Proche-Orïent En quoi consiste la politique étrangère de ...

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Proche-Orïent Les priorités de Bush Entretien "Les collaborateurs du président sont d'accord sur un point: on ne peut pas résoudre tous les problèmes de la région en même temps". George W. Bush a reçu Ariel Sharon à la Maison-Blanche le 20 mars.Avant tous les autres dirigeants duMoyen-Orient. Chan- gement de style, réévaluation stratégique? Valeurs Actuelles a interrogé, à ce sujet, l'un des maîtres à penser de la nouvelle administration américaine: Daniel Pipes, le directeur de la re- vue Middle East Quarterly. On parle d'un "axe Bush-Sharon". Est-ce vrai? > DANIEL PIPES Les formules de cegenre sont toujours un peu excessives. Je ne sais pas s'il y a un "axe" entre les deux hommes ou les deux gouverne- ments;en revanche, jecrois qu'il ya pour l'instant une certaine entente, fondée surdes affinités de tempérament et d'ap- proche politique. Bush ne cherche pas à imposer à tout prix une solution aux Israéliens, comme son prédécesseur Clinton. Quant à Sharon, il sait écou- ter ses interlocuteurs, et se faire écou- ter— mieux, sans doute, que ses propres prédécesseurs, le conservateur Neta- nyahu et le travailliste Barak. Sharon avait cependant jusqu'ici une image déplorable... > Pour les Américains, c'est le présent qui compte. pas le passé. Sharon a pu être considéré autrefois dans certains milieux, notamment au Département d'Etat.comme un extrémiste. Mais Bush et son équipe ne s'intéressent qu'au pre- mier ministre israélien de 2001. Que constatent-ils? D'abord que Sharon a été élu par son peuple à une majorité écrasante (63 %) et à travers un scrutin rigoureusement démocratique. Ensuite, qu'il a su former le gouvernement le plus large de l'histoire de sonpays, avec la participation de Shimon Peres et de la gauche. Enfin, qu'il a multiplié depuis son élection les gestes d'ou- verture à l'égard du monde arabe et des Palestiniens. Cela fait au total un partenaire tout à fait intéressant. Y a-t-il un glissement pro-israélien dans l'opinion américaine? > D'après des sondages récents, 51 % des Américains se d é - clarent favorables à Israël, alors que 18 % seulement pren- nent parti pour les Palestiniens. 58 % estiment que le véri- table but des Palestiniens reste la destruction d'Israël, et 73 % que les autorités palestiniennes ont été les principaux responsables des violences actuelles. Voici près de six mois, les opinions étaient beaucoup moins tranchées. Ce qui a fait évoluer les Américains, c'est le rejet des offres de paix pré- sentées de façon réitérée par Barak mais aussi par Clinton, pendant l'été dernier et tout au long de la crise. Daniel Pipes. Un regard neuf sur la zone islamique. En quoi consiste la politique étrangère de Bush? > Pour l'instant, il n'y a pas une stratégie bien définie mais deux stratégies en gestation, ou en concurrence. D'un côté, celle que défend le secrétaire d'Etat, Colin Powell: une ap- proche que l'on pourrait qualifier de « post-vietnamienne ». selon laquelle les Etats-Unis doivent agir avec beaucoup de circonspection dans les affaires mondiales, et se concerter le plus largement possible avec les autres puissances. De l'autre, la stratégie néoreaganienne que défendent le vice-président Dick Cheney et le secrétaire ä la Défense Donald Rumsfeld: une approche conservatrice selon laquelle les Etats-Unis sont un grand pays qui peut et qui doit défendre sans complexes ses intérêts et ses idées. Il est encore trop tôt pour savoir comment ces deux stratégies coexistent ou si elles peuvent s'harmoniser. On a eu le sentiment, jusqu'ici, que la ligne Cheney-Rumsfeld l'emportait légèrement sur la ligne Powell, mais rien n'est véritablement joué. Tout va dépendre des résultats concrets que les uns ou les autres seront en mesure de remporter. Et aussi, sans doute, de facteurs personnels tels que la santé de Cheney. Et au Moyen-Orient plus spécifiquement? > Les deux écoles sont d'accord sur un point: une politique "globale", qui pré- tendrait résoudre tous les problèmes du Moyen-Orient d'un seul coup, du conflit israélo-arabe à l'Irak et de l'Iran à l'Afghanistan, est une vue de l'esprit. Toutes les tentatives que nous avons faites dans ce sens se sont soldées pu- des échecs. Nous préférons aujourd'hui traiter chaque question séparément. Les divergences entre l'Amérique et l'Europe sont profondes? > Je le crains. L'Amérique minimise peut-être, à propos du Moyen-Orient, les préoccupations ou les intérêts dr. l'Europe en matière pétrolière ou eu> fornique. L'Europe ne prend peut-i° pas suffisamment en compte, dans ia politique américaine, le facteur reli- gieux, moral ou humanitaire. C'est un fait, par exemple, que le quart de la population américaine se réclame du christianisme évangélique et voue, à ce titre, un intérêt passionné à un Moyen-Orient considéré gavant tout comme l'univers de la Bible. C'est un autre fait â que la plupart des Américains, quelle que soit leur religion, sont très attentifs à la question des droits de l'homme. Mais l'Amérique n'a-t-elle pas joué un rôle dans le développement de l'intégrisme islamique? > Soyons clairs: nous avons aidé les combattants musulmans d'Afghanistan dans les années quatre-vingt, quand ils se bat- taient contre l'envahisseur soviétique, et nous ne le regrettons pas. Nous avons défendu des populations musulmanes au Ko- weit, en Bosnie, au Kosovo, quand leurs droits humains élé- mentaires étaient menacés. Mais nous n'avons jamais aidé ou manipulé l'intégrisme islamique en tant que tel, ni au Proche- Orient, ni dans les Balkans, ni en Algérie. Cela aurait été suici- daire de notre part: nous savons parfaitement que l'islamisme qui n'est pas l'islam mais une manipulation politique de cette religion—constitue notre ennemi numéro un. comme le totali- tarisme soviétique l'était voici quinze ans. Propos recueillis par Michel Gurfinrie1 faieurs .lctueiles du 23 murs 2001 45

