Petite somme théologique de Saint Thomas d Aquin (Tome 2)

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8/3/2019 Petite somme théologique de Saint Thomas d Aquin (Tome 2) http://slidepdf.com/reader/full/petite-somme-theologique-de-saint-thomas-d-aquin-tome-2 1/552 PETITE DE SAINT S D AQUIN A L'USAGE DES ECCLÉSIASTIQUES ET DES GENS DU HÖNDE, TOUTE LA DOCTRINE de la Somme tlidologique de saint Thomas d'Aquin, article par article sans exception, de manière a renfermer tout ce qu'il y a d'i in portant dans cet immense ouvrage ; 2' DES TABLEAUX SYNOPTIQUES, OÙ l 'on voit, d'un coup d'oeil, l'en chai nom ont synthétique des matières de chaque traité et des traités entre eux ; 3* DES NOTES theologîquos, philosophiques et scientifique, qui mettent l'ouvrage en rapport avec renseignement actuel et eu font une théologie très-complète; DES TABLES analytiques et alphabétiques trcs-délaillées, avec un LEXIQUE des mots scotastiques, CONTENANT; PAR L'ABBÉ FRÉDÉRIC LEBRETHON, CURÉ D'AIRAN, DIOCÈSE DE B A YEUX.  Indocti discant, et ameni meminisse periti. TOME DEUXIÈME. PARIS, GAUME FRÈRES ET J. DUPREY, ÉDITEURS, RUE CASSETTE, 4. 4861. Droits de traduction et de reproduction réservés.

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    P E T I T E

    D E

    SAINT S D AQUINA L'USAGE

    DES ECCLSIASTIQUES ET DES GENS DU HNDE,

    1 TOUTE LA DOCTRINE de la Somme tlidologique de saint Thomas d'Aquin, article par articlesans exception, de manire a renfermer tout ce qu'il y a d'i in portant dans cet immense ouvrage ;

    2 ' DES TABLEAUX SYNOPTIQUES, O l'on voit, d'un coup d'oeil, l'en chai nom ontsynthtique des matires de chaque trait et des traits entre eux ;

    3* DES NOTES theologquos, philosophiques et scientifique, qui mettent l'ouvrage enrapport avec renseignement actuel et eu font une thologie trs-complte;

    4 DES TABLES analytiques et alphabtiques trcs-dlailles,avec un LEXIQUE des mots scotastiques,

    CONTENANT;

    P A R

    L'ABB FRDRIC LEBRETHON,CUR D'AIRAN, DIOCSE DE B A YEUX.

    Indocti discant, et ameni meminisse periti.

    T O M E D E U X I M E .

    P A R I S ,

    GAUME FRRES ET J. DUPREY, DITEURS,RUE C A S S E T T E, 4 .

    4 8 6 1 .

    Droits de traduction et de reproduction rservs.

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    P E T I T E

    S O M M E T H O L O G I Q U EDE

    S A I N T T H O M A S D ' A Q U I N .

    T O M E II.

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    P R O P R I T .

    Typographie de Domin.Caen (Calvados).

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    DEUXIME PARTIE.

    SECTION I.

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    PROLOGUE

    Aprs avoir parl de Dieu et des diffrents tres

    que, parsa puissance et sa volont, il a fait sortir dunant, il nous reste traiter de l'homme considr

    comme tre intelligent, libre et matre de ses actions;

    car c'est sous ce rapport que nous sommes crs H-

    mage de Dieu.Nous avons vu le Modle ; voyons prsent l'image.

    ( SAINT THOMAS. )

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    DEUXIEME PARTIE

    D U M O U V E M E N T

    DE LA

    CRATURE RAISONNABLE VERS DIEU.

    PREMIRE SECTION.

    DES ACTES HUMAINS EN GNRAL,

    ET D'ABORD

    DE LA FIN DERNIRE DE L'HOMME

    ou

    D E L A B A T I T U D E .

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    TABLEAU SYNOPTIQUE

    DEUXIEME PARTIE.

    D U M O U V E M E N T D E L A . C R A T U R E R A I S O N N A B L EV E R S D I E U .

    ' De la findernirede

    V

    DU

    MOUVEMENT

    DE LA

    CRATURE

    RAISONNABLE

    VERS DIEU.

    ' La fin dernire el le-mme. . . . . . . .

    En quoi eile n'est pas,

    Quest. 1

    La

    homme. / {Ce qu'elle est)

    constitue.

    (Nature . . . . . . . 5

    Des actes

    ( Acteshumains

    engnral.

    (Conditions 4

    Moyen d'y parvenir, 5

    Des actes humains eux-mmes. (Tab. 5 I J

    Des passions. (Tab. 12 )

    Habitudes en gnral. (Tab. 13.)

    Nature.

    qui Icluisentlla fin /

    {V. tab. 4.)J

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    DEUXIME PARTIE.

    PREMIRE SECTION.

    QUESTION 1.

    DE LA FIN DERNIRE DE i/HOMME.

    Tons l e s h o m m e s a g i s s e n t en vue l'une fi n. I l y a u n e

    fin d e r n i r e .

    1. Convient-il que l'homme agisse pour une fin ?Il y a chez l'homme deux sortes d'actes.Les actes hu

    mains sont ceux dont il est le matre et qu'il produit parson libre ai'bitre, facult qui tient tout la fois de la

    raison et de la volont : on ne donne ce nom qu'aux actions qui sont faites avec connaissance, dlibration etlibert.Les autres actes, qui ne procdent pas de l'hommeconsidr comme tre raisonnable, conservent le nom

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    12 PETITE SOMME PART- H.

    d'actes del'homme.Il est incontestable que, dans les actions volontaires, appeles actes Immains, il convient que

    'l'homme agisse pour une fin. De telles actions, en effet,

    procdent, aprs dlibration, de la volont, qui a pourobjet la fin et le bien. Une facult agissant toujours d'unemanire conforme son objet, il est mme ncessaire quetoutes les actions humaines, dans lesquelles l'homme agiten tant qu'homme, soient faites pour une fin.

    Si la fin csl la chose que Ton obtient en dernier lieu dans Pexcution,

    elle est du moins la premire dans l'intention : aussi est-elle une cause qui

    fait agir.

    2. L'homme seul agit-il pour une fin ?

    Non, sans doute ; tout agent opre aussi pour une fin.Nous en avons la preuve par le monde, o la matire elle-mme accomplit un dessein marqu. Mais, entre l'hommeet les tres privs de raison, voici la diffrence : ceux-ci,vritables instruments entre les mains d'un matre invi

    sible qui assigne chacun son rle et son emploi, arrivent leur fin en vertu d'une inclination naturelle; au lieuque l'homme, dou de raison et de volont, se porte delui-mme la sienne par son libre arbitre.

    3. Les actes humains tirent-ils une espce propre dela fin ?

    La fin est d'une telle importance dans nos actes, quec'est elle qui, par la nature propre et particulire qu'elleleur confre, en fait prcisment des actes humains, c'est--

    dire volontaires ou moraux. Principe et terme de toutesnos actions libres, elle leur donne ainsi une espce dtermine ; comme, au sein de la nature, le gnrateurconfre la forme Ttre engendr.

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    S E C T . I . Q U E S T . 1 . DE LA FIN DERNIRE. 1

    On nous dira peut-tre que la fin, qui est une chose extrinsque aux actes

    Immains, ne saurait les spcifier.La fin n'est pas absolument extrinsque

    nos actes. Gomme principe et comme terme, elle entre, au contraire,

    dans leur nature mme; aussi des actes physiquement identiques peuvent

    avoir, en morale, un caractre oppos, suivant la fin qu'on se propose.

    4. La vie humaine a-t-elle une fin dernire ?Dire que la vie humaine n'a pas de fin dernire et

    qu'elle va de fins en fins par un mouvement perptuel etindfini, c'est dire une absurdit. En quelque genre quece soit, il est impossible qu'il y ait une [srie infinie defins qui se coordonnent et s'enchanent sans une fin dernire, comme il est impossible qu'il y ait une srie infinie

    de moteurs sans premier moteur. C'est pourquoi, de mmeque, sans premier moteur, il n'y aurait pas de mouvement;de mme, sans un dernier terme pour l'intention et pourl'excution, il n'y aurait ni action, ni dsir. Il fautadmettre pour la vie humaine une fin dernire et un der

    nier terme; sans quoi, incapables de tout mouvementcomme de tout dsir, nous resterions indfiniment sansrien commencer, ni rien finir.

    Dieu a voulu que le souverain bien ft la fin dernire des tres. Avant

    qu'ils y arrivent\ il dispose de ses dons envers eux, non pas d'une ma

    nire infinie, mais avec nombre, poids et mesure. * (Sag. xi. )

    5.Y a-t-il pour le mme homme plusieurs fins dernires ?

    Nul ne peut servir deux mat re s , a dit le Sau

    veur, pour signifier qu'on ne saurait avoir deux finsdernires.

    La fin dern ire , pour tous les t res, c'est le bien parfaitqui doit complter leur nature en comblant tellement leurs

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    1 4 PETITE SOMME. PART. II.

    dsirs, qu'ils n'aient rien souhaiter au del, prcisment parce qu'en dehors d'un tel bien il n'y a rien quisoit ncessaire la perfection vers laquelle ils tendent.

    Gela tant, il est vident que l'homme ne peut pas se portervers deux objets, comme s'ils taient, au mme titre, laplnitude de son tre (1).

    Que quelques philosophes aient fait consister la fin dernire en plu

    sieurs choses, ce n'est pas une preuve qu'il y ait plusieurs fins dernires.D'ailleurs, pour eux, la runion des divers biens qu'ils dsignaient con

    stituait un bien unique et parfait, qui tait la fin dernire.

    6.Tout ce que l'homme veut, le veut-il pour une findernire ?

    A bien y rflchir, la fin dernire est au fond de toutesles actions et de tous les dsirs des hommes. Tous lesbiens qu'ils souhaitent, ils les veulent toujours pour unedernire fin. S'ils n'y voient pas le bien suprme, ils y entrevoient un moyen d'y parvenir. Or, de mme que toutechose commence tend son achvement, de mme aussitout commencement de bien tend au bien parfait, c'est--dire la fin dernire, qu i, pour nous servir d'une comparaison , est la volont ce que le premier moteur est auxcauses secondes ; car si les causes secondes ne meuvent

    qu'autant qu'elles sont mues par le premier moteur, les finssecondaires aussi ne meuvent l'apptit qu'autant qu'elles

    ( 1 ) Le bien est la fin de tous les tres. Aussi les philosophes le dfinis

    sent-ils : ce que tous les tres cherchent. Le bien d'un tre n'est autre

    que sa perfection, qui est aussi sa fin. L'tre, en effet, qui n'a pas atteintsa perfection, se porte vers elle autant qu'il est en lui, et, s'il la possde,

    il s'y repose. Or, il n'y a pour tous les tres qu'un seul bien et une seule

    fin, qui est Dieu.

    (SOMME contre les Gentils.;

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    SECT. I.QiEST. 1. DE LA FIN DERN IHE. 15

    se rapportent au premier objet dsirable, qui est la findernire (1).

