Parole(s) - N°2

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Sur la scène des marchands de Seine À la rencontre des bouquinistes parisiens ° RH : quand les médias flirtent avec la ligne rouge, p 4 ° Blandine Métayer, comédienne d' open-space, p 14 P a r o l e (s) Découvrir, comprendre, raconter

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Deuxième numéro du magazine Parole(s)

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Sur la scène des marchands de SeineÀ la rencontre des bouquinistes parisiens

° RH : quand les médias flirtent avec la ligne rouge, p 4 ° Blandine Métayer, comédienne d'open-space, p 14

P a r o l e (s)Découvrir, comprendre, raconter

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Magazine Parole(s) – Numéro 2 – Octobre 2012Fondateur, directeur de la publication : Philippe Lesaffre / Rédacteur en chef: William BuzyJournalistes : Floriane Salgues, Guillaume AucupetOnt collaboré à ce numéro : Palagret, Alain Bachellier, Des Geeks et des lettres, Jules Pajot, C. Averty

Parole(s) est soutenu par la Coopérative d'Aide aux Jeunes Journalistes (CAJJ).CAJJ, association loi 1901, déclarée en sous-préfecture de Langon le 26/06/2010 / Siège social: 508 Laville Ouest, 33500 Capian.

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Mot d'ordrePar Philippe Lesaffre, fondateur

« Ne l'appelle pas. Il n'a aucune légitimité. Et il ne représente (presque) rien. » Cet ordre, entendu maintes fois dans les rédactions que nous avons fréquentées, ne pourrait pas être donné aux journalistes de Parole(s). Pour une raison simple : chaque personne - peu importe son nom, son lieu d'habitation, son âge ou sa profession - a une histoire à raconter. Nous avons choisi de l'écouter, sans nous presser, et de lui donner la parole. Pourvu qu'elle puisse nous délivrer un témoignage fort.

Et cela semble vous intéresser... Vous avez été plus de 2 000 à parcourir les pages du premier numéro. 2 000 - nom de Dieu ! - ce chiffre peut paraître insignifiant. Il n'empêche : pour Parole(s), ce petit magazine réalisé par une poignée d'insatiables, c'est une infime récompense, une incitation à continuer. Alors, pas de répit, chers amis. Notre mot d'ordre ? Frapper à la porte de ceux qui ont quelque chose à raconter, anonymes ou pas, histoire de dénicher des informations susceptibles de ne pas vous ennuyer. Nous nous y efforçons avec grand plaisir.

Dans ce deuxième numéro, nous avons eu envie de nous promener sur les quais de Seine pour aller à la rencontre de ces bouquinistes qui, pour certains, traînent sur le trottoir depuis plusieurs décennies. Vous ferez la connaissance de Blandine Métayer, une comédienne qui planche sur le monde du travail au théâtre comme en entreprise. Enfin, nous vous proposons une enquête exclusive sur une chaîne de télévision aux pratiques de Ressources humaines contestables

Vite, tournez la page de cette bafouille de la plume...

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Ressources (in)humainesDans un secteur où la précarité est devenue la norme, Simon, Julie, Malika* et les autres pensaient avoir trouvé la perle rare chez Africa 24 : un CDD, avec la promesse qu'il se transformerait en CDI. Mais du rêve à la réalité, le retour est brutal.

Par Guillaume Aucupet

C'est sûr que la photo était belle. Terminés les stages aux journées rallongées, payés au lance-pierre - quand ils sont payés. Terminées l'incertitude et l'angoisse des piges, qui fluctuent plus vite qu'une action en bourse. Terminées les innombrables candidatures dont le taux de réponse est proche du néant. Place à un contrat, un beau CDD, qui se transformera vite en CDI, c'est promis.

Simon, 24 ans, journaliste diplômé depuis un an, n'a pas hésité une seconde. « Je n'ai même pas discuté les conditions, confie-t-il, j'ai juste demandé où il fallait signer... » Julie, 22 ans, passée par une fac de lettre, n'a pas tergiversé non plus. « J'ai débarqué là en stage, et j'ai rapidement été poussée à l'antenne. Faire du plateau, alors que je n'avais aucune expérience, c'était une belle opportunité. »

Ce Graal, c'est Africa 24, première chaîne d'information du continent africain, dont le siège est basé

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en banlieue parisienne, qui le leur a offert.

