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Tarif standard : 7euros • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus : 5 euros • Tarif de soutien : 10euros • Tarif étranger : 11euros N o 18 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 DOSSIER SCIENCES ET TECHNIQUES DES RÉPONSES PROGRESSISTES ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ LE GLYPHOSATE, MOLÉCULE DE LA DISCORDE par Gérard Le Puill TRAVAIL LES SOUFFRANCES DANS LES EMPLOIS DES FEMMES par Karen Messing SCIENCE LES LIAISONS DANGEREUSES DU RENSEIGNEMENT FRANÇAIS par Serge Abiteboul ZOOM SUR PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE par Minh Ha-Duong

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No 18 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

DOSSIER

SCIENCES ET TECHNIQUESDES RÉPONSES PROGRESSISTES

ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉLE GLYPHOSATE, MOLÉCULE DE LA DISCORDEpar Gérard Le Puill

TRAVAILLES SOUFFRANCES DANS LES EMPLOIS DES FEMMESpar Karen Messing

SCIENCELES LIAISONS DANGEREUSESDU RENSEIGNEMENT FRANÇAIS par Serge Abiteboul

ZOOM SUR

PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUEpar Minh Ha-Duong

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SOMMAIRE2 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

ÉDITO Politique et monde du travail, des liens à renouer Amar Bellal ......................................................................................... 3

Hommage à Paul Boccara ................................................................................................................................................................ 4

ZOOM SUR... LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE ............................................................................................................ 7

Le droit à l’énergie, dangereuse chimère ou juste exigence ? Minh Ha-Duong........................................................................ 8-13

DOSSIERSCIENCES ET TECHNIQUES DES RÉPONSES PROGRESSISTESÉDITO pour un Office national de l’information scientifique et technique Evariste Sanchez-Palencia .......................................15Le collectif et la raison Sébastien Elka .................................................................................................................................................16I. SANTÉ ET ENVIRONNEMENT ....................................................................................................................................................... 17-18II. ÉNERGIE ET CLIMAT .................................................................................................................................................................. 19-21III. INFORMATIQUE ET TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES ............................................................................................................... 21-23IV. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (ET ÉDUCATION SCIENTIFIQUE) ................................................................................................ 23-25V. RECHERCHE ET INNOVATION ................................................................................................................................................... 26-29

BRÈVES....................................................................................................................................................................................... 30

SCIENCE ET TECHNOLOGIESÉCURITÉ NATIONALE Les liaisons dangereuses du renseignement français Serge Abiteboul......................................................... 32HOMMAGE Maryam Mirzakhani, une mathématicienne d’exception Jean-Michel Bony .............................................................. 34CONQUÈTE SPATIALE Soixante ans après Spoutnik 1 Evariste Sanchez-Palencia................................................................................ 36HISTOIRE Sciences médiévales en terres d’islam Sylvie Nony........................................................................................................ 38ENVIRONNEMENT Obligations vertes et capitalisme vert : cherchez l’erreur ! Jean-Claude Cheinet.............................................. 40

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIEFORMATION FLOT et MOOC : les nouvelles formations en ligne Hervé Radureau............................................................................ 42SANTÉ Ordonnances Macron : profonde régression pour la santé au travail Annabelle Chassagnieux....................................... 44SANTÉ Plaidoyer pour les arrêts maladie Line Spielmann ................................................................................................................. 46SANTÉ Les souffrances dans les emplois des femmes Karen Messing ............................................................................................ 48

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉÉNERGIE Le renouvellement des concessions hydroélectriques Jacques Masson....................................................................... 51CLIMAT Changements globaux et incendies de forêts : comment s’adapter ? Thomas Curt................................................... 54AGRICULTURE Le glyphosate, molécule de la discorde Gérard Le Puill ......................................................................................... 56

LIVRES.......................................................................................................................................................................................... 58

Les sciences et les techniques au féminin : Rosalind Franklin.................................................................................................... 60

Progressistes (Trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 11 59 • Directeur honoraire : † Jean-Pierre Kahane • Directeur de la publication : Jean-François Bolzinger• Directeur de la rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints : AurélieBiancarelli-Lopes, Sébastien Elka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Responsable des rubriques : Ivan Lavallée, Jean-Claude Cheinet, Malou Jacob,Brèves : Emmanuel Berland • Vidéos et documentaires : Celia Sanchez • Livres : Delphine Miquel • Politique : Shirley Wirden • Jeux et stratégies : Taylan CoskunComptabilité et abonnements : Françoise Varoucas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona • Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen,Léa Bruido, Jean-Claude Cauvin, Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Michel Limousin, George Matti, Simone Mazauric,Hervé Radureau, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Françoise Varoucas • Conception graphique et maquette : Frédo Coyère • Expert associé : Luc FoulquierÉdité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0922 G 93175 • Imprimeur : Public imprim (12, ruePierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz, Igor Zamichiei.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

ÉDITORIAL

l a été théorisé que la politique ne se faisaitplus dans l’entreprise mais dans les quartiers,dans les villes, qu’il fallait en prendre acte et

en tirer les conclusions concernant les nouvellesformes d’organisation politique. Cette vision gagnepeu à peu des partis politiques pourtant histori-quement issus du monde du travail. Cela vient dela facilité à identifier ce qui est le plus visible etaccessible comme manifestation politique descitoyens au-delà des simples sondages d’opinion:les associations de quartiers, les nouvelles pra-tiques de consommation alternative, les expéri-mentations de productions, les initiatives soli-daires, etc. Elles sont bien visibles et identifiables,on peut assez facilement s’en contenter et tenirun discours voulant démontrer qu’il y a là lesgermes d’une nouvelle société, plus progressisteet solidaire. C’est ce qu’on nomme la « sociétécivile », élément de langage qui a envahi le pay-sage médiatique. Elle serait la préfiguration de ceà quoi nous aspirons à grande échelle pour lasociété entière ; en fait, c’est une solution de faci-lité face à la perte de repères actuelle.

Et pourtant ce n’est que la surface d’un océan danslequel tout ou presque nous échappe: je veux par-ler du monde du travail, ce grand oublié de la poli-tique, ces millions de salariés, cette réalité vécuequi se traduit pour chacun d’entre nous par desmilliers d’heures passées chaque année sur deslieux où se produit la richesse. La moitié de nosvies éveillées se déroulent dans et au travail… etcela ne pèserait plus rien, ou serait devenu sou-dainement secondaire ?

Il y a des multinationales plus puissantes que desÉtats, elles ont le pouvoir de dicter leur loi à descontinents entiers. Ce sont des lieux de pouvoirextraordinaires, où se décide l’essentiel de nos vies.Quel décalage avec la rhétorique mettant en avant,prioritairement, ce qui se passe en dehors de l’en-treprise ! Pourtant, il y a urgence à révéler le pou-voir tout aussi extraordinaire que détiennent lestravailleurs de ces entreprises, qui les font fonc-tionner et sans lesquels elles ne seraient plus rien.

Comme objection, nous avons tous entendu l’ar-gument selon lequel « les associations sont animées par des citoyens, qui sont eux-mêmes sala-riés, donc on touche aussi au monde du travail enprivilégiant l’activité politique dans les quartiers ».En réalité, l’écrasante majorité de ces salariéséchappent au politique, et même aux syndicatsqui connaissent eux aussi de réelles difficultés.Les derniers résultats des élections et l’état cata -strophique de la gauche, qui a atteint un niveauhistoriquement bas, le démontrent.

Les technologies numériques génèrent l’éclate-ment des collectifs, permettant de nouvelles formesde travail individualisé et rendant plus compli-quées la conscience du rapport d’exploitation(toujours à l’œuvre, mais plus difficile à déchif-frer), et aussi, facteur important, l’insécurité socialeet la peur de perdre son travail, qui n’encouragentni à se syndiquer ni même à s’engager dans unparti politique bien à gauche.

Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il faut renon-cer et céder à la facilité.

Pour renouer avec ce monde du travail, il faut commencer par écouter ces salariés, et surtout lesentendre pour élaborer des analyses et des pro-positions en adéquation avec leur réalité. C’est lacondition d’une dynamique vertueuse entre lapolitique et le monde du travail.

C’est ce à quoi nous nous attachons, dansProgressistes. Nous mettons nos pages à la dispo-sition de ces travailleurs qui ont développé uneexpertise dans leur domaine. Cela afin de déve-lopper des propositions à l’appui de leurs lutteset espérances, pour la conquête de moyens finan-ciers et de nouveaux pouvoirs. Nous ferons ensorte qu’il en soit toujours ainsi, c’est notre façonde contribuer à l’effort pour redresser la gauche.n

AMAR BELLAL, RÉDACTEUR EN CHEF DE PROGRESSISTES

Politique et monde du travail, des liens à renouer

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Paul Boccara, économiste, historien, anthropologue et communiste, nous a quittés� le 26 novembre dernier. Grand connaisseur de l'œuvre de Marx, l’universitaire Paul Boccara était un militant politique et un pédagogue. Ses nombreux ouvrages lui ont valu une renommée mondiale. Militant assidu du PCF, Paul Boccara s’est investi dans la recherche avec la volonté de renouveler la pensée marxiste en lien avec la pratique. Il a contribué ainsi au renouvellementde la pensée marxiste qu’il considérait ossifiée dans la vulgate marxiste-léniniste. Nous présentons à sa famille nos sincères condoléances. Nous avons une pensée particulière pour Catherine Mills, sa compagne, et Frédéric Boccara, son fils.

HOMMAGE À PAUL BOCCARA

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

Espace Niemeyerplace du colonel Fabien - Paris 19e

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NOUVEAUX TARIFS

NOUVEAUX TARIFS

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6 COMMANDEZ LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

N°17 BIODIVERSITÉLa biodiversité est aujourd'hui appropriéeet mise en péril au nom de logiques éco-nomiques et financières. Quelles politiquesmener pour la préserver ? C’est le thèmedu dossier. Nous faisons aussi le point surl'économie du pétrole avec les contribu-tions de Pierre-René Bauquis et DenisBabusiaux. À lire aussi, les rapports entrehumains et animaux au travail par JocelynePorcher, Sylvestre Huet sur les énergiesrenouvelables, et un texte de Gilles Cohen-Tanoudji sur le CERN.

N°16 HOMMAGE À JEAN-PIERRE KAHANEUn numéro dédié à notre camarade Jean-Pierre Kahane, mathématicien derenommée mondiale, cofondateur deProgressistes. Une sélection de ses derniers textes, mais aussi les hommagesqui lui ont été rendus par diverses person-nalités. À lire aussi, « La Chine en transi-tion énergétique » par Dominique Bari,« Failles et fragilité du monde numérique »par Francis Velain ou encore « Droit du travail : dernière étape du démantèlement?»par Léa Bruido et Jérôme Guardiola.

N°15 PÉTROLE, JUSQU’À QUAND?Grand oublié des débats sur l’énergie. Cenuméro revient sur les enjeux écono-miques, écologiques et géopolitiquesactuels et à venir autour de l’extraction dupétrole. À lire aussi, « La science écono-mique est-elle expérimentale ? » par AlainTournebise, « D’autres choix politiquespour retrouver un haut niveau de sécuritéferroviaire » par Daniel Sanchis, ou encore« Loi “travail” : quand le Web rencontre larue » par Sophie Binet.

N°14 INDUSTRIE PEURS ET PRÉCAUTIONFace aux peurs et à la désindustrialisation,comment lier sûreté et développement indus-triels ? Ce numéro montre que des conver-gences existent pour repenser la gestionde l’industrie afin qu’elle soit propre, sûreet utile. On lira aussi : « Scénarios 100%renouvelable, que valent-ils ? », « Jumelageentre syndicats français et cubains », etencore « L’ intérim, un essor spectaculaire-ment contradictoire ».

N°13 JEUNESSE, REGARD SUR LE PROGRÈSDonner la parole à des étudiants commu-nistes de toute la France sur des sujets aussidivers et fondamentaux que l’écologie, lestransports, l’énergie, l’industrie, l’agroali-mentaire ou encore la révolution numérique.Dans ce numéro, on lira également « Linky,mythes et réalités sur un compteur élec-trique » de Valérie Goncalves, « Faut-il débat-tre des terroristes ou du terrorisme? » parNicolas Martin ou encore un article sur lesjeux d’échecs par Taylan Coskun.

No 12 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUEAprès un éloge de la simplicité dû à Jean-Pierre Kahane, ce numéro complète le no 5et prolonge la réflexion sur la révolutionnumérique dans la société, et plus particu-lièrement dans l’organisation du travail. Ildonne la parole à des experts et syndica-listes confrontés aux remises en cause desconquêtes sociales. Vous y trouverez lesrubriques habituelles, un article sur ce quinous lie aux vers de terre, un texte d’ÉdouardBrézin sur les ondes gravitationnelles…

No 11 LE PROGRÈS AU FÉMININLes femmes dans le monde du travail etdans les métiers de la science, sous l’an-gle des combats féministes qui contribuentau projet d’émancipation humaine. Vousy trouverez des textes d’Hélène Langevin,de Catherine Vidal, Maryse Dumas, LaurenceCohen, Caroline Bardot… Dans ce numéro,une rubrique spéciale « Après la COP21 »et le point de vue de Sébastien Balibar,membre de l’Académie des sciences, ainsiqu’une contribution de Nicolas Gauvrit surles biais en psychologie.

No 10 UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENTAprès le gâchis industriel de l’entrepriseSanofi, sortir les médicaments du marchéet développer une filière industrielle s’im-pose. Ce dossier aborde aussi la néces-saire maîtrise publique du stockage de don-nées (big data) dans ce secteur. Il met enlumière les liens entre révolution numé-rique et nouvelles industrialisations, sousla plume de Marie-José Kotlicki, mais éga-lement la problématique du stockage desdéchets nucléaires grâce à Francis Sorin.

Tous les numéros sont téléchargeables gratuitement sur Le blog ! : revue-progressistes.org et sur revueprogressistes

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

n ZOOM SUR...

Minh Ha-Duong, directeur de recherche au CNRS, nous apporte deséléments pour penser hors des sentiers battus le problème de l’accèsuniversel à l’énergie, notamment en considérant notre réalité française etla réalité vietnamienne. Cette problématique à été l’objet de la conférencequ’il a prononcée le 26 août 2017 à Angers dans le cadre de l’universitéd’été du Parti communiste français.

LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

parties prenantes, comme lesecteur privé et les maires, auprocessus de négociation.Le septième objectif de déve-loppement durable est clair :« Garantir l’accès de tous à des

services énergétiques fiables,durables et modernes, à un coûtabordable. » Selon l’ONU, 3 mil-liards de personnes dépendentdu bois, du charbon ou desdéchets animaux pour la cuis-son et le chauffage. Et puisquel’énergie est le principal facteurcontribuant au changement cli-matique – elle représente envi-ron 60 % des émissions mon-diales de gaz à effet de serre –réduire l’intensité en carbonedans la production de l’énergieest une cible clé des objectifsclimatiques à long terme.Le tableau 1 illustre la situation

actuelle dans les deux pays exem-ples et dans le monde. En 2005,une personne sur cinq n’avait pasaccès à l’électricité. Le taux d’ac-cès s’améliore relativement rapi-dement, 85,3 % en 2014 dans lemonde. Mais cela signifie qu’il reste1 milliard d’humains hors réseau.Les énergies renouvelables repré-sentaient 18,3 % dans la consom-mation finale brute d’énergiemondiale en 2014. Il s’agit sur-tout de la biomasse chaleur etde l’hydroélectricité. La Franceest en dessous de la moyennemondiale, la part des énergiesrenouvelables étant inférieure

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Le droit à l’énergie, dangereuse chimè�reou juste exigence ?

ZOOM SUR LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE

Survivre au froid en hiver et au chaud en été est un des besoins humains essentiels, toutcomme manger cuit dans un air intérieur libre de fumée. L’objectif de développementdurable d’un « accès à une énergie propre et abordable pour tous » reconnaît ainsiun droit à l’énergie comme une juste exigence universelle. Mais le garantir au quotidienpour 7 milliards de contemporains soulève des questions pratiques. Les pays en déve-loppement ont-ils le droit d’utiliser les énergies fossiles comme l’ont fait les pays riches?Comment définir et repérer les ménages en situation de précarité énergétique, etcomment les aider? Ce texte propose quelques réponses concrètes, qui s’appuient surle cas d’un pays riche, la France, et d’un pays à revenu intermédiaire, le Vietnam.

UN OBJECTIF DU DÉVELOPPEMENT DURABLEEn 2015, l’Organisation desNations unies a publié l’Agenda2030 qui résume les aspirationscollectives de l’humanité en dix-sept objectifs de développe-ment durable: pas de pauvreté;faim « zéro » ; bonne santé etbien-être ; éducation de qua-lité… Sans être juridiquementcontraignant, cet agenda a lemérite d’avoir été adopté offi-ciellement par les 193 Étatsmembres de l’ONU, après uneparticipation sans précédentde la société civile et d’autres

ÉNERGIE : INDICATEURS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE Source : UNStats

FRANCE VIETNAM MONDE

2014Variation sur 10 ans

2014Variation sur 10 ans

2014Variation sur 9 ans

Proportion de la population ayant accès à l’électricité (en %)

100 = 99,2 + 8,5 85,3 + 5,1

Part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie(en %)

13,1 + 4,2 36,2 – 9,8 18,3 + 1,4

Intensité énergétique (consommation d’énergie primaire en MJ/PIB, en dollars PPP1 2011)

4,1 – 0,9 5,7 – 0,4 5,5 – 1,2

1. Purchasing power party, en français « parité de pouvoir d’achat » ; cette parité ne se fonde donc pas sur les taux de conversion monétaire.

Tableau 1

Minh Ha-Duong

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

à celle du nucléaire, des pro-duits pétroliers et du gaz.L’économie française, de plusen plus fondée sur les services,est relativement peu consom-matrice d’énergie. En termesde part d’énergies renouvela-bles, le Vietnam faisait mieuxque la moyenne mondiale en2014, mais la consommationde charbon et de gaz y est enaugmentation rapide du faitque les installations hydroélec-triques ont atteint leur maxi-mum. Et l’efficacité énergétiqueglobale de son économie estplus faible que la moyenne mon-diale : on ouvre des usines dansle pays.Les pays riches, comme la France,se sont industrialisés en brû-lant des énergies fossiles.Personne ne conteste aux paysqui s’industrialisent, comme le

Vietnam, que le droit à l’éner-gie fait partie du droit au déve-loppement. Mais n’est-ce pasune dangereuse chimère si leréchauffement global doit res-ter sous la barre des 2 °C ? ÀWashington, en mai 2016, JimYong Kim, président de la Banque

mondiale, lançait cet avertisse-ment: « If Vietnam goes forwardwith 40GW of coal, if the entireregion implements the coal-based plans right now, I thinkwe are finished » (« Si le Vietnamcontinue de se développer avec40 GW produits grâce au char-bon, si toute la région continue

de mettre en œuvre des plansfondés sur le charbon, je penseque c’est fini »).La diplomatie internationaletente de mettre en œuvre deuxidées pour résoudre ce pro-blème. La première est le déve-loppement durable. On ne peut

pas prédire l’avenir, mais commeune grande partie des trajec-toires sociales peuvent être anti-cipées, il est utile de poser commeaxiome qu’il est possible derépondre aux besoins des géné-rations présentes sans sacrifierla capacité des générationsfutures à répondre aux leurs.

Cela donne aux acteurs une idéede la direction à prendre. Ledéveloppement durable est uneapproche pascalienne du pro-blème de Malthus.La seconde idée est le principede responsabilité commune maisdifférenciée. Il dit que les paysdéveloppés doivent prendre latête dans la lutte contre le chan-gement climatique. Durant ladernière décennie, le coût del’énergie éolienne et de l’éner-gie solaire photovoltaïque abeaucoup baissé, résultat desdépenses d’investissementsmassives dans les pays riches.Les petits consommateurs euro-péens ont vu le prix de leur élec-tricité augmenter principale-ment en raison de la hausse descoûts du soutien aux énergiesrenouvelables et des coûts desréseaux. Ainsi, le prix de l’élec-

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Selon l’ONU, 3 milliards de personnes dépendent du bois, du charbon ou des déchets animaux pour la cuisson et le chauffage.

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tricité pour les ménagesAllemands a plus que doubléentre 2000 et 2013, passant de13,94 à 28,73 centimes d’euro

par kilowattheure. Le déploie-ment de l’industrie a divisé leprix des panneaux photo -voltaïques par trois en dix ans.Aujourd’hui, produire de l’élec-tricité à partir du vent et durayonnement solaire peut êtreaussi économique que de la pro-duire à partir du charbon.Espérons que demain le Vietnamen tiendra compte dans sonprochain plan de développe-ment énergétique.

DÉFINIR LA PRÉCARITÉÉNERGÉTIQUE POUR REPÉRERLES MÉNAGES EN DIFFICULTÉLes critères onusiens sontutiles, mais insuffisants pouréclairer les détails fins du pro-blème de l’accès de tous àl’énergie. Occuper un loge-ment raccordé au réseau élec-trique n’immunise pas contrela précarité énergétique, défi-nie en France comme la dif-

ficulté qu’éprouve une per-sonne dans son logement « àdisposer de la fourniture d’éner-gie nécessaire à la satisfaction

de ses besoins élémentaires enraison de l’inadaptation de sesressources ou de ses conditionsd’habitat » (loi Grenelle II dejuillet 2010). Trois approchespermettent de préciser davan-tage la définition : par la quan-tité, par le budget, par la satis-faction perçue.La première approche consisteà comparer la consommationd’énergie à un seuil de pau-vreté énergétique, défini enréférence à une notion debesoin de base. La deuxièmeconduit à examiner la factureénergétique payée par lesménages, en la divisant par lerevenu total pour tenir comptedes inégalités de niveaux devie: le quotient est appelé « tauxd’effort énergétique ». La troi-sième approche fait référenceà la qualité des services éner-gétiques reçus ; elle peut s’éva-luer par questionnaire.

Approche par la quantitéQuand peut-on dire qu’unménage n’a pas assez d’énergiepour ses besoins de base?La réponse est bien sûr à modu-ler en fonction du climat, dulogement, de la taille de lafamille et de la performancetechnique des équipements,mais le tableau 2 montre que30 kWh/mois permettent desatisfaire les besoins fondamen-taux de communication, eaupotable, éclairage, ventilation.Pour utiliser en plus un réfrigé-rateur, un téléviseur ou un auto-cuiseur, il faut dépasser les100 kWh/mois d’électricité.

Au Vietnam, en 2014, environun quart des ménages consom-mait moins de 50 kWh/mois, etla moitié moins de 100 kWh. EnFrance, en 2016, la consomma-tion moyenne par foyer était de390 kWh par mois. Cette com-paraison suggère que ce qu’unesociété considère comme leniveau des besoins élémentairesest déterminé par son histoireet sa culture autant que par leclimat.En France, un logement décentdoit comporter des équipe-ments de production d’eauchaude et de chauffage (enmétropole) ; et s’il est meublé,des plaques de cuisson, un four,

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ZOOM SUR LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE

Depuis 2014, un chiffre circule : 1 Français sur 5 est ensituation de précarité énergétique. Cette statistiqueeffrayante provient de l’observation qu’environ 4 millionsde foyers consacrent plus de 10 % de leurs revenus àleurs dépenses en énergie (incluant électricité,carburants, fuel, gaz).

CONSOMMATION D’ÉLECTRICITÉ POUR QUELQUES SERVICES COURANTS

CONSOMMATIONMENSUELLE

SERVICE RENDU

1 kWhCommunication : charger un téléphone tous les jours

2 kWh Eau potable : 5 bouteilles par jour

7 kWhÉclairage : 4 lampes efficaces quatre heures par jour

17 kWhConfort thermique : ventilateur huit heures par jour

23 kWh Autocuiseur ou téléviseur

50 kWh Réfrigération

60 kWhConfort thermique : air conditionné ou chauffage électrique, deux heures par jour

Source : estimations auteur.

Tableau 2

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un réfrigérateur, un congéla-teur, des luminaires. La loi surla transition énergétique pré-voyait d’inclure un critère de

performance énergétique dansla définition du logement décent,et ce pour forcer les bailleursde « passoires thermiques » àrénover. Le décret de mars2017pris en application est biendécevant sur ce point, puisqu’ilse borne à imposer la protec-tion contre les infiltrations d’airparasites. Éliminer les ventscoulis ne va pas suffire à sortirbeaucoup de locataires de laprécarité énergétique.

L’approche par les difficultésbudgétaires (l’énergie dans le budget du ménage)En termes de facture électrique,les 390 kWh/mois consomméspar le ménage français moyencoûtent 775 € par an (65 €/mois).Rapporté au revenu médian de20150 € par an et par ménage(1679 €/mois), cela correspondà un taux d’effort du budgetélectricité de 3,9 % du revenu.Au Vietnam, nous estimonsqu’en 2014 la moitié des

ménages paye moins de 2,1 %du revenu pour l’électricité. Letaux d’effort pour la France cor-respond à peu près à la moyenne

mondiale, c’est au Vietnam quel’électricité est relativementpeu chère.Depuis 2014, un chiffre circule :1 Français sur 5 est en situationde précarité énergétique. Cettestatistique effrayante provientde l’observation qu’environ4 millions de foyers consacrentplus de 10 % de leurs revenus àleurs dépenses en énergie(incluant électricité, carburants,fuel, gaz). Pis encore, si on défi-nit la vulnérabilité énergétiquecomme étant la situation d’unménage qui dépense plus de8% de ses revenus pour le chauf-fage ou plus de 4 ; 5 % pour sesdéplacements, alors 5,9 mil-lions de ménages étaient concer-nés en 2008.Mais un taux d’effort budgé-taire élevé peut caractériseraussi bien des ménages aisésqui ne se soucient pas de leurfacture que des petits retraitésvivant dans des maisons malisolées. L’approche par les dif-

ficultés budgétaires doit aussitenir compte du niveau absoludu revenu. Si l’on ne considèreque les ménages faisant partiedes 30 % les plus pauvres, cen’est plus 1 Français sur 5 maisun 1 sur 10 qui était concerné(chiffres de 2006). D’autres défi-nitions de « bas revenu » et de« dépense élevée » sont possi-bles, qui conduisent à des résul-tats pouvant varier de 6 % à 13 %selon l’analyse de l’Observatoirenational de la précarité éner-gétique (ONPE, 2016).D’après nos calculs, moins de1 % des ménages vietnamiensdoivent consentir un effort bud-gétaire élevé pour l’électricité…et sont officiellement pauvres.Pourtant, la France n’est pasvraiment en retard sur le Vietnamdans l’accès à l’énergie! La com-paraison montre que l’approchepar les difficultés budgétairesdépend de seuils de précaritéchoisis arbitrairement: 10 % durevenu, 30 % des ménages…L’approche a le mérite d’êtresensible à la problématique duprix de l’énergie, mais le niveauabsolu du résultat a surtout unevaleur médiatique pour attirerl’attention sur le problème.

Approche par la satisfaction perçueCette approche – dite aussidéclarative – concerne lesménages déclarant souffrir du

froid en hiver ou des besoinsinsatisfaits.Le problème est qu’en Francedes gens meurent de froid enhiver. Une enquête demandantaux répondants s’ils souffrentdu froid permet d’appréhen-der ce risque dans la popula-tion. En 2013, 6 % des ménagesfrançais dans les trois premiersdéciles de revenus par unité deconsommation ont déclaré subirune sensation de froid en rai-son d’un motif lié à la préca-rité énergétique (installationinsuffisante ou en panne, rai-son financière, coupure du four-nisseur d’énergie consécutiveà une facture impayée et mau-vaise isolation du logement).Ce chiffre correspond à envi-ron 4,1 millions d’individus, etest en légère augmentation parrapport à 2006.Au Vietnam, l’enquête natio-nale sur les conditions de viedes ménages pose périodique-ment la question « La consom-mation d’électricité de votrefoyer au cours des 30 derniersjours a-t-elle été suffisante pourvos besoins? ». En 2010, un quartde la population était insatis-fait; en 2014 ce chiffre est tombéà 2,7 % ! Ce progrès extraordi-naire s’explique, à notre avis,par l’amélioration de la fiabi-lité de la fourniture d’électri-cité. L’augmentation des capa-cités de génération a permis

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

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Si l’on ne considère que les ménages faisant partie des30 % les plus pauvres, ce n’est plus 1 Français sur 5mais un 1 sur 10 qui était concerné (chiffres de 2006).

En 2005, une personne sur cinq n’avait pas accès à l’électricité. Le taux d’accès s’améliore relativement rapidement, 85,3 % en 2014 dans le monde.Mais cela signifie qu’il reste 1 milliard d’humains hors réseau.

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de sortir d’une situation derationnement par des déles-tages quotidiens.L’approche déclarative est sub-jective, elle a aussi ses limites.Par exemple, en France la tem-pérature de chauffe augmentemais la sensation de froid per-çue aussi. La réponse dépenddonc aussi beaucoup de la ques-tion. Et le niveau de satisfactionélevé au Vietnam, bien qu’unquart de ménages consommemoins de 50 kWh/mois, s’ex-plique parce que la demandedépend pour beaucoup du taux

d’équipement. Dans l’absolu,la misère inacceptable des unsdans un pays riche est à mettreen regard de la pauvreté dignedes autres. Le droit à l’énergiene peut s’évaluer que dans unesociété donnée.En somme, ces trois approchesde la précarité énergétique éclai-rent trois aspects de ce qu’il fautbien appeler la misère. Ces troisapproches ciblent des ménagesdifférents, autant en Francequ’au Vietnam. D’après l’Obser -vatoire national de la précaritéénergétique, 6 millions deménages en France (20,4 %)sont concernés par au moinsl’une d’elles, soit 12 millionsd’individus. On retrouve le ratiode 1 sur 5 qui fait le buzz. Maisle noyau de la précarité éner-gétique, qui regroupe lesménages en situation d’incon-fort thermique et économique,concerne 1 million de ménages,soit 2,6 millions de mal-logésen France.

ASSURER L’ACCÈS À L’ÉNERGIEEn France comme au Vietnam,l’État assume un rôle d’aide auxplus démunis pour accéder aux

services énergétiques essen-tiels. Il le fait en particulier parl’électrification rurale, qui estun vecteur de construction natio-nale. Les aides au raccordementet la péréquation tarifaire maté-rialisent une forme de solida-rité nationale et d’égalité dansl’accès au service public.Certaines îles payent l’électri-cité plus cher que la métropole,mais les justifications techniquessont compréhensibles : il s’agitde zones non connectées aureste du réseau.Dans les deux pays encore, l’État

met en œuvre, historiquement,deux instruments sociaux: sub-ventions directes aux ménageset contrôle du prix de l’électri-cité. En France, le tarif régle-menté cohabite certes avec uneoffre dérégulée à prix de mar-ché, mais seuls 12 % des ménagesy ont recours (fin 2016).Le prix de l’électricité résulted’un compromis de politiqueéconomique et environnemen-tale répondant à plusieurs objec-tifs fondamentaux.1. Le tarif de l’électricité est undes leviers de contrôle directde l’inflation. Ainsi, au Vietnamen 2008-2010 le gouvernementa laissé stable le tarif de l’élec-tricité pour les consommateursde moins de 50 kWh/mois, alorsmême que la crise asiatiqueentraînait une hausse des prixgénéralisée supérieure à 8 %par an.2.Le coût pour les ménages doitêtre assez bas pour y permet-tre l’accès de tous. En France,en 2015, il y a eu pour impayés476000 réductions de puissanceet résiliations à l’initiative desfournisseurs d’électricité, et101000 coupures à l’initiativedes fournisseurs de gaz. La struc-

ture centralisée avec un réseauunique du secteur justifie quel’État intervienne pour éviterque le monopole (ou un cartelde producteurs) n’utilise sonpouvoir de marché au détri-ment des consommateurs.3.Cependant, un coût trop basn’incite pas les consommateursà faire des économies d’éner-gie. Comparé aux autres payseuropéens, le prix de l’élec tri-cité en France est bas : en 2014, le kilowattheure coûtait15,85 centimes d’euro, contre29,81 en Allemagne et 24,46 enItalie. On peut penser que celaexplique le fort développementdu chauffage électrique dansl’Hexagone, qui exacerbeaujourd’hui les problèmes deprécarité énergétique. Le butultime du droit à l’énergie n’estpas d’augmenter la consom-mation en joules, mais l’accèsaux services énergétiques: com-munication, éclairage, confortthermique, mobilité.4.Le prix de vente doit être assezélevé pour permettre aux pro-ducteurs et aux réseaux de cou-vrir leurs coûts. Il s’agit non seu-lement des coûts proportionnelsà la production d’électricité,mais aussi de la rentabilité des

investissements pour dévelop-per le système. Il faut des capi-taux pour augmenter la capa-cité de production totale dansun pays comme le Vietnam. EnFrance, même si la demandeest maîtrisée, développer dessources d’énergie renouvela-bles demande aussi du finan-cement.Au final, le tarif en France sedécompose en trois parties. Ungros tiers pour la fournitured’énergie, qui couvre les coûtsde production et de commer-cialisation. Un petit tiers pour

l’acheminement, qui sert à rému-nérer les gestionnaires de réseaude transport et de distributiond’électricité. Et un tiers de taxeset équivalents, dont, en parti-culier, la contribution au ser-vice public de l’électricité,laquelle est en forte hausse pourfinancer la transition énergé-tique et la solidarité.Jusqu’en 2017, la solidarité contrela précarité énergétique se fai-sait par l’accès à des tarifs sociauxdu gaz et de l’électricité pourles abonnés, sous condition deressources, en fonction de lacomposition du ménage. Àcompter de 2018, ce dispositifest simplifié et remplacé par unchèque énergie, lequel n’est pluslié au contrat d’abonnement :il peut être utilisé quel que soitle moyen de chauffage, pour le fioul ou le bois par exemple.Il peut également financer unepartie des travaux d’économiesd’énergie dans le logement.

