Nouveaux anticoagulants oraux : cas cliniques

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18 OptionBio | mardi 19 novembre 2013 | n° 498 pratique | hémostase Cas n° 1 M. S. Ph, 53 ans Ce patient a comme antécédent médical une HTA ; au plan chirurgical, il a été opéré il y a une semaine pour pose de prothèse totale de genou (PTG). Son traitement actuel comporte de l’Aprovel ® , de l’Inexium ® et de l’Eliquis ® (apixaban) : 2,5 mg x2/j. Ses suites opératoires sont simples, mais à J8, suite à un faux mouvement, le patient décrit une douleur intense et une impotence fonctionnelle totale de sa jambe droite ; il consulte aux urgences de l’hôpital Cochin. L’examen clinique de son membre inférieur droit retrouve une hyperextension douloureuse, un écoulement de sang au niveau de sa cicatrice et un épanchement du genou droit. Il n’y a pas de signe évocateur de thrombose veineuse profonde. Une radiographie est réalisée retrouvant un volu- mineux épanchement. Il est décidé d’hospitaliser le patient pour surveillance. Une évacuation de l’hémarthrose au bloc est discutée ; une numé- ration formule sanguine et un bilan d’hémostase pré-opératoire sont effectués : hémoglobine (Hb) : 15,6 g/dl plaquettes : 314 G/l globules blancs : 8,1 G/l TP : 92 % TCA : 37,2 sec/T : 31 sec Ce bilan, normal, n’est pas surprenant car, aux concentrations thérapeutiques d’apixaban atten- dues, les tests globaux de la coagulation ne sont le plus souvent pas modifiés. Le patient dit qu’il prend bien son Eliquis ® . Peut-il passer au bloc ? Le laboratoire ne dispose pas de test spécifique de dosage de l’activité anticoagulante de l’apixa- ban, mais un dosage de l’activité anti-Xa (HBPM) est effectué (dans le dossier d’AMM de l’Eliquis ® , les seules données biologiques fournies sont des activités anti-Xa d’HBPM). Activité anti-Xa (HBPM) : > 2 UI/ml ; après dilution : 2,64 UI/ml. Mais quel est le seuil pour que le patient puisse être opéré ? Les données disponibles proviennent d’une étude de Barett et al. (Blood Coagulation Fibrinolysis and Cellular Haemostasis 2012), chez le volontaire sain prenant une dose unique/j d’apixaban : pic (3 h après la prise) : activité anti-Xa maximale : 1,36 ± 0,32 UI/ml et concentration maximale observée sur une cohorte de 20 patients sous apixaban : 98 ± 27 ng/ml. Dans cette étude, 18 h après la prise d’une dose unique d’apixaban, l’ac- tivité anti-Xa (HBPM) n’est plus détectable dans le sang, chez 50 % des patients. Chez notre patient, 24 h plus tard, l’activité anti-Xa (HBPM) est égale à 0,34 U/ml. Donc, après environ 2,5 fois la demi-vie du médicament, l’activité anti- Xa est passée de 2,64 à 0,34 U/ml. Le patient a été opéré, sans complication particulière. Rétrospectivement, des dosages d’activité anti-Xa spécifique de l’apixaban ont été effectués : sur le premier prélèvement : activité anti-Xa : 180 ng/ml et sur le second (24 h plus tard, en résiduel) : < 30 ng/ml. Nous ne disposons pas de « valeur seuil de sécu- rité » pour l’apixaban, mais nous savons qu’avec les autres nouveaux anticoagulants oraux (dabi- gatran, rivaroxaban), ce seuil (pour autoriser une intervention chirurgicale) est voisin de 30 ng/ml. Ce qu’il importe de retenir ici est que, environ 18 h après une prise unique d’apixaban, l’activité anti- Xa n’est plus détectable dans le sang. Cas n° 2 Mme N., 65 ans Cette patiente est traitée par Xarelto ® 20 mg/j pour thrombose veineuse profonde. Sa dernière prise date de la veille à 19 h. Elle consulte le matin aux urgences et a une indication opératoire en urgence ; elle est prélevée à 8 h 40 pour bilan d’hémostase dont les résultats sont : TP : 84 % TCA ratio : 0,97 fibrinogène : 3,50 g/l Cette patiente traitée par rivaroxaban peut-elle être opérée en urgence ? Selon les recommandations du Groupe d’intérêt en hémostase péri-opératoire (GIHP), si l’on se fie aux tests globaux de coagulation (TP > 80 % et TCA normal), elle peut être opérée ; le risque hémorragique lié au rivaroxaban semble mineur. Mais, à l’hôpital Cochin, les dosages spécifiques de rivaroxaban sont disponibles. Le dosage de l’activité anti-Xa spécifique montre un résultat à 64 ng/ml. Or, dans les recommandations du GIHP, si la concentration plasmatique du médicament est comprise entre 30 et 200 ng/ml, il convient d’attendre 12 h puis de refaire un dosage avant passage au bloc opératoire. Nouveaux anticoagulants oraux : cas cliniques De nouveaux anticoagulants actifs per os (NACO) sont disponibles : dabigatran (Pradaxa ® ), rivaroxaban (Xarelto ® ) et apixaban (Eliquis ® ). Ces molécules ne nécessitent pas de surveillance régulière de la coagulation, mais celle-ci est indispensable dans certaines situations cliniques, notamment en cas d’hémorragies. Le biologiste doit connaître le retentissement des nouveaux anticoagulants sur les tests de coagulation pour une interprétation juste des résultats, en collaboration avec le clinicien. © Sebastian Kaulitzki