Contrats précaires

Mais les nouveaux venus déchantent vite. « J'ai très vite eu l'impression d'être considérée comme une machine, témoigne Malika, journaliste reporter d'images en contrat depuis 6 mois. Comme ils font des JT en continu, on nous demandait d'écrire, de monter et de commenter 5 ou 6 sujets par jour, sans compter les tournages. Les chefs parlaient de "produire" des sujets, ça m'a frappé. »Même constat pour Simon : « On avait jamais vraiment le temps de creuser, d'aller chercher plus loin que la dépêche, ou même de travailler la qualité de notre montage et de notre écriture. On dégueulait des sujets à longueur de journée. » Même Julie, qui présente les JT, doit également contribuer à la construction des sujets. « Ça fait des journées bien remplies, et beaucoup d'heures supplémentaires qui n'existent pas sur notre fiche de paie », déplore-t-elle.

Les semaines passent, et les journalistes défilent. « Les anciens partaient parce que les CDI promis n'arrivaient jamais, se souvient Simon, et les nouveaux, découvrant ce fonctionnement, cherchaient la moindre opportunité pour s'échapper. »

À ce désenchantement professionnel s'ajoute un autre élément. Contractuel, cette fois. En y regardant de plus près, ce fameux CDD est en réalité un CDDU, c'est-à-dire un CDD d'usage. Un contrat peu connu, qui se révèle plus précaire, encore. Car, contrairement au CDD classique dont le renouvellement est limité, il peut être reconduit indéfiniment, sans carence, et sans indemnité de précarité. Une aubaine pour la chaîne, qui fait des économies d'échelle, et peut à tout moment se débarrasser de ses journalistes. « Quand j'ai signé, je n'avais pas noté la différence, explique Malika. On m'avait parlé d'un CDD, sans préciser, et je ne savais pas qu'il en existait plusieurs sortes. »

Un contrat précaire. Jusque-là rien d'alarmant, dans un secteur qui n'a pas attendu le contexte économique actuel pour plonger ses travailleurs dans une situation pour le moins inconfortable...

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De l'abus du CDDU

Seulement voilà, l'utilisation de ce contrat est très règlementée. Il ne peut pas avoir cours dans n'importe quelle entreprise, et pour n'importe quel poste, comme nous l'explique Sarah, une chargée de production qui a régulièrement recours au CDDU : « C'est un contrat destiné à couvrir des emplois temporaires, notamment dans le milieu du spectacle. Un technicien qui vient bosser sur un tournage, un casteur qui doit trouver un ou deux profils, un consultant spécialisé qui reste le temps d'un événement particulier... On ne va évidemment pas leur faire signer un CDI. Mais tous les secteurs n'ont pas le droit de l'utiliser. »

Pour l'Inspection du travail, « l’audiovisuel fait partie des secteurs d’activité autorisés à recourir au CDD d’usage ». Pour autant, elle précise que « le seul fait qu'un secteur d'activité figure dans la liste fixée par le décret ne suffit pas à justifier, pour tous les emplois de ce secteur, le recours à un contrat à durée déterminée d'usage. » L'autre condition ? « L'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi. »

Or, les journalistes d'Africa 24 contribuent au fonctionnement normal de la chaîne, et leur travail n'a rien de temporaire. « C'est une chaîne d'information en continu et nous fabriquons tous les JT, s'insurge Simon. Notre activité n'a rien de temporaire, nous sommes le cœur de cette chaîne, son moteur ! Si tu enlèves les JT, il reste quoi ? Rien ! »

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Un flirt avec la ligne rouge

Africa 24 ne remplirait donc pas les critères définis dans le code du travail et ne pourrait pas faire travailler ses journalistes en CDD d'usage. Le contrat comporte bien pourtant un paragraphe évoquant un surcroît d'activité exceptionnel, le temps de la mise en place de la nouvelle grille des programmes. Mais cette nouvelle grille « ne voit jamais le jour », selon Julie. « Ils jouent sur les mots, mais ces changements n'existent pas. Ce ne sont que de faux prétextes. » Sollicitée, Africa 24 a d'abord accepté de répondre à une interview, avant de couper tout contact suite au dévoilement des questions...