Nous avons présenté plus hauttrois approches pour identifierla précarité énergétique, et nousavons vu qu’il n’y a pas de cri-tère idéal. En pratique, il seraitpeu pertinent de conditionnerune aide directe à une simple

déclaration de sensation defroid, ou même de la fonder surune estimation de consomma-tion d’énergie de l’année pré-cédente. C’est le critère de revenuqui a été retenu. Le bénéfice duchèque énergie est ouvert auxménages dont le revenu fiscalde référence annuel par unitéde consommation est inférieurà 7700 €, occupant un logementsoumis à la taxe d’habitation.La simplification du critère d’at-tribution a permis de rendreautomatique l’envoi du chèque.Il n’y a pas de démarche à faire,

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ZOOM SUR LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE

Au Vietnam, l’enquête nationale sur les conditions de vie des ménages pose périodiquement la question : « La consommation d’électricité de votre foyer au coursdes 30 derniers jours a-t-elle été suffisante pour vosbesoins? ». En 2010, un quart de la population étaitinsatisfait; en 2014 ce chiffre est tombé à 2,7 %!

Le Vietnam offre aussi des aides aux plus pauvres pourl’accès à l’électricité. Des programmes de raccordementgratuit sont mis en œuvre, certains avec l’aideinternationale. Des subventions directes limitées à30 kWh/mois sont accordées aux ménages pauvres.

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ce qui améliore notablement laportée du dispositif par rapportaux tarifs sociaux précédents.Le montant de l’aide s’évalue à150 €en moyenne. Il va de 48 €pour une personne isolée aurevenu compris entre 6700 €et7700 €par an, à 227 €pour unménage de quatre ou plus aurevenu annuel inférieur à 5500 €.La première ou seule personnedu ménage constitue une unitéde consommation; la deuxièmepersonne est prise en comptepour 0,5 unité de consomma-tion ; la troisième personne etchaque personne supplémen-taire pour 0,3 unité de consom-mation. Le montant de 150 €correspond par exemple, à45 kWh/mois sur une factured’électricité: 540 kWh dans l’an-née à 15 centimes, plus un abon-nement annuel à 70 €. Au regarddu tableau 2, on voit que le dis-positif ne subventionne pas lechauffage électrique mais bienles services essentiels.Le chèque énergie ne concernecependant pas toute la préca-rité énergétique. Pour les sans-papiers et sans domicile fixe,l’accès aux services énergétiquesessentiels doit être assuré pard’autres dispositifs.Le Vietnam offre aussi des aidesaux plus pauvres pour l’accès àl’électricité. Des programmesde raccordement gratuit sontmis en œuvre, certains avec

l’aide internationale. Des sub-ventions directes limitées à30 kWh/mois sont accordéesaux ménages pauvres (revenumensuel inférieur à 20 € parpersonne), mais les démarchesadministratives nécessaires limi-tent la portée du dispositif. Deplus, le Vietnam met en œuvreune tarification progressive del’électricité : les gros consom-mateurs paient plus cher queles petits. Pour illustrer le prin-cipe, considérons un ménage

qui consommerait 130 kWh parmois. Sa consommation totaleest divisée en blocs de 50 kWh,dont le prix va croissant :1 484 dongs le kilowattheurepour le premier bloc ; 1533 dongspour le deuxième ; 1786 dongspour le troisième… Sa fac turetotale serait donc alors de204 430 dongs (1 € = 26 370dongs), soit 1484 × 50 + 1533× 50 + 1786 × 30.Le système de la tarificationprogressive est répandu dansle monde. En France, la loi

Brottes, qui prévoyait la miseen place d’un système debonus/malus, a même été votéeen 2013 avant d’être largementcensurée par le Conseil consti-tutionnel. Cette loi avait unobjectif double, puisque la par-tie « bonus » pour les petitsconsommateurs » visait àréduire la précarité énergé-tique, alors que la partie«malus » pour les gros consom-mateurs visait à inciter auxéconomies d’énergie.

La tarification progressive pré-sente des avantages et des limites.Globalement, elle va bien dansle sens d’une redistribution auprofit des ménages les plus pau-vres. Au Vietnam, les 25 % desménages dans le premier blocpayent leur électricité en des-sous de son coût de productionmoyen : ils bénéficient d’untransfert de la part des autresconsommateurs. Cet avantageest d’autant plus significatif quele tarif de l’électricité avec unabonnement fixe plus une par-tie variable proportionnelle àla consommation est régressif :il avantage les gros consomma-teurs, dans la mesure où la partdu fixe devient proportionnel-lement moindre.Par ailleurs, la tarification pro-gressive joue contre les famillesnombreuses. Au Vietnam, il estpossible sous certaines condi-tions de fractionner une factureen plusieurs abonnements. Unemaison occupée par deuxfamilles peut avoir deux comp-teurs, mais cela crée un effetpervers : quand la maison estensuite louée à une seule famille,il y a avantage à garder les deuxcompteurs. Le système joueaussi contre les locataires iso-lés, comme les ouvriers ou les

étudiants : alors même qu’ils’agit des populations les plusprécaires, leur propriétaire bail-leur refacture l’électricité autarif le plus élevé.

CONCLUSIONLe droit à l’énergie est une justeexigence reconnue par tous lesgouvernements, il participe desobjectifs du développementdurable.Les pays pauvres ont le droitd’augmenter leur productiond’énergie. Cela peut aujourd’huise faire à faible impact environ-nemental parce que le principede responsabilité communemais différenciée a été respecté.Les pays riches ont pris la têtedans la lutte contre le change-ment climatique en investis-sant massivement dans les éner-gies renouvelables, ce qui a faitbaisser leur coût.Les ménages pauvres ont ledroit d’accéder aux servicesénergétiques essentiels. Il n’ya pas de baguette magique pouréradiquer la précarité énergé-tique. La tarification progres-sive de l’électricité, mise enœuvre dans des dizaines depays comme le Vietnam, estrejetée en France au profit duchèque énergie. Ce systèmed’aide directe et multi-énergieaux plus pauvres, instauré àcompter de 2018, améliore ledispositif précédent de tarifssociaux de l’électricité et dugaz. Il est plus simple, plus sys-tématique et va concerner plusde ménages. Il reste à évaluers’il réduit effectivement le noyaude 1 million de ménages fran-çais en situation d’inconfortthermique et économique.n

*MINH HA-DUONG.

POUR EN SAVOIR PLUSMinh Ha-Duong et Hoai Son Nguyen,« Is electricity affordable and reliablefor all in Vietnam ? », in CIREDWorking Papers, no 65, juillet 2017.Charles-André Bernard et OlivierTeissier, Analyse de la précaritéénergétique à la lumière de l’Enquêtenationale Logement (ENL) 2013,étude CSTB cofinancée par l’ADEME,publiée par l’Observatoire national dela précarité énergétique, 2016.

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

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En France, la solidarité contre la précarité énergétique se faisait par l’accès à des tarifs sociaux du gaz et de l’électricité pour les abonnés, sous condition de ressources, en fonction de la composition du ménage. À compter de 2018, ce dispositif est simplifié et remplacépar un chèque énergie.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

DOSSIER14 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

SCIENCES ET TECHNIQUESDES RÉPONSESPROGRESSISTES

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

PAR EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA*,

a science et la technologie conditionnent et imprègnentles mutations rapides de notre société et de nos modes devie. Il s’agit pour nous, plus que jamais, de comprendre la

causalité des changements en cours, de savoir séparer le possi-ble de l’impossible, l’inéluctable de l’optionnel et, autant quepossible, de prévoir les conséquences denos choix dans un contexte internationallargement débridé.

Nous assistons depuis une trentaine d’an-nées à une désaffection progressive denotre société, et très particulièrement denotre jeunesse, pour les sciences. La connais-sance scientifique cède la place à des opi-nions, voire des convictions, souvent incom-patibles avec l’objectivité de la nature etde ses contraintes et même parfois avecla logique la plus élémentaire.

Il faut saluer l’initiative d’un groupe descientifiques qui a adressé aux candidatsà la dernière élection présidentielle un questionnaire sur la poli-tique qu’ils comptaient mener sur des questions touchant lessciences. Le Parti communiste, contacté à ce propos bien que neprésentant pas de candidat, a saisi l’occasion pour donner desréponses et mener une réflexion sur un pan de la vie politiquequi est appelé à jouer un rôle crucial dans un avenir proche. Cesont ces réponses que Progressistes publie ici pour faire connaî-tre nos options et éveiller l’intérêt pour ces sujets malencontreu-sement évités par nombre de responsables politiques.

Au-delà de ces réponses, il y aurait un intérêt certain à la créa-tion d’un « Office national de l’information scientifique et tech-nique ». Notre société souffre d’un manque de transmission dela connaissance scientifique vers la communauté des citoyens.La vulgarisation de haut niveau des faits scientifiques indiscuta-

bles et l’explication de la nature, de laconnaissance – indépendante des croyances,des opinions et des souhaits –, sont incon-tournables pour nous situer dans le mondeen tant que citoyens responsables. Un teloffice aurait donc pour objet de dévelop-per une connaissance lucide, parfaitementarticulée avec une laïcité active et respon-sable. Il devrait en particulier assister lesenseignants en leur fournissant des cléspédagogiques pour la transmission desconnaissances dans des situations conflic-tuelles, par exemple lors de la gestion dedésaccords entre le contenu des cours etdes croyances enracinées avant l’accès àl’enseignement. Ce type de problèmes

conduit au blocage de l’acquisition de connaissances, au déni-grement de l’enseignement et à la destruction du lien social.

Puissent nos prises de position et nos souhaits éveiller l’intérêtpour une thématique de la plus grande actualité, appelée à devenir l’une des clés des échéances politiques et sociétales quiapprochent ! n

*EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA, est mathématicien. Il est membre

de l’Académie des sciences.

POUR UN OFFICE NATIONAL DE L’INFORMATION SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

L

«Le Parti communiste, bien quene présentant pas de candidatà l’élection présidentielle, a saisil’occasion pour donner desréponses et mener une réflexionsur un pan de la vie politiquequi est appelé à jouer un rôlecrucial dans un avenir proche.»

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

DOSSIER16 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

u printemps 2017, un questionnaire1 a été adressé auxcandidats à l’élection présidentielle par des scientifiquesfrançais renommés, affirmant le rôle des scientifiques

citoyens dans la vie publique et leur volonté d’interroger les res-ponsables politiques sur les enjeux associés aux principaux sujetsscientifiques et techniques de notre époque.

Aux yeux des communistes français, qui ont la volonté d’alliertoujours la participation populaire la plus large avec le meilleurde l’intelligence humaine, cette démarche est assurément labienvenue. On ne saurait opposer l’expertise scientifique à ladécision démocratique, car seul un effort permanent de diffu-sion et d’appropriation large des connaissances est constitutifd’une démocratie réelle. Dans une période de doute et d’inquié-tudes populaires, face aux peurs légitimes ou manipulées, il y aurgence à mener des politiques résolues et toujours conjointesde production et de diffusion des savoirs – en mobilisant tousles canaux de transmission, enseignement de tous niveaux, édu-cation populaire, formation tout au long de la vie, médias et sup-ports d’information traditionnels et numériques, etc. – dans lerespect à la fois de l’indépendance intellectuelle des travailleursscientifiques et de l’aspiration citoyenne à participer aux choixscientifiques et techniques.C’est pourquoi, même s’ils ne présentaient pas de candidat à laprésidentielle de 2017 et qu’ils n’étaient donc pas éligibles àpublier ces réponses de la manière prévue par les initiateurs duquestionnaire, les communistes ont décidé de consolider euxaussi leurs réponses aux questions posées. Ils l’ont fait en croi-sant les avis des groupes de travail thématiques internes du Particommuniste2 et la contribution d’un groupe d’éminents scien-tifiques(voir encadré ci-contre) qui ont accepté – qu’ils en soientici à nouveau remerciés – en réponse à la sollicitation du secré-taire national du Parti communiste français, Pierre Laurent.Soulignons que parmi ces précieux contributeurs le plus géné-reux peut-être fut Jean-Pierre Kahane, dont ce fut sans doutel’une des dernières actions politiques et qui s’y investit commetoujours, ardemment, apportant son regard éclairé sur la quasi-totalité des questions posées.

Le résultat de cet exercice constitue les pages qui suivent. Il ne s’agitévidemment pas d’une position officielle et arrêtée du Parti com-muniste sur chacun de ces sujets – d’autant que la formulation desquestions est elle-même souvent des plus discutables – mais plu-tôt d’un point d’étape quant à ce que l’intellectuel collectif de cegroupe humain peut produire à l’instant où ces pages ont été écrites…Et avec le filtre nécessairement faillible du groupe restreint qui a eul’heureuse tâche de synthétiser ces échanges. Bien sûr, il demeuredes points ouverts, et même parfois quelque peu divergents – surle principe de précaution, le numérique à l’école ou l’énergie, parexemple – sur lesquels le travail doit continuer. Mais au travers descontributions très largement convergentes et des échanges qui ontpermis de construire ce qui suit, la conviction commune s’est for-tement exprimée que le combat pour l’approfondissement perma-nent de notre culture scientifique commune est un levier essentielde la lutte pour l’émancipation humaine, de la résistance aux idéa-lismes démobilisateurs, de la conquête du progrès. n

SÉBASTIEN ELKA1. Retrouvez le questionnaire des scientifiques sur http://science-et-technologie.ens.fr/2. Les groupes thématiques du Conseil national du PCF suivants ont contribué :commission Santé, commission Écologie, commission Enseignement supérieuret Recherche, commission Révolution numérique, commission Industrie,Production, Services.

LE COLLECTIF ET LA RAISON

ONT PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE DOCUMENTJean-Noël Aqua, physicien, enseignant à l’université Pierre-et-Marie-Curie età la Sorbonne.Bernard Bandelier, enseignant en sciences informatiques à l’universitéd’Orsay.Amar Bellal, enseignant et rédacteur en chef de la revue Progressistes.Jean-Pierre Bibring, physicien, enseignant et membre de l’Institutd’astrophysique spatiale d’Orsay, membre correspondant de l’Académie del’air et de l’espace.Richard Benarous, médecin, directeur de recherche à l’INSERM et à l’InstitutCochin.Jean-François Bolzinger, ingénieur et secrétaire général de l’Union desingénieurs, cadres et techniciens de la CGT.Jean-Michel Bony, mathématicien, membre de l’Académie des sciences,professeur à l’École polytechnique et directeur de recherche au CNRS.Bruno Chaudret, chimiste, membre de l’Académie des sciences, enseignant àl’Institut national des sciences appliquées de Toulouse et directeur derecherche au CNRS.Marie-Françoise Courel, géographe, directrice d’étude émérite à l’Écolepratique des hautes études.Sébastien Elka, ingénieur et rédacteur en chef adjoint de la revueProgressistes.Sylvestre Huet, historien et journaliste scientifique.Bernard Jegou, biologiste, directeur de recherche à l’INSERM et à l’École deshautes études de santé publique.Jean-Pierre Kahane, mathématicien, membre de l’Académie des sciencesIvan Lavallée, mathématicien, professeur émérite de l’université Paris-VIII,ancien conseiller scientifique à l’INRIA et à l’École pratique des hautes études.Anne Mesliand, enseignante à l’université d’Aix-Marseille et responsable de lacommission Enseignement supérieur et Recherche du PCF.Evariste Sanchez-Palencia, mathématicien, membre de l’Académie dessciences et directeur de recherche émérite au CNRS.

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SANTÉ PUBLIQUEI.1.Le tabac et autres addictions, l’obésité, les infections par desbactéries multirésistantes aux antibiotiques, les émissions departicules, les maladies infectieuses émergentes… menacent lasanté de nos concitoyens. Quelles mesures comptez-vous pren-dre en termes de recherche et de prévention pour protéger lasanté publique?

Les problèmes de santé publique évoluent, et beaucoup sont liésaux évolutions de nos conditions de vie, de nos conditions de tra-vail, de notre environnement naturel et social. Stress et cadences

difficilement tenables, pollutions, contenu de nos assiettes, faci-lité d’accès aux drogues…, il y a d’abord beaucoup à faire à lasource sur chacun de ces sujets. L’amélioration permanente dela santé publique demeure l’un des principaux marqueurs deprogrès d’une société, et il s’agit bien sûr d’user résolument detous les moyens de la puissance publique – réglementation, fis-calité, action et contrôle des organismes publics – pour amélio-rer toujours l’accès de tous à un environnement, à une alimen-tation et à des pratiques de consommation de qualité. Pour cela,il s’agit aussi de systématiser l’implication des populations encessant de dissocier sanitaire et social pour imbriquer dans unerelation de confiance les citoyens, professionnels de santé et tra-vailleurs, les salariés et leurs représentants devant en particulieraccéder à des pouvoirs étendus dans leurs entreprises pour mieuxprotéger la sécurité au travail, mais aussi l’environnement et lasanté des populations proches, à l’inverse des tendances actuelles.

Une logique de prévention qui invite à envisager un renforce-ment très net des moyens et de la visibilité des médecines du tra-vail et scolaire, et se complète naturellement de campagnes deprévention, notamment pour les jeunes et publics à risque, àpoursuivre et à amplifier en les doublant souvent d’actions indi-vidualisées comportant des bilans de prévention et de dépistagetout au long de la vie.Mais la prévention ne peut suffire, et il y a un effort essentiel eturgent à engager dans le système de santé dans son ensemble,en tenant la cohérence de toute la chaîne qui court depuis larecherche et l’industrie, notamment pharmaceutique (il est frap-pant qu’aucun des vingt-six antirétroviraux permettant de luttercontre le sida n’ait été développé par l’industrie pharmaceutiquefrançaise, pays qui a pourtant découvert le virus !), jusqu’à lamédecine de proximité, l’hôpital et tout le circuit des soins spé-cialisés. Les personnels de santé doivent être mieux formés, avoirles moyens de bien faire leur travail, être parties prenantes desprises de décision. Et la Sécurité sociale doit être au cœur de cesefforts, car le financement de notre système de santé, à reboursdu travail de sape austéritaire et inégalitaire qui le mine, doit êtreconstruit avec le souci permanent de rendre véritablement acces-sibles à toutes et tous les avancées médicales. l

VACCINATIONI.2. La vaccination, une des plus grandes avancées de la santépublique depuis deux siècles, fait l’objet d’une défiance crois-sante de la population. L’absence même partielle de vaccina-tion fait renaître de graves dangers d’épidémies. Quelle poli-tique vaccinale souhaitez-vous mettre en œuvre pour remédierà cette situation?

La défiance à l’égard de la vaccination est l’un des aspects de ladéfiance que l’on peut observer plus largement à l’égard de lascience. Sur ce sujet comme sur d’autres, on ne peut abandon-ner le terrain aux obscurantismes, car, face aux menaces épidé-miques qui restent bien réelles, la vaccination demeure l’une desplus grandes avancées en termes de santé publique. Mais laconfiance ne se décrète pas, et le comportement des acteurs pri-vés – et malheureusement parfois publics – peut à bon droitinquiéter. Face aux scandales réels ou montés en épingle, parfoisinstrumentalisés, l’insuffisance d’information et de culture scien-tifique accessible à la population est patente, et les scientifiqueset institutions ne doivent pas ménager leurs efforts pour, parexemple, éclairer sur la nécessité et l’innocuité des adjuvants auxvaccins afin de reconquérir la confiance populaire. Le caractèrepublic des acteurs décisionnaires et l’indépendance des respon-sables vis-à-vis des intérêts privés doivent à ce titre être garan-tis. Et les coups médiatiques tels que ceux qu’on a connus il y aquelques années face à la grippe H1N1 doivent être proscrits.Les politiques vaccinales – et notamment les vaccinations obli-gatoires – doivent donc demeurer scientifiquement fondées,assises sur le travail de chercheurs en santé publique et en infec-tiologie disposant des moyens de mener leurs recherches, et enparticulier de chercher les nouveaux vaccins dont l’humanité a besoin. l

I. SANTÉ ET ENVIRONNEMENT

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

DOSSIER18 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

BIODIVERSITÉI.3. Quelle sera votre stratégie vis-à-vis des 17 objectifs du déve-loppement durable des Nations unies, et en particulier vis-à-visde la préservation de la biodiversité terrestre et aquatique?

Nous faisons nôtres les 17 objectifs. La biodiversité est un biencommun de l’humanité, qui nous rend des services essentiels etdont dépend la pérennité de notre niche écologique. Dans biendes cas, la cause première de l’actuelle vague d’extinction d’es-

pèces est la surexploitation des ressources et espaces naturels aunom du profit maximal et à court terme. Ces logiques doiventcéder à celle d’un développement humain durable, qui permetteà l’humanité de répondre à ses besoins et aspirations sans dépas-ser les capacités des écosystèmes à se régénérer. Les moyens exis-tent et commencent à être connus, ils ont pour nom écoconcep-tion, économie circulaire ou gestion raisonnée des ressourcesnaturelles. Tous concepts complexes et de grande portée quiimpliquent déjà de bien mieux comprendre la diversité et lesinteractions du vivant très au-delà du seul souci de préservation,mais aussi de déployer à toutes les échelles des politiques de déve-loppement écologique et industriel résistant aux tentations d’ap-propriation privée et d’exploitation irraisonnée des ressources,

et qui pour cela impliquent dans tous les mécanismes de déci-sion des citoyens, travailleurs et élus correctement formés et infor-més, éclairés par des écologues et chercheurs en sciences natu-relles ayant – une fois encore ! – les moyens de leurs rechercheset de leur indépendance.Pour cela, les puissances publiques de tous niveaux ne peuventse défausser de leur responsabilité. Et les tentatives de déléga-tion au marché par l’attribution d’une valeur marchande aux pol-lutions, à la biodiversité, aux services écosystémiques et aux« externalités » de tous types ne peuvent mener qu’à l’impuis-sance, et à la catastrophe écologique et humaine. Face à la com-plexité et à l’ampleur des enjeux, seule la coopération et l’intel-ligence collective permettront de sortir des logiques prédatriceset de construire un nouveau modèle de développement humaindurablement porteur de progrès. l

OGMI.4. Les règlements de l’UE et la législation de notre pays auto-risent l’importation en vue de la consommation humaine et ani-male de productions OGM. Certaines cultures OGM sont auto-risées par l’UE, mais elles restent interdites par la France. Quelleest votre position sur cette question?

Le Parti communiste s’est exprimé sans ambiguïté en faveur d’unealimentation humaine et animale non OGM. Mais il s’agit d’abordd’une position de prudence, car la percée scientifique que repré-sente la transgenèse est encore récente ; et si depuis une ving-taine d’années que les OGM se sont répandus on n’a pas vu sefaire jour de problèmes significatifs, les enjeux sanitaires et envi-ronnementaux sont tels que les plus grandes précautions demeu-rent indispensables.Malgré tout, les communistes ne perdent pas de vue l’enjeu dela sécurité alimentaire de 7 et bientôt 9 ou 10 milliards d’êtreshumains qui ne permet pas – face au réchauffement climatique,aux désertifications, aux pertes de biodiversité et aux instabili-tés multiples – d’écarter indistinctement une piste de recherchequi reste prometteuse. La France dispose d’un comité des bio-technologies et d’organismes de recherche publics, tels que l’INRA,qui sont compétents et expérimentés et, dont l’indépendance –notamment financière vis-à-vis des intérêts agro-industriels –n’est pas toujours suffisante, et doit donc être renforcée. Leursrecherches doivent pouvoir se faire en prenant le temps de lasécurité sans céder aux appels pressés des intérêts marchands,et permettre d’éclairer scientifiquement le débat démocratique.Là encore, l’enjeu de fond est celui de la confiance à reconqué-rir dans le progrès scientifique et technique. Les logiques préda-trices du capitalisme n’ont de cesse de la saper, mais il n’est deprojet d’avenir que dans l’essor conjoint de la conscience poli-tique et de la culture scientifique de nos populations. Et il est ànoter que cet essor peut parfois prendre des directions surpre-nantes, comme lorsque l’opposition souvent déraisonnable quel’on observe face aux OGM et autres évolutions des modèles agri-coles dominants fait émerger des pratiques nouvelles et promet-teuses dans l’agriculture et l’élevage. Résister, c’est toujours créer. l

I. SANTÉ ET ENVIRONNEMENT

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RENOUVELABLESII.1. La loi française sur la transition énergétique du 17 août2015 prévoit une réduction de 50 % en 2050 de la consomma-tion totale d’énergie en France, ainsi qu’une réduction de lapart du nucléaire dans le mix électrique au profit d’un impor-tant développement d’énergies renouvelables. Comment pen-sez-vous faire face à l’intermittence de l’éolien et du solairephotovoltaïque sans augmenter la consommation de combus-tibles fossiles ?

Porté par l’exemplaire coopération mondiale des scientifiquesdu GIEC, l’objectif de réduction des émissions mondiales de gazà effet de serre est indiscutable. Et la France, pays riche conscientde sa responsabilité, doit tenir l’engagement pris de diviser parquatre ses émissions, sans cesser de garantir à sa population l’ac-cès à une énergie sûre et propre, suffisamment abondante et peuchère pour permettre à chacun de couvrir ses besoins quels quesoient ses moyens. Sans cesser non plus de chercher à réduiredépendances et instabilités internationales.Les économies d’énergie ont un rôle à jouer dans cette transi-tion, et partout où c’est possible il s’agit de mieux isoler les loge-ments et d’améliorer l’efficacité énergétique du chauffage, desprocédés industriels, de tous les réseaux et équipements. Maistout cela est coûteux et implique pour des économies affaibliespar des années d’austérité un effort considérable. Parallèlement,certains besoins ne cessent de croître, ceux du numérique en par-ticulier, et il s’agit de veiller à ne pas confondre baisse des émis-

sions et déplacement de celles-ci vers des pays où notre indus-trie continuerait d’être délocalisée. Ainsi, l’objectif de réductionde 50 % de la consommation d’énergie n’est pas réaliste, sauf àse résoudre à une forte montée des prix de l’énergie, conditioninacceptable alors que des dizaines de millions d’Européens peinent à se chauffer et à s’éclairer correctement.Il s’agit donc surtout d’accroître l’offre d’énergie décarbonée. Lesrenouvelables électriques et thermiques, le stockage massif et lesoptions de mobilité sans pétrole ne cessent de progresser tech-niquement, et il faut saluer le travail des chercheurs et ingénieurs.Mais elles demeurent pour la plupart loin de la maturité indus-trielle et il serait irresponsable – c’est le modèle allemand, cata -strophique sur les plans économique et environnemental et dan-gereux pour la stabilité des réseaux de toute l’Europe – de vouloirpousser ces énergies au-delà de ce que le réseau électrique fran-çais peut absorber sans augmenter ses émissions ni accuser unsurcoût insoutenable. Le recours au pétrole et au charbon devraêtre réduit au minimum – et leurs industries accompagnées dansleur propre transition – tandis que l’hydroélectricité et le nucléairedevront couvrir le reste du besoin électrique. Cela implique lerenouvellement du parc de réacteurs nucléaires, et le plafondsans fondement de 50 % avancé par la loi de transition énergé-tique doit d’autant moins être suivi que dans le domaine nucléaireaussi la recherche progresse (cf. question II.2).En réalité, l’enjeu de la transition énergétique est le rythme desinvestissements dans les différentes énergies et le pilotage deschoix industriels à réaliser au fil des avancées de la technique, ceque le marché est très clairement incapable de mener à bien. Àl’opposé des logiques de privatisation et d’ouverture sans limiteà la concurrence, un grand pôle public de l’énergie – en connexionsolidaire avec les autres réseaux européens et avec l’horizon dela constitution d’un service public européen de l’énergie – estindispensable pour une réelle transition énergétique au servicede l’intérêt général. Mais à l’opposé aussi des opacités passées,il est très clair aujourd’hui que les citoyens entendent être asso-ciés aux décisions aussi importantes que la construction de leuravenir énergétique, et l’expertise scientifique et technique doits’articuler avec un effort sans précédent de transparence, de dia-logue et d’implication populaire solidement informée. l

NUCLÉAIREII.2. Pensez-vous développer la recherche sur le nucléaire dequatrième génération, en particulier avec le réacteur expéri-mental ASTRID?

Le projet de réacteur expérimental ASTRID doit être mené sansprécipitation mais avec les moyens nécessaires. La France a com-mencé à faire certains choix en matière d’évolution de son mixélectrique, mais la place qui restera dévolue à l’électronucléairedans la seconde moitié de ce siècle ne saurait encore être arrê-tée. Le type de réacteur à neutrons rapides qu’ASTRID doit per-mettre d’explorer vise à utiliser comme combustible les déchetsdes réacteurs actuels, ce qui permettrait à la France de disposerd’ores et déjà de plusieurs siècles de réserves d’uranium et de ne

II. ÉNERGIE ET CLIMAT

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DOSSIER20 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

plus avoir à en importer. Une sécurité accrue, une moindre pro-duction de déchets et de meilleures conditions économiquesd’exploitation pourraient également être attendues de cette qua-trième génération. Il importe que cette voie de recherche – et au-delà de celles sur la fusion, les réacteurs à sels fondus et au tho-rium, l’élimination des déchets à vie longue et toutes voies derecherche à finalité civile et pacifique – puisse être correctementexplorée et qu’elle participe ainsi à éclairer techniquement lesindispensables débats que nous devrons avoir tout au long de cesiècle sur notre avenir énergétique. l

TAXE CARBONEII.3. Face au changement climatique en cours, la France s’estengagée lors de la conférence de Paris (la COP 21) à réduire sesémissions de gaz à effet de serre de 75 % en 2050 par rapport à1990. Pour atteindre cet objectif, la loi sur la transition énergé-tique du 17 août 2015 prévoit une augmentation de la taxe car-bone de 22 € par tonne de CO2 en 2016 à 56 € en 2020 puis à100 €en 2030. Avez-vous l’intention de confirmer cette décisionou de la modifier ?

Une fois encore, l’objectif de réduction des émissions de gaz àeffet de serre est indiscutablement fondé, et une taxation desémissions de CO2 pourrait bien entendu inciter entreprises etménages à favoriser à tout niveau les solutions les moins pol-luantes (une telle solution est a priori moins perverse que lalogique spéculative des quotas spéculatifs d’émissions qui s’ap-pliquent aux entreprises les plus polluantes). D’autant que la visi-bilité donnée par l’annonce claire de son augmentation futuredoit permettre à tous de prendre des décisions d’investissementéclairées. Cela dit, la taxe carbone telle qu’elle s’applique en Francepose le double problème d’être injuste et d’être une mesure tropisolée et incomplète pour aborder l’enjeu de la transition éco -logique dans son ensemble comme il le faudrait.Sur l’injustice d’abord, cette taxe a le défaut fondamental de lafiscalité non progressive de peser proportionnellement beau-coup plus dans le budget des plus modestes que des plus aisés.Surtout si sa logique repose sur le fait d’encourager des choixfavorables aux solutions les moins polluantes…, pour avoir lechoix de remplacer une chaudière au fioul ou une vieille voi-ture par des solutions moins émettrices, pour mieux isoler sonlogement ou habiter plus près de son travail, ou pour moder-niser des équipements de production vieillissants, encore faut-il en avoir les moyens. Sans aides et solutions collectives adap-tées, cette taxe revient à punir les ménages modestes et les petitesentreprises de ne pas être assez riches pour être écologique-ment vertueux. l

Il importe donc d’intégrer cette taxe dans un dispositif d’ensem-ble – une « planification écologique » – qui non seulement com-pense les effets pervers de cette mesure, mais qui mette aussi àportée de tous l’accès raisonnable aux solutions les moins pol-luantes, directement ou au travers de services publics de l’éner-gie, des transports en commun et de l’habitat, réinvestissant ainsimassivement l’avenir. Et il importe enfin de compléter cette tâcheen y intégrant nécessairement les transports de marchandises –ce qui non seulement serait de pleine logique au vu de la respon-sabilité des flux mondiaux de fret maritime ou par camion dansles émissions globales, mais permettrait aussi de favoriser la relo-calisation d’activités dont seule les logiques financières et la miseen concurrence des travailleurs justifient qu’on ne les pratiquepas au plus près des besoins. l

COP21II.4. L’accord de Paris sur le climat est marqué par une tensionentre un objectif ambitieux, limiter le réchauffement global àmoins de 2 °C par rapport au climat préindustriel, et la trajec-toire sur laquelle nous placent les engagements volontaires desdifférents pays, conduisant à la poursuite de l’augmentation desrejets de gaz à effet de serre jusqu’en 2030. Quelle est votre visiondes actions à mener au cours des cinq prochaines années pouratteindre les objectifs annoncés?

