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Mon histoire commence dans les années 1980, à

Kigali, capitale du Rwanda en Afrique centrale, où j’ai grandi aux côtés de mon père, ma mère, mon grand frère et un petit frère ; et maman attendait aussi une autre petite sœur. À l’âge de 4 ans et demi, un matin j’allais à l’école accompagnée de mon grand frère âgé de 5 ans et demi, de notre oncle maternel qui vivait chez nous et qui nous accompagnait chez un voisin ami de mes parents, qui lui aussi avait des enfants dans la même école que nous. C’était donc son tour de nous conduire à l’école en voiture, afin de rendre service à mon papa, aussi parce que l’école était loin de la maison.

Comme beaucoup d’enfants, j’ai voulu prendre de l’avance sur mon frère et mon oncle afin d’arriver en premier, et sans doute d’avoir le temps de jouer avec ma copine avant d’aller à l’école – qui sait ce que pense une petite fille de cet âge-là ? J’ai traversé sans regarder où j’allais ni penser au danger, et j’ai rencontré un motard qui conduisait comme un fou et qui m’a renversée.

Je suis tout de suite tombée dans le coma. Dans les minutes qui ont suivi mon accident, mes parents ont été avertis et ils sont très vite arrivés sur le lieu de

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l’accident. Une ambulance a été appelée aussi, et on m’a transportée à l’hôpital. Malheureusement l’hôpital de Kigali n’était pas équipé de façon à pouvoir répondre à mon traumatisme grave. Mon papa travaillait pour une société belge qui avait sa filiale au Rwanda. Il avait donc une assurance santé qui lui permettait de se faire soigner, lui et sa famille, aussi bien au Rwanda qu’en Belgique. Ce jour-là, c’est moi qui ai dû bénéficier de son assurance comme ni l’hôpital de Kigali ni d’autres hôpitaux du Rwanda ne pouvaient me soigner. On me transféra donc en Belgique où j’allais pouvoir bénéficier des soins adaptés à mon état.

À mon arrivée à l’aéroport de Bruxelles, on m’a vite conduite à l’hôpital où j’ai été immédiatement opérée. Après mon opération, je suis restée dans le coma pendant des mois et des mois. Évidemment pour mon papa qui était à mes côtés, ce n’était plus possible de rester, alors que j’étais dans le coma sans savoir quand j’allais me réveiller.

En plus de son travail qui l’attendait au Rwanda, il y avait mon grand frère, un petit frère et ma maman qui attendait un enfant. Donc il n’avait pas d’autre choix que de rentrer au pays.

Quand j’étais dans le coma je me rappelle que je me voyais dans un endroit magnifique. Un si grand parc bien vert et propre qui sentait très bon. C’était des hectares et des hectares d’espace, la seule chose est que j’étais seule dans ce parc. Ma maman, mon papa, mes frères, aucun d’entre eux n’était présent à mes côtés alors que je savais qu’ils m’aimaient. Je n’avais ni faim, ni froid, ni envie de boire. C’était moi sans être là.

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Huit mois plus tard, je me suis réveillée, et on a prévenu mes parents. Très vite, ma maman et mon petit frère qui était né durant mon hospitalisation, et qui était encore bébé, ont pris l’avion pour venir me voir. J’avais eu aussi une sœur mais elle est restée au pays parce qu’elle était plus âgée que le petit frère qui accompagnait maman.

Ma maman et mon petit frère sont arrivés. L’hôpital avait prévu des bénévoles pour aller les accueillir et les conduire à l’hôpital, car maman ne connaissait personne en Belgique.

Il y avait un couple pensionné belge (Nicolas et Thérèse), qui accueillait des familles de patients de cet hôpital qui étaient loin de chez eux, car ils vivaient dans les environs de l’hôpital et voulaient faire une bonne action. En plus, leurs enfants étaient déjà grands et avaient quitté la maison, donc ils avaient la place. À l’arrivée de ma maman et de mon frère à l’hôpital, on a fait un peu connaissance, même si je ne les ai pas reconnus, après toutes ces années.

Et le frère que je voyais pour la première fois. Après quelques minutes ma maman et mon frère sont partis avec le couple pensionné, afin de se reposer. Ils sont revenus le lendemain (ma maman et mon petit frère), et le jour suivant pendant des mois. Après quelques mois j’ai enfin obtenu l’autorisation des médecins de rentrer avec maman, pendant les week-ends, chez le couple qui les hébergeait. Ce qui était mieux pour moi car je pouvais réapprendre à vivre de nouveau avec ma maman en dehors de l’hôpital. Et la semaine je retournais à l’hôpital. Mais maman me rendait visite deux à trois fois durant la semaine.

