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ISSN 1969-2137 Chrétiens dans l’Enseignement Public Lignes de crêtes Lignes de crêtes “Revendique tes droits sur toi-même” Traverser l’échec L'erreur au cœur de la méthode scientifique École publique du soir pour jeunes et adultes Rencontre nationale : le corps à l’École Estime de soi Affronter l’échec n°34 Janvier - Février - Mars 2017 10 €

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ISSN

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Chrétiens dans l’Enseignement Public

Lignes de crêtesLignes de crêtes

“Revendique tes droits sur toi-même”Traverser l’échec

L'erreur au cœur de la méthode scientifiqueÉcole publique du soir pour jeunes et adultes

Rencontre nationale : le corps à l’École

Estime de soiAffronter l’échec

n°34

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Site de CdEP : www.cdep-asso.org

Éditorial (Comité de Rédaction) ............................... p 3"Revendique tes droits sur toi-même" (J.-L. Gourdain) .......................................................... p 4

MétierClasse ! ou Trop nulle ! (J. Xhaard) ........................... p 6Passer d'un échec à une réussite (S. Cahen) ......... p 6"C’est moi, Élias" (C. Guilbaud) ................................ p 7"La confiance..." (C. R.) ............................................. p 8Petit cahier d'exercices d'estime de soi ................... p 11Pour une juste appréciation de soi (É. Tartar-Goddet) . p 12Le théâtre-forum et les animations (É. T-G.) ............ p 13Un drôle de loup (J. Xhaard-Bourdais) ..................... p 13Éthique de l’enseignant (S. Paquet) ........................ p 14Dans les textes officiels (S. P.) .................................. p 16

Église et FoiMéditation (S., M., C. et É.) ....................................... p 17..................................................................................... p 18Traverser l’échec (D. Moulinet) ................................ p 20

SociétéLes sources de l’estime de soi (A. Charton) ............ p 24Le courage d'être (M. Farine) ................................... p 25L'erreur au cœur de la méthode scientifique(I. Tellier) .................................................................... p 26Au CADA (J. Rodrigues) ............................................. p 27Apporter davantage de considération... (B. Petit) ... p 28Une reconversion... (É. Tartar-Goddet) ....................... p 28Lettre à une amie (X.) ............................................... p 30

Relecture BibliqueL’histoire de Zachée : l’estime de soi retrouvée ?(D. Moulinet) .............................................................. p 32

Et ailleurs ?École publique du soir... (A.) ..................................... p 34Mendiants des rues au Sénégal (B. Petit) ............... p 36

Vie culturelleLivres .......................................................................... p 37Livres d’enfants (M. Becker) .................................... p 40

Vie de l’associationPrenons le parti de la solidarité (É. Couteux) .......... p 41CdEP aux Semaines Sociales (S. Paquet) ................ p 42Le corps et l’école ..................................................... p 43Rencontre FEEC-SIESC (W. Rank, S. Paquet) ........... p 44Sessions d’été 2017 ................................................. p 45

IconographieLa femme adultère (S. Céruti) .................................. p 46

Sommaire

2

Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans l’En-

seignement Public, résultat de la fu-sion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

Directeur de publication : Michèle Lesquoy - Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 0217 G 81752 du 7 juin 2012Imprimerie Chauveau-Indica, 2 rue 19 Mars 1962 - 28630 Le COUDRAY

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CouverturePages 1 et 4 : Montage Suzanne Cahen

Prochains numéros• Spiritualité / École• Communication et management• Corps / École

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L’estime de soi, “tu as du prix à mes yeux” : tels étaient les thèmes de ré-flexion partagés par les enseignants réunis fin août 2016 en "session CdEPdes actifs".

“V ais-je enseigner toute ma carrière, ou est-ce que je bifurquerai ?”Dans un contexte de fragilisation des vocations, ou de confrontationentre un métier "rêvé", dont on s'est construit une image, et les diffi-

cultés du terrain, c’est une question récurrente. D'ailleurs, quand certains, à 30ou 40 ans, ont fait le choix d’une deuxième carrière en tant qu’enseignant, et nele regrettent pas, on sait cependant qu’à côté un nombre croissant de jeunescollègues abandonnent le métier après une ou quelques années.

Car en France, on est tellement dans la transmission du savoir que biensouvent l’enseignant n’ose pas dire ce qui ne va pas sur le plan relation-nel. Le sentiment de culpabilité fait partie de la culture enseignante, alors

que les difficultés sont inhérentes au métier, surtout dans les réalités difficilesd’aujourd’hui. On peut être confrontés à des élèves qui ne veulent plus rester enclasse, et refusent toute parole d’adultes. Et dans une société qui dysfonctionne,la violence peut aussi venir de l’institution elle-même, qui, si elle disqualifieadultes ou jeunes au lieu de les soutenir, se disqualifie à son tour.

