Nomenculture n°3

16
REVUE LITTÉRAIRE ET CULTURELLE N°3 AUTOMNE 2011 GRATUIT www.NOMENCULTURE.fr ISSN : 2115-7324 THÉORIE P.3 PHILOSOPHIE P.4 NOUVELLES P.6 POÈMES P.12 CINÉMA P.14 INTERNATIONAL P.15 NOMENCULTURE 3

description

Nomenculture - Revue littéraire et culturelle Numéro 2 : Automne 2011

Transcript of Nomenculture n°3

Page 1: Nomenculture n°3

REVUE LITTÉRAIRE ET CULTURELLE

N°3

A

UTOM

NE

2011

GRAT

UIT

www.NOMENCULTURE.fr

ISSN : 2115-7324

THÉORIEP.3

PHILOSOPHIE P.4

NOUVELLESP.6

POÈMESP.12

CINÉMAP.14

INTERNATIONALP.15

NOM

ENCU

LTUR

E

3

Page 2: Nomenculture n°3

EDITORIALDirection de la publication : Hubert Camus

Comité de rédaction : Carla Campos Cascales, Stanley Ange Cleuët,Jean-Baptise Colas-Gillot,Sandre, Simon Intando, Florent Jakubowicz, Laurence RogerAgatha Sheaffer,

Illustrations :Vincent Mey

Maquette / Site internet :Coriolan Verchezer

Paris, septembre 2011. Tous droits réservés par leurs auteurs.

www.nomenculture.fr

ISSN : 2115-7324

Vous souhaitez nous aider, nous rejoindre, envoyer un texte ? N’hésitez pas à nous contacter :

[email protected]

EDITO

2

Avec ce troisième numéro, Nomenculture inaugure une nouvelle mise en page, arborant un thème plus clair, épuré - et correspondant au nouveau site Internet, lui aussi mis au goût du jour.Nous inaugurons également un dérivé de la revue, les Feuillets de Nomenculture : basés sur l’actualité littéraire, culturelle et artistique, c’est un mensuel composé notamment de critiques de théâtre joué, d’expositions, d’entretiens avec des auteurs... Le numéro zéro sera publié le premier octobre prochain, et retracera les articles des anciens évènements, jusqu’alors exposés sur le site.

Mais parlons de ce numéro : encore une fois, on s'interroge sur l’écriture - question essentielle qui se pose d’elle-même à de jeunes auteurs, à travers un essai sur la sincérité d’un auteur face à sa plume.Les nouvelles, quant à elles, évoquent le plus souvent des destins vains, dans plusieurs situations... La page cinéma relate les récentes technologies apportées à nos salles obscures et la page international, les influences étasuniennes sur les jeunes auteurs.

Nous espérons que vous apprécierez cette nouvelle mouture en ce début d’automne, et encore une fois, n’hésitez pas à nous envoyer vos textes !

À bientôt.

Coriolan Verchezer

Page 3: Nomenculture n°3

De la Sincérité de l’écriture Par Agatha Sheaffer

THÉORIE

Je trouve ça très pénible d'écrire. Mais comme j'aime bien souffrir, je m'offre un petit plaisir de quelques lignes.

À mon sens, quand on écrit on ne peut pas mentir sinon on ne transmet rien. Et c'est très pénible de ne pas mentir quand n'importe qui peut vous lire. Écrire c’est s'effeuiller. Certains ont plus de feuilles et sont moins pudiques que d'autres mais ceux-là qui assument leur nudité créent. Je suis sûre qu’on a déjà dû l'expliquer d'une façon ou d'une autre, mais si vous le permettez je vais le dire à ma façon.

Imaginez un livre écrit par 100 auteurs différents, ça ne rimerait à rien ? Même à plusieurs il faut ne faire qu'un pour créer. Sinon pas de musique ni de théâtre. On doit respirer l'osmose, ça sent le bébé tout frais  ! Et un bébé est sincère au point de n’avoir pas conscience du mensonge, il fait tout ressentir et tout comprendre, c'est comme ça que ça survit un bébé, si on n’arrive pas à le comprendre on ne satisfait pas ses besoins. Non, franchement  : un bon bébé bien écrit, pardon, un bon livre, ça n'a pas de prix.

Il y a un lien affectif réel aux grandes œuvres. Quelle horreur que d’être condamné à voir votre livre préféré être déchiré sous vos yeux. Celui qui vous a fait aimer la lecture, celui qui vous a tenu éveillé sous les draps toute une nuit, celui qui vous a fait grandir. Ces livres-là valent qu’on les sacralise. Balzac était payé à la page. Déception. Le profane est ici venu entraver l'acte d'écrire. Pousser à être prolifique, n'est-ce-pas interdire à l’auteur une forme de sincérité envers lui-même ?