À l’échelle mondiale, la France peut et doit jouer un rôle de pre-mier plan. D’abord parce que parmi les pays industrialisés nousavons déjà un niveau d’émissions par habitant assez exemplaire,et que cette position est un point d’appui solide pour montrerqu’il est possible d’aller bien plus loin encore et de prendre pourl’avenir des engagements ambitieux tels que ceux pris lors del’accord de Paris. Ensuite parce que la France a toujours unegrande capacité diplomatique et une voix écoutée dans le mondeelle ne doit pas cesser de travailler à faire aboutir les accords etcoopérations internationales les plus ambitieux pour la luttecontre le changement climatique, à rebours des terribles mou-vements de l’actuel gouvernement états-unien.Encore faut-il bien sûr que la France tienne ses propres enga-gements. Comme déjà développé en réponse aux questions II.1à II.3, cela implique de déployer un grand plan d’action largeincluant l’isolation thermique du bâti, l’électrification des trans-ports, la modernisation des infrastructures et des équipementsindustriels, le développement des productions électriquesdécarbonées, le perfectionnement de la gestion des réseaux etl’entrée en transition des industries pétrolières et pétrochi-miques. Une telle transformation de long terme ne peut êtreassumée par le marché et les mesures d’inspiration libérale :elle doit faire l’objet d’une planification écologique qui arti-cule recherche, politique industrielle, création d’un pôle publicbancaire et modification de la réglementation des crédits pourla prise en compte de critères d’utilité environnementale etsociale dans le financement des projets utiles, retour aux logiquesd’aménagement équilibré des territoires et, à toutes les étapesdes différents processus, transparence, information et partici-pation populaire. l

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II. ÉNERGIE ET CLIMAT II. ÉNERGIE ET CLIMAT

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PAYS EN VOIE DE DÉVELOPPEMENTII.5. Les pays développés, dont la France, se sont engagés depuis2009 à mobiliser 100 milliards de dollars pour aider les pays endéveloppement à faire face au dérèglement climatique. Cet enga-gement a été confirmé à plusieurs reprises, en particulier lors dela COP21 en 2015. Envisagez-vous de maintenir cet engagementde la France, d’accélérer sa mise en œuvre et éventuellement d’enaugmenter le montant pendant votre mandat présidentiel ?

Les responsabilités historiques du réchauffement sont d’abordcelles des pays aujourd’hui les plus riches. Et les études montrentque les régions du monde et les populations susceptibles d’êtreles plus affectées par le réchauffement et la montée du niveaudes océans sont parmi les plus pauvres. Face à une telle injustice,les engagements pris à l’égard des pays en développement doivent bien sûr être respectés, et même portés plus loin que ce chiffre somme toute très modeste.

Cette aide ne doit de plus pas se limiter à sa dimension finan-cière. Les grandes entreprises européennes doivent être respon-sabilisées socialement et sur le plan environnemental, où qu’ellesse trouvent. Et les coopérations scientifiques, techniques, admi-nistratives, éducatives et économiques doivent être accrues pouraider tous les pays à trouver la voie d’un développement humaindurable sans dominations. Le mot d’ordre « vivre et travailler dansson pays », constamment développé par le Parti communiste, estd’une grande actualité et doit donner le cap de ces coopérations.Au passage, il est à noter que les territoires d’outre-mer, toujoursattachés aux anciennes puissances coloniales européennes, sou-vent soumis à des dominations économiques honteuses et insup-portables (en témoigne la colère qui soulève actuellement laGuyane), doivent d’urgence faire l’objet d’importants efforts dedéveloppement et pourraient, si l’on s’en donnait les moyens,expérimenter les premiers les modalités d’une transition éco -logique et industrielle adaptée à des configurations géographiquesdifférentes de celle de l’Europe. l

ponsabilité sur les collectivités locales comme c’est aujourd’huibien trop le cas, qui plus est dans une intolérable situation dedépendance à l’égard des multinationales états-uniennes dunumérique, quand il serait tout à fait possible de privilégier logi-ciels libres et solutions françaises et européennes. L’accord-cadreentre l’Éducation nationale et Microsoft est à ce sujet un scan-dale – et d’une certaine manière un attentat contre la laïcité – quedénoncent les communistes. Tout comme ils ne cessent de sou-tenir que le français a vocation à demeurer une langue des scienceset techniques et ne saurait continuer à être effacé partout au pro-fit de l’anglais globalisé. Dans l’enseignement supérieur et pro-fessionnel, la question se prolonge dans la nécessité de ne pasréduire l’apprentissage des usages opérationnels de l’informa-tique mais bien de toujours porter l’ambition de doter les jeunescitoyens d’un recul critique leur permettant de questionner lesnouvelles conventions sociales issues des usages numériques et d’en faire un usage éclairé.De fait, en tant qu’outil de la vie quotidienne et moyen de for-mation de l’esprit, le numérique s’impose comme fondateur denouvelles pratiques culturelles et démocratiques auxquelles ilimporte que les élèves soient formés tout au long de leur sco-larité, y compris dans des dimensions telles que la protectiondes données personnelles et de la vie privée ou la maîtrise deslogiques de travail collaboratif et pair-à-pair. L’apprentissage

SCIENCES NUMÉRIQUES AU LYCÉEIII.1. Un enseignement de spécialité informatique et sciencesnumériques a été introduit en 2012 en terminale scientifique.En 2015, le gouvernement a décidé sa généralisation et intro-duit de nouveaux programmes de science informatique du pri-maire au baccalauréat. Néanmoins, il n’existe ni CAPES ni agré-gation spécifiques. Comment comptez-vous développer laformation des élèves et le recrutement de leurs enseignants dansce domaine?

Ni repoussoir ni panacée, ni absent ni omniprésent, le numé-rique doit pour les communistes occuper sa juste place dans l’enseignement.En tant que domaine scientifique et technique, l’informatiqueest l’un des domaines dans lesquels la France se positionne his-toriquement au meilleur niveau mondial, notamment grâce à lapuissance de ses mathématiques. Il s’agit de poursuivre et d’am-plifier les efforts dans ce domaine. Les enseignements spécifiquesde sensibilisation dispensés dès l’école primaire et leur prolon-gement au collège puis de manière plus différenciée dans les dif-férentes filières du lycée doivent s’appuyer sur une formation suf-fisante des enseignants dans ce domaine et un plan d’équipementdes établissements par lequel l’État ne se défausse pas de sa res-

III. INFORMATIQUE ET TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES

II. ÉNERGIE ET CLIMAT

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DOSSIER22 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

du recul critique dans ce domaine passe par une associationentre théorie et pratique, et dans ce sens on peut être favorableà ce que, en plus des cours de technologie, des moyens soientà la disposition des équipes pédagogiques pour porter dans lesétablissements des projets de fab-labs, hackatons et autres occa-sions d’immersion critique dans les univers explorés par les uni-vers culturels spécifiques du numérique, à l’image de ce quipeut être fait pour d’autres pratiques culturelles autour de lamusique, du théâtre, etc.Domaine encore récent de la culture technique humaine, le numé-rique en réseau porte autant de potentiels d’émancipation et deprogrès que de menaces d’inégalité et d’entrave aux libertés. Saprise en compte dans l’enseignement doit se faire à l’aune decette double dimension : ne prendre en compte que le besoin àcourt terme de main-d’œuvre des entreprises et l’« employabi-lité » des jeunes diplômés serait de poursuivre dans la voie libé-rale qui depuis trop longtemps œuvre à la casse de notre systèmeéducatif, ce serait une grave erreur et un grand danger pour notreavenir commun. l

ATTAQUES INFORMATIQUESIII.2.On a pu constater récemment une accumulation d’attaqueslocales ou mondiales massives et efficaces contre des systèmesinformatiques de tous ordres, aidées par les sérieuses faiblessesde leurs systèmes de protection. Comment comptez-vous trai-ter ce problème?

Les espaces numériques se sont voulus des espaces de liberté etd’utopie, mais voilà longtemps qu’ils sont aussi des espaces éco-nomiques, sociaux et politiques, souvent aussi le lieu d’activitéscriminelles et de plus en plus le théâtre des tensions et rapportsde forces internationaux. Ils sont devenus un espace importantde notre quotidien, et il serait irresponsable de ne pas travaillerà les sécuriser.Toutefois, cette sécurisation ne saurait se faire au détriment deslibertés publiques. Un jeu trouble se joue autour de la sécuritéinformatique entre vendeurs de peurs, politiciens adeptes depostures martiales et industrielles. Du Patriot Act aux lois anti-terroristes françaises de 2014-2016, en passant par la répressiondes lanceurs d’alerte, il est très clair que les logiques de sécuritéopaque et hors de contrôle, et inutilement hypertechnologiques,ont un coût démocratique énorme. L’énorme fichier centralisédes titres électroniques sécurisésporté par Bernard Cazeneuve a,par exemple, prétendu améliorer la lutte contre l’usurpationd’identité en créant un fichier unique des données biométriquesdes Français, avec un risque terrifiant de mésusage comme depiratage extérieur.À l’inverse, il s’agit de porter le projet d’une sécurité numériquedéconcentrée, reposant sur des solutions techniques graduéeset, surtout, sur la transmission – à l’école, dans les médias, dansl’entreprise et les services publics comme dans tous les lieuxoù se joue l’éducation populaire – d’une culture de la sécurité etde la prudence informatique, en particulier en ce qui concerneles données personnelles.

Concrètement, cela signifie aussi populariser l’usage des logi-ciels libres, données et logiciels en sources ouvertes, communsnumériques et autres éléments constitutifs de la dite « culturehacker » pour permettre aux citoyens d’être autant que possibledes acteurs informés et conscients de leur sécurité numérique.Cela signifie surtout renforcer le rôle des acteurs publics dans lemaintien d’un juste équilibre entre sécurité et protection de lavie privée, a minima en renforçant les moyens de la Commissionnationale de l’informatique et des libertés, en assurant l’existenceen France et en Europe d’une capacité indépendante d’expertisedes logiciels et algorithmes, en garantissant la souverainetéconcrète des Européens sur leurs réseaux de télécommunicationet outils numériques, ce qui signifie non seulement s’assurer queles acteurs de la recherche ont les moyens suffisants pour traiterde ces sujets, mais aussi qu’il existe en France et en Europe uneindispensable politique industrielle de maîtrise des technologiesessentielles.Au-delà, il s’agit de rappeler que la sécurité commence toujourspar la réduction des facteurs de guerre et d’instabilité, impliquantle déploiement d’une véritable politique étrangère de paix, decodéveloppement et de coopération internationale. l

LES DÉCIDEURS FACE AU MONDENUMÉRISÉIII.3. L’informatisation du monde modifie de façon intense etprofonde un nombre toujours croissant d’activités dans l’indus-trie, le commerce, la gestion des collectivités, l’éducation, la culture, les loisirs, etc. La science française est forte sur ce plan,mais la formation initiale ou continue de nos décideurs à unecompréhension réelle des effets attendus de l’informatique restefaible en comparaison des États-Unis et de l’Asie. Comment fairepour que l’écart actuel n’aille pas en augmentant ?

La révolution numérique vécue par les générations actuelles estun mouvement historique de fond, qui secoue nos sociétés enprofondeur, pour le meilleur et pour le pire. Dans un tel mouve-ment historique, face à des thèmes obscurs comme l’intelligenceartificielle, le big data, l’ubérisation ou le transhumanisme, il n’estpas étonnant que nous ayons tous un peu le vertige, et pas uni-quement les seuls « décideurs ».Pour les communistes, chaque citoyenne et citoyen doit êtremis en situation de comprendre et sentir comment à son échellenotre monde est en train de changer, ce qui peut avoir des consé-quences sur sa vie professionnelle, sur ses relations sociales,sur ses engagements, et comment se positionner vis-à-vis deces changements. Un effort collectif important est nécessaire,qui passe par le débat public, en particulier pour décider démo-cratiquement – alors que les services publics notamment impo-

III. INFORMATIQUE ET TECHNOLOGIES

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sent toujours plus aux populations la dématérialisation des pro-cédures – jusqu’où l’informatique et les machines doivent rem-placer le travail humain ou si elles doivent en rester aux fonc-tions d’assistance pour ne pas perdre ce qu’il y a de spécifiqueet d’humanisant dans les rapports directs entre êtres humains.L’effort est aussi bien sûr au niveau de l’enseignement (voirquestion III.1) et de la formation tout au long de la vie (voir àce sujet la proposition de loi des communistes portant sur unesécurité d’emploi ou de formation), la digestion du travail de larecherche dans la société et les médias et tous les moyens de

l’éducation populaire. Un effort indispensable si l’on veut évi-ter l’impasse d’une opposition stérile entre technophobie rageuseet technophilie béate.Plus globalement, les communistes soulignent la nécessité d’unimportant effort de diffusion de la culture scientifique, à reboursde l’indigence du traitement des questions socialement impor-tantes dans la plupart des médias. Ce qui implique de menerune politique cohérente et combative en matière de presse, decommunication scientifique et technique et d’adéquation entremissions et moyens des services publics de l’information. l

que médecins et ingénieurs, quand un futur président de laRépublique trace comme avenir pour les jeunes de chercher àdevenir milliardaires ou quand le patient travail du chercheur estdévalorisé par l’exigence du profit à court terme, c’est toute lasociété qui est gangrenée par les logiques individualistes et pré-datrices du capitalisme. Les scientifiques même sont alors volon-tiers associés par toute une partie de la population à une tech-nocratie haïssable, tandis que fleurissent les idéalismes new ageet les utopies du repli microlocal, souvent sympathiques maisaussi irresponsables et démobilisateurs que l’étaient les socia-lismes utopiques du XIXe siècle.Il s’agit donc bien de porter dans toute la société un large enga-gement pour la défense des sciences, des approches scientifiques,de la culture scientifique. l

FORMATION PERMANENTE DES ENSEIGNANTSIV.2. Bien que les connaissances doublent tous les trente ans,dit-on, la formation continue des enseignants du primaire et dusecondaire est pratiquement inexistante aujourd’hui. De plus,seule une faible fraction des enseignants du primaire ont uneformation initiale dans un domaine scientifique. Que comptez-vous faire pour y remédier et encourager la formation perma-nente des enseignants ?

La révision constante des connaissances du passé est un facteurdu progrès, mais en dehors des enseignements avancés directe-ment en prise avec la recherche, il est évident que le rythme decette révision interdit son assimilation immédiate par l’ensei-gnement. Et si l’assimilation sociale de ces progrès doit être danstoute la société l’enjeu d’un large effort de soutien à la culture

CRISE DES VOCATIONSSCIENTIFIQUESIV.1. D’après les rapports du CNESCO, 39 % des élèves sont endifficulté à la sortie de l’école primaire et 42 % ont une maîtrisefragile des mathématiques, voire de grandes difficultés. De sur-croît, les « vocations scientifiques » naissent tôt, de nombreusesenquêtes le montrent. Que comptez-vous faire pour remédier àcette situation et encourager les vocations scientifiques ?

Les difficultés au sortir de l’école et la fragilité en mathématiquessont au moins autant liées aux difficultés et inégalités socialesqu’à des insuffisances du système d’enseignement. Pour autant,la crise des vocations scientifiques, signe de la crise de notresociété autant que menace pour son avenir, touche toute la popu-lation. Les signes s’en manifestent des banlieues pauvres à l’Écolepolytechnique.Il y a indéniablement urgence à réinvestir massivement dans l’en-seignement public, offrir à tous une éducation de qualité, dimen-sionnée pour la réussite de tous, et donc de ceux qui n’ont quel’école pour apprendre. Cela appelle un nombre moindre d’élèvespar classe, des enseignants mieux formés, une carte scolaire repen-sée pour permettre une réelle mixité sociale et scolaire. Et celaimplique aussi de porter une attention accrue à l’enseignementdes sciences et de l’histoire des sciences, de lutter contre les pré-jugés éloignant les filles et jeunes femmes des disciplines scien-tifiques, de revoir les programmes souvent – notamment au lycée– trop superficiels et rapides sur les questions scientifiques, pourqu’ils amènent les élèves à cultiver le plaisir du raisonnementscientifique, de l’esprit critique et de l’autonomie de pensée.Mais pour autant l’école ne peut pas remédier seule à ces pro-blèmes. Quand les élites mises en avant par notre société sontfootballeurs, mannequins, serial entrepreneurs ou tradersplutôt

IV. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (ET ÉDUCATION SCIENTIFIQUE)

III. INFORMATIQUE ET TECHNOLOGIES

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DOSSIER24 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

scientifique et au développement de l’esprit critique de la popu-lation, les enseignants de tous les niveaux doivent aussi pouvoirs’appuyer sur un fort socle de formation initiale et sur une for-mation continue de qualité, y compris en matière d’histoire dessciences et d’épistémologie, et plus globalement au-delà desstrictes limites des champs disciplinaires. Aujourd’hui commehier, les enseignants s’acquittent d’autant mieux de leur missionqu’ils sont l’une des pointes avancées du savoir disponible dansla société. l

LES ÉCHECS À L’UNIVERSITÉIV.3.Les universités ont l’obligation d’accueillir l’ensemble d’uneclasse d’âge ayant obtenu le diplôme du baccalauréat. Or le tauxd’échec aux diplômes dans les premières années est important,et le taux de chômage reste structurellement élevé en France.Comment réagir ?Lier le taux de chômage à l’échec universitaire revient à accrédi-ter la thèse du défaut d’employabilité et renvoie à la responsabi-lité individuelle, évacuant la cause principale de ce chômage quidemeure l’intérêt du capital à disposer d’une armée de réservede travailleurs privés d’emploi pour exercer une pression sur lesplus chanceux qu’eux… et résulte par conséquent surtout desrapports des forces sociaux et de leur évolution depuis longtempsdéfavorable dans le contexte de la mondialisation libérale. Il estbien évident que dans le contexte des grands défis de notre époque– révolution numérique, enjeux environnementaux, vieillisse-ment, percées scientifiques de toutes sortes – l’université a unrôle fondamental à jouer dans l’évolution de la société, y com-pris dans son dynamisme économique, en dispensant des for-mations professionnalisantes, en favorisant la diffusion vers lemonde économique et la société des connaissances issues de larecherche, en contribuant mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui àla formation tout au long de la vie de l’ensemble de la popula-tion, et en trouvant le chemin d’un équilibre entre aspirationsdes étudiants et besoins de la société.Mais il s’agit bien d’un équilibre, et l’université ne saurait êtreréduite à une mission uniquement économique et utilitaire. Ilimporte de ne pas perdre de vue que l’enseignement supérieurdoit avant tout former des citoyens, femmes et hommes en condi-tion d’intervenir dans la vie de la cité. Plus prosaïquement, il s’agitde valoriser la diversité des formations disponibles et de recon-naître le droit des étudiants à l’expérimentation afin de trouverleur voie. La logique de la sélection toujours plus tôt – dont le casdes études médicales et de son concours en fin de première annéemontre que la logique hypersélective ne permet ni de répondreaux besoins du système de santé ni de soutenir les vocations –cache derrière l’idée d’excellence le maintien des hiérarchiessociales et freine l’épanouissement des initiatives dont, au contraire,nous avons tant besoin. Bien sûr, la spécialisation et le niveaurequis dans chaque domaine justifient une sélection rigoureuseen termes de connaissances et de compétences. Mais c’est bienla promotion de tous qui seule permet la réelle sélection des meil-leurs, et la sélection ne devrait commencer qu’au-delà d’un pre-mier cycle universitaire ouvert, toujours en organisant des pas-

serelles permettant de ne pas laisser des étudiants sans avenir.Enfin, il faut bien souligner que l’échec universitaire, constitutifsouvent de drames personnels et dans tous les cas d’un grandgâchis collectif, est surtout à rapporter à un double manque demoyens. D’une part, un manque de moyens humains et finan-ciers de l’université qui contribue à l’universalité du service publicd’enseignement supérieur en accueillant effectivement tous lespublics et qui doit donc être en mesure de déployer des pédago-gies différenciées adaptées à des effectifs étudiants plus hétéro-gènes que par le passé. Entre universités et grandes écoles, l’écartde financement par étudiant est scandaleux, et par conséquentl’université ne dispose pas aujourd’hui des moyens matérielspour favoriser le succès du plus grand nombre. D’autre part, unmanque de moyens des étudiants eux-mêmes, dont un nombretoujours croissant est issu de familles qui ne peuvent les soute-nir à hauteur de leurs besoins : ils doivent donc travailler pourfinancer leurs études, souvent au point de les mettre en péril.C’est à ce titre que les communistes soutiennent depuis long-temps les revendications de la jeunesse en termes d’accès à uneautonomie, notamment financière, qui permette de suivre desétudes et entrer dans la vie active dans de bonnes conditions. l

PLURALITÉ DES MISSIONSIV.4. Un statut unique régit actuellement les universités, igno-rant la diversité de leurs missions. Faut-il développer des uni-versités de recherche, véritablement autonomes, compétitiveset attractives internationalement, et simultanément un tissulocal d’universités au plus près des bassins d’emploi ? Si oui,combien d’universités de recherche faut-il envisager ?

Une université sans recherche, coupée des derniers développe-ments du savoir, ne saurait être attractive ni pour les étudiantsni pour les professeurs, et donc pas viable autrement que dansune version a minimadu service public de l’enseignement supé-rieur et de la recherche. Malgré la catastrophique réforme Pécressesur l’« autonomie » des universités, nous avons encore en Franced’excellentes activités de recherche autant que d’enseignementjusque dans les centres universitaires les plus réduits. Avec lesfacilités offertes par l’informatique pour les mettre en réseau, ladiversité de ce maillage territorial de petites et grandes unitésdonne à notre système d’enseignement et de recherche une forcebien plus grande que la coupure suggérée dans la question.À l’inverse, et comme dénoncé encore récemment par le prési-dent du CNRS, derrière l’idée d’un système à deux vitesses misantsur un petit nombre d’universités de recherche soi-disant d’ex-cellence, c’est-à-dire d’universités visant une recherche de pointesans trop d’étudiants, ce sont essentiellement les logiques decompétition et de concurrence pour la visibilité internationalequi s’imposent, avec une fuite en avant dans la course aux placesdans les classements. Le résultat est qu’on assiste in fine à l’af-faiblissement conjoint du potentiel d’enseignement etde recherchefrançais.Car c’est surtout de coopération et de recherche de long termeque le système manque. L’essor des réseaux numériques peut et

IV. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (ET ÉDUCATION SCIENTIFIQUE)

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doit servir à irriguer tout le territoire avec le meilleur du savoirplutôt que de servir à drainer toutes les ressources en un nom-bre toujours plus étroit de pôles n’ayant pour but qu’une illusoirevisibilité mondiale. Bien sûr la fixation en certains endroits desmoyens de travail les plus lourds est nécessaire pour mener lesrecherches de pointe, mais ces moyens lourds ont la faculté – l’ex-périence l’a montré à maintes reprises – de créer un appel d’airfavorable à l’essor des recherches et à la qualité des enseigne-ments dans toutes les disciplines, puis de former là des étudiantset enseignants du meilleur niveau, qui peuvent ensuite alimen-ter l’ensemble du système universitaire.L’attractivité de ce système universitaire ne saurait se résumer àquelques indicateurs tape-à-l’œil de classement international.La mission de l’université est de créer et diffuser les savoirs, etcela représente une pluralité de missions. Comme le soulignaitJean-Pierre Kahane, réduire celles-ci à l’enseignement d’un côtéet à la recherche de l’autre ne saurait être qu’un appauvrisse-ment, et la séparation administrative des deux tient à une concep-tion comptable et mécanique de l’enseignement comme de larecherche, conception lourde et inefficace. Le meilleur emploipossible des ressources humaines considérables qui se trouventdans les universités nécessite de valoriser la diversité des ensei-gnements en les coordonnant et en leur donnant les moyens dela qualité, de renforcer les coopérations nationales et internatio-nales – en particulier en évitant de regarder exclusivement versle Nord pour prendre en compte la richesse et le dynamisme desuniversités des « Sud » – et non de parier encore et toujours plussur la destructrice concurrence. l

DUALITÉ DU SYSTÈMEIV.5.L’enseignement français post-bac a la particularité de fairecoexister deux systèmes très différents qui communiquent peu :les universités et les grandes écoles. Quelle évolution envisagez-vous pour mieux articuler les deux systèmes?Avant d’interroger l’articulation entre les deux systèmes, il fautdéjà interroger la raison d’être d’une telle dualité. Son origine esthistorique, et l’on s’est habitué à vivre avec alors même que, souscouvert de sélection au mérite, les grandes écoles bien séparéesdu système universitaire constituent un vecteur majeur de l’en-tretien des inégalités. Et même dans le cadre d’exigences scien-

tifiques et professionnelles, le type de préparations aux concoursoffert par les classes préparatoires doit être questionné. D’unepart parce que son fonctionnement brutal prépare sans douteplus à la compétition et à l’application indifférenciée des méthodesdont la classe dominante a su imposer l’hégémonie qu’à la coo-pération et à l’esprit critique. Et d’autre part parce que le type desélection opéré de cette manière favorise – sur des critères autantde capital économique et social que d’assise psychologique desélèves – les mécanismes de reproduction sociale endogame desélites, et ce jusque dans les disciplines scientifiques (le pire en cedomaine se trouvant surtout dans les préparations privées auxconcours de médecine).Un autre aspect dommageable de cette coupure entre universitéet grandes écoles est l’inefficacité qui en résulte en termes de lienentre le progrès des connaissances et l’activité économique,notamment industrielle. Les besoins de formation pour le sec-teur économique sont énormes, et il ne se passe pas un grandévénement public sans qu’un représentant du patronat ou de lahaute administration ne souligne le manque de compétences dela population face aux grands enjeux techniques de notre époque.Pour y répondre, les grandes écoles forment par exemple 130 %d’élèves ingénieurs de plus qu’il y a vingt-cinq ans. Mais ces écoles,promettant des salaires de sortie plus attirants que ceux de l’uni-versité, en éloignent les meilleurs profils scientifiques, alors mêmequ’elles font très peu de recherche et ont globalement un rap-port très distendu, voire méfiant, avec la recherche fondamen-tale, pourtant en France souvent excellente. Le refus du patronatde reconnaître le doctorat dans les conventions collectives commeniveau de qualification supérieure en témoigne. Il en résulte uneconnexion bien moins bonne entre la recherche et l’industrie (ou autres activités économiques) que ce qu’il devrait être pourrelever les défis des actuelles révolutions numériques, éco logiques,biotechnologiques… et redresser les capacités industrielles françaises.En conséquence, même si le sujet engage notre avenir communet mérite une action réfléchie et prudente, il apparaît que la réduc-tion de la fracture et des différences entre université et grandesécoles est l’un des chantiers parmi les plus importants à menerdans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche.À commencer par la différence de moyens engagés par élève, quiatteint souvent des niveaux scandaleux, très révélateurs de l’étatd’effritement du contrat républicain dans notre pays. l

IV. ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (ET ÉDUCATION SCIENTIFIQUE)

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DOSSIER26 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

3 % DU PIBV.1. La stratégie de Lisbonne fixée par le Conseil européen demars2000, visant à faire de l’UE « l’économie de la connaissancela plus compétitive et la plus dynamique du monde », prévoyaitd’affecter à la recherche 3 % du PIB. Dix ans plus tard, la straté-gie Europe 2020 a réaffirmé la nécessité de ces mêmes 3 %. Orla dépense intérieure de recherche et développement reste infé-rieure en France à 2,3 %. Quel est votre objectif en termes deR&D publique et privée et quelles mesures concrètes comptez-vous prendre?

Derrière l’« économie de la connaissance », la stratégie de Lisbonneprétendait surtout porter l’Europe vers les sommets de la hautetechnologie en la délestant des secteurs industriels « tradition-nels ». Et énormément d’entreprises industrielles ont depuis effec-tivement fermé en Europe, y compris celles de haute techno logie.La stratégie Europe 2020 a prétendu corriger cette trajectoirecatastrophique en portant, censément, la haute valeur ajoutéedans les secteurs même les plus historiques, mais sept ans aprèscette déclaration d’intention l’indispensable « renaissance indus-trielle » ne semble pas près de venir. L’une des raisons est assu-rément à chercher dans la faiblesse de la recherche, en particu-lier en France, où la recherche publique voit ses moyens s’éroder

tandis que la R&D proprement industrielle s’effondre. Le créditd’impôt recherche et le monstrueux empilement inefficace etopaque de mécanismes de soutien à l’innovation tient cette R&Dprivée sous perfusion, mais les salariés de la recherche et de l’in-dustrie ont sous les yeux tous les jours les gâchis et détourne-ments de cette politique ubuesque qui n’aboutit bien souventqu’à doper encore les bilans du CAC 40. Faut-il rappeler l’excel-lence passée des laboratoires de Sanofi et leur situation actuelle ?Un exemple parmi bien d’autres, mais qui en dit long.Dans ce cadre, l’objectif de 3 % du PIB reste pertinent. La recherchepublique doit retrouver les moyens d’embaucher de jeunes cher-cheurs et techniciens, et d’équiper correctement ses laboratoirespour que les scientifiques puissent travailler de manière libre etcréative. La relation vitale entre recherche fondamentale et appli-quée doit cesser de se perdre dans une foule d’instituts aux péri-mètres flous et ne recevant de leurs tutelles ministérielles d’au-

tres missions que de jouer le jeu concurrentiel des appels à pro-jets et de la course aux financements industriels étroitement court-termistes et prédateurs. Une réflexion d’ensemble sur l’organisa-tion et les missions de la recherche technologique est à mener, etla création d’un centre national de la recherche technologique està envisager. Enfin, quand la recherche privée ne peut pas se pas-ser d’argent public, la moindre des choses est que les aides distri-buées ne le soient que sous critères d’utilité sociale et d’orienta-tions porteuses de progrès social et environnemental,démocratiquement définis et vérifiés au vu et au su des travail-leurs, élus et citoyens, avec de véritables moyens de contrôle publicet de sanction. Enfin, les financements publics doivent systéma-tiquement être assortis de conditions sur les brevets et autres outilsproches qui permettent d’assurer que les savoirs issus de l’effortpublic seront mis à disposition de projets industriels, et non l’ob-jet de stratégies défensives des positions acquises ou d’un com-merce international qui ne profite qu’aux multinationales. l

CRÉDIT D’IMPÔT RECHERCHEV.2. L’emploi scientifique est essentiel, dans la recherche indus-trielle comme dans la recherche publique. Critiqué par une par-tie des acteurs de la recherche publique, le CIR, qui a été main-tenu par tous les gouvernements successifs, a un impact surl’emploi dans la recherche. Quel sera votre positionnement surle CIR et votre stratégie pour développer cet emploi ?L’emploi scientifique est une préoccupation majeure, et il est sur-prenant de le voir évoqué sous l’angle du crédit d’impôt recherche.Trente-quatre ans après sa création, le crédit d’impôt rechercheest le plus coûteux des dispositifs de soutien à l’innovation enFrance, alors que son impact est plus que discutable. Si le patro-nat ne manque pas de se féliciter de ce dispositif, ce qui marqueest surtout son opacité, et le rapport de la Cour des comptes surle CIR a établi que son impact est « difficile à établir », pour unegestion ne permettant pas d’éviter les « usages frauduleux », tan-dis que la censure du travail de la commission d’enquête parle-mentaire rapportée par Brigitte Gonthier-Morin a montré l’évi-dent problème démocratique associé à ce dispositif. Pour le Particommuniste, le CIR devrait être a minima réservé aux PME,comme il l’était jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy, voirecomplètement supprimé.Cela n’épuise pas la question de l’emploi scientifique, qui estautant une question de volume d’emploi que de qualité, de rému-nération et de stabilité de ces emplois. Les financements publicsindirects tels que le CIR et les financements sur projet tendent àengager des moyens considérables ne permettant souvent quedes embauches précaires dans les laboratoires, avec toute l’inef-ficacité qu’entraîne le fait de devoir sans cesse relancer recrute-ments et formation. Parce qu’elle engage l’avenir à long terme dela nation et de l’humanité et parce que son objet est l’élargisse-ment et la transmission des savoirs au fil des générations, larecherche doit bien au contraire s’appuyer sur une programma-tion pluriannuelle des recrutements, tant en ce qui concerne les chercheurs et enseignants-chercheurs que les techniciens etfonctions support. l

V. RECHERCHE ET INNOVATION

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FINANCEMENT SUR PROJETV.3.La recherche est le moteur de l’innovation, elle-même sourcede l’essor économique indispensable à notre pays. Un juste équi-libre entre le soutien à la recherche fondamentale, dont le moteurprincipal est la curiosité, qui nécessite une prise de risque et desefforts de long terme, et le soutien à la recherche appliquée,orientée vers des objectifs économiques et sociétaux de pluscourt terme, est nécessaire. Quelle doit être selon vous l’impor-tance donnée aux divers moyens de financement sur projets,tels l’Agence nationale de la recherche, vis-à-vis du soutien debase des laboratoires publics et des financements à plus longterme comme le plan d’investissement d’avenir, les structuresnouvelles (idex, labex…)?

Il s’agit d’abord de préciser que pour les communistes l’innova-tion n’a de sens que si elle est au service du progrès social, de laréponse aux défis, notamment environnementaux, auxquels l’hu-manité est confrontée, au service de la paix et de la démocratieaussi. Il ne saurait s’agir, comme le suggère la première phrasede la question, de soutenir l’innovation pour le seul ou principalbut de faire de la recherche une activité économiquement rentable comme les autres.Cela posé, il faut dénoncer l’incompréhensible empilement dedispositifs alors que les établissements de recherche et d’ensei-gnement ont d’autres embauches à faire que celle de spécialistesen guichets de financement ! Les dispositifs type IRT (instituts derecherche technologique) ou SATT (sociétés d’accélération detransfert de technologies), qui prétendent consommer un capi-

tal de départ – ce qu’ils font assez aisément, notamment grâceaux salaires souvent très confortables de leurs dirigeants, très loinde ceux des personnels de recherche – puis au bout de quelquesannées devenir financièrement autonomes, sont notoirementirréalistes. Sans parler de l’ineptie qui consiste, pour créer desponts entre la recherche et l’industrie, à créer ces acteurs inter-médiaires qui ne font qu’épaissir les cloisonnements.Il faut comprendre surtout qu’au nom de l’excellence scientifiqueles financements sur projets engagent des efforts de montage dedossier considérables avec des taux de succès très faibles. Sur lesprojets européens ou ceux de l’Agence nationale de la recherche,on est en moyenne bien en deçà de 15 % de succès, ce qui signi-fie qu’au lieu de faire leur métier de chercheur les scientifiquesmontent sept dossiers de projets pour n’en voir qu’un seul financé.Le gâchis est considérable.Il y a place pour un financement par projets quand il s’agit degrands projets, dans lesquels le temps administratif incompres-sible ne doit pas étouffer le temps de recherche. Mais sur la plu-part des sujets seuls les financements récurrents peuvent garan-tir efficacité et liberté de la recherche, gage de créativité. D’autantque l’impossibilité de prévoir les succès fait qu’emporter un pro-jet ANR ou Horizon 2020 peut s’avérer être un cadeau empoi-sonné pour un petit laboratoire.Enfin, concernant les idex et labex, il doit être clair que l’excel-lence ne peut être qu’un objectif constant de la recherche commede l’enseignement ou de la production industrielle, certainementpas une marque déposée ni un argument de vente sujet à toutesles manipulations. Et moins encore un moyen d’éviter les procé-dures démocratiques qui sont encore celles du service public ! l

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

DOSSIER28 SCIENCES ET TECHNIQUES : DES RÉPONSES PROGRESSISTES

RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALESV.4. Comprendre les transformations induites par l’économienumérique exige une réflexion sur le devenir de nos sociétés.Quelle place envisagez-vous pour la recherche en sciencessociales ?

