Momento du 25 janvier 2012

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ANGOULÊME 39 e FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA BANDE DESSINÉE Supplément gratuit à l’édition du 25 janvier 2012

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Angoulême festival

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ANGOULÊME39e FESTIVAL INTERNATIONAL DE LA BANDE DESSINÉE

Supplément gratuit à l’édition du 25 janvier 2012

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De 7 à 77ansPar Alain Lorfèvre

En 1986, l’Américain Art Spiegel-man publiait le premier tome de“Maus”. Le terme “roman graphi-que” n’était alors connu que d’unepoignée d’amateurs éclairés. Labande dessinée restait aux yeux de lamajorité ces “petits Mickeys”, justesbons à divertir les enfants. Au mieux,un art mineur où se distinguaientquelques avant-gardistes commeMoebius, Bilal ou Druillet. Seul Hergéavait déjà trouvé une petite place auPanthéon des artistes. De là à imaginerque le médium se prêtait à une œuvremagistrale sur la Shoah…En 2011, un quart de siècle plus tard,on a édité en français 5327 titres (1).Résumer cette production au seulterme “bande dessinée” est devenuobsolète : tout comme en littérature,y cohabitent désormais des genresaussi variés que distincts. Si le grosde la production reste consacré auxséries de divertissement pur, celles-cise nourrissent désormais de sujets desociété, comme “Alter Ego” des scéna-ristes Pierre-Paul Renders et Denis La-pière , ou de réflexion historique, commele font Yann et Juillard dans “Mezek” ouBrüno et Nury dans “Atar Gull”. Guy Delisle etCyril Pedrosa pratiquent le carnet de voyage –géopolitique pour l’un ou intimiste chez l’autre.Craig Thompson a signé un essai poétique sur l’Is-lam. Tardi poursuit une œuvre transcendant le polar.Bastien Vivès a livré en 2011 un superbe roman graphiquesur la danse, ainsi qu’un sulfureux fruit défendu. Marc-AntoineMathieu poursuit une veine expérimentale et ludique…La création d’une “Sélection Jeunesse” au Festival d’Angoulême le prouve : cequi était hier la norme est désormais un segment parmi d’autres, qui se réinventesous la plume d’Emile Bravo ou la palette graphique d’Arthur de Pins. Cette diversitéaccrédite plus que jamais le célèbre slogan “De 7 à 77 ans”. Bonnes lectures !

1. Selon le rapport 2011 de l’Association des Critiques de bande dessinée.

Sélection officielle‣ 3 Secondes /Marc-Antoine Mathieu /Delcourt / ENTRETIEN PP. 22-23‣ Aâma - L’odeur des la poussière chaude (tome 1) / Frederik Peeters /Gallimard/‣ Alec / Eddie Campbell /Ça et là /‣ Alter Ego - Camille /Benéteau, Reynès, Renders et Lapière /Dupuis / ENTRETIEN PP. 26-27‣ Les Amateurs / Brecht Evens / Actes Sud /‣ L’année du lèvre - Au revoir Phnom Penh (tome 1) / Tian /Gallimard /‣ L’art de voler / Antonio Altarriba et Kim /Denoël Graphic/‣ Atar Gull / Brüno et Fabien Nury /Dargaud / ENTRETIEN PP. 14-15

‣ Beauté - Désirs exaucés (tome 1) /Hubert et Kerascoët /Dupuis /‣ Bride Stories - tome 1 /Kaoru Mori /Ki­Oon /

‣ Le chanteur sans nom / Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez /Glénat /‣ Chroniques de Jérusalem /Guy Delisle /Delcourt / ENTRETIEN PP. 16-17

‣ Cité 14 Saison 2 - Chers corrompus (tome 1) / Pierre gabus et Romuald Reutimann / Les Humanoïdes Associés /‣ Coucous Bouzon / Anouk Ricard /Gallimard /‣ Dans la nuit la liberté nous écoute /Maximilien Le Roy / Le Lombard /‣ Le dernier cosmonaute / Aurélien Maury / Tanibis /‣ Doomboy / Tony Sandoval / Paquet /‣ En même temps que la jeunesse / Jean Harambat / Actes Sud /‣ En route pour le Goncourt /Mathieu Ephrem et Jean-François Kierzkowski /Cornélius /‣ Fables nautiques /Marine Blandin /Delcourt /‣ Frank et le congrès des bêtes / Jim Woodring / L’Association /‣ La grandeguerre de Charlie / Pat Mills et Joe Colquhoun /Çà et Là /‣ Habibi / Craig Thompson /Casterman / ENTRETIEN PP. 28-29‣ Les Ignorants / Etienne Davodeau / Futuropolis /‣ L’Île aux cent mille morts / Jason et Fabien Vehlmann /Glénat /‣ L’Inscription / Chantal Montellier / Actes Sud /‣ Jonathan - Atsuko (ome 15) / Cosey / Le Lombard /‣ Joue avec moi / Eric Lambé / Frémok /‣ Julia et Roem / Enki Bilal /Casterman /‣ Lemon Jefferson et la grand aventure / Simon Roussin / 2024 /‣ Mezek / Juillard et Yann / Le Lomabard / ENTRETIEN PP. 20-21‣ Le Miroir de Mowgli / Ollie Schrauwen /Ouvroir Humoir /‣ Mister Wonderfull / Daniel Clowes /Cornélius /‣ Oui mais il ne bat que pour vous / Isabelle Pralong / L’Association /‣ Pendant ce temps-là à White River Junction /Max de radiguès / 6 Pieds sous Terre /‣ Polina / Bastien Vivès /KSTR/ ENTRETIEN PP. 30-31‣ Portugal / Cyril Pedrosa /Dupuis / ENTRETIEN PP. 24-25‣ Pour en finir avec le cinéma / Blutch /Dargaud /‣ Le protocole Pélican (tome 1) /Marazano et Ponzio /Dargaud /‣ La Rage - Amina (tome 1) / Pierre Boisserie et Malo Kerfriden / 12 bis /‣ Reportages / Joe Sacco / Futuropolis /‣ La Saga d’Atlas et Axis (tome 1) / Pau / Ankama /‣ Le Samouraï de Bambou (tome 7) / Taiyou Matsumoto et Issei Eifuku /Kana /‣ Seigneur Venin / Gabriel Dalmatius /Quadrants /‣ Servitude - Livre 3 : l’adieu aux rois /Eric Bourgier et Fabrice David / Soleil/‣ Skins Party / Thimothé Le Boucher /Manolosanctis /

‣ TMLP - Ta Mère La Pute / Gilles Rochier / 6 Pieds sous Terre /‣ Teddy Beat /Morgan Navarro / BDCul ­ Les ReuqinsMarteaux/

‣ Tônoharu / Lars Martinson / Lézard Noir /‣ Tu mourras moins bête - La science c’est pas du cinéma ! (tome 1) /Marion Montaigne / Ankama /

‣ Un bébé à livrer / Reineke / Vraoum !/‣ Une vie dans les marges (tome 1 et 2) / Yoshihiro Tatsumi /Cornélius /

‣ Une vie sans Barjot / Appollo et Oiry / Futuropolis /‣ Les vacances de Jésus et Bouddha (tome 2) / Hikaru Nakamura /Kurokawa /

‣ Valérian - L’armure du Jakolass /Manu Larcenet /Dargaud /‣ Voyageur - Omega (tome 13)

‣ Juanjo Guarnido, Eric Stalner, Pierre Boisserie / Glénat /

Sélection Polar‣ La bande à Foster / Conrad Botes et Ryk Hattingh / L’Association /‣ Canardo (tome 20) / Benoît Sokal /Casterman /‣ Les aventures d’El Spectro (tome 1) / Yves Rodier et Frédéric Antoine / Le Lombard /‣ La faute aux Chinois / François Ravard et Aurélien Ducoudray / Futuropolis /‣ Intrus à l’étrange / Simon Hureau / La Boîte à bulles /‣ Ô Dingos, Ô Châteaux ! / Tardi et Manchette / Futuropolis / ENTRETIEN PP. 18-19‣ Le Perroquet des Batignolles (tome 1) / Boujut, Tardi et Stanislas /Dargaud /‣ Le policier qui rit / Viot, Seiter, Sjöwall et Wahlöö /Rivages / Casterman /‣ Les racines du chaos (tome 1) / Cava et Segui /Dargaud /‣ Soil (tome 6) / Atsushi Kaneko / Ankama /

Sélection Jeunesse‣ Ariol - Chat méchant (tome 6) / Emmanuel Guibert et Marc Boutavant /Milan ­ BD Kids /‣ Chi, une vie de chat (tome 6) / Konami Kanata /Glénat /‣ Crime School (tome 1) /Morvan et Ooshima /Dargaud /‣ Eddy Milveux (tome 1) / Lisa Mandel /Milan ­ BD Kids /‣ Elinor et Jack (tome 2) /Mari Paz Villar /Delcourt /‣ Les Enfants d’Evernight (tome 1) / Andoryss et Yang /Delcourt /‣ Grenadine et Mentalo (tome 1) / Colonel Moutarde /Milan ­ BD Kids /‣ L’Île de Puki / Danjou et Djet / Vents d’Ouest /‣ Une épatante aventure de Jules - Un plan sur la comète (tome 6) / Emile Bravo /Dargaud / ENTRETIEN PP. 12-13‣ L’Odyssée de Zozimos / Christopher Ford /Çà et Là /‣ Le passeur d’âmes / Ced et Waltch /Makaka /‣ Paul au Parc /Michel Rabagliati / La Pastèque /‣ Les quatre de baker Street (tome 3) / Djian, Etien et Legrand / Vents d’Ouest /‣ Quatre soeurs (tome 1) /Malika Ferdjoukh et Cati Baur /Delcourt /‣ Le royaume (tome 3) / Benoît Féroumont /Dupuis /‣ Les souvernirs de Mamette (tome 2) / Nob /Glénat /‣ Tib et Tatoum (tome 1) / Grimaldi et Bannister /Glénat /‣ Ulysse / Christine Palluy et Benjamin Adam / BDKids /‣ Waluk / Emilio Ruiz et Ana Mirallès /Delcourt /‣ Zombillénium (tome 2) / Arthur de Pins /Dupuis / ENTRETIEN PP. 10-11

Sélection Patrimoine‣ Les deux du balcon / Francis Masse /Glénat /‣ La dynastie Donald Duck (tome 4) / Carl Barks /Glénat /‣ Et c’est pas fini ! / Pierre Guitton / le chant desmuses /‣ Kuzuryû / Shôtarô Ishinomori /Kana /‣ Nausea / Robert Crumb /Cornélius /‣ Snoopy et les Peanuts (tome 12) / Charles M. Schulz /Dargaud /‣ Sous notre atmosphère / Osamu Tezuka / Editions H /‣ Terry et les Pirates (tome 2) /Milton Caniff / Bdartist(e) /‣ Le voyage de Ryü (tome 5) / Shôtarô Ishinomori /Glénat /

Crédits illustrations‣ PP. 1, 2, 3 : Le fauve : © Lewis Trondheim – 9eArt / PP. 3­4 :©Art Spiegelman. ©Fred – Dargaud. © Fabian Göranson – Kolig Förlag 2010. ©Max. © Lewis Trondheim –9eArt + ©Hervé Di Rosa / PP. 6­9 : Art Spiegelman/Flammarion. Photo Art Spiegelman: © TimKnox / PP. 10­11 : © Arthur de Pins– Dupuis / PP. 12­13 :©Emile Bravo –Dupuis 2001 / PP. 14­15 :©Brüno – Dargaud 2011 / PP. 16­17 :©GuyDelisle –Delcourt 2011 / PP. 18­19 :©Tardi – Futuropolis 2011 / PP. 20­21 :©AndréJuillard – Le Lombard 2011 / PP. 22­23 :©Marc­AntoineMathieu­Delcourt 2011 /PP. 24­25 :©Cyril Pedrosa – Dupuis 2011 / PP. 26­27 :©Dupuis 2011 / PP.28­29 :©Craig Thompson – Casterman 2001 / PP. 30­31 :©Bastien Vivès/KSTR2011

Supplément spécial à La Libre Belgique et La Dernière Heure.Ne peut-être vendu séparément.Coordination rédactionnelle : Alain Lorfèvre.Rédaction : Olivier le Bussy, Hubert Leclercq, Alain Lorfèvre.Conception graphique : Jean-Pierre Lambert (responsable graphique)Directeur général : Denis Pierrard.Rédacteur en chef (La Libre Belgique): Vincent Slits.Rédacteur en chef (La Dernière Heure):Ralph Vankrinkelveldt.

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Sélection officielle‣ 3 Secondes /Marc-Antoine Mathieu /Delcourt / ENTRETIEN PP. 22-23‣ Aâma - L’odeur des la poussière chaude (tome 1) / Frederik Peeters /Gallimard/‣ Alec / Eddie Campbell /Ça et là /‣ Alter Ego - Camille /Benéteau, Reynès, Renders et Lapière /Dupuis / ENTRETIEN PP. 26-27‣ Les Amateurs / Brecht Evens / Actes Sud /‣ L’année du lèvre - Au revoir Phnom Penh (tome 1) / Tian /Gallimard /‣ L’art de voler / Antonio Altarriba et Kim /Denoël Graphic/‣ Atar Gull / Brüno et Fabien Nury /Dargaud / ENTRETIEN PP. 14-15

‣ Beauté - Désirs exaucés (tome 1) /Hubert et Kerascoët /Dupuis /‣ Bride Stories - tome 1 /Kaoru Mori /Ki­Oon /

‣ Le chanteur sans nom / Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez /Glénat /‣ Chroniques de Jérusalem /Guy Delisle /Delcourt / ENTRETIEN PP. 16-17

‣ Cité 14 Saison 2 - Chers corrompus (tome 1) / Pierre gabus et Romuald Reutimann / Les Humanoïdes Associés /‣ Coucous Bouzon / Anouk Ricard /Gallimard /‣ Dans la nuit la liberté nous écoute /Maximilien Le Roy / Le Lombard /‣ Le dernier cosmonaute / Aurélien Maury / Tanibis /‣ Doomboy / Tony Sandoval / Paquet /‣ En même temps que la jeunesse / Jean Harambat / Actes Sud /‣ En route pour le Goncourt /Mathieu Ephrem et Jean-François Kierzkowski /Cornélius /‣ Fables nautiques /Marine Blandin /Delcourt /‣ Frank et le congrès des bêtes / Jim Woodring / L’Association /‣ La grandeguerre de Charlie / Pat Mills et Joe Colquhoun /Çà et Là /‣ Habibi / Craig Thompson /Casterman / ENTRETIEN PP. 28-29‣ Les Ignorants / Etienne Davodeau / Futuropolis /‣ L’Île aux cent mille morts / Jason et Fabien Vehlmann /Glénat /‣ L’Inscription / Chantal Montellier / Actes Sud /‣ Jonathan - Atsuko (ome 15) / Cosey / Le Lombard /‣ Joue avec moi / Eric Lambé / Frémok /‣ Julia et Roem / Enki Bilal /Casterman /‣ Lemon Jefferson et la grand aventure / Simon Roussin / 2024 /‣ Mezek / Juillard et Yann / Le Lomabard / ENTRETIEN PP. 20-21‣ Le Miroir de Mowgli / Ollie Schrauwen /Ouvroir Humoir /‣ Mister Wonderfull / Daniel Clowes /Cornélius /‣ Oui mais il ne bat que pour vous / Isabelle Pralong / L’Association /‣ Pendant ce temps-là à White River Junction /Max de radiguès / 6 Pieds sous Terre /‣ Polina / Bastien Vivès /KSTR/ ENTRETIEN PP. 30-31‣ Portugal / Cyril Pedrosa /Dupuis / ENTRETIEN PP. 24-25‣ Pour en finir avec le cinéma / Blutch /Dargaud /‣ Le protocole Pélican (tome 1) /Marazano et Ponzio /Dargaud /‣ La Rage - Amina (tome 1) / Pierre Boisserie et Malo Kerfriden / 12 bis /‣ Reportages / Joe Sacco / Futuropolis /‣ La Saga d’Atlas et Axis (tome 1) / Pau / Ankama /‣ Le Samouraï de Bambou (tome 7) / Taiyou Matsumoto et Issei Eifuku /Kana /‣ Seigneur Venin / Gabriel Dalmatius /Quadrants /‣ Servitude - Livre 3 : l’adieu aux rois /Eric Bourgier et Fabrice David / Soleil/‣ Skins Party / Thimothé Le Boucher /Manolosanctis /