    Les plaisirs, les dlassements, les ris et les jeux, qui ont pour but dercrer l'esprit ; l'tude elle-mme des sciences, qu'est-ce autre chose que

    des biens particuliers compris sous la fin dernire ?

    L'homme, il est vrai, ne pense pash cette fin dans tout ce qu'il fait; maiscela n'est point ncessaire. La vertu de la premire intention demeure

    dans chaque mouvement de l'apptit, bien que la fin dernire ne soit pastoujours actuellement prsente l'esprit. Le voyageur ne songe point,

    chaque pas, au terme de sa course.

    7. La fin dernire est-elle la mme pour tous ?

    II est un point o tous les hommes sont d'accord, nous dit trs-bien saint Augustin, c'est sur le dsir de la fin dernire, qui consiste dans le bonheur parfait.

    On peut dire, en effet, que tous les hommes veulent lamme fin dernire, parce que tous dsirent la perfection

    de leur tre, qui est comprise dans la batitude, commeon Ta vu prcdemment. Mais leur accord cesse ds qu'ilsviennent considrer la nature de cette fin : les uns voientle souverain bien dans les richesses, les autres dans lavolupt, d'autres ailleurs. C'est ainsi que la douceur con

    vient tout le monde. Mais les uns prfrent la douceurdu vin, quelques-uns la douceur du miel, d'autres la douceur d'une autre substance. Il est clair, toutefois, que l'ondoit regarder comme le plus parfait de tous les biens celui

    (1) La cause de la bont inhrente tout bien tant le souverain bien,c'est--dire Dieu, Dieu est aussi la cause pour laquelle toute fin est une fin,

    puisque rien n'est une fin qu'en sa qualit de bien. Donc Dieu est minem

    ment la fin dernire de tous les tres.

    (SOMME contre les Gentils.)

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    16 PETITE SOMME PART. I!

    que les hommes dont les affections sont le mieux disposes choisissent pour fin suprme; de mme que Ton prfre, comme suprieure, la douceur qui plat davantage

    l'homme qui a le meilleur got.

    Les pcheurs s'cartent de la fin dernire en la cherchant o elle n'est

    pas. Ils y tendent par leur nature; ils s'en loignent en pchant. Le

    pch, comme on Le verra, est oppos noue nature raisonnable.

    8. Toutes les au tres cratures ont-elles notre findernire ?

    La fin dernire de l'homme, c'est la batitude. Les tresdpourvus de raison ne sont pas destins ce bonheur ;

    ils n'ont donc pas notre fin dernire. Mais, pour l'intelligence de cette vrit, nous devons dire que cette expression se prend en deux sens ; car le mot fin signifie la foisl'objet mme que Ton veut obtenir et la jouissance de cetobjet. Si Ton parle de la fin dernire considre en elle-

    mme , tous les tres ont la mme fin, parce que Dieu ,en ce sens-l, est la fin dernire de l'homme et de tout cequi existe. Mais si l'on parle de la fin dernire relative*ment la manire d'y arriver et d'en jouir, il n'y a riende commun entre nous et les cratures prives de raison.Nous parvenons la ntre par la connaissance et l'amour; elles arrivent la leur par une certaine ressemblance avec Dieu, qu'elles tiennent seulement de leur nature, de leur vie, ou mme de leur connaissance.

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    SECT, J . Q UE ST . * . 1 )K L A K I N D E H.N 1 R E.

    QUESTION 2.

    EN QUOI N'EST PAS LA BATITUDE.

    Q u e l e b o n h e u r s u p r m e ou la b a t i t u d e n e cons is te* n idans l e s r i c h e s s e s - ni d a n s les ho nn eu rs , ni d a u s l aglo ire , ni d a n s l a pui ssa nce n i d a n s les b i e n s du c or ps , n i d a n s ht vo lu pt , n i d a n s les b i e n s de l 'me. nid a n s a u c u n M o n c r .

    '1. La batitude est-elle dans les richesses? Le bien de l'homme, rpond Boce, consiste con-

    server la batitude plutt qu' la sacrifier : or, les ri-

    chesses qu'on rpand brillent mieux que les richesses entasses. L'avarice est odieuse; la gnrosit nous illustre.

    Il y a deux sortes de richesses : les unes, que Ton appelle naturelles, et qui sont la nourriture, la boisson, les

    vtements, les maisons, les voitures, etc., ne sont autrechose qu'un soutien pour l'infirmit des hommes; or, deschoses qu i , selon David, ont t mises sous les piedsa de l'homme ne sont pas notre fin dernire. Les autres ,comme l'or et l'argent, que l'on nomme richesses artifi

    cielles ou conventionnelles, n'ayant t inventes que pourfaciliter les changes et les transactions, ne sont un objetde cupidit qu'en vue des richesses naturelles, et, parsuite, sont encore plus loignes qu'elles de l'essence mme

    ti.

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    1H P E T I T E SOMME. PA R T. 11 .

    de la fin dernire. La batitude de l'homme ne consistedonc pas dans les richesses.

    Celte vrit ne sera gole ni de l'avare, ni do cette foule d'insenssqui s'en vont rptant que tout obit l'argent, et qu'avec de l'argent on

    achte tout ce qui est vnal.Oui, tout ce qui est matriel obit a l'argent,

    et avec de l'argent on acquiert tout ce qui se vend. Mais avec de l'ar

    gent achte-t-on les biens spirituels? Que vous sert, insenss, d'avoir

    des richesses, puisque la sagesse ne s'achte point? (Prov. xvii, 16.) Aprs tout, doit-on juger du suprme bonheur d'aprs l'opinion des in

    senss et des avares? il faut bien plutt s'en rapporter l'avis des sages,

    comme on juge des saveurs d'aprs les hommes qui ont le got le plus sr.

    Le dsir des richesses, dira quelqu'un, est infini, comme celui du souve

    rain bien. L'argent ne satisfait jamais l'avare. (Eccl. v, 9.)Nous convenons que le dsir des richessscs devient une concupiscence

    effrne ; mais il ne faut pas croire que ce dsir soit infini de la mme

    manire que celui du souverain bien. Plus on possde le bien parfait, plus

    on l'aime; plus on l'aime, plus on sent de mpris pour tout le reste. La

    raison en est que plus on avance, mieux on le connat, et tel est le sensde ces paroles: Ceux qui se nourrissent de moi auront encore faim.

    (Eccl. xxiv, 29.) Au contraire, quand on possde les richesses ou les biens

    temporels en gnral, on les mprise, et, la vue de leur insuffisance, on

    dsire d'autres biens. Celui qui boit de cette eau aura toujours soif

    (Jean vi, 43); paroles divines qui' s'appliquent parfaitement aux biens dece monde, pour en montrer l'imperfection,

    2. La batitude est-elle dans les honneurs?Pas davantage ; car les honneurs ne sont point dans

    celui qui est honor. L'honneur n'est autre chose que lesigne par lequel on reconnat l'excellence de nos mrites.Ce n'est point un tel signe qui lve l'homme au rangqu'il occupe ; il se mesure, au contraire, sur les biens

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    SECT.I.QUE6T. 2. 1)K LA FIN DKHNIKE. 19

    particuliers qui contribuent la batitude. L'honneur estune consquence du bonheur suprme ; il n'est pas labatitude elle-mme.

    L'homme vertueux qui agit pour le bonheur suprme, vritable rcom

    pense de la vertu, reoit cependant l'honneur ici-bas, titre de rcom

    pense, de la part de ses semblables, qui n'ont rien de plus grand lui

    donner; mais 11 sait que, s'il travaillait pour l'honneur, il ne serait qu'un

    ambitieux.

    3. La batitude consiste-t-clle dans la gloire humaine ?

    Non, et pour la mme raison ; car, qu'est-ce que la

    gloire humaine ? La gloire, rpond saint Ambroise, est la brillante renomme dont le public en toure notre nom. Or, cette renomme suppose notre perfection,sans la produire.

    Il n'en est pas, en effet, de la gloire qui vient des

    hommes comme de celle qui vient de Dieu. La connaissance divine tant, en gnral, la cause de l'objet connu, leparfait bonheur de l'homme, que l'on appelle la batitude,en dpend comme de la cause qui le produit. Voil pourquoila gloire qui est en Dieu rend l'homme souverainement

    heureux, comme le marquent ces paroles du Psalmiste : Je le sauverai, je le couvrirai de gloire, je le comblerai de jours, je lui ferai voir le salut que je lui destine (Ps. xc, '15 et 10); ce que l'Aptre confirme admirablement en disant : Les souffrances de ce sicle ne sont

    pas dignes de la gloire future qui se rvlera en nous. (Rom. vin, 18.) Pour la gloire qui vient des hommes,il n'en est pas ainsi ; car c 'est l'objet connu qui produit la connaissance parmi nous, et non plus, comme

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    PETITE SOMME HAUT. II.

    tout--l'heure, la connaissance qui donne l'existence l'objet. Il en faut infrer que la gloire humaine ne produit pas le parfait bonheur de l'homme, qui est la ba

    titude, mais que plutt elle le suppose ou commenc ouconsomm.

    Considrez, en outre, que la connaissance humaine estfort souvent en dfaut, La gloire que Dieu donne esttoujours vritable, parce que, ne se trompant jamais,

    celui qui il rend tmoignage a t, suivant l'exprs-ce sion de saint Pau l , certainement prouv (II Cor.x, 18); et c'est ce que le Fils de l'homme confesseradans la gloire de son Pre, en prsence de ses anges.Mais combien n'est-il pas d'hommes dont le vulgaire a

    faussement glorifi les noms, et qui ont t forcs derougir des loges immrits qu'ils en avaient reus ! Y a-t-ilrien de plus honteux qu'une gloire usurpe? La ntre nele ft-elle pas, o est l'homme assez insens pour faireconsister sa batitude dans un bien qui a d'ailleurs si

    peu de stabilit ?

    4. La batitude est-elle dans la puissance ? La puissance humaine, dit merveille Boce, ne

    chasse ni l'amertume des soucis, ni les angoisses de la

    crainte; et, ensuite, regarderez-vous comme un hommec puissant celui q u i , escort de satelli tes, redoute ceux qu'il fait trembler?

    La puissance est un principe de bien et de mal. Si vousvoulez qu'elle constitue le parfait bonheur, dites alors

    que la batitude est dans le bon usage de la puissance,c'est--dire dans la vertu, et non dans la puissancemme; car le bien suprme ou notre fin dernire est incompatible avec le mal. De plus, quand on possde la

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    S E C T . i . Q U E 6 T . 9 . DE LA FIN DERNIRE. 31

    batitude, on ne manque de rien, et, avec la puissance,on peut manquer de la sant et de la sagesse ; quelquefoismme la puissance fait le malheur de celui qui en est re

    vtu. Ajouterai-je que les richesses, les honneurs, lagloire, la puissance sont des biens extrieurs incapablesde constituer le souverain bonheur, par cela mme qu'ilssont soumis aux caprices de la fortune ?

    5. La batitude consiste-t-cllc dans les biens ducorps?

    Les biens du corps ne peuvent nous donner le parfaitbonheur. Il y a une foule d'animaux qui, sous ce rapport,

    l'emportent sur nous : l'lphant vit plus longtemps; lelion est plus fort; le cerf est plus agile.