Pour les syndicats de journalistes, en tous cas, la ligne rouge est bien franchie. « On voit bien dans ce cas qu'il s'agit d'une utilisation abusive de ce contrat extrêmement précaire. Avec des journalistes qui contribuent aux JT d'une chaîne d'information en continu, c'est-à-dire à son activité principale, on est hors du cadre d'utilisation d'un contrat à durée déterminée d'usage. » Une situation que déplorent les responsables syndicaux, qui incitent ces jeunes journalistes à « se tourner vers leurs représentants en entreprise, pour dénoncer ces abus ».

Mais là encore, problème : pas de délégué syndical à Africa 24. « On a demandé à mettre en place une élection, puisque c'est obligatoire dans les entreprises comptant plus de 11 salariés, explique Malika. Mais on nous a répondu qu'une élection avait déjà été organisée un an plus tôt, et que personne n'avait voulu se présenter. »

Une carence de candidat qui fait sourire les plus anciens. « Il y avait bien eu quelques volontaires pour se présenter à l'élection, raconte l'un d'eux. Mais on leur a rapidement fait comprendre que dans l'optique de leur renouvellement de contrat, ce serait mieux qu'ils retirent leur candidature... Ce qu'ils ont fait. » Pas de candidat, donc, lors de cette élection du premier trimestre 2011. Un an et demi plus tard, la direction n'a pas jugé pertinent d'en organiser une autre.

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"Tu n'as qu'à faire caissière..."

Une pilule - ou plutôt une plaquette entière de pilules - que ces journalistes ont de plus en plus de mal à avaler. Une déconsidération totale, un quasi-dégoût pour leur propre travail, et une impression d'impuissance dans un rapport de force faussé par un marché du travail largement favorable aux employeurs.

Dans un baroud d'honneur, Aissatou, qui arrive au terme de son quatrième contrat, dont un stage, a tenté de négocier une légère augmentation de salaire. « Je me suis dit qu'après plus d'un an de bons et loyaux services, à trimer 10 heures par jour pour 1 200 €, ce serait une petite reconnaissance. Je demandais juste un petit quelque chose, symboliquement. » Refus de la chaîne. « Ma voisine de 18 ans, sans diplôme, qui bosse à l'épicerie du quartier, gagne plus que moi », s'étonne Aissatou. La réponse de la DRH sonnera comme un clap de fin : « Eh bien, tu n'as qu'à faire caissière. » Coupez.

* Les prénoms des témoins ont été modifiés

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Comédienne des open-spaces

Blandine Métayer vise haut avec son dernier one woman show "Je suis Top !" : le parcours - du combattant - d’une salariée jusqu’au sommet de sa société. Comme un cri de guerre contre le sexisme ambiant en entreprise, mais sans agressivité. Portrait d’une comédienne au top, à retrouver au théâtre comme en entreprise.

Par Floriane Salgues

La vie des femmes en entreprise, la comédienne Blandine Métayer la connaît par cœur. Une exception parmi les actrices de théâtre, plus accoutumées au plancher des scènes qu’à la moquette des open-spaces. Rien d’étonnant, pourtant, à l’intérêt que suscitent chez elle le management et les ressources humaines.

Depuis 1998, cette artiste écrit, met en scène et interprète des pièces pour les entreprises, via la société "Changement de décor" dont elle est la directrice artistique. Dans sa mallette de businesswoman, Blandine Métayer a accumulé une centaine de spectacles, créés sur mesure pour répondre aux problèmes internes de sociétés en tous genres, du manque de communication à la perpétuation des stéréotypes. Autant dire que, pour elle, faire entrer le monde du travail dans un moule artistique s’apparentait à un jeu d’enfant… qu’elle n’a pas, vraiment, pris à la légère.