‣ TMLP - Ta Mère La Pute / Gilles Rochier / 6 Pieds sous Terre /‣ Teddy Beat /Morgan Navarro / BDCul ­ Les ReuqinsMarteaux/

‣ Tônoharu / Lars Martinson / Lézard Noir /‣ Tu mourras moins bête - La science c’est pas du cinéma ! (tome 1) /Marion Montaigne / Ankama /

‣ Un bébé à livrer / Reineke / Vraoum !/‣ Une vie dans les marges (tome 1 et 2) / Yoshihiro Tatsumi /Cornélius /

‣ Une vie sans Barjot / Appollo et Oiry / Futuropolis /‣ Les vacances de Jésus et Bouddha (tome 2) / Hikaru Nakamura /Kurokawa /

‣ Valérian - L’armure du Jakolass /Manu Larcenet /Dargaud /‣ Voyageur - Omega (tome 13)

‣ Juanjo Guarnido, Eric Stalner, Pierre Boisserie / Glénat /

Sélection Polar‣ La bande à Foster / Conrad Botes et Ryk Hattingh / L’Association /‣ Canardo (tome 20) / Benoît Sokal /Casterman /‣ Les aventures d’El Spectro (tome 1) / Yves Rodier et Frédéric Antoine / Le Lombard /‣ La faute aux Chinois / François Ravard et Aurélien Ducoudray / Futuropolis /‣ Intrus à l’étrange / Simon Hureau / La Boîte à bulles /‣ Ô Dingos, Ô Châteaux ! / Tardi et Manchette / Futuropolis / ENTRETIEN PP. 18-19‣ Le Perroquet des Batignolles (tome 1) / Boujut, Tardi et Stanislas /Dargaud /‣ Le policier qui rit / Viot, Seiter, Sjöwall et Wahlöö /Rivages / Casterman /‣ Les racines du chaos (tome 1) / Cava et Segui /Dargaud /‣ Soil (tome 6) / Atsushi Kaneko / Ankama /

Sélection Jeunesse‣ Ariol - Chat méchant (tome 6) / Emmanuel Guibert et Marc Boutavant /Milan ­ BD Kids /‣ Chi, une vie de chat (tome 6) / Konami Kanata /Glénat /‣ Crime School (tome 1) /Morvan et Ooshima /Dargaud /‣ Eddy Milveux (tome 1) / Lisa Mandel /Milan ­ BD Kids /‣ Elinor et Jack (tome 2) /Mari Paz Villar /Delcourt /‣ Les Enfants d’Evernight (tome 1) / Andoryss et Yang /Delcourt /‣ Grenadine et Mentalo (tome 1) / Colonel Moutarde /Milan ­ BD Kids /‣ L’Île de Puki / Danjou et Djet / Vents d’Ouest /‣ Une épatante aventure de Jules - Un plan sur la comète (tome 6) / Emile Bravo /Dargaud / ENTRETIEN PP. 12-13‣ L’Odyssée de Zozimos / Christopher Ford /Çà et Là /‣ Le passeur d’âmes / Ced et Waltch /Makaka /‣ Paul au Parc /Michel Rabagliati / La Pastèque /‣ Les quatre de baker Street (tome 3) / Djian, Etien et Legrand / Vents d’Ouest /‣ Quatre soeurs (tome 1) /Malika Ferdjoukh et Cati Baur /Delcourt /‣ Le royaume (tome 3) / Benoît Féroumont /Dupuis /‣ Les souvernirs de Mamette (tome 2) / Nob /Glénat /‣ Tib et Tatoum (tome 1) / Grimaldi et Bannister /Glénat /‣ Ulysse / Christine Palluy et Benjamin Adam / BDKids /‣ Waluk / Emilio Ruiz et Ana Mirallès /Delcourt /‣ Zombillénium (tome 2) / Arthur de Pins /Dupuis / ENTRETIEN PP. 10-11

Sélection Patrimoine‣ Les deux du balcon / Francis Masse /Glénat /‣ La dynastie Donald Duck (tome 4) / Carl Barks /Glénat /‣ Et c’est pas fini ! / Pierre Guitton / le chant desmuses /‣ Kuzuryû / Shôtarô Ishinomori /Kana /‣ Nausea / Robert Crumb /Cornélius /‣ Snoopy et les Peanuts (tome 12) / Charles M. Schulz /Dargaud /‣ Sous notre atmosphère / Osamu Tezuka / Editions H /‣ Terry et les Pirates (tome 2) /Milton Caniff / Bdartist(e) /‣ Le voyage de Ryü (tome 5) / Shôtarô Ishinomori /Glénat /

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Exposition Art SpiegelmanLe musée privé d’Art SpiegelmanGRAND PRIX DE LA VILLE D’ANGOULÊME l’an dernier,Art Spiegelman est le président du festival cette année. Acette occasion, une rétrospective majeure, la premièredu genre en Europe, lui est consacrée. L’exposition setiendra dans la cité charentaise jusqu’au 29 janvier,avant d’être accueillie au Centre Pompidou, à Paris, et devoyager à l’étranger. Parallèlement, la Cité internationalede la bande dessinée et de l’image d’Angoulême a pro­posé à Spiegelman de sélectionner dans la riche collec­tion de la Cité ceux des auteurs l’ayant influencé oumarqué. Ce “musée privé de l’histoire et de l’accomplis­sement de la bande dessinée” se promet foisonnant etinstructif, tant Spiegelman est aussi un théoricien et unhistorien avisé de son art. Cette exposition­là sera visibleà Angoulême jusqu’au 6 mai.

URétrospective Art Spiegelman, bâtiment Castro, rue deBordeaux, jusqu’au 29/01, de 10h à 19h. Au CentrePompidou, à Paris, du 21mars au 21mai.ULe musée privé d’Art Spiegelman, Cité internationale de labande dessinée et de l’image, jusqu’au 06/05

“Breakdowns” d’Art Spiegelman.

Fred l’enchanteurGRAND PRIX DU FESTIVAL D’ANGOULÊME en 1980, Fred demeurele grand poète de la bande dessinée française. A 80 ans bien tassés, iln’avait pas encore eu les honneurs d’une grande exposition. Oubliréparé, qui permettra de revenir sur la riche carrière de l’auteur dePhilémon, et qui devrait même permettre de découvrir en avant­pre­mière quelques planches de “Au train où vont les choses”, nouvelleaventure de son héros encore inédite.

UHôtel Saint­Simon, jusqu’au 29/01, de 10h à 19h

“Philémon”, de Fred

L’Europe se dessineLA BANDE DESSINÉE NE SE LIMITE PLUS, chacun le sait, àl’espace franco­belge. Pour autant, l’idée d’Europe y est­elleprésente et inspire­t­elle les artistes ? Sous ses dehors deprétexte institutionnel, cette exposition réunit une bellebrochette d’auteurs actuels, qui ont traité de trois thèmes : lesidées fondatrices de l’Europe, ses acquis et son futur – siincertain aujourd’hui. Bilal, Manara, Johan De Moor, Baru,Joost Swarte, Nix, Nicolas Mahler, Prado ou Cestac comptentparmi les contributeurs.

UPlace Saint Martial, jusqu’au 29/01, de 10h à 19h

Tebeos – Les bandes dessinées espagnolesAugust Strindberg et la bande dessinée suédoise

COMME POUR MIEUX ILLUSTRER “L’Europe sedessine” (lire ci­dessous), Angoulême braque sesprojecteurs aux antipodes du continent, en mettanten vedette l’Espagne, pour le Sud, et la Suède, pour leNord.

La scène espagnole est, de longue date, riche de ta­lents. Comme dans la majorité des disciplines artisti­ques, il faut chercher les sources de son renouveau etson développement actuel dans la fin du fran­quisme. Belle idée que de consacrer un parcours his­torique à près de quarante ans de création ibériquessur les planches, de Carlos Giménez à Juanjo Guar­nido, Kim ou Altattiba en passant par MiguelanxoPrado, daniel Torres ou Ruben Pellejero.

La découverte de la bande dessinée suédoise pas­sera par une exposition collective centrée autour dela figure de l’écrivain et dramaturge August Strind­berg.

UTebeos : Espace Franquin, salle iribe, jusqu’au 29/01,de 10h à 19hUAugust Strindberg : bâtiment Castro, jusqu’au 29/01puis à l’Institut suédois, Paris, du 08/02 au 15/04 Francesc Capdevila, dit Max,

un des pionniers de la BD engagée espagnole.

HervéDi RosaGRAPHISTE, PLASTICIEN, CON­CEPTEUR DE “L’ART MODESTE”et de la Figuration libre, affilié augroupe Bazooka, Hervé Di Rosafait fi des frontières entre discipli­nes artistiques, mixant bandedessinée, rock et graffiti dans unjoyeux feu d’artifice visuel. Res­tant attaché aux modes de pro­duction et de diffusion de l’édi­tion, Di Rosa eut même, six nu­méros durant, son“DiRosaMagazine”, qui donne sontitre à cette exposition forte d’unecentaine d’originaux.

UMusée d’Angoulême, jusqu’au30/04, de 10h à 19h

Hervé Di Rosa.

“Inferno” d’August Strindberghs,adapté par Fabian Göranson.

Les temps fortsd’Angoulême2012

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L’Europe se dessineLA BANDE DESSINÉE NE SE LIMITE PLUS, chacun le sait, àl’espace franco­belge. Pour autant, l’idée d’Europe y est­elleprésente et inspire­t­elle les artistes ? Sous ses dehors deprétexte institutionnel, cette exposition réunit une bellebrochette d’auteurs actuels, qui ont traité de trois thèmes : lesidées fondatrices de l’Europe, ses acquis et son futur – siincertain aujourd’hui. Bilal, Manara, Johan De Moor, Baru,Joost Swarte, Nix, Nicolas Mahler, Prado ou Cestac comptentparmi les contributeurs.

UPlace Saint Martial, jusqu’au 29/01, de 10h à 19h

Tebeos – Les bandes dessinées espagnolesAugust Strindberg et la bande dessinée suédoise

COMME POUR MIEUX ILLUSTRER “L’Europe sedessine” (lire ci­dessous), Angoulême braque sesprojecteurs aux antipodes du continent, en mettanten vedette l’Espagne, pour le Sud, et la Suède, pour leNord.

La scène espagnole est, de longue date, riche de ta­lents. Comme dans la majorité des disciplines artisti­ques, il faut chercher les sources de son renouveau etson développement actuel dans la fin du fran­quisme. Belle idée que de consacrer un parcours his­torique à près de quarante ans de création ibériquessur les planches, de Carlos Giménez à Juanjo Guar­nido, Kim ou Altattiba en passant par MiguelanxoPrado, daniel Torres ou Ruben Pellejero.

La découverte de la bande dessinée suédoise pas­sera par une exposition collective centrée autour dela figure de l’écrivain et dramaturge August Strind­berg.

UTebeos : Espace Franquin, salle iribe, jusqu’au 29/01,de 10h à 19hUAugust Strindberg : bâtiment Castro, jusqu’au 29/01puis à l’Institut suédois, Paris, du 08/02 au 15/04 Francesc Capdevila, dit Max,

un des pionniers de la BD engagée espagnole.

HervéDi RosaGRAPHISTE, PLASTICIEN, CON­CEPTEUR DE “L’ART MODESTE”et de la Figuration libre, affilié augroupe Bazooka, Hervé Di Rosafait fi des frontières entre discipli­nes artistiques, mixant bandedessinée, rock et graffiti dans unjoyeux feu d’artifice visuel. Res­tant attaché aux modes de pro­duction et de diffusion de l’édi­tion, Di Rosa eut même, six nu­méros durant, son“DiRosaMagazine”, qui donne sontitre à cette exposition forte d’unecentaine d’originaux.

UMusée d’Angoulême, jusqu’au30/04, de 10h à 19h

Hervé Di Rosa.

“Inferno” d’August Strindberghs,adapté par Fabian Göranson.

Les temps fortsd’Angoulême2012

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cela que je suis très honoré d’être le président d’Angoulême cetteannée. Ce qui m’effraie, c’est que comme beaucoup d’amisauteurs français me l’ont confié, être président du festival, c’estêtre aspiré par un trou noir durant un an. Quand on m’a appeléchez moi l’année dernière pour me l’annoncer, et me demanderde réagir le lendemain par téléphone, j’ai dit : “Super, merci”.Mon ego a eu sa petite poussée de fièvre. Mais ma femme [la Fran­çaise François Mouly, NdlR, directrice artistique du “New Yor­ker”] a hurlé “Merde !” (en français dans le texte). Elle en savaitplus long que moi, évidemment… J’ai essayé d’éviter de marchersur les pas de Robert Crumb [notoirement un président “fan­tôme”] après lequel les organisateurs du festival avaient juré qu’iln’y aurait plus de président américain. Comme ils sont revenussur cette promesse, j’ai fait de mon mieux.

Artistiquement, vous considérez-vous vraiment comme Américain ?Comme je le dis souvent : je vis sur une petite île appelée Manhat­tan sur la côte est des Etats­Unis. C’est un pays intéressant parbien des aspects, mais un peu délirant. Cela reste par exemple unmystère à mes yeux que sa population y reste à ce point opposé àune couverture sociale digne de ce nom, comme vous en avez ici.Ça m’effraie aussi de voir combien vous pouvez suivre les Etats­Unis sur certains points, comme l’interdiction de fumer danstous les lieux publics désormais. Mais les hot­dogs français sontmeilleurs… (rires)

Pensez-vous que le statut de la bande dessinée a changé depuis que vousavez obtenu le succès avec “Maus”, une des premières bandes dessinées àavoir connu un retentissement en dehors du milieu ?

Oui, les choses ont changé, d’une manière peut­être un peu para­doxale. Dans la mesure où la culture et les arts sont nivelés vers lebas, la bande dessinée qui était considérée comme un art mineurfait maintenant partie du haut de la pile. Dans ce monde de laculture postmoderne, je trouve qu’un art narratif comme labande dessinée s’impose plus naturellement à tout un chacun.Elle était l’enfant bâtard de l’art et du commerce de masse. Maisaujourd’hui tout art l’est devenu. Les bandes dessinées sont plusque jamais un moyen d’expression personnelle original. Un autrephénomène qui me frappe, c’est qu’à l’heure où tous les éditeurspaniquent face à la perspective de la mort annoncée du livre, latechnologie qui le menace est aussi celle qui permet la réalisationet la production des plus beaux livres qui soient depuis le Moyen­Âge. Je dessine d’abord pour être publié dans des livres, pas pour

être exposé sur des cimaises.

Pourquoi la bande dessinée est-elle un médium si populaire ?Je crois sincèrement que les bandes dessinées reflètent la ma­nière dont le cerveau fonctionne. Nous pensons avec des imagesdans la tête. Ma femme Françoise est abonnée au “Science Maga­zine”. Dernièrement, elle m’a parlé d’une expérience réalisée surdes bébés où l’on avait constaté que les nourrissons reconnais­saient plus vite l’image d’un smiley que le visage de leur propremère. Nous sommes prédéterminés à la reconnaissance des ima­ges. Et les bandes dessinées permettent une articulation d’unlangage conforme aux mécanismes de notre cerveau. Cela meparaît élémentaire quand on constate à quel point les bandesdessinées sont populaires dans des contextes culturels pourtanttrès différents. Je considère la bande dessinée comme un mé­dium extrêmement puissant et je constate que cette puissanceest de mieux en mieux exploitée.

Vous demeurez à ce jour le seul auteur de bande dessinée à avoir reçu unprix Pulitzer.

Un prix spécial. Comme l’a noté Jules Pfeiffer dans une de ses il­lustrations, un Pulitzer c’est : 1. Un permis de tuer. 2. Le début devotre notice nécrologique (rires). Pour vous situez les choses,laissez­moi vous dire qu’aux Etats­Unis il m’arrive encore fré­quemment d’être présenté à des gens qui me disent : “C’est telle­ment intimidant de rencontrer un prix Nobel !”