Les sciences humaines et sociales constituent un champ deconnaissance qui a vocation à se développer en soi, indépen-damment des autres disciplines et dans le contexte difficile denos sociétés. Bien au-delà des réductrices « transformationsinduites par l’économie numérique », l’apport de ce champ de

connaissance est plus que jamais essentiel. On le voit dans uncertain nombre des sujets abordés plus haut dans ce question-naire : comment combattre un certain nombre de peurs et résis-tances trop peu rationnelles si ce n’est en se donnant les moyensde déployer de solides méthodes d’analyse scientifique pour lescomprendre?Dans un paysage médiatique et intellectuel dominé par le pul-sionnel et l’immédiat, la sociologie demeure un sport de com-bat, et l’histoire – en particulier la trop ignorée histoire dessciences – demeure un enjeu essentiel de la formation des citoyensde la République. Toutes les sciences humaines et sociales ontun rôle essentiel à jouer pour éclairer les changements de notreépoque et la prise de décision politique démocratique, et notam-ment pour discerner ce qui dans l’innovation peut constituer ounon un progrès et devrait à ce titre être soutenu ou, au contraire,prévenu.Malgré cela, la difficulté à leur faire porter des sujets en prisedirecte avec les intérêts économiques fait que ces disciplines souf-frent encore plus que les sciences de la nature des baisses de cré-dits et de la course imposée aux moyens extérieurs. Sauf à être,comme trop souvent l’économie, au service direct des intérêtsdominants. Les universités et le CNRS assurent une certaine indé-

pendance aux chercheurs de ces disciplines, mais la pression estaussi forte qu’inutile, voire destructrice. En témoigne le libellé dela présente question, qui voudrait tendre à réduire la questiondes sciences humaines et sociales à l’adaptation de la société auxexigences de l’économie numérique.Les communistes défendent donc une revalorisation forte de cesdisciplines et des crédits nécessaires au travail serein des cher-cheurs et enseignants dans ce domaine, indépendamment deleur utilité économique directe. L’Humanité et la presse commu-niste font une place plus importante que la plupart des autresmédias aux sciences, et en particulier aux sciences humaines etsociales, mais il apparaît très clairement qu’en termes de partagedes résultats de la recherche et de transmission de la culture scien-

tifique un plan d’action publique d’ampleur est à déployer quiimpliquerait au moins l’éducation nationale, l’enseignementsupérieur et la recherche, la communication et la culture, l’au-diovisuel public, un organisme national dédié à l’informationscientifique et technique et les collectivités locales. l

ATTRACTIVITÉV.5. Divers indicateurs montrent que les conditions actuelles nepermettent plus d’attirer ou de stabiliser dans les carrières derecherche les jeunes les plus brillants. Beaucoup se détournentdes filières scientifiques majeures qui attiraient souvent autrefoisles meilleurs. Quant à la jeunesse la plus qualifiée de France, for-mée par la recherche à l’issue d’un doctorat, ceux qui ambition-nent de faire carrière dans la recherche publique devront atten-dre de nombreuses années post-doctorales, et se contenter, s’ilsréussissent les difficiles concours, d’un salaire non compétitif àl’échelle européenne ou se résoudre à un exil souvent sans retour.Quelles mesures comptez-vous prendre pour assurer le renouvel-lement des générations qui permettrait de maintenir la France aurang de grande nation scientifique qu’elle doit ambitionner?

V. RECHERCHE ET INNOVATION

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

La recherche française demeure attractive, en témoigne lenombre de scientifiques venus de monde entier mener leursrecherches en France. L’image d’excellence de la recherchefrançaise tout autant qu’un statut garantissant encore unegrande liberté de recherche, en particulier à l’égard des inté-rêts économiques, sont les clés de cette capacité d’attraction.Toutefois, il est indéniable que l’attraction de l’étranger, passeulement d’ailleurs des États-Unis, prend sur les jeunes for-més en France des proportions qui peuvent inquiéter. Lescauses en sont multiples, certaines propres à la recherche,d’autres plus partagées. Parmi ces dernières, le gel du pointd’indice des fonctionnaires et l’érosion des salaires qui enrésulte depuis des années, tandis que les postes de dépenses

tels que le logement dans les métropoles où se concentre deplus en plus l’activité de recherche ne cessent de monter et enarrivent à poser un véritable problème pour les jeunes cher-cheurs. À quoi s’ajoute la difficulté croissante de trouver despostes, en particulier des postes stables et à responsabilité,sans lesquels il ne saurait y avoir d’investissement réel et épa-nouissant pour le personnel de la recherche : chercheurs, ensei-gnants-chercheurs et techniciens. Sans lesquels le renouvel-lement des générations indispensable à la transmission dessavoirs et au maintien du niveau scientifique et technique dupays n’est pas assuré.Le mauvais palliatif de la redirection des jeunes diplômés versle business, l’entrepreneuriat et les start-up est idéologique etinutile, il ne mène qu’à l’échec du plus grand nombre au nomdu succès financier d’une petite minorité – souvent d’ailleursla mieux dotée en termes de capital social – et représente à cetitre un terrible gâchis pour la France, qui livre aux investis-seurs le meilleur de la jeunesse qu’elle a fait l’effort de former.Pour les communistes, au contraire, il s’agit de comprendreque des chercheurs en nombre suffisants, bien payés et tra-vaillant dans des laboratoires bien équipés sont le meilleurdes investissements d’avenir. l

VISAS SCIENTIFIQUESV.6. Prévoyez-vous de faciliter l’accueil en France des scienti-fiques étrangers de niveau doctoral et post-doctoral et de quellemanière? Pensez-vous qu’il soit souhaitable de diminuer, conser-ver à l’identique ou étendre la durée de validité du visa scienti-fique attribué à un chercheur étranger dans le cadre d’un contratde travail en France? Et de manière plus générale comment pen-sez-vous faire évoluer ce dispositif ?

L’enseignement et la recherche s’enrichissent de l’ouverture inter-nationale, et l’accueil de scientifiques étrangers est un honneuret une chance pour la France. Mais pour autant il semble qu’ilest temps de revisiter la politique de visas scientifiques française,de l’étendre et même d’envisager des aides matérielles à l’instal-lation de ces chercheurs.Cette ouverture doit toutefois s’inscrire dans le cadre plus globald’une politique internationale de coopération et de codévelop-pement, en particulier avec les pays africains et francophones,en évitant l’écueil du pillage des cerveaux. l

PRINCIPE DE PRÉCAUTIONV.7. Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution,et de nombreux jugements récents de tribunaux administratifsy font référence. Quelle est votre appréciation générale de l’ap-plication de ce principe?

Le principe de précaution est, comme principe, une bonne chose,et son inscription dans la Constitution a été appuyée par nosparlementaires. L’expérience a montré que dans le jeu de laconcurrence les entreprises pour devancer leurs concurrenteset maximiser leurs taux de profits n’hésitent pas à minimiser lesessais sur les conséquences de leurs produits. Il s’agirait aucontraire d’éviter que le lancement hasardeux de produits ou detechnologies n’entraîne des effets dangereux pour l’homme oula biodiversité.L’invocation fréquemment abusive, parfois sciemment, de ceprincipe dans les débats de société peut bloquer de fait touteinnovation, recherche ou développement d’une technologie pro-metteuse ou nécessaire, confinant à l’irrationalisme et à l’obscu-rantisme, et interdisant une réelle délibération démocratique surl’appréciation et l’acceptabilité d’un risque.

Notre volonté est de dépasser cette contradiction en conjuguantapproche rationnelle, confiance en la science et les scientifiques,et démocratie. La recherche doit pouvoir se déployer – avec pru-dence quand c’est nécessaire mais pleinement – et l’évaluationde ses résultats doit être menée toujours par une pluralité de labo-ratoires croisant leurs résultats, et l’ensemble mis en débat dansla transparence complète, ce qui implique une pleine maîtrisepublique. La décision doit alors être prise au niveau politique,non sans avoir consulté des collèges pluralistes reflétant la diver-sité des associations et syndicats, voire, pour les sujets les plusimportants, engager des consultations publiques. l

V. RECHERCHE ET INNOVATION

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n LAFARGE-DAESH : ENTREPRISE TERRORISTEEn novembre 2017, les bureaux français du groupeLafargeHolcim étaient perquisitionnés. C’était lasuite des révélations sur les pratiques du groupeet de ses liens avec Daesh : pour pouvoir conti-nuer d’assurer la production à la cimenterie deJalabiya, en Syrie, expliquera Bruno Pescheux,ancien directeur général adjoint opérationnel, unversement de 20000 € mensuel était convenuau profit de l’organisation terroriste. Dès lors, leterme d’« entreprise terroriste » prend tout sonsens. Ces versements, qui ont officiellement duréun an, étaient connus et avaient l’aval du gou-vernement français de l’époque. Les mesures derestrictions des libertés publiques n’ont, semble-t-il, pas inquiété les « premiers de cordées » desentreprises françaises. n

n LA FEMME EST L’AVENIR DE L’HOMMELes universités des États-Unis d’Amérique cher-chent à attirer davantage de garçons. Les femmessont désormais majoritaires dans les campusétats-uniens : à la rentrée 2017-2018, on dénom-brait 2,2 millions de femmes en plus inscritesdans les études supérieures ; elles représententdésormais 56 % de la population étudiante… etla tendance se confirme. n

n CE 1 % QUI SE PORTEENCORE MIEUX QU’EN 2008Le gouffre qui sépare les personnalités les plusriches du monde du reste de la population conti-nue de s’accentuer. Selon une étude du Creditsuisse, 1 % de la population de la planète détientla moitié des richesses mondiales en 2017. Audébut de la crise financière de 2008, ce 1 % n’enpossédait que 42,5 %. n

n LA DYSLEXIE EXPLIQUÉE PAR DES TACHES DANS LES YEUXLes physiciens Albert Le Floch et Guy Ropars, del’université de Rennes-I, viennent de publier dans

la prestigieuse revueProceedings of theRoyal Society leurstravaux sur la dys-lexie.Dans nos yeux setrouvent des tachesdites « de Maxwell». Elles ont pour par-ticularité de filtrer lalumière bleue. Une

personne non dyslexique possède des taches dif-férentes à chaque œil : l’œil directeur a une tachecirculaire, l’autre une tache patatoïdale.L’un des deux chercheurs, Albert Le Floch, nousinterpelle par l’exemple : « Si vous regardez lalettre b, votre œil va parfaitement l’imprimer dansune partie de votre cerveau tandis qu’une imageinversée fantôme, donc un d, sera stockée dansune autre partie. Mais le cerveau ne tiendra pascompte de cette lettre fantôme. » Chez les indi-vidus dyslexiques, les deux yeux ont des tachesde Maxwell identiques et parfaitement symé-triques : la lettre fantôme ne s’efface pas… et lecerveau s’emmêle dans le « choix » de la lettreà comprendre. n

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

Les dépôts de plaintes pour viol en hausse

Seuls 10 % des femmes violées portent plainte.Cela dit, dans le contexte de libération de la paroledes femmes qu’a crée l’affaire Weinstein auxÉtats-Unis, le nombre de plaintes déposées enFrance pour violences sexuelles a connu unehausse en octobre 2017 : + 30 % en zone gendar-

merie et + 23 % en zone police. Si les violences sexuelles sont de plus en plusdéclarées dans notre pays, il s’agit bien plus d’une libération de la parole qued’une hausse des faits. Il en reste donc du chemin à parcourir !La suppression de la visite médicale obligatoire dans le cadre d’une embaucheet la suppression des CHSCT sont autant de coups portés à la lutte contre lesviolences sexistes et les souffrances au travail.Pour rappel, seul 1 % des violeurs sont condamnés. n

Biais et dangers d’un logiciel de reconnaissance facialeDébut septembre, Michal Kosinski et Yilun Wang, deux scientifiques de l’uni-versité de Standford, ont annoncé avoir réa-lisé une intelligence artificielle pouvant, à par-tir d’une photographie, reconnaître l’orientationsexuelle d’une personne. Ils assurent dans leurétude que leur intelligence artificielle a éla-boré un programme, à partir de l’analyse de35000 photos correspondant à 14000 hommeset femmes, homosexuels et hétérosexuels,issues d’un site de rencontres états-unien, capable de déterminer si une per-sonne est homosexuelle ou non. Le biais est évident…Pour Kate Crawford, chercheuse de l’entreprise Microsoft, c’est le dangereuxretour de la physiognomonie, cette théorie pseudo-scientifique qui affirmaitpouvoir catégoriser les individus grâce à l’étude de leur corps.Michal Kosinski officie en tant que conseiller de la start-up israélienne Faception,laquelle affirme avoir conçu un logiciel capable de « révéler la personnalité desgens à partir d’une photo de leur visage ». n

Batteries rechargeables : nouvelles perspectivesLes batteries font fureur : smartphones, ordinateurs, high-tech, objets connec-tés et voitures électriques, elles sont partout. Et elles sont en plein essor, au détri-ment de l’environnement, tant le lithium est une ressource finie, à l’extractionpolluante et à la durée de vie limitée. Bien que des progrès aient été réalisés dansce domaine, les batteries demeurent questionnables au vu de ces éléments.D’autant plus qu’elles sont potentiellement dangereuses : risques d’inflamma-tion, toxicité du cobalt.Le sodium est mille fois plus abondant que le lithium, plaide le professeur Jean-Marie Tarascon. Fondateur d’une start-up française, sous l’égide du CNRS etdu Commissariat à l’énergie atomique (CEA), il rappelle que le sodium est pré-sent partout sur Terre, et bien sûr dans le sel marin. De plus, le sodium est recy-clable, lui.Le prototype de batterie travaillé par l’équipe de Jean-Marie Tarascon résiste àplusieurs milliers de cycles de charge et décharge (environ 3500) et elle se charge5 à 10 fois plus vite que les batteries au lithium. Ombre au tableau, le sodiumest trois fois plus lourd que le lithium. Ce type de batterie serait donc davantagepour des applications fixes.n

BRÈVES30

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

n VIDE ABYSSAL POUR LA RECHERCHE Le budget 2018 de l’enseignement supérieur esten hausse de 501 millions pour la recherchepublique. Si les emplois administratifs des super-structures des COMUE profitent de cette hausse,le secteur de la recherche est le perdant de ceteffet de manche.En effet, le détail des lignes de financement dubudget de l’enseignement supérieur renseigneque la recherche publique n’a pas le moindre europour les « opérateurs de recherches ». Cette tra-duction fade de la « pensée start-up » du gouver-nement Macron est à rebours des enjeux derecherche et de développement du « nouveaumonde » qu’il prétend incarner.Le CNRS va ainsi perdre 21 chercheurs, seul l’INEDvoit ses effectifs stabilisés. L’Agence nationale dela recherche, jouant davantage le rôle de plate-forme filtrante et compétitive des ambitions deschercheurs que le rôle de recherche, voit ses effec-tifs grandir de 26 postes. n

n UN PAYSAN CONTRE UN GROS POLLUEURLe paysan péruvien Saúl Luciano Lliuya vient degagner une bataille. La cour régionale de laRhénanie-du-Nord-Westphalie a accepté de jugerle recours du paysan contre le consortium éner-gétique allemand RWE. Le groupe RWE, à travers

ses filiales, est le deuxième plus gros producteurd’électricité en Europe. Sa production électriqueest faite à 60 % de combustion du charbon. Plusgros pollueur d’Europe, le groupe RWE est direc-tement responsable de la fonte des glaciers auxabords des terres cultivés du Pérou – et ailleursdans le monde. Dans cette lutte de David contreGoliath, ce long processus de bataille judiciaireouvre un espace pour des actions collectives contreles responsables de choix énergétiques qui para-sitent l’avenir. n

n LE CLIMAT DES AFFAIRES ALLEMAND S’ACCOMMODE DE L’EXTRÊME DROITEIFO, c’est l’indice du climat des affaires enAllemagne. Et il se porte bien : il a battu unrecord au cours du mois de d’octobre 2017.L’entrée des députés de l’AfD, parti d’extrêmedroite, au Bundestag, le Parlement allemand,ne semble pas affecter le moral des entrepre-neurs d’outre-Rhin. Pour l’économiste KlausWohlrabe, l’économie passe outre les négocia-tions que mène Angela Merkel pour former unecoalition gouvernementale : « L’économie alle-mande montre qu’elle ne souffre pas de la situa-tion politique. »Tout va très bien… Pas pour tout le monde ! n

Climat : l’humanité doit et sait comment agir pour survivre

Dans son rapport en date de fin octobre 2017, l’ONU Environnement pointel’écart « catastrophique » entre les engagements pris par les États pour réduire

leurs émissions degaz à effet de serreet les efforts néces-saires pour respec-ter l’accord de laCOP 21.Des bouleverse-ments de choixénergétiques se sontcertes opérés, avecdes impacts posi-tifs : le CO2 dû à la combustion de ressources fossiles(charbon, pétrole,gaz, et industrie

cimentière) s’est stabilisé à près de 36 milliards de tonnes. Elles représentent70 % des gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère. Le recours massif àdavantage d’énergie renouvelable en Inde et en Chine, du solaire notamment,contribue à cette stabilisation, tout comme le tassement du recours au char-bon en Chine et aux États-Unis, mais dans ce pays cela est à mettre en suspensau vu des choix de l’administration Trump.Mais en tenant compte du méthane et le changement d’occupation des sols(déforestation, agriculture…), l’ONU Environnement juge que les engagementsde la COP 21 des 169 États ayant réellement ratifié l’accord ne permettront deparcourir qu’« approximativement un tiers » du chemin nécessaire. En l’étatactuel, on s’oriente donc aujourd’hui vraisemblablement vers une hausse de latempérature de 3 °C à 3,2 °C à la fin du siècle.Laisser là où elles sont 80 % à 90 % des réserves de charbon, 50 % de celles degaz et environ de 30 % de celles de pétrole permettrait d’éviter de vivre le piredans les décennies à venir. n

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Le glyphosate reconduit dans la douleurpour cinq ans en Europe

Le 27 novembre 2017, la Comission européenne a prolongé de cinq ans l’auto-risation du glyphosate. Il a fallu des trésors de lobbying agressif, de publicitésmensongères et des heures de bras de fer entre pays membres pour arriver àcette décision. Là où Monsanto s’attendait à une reconduction de l’autorisa-tion sans remous pour quinze ans, la firme s’est retrouvée sous les feux des pro-jecteurs et des critiques.La veille du vote, le quotidien le Monde indiquait dans une enquête en cours leplagiat du rapport de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) dedocuments rédigés par Monsanto.Le doute plane plus que jamais sur tout le système européen de contrôle depesticides. n

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PAR SERGE ABITEBOUL*,

es matériels informa-tiques de plus en pluspuissants, des algo-

rithmes de gestion et d’analysede données de plus en plussophistiqués, la disponibilitéde données numériques de plusen plus massives changent notremonde. Ils permettent des avan-cées extraordinaires de larecherche scientifique dans denombreux domaines, commela médecine, l’astronomie oula sociologie. Ils mettent à notreservice des outils fantastiquescomme, aujourd’hui, desmoteurs de recherche du Webtel Qwant1 et, peut-être demain,les systèmes d’informations per-sonnelles tel celui en cours dedéveloppement par l’entreprisefrançaise Cozy Cloud. Ils sontbeaucoup utilisés par les entre-prises, par exemple pour le mar-keting… et aussi par les gou-vernements. Il suffit de collecterdes masses de données numé-riques – on y trouvera toute l’intelligence (au sens anglais2)du monde – pour lutter contrela criminalité, détruire ses op -posants politiques, découvrirles secrets industriels de sesconcurrents.Une société s’est imposée surce marché juteux, PalantirTechnologies. Le cœur de leurtechnologie est un système,Palantir Gotham, qui permetd’intégrer massivement des don-nées structurées (provenant debases de données) et non struc-turées (par exemple des textesdu Web ou des images), de faire

des recherches sur ces données,de les analyser, d’en extraire desconnaissances.

COMMENT ÇA MARCHE? La difficulté est de comprendrele sens des données. Celles d’uneentreprise sont relativementpropres et bien structurées.Quand nous utilisons les don-nées de plusieurs entreprises,quand nous les « intégrons »,c’est déjà moins simple. Lesdonnées sont organisées diffé-remment, les terminologies peu-vent être différentes. Par exem-ple, les deux systèmes peuventutiliser des identifiants diffé-rents pour une même personne,des adresses ou des courrielsdifférents, etc. Les informationsdu Web et des réseaux sociauxpeuvent être encore plus diffi-ciles à extraire : les personnesutilisent parfois juste des pré-noms ou des surnoms; les impré-cisions, les erreurs, les incohé-rences sont fréquentes; surtout,les données sont très incom-plètes. En outre, une grandemasse des informations dispo-nibles consiste en des textes etdes images où il faut aller cher-cher des connaissances.Les progrès de la technique ontété considérables ces dernièresannées. Par exemple, le systèmeXKeyscore, un des bijoux (entermes de coût aussi) de la NSA,peut réunir, pour une personne,quasi instantanément la listede ses appels téléphoniques, deses paiements avec une cartede crédits, de ses courriels, sesrecherches Web, les images devidéosurveillance d’un maga-

sin où elle a réalisé des achats…Palantir propose à ses utilisa-teurs XKeyscore Helper pourimporter des données deXKeyscore, les interroger, lesvisualiser, les analyser et lesréexporter.

PALENTIR ET LA DGSI Est-ce la fin de la vie privée? Nes’agirait-il là que d’exagérations?de la parano? J’ai peur que non.Nous n’en sommes pas encorelà en France, même si des loiscomme la celle de 2015 relativeau renseignement nous enga-gent dans cette direction.Heureusement, nos services derenseignements ont moins demoyens, et d’autres textes, la loiinformatique et libertés ou lerèglement européen sur la pro-tection des données person-nelles à partir de 2018, nousprotègent.Revenons à Palantir. Parmi sespremiers investisseurs, on trouvela CIA, et parmi ses clients états-uniens, la CIA, la NSA, le FBI,les Marines, l’US Air Force, les

Forces d’opérations spéciales.La technologie de Palantir estutilisée notamment pour relierles données de plusieurs agencesde renseignement et leurs per-mettre ainsi de coopérer. Depuis2016, Palantir travaille aussi en

France pour la Direction géné-rale de la sécurité intérieure.Nous nous inquiétons peut-êtrepour rien, mais que font-ils pourla DGSI? À quelles données surdes Français ont-ils accès? Dansle cadre de la transparence del’État, il nous semble que nousavons le droit de savoir.Naïvement, nous aurions aussipu penser que, sur des donnéesde sécurité intérieure, une entre-prise européenne aurait étéplus appropriée, ne serait-ceque parce qu’elle serait plusdirectement soumise aux loiseuropéennes.Pour tenter de nous rassurer,nous pouvons consulter le siteWeb de Palantir, où sous l’inti-tuléWhat We Believe (« Ce quenous croyons »), on peut lire :

Palantir Gotham permet d’intégrer massivement desdonnées structurées (provenant de bases de données) et non structurées (par exemple des textes du Web oudes images), de faire des recherches sur ces données,de les analyser, d’en extraire des connaissances.

n SÉCURITÉ NATIONALE

L’analyse de données massives, le big data, a de nombreuses applications :on peut vouloir faire parler les données dans de nombreux domaines. Nousnous intéressons ici à un en particulier, le renseignement.

Les liaisons dangereuses du renseignement français

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

SCIENCE ET TECHNOLOGIE32

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« Palantir is a mission-focusedcompany. Our team is dedicat-ed to working for the commongood and doing what’s right, inaddition to being deeply pas-sionate about building greatsoftware and a successful com-pany. » («Palantir est une entre-prise concentrée sur sa mission.Notre équipe est dévouée à tra-vailler pour le bien commun età faire ce qui est bien, en plusd’être profondément passion-née par la création de logicielsgéniaux et d’une entreprise prospère. »)Certes, mais après nombre derévélations, notamment cellesde Richard Snowden sur desprogrammes de surveillance àl’échelle mondiale, impliquantla NSA ou l’alliance de rensei-gnement Five Eyes (Australie,Canada, Nouvelle-Zélande,Royaume-Uni, États-Unis), nouspouvons difficilement nouscontenter de bonnes intentions.

AIRBUS PARMI LES CLIENTSParmi les clients de Palantir, ontrouve aussi Airbus. Il s’agit dansce cas, en principe, d’intégrerdes informations dispersées surplusieurs systèmes d’Airbus, etde les analyser pour compren-dre les problèmes de qualitédes A350. C’est pour la collecte,l’intégration et l’analyse de don-nées qu’Airbus utilise la tech-

nologie et l’expertise de Palantir.Nous pouvons bien sûr nousréjouir de l’amélioration de lasécurité de l’A350. Mais, n’y a-t-il pas à craindre que des infor-mations stratégiques se retrou-vent par hasard, via les réseauxde la CIA proches de Palantir,dans les mains de concurrentsd’Airbus? Ne dites pas que c’estimprobable ! Naïvement, nousaurions aussi pu penser que,sur de telles données, une entre-prise européenne aurait été plusappropriée, ne serait-ce quepour éviter trop de connexionsoccultes avec des entreprisesétats-uniennes ou asiatiques.Si nous préférons penser queles services de renseignementfrançais et ceux de la sécuritéd’Airbus sont compétents, res-ponsables, et qu’ils savent cequ’ils font, nous pouvons légi-timement nous inquiéter de lesvoir utiliser les services d’unesociété états-unienne prochedes services secrets et dont undes fondateurs est Peter Thiel,un libertarien, aujourd’hui

conseiller numérique de DonaldTrump, qu’il a soutenu tout aulong de la campagne électoralequi le mena à la Maison-Blanche.L’analyse de données massivesest un outil moderne pour lut-ter contre le terrorisme. En croi-sant les bases de données desdifférentes agences gouverne-mentales, on peut détecter descomportements suspects, desactivités qui intéressent la lutteantiterroriste. J’ai été marquépar ce que m’a dit un jour (c’étaitavant le 13 novembre 2015) unofficier de renseignement: « S’ily a un attentat terroriste majeuren France, on nous reprocherade ne pas avoir fait tout ce quiétait en notre pouvoir pour l’em-pêcher. » Pourtant, cette surveil-lance massive de la population,d’individus a priori suspects…ou pas dans des pays démocra-tiques peut raisonnablementinquiéter, être prise pour uneatteinte aux libertés. C’est bienlà le dilemme. Après chaqueattentat, les politiques, boule-versés par les images, l’horreur,

Les services de renseignement français et ceux de la sécurité d’Airbus sont compétents, responsables,et savent ce qu’ils font, nous pouvons légitimementnous inquiéter de les voir utiliser les services d’unesociété états-unienne proche des services secrets.

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

sont prêts à tout pour éviter quecela se reproduise, même à res-treindre les libertés. On peut lescomprendre. Mais, entre l’épou-vante du terrorisme et la répul-sion du totalitarisme, il fautchoisir où placer le curseur.Peut-être faudrait-il garder entête que le renseignement inté-rieur se fait, dans un état dedroit, sous le contrôle de la jus-tice et ne surtout pas oublierqu’un affaiblissement de ladémocratie est une victoire duterrorisme. n

*SERGE ABITEBOUL est professeurà l’INRIA et à l’École normale supérieure, Paris. Il est membre de l’Académie des sciences.

1. Qwant est un moteur de rechercheeuropéen qui préserve la vie privée etne transmet ni ne retient doncd’informations vous concernant. 2. En effet, nul ne penserait à traduireIntelligence Service par « serviceintelligent », ça se saurait !

POUR EN SAVOIR PLUSSam Biddle, How Peter Thiel’s PalantirHelped the NSA Spy on the WholeWorld(https://theintercept.com/.../how-peter-thiels-palantir-helped-the-nsa...), TheIntercept, 2017.Ashlee Vance et Brad Stone, Palantir,the War on Terror’s Secret Weapon(https://www.bloomberg.com/.../palantir-the-war-on-terrors-secret-...),Bloomberg Businessweek, 2011.Vous pouvez aussi consulter le blogde Serge Abiteboul(binaire.blog.lemonde.fr).

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

PAR JEAN-MICHEL BONY*,

aryam Mirzakhani estnée à Téhéran, enIran, et ses aptitudes

ma thé matiques exceptionnelless’y révèlent dès le lycée. Elleobtient successivement, en1994et1995, deux médailles d’or auxOlympiades internationales demathématiques, la seconde foisavec le score maximal. Elleobtient en 1999 son diplôme debachelor of science à l’univer-sité Sharif de sa ville natale, puispart pour les États-Unis prépa-rer son doctorat à l’universitéHarvard (Massachusetts).Sa thèse de doctorat, qu’elle

soutient en 2004, est unanime-ment considérée comme unchef-d’œuvre : elle y résout, etmet en rapport, deux problèmesimportants posés depuis long-temps. Elle était depuis 2008professeur à l’université Stanford(Californie). Ses travaux lui ontvalu de nombreuses distinc-tions : le Blumenthal Award en2009, le prix Satter de l’AmericanMathematical Society en 2013et, enfin, la médaille Fields en2014 « pour ses contributionsexceptionnelles à la dynamiqueet la géométrie des surfaces deRiemann et de leurs espaces demodules » (voir encadrés).Les travaux de Maryam

départ coïncide avec le pointd’arrivée) de longueur ≤ L. Si onne fait aucune hypothèse sup-plémentaire, il était connu depuisplusieurs décennies que ce nom-

bre croît exponentiellementavec L. Maryam Mirzakhani s’in-téresse au nombre de géodé-siques qui sont simples, c’est-à-dire qui ne se recoupent pas.

n HOMMAGE

Mirzakhani se situent auconfluent de l’analyse complexe,de la géométrie différentielle,de la topologie et de la dyna-mique. Un premier résultat

remarquable porte sur l’esti-mation, sur une surface deRiemann de genre g ≥ 2, du nom-bre de géodésiques fermées(c’est-à-dire dont le point de

Sa thèse de doctorat, qu’elle soutient en 2004, est unanimement considérée comme un chef-d’œuvre : elle y résout, et met en rapport, deux problèmesimportants posés depuis longtemps.

Maryam Mirzakhani, une mathématicienne d’exceptionLa communauté scientifique a appris avec une profonde tristesse le décès de lagrande mathématicienne Maryam Mirzakhani à l’âge de quarante ans. C’est à cejour la seule femme au monde à avoir obtenu la prestigieuse médaille Fields, la plushaute distinction en mathématiques. L’Académie des sciences française l’avait éluemembre associé étranger en 2015.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

Elle démontre que la croissanceest alors beaucoup plus lente,comme un polynôme en L dedegré 6g − 6.Bien que ce théorème porte surchaque surface de Riemann

individuellement, MaryamMirzakhani l’obtient grâce àune compréhension exception-nelle de l’espace des modules,c’est-à-dire de l’ensemble deces surfaces. Ce sont en fait deremarquables estimations devolumes dans cet espace si com-pliqué qui lui permettent d’ob-tenir le résultat précédent. Ilfaudrait encore citer ses contri-butions à la dynamique des bil-lards polygonaux et bien d’au-tres résultats que je ne peuxdétailler ici.Enfin, dans un article de 200pages écrit en collaborationavec Alex Eskin, elle a obtenudes résultats exceptionnels, etinattendus, sur la dynamiquedans l’espace des modules. Alorsque les géodésiques réelles sonttrès irrégulières et instables, les

auteurs s’intéressent aux géo-désiques complexes (en ren-dant complexe la variable de« temps » qui les paramètre). Lerésultat, surprenant, est que lafermeture d’une telle géodé-

sique (obtenue en lui ajoutantses points limites) est un objetbeaucoup plus régulier, et mêmealgébrique, définissable entermes de polynômes.

Maryam Mirzakhani manqueraénormément à son époux, à safille et à l’ensemble de la com-munauté mathématique qui aperdu l’un des esprits les plusimaginatifs de notre époque.Son œuvre survivra et aura àcoup sûr de nombreux prolon-gements. Son exemple conti-nuera à inciter de nombreusesfemmes à se lancer dans unecarrière scientifique, notam-ment en mathématiques. n

*JEAN-MICHEL BONYest mathématicien, membre de l’Académie des sciences.