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Proche-OrïentLes prioritésde BushEntretien "Les collaborateurs du présidentsont d'accord sur un point: on ne peut pasrésoudre tous les problèmes de la régionen même temps".George W. Bush a reçu Ariel Sharon à la Maison-Blanche le20 mars. Avant tous les autres dirigeants du Moyen-Orient. Chan-gement de style, réévaluation stratégique? Valeurs Actuelles ainterrogé, à ce sujet, l'un des maîtres à penser de la nouvelleadministration américaine: Daniel Pipes, le directeur de la re-vue Middle East Quarterly.

On parle d'un "axe Bush-Sharon". Est-ce vrai?> DANIEL PIPES Les formules dece genre sont toujours un peu excessives.Je ne sais pas s'il y a un "axe" entre lesdeux hommes ou les deux gouverne-ments ; en revanche, j e crois qu'il y a pourl'instant une certaine entente, fondéesur des affinités de tempérament et d'ap-proche politique. Bush ne cherche pasà imposer à tout prix une solution auxIsraéliens, comme son prédécesseurClinton. Quant à Sharon, il sait écou-ter ses interlocuteurs, et se faire écou-ter — mieux, sans doute, que ses propresprédécesseurs, le conservateur Neta-nyahu et le travailliste Barak.Sharon avait cependant jusqu'iciune image déplorable...> Pour les Américains, c'est le présentqui compte. pas le passé. Sharon a puêtre considéré autrefois dans certainsmilieux, notamment au Départementd'Etat.comme un extrémiste. Mais Bushet son équipe ne s'intéressent qu'au pre-mier ministre israélien de 2001. Queconstatent-ils ? D'abord que Sharon aété élu par son peuple à une majorité écrasante (63 %) et àtravers un scrutin rigoureusement démocratique. Ensuite, qu'ila su former le gouvernement le plus large de l'histoire deson pays, avec la participation de Shimon Peres et de la gauche.Enfin, qu'il a multiplié depuis son élection les gestes d'ou-verture à l'égard du monde arabe et des Palestiniens. Celafait au total un partenaire tout à fait intéressant.Y a-t-il un glissement pro-israéliendans l'opinion américaine?> D'après des sondages récents, 51 % des Américains se dé-clarent favorables à Israël, alors que 18 % seulement pren-nent parti pour les Palestiniens. 58 % estiment que le véri-table but des Palestiniens reste la destruction d'Israël, et73 % que les autorités palestiniennes ont été les principauxresponsables des violences actuelles. Voici près de six mois,les opinions étaient beaucoup moins tranchées. Ce qui a faitévoluer les Américains, c'est le rejet des offres de paix pré-sentées de façon réitérée par Barak mais aussi par Clinton,pendant l'été dernier et tout au long de la crise.

