Descontraintes juridiques et réglemen-taires également, avec des mesuresde sécurité spécifiques dans le tun-nel du Mont-Cenis et un classementen ligne « à fortes pentes ». Les trans-ports de marchandise sont particu-lièrement affectés, avec des limitessur les tonnages transportés, une

vitesse limitée à 40 ou 50km/h et deuxruptures de charge aux rampes deSaint Jean de Maurienne et Modane,combinée là à un changement de cou-rant incompatible avec la plupart deslocomotives françaises. Ainsi de nom-breux trains de fret sont « calés », arrê-tés plus de 24 heures, avant de pou-voir monter au tunnel, et les faisceauxde St Jean de Maurienne ou de St Avreconstituent le principal goulet d’étran-glement pour le fret international àdestination de l’Italie.

Le transport de marchandises dansl’arc alpin ne cesse de croître ; sur 10ans il a crû globalement de 20,5 %.Sur les itinéraires franco-italiens unecombinaison d’événements excep-tionnels – incendie dramatique et fer-meture du tunnel routier du Mont-Blanc en mars 1999, travaux sur letunnel ferroviaire du Fréjus de 2002à 2011 – ont rendu l’évolution moinslisible sur la période. En 1992 Modaneétait la première gare internationalefrançaise et jusqu’en 2000 le tonnagesur la ligne historique n’avait cesséd’augmenter. Il fluctue depuis aurythme des substitutions d’itinéraires.

Avec 1 338 000 poids lourds et 17,8Mten 2010, le seul tunnel routier deVintimille est le second passage trans-alpin routier en Europe. Il arrive àsaturation.

LE FRET TRANSALPIN, UN ENJEUPOUR TOUTE L’EUROPEL’enjeu est d'obtenir un report modal,de la route vers le rail. Entre 1991et2011, le transport de marchandisesen France a crû de 34%, le transportroutier de près de 60 % et le fret fer-roviaire a reculé de 35 %. Une catas-trophe pour les émissions de gaz àeffet de serre, conséquence de l’ou-verture à la concurrence du fret, dela déstructuration de la SNCF, de lagestion par activité et de l’abandonde la politique de volume (abandondes flux pas assez rémunérateurs). La distance pertinente pour l’optionferroviaire est actuellement d’au moins600km. En dessous, l’avantage va autransport poids lourds. D’où la néces-sité de favoriser le développement delignes à grande distance, qui impliqueune meilleure interopérabilité dessystèmes ferroviaires européens. Unemesure essentielle est le déploiementdu système européen de gestion dutrafic ferroviaire ERTMS, qui rempla-cera tous les systèmes de signalisa-tion du continent et doit promouvoirun transport plus performant à touspoints de vue. Avec ce système, l’in-terpénétration des agents et des loco-

Une ligne ferroviaire Lyon-Turin constitueune liaison transeuropéenne, indispensable pourmettre fin au tout-camion et répondre auxenjeux écologiques.“ “

Le projet LGVLyon-Turin unmaillon essentielpour le traficferroviaire enEurope

La barrière des Alpes et les différentes voies de passage

LA TRANSALPINE LYON-TURIN : LA PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE EN ACTES

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motives sera rendue possible et per-mettra des corridors ferroviaires euro-péens. Parmi les six corridors priori-taires, deux traversent la France et serejoignent à Lyon: le C Anvers – Bâle– Lyon (1840 km) et le D Valencia –Lyon – Turin – Budapest (3000 km).

Une ligne ferroviaire Lyon-Turinconforme à l’ERTMS et échappantaux contraintes de la ligne historiquedu Mont Cenis constitue une liaisontranseuropéenne, indispensable pourmettre fin au tout-camion et répon-dre aux enjeux écologiques. La solu-tion est nécessairement celle d’uneligne à grande vitesse (LGV) au tra-vers d’un tunnel de base. Un tunnellong et coûteux, mais qui évitera penteset ruptures de charge et permettra deréduire le temps de trajet passagerLyon-Turin de 4h17 à 1h45 et de libé-rer la ligne historique pour les TER.Car sur sa partie Lyon-Chambéry (viaSt André le Gaz) cette ligne souscontraintes est aujourd’hui saturée.Soulagée, par la LGV, des trafics trans-alpins, elle pourrait offrir des TERentre Lyon, Grenoble, Chambéry ouAnnecy, voire autoriser des dessertesinterurbaines de type tram-trains.

OPPOSITIONS LOCALES ET ENJEUXDÉMOCRATIQUESLe projet prévoit que le fret représen-tera 85 % des opérations de la LGV,dépassant de loin la capacité limitede 11 Mt de la ligne historique. Ce quidevrait permettre un vrai report modalde la route au rail. Pourtant, c'est bienavec des arguments écologiques queles opposants au projet mobilisent. Ils pointent avec raison la Savoiecomme « Département le plus pol-lué de France » ; mais c’est le trans-port routier qui est en cause, et lesnombreux projets d’infrastructuresroutières (contournement deChambéry, creusement du tunnelbitube au Fréjus, prolongement del’A48 entre Bourgoin et Ambérieux,rétablissement des 2 fois 3 voies entreBourgoin et Chambéry…) ne mobi-lisent que peu d’opposants, bien moinsque le tunnel ferroviaire !C’est la politique des transports dansson ensemble qui doit être penséedans un sens plus favorable à l’envi-ronnement, prenant en compte l’in-térêt général de l’humanité sur le longterme et l’impact de l’activité écono-

mique sur l’écosystème. C'est le sensde la planification écologique sou-haitée par le Front de Gauche dansson programme L’Humain d’Abord.Ce sont aussi les rapports à la popu-lation impactée qui doivent être trai-tés de manière plus concertée etdémocratique. Il faut mettre en placedes aménagements fonciers pouraider les agriculteurs à répondre àl’impact du projet sur l’économieagricole de l’Avant-Pays Savoyard, dela Combe de Savoie et des autres ter-ritoires traversés. Il faut aussi pren-dre en compte le traitement des déblaiset les nuisances - bruit, vibrations,dégradation du paysage, expropria-tions, dépréciation des biens immo-biliers – pour les riverains de la futureligne. Et bien mesurer que le projetcréera en Maurienne plus de 2000emplois directs sur ses principalesannées, et 285 emplois durables pourl’exploitation du tunnel.

FINANCEMENT, LA FAUSSE ROUTEDES ÉCONOMIES À COURTE VUELes moyens financiers doivent êtreà la hauteur des enjeux. D’après leTrésor, le projet dans son ensemblecoûtera 26,1 Mds€, à répartir entrel’Union Européenne (40 %), l’Italie(34,7 %) et la France (25,3 %). Il fautmesurer le coût pour la collectivité

d’une politique de poursuite du tout-routier: accidents, congestions, dom-mage aux infrastructures, précaritéet dumping social, émissions pol-luantes. Rien que sur le plan sani-taire, les problèmes de bronchitechronique, asthme, cancer du pou-mon, AVC, infarctus, etc. liés aux émis-sions de particules des transports(92% issues du transport routier, 2%du ferroviaire) causeraient d’après laCommission Européenne 42000 mortschaque année. Le total des coûtsexternes générés par les transportsen France s’élèverait ainsi à 87 Mds€par an, 650Mds€ pour l’Europe.Construire la ligne Lyon-Turin, c’estdonc un très bon moyen de faire deséconomies ! Et un moyen de cesserde favoriser le transport routier etson contournement massif des règlesde cabotage qui ne mènent pour lessalariés de la route qu’à des condi-tions sociales de travail déplorables,une extrême flexibilité et une miseen concurrence brutale à l’échelle ducontinent.Pour réduire le coût du projet, le rap-port parlementaire Duron préconisede reporter les chantiers des lignesd’accès direct au tunnel de base, c'est-à-dire les tunnels prévus sous les mas-sifs de Chartreuse et de Belledonneet le contournement de l’agglomé-ration lyonnaise. Un report qui signi-fierait que le tunnel principal seraitouvert mais que pour y accéder lestrains continueraient à emprunterles lignes historiques par St André leGaz et Chambery – par Aix-les-Bainspour le fret – avec de plus grandesfréquentations, créant de nouvellesnuisances pour les riverains et nepermettant pas d’améliorations, bienau contraire, sur les trafics TER.S’il faut retravailler le financementdu projet, ce serait plutôt en recher-chant des recettes là où sontaujourd’hui les coûts. En appliquantpar exemple en France une taxe poidslourds au niveau de celle appliquéeen Suisse, on pourrait financer le tun-nel de base en une année et l’ensem-ble du projet en trois ans derecettes… n

*ALAIN RUIZ est secrétaire fédéral de laHaute Savoie et ancien agent de conduite àla SNCF.

Un exemple de « tunnel debase», le tunneldu Lötschbergreliant la Suisse à l'Italie.

Tunnel de faîte / tunnel de base :un tunnel de faîte permet le franchissement des montagnes à par-tir d’une altitude assez élevée, où un tunnel de base – nécessai-rement beaucoup plus long – pénètre la montagne à l’altitude desvallées. En Autriche et en Suisse, Un tunnel de base est en servicedepuis 2007 au Lötschberg et deux autres sont prévus au St Gothard(2016) et au Brenner (2025).

Rupture de charge:Une rupture de charge est une étape pendant laquelle le train doitêtre garé pour réaliser des opérations techniques (changement deconducteur, de locomotive, retrait ou ajout de véhicules). Elles sontcoûteuses, impliquent une perte de temps, nécessitent une infra-structure permettant d’accueillir les véhicules, et du personnel pourréaliser diverses opérations…

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DOSSIER20 TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

La collectif transport du PCF, met en débat ses propositions en éditant une brochure quirésume les enjeux essentiels qui touchent à la politique du rail. Il nous est apparu essentielde reproduire ici quelques pages de ce document.

L’intégralitéde la brochure esttéléchargeable sur PCF.FR

PAR PIERRE MATHIEU*,

Chute libre du fret ferroviaire,dégradation de la qualité de ser-vice, projets utiles remis en cause,insuffisance des financementspour répondre aux besoins gran-dissants de mobilité, remise en

cause du service public... Tous les voyants sont aurouge ! Et pour faire place nette aux intérêts privés,la Commission européenne entend imposer la géné-ralisation de l’ouverture à la concurrence et la sépa-ration totale de l’infrastructure et de l’exploitation. Pour répondre aux besoins du pays, de ses terri-toires, des citoyens, pour relever les défis du chan-gement climatique, pour gagner la bataille de l’em-ploi, il faut une politique très ambitieuse pour le Railet les transports collectifs. Il faut engager, dès main-tenant, un nouveau mode de développement don-nant la priorité à l’humain en respectant la nature. Cela exige une mobilisation accrue de ressourcesfinancières permettant un réel rééquilibrage modal,de la route vers le rail et la voie d’eau, et un Etat quiassume pleinement ses responsabilités et donne auxcollectivités responsables de transports les moyensd’exercer les leurs. Il faut aussi des entreprises publiquesperformantes avec des missions redéfinies et asso-cier enfin tous les acteurs du transport à ce qui devraitêtre une grande cause nationale. La réforme du système ferroviaire annoncée et lesprojets de lois de « décentralisation » sont très loinde répondre aux enjeux, plombés qu’ils sont, parl’obsession de réduire la dépense publique et d’êtrecompatibles avec l’actuelle politique européenne. Partout, menons l’action, mettons en débat nospropositions alternatives, construisons les rassem-blements les plus larges pour imposer le change-ment de cap. n

*PIERRE MATHIEU, responsable du collectif transports du PCF

Infrastructures au service de la Nation REPÈRES Réseau ferroviaire : 30939 km dont1880 de LGV et 8 300 km de lignesclassiques parcourus par le TGV. Ledéveloppement des lignes LGV don-nait à la France un atout majeur dansla grande vitesse. + 146% de traficvoyageurs 1994 à 2008.

• La transalpine TGV Lyon-Turin :son coût total est évalué entre 22 et26 milliards d’euros, donc plus de8milliards pour la réalisation du tun-nel (57 km). • Dette du système ferroviaire : RFFpaie aux banques chaque année1,2milliard d’euros de charges d’in-térêts de la dette qu’il porte au nomde l’État. • Écotaxe (taxe poids-lourds) : miseen œuvre à partir du 1eroctobre 2013,elle rapportera 1,2 milliard d’eurospar an et 800 millions seront versésà l’AFITF.

CE QUE PRÉVOIT LEGOUVERNEMENT Pour stabiliser la dette liée aux chargesd’infrastructure, le rapport Biancoindique que la création du gestion-naire d’infrastructure unifiée (GIU)doit permettre la suppression descoûts d’interfaces et d’économiserainsi 500 millions d’euros par an. Lesexcédents réalisés par le transpor-teur (SNCF) seront affectés à la réduc-tion de la dette du GIU. Il en sera demême des impôts et des dividendesdus à l’État par la SNCF. De plus, le rapport Bianco proposede réduire les investissements enabandonnant des projets de lignesà grande vitesse, d’accroître les res-sources du GIU par l’accès à plus desillons circulés et par les péages.Toutes les entités du système doi-vent mettre en œuvre des plans d’éco-nomies et de productivité. L’État nesouhaite pas désendetter le système

ferroviaire, refusant ainsi de déles-ter celui-ci d’une dette pourtantcontractée en son nom!

LES ENJEUX En quelques décennies, l’état desinfrastructures ferroviaires s’est consi-dérablement dégradé. Dernièrement,nous recensions 3000 km de ralen-tissement de vitesse sur les voies àcause de travaux de remise à niveau,mais aussi liés à l’insuffisance desécurité sur certaines infrastructures.Cela devient un obstacle au déve-loppement du transport par rail. Lacasse délibérée que subit depuis plu-sieurs années l’activité fret de la SNCFlaisse à l’abandon des dizaines detriage et voies de service. Le plan plu-riannuel (2008-2015) de rénovationne comblera pas le retard dû auxconséquences du désengagementfinancier de l’État qui s’est accru sesdernières années. La dérive finan-cière du gestionnaire d’infrastruc-ture (RFF) gonfle de 1,5milliard d’eu-ros chaque année pour atteindre33 milliards d’euros fin 2013. Ellepourrait presque doubler d’ici 2020si rien n’est fait ! Face à cette situation, l’État a optépour des Partenariats public-privé(PPP) pour construire notammentla LGV (Tours-Bordeaux). Ce conceptanglo-saxon ne sert qu’à remplir lescaisses de grands groupes du BTP etdessaisir la puissance publique de lamaîtrise des infrastructures pour-tant d’une utilité publique! Une com-mission d’experts (Mobilité 21) char-gée d’évaluer le schéma national desinfrastructures (SNI) et de hiérarchi-ser les projets, leur faisabilité finan-cière et leur planification, devraitremettre prochainement le résultatde ses travaux. L’enjeu est de savoirquels seront les projets retenus etcomment ils seront financés. n

UN CHANGEMENTDE CAP

SYSTÈME FERROVIAIRE ET POLITIQUE DESTRANSPORTS : CONTRIBUTION DU PCF

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Democratiser la gestion des infrastructures. Pour s’en donner les moyens, il faut : • desendetter le systeme ferroviaire, • le retour de la gestion des autoroutes privatisees dans le giron de l’Etat, • ne pas laisser se developper et se generaliser les contrats de Partenariats public-prive (PPP), • un livret de financement des infrastructures de transport sur le modele du Livret A, • la mise en place d’un pole public bancaire pour que le systeme bancaire remplisse sa mis-sion au service d’un systeme ferroviaire.

ON NOUS DIT : Le systeme ferroviaire est desequilibre de 1,5 milliard d’euros. MAIS : C’est ceque coute en interets la dette qui a ete contractee au nom de l’Etat. C’est la dette qui alimentela dette ! ON NOUS DIT : Il n’y a plus d’argent pour les travaux d’infrastructure. ET POURTANT : On s’estprive de 2 milliards d’euros par an en offrant en 2005 a des societes privees la gestion desautoroutes. ON AUTORISE la circulation des 44 t et peut-etre demain des 60 t. ET POURTANT : D’apres leconseil general du developpement durable la circulation des 40 t abime les routes de 400 a500 millions d’euros par an.

NOS PROPOSITIONS

On arrête le wagon isolé et pourtant : Lesemissions de CO2 pour 1 tonne transporteepar kilometre parcouru sont de 221g/km pourles poids lourds contre 2g/km pour le train. ON NOUS DIT : Le transfert sur route des TERse traduit par une baisse de la consomma-tion et des emissions de CO2. ET POURTANT :Des une dizaine de voyageurs dans l’autorail,le transfert sur route est contreproductif ON NOUS DIT : Le ferroviaire coute cher aucontribuable ! ET POURTANT : Les couts externessupportes par la collectivite pour 1 tonne trans-portee sur 350 kms representent 12 €/ t pourle transport routier et 5 €/ t pour ferroviaire. NOS PROPOSITIONS • Imposer des criteres sociaux, environne-mentaux et de qualite de service stricts danstous les contrats entre autorite organisa-trice et operateur, entre donneur d’ordre etexecutant.

• Instaurer une tarification sociale et ecolo-gique contraignante pour sortir d’une concur-rence deloyale entre la route d’une part, le rail et le fleuve d’autre part. Cela permet-tait de prendre en charge une part des coutsexternes generes par le transport routier etaujourd’hui assumes par la collectivite.

• Etablir une transparence sur des aidespubliques recues par le transport routier(plus d’un milliard d’euros) et les condition-ner aux defis a relever.

• Il faut aussi refuser la generalisation descamions de tres grande capacite commeles 44 tonnes, ne pas autoriser ceux de25,25 metres de long et de 60 tonnes quiamplifieraient encore les desequilibres.

• Dynamiser le train-auto accompagneen ins-taurant une tarification incitative pour lesfamilles.

NOS PROPOSITIONSTransition energetique =transfert vers le railREPÈRES Lancé en 2 décembre 2007 à la suited’une vaste concertation, le Grenellede l’environnement propose unesérie d’engagements, dont la réduc-tion de 20 % des émissions de gaz àeffet de serre afin de les ramener auniveau de 1990. Dans ce cadre, l’ob-jectif était de porter la part modaledu fret, hors routier et aérien, à 17,5%en 2012 et 25 % à l’horizon 2025.Aujourd’hui, nous en sommes à 12%.Sans une politique volontariste, lesobjectifs du Grenelle seront inattei-gnables.

CE QUE PRÉVOIT LEGOUVERNEMENT Un débat national sur la transitionénergétique a été lancé par le gou-vernement avec pour premier thème:Comment aller vers l’efficacité éner-

LES ENJEUX Un des enjeux est de réduire les gazà effet de serre. Les transports sontdevenus le principal émetteur de cesgaz. La route génère 93 % des GESproduits par ce secteur. Quand onsait que les émissions de CO2par tra-jet sont de 150 g/km pour les voi-tures individuelles, de 66,7 g/km parvoyageur utilisant le bus, de 2 g/kmpar voyageur utilisant le train, il estimpératif de favoriser les modes alter-natifs à la route, dans une concep-tion multimodale et intégrée, en s’ap-puyant sur les entreprises ferroviaireshistoriques. Dans ce secteur en croissance expo-nentielle, la faiblesse des investisse-ments et l’accélération de sa libéra-lisation qui déstructure la SNCFrendent les politiques actuelles inca-pables de prendre en compte les défisd’aujourd’hui, environnementaux,énergétiques et de qualité de vie. Pour imposer sa domination, le trans-port routier utilise la pression socialesur ses salariés et fait prendre encharge par la collectivité des coûtsexternes qu’il génère. Il est indispen-sable de modifier cette situation,sinon tout report modal en faveurde transports moins polluants estillusoire. Le transport routier doit sepositionner en complémentarité etnon plus en concurrence avec lesautres modes de transport. n

*PIERRE MATHIEU est responsable du col-lectif transports du PCF. Il a coordonné labrochure d’ou sont tirés ces textes et propo-sitions.

gétique et la sobriété ? L’évolutiondes modes de vie, de production, deconsommation, de transport, ainsique des services énergétiques néces-saires doit constituer le point dedépart. Ce débat conduira à un pro-jet de loi de programmation en octo-bre de cette année.

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CONTRÔLE DE LA NAVIGATION AÉRIENNE, LA VIGILANCE RESTE DE MISE

PAR DAVID SAUX-PICART*,

UN SECTEUR PEU CONNU…Le transport aérien civil a connudepuis les années 1970 une crois-sance fulgurante de près de 5% l’anque même les attentats du 11 sep-tembre n’avaient pas durablementralenti. Depuis la crise de 2008, lasituation du trafic aérien est bienplus délicate, particulièrement enEurope. Parmi les activités dépen-dant de ce trafic, le contrôle de lanavigation aérienne est l’une desplus directement concernée.

Le travail des contrôleurs aériensdemeure relativement inconnu dugrand public. Pourtant ils assurent24 heures sur 24, tous les jours del'année un indispensable service decontrôle sur la quasi-totalité de lasurface terrestre (exceptions faitesde zones géographiques restreintessur les océans Atlantique et Pacifiqueou certains déserts d'Afrique ou deSibérie).En France, ces agents sont des fonc-tionnaires, dépendant de la DirectionGénérale de l'Aviation Civile (DGAC)elle-même rattachée au Ministèrede l'Écologie, du DéveloppementDurable et de l'Énergie, qui a la chargedes transports. Mais cette situationfait aujourd'hui figure d'exceptionen Europe où des cadres très diversont été mis en place suivant les pays,

depuis la société de droit privé dontles capitaux sont détenus par l'Étatcomme la Deutsche Flugsicherung(DFS) en Allemagne jusqu’à l'entre-prise cotée en bourse commeSkyGuide en Suisse. Pour assurer leuréquilibre budgétaire, ces différentsorganismes font payer leurs servicesvia un système de redevances calcu-lées en fonction du nombre de milesnautiques1 parcourus dans l'espaceaérien du pays concerné et des infra-structures aéroportuaires utilisées.Une partie se retrouve dans ce quetout le monde connaît sous le nomde « taxe d'aéroport» incluse dans leprix du billet d’avion. Ces redevances alimentent en Franceun budget annexe2, distinct du bud-get de l’État et géré par la DGAC, quidoit suffire à financer les missionsde service public qui lui incombent :contrôle du respect des normes desécurité des équipements aéropor-tuaires et aéronefs, développementet installation d'outils d'aide à la navi-gation aérienne, contrôle aérien,contrôle des nuisances sonores, etc.

… ET CONVOITÉ PAR LE SECTEUR PRIVÉMais le montant des redevancesconstitue une mine de capitaux quiaiguise les appétits privés. Et laCommission Européenne, prompteà céder aux sirènes du libéralisme,porte de menaçants projets de

« réforme structurelle » du contrôleaérien en Europe. Ainsi au nom dela « compétitivité » de ses services laFrance devrait baisser le prix de sesredevances, pourtant les moins chèresd'Europe de l'ouest. Et ceci, alorsqu’en raison de la baisse du trafic

enregistrée depuis 2008, le budgetde la DGAC est déjà en déficit. Il s’agi-rait autrement dit de répéter une pra-tique déjà éprouvée avec ex-FranceTélécom, la Sécurité Sociale ou LaPoste, mettre sciemment un servicepublic en difficulté financière pourensuite prétendre qu’il n'est pas ren-table et justifier des privatisations etcontre-réformes. Au-delà de ces aspects financiers, lamenace vient également des poli-tiques d'harmonisation européennequi, sous couvert de rationalité et decoopération mènent en réalité à unemise en concurrence des modèles,donc au nivellement par le bas des

Menacée par les dispositions du projet de « Ciel unique Européen », la mission des contrôleurs aériens n'échappepas à la mise en concurrence et au dumping social. C'est pourtant la sécurité des voyageurs et la qualité du ser-vice qui sont ici en jeu.

Au-delà de ces aspects financiers, la menacevient également des politiques d'harmonisationeuropéenne qui, sous couvert de rationalité et decoopération mènent en réalité à une mise enconcurrence des modèles, donc au nivellementpar le bas des politiques sociales et audésengagement des Etats.

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Volume du traficaérien au niveaumondial.

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politiques sociales et au désengage-ment des États. Ainsi les propositionsde Ciel Unique Européen couvrentun panel de mesures destinées àfusionner les secteurs de contrôleaérien sur le territoire de l'UnionEuropéenne indépendamment desfrontières nationales. Avec à la clé,des regroupements de secteurs etbien sûr… d'effectifs. De même, laLicence Européenne de Contrôle,décrite comme une procédure d'har-monisation des qualifications descontrôleurs aériens, pourrait se révé-ler être un excellent outil de dumpingsocial à l'échelle européenne. Et biensûr derrière ces projets d’harmoni-sation technique – tels que FABEC(Functional Airspace Block EuropeCentral), Ciel Unique 2+ ou le consor-tium SESAR (Single European SkyATM Research) – se trouvent aussi lesgrands industriels de l'aviation civilecomme Thalès et Airbus/EADS, quien assurent de facto, voire officielle-ment, la direction opérationnelle. Ces menaces doivent être prises trèsau sérieux. Le transport aérien évo-lue lentement – sécurité oblige – maisle terrain est prêt pour le déploie-ment de nouvelles règles du jeu. Aprèsl'effondrement en 2008 d'un systèmelibéral basé sur la rentabilité à courtterme on aurait voulu espérer quecette idéologie vivait ses dernièresheures et que, si les conditions d’exer-cice de notre métier devaient évo-luer, ce serait vers davantage de coo-pération et de progrès social. Pourl’heure rien ne nous incite à le pen-ser. L'alternance politique de 2012a certes conforté la DGAC dans sonstatut actuel, mais l'idéologie de nosdécideurs n'a pas changé. Il nousappartient de veiller à ce que la sur-veillance du ciel demeure au servicedu plus grand nombre et non à celuide quelques grands intérêts indus-triels et financiers. n

*DAVID SAUX-PICART syndicaliste USAC-CGT à l’aéroport de Roissy-CDG

(1) 1 mile nautique vaut 1,852 km

(2) un statut bien spécifique puisque le seulautre budget annexe en France est celui desPublications officielles et de l’informationadministrative.

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PAR NICOLE ROLAND*,

L es transports sont d’impor-tance stratégique, et sont enmême temps un service public.

Il existe en France un organisme derecherche dédié aux transports :l'Institut français des sciences et tech-nologies des transports, de l'amé-nagement et des réseaux (IFSTTAR).Cet organisme est un établissementpublic à caractère scientifique ettechnique (EPST, au même titre quele CNRS ou l’INSERM) et dépend dedeux ministères de tutelle : le minis-tère de l’Écologie, du Développementdurable et de l’Énergie, et celuil’Enseignement Supérieur et de laRecherche.

Cet établissement est issu de la fusion,au 1er janvier 2011, de l’Institut natio-nal de Recherche sur les Transportset leur Sécurité (INRETS) et duLaboratoire central des ponts etchaussées (LCPC). «L’IFSTTAR a pourmission de « réaliser, piloter, faireeffectuer et évaluer des recherches,des développements et des innova-tions dans les domaines du génieurbain, du génie civil et des maté-

RECHERCHE DANS LES TRANS-PORTS : COMMENT L’IFSTTARPERD PEU À PEU LES MOYENSDE REMPLIR SA MISSIONL’IFSTAR, organisme public de recherche prospective scienti-fique et technique en matière de transport est en danger. C’estpourtant un institut stratégique qui, progressivement, est vidéde sa substance.

Un des axes de recherche de l’IFSTTAR : l'étude des véhicules

automatiques légers (VAL).

riaux de construction, des risquesnaturels, de la mobilité des personneset des biens, des systèmes et desmoyens de transport et de leur sécu-rité, des infrastructures, de leursusages et de leurs impacts, considé-rés des points de vue de leurs per-formances techniques, économiques,sociales, énergétiques, sanitaires etenvironnementale. »

Ses missions sont devenues plusnombreuses que ne l’étaient cellesdes deux organismes d’origine: L’IFST-TAR conduit des travaux de recherchefinalisée et d’expertise dans lesdomaines des transports, des infra-structures, des risques naturels et dela ville pour améliorer les conditionsde vie de nos concitoyens et plus lar-gement favoriser un développementdurable de la société. L’Institut estengagé avec de nombreux parte-naires, publics ou privés, nationauxou européens. L’existence de l’IFSTTARest donc un point tout à fait positif.La question est de savoir avec quelsmoyens il peut effectuer ses missions,et quels peuvent être les intérêts en

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ressources. La société se veut de plusen plus mobile, urbanisée, globaliséeet numérisée, mais aussi participa-tive, écoresponsable, consciente des

limites de ses ressources, soucieusede sécurité et – du moins dans lespays développés – vieillissante. Chacunede ces caractéristiques représente undéfi à relever pour le XXIe siècle ».