C'est pour ça que ça fait souffrir d'écrire librement, on est obligé de se regarder dans le plus juste miroir. C’est souvent une torture de ne pas pouvoir se voir en peinture. Pas de préservatif, quand on écrit   ! Cette fièvre étrange et agréable, oui, voilà   ! C'est un acte sexuel et puis à la fin, c'est horrible mais on accouche et mon Dieu, quel soulagement !

Un livre ne ment pas sinon ça se voit, ça se sent, on l’abandonne ou on l’oublie. Pourtant, un menteur peut écrire un bon livre si son travail le libère.

Je trouve ça très pénible d'écrire. Mais comme j'aime bien souffrir, je me suis offert ce petit plaisir de quelques lignes.

3

Page 4: Nomenculture n°3

Du Racisme au Cultur« -isme » Par Carla Campos Cascales

En écoutant l’autre jour un vieux grincheux insulter une banlieue de Paris, justifiant sa haine par une importante infestation de « bangouli, bangoula », de « cocotiers et bananiers », et en ajoutant à son fâcheux discours la sentence bien connue mais trop de fois peu mesurée à la hauteur de son importance : « La France n’est plus la France », une question s’est ouverte à moi. C’est quoi cette «   France qui n’est plus la France   »   ? Qu’est-ce que la France a été qu’elle n’est plus maintenant   ? Puisque la question revient finalement à se demander en quoi la France a évolué, et surtout, en quoi elle a évolué négativement. Si on part de la croyance populaire de la bonne image de la France construite au long des siècles de philosophie, littérature, politique et histoire, la France peut être ce beau pays de la monarchie, du luxe, du chic, du camembert et du bœuf bourguignon, de la défense des droits sociaux, du plus haut taux de grève au monde, de la mode, de la langue de Rousseau, du vaccin contre la rage, du parfum, de la moutarde et des belles femmes (Brigitte Bardot, Laetitia Casta, Marion Cotillard, et j’en passe   !), et ceci sans ordre chronologique ou de valeurs. On pourrait aussi ajouter « etc », puisque si la France est en gros cela pour quelques français ou quelques étrangers, elle peut aussi partir du côté du colonialisme, de Napoléon, de la bonne musique de Georges Brassens, des voitures pas mal et pas chères Citroën et Renault, la France peut être ceci ou cela, mais on sait tous ce qui correspond et a correspondu à la France. Tout cela pour dire que ce pays a une culture, une large culture qu’il s’est faite au long des siècles et que les français aiment, que les étrangers peuvent admirer ou détester parce qu’elle en est une. Et on croit, d’où que l’on vienne, que notre pays a une culture unique – unique dans le sens d’unitaire et d’inégalable puisque, qu’on le veuille ou non, on valorise notre culture par-dessus les autres, attachement sentimental plus fort que tout -, et c’est en ça qu’on l’aime, en ce que cette culture se distingue des autres et qu’on la reconnaît. On se réclame en quelque sorte d’une identité culturelle, plus ou moins attachée à notre pays, à notre région, et c’est la peur que cette identité disparaisse, comme si l’importance de tout ce qui prouve l’existence et l’histoire de notre sujet disparaissait, qui se cache derrière la peur de la venue de l’autre, de son invasion, on peut parler même, de son remplacement. On a peur d’être remplacés, ou mélangés, et de devenir « ce qu’on n’était pas ».

Mais déjà il faut interroger le terme de culture lui-même. À quoi pense-t-on quand on parle « d’identité culturelle » ? Ce serait une série, comme une liste de caractéristiques qui font qu’on appartient à un groupe culturel ou à un autre, donc à une certaine organisation sociale, politique, intellectuelle, juridique… C’est « notre » façon de voir les choses, « notre » tradition, « notre » bouffe, «   notre   » langue, et ainsi de suite. Ainsi dans «   notre   » bouffe, il n’y aurait pas de place pour le couscous, dans notre «   langue   » ce ne serait pas désirable d’entendre « paumé   »   ou « cool   » et pourtant ils y sont puisque malgré tout, aujourd’hui même, la France est bien le couscous, et le tajine, et le voile, les coiffeurs de rajouts de cheveux et un peu, tout de même, le canard laqué. Si on se fie à la réalité elle est ça, autant qu’elle peut être encore la France du bœuf bourguignon. «   Justement », on dira, «   peut-être qu’un jour tout ça sera plus fort que le bœuf bourguignon et qu’on n’en mangera plus ».