Comment, sans sombrer dans la dramatisation, en tenir compte pour fairede l’école publique un lieu de vie, de culture et de socialisation ? Dansd’autres pays que le nôtre, le concept d’estime de soi est loin d’être récent.

Nous avons cherché dans ce dossier à relier ce sentiment de sécurité intérieure,qui permet de distinguer ce que nous faisons de ce que nous sommes, à la vo-lonté d’affronter et de surmonter l’échec. Apprendre, c’est tâtonner, chercher.Nous ne sommes pas tout-puissants ; ne pas mettre la barre trop haut permetde relativiser et travailler notre idéal professionnel, pour qu’il soit à la mesure dece qui est réalisable.

Pour ses participants, la session d’août dernier a été un lieu de respiration,de soutien, mais aussi un moment de vie partagée. Construire du sens surce que nous faisons, se questionner sans douter de soi, faire tenir en-

semble tous les aspects de sa personne sans se laisser déstabiliser, tout celademande un travail réel. Vous pourrez lire ici l’essentiel des deux interventionsqui ont nourri la réflexion sur les aspects philosophiques et religieux du pro-blème. Vous trouverez également un bon nombre de témoignages qui ne se li-mitent pas au monde scolaire car l’estime de soi est vitale pour tous, enparticulier les malades, les prisonniers, tous ceux qui sont fragilisés par la vie.L’expérience de chacun est unique, et pourtant elle peut servir d’exemple etd’encouragement pour ceux qui se retrouvent dans des situations similaires.L’estime de soi se construit ensemble.

Le Comité de Rédaction

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Éditorial

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Souligner les paradoxes de notreépoque est presque devenu un genrelittéraire à part entière tant ceux-ci sontnombreux. Le moindre d'entre eux n'estpas celui qui touche au temps. Lesmoyens modernes de communication,qui nous permettent d'aller en quelquesheures d'un endroit à un autre quand ilfallait plusieurs jours de voyage autre-fois, le développement d'Internet quimet à notre disposition la mieux fourniedes bibliothèques, la diminution de ladurée légale du travail, tout cela devraitnous permettre de gagner du temps. Orc'est l'inverse qui se produit : on a l'im-pression de ne plus pouvoir suivre lacadence effrénée, proprement inhu-maine, qui nous est imposée et lesimages de dévoration rendent biencompte de cette situation, du familier :"on se fait bouffer" au plus savant etassez pédant : "c'est chronophage".

D'autres époques de l'histoire hu-maine ont pu produire semblable im-pression. C'est le cas, si l'on en juge parle témoignage des contemporains, dece qui était vécu, sous l'Empire Romain,par les classes dirigeantes, car je ne

parle pas de la plèbe désœuvrée qu'ilfallait occuper en lui donnant, selon lemot de Juvénal, "du pain et des jeux".Entre les obligations sociales – rece-voir chaque matin ses "clients1", allerrendre visite à ceux dont on est soi-même le client –, et les devoirs desfonctions politiques ou représentativesqu'on pouvait occuper, il ne restait pasbeaucoup de temps pour la vie person-nelle.

Au premier siècle de notre ère, le phi-losophe Sénèque, désireux de mettreau service d'une vie bonne les principesde la sagesse stoïcienne qu'il reven-dique, est plongé dans un nœud decontradictions. Préconisant la tempé-rance et la modération dans le train devie, il vit dans le luxe et la richesse ;alors qu'il proclame que le souverainbien se confond avec la vertu, il sombredans les pires des compromissions :précepteur puis ministre de Néron, il vajusqu'à écrire la lettre, lue devant leSénat, par laquelle celui-ci justifie lemeurtre de sa mère Agrippine2. Prisdans le tourbillon d'un pouvoir qui de-vient de plus en plus monstrueux, etqu'il s'efforce en vain de canaliser, il voitsa vie lui échapper. En 62 (né versl'an 1 de notre ère, il a alors dépasséde peu la soixantaine), résolu à mettreenfin en accord sa vie et ses principes,il demande à l'empereur la permissionde prendre sa retraite. Il se heurte à unrefus, cependant il se retire peu à peude la vie publique et consacre à sonœuvre philosophique les dernières an-nées de sa vie. Impliqué en 65 dans laconjuration de Pison, qui visait à ren-verser Néron, il reçoit l'ordre de se sui-cider, ce qu'il fait avec un grandcourage.