    D'abord, il ne se peut pas que la conservation d'un bienqui doit nous conduire un autre bien soit une fin dernire. Est-ce que le navigateur, dont la mission est de

    traverser l'Ocan, ne serait pas insens de ne se proposerpour fin dernire que la conservation du vaisseau qui lui estconfi? Or, notre corps est un navire que nous devons diriger par notre raison et par notre volont. Nous ne sommespas nous-mmes notre propre fin ; c'est pourquoi nous

    n'avons pas pour fin dernire la conservation de notrecorps.

    En second lieu, en supposant mme que l'homme n'etd'autre fin que la conservation de sa propre vie, on nepourrait- pas encore dire que les biens corporels sont sa

    fin suprme. Notre tre, en effet, se compose du corps et'del'me, et, quoique l'existence du corps dpende de l'me,nanmoins la vie de l'me ne dpend point du corps : aussile corps'exisfe-l-il pour l'me, comme la matire pour la

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    22 PETITE SOMME. P A R T . Il

    forme, comme l'outil pour l'artisan. Les biens du corpsse rapportant aux biens de l'me comme leur fin, il estvident qu'ils ne sont pas notre fin dernire.

    6. La batitude se lrouve-l-elle dans la volupt? Quiconque, nous dit Boce, s'est livr la volupt,

    doit savoir qu'elle a toujours une triste fin. Si elle conf- rait la souveraine flicit, pourquoi n'appellerait-on pas bienheureux les animaux eux-mmes?

    Un bien qui appartient au corps et qui est saisi par lessens ne saurait tre le bien suprme de l'homme ; car sil'me humaine est incomparablement suprieure la matire corporelle, l'intelligence, qui est indpendante des

    organes, l'emporte infiniment aussi, non-seulement surle corps, mais sur toutes les autres facults infrieuresde notre me plus ou moins lies aux organes. Il suit videmment de l que le bien qui convient au corps, alorsmme que le corps est l'instrument de l'me, n'est pas le

    bien parfait de l'homme. Il est mme fort peu important,si on le compare aux biens de l'me, ainsi que nous l'enseigne cette parole de l'criture : Tout l'or du monde n'est qu'un grain de sable en comparaison de la sa- gesse. (Sag.vu, 9.) Par consquent, la volupt cor

    porelle n'est pas le souverain bien de l'homme.

    Que si le dsir des dlectations sensibles est plus vif que tout autre

    chez la plupart des hommes, cela vient de ce que nous percevons mieux

    les impressions des sens qui donnent lieu nos premires connaissances.

    7 . La batitude consiste-t-elle dans quelque bien deTme ?

    Le bonheur suprme tant, comme nous l'avons dit, la

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    S E C T . I . - Q U E S T . 2. DE LA FIN DE RNI RE. 23

    perfection mme de l'me, doit ncessairement tre unbien inhrent l'me; mais l'objet qui donne la batitudeest en dehors de l'me. En effet, ou il s'agit de l'objet

    que nous voulons acqurir, ou il s'agit de l'usage de cetobjet. Si nous parlons de l'objet mme que nous dsironscomme fin dernire, il est impossible que l'homme aitpour fin suprme son me ou ce qui en fait partie. Lebien, qui est sa fin dernire, satisfait tous ses dsirs; ce

    que ne saurait faire aucun bien particulier. Si nous entendons, au contraire, par le bonheur suprme l'usagede l'objet dsir, on peut dire en ce sens qu 'il consistedans un bien de l'me, puisque c'est par son me quel'homme possde la batitude. Nous admettons, par con

    squent, que la batitude ou le bonheur suprme est dansl'me, et que l'objet qui constitue la batitude est endehors de l'me.

    8.La batitude consiste-t-elle dans un bien cre?Le bien universel est l'objet de notre volont, tout

    comme le vrai universel est l'objet de notre intelligence.Rien, d'ailleurs, ne saurait satisfaire nos dsirs, si cen'est le bien universel qui est en Dieu seul, toute craturen'ayant qu'un bien particip. Dieu seul, par consquent,peut combler nos dsirs et remplir notre volont, conformment cette parole du Psalmiste : Il remplit tous vos dsirs, en vous comblant de ses biens. (Ps. en, 5.)La batitude de l'homme, on le voit, ne peut se trouverdans un bien cr.

    L'objet universel de la batitude, c'est le bien infini et parfait, source

    de tous les biens particuliers. Dieu est la vie beatifique de l'me, dit

    saint Augustin, comme l'Ame est la vie naturelle du corps. Voil ce

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    U PETITE SOMME. PART. n .

    ^ S K

    QUESTION 3.

    CE QUE C EST QUE LA BATITUDE.

    L a bat i tude est en soi nne c h o s e i n c r e ; m o i s , p a r

    rapport a non, c l i c c o n s i s t e dans nue oprat ion l e notre

    i n t e l l i g e n c e c o n t e m p l a n t D i c n l u i - m m e d a n s s o n e s s e n c e .

    I. La batitude est-elle quelque chose d' increc?Les explications prcdentes nous ayant montr queDieu est noire fin dernire, puisque seul, par sa bontinfinie, il peut nous rendre heureux, il est clair que la findernire, considre dans sa cause ou son objet, est quel

    que chose d'incr, quoique, considre comme acquisi-lion, possession ou jouissance de l'objet qu'on dsire, ellesoit quelque chose de cr. Sous ce dernier rapport, leshommes sont heureux par participation, en puisant la

    (1) . Ne reprochons point notre cur d'iro insatiable; il doit l'lrc.

    Toutes les cratures ensemble ne sauraient combler le vide qui est en

    lui. Ses dsirs, sans cesse renaissants, sont le cri d'un besoin immense

    par lequel il demande le bien parfait et infini.

    (Mac-Gavthy.

    qui faisait dire au Prophte : Heureux le peuple qui a le Seigneur pour

    son Dieu (1)! n (Ps. ex un , 15.)

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    SECT. I . O U E S T . 3. DE LA FIN DERNIRE. 25

    source mme du bonheur. Si donc on considre la batitude de l'homme dans l'objet qui la produit, elle est quelque chose d'mcr ; si on la considre dans son essence,

    elle est un bien cr.

    2.La batitude est-elle une opration?

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    26 PETITE SOMME. PART. II.

    3.La batitude est-elle une opration scnsitive?Ne croyez pas que la batitude consiste dans les op

    rations sensitives ; car, comme on l'a vu, le bonheur de

    l'homme est dans l'union avec Dieu : comment se pourrait-il que cette union s'oprt par les sens? Nous avons,d'ailleurs, suffisamment dmontr que le bonheur parfaitn'est pas dans les biens matriels. Donc, l'opration sen-sitive n'appartient pas essentiellement la batitude. Il

    est vrai, cependant, qu'elle la prcde et la suit. Elle laprcde dans cette vie, o l'exercice de l'intelligence abesoin des sens; mais ceci n'a rapport qu'au bonheur imparfait. Elle la suit dans l'autre vie ; car, aprs la rsurrection , l'me se refltant sur le corps et sur les organes

    pour en perfectionner les oprations, l'homme sera perfectionn dans tout son tre par le souverain bonheur quilui est rserv, de telle faon que l'opration sensitive ensera comme une consquence, bien que l'me, dans l'opration qui l'unira Dieu, ne dpende point des sens.

    4.La batitude est-elle une opration de l'intelligenceou de la volont ?

    En mditant ces paroles du Sauveur : La vie ter- nelle consiste vous connatre, vous qui tes le seul

    c vrai Dieu, on trouve que le bonheur souverain consisteessentiellement dans une opration de l'intelligence.

    La volont fait deux choses : elle dsire sa fin, quandelle ne la possde pas ; elle en ressent du plaisir, quandelle la possde. Or, proprement parler, ni le dsir, ni

    le plaisir ne constituent la possession de la fin dernire,s'il ne s'y joint un autre acte qui est celui de l'intelligence ;car cette fin, que nous voulons ds le principe, nous ne lapossdons qu'autant que l'intelligence noits la rend pr-

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    S E C T . r . # J E S T 3 . DE LA FIN DERNIRE

    sente, et c'est quand elle est prsente que la volont jouiten se reposant dans sa possession. De cette manire, l'essence de la batitude est dans l'acte de l'intellect, et la

    joie de la volont en est la consommation.

    Le bonheur, dit-on, est le premier objet de la volont. Oui ; mais il

    s'ensuit prcisment qu'il ne lui appartient pas comme son acte.

    , L'amour de Dieu est suprieur i la connaissance de Dieu. Oui encore;

    mais la connaissance prcde l'amour, car on n'aime pout ce qu'on ne connat pas. L'intelligence percevant donc la lin dernire avant le mouvement

    de la volont, on n'a pas tort de lui rapporter essentiellement la batitude

    et d'attribuer la volont la jouissance que procure une telle possession.

    5. La batitude est-elle une opration de l'intellectpratique ou de l'intellect spculatif?

    La batitude, qui est l'opration la plus minente dontl'homme soit capable, est videmment une opration del'intellect spculatif plutt que de l'intellect pratique; car

    la facult la plus leve que nous possdions, c'est l'intellect spculatif, qui a pour objet le bien infini, c'est--dire la contemplation de Dieu et de ses divines perfections.Aussi la batitude consiste-t-elle, non pas dans la vie active qui appartient l'intellect pratique, mais dans la con

    templation des choses divines. N'est-ce pas par la vie contemplative que l'homme communique avec Dieu et avec lesanges? Il s'lve videmment par elle bien au-dessus de la vieactive et qui lui est tant soit peu commune avec les animaux.C'est pourquoi, nous dirons que la dernire et suprme

    batitude qui nous e6t promise dans la vie future consiste entirement dans la contemplation, et que la ba-'litiidc imparfaite de la terre consiste aussi principalementet avant tout dans la contemplation, puis secondairement

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    28 PETITE SOMME. PA R T. I I .

    dans l'opration de l'intellect pratique qui dirige nosactions et nos passions.

    6. La connaissance des sciences spculatives donne-t-elle la batitude ?

    Quand le prophte Jrmie (ix, 23) disait au sage : Ne vous glorifiez pas de votre sagesse, il parlait prcisment de la connaissance de ces sortes de sciences.

    Consquemment, elles ne donnent pas la souveraine batitude.

    La batitude parfaite s'lve la source mme dubonheur, tandis que les sciences spculatives ne sauraientdpasser le terme o peut nous conduire la connaissance

    des choses sensibles, dont elles reoivent leurs premiersprincipes. Qu'elles soient un reflet du bonheur vritableet parfait, nous y consentons; mais, n'levant pas notreentendement son acte complet et dernier, elles ne constituent pas essentiellement la batitude. Bien plus, n'avons-

    nous pas dmontr ailleurs que l'intellect humain ne peutpas mme parvenir, par le moyen des objets sensibles, la connaissance des esprits? videmment, il s'ensuit quela souveraine batitude n'est pas dans la connaissance dessciences spculatives. Ces sciences ne nous en confrent

    qu'une certaine participation.

    7.La batitude consisle-t-elle dans la connaissancedes substances spirituelles?

    Non, mais dans la connaissance de Dieu. Que celui

    qui se glorifie, dit le Seigneur par la bouche de Jrmie (ix, 14), se glorifie dans ma science et dans ma con- naissance.