ESPACE DES MODULESIl ne suffit pas d’étudier chaque surface de Riemann individuellement, ilfaut en étudier les déformations (si elles proviennent de courbes algé-briques, cela revient à en faire varier les coefficients). À la suite de Riemann,les mathématiciens ont introduit l’espace des modules de genre g dontchaque point correspond à une surface de Riemann compacte (plus pré-cisément, à une classe de telles surfaces isomorphes). Pour g ≥ 2, cetespace est de dimension 6g − 6, on peut le munir d’une structure com-plexe et d’une « bonne » métrique, ce qui fait qu’on peut alors parler devolume et de géodésiques.La géométrie globale de cet espace des modules est très compliquée etencore très mystérieuse. Elle est très loin d’être homogène : la géométried’une partie de cet espace peut être très différente de celle d’une autre par-tie. On conçoit que les systèmes dynamiques évoluant dans cet espaceaient un comportement fort complexe et que les résultats de régularité ysoient rares.La physique théorique, plus particulièrement la théorie des cordes, a natu-rellement recours à l’espace des modules. L’évolution d’une corde dansl’espace-temps est une surface sur laquelle on doit considérer toutes lesstructures complexes, et l’équivalent de l’intégrale de Feynman amène àintégrer sur tout l’espace des modules. Maryam Mirzakhani, avec sesméthodes propres, a pu donner une nouvelle démonstration d’une conjec-ture de Witten reliée à ces considérations de physique théorique.

SURFACES DE RIEMANNIntroduit par Bernhard Riemann peu après 1850, le concept de surface deRiemann joue un rôle majeur en mathématiques, mettant en relation denombreux domaines, dont la géométrie différentielle, la géométrie algé-brique, l’arithmétique, la topologie, la dynamique et la physique théorique.La définition en est simple : il s’agit d’espaces (variétés différentielles) dedimension 2 (localement, chaque point est repéré par deux coordonnéesréelles) qui sont munis en outre d’une structure complexe, ce qui permetde parler de fonctions holomorphes.Un exemple fondamental est celui d’une courbe algébrique plane d’équa-tion P(x, y) = 0, où P est un polynôme de deux variables. Plus précisé-ment, on considère l’ensemble des couples (x, y) de nombres complexesvérifiant cette équation, auxquels on ajoute des « points à l’infini ». Si lacourbe n’a pas de points singuliers, on obtient ainsi une surface de Riemanncompacte1. Bien que la définition de ces surfaces n’ait a priori rien d’al-gébrique, les surfaces de Riemann compactes proviennent toutes d’unecourbe algébrique (non nécessairement plane) par une généralisation duprocédé ci-dessus.Classifier les surfaces de Riemann, ou en donner des représentations para-métriques, c’est donc aussi faire le même travail pour les courbes algé-briques. Un invariant très important est le genre, qui est de nature pure-ment topologique. On peut facilement le décrire au moins pour les surfacescompactes. Celles de genre 0 sont topologiquement équivalentes à lasphère ; celles de genre 1 le sont au tore ou, si l’on préfère, à la sphèremunie d’une anse (on peut les déformer l’un en l’autre) ; celles de genre g≥ 2 le sont à la sphère munie de g anses. Cela n’épuise pas bien sûr laclassification : une même surface peut être munie de beaucoup de struc-tures complexes différentes.Depuis le début du XXe siècle, grâce aux travaux de Henri Poincaré et debien d’autres mathématiciens, on dispose de résultats beaucoup plus pré-cis. En genre 0, il n’y a que la sphère (cas des courbes unicursales, para-métrables par des fractions rationnelles). En genre 1, ce sont des quo-tients du plan complexe, paramétrables par les fonctions elliptiques. Engenre g ≥ 2, ce sont des quotients du demi-plan hyperbolique de Poincaré,et on peut les paramétrer par les fonctions dites fuchsiennes.Sur une surface de Riemann, parmi les métriques compatibles avec lastructure complexe, il en existe une ayant de meilleures propriétés (com-plétude et courbure constante). Cela permet de parler de distance, devolume et de géodésiques, courbes réalisant localement le minimum dedistance entre deux de leurs points (exemple : les arcs de grand cerclesur la sphère). En genre g ≥ 2 (contrairement aux genres 0 et 1), il n’y aqu’un nombre fini de géodésiques fermées de longueur inférieure ou égaleà une valeur donnée, leur décompte, où Maryam Mirzakhani s’est illus-trée, est un problème important et difficile.1. Un espace est compact si toute suite y admet au moins un point limite, d’où la nécessité d’ajouter les points à l’infini.

Les travaux de Maryam Mirzakhani se situent au confluent de l’analyse complexe, de la géométriedifférentielle, de la topologie et de la dynamique.

Un exemple de surface de Riemann pour un fonction ƒ(z) = √z.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

n CONQUÈTE SPATIALE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE36

PAR EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA*,

LE CONTEXTE HISTORIQUEÀ l’époque, on savait bien queles États-Unis et l’Union sovié-tique développaient des pro-grammes de recherche de mis-siles dérivés des fameusesarmes V de l’Allemagne nazie,et que la construction de satel-lites artificiels de la Terre, donton ne devinait pas facilementl’utilité pratique, interviendraitdans un futur prochain. Toutcela dans une ambiance géné-rale de peur (les missiles seraientcapables de transporter desarmes atomiques) entretenuepar le secret. Qui plus est, lacomparaison avec la course auxarmes atomiques, dont le retardinitial des Soviétiques se rédui-sait rapidement, était tentante.Mais la construction d’un satel-lite artificiel avait une autredimension ; il ne s’agissait plusd’une arme, mais d’une piècefondamentale du versant paci-fique et constructif de l’aven-ture humaine.Les Anciens croyaient que le fir-mament était la chasse gardéedes dieux, régi par des lois autresque celles de notre monde, lequelen subissait les conséquences,sans réciprocité possible. Une

première brèche dans ce schémaavait été ouverte par Newtondès le XVIIe siècle ; la mécaniqueexpliquait aussi bien les mou-vements des planètes que lachute d’une pomme dans un

jardin : si les dieux savaient cequi se passait dans le firma-ment, les hommes aussi! Et voicique maintenant non seulementon savait, mais surtout on allaitintervenir directement dansl’ordre cosmique !

UN DÉFI TECHNIQUESURTOUTLe 4 octobre 1957 donc, ce pasa été franchi par l’Union sovié-tique, montrant en même tempsque le pôle de la technologies’était déplacé vers l’est.L’orgueilleuse Amérique s’esttrouvée réduite à gesticuler,envoyant vers l’espace de pitoya-bles fusées qui explosaient avantde sortir de l’atmosphère, alorsque Spoutnik 1, dans la séré-nité du firmament, continuaitd’émettre son bip-bip, qui témoi-gnait des temps nouveaux. Onsavait que les ingénieurs et scien-tifiques allemands responsa-bles de la mise au point desarmes V, en particulier le trèsmédiatique Werner von Braun(1912-1977), avaient été récu-pérés par les États-Uniens, maisaussi par les Soviétiques. Aussiironisait-on sur la course à l’es-pace sur le thème « NosAllemands sont meilleurs quevos Allemands ».

La réalité est plus nuancée. Il yavait plusieurs obstacles, plu-tôt d’ingénierie que proprementscientifiques, à surmonter : lastabilisation du vol, les proper-gols et, bien entendu, l’énorme

puissance nécessaire pour pro-pulser des engins à des vitessesà proprement parler astrono-miques. La stabilisation auto-matique, grâce à des gyroscopes,tout en constituant une tech-nologie de pointe, était plus oumoins résolue pour le vol desavions avant même la SecondeGuerre mondiale. Et RobertGoddard (1882-1945), un pion-nier états-unien des fusées, avaitréussi, déjà en 1932, un vol par-faitement stabilisé d’une fuséeà gyroscope. Mais les lanceursdestinés à mettre en orbite dessatellites devaient fonctionneren dehors de l’atmosphère. Défimajeur, car si les fusées des feuxd’artifice brûlent de la poudreavec l’oxygène de l’air, pourfonctionner en dehors de l’at-mosphère une fusée doit empor-ter l’équivalent de l’oxygène :les fusées spatiales fonction-nent avec des propergols liquides(combustible et comburant). Etbien entendu, la vitesse néces-saire pour mettre un satelliteen orbite est très supérieure àcelles des fusées V2 avec les-quelles les Allemands bombar-daient Londres et Anvers à lafin de la guerre.

LES PREMIÈRES FUSÉESL’Union soviétique bénéficiaitdans ce domaine d’une longuehistoire, héritée de la Russie,grâce aux travaux de ConstantinEdouardovitch Tsiolkovski (1857-1935), considéré commet le pèrede l’astronautique moderne. Ilavait prévu la fusée à étages, etcalculé les vitesses de libéra-tion et de satellisation, il avaitimaginé aussi un « ascenseurspatial » (voir Progressistes no3).La mise en orbite d’un satelliterelevait donc plutôt du déve-loppement technologique que

de la véritable invention. Lesobstacles étaient sérieux et variés,mais on était sûr que la maî-trise des techniques en vien-drait à bout. Voilà pourquoi onsavait que l’ère des satellitesapprochait, et le dénouementde l’attente devait être un indicesûr du niveau technologiquegénéral.Vers 1928, donc avant l’arrivéedes nazis au pouvoir, l’arméeallemande avait engagé des tra-vaux sur les fusées. Le jeuneingénieur von Braun, passionnédes fusées, a commencé à y tra-vailler en 1932 et, grâce à sesremarquables capacités scien-tifiques et organisationnelles,a rapidement pris la directiondu programme au centre de recherches secret dePeenemünde, mettant au pointles V1 (des avions à réaction àpilotage automatique, vulnéra-bles à la défense) et, presquesimultanément, les bien plusredoutables V2, qui étaient desfusées balistiques à propergolsliquides, fonctionnant en dehorsde l’atmosphère, indétectableset indestructibles, contre les-quelles la seule défense possi-

Soixante ans après Spoutnik 1Le 4 octobre 1957, l’Union soviétique annonçait le lancement et la mise en orbite du premier satellite artificiel de la Terre. L’événement eut une portée considérable àplusieurs points de vue.

La construction d’un satellite artificiel avait une autredimension ; il ne s’agissait plus d’une arme, mais d’unepièce fondamentale du versant pacifique et constructif del’aventure humaine.

Sur son aire de lancement, la fusée R-7 Semiorka contenantle satellite Spoutnik 1.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

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ble était la destruction des sitesde lancement. Von Braun n’étaitpas véritablement un nazi ; iln’en reste pas moins qu’il a servisans états d’âme le régime etqu’il ne pouvait pas ignorer lesconditions où des prisonniersde guerre travaillaient à la fabri-cation des V2 à l’usine souter-raine de Dora. Von Braun a étémême arrêté par la Gestapo enmars 1944 (sans conséquencesmajeures), accusé de ne pascroire à la victoire de l’Allemagneet de détourner à des fins civiles(projets de fusées postales) desmoyens utiles à la guerre totale.S’étant rendu aux États-Uniensavec une bonne partie de sonéquipe, il a emporté la plupartdu savoir-faire et a été le leaderincontesté des programmes spa-tiaux aux États-Unis.L’Union soviétique a aussi récu-péré des ingénieurs allemandscompétents dans la technolo-gie des fusées, en bien plus petitnombre que les Américains. Leprogramme soviétique a étédirigé par Sergueï Korolev (1907-1966), un ingénieur ayant tra-vaillé pendant la guerre à la miseau point de fusées d’aide audécollage des avions (assez éloi-gnées de la technologie spa-

tiale). Il est bien évident que le programme soviétique étaitbien moins allemandque celuid’outre-Atlantique et que sonsuccès témoignait d’une stra-tégie parfaitement maîtrisée. Les États-Uniens se sont donnéensuite tous les moyens, notam-ment économiques, de rattra-per un retard interprété commeune défaite. En voici un exem-ple significatif : en 1965, le pre-mier cosmonaute (soviétique ;la NASAnommera astronautes

les hommes qu’elle enverra dansl’espace ; pour les Français cesera spationautes) à sortir deson vaisseau dans l’espace étaitrelié à celui-ci par un câble enacier. Lorsque la NASA a répétél’expérience quelques mois plustard, le câble était en or, maté-riau réputé présenter certainsavantages (certainement paséconomiques).Mais l’affront ne pouvait êtrelavé que par une victoire au

moins aussi prestigieuse quecelle du premier satellite. C’estainsi que les États-Unis se sontlancés en 1961 dans une coursepour placer un homme sur laLune avant la fin de la décen-nie (projet Apollo), alors mêmeque les Soviétiques ont très vitecompris que l’exploration desastres passait par la robotisa-tion, qui renvoyait à des tech-nologies d’une autre nature, et ne se sont pas vraiment lan-cés dans la course à la Lune,laissée aux États-Uniens. Letriomphe du programme Apolloen 1969 a été l’apogée des pro-grammes de la NASA, qui sesont essoufflés ensuite.Apollo était le deuxième grandprogramme lancé et réussi parles Américains, le premier ayantété le projet Manhattan de produire la première bombeatomique.

MANHATTAN, APOLLO ET LE NATIONAL CANCER ACTCes grands défis, surtoutlorsqu’ils sont couronnés desuccès, flattent l’esprit fron-tière cher aux États-Uniens.C’est pourquoi le présidentNixon lance en 1971 le NationalCancer Act, une loi de luttecontre le cancer assortie demoyens et d’un budget de rêve,dont l’objectif affiché était de

vaincre le cancer pour le bicen-tenaire de l’indépendance desÉtats-Unis, en 1976. Il a doncestimé que vaincre le cancerétait une affaire de cinq ans.Bel optimisme, quand mettreun homme sur la Lune en avaitpris huit. La dure réalité s’estvite imposée : des sommesimmenses ont été gaspilléesavec un rendement dérisoireen matière d’avancés contre lecancer ; l’euphorie initiale est

vite retombée et les engage-ments ont été discrètementoubliés à l’approche d’uneéchéance qu’il était gênantd’évoquer.Pourquoi Manhattan et Apolloont été des succès alors que leplan Cancer a été un échec ?Comme nous l’avons signalé àpropos des fusées, le programmeApollo relevait bien plus dudéveloppement technologiqueque de la connaissance scien-tifique. Il en était de même duprojet Manhattan de mise aupoint de la première bombe ato-mique, dont la faisabilité étaitacquise depuis la fameuse let-tre d’Einstein au présidentRoosevelt du 2 août 1939. Orvaincre le cancer était et resteun véritable défi : personne nesavait comment s’y prendre. Lanature qualitative du problèmeétait passée complètement ina-perçue du président Nixon etde ses conseillers, qui pensaientqu’il s’agissait d’une affaire ponc-tuelle, isolée du reste de lascience. Cancer par rapport àApollo était une affaire de nepas savoir par rapport à savoir,un obstacle essentiel qui nepouvait pas être surmonté parl’argent ou le volontarisme.La tendance générale ultérieurea été de développer des pro-grammes internationaux (lais-sant donc bien moins de placeau prestige) dans des domainesd’intérêt général, souvent sansbut final précis, bien plus cohé-rents avec l’état des connais-sances et avec le schéma natu-rel du développement de larecherche, qui, par sa naturemême, est largement imprévi-sible et rétif à la prévision.Chaque époque est confrontéeaux défis de sa propre conjonc-ture, l’acquis et l’expériencesont utiles… jusqu’à un certainpoint. Comme l’écrivit Aragonet le chanta Georges Brassens,« Rien n’est jamais acquis àl’homme, ni sa force ni sa fai-blesse… ». n

*EVARISTE SANCHEZ-PALENCIAest mathématicien, membre de l’Académie des sciences.

La mise en orbite d’un satellite relevait plutôt dudéveloppement technologique que de la véritableinvention. Les obstacles étaient sérieux et variés, maison était sûr que la maîtrise des techniques en viendrait à bout. L’ère des satellites approchait…

Structure de Spoutnik 1.

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L’apport de la civilisation arabo-musulmane concernant la compréhensionde la physique nous éclaire sur les liens entre science et islam au XIIe siècle,dans un contexte philosophico-religieux spécifique.

PAR SYLVIE NONY*,

es débats sur les rela-tions entre science etislam errent parfois entreune « islamophobie

savante », niant l’apport de lacivilisation arabo-musulmaneaux sciences en la cantonnantà une transmission – on se souvient de la controverse autour de l’ouvrage de SylvainGouguenheim1 – et une « isla-mophilie savante », consistantà lire les travaux de l’époquemédiévale comme autant deprécurseurs de ce qui advien-dra plus tard en Europe. Les pré-supposés de ces deux attitudessont parfois orthogonaux, maisils ont en commun de court-

circuiter l’examen scientifiquedes sources. Il semble plus rai-sonnable de partir des thèsesque contiennent les textes quinous sont parvenus, d’exami-ner leurs arguments pour lesmettre en réseau et les confron-ter à leurs propres contextes.

AVICENNE ET ABū AL-BARAKāTUn moment assez particulier del’histoire de ces relations entrescience et islam a lieu aux alen-tours du XIIe siècle, en Orient. Ensciences de la nature – la partiede la philosophie centrée sur laphysique –, cette période est celleoù s’est largement diffusée l’œu-vre d’Avicenne (mort en 1037),consacrant l’autorité scienti-fique de celui que l’on appellele Maître suprême, d’Ispahan àBagdad, en passant par Hamadan.

Au siècle suivant, un autre méde-cin philosophe – juif convertitardivement à l’islam – Abū al-Barakāt al-Baghdādī (mort en1152), a entrepris une critiqueradicale des thèses de son pré-décesseur, notamment en phy-sique, critique qu’il expose dansson ouvrage le Livre de la réflexionpersonnelle. Il y défend, contre

l’orthodoxie avicennienne, lapossible existence du vide etrenouvelle totalement l’analysedu mouvement des projectiles.La doctrine aristotélicienne –largement admise à l’époque –ne peut en effet expliquer leralentissement du projectilelancé en l’air qu’en invoquantle rôle du milieu. Dans le vide– qu’il soit réel ou simplementenvisagé comme potentiel –, ilfaut construire une autre expli-cation. Abūal-Barakāt invoquela présence de deux « inclina-tions », en compétition dans lemobile : une à aller vers le haut(c’est l’inclination forcée, dueau lanceur), mais qui s’épuisepeu à peu, et une à aller vers lebas (c’est l’inclination natu-relle). C’est la seconde qui, selonlui, est responsable de l’épui-sement de la première, et Abū

al-Barakāt met à mal au coursde sa démonstration plusieursdogmes aristotéliciens : celuiqui postule qu’un mouvementse fait toujours d’un contraireà un autre; celui qui affirme unediscontinuité entre les deuxmouvements contraires de lapierre, au point qu’il soit néces-saire d’imaginer un temps d’ar-rêt en haut de la trajectoire ;celui qui affirme que le « moteur »d’un mouvement, sa cause, doitêtre extérieur au corps et unique.Le renouvellement de l’analysedu mouvement qui est proposéalors permet, pour la premièrefois dans l’histoire des sciences,une approche théorique desvariations de vitesse. Commele mobile enchaîne sans dis-continuité le mouvement dedescente avec le mouvementmontant, l’inclination violentes’épuise d’abord sous l’effet del’inclination naturelle, et cettedernière accumule ensuite seseffets sur le mobile, dont lavitesse ne cesse d’augmenter.Cette thèse de l’accumulationde l’inclination – déjà évoquéepar Avicenne – s’inscrit ici dans

un cadre théorique radicale-ment différent. Abū al-Barakātassimile l’espace tridimension-nel des géomètres à celui de laphysique, abolissant une fron-tière entre les deux sciences,consacrée depuis des siècles (etqui ne vacillera en Occidentqu’au XVIIe siècle). Il défend enoutre l’existence, au moins poten-tielle, de l’infini spatial et del’infini temporel, tout en contes-

tant les démonstrations des phi-losophes à propos de l’éternitédu Monde. Son œuvre apparaîtdonc comme une constructionmajeure qui permet de recon-sidérer la place de la physiquearabo-musulmane dans l’his-toire de la discipline.

LE CONTEXTE PHILOSOPHICO-RELIGIEUXSi l’on cherche une rupture théo-rique comparable parmi lesthèses qui ont précédé cellesde Galilée et de Descartes, dansle monde latin ce sont les tra-vaux d’un jésuite italien duXVIe siècle qui présentent le plusde similitudes. Benedetti a pro-duit une même mise en causede l’unicité du moteur, de sonexternalité, une démonstrationde la possibilité du mouvementdans le vide et un refus de ladiscontinuité entre mouvements« contraires ». Enfin, il a théo-risé l’accélération comme uneaccumulation des impetus (c’estainsi que Benedetti nommait,à la suite de Jean Buridan, l’in-clination interne au mobile).Quatre siècles séparent le jésuite

du médecin de Bagdad, et aucunindice ne nous permet d’ima-giner qu’il s’agit d’une reprisede la théorie d’Abū al-Barakātdont la transmission, y comprisdans le monde arabe, reste àexplorer.Arrêtons-nous sur cette origi-nalité de la philosophie natu-relle arabe et interrogeons-noussur son contexte. La vigueuravec laquelle ce médecin juif

Sciences médiévales en terres d’islam

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

n HISTOIRE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE38

Un moment assez particulier de l’histoire de cesrelations entre science et islam a lieu aux alentours du XIIe siècle, en Orient.

Au XIIe siècle suivant, un médecin philosophe Abūal-Barakāt al-Baghdādī défend, contre l’orthodoxieavicennienne, la possible existence du vide et renouvelletotalement l’analyse du mouvement des projectiles.

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dénonce les paralogismes deses confrères est étonnante. Est-il protégé par son statut demédecin, tour à tour attaché auservice du calife abbasside oudu sultan seldjoukide? Ces der-niers n’exercent pourtant pasd’autorité scientifique, mêmelorsqu’ils s’intéressent auxsciences de leur temps. Il n’y apas, sur cette période et le siè-cle qui a suivi, de cas de persé-cution en dehors de quelquesmystiques. Comment Abū al-Barakāt a-t-il pu trouver tantd’audace? Comment a-t-il pu,seul et en dehors de toute école,s’autoriser une telle mise encause de l’édifice avicennien?Une partie de l’explication résidedans le contexte philosophico-religieux de son époque. CeXIIe siècle est celui d’un nou-veau développement de la théo-logie rationnelle, celle que l’onnomme le kalām, qui se déve-loppe à côté de la philosophie.

Les mutakallimūn (ses secta-teurs) ont de nombreux débatsque nous pouvons reconstitueraujourd’hui. Une partie portesur des questions purementthéologiques, liées à la révéla-tion. C’est ainsi qu’est né l’as-harisme au Xe siècle, contre lemutazilisme. D’autres débatsne relèvent que de l’approcherationnelle sur des questionscomme le mouvement des corps,l’infinie divisibilité de la matière,l’existence du vide ou la com-position du ciel. Les mutakal-limūn sont d’ailleurs souvent,et contrairement à l’immensemajorité des philosophes, défen-seurs d’une conception ato-miste de la matière.Al-Ghazālī (Algazel pour lesLatins, mort en 1111), théo -logien asharite, a entrepris à lafin du XIe siècle une sévère cri-tique des « démonstrations desphilosophes » et de leur ten-

dance à « l’imitation ». L’imamenseigne à la Niẓāmiyya deBagdad, où il fait autorité. Sesmotivations sont clairementreligieuses, en particulier – ons’en doute – sur la question del’éternité du Monde. Mais cesont des arguments philoso-phiques très étayés qu’il emploiedans Incohérence des philo-sophes, où il critique, à partirde leur propre corpus et sansconcession, la logique scienti-fique employée par ces derniers,notamment par Avicenne.Les démonstrations d’Abū al-Barakāt, son contemporain, nesont traversées par aucune consi-dération religieuse explicite.Elles prétendent au même uni-versalisme que celles d’Avicenne.La démarche d’exploration cri-tiqueque mettent en œuvre lespages du Livre de la réflexionpersonnelle (le titre est déjà toutun programme) n’en produitpas moins une mise en cause

inédite et radicale des raison-nements d’Avicenne. Les termesemployés tout au long desdémonstrations – elles ont faitl’objet de plusieurs études – ontde nombreux points communsavec ceux utilisés par al-Ghazālī.Abū al-Barakāt accuse notam-ment ses collègues philosophesd’imitation et de pratiquer desdémonstrations falsifiées, commecelle sur la composition du ciel,qui requiert un cinquième élé-ment « hors nature » pour ren-dre compte de sa perfection alorsque certaines irrégularités commeles taches de la Lune mettenten cause l’unicité de substance.Abū al-Barakāt croit pourtant àl’éternité du Monde, croyancequ’il expose ailleurs (dans sonTraité de l’âme), mais ce sont lesconstructions ad hoc des phi-losophes, reprises depuis dessiècles, qu’il pourfend. La cri-tique ainsi enclenchée va se

poursuivre tout au long du XIIe siè-cle, pendant lequel les autori-tés (calife et sultan) continuentde soutenir le rationalisme asha-rite tout autant que celui desphilosophes. Au tournant duXIIIe siècle, le théologien Fakhral-Dīn al-Rāzī (mort en 1210)prolonge ce rapprochemententre kalām et philosophie etreprend même certaines thèsesd’Abūal-Barakāt sur le vide, l’es-pace et le temps tout en béné-ficiant, lui aussi, de la protec-tion du pouvoir califal.La dynamique brièvementesquissée ici entre science etthéologie rationnelle musul-mane contraste avec ce qui sepasse à la même époque dansle monde latin. L’aristotélisme,et plus particulièrement l’aris-totélisme arabe, diffusé par lesmouvements de traduction duXIIe et XIIIe siècle, s’est largementrépandu.

POINTS DE FRICTION ENTREPHILOSOPHIE ET RELIGIONLa disputation entre philoso-phie et théologie porte sur desquestions analogues: l’éternité,l’infini, la composition du ciel.Mais loin d’appeler à une rigueurphilosophique plus grande, àune réflexion plus critique, lesautorités religieuses vont pro-duire des interdits. Ceux de 1210portent justement sur les librinaturales (la Physique d’Aristoteen fait partie). Leur « enseigne-ment en public ou en privé » estproscrit sous peine d’excom-munication. Tout au long duXIIIe siècle, les interdictions seront

levées puis renouvelées sousforme de mises en garde, voirede censures au nom des dan-gers que fait peser le débat ration-nel sur la foi. « La foi est sansmérite si la raison humaine luiprête ses ressources», écrit le papeGrégoire IX en 1228. En 1270Étienne Tempier, évêque de Paris,annonce l’excommunication deceux qui enseigneraient une destreize « erreurs », parmi lesquellesla thèse de l’éternité du Mondeque défendent les péripatéti-ciens. Sept ans plus tard, ce sont219 thèses qui seront interditesd’enseignement.Le point commun avec le mondearabe oriental ce sont bien sûrcertains des points de frictionentre les constructions philo-sophiques et les dogmes desreligions du Livre qui admet-tent la création et la fin duMonde. On peut même ajouterque si l’évêque de Paris est amenéà énoncer de telles censuresc’est bien parce que ces pointsde friction font déjà débat ausein de l’Université parisiennenaissante. Mais ces interditsvont contribuer à assécher pourdes décennies les recherchesdes philosophes de la nature. Àl’inverse, celles du XIIe et XIIIe siè-cle en Orient apparaissent d’unegrande inventivité et fécondité.n

*SYLVIE NONY, professeure agrégée de sciences physiques, est membre du laboratoire Sphère,UMR 7219 (CNRS).

1. Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europechrétienne, paru en 2008, ouvrage qui a reçu, certes, le soutien d’Alain Finkelkraut mais aussi de nombreuses critiques de la part de savants spécialistes de l’histoire de la philosophie et des sciencesarabes, dont celles qui sontrassemblées dans l’ouvrage les Grecs,les Arabes et nous, paru aux éditionsFayard en 2009, sous la direction de Philippe Büttgen, Alain de Libera,Marwan Rashed et Irène Rosier-Catach.

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Le renouvellement de l’analyse du mouvement permet,pour la première fois dans l’histoire des sciences, une approche théorique des variations de vitesse.

L’apport original de la civilisation arabo-musulmane concernant la compréhension de la physique, nous éclaire sur les liens entrescience et islam au XIIe siècle, dans un contexte philosophico-religieux spécifique.

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La COP23 met en évidence les retards pris… Voici enfin de quoi financerune croissance verte et la transition énergétique ? L’État français a lancésur le marché il y a quelques mois des obligations « vertes », lancementdont le succès augure d’un bel avenir pour cette formule et de marges

de manœuvre non négligeables pour investir en grand.

PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*,

CÔTÉ PILE : UN OUTIL POURFINANCER LA TRANSITIONÉNERGÉTIQUELe lancement par l’État d’unemprunt sous forme d’obliga-tions a été un franc succès :7 Md€placés rapidement, c’estau-delà de toutes ses espérances.Les obligations « vertes » ne sontpas nouvelles dans le monde ;elles sont un aspect particulierdes green bonds, ces placements

dont la vocation est de finan-cer des projets favorables à l’en-vironnement. Lancées en 2007,notamment par la BEI, pour unmontant de 600 M€, elles ontpris leur essor avec la COP21,qui les a mises en avant. Sur leplan mondial, celles émises enFrance n’en représentent que3 % environ, contre près de 33 %pour la Chine. En France, descollectivités (Île-de-France,Hauts-de-France [Nord-Pas-de-Calais], PACA) ou des entre-prises et des banques (EDF,Engie, HSBC, BNP, AXA…) ontdéjà émis de telles obligations.Mais dans ce cas précis il s’agitd’un emprunt réalisé par l’Étatet promu personnellement pardes ministres. Le fait nouveau

réside dans la rapidité aveclaquelle il a été couvert et l’im-portance des sommes levéesauprès des investisseurs euro-péens. Et il semble que ce suc-cès ouvre la voie à d’autres ini-tiatives tapageuses et à d’autresÉtats qui hésitaient.De l’espoir donc pour des pro-jets d’équipements à financer,lesquels s’élèveraient déjà à plusde 12 Md€et pourraient dépas-ser les 20 Md€. La transitionénergétique telle que définie

dans la loi du même nom vadonc pouvoir avancer en France.L’image d’investisseurs « ver-tueux » et se dévouant pour lasociété est une telle publicitéque ces investisseurs deman-dent, chose extraordinaire, queleurs noms soient rendus publics(il semble que ce sera chose faiteprochainement).La finance se serait-elle conver-tie à l’écologie ?

CÔTÉ PILE, UNE AFFAIRE PROFITABLE… ET CÔTÉ FACE?Conversion intéressée: les tauxd’intérêt garantis par l’État sontsupérieurs aux taux courantsdes obligations (1,74 %, contreun rendement usuel de 1,5 ou

1,6 %, donc des intérêts supé-rieurs perçus) et surtout la duréeen est de 22 ans, soit 3 ans deplus que d’autres, ce qui facili-tera les renégociations de cestitres en Bourse en espérantainsi une cote en hausse et desbénéfices à la clef lors de leurplacement dans le public. Unplacement de long terme et sûr,une bonne affaire en somme.« Vertes », les obligations ? Ladéfinition des obligations vertes

est très floue, et les critères pourdéterminer le caractère « vert »des actions menées le sontencore plus. Ce manque de trans-parence fait naître le soupçond’écoblanchiment (de green-washing, si on veut faire« moderne ») pour redorer une

façade dont l’arrière est peurecommandable.Ces fonds doivent donc, enprincipe, aller au développe-ment des énergies renouvela-bles (EnR) et au développe-ment de l’efficacité énergétique,c’est-à-dire servir à la transi-tion énergétique au sens quelui donne la loi du même nom.Or on a bien vu que le déve-loppement de transports horsénergies fossiles (fret ferro-

viaire, fluvial…) et que le solairethermique (chaleur du soleil)ne sont pas, tant s’en faut, prio-ritaires ; on a constaté aussique les programmes d’isola-tion des logements sont diffi-ciles à mettre en œuvre. Ce seradonc vers le développement

Obligations vertes et capitalisme vert :cherchez l’erreur !

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n ENVIRONNEMENT

SCIENCE ET TECHNOLOGIE40

« Vertes », les obligations ? La définition des obligationsvertes est très floue, et les critères pour déterminer le caractère « vert » des actions menées le sont encoreplus. Ce manque de transparence fait naître le soupçond’écoblanchiment

Les firmes installant les équipements ou produisant de l’électricité photovoltaïque ou éolienne sont liées aux banques qui investissent en obligations vertes et perçoivent les intérêts de la dette. Tout ce beau mondese retrouve pour réaliser des profits sur le dos des citoyens consommateurs.

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de l’éolien et du solaire photo -voltaïque qu’iront ces inves-tissements. Mais on sait quepour compenser l’absence devent ou de soleil la nuit cesénergies intermittentes doi-vent être couplées avec du ther-mique à flamme (pétrole oucharbon) et à gaz (GCC), émet-teur de gaz à effet de serre. Nevoit-on pas des banques affi-cher leur volonté d’investisse-ments « responsables » et finan-cer directement ou par desfiliales des projets de centralesélectriques à charbon ?Et les États ne font guère mieux.Les atermoiements et le flou dela mise en place d’une taxe car-bone claire ou les reculs du gou-vernement devant la fronde des« bonnets rouges » au sujet del’écotaxe visant les poids lourdset le fret routier montrent, sim-ple euphémisme, l’irrésolutiondu gouvernement. Contournantla difficulté de s’attaquer auxquestions de fond et aux inté-rêts financiers, le gouvernementne sait se donner une imageénergique qu’en culpabilisantles citoyens victimes. Il n’estqu’à voir la façon dont, en casde pic de pollution, seuls sontvisés les automobilistes ou encoreles privilèges dont jouissent les

sociétés ayant trusté les auto-routes privatisées pour com-prendre que ces investissementsn’auront rien de volontaristemais iront dans le sens des inté-rêts de la finance et seront abon-dés par des aides financières del’État. Avec des profits augmen-tés d’autant.