C'est à cette époque qu'il écrit sesLettres à Lucilius, destinées à convertirà la philosophie ce Lucilius Junior, alorsprocurateur – un poste de haut fonc-tionnaire – en Sicile.

"Revendique tes droits sur toi-même"

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Lucilius - Photo G. Garitan

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Voici le début de la première lettre durecueil3 :

C'est cela, mon cher Lucilius : reven-dique tes droits sur toi-même. Jusqu'icion te prenait ton temps ; on te le déro-bait ; il t'échappait. Recueille ce capitalet ménage-le. Oui, sois-en convaincu,les choses vont comme je te le dis : ilest de nos instants qu'on nous ar-rache ; il en est qu'on nous escamote ;il en est qui nous coulent entre lesdoigts. La perte, à bien parler, n'est ja-mais plus blâmable que lorsqu'elle pro-vient d'incurie. Du reste, regardes-y deprès : la part la plus considérable de lavie se passe à mal faire, une large partà ne rien faire, toute la vie à n'être pasà ce que l'on fait.

Me citeras-tu un homme qui attribueune valeur réelle au temps, qui pèse leprix d'une journée, qui comprenne qu'ilmeurt un peu chaque jour ? Telle est,en effet, l'erreur : nous ne voyons lamort que devant nous, alors qu'elle est,en grande partie déjà, chose passée.Tout ce que nous laissons derrière nousde notre existence est dévolu à la mort.Fais donc, mon cher Lucilius, comme tule dis : empare-toi de toutes tes heures.

Ainsi tu dépendras moins de demain,pour avoir opéré une mainmise sur lejour présent. Tandis que l’on diffère devivre, la vie court.

Le texte, on le voit, n'a rien perdu deson actualité et chacun peut y trouvermatière à réflexion. Au fond, Sénèque,dans cette ouverture magistrale, ditl'essentiel de sa sagesse stoïcienne : ils'agit de se réapproprier le temps de savie pour le consacrer à cultiver sonâme, le seul bien qui nous appartiennevraiment. Ainsi le sage sera-t-il ce ro-cher placé au milieu de la mer, battupar les flots de la vie mais leur oppo-sant une résistance farouche4.

Dans une perspective chrétienne, onpeut penser que ce n'est là qu'uneétape : reprendre les commandes de savie est un préalable nécessaire pour re-trouver l'estime de soi mais il s'agit dese rendre ainsi disponible à l'imprévude Dieu.

Jean-Louis GourdainRouen

1/ La société romaine est fondée sur unsystème pyramidal de relations interper-sonnelles qui lient "clients" et "patrons". Lepatron doit assistance à son client, qui luidoit respect et dévouement. Dans la sociétéimpériale, il n'y avait guère que l'empereurqui ne fût le client de personne.2/ L'argumentation consistait à dire quel'Empereur avait ainsi échappé à un com-plot ourdi par sa mère. Ce dont le Sénat lefélicita.3/ Lettres à Lucilius, I, 1, 1-2, traduction deH. Noblot, CUF 1945 et rééditions ulté-rieures4/ Cette image du sage stoïcien se trouvedans le traité Sur la Vie heureuse de Sé-nèque (De Vita Beata XXVII, 3). On peut l'op-poser à l'image du sage épicurienreprésenté par Lucrèce, au début du livre IIde son poème Sur la Nature, comme celuiqui, du rivage, en sécurité, regarde ceux quisont ballottés par les flots de la vie et fontnaufrage : Suave mari magno...

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Sénèque - Photo PRA

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Classe ! ou Tropnulle !

Cette année-là, j'allais travailler avec entrain dans maclasse de terminale, les quatre heures d'Histoire Géogra-phie, l'heure d'ECJS (Éducation Civique, Juridique et Sociale)en demi-groupe, le suivi des Travaux Personnels Encadrés(aujourd'hui disparus de la classe de terminale), l'Histoiredes Arts, la fonction de professeur principal, bref des condi-tions idéales... J'aimais bien cette classe, et j'aimais bienaussi l'image qu'elle me renvoyait, une professeure dyna-mique au milieu d'élèves intéressés et réactifs.

Cette année-là aussi, j'avais une classe de Seconde, qua-tre heures d'Histoire Géographie, l'heure d'ECJS en demi-groupe... et c'était souvent difficile, une professeure qui"ramait" avec des élèves plus ou moins intéressés, ou indif-férents ! On pourrait trouver bien des raisons pour expliquercela, leur nombre, leur âge, la situation de mes heures dansl'emploi du temps.

Et pourtant, j'étais bien la même, juste un peu moins dé-tendue avec les plus jeunes. Passer des uns aux autres,dans un sens ou dans l'autre, quel bon exercice, remède àune trop grande confiance en moi ou encouragement àcontinuer mon chemin d'enseignante.