    Principe crateur et illuminatcur de notre ame. Dieu

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    SFXT. KQiEST. 3. DE LA FIN DE RNI R E.

    en e s t la perfection dern ire , puisque, seul , il est l'treet la vrit par essence. Les anges, qui nous clairentcomme ses ministres, nous aident arriver au souverain

    bonheur; mais ils n'en sont pas l'objet.

    8.La batitude de l'homme consisle-t-elle dans lavue de l'essence divine ?

    L'objet de la batitude n'est autre que Dieu mme.

    Quand il apparatra, nous dit saint Jean (1 p. m), nous serons semblables lui, et nous le verrons tel qu'ilest, c'est--dire dans son essence.

    Pour que nous soyons parfaitement et souverainementheureux, il ne nous faut rien moins que la vision de l'es

    sence divine : autrement il nous resterait toujours quelquechose dsirer et chercher. En voulez-vous savoir la raison ? La voici. L'intelligence humaine a pour objet ce quiest, ou l'essence des choses. Or, percevoir une cause parson effet, savoir ainsi qu'e lle existe, ce n'est pas la connatre

    absolument ; il reste le dsir de la considrer en elle-mme. Lorsque, par exemple, vous avez t tmoin d'uneeclipse de soleil, l'admiration vous a conduit en rechercher la cause, et le travail de votre esprit n'a pascess que vous ne soyez parvenu la dcouvrir. De mme,

    notre entendement aurait beau connatre l'essence descratures et l'existence de Dieu, il lui resterait toujoursle dsir naturel de contempler la cause suprme elle-mme; tant qu'il ne sera pas assez parfait pour en avoirla vue,, il ne sera point parfaitement heureux . Nous voyons

    par l que la batitude doit nous donner la vision de l'essence mme de la cause premire . Alors, mais senlementalors, notre bonheur sera parfait, parce que nous seronsunis Dieu, unique objet de notre batitude.

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    1 > E T I T E S O M M E . PABT. Il,

    QUESTION 4.

    DES CONDITIONS REQUISES POUR LA BATITUDE.

    C e s c o n d i t i o n s s o n t : l a d lec tat ion , la v i s ion, la p o s s e s s i o n de l 'obje t a i m , l a droi tu re de l a vo lo nt , m m e l a

    p r s e n c e d u c o r p s c o n v e n a b l e m e n t d i s p o s , et la s o c i t d e s a m i s , c o m m e c o m p l m e n t .

    1. La dlectation est-elle requise pour la batitude ?Saint Augustin a dit : aLa batitude est la joie qu'in- spire la vrit.

    Nous aussi, nous enseignons que la dlectation est unecondition ncessaire de la batitude, de la mme manireque la chaleur est une condition ncessaire du feu, savoircomme chose concomitante. Toutes les fois, en effet, quel'apptit se repose dans le bien obtenu, il y a dlectation.La batitude, qui est la possession du souverain bien,est ncessairement accompagne du plaisir que produitla vue de Dieu.

    Ne craignez pas que cette dlectation entrave l'action de rinlelligencc :

    bien diffrente de la dlectation sensuelle qui est contraire la raison, celle-

    l est plutt un secours pour l'intelligence ; car ce qui plat se fait avec

    plus d'ardeur et de continuit.

    2. La dlectation, dans la batitude, est-elle suprieure la vision ?

    On ne doit pas hsiter h dire que la batitude con-

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    S E C T . I . Q U E S T . A-. T) K LA Fl N DERNIRE. 31

    siste encore plus clans la vision que dans la dlectation.Quand on demande la raison de celte assertion, il fautfaire observer que, la cause tant suprieure l'effet, la

    vue de Dieu, dans la batitude, est un bien plus fondamental que la dlectation qui l'accompagne. Et, en effet,lorsque la volont trouve son repos et, par suite, sa dlectation dans une opration de l'intelligence, telle que lavision, c'est cause de la bont mme de cette opration.

    Il en rsulte que l'opration qui satisfait la volont est sonbien principal, et non son repos mme.

    L'Esprit diviu, en donnant ses lois aux cratures, a mis les jouissances

    en rapport avec les oprations. Aux animaux, dont la perception sensitive

    s'arrte au bien particulier, il a permis de rechercher l'opration pour le

    plaisir ; mais ii n'a pas voulu que l'homme qui, par son intelligence, s'lfeve

    la raison universelle du bien, dont la dlectation est la consquence, se

    propost le plaisir avant le bien. La charit elle-mme ne cherche pas le

    bien qu'elle aime cause du plaisir, quoique le plaisir suive la possession

    de ce bien : elle se propose pour fin spciale, non pas la dlectation, mais

    la vision qui rend la fin dernire prsente (1).

    3. La comprhension est-elle requise pour la batitude ?

    propos de ces paroles que nous lisons dans saint Paul : Courez pour comprendre, on a demand si la comprhension est incluse dans la batitude. Comprendrea doux acceptions. Si, par ce mot, on entend que l'objetcompris est embrass par le sujet qui le saisit, il est horsde doute qu'un esprit fini ne comprend pas Dieu, qui est

    (1) n O vous qui conviez aux dlices du Paradis, disait un philosophe persan, ce n'est pas le Paradis que je cherche, mais celui qui a fait le

    Paradis. (Nicolas.)

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    32 PETITE SOMME. PART. il.

    infini; tout ce qu'embrasse l'tre fini est fini. Mais comme,dans un autre sens, le mme mot signifie percevoir unobjet dj prsent, il est indubitable que la comprhen

    sion fait partie de la batitude; car l'homme tend sa findernire par son intelligence et par sa volont, et ds-lorstrois conditions doivent concourir sa batitude : la vision,qui est la connaissance parfaite de la fin dernire ; la com

    prhension, qui implique la prsence de cette fin ; et la dlectation, qui est le repos du sujet aimant dans l'objet aim.

    Quand un homme en atteint un autre, on dit qu'il le tient ou le saisit

    (comprehendit) : c'est ce genre de comprhension qui est requis pour la

    batitude.

    4. La droiture de la volont est-elle requise pour labatitude ?

    Bienheureux, dit le Sauveur, ceux qui ont le cur

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    SECT. i . Q U E S T . i . DE LA FIN DERNIRE. a3

    On les rfute victorieusement : d'abord, par l'autoritde saint Paul, qui, dans une de ses ptres, enseigne quela claire vue de Dieu est le partage des Ames justes,

    aussitt qu'elles sont sorties de la prison du corps (n Cor.v. G.); car, du moment que les mes ont la claire vue deDieu, elles jouissent de la batitude. De l ces paroles del'Apocalypse (xiv, 13) : Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur.

    On leur oppose ensuite la raison elle-mme. Pourquoile corps serait-il essentiellement ncessaire la batitudequi, comme nous l'avons vu, consiste dans la vision del'essence divine? Serait-ce que l'essence divine se verraitpar des images sensibles ? Tout le monde sait qu 'il n 'en

    est pas ainsi. Ne confondons pas la batitude avec le bonheur imparfait de la terre, o notre intelligence n'agit pointsans organe corporel. Il est certain que, pour contemplerl'essence divine, l'me n'a aucun besoin du corps, et, ds-lors, rien ne s'oppose son bonheur parfait dans l'autre

    vie avant la rsurrection de la chair.

    Le corps n'est pas absolument ncessaire la batitude de l'me ; voil

    ce qui est incontestable. Mais, quand on considre, d'une part, que l'me

    spare du corps, bien qu'elle subsiste dans son tre et puisse avoir

    ainsi une opration parfaite, n'a pas cependant la perfection naturelled'aprs laquelle elle est faite pour tre la forme du corps, et, d'un autre ct,

    que le corps, en se runissant elle, amliore, par consquent, sa manire

    d'tre, on conoit aisment qu'elle sera plus heureuse aprs sa runion au

    corps. Elle aura alors un accroissement de bonheur par extension, puisqu'elle

    aura une opration plus parfaite, tant elle-mme plus parfaite dans sa nature. Tant qu'elle est spare du corps, elle ne jouit pas compltement,

    comme elle le dsire, du bien suprme qu'elle possde i tout en se repo

    sant en Dieu, elle voudrait que son corps ft associ sa jouissance.

    I L 3

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    34- PETITE SOMME P A R T . TT.

    6.La perfection du corps est-elle requise pour la batitude ?

    Vous verrez, dit Isae (LXVI, 44), et votre cur se

    rjouira, et vos os germeront comme l'herbe. Cesparoles nous montrent que Dieu promet aux saints pourrcompense trois choses : la vision, la joie et la bornedisposition du corps.

    Il est naturel l'me d'tre unie son corps. Or, il

    ne se peut pas qu'elle en rpudie la perfection naturelle ;d'autant plus que les biens du corps peuvent certainement contribuer l'clat et la-.perfection de la batitude.

    Prsentement le corps l'appesantit; mais il n'en sera

    plus de mme lorsque, de corps animal, il sera devenu uncorps spirituel parfaitement soumis. Loin d'tre pour elleun fardeau, il lui deviendra une source de gloire. La plnitude du bonheur de l'me rejaillira sur lui pour le rendreincorruptible', et, au lieu de gner l'lvation de l'esprit,

    il la secondera plutt. Il entrera lui-mme en possessiondu bonheur suprme par le moyen de l'me, qui fera refluer sur lui sa propre batitude.

    7.Les biens extrieurs sont-ils ncessaires la ba

    titude? Qu'y a-l-il pour moi dans le ciel, s'crie le Psal-

    miste, et que dsir-je sur la terre, sinon vous, mon Dieu ? (Ps. LXXI, 25.) N'est-ce pas comme s'il disait :N'attacher Dieu, voil l'unique objet digne de mon

    envie? Donc, aucun autre bien que Dieu n'est requispour la batitude.A la batitude imparfaite d'ici-bas appartiennent les

    biens extrieurs, parce que l'homme a besoin de ce qui

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    RFXT. T.ftBEST. 4> DE L A FIN DERNIRE. 33

    est ncessaire au corps pour accomplir les devoirs de lavertu, non-seulement dans la vie active, mais encore dansla vie contemplative- Pour la batitude parfaite, qui con

    siste voir Dieu, ils ne sont nullement ncessaires. Laraison en est que tous ces biens extrieurs n'ont rapport,en dfinitive, qu'au soutien du corps animal ou desoprations exerces par le corps animal, au lieu que labatitude parfaite existe ou dans l'Ame spare du corps,

    ou bien dans l'me runie son corps devenu spirituel.Ainsi les biens extrieurs, qui sont destins la vie animale, ne conviennent nullement la vie ternelle, o nous

    jouirons de la vue de Dieu. Ne voyons-nous pas, ds maintenant, que la vie contemplative, qui est la plus parfaite,

    parce qu'elle a une plus grande ressemblance avec Dieu,est moins dpendante que toute autre de ces sortes debiens?