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Trois mois plus tard, ma maman et mon frère sont rentrés au Rwanda sans moi, car j’avais encore des rééducations et des soins à faire. Et au pays il y avait les deux frères et une sœur qui attendaient le retour de maman, en plus de mon papa. J’ai dû patienter encore six mois avant de rentrer au Rwanda.

Je me souviens que j’ai pris l’avion, seule, mais j’avais un accompagnateur. L’hôpital a prévenu mes parents de l’heure à laquelle l’avion qui me ramenait allait arriver à l’aéroport de Kigali. Deux ans après mon accident j’étais enfin rentrée chez moi, même si je devais encore retourner à l’hôpital (en Belgique) une fois par an pour les contrôles.

Une fois au Rwanda, j’ai dû réapprendre à reconnaître toute ma famille. Je me souviens qu’au début j’avais même très peur d’être avec eux, car je ne les connaissais plus en dehors bien entendu de maman et du petit frère qui était venu avec elle auparavant me veiller à l’hôpital. J’ai réappris à marcher car je marchais encore avec des béquilles, j’ai appris à mieux parler, j’ai même repris le chemin de l’école avec l’aide de ma maman qui était enseignante avant de rencontrer mon papa et de se marier. La journée j’allais à l’école, le soir avec maman on revoyait les leçons qu’on avait apprises en classe et samedi j’avais mes séances de kinésithérapie. À l’école, il y avait une fille qui était en 6e année, et tous les jours quand je voulais aller à la toilette, elle m’accompagnait et me ramenait en classe ; ensuite elle rejoignait sa classe.

Quand on est plus jeune on ne se rend pas compte du sacrifice que font les autres pour nous, mais aujourd’hui je sais le sacrifice que faisait cette fille

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pour moi, avec les cours qu’elle coupait afin de pouvoir m’accompagner aux toilettes. Cela arrivait deux à trois fois dans la journée.

J’ai parcouru presque normalement mes six années d’école primaire. Malheureusement, je n’ai pas pu terminer ma 6e et dernière année de l’école primaire, car la guerre est arrivée à Kigali, dans la capitale du Rwanda (avril 1994) et on a dû quitter la maison. La guerre avait déjà commencé deux à trois ans auparavant, on se battait encore plus loin de la capitale, plus exactement à Byumba (voir carte du Rwanda). Mais en avril 1994, cette guerre a pris des proportions énormes, avec l’avion de l’ancien président qu’on venait d’abattre.

Je me souviens comme on a dû abattre le mur, en faisant un gros trou dans le mur de la clôture de la propriété de façon à pouvoir s’échapper. On ne pouvait pas passer par la grande porte de sortie comme on le faisait normalement, car l’ennemi nous y attendait. Après qu’on avait fait un gros trou dans l’un des murs, qui donnait sur un petit passage derrière chez nous, on a pu sortir tous ensemble enfin, les enfants et maman. Il y avait aussi d’autres voisins qui étaient vénus se réfugier chez nous. Car chez eux il n’y avait pas de clôture aussi solide que chez nous, ou ils avaient simplement peur d’être seuls chez eux.

Là on s’est réfugié à notre tour chez un voisin encore plus loin, car là-bas on était encore plus en sécurité. Il n’y avait pas encore beaucoup de bombardements intenses comme dans notre quartier. On est resté là-bas quelques jours et puis on changeait encore de voisin, encore plus loin. Une semaine plus tard, on est parti encore plus loin. En fait on se

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déplaçait dans le but de chercher un endroit plus sûr. On est parti à plusieurs, il y avait ma famille et un autre couple d’amis et leurs trois enfants.

On est allé quand même à plusieurs kilomètres de chez nous, on se trouvait maintenant à trois ou quatre communes de chez nous. On partait toujours tôt le matin, et à pied, et on devait emprunter des petits chemins inhabituels pour ne pas se faire remarquer. On se faisait le plus discret possible. Autrement on aurait rencontré des balles perdues et on se faisait tuer. On a marché presque une heure. Le couple qui était avec nous avait une seconde maisonnette dans le village où l’on se dirigeait et on a pu s’installer là, pour quelques jours.