PHILOSOPHIE

4

Page 5: Nomenculture n°3

Et là est la peur, on est passé du racisme, c’est-à-dire de vouloir distinguer les « races » au « cultur-isme   », donc à vouloir distinguer les cultures, c’est-à-dire à vouloir distinguer sa propre culture des autres, sa culture qu’on chérie comme notre être lui-même parce qu’il est aussi fait de la culture dans

laquelle il a grandi. Cette vision de la chose, cette peur, comme toute peur, est sans doute irrationnelle, puisque la peur ne devrait pas être dans le fait de se faire voler sa culture, de la voir remplacée, mais plutôt dans l’idée que toute culture soit la même, que la culture, comme tout aujourd’hui finisse par se mondialiser, et qu’en cela même elle arrête d’être culture, mais plutôt, « civilisation mondiale   », et ainsi qu’on soit tous pareil, qu’on mange, qu’on parle et finalement, pourquoi pas, qu’on pense tous pareil ?

Pensons aux États Unis, pays par excellence où l’identité culturelle s’est faite par le mélange de différentes cultures, d’abord européennes, et de plus en plus latines et as iat iques . S i on do i t chercher les caractéristiques qui font l’identité culturelle des américains on ira, sans s’en apercevoir, piocher dans les traditions de l’Irlande, dans la nourriture italienne, dans la langue de la Reine d’Angleterre. Eux sont comme ça, ils ne peuvent plus avoir peur de se faire envahir leur précieuse culture étasunienne, puisque elle n’a jamais vraiment existé.

Devons-nous donc avoir peur de ce qui est somme toute inévitable ou devons-nous apprendre à combiner les différentes cultures pour en construire une nouvelle, plus large   ? Finalement, notre bœuf bourguignon peut aussi avoir ses origines dans une autre culture, les français n’ont pas été les premiers dans ce territoire, une conscience géographico-historique plus poussée permettrait une plus grande tolérance et un profit majeur de tous les apports délicieux que peuvent amener les autres cultures. C’est aussi ainsi qu’on peut examiner ce qui nous plait et ce qui est à défendre dans les cultures, dans la notre comme dans celles qu’on côtoie, la quête devrait être à partir de maintenant la recherche de la meilleure culture possible, ainsi en devant décider de garder ou d’éliminer des caractéristiques culturelles, vu que le renouveau est désormais inévitable, on verra aussi ce qui est à critiquer chez nous.

PHILOSOPHIE

5

Si Picasso avait esquissé une Marianne : harmonie et hétérogénéité

Page 6: Nomenculture n°3

Icare Par Sandre

C’était un épouvantail comme un autre, avec de vieux habits délavés et plein de trous d'où s'échappaient de la paille, des brindilles   ; tout ce qui compose un épouvantail standard, en somme. Il surplombait son champ printemps, été, automne, hiver. Les enfants des paysans venaient jouer près de lui et parfois lui changeaient ses vêtements ou lui remettaient un peu de paille sous sa chemise à carreaux toute sale. Mais ces mêmes enfants grandirent et bientôt, ils n'avaient plus de temps pour lui, qui devenait trop triste pour eux.

La sol i tude le gagna. I l commença à sympathiser avec les oiseaux au lieu de les chasser. Ils lui racontaient leurs voyages dans la région ou plus loin, vers le Sud. Il les enviait, eux qui semblaient pouvoir aller où ils voulaient, sentir n'importe quel vent caresser leurs plumes, tandis que lui, tout ce qu'il connaissait c'était ce champ blé, le semis, le tallage, la montaison, l'épiaison, la floraison, la moisson et la friche. Sa seule sensation était celle de ce vent sec, de cette pluie glacée et du chatouillis insupportable des

épis de blés au bas de son piquet. Et petit à petit, les oiseaux commencèrent à lui taper sur le système, il les trouvait arrogants et son seul désir devenait celui de s'envoler, de se sortir le piquet qu'il avait dans le cul et d'aller narguer tous ces piafs de malheur.

L'occasion se présenta en automne. Le vent se déchaînait sur les plaines et il sut que c'était le moment, que s'il attendait plus longtemps il serait en trop mauvais état pour partir. Il pouvait sentir son piquet vaciller à chaque bourrasque ; il était vivant. Il gonfla ses haillons. Le moment fatidique approchait, le piquet n'allait plus tenir longtemps : il allait être libre. L'excitation était à son comble lorsque le piquet lâcha brusquement. Océan, l’épouvantail va te montrer qui il est !