A-T-ON LES MOYENS DE RELEVERCES DÉFIS SOCIÉTAUX?Observons, à présent, ce que viventtous les jours nos concitoyens dansles transports : nous sommes loin,hélas, des possibilités que nous offrentles nouvelles technologies. Ainsi, lapopulation « vieillissante » aimeraitsimplement pouvoir disposer d’unsiège dans les transports… En matièrede sécurité, ce n’est pas toujours desproblèmes de « verrou technolo-gique » qui sont en cause, loin de là,mais le manque de personnel, l’er-reur humaine etc. Il s’agit souventd’investissements qui ne sont pasréalisés : (comme les passages àniveau !). Tout ce qui pouvait êtreexploité dès aujourd’hui, en matière

de sécurité des transports, en matièrede retombées économiques, sociales,énergétiques, sanitaires et environ-nementale ne l’a pas encore été, tants’en faut. Et va-t-on favoriser lestransports publics, moins « renta-bles » ? les transports privés ?Il est impératif de travailler sur desobjectifs à longue échéance, qui,pour certains, peuvent nous paraî-tre utopiques (R5G, Route de 5e géné-ration) ou plus proches (L’infra -structure ferroviaire et ses interfaces).Certains pourraient se réaliser lorsdes quinze prochaines années2. Maisn’oublions pas qu’il existe encore surnotre réseau ferré francilien de nom-breuses rames vétustes qui tombentsouvent en panne… n

*NICOLE ROLAND est chercheuse dans ledomaine du transport.

(1) Il y a par ailleurs environ 380 doctorantsaccueillis dans les laboratoires de l’IFSTTAR.Chaque promotion compte plus de 100 nou-veaux doctorants par an.

(2) Ce jeudi 21 novembre a été signée àGrenoble une convention entre les collectivi-tés territoriales et locales, le CNRS, le CEA,les universités et des entreprises, afin de pré-parer l’aménagement du quartier scientifiquede la Presqu’île en « écocité ». L’objectif estde parvenir à plus de 80% de déplacementsen mode alternatif à la voiture. L’arrivée en2014 du tramway s’inscrit dans cette pers-pective. A terme, le quartier pourra recevoirplus de 10.000 étudiants, et pourrait accueil-lir plus de 25.000 emplois.

jeu. Compte tenu de l’importancede ses missions, le nombre de sespersonnels permanents (environ1200 fonctionnaires d’État) ainsi quesa subvention d’État auraient dû pro-

gresser. Malheureusement, il est faciled’imaginer qu’en la période actuelle,ce n’est pas le cas…On observe au contraire une réduc-tion du nombre de fonctionnairesde l’établissement : moins 31 postesen 2013 On prévoit 91 postes qui neseront pas renouvelés sur la période2013-2015, ce qui fera une réductionde 8 % de l’effectif. La subventionpour charge de service public est pas-sée de 87753239€ en 2012 à 87612146en 2013 (baisse de 0.16%). La situa-tion financière de l’IFSTTAR est trèsinquiétante en 2013 et va s’aggraverencore dans les années qui viennentcompte tenu de l’importance dufinancement sur contrat, et desemplois précaires1. Il faut ajouter àces difficultés celles liées à un démé-nagement de l’IFSTTAR depuis le bdLefèbvre, dans le 15e arrondissementde Paris vers Marne-La Vallée au coursde cette année. Ce déménagementa eu lieu dans de très mauvaisesconditions suite à une mauvaise ges-tion de la part de l’Administration :retard dans les travaux, abandon pré-maturé du site parisien etc.

Les crédits contractuels sont sou-vent fléchés sur des projets particu-liers à court terme, et ne permettentpas de financer des projets sur le longterme. Comment développer unevéritable recherche et une missionde service publique, si la part definancement contractuel devient tropimportante? La direction de l’IFSTTARnous parle de défis sociétaux :«Plus que jamais, l’évolution harmo-nieuse de nos sociétés dépend denotre aptitude au vivre-ensemble etau partage de l’espace et du tempscollectifs, tout autant que celui de nos

L’IFSTTAR conduit destravaux de recherche finaliséeet d’expertise dans lesdomaines des transports, desinfrastructures, des risquesnaturels et de la ville.

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Il est impératif de travailler sur desobjectifs à longue échéance, qui, pourcertains, peuvent nous paraître utopiques.“ “

Les recherches de l’IFSTTAR ont contribué à rendre les routes plus sûres.

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Le principe de l'ascenseurspatial

PAR SÉBASTIEN ELKA*,

ettre un objeten orbite coûteau moins

10000 €/kg. Pour tour-ner au-dessus de nos têtesil faut atteindre une vitessesuffisante, quelques mil-liers de km/h, pour s’ar-racher à l’attraction dela Terre. Ce qui nécessitede recourir à la plusgrande débauche d’éner-gie que nous soyons capables deconcevoir : la fusée.Mais pour augmenter la charge expé-diée dans l’espace, les scientifiqueset auteurs de science-fiction ont euune autre idée : prendre l’ascenseur.Pour qu’un objet soit en orbite, il fautqu’il tourne autour de la terre à unevitesse suffisante pour ne pas êtreattiré (effet de fronde) mais pas tropélevée pour ne pas être éjecté. Cettevitesse précise dépend de la distanceentre la terre et l’objet satellisé. Orà 36,000 km d’altitude, cette vitessed’équilibre revient à faire le tour de

la terre en 24 heures. Sibien qu’un satellite placéà cette distance sur le plande l’équateur se tient tou-jours au-dessus du mêmepoint au sol. C’est l’orbitegéostationnaire verslaquelle pointent les para-boles de nos balcons. Alors la parabole et le satel-lite étant fixes l’un par rap-port à l’autre, on pourraitimaginer tendre un câbleentre les deux, il serait enéquilibre. Un gros câble

bien solide, fait de nanofibres de car-bone ou autres matériaux à touteépreuve dont on saurait filer 36000kilomètres… Il ne manquerait qu’àarrimer sur ce câble une cabine, pres-ser le bouton et en avant pour untrajet direct vers les étoiles! Nos vieillesArianes n’auraient plus qu’à pointerla coiffe composite de leur retraitebien méritée vers le terminus célestedu bel ascenseur…Le concept de l’ascenseur spatial aété formulé par le russe KonstantinTsiolkovski en 1895, inspiré par laTour Eiffel…

TRANSPORTS SPATIAUX,AVENTURE ET BIG MONEYNos moyens de transport ne se contentent pas d’accompagnernos déplacements d’un point A à un point B, ils sont au cœurde nos efforts pour repousser les limites du monde connu.

GALILEO GALILEO… BOHEMIANRAPSODY À 20,000 KMLe premier satellite GPS étasuniendate de 1978. Système militaire, il esten 1995 ouvert aux civils. Depuis, lemonde apprend à tirer parti de cessatellites postés à 20,200 km d’alti-tude capables d’indiquer la positiond’un récepteur à quelques mètresprès…Aujourd’hui la constellation GPSétasunienne se modernise. L’équivalent russe, GLONASS, estopérationnel depuis 2008.Les Chinoiset Indiens mettent au point Beidouet IRNSS. Et l’Europe met laborieu-sement en orbite les trente satellitesde Galileo. La géolocalisation par satellite segénéralise. On la trouve dans les sys-tèmes militaires mais aussi dans lesvoitures, bateaux, avions de plai-sance, bus ou taxis. On l’utilise poursynchroniser des réseaux de com-munication, pour des expériencesscientifiques ou des travaux de géo-mètres. On s’en sert pour synchro-niser les centres financiers et leursopérations de trading haute-fré-quence. Etc.

Galileo ne sera pas meilleur que leGPS, et pourtant c’est un tournant.Avec ce système l’Europe montre unevolonté d’indépendance stratégiqueface aux USA. Galileo sera civil, avecdes garanties de services qui per-mettront de sécuriser des applica-tions importantes comme la navi-gation aérienne : connaître très

Le lancement dela fusée Soyouz

le 21 octobre2011, emportant

les deuxpremierssatellites

opérationnels dusystème Galileo

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plus vite ! Si l’envoi d’humains surMars relève pour certains d’unelogique messianique2, cela peut aussirépondre à de réels objectifs scien-tifiques.Il reste qu’un vol habité vers Marsest d’une complexité incroyable, coû-tera des dizaines de milliards d’eu-ros et ne devrait être imaginé quedans la coopération la plus large. Lesol rouge de Mars mérite de recevoirle drapeau de l’humanité unie, nonles orgueilleux lapins de nations encompétition.

ROCKET SCIENCE, OU LA GUERREDES LANCEURSCes derniers mois ont vu s’opposerles partisans de la modernisationd’Ariane 5 et ceux du passage directà Ariane 6. En jeu, à la fois l’indépen-dance stratégique de l’Europe et lacompétitivité commerciale de l’of-fre Arianespace.Ariane 5 est un lanceur spatial trèsperformant. La fusée européennepeut mettre en orbite3 jusqu’à 10tonnes et deux satellites simultané-ment, permettant de partager lesfrais. Modernisée, cette charge maxi-male monterait à 12 tonnes. Et commele seul autre lanceur de grande puis-sance – la fusée étasunienne DeltaIV version lourde – est surtout des-tiné aux lancements de la NASA oude l’armée US, Ariane 5 est souventla seule solution de mise en orbite

des plus gros satellites.Cet avantage a ses contreparties.D’abord, l’intégration de deux satel-lites est un risque, car il n’est pas rareque le retard de fabrication de l’unretarde le lancement de l’autre. Laconstruction d’une telle fusée prenddu temps et son lancement exige desconditions propices, et il faut sou-vent beaucoup de temps entre la

décision d’un lancement et sa miseen œuvre. Enfin avec 3 à 7 lance-ments par an les effets d’échellejouent peu et Ariane 5 coûte cher.D’où la proposition française d’unpassage rapide à Ariane 6 : une fuséeplus petite, plus générique, prévuepour 15 lancements par an, avec unemise en œuvre plus rapide pour descoûts 30 % moindres.Cette orientation répond au contextemondial et à d’autres puissances spa-tiales – Russie, Chine, Inde, Japon –prendront sans doute la même direc-tion. Parallèlement, la NASA soutientactivement l’apparition d’opérateursprivés tels que SpaceX, qui vient deréussir le second tir commercial desa fusée Falcon 9. Ceci pour 55 mil-lions de dollars, quand un lancementdouble d’Ariane 5 en coûte 200…Une véritable ouverture de l’ère duspatial low cost, qui a de quoi don-ner des sueurs froides aux industrielsbien portants de la filière !La moitié des satellites mis en orbiteest privée, principalement pour lestélécoms, mais l’autre moitié estpublique – militaire, scientifique oud’observation. Réduire les objectifspour les lanceurs à une baisse descoûts n’est pas à la hauteur des enjeux.Comme l’a illustré récemment le filmGravity, une opération orbitale malcontrôlée peut créer une réaction enchaîne aux conséquences catastro-phiques…Avec Ariane V et Véga (1t) et la coo-pération avec la Russie sur Soyouz(4t), l’Europe dispose en GuyaneFrançaise d’une famille complète delanceurs sous contrôle public. Enattendant de véritables coopérationsinternationales sur un sujet si stra-tégique, c’est un précieux sésame àpréserver.

LE PLAN SATELLITE ET LA TORTUEÉLECTRIQUE DE MONTEBOURGLe moindre kilogramme mis en orbitecoûte très cher. S’il est possible detrouver sur place de l’énergie enquantité suffisante pour éviter detransporter là-haut du carburant, ilfaut le faire ! Or il n’y a qu’une res-source abondante dans l’espace,l’énergie solaire.C’est encore le génial Tsiolkovski quia imaginé – en 1911 ! – le principe dela propulsion spatiale électrique. Sonidée était d’ioniser des particules et

précisément sa position est précieuxpour un avion, mais il ne peut se per-mettre de laisser une fonction aussivitale dépendre des caprices d’unPentagone qui se réserve le droit detout couper à tout moment. Chaque satellite emporte deux hor-loges atomiques. C’est à une constel-lation de métronomes quantiquesque nous confions la lourde tâched’ancrer dans des chiffres précis l’in-certain abîme métaphysique de notreespace-temps. Ballet impossible, horlogerie diabo-lique. Et pourtant, Galileo tourne.

SPACE ODDITY, À LA CONQUÊTEDE MARSLe 14décembre 2013, la Chine a poséun lapin… sur la Lune.L’alunisseur chinois Lapin de jademarque une étape dans la renais-sance de la compétition pour laconquête spatiale. Aujourd’hui ils’agit de la Lune, mais ce n’est qu’uneétape vers le nouveau champ clos dela compétition spatiale, Mars.Les missions Opportunity, Spirit,Curiosity et suivantes de la NASAvisent à comprendre comment Marsest devenue froide et aride après avoirdisposé d’une atmosphère dense,connu un cycle d’eau liquide et peut-être abrité une vie au moins bacté-rienne1. Comprendre Mars, c’est assu-rément mieux comprendre lesmécanismes climatiques de la Terre.Pour l’explorer, les robots sont unefacilité précieuse. Or à cette distancela communication aller-retour peutprendre 40 minutes, obligeant cesrobots à être capables d’une grandeautonomie. Tout en affrontant radia-tions, vents terribles, poussières. Desconditions qui imposent de grandesprécautions, et donc une lenteurd’opération exaspérante… Des explo-rateurs humains pourraient aller bien

Une coopérationinternationalepour un vol habitésur Mars ?

Constructiond'une fusée

Soyouz

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de les accélérer par courant élec-trique pour qu’elles quittent le véhi-cule spatial à très grande vitesse/éner-gie, créant par réaction une pousséecontraire sur le satellite. Une tech-nique énergétiquement très efficacepermettant une très faible consom-mation de « carburant » (le gaz expulsé,du xénon) qui créerait derrière lepropulseur la belle lumière bleue desvaisseaux spatiaux de la Guerre desÉtoiles… Ne manquait à Tsiolkovskique le panneau solaire, capable de

fournir l’électricité pour l’ionisationet l’accélération des particules.Le premier engin à propulsion ionique,la sonde américaine Deep Space 1,n’a volé qu’en 1998. La première euro-péenne, Smart 1, en 2006. Car cechangement de technologie impliquede repenser toutes les opérations :un moteur-fusée met les gaz aumoment d’une correction de trajec-toire ou d’un changement d’orbitepuis attend le prochain besoin d’im-pulsion alors que le moteur ioniquefournit une poussée bien plus faiblemais continue dans le temps. Au liè-vre puissant du premier, le secondfait une réponse de tortue patiente,bien plus efficace sur le long termemais avec une trajectoire de coursetotalement différente.Le redressement productif monte-bourgeois, pourtant prétendant avéréau panache des garennes, fait le parique la propulsion ionique est l’unedes 34 clés de sa reconquête indus-trielle. Le plan satellite électrique,porté conjointement par les rivaux

La sonde deep space1, lancée en 1998par la Nasa est lepremier engin àpropulsion ionique

Premier schéma d'un vaisseau spatialde Constantin Tsiolkovsky. Il anticipa la propulsion spatialeélectrique dès 1911.

Thales et EADS-Astrium, porte l’am-bition d’une avance technologiquefrançaise et européenne garantede contrats et d’activité pour toutela filière spatiale. Dans l’espace,patience et longueur de temps fontplus que force ni que rage… n

*SÉBASTIEN ELKA est ingénieur et mem-bre du comité de rédaction deProgressistes

(1) L’Europe, en coopération forte avec lesRusses, s’apprête à lancer deux missionsExomars dont le but est d’être les premièresà trouver de la vie dans le sol martien.

(2) Dans la Trilogie Martienne de K.S.Robinson comme pour la Mars Societyaméricaine, la conquête de Mars ressemblebeaucoup à l’odyssée des pélerins du MayFlower et à la conquête d’une nouvelle terrepromise…

(3) Masse transférable vers l’orbite géosta-tionnaire, mission de référence des lance-ments spatiaux.

PROCHAIN DOSSIER AVRIL, MAI, JUIN : EUROPE

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BRÈVES28

»CHARBON: AUX USA, UNECATASTROPHE ÉCOLOGIQUE DE PLUS QUI MENACE 300000PERSONNES Le 9 janvier 2014, 28000 litres d'un produittoxique, le méthylcyclohexane méthanol ouMCHM, servant au traitement du charbon, sesont déversés accidentellement dans unerivière de l’État de Virginie Occidentale auxUSA, privant d'eau courante près de 300000habitants pendant plusieurs jours. Dansl‘indifférence générale. Ce n'est pourtant pas lapremière fois qu'une telle catastrophesanitaire, avec son lot de paniques, a lieu danscet État où les conditions d'exploitation ducharbon font des ravages. Et cela va ens'aggravant depuis que les industries minièresont délaissé les techniques d'exploitationssouterraines pour préférer l'arasement pur etsimple des montagnes (on appelle ça le« mountain top removal »). Plusieurs centainesde montagnes ont été arasées rien que danscette région ! C'est tellement moins cher etplus simple ! Pourtant il n'y a personne pourdénoncer les pertes de terres irrémédiablesainsi que les morts que provoquerontimmanquablement ces pollutions.

» LE TÉLESCOPE SPATIAL «GAÏA» EN ORBITELancé depuis l'astroport de Kourou à l'aided'une fusée Soyouz, le télescope spatial “Gaïa”est arrivé sur orbite après un périple de1,5 million de km. Il sera capable de détecterdes objets lointain de très faible luminosité. Il va permettre une cartographie 3D de notregalaxie. Un pas en avant à venir dans laconnaissance ....

»CONVERTIR DES OGIVESNUCLEAIRES EN ÉLECTRICITÉC'est possible et à l'œuvre depuis les années1990 par un accord entre la Russie et les ÉtatsUnis. Depuis plus de 20 ans, la Russie aconverti 500 tonnes d'uranium hautementenrichi en uranium faiblement enrichi venduensuite aux États Unis pour servir dans lescentrales qui ont ainsi produit plus de 7000Mds de KWh. Commercialement avantageuxpour les anciens ennemis, cet accord a aussicontribué à la détente des relationsdiplomatiques et à la stabilité mondiale. Ceprogramme doit se poursuivre jusqu'en 2017.

» LES DÉCHETS DE LA MAFIANAPOLITAINEDepuis une vingtaine d'années la "camorra"déverse sur des terrains plus ou moins bienacquis dans la campagne napolitaine, lesdéchets que des entreprises lui cèdent pouréviter d'avoir à payer leur traitement. Plus de400 entreprises ont ainsi évacué près de 10Mtde déchets industriels divers qui polluent lessources, s'enflamment et dégagent desémanations toxiques dangereuses pour lapopulation de la région. Le mouvement deprotestation vient de déboucher sur unemanifestation de plusieurs dizaines de milliersde personnes pour dénoncer cesenfouissements illégaux… mais lucratifs.

Le 7 juin 1954, à 41ans, tel Blanche Neige,Alan Mathison Turing,le père de la scienceinformatique, trempeune pomme dans lecyanure et la croque.Il n’a pas supportéd’être poursuivi pour

homosexualité dans une Angleterreencore victorienne.Le « grand public » ne connaît Turingque comme le cryptologue qui a «cassé»les codes de la machine de cryptageEnigma de la marine nazie. L’apport de

Turing à la science est considérable, onpeut sans risque le considérer commele père de la science informatique. Tousles processeurs des ordinateurs sontbasés sur le principe de la Machine deTuring.En 2009, le premier ministre britan-nique avait présenté des excuses consi-dérant que Turing avait été traité «hor-riblement». En 2012, année du centièmeanniversaire de la naissance à Londresde Alan Mathison Turing, onze scien-tifiques britanniques ont demandé l’an-nulation de sa condamnation et sa réha-bilitation. n

Alan Mathison Turing, gracié par lareine le 24 décembre 2013, à titreposthume

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

Au CEA, la baisse de la subvention 2014conduit de 2013 à 2016 à une impassebudgétaire de plus de 200 M€ sur unbudget total de 2 Md€. Les conséquencessont immédiates : fermetures d'instal-lations, glissement de planning, reportde décisions sur des programmes essen-tiels tels que les réacteurs de généra-tion IV… Les modalités de résorptionde cette impasse budgétaire mise enœuvre par la direction reposent essen-tiellement sur la masse salariale avecen particulier une réduction drastique,entre 2013 et 2017, des effectifs cou-verts par la subvention: • 5 % dans les sciences de la matière, -8.5 % en Sciences du vivant, • 22 % dans la recherche scientifiqueet technologique de base du nucléaire, • 5 % dans les études de sûreté-sécu-rité… Et pour toujours mieux mettre le

CEA au service des logiques de courtterme des entreprises, l'État «autorise»et «encourage» une croissance des effec-tifs en recherche appliquée… à condi-tion de trouver des partenariats privés.Rien d'étonnant à ce que le rapport del'expert-comptable du Comité Nationalparle «d'une période relativement dif-ficile pour le CEA (qui) pourrait révé-ler un risque vital pour certaines mis-sions centrales du commissariat».Même situation au CNRS : alors quel'organisme a déjà perdu 2000 emploisde 2010 à 2013, la subvention 2014 neva faire qu'aggraver une situation cri-tique. Les baisses de dotation, selon lesinstituts, vont de 1,4 % (dans un seulcas) à environ 11% (dans six cas). Cettebaisse des moyens s'accompagne «natu-rellement» d’une réduction de plus de500 emplois. n

CEA, CNRS : La recherche sacrifiée surl'autel du libéralisme.

La Marine natio-nale continue leprogramme«Barracuda» deconstruction des6 SNA (sous-marinsnucléaires d'at-

taque) qui prendront le relais de la série«Rubis». La conception date de 1990et la livraison se poursuivra de 2017jusqu'en 2028. Ces SNA construits parla DCN et AREVA nécessitent une «masse

salariale plus faible», ils pourront êtreéquipés par la suite d'un armementcomplémentaire. C'est un équipementqui engage la Marine nationale pour50 ans. Curieusement, EELV qui participe augouvernement proteste pourFessenheim ou Bures mais reste sansvoix sur ce programme. Quand il est sous-marin le nucléaire,même militaire n'est sans doute pasdangereux ! n

Barracuda : le nucléaire militaire est-ilplus écologique que le civil ?

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» STANDARDISTE CHEZ APPLE : LA VIOLENCE INFORMATISÉELa presse a relaté l'histoire de Jeanne qui atrouvé un emploi sur une plateforme d'appelstéléphoniques sous-traitante d’APPLE àBarcelone. À peine 1000 € par mois pour prèsde 39 heures de travail par semaine avec desrythmes effrénés, des brimades et un systèmed'espionnage informatisé branché surl'ordinateur professionnel : même la pause pipiest chronométrée. Qui dit qu'en Europel'exploitation a disparu?

» FUKUSHIMA : RETRAIT DE COMBUSTIBLE DE LA PISCINE 4Nouvelle phase dans le démantèlement de lacentrale de Fukushima. Tepco qui a déjà retirédes barres de combustible neuf, va retirer ducombustible usé, opération délicate en milieuchaotique suite à l'accident, avec desopérateurs munis d'équipements deprotection… mais étape nécessaire pour undémantèlement qui doit durer 40 ans. Unefacture qui décidément coûte beaucoup pluscher que les investissements qu’aurait du faireTepco pour éviter cette accident.

» UN NOUVEAU COMPTEUR EDF « INTELLIGENT » Il est jaune et s'appelle "Linky" ; c'est lenouveau compteur que EDF s'apprête àinstaller dans tous les foyers. Il a la capacitéde suivre les consommations en temps réel.EDF peut ensuite conseiller à quelques petitsconsommateurs de passer à un abonnementmoins cher, et surtout faire la chasse auxnombreux consommateurs qui sont aux limitesde la puissance de leur abonnement pour leurproposer un abonnement plus cher. Cecidevrait se traduire par un renchérissementglobal pour les usagers, voire par un accès àl'énergie à plusieurs vitesses…

» L'ANGLETERRE RELANCE LE NUCLÉAIRE CIVILÀ l'automne le Royaume Uni vient d'annoncerun accord avec EDF, AREVA et deuxélectriciens chinois pour construire 2 EPR surle site de Hinkley Point. À l'heure oùl'Allemagne se retrouve dans l'impasse de sonchoix de l'éolien/photovoltaïque en stoppant lenucléaire, où la France a le « nucléairehonteux » et donc fragilisé par des campagnesincessantes, où les énergéticiens tirent lasonnette d'alarme à Bruxelles, le choixbritannique de conjuguer les renouvelables(l'éolien massif) et le nucléaire montre uneperspective pour une énergie décarbonée.

Des chercheurs del’Université deReading en GrandeBretagne estimentque l’Union euro-péenne accuse

aujourd’hui un déficit de 7 milliardsd’abeilles. Ils l’imputent au fait que lesbesoins de pollinisation ont cru 5 foisplus vite que les ruches entre2005 et2010avec le développement de la culture ducolza et du tournesol pour la produc-tion européenne de diester, un carbu-rant agricole.La France, l’Allemagne, l’Italie et leRoyaume Uni seraient les pays les plusdéficitaires en abeilles et verraient ainsi

diminuer leurs rendements de grainesà huile faute d’une pollinisation suffi-sante à la floraison, selon ces mêmeschercheurs. Ils oublient que les abeilles connaissentun taux de mortalité très élevé avec ledéveloppement de ces cultures de rentetraitées au Round Up de Monsanto etautres insecticides. Du coup, le manquede rentabilité des ruches conduit les api-culteurs à abandonner le métier dansces zones de monoculture où leurs buti-neuses et pollinisatrices sont empoi-sonnées là où naguère elles faisaient leurmiel de la biodiversité de nos campagnes.Copie à revoir donc, à l’Université deReading.n

Les abeilles et le colza

Cette année, Valérie Masson-Delmotte,chercheuse au CEA et membre du GIEC(Groupe d'experts intergouvernemen-tal sur l'évolution du climat), a obtenule prix de la femme scientifique de l’an-née. Sciences & Avenir lui consacre unarticle avec un retour sur une partie desa carrière. « Elle a la passion de trans-

mettre ses connaissances, qu’elle écriveun livre pour enfants, anime une confé-rence, ou rencontre le président de laRépublique à huis clos, comme en sep-tembre 2013 à l’occasion de la publi-cation du rapport du Giec dont elle aété l’une des rapporteuses», résume lemensuel.n

Prix de la femme scientifique de l'année

La sonde spatiale Chang'e-3 s'est poséeen temps et heure sur la Lune. Respectantainsi à la lettre les annonces de l'Agencespatiale chinoise.L'alunissage a été retransmis en directpar la télévision chinoise qui multiplieles émissions à la gloire du programmespatial – succès majeur du régime etdu pays –, et cherche à intéresser la jeu-nesse à la science. Les présentateursdonnent de nombreuses informations

techniques et expliquent les conditionsdes activités spatiales dans l'environ-nement lunaire. Les médias chinois ontimmédiatement informé du succès del'opération. Des millions de chinois ontvoté en ligne sur internet pour choisirle nom du robot lunaire, « Lapin deJade». Selon la légende, le lapin de jadeest un apothicaire qui pile l'élixir d'im-mortalité dans son mortier, sa com-pagne Chang'e, est la déesse de la Lune.

L’empire du milieu sur la Lune

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En ce début d'année EADS salue unchiffre record de commandes enregis-trées.En fin d'année 2013, le pacte de 2000entre les actionnaires a été renégocié :la prépondérance potentielle de laFrance dans les décisions industrielless'est effritée avec l'entrée de l'Allemagneet le rôle devenu prépondérant des capi-taux flottants (qui passent de 49 à 72%).Les actionnaires privés prennent le passur les états... les buts et les choix indus-triels ne seront pas les mêmes.

Enfin la présence de EADS dans le capi-tal de Dassault et les imbrications avecThalès et Safran posent des questionsd'une autre ampleur qui justifient lademande de A. Chassaigne au nom dugroupe des élus CRC d'une Commissiond'enquête parlementaire. Les conséquences de ces choix arri-vent : c'est aussi l'année d'un crashsocial car la direction de EADS vientd'annoncer près de 5800 suppressionsd'emplois (dont plus de 1000 en France).Cherchez l'erreur ! n

EADS des records et des questions

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» APRÈS LE TSUNAMI, PAS D'ILE FLOTTANTE DANS LEPACIFIQUELe tsunami qui le 11 mars 2011 a ravagé lescôtes du Japon, a entraîné plus de 5 Mt dedébris dans l'océan. 70% de ces débris ontvite coulé; le reste a dérivé avec deséchouages spectaculaires sur des plages trèséloignées. En modélisant les courants onpouvait se demander si une île de déchetsn'allait pas se former par accumulation dansles gyres. En fait ces débris se dégradent, sefragmentent et s'il y a une plus forteprobabilité d’en rencontrer dans cette zone, iln'y a pas d'île. De même que les plastiquesdégradés au centre du Pacifique forment "unesoupe" et non un continent... L'impact sur lavie aquatique n'en est pas moins réel.

»DECOUVERTE DE L'EFFET DESERRE D'UN GAZ INDUSTRIELLe perfluorotributylamine (PFTBA) est un gazartificiel utilisé dans la fabricationd'équipements électriques et électroniques. Ordes chercheurs de l'université de Torontoviennent de découvrir qu'il est non seulementun GES de nouvelle classe très puissant (unemolécule de PFTBA équivaut à plus de 7000molécules de CO2) mais qu'il a une trèslongue durée de vie et qu'on ne sait commentle détruire.

» ENCORE LA THÉRAPIE GÉNIQUEUne équipe franco-anglaise obtient, sur 15patients, une avancée majeure en thérapiegénique sur la maladie de Parkinson enréussissant à refaire secréter de la dopaminepar le cerveau, réduisant ainsiconsidérablement les symptômes,tremblements et raideurs associés à cettemaladie dégénérative. "Concrètement, lespatients marchent mieux, ils sont moins rigideset ils ont moins de mouvement anormaux"explique le Professeur S. Palfi, chef du servicede neurochirurgie du CHU Henri-Mondor.