En arrivant là-bas, on a cherché de quoi manger et surtout on s’est reposé. En fait on ne savait pas vraiment la suite. On partait dès qu’on entendait parler d’un endroit où il y avait encore un peu de sécurité, moins de bombardements. Trois jours plus tard, on est encore de nouveau parti. Cette fois, c’était vraiment grave et dangereux, car il y avait maintenant beaucoup de bombardements de tous les côtés. On a dû courir, parmi d’autres personnes qui fuyaient aussi. C’était horrible, il y avait des enfants qui se perdaient en chemin, si leurs parents ne faisaient pas attention, ou c’étaient des parents qui perdaient leurs enfants.

Pour que nous, mes frères et sœurs et moi, ne nous perdions pas, maman nous avait dit de nous tenir par la main les uns et les autres (les frères et sœurs), la petite qui avait 3 ans à ce moment-là, maman la portait sur le dos. Parmi tous ces troupeaux de gens qui fuyaient, on a perdu le couple qui était avec nous.

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Mais nous avons rencontré par hasard notre oncle paternel qui lui aussi courait parmi tous ces gens. Là on était à plusieurs kilomètres de chez nous, une distance qu’on ne pense jamais pouvoir parcourir à pied, surtout moi avec mon handicap, je ne pouvais pas faire de longes distances à pied. Eh bien ce jour-là, on l’a fait, d’ailleurs il n’y avait pas d’autre choix. C’était la vie ou la mort, rester ou sauver notre peau.

Chacun d’entre nous possède une force qu’on ne soupçonne même pas, cette force apparaît seulement quand on est dans le besoin. Je ne me croyais pas capable de courir ces kilomètres, et pourtant je l’ai fait.

Dans ce quartier où on est arrivé, il y avait une copine de maman qui y habitait avec sa famille. Quand on est arrivé, c’était déjà trop tard. La copine de maman était déjà partie pour la campagne (Cyangugu), la même campagne où vivaient mes grands-parents et où sont nés mes parents.

Loin des combats à la frontière du Rwanda et du Zaïre (RDC). Mais le mari de la copine de maman était toujours présent il est resté et ses fils afin de surveiller la maison. Et on a décidé d’y rester pour quelque temps.

Le mari de la copine de maman n’a pas été très accueillant avec nous, bien sûr on était chez lui, dans sa propriété, mais il nous a laissés dormir dehors au sol, alors que lui était à l’intérieur bien au chaud avec de quoi manger, alors que nous, on était dehors en train de mourir de faim et de froid, bien qu’on eût un bébé (enfin un enfant de 3 ans).

Le lendemain, quand maman a réalisé que ce monsieur n’avait pas l’intention de nous aider, elle est

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sortie pour essayer de mendier de quoi manger malgré ces bombardements et les balles qui tombaient n’importe où. De temps en temps aussi, le fils de ce monsieur volait de quoi manger pour nous. On est resté là-bas, car il n’y avait malheureusement pas d’autre choix à cet instant. On est resté là-bas presque une semaine, et puis un beau jour notre oncle (celui qu’on avait croisé) a trouvé une voiture car il connaissait l’intention de maman d’aller à Cyangugu rejoindre ses parents et lui aussi voulait y aller, vu que ses parents à lui habitaient aussi dans cette commune. Lui et maman cherchaient donc un laissez-passer. À ce moment, il n’y avait pas beaucoup de personnes qui se déplaçaient en voiture car elles craignaient de se faire remarquer, ensuite se faire tuer. En ce moment-là on se faisait le plus discret possible. Mon oncle nous a emmenés chez nos grands-parents à Cyangugu. Lui aussi, son père et sa belle-mère habitaient le village voisin de celui des parents de ma maman. On a quitté Kigali (la capitale) et on a pris la route pour Cyangugu. On prenait de petits chemins pour ne pas trop se faire remarquer. Sur la route, il y avait des cadavres partout ou des personnes qu’on amenait pour les tuer, c’était vraiment horrible, l’enfer sur Terre. À chaque contrôle de documents, à chaque péage on se demandait si c’était la fin ou pas.

On dirait que tout le monde était armé (fusil, couteau, machette ou autre). Pendant huit heures on a roulé, on avait très peur que si on s’arrêtait, ce soit notre mort.

On s’arrêtait seulement pour les contrôles et les besoins (pipi), on a vraiment eu beaucoup de chance d’arriver chez nos grands-parents en un seul morceau.