    L'criture, dira-l-on, promet aux saints des biens extrieurs. Ainsi,

    nous lisons dans saint Luc (xxn, 30) : a Je vous prpare le royaume c e- leste, afin que vous mangiez et que vous buviez ma table; et dans

    saint Matthieu (vi, 20) : Amassez-vous des trsors pour le ciel. Il

    faudrait tre bien insens pour prendre a la lettre des expressions qui ne

    doivent s'entendre que mtaphoriquement. Qui ne sait que les saintes cri

    tures, pour nous porter dsirer les biens spirituels avec plus d'ardeur, lesdsignent d'ordinaire sous des emblmes emprunts aux choses sensibles?

    La batitude, dira cet autre, est un tat parfait qui rsulte de la ru

    nion de tous les biens, et, consquemment, elle contient des biens ext

    rieurs. Dire que la batitude est la runion de tous les biens, c'est dire,

    non pas qu'elle contient des biens extrieurs, mais que tout ce qu'il y ade bon dans les tres se rencontre dans celui qui en est Fauteur par excel

    lence, et que tout ce que les biens extrieurs renferment de rellement bon

    sera possd dans la source mme de toute bont.

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    36 P E T I T E S O M M E - PART. U .

    8. La socit des amis est-elle requise pour la batitude?

    La socit des amis n'est pas essentiellement ncessaire

    la batitude, puisque l'homme trouve en Dieu la plnitude de sa perfection. Cependant, ce n'est pas une choseindiffrente pour les bienheureux de se voir les uns lesautres et de jouir des charmes d'une socit mutuelle.Cette socit, seul secours extrieur qu'ils puissent rece

    voir, concourt au perfectionnement et u l'achvement deleur batitude.

    Quand il n'y aurait qu'une seule me au ciel, elle serait heureuse, quoi

    qu'elle n'et pas de prochain ; mais, le prochain existant, l'amiti est une

    consquence de l'amour de Dieu, et c'est ainsi qu'elle accompagne la bati

    tude parfaite.

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    S E C T . T . Q U E S T . 5. DE LA FIN DERN I RE . 37

    QUESTION 5.

    DU MOYEN DAURIVER A LA BATITUDE.

    Poss ib i l i t d 'arr iver la bat i tude , * s u i v a n t d i v e r s d e g r s .

    n o n i c i - b a s , m a i s a u c i e l . I n a m i s s i b i l l t d e l a b a

    titude.* Im po ss ib i l i t de l ' ob tc ni r pa r les fo rc es na tu re l le s .

    Nces s i t de l a g r c e e t des bon nes ac t io ns . ' L a b a

    t i t u d e e s t u n d s i r n a t u r e l .

    1. L'homme peut-il acqurir la batitude?Un tre qui comprend par son intelligence le bien uni

    versel et parfait, qui le dsire par sa volont, est certai

    nement capable de le recevoir et de le possder: tel estl'homme. La mme vrit ressort de ce qui a t dmontr dans la premire partie de cet ouvrage (Q. xn, a-1),o nous avons vu que nous pouvons parvenir la visionde l'essence divine, en quoi consiste la batitude.

    On dira peut-tre qu'il est dans notre nature de connatre la vrit in

    telligible par des images sensibles.Dans le cours de la vie prsente, cela

    est, vrai; mais, dans l'tat fulur, il nous sera tout aussi naturel de la con

    natre d'une autre manire : ce sera la batitude.

    % _ La batitude peut-elle tre plus grande dans l'unque dans"" l'autre ?

    La batitude renferme deux choses : la fin dernire.

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    38 P ET I TE SOMME. p a r t . H ,

    qui est le souverain bien, cl la jouissance de ce bien.Quant au bien lui-mme, objet et cause de la batitude,il n'y a qu'un seul souverain bien, qui est Dieu, cl, sous

    ce rapport, une batitude n'est pas suprieure une autre ;mais, relativement la jouissance de ce b ien , il arriveque celui qui est mieux dispos jouit de Dieu plus parfaitement, et alors il y a ingalit dans la batitude.

    II est crit en saint Jean (xiv) : t II y a beaucoup de demeures dans lao maison de mon Pre ; et en saint Matthieu (xx) : Tous ceux qui

    avaient travaill la vigne reurent chacun un denier. Le moyen

    d'accorder ces deux textes des saints vangiles, le voici : L'unit du denier

    indique l'unit objective de la batitude, et la diversit des demeures mar

    que les divers degrs de jouissance dans la batitude, o les rangs sontgradus d'aprs nos mrites.

    Aucun bienheureux ne manque du bien qu'il dsire; tous possdent le

    bien infini, qui est le bien par excellence : mais un saint est plus heureux

    qu'un autre, parce que tous ne participent pas ce bien suprme selon un

    mme degr de jouissance.

    3. L'homme peut-il avoir la batitude en . cellevie?

    La vraie batitude n'existe point en ce inonde; car,

    premirement, elle exclut tous les maux, comble tous lesdsirs, suffit tout. Or, pour nous servir des paroles deJob (xiv, 1) : L'homme n de la femme vit peu de temps, et sa vie est remplie de misres. Qu'on nous montre ,en effet, une personne absolument exemple de maux.

    A combien de misres la vie n'cst-ellc pas sujette ! Ignorance de l'esprit, affections drgles de la volont,souffrances du corps, tout cela nous atteste que l'hommene peut tre heureux ici-bas. Et puis, qui comblera, sur

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    6 E C T . I . Q U E S T . 5. DE LA FIN DERNIRE. 30

    cette terre, le dsir du bonheur que nous trouvons ennous? Nous voulons de la stabilit et de la permanencedans les biens que nous possdons, et tous ceux d'ici-bas

    sont passagers. Nous avons horreur de la mort, nous voudrions vivre toujours, et cependant la vie s'coule avecrapidit. En second lieu, la vraie batitude consiste dansla vision de l'essence divine, dont on ne jouit jamais encette vie. Consquemmenl, on ne peut possder ici-bas

    qu'une certaine participation, une image, un reflet de labatitude vritable.

    Certains hommes, ici-bas, sont appels bien heureux tant cause de l'es

    prance qu'ils ont d'obtenir la batitude dans la vie future, ce que nous

    marquent ces paroles (Rom. vni) : C'est par l'esprance que nous som- mes sauvs, qu' raison d'une sorte de participation la vraie ba

    titude, qui leur donne un avant-got du bien suprme. De l ce que

    chantait le Psalmiste : Bienheureux ceux qui restent sans tache dans la

    voie, et qui marchent avec fidlit dans la loi du Seigneur. (Ps. cxvm, 1.)

    4. Peut-on perdre la batitude quand on la possde?Nous lisons dans saint Matthieu (xxv, 46) : a Les justes

    iront la vie ternelle. Ce qui est ternel ne pouvantfinir, l'homme qui possde la batitude des saints ne sau

    rait la perdre.L'opinion d'Origne, qui a suppos qu'aprs tre ar

    riv In souveraine batitude, l'homme pouvait redevenirmalheureux, est compltement fausse, La bati tude, commebien parfaitement suffisant, calme tous les dsirs, exclut

    tous les maux. Or, on dsire naturellement garder le bienque l'on possde ; chacun veut mme avoir l'assurancede le conserver toujours : autrement la crainte, et plusencore la certitude de le perdre, est une source de tris-.

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    40 PETITE SOMME. PART. II

    lesse. La vritable batitude exige, consquemmcnt, quel'homme ait la pleine conviction qu'il ne perdra jamais lebien qui fait son bonheur, et c'est une preuve qu'il ne

    le perdra pas : car si cette conviction est fonde, sonbonheur est assur ; si elle ne l'est pas, il a une opinionerrone qui est un mal pour son intelligence, et, ds-lors,il n'y a pas de vritable batitude pour lui, puisque safausse opinion est chez lui un mal. De plus, la batitude

    consiste dans la vision de l'essence divine : or, il n'est paspossible que celui qui voit l'essence divine veuille cesser dela voir ; car, ds qu'on veut renoncer au bien que l'onpossde, c'est ou parce qu 'il est insuffisant, afin de lui ensubstituer un meilleur, ou parce qu'il est devenu charge

    par les inconvnients qu'il prsente. Mais la vision de l'essence divine remplit l'me de tous les biens, en l'unissant la source de toute bont. De l cette exclamation du Psal-miste : Je me rassasierai quand votre gloire m'aura ap- paru. (Ps. xvi, 15.) Il est bien permis de lui appli

    quer ce qui est dit de la sagesse (vu, 11) : Tous les biens me sont venus avec elle. Sa conversation n'a rien d'amer et sa compagnie rien d'ennuyeux. (vin, 16.)On voit que celui qui est admis la batitude ne la quittera pas par sa volont. Dieu ne peut pas non plus la lui

    retirer : ce serait le punir. Dieu, qui est un juge pleind'qui t , ne punit quelqu'un que pour des fautes commises; et les fautes sont impossibles dans celui qui voitl'essence divine, la droiture de la volont tant une consquence de cette vision. Quel autre agent pourrait por

    ter atteinte la batitude d'une me qui, par son unionavec Dieu, est leve au-dessus de la nature? II est clair,par toutes ces raisons, que nulles vicissitudes ne ferontpasser l'homme de ^ a batitude un tat infrieur.

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    S E C T . I . - iQCEST. 5. DE LA FIN DERNI RE. 41

    5. L'homme peut-il acqurir la batitude par sesforces naturelles?

    L'il n'a pas vu, dit saint Paul; l'oreille n'a pas en- tendu, et le cur de l'homme n'a pas compris ce que Dieu a prpar pour ceux qui l'aiment. (1 Cor. n, 9.)Ces paroles nous enseignent avec clart que la batitude promise aux lus surpasse la porte de notre intelli

    gence et les forces de notre volont.La vision de l'essence divine, qui la constitue, n'est passeulement au-dessus de la nature de l'homme, elle estau-dessus de toute nature cre. Une simple observationva le faire comprendre. Toute intelligence connat suivant

    le mode de sa substance : or, toute connaissance acquiseselon le mode d'une substance cre, est videmment incapable de donner la vision d'une essence qui surpassetoutes les cratures. Il n'y a pas s'tonner, on le voit,que ni l'homme, ni aucune crature, ne puisse parvenir

    Ja batitude par ses forces naturelles.

    Quoi ! demandera quelqu'un, la nature a-t-elle jamais fait dfaut dans

    les choses ncessaires? Et qu'y a-t-il de plus ncessaire l'homme que les

    moyens d'arriver la fin dernire ? Nous demandons, notre tour, si

    la nature nous a fait dfaut dans les choses ncessaires, quand elle nenous a donn ni armes, ni vtements, comme aux autres animaux. Non,

    nous rpond-on, puisqu'elle nous a donn la raison et les bras pour nous

    procurer toutes oes choses. De mme, quoiqu'elle n'ait pas donn

    l'homme un principe capable de le faire arriver de lui-mme la bati

    tude, elle ne lui a cependant pas fait dfaut en ce qui lui est ncessaire ;

    car elle lui a donn le libre arbitre par lequel il peut se tourner vers Dieu

    comme vers un ami, pour implorer son secours. Ce que nous pouvons par

    un ami, nous le pouvons en quelque soite par nous-mmes.

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    PETITE SOMME* PART. II

    6. L'homme acquiert-il la batitude par l'action dequelque crature suprieure?

    Toutes les fois qu'il nous faut faire une chose qui est

    au-dessus de la nature, il est ncessaire que le suprmeagent intervienne et qu'il agisse immdiatement par lui-mme. La batitude tant un bien qui surpasse la naturecre, nous la tenons de Dieu, et non pas d'une craturequelle qu'elle soit. Celui qui donne la grce et la bali-

    tude, c'est Dieu seul. (Ps. LXXXIII.)

