Parole(s) - N°1

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Une course avec la mort Reportage au coeur des encierros de Pampelune ° Faut-il croire aux promesses politiques ? p 10 ° Jean, dans l'ombre du Sida, p 14 P a r o l e (s) Découvrir, comprendre, raconter

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Premier numéro du magazine Parole(s)

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Une course avec la mort

Reportage au coeur des encierros de Pampelune

° Faut-il croire aux promesses politiques ? p 10 ° Jean, dans l'ombre du Sida, p 14

P a r o l e (s)Découvrir, comprendre, raconter

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Magazine Parole (s) – Numéro 1 – Septembre 2012Fondateur, directeur de la rédaction: Philippe Lesaffre / Rédacteur en chef: William BuzyOnt collaboré à ce numéro: Floriane Salgues, Daniel Watt, Juan Buhler, Paolo Di Tomaso, Rufino Lasaosa, Eduardo Granizo, Fransisco Javier Lopez, Jaronson, Asier Solana Barmejo, Gaëtan Bruneteau, Blandine Lc, Thomas Faivre-Duboz, Christophe Verdier, Donna Cymek.

Parole (s) est soutenu par la Coopérative d'Aide aux Jeunes Journalistes (CAJJ).CAJJ, association loi 1901, déclarée en sous-préfecture de Langon le 26/06/2010 / Siège social: 508 Laville Ouest, 33500 Capian.

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Que veulent les journalistes ?Par Philippe Lesaffre, fondateur

Mais que veulent vraiment les journalistes ? Travailler pour le canard de leurs rêves, et lire leur scoop en Une d'un quotidien de référence ? Rencontrer les grands de ce monde et réaliser des reportages de haute couture ? Couvrir les événements qui marquent l'histoire, et pouvoir dire: "J'y étais" ? Ou partager, lors d'un déjeuner, une bonne bouteille de vin avec un député éméché et profiter des avantages offerts aux porteurs de la carte de presse ? Chacun ses goûts...

Pour nous, Insatiables, notre envie se résume à notre joujou, ce nouveau né que vous avez sous les yeux: Parole(s). Quelques pages de reportages et d'enquêtes, une fois par mois. Le but: découvrir, comprendre, et raconter la vie. Sortir de l'actualité brûlante, des brèves rédigées en urgence avec l'espoir affiché d'être le premier à donner l'info, et prendre le temps. Prendre le temps de tendre le micro, d'observer, de prendre quelques clichés.

Prendre le temps d'explorer le quotidien, et donner la parole aux gens qui le font.

En Une du premier opus, un reportage au coeur de la Navarre, à Pampelune, où perdure la tradition de l'encierro, dangereuse course entre hommes et taureaux. Vous découvrirez également notre enquête sur la promesse en politique. Enfin, nous avons rencontré Jean, 25 ans, confronté à la trithérapie.

Au programme, donc : découverte, information et témoignage. Longue vie à Parole(s)!

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« Sentir le souffle du taureau... »

« A San Fermín pedimos por ser nuestro patrón, Nos guíe en el encierro, dándonos su bendición Viva! Gora! », clament, un matin de juillet, les 4000 coureurs de l'Encierro, devant une statue de San Fermín. Ils demandent protection et bénédiction au Saint. Ils en auront besoin: ils s'apprêtent à être poursuivis sur 825 mètres par des taureaux de plus d'une demi-tonne, lancés à pleine vitesse.

Par William Buzy

C'est une véritable institution à Pampelune. Les « encierros » sont courus tous les jours pendant les fêtes patronales, qui ont lieu chaque année du 6 au 14 juillet. C’est sans doute ce qui a fait la réputation de ces Fêtes à travers le monde, grâce notamment à l’auteur américain Ernest Hemingway, qui, inconditionnel de ces réjouissances, les a souvent évoquées dans son œuvre. L'auteur a disparu, la tradition est restée.