Il s'effondra. Il tomba sans panache, et personne n'entendit le bruit de son impact sur le sol. En ce jour d'octobre, un épouvantail s'étala par terre, au milieu d'un champ de blé. Au moment où il heurta le sol, sa chemise craqua et de la paille se répandit aux alentours, emportée par le vent comme les cendres d'un mort dispersées au-dessus de la mer.

NOUVELLE

6

Page 7: Nomenculture n°3

La Silhouette Par Stanley Ange Cleuët

Une tension, des odeurs, une course effrénée. Plus vite ; il fallait qu'elle y arrive : la fuite était la seule solution. Son corps arrivait à ses limites, même mue par le désespoir, elle s'effondrerait bientôt.

Et une lumière parut.

Sa silhouette sinueuse s'extirpa de cette nuit de suie pour rejoindre une gare minuscule. Elle allait être sauvée  ; il fallait qu'elle monte dans un train et qu'elle fuit, aussi loin qu'elle le pouvait... Le quai, les odeurs de pin et aucun train avant une dizaine de minutes. Elle s'assit.

Son regard commença à errer sur le sol, des éclats de verre lui révélèrent un visage défait, égaré, sillonné par les larmes. Les pins, la chaleur et elle se rappela. Elle se rappela sa panique et son sentiment d'impuissance   ; sa fuite, son talon cassé et l'odeur d'une bouche d'égout et la fragrance collante des pinèdes et cette sensation d'être traquée et... et... Les émotions l'emplissaient avec une telle force qu'elle ne pouvait ni se calmer, ni se remémorer les évènements des dernières heures dans un ordre logique. Tout n'était que maelström, et ce sang qui battait à ses tempes   ; elle ne comprenait plus.

Un frémissement dans l'air, et ce train qui n'arrivait toujours pas. Elle se relevait, fit quelques pas sur le quai, elle avait les mains moites. Partir, attendre, sentir, penser, paniquer, se calmer, trembler. Un bruit, elle tendit le museau, l'affût. Rien. Il arrive. Une branche cassée, elle se retourna. Rien, encore. Les rails crissèrent au loin. Il arrivait. Il était là.

Et le bruit d'un train masqua le cri de terreur d'une femme.

NOUVELLE

7

Page 8: Nomenculture n°3

Les Mots du contre-jour Par Jean-Baptiste Colas-Gillot

Je ne peux pas bouger. Je sens mon corps engourdi, raide, à peine chaud. Mes jambes ont préféré déguerpir dans un rêve inconfortable et fuir ma vie qui est – avouons-le – une somme monstrueuse d’absurdités. Un stupide bonjour va bientôt me prendre mon moment à moi, le seul moment où je ne les entends pas, le seul moment où je ne vais pas prendre une pelle et les enterrer vivants. Pour l’instant, je savoure ce havre de paix : on m’a accordé un temps de repos bien mérité - ma place au paradis. Il n’y a pas beaucoup de lumière, il n’y en a même aucune, mais je préfère ne rien voir de mon imagination si dépitée. Aïe. Ma tête, elle, vient de heurter une paroi qui se situe approximativement juste au-dessus de moi. Je parviens maintenant à remuer un peu tous mes membres. J’avais raison, mon esprit est joueur   : je crois que je suis enfermé dans un je-ne-sais-quoi très solide, un cauchemar bien tenace. Je présume qu’il s’agit de l’ascenseur qui avait chuté de treize étages, dans lequel j’avais pu v ivre toutes les sensat ions de ma future claustrophobie. Coincé et affolé. J’essaie de réguler ma respiration alors que j’ai très envie de crier, hurler, aboyer, n’importe quoi pourvu que je me réveille. L’air semble se faire de plus en plus rare   : il faut que je m’apaise. En remuant compulsivement, j’ai effleuré quelques objets qui étaient sur mon ventre – je ne les avais pas encore remarqués. Alors que je suis plongé dans la pénombre, paradoxalement, je viens de reconnaître un objet familier. C’est un briquet que mon père m’avait offert   : que fait-il là   ? Certes je manque d’oxygène, mais il faut que je vérifie s’il y a une brèche dans les cloisons de l’ascenseur. Mes yeux s’habituent d’abord difficilement à la lumière, puis mon regard se focalise sur les objets que j’avais déjà délaissés : je n’aurai plus besoin de brèche. Je lance un œil furtif vers le bois qui m’entoure et me plonge dans une photographie abîmée que je retiens entre mes doigts – je décèle une partie manquante.