Que lisez-vous ?Je n’ai pas beaucoup de hobbies. Quand j’ai du temps libre – car jesuis un illustrateur très laborieux –, je lis des bandes dessinées.Mais pour l’instant, je suis intéressé par les sciences cognitives.C’est une activité en pleine croissance. L’un de mes projets à mevenir est de travailler avec un chercheur en sciences cognitivespour tenter d’analyser comment les bandes dessinées sont per­çues et analysées par le cerveau. J’aimerais comprendre cela unpeu mieux, car je suis vraiment obsédé à l’idée de réaliser desbandes dessinées qui soient le mieux perçues par le lecteur.

Comment avez-vous vécu le succès de “Maus” ?Maus, c’est comme vivre en permanence avec une souris de 250kilos sur le dos. Mon rapport à Maus est vraiment ambivalent. Jeme sens parfois comme un joueur de blues dont le titre à succèsservirait de fond musical à une pub pour Lexus mais dont per­

Art majeur

15 février 1948 : Naissance à Stockholm, en Suède, d’Art Spiegelman, filsd’Anja et Vladek Spiegelman, rescapés d’Auschwitz.1968 : Suicide de sa mère, qui ne s’est jamais remise de l’épreuve de ladéportation et de la mort de son jeune fils Richieu durant la SecondeGuerre mondiale. Art fait une dépression nerveuse.1972 : Parution de son court récit underground “Prisoner on the HellPlanet”, sur le suicide de sa mère.1976 : Commence des entretiens avec son père sur l’expérience de celui-cidurant la Shoah. Commence à dessiner “Maus”.1980 : Lance la parution de “Raw”, anthologie d’illustrations et de bandesdessinées, avec sa femme, Françoise Mouly.1982 : Mort de son père alors qu’il travaille sur “Maus”.1986 : Parution aux Etats-Unis du premier tome de “Maus, A Survivor’sTale”. Traduit en français l’année suivante. Le deuxième tome paraît en1991.1992 : Prix Pulitzer pour les deux tomes de “Maus”.1993 : Commence à signer des illustrations de couverture pour “The NewYorker”.2001: Signe la couverture du “New Yorker” du 24 septembre 2001, sur lesattentats du 11-Septembre : la silhouette noire des tours du World TradeCenter, embossée, se détache sur un fond noir. Cette illustration estcataloguée par l’American Society of Magazine Editors comme l’une desdix meilleures des quarante dernières années.2002 : “A l’ombre des tours mortes” sur les lendemains des attentats du11 septembre 2001.2011 : Grand Prix de la Ville d’Angoulême.

ArtSpiegelman

Documentation et crayonné pour “Maus”.

Suite en page 8

ART SPIEGELMAN, QUI A REMPORTÉ EN 2011 le Grand Prix dufestival d’Angoulême, est le seul artiste américain, avec RobertCrumb en 1999, à jamais avoir été récompensé par ce prix quilui vaut, cette année, d’être le président du 39e Festival d’An­goulême. Pince­sans­rire, l’auteur new­yorkais déclarait en no­vembre dernier qu’il espérait faire mieux que son prédécesseur– dont le passage dans la cité charentaise n’a pas laissé lesmeilleurs souvenirs aux organisateurs. Avec Art Spiegelman, nuldoute que le festival dispose d’un président très impliqué, sinonle plus impliqué de son histoire. Père du mythique “Maus”, évo­cation de la Shoah au travers des souvenirs de son père, qui luivalut en 1992 le seul prix Pulitzer attribué à une BD, Art Spiegel­man est aussi un intellectuel de haut vol, doublé d’un bédéphilepassionné, collectionneur et connaisseur avisé de son art.

A l’occasion de sa présidence, le Festival lui consacre une ré­trospective, la plus grande jamais présentée en Europe. Onpourra y découvrir des archives exceptionnelles, notammentsur sa production durant la période underground des années 60­début des années 70. Cet événement coïncide avec la parutionen français de “MetaMaus” (éd. Flammarion), ouvrage­sommed’entretiens entre Art Spiegelman et l’historienne Hillary Chute,autour de la genèse et de la conception de “Maus”, dont on fêtecette année les vingt­cinq ans de parution.

En décembre dernier, Art Spiegelman est revenu lors d’uneconférence de presse sur son parcours, sa vision de cette 39e édi­tion du Festival d’Angoulême et la bande dessinée en général.

Vous êtes considéré comme un monument en France et en Belgique.C’est ce qu’on me dit, mais je n’y crois jamais. Je peux sécherune année sur une idée de dessin. J’essaie de faire de monmieux chaque jour. C’est tout.

Que représente pour vous le fait d’être président du festival d’An-goulême ?

C’est à la fois un honneur et une corvée (rires). Depuis des dé­cennies, la France, en général m’est apparue comme la capi­tale de la bande dessinée, en dehors de Tokyo peut­être. LAvision de la bande dessinée est différente ici. Quand j’étaisplus jeune et célibataire et que j’essayais de draguer dans lesbars, dire que je faisais de la bande dessinée aurait réduit ànéant toute tentative ! Il valait mieux dire que j’étais plom­bier. Ici, c’est peut­être le bossu de la famille, mais l’auteur debande dessinée est considéré comme un artiste. C’est pour

Etude pour la couverture de la première édition de “Maus”. Extrait de “Maus”.

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être exposé sur des cimaises.

Pourquoi la bande dessinée est-elle un médium si populaire ?Je crois sincèrement que les bandes dessinées reflètent la ma­nière dont le cerveau fonctionne. Nous pensons avec des imagesdans la tête. Ma femme Françoise est abonnée au “Science Maga­zine”. Dernièrement, elle m’a parlé d’une expérience réalisée surdes bébés où l’on avait constaté que les nourrissons reconnais­saient plus vite l’image d’un smiley que le visage de leur propremère. Nous sommes prédéterminés à la reconnaissance des ima­ges. Et les bandes dessinées permettent une articulation d’unlangage conforme aux mécanismes de notre cerveau. Cela meparaît élémentaire quand on constate à quel point les bandesdessinées sont populaires dans des contextes culturels pourtanttrès différents. Je considère la bande dessinée comme un mé­dium extrêmement puissant et je constate que cette puissanceest de mieux en mieux exploitée.

Vous demeurez à ce jour le seul auteur de bande dessinée à avoir reçu unprix Pulitzer.

Un prix spécial. Comme l’a noté Jules Pfeiffer dans une de ses il­lustrations, un Pulitzer c’est : 1. Un permis de tuer. 2. Le début devotre notice nécrologique (rires). Pour vous situez les choses,laissez­moi vous dire qu’aux Etats­Unis il m’arrive encore fré­quemment d’être présenté à des gens qui me disent : “C’est telle­ment intimidant de rencontrer un prix Nobel !”

Que lisez-vous ?Je n’ai pas beaucoup de hobbies. Quand j’ai du temps libre – car jesuis un illustrateur très laborieux –, je lis des bandes dessinées.Mais pour l’instant, je suis intéressé par les sciences cognitives.C’est une activité en pleine croissance. L’un de mes projets à mevenir est de travailler avec un chercheur en sciences cognitivespour tenter d’analyser comment les bandes dessinées sont per­çues et analysées par le cerveau. J’aimerais comprendre cela unpeu mieux, car je suis vraiment obsédé à l’idée de réaliser desbandes dessinées qui soient le mieux perçues par le lecteur.

Comment avez-vous vécu le succès de “Maus” ?Maus, c’est comme vivre en permanence avec une souris de 250kilos sur le dos. Mon rapport à Maus est vraiment ambivalent. Jeme sens parfois comme un joueur de blues dont le titre à succèsservirait de fond musical à une pub pour Lexus mais dont per­

Art majeur

15 février 1948 : Naissance à Stockholm, en Suède, d’Art Spiegelman, filsd’Anja et Vladek Spiegelman, rescapés d’Auschwitz.1968 : Suicide de sa mère, qui ne s’est jamais remise de l’épreuve de ladéportation et de la mort de son jeune fils Richieu durant la SecondeGuerre mondiale. Art fait une dépression nerveuse.1972 : Parution de son court récit underground “Prisoner on the HellPlanet”, sur le suicide de sa mère.1976 : Commence des entretiens avec son père sur l’expérience de celui-cidurant la Shoah. Commence à dessiner “Maus”.1980 : Lance la parution de “Raw”, anthologie d’illustrations et de bandesdessinées, avec sa femme, Françoise Mouly.1982 : Mort de son père alors qu’il travaille sur “Maus”.1986 : Parution aux Etats-Unis du premier tome de “Maus, A Survivor’sTale”. Traduit en français l’année suivante. Le deuxième tome paraît en1991.1992 : Prix Pulitzer pour les deux tomes de “Maus”.1993 : Commence à signer des illustrations de couverture pour “The NewYorker”.2001: Signe la couverture du “New Yorker” du 24 septembre 2001, sur lesattentats du 11-Septembre : la silhouette noire des tours du World TradeCenter, embossée, se détache sur un fond noir. Cette illustration estcataloguée par l’American Society of Magazine Editors comme l’une desdix meilleures des quarante dernières années.2002 : “A l’ombre des tours mortes” sur les lendemains des attentats du11 septembre 2001.2011 : Grand Prix de la Ville d’Angoulême.

ArtSpiegelman

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Extrait de “Maus”.

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Bibliographie

‣ Maus, un survivant raconte, édition intégrale, Flammarion, 1996‣ Little Lit, 2 tomes, éd. du Seuil, 2002-2005‣ À l’ombre des tours mortes, Casterman, 2004‣ Breakdowns, Casterman, 2008‣ Be a Nose !, les Carnets Secrets de Art Spiegelman, coffret, Casterman,2009‣ MetaMaus, avec Hillary Chute, Flammarion, 2012

sonne n’aurait entendu les autres compositions. D’un côté, jesuis fier de ce travail qui a exigé treize ans de travail, et d’unautre côté, j’ai essayé de ne pas trahir ce travail tout en explo­rant d’autres espaces en dehors de son ombre écrasante. Laplus récente tentative fut d’essayer de répondre une fois pourtoutes dans “MetaMaus” à ces questions récurrentes : pour­quoi traiter de l’holocauste, pourquoi le faire en bande dessi­née, pourquoi le faire avec des souris ? Maintenant, quand onme demande : “pourquoi avez­vous dessiné les Polonais sousforme de cochon ?”, je peux répondre : “lisez la page 121 de“MetaMaus”…”.

A propos de “Maus” et de son impact, vous avez souvent dit qu’il s’agitpour vous de “survivre aux survivants” qu’étaient vos parents…

Une des phrases qui revenaient souvent durant mon enfanceétait “Plus jamais ça”. Au début des années 90, quand ledeuxième tome de “Maus” est sorti, je me souviens que j’étaisen France avec Françoise. Nous avons vu à la télévision lesimages de charniers en Bosnie. Je n’ai jamais eu la prétentionde changer le monde avec “Maus”. Mon intention était de té­moigner à travers l’histoire de mes parents d’un fait histori­que. Quand j’ai entamé le travail sur Maus, à la fin des annéesseptante, il n’était pas encore très fréquent de parler de l’ho­locauste dans des médias populaires [la série “Holocauste” futdiffusée à la télévision américaine parallèlement aux débutsde “Maus”]. Aujourd’hui, aux oscars, on a chaque année unfilm qui peut prétendre à l’oscar du meilleur film sur l’Holo­causte. Le genre n’existait pas quand j’ai entamé ce travail.

Vous pratiquez le second degré, mais êtes-vous aussi cynique dans lavie de tous les jours ?

Non. Je profite généralement bien de mon verre à moitiéplein…

Vous avez dit que votre père vous avait en quelque sorte amené à fairede la bande dessinée, parce qu’il vous répétait que vous deviez pou-voir faire votre valise rapidement au cas où…

Il a dit plus précisément : “tu dois apprendre à bien faire tavalise”. Ce n’était pas une question de rapidité, mais d’effica­cité. La rapidité, malheureusement, c’est un échec : je suisquelqu’un de très lent. Mon idée était donc de pouvoir medéplacer avec tout ce qui était nécessaire dans une petiteboîte. Ce qui est facile avec des crayons et des pinceaux…

Quels sont les artistes français ou européens qui vous intéressent ?Il y en a beaucoup. “Raw Magazine” fut d’ailleurs un prétextepour venir en Europe (et d’abord pour faire rester à New YorkFrançoise, qui est devenu ma femme). Quand j’ai vu ce quiétait produit en matière de bande dessinée ici, je fus fasciné.Mariscal, Mattotti, Tardi sont des artistes que nous avons pu­bliés. Mattotti est un artiste pour lequel j’ai beaucoup d’ad­miration et qui m’a énormément appris. Il travaille dans unetradition très européenne, qui reste proche des beaux­arts,très éloignée de l’approche américaine. Aujourd’hui, j’adoreBlutch, un très grand artiste. Trondheim est intéressant.J’aime Moebius, aussi. Pas son œuvre avec Blueberry, mais lamanière dont il s’est réinventé avec Moebius. Baru, Muñoz…Le Belge Brecht Evens, dont le travail est très intéressant. Enrésumé : tous ceux qui tentent d’explorer de nouvelles ma­nières d’articuler images et mots.

Lorsque Maus fut publié aux Etats-Unis, il fut repris dans la liste desbest-sellers du “New York Times”, mais dans la catégorie “fiction”.

Oui. J’étais évidemment ravi que “Maus” figure parmi lesbest­sellers, mais cette catégorie fiction me gênait, bien sûr.J’ai écrit une lettre au “New York Times” pour leur expliquerque si leurs catégories avaient été “littérature” et “non littéra­ture”, cela ne m’aurait posé aucun problème. Mais qualifierl’histoire de mon père pour laquelle j’avais en outre effectuéde nombreuses recherches, je ne pouvais pas admettre êtredans la catégorie “fiction”. Un ami qui travaillait au “New

York Times” m’a expliqué qu’il y avait eu un débat intense sur laquestion. Et qu’une personne en particulier était opposée à la pré­sence de “Maus” dans la catégorie “non­fiction”. Son argumentétait que s’il venait sonner chez moi et qu’une souris géante ouvraitla porte, alors il admettrait qu’on place “Maus” dans la catégorie“non­fiction” ! (rires)

Vous avez toujours été opposé à une adaptation de “Maus” au cinéma. Est-cetoujours le cas ?

Je garde une copie de Maus sous verre avec la mention suivante :“En cas d’urgence économique, brisez le verre”. (Rires) Mon pèrem’a toujours dit de me méfier des multinationales… Je n’ai riencontre le cinéma. Je vois d’ailleurs beaucoup de films que j’appré­cie. Mais la question serait vraiment de savoir si “Maus” peut êtretransposé de manière convaincante à l’écran. Contrairement à unevision communément admise, je ne considère pas la bande dessi­née comme l’équivalent d’un story­board. Il y a un degré d’abstrac­tion dans la bande dessinée qui, je crois, emmènerait “Maus” dansun tout autre espace. La transposition au cinéma implique un re­tour à un degré de réalisme qui atténuerait cette abstraction.Quand certaines choses tendent à être trop réelles, elles finissentpar être irréelles.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous souhaitez réaliser entant que président d’Angoulême.

Les bandes dessinées sont à la frontière entre l’art et le commerce.Il est important pour moi d’insister sur la dimension artistique dela bande dessinée. J’ai tenu à inviter des gens comme Chris Ware,qui réalise quelques­unes des plus belles bandes dessinées aumonde, Charles Burns, dont les œuvres mêlent habilement l’esthé­tique du passé pour représenter les angoisses du présent. Et JoeSacco qui a démontré radicalement que la bande dessinée peut êtreaussi du journalisme. Une autre chose dont je suis fier est d’avoirjeté un pont entre les deux rives de… d’Angoulême, entre le Muséeinternational de la bande dessinée d’Angoulême et le festival quiont mis leurs efforts en commun pour organiser la rétrospectiveautour de mon travail. Le musée est généralement réservé au patri­moine franco­belge de la bande dessinée, mais cette année il mon­trera un parcours historique dans la bande dessinée américaine,dont beaucoup d’œuvres oubliées qui remontent à l’époque dessuppléments dominicaux et vont jusqu’à l’underground des an­nées 60 et 70, que peu de gens ici ont eu l’occasion de voir.