» UNE MAIN BIONIQUE Avancée majeure pour les invalides. Une main

bionique a ététransplantée sur le brasd'un patient à l' hopitalGemeni de Rome pardes chercheurs suisses,allemands et italiens enjanvier dernier. Lacaractéristique de cetappareil sophistiqué estd' impulser des signauxélectriques au niveaudes nerfs, simulant ainsi

le plus fidèlement possible les sensationséprouvées par le toucher. Ainsi une nouvellegénération de membres artificiels est en trainvoir le jour.

Coup de colère du Professeur PatrickMoore, cofondateur historique deGreenpeace (1972), qu’il a quitté en1986. Il s'est confié au quotidien TheIndependant le 30 janvier dernier etpour cause : Greenpeace s'opposefarouchement à la commercialisation

du riz doré,OGM, ayantpour caracté-ristique derépondre à lacarence envitamine A,

vitale pour les millions d’êtres humainsdont la nourriture est encore essen-tiellement à base de riz. « Il y a 250 millions d'enfants vivantdans le Sud dont la nourriture en vita-mine A est déficiente, et ils ont besoinde cette vitamine. Le riz doré peut laleur fournir parce qu'ils mangent duriz chaque jour et parce que c'est toutce qu'ils peuvent se permettreaujourd'hui ».L'UNICEF affirme que près de huitmillions d'enfants meurent chaqueannée de maladies comme la malaria,la tuberculose et le Sida. Plus de 25 %

d'entre eux meurent du fait d'un manquede vitamines, dont la vitamine A, essen-tielle pour la vue et le système immu-nitaire. Le docteur Moore accuse l'associationd'être responsable du décès de mil-lions d'enfants, suite à l'oppositioncontinue de Greenpeace depuis dixans par de multiples procès et destruc-tions de cultures destinées à laRecherche. Greenpeace de son côté, utilise unultime argument : « (...) nous prônonsune diversification des cultures et desressources alimentaires. Nous ne feronspas d’exception, car ce projet a pourseul but de faire progresser l’accepta-tion des OGM en général ».Diversification des cultures pour despopulations qui n’ont que le riz commenourriture de base: une version modernedes brioches de Marie Antoinette ?Une équipe sino-américaine del’Université Tufts (Massachusetts), amontré l'intérêt de cet OGM, dont il estprévu une mise à disposition gratuite.Pendant ce temps, 6000 enfants meu-rent chaque jour par manque de vita-mine A. n

Riz doré : un OGM qui pourrait sauverdeux millions d'enfants par an. Colère de Patrick Moore.

BILLET D’HUMEUR D’IVAN

IN ENGLISH PLEASE ! (EN ANGLAIS SVP!)

Madame Fioraso, improbable ministre de la recherche, zélote de l’an-glicisation de la recherche et de l’enseignement supérieur aumoment où nos collègues allemands font marche-arrière (un peu

tard, mais bon), je ne résiste pas à vous communiquer un extrait de la let-tre qu’un collègue a envoyée à l’ANR qui lui demandait de rédiger sa pro-position en anglais alors qu’il l’avait rédigée et envoyée en français.

« … Je prends bien note de votre demande. Néanmoins en examinant les délais (2 jours) cela me semble quasimentimpossible de dégager du temps pour bien rédiger en anglais (soutenancede thèses et cours me mobilisent durant les 3 prochains jours.)(…) De manière plus générale, la recherche française dans les domaines oùelle a été pionnière, les maths, la médecine, l’aéronautique..., a su s’impo-ser internationalement en maintenant la langue française au premier plan. Ce que vous demandez, est tout à fait compréhensible dans un contexteinternational ouvert mais l’ANR reste une initiative française, l’expertiseinternationale est toujours possible si l’ANR recrute des experts franco-phones (Canada, Suisse, Belgique, pays d’Afrique francophone pour peuqu’il y ait les experts reconnus… ) ou dispose d’une agence de traduction.Comprenez bien mon propos, nous sommes chercheurs en France et notreactivité est la Recherche comme le fait remarquer le rapport de l’Académiedes Sciences (sept. 2012) qui souligne que nous perdons bien trop de tempsen rédaction de rapports et activités administratives chronophages… »Sans commentaire.

IVAN LAVALLÉE

BRÈVES

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La face cachée du LowcostDocumentaire – CGT -46 minutes

Vous penser aimer le «lowcost», mais savezvous quel est le vrai coût du bas prix ?Diffusée par Options, le journal del'UGICT-CGT, cette enquête exclusived'Enrico Porsia décortique le modèleéconomique de la compagnie à "bascoût" Ryanair et son chantage auxsubventions publiques déguisées.On y découvre comment Ryanair exerceune pression permanente sur descollectivités territoriales et passe outre lecode du travail, sur fond de directiveBolkestein et de distorsion deconcurrence.À visonner sur http://www.verite-lowcost.com

Nanotechnologies : unerévolution invisible (3 épisodes)

Une trilogie de documentaire de hautniveau. Le meilleur de ce que peutproduire Arte, propos juste et précis,montrant toute les potentialités d'unetechnologie, et aussi les risques etinterrogations qu'elle suscite. Et le titreest juste, il s'agit bien là d'une révolutiontant les ruptures sont multiples et lesapplications innombrables. Invisible parla taille mais aussi par le fait que nous nesommes pas vraiment conscients de laportée de cette technologie. Un beautravail de mise en scène qui fait le paride l’intelligence du spectateur, avec unrythme bien dosé, et des idées qui sontpatiemment amenées, sans caricature. 1) L'homme amélioré ? France, 2011- 52mn- ARTE F2) Le meilleur des mondes France, 2011, 50mn) - ARTE F3) Pour une planète plus verte ? France, 2011, 50mn

Nucléaire, la grandeexplicationDocumentaire réalisé par Jean-Charles Deniau.Créé par Jean-Charles Deniau et Yves de SaintJacob. Produit par JEM Productions.Avec la participation de France Télévisions,CNC et Procirep-Angoa.

Dans ce documentaire plus de 50personnes sont interviewées à égalité deparole suivant les points de vue : pro etanti-nucléaire. Ce qui est remarquableici, c'est justement la place accordée aux« pro » ou plutôt à ceux qui pensent quele nucléaire civil est la moins mauvaisesolution disponible aujourd'hui. C'estassez rare dans les médias au point queles arguments qui militent pour lemaintien du nucléaire (civil) sontsouvent méconnus et inaudibles. Aussi,détail de psychologie, le fait d'êtreconscient d'une mise a égalité desopinions dans le documentaire, obligevisiblement les « anti-nucléaire » à avoirdes propos plus nuancés que decoutume (voir les propos excessifs surinternet et sur les déclarations officiellesd'associations où le nucléaire est qualifiéde « crime contre l’humanité »). Ce filmprouve que le débat mesuré est possiblesur ce sujet. Aux citoyens maintenant dese faire une opinion.

20 000 câbles sous les mersDurée : 43 min.Pour fonctionner, la planète, désormaisen réseau, a besoin de millions dekilomètres de câbles sous-marins.Plongée dans un aspect méconnu dusupport matériel d'internet et desnouvelles technologies.

Le monde merveilleux du GPSRéalisateur : Franck Cuvelier / auteur :Réalisa-teur Franck Cuvelier Documentaire -Durée : 57min – Diffusé surFrance 5 le 10 DÉCEMBRE - 21h45

Le GPS, guidage par satellite est contrôlépar l'armée américaine. Mais déjà le GPSchinois « Beidou » est opérationnel etpour le GPS Européen, Galileo, c'estimminent . Les applications, tantmilitaires, sociales qu'économiquessont immenses. Aujourd'hui toute notresociété est dépendante d'un système quia à peine 20 ans... Ce documentaireaborde tous ces aspects en plus del'enjeu autour des libertés individuelleset de la possibilité d'espionner tous nosdéplacements et ainsi réaliser un profilde nos goûts et habitudes deconsommation.

Le Couperet2005- Avec : José Garcia , Karin Viard –2h02mnFrance – 2004 - MARS DISTRIBUTIONBientôt 10 ans pour ce film de Costa-Gavras, mais il n'a pas pris une ride. Unfilm qui sans nul doute traversera letemps, car témoin de notre époque : uncadre licencié, victime de la violenceéconomique contemporaine, qui va setransformer en meurtrier pour éliminerses rivaux. Si on veut se renseigner sur lafolie du capitalisme au début du 20emesiècle dans le futur : on pourra toujoursressortir cette œuvre d'art...

VIDÉOS

Tous ces documentaires et films sont disponibles en VOD (payant), en DVD, et pour certainsen libre accès (sous réserve de films libres de droit) par une simple recherche internet.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

PAR SÉBASTIEN GUENNEAU*,

a publication par la revueScience le 23 juin 2006de deux articles propo-

sant la réalisation de capes d’in-visibilité en s’appuyant sur lesmétamatériaux, des structurescomposites aux propriétés iné-dites découvertes par le physi-cien britannique Sir John Pendryà l’aube du XXIe siècle, a eu unretentissement qui a dépasséle cadre académique de larecherche. Après la réalisationde la première cape d’invisibi-lité pour les micro-ondes parune équipe américaine, le NewYork Timesa titré le 12 juin 2007« Light fantastic : Flirting withinvisibility ». C’est peu dire queles médias se sont emparés dela thématique métamatériauxet invisibilité qui a rendu seslettres de noblesse à l’optiqueélectromagnétique, qui passaitpour un domaine de la phy-sique où les révolutions concep-tuelles avaient laissé place à desdéfis technologiques, et de cefait à une recherche plus en aval,de type ingénierie. La proposi-tion d’une cape d’invisibilitépour les vagues par des cher-cheurs de l’Institut Fresnel àMarseille en 2008 (voir photo),fut suivie par la propositiond’une cape antisismique en2009, qui a conféré à la théma-tique métamatériaux et invisi-bilité un caractère pluridisci-plinaire.

PARADOXES OPTIQUESAvant de penser aux applica-tions industrielles et aux enjeuxsociétaux, les opticiens ont cher-ché à répondre à une questionau premier abord assez triviale :mais que font donc les ondes?La réponse naturelle serait dedire qu’elles contournent la capeà la manière de l’eau autour durocher dans le cours d’une rivière.En aval, le courant est identiqueà l’amont. L’objet, derrière sonbouclier, est comme transpa-rent : le sillage derrière l’objet adisparu! Mais il y a plus surpre-nant : les simulations numé-riques démontrent que les ondesqui contournent la cape se refor-ment derrière elle sans dépha-sage par rapport à une onde sepropageant dans le vide : lesondes contournant la cape sui-vent un chemin optique pluslong que celles qui passeraient

à travers l’objet s’il était trans-parent, mais elles rattrapent leurretard. C’est un paradoxe optique,car la lumière ne peut se propa-ger plus vite que dans le vide.Pour lever ce paradoxe, il fautnoter que la cape d’invisibilitéest constituée d’un matériau trèshétérogène (son indice de réfrac-tion varie en chaque point) desorte qu’au niveau microsco-pique des phénomènes d’inter-férence complexes sont mis enjeu. Au niveau macroscopique,tout se passe comme si la cape

était constituée d’un matériauhomogène aux propriétés exo-tiques: l’indice de réfraction diteffectif de cette cape (rapportde la célérité de la lumière dansle vide par sa vitesse de phaseeffective dans ce métamatériau)peut prendre des valeurs infé-rieures à 1 quand leur fréquenceest en résonance avec les petitséléments qui constituent l’os-sature de la cape. Dès lors, unevitesse effective de la lumièresupérieure à 299 792 458 m/sserait possible dans la cape, cequi paraît là encore absurde. Enpratique, l’absorption et l’im-possibilité de travailler à uneseule longueur d’onde évitenttout paradoxe ou bizarrerie : lapropriété exotique du métama-tériau ne se produit qu’autourd’une certaine fréquence et lesmétaux constituant les résona-teurs sont fortement dissipatifs

aux longueurs d’ondes optiques.Il y aura bien un retard mesura-ble de la lumière derrière la capeinduit par le déphasage entre lefront d’onde qui contourne lacape et celui qui se propage enespace libre.Que se passe-t-il alors pour unobservateur situé dans la régioncentrale? Il est coupé du mondeextérieur, victime de la déchi-rure de l’espace métrique créepar la cape: il vit en quelque sortedans un monde parallèle qui luiest propre. Contrairement au

personnage de fiction HarryPotter, il ne sait rien de ce qui sepasse en dehors de la cape. Il estdans le noir le plus complet, ets’il lui prenait l’envie d’allumerune torche, il serait ébloui parune lumière très intense: la capeagit comme une cavité parfaite,aucun rayon n’en sort en théo-rie. Mais est-il bien vrai qu’au-cune onde ne pénètre ou ne sortde la région centrale? Le spec-tre électromagnétique est largedepuis les « petits » rayons X delongueur d’onde inférieure aunanomètre jusqu’aux grandesondes radio de plusieurs mètreset si cette cape détourne les uns,elle se fera traverser par les autresou vice versa. Tout dépend del’épaisseur de la cape et de lataille de ses petits éléments consti-tuants : il faut que les longueursd’onde considérées excitent lesrésonances internes des élé-ments constituants, et il faut deplus que la cape soit assez épaisse

n PHYSIQUE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE32

La réalisation d’une première cape d’invisibilité pour les micro-ondes en 2006 a ouvert la voie vers des matériaux structurés(dits métamatériaux car ils n’existent pas à l’état naturel). Lesenjeux sociétaux vont des télécommunications au génie civil.

L’avènement des capes d’invisibilité dans le spectrevisible pourrait avoir lieu d’ici une décennie.

Métamatériaux et « invisibilité » :des perspectives fascinantes

Edward Burne-Jones, Persées’armant, 1885. Persée reçoitdes dieux un casque qui le rendinvisible selon la mythologieGrecque.

L

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pour jouer son rôle. En consé-quence, le personnage sous lacape sera invisible pour un spec-tre de fréquences étroit et visi-ble pour les autres longueursd’ondes. Mais en retour il pourrapressentir certains aspects dumonde extérieur, à l’instar deshommes de la caverne de Platon.

ENJEUX TECHNOLOGIQUES ETSOCIÉTAUXLes avancées théoriques et tech-nologiques sont telles depuisl’avènement des métamatériauxen 1999 que j’avais annoncé avecAndré Nicolet et Frédéric Zolla(deux collègues de l’InstitutFresnel) dans Le Mondedaté du17 mai 2007 que l’avènementdes capes d’invisibilité dans lespectre visible pourrait avoir lieud’ici une décennie. Il ne nousreste qu’un peu plus de trois anspour réaliser cette prophétie !Quoi qu’il en soit, aux longueursd’onde radio, des applicationspourraient porter sur le déve-loppement de boucliers oucasques protecteurs électroma-gnétiques. Dans de nombreusessituations, par exemple à borddes avions ou à l’hôpital, il estdemandé d’éteindre les télé-phones portables, car leur rayon-nement perturbe les appareilsélectroniques. Des capes d’in-visibilité recouvrant les appa-reils sensibles dans la carlinguedes avions permettraient de lesisoler du rayonnement électro-magnétique ambiant. La télé-phonie mobile soulève aussi desquestions en termes de santé

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pour les usagers qui pourraienttrouver une réponse innovanteavec un casque protecteur unpeu à l’instar de la Kunée d’Hadès(casque qui rend son porteurinvisible, offert par les cyclopesau dieu grec des Enfers).

Toutefois, les premières capesd’invisibilité pourraient bien nepas être électromagnétiques,mais… acoustiques. Les équa-tions du physicien écossais James-Clerk Maxwell - qui préfigurentà la fin du XIXe siècle les équa-tions de la relativité d’AlbertEinstein - décrivant la propaga-tion d’une onde électromagné-tique dans un matériau sontéquivalentes, dans certainesconditions, à celles décrivantune vague à la surface d’un liquidepeu visqueux qui rencontre unobstacle. Partant de ce constat,notre équipe marseillaise pour-suit quant à elle une voie diffé-rente qui consiste à contrôler lapropagation des ondes de sur-face par anisotropie, c’est-à-diredont la propagation dépend deleur direction. Nous avons misen place une version acoustiquedite chape acoustique: l’expé-rience menée en cuve à onde

démontre que l’on peut contrô-ler les ondes se propageant à lasurface d’un liquide judicieuse-ment choisi pour sa faible capillarité et toxicité (du methoxy-nonafluorobutane). Les vague-lettes agitant la surface du liquideinteragissent avec les plots ets’annulent au centre du disqueà cause d’interférences destruc-trices. Le calme règne dans cettezone, comme si elle avait été ren-due invisible à l’agitation exté-rieure. Cette chape acoustiqueest transposable à grande échelleen mer. Les applications de cetype d’invisibilité sont non seu-lement ludiques (rendre l’invi-sible visible à nos yeux) maisrésident surtout dans la protec-tion de plateformes off shore oude zones côtières contre les tsu-namis. Il ne s’agirait pas de labriser, mais de la guider vers deszones non habitées : cela évite-rait le phénomène de déferle-ment de la vague avec les diguesactuelles. Avec ce procédé inno-vant, une plate-forme pétrolièreentourée de pylônes judicieu-sement installés autour d’elle,dans un rayon de quelquesdizaines de mètres, formant ainsiune cathédrale des mers, seraitépargnée des fureurs de l’océan.Les chapes acoustiques se décli-nent aussi en chapes de silence,dispositifs qui pourraient réduirel’écho radar des sous-marinsgrâce à un contrôle accru desondes de pression réfractées parleur carlingue. Les ondes de pres-sion sont par ailleurs mises enjeu dans les séismes, mais ellessont alors couplées aux ondesde cisaillement, ce qui compliquesubstantiellement le design d’unechape acoustique dans les solides.Néanmoins, en collaborationavec l’entreprise Ménard (filialedu groupe VINCI) nous avonstesté en 2012 une chape sismiquequi permet d’atténuer les ondesde surface les plus dévastatricesassociées aux effets de site dansles tremblements de terre : lesondes dites de Rayleigh. Unetelle chape, placée autour desfondations d’un immeuble, rédui-rait considérablement les dégâtsd’un séisme (qui serait néan-

moins tout aussi dévastateurpour les immeubles environ-nants).En conclusion, les avancéesrécentes de la recherche sur lesmétamatériaux, tant sur le planthéorique que technologique,sont telles que plusieurs physi-ciens estiment que des capesd’invisibilité seront réalisées pourle spectre visible à l’horizon 2020.D’ailleurs, les premiers proto-types de tapis d’invisibilité dansle visible ont été proposés àl’Institut Fresnel, puis fabriquéset testés par une équipe deBarcelone en 2010. Leur avène-ment révolutionnerait le mondede l’optique et de la nanoélec-tronique. Mais les avancéesrécentes en métamatériaux acous-tiques sont telles que des chapesde silence pour améliorer parexemple l’acoustique de sallesde concert pourraient voir le jourà très court terme. Les premièresréalisations de métamatériauxsismiques structurés à l’échelledu mètre, ont vu le jour dans lesrégions grenobloise et lyonnaiseen 2012, grâce à l’entrepriseMénard. Des prototypes de méta-matériaux thermiques sont àl’étude à l’IEMN de Lille en France,à Karlsruhe en Allemagne et àHarvard aux États-Unis. J’ai mêmeproposé en 2013 une cape d’in-visibilité pour le contrôle de ladiffusion d’espèces chimiquesavec Tania Puvira jesinghe, unebiochimiste à l’Institut Paoli-Calmette. Ce qu’il convientaujourd’hui d’appeler la phy-sique de transformation prometdes applications fascinantes endétection radar, sonar et protec-tion des ondes hydrodynamiqueset sismiques, sans oublier l’opto-électronique et la plasmoniquegrâce aux progrès en nanotech-nologie. Le mathématicienGottfried Leibniz, fondateur ducalcul infinitésimal avec Newton,conclurait « Il y a de l’apparencequ’on tirera un jour des consé-quences bien utiles de ces para-doxes, car il n’y a guère des para-doxes sans utilité ». n

*SÉBASTIEN GUENNEAU est direc-teur de recherche au CNRS.

La cape d’invisibilité multi-ondes fabriquée en 2008 à l’Institut Fresnel(CNRS/AMU/ECM) est une structure en aluminium constituée d’unecentaine de piliers de 1 centimètre de haut et qui fait 10 centimètresde diamètre. Elle détourne les micro-ondes (autour de 5 Gigahertz),les vagues (autour de 10 Hertz), et le son (autour de 5 Kilohertz) dela région centrale sans que les fronts d’ondes soient perturbés àl’extérieur de la structure. Tout se passe comme si la cape et l’objetcaché en son centre se réduisaient à un point dans l’espace physique.

Des applications dansla protection deplateformes off shoreou de zones côtièrescontre les tsunamis.

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Ivan Lavallée nous introduit à l’algorithmique, comme l’un des grands enjeux de l’infor-matique d’aujourd’hui, et l’incontournable des sciences du XXIe siècle. L’ordinateur qui adéjà bouleversé nos modes de vie, irait-il jusqu’à bouleverser nos modes de pensées ?

ALGORITHMES ET NATURELes algorithmes ont été forma-lisés à l’origine par Alan MathisonTuring en 1936. Il a montré quetout ce qui est calculable peut-être décomposé en étapes élé-mentaires, chacune pouvantêtre effectuée par une machine.C’est la Machine de Turing, quia donné ses lettres de noblesseà l’informatique en tant quescience.La fin du XIXe siècle et les pre-mières décennies du XXe ont vules physiciens mettre le mondeen équations. La phénoménale(déraisonnable selon Wigner1)puissance des mathématiquesa permis aux physiciens de résu-mer les lois qui commandentnotre monde inanimé enquelques équations qui tien-nent sur une page de format A4.Mais malgré des travaux de hautevolée, de Turing à Thom, la bio-logie est rétive au langage mathé-matique classique.Les mathématiques telles quenous les pratiquons sont para-doxalement plutôt inefficacesen biologie et dans les scienceshumaines, hors la statistique.La compréhension de la circu-lation sanguine ou du fonction-nement du système immuni-taire ne saurait être résumée enquelques termes ouéquations.Comme le fait remarquerBernard Chazelle, « La raisonen est simple. L’univers physiqueest bâti sur des principes de symé-trie et d’invariance (…) qui fontcruellement défaut en biologie. » La différence essentielle selonnous, vient de l’action du temps,deus ex machina.En biologie, le temps, briseurde symétrie, agit beaucoup plus

ue peut-il y avoir decommun entre, inter-net, la ola dans un

stade, une observation faite parun corsaire en 1580, les dino-saures, un vol d’oiseaux, Darwin,une horde de Kangourous et unsystème opératoire d’ordina-teur ? Non, il ne s’agit pas ici defaire du Prévert, mais de se don-ner de nouveaux outils de com-préhension du monde.La simulation informatique inter-vient aujourd’hui dans quasi-ment toutes les activités humaines,la manifestation la plus specta-culaire en étant peut-être la pré-vision du temps. Les récentesimages du typhon Haiyan dontla trajectoire a pu être prévue,permettant des évacuations etl’économie de vies humaines ensont une manifestation. De mêmele chirurgien Jacques Marescaux,a réalisé, depuis New York, devantdes collègues états-uniens médu-sés, l’ablation d’une vésicule surune patiente à Strasbourg. Maisau-delà de l’aspect spectaculairedes images sur l’écran de l’ordi-nateur, et de la puissance de cal-cul de celui-ci, ce qui est déter-minant ce sont les programmessous-jacents qui ne sont eux-mêmes que le codage en un lan-gage compréhensible par l’ordi-nateur, d’algorithmes. Jusqu’àune période récente les algo-rithmes de simulation n’étaientsensés eux-mêmes que « mettreen musique » des équationsmathématiques, un langage infor-matique s’appelle d’ailleurs FOR-TRAN pour FORmula TRANslator.Or il est des domaines dans les-quels les mathématiques clas-siques ne peuvent à elles seulessatisfaire.

rapidement qu’en physique. Làoù les objets physiques ne s’al-tèrent pas sur des milliards d’an-nées, les êtres biologiques ontévolué, les laps de temps peu-vent être beaucoup plus courts;ainsi nous mourons, et si lesétoiles meurent aussi, cela sepasse sur des constantes detemps qui échappent à notre« bon sens ». Ainsi, peut-on écrirequ’un ADN d’aujourd’hui est lerésultat de l’ADN d’une entitébiologique il y a quelques mil-lions d’années sur lequel a agile temps et plus particulière-ment l’histoire. C’est-à-dire quecette entité biologique s’estmodifiée pendant ce temps, aéchangé de l’information avecson environnement et a étémodelée par ces échanges etces corruptions, c’est la sélec-tion naturelle.D’où l’équation :ADN = Chimie + HistoireC’est la simulation informa-tique qui vient prêter main-forteaux mathématiques aujourd’hui.Et qui dit informatique dit néces-sairement algorithmique.L’école française d’informatiquethéorique est orientée non seu-lement sur les langages maisaussi sur l’algorithmique, lascience des algorithmes, et lacomplexité, en particulier surles domaines nouveaux en lamatière que sont les réseaux, leparallélisme et la simulationdes phénomènes de la nature.Les algorithmes offrent un lan-gage souple et puissant pour lamodélisation des systèmes bio-logiques et sociaux. Ils fournis-sent la base pour des simula-tions numériques ainsi qu’uncadre puissant pour leur ana-

lyse. Mais les algorithmes étaientjusqu’à il y a peu, confinés dansle strict domaine de l’informa-tique, destinés à la conduite desordinateurs tous basés sur leconcept de Machine de Turing,algorithmique par définition.Aujourd’hui, la compréhension

des systèmes dits naturels aug-mentant, les algorithmes fran-chissent leur frontière naturelleet viennent concurrencer le rôleque jouent depuis longtempsles équations différentielles dansla simulation du monde phy-sique.

SIMULER LES PHÉNOMÈNESNATURELSAinsi est-on amené à compren-dre et simuler des phénomènescomme la formation d’un vold’oiseaux migrateurs par exem-ple, le comportement indivi-

L’informatique au-delàde l’informatique

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La phénoménale(déraisonnable selonWigner1) puissance desmathématiques apermis aux physiciensde résumer les lois quicommandent notremonde inanimé enquelques équations quitiennent sur une pagede format A4. Maismalgré des travaux dehaute volée, de Turingà Thom, la biologie estrétive au langagemathématiqueclassique.

n INFORMATIQUE

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duel de chacun pouvant êtrerésumé par trois règlessimples énoncées en 1987 parReynolds :1 - Séparation : maintenir unedistance avec les autres de façonà éviter les collisions ;2 - Alignement: se déplacer versce qu’on considère comme étantle centre du groupe ;3 -Cohésion : aligner sa vitessesur celle des autres.Or dans cette démarche, rienn’est dit sur le comportementdu groupe. C’est la dialectiquedes comportements individuels

ici qui fait groupe et génère lesvols bien connus des oiseauxmigrateurs.Vers 1580 le corsaire Sir FrancisDrake rapporte un phénomènequi l’a frappé. À San Francisco,lorsque vient la nuit, la baie estilluminée par des milliers delucioles, qui petit à petit, se met-tent toutes à clignoter ensem-ble, en phase. On obtient unrésultat analogue en posant desmétronomes à balancier surune planche elle-même poséesur deux rouleaux. Même si onne les a pas réglés au départ sur

la même fréquence, au boutd’un temps plus ou moins long,ils battent en cadence. C’est cequ’on appelle un système àinfluence ou oscillateurs cou-plés. C’est le même phénomèneà l’œuvre lors de la formationd’une « ola » dans un stade. Peut-on simuler les phénomènes demutations génétiques qui res-sortissent à une algorithmiqueparticulière dont la modélisa-tion peut désormais être étu-diée ?La base théorique de l’algorith-mique est, nous l’avons vu, laMachine de Turing, machineabstraite dont le concept a étéexposé par Alan Mathison Turingen 1936 et qui est le modèlegénérique de tous les proces-seurs actuels, micros ou pas.Cette machine est constituéed’un ruban, qui est son seulmoyen de communiquer avecle monde extérieur, sur lequelelle peut lire et écrire. Elle litune information sur le ruban,la traite suivant son programmeinterne et éventuellement écritsur ledit ruban, le tout de façonpurement séquentielle et com-plètement déterministe. Cetoutil théorique, était destinéoriginellement à répondre à unequestion en théorie des nom-bres et en logique. Il a donnénaissance à l’informatique théo-rique et plus particulièrementà l’algorithmique. La pratiquea posé de nouveaux problèmesavec l’apparition des réseauxd’ordinateurs et du parallélismedans les processeurs, ce qui adonné lieu à des travaux théo-riques majeurs, portés en par-ticulier par une équipe fran-çaise d’universitaires (voir lecongrès OPOPAC de 1999, etson successeur OPODIS).