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Écrite en un week-end, sous le coup d’une « illumination » raconte la comédienne, la trame de son seul en scène, "Je suis top !" - actuellement au théâtre de L’Archipel à Paris jusqu'en avril 2013 - dépeint l’histoire d’une manager parvenue au sommet de sa société en dépit du sexisme ambiant. Rapidement, l’auteur pose sa plume pour endosser la casquette de sociologue et celle de journaliste.

Elle recueille alors le témoignage d’une quarantaine de femmes et de quelques hommes directeurs généraux « éclairés », rédige des questionnaires, se documente, et échange avec l’inspectrice générale des affaires sociales Brigitte Grésy et la sociologue Cécile Ferro. Beaucoup de matière, donc, pour enrichir ce spectacle, oscillant entre scènes de vie professionnelle et vie privée.

Le pire de l’entreprise… pour le meilleur

Sur scène, les relations hommes-femmes au travail sont passées au crible : maternité contrariée, inégalités salariales, rivalités féminines pour grimper les échelons, pression du jeunisme ou manque de confiance… Le pire de l’entreprise est là : autour et dans le personnage de Catherine Boissard, top manager passionnée et pas toujours tendre avec les autres femmes de la boîte.

Alors non, pas question de « créer un "woman power" agressif contre les hommes ». « Certaines femmes se dévalorisent, n’ont pas confiance en elles : ce n’est pas forcément facile pour les managers masculins de se retrouver face à quelqu’un convaincu de ne pas réussir, constate l’auteur. Et puis des femmes vaches avec leurs collègues féminines, j’en ai connu. » Comme des femmes féroces avec d’autres femmes… Dans son premier seul en scène, "Célibattantes", en 2002, Blandine Métayer se "battait" déjà pour ces quadragénaires sans partenaire et sans enfant supportant le regard impitoyable de leurs congénères.

La comédienne a d’ailleurs bien d’autres ambitions que la stigmatisation… Eveiller les consciences, bien sûr, et relayer cet accablant constat : « Les femmes ont encore l’impression de devoir en faire dix fois plus que les hommes pour prouver qu’elles ont les mêmes capacités. »

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Et si, pour une fois, les hommes se mettaient à la place des femmes ? Blandine Métayer relève le défi. Elle anime en entreprise, cette fois, un atelier sur les stéréotypes : hommes et femmes apprennent à se mettre dans la peau de l’autre sexe et débriefent leurs sensations. Déroutant. Le phénomène se produit parfois lors de son dernier spectacle, "Je suis Top". « Un PDG est déjà venu trois fois à la représentation. Il s'est rendu compte qu'il aimait faire de l'humour mais que parfois sa bonne humeur pouvait être assimilée à des moqueries. Et ce n’est pas le seul, croyez-moi ! » On ne demande qu’à voir.

( Toutes les informations pratiques sont sur http://www.facebook.com/magazineparoles )

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Bouquinistes, « trente ans de quai »

Près de 240 bouquinistes traînent sur les quais de Seine parisiens. Ils amusent la galerie, indiquent le chemin aux touristes. Et, parfois, en bons marchands, vendent des livres ou divers objets pour gagner leur pain.

Par Philippe LesaffrePhotos: Floriane Salgues

« Ces livres m'appartiennent, je ne les ai pas volés. » Alain, bouquiniste parisien depuis 1973, veut mettre les points sur les i, même sur le ton de la plaisanterie. Il est « commerçant » et ce fada de littérature « achète ses livres légalement ».

Pourquoi cette mise au point ? C'est juste qu'il faut « rester vigilant », explique-t-il. Certains de ses collègues ont déjà pu tomber dans le panneau. Comme ce bouquiniste, glisse Alain, qui a acheté un jour des livres... dérobés. « Le vendeur avait profité de l'absence de son père » pour se débarrasser de ses biens et ainsi « gagner des sous ».

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Agacé, le bouquiniste du boulevard Saint-Michel ? Un peu... Cela l'ennuie de trouver, par ci, par là, « des livres de poches à 20 centimes », lui qui les achète à 80 centimes environ, avant de les vendre un peu plus de 2 euros, précise le bonhomme.