La préparation de cette rétrospective vous a-t-elle donnée envie de revenir àcertains aspects antérieurs de votre œuvre ?

En réalité, je vois mon travail comme un flot continu. “Maus” a étéformellement une forme d’aboutissement auquel menait tout ceque j’avais fait auparavant et dont les lecteurs francophones ont pudécouvrir une partie dans “Breakdowns”. La recherche formellesur le potentiel narratif de la bande dessinée a toujours guidé montravail et continue de le faire. Je ne suis pas un peintre. Je ne tra­vaille pas pour les cimaises, mais pour les livres. L’exposition mon­trera aussi le processus créatif. C’est une opportunité pour moi demontrer les différentes étapes qui mènent au travail final. Je peuxretravailler dix fois la même page pendant qu’un autre dessinateurfera dix planches…

Alain Lorfèvre, à Paris

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CEUX QUI FRÉQUENTENT LES SALLES OBSCURES des festivals connaissaient Arthur de Pins pour ses courts métrages d’ani­mation : “Géraldine” (2000), désopilante saga d’un garçon qui se réveille un matin dans la peau d’une fille (prix du meilleurfilm de fin d’études à Annecy en 2001), ou “La révolution des crabes” (2004, Prix du Public à Annecy et Grand Prix à Anima),réflexion sur le sens de la vie des pachygrapsus marmoratus, à la démarche omnidirectionnelle. Ensuite, il se fait un nomcomme l’un des premiers auteurs de bande dessinée à produire ses planches uniquement sur Illustrator, programme infor­matique de graphisme. Pour casser l’idée reçue selon laquelle toute création sur ce support serait froide, de Pins crée “Péchésmignons”, série joyeusement érotique, sur les obsessions de working girls très portées sur la chose. Puis, vint l’année dernière“Zombillenium”, centrée sur un groupe de monstres rock’n’roll, animant un parc d’attraction dans le nord de la France. Suc­cès immédiat, qui débouche en cette rentrée sur un deuxième tome qui, loin de surfer sur la recette du premier, impose unrécit à l’orientation différente et nous en fait découvrir un peu plus sur les antécédents de certains membres du parc, con­frontés à l’hostilité des habitants du coin.

A l’origine, Zombillénium, c’est d’abord une couverture un Spirou spécial Halloween en 2008…Frédéric Niffle, le rédacteur en chef de Spirou m’avait proposé de faire cette couverture. Cela tombait à pic. Jusque­là j’étaiscantonné à la bande dessinée adulte. J’ai pris beaucoup de plaisir à la dessiner. Et lui m’a proposé d’en faire une série. Lespersonnages qui étaient sur la couverture sont devenus les héros de la série.

Vous n’aviez donc aucune idée préconçue en tête ?Non. L’idée est vraiment venue quand il m’a proposé d’en faire un album. Je n’avais par exemple pas encore l’idée du parcd’attraction. Quand j’ai commencé à réfléchir à un scénario, j’ai eu envie de ne pas me retrouver avec un scénario fantasti­que, mais bien de confronter ces monstres à un univers terre à terre, celui de l’entreprise. C’est ce décalage, qu’on voitbeaucoup dans les séries télé américaines. En discutant avec les auteurs de bande dessinée de ma génération, je constateque nous sommes tous très influencés par les séries télé, plus que par la littérature, le cinéma ou la bande dessinée. Ce quiest intéressant, c’est que je pars des clichés du genre mais en les plaçant dans un parc d’attraction, j’obtiens tout de suitequelque chose de différent.

Cette différence est d’ailleurs au cœur du présent album.C’est le thème, oui : le rejet de l’altérité. C’est une métaphore de la xénophobie. On retrouve cette thématique dans beau­coup d’œuvres qui mettent en scène des monstres, comme le film “Freaks” de Tod Browning. L’idée est que les vrais mons­tres ne sont pas ceux qui en ont l’apparence, mais les humains.

Vous faites partie d’une génération d’auteurs pluridisciplinaires. Que devient votre carrière de réalisateur de cinéma d’animation ?J’ai fait trois courts métrages et j’ai pris beaucoup de plaisir à les faire. Mais cela prend énormément de temps en termes deréalisation. C’est un investissement que je ne peux plus vraiment me permettre. La plupart des gens que je connais ont faitdes courts métrages entre vingt et trente ans. Après, soit vient l’opportunité de faire un long métrage, soit on revient à l’il­lustration ou à la bande dessinée. Benoît Féroumont, qui est aussi édité chez Dupuis (avec “Le Royaume”, NdlR), est un peudans une situation similaire. La bande dessinée est plus spontanée, moins chère, et c’est une œuvre sur laquelle on a unetotale maîtrise.

Dupuis a un département audiovisuel qui produit des séries animées. N’y a-t-il pas de projet de transposer Zombillénium en dessin animé?

Oui, on en parle avec Sergio Honorez, l’actuel rédacteur en chef de Spirou et directeur éditorial. J’ai conservé les droits del’adaptation audiovisuelle. Un ami producteur à Paris caresse aussi l’idée d’un long métrage. Mais rien n’est fait, loin de là.

Vous réalisez vos bandes dessinées sur Illustrator. Utilisez-vous encore le crayon ?Je passe toujours par l’étape du crayonné pour le story­board. Il me sert juste de repère. Je ne scanne pas. Toute la partiegraphique est exclusivement réalisée sur Illustrator. Je réalise quelques effets sur Photoshop – par exemple les effets de cielde la couverture du tome 2. Ma feuille blanche, c’est l’écran blanc. Je trouve une certaine dynamique sur Illustrator que jene retrouve pas avec le crayon. Disons que c’est la même différence qu’entre un piano et un synthé. Moi, je joue du synthé,mais ça reste de la musique. Illustrator est un outil en soi qui permet de faire quelque chose que je ne pourrais pas obtenirau crayon. C’est un programme gigantesque : après dix ans, je découvre encore des fonctionnalités. Illustrator permettraitd’agrandir les planches à une taille gigantesque puisqu’il n’y a pas de pixel : ce sont des courbes vectorielles. Le revers de lamédaille, c’est que comme on peut zoomer à l’infini, on peut passer des heures sur un détail que personne ne verra !

Combien de temps vous prend un tel album ?Celui­ci, environ dix mois. L’accouchement a été un peu douloureux en termes de scénario. J’étais parti sur deux histoiresparallèles avec un twist à la fin. J’ai eu le tort de changer un détail au début. J’ai dû tout réécrire, alors que le premier chapi­tre était déjà paru dans “Spirou” ! Je me suis un peu pris la tête. Mais c’était passionnant. J’aime bien cette quasi­simulta­néité entre la réalisation et la parution dans l’hebdo, car cela suscite un retour direct des lecteurs. Ça devient rare et jetrouve ça enthousiasmant.

Alain Lorfèvre (Première parution : le 15/09/11)

C’est pas sorcier

Arhtur de PinsRessources humaines (tome 2), 48 pages, 13,95 €

Zombillénium

h Arthur de Pins confirme le succès du premier tomede sa série monstre.

L’ex­cinéaste d’animation est un apprenti sorcierdoué de la bande desssinée sur Illustrator.

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Arhtur de PinsRessources humaines (tome 2), 48 pages, 13,95 €

Zombillénium

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Emile Bravo,“Les épatantes aventures de Jules”, t.6, Dargaud, 80 pages, 15 €

Un plan sur la comète

AU RISQUE DE RÉPÉTER CE QUE NOUS ÉCRIVIONS EN JUIN 2006: “Les épatantes aventures de Jules” portent décidément très bienleur nom. Leur auteur, le Français Emile Bravo – auquel on doit éga­lement une formidable réécriture des origines de “Spirou” – par­vient à mêler avec bonheur vulgarisation scientifique, fantaisie, hu­mour finaud et action débridée. Pour divertissante qu’elle soit, cettebande dessinée n’en parie pas moins sur l’intelligence de ses jeunes(et moins jeunes) lecteurs et les invite à exercer leur sens critique.Dans “Un plan sur la comète”, sixième volet de la série, Jules le pré­ado et son amoureuse Janet doivent convaincre les extraterrestresque l’humanité mérite d’être sauvée, alors qu’une menaçante co­mète file à vive allure vers la Terre. Une manière, pour Bravo, de rap­peler, en filigrane, que c’est la tâche de tous de rendre le mondemeilleur.

Vous vous considérez comme un auteur pédagogue ?Le but du jeu est d’éveiller un peu les consciences, de titiller l’in­telligence des gamins. Le principal problème de l’Homme, c’estson ego, l’anthropocentrisme. Comme un enfant, il pense qu’il estle centre du monde, en fait. Avec “Jules”, j’essaie d’amener les en­fants à relativiser leur place et à leur faire comprendre qu’ils vi­vent avec les autres. Je cherche aussi à parler de notre monde telqu’il est. Ça m’énerve, les parents qui cherchent à préserver lesenfants. Au contraire, il faut les préparer. Pendant l’enfance, toutest beau et puis on se rend compte qu’on vit dans un monde dur,et on se demande pourquoi, on nous l’a caché. Les parents fontpartie du système, c’est un véritable complot (rires). Il faut re­nouer avec l’origine des contes : ils étaient horribles parce que lavie était horrible. Raconter des histoires qui remettent les enfantsen question, qui les sortent de leur petit cocon, c’est leur rendreservice. Et puis les amener à changer le monde, parce que là, çasuffit. Le gaspillage des ressources de la planète, la destruction denotre propre écosystème, n’importe quel enfant peut se rendrecompte que c’est complètement idiot.

“Jules” aborde des sujets sérieux, mais l’univers dans lequel il évolue estjoyeusement farfelu. Tout le monde n’a pas la chance de compter des extra-terrestres parmi ses amis…

Parmi les dizaines de profs de notre scolarité, ceux qui nous mar­quent le plus, ce sont ceux qui avaient le sens de l’humour et durecul. Etre didactique, c’est sympa, mais si en plus on a ri en ap­prenant quelque chose, on a gagné. Tim et Salsifi (les extraterres­tres) ouvrent le champ des possibles au niveau du scénario. Maisils incarnent aussi l’image du grand frère protecteur. Quelqu’unqui ne nous infantilise pas. Qui nous dit : “Vous avez toutes les ar­mes pour gérer votre avenir”, plutôt que : “Fais ci, fais ça, mets­toidans telle case”. Tim et Salsifi ont l’omniscience, mais ce n’est paspour ça qu’ils s’en gargarisent, au contraire. Leur discours, c’estplutôt : “Vous pourriez être comme nous, mais vous perdez dutemps à faire n’importe quoi”.

Les parents et frère et sœurs de Jules et de Janet sont, eux, un peu désespé-rants.

La famille n’est pas nécessairement un refuge. Il y a des enfantsqui ont bien de la chance d’avoir des parents équilibrés, mais detoute façon, tous les parents ont leurs problèmes. C’est une façonde dire : “Ne comptez pas sur vos parents, construisez­vous vous­même”.

Jules est une bande dessinée subversive ?Ça l’est si on est conservateur. Mais si on essaie d’utiliser son in­telligence, si on se sert de son raisonnement; on se rend biencompte que le système est absurde. Et remettre en question unsystème absurde, pour moi, ce n’est pas de la subversion. Person­nellement, je crois en l’homme, mais je ne supporte pas que lepouvoir soit aux mains de la bêtise. De toute façon, le pouvoir éta­bli voit toujours de la subversion là où il est remis en cause…

Ce sixième tome critique ouvertement la marchandisation du monde.Je considère que l’être humain est une entité. Chaque cellule à saplace, de la cellule de peau au neurone. L’humanité, je la vois aussicomme un corps. Et ce qui fait fonctionner un corps, ça ne se vendpas : l’eau, c’est la vie; l’énergie fait vivre toutes les cellules; lestransports, c’est la circulation; la santé, c’est notre système im­munitaire; l’éducation ce serait le développement des neuroneset la communication ce serait les connexions des synapses. Toutça devrait être offert par notre société, c’est essentiel à notre exis­tence; le reste, on en fait ce qu’on veut, mais pas ça…

A côté du richissime homme d’affaires Pipard, le “méchant” du récit, onaperçoit un certain Salami. Un politicien qui reproche à son ancien allié ob-jectif de se lancer dans la politique. Et Pipard lui répond : “De nos jours, iln’y a plus de différence, il suffit de soigner sa communication”. L’allusionest transparente…

Salami, c’est l’incarnation du pouvoir. On en a un à la maison (enFrance, NdlR) qui est insupportable, un ado attardé, complète­ment puéril. Et les Français ne sont pas les seuls dans le cas – lesItaliens ont Berlusconi, les Etats­Unis ont aussi eu un beau cas ré­cemment… Y a pas un adulte, là­dedans. Il y a un questionnementphilosophique : qu’est­ce que le pouvoir ? Je ne pense pas que cesoit une vocation. Alors, qu’est­ce qui motive une personne àprendre le pouvoir, si ce n’est pas pour améliorer la condition hu­maine ? Autrement, pfff…

Vous préparez une suite au “Journal d’un ingénu”, qui va plonger Spirou aucœur de la Seconde Guerre mondiale…

Spirou, il est un groom, c’est­à­dire rien. Il va se révéler au centrede l’Histoire. Mais l’Histoire, c’est nous. Ensuite, je voulais mon­trer comment se construit un héros – il n’y a rien de tel que l’Oc­cupation pour ça : il va avoir peur, se poser des questions qu’on seposerait : qu’aurais­je fait ? Résistant ? Collabo ? Rien ? L’idée c’estde montrer qu’a priori, quand on a peur, on ne fait rien, mais quedes circonstances peuvent pousser à agir. Et si on a la chance des’en sortir, alors on devient un héros. Mais on ne naît pas héros.

Et qui sont les héros d’aujourd’hui ?On est encore dans les anciens codes, on attend un leader. Or, onn’a pas besoin de leader, mais d’une conscience qui s’impose. Ilsuffit de s’organiser. Les révolutions arabes sont un très bel exemple : si je reprends mathéorie de tout à l’heure, ce sont des connexions neuronales quise passent le message que c’est insupportable et décident dechanger les choses. Un leader, ça peut virer de bord, et puis c’esttrès mauvais de faire reposer tous les espoirs sur une seule per­sonne. Les héros, ça n’existe pas, c’est ça qu’il faut dire aux en­fants. Il faut se prendre en main.Olivier le Bussy (Première parution : 29/09/11)

h Emile Bravo a confié à “Jules” la mission de sauver le monde dans un 6e tome jouissif. Pour mieuxsouligner que nous sommes tous responsables de notre sort.

“Les héros,ça n’existe pas”

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Emile Bravo,“Les épatantes aventures de Jules”, t.6, Dargaud, 80 pages, 15 €

Un plan sur la comète

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“Un Monte Cristoabsolument noir”

h Brüno, un des grands talents de la nouvelle vague du dessin français, signe une adaptation flamboyanted’un roman d’Eugène Sue avec Fabien Nury au scénario.

ATAR GULL EST SANS CONTESTE un des al­bums les plus réussis de cette année 2011. Auxcommandes de ce véritable ovni : Fabien Nury, àl’adaptation, et Brüno, au dessin.

Fabien Nury, c’est le scénariste français quicrève les sommets depuis quelques années.Aujourd’hui, une de ses séries les plus remar­quables est une fresque sans concessions sur laFrance autour de la Seconde Guerre mondiale(“Il était une fois en France”, Prix de lameilleure série au Festival BD d’Angoulême2011).

L’homme continue d’enchaîner les scénarioset les collaborations avec une régularité de mé­tronome. La plus marquante de l’année est larencontre avec Brüno, une autre valeur quimonte dans l’Hexagone. Ensemble, ils se sontattaqués à l’adaptation d’un roman d’EugèneSue qui, dans la première moitié du XIXe siècle,osait mettre à mal le mythe du bon sauvage. Dece travail à quatre mains est né Atar Gull, unefresque d’une noirceur totale.