UNE NOUVELLE AVANCÉE ESTEN COURSEn algorithmique des réseaux,on considère des ordinateursqui communiquent entre eux(comme dans Internet) et toutle problème consiste à faire fonc-tionner correctement le réseau,c’est-à-dire les communica-tions. Mais si au lieu d’ordina-teurs communiquant entre eux,on considère des oiseaux, desavions, des lucioles, des métro-nomes ou des kangourous, onest dans la même probléma-tique, ce qu’on avait déjà remar-qué sans le développer il y avingt-cinq ans.D’où l’idée d’essayer de théo-riser les algorithmes naturelsqui gèrent ces comportements.Mais on peut aller plus loin etavoir une vue synthétique detous ces algorithmes, ne pasconsidérer d’un côté les algo-rithmes naturels et de l’autre,les autres mais disposer d’unmodèle conceptuel quicontienne à la fois les algo-rithmes stricto sensuau sens deceux utilisés en informatiqueclassique et les autres phéno-

mènes, c’est ce qu’on nommealgorithmes de la nature. Cemodèle2 contient à la fois celuide Turing, la logique des com-munications et l’aspect aléa-toire de la sélection naturelle.Ainsi sur le dessin ci-joint, lesbandes horizontales représen-tent les 60 premiers éléments,les nucléotides, d’une séquence

génétique de 5 espèces, l’homme,la vache, la souris, le rat et lepoulet.Sur le diagramme en bas, onvoit ce qui est commun auxhommes, aux vaches, aux sou-ris et aux rats et ce qui a changé:avec notamment 46 nucléotidesidentiques sur les 60, et parexemple seulement deux diffé-rences entre l’humain et la vache.Si on regarde une bande, onpeut l’assimiler au ruban d’unemachine de Turing et c’est lecode interne de la machine quiinterprète les nucléotides et quifait la réplication de cet ADNou ARN, selon. Que survienneun événement tel qu’une modi-fication du champ magnétique,un rayonnement atomique, uneaction chimique, etc. cette répli-cation peut-être faussée et géné-rer une autre séquence géné-tique. Sur une période très longuede quelques millions d’annéeset sur des millions d’individus,certaines séquences ainsi for-mées vont être viables et vontse développer si les conditionssont favorables. La probabilitéest extrêmement faible mais sur

de très longues périodes (ici desmilliards d’années), un événe-ment de probabilité très faiblea une très forte probabilité dese produire. On tient là unmodèle conceptuel qui permetainsi de simuler les algo-rithmes. n

*IVAN LAVALLÉE est professeurémérite de l’Université.

(1) Eugene Paul Wigner17/11/1902-01/01/1995, physicienhongrois naturalisé états-unien, Nobelde physique 1963.(2) Voir surhttp://arxiv.org/abs/1304.5604

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Mais disposer d’unmodèle conceptuel quicontienne à la fois lesalgorithmes strictosensu au sens de ceuxutilisés en informatiqueclassique et les autresphénomènes, c’est cequ’on nommealgorithmes de lanature.

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ÉCRIVEZ-NOUS À [email protected]

Comment simuler la formation d’un vol d’oiseaux sauvagesen migration ? Si la Biologie, à la différence de laPhysique, a longtemps résisté à se laisser mettre enéquations, aujourd’hui de nombreux phénomènes vivantsse prêtent à la modélisation par les algorithmes naturels.L’algorithmique offre un langage d’une richesse suffisantepour faire face à la complexité des phénomènes du vivantpermettant un regard nouveau sur les sciences.

Humain, bovin, souris, rat, poulet, commun

BIOLOGIE ET SIMULATION

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Le 25 octobre 2013, le CNRS célébrait le centenaire de cet ouvrage. De nombreuxspécialistes de la chimie moderne se sont succédés à la tribune, revenant sur lacontribution de ce grand scientifique français : ouvrage de référence pour de nom-breux chimistes et physiciens.

PAR AURÉLIE•BIANCARELLI-LOPES*•

« Molécule : Il y a vingt sièclespeut-être, sur les bords de la merdivine, où le chant des aèdesvenait à peine de s’éteindre,quelques philosophes ensei-gnaient déjà que la matière chan-geante est faite de grains indes-tructibles en mouvementincessant, atomes que le hasardou le destin auraient groupés aucours des âges selon des formesou les corps qui nous sont fami-liers. Mais nous ne savons presquerien de ces premières théories. »Jean Perrin « Les Atomes »,

Paris 1913

Le livre Jean Perrin jette là lesbases de la chimie et de la phy-sique moderne ; il sera rééditéplusieurs fois entre 1913 et 1973,pour intégrer les évolutionsrapides de la science. La der-nière édition revue et corrigéepar Francis Perrin en 1973, com-porte un résumé des progrèsaccomplis sur la connaissancede la structure de l’atome.

UN PHYSICIEN FRANÇAISENGAGÉNé à Lille en 1870, physico-chi-miste et homme politique fran-çais, il reçoit le Prix Nobel dePhysique de 1926 « pour ses tra-vaux sur la discontinuité de lamatière, et particulièrementpour sa découverte de l’équili-bre de sédimentation ». Danssa thèse, il démontre que lesrayons cathodiques (ordina-teurs et télévisions) sont com-

posés de particules chargéesnégativement. Au cours de sacarrière, il valide expérimenta-lement la théorie du mouve-ment brownien d’Einstein eteffectue les premières mesuresexpérimentales du nombre

d’Avogadro (voir encadré p. 37).L’apport de Jean Perrin ne selimite pas au seul domaine dela science. Conscient de l’im-portance et de la place dessciences au début du XXe siè-cle, il participe à la diffusion desconnaissances en direction dugrand public. Il crée en 1937 lePalais de la Découverte, dontl’objectif était de « rendre mani-feste la part déterminante quela Science a prise dans la créa-tion de notre civilisation et fairecomprendre que nous ne pou-vons espérer rien de vraimentnouveau, rien qui change la des-tinée, que par la recherche et ladécouverte ».Il est également Sous-Secrétaired’État chargé de la recherchescientifique dans le premiergouvernement de Léon Blum,remplaçant en septembre 1936Irène Joliot-Curie. Il occuperaà nouveau ce poste dès mars 1938dans le second gouvernementBlum. Il organise la fusion dela Caisse Nationale de la

Recherche Scientifique avecl’Office National des RecherchesScientifiques et des Inventionsen 1938. Et c’est ce CentreNational de la RechercheScientifique Appliquée, quidevient, le 19 octobre 1939, leCentre National de la RechercheScientifique ayant la visée, àl’époque, de réunir tous les orga-nismes de recherche fondamen-tale ou appliquée pour coor-donner les recherches à l’échelonnational.

« LES ATOMES » DE JEANPERRIN, LE LIVRE DE 1913C’est un compte rendu synthé-tique de ses travaux où ilconfronte ses résultats à ceuxd’autres méthodes. L’écriturede ce livre participe à cettevolonté de faire partager à unvaste public scientifique lesconnaissances alors nouvelle-ment acquises sur la structurede l’atome. Au-delà d’un vasteexposé magistral de la théorieatomique et de l’état de l’art, il

s’attache à faire comprendre àson lecteur la validation expé-rimentale de la théorie del’atome. Il utilise pour cela laconcordance exceptionnelle demesures de la valeur du Nombred’Avogadro, réalisées à l’aide dedifférentes méthodes. Il s’ins-pire entre autres des travaux deBoltzmann sur la distributiondes énergies, ou d’Einstein surle mouvement brownien quidécrit le déplacement aléatoirede particules. De nombreusesdéterminations réalisées avec

ses collaborateurs conduisentà une valeur NA=6,8.1023mol−1.La méthode, inspirée deBoltzmann, consistait en l’étudede la répartition en altitude degrains d’une suspension colloï-dale dans un liquide. D’autrepart Einstein, dans son étudedu mouvement brownien, avaitmontré que le carré moyen dudéplacement <X^2> d’une par-ticule est proportionnel au tempst : <X^2> = 2.r.t où la détermi-nation de rpermet de remon-

Un anniversaire : les cent ans du livrede Jean Perrin « Les atomes »

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L’apport de Jean Perrinne se limite pas auseul domaine de lascience.

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n CHIMIE

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ter à la valeur de NAqui est alorsNA=6,4.1023 mol−1.

C’est la convergence de cesmesures, obtenues par desméthodes différentes, quiconduit les physiciens du débutdu XXe siècle à accepter la réa-lité de l’existence des atomeset des molécules. La valeur com-munément admise aujourd’huidu nombre d’Avogadro estNA = 6,02214129(27) × 1023

mol−1.

LA PHYSIQUE ATOMIQUEMODERNE Dès lors, les physiciens du débutdu siècle vont s’intéresser à lastructure de l’atome. Différentsmodèles sont proposés au débutdu XXe siècle. L’atome selonThomson est une sorte de « pud-ding » dans lequel les électrons(chargés négativement) bai-

gnent dans un volume chargépositivement. Son modèle estinvalidé par l’expérience deRutherford qui conduit à unnouveau modèle de type pla-nétaire. Il est lui-même très rapi-dement mis en défaut d’une

part, par les équations deMaxwell qui prédisent que toutecharge accélérée (ici l’électronautour du noyau) rayonne del’énergie, et d’autre part, pardes expériences qui montrentla quantification des niveauxd’énergie. C’est Bohr qui le pre-mier propose un modèle tenantcompte de cette quantificationde l’énergie mais c’estSchrödinger qui construit lemodèle moderne de l’atome enintégrant les travaux du fran-çais Louis De Broglie sur la dua-lité onde-corpuscule1.

Ce modèle permet d’expliquerla stabilité de l’atome, la formedes molécules, l’organisationdes cristaux ou encore les effetsspectroscopiques. Une largepart de la physique modernedécoule de cette connaissancede la structure de l’atome. JeanPerrin, à la fin de son livre, conclutsur l’intuition de ce large champde connaissances qui s’ouvrealors aux scientifiques de sontemps :« La théorie atomique a triom-phé. Nombreux encore naguère,

ses adversaires enfin conquisrenoncent l’un après l’autre auxdéfiances qui longtemps furentlégitimes et sans doute utiles.C’est au sujet d’autres idées quese poursuivra désormais le conflitdes instincts de prudence et d’au-dace dont l’équilibre est néces-saire au lent progrès de la sciencehumaine.Mais dans ce triomphe même,nous voyons s’évanouir ce quela théorie primitive avait de défi-nitif et d’absolu. Les atomes nesont pas ces éléments éternels etinsécables dont l’irréductiblesimplicité donnait au Possibleune borne, et, dans leur inima-ginable petitesse, nous commen-çons à pressentir un fourmille-ment prodigieux de mondesnouveaux. Ainsi l’astronomedécouvre, saisi de vertige, au-delà des cieux familiers, au-delàdes ces gouffres d’ombre que lalumière met des millénaires àfranchir, de pâles flocons per-dus dans l’espace, voies lactéesdémesurément lointaines dontla faible lueur nous révèle encorela palpitation ardente de mil-lions d’astres géants. La Naturedéploie la même splendeur sanslimite dans l’atome ou dans lanébuleuse, et tout moyen nou-veau de connaissance la mon-tre plus vaste et diverse, plusféconde, plus imprévue, plusbelle, plus riche d’insondableimmensité. » n

*AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES estDoctorante en Nanoscience, Aix-Marseille Université

(1) La dualité onde-corpuscule est unprincipe selon lequel tous les objetsphysiques peuvent se comporter à lafois comme une onde ou comme uneparticule ( exemple classique : lalumière). Le caractère ondulatoire oucorpusculaire ne dépend pas de l’objetmais de l’instrument de mesure phy-sique utilisé. C’est un des fondementsde la mécanique quantique.

• Bibliographie :Jean Perrin, bibliographie del’Académie des Sciences,Jean Perrin, bibliographie de la fonda-tion NobelLes Atomes, Jean Perrin ed. 1973

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« C’est au sujetd’autres idées que sepoursuivra désormaisle conflit des instinctsde prudence etd’audace dontl’équilibre estnécessaire au lentprogrès de la sciencehumaine. »

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Le nombre d’Avogadro est le nombre d’atomes de Carbonedans 12 grammes de l’isotope 12 du Carbone. De façonsimplifiée, la masse d’un atome est pratiquement égale à lamasse de son noyau car l’électron est 2 000 fois plus légerque les nucléons (protons et neutrons) qui composent lenoyau. Comme les protons et les neutrons ontapproximativement la même masse, on retrouve la mesure dela masse d’un atome en multipliant la masse d’un nucléon parle nombre de nucléons présents dans le noyau. Or la massed’un nucléon est tellement petite qu’il faut environ six centmille milliards de milliards de nucléons pour former un grammede matière. C’est ce chiffre astronomique que l’on nomme lenombre d’Avogadro NA.

LE NOMBRE D’AVOGADRO

Jean Perrin crée en 1937 le Palais de la Découverte.Son objectif était de «rendre manifeste la part déterminante que laScience a prise dans la création de notre civilisation et fairecomprendre que nous ne pouvons espérer rien de vraiment nouveau,rien qui change la destinée, que par la recherche et la découverte»

Nombre de grains dans unesuspension colloïdale àdifférentes altitudes (J. Perrin,« Les atomes », 1913).

Détermination par plusieurs méthodesexpérimentales du nombre d’Avogadro.

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Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

S’approprier la technologie et les moyens de production, pour faire de la création unepratique populaire, sur fond d’échange et de « coopérativité ». Retour sur ces lieux nova-teurs, les fab-lab, comme outil d’émancipation, de résistance et de politisation.

PAR YANN LE POLOTEC*,

e San Francisco àBarcelone, de Gennevil -liersà Lomé, de Nanterre

au Caire, depuis une décenniese développent d’une manièrevirale, sur toute la planète, deslieux particuliers qu’on appellefab lab ou Hacker-Space…

Ces fab lab, c’est-à-direLABoratoires de FABrication,sont des ateliers locaux, connec-tés en réseaux, où l’on peutconcevoir, modifier, personna-liser et fabriquer toutes sortesd’objets. Ces ateliers mettentgratuitement à la dispositionde tous, des ordinateurs dotésde logiciels libres de créationnumérique, reliés à des impri-mantes 3D et à diverses machinesoutils. Ces lieux allient la puis-sance des réseaux planétairesde mise en partage des connais-sances à l’efficacité des tech-nologies industrielles et au sur-mesure de la productionartisanale de proximité.

UNE NOUVELLE FAÇON DEPRODUIRE ET CONCEVOIRLes mots-clefs qui définissentun fab lab sont : Faire, Partager,Apprendre, Droit à l’erreur,Gratuité. Le fonctionnementd’un fab lab se fonde sur troispratiques : « créer plutôt queconsommer », « faites-le vous-même », « faire avec les autres ».Au cœur de l’essence des fablab se trouve la volonté de fairede la création une pratique popu-laire, d’apprendre par le faire,le libre partage de savoir faire,et le droit à l’erreur.On y privilégie l’interdiscipli-narité et l’amalgame des expé-

riences de personnes d’hori-zons et de cultures différents.On partage et diffuse desconnaissances au plus grandnombre pour mener à bien desprojets innovants. La formationse construit autour de projetsconcrets et s’appuie sur l’ap-prentissage par les pairs. Prendrepart à la capitalisation desconnaissances et à la formationdes autres est un devoir pourchaque usager d’un fab lab.L’activité d’un fab lab reposesur le parti pris de créer plutôtque de consommer, en s’appro-priant la technologie pour enfaire un outil d’émancipation.Les usages sont aussi bien utili-taires, professionnels, culturels,artistiques que ludiques. Les usa-gers se recrutent chez les des-igners, bricoleurs, artistes, archi-tectes, étudiants, lycéens,ingénieurs, bidouilleurs, artisans,mais aussi chez les néophytes.Les créations et les productionspeuvent aller du bouton en plas-tique de sa gazinière au petit accé-lérateur de particules en passantpar la maison solaire. Les sériesvont de l’unité au millier.Les fab lab sont d’authentiquestiers-lieux, qui s’inscrivent dansle cadre plus large de l’écono-mie de la contributionchère àBernard Stiegler. Ils s’appuienten partie sur des modes de finan-cement alternatif comme lesP2P lending (prêt entre parti-culiers), le crowdfunding(formede souscription sur le net), l’équitycrowdfunding, le microcréditen P2P... Les acteurs des fab labse réfèrent à la do-cratie c’est-à-dire la démocratie du faire etdes solutions plutôt que celledu verbe. Ils récusent à fois lesmodes d’organisation pyrami-

daux et ceux en réseau, pourleur préférer l’auto-organisa-tion, l’intelligence distribuéeetla stigmergie c’est-à-dire litté-ralement la « stimulation destravailleurs par l’œuvre com-mune qu’ils réalisent ».De fait le concept de fab labremet en cause les manières deconcevoir, de fabriquer, de fairecirculer et de consommer nom-bre de marchandises. Il favo-rise par essence les circuitscourts. Les stratégies indus-trielles qui reposent sur les obso-lescences programmées, surdes situations de rentes tech-nologiques monopolistiques etsur des systèmes de mainte-nance propriétaires et fermés,

sont directement menacées parle développement des fab lab.Ainsi par exemple la collabora-tion entre un fab labd’Amsterdam et un fab lab indo-nésien a permis de produire desprothèses de jambe à 40 $ aulieu de 10000 $ sur le marchéen utilisant une structure enbambou plutôt qu’en alumi-nium.Les fab lab transposent le modèle

des « logiciels libres » à la pro-duction d’objets matériels. Onparle d’ « open source hard-ware ». Les objets de chacunsont créés collectivement etsouvent à partir des plans numé-riques d’autres objets. Tout engardant ses droits d’auteur, onpartage sa création en mettanten ligne sur le réseau ses plans,ses instructions et recomman-dations, les matériaux utilisés…C’est-à-dire tout ce qui permetde reproduire l’objet, de le réuti-liser, de l’améliorer, de le détour-ner. La référence étant la licencecreative commons.L’expérience montre que plusun projet est librement partagé,plus il a de chances de réussir,car il s’enrichit et s’améliore aucontact de la communauté enréseau des fab lab. Pour le créa-teur, la reconnaissance et la pro-tection de la paternité de sontravail sont d’autant plus fortesqu’elles sont présentées et expo-sées à tous.Avec les fab lab, s’est développéaussi le concept de « machinesauto-réplicables libres » forgépar l’ingénieur Adrian Bowyer.Celui-ci entendait offrir à cha-cun un accès libre, gratuit etdécentralisé aux moyens de pro-duction à partir de machinesdont les plans seraient acces-sibles à tous, via internet, et quiseraient en mesure de produireelles-mêmes la majeure partiede leurs propres pièces. Ceconcept s’est concrétisé en 2006avec le projet international« RepRap » de conception etfabrication libre d’imprimantes3D. Déjà plus de 200 modèlesdifférents de RepRap existentet des dizaines de milliers deRepRap sont opérationnelles

Fab Lab, mariage des bits et des molécules

n TECHNOLOGIES

SCIENCE ET TECHNOLOGIE38

La collaboration entreun fab Labd’Amsterdam et un fab Lab indonésien apermis de produire desprothèses de jambe à40 $ au lieu de10 000 $ sur lemarché en utilisant unestructure en bambouplutôt qu’en aluminium.

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de par le monde au prix moyenactuel de 350 €, dont la concep-tion et la production connais-sent une progression géomé-trique.Chaque fab labagit sur un champd’activités local en répondantaux besoins de proximité etinteragit en réseau via internetavec l’ensemble des fab lab dumonde entier. Les fab labne seconcurrencent pas. Ils partici-pent d’un effet réseau coopé-ratif, où chacun augmente lavaleur des autres, en mettanten partage une expertise nou-velle. Ils élargissent les capaci-tés de participation et d’inter-vention des citoyens sur le localet sur le global.

DES LIEUX DE POLITISATIONET DE DÉBATLes fab laboffrent des lieux d’ap-propriation des moyens de pro-duction technologiques afin detransgresser leurs usages, encela ils participent de l’éthiquehacker (de l’anglicisme haker :bricoler, explorer les systèmesinformatiques). Ils jouent aussiun rôle d’éducation populaireet de diffusion de la culture tech-nologique.Dans un fab lab, il y a toujoursune salle commune où on débatsur la place et l’utilisation destechnologies, sur la nécessitéde mettre la technologie au ser-

vice de valeurs humanistes, surles enjeux de la création et dela production. Quelles richessesproduire ? Comment les pro-duire? Pour satisfaire qui et quelsbesoins ? Cette salle, souventpourvue d’une cuisine et decanapés, est aussi un lieu deconvivialité, voire de festivité.Ainsi Emmanuel Gilloz, le jeunecréateur d’une RepRap pliableet transportable, la Foldarapnotait dans son blog « Si je sou-tiens à fond le concept des fablab, c’est parce que j’y trouve uneréponse à la question commentvivre en accord avec mes valeurset participer à la création d’unealternative.Ces valeurs qui semblent gagnerdu terrain et représentent lesbases d’un nouveau système desociété qui apparaît de plus enplus évident face à la perceptionque quelque chose ne va pas dansl’organisation actuelle du monde(ou du moins la nécessité de dis-cuter de ce qu’on voudrait à laplace). Empathie, collaboration,équité, autonomie, distribution,transparence, etc. (...)Le mondedu partage devra remplacer lepartage du monde. Chaque jouron se rapproche de notre idéalet du point de bascule. »

Les fab lab favorisent une formed’appropriation sociale dessavoirs et des savoir-faire quientre en contradiction, avec latendance atavique du capita-lisme contemporain fut-il cog-nitif, à tout breveter et à dépos-séder les travailleurs de leurs

créations immatérielles.Il y a là en germe la nécessitéde passer à un autre modèleéconomique, à d’autres rap-ports sociaux. L’« open sourcehardware » pose donc la ques-tion de la rétribution socialedes créateurs-producteurs.Certains acteurs des fab labvontjusqu’à porter l’idée d’un revenuuniversel dissocié du revenu dutravail rejoignant ainsi la thèsede Marx dans les « Manuscrits »sur une Humanité libérée dusalariat : « La distribution desmoyens de paiement devra cor-respondre au volume de richessessocialement produites et non auvolume du travail fourni. ».

HACKER LE CAPITALISMESans en avoir toujours conscienceles acteurs des fab lab sontconfrontés à la nécessité dedépasser le carcan que consti-tue pour leur activité concrète,la propriété privée des moyensde production et d’échange.Nombre d’entres-eux parlentde « hacker le capitalisme »: ver-sion hackerdu dépassement ducapitalisme?Certes dans tout cela il y a unepart d’utopie et quelques illu-sions rappelant Proudhon etFourrier. Certes le capitalismefait tout pour récupérer, cor-rompre ou détruire ces espacesd’émancipation et de création.Mais il faudrait se garder deramener le phénomène fab labà quelques marginaux qui dans

des caves voudraient changerle monde avec des imprimantes3D.Cela serait oublier que nombred’acteurs des fab labne se conten-tent pas d’interpréter le monde,ils entendent le hacker. Les fablab ont pignon sur rue et occu-pent l’espace public. Ils devien-nent des lieux de politisationcomme l’avaient été les cafés etles salons au XVIIIe siècle.Ce n’est pas un hasard, si unrapport d’HEC sur les fab labavertissait qu’« Outre le retourde l’idée de propriété collectivede moyens de production – carc’est bien de cela dont il s’agitquand une université ou uneassociation ouvre un atelieréquipé de machines-outils -, lesfab lab pourraient ainsi aller àl’encontre de certaines grandestendances du capitalisme du faitde la dispersion du capital induitepar ces petites unités de produc-tion localisée. Par ailleurs, si l’onsuit la grille d’analyse de JacquesEllul, la démocratisation de laconnaissance technique dans lecadre des fab labpourrait signi-fier la fin de l’équivalence entretechnique et concentration dupouvoir et des ressources ».Le mouvement des fab labn’estpas sans contradiction, mais ilporte inconsciemment et par-fois consciemment, l’ambitionde dépasser le consumérisme,la division du travail, et des’émanciper de l’aliénation pro-duite par le travail salarié : unprogramme qui rejoint le rêved’un certain Marx. n

*YANN LE POLLOTEC est conseillermunicipal PCF du Blanc-Mesnil. Il pré-pare l’établissement d’un fab lab danssa ville.

Les fab Lab ont pignonsur rue et occupentl’espace public. Ilsdeviennent des lieuxde politisation commel’avaient été les caféset les salons auXVIIIe siècle.

Les fab lab apparaissent dansles lycées et collèges

Ateliers fab lab à La Cité desSciences et de l’Industrie.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

La bataille autour de l'usine de papeterie d'Alizay dont l’écho fut national, montre l'ur-gence et la pertinence de disposer de nouveaux pouvoirs pour les salariés, et illustreaussi l'importance d'avoir des élus en phase avec les luttes.

PAR ANNE RIVIÈRE*,

avènement de l'infor-matique n'a pasenterré le papier: com-

muniquer, emballer, produiredes articles d'hygiène de santé…La demande ne cesse d'aug-menter. Et les travailleurs de lapapeterie d'Alizay ne se sontpas laissés faire en 2009 à l'an-nonce en forme de coup de ton-nerre de leur employeur lescondamnant à brève échéanceau chômage : arrêt total de laproduction de pâte à papierdans l'Eure et 113 licenciements

à la clé, prélude à la fermeturetotale du site et de l'usinemitoyenne de fabrication depapier et à la ruine de la valléed'Andelle et de ses environs,dans la Haute Normandie, dure-ment frappée, où l'on ne compteplus fermetures d’entrepriseset gâchis sociaux.

Les atouts géo-économiquesdu site et du pays, l'engagementde l'industrie papetière fran-çaise de longue date dans unedémarche de développementdurable et les savoir-faire locauxcontredisaient ceux qui disaient:la pâte, c'est fini !

La pâte à papier, première indus-trie de recyclage de France, est« rentable », économiquementet socialement: recyclable qua-tre à cinq fois, le papier est unvéritable puits de C02. Les entre-prises à capitaux étrangers nes’y sont pas trompées qui y sontmajoritaires. Créant un emploiindirect pour un emploi direct,le secteur a réduit de 80 % envingt ans les rejets aquatiques,l'énergie nécessaire et a conçudes circuits internes de recy-clage des déchets, réintroduitsdans le processus industrielcomme source d'énergie. Secteurhautement capitalistique, avecdes machines très puissantes,très perfectionnées et coûteuses:1800 mètres de papier journalà la minute ! Le prix de revientdu papier recyclé explique sasubstitution progressive au boispour la pâte : trois fois moinsd'énergie, trois fois moins d'eauet 30% de moins d'émission deCO2. Face à la volonté de fer-meture du site, les salariés ontdû faire la preuve de la réalitéde ces atouts avec l'appui de laRégion, pour défendre cetteindustrie, leur emploi et sécu-riser l’avenir.

L’INTERVENTION DES ÉLUSLe 16novembre 2009, les orga-nisations syndicales et GaëtanLevitre, maire d’Alizay etConseiller général, créent uncollectif pour le maintien et ledéveloppement, mus par leurconnaissance du métier et del'outil de qualité ainsi que leurancrage dans les réalités etbesoins locaux, régionaux etnationaux !

S’engage alors un rapport deforces et des négociations quidébouchent sur un plan de revi-talisation de l’entreprise signéun an plus tard, le 9 décembre2010. Ce plan est signé par l’État, M-REAL (le groupe finlandais), lessyndicats et le maire d’Alizay.Le but est de retrouver au plusvite les emplois supprimés etl’activité industrielle. Les pro-jets alternatifs de retour à l’ac-tivité avancés sont : • une unité de fabrication de

granulés de bois ; • une centrale thermique bio-masse en cogénération ; • une unité de désencrage depapier ; • une plateforme multimodaleet un port fluvial adaptés à lasituation géographique, en bordde Seine, entre Paris et LeHavre. Or, le 18 octobre 2011, aprèsdeux années de luttes, M-REALannonce brutalement la ferme-ture définitive. Un conseil muni-cipal extraordinaire est orga-nisé devant la papeterie le8 novembre 2011. Les salariésfédèrent autour d'eux tout l'éven-tail politique local, départemen-tal et régional. Face au blocage par le groupefinlandais, propriétaire des ins-tallations, mûrit l’idée de l’ex-

propriation de M-REAL au titrede l’utilité publique ou d'uneréquisition dans l'intérêt géné-ral. Avec Jacky Hénin, députécommuniste européen, l’objec-tif était de mettre la pressionnécessaire tant sur le Conseild’Administration du groupe quesur l’État pour un aboutisse-ment rapide des négociations.À l’initiative du maire d’Alizay,une délibération soutenant l’ex-propriation est alors votée àl’unanimité à Alizay, à Pont del’Arche, à la communauté decommunes Seine Bord, à l’ag-glomération Seine-Eure et parle département de l’Eure. Levœu d'une expropriation d'uti-lité publique s'impose alors. Ils’agit d’une réponse à un abus,après d'autres (Petroplus…). Lavolonté du groupe finlandaisest de liquider un site de pro-duction viable, avec son cor-tège de préjudices sociaux, pouréliminer un concurrent poten-tiel à un autre échelon et main-tenir un taux de profitabilitémaximal. La nécessité est alorsapparue dans la région de repen-ser les limites d'un droit de pro-priété abstrait, indépendant durapport social véritable.

De M-REAL à Double A : une lutteexemplaire dans l’industrie du papier

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n INDUSTRIE

... Elle s'avéreradécisive pour aboutir àdes négociationseffectives entre legroupe M-REAL.

Face au blocage par legroupe finlandais,propriétaire desinstallations, mûritl’idée de l’expropriationde M-REAL au titre del’utilité publique...

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

ENTRETIEN AVEC GAËTAN LEVITRE

Fibres d'une feuille de papiervues au microscope. L'industriepapetière est un secteur depointe.