    Les anges nous aident parvenir notre fin dernire en nous y dispo

    sant et en nous en prparant les voies ; mais, en ralit, nous n'y arrivons

    que par la grce divine.

    7. Y a-t-il des bonnes uvres requises pour obtenir de Dieu la batitude?

    Certaines uvres sont indispensables pour arriver labatitude, ainsi que nous le marquent ces paroles de

    l'aptre saint. Jean (xm) : Si vous savez ces choses et que vous les accomplissiez, vous serez bienheureux.

    Que la droiture de la volont soit ncessaire la findernire comme la bonne disposition de la matire est ncessaire la forme, cela, nous en convenons, ne prouve

    pas rigoureusement qu'une opration de l'homme doivencessairement prcder sa propre batitude; car Dieu, quiproduit quelquefois en mme temps la matire et la formede ses cratures, aurait pu mettre la volont humainedans un rapport immdiat avec la fin dernire. La divine

    Sagesse n'a pas voulu qu'il en ft ainsi. Dieu possde parnaturelebien parfait : lui seul n'a pas besoin d'y parvenirpar une uvre quelconque. Mais la batitude surpassantles natures cres, il ne convenait pas qu'aucune l'obtint

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    SECT.I.QUEST. 5. DE LA FIN DER NI RE

    sans faire un effort. Les anges y sont parvenus par un seulacte, par un seul mouvement de leur volont; tel a tl'ordre de la Sagesse divine. Les hommes n'y arrivent que

    par plusieurs uvres ou oprations auxquelles on "donnele nom de mrites. Le Philosophe lui-mme disait : La batitude est la rcompense des actes vertueux.

    La puissance divine, sans doute, pouvait batifier l'homme au moment

    de la cration, sans exiger aucune action humaine. C'est ce qui a eu lieupour le Christ, dont l'me a t bienheureuse ds le commencement de sa

    conception, sans qu'elle ait fait antrieurement aucune action mritoire;

    mais ce privilge, fond sur la loi gnrale en vertu de laquelle Dieu pro

    duisit l'tat parfait les premires cratures qu'il chargeait de perptuer

    leur nature en la transmettant d'autres, ne pouvait appartenir qu' celuiqui devait transmettre aux autres hommes la batitude, eu introduisant

    aprs lui une foule d'enfants dans la gloire. (Hb. H , 10.)Les enfants

    baptiss ont eux-mmes des mrites qui prcdent la batitude, savoir

    les mrites de Jsus-Christ, dont ils deviennent les membres par le baptme.

    8. Tous les hommes dsirent-ils la batitude?Tous les hommes dsirent la batitude en tant que,

    considre dans sa nature gnrale, elle est un bien parfait qui donne une complte satisfaction la volont; car

    tout le monde veut voir sa volont pleinement satisfaite.Si, au thtre, un ac teur disait : Vous voulez tous tre heureux et vous ne voulez pas tre malheureux, il dirait une chose dont tout le monde conviendrait; c'est la remarque que fait saint Augustin, pour prouver

    que tous les hommes veulent tre heureux. Tous, en effet,dsirent naturellement le bien parfait et universel quiest l'essence de la batitude en gnral.

    MaiB viennent-ils considrer la batitude dans sa nature

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    44 PETITE SOMME PAM*. IU

    spciale, dans l'objet qui la constitue, c'est alors qu'ils se

    divisent et ne veulent pas tous la vraie batitude, qu'ils

    ne connaissent pas. Ne sachant pas quel objet il con

    vient d'appliquer l'ide gnrale qu'ils en ont, les uns la

    cherchent dans les plaisirs du corps, les autres dans la

    vertu de l'me, d'autres ailleurs. De l il rsulte que la

    volont ne se porte pas ncessairement vers celle qui con

    siste dans la vision surnaturelle de l'essence divine.

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    DES ACTES HUMAINS.

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    TABLEAU SYNOPTIQUE.

    D E S A C T E S V O L O N T A I R E S O U H L M A X S .Qiicsr.

    Actes voIontaircs(Du volontaire et tic l'involontaire 6

    en Jgnral. (Des circonstances o se trouve le volontaire 1Objet 8

    Volont 1Moteur . . . .

    ACTES

    VOLONTAIRES

    OU

    HUMAINS.

    (V. tah. 10.)

    Actes volontaires'en

    particulier.

    Actesintrieur?

    onpropres

    lavolont.

    Par ) (Motion 10rapport ( ta Un. JJouissancc 11

    Untention 12Election 1.1

    Conseil 14Parrapportaux

    moyens. Consentement 15

    .Usage. 1G

    Actes extrieurs ou commands par la volont. . . 17

    En gnral 18Bont

    et /Dans les actes intrieurs 19Desnctes volontaires ) mal ice ,quant la bont

    eta la malice. Consquences , 21

    Dans les actes extrieurs 20

    EXPLICATION.

    Puisqu'il cet indispensable d'accomplir certains actes pour parvenir 1 batitude, portonsnotre at ton Lion sur les actes humains, afin de distinguer ceux qui conduisent Dieu de ceuxqui en loignent. 11 faut tudier, premirement, le volontaire et l'involontaire en gnra! ; (secon

    dement, les actes volontaires qui sont produits immdiatement par la volont et ceux qui sont

    commandes par elle aux autres facults ; troisimement, la moralit de ces mmes actes.

    l y a des actes volontaires ou humains, c'est--dire qui procdent d'un principe interneagissant avec connaissance de la fin .'Les actes humains sont accompagns de sept circonstances que le thologien doit con

    natre 7 .I.a volont, dans ses actes intrieurs, se porte vers une fin et vers des moyens. Par

    rapport la fin, elle a ponr objet le bien 8 .Elle a un moteur intrieur et un moteur extrieur 9 .Malgr cola, elle n'est pas mue ncessairement, elle est libre , 0 .Elle n ponr acte interne la jouissance 1 1 ;Et l'intention i a .Par ranport aux moyens qui conduisent la fin, elle a pour acte l'lection , n .L'lection est prcde d'une recherche qui est le conseil u .Le consentement de la volont suit le conseil 1 S .Enfin, la volont, faisant usage de ses forces, produit des actes licites et des nctes

    commandes

    , 0

    .Quels sont les actes commandos par la volont n .La bont el la malice des actions humaines se prennent de l'objet, de la fin et des circon

    stances **.Dans les actes intrieurs, la bont dpend de Toi jet prsent par La raison 1 0 .Si les actes extrieurs sont mauvais en eux-mmes, la fin ne les justifie pas 0 .La bont et la malice de nos actes donnent lieu a des consquences de la plus haute impor

    tance : Us sont vertueux nu vicieux, louables ou blmables, mritoires ou punissables S f .

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    QUESTION 6.

    DU VOLONTAIRE ET DE l/lNVOLONTAlRE DANS LES ACTES.

    L e v o l o n t a i r e e x i s t e ch ez l ' h o m me . Ef fe ts de l a violence de l a cr a in te de l a co n c u p i s c e n c e et de l ' ig no

    r a n c e .

    i. Le volontaire exisle-t-il dans les actes hum ains?Le volontaire, qui consiste connatre une fin et s'y

    porter par un principe intrieur, existe tout particulirement dans ceux de nos actes que l'on appelle humains; car,en les accomplissant, nous connaissons la fin de notre op

    ration, et nous nous y portons de nous-mmes par unmouvement propre de notre volont.

    Le volontaire procde d'un principe intrieur. Mais ce principe, qui n'est

    pas ncessairement un principe premier, peut tre produit ou m par un

    principe extrieur. Dieu, comme on le verra, est le premier moteur de la

    volont. Sans moi, a-t-il dit, vous ne pouvez rien faire.

    2.Le volontaire existe-t-il dans les animaux ?Les animaux ont le volontaire imparfait, puisque, par un

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    IK P E T I T E S O M M E . PART. II.

    principe intrieur, ils se meuvent vers une fin avec une certaine connaissance ; mais ils n'ont pas le volontaire parfait,parce que, ne connaissant ni la nature des objets, ni le

    rapport de leurs actes avec la fin, ils ne dlibrent ni surla fin, ni sur les moyens.

    3. Le volontaire peut-il exister sans un acte ?Le volontaire peut exister sans un acte extrieur, lorsque,

    par exemple, un homme veut ne pas agir; il se conoitmme sans acte intrieur chez celui qui nglige d'accomplir une uvre; mais l'inaction, dans ce dernier cas, n'estimputable la volont, comme son acte propre, qu'autantqu'elle a pu et d vouloir accomplir cette uvre.

    On n'impute pas le naufrage d'un vaisseau un pilote qui n'a pas pu

    tenir le gouvernai], ou qui, au moment de la tempte, n'tait pas charg

    de le tenir.

    4.Peut-on faire violence la volont ?

    Il y a deux sortes d'actes volontaires : les uns, appelsactes liciles, sont le fait immdiat de la volont, commevouloir ou ne pas vouloir ; les autres sont simplement commands par elle, et c'est une autre facult qui les excute.Marcher, parler, se mouvoir ; voil des actes que la volont

    commande, mais qui sont confis ii la force motrice.Il est indubitable que, dans les actes commands, la vo

    lont souffre violence : on peut enchaner les membres ducorps pour les empcher de lui obir. Mais la violencene saurait atteindre la volont elle-mme. Volontaire et

    violent sont deux choses incompatibles, et voici pourquoi :dans le volontaire, la volont s'incline d'elle-mme avecconnaissance d'un but. Or, si vous supposez qu'elle est violente, vous supposez qu'elle ne s'incline pas d'elle-mme ;

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    SF.CT. T.um-ST. li. DES ACTKS Hl'JIAINS. 49

    ds-lors son acte n'est pas volontaire; du moment que lemouvement est contraint, il ne procde pas d'une inclination propre la volont.

    Dieu a le pouvoir de mouvoir la volont; mais, s'il en disposait par vio

    lence, la volont n'agirait pas volontairement.

    5.La violence cause-t-elle l'involontaire ?

    Il faut ncessairement reconnatre que la violence produitl'involontaire. Certains actes, dit le Philosophe, sont invo-r lontaires par suite de la violence. Saint Jean Damas-cne s'est exprim dans les mmes termes.

    La violence tant directement oppose au volontaire, ce

    qu'elle produit existe contre la volont. Si elle n'atteint pasla volont elle-mme dans ses actes liciles, comme il a tdit plus haut, elle peut toutefois arrter les actes commandes, et c'est en cela qu'elle produit l'involontaire, suivantce principe que ce qui est contre la volont n'est pas volontaire.

    11 faut savoir, toutefois, qu'une chose est volontaire de deux manires :

    d'abord, dans un sens actif; par exemple, lorsqu'on veut faire une chose;

    ensuite, dans uu sens passif, comme lorsque Ton veut bien supporter un

    mauvais traitement de la part de quelqu'un. On ne saurait dire, dans cette

    dernire hypothse, que l'acte est involontaire : souffrir ainsi uue action,c'est y prendre part.