En 1830, la traite des Noirs qui avait été aboliesous la Révolution et rétablie sous l’Empire faitla fortune de nombreux marchands d’âmes. Lecapitaine Benoît vient faire le plein de “boisd’ébène”, ces esclaves qu’il achète aux chefs deguerre africains pour les revendre en Jamaïque.Dans sa cargaison, Atar Gull, un colosse inquié­tant, un fils de roi capturé par une tribu enne­mie et revendu en qualité d’étalon. Acheté parun planteur plutôt humaniste, il passe pour unesclave modèle pour mieux amadouer son maî­tre qui va vivre un enfer entre les mains de cecolosse qui a élevé la vengeance en art sans raffi­nement.

Rencontre avec Brüno, un dessinateur quivient de franchir un nouveau cap grâce à cetteadaptation.

Brüno, comment en êtes-vous arrivé à travailler avecFabien Nury ?

C’est une histoire presque banale pour desauteurs de bandes dessinées. On s’est ren­contré sur le festival Quai des bulles de Saint­Malo. Fabien m’a expliqué qu’il aimait montravail et qu’il apprécierait qu’on puisse tra­vailler ensemble. C’était réciproque, le cou­rat est immédiatement passé entre nous et ilm’a proposé deux scénarios qu’il avait dans

ses tiroirs. J’ai immédiatement été séduit parle récit d’Atar Gull.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cet univers duXIXe siècle ?

Tout ! Il y avait la noirceur du récit, la férocitédes personnages et leur ambiguïté. J’ai unrapport assez crédule au travail. Je fonc­tionne au plaisir. Je ne me suis donc pas posédes tas de questions. L’envie était là, j’ai foncétête baissée et c’est après que j’ai réfléchi aufond du problème posé par l’intrigue.

Vous avez quand adapté votre dessin pour entrerdans cet univers…

C’était une évidence. Je devais être moins li­gne claire, plus expressionniste sur certainesséquences pour rendre au mieux l’ambianceféroce du récit. J’ai lu le roman d’Eugène Suetout en réalisant l’album et j’ai constaté queFabien était très fidèle et était parvenu à faireressortir les éléments essentiels du livre et àrendre le tout très lisible et passionnant enbande dessinée. Un travail d’orfèvre et il fautsouligner que le roman est au moins aussiatroce que notre adaptation. En plus, Fabienest un scénariste qui s’implique beaucoupdans la mise en scène des albums. Son regardm’a forcé à modifier la manière dont j’abor­dais mon travail. Ce fut comme un coup depied aux fesses qui m’a obligé à modifier mafaçon de travailler ce que je souhaitais fairede toute façon. Fabien a donc été un accélé­rateur.

Ce qui frappe aussi dans votre ouvrage, c’est le mo-dernisme du propos d’Eugène Sue.

Absolument. La critique est tout à fait trans­posable à notre époque. C’est plus qu’unpamphlet anti­esclavagiste, c’est un regardsans concession sur la noirceur du monde etdes relations humaines.

Dans Atar Gull, vous disposez d’une galerie de per-sonnages plus sombres les uns que les autres… Cedoit être jouissif pour un dessinateur.

Assez, oui. Tous ces personnages sont plusignobles les uns que les autres. Atar Gulln’émerge pas de cette nasse. C’est une sortede Monte Cristo noir qui va tout détruire

autour de lui. IL est difficile d’avoir de l’em­pathie pour ce personnage. Au fil de l’album,on monte crescendo dans l’horreur. Ce quiest aussi remarquable, c’est que le person­nage principal n’apparaît finalement vrai­ment qu’au milieu de l’album. J’ai pris unmalin plaisir à esquisser tous ces personna­ges. En fait, je dois avouer que j’ai eu quel­ques difficultés avec le planteur qui était en­core plus ambigu que les autres personnages.Il ne devait pas apparaître comme quelqu’unde mauvais dès le départ. Il fallait que l’onpuisse croire qu’on avait enfin trouvé quel­qu’un de positif. Finalement, on découvreson vrai visage derrière des apparences trèstrompeuses.

Le couple que vous avez formé avec Fabien Nuryfonctionne à merveille. Cela va-t-il déboucher surd’autres collaborations ?

Je commence à travailler sur un autre récitavec Fabien. Ici, il s’agira d’une création ori­ginale. On est reparti sur un one­shot de 90pages. C’est un polar bien noir et bien pluspremier degré qu’Atar Gull. On a situé l’in­trigue dans les Etats­Unis des années 50. Fa­bien est un fan des polars. On a mis la barreassez haut puisqu’on a situé l’ensemble à mi­chemin entre James Elroy et Sam Peckinpah.Ajoutez­y aussi des personnages façon Bo­gart et vous aurez une idée de ce vers quoi onveut tendre. L’album devrait être en librairiedébut 2013 toujours chez Dargaud.

Et entre Atar Gull et ce polar ?Non, non, je ne me suis pas reposé sur deslauriers que je ne me suis pas encore fait tres­ser. Je viens de terminer un album en soloqui sortira chez Glénat au début du prin­temps 2012. Ça s’appelle Lorna et c’est unhommage à la série Z. J’insiste vraiment surle fait que ce n’est pas un pastiche. Parce queje suis un fan de ce type de série. On va y re­trouver des femmes géantes, des soldats peufréquentables et toute une kyrielle d’inter­venants plus remarquables les uns que lesautres. C’est un vrai pot­pourri de tout ceque j’aime au cinéma.

Hubert Leclercq

Fabien Nury - BrünoDargaud, 60 pages, 16,95 €

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Fabien Nury - BrünoDargaud, 60 pages, 16,95 €

Atar Gull

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h Le Québecois a tiré de copieuses “Chroniques de Jérusalem” du séjour de onze mois qu’il y a effectué.Où la naïveté cède le pas à un certain désenchantement.

MÊME SI SA CARRIÈRE EN BANDE DESSINÉE NE SE CANTONNE PAS Àce seul genre, Guy Delisle s’est fait une spécialité des carnets de voyage. A“Shenzhen” et “Pyongyang”, où le Québecois a travaillé dans des studiosd’animation, ont succédé, en 2007, les “Chroniques birmanes”, retraçantun an passé à Rangoon, où il avait suivi son épouse, envoyée en missionpar Médecins sans frontières. C’est dans le même contexte que la familleDelisle s’est rendue à Jérusalem­est, la partie arabe de la ville, où elle avécu d’août 2008 à juillet 2009. De ce séjour, l’auteur a tiré les “Chroni­ques de Jérusalem”, où le quotidien se raconte par petites touches, moinsanodines qu’il n’y paraît.

Le regard que vous portez sur votre environnement est celui d’un candide…Au départ, il n’était pas prévu que mon épouse soit envoyée en Israël,je n’ai donc pas eu beaucoup de temps pour me renseigner. Je savaisqu’il y avait des Juifs, des Arabes et qu’ils ne s’entendaient pas bien.Mais globalement, je n’y connaissais rien. Jérusalem est une villequ’on a l’impression de connaître, mais peu de gens savent que s’ymélangent des Juifs, des Arméniens, des Bédouins, des Arabes musul­mans, chrétiens… C’est très multiculturel. L’atmosphère est assez ten­due, moi, ça ne me rassure pas trop de voir des soldats partout. Lescommunautés se regardent en chiens de faïence. Même au Saint­Sé­pulcre (qui abrite le tombeau du Christ, NdlR), les six communautéschrétiennes qui ont en commun la charge des lieux ne parviennentpas à s’entendre et ça leur est déjà arrivé de se taper dessus – bravo, lesgars !

Vous avez réalisé plusieurs pages sur le fameux Mur qui doit empêcher les terro-ristes palestiniens d’entrer en Israël…

Ce qu’il faut savoir, c’est que ce Mur n’est même pas fini. Les rebellespalestiniens sont à bout de souffle, mais le Mur n’a pas grand­chose àvoir là­dedans. D’ailleurs, un peu avant notre arrivée, un ouvrier pa­lestinien a tué trois personnes à Jérusalem avec son tractopelle avantd’être abattu par un civil.

Vous n’avez pas pu avoir d’autorisation pour aller à Gaza parce qu’ils vous ontconfondu avec l’auteur de bande dessinée de reportage Joe Sacco…

Oui, comme s’ils se disaient “Oh, non, pas encore ce mec qui fait de labédé”. Mais Sacco – dont j’aime beaucoup le travail – lui, il a une cartede presse… Moi, je suis plutôt un observateur, je fais plutôt du carnetde croquis que du reportage, je cherche à passer incognito.

Ce séjour a fait de vous un militant de la cause palestinienne ?J’aurais peut­être une vision différente si j’avais passé un an à Tel­Avivplutôt qu’à Jérusalem­est. Mais j’ai plutôt une sensibilité de gauche etj’ai été choqué par certaines choses que j’ai pu voir. Encore que ce sontles Israéliens eux­mêmes qui se montrent les plus critiques. (L’alors)Premier ministre Olmert a comparé les attaques de colons d’Hébroncontre des Arabes à des progroms.

Votre dessin stylisé permet-il de désamorcer la dureté de certaines situations ?Comme dans le texte, j’utilise les phrases les plus simples possibles, je

ne fais pas de chichi, ni d’effet dans le dessin. Les deux doivent se lire à lamême vitesse. C’est très terre à terre. Il faut aussi tenir compte de la vi­tesse d’exécution : pour un bouquin de 330 pages, je ne peux pas fairedu Gustave Doré.

Le livre se termine par une scène où un colon israélien, juché sur le toit d’une mai-son palestinienne, déclare “C’est chez moi, maintenant”. C’est une métaphore duconflit ?

Elle fait écho à une histoire qui précède celle d’un Palestinien qui parlequatre langues, mais refuse de quitter le pays, parce que s’il s’en éloignependant plus de trois ans, il perd son droit de résidence. Quand noussommes partis, il y avait un léger espoir qu’Obama allait relancer le pro­cessus de paix, on voit ce qu’il en est advenu. Alors oui, la Palestine a étéreconnue par l’Unesco mais les accords d’Oslo ont volé en éclats, c’estl’enlisement général.

Olivier le Bussy (Première parution : le 26/12/11)

Guy DelisleDelcourt, coll. Shampooing, 334 pages, 25 €

Chroniquesde Jérusalem

Delisle,candide mais lucide

Épinglé

Graphisme. Le style graphiqueutilisé par Guy Delisle pourra dérou-ter sur un sujet aussi grave : Un traitd’apparence simpliste qui crée unautre fossé entre ces univers terrible-ment et tristement réalistes et undessin presque caricatural.“C’est un choix qui ne cherche pas àcréer des niveaux de lecture mais justeà privilégier la fluidité de la narrationet, il faut le reconnaître, une certaineefficacité. C’est quand même un an dema vie pendant lequel j’ai amassé destas d’informations et de croquis.Ensuite, je me mets à la table à dessinquand je suis de retour chez moi, dansle sud de la France. Je ne gagne rien àdessiner sur place. J’ai essayé sur unprécédent album et j’ai remarqué queça ne m’amenait rien. Au contraire,tant que je suis sur ma planche àdessin, je ne suis pas dans la rue. Jepasse donc à côté de tas de choses et jem’en veux. Désormais, c’est décidé, jene fais que de petits croquis sur placeet je dessine réellement quand je suis

de retour en France. Pour le stylegraphique, je ne peux pas me permet-tre de m’embarquer dans une aventureréaliste. Sur 350 pages, il me faudraitun temps fou. En plus, je pense que çan’amènerait rien.”Ce dessin permet aussi d’entrer enquelques coups de crayon au cœur decette ville éternelle, fascinante,bouillonnante. Une ville qui, cheznous, fait la “Une” quand elle est laproie de violence. Delisle, lui, eut lachance de la vivre dans une périodeun peu plus calme. “Il y a une pré-sence militaire impressionnante mais ily a aussi de véritables havres de paixdans cette ville et dans cette région. Cen’est pas non plus un guide touristiquemais c’est vrai que j’ai pu voir pas malde choses dont on n’a même pas idéechez nous. C’est captivant. On n’enrevient pas complètement indemnemais c’est une expérience unique.”

Hubert Leclercq (Première parution :le 9/12/11)

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Guy DelisleDelcourt, coll. Shampooing, 334 pages, 25 €

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Tardi en Manchetteh “Ô dingos, ô châteaux !” est la dernière adaptation par le dessinateur d’un roman de feu son ami écrivain.

En blanc et noir, qui rime avec polar, évidemment.

UN AN APRÈS “LA POSITION DU TIREUR COU­CHÉ”, Tardi livre une nouvelle adaptation d’unroman de Jean­Patrick Manchette, “Ô dingos, ôchâteaux !”. Troisième roman de Manchette, cerécit a une femme pour personnage principal.Julie est sortie d’une institution psychiatriquepar Hartog, un riche héritier qui lui demandede s’occuper de son jeune neveu, Peter, dont ilest le tuteur. Sale gosse, ce Peter, que Julie, unpeu portée sur la bouteille, doit chaperonner.Les choses se compliquent lorsque Thompson,tueur à gages, et deux chelous de seconde zonekidnappent le gamin et sa nounou… Tardiachève ici une trilogie de fait, entamée avec “Lepetit bleu de la côte ouest” en 2005. Les trois ti­tres choisis entretiennent plus d’un point com­mun : (anti­) héros plongés dans une affaire quiles dépasse, retour à la vie sauvage au gré d’unecavale, qui s’achève inévitablement dans un dé­chaînement de violence. Au sommet de son art,Tardi découpe sa narration avec maestria, im­briquant comme jamais narratifs, phylactèreset différents niveaux de lecture. Un accomplis­sement sous forme de retour aux sources : c’estavec Manchette qu’il avait signé “Griffu”(1977), une de ses premières bandes dessinées.L’occasion de faire le point sur sa relation auprécurseur du “néo­noir”, sa relation à la vio­lence inhérente au genre et son art de l’adapta­tion littéraire.

Vous venez de faire trois adaptations de Manchette ?Pourquoi ? Par nostalgie ?

Non. D’abord, il y a un contrat signé avec lesHumanoïdes Associés, selon lequel je m’étaisengagé à faire trois adaptations de Man­chette. J’ai fait le premier chez eux et puis lecontrat a été racheté par Futuropolis. Mais cene fut pas une contrainte d’honorer ce con­trat. J’ai rencontré Manchette fin des années1970. On avait commencé à adapter son ro­man “Fatale”. Puis, cette adaptation a été in­terrompue parce que les éditions du Squaresortaient un hebdomadaire. Or, tous les ma­gazines BD devenaient mensuels. Et moi jetrouve que le rythme hebdo est plus satisfai­sant pour sortir une histoire sous forme defeuilleton. L’idéal restant à mes yeux le quo­tidien, mais ce n’est plus leur préoccupationen dehors des vacances. Donc, on a aban­donné “Fatale” pour débuter “Griffu”. Et jepense – je n’en suis plus sûr – qu’on n’a paspu partir aux éditions du Square avec“Griffu” parce qu’on devait sans doute avoirpromis “Fatale” à un autre éditeur.

Avec cette “trilogie”, vous êtes revenus aux années70. Or, vous avez souvent déclaré que c’était une pé-riode qui ne vous attirait pas, parce que tout y étaitdevenu moche : l’urbanisme, les voitures, la déco…

Oui, mais ce qui m’a permis d’aller au­delàde ça, c’est l’intérêt de l’histoire. Si je suismotivé par le scénario, je peux passer au­dessus de ces considérations.

Qu’est-ce qui vous motive dans ces histoires ?Manchette, dans ces années­là, a ouvert une

brèche dans le roman noir. On était encorecoincé dans Léo Malet ou Simenon. Ce qu’ona appelé le “néo­polar” – je crois qu’iln’aimait pas ce terme. Il mettait des élémentsprécis, politiques, dans ses histoires, maissans faire de militantisme. Il ne portait pas dejugement moral sur les actes de ses person­nages. C’était au lecteur de se rendre comptequ’on était en train de lui parler d’un person­nage abject.

Malet, Vautrain, Daeninckx, Manchette : vous êtesvraiment l’adaptateur des romanciers par excel-lence.