DOUBLE PEINE POUR LE CITOYEN CONSOMMATEURD’un côté on espère des pro-fits. Mais qui paye ? Lorsquel’État emprunte et verse desintérêts (avant de devoir rem-bourser…), ceux-ci, au titre duservice de la dette, sont inscritsde façon prioritaire au budgetgénéral de l’État. Les fonds vien-

nent donc de nos impôts. Ainsi,in fine, et première peine, cesont les citoyens qui vont payerpour les intérêts versés géné-reusement aux investisseurs.L’affaire pourrait à la limite seconcevoir pour encourager,comme par le passé, le démar-

rage d’une filière industrielle ets’il s’agissait d’investissementsvisiblement utiles pour tous,transparents et sur une duréetrès limitée. Or il s’agit d’un pro-duit financier assez classique,rendu plus acceptable par sa« peinture verte », mis en œuvreaux dépens des contribuables.Mais l’électricité éolienne ouphotovoltaïque est déjà sur-payée à travers le système del’obligation d’achat faite à EDFde cette production électriqueintermittente, et cela à un tarifsupérieur à celui du marché etdu coût de l’électricité produitepar EDF selon les technologiestraditionnelles. Comme ce sur-coût est partiellement rem-

boursé à EDF via la CSPE (contri-bution au service public del’électricité) imposée sous formede la taxe, dont chacun peutmesurer l’importance sur sa fac-ture, c’est bien le citoyen consom-mateur qui paye déjà : secondepeine !

Au passage, les firmes instal-lant les équipements ou pro-duisant de l’électricité photo-voltaïque ou éolienne sont liéesaux banques qui investissenten obligations vertes et perçoi-vent les intérêts de la dette. Toutce beau monde se retrouve pourréaliser des profits sur le dosdes citoyens consommateurset aspire à accroître ce gâteau.

LE CAPITALISME « VERT »RÉVÉLATEUR D’UNENOUVELLE ÉTAPELa vertu écologique n’est enl’occurrence qu’une façade à lalimite de l’arnaque ; mais elleest permise par la complicitéde l’État, qu’il soit ultralibéralou social-libéral. Elle accom-pagne et facilite une mutationde notre société.Il fut une période durant laquelle(capitalisme monopoliste d’État)l’État facilitait la réalisation deprofits privés par les grandessociétés. Mais cela dans uneperspective d’aménagementdu territoire pour l’équiper,pour développer l’appareil pro-ductif, avec des travaux géné-rateurs d’emplois. Au final, cer-taines des retombées étaientquand même positives pour lapopulation.Nous sommes, me semble-t-il,dans une nouvelle phase, où laréalisation de profits spécula-tifs à travers des processus stric-tement financiers prend le passur le développement de la pro-duction et du pays. Ne doit-onpas y voir une des racines dudéclin industriel de la France?Et de nombreux aspects de cecapitalisme « vert » ne sontqu’une façon nouvelle d’accen-tuer le pillage des potentiels dupays et de le faire accepter aunom de l’écologisme. n

*JEAN-CLAUDE CHEINET estmembre de la commission Écologiedu Comité national du PCF.

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Nous sommes, dans une nouvelle phase, où la réalisation de profits spéculatifs à travers des processus strictement financiers prend le pas sur le développement de la production et du pays.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

classiques sont de différentesnatures: soit des vidéos de coursprésentiels filmés en temps réel,éventuellement retouchées3 ;soit le déroulement de présen-tations de type Powerpoint; soitdes films ou des séries de filmsmontés de toutes pièces. Cesdifférents types de formationsont déjà pris leur place dans lemonde de l’entreprise, avec lebut habituel de chercher à bais-ser les coûts et d’encourager lesemployés à se former en dehorsdes eures de travail : ils ont à lafois un caractère individuel etun caractère passif, sans aucunéchange possible. Ils deman-dent beaucoup de travail auxformateurs, dont la charge estaugmentée et qui se disent pro-fondément frustrés de la pertetotale de contact avec les appre-nant(e)s. Les FLOT tentent demodifier cette situation enrecréant – et en les amplifiant

via Internet – les échanges pro-pres à un véritable cours, impli-quant à la fois une équipe péda-gogique et, surtout, des milliersd’apprenant(e)s, tout en conser-vant la possibilité pour cha -cune(e) de suivre les séancesen fonction de ses disponibili-tés et de ses capacités, et mêmede ses nuits blanches, sans par-ler de ses possibilités deconnexion.

ORGANISATION DES FLOTLes FLOT sont organisés sur uneplate-forme constituée de ser-veurs, d’une suite logicielle (parexemple Open eDX pour FUN)et d’un accès performant auréseau. Pour participer à unFLOT, il faut d’abord devenirmembre de la plate-forme (FUNen France, FutureLearn enAngleterre, edX ou Coursera auxÉtats-Unis, etc.) puis s’inscrireau FLOT choisi : l’inscriptionreste en général possible jusqu’àla fin programmée du FLOT. Ladurée des FLOT est de quelquessemaines (au plus une petitedizaine) avec un thème nou-veau chaque semaine autourde textes, de courtes vidéos, deliens internet vers d’autres res-sources et de lectures recom-mandées. Souvent, chaquethème ou séquence est accom-pagné d’un petit quiz, et lasemaine se termine par un quizz

d’évaluation noté. Cela peutdonner lieu en fin de FLOT àune attestation de réussite si ondépasse un certain pourcen-tage de bonnes réponses donnéau départ de la FLOT. Lorsquela FLOT est gratuite, commec’est le cas pour l’heure sur FUN,cette attestation n’a aucunevaleur officielle, ce qui n’em-pêche pas de la glisser dans sonCV. Un examen final est parfois

proposé pour obtenir cette attes-tation de réussite. Cependant,une vraie certification exige laprésence physique des candi-dat(e)s, et donc déclenche uncoût additionnel inévitable. Unefois l’ensemble des cours heb-domadaires terminés, le lapsde temps imparti pour finali-ser les quiz écoulé et l’éventuelexamen final d’évaluation passé,le FLOT est fermé mais resteaccessible aux seul(e)s inscrit(e)sde façon permanente: un FLOTest protégé par une licenceCreative Commons, et on peutgénéralement télécharger, pourson usage personnel, les vidéos,les textes de transcription, lesréférences. Chaque apprenant(e)membre d’une plate-forme dis-pose donc d’un compte, d’unprofil et d’un carnet de bord oùil retrouve la liste des FLOT aux-quelles il (elle) s’est inscrit(e),le résultat obtenu si le FLOT estclôturé et l’éventuelle attesta-tion de réussite.

DES POTENTIALITÉS AUX POTENTIELLES DÉRIVESDes FLOT sophistiqués, utilisanttoutes les potentialités du numé-rique, font appel à des outils logi-ciels qu’on doit alors téléchar-ger sur son ordinateur pour fairedes travaux dirigés. Il peut aussiy avoir des productions des appre-nant(e)s qui peuvent parfois êtreévaluées par leurs pairs, ce quiest une expérience originale, cescontributions étant déposéesdans un site centralisé spécia-lisé d’archivage. Ainsi, on peutêtre amené à évaluer entre 3 à 5productions d’autres appre -nant(e)s Parfois, le FLOT com-

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE42

n FORMATION

PAR HERVÉ RADUREAU*,

MOOC OU FLOT?Les MOOC, acronyme anglaispour « massively open onlinecourse », sont arrivés en Franceavec l’ouverture de la plate-forme France Université numé-rique (FUN)1 en 2013, et leurrenommée se développe grâceau bouche à oreille et aux revuesscientifiques. Cette nouvelleforme de formations en lignevient des États-Unis, où lesMOOC sont en train de passerà une nouvelle phase, celle qu’onpouvait évidemment redouterd’entrée : la marchandisationautour de la certification et toutson cortège désagréable de com-pétition, élitisme, surmédiati-sation, etc. Dans la suite de cet article, j’uti-liserai l’acronyme français, quenous devons à Cédric Villani,médaille Fields, à savoir FLOTpour « formation en ligne ouverteà tou(te)s ». La francophonien’est pas un combat d’arrière-garde, bien au contraire. Et onne peut que déplorer que tantde professions intellectuellesse laissent envahir par l’anglais,toujours présenté comme plusmoderne et dynamique2.

FORMATIONS EN LIGNE: DEL’UNIVERSITÉ À L’ENTREPRISECes formations ont été lancéesau départ dans le monde uni-versitaire sous forme de vulga-risation scientifique visant unlarge public, ce qui n’empêchepas d’avoir certains FLOT quirecherchent un public plus res-treint, plus spécialisé et profes-sionnel. Les formations en ligne

Être formé par les meilleurs enseignants d’une discipline gratuitement et sans se déplacer : un rêve devenu réalité ? Bien qu’ils offrent de nombreuses potentialités, les FLOT, ou MOOC, n’échappent pas au cadreéconomique et politique inhérent au capitalisme mondialisé.

FLOT et MOOC : les nouvelles formations en ligne

Cette nouvelle forme de formations en ligne vient desÉtats-Unis, où les MOOC sont en train de passer à unenouvelle phase, celle qu’on pouvait évidemment redouterd’entrée : la marchandisation autour de la certification.

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prend un Wiki initié ou non parl’équipe pédagogique: aux appre-nant(e)s de le compléter. Enfin,les FLOT disposent tous d’unforum associé qui permet delancer des fils de discussion aux-quels tout le monde peut par-ticiper, les membres de l’équipepédagogique et les apprenant-e-s, dont certain(e)s partagentsans retenue leurs connais-sances et expériences pouraider les autres. C’est ce lieud’interactivité de ces cours quipermet des échanges très enri-chissants. Ainsi, après avoirparticipé à plusieurs FLOTconsacrés à l’astronomie, oùnous nous étions rencontrés àplusieurs, nous avons décidé,pour rester en relation, de créerun forum permanent que nousavons baptisé « Les FLOT del’astronomie »4.

Les FLOT et les MOOC ne sontpour autant pas un endroit idyl-

lique, car malheureusement ilsn’échappent pas au monde éco-nomique actuel globalisé avecsa multitude de défauts5. La qua-lité des FLOT est par exempletrès hétérogène, avec des équipespédagogiques plus ou moinssoucieuses de qualités didac-tiques face à un public inhabi-tuel, se comptant par milliers,lui-même très divers avec unevariété de niveaux et d’âges trèslarge. On constate aussi que lagestion et l’exploitation desforums associés laissent souventà désirer. Et sur les sujets moins

scientifiques on n’est pas sur-pris de retrouver la pensée domi-

nante ou du moins de ressentirl’absence d’idées alternatives !On se doute alors que ce type deformation devrait être rapide-ment mis en œuvre, de façonrassemblée pour réduire les coûtset garantir la diversité des pointsde vue, par des organisationspolitiques, syndicales, non gou-vernementales ou associativespour former leurs membres dis-persés sur le territoire et pourinformer le grand public de leursanalyses, propositions, actionset projets. Il faudrait donc bâtirune plate-forme adéquatecomme outil de la démocratie.Une superbe aventure dans lestemps moroses que nous vivons!LREM, le parti d’EmmanuelMacron, utiliserait cette nou-veauté pour former ses élusnovices en politique et autresdomaines couverts par la poli-tique. De même, on entend par-ler de l’usage de ce type d’outilspour mettre à niveau des bache-liers identifiés comme insuffi-

samment préparés au préalablede leur entrée dans la filière uni-versitaire qu’ils auraient choi-sie. Ne serait-ce pas une phasepilote en vue de la généralisa-tion des FLOT à l’université?Enfin, il y a une dimension inter-nationaliste, puisque l’un desobstacles est celui de la langue.Mais, justement, cela ne doit-il pas être mis en œuvre pourrelancer le rayonnement de lafrancophonie ? n

*HERVÉ RADUREAU est ingénieuren télécommunications.

1. https ://www.france-universite-numerique-mooc.fr/2. Jean-Pierre Kahane, « Lesprogressistes parlent et écrivent enfrançais », in Progressistes, no 6 ;republié dans le no 16.3. Pour aider ses étudiants, RichardTaillet, professeur de physique àl’université de Grenoble, utilise cetteforme pour ses cours de relativité et de cosmologie :http://podcast.grenet.fr/tag/richard-taillet/4. http://mooca.clicforum.com/index.php5. Les enjeux et questions sontnombreux comme le prouve le blog de Matthieu Cisel(http://www.matthieucisel.fr/) un spécialiste du domaine qui en plusde sa thèse sur le sujet a conçu etdirigé un FLOT sur FUN intitulé« Monter un MOOC de A à Z », répétéà trois reprises.

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Les FLOT et les MOOC ne sont pour autant pas un endroit idyllique, car malheureusement ils n’échappent pas au monde économique actuelglobalisé avec sa multitude de défauts.

Les formations en ligne classiques ont déjà pris leur place dans le monde de l’entreprise, avec le buthabituel de chercher à baisser les coûts et d’encouragerles employés à se former en dehors des heures de travail.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

comme à la loi. Il pourrait pré-voir des mesures moins favo-rables que les règles du Codedu travail, lesquelles ne s’ap-pliqueraient plus qu’en l’ab-sence d’accord. Loin de favori-ser un dialogue « au plus prèsdu terrain », comme on vou-drait nous le faire croire, ce choixnie, au contraire, la conflictua-lité inhérente au monde du travail et le rapport de forces

déséquilibré qui existe entreemployeur et salarié, déséqui-libre qui se joue très concrète-ment et quotidiennement surle terrain.Toutes les mesures relatives auxinstances représentatives dupersonnel (IRP) développéesdans les ordonnances sontimprégnées de ce déni.

UN AFFAIBLISSEMENT DU POUVOIR D’AGIR SUR LA SANTÉ AU TRAVAILLa création du comité social etéconomique (CSE) devrait méca-niquement se traduire par moinsde représentants du personnelet moins d’heures de déléga-tion et, dans le même temps,beaucoup plus de sujets à trai-ter et à maîtriser au sein d’uneseule instance. On impose doncaux syndicalistes une sorte decumul des mandats, cumul que

tout le monde s’accorde, parailleurs, à dénoncer dans lemonde politique.Les ordonnances restent encorefloues sur nombre d’aspectsrelatifs au fonctionnement duCSE. Beaucoup d’entre eux sontrenvoyés à des décrets ou bienà la négociation d’entreprise,sans qu’ils puissent donc fairel’objet de débats au niveau national.

Concernant les CHSCT, alorsqu’ils existent dans les entre-prises de plus de 50 salariésdepuis plus de trente ans, queces instances ont permis auxorganisations syndicales de s’ap-proprier les questions de santéau travail, mais aussi de contri-buer à développer la jurispru-dence dans ce domaine et d’aler-ter l’opinion publique surcertaines maladies profession-nelles, la future commissionsanté, sécurité et conditions detravail (SSCT), quant à elle, nesera créée que dans les entre-prises de plus de 300 salariés.Ces commissions seront doncbeaucoup moins nombreusesque ne le sont les actuels CHSCT,et par conséquent plus éloi-gnées du travail réel et des sala-riés. Or la montée en puissancedes CHSCT est notamment liéeà la proximité que l’instance a

su construire avec le terrain en rendant visibles les condi-tions de travail que nombre dedirections d’entreprise préfè-rent ignorer.Concrètement, les représen-tants du personnel de cettefuture commission ne pourrontplus avoir le même degré deconnaissance des conditionsde travail des salariés qu’ilsreprésentent et des risques aux-quels ils sont exposés. Mais cen’est pas tout : la mission de lacommission SSCT est désor-mais réduite par rapport à cellede l’actuel CHSCT. Si la com-mission peut toujours procé-der à l’analyse des risques pro-fessionnels auxquels sontexposés les travailleurs d’un éta-blissement, il n’est plus ques-tion, pour elle, d’analyser lesconditions de travail ni les fac-teurs de pénibilité. Elle ne veil-lera plus, non plus, au respectpar l’employeur de ses obliga-tions légales ni ne contribueraà la prévention et à la pro tec-tion de la santé physique et mentale des travailleurs. Ceschangements signent trèsconcrètement un rétrécisse-ment du champ de compétencesde la future commission. Tandisque le CHSCT était en mesurede questionner l’organisationdu travail dans sa globalité, lafuture commission restera can-tonnée à une analyse ciblée desrisques, et sans pouvoir jouerun véritable rôle dans la pré-vention des risques.En fusionnant les instancesreprésentatives du personnel(DP, CE et CHSCT), il est mis fin

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE44

n SANTÉ

Ces ordonnances renforcent l’inversion de la hiérarchiedes normes et la remise en cause du principe de faveurde l’accord d’entreprise devrait se substituer dans nombrede domaines à l’accord de branche comme à la loi.

PAR ANNABELLE CHASSAGNIEUX*,

Association des expertsagréés et des interve-nants auprès des CHSCT

(ADEAIC1) existe depuis un peuplus de deux ans. Elle regroupeaujourd’hui une vingtaine decabinets d’expertise interve-nant pour les comités d’hygiènede sécurité et de conditions detravail (CHSCT). Elle a été crééeavec pour ambition de contri-buer, notamment, aux débatssur les questions de santé autravail et de prévention desrisques professionnels.À plusieurs reprises, au coursde ces quatre dernières années,avant même de nous constitueren association, nous avons par-tagé publiquement nos ana-lyses concernant les évolutionslégislatives relatives au mondedu travail : d’abord au momentde la promulgation de la loi surla sécurisation de l’emploi (LSE),puis au moment de la loiRebsamen, dernièrement avecla loi El Khomri. Le 19 septem-bre 2017, l’Association propo-sait une réunion d’informationet d’échanges sur la disparitiondes CHSCT et les dangers pourla santé au travail.

AU CŒUR DES RÉFORMES,UN DÉNI D’abord, ces ordonnances ren-forcent l’inversion de la hiérar-chie des normes et la remise encause du principe de faveur déjàentamées par la loi El Khomri :l’accord d’entreprise devrait sesubstituer dans nombre dedomaines à l’accord de branche

L’

Promulguées le 22 septembre 2017, ces ordonnances s’inscrivent dans le droit-fil de laloi El Khomri, marquant un pas supplémentaire dans la remise en cause du droit du tra-vail. Moyen de « lutter contre le chômage » et de « renforcer le dialogue social »,comme le présente le gouvernement? Qui en sera dupe? Des experts intervenantauprès des CHSCT analysent une partie des mesures contenues dans ces ordonnances.

Ordonnances Macron : profonde régression pour la santé au travail

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

à la spécialisation des représen-tants du personnel. Or la créa-tion du CHSCT avait aussi pourambition de dissocier les ques-tions économiques de celles dela santé au travail, justementpour que des critères d’ordreéconomique ne puissent pasinterférer sur ce qui touche àl’humain. Or aujourd’hui, dansun contexte marqué par un tauxde chômage élevé, il y a fort àparier que la pression sur l’em-ploi contribuera à mettre ausecond plan les débats sur lasanté au travail.

D’autres mesures contribuentà affaiblir encore le pouvoird’agir de ces commissions :– elles n’auront pas de person-nalité juridique propre commec’est le cas des CHSCT, qui peu-vent ester en justice ;– désormais, « le temps passé àla recherche de mesures préven-tives dans toute situation d’ur-gence et de gravité, notammentlors de la mise en œuvre de laprocédure de danger grave etimminent » sera décompté desheures de délégation ;– mais encore, la présence del’employeur pourra être renfor-cée dans la commission, puisqu’ilpourra inviter les personnes del’entreprise de son choix pourl’assister sans avoir besoin del’accord des représentants dupersonnel ; et le nombre d’in-vités de l’employeur pourra être

équivalent à la délégation dupersonnel ;– les membres suppléants nepourront plus assister aux réu-nions de la commission lorsqueles titulaires seront présents.Ces différents aspects, qui peu-vent paraître anecdotiques vusde loin, auront en réalité deseffets très concrets sur la circu-lation de la parole et la qualitédes échanges au sein de la com-mission, et aussi sur les moyensdont disposeront les représen-tants du personnel pour menerà bien leurs missions. Là encore,

c’est l’employeur qui gagne duterrain.À cela s’ajoute le fait que le bud-get de fonctionnement du futurCSE sera lui aussi amputé. D’unepart, ce budget devra prendreen charge les besoins de la com-mission SSCT (les frais d’avo-cat, la documentation ou lesdéplacements de ses membres)et, d’autre part, il sera mis àcontribution à hauteur de 20 %dans le cadre des expertises surles conditions de travail en casde projet important. En réalité,cela signifie que dans la plupartdes entreprises les CSE, fautede moyens suffisants, ne pour-ront plus avoir recours à unexpert dans ce cas de figure. Enfait, c’est le droit à l’expertisequi va se trouver limité, alorsque l’expertise constitue un outilqui vise justement à contribuer

à réduire l’asymétrie d’infor-mation entre employeurs et sala-riés. Rappelons à ce sujet quel’employeur, lui, peut recourircomme bon lui semble à tousles consultants qu’il juge utiles.Autre nouveauté: le CSE pourradésormais reverser une partiede son budget de fonctionne-ment aux œuvres culturelles et sociales de l’entreprise… Ici,on place clairement sous pres-sion les représentants du per-sonnel qui devront arbitrer entreune expertise sur une réorga-nisation et des dépenses socialesou culturelles.

SANTÉ AU TRAVAIL, QUELRÔLE POUR LES EXPERTS?Enfin, en ce qui concerne lesexperts CHSCT, ils ne serontplus agréés par la puissancepublique mais « habilités ».Qu’est-ce que ce terme recou-vre ? Rien n’est clair pour lemoment, mais nous pouvonsd’ores et déjà imaginer que cettehabilitation sera beaucoup plussouple que ne l’est la procédured’agrément actuelle, qui garan-tit à la fois les compétences etla méthodologie des cabinetsd’expertise, qui assure aussi,bon an mal an, une fonctionde contrôle et de surveillance.Quel garde-fou existera-t-ildemain pour se prémunir d’in-tervenants dont les méthodeset les analyses penchent versdes logiques centrées sur laprise en charge des individusau détriment de l’analyse del’activité et de l’organisationdu travail ? Nous craignons, làencore, que ces évolutions par-ticipent à limiter la responsa-bilité de l’employeur en matièrede santé au travail.

DES CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ AU TRAVAIL À EXAMINEREn quoi toutes ces mesures, quiaffaiblissent clairement la placedes représentants des salariés,vont-elles contribuer à renfor-cer le dialogue social ? En quoipermettraient-elles de réduirele chômage?Soyons sérieux. Chaque année,si l’on en croit les seules statis-tiques de la CNAMTS, ce sontplus de 500 personnes qui décè-dent sur leur lieu de travail2.Mais on sait, par ailleurs, queles accidents du travail font l’ob-jet d’une sous-déclaration3. Etnotre profession nous confronte,chaque jour, à l’observation età l’analyse de situations de tra-vail pathogènes dans tout typede secteurs d’activité.Les ordonnances, loin de consti-tuer une quelconque avancéesociale, désagrègent, au contraire,les dispositifs qui permettaientde rendre le rapport de forcesentre employeurs et salariés unpeu moins inégalitaire. Et ellesauront, malheureusement, àmoyen et long terme, des consé-quences négatives sur la santéau travail. n

*ANNABELLE CHASSIGNEUX estcoprésidente de l’ADEAIC.

1. www.adeaic.fr2. En 2015, on recense555 accidents de travail mortels(données de la CNAMTS).3. De nombreux observateurs etanalystes font remarquer, que cesdonnées sont largement sous-évaluées : voir, par exemple, le rapportde la Sécurité sociale sur la sous-déclaration des AT-MP(http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_sous-declarato_atmp_10_07.pdf).

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C’est le droit à l’expertise qui va se trouver limité, alors que l’expertise constitue un outil qui visejustement à contribuer à réduire l’asymétried’information entre employeurs et salariés.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE46

n SANTÉ

Plaidoyer pour les arrêts maladieLe froid revient, et avec lui les maladies de l’hiver. Pour autant, il est peu probable queles travailleurs renoncent à aller travailler, même malades. C’est qu’un ensemble dereprésentations négatives des arrêts maladie influencent la façon dont nous lesconsidérons, et surtout incitent à un présentéisme. Pourtant, se rendre à son travailalors que la situation nécessiterait un arrêt menace à la fois la santé des malades, lebien-être de leurs collègues… et le fonctionnement des systèmes de travail. Voici desillustrations tirées des recherches en sciences du travail et de longs mois d’enquêtedans l’aide à domicile et les musiques actuelles1.

PAR LINE SPIELMANN*,

REPRÉSENTATIONS SOCIALESET FAÇONS DE PENSER ET D’AGIRLes représentations socialesmodèlent nos comportements,souvent de façon subtile. Dansle cas des arrêts maladie, la ques-tion de l’abus est presque sys-tématiquement évoquée quandon interroge les salariés sur lesujet. Très rapidement, ils évo-quent ceux qui « prennent desarrêts pour un oui ou pour unnon » bien que souvent, si l’onpousse un peu la discussion, ilsadmettent qu’ils n’en connais-sent pas dans leur entourage.Mais il y en a, on nous l’affirme:« Y’a des abus je pense. C’est sûr. »« Il y en a qui doivent abuser. Jesais qu’il y en a qui abusent. Dansma famille, mon oncle et matante… enfin j’en sais rien. Jesais pas si c’était vraiment del’abus mais y’a des gens qui abu-sent. » Comment le sait-on ?« C’est des… C’est, commentdire… C’est par rapport à soitdes statistiques, soit des on-dit…C’est forcément. Forcément, y’aforcément des abus. » Les sala-riés ne voudraient surtout pasen être suspectés : « Elle peutpas se plaindre de moi la Sécuritésociale. C’est pas moi qui ait faitle trou, hein ! » Quand ils ontune santé plus fragile, ils fontle compte des arrêts passés, sou-cieux de ne pas franchir un nom-bre raisonnable. Et… tous vontfinalement travailler, maladesou pas. Une enquête réalisée

en 2017 pour l’institut BVAauprès de 302 DRH et 1497 sala-riés estimait à 31 % le taux deprésentéisme.D’autres représentations néga-tives dissuadent les salariés derecourir à l’arrêt : il poserait unproblème à l’entreprise dansun monde gagné par l’idéo logiegestionnaire2. Il faut faire tou-jours plus avec toujours moins,être innovant, ne pas perdreune seconde. L’arrêt maladieest alors vécu comme problé-matique par les salariés eux-mêmes : « L’équipe, qui fonc-tionne à flux tendu, qui arriveà maintenir un équilibre tantbien que mal, ben, dès qu’il y aun arrêt maladie… » En outre,il est aujourd’hui exigé que les

travailleurs s’investissent tota-lement dans leur activité, adhè-rent aux valeurs de leur entre-prise. Mus par la promesse que,de cette manière, ils pourronts’épanouir et se réaliser danset par leur travail, ils s’y adon-nent corps et âme, et, disent-ils, de leur plein gré. Quand onleur demande pourquoi ils vonttravailler même malades, ilsrépondent : « Je le fais parce quej’aime ce travail », ou encore« parce que mon travail c’esthyperimportant pour moi entant qu’individu. » Pas questionalors de manquer à l’appel. Les

allusions au risque de faillitede leur entreprise dans unmonde hyperconcurrentiel, lamenace du licenciement ou dela stagnation de carrière dansune société marquée par le chô-mage achèvent de convaincrequ’« il n’y a pas d’autre alterna-tive»que de travailler sans répit.

UNE FAILLE DANS UNE SOCIÉTÉ DE LA PERFORMANCEAu-delà de l’arrêt maladie, c’estla maladie elle-même qui véhi-cule des images négatives. Elleest vécue comme une faille,qu’il vaut mieux nier ou cacher,dans un monde régi par le « cultede la performance » 3 : « Je saisbien que tout le monde peut…

être malade etc., mais c’est vraique j’aime pas tellement ren-voyer cette image de moi », ouencore : « J’aime bien me sentirtoujours… être capable de pro-duire quelque chose, même intel-lectuellement. Officialiser mamise hors circuit, ça me dérangevachement. » Être présent jouraprès jour confère au contraire« une aura d’héroïsme » 4 : dansune société capitaliste qui valo-rise la discipline personnelle,l’abnégation, qui affirme quequand on veut on peut, chacunse flatte de n’être jamais maladeou bien de n’avoir jamais pris

un arrêt maladie : « Je trouvetoujours une excuse pour allertravailler. »Les « bonnes raisons » pour allertravailler même malade sontmultiples. Aux représentationset normes sociales qui pous-sent au présentéisme s’ajou-tent en effet les situationsconcrètes, les organisations detravail, qui ne sont pas penséespour intégrer des absences. Letravail s’accumule donc quandles salariés s’arrêtent, et ils anti-cipent le retour avec terreur :« Il y a plein de boulot qui s’amon-cèle, donc si je m’arrête je saisque le boulot… va falloir rat -traper. » Ils craignent aussi queleur travail en pâtisse, par« conscience professionnelle »,par « souci de bien faire ». Oualors ils s’inquiètent pour leurscollègues « qui sont déjà en sur-charge de travail » : « Quand t’esplus là, ça fait que les autres sontencore en sur-surcharge de tra-vail », ou pour leurs clients qui,dans l’aide à domicile par exem-ple, vont parfois jusqu’à refu-ser de s’alimenter quand onne leur envoie pas leur aide attitrée.

PRÉSENTÉISME: PROBLÈMECOLLECTIF, CONSÉQUENCESGLOBALESTous ces facteurs s’addition-nent finalement pour pousserles salariés à renoncer à l’arrêtmaladie, avec des conséquencesmanifestes sur leur entourage.Renoncer aux petits arrêts mul-tiplie les risques de devoir s’ar-

Une enquête réalisée en 2017 auprès de 302 DRH et1497 salariés estimait à 31 % le taux de présentéisme.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

rêter plus et plus longtemps.La première victime du présen-téisme est le salarié malade, quitire sur la corde jusqu’à l’épui-sement, jusqu’à ne pouvoir « plusbouger, plus marcher, plus rienfaire ». Les douleurs chroniquess’installent, le mal s’étend ets’amplifie au lieu de guérir :« Quand j’ai mal, je ne marcheplus sur la jambe droite ; maisaprès c’est l’autre jambe quiprend et puis le dos, et je marchepliée en deux. Au bout d’unmoment, quand vraiment…quand j’ai mal au point de…,je craque. Je craque. » Ou encore

surviennent les burn-out : « Jem’en sortais pas du tout, j’avaisun mal de dos de chien, je voyaisbien que j’étais à bout nerveu-sement parce que j’avais du malà dormir, je me réveillais autaquet, j’avais perdu beaucoupde poids, j’étais hyperstressée,sous pression. » Les médecinsmenacent : « Là c’est un ordre.Si vous continuez comme ça, laprochaine étape c’est l’hôpital. »Ceux qui sont passés par cesétapes en tirent des leçons :« Faut s’arrêter quand il faut.Pas forcément longtemps mais…Faut pas. » « Maintenant je pré-fère m’arrêter une semaine qued’attendre attendre attendre etdevoir m’arrêter un mois parceque je peux plus. » C’est égale-ment ce que montrent lesenquêtes statistiques : le pré-sentéisme conduit à plus d’ab-sentéisme5. Ces longs arrêts ont

des répercussions aussi sur lescollègues. Alors qu’une absencede quelques jours se résorbesans trop de grincements dedents, les conséquences desarrêts de longue durée qu’en-traîne à terme le présentéismesont beaucoup plus difficiles àéponger.L’absentéisme est depuis long-temps un sujet de préoccupa-tion pour le patronat et influenceles politiques publiques. Le pré-sentéisme parvient plus diffi-cilement à s’imposer dans laliste des problèmes à traiter. Aucontraire, la chasse aux arrêts

n’a cessé de s’amplifier ces der-nières années, relayée par desdiscours volontaristes pour lut-ter contre la « fraude sociale » :pressions sur les médecins,contrôles accrus, augmentationdu délai de carence avant per-ception des indemnités jour-nalières6, etc.Pourtant, les études chiffréessur le coût du présentéisme,quoique assez récentes, devraientinciter à l’action. Elles deman-dent à être traitées avec pru-dence, elles restent des approxi-mations, parfois osées; elles onttoutefois en commun de pré-senter des chiffres impression-nants : d’après Éric Gosselin etMartin Lauzier7, le coût du pré-sentéisme au début des années2000 s’élèverait annuellementà 180 milliards de dollars auxÉtats-Unis. En France, MatthieuPoirot8 estime que « le coût du

présentéisme serait actuellementde 2,7 % à 4,8 % de la masse sala-riale », soit entre 13,7 et 24,9 mil-liards d’euros par an pour lesentreprises, deux fois plus quele coût de l’absentéisme. Cesestimations prennent pour base

la moindre productivité entraî-née par certains problèmes desanté : les personnes souffrantde migraines présenteraientune « improductivité relative »de 20 %, contre 17,5 % pour lesproblèmes respiratoires et 15 %pour les problèmes d’ordre psy-chologique, notamment les étatsdépressifs9.

PLAIDOYER POUR LES ARRÊTS MALADIELorsque les conditions de tra-vail ou son organisation mal-mènent les salariés, renoncer às’arrêter ne fait donc qu’ampli-fier les problèmes que l’oncherche à éviter : à court terme,en désorganisant le lieu de tra-vail et en occasionnant des coûts

cachés ; à plus long terme, enentraînant des maladies pluslongues et plus fréquentes. Àl’inverse, les arrêts maladie ontdes effets bénéfiques inatten-dus : en révélant d’éventuelsproblèmes organisationnels

générateurs de maladies oud’épuisement, ils peuvent inci-ter les directions à agir ; ils sontaussi un moyen de redonner dupouvoir et de la dignité aux sala-riés, en rappelant qu’ils ne sontpas des pantins interchangea-bles (comme peuvent le laisserpenser certaines organisationsde travail) mais des personnessingulières et indispensables.Finalement, si les arrêts mala-die sont là pour protéger la santéde chacun – c’est leur fonctionpremière et leur principale vertu–, ils ont des effets bénéfiquescollectifs et doivent à ce titreêtre résolument défendus. n

*LINE SPIELMANN est sociologue,membre de l’IDHE, Paris-I.