Finalement, ce fut une bonne année !

Jacqueline XhaardMaine-et-Loire

Passer d'unéchec à une

réussiteQuand j’avais dans mes attributions de

faire fabriquer, en cours de travaux manuelspuis de technologie, des objets (par exemplele classeur que les élèves utiliseraient du-rant leur scolarité au collège, ou le jeu fabri-qué en interdisciplinarité avec la collègue deSciences et Vie de la Terre), il ne s'agissaitpas pour moi de laisser partir un élève avecquelque chose dont il ne serait pas fier, saufbien sûr s'il refusait toute modification à saproduction ; c'était là aussi lui laisser la li-berté de son choix.

Ainsi donc, avec l'enfant, je recherchaiscomment ajouter une bande décorative pourmasquer des taches, ou placer des mor-ceaux de toile sur les angles mal couverts…

Le produit fini n'était peut-être pas tout àfait conforme au cahier des charges, mais,est-il plus important pour un élève de partiravec un objet rigoureusement dans lesnormes, et qu'il jettera très vite, ou avecquelque chose légèrement différent du projetinitial, mais qu'il pourra montrer et utiliser ?

La note était moins importante que ce quiétait remporté à la maison. J'avais observé,quand je rendais un travail écrit sur unefeuille de copie, si l'élève n'avait pas lamoyenne, qu’il ne s'agissait que d'un mor-ceau de papier qui disparaissait facilementdans la poubelle. Tandis que l'objet ou le platcuisiné à rapporter à la maison était porteurd'émotion. Dernièrement, me trouvant dansune rue de Paris, un homme jeune m'a abor-dée et demandé si j'étais bien Madame C. Ilm’a alors raconté le bon souvenir qu'il agardé des tartes salées fabriquées pendantles cours sur l'alimentation. Et ceci est un sa-voir-faire dont il peut faire bénéficier d’au-tres personnes de son entourage…

Suzanne CahenVal-de-Marne

Métier

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C’est par ce message à l’inter-phone qu’Élias nous appelle lelundi et le jeudi après sa sortie ducollège.

Élias est en sixième ; il a tra-versé l’école élémentaire sanstrop de soucis grâce à des parentsvigilants et à des maîtres attentifs.

Pourquoi venir chez nous aprèssa journée de classe ? C’est pourtravailler (?) et parler avec Jean1 afind’acquérir confiance en lui et es-time de soi.

Élias est un sympathique enfantde onze ans. Il ne manque pas devocabulaire, s’exprime volontiersmais est inquiet car reconnu dys-praxique2. Au collège, il est ac-compagné d’une AVS3 et munid’un ordinateur, mais, revers de lamédaille, il est évalué par uneéquipe pluridisciplinaire qui dé-cide de soins (pédiatre, psycho-logue…) et de remédiations(orthophoniste, ergothérapeute,psychomotricien…). Si l’on se ré-jouit de la reconnaissance et de laprise en charge de ce "dys", sa viequotidienne d’enfant en est forte-ment impactée.

Récemment, dans un momentde désespoir, il a déclaré en san-glotant : "Je ne veux plus d’AVS, nid’ordinateur, je ne veux plus queles autres me regardent commequelqu’un de différent". Il fut biendifficile à consoler.

Alors que fait Jean ? Il écoutetout ce qu’Élias a envie de lui dire,à chaud, après la classe. ChezÉlias, gaucher mais bon scripteur,bon lecteur, amateur de littéra-ture, les concepts mathématiquessont très incertains et le calcultrès lent. Bien qu’élève desixième, la compréhension desnombres lui reste difficile. Lestermes mathématiques ne lui sontpas familiers et les opérationssont laborieuses. Donc, dans unpremier temps, Jean l’accueille etlui propose un petit goûter sympa(c’est le père de famille qui saitque la détente est nécessaire),puis il lui demande ce qu’il veutfaire, ce qui l’a ennuyé en maths…S’il ne veut rien et dit ne pas avoireu de difficultés, ils jouent avecLogix- jeu canadien développant ladéduction-. Élias adore ça et il

"C’est moi, Élias"Métier

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réussit très bien. À d’autres mo-ments, Jean va proposer un texte,un conte, Élias va le lire et ses re-marques vont ouvrir un horizonsur le style, l’écriture, l’analogieavec d’autres histoires. La sé-quence est courte mais agréableou ludique.

Lorsque Jean a l’impressionqu’il n’est plus attentif ou fatigué,il le laisse libre d’aller jouer dansla chambre de nos petites-filles ;là, il dessine ou fait fonctionnerune boîte à musique ; il ne selasse pas de jouer avec un kaléi-doscope. Parfois, il prend unebande dessinée.