Il y a quelque chose de rassurant à adapter unroman. Je connais l’assassin, je sais commentça se termine. Ça me rassure, par oppositionaux bandes dessinées que j’écris moi­même,où je ne sais jamais où je vais et comment jevais terminer l’histoire. Ici, je suis tranquille.Tout ce dont je dois me préoccuper, c’est deraconter en faisant le maximum pour que lerécit soit efficace.

Travaillez-vous toujours de la même manière quelque soit le romancier que vous adaptez ?

J’avoue préférer me passer du point de vue del’auteur et travailler en toute liberté. Commeje l’ai souvent dit, il vaut mieux adapter unauteur mort ! Avec Vautrin, je lui envoyais desépreuves. Et il me faisait des commentaires.Que j’en tienne compte ou pas, ça avait évi­demment une influence. Concrètement, j’aile roman sous la main, lu plusieurs fois. Jesouligne les éléments dont je dois tenircompte en termes de documentation – no­tamment les lieux, mais aussi des élémentssecondaires, par exemple si le modèle de voi­ture est précisé. A partir de là, je pars quasi­ment à l’aventure. Je me laisse porter par ledécoupage : pour telle action, il me faut troisimages ou quatre pour la décrire. De là, jeconstruis les planches, qui comptent grossomodo six ou sept vignettes. J’essaie de trou­ver le bon rythme. Avec les romans de LéoMalet, j’étais plus contraint par les repéragessur les lieux, puisque le principe même de sesbouquins était qu’ils avaient chacun pour ca­dre un arrondissement de Paris. Pour ça, jeme faisais sur une feuille un résumé de ce quise passait dans chaque chapitre et dans unecolonne, je notais les itinéraires suivis parBurma, mais aussi les autres éléments de do­cumentation à rechercher, vêtements, voitu­res, etc. Cela me donnait une vision d’ensem­ble du roman, avec ce que j’avais à trouvercomme docu. Mais je n’avais pas de décou­page dessiné. Le découpage dessiné, je l’aipratiqué à mes débuts, sur les premiers AdèleBlanc­Sec. J’ajoutais même des indications decouleurs pour la totalité de l’histoire. Mais jeme suis rendu compte qu’après, quand jepassais à la mise au net, je m’emmerdais : cen’était plus qu’un travail d’exécution, tristeet ennuyeux. Comme avec les romans, j’ai lerécit au préalable, je n’ai pas besoin de ce pré­découpage.

Comment gérez-vous la représentation de la vio-lence ?

J’essaie de m’arrêter à un niveau qui est ce­lui du grotesque, plus ou moins. Par exem­ple, ici, à la fin, il y a une scène où une cara­bine explose et, avec elle, le visage et les brasd’un personnage. Je ne peux pas dessiner çaau premier degré. En plus, je ne crois pasqu’il existe un document photographiquequi montre une telle scène. Donc, je suisobligé de me réfugier derrière une espècede symbolisme de ce genre de violence, sansêtre complaisant. Si on trouve que ça l’est,c’est que je me suis planté. Pour mes bou­quins sur 14­18 (“C’était la guerre des tran­chées”, “Putain de guerre”, “La véritablehistoire du soldat inconnu”…), j’ai lu desdescriptions des horreurs de la guerre parles poilus. Ils parlent des corps explosés, dé­chiquetés. On ne peut pas dessiner ça. C’esttellement énorme que ça en devient pres­que comique. Et le dessin est bloqué, parceque ça va à l’encontre de ce que je voulaisdire. C’est une limite de la représentation.Là où le texte laisse une porte ouverte àl’imaginaire et laisse le lecteur se faire sapropre opinion.

C’est le paradoxe : en voulant la dénoncer, vous de-vez représenter la violence.

Oui, oui… C’est le problème. Le cinéma y estconfronté aussi. On n’est jamais sûr, sousprétexte de dénoncer la violence, de ne pasfaire des adeptes. Avez­vous vu “Jarhead” deSam Mendès ? Il y a une scène où on voit desGI’s complètement excités par une projec­tion d’“Apocalypse Now”. Le GI dont les mé­moires ont inspiré le film l’a écrit : il ne fautpas se faire d’illusions, les films dénonçant laguerre sont ceux que les mecs regardaientavant de partir au combat en Irak… Dans leroman noir, la violence est très codifiée, unpeu comme dans les westerns. Si on pousseun peu plus loin, en précisant les détails,comme dans le roman “Au­delà du mal” deShane Stevens (réédité l’année dernière chezSonatine, NdlR), c’est épouvantable. A la lec­ture, on se dit : “non, l’auteur ne va pas oseraller aussi loin…” Et il le fait. Mais combiende lecteurs ne seront­ils pas en érection enlisant ça ?

Qu’allez-vous faire maintenant que vous en avez finiavec Manchette ?

Je travaille sur les carnets de guerre de monpère. Je lui ai demandé de me raconter dansl’ordre “sa” guerre, la Seconde. Il m’a remplitrois carnets d’écolier, complets. Sa capture,sa captivité, ses tentatives d’évasion et sonretour en France. Ce qui m’intéresse, c’est deparler de cette génération de vaincus, un peuaigris. Ce n’est pas marrant d’avoir été élevépar des gens comme ça…

Alain Lorfèvre(Première parution : le 26/11/11)

Ô dingos,ô châteaux !

Tardi d’après J-P ManchetteFuturopolis, 96 pages, 19 €

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Ô dingos,ô châteaux !

Tardi d’après J-P ManchetteFuturopolis, 96 pages, 19 €

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h Récit d’une guerre fascinante aux ingrédients teintés d’une solidedose de surréalisme et de débrouille

YANN ET ANDRÉ JUILLARD, DEUX GRANDSnoms du IXe art qui ne s’étaient quasiment ja­mais retrouvés autour d’un projet commun. Il yavait tout juste eu quelques planches pour uncourt récit dans la série des Sales petits contesédités au milieu des années 90 chez Dupuis. Etdepuis, rien. Les deux hommes avaient pour­suivi leur route, chacun de leur côté, avec quel­ques beaux succès de librairie.

André Juillard, comment vous êtes-vous retrouvésautour de ce projet ?

Tout est parti d’une interview de Yann dansun fanzine. Dans cet entretien, Yann parlait,en quelques mots, d’un scénario qui dormaitdans un de ses tiroirs et qui lui tenait à cœur.Il était question de la guerre qui avait opposéla toute jeune nation israélienne à l’Égypte,en 1948. Un conflit complètement oubliéaujourd’hui avec des ingrédients que je trou­vais a priori fascinants. J’ai tout de suite eu lesentiment qu’il y avait de quoi faire un beaurécit avec cette thématique. J’ai donc appeléYann en espérant qu’il n’avait pas trouvépreneur entre­temps.

Yann, le scénario était toujours au chaud ?Absolument ! J’ai pu rassurer André, per­sonne n’avait réagi à cette interview et aucundes dessinateurs auxquels j’avais pu propo­ser le sujet n’avait mordu à l’hameçon. Pour­tant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je nevais pas citer la liste des auteurs que j’avaiscontactés mais les tentatives étaient asseznombreuses et toutes plus vaines les unesque les autres.

Qu’est-ce qui vous séduisait dans ces événements de1948 ?

Yann : En fait, tout est parti d’une histoirequ’un ami m’avait racontée. Elle parlait del’itinéraire d’un pilote allemand qui, après laSeconde Guerre mondiale, est parti en Israëlafin de combattre pour l’indépendance de cepays. Forcément, avec des éléments de dé­part aussi étonnants, je me suis mis à me do­cumenter sérieusement. Ce que j’ai décou­vert était presque surréaliste. Imaginez­vousle jeune Etat israélien contraint d’acheter desMesserschmitt allemands pour combattre

des Spitfire anglais. Des Messerschmitt quiarboraient l’étoile de David sur les ailes. Avecde tels éléments, j’ai envie de dire que le plusdur était fait tant ces éléments historiquesétaient puissants. Mes lectures m’ont rapide­ment permis d’élargir le spectre des thèmesabordés et d’évoquer notamment les conflitsentre les pays et les luttes entre les servicessecrets. Il fallait ramener l’humain au centrede l’intrigue pour ficeler le récit. C’est unevraie fresque historique avec des événe­ments complètement méconnus et qui nedatent pourtant que d’une soixantaine d’an­nées.André Juillard : Pour moi, ce conflit, ces mer­cenaires accourus du monde entier, ces avi­ons improbables, tout constituait une tramede fond évidente. Côté humain, la com­plexité de ces acteurs, leurs parcours in­croyables, leurs cheminements intérieursme fascinaient. Et puis, il y avait le rôle desfemmes. Des personnages forts avec une li­berté d’esprit qu’on n’imaginait pas pourl’époque, sans oublier une solide dose decourage. Ensuite, il y a ma passion pour lesavions. Je ne suis pas un grand spécialiste dusujet mais j’ai toujours été fasciné par ces en­gins. Qui plus est, ça ramenait à la surface dessouvenirs d’enfance quand, gamin, dans lesannées 50, j’allais les voir décoller ou atterrirà Orly. J’avais un oncle qui servait dans l’ar­mée de l’air et qui passait de temps en tempsfaire quelques cabrioles au­dessus de la mai­son. Vous vous imaginez ce que ça peut re­présenter pour un gamin.

Dans cet ouvrage, vous prenez le parti du réalisme.Comment avez-vous fait pour la documentation, no-tamment pour les bases militaires israéliennes quine devaient pas être très souvent photographiées ?

On ne croulait pas sur la documentation vi­suelle. Il y avait surtout des biographies depilotes que Yann a digérés. Pour ma part, j’aicollecté les informations partout où je pou­vais la trouver. Les Messerschmitt, c’était as­sez facile. Ce qu’ils étaient devenus en 1948,c’était un peu plus compliqué mais je penseque j’ai été assez fidèle. Il se trouvera peut­être quelques professionnels de l’aviationpour m’adresser l’une ou l’autre critique. Je

peux tout à fait les accepter mais je penseque je peux être satisfait de mes rechercheset de mon travail.

Yann, les Mezek, c’est en fait le nom des Messersch-mitt “bidouillés” par les Tchèques ?

Tout à fait. Après la Seconde Guerre mon­diale, quand ce conflit est apparu. Israël a dûtrouver des avions pour se défendre. Officiel­lement, vu le contexte géopolitique trèscompliqué, personne ne voulait leur en ven­dre. Il a donc fallu que les acheteurs se mon­trent particulièrement convaincants en sor­tant leur carnet de chèques et étant aussi peuregardant sur ce qu’ils achetaient. Les Israé­liens ont donc trouvé ces avions en Tchécos­lovaquie. C’était des reliques de l’armée alle­mande. Des avions que les Tchèques avaientun peu modifiés. Du coup, ils étaient deve­nus plus lourds et très difficiles à piloter.Chaque mission relevait du défi pour des pi­lotes qui savaient consciemment les risquesqu’ils prenaient. La plupart de ces têtes brû­lées étaient juives, elles venaient de la RAFou de l’US Air Force, il y avait aussi des Cana­diens ou des Sud­Africains. Mais à côté de cespilotes engagés par idéal, Israël avait dû faireappel à des mercenaires qui se faisaient, eux,payer grassement, ce qui provoquait certai­nes tensions entre les deux catégories de pi­lotes qui étaient contraintes de cohabiter. Enfarfouillant dans de nombreux ouvrages, j’aimême retrouvé la trace d’un mercenairebelge.

Votre duo fonctionne à merveille. D’autres projetsen commun ?

Yann : Pourquoi pas, je ne désespère pas detrouver une histoire drôle pour André. Ons’est très bien entendu sur ce projet mais onest aussi tous les deux très occupés.Juillard : Je ne suis pas un lent mais j’ai quandmême besoin de plus de temps que Yann. Jeviens de commencer un Blake et Mortimerqui va me prendre pas mal de temps et en­suite je pense faire un troisième et derniertome de Lena. Après…

Hubert Leclercq

Yann - André JuillardLe Lombard, Collection Signé, 72 pages, 16,45€

Mezek

Les autres fous volants20/21

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h Marc­Antoine Mathieu décompose uneaction de 3 secondes en 69 planches et621 cases. Un thriller­éclair qui existe surpapier et sous forme numérique, pourdeux expériences différentes.

L’œilde

Mathieu3”

Marc-Antoine MathieuDelcourt, 72 pages, 14,95 €

ALORS QUE LES NEUTRINOS DAMENT LEPION à la lumière au CERN de Genève, le dessi­

nateur Marc­Antoine Mathieu se met à la placed’un photon pour parcourir 900 000 kilomètres durant “3Secondes”. Originalité : à l’heure où le livre numérique faitcourir les éditeurs, mais généralement avec une grandepauvreté formelle, Mathieu a conçu une œuvre duale, surpapier et en ligne (un lien et un mot de passe sont fournisdans l’album). Et l’exercice a sa pertinence sur les deuxsupports. A cinquante­deux ans, le Français confirme avecbrio la place prépondérante qu’il occupe dans la bandedessinée actuelle. A l’écran, “3 Secondes” est un zoom in­fini en caméra subjective, où le regard rebondit de miroiren objectif de caméra en panneau solaire de satellite. Sur lepapier, dans un album au format carré, chaque planche estdivisée en neuf cases, où l’on peut scruter le détail de cha­que incrément. Là, se révèle l’histoire – car il y en a une –imaginée par Marc­Antoine Mathieu. Une intrigue sansparole, mais bourrée d’indices visuels et textuels (via desaffiches, des manchettes de journaux ou des textos) quiforment le puzzle d’un scandale dans le monde du ballonrond.

Pour concevoir cet univers “total”, comment avez-vous pro-cédé? Avez-vous réalisé un plan en trois dimensions de cetteville, de ce quartier ?

J’ai construit ce plan au fur et à mesure. On ne peut pasécrire un récit comme ça totalement avant de le faire.Ce qui va à l’opposé de ma démarche habituelle, carj’écris habituellement de façon très détaillée chacunede mes histoires avant de les dessiner. Avec “3 Secon­des”, c’est la première fois que je pars d’une situationtoute simple : un homme tire sur un autre. Je ne savaismême pas que je parlerais de foot. C’est une improvisa­tion. Je me suis retrouvé dans la situation d’un archi­tecte qui aurait construit un château en commençantpar dessiner un pan de mur et une porte. Au fur et à me­sure que l’édifice prend forme, il faut le structurer.J’ajoutais une poutre ici, un échafaudage là, en essayantde garder l’équilibre. J’ai dû revenir au plan, aux graphi­ques. J’ai même modélisé l’appartement en 3D.

L’idée était-elle de réaliser un objet numérique ?Oui. En voyant autour de moi les gens zoomant sur leuriPhone, j’ai pensé qu’il serait intéressant de développerune histoire avec une image où l’on pourrait zoomer àl’infini. J’ai commencé par dessiner quatre images et àles décortiquer. J’ai réalisé qu’il pouvait être vraimentintéressant de tisser un récit fractal qui pouvait générerdes indices visuels et être interprétable par le lecteur.Car il était important que ce ne soit pas qu’un gimmickou un gadget : le zoom infini n’est pas neuf, mais estsouvent utilisé comme simple objet de curiosité.

L’un des exemples les plus célèbres est “Powers of Ten” (1977),court-métrage de Charles et Ray Eames, où chaque image étaitgrossie dix fois, d’un couple dans un parc jusqu’aux limites del’univers, puis en marche arrière jusqu’à la taille d’un quark…

C’est un objet qui a pas mal fasciné. Le côté vertigineuxde l’image dans l’image dans l’image… “3 Secondes”,c’est un tunnel graphique, qui emprisonne le regard.Mais, en même temps, tous les indices permettent aulecteur de réinterpréter le récit. Cette idée­là m’intéres­sait. Parce que ce dispositif libère de l’enfermement dela narration qu’on connaît traditionnellement.

La contrainte est la nature même de la bande dessinée, commedu cinéma : on ne voit pas le hors-champ – qui peut être inter-prété – mais la narration est imposée par l’auteur.