L’

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Les causes profondes de la stra-tégie du groupe finlandais res-tent à clarifier: un marché euro-péen ou allemand surcapacitaire?Une stratégie d'entente pour lemaintien du prix de la pâte àpapier à un haut niveau àl’échelle européenne? Le prixde la pâte à papier, après unepériode difficile, repart à lahausse, dès l'annonce de la fer-meture du site, encourageantles salariés et leurs soutiens àla reprise de l'activité et la main-tenance des installations enattente d’une solution.

Cette idée de l’expropriations'avérera décisive pour aboutirà des négociations effectivesentre le groupe M-REAL et desrepreneurs potentiels. Unereprise rapide d’activité s’im-posait car : • 600 emplois directs étaient enjeu et autant d’emplois indi-rects ; • l’activité papier est un axe stra-tégique de développement régio-nal et d’indépendance natio-nale ; dès lors que seuls 47 %des papiers triés sont recyclésen France (75% en Allemagne)et que le tri lui-même peut êtreamélioré ; • l’arrêt définitif du site auraitété suivi de la mort lente du can-ton de Pont de l’Arche et de lavallée de l’Andelle ; • la continuité de l’activité étaitune condition nécessaire audéveloppement de l’axe Seineet du grand Paris. Gaëtan Levitre évoque le niveaud'élargissement à atteindre ences termes: «Mieux encore, nousdemandions que le futur repre-

neur porte un véritable projetindustriel plus large que la pro-duction de papier et qu’il metteen œuvre les différents projets pro-posés et étudiés par le collectif.Ces propositions étaient :• d’assurer une gestion durabledes forêts en trouvant des sourcesd’utilisation du bois local ; • de développer l’utilisation debiomasse dans notre région enmettant en œuvre le projet dechaudière accepté dans le cadrede l’appel d’offres CRE3 (projetde cogénération, chaleur et élec-tricité verte vendue à un tarifpréférentiel à EDF : le plus grosopérateur français). • d’assurer la rentabilité du siteen diversifiant ses activités et enproduisant des granulés de bois,et en recyclant les papiers récol-tés… »

L'USINE S'INVITE AU CONSEIL GÉNÉRALLe travail de construction deprojets a été couplé aux actions:démonstrations régulières etsystématiques de « puissancepaisible » pour l'information etle soutien des populationsconcernées. Ainsi des opéra-tions portes ouvertes avec redé-marrage impliquant les élussans exclusive et des rencon-tres fréquentes avec les repré-sentants de l'État ont eu lieu.Une expertise technico-scien-tifique s’est mise en place, etpour le succès final, le finance-ment du rachat effectif, s’estaccompagné d’une négociationserrée incluant les aspects dedépollution du territoire. Leslimites d'un plan social sont àfaire suivre d'une action de réin-dustrialisation plus vaste quel'état antérieur et plus en phase

avec les exigences du dévelop-pement durable, ainsi que laqualification des salariés à assu-rer et développer. La convictionen la rentabilité du site et del'activité, et le fait qu’il drainedes centaines d’emplois sur leterritoire a conduit la popula-tion locale à se sentir concer-née et à soutenir ces initiatives.« Tous ensemble, travailleurs,populations et élus, nous avonssu faire parler de notre combaten organisant des rapports deforce jusque dans la rue (…)».

Cette lutte est exemplaire à plu-sieurs titres ; par la richesse despropositions pour un retourpérenne à l’activité mais aussipar la capacité des salariés etdu collectif à se faire entendre.C’est cette capacité à être surtous les fronts qui a permis devoir arriver des repreneurs fia-bles dont Double A, le nouvelacquéreur de la papeterie d’Alizaydont c'était la première implan-tation en Europe. L’élu communiste Gaëtan Levitre,a porté à plusieurs reprises dansl’hémicycle départemental lesrevendications des salariés, il aainsi fait voter à l’unanimité leprojet de réquisition publique. Ainsi, le Conseil général a per-mis la reprise. Devant le blo-cage des négociations entre lesdeux groupes industriels, ledépartement, avec l’accord duPrésident, Jean-Louis Destans,a racheté l’entreprise avant dela revendre quelques minutesaprès au groupe thaïlandaisDouble A. C’est ce qu’on a appelé« départementalisation provi-soire » de M-REAL. La vente a été réalisée en deuxtemps :

DÉPARTEMENTALISER POUR PRODUIRE• premièrement ; un ensembleimmobilier portant sur environ350000 m², comprenant aussides actifs productifs notam-ment la machine à papier, etune centrale de production devapeur et d’énergie, avec pro-duction revendue à EDF. Venduà Double A, pour 18 millionsd’euros ; • deuxièmement le départe-ment, dans le cadre d’un por-tage foncier, effectue une venteà l’EPFN (établissement publicfoncier de Normandie) pour unmontant de 4,2 millions d’eu-ros afin de disposer d'ici 2015des espaces nécessaires pourd'autres activités liées, réalisantainsi une forme d'économie cir-culaire. La lutte a payé, l’usine est à nou-veau active depuis un an etemploie 200 salariés. D'autres embauches sont pré-vues. Sur les terrains ex-M-REALest prévue la réalisation d’unquai fluvial permettant d’ache-miner des matériaux par barge,ainsi qu’une zone multimodale;une bonne chose si cette der-nière accueille de la productionpour la transformation dematière, condition pour créerde nouveaux emplois. Ainsi,élus, travailleurs et populationsrestent vigilants ; en effet, lesprojets de réformes territorialeset politiques de suppression desdépartements, la création desmétropoles et le regroupementde régions associées à des poli-tiques austéritaires vont éloi-gner les citoyens des centres dedécision et ne sont pas de natureà faciliter ce genre de lutte. n

*GAËTAN LEVITRE est maire d’Alizayet Conseiller général communiste.

Cette lutte estexemplaire à plusieurstitres ; par la richessedes propositions pourun retour pérenne àl’activité mais aussi parla capacité des salariéset du collectif à se faireentendre.

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l'usine papetière d'Alizay (exM-REAL), poumon économiquede la vallée.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

Externaliser son informatique à une SSII, pour bénéficier de la mutualisation et deséconomies d'échelle, est une décision risquée pour l'entreprise cliente. Commentgarder l'esprit et la maîtrise de son métier ? Comment éviter la baisse du nombred'emplois ou d'informaticiens ?

PAR PIERRE PETIT *,

équipe que j’ai enca-drée au début desannées 2000 au sein du

groupe européen brassicoleS&N France (plus de 3000 sala-riés, 80 sites nationaux àl’époque) a conçu puis pilotésur près de 10 ans un contratd’infogérance, fondé sur unmodèle économique et opéra-tionnel atypique, en partena-riat avec la société EDS-Progical.

UNE CONSÉQUENCE DE LARECONFIGURATIONSTRATÉGIQUE DEL’ENTREPRISE. L’initiation du contrat a résultéd’une reconfiguration straté-gique après l’achat de l’entre-prise par le groupe brassicoleS&N, opération de concentra-tion sur un plan européen… Ils'agissait d'accélérer notre inté-gration financière consolidéeau sein du Groupe, en flexibi-lisant notre fonctionnement par

standardisation des processuset « synergies », économiesd’échelle et gains de producti-vité : • centralisation internationaledes contrats et négociationsd’achats (matières premièresessentiellement des céréales,véhicules et transports, publi-cité, informatique…), • uniformisation des processusde fabrication, de conditionne-ment, de maintenance et decontrôle qualité entre nos troisusines pour transférer « à lademande» des volumes de pro-duction entre sites selon lescommandes ou les restructu-rations ; • création d’un service centra-lisé de prise de commande ali-gné sur les exigences de la grandedistribution en matière de délailogistique, formats de produits,commandes et factures, etc. Larefonte du système d’informa-tion, par déploiement d’unesolution « SAP » globale (logi-ciel de gestion intégré couvrant

tous les domaines d’activité)s'imposait. Utilisée par la plu-part des grands groupes, « SAP»est un logiciel-vecteur clé de lastandardisation des modes defonctionnement et de leur conso-lidation financière. Ce projet global de 18 mois, aubudget de 250millions de francs,a mobilisé 250 consultantsinternes et externes.

LE REJET DU MODÈLESTANDARD (SAP) Une précédente formule, avaitdéjà été largement sous-traitéeet expérimentée, facilitant ledécryptage et le rejet du modèlestandard d'externalisation : • Attente à la hotline, interlo-cuteurs multiples, jargon abs-cons, itération, incompréhen-sion, délais de résolution nonfiables, procédures absurdes,effets tunnels, etc. Qui n’a pasvécu les inconvénients dumodèle standard d’infogéranceexternalisée des SSII ? • uniformisation des offres entreSSII, à partir d’un catalogue deprestations techniques et deniveaux de service standards

Infogérance et alternatives à l’externalisation

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n TRAVAIL

Ainsi l’augmentationdes volumes deprestation et la non-qualité sont sources derevenus ! Laréversibilité est globaleet donc risquée, sescoûts « cachés » accruspar la perte decompétences internespropre au modèle.

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

Le « numérique » est l'un des secteurs les plus dynamiquesde l'économie mondiale. Il diffuse dans tous les secteurs del'industrie et de l'économie française et joue un rôle central,étant un facteur de changements majeurs : administrationen ligne, santé, automobile, aéronautique. Cette forte crois-sance rend difficile la définition de son périmètre, en pleineévolution, et a justifié la création récente en France d'unobservatoire associant les professions et les pouvoirs publics.Quelques chiffres pour la France : 148 milliards de chiffred'affaire, 104 « data-centers », 40 millions d'internautes en2010. Selon les critères utilisés, le secteur pèse entre 600000 et un million d'emplois : environ 430 000 informaticiensen entreprise, 370 000 pour les logiciels et services, 300000 dans les télécoms. Il a accompagné les stratégies ditesde « recentrage sur les cœurs de métier » des grandes entre-

prises et conglomérats, dans l'optique d'une plus grande pro-fitabilité, en liaison avec le mouvement de financiarisation.Ces stratégies s'appuient sur l'externalisation croissante defonctions essentielles : comptabilité, informatique, mainte-nance, fabrication. L'infogérance est une forme d'externali-sation de service, un prestataire spécialisé se voyant confiertout ou partie du système d'information de l'entreprise, dansle but de diminuer certains coûts. Le contrat d'infogérancedoit être minutieusement établi pour sa bonne maîtrise ettraduit un rapport de force entre client et prestataire. Celaimplique pour le client d'avoir les compétences nécessairespour exercer sa gouvernance, qui est plus qu'un pilotage tac-ticien : la relation est pluriannuelle et comporte des engage-ments sur les résultats. Elle peut « impacter » le personnelet impliquer des « transferts » relevant du Code du Travail.

L'IMPORTANCE DU NUMÉRIQUE

TÉMOIGNAGE DE PIERRE PETIT, CONSULTANT AUPRÈS DE GRANDES ENTREPRISES.

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(calculés au plus juste), décon-nectés des spécificités du métier • mutualisation des ressourcestechniques et humaines du pres-tataire pour préserver les marges,par la délocalisation des cen-tres d’appels vers les pays à fai-ble coût de main-d’œuvre (cf.Progressistes N° 1) et des infra-structures (data-centres). Leturnover fréquent des salariésvictimes de la dévalorisation ducontenu du travail, est alors larègle. • rigidité contractuelle et opé-rationnelle. Le client ne peutqu’ajouter des prestations sup-plémentaires au tarif fort, sansréduction possible des consom-mations ou évolutions des ser-vices selon ses besoins (péri-mètre figé). Ainsi l’augmentationdes volumes de prestation et lanon-qualité sont sources derevenus! La réversibilité est glo-bale et donc risquée, ses coûts« cachés » accrus par la pertede compétences internes pro-pre au modèle, exposant l’en-treprise à la perte de maîtrisede ses outils de production,dépendants de l’informatique.

L’ALTERNATIVE Nous avons ensuite élaboré etargumenté quatre dispositionsalternatives. • Plutôt qu'un contrat global,une structure en lots de presta-tions indépendants (subdivisésen unités d’œuvre), définis entermes métier, pour disposerd’un contenu lisible pour tous,gérer rapidement et au moin-dre coût des variations de péri-mètre, ou bénéficier lot par lot

d’offres potentielles concur-rentes à tout moment, sansremise en cause globale. • À la délégation de compétenceet de pilotage, a été préféré unmode de fonctionnement colla-boratif permanent défini parlot de prestations, basé sur des« trinômes » experts métierinternes (référents industriels,finance, commercial), informa-tique interne et homologues duprestataire, en co-responsabi-lité opérationnelle des servicesdélivrés, dans une cogéranceancrant les ressources interneset le contrôle qualité).

• À contre-courant des ressourcesmutualisées et externalisées,une localisation des équipes duprestataire au sein même de l’en-treprise (équipes techniques,responsables opérationnels,stocks de matériels seraienthébergés sur nos sites), en immer-sion technique, culturelle etmanagériale permanente, assu-rant une « intelligence» mutuellepar le contact direct avec lesbénéficiaires, un pilotage opé-rationnel direct «en temps réel»,la réactivité optimum. • plutôt qu'une rémunérationselon volumes de consomma-tion, une incitation financièredu prestataire à l’améliorationcontinue de la qualité opéra-tionnelle et à la réduction denos coûts globaux respectifs,

en contrepartie de projets deco-investissements addition-nels planifiés annuellement encommun, visant à réduire lesconsommations récurrentesd’unités d’œuvre du contrat etdont les bénéfices seraient par-tagés au prorata des mises dechaque partie (par exemple :mise en œuvre de solutions deself-service utilisateurs, auto-matisation des tableaux de bord,formations…) -, ainsi que d’au-tres projets utilisant les mêmesprestations et ressources ducontrat, facturées au même tarif,qui lui seraient 250 millions. Ainsi, nous apportions unegarantie de chiffre d’affaires glo-bal et d’utilisation des ressourcesexternes, permettant leurancrage, à condition que le par-tenariat soit de « longue» durée(5 années puis renouvellementannuel) pour bénéficier de sesbénéfices. De plus, ce disposi-tif permettait d’abaisser les coûtsde réalisation des projets d’in-vestissement (par le bénéficedes tarifs du contrat) et de réduireles non-qualités usuelles desrelais entre équipes chargées

de projets et équipe de support(par synergies et mutualisationdes ressources, gains selon lescas réels). Enfin toute augmen-tation de périmètre s’accom-pagnerait d’une réduction desprix unitaires d’unités d’œuvre,et le coût annuel progressive-ment réduit (par capitalisationet optimisation).

Notre alternative permettait ungain de 1,50M€ (très supérieurau coût des ressources internesà y dédier) sur le coût du modèlestandard : coûts logistiques(déplacements des intervenants,transports de matériel…), coûtsd’encadrement, pilotage et docu-mentation (marges très élevéespour les SSII), coûts de mise enœuvre et réversibilité (compen-

sés par l’ancrage de compétencesinternes), risques financiers desnon-qualités pot en tielles, gainsdes non-qualités et coûts desprojets d’investissement. Il aemporté la validation des déci-deurs des deux parties et la sélec-tion d’EDS-Progical.

EMPLOIS, PERFORMANCE,COOPÉRATION: UNECOMBINAISON RÉUSSIE. Ce contrat a permis de main-tenir l’emploi localement (envi-ron 40 emplois préservés sur 10ans au total), d’atteindre sesobjectifs financiers (réductionannuelle de 10 % du coût ini-tial de 3 M€/an), et de résisteraux benchmarks (comparaisonset tests de performance) avecdes résultats supérieurs auxmétriques (indicateurs) habi-tuelles de référence coûts/qua-lité. L’association permanentedes bénéficiaires, la proximitéet la coopération, ont fait bou-ger les lignes des relationsclients/sous-traitants, ceux-cidevenant les avocats du modèleet assurant sa prolongation surprès de 10 ans. Sans idéaliser,ou généraliser abusivementcette expérience et sans ambi-guïtés : les critères de gestionlibéraux n’y ont pas été radica-lement changés ! Nous avonspu combiner durablement effi-cacité économique, qualité d’exé-cution et des relations de tra-vail, et utilité sociale, avec descontenus motivants. La dispo-nibilité et la mobilisation del’encadrement pour des activi-tés de création et de gestion col-lective durables, se sont oppo-sées à l’importation de modèlespréfabriqués, à la réduction descoûts et des emplois, dès lorsque cela lui a été proposé. Desmarges de manœuvres et des«bouts » de management alter-natif sont possibles en travail-lant sur et dans les contradic-tions du carcan actuel. n

*PIERRE PETIT est ancien cadre del’agroalimentaire et consultant straté-gie, organisation et SI.

Des marges de manœuvres et des « bouts » demanagement alternatif sont possibles en travaillantsur et dans les contradictions du carcan actuel.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

L'aéronautique, fleuron de l'industrie européenne est mise en danger par le pouvoirdémesuré des actionnaires dans le capital d'EADS. Les États, dont la France, doiventimposer d'autres politiques avant qu'il ne soit trop tard.

PAR JEAN-LOUIS CAILLOUX*,

association internatio-nale du transport aérien(IATA) vient de publier

un communiqué de presse invi-tant chacun à se joindre à lacélébration du centenaire dupremier billet d’avion venduaux États-Unis, pour un volSaint-Petersburg-Tampa(Floride), et « à prendre part àla discussion sur ce qu'il fautfaire pour que les 100 prochainesannées soient encore plusmémorables ». Car si le passa-ger de 1914 était solitaire,aujourd’hui plus de 8 millionsde personnes et 140000 tonnesde fret voyagent chaque jourpar avion. Le même jour, àrebours du triomphalismeambiant, le groupe communisteà l’Assemblée Nationale deman-dait la création d’une commis-sion d’enquête pour faire lalumière sur la situation de l’in-dustrie aéronautique française.Pourquoi ?

TOUJOURS PLUS DEPASSAGERS ET DEMARCHANDISESEn 2013, le nombre total de pas-sagers aériens dans le mondes'est élevé à 3,1milliards. L’IATAen annonce 3,3 milliards pour2014, l’équivalent de 44% de lapopulation mondiale (1). À 100voyageurs par avion en moyenne,il y a à chaque instant 500000personnes dans le ciel. Il y a14000 aéroports dans le monde.Le plus grand, celui d'Atlanta,a vu transiter plus de 89 mil-lions de passagers en 2010.74millions pour celui de Pékin.58millions pour Paris-Charles

De Gaulle, 7e aéroport mondialavec ses 160000 voyageurs quo-tidiens. En 2020, on estime lesvols commerciaux jusqu’à200millions par an, soit 380 volspar… minute. Les pays dits« émergents » ne sont pas pourrien dans cet essor et par exem-ple la liaison la plus fréquentéeau monde est celle qui franchitles 350 km entre Rio de Janeiroet Sao Paulo, au Brésil.

D’autres liaisons, Los Angeles –San Francisco ou Francfort –Berlin sont devenues de vérita-bles navettes. Les passagers pren-nent leur billet et embarquentcomme dans un train, sans réser-vation. Si l’appareil est plein, lespassagers embarqueront sur lanavette suivante, une demi-heureaprès. De plus en plus, l’avionest un moyen de transport ordi-naire et les grands avionneurs,Airbus et Boeing en tête, enre-gistrent des commandes records.

Pour répondre à ces besoins,pour se projeter sur le siècle, ilfaut engager de nouvellesréflexions de société, de nou-veaux sauts scientifiques et tech-nologiques.De nouvelles archi-tectures d’avion doivent être

mises au point. Celles d’au-jourd’hui, basées sur des avionsà couloir, arrivent au bout deleurs possibilités. Il faudra conce-voir les nouvelles en comptantsur de nouveaux matériaux, pluslégers et donc moins gourmands

en carburant. Des ruptures tech-nologiques sont attendues avecl’électronique de puissanceembarquée, pour réaliser l’avion« plus électrique ». La motori-sation doit aussi faire des sautsscientifiques pour s’affranchirdes limites du pétrole, réduireses émissions de pollution etde bruit. En 2010, l'aviation civilea représenté 2,5 % des émis-sions de C02 mondiales.

LE CHANTAGE DU P.-D.G.TOM ENDERSToute à ses critères de gestion,où tout se mesure en profits etétouffe la réflexion, la sociétécapitaliste est incapable deconstruire cet avenir. Une pre-mière alerte a été donnée lorsqueles capitalistes privés ont refuséde s’engager dans le finance-ment du projet Galiléo. Mais lefait récent le plus significatif estla nouvelle stratégie d’EADS(qui se nomme désormais« Airbus Group »).En 2012, le groupe a réalisé56 milliards d’euros de chiffred’affaires, pour « seulement »1 milliard d’euros de résultatnet, une petite marge de 1,7%.Soit des chiffres de profits quisont pour les actionnaires undrame, puisque bien loin desdeux chiffres exigés par la bourseet les actionnaires. Astrium, quidoit faire face à « une réductiondes commandes de satellitescivils et militaires », devrait se« serrer la ceinture ». Alors suiteà l'adoption au printemps 2013de la nouvelle gouvernance dugroupe, à l'occasion de laquelleles États européens ont capi-tulé devant le capital en aban-donnant leur droit de gestion,Tom Enders, P.-D.G. d’Airbus

Quelles luttes pour l’avenir de l’aéronautique ?

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n ENTREPRISE

Pour se projeter sur lesiècle, il faut engagerde nouvelles réflexionsde société, denouveaux sautsscientifiques ettechnologiques.

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L'A350, le dernier né d'airbus, a pris son envol le 14 juin 2013. Ce typed'événement sera de plus en plus rare, au regard des dernièresdéclarations du P.-D.G. d’EADS proscrivant toute étude pour de nouveauxappareils pendant plus de 10 ans. Priorité aux dividendes et lesactionnaires applaudissent.

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Groupe, a redéfini sa stratégie.L’objectif principal désormaissera de dégager une rentabilitéde 10 % pour le groupe d'ici à2015, afin bien sûr d’augmen-ter les dividendes des action-naires.C’est la raison de la menace desuppression de 5800 postes enFrance, en Allemagne, auRoyaume-Uni et en Espagnedans les branches militaires etspatiales. Pour « éviter » ceslicenciements, les États devraientengager plus de dépenses mili-taires ou distribuer plus de sub-ventions, et les salariés de labranche devraient signer des«accords de compétitivité », quicombineraient modération sala-riale et augmentation du tempsde travail. Faute d'obtenir cesaccords dit-il, «nous serons obli-gés de procéder à des licencie-ments ».

Mais il y a plus grave encore quece chantage. Car Tom Andersdéclare proscrire l’étude de nou-veaux appareils pour dix ans.Ce qui veut dire tailler dans lessecteurs de recherche et d’études,priver de poste des milliers d’étu-diants en sortie d’école, man-quer à la promesse de dévelop-pement et de coopérationhumaine que pourrait porterl’industrie aéronautique et spa-tiale et par ricochet tout le trans-port aérien.

Ainsi le divorce est complet entreles salariés du secteur qui avecun carnet de commandes équi-valent à une dizaine d’annéesde production peuvent jugerque non seulement leur emploiest assuré mais qu’il y aurait desmilliers d’emplois très qualifiésà créer, et une direction obnu-bilée par le résultat à court termeet la rentabilité offerte aux action-naires.

SILENCE COUPABLE DESGOUVERNEMENTSLe silence du Gouvernementfrançais est assourdissant, alorsque sa responsabilité dans lasituation actuelle est largementengagée. C’est lui qui a négo-

cié en catimini le nouveau pacted’actionnariat, faisant passer lecapital flottant de l’entrepriseà 72 %. Lui-même a réduit saparticipation de 12 à 11 %,conformément à un accordconclu avec l'Allemagne. Etparallèlement, il faisait passerla loi de flexibilisation socialedécoulant de l’ANI1, qui abou-tit à désarmer les salariés faceau chantage de ces grandsgroupes.Pour autant, le niveau de l’en-gagement des États espagnol(4%), français et allemand (11%chacun) reste important. À ces26 % de l’actionnariat, il fautajouter les 3 % neutralisés par

la France puisque parqués dansune structure juridique néer-landaise sans droit de vote. Àce niveau, les États restent lesseuls actionnaires de référence.Et dans les 72% de capital flot-tant, il y a des « institutionnels »contrôlés par les états ou dessalariés actionnaires.

Ces États devraient au mini-mum exiger que les bénéficesdu groupe servent au lance-ment de nouveaux programmesrépondant aux besoins des peu-ples et limitant l’impact du trans-port aérien sur l’environnement.Pourvoyeurs d’aides en tousgenres, clients majeurs, ils ontla capacité d’intervenir sur leschoix stratégiques de cette indus-

trie si structurante pour les socié-tés européennes, si essentiellepour notre souveraineté et notresécurité.Puisqu’ils ne le font pas, ce sontles citoyens et les salariés quidoivent intervenir avec force. Ilest urgent d’imposer le lance-ment d’études et de grands pro-jets nouveaux, de demanderaux chercheurs et ingénieursde donner à voir de nouveauxconcepts qui repoussent leslimites techniques et profitentà l’emploi, aux conditions detravail et de formation, auxsalaires, à la création de richessesociale plutôt qu’actionnariale.

UN PÔLE PUBLIC EUROPÉENDE L’AÉROSPATIALLa France pourrait augmenterimmédiatement sa participa-tion au capital du groupe etposer les bases d’un pôle publiceuropéen de l’aéronautique etdu spatial, seul moyen démo-cratique pour échapper à lalogique destructrice des mar-chés financiers. Car il ne s’agitpas d’une industrie ordinaire,elle contribue puissammentau progrès humain, permet leséchanges économiques et cul-turels entre les peuples, permetdes interventions humanitaireslors de catastrophes ou la luttecontre les incendies, le spatialintervient dans l’étude de la pla-nète, de la météo ou des océans,etc. Mais c’est aussi une indus-trie de domination impérialiste,qui permet les interventionsmilitaires, la surveillance detous les mouvements, et avecles drones jusqu’à l’assassinat

« ciblé ». Les enjeux que portecette industrie sont éminem-ment politiques et leur appro-priation sociale doit être uneexigence démocratique, enFrance et jusqu’à l’échelle pla-nétaire. Au minimum, les sala-riés de ces industries doiventpouvoir se faire entendre etintervenir dans les choix stra-tégiques qui engagent nos socié-tés. Et la question du retour àla propriété publique ne peutqu’être posée, y compris sousde nouvelles formes transna-tionales.

Par ses acquis scientifiques etindustriels dans cette filière, laFrance a dans ce chantier deréappropriation sociale etd’émancipation des pouvoirsfinanciers une responsabilitéde premier plan. Nous ne pou-vons pas laisser se poursuivreune politique de profit qui feraque dans vingt ans notre indus-trie aéronautique se trouveradans la situation de l’industrieautomobile aujourd’hui. Il esttemps de changer de cap. Lacommission d’enquête parle-mentaire demandée par lesdéputés communistes est l’oc-casion de s’engager sur ce che-min. n

*JEAN-LOUIS CAILLOUX est mem-bre du collectif aéronautique du PCF.

(1) L’exemple de la France montre quec’est un chiffre trompeur : en 2006, 18% de la population française (de plusde 15 ans) avait utilisé l’avion aucours des 12 derniers mois.

En 2012, le groupe aréalisé 56 milliardsd’euros de chiffred’affaires, pour «seulement » 1 milliardd’euros de résultat net,une petite marge de1,7 %. Soit des chiffresde profits qui sont pourles actionnaires undrame, puisque bienloin des deux chiffresexigés par la bourse etles actionnaires.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE

Comment les pouvoirs privés transnationaux sont parvenus à imposer de quasi-zonesde non droit en substituant au droit international progressiste des années soixante desformes d'autorégulation se réclamant de l'éthique.

PAR CHLOÉ MAUREL*,

ans les années 1970, lesfirmes multinationales(FMN) commencent,

du fait de leur nombre et de leurpouvoir croissant, à attirer l’at-tention dans les milieux syndi-caux et dans les cercles desNations Unies1. Au sein desNations Unies s’affirment dansles années 1970 les pays du Sud,issus de la décolonisation.L’Assemblée générale de l’ONU,où ils sont désormais numéri-quement majoritaires, devientune caisse de résonance de leursrevendications, notamment deleur revendication d’un «NouvelOrdre économique internatio-nal » (NOEI), c’est-à-dire d’uneorganisation plus équilibrée etéquitable des échanges écono-miques internationaux. Cesrevendications sont soutenuespar les pays communistes.C’est dans ce contexte qu’émergedans diverses instances uneréflexion sur la « responsabilitésociale » des entreprises.Progressivement se développe,sous l’impulsion des pays com-munistes et des pays du Sud(notamment latino-américains)l’idée qu’il faut réglementer l’ac-tivité grandissante des FMN.L’initiative du mouvement enfaveur d’une régulation socialedes activités des FMN vient prin-cipalement des milieux syndi-caux internationaux. Autour de1970 les principales fédérationssyndicales internationales detravailleurs adoptent des réso-lutions dénonçant les atteintesfaites par les FMN aux droitssyndicaux et aux droits écono-miques et sociaux. Sous leurpression, ce sujet commencealors à être abordé par

l’Organisation internationaledu travail (OIT), organisationdes Nations unies qui, de parsa vocation à traiter les ques-tions relevant du travail, et depar sa structure tripartite (réu-nissant sur un pied d’égalitéreprésentants des gouverne-ments, des employeurs et destravailleurs), apparaît commele lieu approprié.Comment a été abordé, dans lecadre des Nations unies etnotamment de l’OIT, l’impéra-tif d’apporter une régulationsociale aux activités des FMN?Quelles en ont été les étapes,les évolutions, et les résultats ?