L'encierro consiste à lâcher dans les rues de la ville les taureaux qui seront combattus l'après-midi dans les arènes. Le parcours, qui relie les étables de Santo-Domingo aux arènes à travers les rues du centre-ville, est toujours le même. Il s'agit alors de courir entre les cornes, de sentir le souffle de l'animal dans son dos, de l'accompagner sur quelques mètres, en harmonie avec la noblesse de sa course, avant de s'écarter pour laisser la place aux autres coureurs.

Ce qui requiert de l'entraînement et une certaine connaissance de la chose. Pourtant, chaque matin dès six heures, des novices se mêlent aux spécialistes. Une foule de plus en plus dense - 2 000 chaque jour, jusqu'à 4 000 le weekend - qui rend la course encore plus difficile. Bousculades, chutes, piétinements. Pour les plus chanceux.

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15 morts depuis 1911

Car le taureau est un animal sauvage, et le risque majeur reste l'encornement. Alors des postes de la Croix Rouge sont aménagés, prêts à intervenir au moindre accident ou à évacuer les blessés graves vers les hôpitaux. Mais personne n'est dupe. « Il ne fait aucun doute que quelles que soient les mesures de sécurité mises en place, les taureaux demeurent des animaux dangereux et peuvent tuer un homme », reconnaît Yolande Barcina, maire de Pampelune entre 1999 et 2011. Étrange jeu avec la mort, que Daniel Jimeno Romero, 27 ans, a perdu voilà trois ans. Lors du quatrième encierro de 2009, il a été encorné dans le cou, puis la corne du taureau a glissé pour toucher son aorte et ses poumons. Les images diffusées en direct par les télévisions espagnoles montrent le jeune homme au sol, le cou en sang et visiblement inconscient, juste après le passage des taureaux. Il s'agit de la quinzième personne tuée lors des encierros de la San Fermín, depuis leur création il y a un siècle.

Mais ces coups de corne fatals n'ont jamais entamé l'enthousiasme des participants. « C'est sûr qu'il faut un gros mental et beaucoup de sérénité pour pouvoir gérer tout ce qui se passe en quelques secondes, explique Vincent Gaozere, un Français qui participe régulièrement à ces courses. Mais quand on y a goûté, qu'on a vu de près le regard du taureau et qu'on a senti son souffle dans le cou, je crois qu'on ne peut plus s'en passer. » Julien Madina, un Navarrais de 57 ans, qui court les Encierros depuis quarante ans ajoute que « le lâcher de taureaux est le moteur de la San Fermín, son âme. Sans lui, la fête disparaîtrait ».

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Pas d'unanimité

Malgré cet engouement, les opposants ne manquent pas. L'Organisation internationale de défense des animaux a même lancé une campagne visant à encourager le boycott de la San Fermín. « Tourmenter des animaux pour du divertissement est digne du Moyen-âge. Si l'Espagne veut sa place à part entière dans le concert des nations européennes modernes, la première chose qu'elle devrait faire serait d'interdire la torture des animaux », estime Poorva Josphura, coordinateur européen de l'association.

Mais pour Yolande Barcina, l'ancien premier magistrat de la ville, il est hors de question d'interdire le clou de cette fête qui draine environ soixante-dix millions d'euros de recettes touristiques en une semaine : « La San Fermín sans encierros n'aurait aucun sens, ils font partie de notre fête et de notre tradition. » En outre, le quotidien El mundo estime que le lâcher de taureaux des fêtes de Pampelune est le plus sûr d'Espagne. Plus de 800 personnes travaillent chaque matin à son bon déroulement. « S'il fallait le supprimer à cause du danger, il faudrait aussi interdire l'ascension des sommets de 8 000 mètres, les grands prix de moto, et même le Tour de France qui fait d'avantage de victimes », plaide un autre habitué, Miguel Angel Eguiluz.