Voilà. D’autant qu’au cinéma ou en bande dessinée, onest en général dans la représentation. Dans “3’’ ”, jem’offre le luxe de révéler en permanence le hors­champ. C’est presque l’incarnation du consumérisme :là où, généralement, le spectateur ou le lecteur peutéprouver une frustration par rapport à ce qui est caché,ici, je révèle tout. C’est presque totalitaire ! Mais le re­gard peut retrouver sa liberté, en scrutant les détails eten essayant de reconstituer le puzzle. Le regard est solli­cité, très sollicité, mais l’initiative est laissée au lecteur.

A quel format sont dessinées les cases ?D’abord, il faut savoir que toutes les cases ne sont pasdessinées. Par exemple, l’image du stade doit faire envi­ron 25 sur 25. Elle est scannée en très haute définition.Ensuite, je l’ai réduite, pour la perspective précédente,ou agrandie, pour le zoom suivant. J’ajoute à ces agran­dissements ou ces réductions d’autres éléments. Il y adonc beaucoup de cases composites.

Vous semblez obsédé par les jeux de miroir, de perspectives…Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu envie dem’amuser avec des concepts. Ce n’est pas forcément del’ordre de l’expression mais de l’envie de créer mes pro­pres jouets, mes propres univers, pour ne pas m’en­nuyer. Pourquoi un explorateur prend­il son bateaupour découvrir d’autres mondes ? Je crois que c’est parpeur de l’ennui. Ou par désir de fuite. Moi, je fuis la mo­notonie du quotidien et de mon travail. Car en bandedessinée, on peut vite tomber dans la routine. Faire unesérie en cinquante tomes, ça ne m’intéresse pas. J’ai be­soin de me surprendre avec de nouveaux défis et denouvelles contraintes. C’est jubilatoire d’être surprispar les concepts qu’on engendre soi­même.

Pourquoi, de l’œuvre numérique, revenir à l’œuvre papier ?Lorsque j’ai imprimé mes dessins et que je les ai dispo­sés côte à côte, j’ai vu que ça fonctionnait aussi. Intuiti­vement, j’ai vite compris que le format carré s’imposait.J’ai essayé avec quatre cases dans une page, puis avecneuf. C’est cette dernière formule qui fonctionnait lemieux. Le livre permet au lecteur de scruter les détailsdans chaque image.

Le résultat est intéressant : l’expérience n’est pas la même.La sensation de vertige qu’on a dans le zoom numéri­que est d’ordre physique. Tandis que dans le livre, ça re­devient une intellectualisation de l’image.

Cela vous a-t-il ouvert de nouvelles perspectives ?En réalité, non… Je digère encore les retours que je re­çois sur “3 Secondes”. Scénographe et graphiste, j’aiaussi d’autres projets. Toutefois, mon prochain livre,“Le décalage”, sixième opus de Julius Corentin Acque­facques, parlera aussi de temps et d’espace, mais sur unmode plus métaphorique et poétique. Je suis très impa­tient de revenir à ce personnage qui est un grand bon­heur à faire vivre.

Combien de temps faut-il pour dessiner trois secondes ?Là, il y a environ un an et demi de travail, entre l’idée duconcept et la fin de sa réalisation.

Alain Lorfèvre (Première parution : le 26/09/11)

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h Marc­Antoine Mathieu décompose uneaction de 3 secondes en 69 planches et621 cases. Un thriller­éclair qui existe surpapier et sous forme numérique, pourdeux expériences différentes. 3”

Marc-Antoine MathieuDelcourt, 72 pages, 14,95 €

Vous semblez obsédé par les jeux de miroir, de perspectives…Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu envie dem’amuser avec des concepts. Ce n’est pas forcément del’ordre de l’expression mais de l’envie de créer mes pro­pres jouets, mes propres univers, pour ne pas m’en­nuyer. Pourquoi un explorateur prend­il son bateaupour découvrir d’autres mondes ? Je crois que c’est parpeur de l’ennui. Ou par désir de fuite. Moi, je fuis la mo­notonie du quotidien et de mon travail. Car en bandedessinée, on peut vite tomber dans la routine. Faire unesérie en cinquante tomes, ça ne m’intéresse pas. J’ai be­soin de me surprendre avec de nouveaux défis et denouvelles contraintes. C’est jubilatoire d’être surprispar les concepts qu’on engendre soi­même.

Pourquoi, de l’œuvre numérique, revenir à l’œuvre papier ?Lorsque j’ai imprimé mes dessins et que je les ai dispo­sés côte à côte, j’ai vu que ça fonctionnait aussi. Intuiti­vement, j’ai vite compris que le format carré s’imposait.J’ai essayé avec quatre cases dans une page, puis avecneuf. C’est cette dernière formule qui fonctionnait lemieux. Le livre permet au lecteur de scruter les détailsdans chaque image.

Le résultat est intéressant : l’expérience n’est pas la même.La sensation de vertige qu’on a dans le zoom numéri­que est d’ordre physique. Tandis que dans le livre, ça re­devient une intellectualisation de l’image.

Cela vous a-t-il ouvert de nouvelles perspectives ?En réalité, non… Je digère encore les retours que je re­çois sur “3 Secondes”. Scénographe et graphiste, j’aiaussi d’autres projets. Toutefois, mon prochain livre,“Le décalage”, sixième opus de Julius Corentin Acque­facques, parlera aussi de temps et d’espace, mais sur unmode plus métaphorique et poétique. Je suis très impa­tient de revenir à ce personnage qui est un grand bon­heur à faire vivre.

Combien de temps faut-il pour dessiner trois secondes ?Là, il y a environ un an et demi de travail, entre l’idée duconcept et la fin de sa réalisation.

Alain Lorfèvre (Première parution : le 26/09/11)

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h Au seuil de la quarantaine, l’auteur, né à Poitiers en 1972, a livréavec “Portugal” une œuvre maîtresse de 260 pages. Ce retour auxsources de sa famille fut aussi l’occasion d’une libération esthétique.

FORMÉ À L’ÉCOLE D’ANIMATION DES Gobelins,à Paris, Cyril Pedrosa n’a eu de cesse de libérerson dessin d’un carcan classique des séries réali­sées sur scénario de David Chauvel (“Ring Circus”et “Les Aventures spatio­temporelles de ShaolinMoussaka”) ou d’albums signés en solo (“LesCœurs solitaires” ou le magnifique “Trois om­bres”, prix des Essentiels à Angoulême en 2008).

Peut-on considérer que toutes ces étapes furent néces-saires pour vous libérer de votre dessin très maîtriséet codifié hérité du cinéma d’animation ?

J’aurais aimé que ça aille plus vite. Mais oui, cefut un long processus. Je n’avais pas le choix.J’ai dû passer par certains livres, dont certainsque je n’aime pas ou moins. Je dois me battrecontre mes propres inhibitions ou les limitesque je m’impose – ou que je projetais sur lesautres : “les éditeurs ne voudront pas, les lec­teurs ne suivront pas…” Aujourd’hui, j’arrive àbien sentir et comprendre ce que je veux faireet avoir à la fin un livre qui corresponde enfincomplètement à ce que je veux. Mais jen’aurais rien eu contre le fait d’être un vir­tuose qui arrive tout de suite à ça : être BastienVivès ne m’aurait pas déplu !

Vous citez Bastien Vivès (auteur virtuose de “Polina”,grand prix 2011 de l’Association des critiques debande dessinée et nommé à Angoulême également).Mais “Trois ombres”, ce n’était pas du petit-lait, toutde même…

Bastien, c’est le genre d’auteur comme il n’y ena qu’un par génération. Il est décoiffant… Maisje ne me plains pas. “Trois ombres” est un despremiers livres où j’ai essayé de me libérer dela forme, de m’autoriser des choses dans lanarration, de m’affranchir des codes et, même,du canevas de départ que je m’étais imposé.

“Trois ombres” est un récit de fiction, mais c’est aussila première fois que vous partez d’un récit intime (laperte d’un enfant par un proche). En ce sens, il conduitaussi à “Portugal”, plus autobiographique.

Ah, c’est vrai. J’ai commencé à écrire vers 30ans seulement. Je me suis rendu compte quepour mettre de l’énergie dans une histoire queje porte seul, elle doit m’être proche. J’ai dumal à partir dans la fiction pure. Même si“Trois ombres” est une fiction, ou un conte.

Mais il part d’une situation qui m’a touché.Pourtant comme lecteur, je peux lire des récitsd’aventure ou de fiction pure, sans enjeu émo­tionnel. Mais pour écrire, je n’y arrive pas. Lefait d’être à ce point impliqué dans le récit m’apoussé dans mes retranchements.

Vous “pousser dans vos retranchements” signifie enréalité libérer votre dessin. C’est comme un chemin àl’envers…

Oui, je cherche le dessin foireux (rires). Il n’y arien de plus difficile que dessiner comme ungamin de cinq ans : il prend son crayon et safeuille et il dessine tout ce qui vient. Tout. Çane dure pas longtemps cette période­là, saufexception. Il s’agit de n’avoir aucun d’ego d’ar­tiste. De dessiner sans penser au regard desautres, sans avoir rien à prouver. Juste essayerd’identifier ce qu’on ressent et essayer. Etj’aime bien cette façon de travailler. Ça m’ex­cite plus que de rester dans la grammaire de labande dessinée. Même si l’un n’exclut pasl’autre. Être dans le plaisir de ce qu’on fait n’estpas facile.

Dans “Portugal”, on sent ce plaisir dans la démarche.Pour autant, est-ce un album dessiné “sur la route”,avec le carnet de croquis dans le sac à dos ?

Ah non, pas du tout. C’était le résultat que jevoulais obtenir. Quand je suis allé au Portugal,j’ai écrit et j’ai fait quelques dessins d’observa­tion et pris des photos. Mais toutes les plan­ches ont été dessinées chez moi, dans mon ate­lier. Dans le carnet d’observation, je parvenaisd’ailleurs à faire ces dessins sans enjeu dont jeparlais précédemment. Un petit peu : car il y aquand même toujours cette question du re­gard potentiel de l’autre sur le croquis que l’onfait. Même si je fais un dessin a priori gratuit, jene peux pas m’empêcher de penser qu’il vaêtre vu et jugé par quelqu’un d’autre. C’estquand même terrible, non ? Mais du coup, enatelier, je voulais retrouver cette spontanéité.

Comment procédiez-vous ?En passant parfois par des artifices, commetravailler une planche sur un grand carnet decroquis. Afin de ne pas avoir le fétichisme de“la” page, sur beau papier à fort grammage.Bon, ça marchait plus ou moins bien. Mais

concrètement, techniquement, cela restait as­sez proche de n’importe quel autre travail.C’est mon état d’esprit qui était différent.

Tout l’album n’est pas dessiné de la même manière : ily a trois variations de style.

Oui. La partie centrale est plus réaliste, plus“old school”. À tel point qu’à la fin, j’en avaismarre de cette partie­là. Mais, cet état d’espritcorrespondait à la tonalité du récit à ce mo­ment­là. De même que le début reflète l’an­goisse de la page blanche, le blocage du dessi­nateur, qui était le mien avant d’entreprendrece travail et qui fait écho à mes interrogationsen entamant ce livre. Et la fin est plus déliée.Pour cette partie, je me suis interdit de recom­mencer un dessin. Je gardais tout, sauf grossecatastrophe. En supprimant l’enjeu du “beaudessin”, il se passait des trucs intéressants.

Vous parlez dans ce livre de l’histoire de votre famille,en remontant à votre grand-père, qui a émigré enFrance. Mais vous le faites à travers un personnage fic-tif. Aviez-vous besoin d’un filtre ?

J’avais besoin des outils de la fiction. Mais jepense que je voulais aussi me protéger. Carl’histoire de ma famille ne m’appartient pas :c’est la nôtre, collectivement. Avec Simon,j’évitais cette appropriation et, en plus, touteautocensure. Dès lors que ce n’est plus moi, oumon père, j’ai moins de scrupules. Et je n’ai pasd’enjeu de vérité. L’essentiel était ce que j’avaisà dire. J’y ai trouvé une liberté.

En travaillant sur ce récit, y a-t-il des souvenirs oubliésqui sont revenus ?

Oui. Il y a même des moments où j’étais sur­pris et très ému par ce qui me revenait. Mais jesuis incapable d’expliquer vraiment pourquoi.Je ne sais pas toujours d’où ça sort. Le pro­blème n’était pas la mémoire. Ce contre quoi jeme bagarrais tout le temps, c’était de ne pas lâ­cher mon sujet. Ma peur était de perdre le fil.Pour ne pas le perdre, je devais rendre vivanttout le temps ce que je ressentais. La lettrequ’écrit le grand­père à la fin du bouquin, je nesais pas d’où elle vient, mais, même mainte­nant, je ne peux pas la lire tant elle m’émeut.

Alain Lorfèvre (Première parution : le 9/12/11)

La quêtedu “dessin foireux” Portugal

Cyril PedrosaDupuis, 264 pages, 35 €

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Page 25: Momento du 25 janvier 2012

PortugalCyril Pedrosa

Dupuis, 264 pages, 35 €

Page 26: Momento du 25 janvier 2012

Scénario Denis Lapière et Pierre-Paul Renders6 tomes de 64 pages chacun, 12 €

Alter Ego

h Renders et Lapière cosignent “Alter Ego”, thriller métaphysique. Une série en six albums,conçue comme un puzzle narratif à recomposer.

ILS S’APPELLENT FOUAD, CAMILLE, NOAH,Darius, Park ou Jonas. Ils vivent aux quatrecoins du monde. Ils ne se connaissent pas(ou pas encore). Chacun d’entre eux va setrouver confronté “à une découverte scienti­fique d’une portée phénoménale”. Et si lesdestins des habitants de cette planèteétaient encore plus liés qu’on ne l’imagine ?Lorsque l’idée première d’“Alter Ego” agermé dans l’esprit du Belge Pierre­PaulRenders, il y a cinq ans, il a d’abord imaginésa transposition en série télévisée “à l’améri­caine”. “Je suis d’abord réalisateur de ci­néma” (“Les Sept péchés capitaux”; “Thomasest amoureux”, “Comme tout le monde” –NdlR) et c’est comme ça que ça s’est déve­loppé dans mon esprit au début, il y a cinqans. Mais pour ça, j’aurais dû frapper à laporte de chaînes américaines, et je n’aiaucun contact dans ces milieux­là”. Sansmême parler des moyens financiers

qu’aurait nécessité une telle entreprise. En re­vanche, Pierre­Paul Renders a déjà tâté del’écriture pour la bande dessinée : le scénariode son film “Comme tout le monde” a égale­ment été décliné en album, avec le concoursdu scénariste liégeois Denis Lapière. Lequel,enthousiasmé par le projet de Renders, l’a aidéà développer ce thriller politico­scientifico­métaphysique à entrées multiples (rien queça) en une série de six albums parus durant lederneir semestre 2011.

Les six albums peuvent être lus dans n’importequel ordre. Mais du point de vue du scénariste, y a-t-il un ordre idéal ?

En concevant le projet, j’ai développé unsynopsis pour chaque histoire, des mini­romans que j’ai testé sur des lecteurs enleur donnant un ordre de lecture différent.Et tous m’ont dit qu’ils pensaient que leurordre de lecture était le meilleur. Chacun

crée sa ligne narrative qui sera différente desautres. A partir du moment où c’est publiédans un certain ordre, celui­ci sera “imposé”aux premiers lecteurs. Mais ceux qui auront lessix albums pourront commencer par n’im­porte lequel. Et après trois albums, on perçoitl’ampleur de l’histoire. Certains donnent plusd’informations, d’autres moins. Au niveau desémotions, soit on a du suspense, soit de la tra­gédie. Mais ça fonctionne dans les deux sens.

Mais si chaque album peut-être le premier, ledeuxième, etc. ou le dernier de la série, il n’y aura pasde vraiment de conclusion…

Une fois qu’on a lu les six albums, il n’y a plusd’énigme, on sait de quoi il s’agit, mais il resteun suspense. Chaque album se termine sur uncliffhanger et chacun converge vers un pointqui sera résolu dans un septième album qui de­vrait être fini pour le mois de juin de l’an pro­chain. Ce ne sera pas un album explicatif, à pro­

prement parler, mais on saura ce qui va sepasser. Parce que dans mon esprit, tout ceciest conçu comme une première saison d’in­troduction, même si les sept albums forme­ront un cycle complet. Si ça marche, il yaura un nouveau cycle, mais pas nécessai­rement avec les mêmes personnages, plustard dans le temps. Et idéalement, une troi­sième, qui se situerait encore plus loin dansl’avenir, qui serait un seul album de scien­ce­fiction pure. Cette matière des alter egoest tellement riche que ça crée plein de si­tuations narratives.