LES ÉTAPES DE L’ACTION DEL’OIT POUR RÉGULER LAPOLITIQUE SOCIALE DES FMNÀ partir des années 1960, l’OITest sollicitée de manière de plusen plus pressante par les prin-cipales fédérations syndicalesinternationales de travailleursafin de prendre des dispositionssur la politique sociale des FMN.Plusieurs de ces fédérationsadoptent des résolutions dénon-çant les abus des firmes. Cespressions du mouvement syn-dical international amènentl’OIT à adopter, en 1971, uneRésolution sur « la protectiondes représentants des travail-leurs dans l’entreprise ». Puis,en octobre-novembre 1972, l’ins-titution organise une «Réuniontripartite sur les relations entreles sociétés multinationales etla politique sociale », suivied’études et d’une nouvelle réu-nion en 1976.La « Déclaration de principestripartite sur les entreprises mul-tinationales et la politiquesociale » est finalement adop-tée le 16 novembre 1977. Elle

promeut la responsabilité socialedes entreprises (RSE) dans ledomaine de l’emploi. Ce docu-ment a une grande importancedu fait de son caractère nova-teur: il constitue le premier textenormatif visant les entreprisestransnationales adopté dans lecadre de l’ensemble du systèmedes Nations Unies. Cette décla-ration, texte de portée univer-selle, constitue à ce jour encorele seul ensemble de directivesvolontaires concernant la poli-tique sociale des FMN à avoirété approuvé sur une base tri-partite. Une procédure inter-nationale de suivi est mise enplace.Le texte de la Déclaration de1977 constitue le fruit d’un dif-ficile compromis, qui est loinde satisfaire totalement les dif-férents partenaires. Les repré-sentants des travailleurs sontdéçus de la forme juridique fina-lement donnée au texte : tan-dis qu’ils avaient réclamé l’adop-tion d’un texte de caractèrecontraignant, afin qu’il puisseavoir une véritable efficacité,c’est la position des puissancesoccidentales et des représen-tants des employeurs qui l’aemporté, c’est-à-dire un textede caractère non contraignant,ce qui signifie que son exécu-tion est laissée à la seule bonnevolonté des entreprises.INFLUENCE DES NORMES DEL’OCDE SUR CELLES DE L’OITPar ailleurs, l’OCDE se met aussià partir des années 1970 à tra-vailler à une régulation de l’ac-tion des FMN. Contrairementaux Nations Unies, enceinteuniverselle, l’OCDE est une orga-nisation intergouvernementalerégionale, qui regroupe essen-tiellement des États occiden-

taux. Créée en 1961 dans le cadrede la guerre froide sous l’égidedes États-Unis en vue de coor-donner l’économie des États dubloc occidental et de promou-voir les principes du capitalismeet du libéralisme économique,l’OCDE se distingue nettementdes instances onusiennes. Dece fait, les travaux de l’OCDEsur les FMN s’inscrivent dansune optique favorable aux inté-rêts de ces firmes. La coordina-tion étroite qui ne tarde pas àse mettre en place entre les tra-vaux de l’OCDE et ceux de l’OITsur ce sujet influe donc sur lestravaux de l’OIT dans un sensfavorable aux FMN.L’OCDE, créant en son sein uneCommission des FMN et unCentre d’information et derecherche sur les FMN, adopteen juin 1976 des « Principesdirecteurs à l’intention des entre-prises multinationales ».Saisissant bien leur intérêt, lesreprésentants des employeursencouragent, au sein de l’OIT,la coordination croissante entretravaux de l’OIT et de l’OCDEsur la question des FMN dansles années 1970. Les Principesdirecteurs de l’OCDE de 1976paraissent bel et bien avoirinfluencé le contenu de laDéclaration adoptée par l’OITun an plus tard. L’OCDE sem-ble donc avoir exercé uneinfluence dans la modérationcroissante des travaux de l’OITsur la question des FMN.

DES ANNÉES 1970 À NOSJOURS : POURSUITE DESACTIONS, MAIS RÉSULTATSDÉCEVANTSDans les années suivantes ontété menés des efforts de révi-sion des mécanismes et textes

Réglementer les pratiques sociales des firmes multi-nationales ? L’action des Nations unies depuis 1970

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normatifs mis en place. En 1998,l’OIT a adopté la « Déclarationrelative aux principes et droitsfondamentaux au travail », eten 2000 l’OIT a renforcé laDéclaration de 1977, la faisantdésormais se référer à 30 conven-tions et à 35 recommandationsinternationales du travail afinde lui donner davantage depoids. En 2000 également,l’OCDE a révisé ses Principesdirecteurs de 1976, leur ajou-tant des recommandations quiles font davantage convergeravec la Déclaration de 1998 del’OIT, et créant un mécanismede surveillance.Toutefois, les résultats jusqu’ànos jours ont été peu tangibles.En 2007, l’ONG Sherpa conclutà l’« échec» des principes direc-teurs de l’OCDE « dans la lutte

contre l’injustice de l’impunitégénéralisée des mauvaises pra-tiques des multinationales ».Elle observe que « les entre-prises continuent de violer lesprincipes directeurs» de l’OCDE.

UN RÉCENT TOURNANTNÉOLIBÉRAL DE L’OIT ET DESNATIONS UNIES SUR LAQUESTION DES FMN?Surtout, des années 1970 à nosjours, les Nations Unies ontconnu une nette évolution, pas-sant d’une position critique àune position de plus en plusfavorable aux FMN. Le modèleéconomique et social incarnépar les FMN a alors gagné enlégitimité. En 1994, c’est sousl’influence des États-Unis qu’aété dissoute la « Commissiondes Nations Unies sur les mul-tinationales ». Cette commis-sion est alors transformée enune « Division des FMN et de

l'investissement » au sein de laCNUCED, signe de l’abandonde la part des Nations Unies deces tentatives d’établir uncontrôle social sur les FMN, etau contraire de leur intentionde promouvoir désormais « lacontribution des FMN à la crois-sance et au développement2 ».C’est donc un retournement com-plet des orientations des NationsUnies.Dans un rapport de 2000, l’ONGCentre Europe-Tiers Monde(CETIM), observe le fort rap-prochement effectué depuis lesannées 1990 entre les NationsUnies et les milieux d’affaireset dénonce le rôle de décisioncroissant qui est accordé auxFMN au sein des Nations Unies.Le CETIM y voit un processusde subordination des Nations

Unies aux FMN. En effet BoutrosBoutros-Ghali, Secrétaire géné-ral de l’ONU de 1992 à 1996, aaffirmé sa volonté d’« associerles FMN plus étroitement auxdécisions internationales ». KofiAnnan, son successeur à la têtede l’ONU de 1997 à 2006, a pour-suivi cette évolution, notam-ment avec son rapport «L'espritd'entreprise et la privatisationau service de la croissance éco-nomique et du développementdurable » (1998), et son projetde «Pacte mondial » des NationsUnies (1999-2000), qui entenddonner une place centrale auxFMN au sein de l’ONU. En 2000,le rapport «Business and HumanRights: a Progress Report» publiépar le Haut-Commissariat desNations Unies aux droits del'homme affirme l’idée d’un lienétroit entre le commerce et lesdroits de l'homme, l’idée quel’un et l’autre se renforcent

mutuellement, et préconise laprivatisation de la gestion desdroits de l’homme ! De plus,cette évolution a été accrue parl’intervention croissante dansles activités des Nations Uniesde la Banque mondiale.

D’UN PROJET DERÉGLEMENTATIONINTERGOUVERNEMENTALE ÀLA GÉNÉRALISATION D’UNEAUTORÉGULATION NONCONTRAIGNANTELes réflexions qui se sont déve-loppées à l’OIT puis dans d’au-tres instances à partir des années1970 ont suscité la multiplica-tion de l’élaboration de « codesde conduite» par de nombreusesFMN à partir du début desannées 1990. Aujourd’hui, 98%des 500 plus grandes FMN exer-ceraient leurs activités confor-mément à un code de conduite.Si, dans un sens, on peut voirdans ce phénomène croissantd’autorégulation des politiquessociales des FMN un aboutis-sement des aspirations à uncode de conduite qui avaientété formulées pour la premièrefois à l’OIT au début des années1970, dans un autre sens on peutle considérer comme un détour-nement de ces aspirations,puisqu’à la revendication d’adop-tion de textes obligatoires,contraignants, s’est substituéle modèle de textes volontaires(soft law). L’ONU a entérinécette évolution, publiant en 2003les «Normes des Nations Unies»,texte qui vise à fournir un cadreuniversel pour la responsabi-lité des entreprises, en se pré-sentant comme un guide pourles initiatives volontaires desFMN souhaitant élaborer leurpropre code de conduite. Cetteévolution joue à l’avantage des

transnationales, et au détrimentde leurs employés, puisquel’adoption de ces codes, qui n’aaucun effet juridique contrai-gnant, permet aux FMN de sedonner une bonne image demarque, et d’éviter la mise enplace d’une véritable réglemen-tation internationale à portéecontraignante.Actuellement, dans le contextede la mondialisation écono-mique, les FMN continuent plusque jamais à poser question parleurs pratiques économiqueset sociales, malgré l’adoptiondes codes de conduite. De Wal-Mart, qui ne respecte pas lesdroits économiques et syndi-caux de ses employés, à Total,impliqué dans l’avènement etdans les exactions de la juntemilitaire en Birmanie depuis1992, ou encore Foxconn (sous-traitant d’Apple) en Chine, quimaltraite ses employés et lessoumet à un rythme de travailabusif, les exemples abondent.Il apparaît urgent que les Nationsunies, instance internationaleuniverselle et démocratique, sesaisissent à nouveau de l’enjeudu contrôle des FMN et agis-sent pour réglementer leurs pra-tiques sociales.n

*CHLOÉ MAUREL est historienne etspécialiste de l'histoire des Nations unies.Elle est membre du comité de rédactionde la revue Les Cahiers d'histoire.

(1) Cet article est une version résuméede l’article « OIT et responsabilitésociale des sociétés transnationalesdepuis 1970 » publié dans : IsabelleLespinet-Moret et Vincent Viet (dir.),L’Organisation internationale du travail.Origine, développement, avenir,Rennes, Presses universitaires deRennes, 2011, p. 179-192.

(2) Conseil économique et social,résolution 1994/1, 14 juillet1994.

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Cette évolution joue à l’avantage des transnationales,et au détriment de leurs employés, puisque l’adoptionde ces codes, qui n’a aucun effet juridiquecontraignant, permet aux FMN de se donner unebonne image de marque, et d’éviter la mise en placed’une véritable réglementation internationale à portéecontraignante.

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Si l'on connaît de renom Paul Langevin, 1872-1946 un des plus grands physiciens duXXe siècle, on connaît moins l'humaniste engagé qu'il a été. Compagnon de route duParti communiste, considéré comme un danger sous Vichy, incarcéré par la Gestapo.Jean-Pierre Kahane, entre Sciences et Histoire, nous éclaire sur cette figure légendaire.

PAR JEAN PIERRE KAHANE*,

UN BRILLANT SCIENTIFIQUED'ORIGINE POPULAIRE Un brillant scientifique d'ori-gine populaire Entre la rue Mongeet la rue des Écoles, à Paris, unjoli petit square porte le nom dePaul Langevin. Il y a des lycéesPaul Langevin dans toute laFrance. On le sait grand physi-cien, engagé dans la vie socialeaux côtés des travailleurs, et por-teur d'idées fortes sur l'huma-nité à venir. Précisons un peu.Son grand-père paternel, né dansle Calvados fut soldat deNapoléon, puis s'établit commeserrurier à Versailles. Son pèrefut zouave en Algérie, puismétreur-vérificateur dans le bâti-ment. Sa mère était petite-nièced'un médecin célèbre. Le ménageeut trois fils, le second fut Paul.Paul était brillant, mais pas ques-tion pour lui d'études classiques.L'École de Physique et Chimiede la Ville de Paris venait d'ou-vrir en 1888 et il fut reçu pre-mier ; ce rang fut une constantepar la suite. Au sortir de l'École,il passa la licence, puis le concoursd'entrée à l'École NormaleSupérieure en 1894, puis l'agré-gation de sciences physiques. Ilreçut une bourse de la Ville deParis pour le laboratoireCavendish de Cambridge enAngleterre, bien équipé pourl'étude des rayons X, ce qui futson premier sujet de recherche.Les rayons X s'observaient parles effets d'ionisation qu'ils pro-duisent dans les gaz. Cette ioni-sation devint un sujet par lui-même, tant théoriquequ’expérimental. L'ionisation

de l'atmosphère, par laquelles'explique sa conductibilité,amena Langevin à une étrangeet fructueuse découverte, celledes « gros ions », ou conglomé-rats de petits ions, qu'on voit àl'œuvre dans la constitution desnuages comme dans les tech-niques de dépoussiérage qui ontsuivi leur découverte. À l'âge de30 ans, son œuvre de physicienlui valut la charge d'un cours auCollège de France en 1902, puiscelle de professeur en 1909, enmême temps qu’il enseignait àl'École de Physique et Chimie.Tant l'enseignement que larecherche, lui furent une pas-sion. Ce fut aussi le début d'ex-posés d'ensemble sur la phy-sique contemporaine dans descongrès internationaux. En élec-tromagnétisme, Langevin théo-risa la magnétisation des corps,qui s'exerce soit en sens inversedu champ qui la provoque (dia-magnétisme) soit dans le mêmesens (paramagnétisme). Sa pré-vision d'un abaissement de tem-

pérature des corps paramagné-tiques lorsqu'on supprime lechamp magnétique a été utili-sée beaucoup plus tard en cryo-génie pour se rapprocher autantque possible du zéro absolu.

Langevin est célèbre dans laMarine grâce à l'utilisation d'ul-trasons pour détecter les sous-marins allemands pendant laguerre de 14-18. Pour les pro-duire et les analyser au retour,Langevin eut recours au quartzpiézoélectrique, dont les pro-priétés de piézoélectricité avaientété établies par Pierre et JacquesCurie comme moyen de conver-tir des ondes hertziennes envibrations mécaniques et inver-sement. L'idée était nouvelle, lamise en œuvre était difficile.Langevin y développa toutes lesressources de sa formation d'in-génieur et de physicien. Relativitéet théorie des quanta Il fut unardent défenseur d'une expé-rience imaginaire illustrant lathéorie de la relativité d’Einstein:« le bolide de Langevin ». Unvoyageur enfermé dans ce bolidequi s'éloignerait de la Terre à unevitesse proche de celle de lalumière puis reviendrait sur terreaurait moins vieilli que ses parentset amis restés sur terre. C’est uneillustration de la révolutionconceptuelle introduite parEinstein en éliminant la notionde temps absolu. Avec Einstein,

Paul Langevin est à l'origined'une grande découverte, cellede l'énorme réserve d'énergiecontenue dans les noyauxd'atomes, la célèbre formule :e=mc2. Il fut le premier à s'aper-cevoir que les bilans d'énergieexpliquent que les masses desnoyaux atomiques ne soient pasexactement des multiples de lamasse du noyau d'hydrogène.Deux grandes théories allaientrenouveler la physique dans lesannées 1920: la relativité géné-rale et la théorie des quanta. Ellesnous sont familières aujourd'huipar leurs applications, commele GPS ou le laser, même si ellesne font pas partie de la culturecommune. Après Einstein quien est le créateur, Langevin contri-bua grandement à la première,et la fit connaître en France parses cours au Collège de France.Il n'a pas participé directementà la seconde, mais il en a suiviattentivement les développe-ments : il savait qu'on ne pou-vait pas appliquer la mécaniqueclassique au domaine atomique,et qu'on ne pouvait pas assimi-ler des électrons à des pointsmatériels. Il a parfaitement admisqu'on ne pouvait pas préciser àla fois la position et la vitessed'une particule, comme l'énon-cent les inégalités de Heisenberg.Mais il s'est refusé à en faire unemise en cause du déterminisme,les extraordinaires précisionsque permet la mécanique quan-tique dans les mesures et les pré-visions semblent lui donner rai-son. Sa vie durant, Paul Langevinn'a cessé d'être physicien. Etc'est comme physicien qu'il aété reconnu par les instances

Paul Langevin physicien inspiré et figure légendaire

n HISTOIRE

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Paul Langevin avaitdéclaré en 1938 « plusje suis instruit, plus jeme sens communiste ».

Paul Langevin à Cambridge.1897.

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internationales avec toutefoisun certain retard puisqu'il n'aété élu membre de l'Académiedes Sciences qu'en 1934.

SON ENGAGEMENT C'est que Paul Langevin n'a pasété seulement un grand physi-cien. Il a eu toute sa vie la pas-sion de la justice et de l'éman-cipation humaine, et il a lié enpermanence la pensée et l'ac-tion. Cela a commencé quandil était à Cambridge et qu'écla-tait l'affaire Dreyfus. CharlesPéguy, camarade de promotionà l'École Normale, avait pris l'ini-tiative d'une lettre de protesta-tion contre la condamnation deDreyfus et celle de Zola à la suitede son article retentissant« J'accuse». Il écrivit à Langevinpour qu'il la signe, ce qu'il fitaussitôt. Langevin adhéra à laLigue des droits de l'homme etce fut jusqu'en 1914 le cadre deson action civique. Il prit part àla guerre, mais il sympathisaitavec les pacifistes, Romain Rollandcomme Einstein, tous deux éta-blis en Suisse. Après la guerre,son amitié avec Einstein l'amenaà deux initiatives de grande por-tée symbolique : l'invitationd'Einstein au Collège de France,qui se heurta au chauvinismeambiant et conduisit des tru-blions à interrompre son cours;puis une longue visite à Berlin,qu'une partie de la presse qua-lifia de trahison. Il avait pris en1920 la défense d'André Marty,marin de la Mer Noire, condamnéau bagne pour s'être opposé àla participation de la flotte fran-çaise aux opérations menéescontre la Russie soviétique nais-sante. À partir de là, sa partici-pation à la vie politique s'accen-tua. Les menaces sur les libertéset sur la paix faisaient jour ets'aggravèrent. La montée du fas-

cisme en Italie, puis en Allemagneet dans toute l'Europe, amenaLangevin à présider le mouve-ment créé par Romain Rollandet Henri Barbusse qu'on appelaAmsterdam-Pleyel ; il s'agissaitd'un Comité mondial perma-nent contre le fascisme et laguerre intervenant à Genève etauprès des gouvernements. EnFrance se créa au début desannées 1930, le Comité de vigi-lance des intellectuels, dontLangevin fut également l'un desprésidents.

L'ADHÉSION AU PCF, LAGUERRE ET L'OCCUPATION. Avant d'adhérer au Parti com-munisme, Paul Langevin en étaitun compagnon de route actif etfidèle. Après la défense d'AndréMarty, puis de Dimitrov, il avaitœuvré de toutes les manières ausuccès du Front populaire, il avaitcombattu les accords de Munichavec les communistes, et il avaitenfin pris la défense des dépu-

tés communistes en 1939 quand,à la suite du pacte germano-soviétique, le parti communisteavait été mis hors la loi et sesdéputés poursuivis. Son élève etgendre le physicien JacquesSolomon, son épouse Hélène,sa bru Luce, étaient des militantscommunistes: Jacques Solomon,résistant dès 1940, fut torturé etmis à mort par la Gestapo, Hélènefut déportée et revint par mira-cle, Paul a vécu dans sa chair labarbarie nazie. Il représentaitlui-même un danger pour Vichyet les autorités d'occupation. Ilfut destitué de la direction del'École de Physique et Chimie.Le 30 octobre 1940 il fut arrêtépar la Gestapo et emprisonné àla prison de la Santé. Les réac-

tions furent immédiates : le8novembre, une manifestationdes étudiants communistes dansle quartier latin, le 11 novem-bre, le mot d'ordre « libérezLangevin » dans la manifesta-tion des étudiants sur les Champs-Élysées ; et quelques semainesplus tard, la parution del'Université libre à l'initiative deJacques Solomon. Son incarcé-ration à la Santé fut transforméeen une résidence forcée à Troyes.En 1944, les FTP le firent évaderet trouver refuge en Suisse. Sonretour à Paris fut triomphal, etil fut élu conseiller municipal deParis comme communiste. LeParti communiste pouvait s'en-orgueillir à l'époque de l'adhé-sion d'intellectuels parmi lesplus brillants dans tous lesdomaines. L'adhésion de Paul

Langevin avait de multiples res-sorts. Il avait déclaré en 1938«plus je suis instruit, plus je mesens communiste». Il eût été debon ton de sourire de cette décla-ration il y a peu de temps, et ilest bon aujourd'hui de la pren-dre au sérieux. Paul Langevindans les années 1920 avait étéau contact de grands savantsanglais marxistes, comme J.B.SHaldane et surtout J.-D. Bernal.Sur les relations entre les scienceset la société il a beaucoup apprisde ces Anglais, de leur approchede l'histoire et du marxisme. Lapensée de Langevin, nourrie desa connaissance de la physique,s'est enrichie au cours de sonexistence par le contact avecl'ensemble des problèmes sociauxet l'approche marxiste de cesproblèmes. La crise économiquede 1939 faisait écho à ce qu'onappelait abusivement la crise dela physique, mais elle s'accom-pagnait d'un désarroi politiqueet idéologique auquel Langevinsentait le besoin de faire face.C'est le moment où s'est crééel'Union rationaliste, dont il a étél'un des initiateurs, avant d'endevenir le président. Dans lesmessages qu'il nous a adressésà la fin de sa vie, j'en retiendraiun, parce que je l'ai entendu pro-noncer par lui dans la dernièreconférence publique qu'il a don-née, et parce que sa portée n'afait que croître depuis. C'était le10 mai 1946, sur « la pensée etl'action», et voici sa conclusion:« il faut qu'à l'effort de construirela science nous joignions celuide la rendre accessible, de manièreque l'humanité poursuive saroute en formation serrée, sansavant-garde perdue ni arrière-garde traînante». Quelques moisaprès, le 19 décembre, PaulLangevin mourait. Il eut des funé-railles nationales. Peu de tempsaprès, en 1948, ses cendres furenttransférées au Panthéon aveccelles de Jean Perrin.n

*JEAN-PIERRE KAHANEest Mathématicien, membre del’Académie des sciences, Professeurémérite à l’Université Paris SudOrsay, et directeur de la revueProgressistes.

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« il faut qu’à l’effort deconstruire la sciencenous joignions celui dela rendre accessible,de manière quel’humanité poursuive saroute en formationserrée, sans avant-garde perdue niarrière-gardetraînante ».

« Le bolide de Langevin » : unvoyageur enfermé dans ce bolidequi s’éloignerait de la Terre à unevitesse proche de celle de la lumièrepuis reviendrait sur terre auraitmoins vieilli que ses parents et amisrestés sur terre. C’est une illustrationde la révolution conceptuelleintroduite par Einstein en éliminantla notion de temps absolu.

Le GPS, guidage par satellite, nepourrait pas fonctionner sans lestravaux sur la relativité d’Einsteinet Langevin. En effet, pourpermettre un positionnementprécis, il est nécessaired’embarquer sur ces satellitesdes horloges donnant l’heure à laprécision de 10 nanosecondes(milliardième de seconde). Àcette exigence de précision, ilest nécessaire de tenir comptedes équations de la relativité.

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AMADOU THIERNO GAYE, expert du GIEC pour l’Afrique del’ouest, attire l’attention sur les faits physiques constatés et lesextrapolations issues de diverses simulations effectuées parnombre de scientifiques à travers la planète.

PAR AMADOU THIERNO GAYE*

e dernier rapport duGroupe 1 du GIEC(Groupe intergouverne-

mental d’Experts sur l’Évolu-tion du Climat) portant sur lesBases physiques de la Sciencedu Climat a été publiquementprésenté et approuvé le 26 sep-tembre 2013 à Stockholm enSuède. Ce rapport est fondé lar-gement sur le rapport d’évalua-tion numéro 4 de 2007, les rap-ports spéciaux subséquents telsque le rapport spécial sur la ges-tion du risque des événementsextrêmes pour l’Améliorationde l’adaptation au changementclimatique (SREX) et leur incor-pore les nouveaux résultats dela recherche. En attendant lesprochains rapports des Groupe2 (Vulnérabilité Adaptation) etGroupe 3 (Atténuation), quepeut-on d’ores et déjà retenir dece rapport, rédigé par plus de250 auteurs répartis dans unequarantaine de pays, avec plusde 54000 commentaires de toutela communauté?Bon nombre de personnes detous bords s’interrogent: quelleconfiance peut-on raisonnable-ment accorder à ces résultats ?

INCERTITUDE ET NIVEAU DECONFIANCELe niveau de confiance ou lesincertitudes sur l’évaluation del’état des connaissances scien-tifiques publiées s’exprime qua-litativement (très faible, faible,moyenne, haute, très hauteconfiance) et quantitativementde manière probabiliste (excep-tionnellement invraisemblable,invraisemblable, très invraisem-

blable, invraisemblable, presqueaussi vraisemblable que non,vraisemblable, très vraisembla-ble, virtuellement certain).Autrement dit tous les résultatsn’ont pas le même niveau de cer-titude aux yeux des auteurs bienque quelques états de fait (presqueévidents) soient analysés sansqualifier le niveau d’incertitude.Il est donc plus facile de distin-guer ce qui relève de certitudesde ce qui reste encore purementspéculatif. À partir de là peut-on parler de catastrophisme quecertains insinuent souvent enparlant de la manière dont leschangements climatiques sonttraités? Il est donc nécessaire dedistinguer le traitement qui estfait essentiellement dans la pressegrand public (que tout individupeut apprécier en rapport avecsa grille de valeurs) et le contenudes différents rapports, fruitsd’évaluations critiques, qualita-tives, quantitatives et documen-tées de la littérature scientifique.

LES FAITSCela dit, quels sont donc cesfaits qui s’imposent à nous ?Même aux spécialistes auto-déclarés et autres sceptiques ?Nous ne reprenons ici que lesconclusions caractérisées parun important niveau de confiance.Le rapport a conclu que leréchauffement du système cli-matique est sans équivoque, etdepuis les années 1950, plu-sieurs changements observéssont sans précédents sur desdécennies et millénaires : l’at-mosphère et les océans se sontréchauffés, les quantités de glace

et neige ont baissé, le niveau dela mer s’est élevé et les concen-trations de gaz à effet de serreont augmenté. Le rapport constate avec unetrès grande probabilité (virtuel-lement certain) que la basseatmosphère (troposphère) seréchauffe depuis le milieu duXXe siècle tandis que la hauteatmosphère (stratosphère) se

refroidit, autre confirmation del’accentuation de l’effet de serre.Il est tout aussi virtuellementcertain que la couche supérieurede l’océan (0-700 m) s’estréchauffée de 1971 à 2010 ets’est vraisemblablement réchauf-fée de 1870 à 1971.En analysant les tendances dela moyenne globale combinéedes anomalies de températureà la surface de la terre et del’océan, il ressort que les 3 der-nières décennies ont été suc-cessivement plus chaudes queles décennies précédentes depuis1850 montrant que d’une décen-nie à une autre, on atteint unnouveau palier de réchauffe-ment de la Terre.Sur les deux dernières décen-nies le Groenland et l’Arctiqueont perdu de la masse de gla-

ciers. Le taux d’élévation duniveau de la mer depuis le milieudu XIXe siècle (1,7 mm/anentre 1901 et 2010, 2 mm/anentre 1971 et 2010 et 3,2mm/anentre 1993 et 2010 soit 0,19 msur la période 1901-2010) a étéplus large que le taux moyendes deux derniers millénaires.Les concentrations atmosphé-riques de gaz à effet de serre telsque le dioxyde de carbone, leméthane, et l’oxyde d’azote ontaugmenté pour atteindre desniveaux sans précédents au coursdes 800000 dernières années.Le dioxyde de carbone a aug-menté de 40 % par rapport à lapériode préindustrielle à traversprincipalement les émissionsdes combustibles fossiles et aussisecondairement les émissionsprovenant des changementsd’utilisation des terres dont ladéforestation. Mais la mer aabsorbé près de 30 % du dioxydede carbone d’origine anthro-pique émis, en causant de ce faitl’acidification des océans. Uneautre part de ces émissionsanthropiques est absorbée parles écosystèmes terrestres.

INFLUENCE HUMAINELe rapport a permis de détec-ter l’influence humaine sur leréchauffement de l’atmosphèreet de l’océan, les changementsdu cycle global de l’eau, la dimi-nution de la glace et de la neige,l’élévation moyenne du niveaude la mer, les températuresextrêmes. Il est extrêmementvraisemblable que l’influencehumaine ait été la cause domi-nante du réchauffement observé

Le réchauffement climatique : sans l’ombre d’un doute

Bon nombre depersonnes de tousbords s’interrogent :quelle confiance peut-on raisonnablementaccorder à cesrésultats ?