Danie lPipes.

Un regardn e u f

s u r la zoneislamique.

En quoi consiste la politique étrangère de Bush?> Pour l'instant, il n'y a pas une stratégie bien définie maisdeux stratégies en gestation, ou en concurrence. D'un côté,celle que défend le secrétaire d'Etat, Colin Powell: une ap-proche que l'on pourrait qualifier de « post-vietnamienne ».selon laquelle les Etats-Unis doivent agir avec beaucoup decirconspection dans les affaires mondiales, et se concerter leplus largement possible avec les autres puissances. De l'autre,la stratégie néoreaganienne que défendent le vice-présidentDick Cheney et le secrétaire ä la Défense Donald Rumsfeld:une approche conservatrice selon laquelle les Etats-Unissont un grand pays qui peut et qui doit défendre sans complexesses intérêts et ses idées.

Il est encore trop tôt pour savoir comment ces deuxstratégies coexistent ou si elles peuvent s'harmoniser. On aeu le sentiment, jusqu'ici, que la ligne Cheney-Rumsfeldl'emportait légèrement sur la ligne Powell, mais rien n'estvéritablement joué.

Tout va dépendre des résultats concrets que les uns oules autres seront en mesure de remporter. Et aussi, sansdoute, de facteurs personnels tels que la santé de Cheney.

Et au Moyen-Orientplus spécifiquement?> Les deux écoles sont d'accord sur unpoint: une politique "globale", qui pré-tendrait résoudre tous les problèmesdu Moyen-Orient d'un seul coup, duconflit israélo-arabe à l'Irak et de l'Iranà l'Afghanistan, est une vue de l'esprit.Toutes les tentatives que nous avonsfaites dans ce sens se sont soldées pu-des échecs. Nous préférons aujourd'huitraiter chaque question séparément.Les divergences entre l'Amériqueet l'Europe sont profondes?> Je le crains. L'Amérique minimisepeut-être, à propos du Moyen-Orient,les préoccupations ou les intérêts dr.l'Europe en matière pétrolière ou eu>fornique. L'Europe ne prend peut-i°pas suffisamment en compte, dans iapolitique américaine, le facteur reli-gieux, moral ou humanitaire. C'est unfait, par exemple, que le quart de lapopulation américaine se réclame duchristianisme évangélique et voue, à ce

titre, un intérêt passionné à un Moyen-Orient considérég avant tout comme l'univers de la Bible. C'est un autre faitâ que la plupart des Américains, quelle que soit leur religion,

sont très attentifs à la question des droits de l'homme.Mais l'Amérique n'a-t-elle pas joué un rôledans le développement de l'intégrisme islamique?> Soyons clairs: nous avons aidé les combattants musulmansd'Afghanistan dans les années quatre-vingt, quand ils se bat-taient contre l'envahisseur soviétique, et nous ne le regrettonspas. Nous avons défendu des populations musulmanes au Ko-weit, en Bosnie, au Kosovo, quand leurs droits humains élé-mentaires étaient menacés. Mais nous n'avons jamais aidé oumanipulé l'intégrisme islamique en tant que tel, ni au Proche-Orient, ni dans les Balkans, ni en Algérie. Cela aurait été suici-daire de notre part: nous savons parfaitement que l'islamisme— qui n'est pas l'islam mais une manipulation politique de cettereligion — constitue notre ennemi numéro un. comme le totali-tarisme soviétique l'était voici quinze ans.

Propos recueillis par Michel Gurfinrie1

faieurs .lctueiles du 23 murs 2001 45