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Entre gloire et adrénaline

Le succès planétaire et médiatique des fêtes de la San Fermín est incontestable. Elles attirent chaque année trois millions de touristes venus de tous les endroits du globe, ce qui en fait la troisième fête mondiale en terme de fréquentation, derrière le carnaval de Rio et la Fête de la bière de Munich.

Alors forcément, beaucoup veulent s'immortaliser lors de l'encierro et la police renvoie derrière la double palissade de protection des centaines de personnes munies de caméscopes, appareils photos, sacs à dos, ou dans un état d'ébriété évident. Malgré ces filtrages, les nombreuses recommandations au micro, et les tracts distribués en plusieurs langues, cette marée humaine semble vouloir se faire peur mais aussi voir et être vu. Sans doute pour accéder au « quart d’heure de célébrité » prévu par Andy Warhol. Ceci n'est pourtant pas un jeu. Il ne s'agit pas d'un footing ludique. Ici, la mort rôde. Et, comme ce vendredi 10 juillet 2009, elle rappelle qu'elle peut frapper à tout instant.

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« Parole, parole, parole... »

Le personnel politique promet beaucoup durant les campagnes électorales, sans toujours tenir ses engagements. Peu importe, les Français approuvent.

Par Philippe Lesaffre

Michel Mouton, patron de la section du PS de Marly-le-Roi, dans les Yvelines, garde une mémoire intacte de la campagne présidentielle. « François Hollande s'était engagé à faire de la politique autrement et à ne pas être soumis aux marchés financiers », se souvient ainsi ce militant socialiste, habitant d'un canton « bourgeois et de droite ». Des promesses, toujours des promesses...

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« Pour gagner une élection, s'étrangle Maxime Verner, 23 ans, et candidat non retenu à la dernière présidentielle, les politiques cherchent à séduire l'électeur au lieu de lui proposer une véritable offre politique. »

La séduction avant la déception ? Chacun peut juger, en son âme et conscience, les premiers pas du gouvernement de gauche, en place depuis quelques semaines. Mais « tout citoyen doit (déjà) savoir qu'un programme ne peut pas être tenu dans sa totalité », regrette Mathias Rodier, membre des Jeunes Pop' et responsable du syndicat Uni-Lycée de Haute Garonne depuis septembre 2011.

« Ministres léninistes »

Ce qui fait dire à certains, fatigués de la politique, que nos élus sont tous des menteurs. « Des mots peuvent devenir des traces vaines d’une pensée foncièrement malhonnête », analyse Guillaume Lurson, professeur de philosophie dans un lycée francilien. « Qui peut se targuer de n’avoir jamais promis pour de mauvaises raisons : gagner du temps, favoriser son image ? » Selon cet homme de 25 ans, passionné par la chose politique, « la promesse témoigne de l’insupportable fragilité des relations humaines, lesquelles sont vouées à l’opacité des mots, encore plus qu’à l’incertitude de leur devenir ».

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Pourquoi ? Car au lendemain du scrutin, l'élu devient réaliste. « Modéré », dirait Grégory Berkowitz, patron de la fédération du Parti radical du Calvados. Avant de citer deux exemples : « Sarkozy a été élu sur un programme droitier mais il a constitué, pendant trois ans, un gouvernement de centre-droit. » Avant de repartir en « campagne agressive » dès 2010. Quant à Hollande, analyse le radical borlooïste, « il est devenu chef de l'Etat en promettant, entre autres, de lutter contre la finance ». Or, « il n'a pas convoqué de ministres léninistes, accepte que le FMI soutiennent l'Espagne ». Et sa politique vis-à-vis de l'Afghanistan, selon lui, « ressemble au final à celle de son prédécesseur ».

Le Français est centriste mais fantasme

Mais rien de grave, pour Gégory Berkowicz, persuadé que le représentant politique agit... comme ses électeurs.