    6. La crainte cause-t-clle l'involontaire?Saint Grgoire de Nysse et le Philosophe lui-mme di

    sent que les actes qui se font sous l'influence de la craintesont plus volontaires qu'involontaires. Ces sortes d'actessont, en effet, volontaires en eux-mmes, et involontairesseulement quelques gards. Jeter, par exemple, ses mar

    ri, -t

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    50 PETITE SOMME. PART. H.

    chandises la mer est une action volontaire au momentde la tempte, vu la crainte du danger. Une telle actionest simplement volontaire, puisqu'elle provient du prin

    cipe intrieur qui caractrise le volontaire; mais, sousd'autres rapports, elle est involontaire, parce qu'en dehorsde la ralit prsente, elle rpugnerait la volont.

    L'acte fait par crainte est plus volontaire que celui qui est le rsultat de

    la violence ; dans l'aete violent, il y a tout la fois dfaut de consentement et rsistance absolue de la volont ; dans l'acte accompli par crainte,

    la volont se porte vers cet acte pour carter un mal imminent. Celui-ci

    est volontaire, puisqu'il est produit par un principe intrieur et eu vue

    d'une fin.

    7. La concupiscence cause-t-elle l'involontaire?

    La concupiscence ne cause pas l'involontaire; ellerend, au contraire, une action plus volontaire. Les actesvolontaires sont ceux auxquels la volont se porte. Or, par

    la concupiscence, la volont est incline rechercher cequ'elle dsire. Donc la concupiscence a plus d'influencepour rendre les actes volontaires que pour les rendre involontaires (4).

    8. L'ignorance cause-t-elle l'involontaire?L'ignorance qui prive de la connaissance ncessaire un acte humain cause l'involontaire ; mais toute ignorancene prive pas de cette connaissance. Pour clairer cettequestion, distinguons trois espces d'ignorance, que nousnommerons : Tune concomitante, l 'autre consquente, latroisime antcdente.

    (i) La concupiscence, tout en augmentant le volontaire, peut affaiblir

    le libre arbitre, comme nous le verrons. (Q. 77, art. 6.}

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    SECT. !.QCEST. 6. ^ E S ACTES Hl'MAINS. 51

    L'ignorance concomitante est celle qui nous empchede savoir ce que nous faisons, mais de telle faon toutefois que, quand nous le saurions, nous ne nous abstien

    drions pas de notre acte. Celle-l, n'influant en rien surla volont, ne cause pas l'involontaire. Un homme quidsire tuer son ennemi, le lue rellement en croyant tirersur un cerf ; voil un meurtre qui n'est ni volontaire niinvolontaire, car on ne saurait vouloir ou ne pas vou

    loir ce que l'on ignore.L'ignorance que l'on appelle consquente, parce qu'elle

    est la consquence d'un acte de la volont, est volontairede deux manires. D'abord, par un acte positif de la volont, comme dans celui qui veut ignorer pour avoir une

    excuse son pch, ou pour n'y pas renoncer, seloncette parole : Nous ne voulons pas la science de vos voies. (Job xxi.) C'est l'ignorance affecte. Ensuite,lorsque, par passion, par habitude prise, ou par purengligence, on ne se met pas en peine d'acqurir des con

    naissances que l'on est tenu d'avoir; et c'est l'ignorancede mauvaise lection. L'ignorance volontaire de l'une deces manires ne cause pas l'involontaire, proprement parler; elle le produit seulement, sous quelque rapport,en ce sens que, prcdant le mouvement de la volont,

    elle fait faire quelqu'un ce qu'il ne ferait pas, s'il taitmieux instruit.

    L'ignorance qui cause proprement l'involontaire estl 'ignorance compltement involontaire en elle-mme, etque l'on appelle antcdente: c'est celle d'un homme qui,

    aprs avoir pris toutes les prcautions convenables, nesachant pas qu'une personne passe par le chemin, lanceune flche et la tue.

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    5 2 P E T I T E S O M M E . . H .

    QUESTION 7.

    I)KS CIRCONSTANCES Ou SE TROUVE LE VOLONTAIRE.

    Df in i t ion des c i rc on st an ce s . L e t h o l o g i e n do i t fa i r ea t t e n t i o n a u x c i r c o n s t a n c e s * n u m r a t i o n d e s s e p t c i r c o n s t a n c e s . Q u e l l e s s o n t l e s pr i nc i pa l e s ?

    1. Que faut-il que nous entendions par une circonstance ?Les corps tant ce que nous connaissons le mieux, nous

    leur avons pris le mot circonstance, que nous appliquonsaux actes humains. Gomme les objets qui en environnent

    un autre sont placs en dehors de lui de manire letoucher, du moins localement; ainsi toutes les conditionsqui sont en dehors de la substance d'un acte humain,mais qui pourtant l'atteignent par quelqu'endroit, reoivent le nom de circonstances. Les circonstances des actes

    humains en sont, par consquent, des accidents. Un accident, en^ffet, n'est autre chose que ce qui appartient un sujet, tout en restant en dehors de sa substance.

    Prenons pour exemple le discours oratoire. On y expose d'abord la

    substance de l'acte; on arrive ensuite ses accidents. Cet homme, dira

    un orateur, mrite d'tre poursuivi : premirement, parce qu'il a commis

    un homicide, substance de l'acte; secondement, parce qu'il a commis

    cet homicide par fraude, pour un salaire convenu, dans le lieu saint, etc.,

    circonstances qui augmentent la faute.

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    SECT. I.QUEST.7. DES ACTES HUMAINS 53

    2. Los circonstances des actes humains doivent-ellestre tudies par le thologien ?

    Les thologiens doivent s'occuper des circonstances ;

    trois raisons leur en font un devoir.D'abord, les actes humains conduisent l'homme la

    batitude. Or, il est hors de doute que les circonstancescontribuent, du moins dans une certaine mesure, proport ionner les actions l eur fin.

    Ensuite, il est du devoir du thologien d'tudier lesactes humains dans leurs divers degrs de bont ou demalice, de perfection ou de dfaut; et les circonstances,comme on le verra dans la suite, produisent cette diversit.

    Enfin, il est clair que les circonstances, suivant qu'onles ignore ou qu'on les connat, peuvent rendre un actevolontaire ou involontaire, excusable ou criminel. Le thologien, qui tudie nos actions au point de vue du mriteet du dmrite, doit donc videmment en tenir compte.

    3. -t-on bien dtermin les circonstances?ristote, dans son trait de Vthique, et Cicron, dans

    sa Rhtorique, observent avec raison qu'il y a sept circonstances, qui se rsument par le vers suivant :

    QutSj quid, ubi, qvibus auxlllis, cur, quomodo, quando.

    Quis? Oui? quelle est la personne qui agit?de quel ca ractre est-elle rev tue ('!)?

    Quid ? Quoi ? quelle est l'importance de la

    chose (2)?

    (1) L'tat, l'ge, la condition, les engagements particuliers.

    (2) La chose vole est-elle profane ou sacre, considrable ou de peu de

    * aleur ?

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    54 P E T I T E SOMME PART. II

    Ubi? O? en quel lieu l'action s'cst-elleopre (1)?

    Quibus aiixiliis ? Par quels secours ou moyens (2) ?Cur? Pourquoi? pour quelle fin (3) ?Qwmodo ? Comment? rtequelle manire (4)?Quando? Quand? en quel temps (5)?

    h. Les deux circonstances principales sont-elles la

    fin de l'acte et ce qui lient sa substance?La premire de toutes les circonstances est celle qui

    atteint l'acte du ct de la fin, c'est--dire le motif qui faitagir. (Cu>r?)La seconde est celle qui touche la substancedes actes, c'est--dire celle qui tend constituer l'espce

    de l'action. (Quid fecit?) (6) Les autres tirent leur importance de leur rapport avec celles-l.

    (1) tait-ce dans un lieu sacr ?

    (2) Ces moyens taient-ils superstitieux, illicites? Avait-on des complices?(3) La fin influe singulirement sur la nature des actes humains, bons ou

    mauvais.

    (4) A-t-on agi avec ignorance ou avec connaissance ? Etait-ce avec violence ?

    (5) On s'accuse d'avoir t au cabaret. tait-ce pendant les offices divins?(MgrGousset.)

    (6) Une circonstance peul, par elle-mme, dterminer l'espce de l'acte.

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    SECT. I.QUEST. 8 DES ACTES HUMAINS 55

    QUESTION 8.

    DE LA VOLONT ET DE SON OBJET*

    L a volont a pour objet final le Men. Elle se porte vers

    lafilaset vers fies moyens.

    1.La volont ne veut-elle que le bien ?

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    56 PETITE SOMME PART. II.

    au lieu que les moyens, n'tant, un Lien que par leur rapport avec la fin, ne sont ni bons de soi, ni voulus poureux-mmes. La volont, en se portant vers eux, se propose

    toujours une fin, et elle ne veut en eux que cette lin mme.

    3.La volont se porte-l-ellc par un mme acte vers lafin et vers les moyens ?

    La volont se porte vers une fin de doux manires : d'a

    bord directement, en considrant la fin absolument et enelle-mme, et alors elle peut vouloir la fin considrecomme fin, sans se porter vers les moyens qui y conduisent;ensuite indirectement, en tant que la fin est impliquedans les moyens qui s'y rapportent, ce qui arrive lorsque

    la fin est, au fond, la raison qui porte vouloir ces moyens.Dans ce dernier cas, la volont se porte, par un mmeacte, vers la fin et vers les moyens. Mais l'acte par lequella volont veut la fin d'une manire absolue, -est un actedistinct, qui a parfois une priorit de temps sur l'acte qui

    veut les moyens. Un malade, par exemple, veut sa gu-rison; voil la fin d'abord. Cherchant ensuite commentil pourra l'obtenir, il veut appeler un mdecin; voil lemoyen aprs la fin. Ainsi la volont peut vouloir la finsans les moyens; mais elle ne peut vouloir les moyens sans

    la fin e l l e T i n m e . *

    Pour nous servir d'une comparaison : notre intelligencesaisit quelquefois les principes sans les consquences ;m a i s , dans les consquences auxquelles elle donne sonassentiment cause des principes, elle embrasse les prin

    cipes eux-mmes ('1).(I) Qui veut la fin ne veut pas toujours les moyens ; mais qui veut. 1rs

    moyens veut la fin. Qui veut aller au ciel n'en prend pas toujours la route;mais qui prend la route do l'enfer veut aller eu enfer.

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    SECT. I.QUEST. 9. D E S A C T E S H U M A I N S . 57

    QUESTION 9.

    DIT MOTIF OU MOTEUR DE LA VOLONT.

    L a v o l o n t est-elle! m n e p a r l ' i n t e l l i g e nc e ? / c e t - c l l e p a rl ' a p p t i t s e n s i t i f ? > S e m e u t - e l l e e l l e - m m e ? Qu el le est

    s u r e l l e l ' in f luence d e s c o r p s c l e s t e s ? Quel le est l ' ac t iond e ?