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depuis le milieu du XXe siècle :plus de la moitié de l’augmen-tation de température de 1951à 2010 est causéepar l’augmen-tation anthropique de gaz à effetde serre et autres forçages anthro-pogéniques. Il est aussi très vrai-semblable que l’influencehumaine ait contribué aux chan-gements observés des fréquenceset intensités de températuresextrêmes journalières depuis ledébut du XXe siècle. De mêmeque l’effet de l’action humainesur l’élévation globale du niveaumarin est très vraisemblable.Au-delà des preuves factuellesdu changement climatique etdes conséquences représentéesgrâce à des modèles améliorésdepuis le rapport 4 (ils repro-duisent bien la température desurface continentale, ainsi queles tendances sur plusieursdécennies incluant la rapiditédu réchauffement à partir duXXe siècle, ainsi que les refroi-dissements suivants les érup-tions volcaniques) le momentest venu certainement de récon-cilier la Science et la Sociétésinon l’Homme et la Nature. Cetimpératif est tout aussi ration-nel (dialectique?) que l’ensem-ble des faisceaux d’indices quiont démontréque l’homme, parson action, a contribué à aug-menter les concentrations degaz à effet de serre dans l’atmo-sphère, et est responsable d’unegrande part du réchauffementobservé.

QU’EN SERA-T-IL DU FUTUR?Les émissions continues de GESvont augmenter davantage leréchauffement et changer dif-férentes composantes du sys-tème climatique. Ces projec-tions du climat futur ont étéfaites en utilisant des modèlesclimatiques de complexités dif-férentes (des modèles simplesaux modèles du système terres-tre incluant le cycle de carbone)qui simulent les changementsbasés sur différents scénariosde concentrations de gaz à effetde serre dénommés RCP(Representative ConcentrationPathways).

L’augmentation de tempéra-ture à la fin du XXIe siècle pour-rait vraisemblablement dépas-ser 1.5°C par rapport à 1850-1900pour tous les scénarios, exceptéle scénario bas (RCP2.6), dépas-ser vraisemblablement 2°C pourRCP6.0 et RCP8.5 (scénariosforts) et dépasser assez vrai-semblablement 2°C pour RCP4.5(scénario moyen) ;elle va se poursuivre au-delà de2 100 excepté pour le scénarioRCP2.6. Cependant, ce réchauf-fement aura une distributionrégionale différenciée. Ainsi, larégion Arctique se réchaufferaplus rapidement que la moyenneglobale. Les réchauffements sui-vants sont probables: 0.3 à 1.7°C(RCP2.6), 1.1 à 2.6°C (RCP4.5),1.4 à 3.1°C (RCP6.0), 2.6 à 4.8°C(RCP8.5) pour 2081-2100 com-paré à 1986-2005.

Il est virtuellement certain quela fréquence des températuresextrêmes sera plus importantesur la plupart des terres auxéchelles de temps journalièreset saisonnières en même tempsque l’augmentation de la tem-pérature moyenne globale : ilest très vraisemblable que lesfréquences et durée des vaguesde chaleur vont augmenter etdes hivers de froids extrêmesoccasionnels vont continuer àsurvenir.Les changements du cycle del’eau en réponse au réchauffe-ment vont se traduire par l’aug-mentation des contrastes deprécipitations entre régionssèches et humides et entre sai-sons sèches et humides.Le niveau global de la mer vacontinuer d’augmenter au coursdu XXIe siècle.Si nous pouvons espérer trou-ver les moyens de s’adapter auxconséquences des changementsdu climat, il est évident que cesmoyens seraient tout de suitehors de notre portée si un effortconsidérable n’était pas fait pourlimiter (atténuer, diraient cer-tains) les émissions de GES surla durée. Le total des émissionscumulées de CO2 détermineralargement le réchauffementmoyen global de surface à la findu XXIe siècle et plus tard. Larelation entre les émissionscumulées et la températuremoyenne globale est quasilinéaire. L’objectif de tempéra-ture inférieur à 2 °C est atteintpour une concentration de 800GtC (GtC : émission en équiva-lent milliard de tonnes de car-bone). En 2010 la concentra-tion totale avait déjà atteint 500GtC. Pour limiter le changementclimatique, il faudra donc réduirede façon substantielle et dura-ble les émissions. Plusieursaspects du changement du sys-tème vont persister, même sion arrête les émissions.Les progrès technologiques dela géo-ingéniérie, (méthode déli-bérée d’altération du systèmeclimatique afin de faire face auchangement climatique) ne sau-raient être ni un palliatif suffi-

sant ni une solution durable.Plusieurs techniques proposéesont des effets secondaires et desconséquences à long terme surle système climatique.

ET L’AFRIQUE DANS TOUT ÇA?Au même titre sinon plus qued’autres parties du globe parmiles plus vulnérables potentiel-lement aux effets du change-ment climatique, elle va subirencore énormément les effetsdu changement climatique,immédiats mais aussi lointains.Se repose encore la question dela vulnérabilité économique etaussi sociale (y compris au niveauscientifique et technologique)qui ne permet pas de préparerl’adaptation nécessaire et encoremoins de participer à l’effortinternational.La question essentielle de la res-ponsabilité historique des « pol-lueurs » est ravivée. Mais éga-lement des questions d’équité(égal droit aux ressources de laplanète) et de justice (que fairepour réduire les risques ?).Les résultats très mitigés, sinoncatastrophiques des différentesConférences des Parties à laConvention Cadre des NationsUnies sur les ChangementsClimatiques (COP) dont la der-nière a eu lieu en décembre 2012à Varsovie, le scepticisme decertains, la mauvaise foi et ledéni d’autres, n’y feront rien :la science nous dit que la Terrese réchauffe !!!

Les conséquences de ce réchauf-fement ont été évaluées égale-ment par les rapports du GIECavec différents niveaux deconfiance. On peut penser rai-sonnablement que l’action poli-tique va suivre, de concert avecla continuation des investiga-tions scientifiques et du pro-grès technologique. n

*AMADOU THIERNO GAYE est profes-seur à l’Université Cheik Anta Diop deDakar (UCAD), et expert du GIECpour l’Afrique de l’Ouest.

La question essentiellede la responsabilitéhistorique des« pollueurs » estravivée. Maiségalement desquestions d’équité(égal droit auxressources de laplanète) et de justice(que faire pour réduireles risques ?).

Le Kilimandjaro en 1993 (enhaut) et en 2002 (en bas).

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Note de la rédaction de Progressistes : nous remercions chaleureusement le groupe Springer-Verlag, qui nous a autorisés à reproduire cet article, qui éclaire sur un aspect encoretrop méconnu de Cuba: son excellence dans le domaine de la recherche médicale.

Réf. : texte reçu le 17 aoû� t 2012 ; accepté le 20 novembre 2012 © Springer-Verlag France 2012Rev. Me�d. Pe�rinat. (2012) 4:184-186 DOI 10.1007/s12611-012-0216-2

PAR JORGE GALLEGO*,

LES RENCONTRES FRANCO-CUBAINES DE NÉONATOLOGIEUne réunion « especial »Qu'est ce qui donne un goût siparticulier aux rencontres franco-cubaines de néonatologie, orga-nisées par l'association Nenesdel Mundo. Mettons de côté lesoleil, la mer, et la Casa VictorHugo, qui les abrite dans le cen-tre historique de La Havane.Après tout, les réunions scien-tifiques ne sont pas toutes orga-nisées dans des zones indus-trielles. Mettons de côté le faitqu'on n'y remarque plus la cou-leur de peau d'un chef de ser-vice, d'un bout à l'autre de lapalette. Mettons de côté la qua-lité du contact humain.Sur un plan scientifique, l'inté-rêt particulier des rencontresvient de la singularité du sys-tème de santé cubain et de sabranche néonatale, qui en estle fleuron. Comme le note Spiegel(Spiegel, 2006), cet intérêt n'estpas toujours partagé: « Lorsqu'onest confronté à des valeursextrêmes, inhabituellementpositives ou négatives, les épi-

démiologistes et autres scien-tifiques sont typiquementconduits à mieux comprendrece qui peut provoquer de telsrésultats. Le constat d'une dimi-nution de la prévalence duHIV/SIDA en Ouganda, parexemple, a provoqué, de manièreappropriée, une activité consis-tant à faire l'examen et à tirerles enseignements des poli-tiques et des pratiques pouvantrendre compte de ce résultat.Ainsi, on pourrait penser que,lorsqu'un pays à faible revenuproduit de manière systéma-tique d'excellents indices desanté, cela va attirer une atten-tion scientifique considérable.Pensez-y. Malgré les succèsremarquables enregistrés parla petite île de Cuba sur le plande la santé, il y a peu de discus-sions à ce sujet dans les cerclesscientifiques ». Participer à un cercle scientifiqueoù l'on essaye de comprendrele système de santé cubain estune expérience rare. Pourquoi« malgré l'impact des sanctionssur la médecine et les équipe-ments médicaux, les résultatsde santé à Cuba sont compara-bles à ceux des pays dévelop-pés »(Drain & Barry, 2010) ?Pourquoi l'indice de dévelop-pement humain (IDH1) cubainest celui qui a le plus progresséau cours des cinq dernièresannées (+10 places) et se classeau 51e rang (sur 187), très supé-rieur à la moyenne de l'AmériqueLatine, et de quelques pays plusproches de nous comme laBulgarie, l'Ukraine et la Russie?

L'intérêt de l'exception cubaineest particulièrement saillant enpédiatrie. D'après le rapport duProgramme des Nations Uniespour le Développement (PNUD),41 % des enfants décédés en2008 avant l'âge de 5 ans dansle monde le sont de causes néo-natales. Or, Cuba présente untaux de mortalité infantile en2011 de 4,9 pour 1.000 nais-sances, le plus faible du conti-nent américain.

Les raisons mises en avant parles analystes étrangers sontl'existence d'un système de santéqui assure la gratuité des soins,la prise en charge anténatale,le niveau d'éducation élevé, l'ac-cès à l'IVG (de Vos & Van derStuyft, 2009), le nombre élevéde médecins par habitant(Yudkin et al., 2008).

UNE RECHERCHETRANSLATIONNELLE ENNÉONATOLOGIELes bénéfices attendusLes rencontres franco-cubainesde néonatologie pourraient-elles contribuer au développe-ment de nouveaux outils diag-nostiques, de stratégiesthérapeutiques contre lesatteintes neurologiques d'ori-gine périnatale ? Très certaine-ment. La recherche translation-nelle s'appuie sur des donnéeset une expertise clinique trèsforte à Cuba. Parmi les thèmesmajeurs de telles recherchesfigureraient tout particulière-ment les lésions cérébrales dunouveau-né, les atteintes du

système respiratoire, et leursconséquences, le handicapmoteur et cognitif. En matièrede traitement, les objectifsconcernent, entre autres, la neu-roprotection du cerveau en développement, les marqueursprécoces des atteintes neuro-logiques, et la réadaptation fonc-tionnelle. Une meilleure con -naissance des mécanismesphysiopathologiques des trou-bles du développement per-mettrait de mieux transposerdes stratégies thérapeutiquesinnovantes à un ensemble desituations pathologiques. Toutesces questions sont accessiblesà l'analyse scientifique, notam-ment à l'aide des modèles ani-maux. Ces modèles animauxsont aussi une étape indispen-sable au développement desnouveaux médicaments, à l'éva-luation de l'efficacité et de lasécurité de ces médicaments,en particulier pour tester leurseffets sur le développementpostnatal. Un autre bénéfice serait de ren-dre plus visible la recherchecubaine en néonatologie, dontla qualité n'est pas en rapportavec la production bibliogra-phique au niveau internatio-nal. Cette différence résulte pro-bablement de la priorité donnéeà la production de médicaments(Thorsteinsdottir et al., 2004).La nécessité de satisfaire desbesoins nationaux et de valori-ser les produits de la recherchedans un contexte économiquedifficile explique aisément cechoix. Des partenariats avec des

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laboratoires qui ne connaissentpas les mêmes difficultés pour-raient aider à surmonter cettedifficulté.

DES COMPÉTENCESSCIENTIFIQUES ETBIOTECHNOLOGIQUES L'université cubaine est un pôled’excellence dont le niveau aca-démique est connu pour êtrel’un des meilleurs d’AmériqueLatine. C’est, après les États-Unis, le premier pays de desti-nation des étudiants d'AmériqueLatine.Un deuxième argument en faveurde la coopération en recherchetranslationnelle en pédiatrie estla position de Cuba dans ledomaine des biotechnologies(Thorsteinsdottir et al., 2004).Les centres spécialisés derecherche et de développementtechnologique comme le Centre

d’Ingénierie Génétique et deBiotechnologie (CIGB), le Centred’immunologie moléculaire(CIM), l’Institut Finlay (centrede recherche, de développe-ment et de production de vac-cins), et d'autres sont autant depièces maîtresses pour le déve-loppement de produits phar-maceutiques et leur valorisa-tion, qui constitue l'une desprincipales sources de revenuspour l’île2. Ces établissementsde recherche forment, avec dessociétés de production biotech-nologique3, des réseaux consti-tués autour de spécialités médi-

camenteuses (Bayart, 2008) :interféron humain alpha pourle CIGB, enzymes, produits thé-rapeutiques, et trousses dediagnosticVIH/SIDA pour leCIM, traitement du cancer etproduction pharmaceutiqueassociée pour le Centre natio-nal de bio-préparations, pro-duction des vaccins contre l’hé-patite B pour l’Institut Finlay,ou la méningite à méningo-coque de type B pour le Centred’essais immunologiques, etc.4

LES OBSTACLESÉCONOMIQUES ETPOLITIQUESLa difficulté principale concerneles difficultés que crée l'em-bargo des États-Unis pour laconduite de projets scientifiquesà Cuba et la coopération scien-tifique internationale. Dès sesorigines, cet embargo a exclule commerce de nourriture, demédicaments et d'équipementsmédicaux. L'embargo a été ren-forcé par la loi Torricelli (1992),qui interdit aux filiales de socié-tés des États-Unis installéesdans des pays tiers tout com-merce avec Cuba (les produitsconcernés étant à 70% des médi-caments et des aliments), puispar la loi Helms-Burton (1996)qui a élargi la portée extrater-ritoriale de la loi et qui revientà interdire à toute entreprise,quelle que soit sa nationalité,de commercer avec Cuba5. Lessanctions s'étendent aux épouseset enfants mineurs des contre-venants6.Les lois Torricelli et Helms-Burton ont été adoptées aprèsla chute de l'URSS (1990) et l'ar-rêt brutal des échanges avecCuba (80% du commerce exté-rieur). La crise qui a suivi (periodoespecial) a duré une décennieavec des conséquences majeuressur le plan de la santé. Le pour-

centage de nouveau-nés demoins de 2 500 g a augmentéde 23 % et l'anémie est deve-nue fréquente chez la femmeenceinte (Drain & Barry, 2010).La période 1993-1994 a été mar-quée par une augmentation dediarrhées et une explosion decas de Guillain-Barré (Drain &Barry, 2010). Pendant cettepériode, que l'on considère par-fois comme une expérience for-cée de décroissance, la politiquede santé, jugée prioritaire, a étémaintenue et la santé des nou-veau-nés, a été dans une cer-taine mesure, préservée (Chelala,1998).Les lois d'embargo sont tou-jours en vigueur. Cuba ne peutexporter aux États-Unis ni impor-ter librement aucun produit niaucun service7, ni avoir accès àdes crédits d’institutions inter-nationales comme la Banquemondiale ou la Banque inter-américaine de développement. La prohibition du commerceavec des filiales de sociétés éta-suniennes dans des pays tierspersiste8. En janvier 2011, lessommes allouées par le Fondsmondial de lutte contre le sida,la tuberculose et la malaria àdes programmes de coopéra-tion avec Cuba ont été gelées9.Les produits fabriqués aux États-Unis ou sous brevet (endopro-thèses extensibles, Temodal,dispositif Amplatzer) sont inac-cessibles10. Les interdits concer-nent aussi le transport de mar-chandises vers Cuba. Touteembarcation étrangère qui accos-terait à un port cubain se voitinterdire l’entrée aux États-Unispendant six mois. La plupartdes flottes commerciales refu-sent de transporter des mar-chandises à Cuba, ou bien à untarif largement supérieur à celuiappliqué aux pays voisins(Lamrani, 2011). Les exemples

QUESTION POSÉE PAR ANDRÉ CHASSAIGNE SUR LA POSSIBILITÉD'UTILISER LES VACCINS CUBAINS. Le 24 décembre 2013

M. André Chassaigne attire l'attentionde Mme la ministre des affairessociales et de la santé sur lapossibilité d'autoriser l'HeberProt-P,vaccin mis au point par leschercheurs cubains qui luttent contrecertaines conséquences du diabète.En augmentation constante, du faitnotamment de mauvaises habitudesalimentaires, le diabète seraitsusceptible de toucher à terme plusde 450 millions de personnes, dontbeaucoup souffriront d'ulcèresprovoquant des complications pouvant aller jusqu'à l'amputation. Or leschercheurs cubains ont présenté, en 2011, le vaccin HebertProt-P,unique produit au monde capable de guérir l'ulcère du pied diabétiqueet avec lequel ont été traités efficacement plus de 7 000 patients dansce pays. Déjà breveté dans 12 pays et susceptible d'être disponibledans plus de 50 d'ici à 2015, ce médicament aurait donc démontré sagrande efficacité. À terme, il pourrait venir en aide à toutes lespersonnes souffrant dans le monde de diabète et de ses gravescomplications. Il s'ajoute à la liste d'autres médicaments innovants etefficaces, élaborés à Cuba par le secteur très en pointe de labiotechnologie, malgré le blocus étasunien. Or l'HeberProt-P n'est pasautorisé en France, alors qu'il pourrait soulager de nombreux malades,notamment dans les zones très touchées par le diabète, comme enGuadeloupe et en Martinique. Il lui demande si une procédured'autorisation de mise sur le marché est en cours et dans quels délaisce médicament pourrait alors être commercialisé et inscrit sur la listedes soins remboursables. Dans le cas contraire, il demande si elleenvisage d'être à l'initiative d'une demande d'introduction de cemédicament au regard du constat de son efficacité.

CUBA>>FRANCE : QUAND L’IDÉOLOGIE PASSE AVANT LA SANTÉ DES FRANÇAIS

ANDRÉ CHASSAIGNE,DÉPUTÉ COMMUNISTE

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sont nombreux de produits indis-ponibles ou dont le coût aug-mente fortement à cause durecours à des intermédiaires.Il n'est pas difficile à un cher-cheur de n'importe quel paysd'imaginer ce que représente-rait une telle contrainte sur sonactivité scientifique : l'acquisi-tion des équipements et pro-duits de laboratoire, matérielinformatique, contrats d'entre-tien, pièces détachées, consom-mables, animaux transgéniques,etc. Un cauchemar.

LA RAISON DU MEILLEUR ESTTOUJOURS LA PLUS FORTE En 2011, pour la 20e année consé-cutive, l'Assemblée générale del'ONU a condamné l'embargoaméricain11, par 186 pays pour,2 contre (États-Unis et Israël)et trois abstentions (Îles Marshall,Micronésie et Palau). L'embargoa été dénoncé par le Pape BenoîtXVI à Cuba en Mars 2012, commeil l'avait été par Jean-Paul II en1998. Il est condamné par d'in-nombrables associations à tra-vers le monde, comme, AmnestyInternational qui a critiqué lerenouvellement par le PrésidentObama de l'embargo, qualifié

« d'absurde», et qui « empêchedes millions de Cubains de béné-ficier de médicaments vitaux etd'équipements médicaux essen-tiels à leur santé. »Dans ce contexte, des expertsscientifiques cubains et amé-ricains, dont Peter Agre, PrixNobel de chimie, se sont ren-contrés en Décembre 2011 àLa Havane pour réfléchir auxmoyens de renforcer la coopé-ration en matière de projetsconjoints, dans les domainesde la santé, de l'environnementet de la technologie. La ren-contre était co-organisée parl'Académie des Sciences deCuba et l'Association améri-caine pour l'Avancement dessciences (AAAS) pour parvenirà « une coopération scienti-fique durable entre deux paysprivés de relations diploma-tiques officielles depuis 1961»12.La « position commune » euro-péenne13, qui limite les échangesdiplomatiques, politiques etculturels, a été adoptée en 1996à la suite de la loi Helms-Burton.En voyage à LaHavane en février2012, Michel Rocard a déclaréà propos des relations franco-cubaines qu'elles « sont entra-

vées par l’embargo (et) par unedécision européenne prise àl’unanimité et qui est très prochede l’embargo américain maisqu’on ne peut pas changer autre-ment qu’à l’unanimité de tousles Européens ». Michel Rocardajoute: «En cinquante ans d’em-bargo, Cuba a su préserver desacquis exceptionnels, telles lasanté, la culture et l’éducation.Ils seront anéantis si, sous lapression extérieure, ce paysrejoignait le monde du capita-lisme financier, au momentmême où ce modèle est en passede s’effondrer »14.

L’ambassadeur de France àCuba, Jean Mendelson, et levice-ministre cubain des Affairesétrangères, Dagobert RodriguezBarrera, ont signé fin 2010 ladéclaration de reprise de lacoopération bilatérale franco-cubaine.La coopération scientifique estencore à un niveau assez bas15,faute d'appels à projets et definancements institutionnels,mais elle devrait connaître unnouvel élan notamment par lacréation d’un Fonds de SolidaritéPrioritaire.

CONCLUSIONLes rencontres de Néonatologiefranco-cubaines ont initié uneforme de coopération originaleet enrichissante, dans undomaine que rien n'autorise àcontraindre, et qui a besoin desefforts de recherche combinésde toutes les nations. L'embargodes États-Unis contre Cuba yfait obstacle, jusqu'à l'obses-sion. Ce mort-vivant législatifqu'est l'embargo empeste lacoopération scientifique inter-nationale depuis 50 ans. Il n'apas de meilleure place que lafosse dont il n'aurait jamais dûsortir. Que l'administration desÉtats-Unis se presse de l'y remet-tre, puisqu'elle est la seule quecela n'incommode pas, et queles chercheurs cubains dispo-sent enfin des outils dont ils ontbesoin sans discrimination, etcollaborent avec les chercheursqui bons leur semblent, selondes critères de raison. n

*JORGE GALLEGO est directeur de

recherche à l’INSERM

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(1) Indice établi par le Programme des Nations Uniespour le Développement (PNUD) pour mesurer le niveauatteint dans trois dimensions que sont la santé et lon-gévité, l'accès à l’éducation et le niveau de vie. LaFrance occupe la 20e place dans ce classement.(2) avec le tourisme et le nickel et l'exportation de ser-vices de santé Gabriele A. Cuba : the surge of exportoriented servces United Nations Conference on Tradeand Development (UNCTAD). 2010.).(3) cf. Cuban Biotechnology Newsletter, 2, July 2010.(4) Heber Biotec par exemple produit et commercialiseles produits pharmaceutiques et détient plus de 200 bre-vets pour des produits approuvés par plus de 52 pays:Interféron Alfa 2b recombinant (Heberon Alfa R), vaccinsthérapeutiques contre le cancer du poumon CIMAVax-EGF, nimotuzumab (anticorps monoclonal qui cible lerécepteur du facteur de croissance EGFR), en cours d'es-sai de Phase II et III aux États-Unis et au Canada.(5) Cette loi extra-territoriale (comme la loi Torricelli)sanctionne explicitement tout commerce en rapportavec des bien nationalisés en 1960-1961 (par exem-ple des terres). Cette définition très large couvre defacto toute type de commerce.(6) http://www.state.gov/documents/organiza-tion/87141.pdf. (7) Le rapport présenté par le ministre des Affaires étran-gères cubain Bruno Rodriguez devant l'AssembléeGénérale de l'ONU rapporte de nombreux exemples desamendes qui frappent des entreprises de toute nature.Source: http://www.cubaminrex.cu

(8) Cette restriction concerne le transport de marchan-dises vers Cuba. Toute embarcation étrangère quiaccosterait à un port cubain se voit interdire l’entréeaux États-Unis pendant six mois. La plupart des flottescommerciales refusent de transporter des marchan-dises à Cuba, ou bien à un tarif largement supérieur àcelui appliqué aux pays voisins Lamrani S. État desiège. Paris : Éditions Estrella, 2011.(9) À la suite de la protestation de Cuba, le départe-ment du Trésor a autorisé en juin 2011, la libérationde ces fonds jusqu’au 30 juin 2015. Discours devantl'Assemblée Générale de l'ONU, Octobre 2011. (10) Rapport de Cuba sur la résolution 65/6 del’Assemblée générale des Nations Unies : "Nécessité delever le blocus économique, commercial et financierappliqué à Cuba par les États-Unis d’Amérique " Juillet2011.(11) http://www.un.org/fr/ga/66/resolutions.shtml. (12) Source : Académie des Sciences de Cuba.(13) Cuba est le seul pays du continent américain vic-time d’une telle mesure. A en juger par les rapportsd'Amnesty International, la comparaison des droits del'homme (motif déclaré de la position commune) dansla région, ne justifie pas, loin s'en faut cette discrimina-tion.(14) Le Point, 27 février 2012.(15) Fiche Curie de l'Ambassade de France àLa Havane, 2011.

Références

Bayart P. Éducation et valorisation à Cuba : théorieet application. In : Sciences économiques, Scienceshumaines, Sciences juridique et politiques. Paris :Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2008.Chelala C (1998). Cuba shows health gains des-pite embargo. BMJ 316, 497.de Vos P & Van der Stuyft P (2009). The right tohealth in times of economic crisis : Cuba’s way.Lancet 374, 1574-1576.Drain PK & Barry M (2010). Global health. Fiftyyears of U.S. embargo : Cuba's health outcomesand lessons. Science 328, 572-573.Gabriele A. Cuba : the surge of export orientedservces United Nations Conference on Trade andDevelopment (UNCTAD). 2010].Lamrani S. État de siège. Paris : Éditions Estrella,2011.Spiegel JM (2006). Commentary : daring to learnfrom a good example and break the «Cuba taboo».International Journal of Epidemiology 35, 825-826.Thorsteinsdottir H, Saenz TW, Quach U, Daar AS &Singer PA (2004). Cuba--innovation throughsynergy. Nature biotechnology 22 Suppl, DC19-24.Yudkin JS, Owens G, Martineau F, Rowson M &Finer S (2008). Global health-worker crisis : the UKcould learn from Cuba. Lancet 371, 1397-1399.

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CUBA : UN VACCIN CONTRE LA RÉSIGNATIONLoin de la pénurie d'il y a dix ans,Cuba est devenu exportateur demédicaments, dont 66 % sontfabriqués localement. Il y auraitplutôt aujourd'hui surmédicationpour certains produits vedettes,issus du marché noir, tandis quetous les médicaments génériquespour les maladies chroniques sontgratuits. Les médicaments coûteuxencore importés pour des maladies graves comme le SIDA ou certainscancers du sein (au coût de 35 000 à 45 000 $) sont subventionnéset fournis gratuitement aux malades. Le maintien de l'embargo et del'invisibilisation des réalisations et progrès de la société cubaine estnuisible pour les milliers d'Américains diabétiques qui subissent desamputations de leurs pieds chaque année faute de pouvoir accéder aumédicament qui les soignerait (HebertProt-P voir encadré, interventiond’André Chassaigne).

Si l'on compte trois médecins en France pour 1 000 habitants, à Cubail y en a six. Ils misent tout sur la prévention, la proximité et lesystème primaire de soins qui est l'un des meilleurs au monde.

Cuba emploie une arme de dissuasion massive : la mondialisationsolidaire contre la pauvreté. Ainsi, c'est une armée de médecins – etnon de marines (en anglais dans le texte) – qui opèrent et soignentgratuitement deux millions de personnes issues de 35 pays différentspour retrouver la vue, lors d'une campagne appelée «OpérationMiracle», en coopération avec le Venezuela de 2004 à 2011. Lemilitaire bolivien, âgé et appauvri, qui assassina Che Guevara put enbénéficier et son fils remercia publiquement ces équipes.La moitié du contingent annuel d'étudiants en médecine qui estaccueillie à La Havane vient d'autres pays pauvres et leurs études sontgratuites et de haut niveau. La Havane est un pôle d'attraction et unpoint de mire de l'Amérique latine, pour le monde médical etscientifique qui accueille de nombreux congrès et une effervescence dechercheurs.

Encore une étrangeté notable, qui influe sur la santé : il n'y a pas de loisur la parité à Cuba. N'est-ce pas une atteinte aux droits de l'homme ?C'est que le parlement cubain comporte 48,66 % de femmes, sur untotal de 612 députés. Comment font-ils dans un pays « latin » ?60 % des étudiants cubains sont des femmes et 66 % destechniciens, enseignants, chercheurs, médecins, ingénieurs aussi sontdes femmes. Cuba ainsi occupe le troisième rang mondial pourl'égalité hommes-femmes, tandis que les USA occupent le 80e rang. Ilfaut leur venir en aide et leur proposer un embargo total pour qu'ilsfassent un effort, tout de même !En France, on note un progrès : 27 % d'élues au Parlement en 2012,mais on reste à mi-chemin entre l'Afghanistan et la Tunisie.