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Renoncer à s’arrêter ne fait donc qu’amplifier les problèmes que l’on cherche à éviter : à court terme, en désorganisant le lieu de travail et en occasionnantdes coûts cachés ; à plus long terme, en entraînant des malades plus longues et plus fréquentes.

Dans une société capitaliste qui valorise la disciplinepersonnelle, l’abnégation, qui affirme que quand onveut on peut, chacun se flatte de n’être jamais maladeou bien de n’avoir jamais pris un arrêt maladie.

1. Line Spielmann, thèse de doctorat, 2016.2. Jean-Louis Laville, Sociologie des services, Érès, Toulouse, 2010 ; Vincent De Gaulejac, La société malade de la gestion, Paris, Points-Seuil, 2009(1re éd. 2005).3. Alain Ehrenberg, la Fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob,Paris, 1998.4. Thierry Rousseau, Absentéisme et conditions de travail : l’énigme de la présence, ANACT, Lyon, 2012,.5. Gunnar Bergström, Lennart Bodin, Jan Hagberg, Gunnar Aronsson, MalinJosephson, « Sickness presenteeism today, sickness absenteeism tomorrow? A prospective study on sickness presenteeism and future sickness absenteeism.Journal of Occupational and Environmental Medicine », no 51, p. 629-638,2009.6. Cette disposition a rapidement été abolie mais devrait entrer à nouveau envigueur dans la fonction publique en 2018.7. Éric Gosselin et Martin Lauzier, « Le présentéisme. Lorsque la présence n’est pas garante de la performance », in Revue française de gestion, no 211,p. 15-27, 2011-2012.8. Cabinet Midori Consulting.9. Ron Z. Goetzel, Stancey R. Long, Ronald J. Ozminkowski, Kevin Hawkins,Shaochoung Wang et Wendy Lynch, « Health, absence, disability, andpresenteeism : Cost estimates of certain physical and mental health conditionsaffecting U.S. employers », in Journal of Environmental Medicine, vol. 46,p. 398-412, 2004.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE48

n SANTÉ

PAR KAREN MESSING*,

és des préoccupationsd’égalité et de revendi-cations syndicales des

années 1970, des partenariatsuniversité-syndicats ont puconduire des formations et desrecherches sur la santé des travailleuses québécoises.Différentes thématiques ontémergé, dont la reconnaissancedu caractère pénible et exigeantde certaines tâches effectuéessurtout par des femmes, la conci-liation entre les besoins écono-miques des femmes et leur rôledans la reproduction biologique,les obstacles à l’intégration etle maintien des femmes dansl’ensemble des emplois, ainsique le droit à l’indemnisationdes travailleuses atteintes delésions professionnelles2.L’étude de ces thématiques adévoilé des failles dans les dis-positifs de reconnaissance desrisques et dans les méthodesscientifiques. Ici, on trouveraquelques constats émanant deces recherches, qui montrentqu’il est important de dirigernotre attention vers certainesconditions de travail, iden -tifiées dans des postes defemmes, et qui posent un risquepour l’ensemble des travail-leuses et travailleurs.

LE CONTEXTE : GENRE ET CONDITIONS DE TRAVAILLe genre influence l’insertiondes hommes et des femmes dansle marché du travail, les tâches

qui leur sont assignées et lamanière dont leur entourageréagit à leur performance, entreautres. En France comme auCanada, les femmes et leshommes ne travaillent pas dansles mêmes secteurs ni les mêmesindustries et n’occupent pas lesmêmes emplois.Quelques chiffres canadienspeuvent illustrer ces différences.Bien que les femmes représen-tent aujourd’hui 48 % de la popu-

lation active au Canada, la divi-sion du marché du travail ypersiste3. Elle est à la fois « ver-ticale » et « horizontale ». Pardivision verticale, on entendque les femmes se retrouventgénéralement plutôt « en basde l’échelle ». Une travailleusecanadienne gagne en moyenne15 % de moins qu’un hommeoccupant le même poste, et lesfemmes ne représentent que32 % des cadres supérieurs. Ladivision horizontale, elle, répondà la répartition de la popula-tion active par secteur indus-triel et par profession, selon legenre. Au Canada, les femmesreprésentent seulement 6 % desemployés du secteur de laconstruction, 20 % des employésdu secteur primaire (foresterie,

agriculture, etc.), 30 % desemployés du secteur de la trans-formation et manufacturier ;elles représentent en revanche76 % des employés du secteurdu travail de bureau et d’admi-nistration. Au sein d’un mêmesecteur d’activité économique,les hommes sont plus souventclassés comme travailleursmanuels : 38 % des hommes et14 % des femmes sont engagésdans ce type de profession. Le

travail manuel des femmes dis-paraît souvent derrière d’autresappellations qui insistent plu-tôt sur l’aspect émotionnel etsocial de ces métiers, camou-flant du même coup leurs exi-gences physiques. Par exemple,on oublie bien souvent qu’enAmérique du Nord, et de plusen plus souvent en Europe, lesréceptionnistes d’hôtels, les

vendeuses et les caissières doi-vent rester des heures debout,que les aides-soignantes sou-lèvent des patients obèses, queles couturières passent une

bonne partie de leurs journéesdans des positions malcom-modes, à travailler sans jamaisposer les avant-bras et en tirantsur des morceaux de tissu. Maisles exigences physiques de leurtravail sont moins visibles quecelles d’un manœuvre ou d’unmenuisier.

En France, la situation est simi-laire. Les femmes représentent47,5 % de la main-d’œuvre glo-bale, 55 % dans le secteur desservices, seulement 10 % danscelui de la construction, 28 %dans le secteur manufacturier,29 % en agriculture. Elles repré-sentent 19 % des ouvriers, mais77 % des employés. La moitiéde la main-d’œuvre fémininefrançaise est cantonnée dans18 métiers sur les 226 recensés ;20 de ces métiers sont fémininsà plus de 80 %, alors que 84 sontmasculins à plus de 80 %.Enfin, le genre influence aussila nature des contrats de tra-vail. En France, les femmes repré-sentent 49 % des salariés embau-chés en contrats de duréeindéterminée (CDI), mais 60 %des salariés en contrats de durée

déterminée. Leurs CDI, en outre,sont surtout à temps partiel. AuQuébec, les femmes souffrentplus souvent que les hommesd’insécurité d’emploi.

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Les souffrances dans les emplois des femmes

Lorsqu’on aborde la problématique de la santé au travail, on se penche sur-tout sur le cas des hommes, et on finit par croire qu’il suffit de confier auxfemmes des tâches demandant une faible dépense d’énergie physique etpsychique pour les préserver de tout risque. Or il n’en est rien, comme le

montre Karen Messing, qui dans un récent ouvrage1 revient sur l’enjeu toujours aussipressant de tenir compte des « souffrances invisibles » au travail.

En France comme au Canada, les femmes et les hommes ne travaillent pas dans les mêmessecteurs ni les mêmes industries et n’occupent pasles mêmes emplois.

La moitié de la main-d’œuvre féminine française estcantonnée dans 18 métiers sur les 226 recensés.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

Ce qui est le plus surprenantest que l’activité de travail deshommes et des femmes varieà l’intérieur d’un même poste.Nous avons trouvé d’énormesdifférences, par exemple, entrel’activité de serveurs et ser-veuses d’un même restaurant,de nettoyeurs et nettoyeusesd’un même train ou d’un mêmehôpital. Les serveuses marchentplus vite, font plus d’opérationshors prescription comme rem-plir des salières, font plus d’al-lers-retours. Les nettoyeusesfont plus souvent les toilettesalors que les hommes s’occu-pent de laver les planchers, sou-vent avec des machines. Enusine, les hommes se retrou-vent en début et en fin de chaîne,les femmes vers le milieu. Etl’Institut de recherche en santéet en sécurité du travail duQuébec a constaté que, à l’in-térieur des professions d’unemême industrie, les femmesétaient plus souvent victimesd’une lésion professionnellecompensée4, possiblement parceque les postes de travail sontsouvent conçus en fonction desdimensions et capacités d’uncorps masculin.

Mais ces différences dans lesconditions de travail ne sontpas absolues. Des hommes fontaussi des mouvements répéti-tifs, ont des postures statiques,

sont forcés à concilier leurs acti-vités hors travail avec leur pré-sence en emploi. Voici troisexemples où l’étude spécifiquedes emplois des femmes a per-mis de focaliser l’attention desinstances syndicales sur desrisques importants pour la santéde tous et toutes.

MOUVEMENTS RÉPÉTITIFS À FAIBLE FORCEPlusieurs études scientifiquesont relevé le fait que les emploisde femmes comportent plussouvent une exposition à desmouvements répétitifs à faibleforce. Déjà en 1983, une étudeeffectuée en France par l’ergo-nome Catherine Teiger Caillouxavait décrit la difficulté éprou-vée par des opératrices demachine à coudre5. Cesemployées se plaignaient desurmenage et de fatigue ner-veuse, alors que personne nevoyait d’inconvénient dans leurtravail. Elles travaillaient assises,elles n’avaient pas à souleverde charges lourdes, à transpi-rer dans un environnement sur-chauffé ni à respirer d’émana-tions toxiques, comme leshommes que les experts en santéau travail aidaient habituelle-ment. En règle générale, cesemployées qui intégraient l’usineà 17 ou 18 ans n’arrivaient plusà accomplir leur travail au boutde quelques années, et devaient

alors partir: aucune d’elles n’étaitâgée de plus de 25 ans.Des observations ont permis decomprendre la lourdeur de cetravail « léger ». Le processuscommençait avec les coupeurs,tous des hommes, qui taillaientsoigneusement le contour desgants. Ils en empilaient l’en-droit et l’envers, et ces moitiéspassaient ensuite aux mains desfemmes qui les assemblaient àla machine. Payées à la pièce,les couturières travaillaient trèsvite, produisant un gant toutesles 40 secondes environ. C’estcourt, même quand tout sedéroule à la perfection. Mais unproblème survenait pour plusd’un gant sur deux. Les cou-peurs aussi avaient l’obligationd’aller très vite. Souvent, leursciseaux glissaient, et les deuxmoitiés du gant n’étaient fina-lement pas tout à fait identiques.Il revenait aux opératrices decompenser les erreurs deshommes à la coupe. Ellesdevaient jouer avec les deuxmorceaux de tissu tout en s’ef-forçant de les coudre pour lesajuster au mieux l’un à l’autre.Tout cela en 40 secondes! Il arri-vait aussi que le fil soit défec-tueux et qu’il casse, ou que le

tissu soit froissé à cause d’unequalité médiocre ; dans ce cas,les femmes devaient reprendrela couture au début, et la ter-miner toujours en 40 secondes.Corriger ces problèmes encoreet encore, sans manquer de pro-duire jusqu’à 900 gants par jour,dans une position inconforta-ble. C’était cela qui stressait lesouvrières. Au début, lorsqu’ellesétaient jeunes et qu’elles appre-naient le métier, elles résistaientà la pression, mais au fil dutemps les effets de ces exigencesphysiques et mentales finis-saient par leur peser. Ainsi, un

examen des problèmes des cou-seuses a permis aussi de rele-ver des problèmes au niveau duposte de tailleur.Au Québec, des études simi-laires ont permis de montrerque les douleurs associées auxmouvements répétitifs de fai-ble force étaient sous-recon-nues et sous-indemnisées, sou-vent mais pas toujours chez lesfemmes. Les syndicats ont allouédes ressources à l’éducation enmatière de mouvements répé-titifs auprès de leurs membres,et le nombre de cas indemni-sés a augmenté.

POSTURE DEBOUTPROLONGÉERécemment, dans les milieuxscientifiques, il y a un engoue-ment pour la posture deboutau travail. On lit « sitting is thenew smoking » (« s’asseoir, c’estcomme fumer »), suggérant ainsique travailler assis serait mau-vais pour la santé. Pourtant,toute personne qui a déjà étéforcée de travailler debout enposition statique, sans la pos-sibilité de s’asseoir à volonté,peut témoigner d’une myriadede troubles divers: fatigue, mauxde dos et de jambes, varices,

pour n’en nommer quequelques-uns. Pourquoi lesscientifiques ne peuvent-ils pasvoir ce problème?L’explication vient en partie dufait qu’en Amérique du Nordles postes de travail debout sta-tique et sans relâche sont sur-tout occupés par des femmes.Au Canada et aux États-Unis,les caissières, vendeuses, récep-tionnistes, serveuses au comp-toir et cuisinières n’ont pas lapossibilité de s’asseoir au tra-vail (une visite à Paris nous apermis de constater que cetaménagement est devenu très

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Plusieurs études scientifiques ont relevé le fait queles emplois de femmes comportent plus souvent uneexposition à des mouvements répétitifs à faible force.

Au Québec, les douleurs associées aux mouvementsrépétitifs de faible force étaient sous-reconnues et sous-indemnisées, souvent mais pas toujours chez les femmes.

s

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fréquent, même dans les grandeschaînes alimentaires !). Or lesscientifiques qui étudient lesdouleurs associées aux posturesconstatent que, au niveau de lapopulation qui travaille debout,les travailleuses ont beaucoupplus mal que les travailleurs, etattribuent cette différence… àleur sexe ! N’ayant générale-ment pas travaillé à ces posteseux-mêmes, ils confondent uneposture debout active (course,marche rapide, patin), qui estbénéfique pour la santé mus-culaire et cardio-vasculaire etqui est plus souvent rencontréedans les postes des hommes,avec la posture debout plus sta-tique, retrouvée surtout chezles travailleuses. C’est donc letype de posture, et non pas lesexe, qui est le principal res-ponsable de ces douleurs6.

HORAIRES IRRÉGULIERS ET IMPRÉVISIBLESC’est aussi chez les travailleusesqu’on a pu identifier une condi-tion de travail de plus en pluscourante qui nuit à la vie per-sonnelle. Pendant les années1990, nous avons étudié lesarrangements de garde d’en-fants effectués par des télépho-nistes dont l’horaire était gérépar des logiciels. Le logiciel,novateur à l’époque, tenaitcompte du volume d’appelsanticipé et proposait des horairesn’ayant pour but que d’assurerla présence du nombre exactde téléphonistes requis – ni plusni moins. Celles-ci pouvaient

être assignées à travailler n’im-porte quand entre 6 heures dumatin et minuit. Par exemple,une agente pouvait être inscriteà l’horaire le lundi de 6 à14 heures, le mardi de 16 heuresà minuit, le mercredi de 8 à16 heures, etc. Leurs deux joursde congé hebdomadaire tom-baient ou non en fin de semaine,sans forcément être consécu-tifs. Leurs pauses survenaientà tout moment, même 45 mi -

nutes après le début du quartou sept heures avant sa fin. Cetteméthode de planification d’ho-raires est aujourd’hui utiliséepar un grand nombre de socié-tés, dont beaucoup de com-merces de détail.En scrutant un journal de bordtenu par trente téléphonistesparents de jeunes enfants, nousavons constaté que les change-ments constants d’horaire lesobligeaient à des prouesses deréarrangements. Pendant unepériode de deux semaines, cestéléphonistes ont effectué156 tentatives d’échanges d’ho-raire et 212 réarrangementsd’horaire de gardienne afin d’as-surer une présence auprès deleurs enfants. Il va sans dire quela gardienne, dont l’horaire était

bouleversé par ricochet, nedemeurait pas longtemps auposte, obligeant au recrutementde plusieurs ressources. Lesenfants étaient surveillés parune panoplie de personnes dif-férentes, au détriment de leurstravaux scolaires, et l’état destress des employées était ini-maginable. Ainsi, une pratiquede gestion ne concernant enprincipe que la sphère du tra-vail empoisonnait la vie domes-

tique, sans que cette énormeactivité de conciliation soit visi-ble dans le milieu de travail. Lessuperviseurs ne comprenaientpas pourquoi les employéesavaient si souvent des mentionsau dossier pour des absencesou retards « injustifiés ».Nous n’avons pas réussi à chan-ger la méthode d’affectation uti-lisée par l’entreprise. Et nousavons vu, par des études ulté-rieures menées dans d’autressecteurs, que le problème deconciliation entre les horairesimprévisibles et variables n’estpas confiné aux seules travail-leuses. Au contraire, avec la fra-gilité croissante des unionsconjugales et, au Québec, lapolitique favorisant la gardepartagée des enfants, les hommesaussi se retrouvent souvent àconcilier une période de gardeexclusive avec un horaire de tra-vail irrégulier.

BESOIN DE SOLIDARITÉSYNDICALERécemment, en France, l’Agencenationale pour l’améliorationdes conditions de travail(ANACT) a effectué une étudeergonomique dans une impri-merie7. L’entreprise avait adoptéune politique d’engagementpréférentiel d’hommes à caused’un taux de maladie élevé chezles travailleuses d’un certain

âge. L’étude a démontré que cequi paraissait être un problèmede femmes, soit des absencespour troubles musculo-sque-lettiques, était en réalité le fruitd’un rythme de production deplus en plus rapide dans undépartement exigeant, surtoutoccupé par des travailleuses.Malheureusement, la simpledémonstration n’a pas réussi àchanger le comportement del’employeur et, en l’absenced’une réelle solidarité entre lesemployés, la situation n’a quepeu évolué. Espérons que dessyndicats éveillés sauront uti-liser la loi no 2014-873 du 4 août2014 « pour l’égalité réelle entreles femmes et les hommes »pour améliorer l’accès desFrançaises – et des Français – àune meilleure santé au travail. n

*KAREN MESSING est généticienneet ergonome, professeure émérite,département des sciencesbiologiques, université du Québec à Montréal (UQAM).

1. Karen Messing, les Souffrancesinvisibles. Pour une science du travailà l’écoute des gens, Écosociété,Montréal, 2016.2. Karen Messing et Katherine Lippel,« L’invisible qui fait mal. Unpartenariat pour le droit à la santé destravailleuses », in Travail, Genre etSociétés, no 29, 2013, p. 31-48,.3. Chiffres de Statistique Canada(http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-012-x/99-012-X2011002-fra.cfm#a5).4. http://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/R-963.pdf5. Voir l’entrevue avec Mme TeigerCailloux :https://pistes.revues.org/21666. Karen Messing, Susan Stock, JulieCôté, France Tissot, « Is sitting worsethan static standing? How a genderanalysis can move us towardunderstanding determinants andeffects of occupational standing andwalking », in Journal of Occupationaland Environmental Hygiene, vol. 12,no 3, p. D11-D17, 2015.7. Florence Chappert, Karen Messing,Éric Peltier, et Jessica Riel,« Conditions de travail et parcoursdans l’entreprise : vers unetransformation qui intègre l’ergonomieet le genre ? », in Revuemultidisciplinaire sur l’emploi, lesyndicalisme et le travail, vol. 9, no 2, 2014(http://www.remest.ca/documents/3-Chappert_REMEST_Vol9No2_2014_000.pdf).

n SANTÉ

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIE50

Une pratique de gestion ne concernant en principeque la sphère du travail empoisonnait la viedomestique, sans que cette énorme activité de conciliation soit visible dans le milieu de travail.

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PAR JACQUES MASSON*,

L’HYDROÉLECTRICITÉ EN FRANCEEn France, l’hydroélectricitéreprésente environ 70 TWh (téra-wattheures) par an, soit 12 %de la production d’électricitéhexagonale et 61% de celle d’ori-gine renouvelable. Sa puissanceinstallée s’élève à 25 000 MW(mégawatts). Les centraleshydrauliques françaises for-ment un ensemble très com-plet avec des ouvrages diversi-fiés, comprenant des ouvragesde basse, moyenne et hautechute, associés à des réservoirs.L’électricité se stockant diffici-lement, l’équilibre d’un systèmeélectrique ne peut être réaliséqu’en ajustant en permanencela production à la consomma-tion. La possibilité de modulerrapidement la production d’élec-tricité revêt donc une impor-tance particulière. À cet égard,rappelons qu’une installationhydroélectrique requiert enamont un stockage d’énergienaturelle et qu’elle permet lamodulation de la productionélectrique, apportant ainsi unecontribution appréciable à lastabilité du système électrique.Aussi l’hydroélectricité jouera-elle un rôle de plus en plus d’im-portant dans un contexte dedéveloppement des énergiesrenouvelables non modulablesque sont l’éolien et le solaire :il faudra bien compenser le défi-cit de production s’il n’y a pasassez de vent et de soleil !En outre, les installations hydro-électriques contribuent à la ges-tion de la ressource en eau dans

ses différentes utilisations.L’ensemble des réservoirs asso-ciés à un ouvrage hydroélec-trique représente environ 7 mil-liards de mètres cubes d’eau,utilisables pour l’agriculture,l’alimentation des populationsen eau potable, l’industrie et lesactivités de loisir et de tourisme.Les ouvrages contribuent aussià la prévention des risques, qu’ils’agisse de l’atténuation descrues ou, a contrario, du contrôledes étiages. Ces usages multiples sont descontributions à des missionsde service public. Elles néces-sitent une concertation entreles différents partenaires, entre-prises, collectivités et adminis-trations, pour une gestion inté-grée des lacs de retenue. Leurprise en compte exclut doncque l’aménagement hydroélec-trique soit exploité dans la seulerecherche de l’optimum de laproduction d’électricité.

SITUATION JURIDIQUELe fondement juridique de l’hydroélectricité est la loi du16 octobre 1919 sur l’utilisa-tion de la force hydraulique.La situation juridique des amé-nagements hydrauliques dé -pend de la puissance unitairede chaque installation : si lapuissance est supérieure à4,5 MW, elle relève de la conces-sion ; si elle est inférieure, del’autorisation préfectorale.En France, on compte près de400 concessions hydroélec-triques, qui représentent 95 %de la puissance hydroélectriqueinstallée, soit environ 25000 MW.Ces concessions ont générale-

ment été attribuées pour unedurée de 75 ans, à l’issue delaquelle leurs biens font retourà l’État, qui peut décider de larenouveler ou non.Lors de l’élaboration de la loi denationalisation de l’élec tricitéet du gaz de 1946, le législateur,

conscient de l’importance stra-tégique de l’hydro électricité,décidait de confier à l’entreprisenationale, EDF, les concessionsdes centrales hydroélectriquesd’une puissance supérieure à8 MW. Les seules exceptionsnotables étant la Compagnienationale du Rhône (CNR) et laSociété hydroélectrique du Midi

(SHEM), filiale de la SNCF. Lesinstallations de ces sociétésétaient toutefois rattachées ausystème d’exploitation hydrau-lique d’EDF, afin d’optimiser lagestion de l’ensemble hydrau-lique national, véritable « lacFrance ».

Pour le renouvellement desconcessions, la loi du 16 octo-bre 1919 précisait que, lors de« l’établissement d’une conces-sion nouvelle, le concessionnaireactuel a un droit de préférences’il accepte les conditions du nou-veau cahier des charges de conces-sion ». Ainsi, pour les conces-sions venant à échéance, leur

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n ÉNERGIE

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L’hydroélectricité représente une part importante de la production d’électricité fran-çaise. L’État a accordé des concessions qui viennent progressivement à échéanceet doivent être renouvelées. Un regard sur les nouvelles dispositions envisagées etleurs conséquences.

Le renouvellement des concessions hydroélectriques

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

L’électricité se stockant difficilement, l’équilibre d’unsystème électrique ne peut être réalisé qu’en ajustanten permanence la production à la consommation. La possibilité de moduler rapidement la productiond’électricité revêt donc une importance particulière.

Barrage de Serre-Ponçon, à la frontière des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence.

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renouvellement se faisait géné-ralement au bénéfice du conces-sionnaire sortant.

LA LIBÉRALISATION DU MARCHÉ DE L’ÉLECTRICITÉLes gouvernements de l’Unioneuropéenne et la Commissionont décidé l’ouverture à laconcurrence du marché de l’élec-tricité. Les modalités d’organi-sation de ce secteur ont été régiespar des directives successivesen 1996, 2003, 2009 et 2014.Pour l’hydroélectricité fran-çaise, les premières mesuresont été la séparation de la CNRet de la SHEM du système hydro-électrique d’EDF dès le débutdes années 2000. Ces disposi-tions ont mis fin à la conduiteintégrée de l’hydroélectriciténationale, qui était pourtantd’une efficacité reconnue. Ilfaut noter dans le même tempsque la CNR, jusqu’alors à capi-taux publics, ouvrait son capi-tal à Électrabel, filiale de Suez(devenu Engie), à hauteur de49 % ; la SHEM, quant à elle,était cédée par la SNCF à lamême société, de droit belge.

La libéralisation du marché del’électricité a conduit aussi àdes modifications du statutd’EDF, qui en 2004 est passéd’établissement public à carac-tère industriel et commercial àcelui de société anonyme.Le droit de préférence dont jouis-sait le concessionnaire sortantd’après la loi de 1919 a été sup-primé pour satisfaire auxdemandes de la Commissioneuropéenne. En effet, la Com -mission contestait ce droit depréférence accordé au conces-sionnaire sortant car, selon elle,

« une telle préférence constituaitune grave entorse au principed’égalité de traitement entre lesparticipants. Elle est de natureà dissuader des sociétés poten-tiellement candidates à s’enga-ger. Ce système est susceptible deconduire au maintien du statuquo de manière indéfinie ».La Commission exige désor-mais l’organisation systéma-tique de la mise en concurrencedans la procédure de renouvel-lement des concessions hydro-électriques. Plusieurs lois onttranscrit dans le droit françaisces directives européennes, ce

fut la loi sur l’eau et les milieuxaquatiques de 2006 (LEMA),puis la loi dite de transition éner-gétique de 2015. Les gouverne-ments français successifs ontdonc suivi en bons élèves lesorientations libérales de laCommission européenne.Contrairement à la France, laplupart des pays européens pos-sédant de l’hydroélectricité ontpris des dispositions pour met-tre leur patrimoine à l’abri deces exigences de la Commission,aucun d’entre eux n’est doncamené à mettre en concurrence

ses équipements hydrauliques.Soit que les ouvrages soient pro-priété des opérateurs, commeen Suède, soit que la complexitédu régime administratif empêchede fait l’arrivée de nouveauxentrants, comme c’est le cas enEspagne et en Allemagne. Lerégime des concessions de l’Italieest proche de celui de la France,mais avec des dates d’échéancetrès éloignées. Enfin, les direc-tives européennes ne sont bienentendu ni à la Suisse ni à laNorvège, qui ne font pas partiede l’UE.

LA MISE EN DEMEURE DE LACOMMISSION EUROPÉENNEMalgré la bonne volonté dontont fait preuve les gouverne-ments français successifs dansl’application des directives euro-péennes, l’ouverture à la concur-rence des concessions hydro-électriques se révèle difficile àmettre en œuvre. Et ce non seu-lement parce qu’elle rencontreaussi une forte opposition dessalariés des entreprises, atta-chés au caractère public desaménagements, mais aussi parceque les échéances des conces-sions existantes sur un mêmecours d’eau sont souvent éche-lonnées dans le temps. De cefait, l’ouverture à la concurrencepourrait conduire à attribuerles nouvelles concessions à dessociétés différentes, et par consé-quent à générer des difficultés

d’exploitation. Des regroupe-ments sont par conséquent àenvisager, ce qui complexifieles procédures. Il reste que pour la Commissioneuropéenne cette question desconcessions hydroélectriquesest un moyen de « forcer » l’ou-verture à la concurrence du mar-ché français de l’électricité. Elleveut aussi répondre aux solli-citations des principales socié-tés énergétiques, tant natio-nales qu’européennes, qui yvoient la possibilité d’enrichirleur patrimoine avec des ins-tallations performantes.Une mise en demeure a étéadressée au Gouvernement français le 22 octobre 2015 consi-dérant que les retards pris dansla mise en œuvre effective del’ouverture à la concurrencerenforcent la position domi-nante d’EDF.

LES RÉACTIONS À LA MISE EN DEMEUREFace à cette mise en demeure,plusieurs actions ont été entre-prises par les différentes par-ties. L’intersyndicale de l’éner-gie CFDT-CGT-FO et CFE-GCEa organisé plusieurs mobilisa-tions et effectué nombre dedémarches, elle « affirme sa viveopposition à cette concurrenceet son attachement au maintiendes trois opérateurs historiques(EDF, CNR et SHEM) dans leurspérimètres respectifs ».Pour sa part, Ségolène Royal,alors ministre en charge del’Énergie, a essayé de répondreaux injonctions de la Commis -sion européenne tout en tenantcompte des inquiétudes dessalariés. Ainsi, dans sa présen-tation du décret d’applicationde la loi de transition énergé-tique (publié le 27 avril 2016),elle rappelle que « la loi assurele maintien du statut des indus-tries électriques et gazières et lareprise des salariés aux mêmesconditions, lors des renouvelle-ments de concessions ». Elle pro-pose par ailleurs que les conces-sions soient attribuées, aprèsmise en concurrence, à des socié-tés d’économie mixte hydrau-

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n ÉNERGIE

52 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

Les gouvernements français successifs ont donc suivien bons élèves les orientations libérales de laCommission européenne. Contrairement à la France,la plupart des pays européens possédant del’hydroélectricité ont pris des dispositions pour mettreleur patrimoine à l’abri de ces exigences de laCommission, aucun d’entre eux n’est donc amené àmettre en concurrence ses équipements hydrauliques.

Barrage et retenue de Sainte-Croix-de-Verdon, Alpes-de-Haute-Provence.

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liques (SEMH) associant desopérateurs compétents, des col-lectivités locales et l’État, la partdu capital privé dans ces SEMHpouvant atteindre 66 %.En 2017, elle transmet à laCommission européenne unedemande de prolongation deconcession pour les aménage-ments de la Truyère et du Lotamont ainsi que du Rhône,exploités respectivement parEDF et CNR. La Commissionn’a pas encore répondu officiel-lement à ces propositions mais,selon des informations obte-nues par l’intersyndicale, il sem-blerait qu’elle envisage de lesécarter.

En ce qui concerne le nouveaugouvernement, la question figureexplicitement dans la lettre demission adressée par le Premier

ministre Édouard Philippe àNicolas Hulot. Il lui est demandéde « clarifier la situation desconcessions hydroélectriques enrecherchant un accord avec laCommission européenne ».L’orientation vers l’ouvertureà la concurrence a bien étéconfirmée à l’intersyndicalelors d’une rencontre le 25 octo-bre 2017 avec le cabinet duPremier ministre.

LES CONSÉQUENCESRappelons tout d’abord l’im-portance des concessions hydro-électriques à renouveler. Dès àprésent, les concessions venuesà échéance représentent envi-

ron 5000 MW, soit 20 % de lapuissance du parc hydroélec-trique, et d’ici à 2023 le renou-vellement portera sur 150 amé-

nagements et concernera toutesles régions hydrauliques dupays. C’est dire l’importancedu processus !L’ouverture à la concurrencedes concessions hydroélec-triques va conduire à une mul-tiplication des acteurs, qu’ils’agisse de sociétés entièrementprivées ou de sociétés d’écono-mie mixte, les SEMH où les col-lectivités publiques seront mino-ritaires. Dans tous les cas, il yaura recul du caractère publicde la gestion des barrages,laquelle pourra être confiée àde nouveaux acteurs français,européens, voire extracommu-nautaires. Il s’agit du démantè-lement programmé d’un ensem-ble de production construit parle service public en plusieursdécennies.La multiplication des conces-sionnaires aux intérêts diver-gents mais soucieux de la ren-tabilité de leurs investissementsva modifier en profondeur lemode d’utilisation des aména-gements. Ce sera pour beau-coup d’entre eux la fin de l’op-timisation et de la gestioncoordonnée des ressources en

eau. Et ce à un moment où leréchauffement climatiquedemanderait au contraire unemeilleure concertation dans lagestion de l’eau.Cet éclatement va aussi être préjudiciable au développe-ment de l’hydroélectricité, quipourrait, par la réalisation denouvelles stations de transfertd’énergie par pompage (STEP),constituer le complément indis-pensable des autres formesd’énergies renouvelables nonmodulables que sont l’éolien etle solaire, faute de quoi ce com-plément sera assuré par des pro-ductions carbonées.Compte tenu de ces besoins,des multiples aspects de l’hy-droélectricité et des usages del’eau associés, l’orientationdevrait être radicalement dif-férente. Plutôt que le dévelop-pement de la concurrence, l’in-térêt général nécessite un servicepublic de l’hydroélectricité, seulà même d’assurer sa pérennitéet son développement. n

*JACQUES MASSON est ingénieurhydraulicien EDF à la retraite.

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Même si aujourd’hui l’énergie solaire ne couvre que2 % de l’électricité mondiale, cette source d’énergieest appelée à croître rapidement.

Dès à présent, les concessions venues à échéancereprésentent environ 5 000 MW, soit 20 % de lapuissance du parc hydroélectrique, et d’ici à 2023 le renouvellement portera sur 150 aménagements etconcernera toutes les régions hydrauliques du pays.

La centrale à écluses de Marckolsheim, sur une dérivation du Rhin.

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n CLIMAT

54 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

Les incendies de forêts et milieux naturels font partie intégrante des aires méditerranéenesdepuis des millénaires. Le feu apparaît aujourd’hui comme une menace majeurepour ces territoires… et pour les zones de plaine et de montagne demain. Une longuehistoire qui devrait évoluer rapidement du fait des changements globaux en cours.