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pratique | hémostase

Cas n° 1 M. S. Ph, 53 ansCe patient a comme antécédent médical une HTA ; au plan chirurgical, il a été opéré il y a une semaine pour pose de prothèse totale de genou (PTG). Son traitement actuel comporte de l’Aprovel®, de l’Inexium® et de l’Eliquis® (apixaban) : 2,5 mg x2/j. Ses suites opératoires sont simples, mais à J8, suite à un faux mouvement, le patient décrit une douleur intense et une impotence fonctionnelle totale de sa jambe droite ; il consulte aux urgences de l’hôpital Cochin.L’examen clinique de son membre inférieur droit retrouve une hyperextension douloureuse, un écoulement de sang au niveau de sa cicatrice et un épanchement du genou droit. Il n’y a pas de signe évocateur de thrombose veineuse profonde. Une radiographie est réalisée retrouvant un volu-mineux épanchement. Il est décidé d’hospitaliser le patient pour surveillance. Une évacuation de l’hémarthrose au bloc est discutée ; une numé-ration formule sanguine et un bilan d’hémostase pré-opératoire sont effectués :– hémoglobine (Hb) : 15,6 g/dl– plaquettes : 314 G/l– globules blancs : 8,1 G/l– TP : 92 %– TCA : 37,2 sec/T : 31 secCe bilan, normal, n’est pas surprenant car, aux concentrations thérapeutiques d’apixaban atten-dues, les tests globaux de la coagulation ne sont le plus souvent pas modifiés. Le patient dit qu’il prend bien son Eliquis®. Peut-il passer au bloc ? Le laboratoire ne dispose pas de test spécifique de dosage de l’activité anticoagulante de l’apixa-ban, mais un dosage de l’activité anti-Xa (HBPM) est effectué (dans le dossier d’AMM de l’Eliquis®, les seules données biologiques fournies sont des activités anti-Xa d’HBPM).Activité anti-Xa (HBPM) : > 2 UI/ml ; après dilution : 2,64 UI/ml.Mais quel est le seuil pour que le patient puisse être opéré ?Les données disponibles proviennent d’une étude de Barett et al. (Blood Coagulation Fibrinolysis and Cellular Haemostasis 2012), chez le volontaire