Les Cubains vivent trop longtemps, dit le Figaro et cela va être unproblème. En attendant, les femmes peuvent partir en retraite à 60 ansou au bout de trente annuités ! (réservez votre billet très vite, car nousfrôlerons bientôt les 70 ans avec les projets de la CommissionEuropéenne) et leur espérance de vie est comparable à la nôtre.Cuba a légalisé l'avortement très tôt, dès 1965, mais fait tout pouravoir le plus bas taux de mortalité infantile qui atteint en 2013 : 4,76décès pour 1000 naissances. En comparaison ce taux atteint pour leCanada : 4,78, la Suède : 2,73, l'Afghanistan : 119,41, enfin le Mali :106,49. Les mères cubaines perçoivent leur salaire intégral un mois etdemi avant l'accouchement et trois mois après la naissance, soit 18semaines et jusqu'à un an avec 60 % du salaire.Aux États-Unis, il n'y a pas de congé maternité, c'est plus simple àgérer, pour la concurrence libre et non faussée.En France, nous en sommes à 16 semaines et l'OIT préconise 14 semaines.

LE COUP DE GRIFFE D’ANNE RIVIÈRE

Convention nationale du projetRefonder l’Europe

L'eau : un besoin, un droit, un combat

Système ferroviaire :Politique des transports

Pour une transition énergétique réussie

Documents téléchargeables sur le site PCF, pour la version papier (payante) téléphonez au 01 40 40 11 59 ou écrire à : [email protected]

CONTRIBUTION AU DÉBAT

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LIVRES

L'urgence industrielle !DE GABRIEL COLLETIS 200 p. - Le bord de l'eau – 2012Développer une vision systémique en liant lesquestions de démocratie, de travail, la préser-vation de la nature et l'industrie : c'est rare etmérite d'être signalé dans un paysage où lesthéories libérales ont envahi tout le champ aca-démique. Bien que le mot « compétitivité » soit

utilisé régulièrement, avec toute l’ambiguïté des valeurs qu'ilvéhicule, notons que des propositions de portée révolution-naire y sont développées. Ainsi, plutôt que l'austérité, la déré-gulation, le pouvoir absolu des actionnaires, le financementà court terme, l'auteur donne la priorité aux normes socialeset environnementales, aux temps longs des investissementset au niveau de qualification des salariés. Ancien conseillerscientifique du Commissariat Général du plan, et fin connais-seur de la réalité industrielle et de ses entreprises, l'auteur aété auditionné par la Fondation Gabriel Péri récemment eton peut revoir la vidéo de sa conférence en ligne sur le site.

Le Capital de Marx, son apport, sondépassement, au-delà de l'économieDE PAUL BOCCARA 177 p. - Le temps des cerises - 201Ce livre est une belle synthèse de la réflexionde Paul Boccara. « Belle », car il y a un vrai tra-

vail d'écriture et de précision avec cet exploit de tirer en seu-lement 177 pages, toute la subtilité de l'analyse marxiste et,en deuxième partie, une analyse des crises contemporaines,et de leurs dépassements possibles « au delà de l'économie »comme l'indique si justement le titre. Être aussi concis demandeune grande culture et une bonne maîtrise du sujet. En pagecentrale, se trouve un impressionnant schéma donnant toutela complexité du cheminement théorique du « Capital » deMarx. C'est un livre qui est un complément indispensablepour la formation des militants : en effet les deux parties dulivre correspondent exactement aux deux séances de forma-tion en économie proposées par le PCF dans ses stages debase.

Les déchets nucléaires :Quel avenir ? DE STÉPHANE GIN 202 p. - Dunod – 2006 Ce livre date de 2006 ! Mais toujours d'actua-lité avec le débat autour de CIGEO (Centreindustriel de stockage géologique). 200 pagesrien que sur les déchets nucléaires ? C'est pour-tant nécessaire pour quiconque veut compren-

dre le problème sérieusement, ne serait-ce que pour savoirce qu'est vraiment la radioactivité, sa persistance dans letemps, les problématiques de durée et d'efficacité auxquelsdoit répondre forcément un site de stockage. Ce livre abordefrontalement la question du niveau de risque que la sociétéest prête à accepter et de la difficulté d'acceptabilité d'unesolution de stockage, à l'heure où le nimby ( « pas dans monjardin ») et la manipulation sur fond de peur sont la règle dansles débats... Pour les déchets chimiques de durée de vie infi-nie, 100 fois plus volumineux que les déchets nucléaires, et

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déversés quotidiennement dans la biosphère : il n y a pas depréoccupation équivalente, pas de livre, pas de sites de stockageprévus et donc pas de débats, c'est beaucoup plus pratique...

Atlas des matièrespremières - Desressources stratégiques DE BERNADETTE MÉRENNE-SCHOUMAKER 96 p. - Autrement - 2013Enjeux géostratégiques majeurs, l’essentiel desconflits aujourd'hui a pour arrière fond l'appro-

priation de matière premières, notamment pour les ressourcesénergétiques : pétrole et gaz. Mais plus largement il y a toutesles autres matières premières dont on parle moins et dont dépen-dent toutes nos économies : charbon, uranium, minerais de fer,terres rares, sans oublier les produits agricoles. Cet Atlas per-met de mieux comprendre les problèmes d 'approvisionnementque doit affronter l'humanité. A l'heure où des géants commel’Inde et la Chine émergent, où les terres d'Afrique sont âpre-ment convoitées, ce nouvel atlas de Bernadette Mérenne-Schoumaker, après celui sur l'énergie, est indispensable.

L'énergie en questionsDE JEAN GAY 115 pages – Elzevir - 2012C'est un homme en colère qui écrit, colère qu'onsent bien entre les lignes. Et il est vrai qu'il y a dequoi lorsque l'on voit le niveau du traitement desquestions énergétiques pourtant très structu-

rantes de l'organisation de nos sociétés. En première partie, l'au-teur traite des questions « Science et société » puis aborde fron-talement les questions énergétiques sans contourner les débatsqui font rage : déchets, sûreté, aspects économiques. La méthodede Jean Gay ici est d'accompagner son propos d'une série d’en-cadrés sous forme de questions « saviez vous que... » qui pul-vérisent les idées reçues. Un livre loin du politiquement correct,mais juste et fort.

Qu'est ce quel'agricultureécologiquementintensive ?DE MICHEL GRIFFON 219 p. - Quae – 2013 Adeptes de visions simplificatrices et de théories

« New Age » en tout genre : passez votre chemin ! Ici MichelGriffon s'attaque à une équation difficile: répondre aux besoinsde l'humanité avec une agriculture suffisamment productive,tout en sortant du modèle actuel productiviste, non durable etépuisant les éco-systèmes. On connaît le sérieux et l'expériencede Michel Griffon et ici, après son concept de « révolution dou-blement verte » largement développé dans son célèbre ouvrage« nourrir la planète », il explicite cette fois le concept d' « agri-culture écologiquement intensive ». Comment utiliser toutesles ressources de la nature pour y développer une synergie alliantécologie scientifique et efficacité dans la production? Ouvragetechnique il est vrai, mais pas seulement: il pose la question ducontrat social entre société et agriculteurs. Ce livre est aborda-ble pourvu qu'on fasse un effort. Effort que toute personne quia la prétention de contribuer au débat sur l'agriculture est invi-tée à faire.

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Pour le Communisme , la Libertéet la France

DE IVAN LAVALLÉE 88 p. - Janvier 2013. L'auteur de ce livre pense entermes forts la sortie du capi-talisme, un au delà de l'hori-zon qui sera le temps du biencommun et des usines qui tour-nent toutes seules, permettantaux humains de sortir de lanécessité du travail contraint.Le succès même du capitalisme,qui a conduit les forces produc-tives matérielles à un niveaujamais égalé dans l'histoire, leconduit aussi à sa fin, puisqu’ilne peut plus poursuivre son

expansion autrement que sous des formes artificielles, par laproduction d'un énorme capital fictif (produits financiersdérivés : 15 fois le PIB mondial).Il ne peut poursuivre sa mise en valeur sans que l'énormemachinerie financière ne s'enraye un jour peut-être proche :crédits, actions, dettes publiques et privées.

Le souci du révolutionnaire : proposer un projet qui donnecette perspective aux luttes et aux compromis avec la réalitéquotidienne, pour dynamiser nos pratiques, et tracer le che-min du développement de tous en mettant fin au gaspillagede la Nature et des hommes. Un avenir qui sécurise les êtreshumains et leur autorise le développement des arts, de la cul-ture, et des sciences dans le cadre d'un autre mode de pro-duction : travail de géants et de fourmis. La Nation Francereste pour ce chemin un cadre historique pertinent ré-appro-priable par son peuple, plus qu'une Europe des landers ins-tallée par le capital.

Pour se procurer l’ouvrage : [email protected]

« LA DÉMOCRATIE DES CRÉDULES »DE GÉRALD BRONNER 343 p. - P.U.F. -2013

Ce livre est un apport essentiel pour ana-lyser et comprendre les peurs contem-poraines. C’est le regard d’un sociologuequi observe la société et tente de répon-dre à ce constat quasi quotidien où deshistoires fausses ou mensongères, descroyances finissent par devenir des réa-lités pour des millions de gens.

Comment est-ce possible ? Quel rôle jouentles vecteurs de communication ?

Soyons tolérants, car nous pouvons toustomber dans des pièges. Des erreurs deraisonnement (les biais cognitifs) se retrou-vent régulièrement dans les questionsliées aux risques, à la santé publique, àl’énergie, à l’environnement. Nous voilàplongés dans le doute permanent et lebesoin d’expertises indépendantes.

Attention, car le doute implique aussi desdevoirs sinon le nihilisme mental n’estpas loin et l’argument de l’ignorance faitdes ravages. Il y a quand même 46% degens en France qui pensent que la scienceet la technologie produisent plus de dom-mages que d’avantages !

Quand la méfiance augmente à ce point,la société est en danger car c’est vite lafaute des autres ! « La complexité du réelest toujours niée au profit de la recherche

de la cause unique et l’on peut s’inquié-ter de ce que la pensée contemporainevoie dans le doute et la suspicion géné-ralisés une marque de discernement ».L’auteur cherche des explications et pro-pose des solutions à partir de cinq thé-matiques : la massification de l’informa-tion, le rôle d’internet, la notion deconcurrence, la démocratie des créduleset la connaissance.

Les informations et les arguments pré-sentés sont d’une grande richesse et nousinvitent à étudier les expériences concrètesde l’actualité et à en débattre. Par exem-ple, les notions de « crédulité informa-tionnelle », le temps de réflexion et delecture, l’utilisation de la rumeur, lesréponses par oui ou par non, la sociétéde la transparence, les conventions dumilieu scientifique mises en cause,...

Certes, il est plus « payant » de caresserles gens dans le « sens du poil », mais il ya des résistances au catastrophisme et àla diffusion des fausses évidences. « Lavérité ne se décrète pas à l’applaudimè-tre ».

Il n’est cependant pas rare que la pressereprenne en chœur sans vérification (ilfaut aller vite !) des stupidités.

Pour être éclairé il faut comprendre cequ’est une démarche et avoir une méthodepour acquérir une certaine autonomieintellectuelle.

N’est-on pas devant un combat politiqueau sens noble du terme ? Cet ouvrage par-ticipe de ce combat et, à plusieurs titres,mérite d’être lu et discuté.

LUC FOULQUIER

Retrouvez toutes les critiques de livres des précédents numéros sur www.progressistes.pcf.fr

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Progressistes JUIN-JUILLET-AOÛT 2013

POLITIQUE58

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

»MNLE MOUVEMENTNATIONAL DE LUTTE POURL'ENVIRONNEMENTUne association bien connue de l'équipe deProgressistes puisque que plusieurs d'entrenous en sont membres. Un mouvement

écologiste qui, une foisn'est pas coutume, quin 'oppose pas lesavancées des scienceet technique avec leprogrès social. Elle aété créée en 1981 surl'initiative denombreusespersonnalités issues dumonde politique degauche, du PCF

notamment, mais aussi issues du mondeassociatif et scientifique. Énergie, transports,aménagement du territoire, biodiversité,déchets : le MNLE produit beaucoup deréflexions, trop souvent méconnues et c'estvraiment dommage ! Notons un des outils duMNLE, sa remarquable revue trimestrielle« Naturellement ». Pour s'y abonner et mêmeadhérer à cette association voir le site :www.mnle.fr

» LES VIDÉOS DE LA REVUE DU PROJET Un outil de plus pour la formation desmilitants : les vidéos de la revue du projet, desfilms d'une trentaine de minutes quicomplètent les dossiers thématiqueshabituellement traités par la revue.

Un trimestriel avec des textesoriginaux émanant d'acteursdu monde de la Santé : cher-cheurs, médecins, interve-nants divers, des notes delecture, des informations pré-cieuses pour qui veut com-prendre et analyser les mul-tiples aspects d'une actualitéactuellement régressive quiaffecte notre système de Santé: baisse des recettes pour l'hôpital public,crise des urgences, risques psycho-

sociaux et médecine du tra-vail, déserts médicaux, crisedes médicaments, main- miseprogressive des assureurs surnotre Sécurité Sociale ...Cesdiagnostics sont autant depoints d'appui aux luttes pourfaire reculer la marchandisa-tion de la médecine et fairelever les motifs d'espoir qu'au-torisent la recherche scien-

tifique et les savoirs faire des profes-sionnels de la Santé .

Les Cahiers de santé publique et protection sociale

En ces temps de renouvel-lements municipaux, laRevue du Projet fournit unsolide dossier sur la ville etle logement. Au fil des arti-cles, il s'agit de renoueravec une approche révo-lutionnaire et démocra-tique, et de bâtir un droità la ville pour tous, affran-chi des discriminations territo-riales multiples.Comment promouvoir une égalitéréelle des habitants et la dignité deleur habitat en même temps qu'undroit au travail pour tous ?S'en tenir à une notion de mixité sociale,qui s'avère être plutôt un facteur dedissolution de la présence ou de la par-ticipation populaire, n'est pas le remède.De la charte contre la spéculationimmobilière, à la conception d'un loge-ment qui ne soit plus un bien mar-

chand,pour aller vers un fon-cier gratuit et un grand ser-vice public de l'habitat, leparcours proposé est revigo-rant et suppose d'étudier lesexpériences en cours dansles communes progressisteset leurs acquis. Ce dossierouvre de réelles perspectives,à l'échelon de proximité favorides français , pour répondre

aux besoins de sécurité et de garan-ties pour l'avenir en sécurisant les par-cours de chacun un jour proche, autre-ment que dans la « pierre » et desendettements qui retiennent prison-niers leurs candidats, bien souvent .Tous les numéro sont téléchargeablegratuitement sur le site :http://projet.pcf.fril est également possible de s'abon-ner et recevoir chaque mois la versionpapier.

La Revue du Projet - Janvier 2014

C'est à un formidable défi que nous invitece numéro spécial sur « le coût du capital »de la revue marxiste. Comment parvenir àun redressement durable de l'emploi et d'uneproduction nationale, comment responsa-biliser les entreprises réellement, sur la based'un pacte alternatif,qui serait un « pacte desolidarité » et non un pacte de cadeaux sanscontreparties autres que de vagues engage-ments ; comment démonter l'idée du coûtdu travail trop élevé et ses effets mortifères :

comment inverser la spirale du « lowcost » généralisé. Comment mon-trer que c'est l'insuffisance d'inves-tissement dans le développementdes capacités humaines qui coûtecher ! Emploi, formation, salaires,protection sociale, services publics,recherche .Poser la question du coût du capitalet de sa quête de mise en valeur, de ses cri-tères anti -sociaux, de ses prélèvements pré-

dateurs insensés, de ses gâchismultiples et des pistes qu'il laisseinexplorées du fait de ses cri-tères réducteurs:c'est une cam-pagne de longue haleine, à illus-trer et chiffrer au coup par coup.A chacun de s'en emparer dansson domaine avec cet outil.Téléchargeable sur le site d'éco-

nomie et politique : http://www.economie-politique.org

Economie et politique

Du côté du PCF et des progressistes...

Publiés par la fondation Gabriel Peri

L’économiste Frédéric Boccara interviewé par La Revue du projet.

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

es mesures que la minis-tre de l'EnseignementSupérieur, Geneviève

Fioraso, veut voir appliquer auxInstituts Universitaires deTechnologie manifestent sonmépris pour les filières techno-logiques et pour les métiers aux-quels elles préparent. Les jeunesqui s'y forment, pour beaucoupd'entre eux, ont obtenu de bonsrésultats au baccalauréat; 54 %d'entre eux, du reste, poursui-

vent leurs études après le DUT,à l'université ou en école d'ingé-nieur. Il n'en faut pas plus poursusciter l'ire du ministère: les IUTn'ont pas à former de salariésaussi qualifiés ! Ils sont là, à lalimite, pour apporter un surcroîtde compétence aux élèves quiont rencontré des difficultés dansleur scolarité. C'est cette démarchequi a présidé à la mesure propo-sée cet été, consistant à imposer

des quotas pour rendre les IUTà leur vocation d'universités dupauvre. Cette proposition ne figurefinalement pas dans la loi Fioraso:elle n'en est pas moins sympto-matique de l'aveuglement dugouvernement sur les grandesquestions éducatives, industrielleset professionnelles. C'est évident,il faut répondre au problème del'échec scolaire; il faut mettre desenseignants, des personnels etdes locaux à la disposition desenfants et des adolescents denotre pays. Il faut rendre le droità l'école à tous ces élèves, plutôtque de gonfler artificiellementles chiffres de la réussite scolaireen décidant arbitrairement quellesera leur nouvelle voie de garage.Et il faut leur donner accès à unefilière technologique de qualité.

Les IUT forment des salariés qua-lifiés dans des secteurs aussi diverset aussi stratégiques que les télé-communications, l'informatiqueindustrielle ou le génie des maté-riaux. Des secteurs indispensa-bles, tant pour remplacer à courtterme les salariés issus du baby-boom partant en retraite, quepour répondre aux défis d'ave-nir auxquels notre pays estconfronté. La qualification acquiseen DUT mérite d'être systéma-tiquement reconnue dans lesconventions collectives, mais éga-lement d'ouvrir à de véritableslicences technologiques natio-

nales. Le caractère territorial desdiplômes et des formations esten effet un obstacle au dévelop-pement des savoirs et des savoir-faire dans le pays.

Car, en effet, les savoirs et lessavoir-faire délivrés dans les filièrestechnologiques sont précieux. SiGeneviève Fioraso, en visite àChimie ParisTech, s'érigeait engarante de l'étanchéité des écolesd'ingénieurs par rapport à l'en-semble du système universitaire,il faut au contraire en finir aveccet héritage élitiste. Les forma-tions technologiques n'ensei-gnent pas à exécuter éternelle-ment les mêmes instructions :c'est une maîtrise profession-nelle, une compréhension scien-tifique, des méthodes de travailqu'elles transmettent. Et, pourpreuve, 18 % des étudiants quien sont issus suivent finalementdes cursus d'ingénieur. Personnen'est destiné aux travaux deconception, et personne n'estdestiné aux travaux d'exécution.Dès lors, pourquoi ne sont-ils pasplus nombreux, alors même qu'ilfaudrait, de l'aveu même de laConférence des Directeurs desÉcoles Françaises d'Ingénieurs,former 10000 ingénieurs supplé-mentaires par an?

Les conditions sociales des étu-diants sont un véritable frein à lamise en œuvre d'une politiqueéducative ambitieuse. Pour leursseuls frais locatifs, par exemple,ils dépensent en moyenne 600€par mois. Les aides délivrées par

les Œuvres Universitaires, quin'ont pas évolué depuis des décen-nies, sont insuffisantes pour répon-dre à de tels coûts. Par consé-quent, si les familles peuventaccepter de payer les frais de vieet de scolarité jusqu'au DUT, ellesont rarement les moyens de conti-nuer durant cinq ans… C'est d'au-tant plus vrai que les exigencesde ces cursus interdisent auxélèves et aux étudiants de pren-dre un «petit job» pour assumerleurs dépenses. Ainsi, les portesrestent closes pour la majoritéd'entre nous.

Les leviers existent pourtant pourabattre les barrières qui séparentles filières technologiques desécoles d'ingénieur. Les enjeuxprofessionnels sont distincts,mais complémentaires selon quel'on se dirige vers des métiers dehaute technicité ou vers des tra-vaux de conception; la fracturepédagogique que le ministèreentend promouvoir restreint l'ac-cès à des qualifications qui sontpourtant nécessaires au déve-loppement du pays. La princi-pale difficulté résidant dans lesconditions sociales des étudiants,donnons-leur les moyens de vivre,et singulièrement de se loger.Instaurons des dispositifs nou-veaux dans ce sens, qui permet-tent de plafonner leurs frais loca-tifs en fonction des aides socialesqu'ils perçoivent. Faisonsconfiance, enfin, à leur capacitéde travail, à leur professionna-lisme et à leur sérieux. n

Pour une grande filière technologique,continue et cohérente

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE

n LE POINT DE VUE de HUGO POMPOUGNAC, secrétaire national de l'UEC (Union des étudiants communistes)

Les IUT forment dessalariés qualifiés dansdes secteurs aussidivers et aussistratégiques que lestélécommunications,l'informatiqueindustrielle ou le géniedes matériaux.

Il s'agit ici de tracer la voie à une grande filière tech-nologique, qui puisse enseigner aux étudiants lesmétiers auxquels ils aspirent dans toute leur diversité

CRÉDITS PHOTOS : P6 Autolib' Station on boulevard Diderot, Paris XIIe arrondissement, France. A car is currently being charged.3 October 2011-Own work- Author;Poulpy ● P7 Renault Twizy Z.E., Sylt 2012 26 July 2012, Author;Bin im Garten●P8 Author;Jebulon●P9 en haut, Piste cyclable à Paris en « sitepropre ».Author;Fxc●P9 EN BAS Chevalet de pompage au Texas, États-Unis. Date;2007-03-15 (original upload date)Author;Original uploader was Flcelloguy at en.wikipedia Permission (Reusing this file);Licensed under the GFDL by the author●P10Utilizator;Comentariu actuală;2005;Arpingstone;Low cost carriereasyJet●P11 en haut DTTX 724681, a portion of a Pacer Stacktrain (Concord, CA) 5-unit container car Source;Transferred from en.wikipedia. Author;Slambo at en.wikipedia●P11 en bas Pousseur Cetus et barge porte contenneur sur la Seine Source;Photo taken by Remi Jouan- Author;Remi Jouan Permission(Reusingthis file);Own work,●P13 Container vessel MSC Flaminia at sea;Clipper (talk | contribs);Container vessel at sea ●P14 Maersk Mc Kinney Möller" maiden call Bremerhaven 2013- 2013, - Photo taken by Walter Rademacher-Author;Walter Rademacher●P15-The island of Grand Cayman, Source;NASA, AstronautPhotography of Earth: Image STS059-227-42. Author;NASA● P15 EN BAS Autor/''Author'': Luis Miguel Bugallo Sánchez [http://gl.wikipedia.org/wiki/User:Lmbuga Lmbuga]●P16 Autoroute Pkw Camion Trafic Confiture Autor/''Author'': Luis Miguel Bugallo Sánchez ●P17 en haut , 2008 Iveco StralisSource;NewZealand Trucks, Author;111 Emergency from New Zealand●P17 en bas, portique de prélevement de l'écotaxe , Source;Own work, Author;XIIIfromTOKYO●P19 North portal of new Loetschberg Base Tunnel (LBT) in Frutigen, Author;--Cooper.ch 17:22, 27 June 2007 (UTC), Permission, (Reusing this file);CreativeCommons License CC-BY-SA-2.5●P22 en haut Orly tower. In the background, Orly West., Author;Olivier2000●P22 EN BAS, World-airport-map-2008.png, route data is from Airline Route Mapper, rendering by OpenFlights (Open Database License). PHP source code for rendering available at the OpenFlightsSVN.Source;Own work, Author;Jpatokal●P23 Originally from fr.wikipedia; Une rame de type Val-208 du métro de Lille.●P24 Panneau de signalisation de la vitesse à Saint Rémy lès Chevreuse en France,Source;Own work, Author;Lionel Allorge● P25 en haut, Artist concept: Space Elevator - source:http://nix.larc.nasa.gov/info;jsessionid=b5c6c7nhf61hi?id=MSFC-0302060&orgid=11 Bricktop (talk | contribs)●P25 en bas, Structural diagram of a space elevator. The earth is shown in a "top-down" perspective looking at the north pole, with the space elevator in equatorial orbit.Source;File:Space elevator struc-tural diagram.svg, Author;User:Booyabazooka●P25 en bas à droite : Galileo launch on Soyuz, 21 Oct 2011, Source;Flickr: Galileo launch on Soyuz, 21 Oct 2011, Author;DLR German Aerospace Center / Credit: Thilo Kranz/DLR●P26 en bas, Soyuz rocket assembly (NASA) - image source:http://spaceflight.nasa.gov/gallery/images/station/crew-10/html/jsc2004e45198.html●P26 EN HAUT , (Viking 1 Orbiter, MG07S078-334SP), Source;Mars_Valles_Marineris.jpeg, Author;Mars_Valles_Marineris.jpeg: NASA picture derivative work●P27 en haut, MarkSweep (talk | contribs);{{PD-USGov-NASA}}●P27EN BAS Sealle;museum photo replaced by original drawing (see http://www.fandom.ru/about_fan/zubakin_19.htm )●P28 EN BAS "Operation Castle, ROMEO Event - The 11-megaton ROMEO Event, Licensing== *Source: http://www.nv.doe.gov/library/photos/ {{PD-USGov-DOE}} [[Category:Nuclear 2 December2005 ●P29, Source;http://pdphoto.org/PictureDetail.php?mat=pdef&pg=8202, Author;Jon Sullivan●P29 a droite, Source;Earthquake and Tsunami damage-Dai Ichi Power Plant, Japan, Author;Digital Globe●P30 ,Golden Rice grain compared to white rice grain in screenhouse of Golden Rice plants.;15 February2011, Source;http://www.flickr.com/photos/ricephotos/5516789000/in/set-72157626241604366, Author;International Rice Research Institute (IRRI),Permission,(Reusing this file);{cc-by-2.0}●P34: The IBM Blue Gene/P supercomputer, From Argonne National Laboratory, Author;Argonne National Laboratory's Flickrpage●P37, Le Palais de la découverte à Paris en France, Source;Own work, Author;Lionel Allorge●P39, Ateliers Fab Lab et Living Lab de la cité des Sciences et de l'Industrie.Source;Own work,Author;Benoît Prieur (Aga)●P40, Zellstoff aus einem Papiertaschentusch bei 200fach mit Polfilter. Ausschnitt ca: 800µm x600µm, Source;Own work (eigenes Bild), Author;Jan Homann●P42, Automatic warehouse for small parts.Source;Own work (own photograph),Author;Photo: Andreas Praefcke●P43,Photograph of a very large call centre in Lakeland, FL.,Author: Petiatil (talk) on Wikipedia-en.,Source: Initially uploaded on Wikipedia-en with the same name by Petiatil.●P44, Passage basse altitude du premier exemplaire de l'A350, sur le site Airbus de Toulouse,Source;Own work, Author;Don-vip●P45, Vue rapprochée du moteur Rolls-Royce Trent 900 d'un Airbus A380 - ILA 2006, Source;Own work, Author;User:Kolossos●P46, The flag of theUnited Nations, flying at United Nations Plaza in the Civic Center, San Francisco, California, United States of America, Source;Own work, Author;Makaristos●P49, 19 April 2004, Source;http://spaceflight.nasa.gov/gallery/images/station/crew-9/html/jsc2004e19841.html, Author;NASA/Bill Ingalls, ;PD-USGov-NASA●P49,Javiersanp, GPS satellites good geometry for Global Dillution of Precision (GDOP).Clear_sk, Clear_sky.JPG: Suguru@Musashi/宮本すぐる Garmin_eTrex_Legend_C_in_hand.jpg: Paul Downey from Berkhamsted, UK Navstar-2.jpg: NASA, derivative work: Javiersanp ●P51 Earth Observatory News, Nasa and as aU.S. Government image, ●.P53Satellite image of Cuba in November 2001.Source;Cropped from:http://visibleearth.nasa.gov/view_rec.php?id=2303, Author;Jacques Descloitres, MODIS Land Rapid Response Team, NASA/GSFC●P54 w:MethamphetamineSource;Own work, Author;Sbrools ●P55, Ministry of Interiorbuilding, adorned with a steel sculpture of Che Guevara, a replica of the iconic image, originally shot in 1960, by the celebrated photographer Alberto Korda., Source;PICT0792, Author;Mark Scott Johnson from Sydney, Australia●P60 haut a gauche, Décors de vases protohistoriques de Tiddis, Algérie., Source;Ownwork, Author;Michel-georges bernard● P60 EN BAS A DROITE , Place_El-Hedine_Mosaique (détail d'une fontaine), Auteur : Fabos 1/4/05 + correction d'image 13/7/5●P60 EN BAS A GAUCHE, Chenshilwood at en.wikipedia Permission, CC-BY-2.5; ●P60 en haut à droite, Yet another closeup of the Mandelbrot set.Made by Coordinates: -0.77028065155993652446 by -0.11144667326007166574, Zoom: 281748

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« L’histoire humaine n’est qu’un effort incessantd’invention, et la perpétuelle évolution est uneperpétuelle création. » Jean Jaurès

Décors de vases protohistoriques de Tiddis, Algérie.

Mosaïque décorant une fontaine de Meknes, Maroc.

Bloc d'ocre présentant des incisions géométriques d' Afrique duSud, datant d'environ 75 à 80 000 ans

PROCHAIN DOSSIER (Avril, mai, juin) : EUROPE

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Image fractale tirée d'un ensemble dit de « Mandelbrot ».

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