Au-delà du divertissement, y a-t-il de votre part lavolonté de délivrer un message ?

Cette question d’alter ego soulève toutessortes de question de nature éthique, géo­politique, sociopolitique qui m’intéressent.Je n’ai pas de réponses à donner, mais ça meparaît important d’interpeller les gens.

C’est une réflexion sur la marche dumonde en jouant sur quelque chose quiest de l’ordre de la dualité individua­lisme/solidarité. Même en ne pensantqu’à soi, on est obligé de se préoccuper depersonnes qui, a priori, ne nous sont rien.

Les “alter ego”, c’est une parabole de l’effet pa-pillon de la mondialisation ?

Oui, c’est ça. C’est illusoire de s’en tirertout seul, on est connecté les uns auxautres. En jouant avec des personnages etces structures un peu cliché – le présidentaméricain, la multinationale –, j’essaie defaire comprendre que chacun, de sonpoint de vue, n’a pas vraiment le choix deses actes. Je suis fasciné par le fait quel’homme doive trancher des questionssans en avoir les moyens, et sans vraimentsavoir pourquoi, avec toute une métaphy­sique à gérer.

Et si “je”était aussi un autre ?

A Savoir

Deux types de scénaristes “Je considère qu’il y adeux types de scénaristes”, explique Pierre-PaulRenders. “Les scénaristes d’histoire, de structures, etles scénaristes de personnages. J’appartiens plutôt à lapremière catégorie, Denis plutôt à la seconde. J’aibeaucoup appris de notre collaboration. Denis a l’expé-rience d’une centaine d’albums et c’est un passionnédu langage bédé. Il y a une vraie fluidité narrative, cequi est tout un art.” Le dessin a été confié à un studio“virtuel” de dessinateurs novices, ou presque – Efa etZuga aux personnages, Benéteau et Erbetta aux décors,avec, comme “chef de chantier”, le Français MathieuReynès, qui a créé les personnages et storyboardé les360 pages de la série. Autant le scénario est novateur,autant le graphisme se veut classique. “Notre premiersouci, c’était la lisibilité”, explique Reynders. “Nousvoulions un dessin réaliste, mais pas trop, parce quetrop de réalisme refroidit les personnages, ils sont plusmonolithiques.”

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prement parler, mais on saura ce qui va sepasser. Parce que dans mon esprit, tout ceciest conçu comme une première saison d’in­troduction, même si les sept albums forme­ront un cycle complet. Si ça marche, il yaura un nouveau cycle, mais pas nécessai­rement avec les mêmes personnages, plustard dans le temps. Et idéalement, une troi­sième, qui se situerait encore plus loin dansl’avenir, qui serait un seul album de scien­ce­fiction pure. Cette matière des alter egoest tellement riche que ça crée plein de si­tuations narratives.

Au-delà du divertissement, y a-t-il de votre part lavolonté de délivrer un message ?

Cette question d’alter ego soulève toutessortes de question de nature éthique, géo­politique, sociopolitique qui m’intéressent.Je n’ai pas de réponses à donner, mais ça meparaît important d’interpeller les gens.

C’est une réflexion sur la marche dumonde en jouant sur quelque chose quiest de l’ordre de la dualité individua­lisme/solidarité. Même en ne pensantqu’à soi, on est obligé de se préoccuper depersonnes qui, a priori, ne nous sont rien.

Les “alter ego”, c’est une parabole de l’effet pa-pillon de la mondialisation ?

Oui, c’est ça. C’est illusoire de s’en tirertout seul, on est connecté les uns auxautres. En jouant avec des personnages etces structures un peu cliché – le présidentaméricain, la multinationale –, j’essaie defaire comprendre que chacun, de sonpoint de vue, n’a pas vraiment le choix deses actes. Je suis fasciné par le fait quel’homme doive trancher des questionssans en avoir les moyens, et sans vraimentsavoir pourquoi, avec toute une métaphy­sique à gérer.

A Savoir

Deux types de scénaristes “Je considère qu’il y adeux types de scénaristes”, explique Pierre-PaulRenders. “Les scénaristes d’histoire, de structures, etles scénaristes de personnages. J’appartiens plutôt à lapremière catégorie, Denis plutôt à la seconde. J’aibeaucoup appris de notre collaboration. Denis a l’expé-rience d’une centaine d’albums et c’est un passionnédu langage bédé. Il y a une vraie fluidité narrative, cequi est tout un art.” Le dessin a été confié à un studio“virtuel” de dessinateurs novices, ou presque – Efa etZuga aux personnages, Benéteau et Erbetta aux décors,avec, comme “chef de chantier”, le Français MathieuReynès, qui a créé les personnages et storyboardé les360 pages de la série. Autant le scénario est novateur,autant le graphisme se veut classique. “Notre premiersouci, c’était la lisibilité”, explique Reynders. “Nousvoulions un dessin réaliste, mais pas trop, parce quetrop de réalisme refroidit les personnages, ils sont plusmonolithiques.”

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Craig ThompsonCasterman, coll. Ecritures, 672 pages, 25 €

CRAIG THOMPSON S’EST FAIT CONNAÎTRE DU PUBLIC francophone au début des années 2000 avec le remarqué“Blankets”, chronique autobiographique douce­amère de son éveil au sentiment amoureux, dans son Midwest natalouaté de neige.

L’Américain revient aujourd’hui avec le non moins remarquable “Habibi”. Il est encore ici question d’amour : celui quiunit Dodola et Zam, deux enfants esclaves, auxquels ni le destin, ni leurs contemporains ne feront de cadeau, au coursde la vingtaine d’années que couvre le récit. Plus copieux encore que “Blankets” en termes de pagination, “Habibi” estun ouvrage foisonnant, sensuel autant que cruel, érudit et mystique. L’histoire principale s’ouvre comme une fleur, par­fois vénéneuse, sur d’autres digressions, paraboles et anecdotes à la manière des contes des “Mille et une nuits”.

“Blankets” comprenait déjà beaucoup références à la Bible. “Habibi” est aussi truffé d’évocations de la Bible et du Coran. Vous con-sidérez les livres sacrés comme une matière première ?

Ça vient directement de mon enfance. J’ai grandi dans une famille chrétienne fondamentaliste. Nous n’avions pas delivres à la maison, parce que mes parents pensaient que la Bible était le seul livre qui valait la peine d’être lu – il y ad’ailleurs certainement quelque chose à dire sur cette nostalgie de l’époque où les gens n’avaient qu’un livre, mais leconnaissaient très intimement, parce qu’ils le lisaient, relisaient, l’étudiaient, le mémorisaient. Pendant une dizained’années de ma vie, donc, j’ai lu la Bible tous les jours de la vie. Nous n’avions pas la radio, pas la télévision, pas de cas­sette video de films, pas de musique autre que religieuse. En revanche, les bandes dessinées, parce qu’elles étaientdestinées aux enfants, étaient autorisées. Voilà pourquoi la Bible et les comics ont été tellement importants pour moi.C’était comme une évidence d’opérer un mélange les deux dans “Habibi”.

Les deux personnages principaux, Dodola et Zam sont respectivement une jeune fille arabe et un gamin africain. Est-ce le fruit duhasard, ou d’une volonté de l’auteur qui doit être interprétée ?

Ils sont apparus sur le papier avant que je ne réalise qui ils étaient. Ils ressemblaient dès le premier dessin à ce à quoiils ressemblent aujourd’hui. Je ne me suis pas posé la question “Comment se mettre dans la peau d’une femme arabeou d’un gamin noir quand on est un Blanc américain ?” Ils étaient des personnages à part entière, qui se sont écritseux­mêmes. Je leur ai fait confiance, en me basant sur mon expérience.

Il est difficie de situer la période à laquelle se déroule le récit. On a d’abord l’impression qu’il évoque des temps anciens, puis appa-raissent des événements contemporains... Vous vouliez que le lecteur ne sache pas exactement fixer de repère temporel ?

C’est exactement ça. Tout ce que je savais de Dodola et Zam était qu’ils seraient des esclaves. J’ai fait des recherchessur l’esclavage pour me rendre compte que c’est un phénomène plus important aujourd’hui qu’il ne l’était par lepassé, alors qu’on imagine souvent le contraire. L’esclavage a pris beaucoup de formes différentes. Esclavage sexuel,travail des enfants... : c’est l’impact d’une époque globale, où l’on baisse les coûts et les prix par le biais de l’exploita­tion. Ça ne nous dérange pas, du moment qu’on ne le voit pas, tant qu’ils ne sont pas devant nos yeux. Donc, je voulaisles placer à n’importe quel moment de l’histoire. Et je ne voulais pas non plus les placer dans un lieu précis. Peut­êtreest­ce de la paresse, parce que je ne voulais pas faire des recherches.

Il y a quand même un lien clair avec le monde musulman, à travers l’écriture arabe. On dit dans le livre que tous les peintres brûle-ront en enfer, parce qu’Allah ne désire pas qu’on représente le monde en image. Ce n’est pas anondin, pour un dessinateur, de re-prendre une telle citation. Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’écriture est un symbole, un code qui remplace le dessin ? Qui lui estsupérieur ?

J’ai été élevé dans une tradition selon laquelle “au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu”. Qu’est­ce queça veut dire ? Dans le judaïsme, la Torah doit être écrite à la main et lentement déroulée au fil de l’année. Il y a un ri­tuel sacré autour du Livre. Si l’on parle de l’islam, Mahomet était un illettré, ce qui rend miraculeux qu’il ait révélé aumonde toute cette poésie. Et l’interdit de la représentation vient du judaïsme. Finalement, il y a quelque chose d’as­sez juste dans cette idée d’interdiction.

Comment représenter la divinité par un dessin ?C’est bien trop ésotérique, bien trop abstrait. Et d’une certaine manière, on se rapproche de la représentation avec

l’abstraction, avec des motifs qui tournent autour de l’idée de Dieu. Pour moi la grande ironie de la Bible est qu’elleest censée être la parole de Dieu, alors qu’il est évident qu’il s’agit de l’assemblage de textes produits par des centai­nes d’auteurs au cours de centaines d’années. Je la lis en anglais, donc vous imaginez combien le sens a pu se dilueravec les traductions successives. Avec “Habibi”, je voulais explorer la relation entre le mot et l’image, en pensant lemot comme sacré et l’image comme profane, en les opposant comme l’homme et la femme, deux énergie polaires quifusionnent dans une autre forme, plus forte. Et la bande dessinée est la fusion parfaite du texte et de l’image. Il y aquelque chose de dynamique, de naturel, de communiquer de cette matière.

Olivier le Bussy (Première parution : le 31/10/11)

Un monde sans pitié,mais pas sans amour

h Sept ans après “Blankets”, Craig Thompson livre une nouvelle histoire d’amour, plustorturée. “Habibi” est un ouvrage copieux, foisonnant, cruel et sensuel dont une lecture ne

suffit pas à faire le tour. Habibi

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Craig ThompsonCasterman, coll. Ecritures, 672 pages, 25 €

Habibi

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h “Polina” est un livre touché par la grâce. Ou le cheminement, artistique et humain, d’une petite danseuserusse, de l’enfance à l’âge adulte.

ALLONS DROIT AU BUT : “POLINA” EST UN li­vre touché par la grâce et celui qui le signe, Bas­tien Vivès, l’un des plus saisissants talents parmila génération montante d’auteurs de bande des­sinée. A 27 ans, le Français a déjà publié une di­zaine d’ouvrages, dont les remarquables “Legoût du chlore” ou “Dans ses yeux” qui trai­taient, avec une touchante subtilité des nuan­ces, du sentiment amoureux. Ou encore la trilo­gie (en cours) “L’Empire”, sombre peplum co­écrit et dessiné avec Merwan. “Polina” place labarre plus haut encore, en suivant le chemine­ment artistique d’une danseuse russe de ballet,de l’enfance à l’âge adulte, à travers 200 pagestout en tension et en émotion. Optant pourl’ombre, la lumière et le gris, Vivès s’y réinventegraphiquement, ajoutant la puissance, la den­sité à la finesse de son trait.

Pourquoi l’univers de la danse ?J’avais une histoire en tête mais je n’avais pastrouvé d’univers artistique pour la dévelop­per. Jusqu’à ce que je tombe sur une vidéo dela danseuse Polina Seminonova qui m’a con­duit à imaginer l’histoire d’une petite dan­seuse russe. C’est un peu cliché mais je vou­lais jouer avec ces clichés. Quand Polina estreçue à l’académie, le monde extérieur dis­paraît.

Entrer en danse, c’est entrer en religion ?Exactement. Mais ça me paraissait impor­tant de montrer que sa mère l’avait amenéedans cette école. Qu’elle avait une familleavant d’y entrer.

Vous voyez cet univers comme quelque chose d’op-pressant ?

Oui, mais elle est passionnée, elle prend ça ausérieux. Il faut juste qu’elle trouve pourquoielle doit danser.

“Polina” est votre premier récit de longue haleine…Au début, j’avais mon histoire, le découpage,puis j’ai travaillé sur “L’Empire”. En revenantsur “Polina”, plus rien n’allait. J’ai bidouillé,recoupé, j’ai réécrit 40 planches, puis il y a eule second tome de “L’Empire”. Ce qui m’apermis, finalement, de prendre du recul surce que je faisais. “L’Empire” m’a apporté unevraie efficacité par rapport au propos. Sij’étais resté dans le côté léger de l’écritured’histoire, comme “Le goût du chlore”, je meserais retrouvé coincé pour raconter “Po­lina”. Ça m’a appris à faire passer mon idéedès le début et à anticiper tous les dévelop­pements de l’histoire, à la construire…

Vous avez encore changé de technique de dessin…Je ne voulais pas que le style m’épuise. J’avaiscommencé avec un trait hyper fin, mais ça neconvenait pas pour le mouvement. J’ai optépour un trait à la grosse patte noire, puis ças’affine au fur et à mesure. Le gris, je l’utilisepour donner de la lisibilité au noir et blanc etidentifier les trois lieux – le quotidien, les ré­pétitions et les spectacles.

Vous préférez suggérer que montrer, comme pour lesscènes de danse où les visages s’effacent…

Ce qui compte, c’est le mouvement et l’atti­

tude, le visage et les yeux apporteraient desinformations superflues. Plus j’avance, plusje me rends compte de ce qui importe ou pas.Le décor, les détails, on s’en fout, ce quicompte, c’est ce que le personnage dit.

Le rapport maître/élève est le fil conducteur du ré-cit. C’est propre à la danse ?

Ça existe partout. C’est peut­être plus pas­sionné dans un domaine créatif. Et la danse,il y a le rapport au corps. On peut vous dire :désolé, mais vous avez le bassin trop large.

Polina, c’est la naissance d’une artiste, mais la trans-formation d’une fillette en femme…

C’était un gros pari. Que se passe­il entre 12et 14 ans, par exemple ? Bon, j’ai fait des el­lipses. On voit peu les modifications ducorps. J’ai joué avec les coupes de cheveux,les attitudes. Mais j’ai adoré dessiner ça. C’estsuper de donner naissance à un personnage.Polina, j’ai carrément eu l’impression del’élever.

La danse et le dessin sont faits pour aller ensemble,comme la boxe et le cinéma ?

Il y a un vrai parallèle, si on pense à Degas. Lecroquis de nu, c’est déjà une danse, enfin,une pose. D’ailleurs, quand je faisais monconcours pour entrer dans les écoles d’ani­mation, j’allais dessiner des animaux et desbreakers…

Olivier le Bussy (Première parution : le17/03/2011)

Bastien VivèsCasterman, coll. KSTR, 216 pages, 18 €

Polina

Vivès, créateur d’étoile

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Bastien VivèsCasterman, coll. KSTR, 216 pages, 18 €

Polina

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GROS PLAN SURLES MAGRITTE DU CINÉMAUN HORS-SÉRIE,LE 1ER FÉVRIERDANS LA LIBRE BELGIQUE