« Une fille coûte cher »

Va-t-il encore se plaindre ? Guère... Alain a plutôt l'air heureux d'exercer cette profession, chaque jour, de la fin de matinée à l'heure de l'apéro. Du lundi au vendredi... sauf quand il pleut, neige, que l'orage gronde et que le vent souffle trop fort.

Et ce n'est pas le nombre important de collègues - ils sont 240 - qui lui fait peur. La concurrence ne fait pas rage ? « Pas du tout. » Plus on est, mieux c'est : « Les passants vont s'arrêter là où il y a du monde, pas là où tout est fermé. »

Justement, un couple d'amoureux tombe sur le stand. La fille, d'une vingtaine d'années, trouve un numéro de la revue National Geographic - dont il possède, glisse-t-il au passage, « la plus grande collection d'Europe ». Alain, pas peu fier, se tourne vers ses clients : « Je vais gagner des sous. 50 euros, s'il vous plait. » Réplique du garçon, dubitatif : « Ce n'est pas le prix affiché. » « J'aurais essayé... Vous verrez, une fille coûte cher », blague Alain. Ambiance décontractée. Le client, tout sourire, lui tend la monnaie, récupère son bien, puis s'en va. Avant de revenir vers lui : le garçon cherche une adresse d'un marchand de vinyles et veut trouver son chemin. « Vous voyez, les gens sont sympa, commente le bouquiniste, après avoir renseigné son vis-à-vis, on se marre. » Toujours ? Bon, d'accord : « Il arrive parfois qu'un passant râle car on n'a pas le livre qu'il cherche. » Comme cette touriste, d'origine asiatique, qui demande du Proust : « Les classiques français sont difficiles à trouver », s'excuse Alain.

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« On ne peut pas tout voir »

Le bouquiniste ne lui montre pas ce qu'il possède. Cela ne sert à rien : « Les gens ne cherchent pas, en principe, de livre précis. Ils se baladent et, en regardant les bouquins, se disent : "Tiens, ça peut être bien !" ».

Alain en connaît un rayon sur ces passants des quais de Seine qu'il observe depuis plus de trente ans. Depuis le jour où la mairie lui a « donné un emplacement ». « La Ville de Paris nous nomme, après avoir reçu une demande en ce sens », précise un autre bouquiniste qui se nomme aussi... Alain. Les bouquinistes payent une taxe - dont le montant sera tu par les Alain - et, hop, ils peuvent emménager advita eternam s'ils en éprouvent l'envie.

Mais la municipalité surveille : « Ils passent parfois devant les stands, sans

forcément nous parler, explique le deuxième Alain entre deux clients. Du coup, je ne les remarque pas toujours. » Comme les vols d'objets, assez fréquents, assure celui qui balance ses bras, un brin dépité : « On ne peut pas tout voir... »

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« Mes enfants faisaient la sieste derrière les livres »

Ce n'est pas si catastrophique car « on ne vole plus les livres de nos jours ». Plus personne, paroles de bouquinistes, ne tente de forcer la serrure d'une boîte fermée, explique le commerçant. « Les gens volent des bijoux, des portables. » Tant mieux pour cet Alain, « sur les quais depuis trop longtemps ».

Lui n'a pas débuté une carrière de bouquiniste parce que ses parents possédaient des stands. « Ils détestent ça, autant que mes enfants, vaccinés, rit-il. C'est peut-être car je les mettais, petits, dans la boîte pour qu'ilspuissent faire la sieste. » L'un des seuls à avoir conservé « le même emplacement depuis plusieurs décennies » ne veut pas s'arrêter de sitôt : rester debout plusieurs heures à l'extérieur ne le saoule pas.

La passion, donc, guide ces commerçants... Mais aussi « l'habitude, la peur de s'embêter ». Alain pense soudain à une ancienne collègue qui, à 96 ans, vendait encore ses livres : « A son âge, ce n'est pas par passion, je crois, qu'elle continuait... »