8

NOUVELLE

Page 9: Nomenculture n°3

« Tu crois toujours que tout le monde a besoin de toi car tu veux te persuader que tu n’es pas tout seul. Observe ton entourage, tu verras que nous pouvons tous vivre sans tes mots acides et tes phrases cinglantes. J’ai souvent envie de t’éloigner de nos enfants… Tu es dangereux pour eux. Notre vie n’est pas ton royaume, tu ne peux pas modeler ta famille à ton image. Si tu n’es pas heureux… »

Je reconnais ma femme, tout sourire, donnant la main à une ombre, déchirée. Ma main se crispe sur l’image et finalement je ne la retiens plus. Je lâche le briquet sans trop le vouloir également. J’assène avec mon poing un coup dans l’ébène qui m’enserre. Ma douleur n’a provoqué aucun écho ; je ne me réveille toujours pas. Je frappe, encore et encore et je saigne. J’ai mal, à peine, trop peu, et je respire difficilement. Je ne suis plus affolé, je m’abandonne à l’asphyxie lourde de mon ascenseur en bois. Je me fige quelques instants, pensif, et décide d’ouvrir l’enveloppe grise posée près de ma main gauche alors que je m’éclaire une fois de plus avec mon briquet. J’en sors une lettre rédigée à l’ordinateur, dont l’ouverture, manuscrite et n’ayant pas l’air d’avoir de lien avec la suite du texte, me glace le sang, net. Seuls ces quelques mots s’accumulent dans mes yeux, sans que je ne puisse encore lire les autres.

«  « Abandonnez ceux qui s’abandonnent eux-mêmes. » Ce Shakespeare que tu aimais tant. »

Je ne veux plus rien penser ; mon esprit est déjà beaucoup moins lourd sans tout l’air qu’il lui faudrait. Je racle largement ma gorge pour m’éviter quelques quintes de toux. J’aimerais brûler cette affreuse lettre   ; je ne le ferai pas. Je vais la lire, sachant par avance tous les éléments qui la composent. Je ne peux plus parler mais ces mots sont les miens – à quoi bon prétendre le contraire, personne ne me croirait. Je suis seul.

Mes deux enfants. Je ne serai pas long car il faut mettre un terme rapide à toute souffrance –   en l’occurrence la mienne et la vôtre. Je ne veux pas vous écorcher avec mes mots : ils sont maladroits mais j’aimerais qu’ils soient doux comme toute l’attention dont je manque encore cruellement maintenant, à votre égard. Je ne pense pas avoir été un bon père ni un bon mari pour votre mère. J’aurais aimé l’être mais je pense n’être fait que pour vivre seul, loin. J’ai fait beaucoup d’erreurs et il serait inutile de les éclairer ici. Je vous demande pardon, c’est la dernière chose qu’il me reste à faire. Je n’ai pas le courage d’autres mots, d’autres phrases... Je pars m’installer ailleurs. N’essayez pas de me rechercher, personne ne le pourra. Je penserai à vous, avec des souffles courts et étouffés d’un passé qui aurait pu ne pas s’enterrer si brusquement.

Adieu.

9

NOUVELLE

Page 10: Nomenculture n°3

La Fenêtre Par Laurence Roger

Le son léger d'un pas qui s'étend à l'infini, un chuchotement feutré... Gladys ouvrit lentement les yeux, promena un instant son regard ensommeillé sur les murs de la pièce avant de se réveiller totalement. Le monde autour d'elle n'était plus qu'une immense et improbable flaque blanche dans laquelle elle flottait, désemparée. Elle se redressa légèrement, désorientée, surprise par une douleur sourde dont elle ne parvint pas à trouver l'origine tout de suite. Quelques secondes passèrent ainsi,

avant que ses yeux ne s'accommodent à la clarté aveuglante de la pièce.

Une porte claqua. Ce bruit demeura un long moment dans sa tête. Comme un son venu de très loin et qui se répète indéfiniment, dans un écho discordant, jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la surdité. Une voix lui parvint soudain aux oreil les, tout aussi insondable. C'était la voix de quelqu'un qui disait que le temps était magnifique pour un mois de mars, quelqu'un qui s'inquiétait, qui voulait savoir si elle avait b ien dormi . La voix se mêla it , doucereuse, aux sons étouffés d'un froissement d'étoffe et à celui , discordant, d'un volet roulant. Gladys referma les yeux et passa la main sur son front, repoussant des mèches de cheveux imaginaires. Le contact de sa peau moite la saisit. Cette voix d'infirmière, ces murs, ces draps trop blancs. Une odeur ouatée d'hôpital. Hier, j'étais en train de me promener le long de la plage. Je suis restée longtemps à regarder la mer. Il faisait froid. Elle

marqua une pause : était-ce vraiment hier? Elle battit à nouveau des paupières. La femme la regardait d'un air bienveillant.

− « Vous vous sentez bien, mademoiselle Galvani ? »Mademoiselle ? Elle resta songeuse.