    'I.La volont est-elle mue par l'intelligence ?Le Philosophe a dit : L'objet apptible que peroit

    l'intelligence est un moteur non m ; mais la volont csf un moteur m. Toute facult de l'me, en effet, abesoin d'un double moteur : l'un, pour la mettre en exer

    cice, car tantt elle agit cl tantt elle n'agit pas; l'autre,pour spcifier et dterminer les actes qu'elle doit produire.Ce dernier moteur, en ce qui est de la volont, n'est autreque la fin qu'on se propose. Mais comme le bien, en gnral,considr comme fin, est l'objet propre de notre volont,

    sous ce rapport la volont fait mouvoir toutes les autresfacults, qui n'ont pour fin que des biens particuliers; carnous nous servons de nos facults quand nous voulons.La volont est un gnral d'arme, qui, devant pourvoirau bien commun, donne ses ordres aux commandants

    chargs d'un seul bataillon. Mais, son tour, elle est muepar l'intelligence qui spcifie et dtermine ses actes particuliers, en lui prsentant chaque objet final comme bonet dirae d'tre recherch.

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    58 PETITE SOMME. PART. il.

    La volont meut l'intelligence pour la mettre en exercice, et l'intelligence

    meut la volont par un objet final qui dtermine tel acte plutt que tel

    autre. L'intelligence, toutefois, ne meut pas ncessairement la volont.

    2.La volont est-elle mue par l'apptit sensitif ? Chacun, dit saint Jacques (p. 4, 44), est tent par

    sa concupiscence qui le sduit et l'entrane. La concupiscence est dans l'apptit sensitif : donc cet apptit meut

    la volont.Nous l'avons dit, ce qui se prsente l'intelligence

    comme bon et dsirable, meut la volont sous forme d'objetfinal. Ajoutons que, quand une chose nous parat bonneet dsirable, cela peut provenir de deux causes : de ses

    qualits et de nos dispositions prsentes. Or, il est videntque les passions de l'apptit sensitif font varier nos dispositions. L'homme qui est en colre, par exemple, ne trouve-t-il pas bonne une action qu'il juge autrement ds qu'ilest apais? Voil pourquoi le Philosophe disait : Tels

    nous sommes, telle nous parait une fin. De cette manire, l'apptit sensitif meut indirectement la volont.

    La volont peut nanmoins lui rsister. Elle rsiste parfois; mais souvent

    elle succombe.

    3.La volont se meut-elle elle-mme?La volont est matresse de vouloir et de ne pas vouloir :

    donc elle se meut elle-mme. L'intelligence qui peroit unprincipe, passe d'elle-mme la connaissance des conclusions. Il en est de mme de la volont. Par cela mmequ'elle veut une fin, elle se porte de soi vouloir les moyens.

    La volont, direz-vous, a donc deux moteurs immdiats : l'intelligence et

    elle-mme? Oui, sans cloute; mais ces deux moteurs n'agis&cnl pas sur

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    SECT..QUEST.9. DES ACTES HUMAINS. 5 9

    5. La volont est-elle mue par les corps clestes?Les corps clestes ne sauraient affecter directement ni

    elle de la mme faon. L'intelligence la ment par le moyen des objets ;

    elle se meut elle-mme pour entrer en exercice, raison de la fin,

    4.La volont est-elle mue par quelque principe externe?La volont est incontestablement mue par un prin

    cipe externe, puisqu'elle l'est par son objet ; mais il fautncessairement admettre qu'elle reoit, en outre, le mouvement d'un principe externe pour l'exercice de son pre

    mier acte: Il est vrai qu'elle se meut elle-mme lorsque,voulant une fin, elle se porte aux moyens qui y mnent;mais cela ne se fait pas sans quelque dlibration intermdiaire. Dsireux, par exemple, d'tre guri, j'en cherche les moyens, e t , aprs avoir rflchi, je veux un m

    decin. Mais, comme je n'ai pas toujours voulu en acte maguri son, j 'a i d tre conduit la vouloir par quelque moteur ; car, si ma volont s'y ft porte d'elle-mme, c'ett aprs une dlibration qui supposerait encore un acteantrieur de volont, et on ne saurait remonter indfiniment

    de dlibration en dlibration. Nous sommes ainsi forcs de reconnatre que la volont, dans son premier mouvement , dpend d 'un principe extrieur qui la meut instinctivement.

    Si le mouvement de la volont est volontaire, quoiqu'il procde d'un

    premier principe extrieur, c'est qu'il suffit au volontaire que son prin

    cipe prochain soit intrieur, et qu'il n'est pas ncessaire que ce principe

    ne reoive point le mouvement d'un autre. Lorsque la volont est mue

    par un principe extrieur, c'est toujours elle qui veut, quoique mue par un

    autre. Dans certains actes, elle se meut suffisamment el le-mme comme

    cause prochaine ; mais elle ne le peut pas dans tous.

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    60 PETITE SOMME PART. II.

    l'intelligence, ni la volont, puissances indpendantes denos organes. Nul corps ne peut agir immdiatement surles substances incorporelles. Pour les facults sensilives qui

    ne sont que certains organes mis en acte, les corps clestespeuvent leur imprimer un mouvement, au moyen de cesorganes mmes. Or, comme la volont est mue d'une certaine manire par l'apptit sensitif, les mouvements descorps clestes peuvent agir indirectement sur elle, l'aide

    des passions qu'ils surexcitent dans la partie sensitive denotre tre.

    L'influence des corps clestes peut disposer certains hommes la colre,

    la concupiscence ou toute autre passion. Le sage, toutefois, domine

    les astres, comme disait Ptolome ; ce qui signifie qu'en rsistant aux

    passions, la volont reste libre. Par ce moyen, tout homme vertueux se

    soustrait l'influence des astres (1).

    6. Dieu est-il le seul principe extrieur qui meutIn volont?

    C'est Dieu, dit l'Aptre, qui nous fait vouloir et ac- complir. (Phil. n, 43.)

    Si le mouvement naturel une chose ne peut provenirque de l'auteur mme de sa nature, le mouvement volon-laire, qui vient d'un principe intr ieur , comme le mouvement naturel, ne saurait non plus tre produit par unprincipe extrieur autre que la cause mme de la volont.Or, Dieu seul est la cause de cette facult : premirement,parce qu'elle est une puissance de l'me raisonnable, quelui seul produit par voie de cration ; secondement, parce

    qu'elle se rapporte au bien universel, et qu'une cause par-

    (I) L'tat de l'atmosphre et des climats rentre dans l'influence d**scorps clestes.

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    SECT. I.OUEST. 9. DE S ACTES HUMAINS. I

    liculire ne peut donner une inclination universelle. Dieuest donc le seul principe extrieur qui meut efficacementla volont.

    Les autres tres, l'ange lui-mme, ne la meuvent que par le moyen

    d'un objet extrieur. Dieu, comme moteur universel, la meut vers son

    objet universel qui est le bien. Sans celte impulsion gnrale, l'homme ne

    pourrait rien vouloir.

    On dira peut-tre que si Dieu est le seul principe extrieur qui meutdirectement la volont, il n'y a plus aucun moyen de s'expliquer l'existence

    du mal. Mais il est ais de rpondre que Dieu, qui meut la volont, en

    gnral, vers son objet universel ou le bien, laisse ensuite la raison de

    riiomm se dterminer vers tel bien rel ou apparent ; c'est l que le mal

    se produit. Cependant, on verra plus loin (Q. 109 et 1U) que Dieu, par sagrce, porte quelquefois certaines personnes vouloir des biens dter

    mins (1).

    (1) Devons-nous croire que Dieu gouverne notre libert en la condui-

    * sant certainement aux fins qu'il s'est proposes ; ou faut-il penser, au

    contraire, que, ds qu'il a fait une crature libre, il la laisse aller o elle veut, sans prendre aucune part en sa conduite, que de la rcom- penser si elle fait bien, ou de la punir si elle fait mal? La notion que nous avons de Dieu rsiste ce dernier sentiment ; car nous con- cevons Dieu comme un tre qui sait tout, qui prvoit tout, qui pour- voit tout, qui gouverne tout, qui fait ce qu'il veut de ses cratures, et

    qui doivent se rapporter tous les vnements de ce monde. Que si les* cratures libres ne sont pas comprises dans cet ordre de la Providence divine, on lui te la conduite de ce qu'il y a de plus excellent dans* l'univers, c'est--dire des cratures intelligentes. II faut croire que tout l'ordre des choses humaines est compris dans celui des dcrets divins, et,

    * loin de s'imaginer que Dieu ait donn la libert aux cratures raison-

    nables pour les mettre hors de sa main, on doit juger, au contraire, qu'en crant la libert mme, il s'est rserv des moyens certains pour la conduire o il lui plat.

    (Bossuet.)

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    02 P E T I T E S O M M E . PART, il

    QUESTION 10.

    DE LA M O l i ON DE LA VOLONT , OU COMMENT LA VOLONT

    EST MUE.

    IL volont veut naturellement le bonheur. Sous ce rap port9 elle est ncessite; mais elle ne veut pas ncessairement tels biens part icul iers . El le n'est mue ncessaire

    ment ni par l'apptit sensitif9 ni p ar Dieu.

    1. La volont se porte-t-elle naturellement vers quelquechose ?

    La volont tend naturellement vers le bien en gnral,

    comme chaque puissance tend vers son objet propre. La findernire est la volont ce que les premiers principessont l'intelligence; elle se fait accepter ncessairement.

    La volont embrasse,, de plus, tous les biens particuliers qui conviennent 1 la nature humaine : ainsi l'tre,

    la vie et tous les autres attributs de notre existence, cequi est propre chaque facult, la connaissance du vrai ,tout cela est compris dans son objet comme autant debiens particuliers. Elle se porte donc naturellement versquelque chose,

    2. La volont est-elle mue ncessairement par sonobjet?

    1 La volont, quant l'exercice de son acte, n'est pas

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    S E C T . I . Q U E S T . 10. DES ACTES HUMAINS.

    mue ncessairement : il est toujours en notre pouvoir dene pas penser un bien quel qu'il soit, et, par suite , dene pas le vouloir actuellement.

    2 La volont, quand elle veut quelque chose, est muencessairement par le bien universel, qui est la batitude ;car, le bien tant son objet, elle veut de ncessit ce quiest bon universellement et sous tous les rapports.

    3 La volont ne veut pas ncessairement les biens parti

    culiers ; elle les rejette ou les embrasse son gr.

    La fin dernire, qui est le bien parfait, meut ncessairement la volont.

    Il en est de mme des biens, qui, comme l'tre, la vie et autres semblables,

    se rapportent tellement la fin dernire que, sans eux, on ne pourrait

    l'atteindre. Mais les autres biens sans lesquels la fin dernire peut treatteinte, la volont ne les veut pas ncessairement : en tant que puissance

    rationnelle, elle peut accomplir, par des vues diffrentes, des actes opposs

    les uus aux autres.

    3.La volont est-elle mue ncessairement par l'apptit infrieur?

    Il est crit : Au-dessous de toi sera ton appt it , et lu le domineras. (Gen. iv, 7.) Donc la volont humainen'est pas ncessairement soumise l'apptit infrieur.

    De deux choses l'une : ou bien la passion de l'apptitinfrieur lie entirement la raison, comme il arrive aceux qui , dans la violence de la co lre, de la concupiscence et de toute autre perturbation corporelle, deviennentfou