sain prenant une dose unique/j d’apixaban : pic (3 h après la prise) : activité anti-Xa maximale : 1,36 ± 0,32 UI/ml et concentration maximale observée sur une cohorte de 20 patients sous apixaban : 98 ± 27 ng/ml. Dans cette étude, 18 h après la prise d’une dose unique d’apixaban, l’ac-tivité anti-Xa (HBPM) n’est plus détectable dans le sang, chez 50 % des patients.Chez notre patient, 24 h plus tard, l’activité anti-Xa (HBPM) est égale à 0,34 U/ml. Donc, après environ 2,5 fois la demi-vie du médicament, l’activité anti-Xa est passée de 2,64 à 0,34 U/ml. Le patient a été opéré, sans complication particulière.Rétrospectivement, des dosages d’activité anti-Xa spécifique de l’apixaban ont été effectués : sur le premier prélèvement : activité anti-Xa : 180 ng / ml et sur le second (24 h plus tard, en résiduel) : < 30 ng/ml.Nous ne disposons pas de « valeur seuil de sécu-rité » pour l’apixaban, mais nous savons qu’avec les autres nouveaux anticoagulants oraux (dabi-gatran, rivaroxaban), ce seuil (pour autoriser une intervention chirurgicale) est voisin de 30 ng/ml. Ce qu’il importe de retenir ici est que, environ 18 h après une prise unique d’apixaban, l’activité anti-Xa n’est plus détectable dans le sang.

Cas n° 2 Mme N., 65 ansCette patiente est traitée par Xarelto® 20 mg/j pour thrombose veineuse profonde. Sa dernière prise date de la veille à 19 h. Elle consulte le matin aux urgences et a une indication opératoire en urgence ; elle est prélevée à 8 h 40 pour bilan d’hémostase dont les résultats sont :– TP : 84 %– TCA ratio : 0,97– fibrinogène : 3,50 g/lCette patiente traitée par rivaroxaban peut-elle être opérée en urgence ?Selon les recommandations du Groupe d’intérêt en hémostase péri-opératoire (GIHP), si l’on se fie aux tests globaux de coagulation (TP > 80 % et TCA normal), elle peut être opérée ; le risque hémorragique lié au rivaroxaban semble mineur. Mais, à l’hôpital Cochin, les dosages spécifiques de rivaroxaban sont disponibles. Le dosage de l’activité anti-Xa spécifique montre un résultat à 64 ng/ml. Or, dans les recommandations du GIHP, si la concentration plasmatique du médicament est comprise entre 30 et 200 ng/ml, il convient d’attendre 12 h puis de refaire un dosage avant passage au bloc opératoire.

Nouveaux anticoagulants oraux : cas cliniquesDe nouveaux anticoagulants actifs per os (NACO) sont disponibles : dabigatran (Pradaxa®), rivaroxaban (Xarelto®) et apixaban (Eliquis®). Ces molécules ne nécessitent pas de surveillance régulière de la coagulation, mais celle-ci est indispensable dans certaines situations cliniques, notamment en cas d’hémorragies. Le biologiste doit connaître le retentissement des nouveaux anticoagulants sur les tests de coagulation pour une interprétation juste des résultats, en collaboration avec le clinicien.

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hémostase | pratique

Attention, certains patients ont des TP et/ou TCA normaux alors que l’activité anti-Xa de rivaroxaban n’est pas nulle voire élevée (> 200 ng / ml). La conduite à tenir doit préfé-rentiellement se fonder sur les dosages d’acti-vité spécifique.Peut-on faire une recherche de thrombophilie chez cette patiente traitée par Xarelto® ?Les tests pouvant être réalisés chez les patients sous NACO sont les suivants :– antithrombine : activité : oui selon le produit :

dosage fondé sur l’activité anti-Xa (en présence de dabigatran circulant) ou sur l’activité anti-IIa en présence de rivaroxaban circulant) ; dosage d’Ag : oui

– protéine C : activité amidolytique : oui ; activité par méthode de coagulation : NON ; Ag : oui

– protéine S : activité par méthode de coagula-tion : NON ; Ag libre : oui

– résistance à la protéine C activée (RPCa) : par méthode de coagulation : NON ; recherche de la mutation FVLeiden : oui.

– recherche de la mutation G20210A du facteur II : oui.

– recherche de lupus anticoagulant (LA) : NON ; recherche des anticorps ACL et anti-bêta2-GPI : oui.

La recherche d’une thrombophilie biologique est possible chez les patients sous NACO, mais il est impératif de préciser le traitement et la dose prescrite, ainsi que la date et l’heure de la dernière prise. L’adaptation de la prescription par le biologiste est possible, afin de mettre en œuvre les techniques les plus appropriées. Certains examens comme la recherche de LA par technique DRVVT ne peuvent être réalisés ; une fenêtre thérapeutique de 48 h peut être discutée si nécessaire. S’il est indispensable de substituer le traitement anti-coagulant, il convient d’avoir recours à une HBPM (pas au fondaparinux qui interfère également avec cette recherche).