PAR THOMAS CURT*,

LE FEU ET L’HOMME: UNE LONGUE HISTOIRELes incendies de forêts et autresmilieux naturels font partie del’histoire de la Méditerranéedepuis des millénaires: les socié-tés humaines ont coévolué avecles feux aussi bien en plainequ’en montagne. Les rares étudeshistoriques existantes sur lapériode d’avant la PremièreGuerre mondiale réfutent lemythe d’un âge d’or au coursduquel la forêt et l’hommeauraient cohabité sans heurt :les brûlages en forêt et les feuxpastoraux existent depuis tou-jours, de même que les grandsincendies.Le feu est d’abord un outil pourl’homme: il a longtemps servi ànettoyer la végétation et à entre-tenir les paysages. C’est encorevrai aujourd’hui dans l’arrière-pays varois, cévenol ou corse,où les agriculteurs et les bergerspratiquent l’écobuage.De nos jours, le feu est princi-palement vu comme un désas-tre, et il est systématiquementcombattu. Il faut cependant rap-peler qu’il est aussi nécessaireau maintien de nombreux éco-systèmes méditerranéens richesen biodiversité, comme les gar-rigues, qui sont adaptées au pas-sage du feu.Les paysages et les territoiresfrançais ont connu des trans-formations importantes au coursdes dernières décennies sousl’effet de changements socio-économiques majeurs : l’aug-mentation de la population, ladéprise agricole et pastorale

dans les territoires ruraux, l’ur-banisation des campagnes, deslittoraux et des montagnes, l’aug-mentation très importante dutourisme et des infrastructures(autoroutes, voies ferrées, lignesélectriques, etc.).Ces évolutions ont un impactconsidérable sur les incendies.En effet, les départs de feux aug-mentent en proportion de lapopulation et de la présence demaisons et d’infrastructures ;l’intensité des feux et leur pro-pagation augmentent du fait del’accumulation de biomassevégétale combustible dans lepaysage ; le nombre d’enjeux àdéfendre contre le feu augmentedu fait de l’urbanisation.La plupart des grands incendiesde 2017 dans le Var, les Bouches-du-Rhône ou les Alpes-Maritimesont touché des zones d’inter-face entre l’habitat et le milieunaturel. En Europe comme auxÉtats-Unis, certains chercheursparlent ainsi d’une nouvellegénération d’incendies typiques

des zones embroussaillées etfortement urbanisées. Ellesconcentrent un grand nombrede départs de feux, et les feux ysont particulièrement difficilesà gérer pour les pompiers. Eneffet, ils doivent en même tempsmaîtriser le feu, confiner ou éva-cuer la population et protégerles habitations.Ces changements paysagers sontcommuns à toute l’Europe médi-terranéenne. Ils expliquent enpartie la recrudescence des grandsincendies, surtout dans les régionsdans lesquelles les moyens maté-riels et humains pour la lutte sontmoins importants.

LES FACTEURS DU RISQUE INCENDIEÀ l’échelle quotidienne, les incen-dies de forêts dépendent desinteractions entre la météo, l’oc-cupation du sol, qui déterminela quantité de végétation com-bustible, et les activités humaines,qui génèrent plus de 90 % desdéparts de feux. Les incendies

reflètent ainsi nos modes de vieet d’usage du feu, l’évolution denos paysages, de la populationet du climat. Ils ont donc évo-lué au cours des décennies, avecdes augmentations dans cer-taines régions et des diminu-tions dans d’autres (cf. cartes).Depuis les années 1970, une poli-tique très volontariste de luttecontre le feu a été mise en place,en France comme presque par-tout dans le monde, l’objectifétant de limiter les feux autantque possible par la préventionet la lutte. Mais cela a aussi conduità une perte de la maîtrise rai-sonnée du feu, qui faisait partiede la culture rurale dans de nom-breuses régions.Dans les années 1990, cette poli-tique a été renforcée par la miseen place d’une politique d’at-taque massive des feux nais-sants. Celle-ci a été très efficace:elle a réduit le nombre de départsde feux et divisé par deux les sur-faces brûlées. Ces progrès pla-cent la France parmi les pays lesplus efficaces à l’échelle euro-péenne. Les connaissances scien-tifiques sur le comportement dufeu, les moyens techniquesd’alerte et de lutte et la forma-tion des pompiers évoluent aussirapidement pour prendre encompte les nouveaux défis liésaux feux. Lors des incendiesrécents, on a vu que les pom-piers interviennent rapidementgrâce à une surveillance accrue:les Tracker et les Canadair veil-lent en permanence pendant lasaison à risque, les pompierssont prépositionnés au sol dansles secteurs à risque, des véhi-cules légers équipés d’une réserve

Changements globaux et incendies de forêts : comment s’adapter ?

ÉVOLUTION DE L’INDICE FORÊT MÉTEO ET DES INCENDIES DANS LE SUD-EST DE LA FRANCE

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d’eau parcourent les massifs, etla surveillance depuis les toursde guet est renforcée.

TOUT EST-IL SOUS CONTRÔLE?On a pu observer récemmentcertaines années caractériséespar une météo très défavorable(canicule, vent, sécheresse),comme 2003, 2016 et 2017. Dansces conditions, on voit que cer-tains incendies échappent auxpompiers laissant un bilan deplusieurs centaines ou milliersd’hectares brûlés. Ces feux sontresponsables de la majeure par-tie des dommages humains, éco-logiques et économiques. Parexemple, le grand feu de Rognac-Vitrolles en août2016 a menacéle nord de Marseille, brûlé vingt-quatre maisons et un lycée, etarrêté l’activité économiquelocale.Certaines régions sont plus àrisque que d’autres. Surtout, cer-taines régions voient le risqueincendie augmenter plus viteque d’autres du fait du climat,de l’homme et des paysages.L’ensemble du littoral méditer-

ranéen est ainsi un « point chaud »avec de nombreux incendies,parfois très grands. C’est lié auclimat très favorable et à la forteprésence humaine, qui génèrenombre de départs de feux. Cetterégion est aussi à fort risque dufait de l’urbanisation rapide etdu développement d’infrastruc-tures qui sont exposées aux feux.Toutes les régions à urbanisa-tion croissante – y compris dansl’arrière-pays – voient le risqueincendie augmenter. Dans lesBouches-du-Rhône et en Haute-Corse, les zones d’interface habi-tat/forêt ont ainsi progressé de10 % en dix ans.Les montagnes et l’arrière-pays(Alpes, Pyrénées, Corse, Massifcentral) sont aussi souvent expo-sés à un risque accru : dans de

nombreuses régions, les pay-sages anciennement pâturés oucultivés s’embroussaillent depuisdes décennies. Par ailleurs, laforêt française progresse presquepartout, ce qui augmente la bio-masse combustible. Les pay-sages de moyenne montagnesubissent ainsi à la fois des chan-gements climatiques et unetransformation paysagère pro-fonde et probablement dura-ble.

CHANGEMENTS CLIMATIQUES: DES EFFETS DÉJÀ SENSIBLESLes changements climatiquesen cours ont déjà des effets surl’aléa météo feux de forêts et surles incendies. Une étude de 2010(Météo France) montre que l’aug-mentation des températuresdepuis 1959 a conduit à une aug-mentation de 20 % de l’indiceforêt météo1. La situation actuellea conduit à une extension spa-tiale de la zone propice aux incen-dies et au constat d’un allonge-ment de la saison à risque. Dansles Alpes, cette saison s’est déjàallongée de deux à sept semainesdepuis cinquante ans.

L’augmentation des événementsmétéo exceptionnels, commela canicule de 2003 ou les séche-resses de2016 et 2017, est aussiliée pour partie aux évolutionsdu climat. Ces évolutions sontcohérentes avec les bilans effec-tués par le GIEC à l’échelle glo-bale. Les modélisations confir-ment que ces événementsextrêmes devraient se multiplierdans les prochaines décennies.L’année 2017 pourrait ainsi fairefigure d’année normale d’ici à2050.Sur un plus long terme, le cli-mat agit aussi directement surla végétation en augmentant lamortalité des arbres en forêt, cequi accroît la biomasse mortequi alimente les incendies. Leschercheurs et les pompiers de

Catalogne (Espagne) pensentainsi que nous avons déjà affaireà une nouvelle génération d’in-cendies intenses et capables dese propager dans des paysagesà la fois urbanisés et fortementvégétalisés, ce qui rend la luttetrès complexe.

DES SOLUTIONS À METTRE EN ŒUVRE DÈS MAINTENANTAdaptation est le maître mot enmatière de préparation auxrisques futurs. Il existe des solu-tions pour limiter les feux etleurs impacts sur nos territoires.Les efforts en matière de luttedoivent être maintenus, voireaméliorés, car le dispositif deprévention-alerte-lutte des pom-piers et de la sécurité civile estcrucial pour limiter les impactsde feux plus intenses. Les pom-piers ont déjà intégré l’exten-sion saisonnière et géographiquedu risque en étendant leur dis-positif de surveillance et de lutte.La prévention est insuffisanteet doit être renforcée, en Francecomme partout en Europe; celapasse par la sensibilisation dupublic – notamment scolaire –,des gestionnaires et des déci-deurs concernés. Notre culturedu risque incendie est assez fai-ble : nous avons souvent unemémoire limitée des événementspassés et une trop faible prépa-ration du public au risque futur.Une meilleure maîtrise de l’ur-banisation est nécessaire pouréviter la multiplication desdéparts de feux et des biens àprotéger. Des outils et des guidespratiques existent maintenantpour mieux évaluer le risqued’incendie dans les zones d’ha-bitat-forêt, pour choisir lesespèces les moins inflamma-bles à installer près de sa mai-son ou savoir comment biendébroussailler.L’exemple landais montre quela gestion des forêts peut effi-

cacement limiter le risque incen-die ; cela passe entre autres parune maîtrise de la biomasseforestière par une exploitationraisonnée: moins de végétationcombustible en forêt signifiedes feux moins intenses et unelutte plus facile. Il faut aussiadapter les forêts par le choixd’espèces adaptées au feu et àla sécheresse.

VERS DES TERRITOIRES MIEUX ADAPTÉS Toutes ces évolutions visent àrendre nos paysages et nos ter-ritoires moins inflammables :un paysage avec plus de cou-pures agricoles ou pâturées,mieux débroussaillé, avec desvégétaux et des forêts moinsinflammables et plus résilientesaprès feu, c’est vraiment l’af-faire de tous. Il est assez vrai-semblable que ces multiples fac-teurs puissent agir de concertpour limiter vraiment le risqueincendie dans le futur. Les déci-sions publiques et privées doi-vent pouvoir se nourrir des avan-cées de la recherche : il est ainsinécessaire de mener desrecherches pour tester l’effica-cité de différentes solutions degestion sur le risque incendie,et prendre les bonnes décisions.n

*THOMAS CURT est directeur derecherche à l’IRSTEA Aix-en-Provence.

1. L’indice forêt météo est un indicecalculé sur les données météoquotidiennes (avec un effet mémoired’une à deux semaines) comme levent, la température, l’humidité de l’air.Son calcul est un peu complexe, mais il indique l’état de sécheresse de la végétation (important pourestimer la probabilité d’un départ de feuen cas d’allumage), et l’intensitépotentielle du feu s’il venait à démarrer.

Les incendies reflètent nos modes de vie et d’usagedu feu, l’évolution de nos paysages, de la populationet du climat.

Une zone agricole ou une oliveraiebien entretenue peuvent arrêter la propagation du feu.

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Août 2017, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, annonce que la Francevoterait contre la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dixans l’autorisation du glyphosate : un vif débat est relancé entre le gouvernement etune bonne partie du monde paysan. Le 27 novembre 2017, l’Allemagne ayantchangé de position, l’Union européenne vote à la majorité qualifiée une prolonga-tion d’autorisation de cinq ans. Emmanuel Macron a aussitôt indiqué qu’il voulait parvenir à une interdiction d’ici trois ans sur le territoire français, au risque d’introduiredes distorsions de concurrence en défaveur des paysans hexagonaux.

PAR GÉRARD LE PUILL*,

GLYPHOSATE ETMONOCULTURE DE RENTELe glyphosate est un herbicidecréé par la firme Monsanto etcommercialisé sous le nom deRoundup. Il sert à détruire lesmauvaises herbes, notammentdans les champs de céréales àpaille, de maïs, de colza, de soja,de betteraves à sucre et d’au-tres plantes potagères. Son usageest très répandu dans les paysde l’Union européenne, maisencore plus aux États-Unis, auCanada, en Amérique du Sud,dans des pays donc qui ont optépour la culture du maïs et dusoja OGM. Ces plantes ont subides modifications génétiquesqui les ont rendues résistantesaux herbicides. Cela permet depratiquer sur une même par-celle la même culture chaqueannée, voire deux fois dans l’an-née pour le soja et le maïs dansles pays sans hiver.Ces monocultures de rente sontnéfastes. Les sols agricoles sontmieux préservés par des rota-tions de cultures. Cela revientà faire suivre, par exemple, ducolza par du blé, puis le blé parde la betterave, puis de l’orgeou du maïs. En monocultureOGM, le glyphosate a permisaux grandes exploitationsd’Amérique du Nord et du Sudde gagner plus d’argent quelques

années durant. Mais, au fil desans, les mauvaises herbes ontprogressivement muté pourrésister au glyphosate. Les céréa-liers et les producteurs de sojadestiné à l’exportation ont alorsutilisé des doses croissantes deglyphosate et ont recouru à desépandages par avion, mettanten danger la vie des popula-tions locales via la pollution del’air. Les manipulations géné-tiques réalisées pour passeroutre aux bonnes pratiques agro-nomiques ne donnent pas derésultats économiques dura-bles. En cela, les plantes OGMn’auront été qu’un pis-aller

puisque leur usage débouchesur une utilisation accrue desherbicides.

GLYPHOSATE UTILE?La bonne agronomie consiste,outre les rotations longues, àpratiquer des intercultures :entre deux récoltes, on sèmedes plantes à pousse rapide, les-quelles seront transformées enengrais vert avant un nouveausemis de blé ou de maïs. Chezles exploitants qui pratiquentle non-labour en se contentant

de griffer la terre lors d’un nou-veau semis, la qualité des solss’améliore, car la densité desvers de terre par mètre carréaugmente et transforme tou-jours plus de débris végétauxen matière organique consom-mable par les plantes. Il en résulteune amélioration des rende-ments et une réduction de l’uti-lisation d’engrais azotés, trèsémetteurs de gaz à effet de serre.Le non-labour permet ainsi deréduire le bilan carbone desgrandes cultures. Mais pour queles nouvelles graines lèvent sansêtre étouffées par les mauvaisesherbes il faut souvent un trai-

tement au glyphosate à raisonde 150 cL/ha sur une parcellenon labourée au moment dusemis.Il y a très peu de cultures OGMen Europe. De ce fait, les quan-tités de glyphosate utilisées surchaque hectare sont bien moin-dres que sur le continent amé-ricain. Toutefois, la productionagricole est soumise d’un boutà l’autre de l’année aux aléasclimatiques, qui vont des oragesaux sécheresses, en passant parles gelées tardives du printemps

ou la grêle, parfois dévastatrice.Quand le printemps et l’été sonthumides, le mildiou et d’autresmaladies des plantes peuventfaire de gros dégâts. Les traite-ments chimiques sont alorsindispensables pour ne pas per-dre tout ou partie de la récolte.Il faut avoir ces questions-là entête quand on parle de suppri-mer le glyphosate sans offrir desubstitutif aux paysans.

DE L’INTERDICTION EN FRANCE À LA DISTORSION DE CONCURRENCECela étant, le souhait exprimél’été dernier par la Commissioneuropéenne d’accorder uneprolongation de dix ans pourl’usage du glyphosate a proba-blement été fait sous l’influencedes lobbyistes de l’agrochimieet n’était pas de nature à favo-riser la recherche pour trouverdes produits de substitution àcette molécule que des scien-tifiques et des associationsaccusent d’être un cancéro-gène probable.Dès lors qu’une prolongationest accordée au glyphosate, parune majorité de pays en Europe,il devient difficile de prendreune décision différente en Francesans se tirer une balle dans lepied. Car notre pays est le plusgros producteur de céréales del’Union européenne, sans mêmeparler de la place prise par les

Le glyphosate, molécule de la discordevia la mondialisation capitaliste de l’agriculture

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017

n AGRICULTURE

56 ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

Chez les exploitants qui pratiquent le non-labour en se contentant de griffer la terre lors d’un nouveau semis,la qualité des sols s’améliore.

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betteraves à sucre et le colza. Sila France était seule à interdirele glyphosate, cela se traduiraitpar une distorsion de concur-rence au détriment des produc-teurs français.Signalons à ce sujet que le débatsur le glyphosate intervient àun moment où les cours mon-diaux des céréales, des oléagi-neux et du sucre sont si bas queles producteurs ne vivent plusde leur métier. Il faut savoir quele prix de la tonne de blé pro-duite en France et vendue àRouen ne valait que 151€ ennovembre 2017, alors qu’ellevalait près de 200€ en jan-vier2015. Il a suffi que le volumede la récolte mondiale de blédépasse de 2 à 3 % la demandesolvable trois années de suitepour que les prix connaissentune baisse moyenne de plus de20 % dans ce laps de temps. Dèslors, interdire le glyphosate dansnotre seul pays entraînerait unediminution des rendements etaugmenterait, de ce fait, le prixde revient de chaque tonne deblé, de maïs, de tournesol et decolza produits en France. Dans ce contexte de prix bas,il vaut donc mieux que lesrègles soient les mêmes danstous les pays membres del’Union européenne.

AGRICULTURE DE NON-LABOURMais il est un autre sujet quirendrait plus problématiqueencore l’interdiction du glypho-sate en France. Pour de bonnesraisons écologiques, bien quele propos puisse sembler para-doxal puisque nous avons affaireà un herbicide.En France, des céréaliers encoreminoritaires ont déjà de longues

années d’expérience dans ceque l’on appelle l’« agriculturede conservation ». Ils pratiquentle semis direct, sans labour, évo-qué plus haut. Au moment desemer du colza en septembreou du blé en octobre, ils utili-sent un broyeur qui, placé devantle semoir, va contribuer à trans-former la verdure présente surle champ en matière organique.Pour qu’elle soit moins encom-brante, elle a souvent été trai-tée au glyphosate afin de n’engarder que la matière sèche queles vers de terre vont transfor-mer en matière organique fer-tilisante, et ce sans en mourir,bien au contraire : leur nombrene cesse d’augmenter grâce aunon-labour.Il est probable que des hommescomme Emmanuel Macron,Édouard Philippe, Nicolas Hulotet le ministre de l’AgricultureStéphane Travert ne disposentpas des connaissances agrono-miques qui permettent de com-prendre cela. Mais il semblerait

qu’ils aient compris que la Francene pouvait pas décider seule del’interdiction de cette molécule.Pour cette raison, la décisionprise à Bruxelles d’accorder unsursis de trois ans au glypho-sate est plutôt sage, bien qu’ilsoit permis de penser que les

gens qui l’ont prise ne connais-sent pas l’intérêt agronomiqueet écologique du non-labour.Sinon, cette pratique risquaitde reculer sensiblement, alorsqu’il est urgent de la générali-

ser dans la mesure où elle per-met de stocker du carbone dansles sols et de réduire les apportsd’engrais azotés, très émetteursde gaz à effet de serre.

TRANSFORMERL’AGRICULTURE EUROPÉENNEDans l’hypothèse où la Franceserait seule en Europe à inter-dire le glyphosate d’ici trois ans,elle ne pourrait pas interdirel’importation de graines issuesdes pays où cette molécule conti-nuera d’être utilisée. À l’inté-rieur de l’Union européenne,la concurrence est libre, bienque souvent faussée par le dum-ping social, environnementalet fiscal, ce que la Commissioneuropéenne ne sanctionnejamais. Mais un pays qui inter-dirait l’importation de produitstraités par une molécule inter-dite sur son sol serait condamnépar l’Europe pour ce quiconcerne les produits euro-péens, et par le tribunal arbi-tral de l’OMC s’agissant desexportations des pays tiers.Si nous voulons réduire lesintrants chimiques en Europe,nous devons opter pour les rota-tions longues en agriculture.Cela veut dire aussi réduire lasole de blé et de maïs pour l’ex-portation et augmenter celledes protéines végétales pour la

nourriture des animaux d’éle-vage et pour celle des humains:du soja, des pois protéagineuxet de la luzerne pour les bêtes ;des pois chiches, des haricotssecs et des lentilles pour leshumains. Les pays membres del’Union européenne, Francecomprise, importent chaqueannée des pays tiers 35 millionsde tonnes de tourteaux de sojaOGM et autres produits équi-

valents. Or le soja pousse biendans les départements du sudde la France, et même beau-coup plus haut. Quant aux poisprotéagineux et à la féverole, ilssont également cultivables dansune majorité de départements:le seul département de l’Eure acultivé 200 ha de pois chichesen 2017, avec de bons rende-ments. Ne vaut-il pas mieux,dans le cadre de la réforme àvenir de la politique agricolecommune, consacrer une partimportante du budget à déve-lopper ces productions de pro-téines végétales et réduire paral-lèlement la sole européenne deblé, d’autant plus qu’il devientde plus en plus difficile à expor-ter vers les pays tiers ?Il faudrait que Stéphane Travert,devenu ministre de l’Agricultureen raison de son ralliement hâtifaux marcheurs d’EmmanuelMacron, soit capable de com-prendre cela et de l’expliquer àses pairs en Conseil des minis-tres européens de l’Agricultureainsi qu’au commissaire PhilHogan, l’Irlandais chargé desdossiers agricoles. Il faudraitensuite que cela devienne unprojet partagé, ce qui est loind’être gagné. n

*GERARD LE PUILL est journaliste à l’Humanité.

Le souhait exprimé l’été dernier par la Commissioneuropéenne d’accorder une prolongation de dix ans pour l’usage du glyphosate a probablement été fait sous l’influence des lobbyistes de l’agrochimie et n’était pas de nature à favoriser la recherche pour trouver des produits de substitution.

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Pulvérisation de glyphosate.

Semoir pour semis simplifié,appelé aussi semoir combiné ou semoir de semis direct, carconçu pour système sans labour.

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LIVRES58

Le Temps des algorithmesSERGE ABITEBOUL et GILLES DOWEKLe Pommier, Paris, 2017, 192 p.

Il s’agit là d’un ouvrage nécessaire à la compréhension du mondedes algorithmes dans lequel nous sommes plongés. Les algo-rithmes semblent, monstres froids, gérer tous les aspects non seu-lement de notre ordinateur ou de notre téléphone mobile, maiségalement de notre vie publique et privée : nous sommes aujourd’huien plein bouleversement de nos vies et pratiques. Les algorithmes

modifient et transfor-ment le travail scienti-fique, la façon de pro-duire (machines àcommande numérique,centres d’usinage, auto-matisation), mais aussila société, les rapportsentre les hommes etfemmes.L’automatisation et larobotisation générali-sées posent en termesrenouvelés la questiondu travail et du chô-mage, et la vie privée estconcernée (menacée?).Cet ouvrage permet dansune première partie,sans rien connaîtrenécessairement à l’in-formatique ni à la pro-

grammation, de comprendre ce qu’est un algorithme. Les auteursmontrent les enjeux qui y sont liés, comment on en est arrivé là,et ce qu’il est possible d’en faire, en bien comme en mal. Lesusines modernes sont quasi vides, seuls quelques vérificateurs etrégleurs parcourent les ateliers de ces usines automatisées grâceaux algorithmes.Sur le plan scientifique, les algorithmes permettent de modéli-ser, mais présentent tout de même une faiblesse pour la scienti-ficité, ce qu’on peut illustrer par une citation de Pablo Picasso :« Les ordinateurs sont ennuyeux, ils ne donnent que des réponses. »Tous les grands domaines de la vie courante étant abordés dansleur relation avec l’informatique et les algorithmes, Abiteboul etDoweck permettent ainsi à ceux qui sont abreuvés à longueurd’antennes ou de Web de comprendre mieux à la fois de ce dontil s’agit, mais aussi de sortir d’une vision manichéenne de cetteinformatique qui, comme Janus, possède deux visages.On notera cette phrase « La situation des humains et des algo-rithmes n’est certes pas symétrique : c’est d’abord aux algorithmesqu’il convient de s’adapter aux humains, mais il serait utile aussique les humains sachent un peu mieux ce que font les algorithmes… »Cet ouvrage y contribue de magistrale façon. n

IVAN LAVALLÉE

L’Exercice de la pluralité des mondesSYLVIE NONY ET ALAIN SARRIEAU (DIR.), PRÉFACE : MICHEL BLAYADAPT/SNES, Paris, 2017, 180 p.

Comme c’est souvent le cas des ouvrages collectifs, ce livre esttrès inégal, par les sujets abordés comme par le type d’intérêtqu’on peut y trouver. Le titre pourrait faire penser à une de ces

tentatives de donner une sorte decaution scientifique à ce qui n’estessentiellement que de la science-fiction, or ce n’est pas vraiment lecas. Les auteurs, choisis dans unlarge éventail de disciplines, del’histoire des philosophies orien-tales à la rechercher actuelle enastrophysique, sont, dans leursdomaines respectifs, de très bonniveau, ce qui assure une fiabilitéà l’ouvrage.

Apprécions les explications deJonathan Braine sur les certitudes,

les incertitudes et l’évolution de connaissances de la cosmo -gonie actuelle, ainsi que celles de Franck Selsis sur les recherchessur les exoplanètes. Ce sont des fresques sur la diversité desméthodes et approches de la science moderne, où des ques-tions, des réponses (toujours partielles et incomplètes) inter-agissent avec les méthodes disponibles pour nous donner notrevision actuelle de l’Univers, prompte à s’adapter et à évoluer.Julien Grain et Gauvain Leconte donnent une bonne descrip-tion sur les recherches concernant le « multivers » issu de lathéorie des cordes : il s’agit là de quelque chose de bien plushasardeux et pratiquement inaccessible à l’observation ou àl’expérimentation, donc largement spéculatif.

Le reste de l’ouvrage concerne principalement des élémentshistoriques nous permettant de comprendre comment nous ensommes arrivés là. Cela n’a eu rien de trivial : le fait même deconsidérer les objets célestes comme physiques, et donc sujetsaux mêmes lois que notre environnement proche, a déjà été ungrand progrès. En effet, pendant longtemps, « céleste » s’appa-rentait étroitement au paradis, relevant donc de l’interprétationdes textes sacrés, ce qui nous fait à présent sourire. Malheureusement,ces temps ne sont pas tellement reculés : ainsi le 15 septembre1952, le père Connell mettait en garde dans le très sérieux Timecontre l’extraordinaire dangerosité potentielle des pilotes dessoucoupes volantes : puisque les hommes sont devenus mor-tels consécutivement au péché originel, au cas où les soucoupesproviendraient d’un monde dont les habitants n’auraient paspéché, leurs pilotes seraient impossibles à tuer ! n

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

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La Singularité du vivantMIGUEL BENASAYAGLe Pommier, Paris, 2017, 180 p.

Dans un livre précédent (Cerveau augmenté, homme diminué, LaDécouverte, Paris, 2016), Miguel Benasayag développait uneréflexion très pertinente et argumentée sur le cerveau et l’ordi-nateur, sa thèse fondamentale étant que la fonction principaledu cerveau est la compréhension, la capacité de donner un sensà ce qui arrive (« Pour tout organisme biologique, le milieu où il

évolue a un sens et luidonne un sens »). Dansla Singularité du vivant,qui peut être considé-rée comme une suitedu précédent, l’auteurdéveloppe uneréflexion bien plusgénérale, où la penséecôtoie une sorte desociologie humanisteà trois modes d’exis-tence : les organismes(qui sont leurs propresfins, ils ne sont jamaisau service de quelquechose), les agrégats(artefacts avec une fina-lité concrète) et lesmixtes (tels que le lan-gage ou la macroéco-nomie).

La pensée de l’auteur peut sembler parfois confuse et difficile àsuivre. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut qu’applaudir à cer-taines conclusions, telles que « Le monde structuré par la financeet la consommation teintée d’activités ludiques capturent les seg-ments disloqués des humains, des sociétés et des écosystèmes pourles agencer dans un système qui se présente comme la seule ratio-nalité possible : celle de l’augmentation du profit, créant ainsi desersatz de rites coupés de tous les rythmes biologiques » ou « La tech-noscience actuelle reprend à son compte la vieille utopie idéaliste.Elle nous promet de dépasser les limites des corps pour vivre dansle ciel des algorithmes, accomplissant ainsi le rêve (ou plutôt cau-chemar) des religions et des idéologies. Elle nous promet une vieau-delà des contraintes matérielles propres à la vie ».

Le livre se termine par un « Prolongement » rédigé par le mathé-maticien et épistémologue Giuseppe Longo, qui commente etexplicite divers passages du texte principal dans un cadre assezdifférent. Le lecteur est ainsi rassuré, l’argumentaire de Benasayagest partagé par des penseurs plus conventionnels. n

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

La Corporation des correcteurs et le LivrePIERRE LAGRUE ET SILVIO MATTEUCIL’Harmattan, Paris, 2017, 255 p.

Les auteurs se sont rencontrés grâceau métier de correcteur, ont assumédes responsabilités au sein du Syndicatdes correcteurs, ont « défilé côte à côtédans toutes les manifestations revendi-catives […], mais l’un tenant le drapeaurouge, l’autre le drapeau noir ». Amis etcomplices, ils nous offrent là un livreatypique, une invitation à ceux qui lisentcomme à ceux qui écrivent à entrerdans un monde méconnu.Dans Un abécédaire inattendu – c’estle sous-titre, qui dit leur choix d’éviterune démarche linéaire, thématique ou

chrono logique –, les textes se présentent comme des entrées d’undictionnaire, ou plutôt comme des articles d’une encyclopédiequi peuvent être abordés les uns après les autres ou encore dansle désordre, dans ce cas quelques répétitions sont les bienvenues.Du « À la… », la chanson des ouvriers du Livre qui jaillissait chaquefois qu’ils fêtaient quelque chose, aux « Veuves et orphelines », enpassant par l’« Abolition du salarié » (et non du salariat), les « TrenteGlorieuses » ou « Tonton Wiki » et une riche série de termes pro-pres aux métiers de l’écrit, le lecteur accédera à un monde ayantforgé son propre vocabulaire, souvent savoureusement imagé.Mais ce n’est pas tout, ce monde et son jargon a une histoire,comme les auteurs le montrent à l’aide d’une grande variété deréférences – qui sait qu’Érasme, Balzac, Vallès furent correcteursd’imprimerie ? –, histoire, de Gutenberg à l’arrivée de l’informa-tique, faite de luttes, de solidarités, de progrès sociaux, de menacesaussi qui touchent, depuis le « Conflit du Parisien libéré » (uneentrée lui est consacrée) à la tendance à imposer l’autoentrepre-neuriat, ses travailleurs de la presse et de l’édition.Le sérieux des auteurs est empreint d’humour. Comment faireautrement quand il est question de noms qui évoquent le règneanimal (chameau, bourdon, coquilles, caviar, diptères, ours) ouvégétal (« Chou pour chou ») ? quand on aborde la réforme del’orthographe (« Mort du flexe »). Et s’il laisse transparaître unecertaine nostalgie, la gravité est aussi au rendez-vous : décou-vrez la « République du Croissant » (oui, il n’est pas interdit depenser à Jean Jaurès), ce quartier où se concentrait la presse pari-sienne ; penchez-vous sur les ravages sociaux et économiquesque cause la « Saisie délocalisée » ; sachez pourquoi, dansProgressistes, nous écrivons états-unien et non américain(« Géopolitique et orthotypographie »)…Bref, un livre qu’on lira avec le plaisir de connaître, d’apprendreque les écrits sous nos yeux sont redevables d’un univers qu’ongagne à approcher et qui peut alimenter la réflexion. n

JACQUES LEPRÉ

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2017 Progressistes

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Les sciences et les techniques au féminin

Rosalind Franklin

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Rosalind FranklinNée le 25 juillet 1920 à Notting Hill, Rosalind Franklin est promise àun grand avenir. Après l’obtention d’un doctorat de physique-chimie àCambridge (Royaume-Uni) en 1945, elle passe trois années enFrance, entre 1947 à 1950, au Laboratoire central des services chimiques de l’État, afin d’y apprendre les techniques de diffractomé-trie de rayons X, une technique que la jeune biologiste moléculaireappliquera à l’étude des matériaux biologiques au King’s College deLondres, où elle obtient un poste en 1951.Une ombre vient alors noircir le tableau. En 1952, elle avait réalisé plu-sieurs remarquables radiographies aux rayons X de l’ADN et, à soninsu, Maurice Wilkins montra ces clichés à James Dewey Watson. Cedernier, en compagnie de Francis Crick, les utilise afin de résoudrel’énigme de la structure de l’ADN et découvrir ainsi sa structure à dou-ble hélice. L’année 1953 est une année noire pour Rosalind : en raison

d’une mauvaise ambiance, elle quitte King’s College pour BirkbeckCollege, d’un côté, et elle est fortement incitée par John Randall àabandonner ses recherches sur l’ADN, de l’autre. Enfin, l’histoire des clichés connaît des suites. En effet, une semaineaprès les avoir vus, James Dewey Watson et Francis Crick publient lerésultat de leur découverte dans Nature (avril 1953). Cette publicationleur ouvre la voie du prix Nobel de médecine, obtenu en 1962, prixauquel Wilkins est associé. Il est alors trop tard pour Rosalind – elle estmorte prématurément quatre ans plus tôt d’un cancer de l’ovaire, trèscertainement lié à sa surexposition aux rayons X – pour être elle-mêmeassociée à la récompense.Ses anciens collègues du King’s College se gardent cependant bien delui rendre hommage, et il faut attendre 2008 pour que Rosalind reçoiveenfin, à titre posthume, le prix d’honneur Louisa Gross Horwitz. n

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