− « On vous a inscrite sous ce nom hier, vous ne vous en rappelez plus ? »de ses membres endoloris se réveillait peu à peu, et qu'une douleur muette se propageait dans tout son corps meurtri. L'infirmière referma la porte sur elle doucement.

10

NOUVELLE

Page 11: Nomenculture n°3

Devant le silence buté de Gladys, elle n'insista pas : « Vous devez être fatiguée, je repasserai plus tard. Je referai votre pansement. Vous allez aussi voir un médecin tout à l'heure. Et puis... Bon. Il vous dira pour le bébé. Le bébé  ? Machinalement, elle porta la main à son ventre. Oh mon Dieu... Et puis Galvani était son nom de jeune fille. Mais elle était mariée, maintenant, depuis déjà... oui, cela devait faire trois mois. Galvani, le bébé... Elle répéta ces mots doucement, sur un ton incertain, comme quelqu'un qui s'exerce à parler.

L'infirmière s'apprêtait à partir : «   Je vous laisse, vous semblez fatiguée   » répéta-t-elle encore. Puis elle ajouta, avec un sourire un peu trop dévoué : « Faites attention à vos bandages, ne remuez pas trop ». Gladys s'efforça de lui retourner son sourire, elle ne parvint qu'à produire un sourire crispé, tordu, tandis que chacun de ses membres endoloris se réveillait peu à peu, et qu'une douleur muette se propageait dans tout son corps meurtri. L'infirmière referma la porte sur elle doucement.

La jeune femme observa une tache pourpre sur son bras aux endroits de frottement. Elle détourna les yeux de la blessure qu'elle devinait sous le tissu cramoisi. Tout ce sang... Dans sa tête, un cri retentit, le cri d'une femme épouvantée. C'était sa voix à elle, pourquoi criait-elle ? Un bref instant, elle se crut dans un cauchemar, tout ceci ne devait pas, ne pouvait pas être réel. Mais le sang, lui, était bien là.

Alors elle se souvint. Chris qui la regardait d'un air pénétrant. Elle rentrait de la plage. Ses cheveux, décoiffés, glissaient sur ses épaules. Elle respirait l'air marin. Elle s'approchait de lui, s'avançait pour l'embrasser, pourquoi la repoussait-il   ? Il tenait quelque chose fermement dans son dos. Il la poussa violemment en arrière. Chris, non ! Pas ça, pas ça je t'en prie ! Tout lui revint à l'esprit, la course effrénée dans le corridor, la chute dans l'escalier, la porte fermée à clé, l'espoir d'atteindre le téléphone avant lui, les supplications et enfin cette douleur cuisante dans son avant-bras, lui faisant perdre connaissance. Le vide. Pourquoi, pourquoi Chris  ? Les larmes roulèrent sur ses joues. Elle aurait aimé avoir un enfant. Un garçon. Il se serait appelé Emmanuel. Elle pouvait presque entendre son rire, suave et cristallin, semblable au sien. Il aurait eu les cheveux blonds, comme son père, et des yeux vert-gris, comme elle. Elle lui aurait acheté l'ours en peluche qu'elle avait vu en vitrine la semaine précédente. Ils auraient formé une si belle famille. Mais dans son ventre, plus rien ne bougeait. Elle l'avait perdu, elle les avait perdus tous les deux, il était trop tard pour recommencer, trop tard pour pardonner, trop tard pour vivre. Elle se rappela.

L'éclat fascinant du couteau dans la main de Chris, la rudesse de l'escalier, la peur de perdre le bébé. La peur de mourir. Elle se leva alors, non sans peine, ôta la perfusion. Elle vacilla un peu, tentant désespérément d'ignorer les lancements douloureux dans tout son corps. Tant pis pour le médecin. Devrait-elle lui laisser un petit mot ? Cette idée grotesque lui arracha un sourire sans vie. Il ne lui restait plus que son cynisme désormais. Sa mélancolie peut-être.

Elle se dirigea vers la fenêtre. Elle l'ouvrit.

Alors qu'elle en enjambait le rebord, Gladys regarda le ciel. Il ne lui avait jamais paru aussi bleu.

11

NOUVELLE

Page 12: Nomenculture n°3

La Mangeuse de fictions Par Vincent Mey

La nuit les mots sont morts : les pages sont mordues

Un témoin a cru voir

Comme une belle femme, avec deux dents pointues,

Inscrite dans le noir.

Elle avait, ce soir-là, de l'encre aux coins des lèvres ;Maudite bouche en sang,

Au matin elle avait, sous un soleil de fièvres

Répandu de l'encens.