Cas n° 3 Mme F., 81 ansCette patiente vit seule à domicile. Elle a comme antécédent médical un diabète de type 2 et n’a pas d’antécédent chirurgical. Elle prend du Pradaxa® 110 mg x 2/j pour une fibrillation auricu-laire. Ce traitement a été instauré il y a 2 mois lors d’un séjour à l’hôpital, en relais des AVK qu’elle prenait depuis plusieurs années. Elle est adressée au CHU de Cochin pour des rectorragies. Elle avait déjà consulté aux urgences un mois plus tôt pour un épisode de déglobulisation (Hb : 8 g/dl) et avait été transfusée de 2 culots globulaires. Son bilan biologique du 13/05/2013 est le suivant :– Hb : 7,1 g/dl (anémie normochromome,

normocytaire)– plaquettes : 279 g/l– globules blancs : 6,2 g/l– TP : 26 %– TCA : 76 sec/T : 33 sec (ratio : 2,31)– fibrinogène : 3,31 g/l– facteur VII : 40 % FII : 34 % FV : 70 %– créatinine : 117 μmol/l (80 μmol/l il y a un mois) ;

clairance de la créatinine (Cockcroft) : 35 ml/min.Elle est reprélevée à midi (4 h après la prise de dabigatran) : son temps de thrombine est incoa-gulable ; elle a bien du dabigatran circulant. Les dosages de facteurs de la coagulation sont per-turbés par le dabigatran, sauf le facteur VII pour lequel l’interférence est faible. Cette patiente a probablement une légère carence en vitamine K associée, classique à son âge.Est-elle en surdosage de dabigatran ?Cette patiente a un TCA ratio > 2 en résiduel ; or, il est écrit dans les RCP du Pradaxa®, qu’il existe dans ce cas, un risque accru de saignements. Un dosage de l’activité spécifique anti-IIa est indiqué. Il est effec-tué par test Hémoclot®: le résultat est 570 ng/ml, confirmant le surdosage (si > 400 ng/ml).La cause probable de ce surdosage est double : la patiente est âgée et nous savons qu’au-delà de 75 ans, la pharmacocinétique des NACO est modi-fiée, mais surtout, sa fonction rénale est altérée.

La conduite à tenir chez cette femme en surdosage (> 400 ng/ml de dabigatran) et ayant des sai-gnements (rectorragies) est discutée : recours à la dialyse ? Attente d’une élimination rénale du médicament ?La patiente étant stable, elle est hospitalisée pour surveillance : suivi de l’hémoglobine et de l’activité anti-IIa, estimation de la demi-vie d’élimination du médicament pour savoir quand réinstaurer un traitement anti-coagulant pour sa FA.Dans les RCP du dabigatran, il est précisé que la demi-vie augmente avec l’altération de la fonc-tion rénale : elle serait de 18 h environ pour une clairance de la créatinine comprise entre 30 et 50 ml/min.La surveillance biologique de la patiente donne les résultats suivants :

Quatre jours après l’hospitalisation, elle n’a plus de dabigatran circulant ; son bilan d’hémostase est normalisé, hormis le TP qui reste à 68 % : le dosage de facteur VII effectué à distance reste bas, confirmant une carence en vitamine K associée.La reprise de l’anticoagulation a été proposée dès que l’activité anti-IIa est passée en dessous de 100 ng/ml. Sa créatinine de sortie était de 84 μmol/l. Au total, il est à noter qu’il y a eu per-sistance du médicament pendant 4 jours.

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

CAROLE EMILEBiologiste, rédactrice scientifique

[email protected]

SourceD’après la communication de Claire Flaujac (Hôpital Cochin - Hôtel-Dieu, Paris).XIVe journée du GITA – Paris – 2013.

Anti-IIa TCA ratio

13 mai 12 h 570 ng/ml 2,31

14 mai 9 h 260 ng/ml (correspond bien à une demi-vie d’élimination de l’ordre de 18-20 h)

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15 mai 12 h 100 ng/ml 1,51