« Les Français, qui feuillettent chez leur coiffeur un magazine de voiture, ne vont pas regarder des images d'automobiles du quotidien, imagine, tout sourire, ce vice-président du Parti radical, mais les photos de Porsche, de Ferrari. » Or, les Français ont beau fantasmer, « ils n'achèteront pas la voiture de leurs rêves », veut croire ce radical valoisien. « Même fortunés, ils se montreront réalistes, en choisiront une moins chère, plus pratique, qui consomme peu. »

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En politique, serait-ce pareil? Les citoyens aiment « rêver » en campagne électorale, apprécient que certains candidats dits « populistes », comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, les « rassurent ». « Ils ne supportent pas, enfin, qu'on leur dise qu'il faut se serrer la ceinture », avance Berkowicz. Pourtant, il en est certain : « Les Français sont centristes, modérés, raisonnables. » Ce qui n'a pas profité au président du Mouvement démocrate, François Bayrou, ni charismatique ni grande gueule.

La morale de cette histoire : les Français veulent des promesses, mais ils savent qu'elles ne pourront être appliquées. « Ils souhaitent toujours plus de services publics mais en payant toujours moins d'impôts », conclut, en riant, Berkowicz. Tordu, le Français ? « Plutôt schizophrène ! »

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SIDAventureUn rapport non-protégé avec un séropositif et Jean, 25 ans, s’est retrouvé confronté à la trithérapie. Partager son expérience avec d’autres patients est aujourd’hui son leitmotiv.

Par Floriane Salgues

Une boîte de mouchoirs posée en évidence sur le bureau d’un médecin et une batterie de questions personnelles. Le 26 février 2012, la vie de Jean*, étudiant en droit à Lyon, a viré au cauchemar. « VIH », « trithérapie préventive » : l’ombre du sida a soudain fait irruption dans son quotidien. « Avec un discours très bien rodé de la part des médecins de l’hôpital », se souvient le jeune homme gay, mais en des termes qui le mettent mal à l’aise. « Pendant l’acte sexuel, vous… tu… êtes donneur ou receveur ? », s’enquiert, bafouillant, le docteur. Jean reste impassible, en état de choc. Incapable de pleurer. Incapable de réaliser que son partenaire l’a, peut-être, contaminé.

L’hôpital lui propose une séance avec un psychologue. Jean le trouve trop âgé, trop excentrique. Pour les réponses et le réconfort, ce sera ailleurs. Auprès des forums de discussions – peu fiables – qu’il écume nuit et jour. Auprès de son partenaire, récemment inscrit à un programme de tests visant à trouver un vaccin contre le VIH et qui vient d’apprendre, par ce biais, sa séropositivité. Les discussions tournent autour de la maladie, de la trithérapie que Jean entame pour un mois.

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Etre une oreille attentive au sein d’un service de dépistage

« J’avais la sensation que c’était le seul qui pouvait me comprendre. Il s’en voulait de m’avoir potentiellement transmis le sida lors de notre dernier rapport non-protégé. Pour moi, il n’était pas fautif car il m’a informé dès qu’il a su. Puis le VIH a pris trop de place dans notre relation. On ne parlait plus que de cachets », regrette le jeune étudiant.

Quatre mois plus tard, Jean attend le verdict médical, confiant. Il n’a pas le sida, il le sait. Comment? Il s’en est convaincu dès le premier jour, pour survivre. Quel que soit le résultat, il a déjà pris sa décision : il va s’engager. Etre une oreille attentive, au sein d’un service de dépistage ou d’une association, pour ceux qui débutent la trithérapie. Leur raconter son expérience du haut de ses 25 ans. Parce qu’il peut les comprendre mieux que n’importe quel docteur.

« Vous êtes bronzé, vous revenez de vacances ? », interroge le médecin. Le ton décontracté du professionnel agace Jean. Il vient de pleurer sur tout le trajet de son domicile à l’hôpital. Ici, la boîte de mouchoirs trône toujours sur la table. Il n’en aura pas besoin. Séronégatif.

* Le prénom du protagoniste a été modifié.