Insatiable bête, as-tu goûté ces livres

Et tout le cinéma ?Réponds-moi, créature aux yeux ivres,

Insensible puma !

"A quoi bon te répondre ? Ignorant, et sans rêve :Un repas de fiction

Libère le cerveau pour que l'âme s'élève

Toujours vers l'horizon !"

12

POÉSIE

Page 13: Nomenculture n°3

Poésie Par Laurence Roger

LES PASSANTS

Les passants vont leurs pas résonnentTout bas à peineDans l’interphone

Et dans l’arèneLe roi la cour et les valets

Tendent l’oreille sousLes klaxons et la sonnerie du téléphone

Se tait

Personne ne saitLes chevaliers

Posent pieds à terreSur l’échiquier les pions damnés

S’en vont enterrerLeurs regrets

Les plaies s’étirent à demi-mauxEt dans l’abîme des lendemains

Où s’entremêlent de faux desseinsS’abandonner et à défaut

Devenir fouD’un coup d’épéeFendre la foule

Feindre la fuite pour éperduPoser les pieds à corps perduPasser son tour lâcher la main

Des marionnettes et des pantins

DANS LES PALAIS DÉSENCHANTÉS

Dans les palais désenchantésLes ruines des châteaux hantés

Fantômes du soir quand tu t’en vasDouceur des démons réveillés

Les portes qui s’ouvrent et Les fenêtres les volets

Claquent et gémissent en grinçantLes ombres des arbres qui se confondent

Les nuages sombres les fleurs blondes

Et dans ma tête une farandoleDes rires d’enfants des mélodiesDes faux-fuyants des hyperbolesVouloir pouvoir y croire quand

Se laisse allerL’instant

Que seuls saventSous les salves

D’applaudissements ténusEt des cris assourdis de l’avenue

Les passantsQui se sauvent

En criant

13

POÉSIE

Page 14: Nomenculture n°3

Pour une autre 3D Par Simon Intando

Le cinéma est un art technologique. Depuis ses débuts, il a grandi en même temps que les technologies, réaffirmant et remodelant sans cesse son langage et sa structure. La technologie a enrichi le cinéma, l'a rendu plus complet, plus réaliste au fur et à mesure qu'elle évoluait. Le son d'abord, puis la couleur ont révolutionné la manière de faire des films, de penser la mise en scène, ainsi que le regard et l'appréhension du spectateur. Aujourd'hui une nouvelle révolution est en marche : la tri-dimensionnalité de l'image.

L'apparition massive et soudaine de la 3D dans nos salles offre de nouvelles perspectives artistiques au cinéma : celle de pouvoir sculpter les corps en mouvement, de construire et développer un environnement complexe autour des personnages, de sonder toutes les facettes émotionnelles d'un décor ou d'un visage, de rendre encore plus réaliste l'expérience cinématographique...

Mais que dire de la 3D aujourd'hui, sinon qu'en globalité, elle déçoit le cinéphile averti et attentif que je suis. Car, aussi prometteuse qu'elle soit, la 3D n'est que l'illusion de toutes les promesses qu'elle nous fait. Ce n'est pas sa nature même qui est remise en question mais surtout l'utilisation qu'on en fait à l'heure actuelle. C'est avec stupeur que, jusqu'à ce jour, j'appréhende chaque film projeté en 3D nouvellement sorti au cinéma. C'est avec tristesse que je constate comment une technologie prometteuse est mâchée, gâchée et recrachée ainsi à notre visage telle une poudre magique cachant la médiocrité d'une image ou d'un parti pris scénique. La 3D n'est pas aujourd'hui un outil artistique, mais un outil purement commercial, recherchant le buzz et le show, délaissant complètement le langage cinématographique au profit d'un langage de bourrin destiné aux nénettes en quête de sensations fortes et aux mecs à la recherche de testostérone.

C'est ainsi que nous est donnée la 3D au cinéma, alors qu'elle n'était réservée qu'à certaines attractions pour lesquelles le spectacle d'objets nous arrivant en plein visage est alors souhaité et même souhaitable, l'art n'ayant pas sa place à Disneyland ou au Futuroscope. Le septième art n'est pas une attraction et les multiplex sont loin du parc à thème.

Mais ne soyons pas fatalistes. À leur apparition, le son et la couleur étaient eux aussi des outils de grand spectacle destinés au cinéma ''grand public''. Ce n'est que plus tard que les auteurs de cinéma se sont approprié ces outils en ayant pour but la création et non le profit envers et contre tout. Pourquoi attendre  ? Car les producteurs, à l'apparition d'une nouvelle technologie, ne misent pas sur l'art et essai mais sur le show et le conventionnel qui font traditionnellement plus d'entrées, sécurisant ainsi leurs investissements.

C'est pourquoi il faut aujourd'hui être patient en attendant que les auteurs de cinéma se mettent à une nouvelle expression cinématographique sensible de la 3D. Après l'agréable surprise de Pina de Wim Wenders, ce n'est pas les prochains Michael Bay ou James Cameron que j'attends mais plutôt les prochains films de Herzog ou de Godard.

14

CINÉMA

Page 15: Nomenculture n°3

Littérature française ultra-contemporaine et décor étasunien Par Hubert Camus

En tant que membre du jury d’un concours de nouvelles lycéen depuis plus de quatre ans et que simple lecteur, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer l’importante présence du décor étasunien dans des

textes écrits par des français. Plusieurs pratiques existent.

La première est celle que l’on trouve la plupart du temps dans les textes de jeunes, du collège à l’Université. Ces auteurs, je n’ai pas dit écrivains, situent leur action aux États-Unis mais sans utilité artistique. C’est-à-dire que les mêmes personnages pourraient vivre la même histoire dans n’importe quelle ville développée   : il suffirait d’intervertir New-York avec Los Angeles ou de les remplacer par Londres, Lisbonne ou Hong Kong. Or si une histoire ou un personnage peuvent être universels, il ne doit pas en être de même du cadre, ou alors ce dernier peut simplement ne contenir aucune identification. Nombre de lycéens commencent leur texte par «   John Smith a toujours vécu à New-York, Big Apple. Il aime son pays, qui est le plus puissant du monde   ». Et puis… c’est tout. On n’entend plus parler de New-York. Pas une ligne ne décrit la b e a u t é d e C e n t r a l P a r k , l’effervescence de Times Square, les rues du Bronx, l’éclat de certaines villes et la faillite d’autres. Pourquoi ces jeunes précisent-ils que leur histoire se passe aux États-Unis si cela n’a aucun effet sur l’histoire   ? Si c’était pour l’exotisme, ils devraient y aller à fond. Je pense que la raison principale de ce choix est due à l’image d u p a y s - co n t i n e n t q u i e n émerveille plus d’un. Mais en art, si rien ne doit être justifié, tout doit avoir une raison.

La seconde pratique est heureusement la plus communément partagée. On la trouve chez presque tous les écrivains qui placent leurs personnages aux États-Unis, et on en a parfois l’agréable surprise dans des textes de lycéens ou étudiants. Je veux parler du décor étasunien qui sert l’action ou qui est rappelé dans la continuité du récit. Guillaume Musso ou Marc Levy, s’ils ne sont pas salués par toute la communauté littéraire, en sont l’exemple parfait   : tous les deux sont français et écrivent dans notre langue   ; ils ont vécu et travaillé aux États-Unis et plusieurs de leurs romans –   très grand public   – s’y déroulent. On peut ne pas aimer cette littérature, il n’en demeure pas moins qu’ils savent utiliser le décor qu’ils choisissent. Enfin, il existe un exemple canonique de l’utilité avérée du décor new-yorkais   : depuis maintenant dix ans, un nombre incalculable d’histoires a pour toile de fond le 11 septembre. Il y en a tant qu’on ne sait plus quoi en dire, mais il est toujours intéressant que la fiction s’appuie sur le réel.

Quoiqu’en tant qu’écrivain je n’aie aucune inclination pour envoyer mes personnages aux États-Unis, j’incite chaque auteur à se demander   : que va-t-il arriver à mon personnage à cet endroit, qui ne pourrait pas lui arriver ailleurs ? Je les incite aussi à sortir du canon étasunien  : j’ai presque l’impression de connaître New-York ou Chicago sans jamais avoir été aux États-Unis. Que les écrivains nous fassent voyager, mais aussi découvrir de nouvelles destinations.

15

INTERNATIONAL

La ville, un personnage à part entière

Page 16: Nomenculture n°3

NOMENCULTUREACTUALITÉ CULTURELLE

DE

LES

FEUILLETS

Nomenculture décline Les Feuillets, un mensuel porté sur l’actualité littéraire, culturelle et artistique.

Le numéro 0 sera disponible le 1er octobre.

PROCHAINE PUBLICATION : 21 DÉCEMBRE

D’ici-là, n’hésitez pas à envoyer vos textes à [email protected]

www.nomenculture.frISSN : 2115-7324

NOM

ENCULTURE

THÉORIE

PHILOSOPHIE

NOUVELLES

POÈMES

CINÉMA

INTERNATIONAL

P.3

P.4

P.6

P.12

P.14

P.15