Élias est heureux de venir cheznous. Il dit : "C’est ma deuxièmemaison".Moi, j’admire la patiencede Jean et les liens qu’il tisse aveccet enfant. Les parents remercientbeaucoup. Nous, nous nous de-mandons si cela l’aide réellement,mais nous apprenons beaucoupsur ce trouble bien particulier.

Chantal GuilbaudSeine-Saint-Denis

1/ La maman d’Élias, militante,conseillère municipale, m’avait de-mandé de trouver une de mes col-lègues en retraite pour accompagnerÉlias et l’aider à s’adapter au collège.Faute de trouver une collègue aussidisponible, Jean, mon mari, s’est pro-posé.2/ La dyspraxie est souvent appelée"handicap invisible". Reconnu très ré-cemment grâce à des neurologues etdes médecins de réadaptation, cetrouble gêne l’acquisition du geste, lesapprentissages, alors qu’il n’y a ni dé-ficit moteur ni trouble de la compré-hension.3/ Auxiliaire de Vie Scolaire

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Au mois de novembre 2016, leprofesseur de lettres en lycée queje suis a eu à faire face à une vé-ritable "bronca" dans une classede 1ère Techno... au point de medéstabiliser et de me fragiliser : unpeu en classe, où néanmoins j'ai"fait face" et tenu bon ; mais sur-tout chez moi ou dans mon for in-térieur, où j'ai eu l'impression deperdre confiance en moi, en mescapacités de "bonne" (jusque-là)enseignante. Je me suis tout àcoup sentie vulnérable. Heureuse-ment, le soutien sans faille de laCPE, de mes autres collègues pro-fesseurs, et surtout une séanced'échange avec la classe, ont faitrenaître la confiance, en moi et enmes capacités, et m'ont permis dedécouvrir autrement mes élèves,leur regard sur moi et leurs at-tentes.

Je ne désire pas narrer par lemenu tout ce qui a précédé cetteviolente "crise" du lundi 7 novem-bre, et la rébellion d'une grandepartie de la classe pendant un de-voir (prévu, annoncé) de deuxheures. C'est forcément partiel etpartial, puisqu'émanant du seulprofesseur, et sans grand intérêt(une somme d'anecdotes banalessur des incidents que tout ensei-gnant rencontre, en classe). Tou-jours est-il que ce jour-là, pour untravail surveillé (devoir de deuxheures), les élèves devaient rap-porter un livre de poche (uneœuvre littéraire sur laquelle noustravaillions depuis mi-octobre, etque peu d'entre eux avaient en-core achetée ! D'où mon courrouxles cours précédents...). Pourtantdûment avertis qu'il fallait absolu-ment le livre, que le lycée ne ferait

pas de photocopies cette fois (j'enavais fait au début, le temps quetout le monde ait pu se procurerl'œuvre), des élèves sont venussans, me "demandant" ou m'inti-mant quasiment l'ordre (tout aumoins l'ai-je ressenti ainsi, tantc'était fait de manière abrupte etdiscourtoise) de photocopier lespages du texte à commenter. J'airefusé, puis essayé d'argumenter,mais tout a dégénéré très vite.Des élèves se sont mis à crier«Alors personne n'a le livre ! Ne lesortez pas ! Comme ça le contrôlesera annulé... !». D'autres récrimi-naient, protestaient bruyam-ment... Certains voulaient que laclasse «fasse grève» ou propo-saient que «tout le monde s'enaille, que tous les élèves quittentla salle de devoir». Des élèvescriaient, debout près du bureau...,d'autres chahutaient au fond.

Bref, dans un brouhaha indes-criptible, une espèce de "mutine-rie", si l'on peut dire, a faillis'installer, et j'ai eu le plus grandmal à garder le contrôle, à faire as-seoir tout le monde (ce fut long),puis à mettre au travail les élèves(les 2/3) qui avaient leur livre etl'ont finalement sorti de leur sac.Il en restait 9 qui ne l'avaient pas,qui faisaient du bruit, protestaient,incitaient les autres à ne rien faire,ou gênaient très fortement ceuxqui voulaient travailler... Il y a eudes bruits divers (y compris derots, pets,… ; vous voyez le niveau)pour provoquer des fous-rires, descris d'animaux, des interpellationsà voix haute de camarades, oudes mises en cause de la prof qui«sabotait le devoir de la classe»...Vu les insolences de certains, j'ai

"La confiance : effondrement etrenaissance"

Métier

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mis un mot dans 3 carnets, aprèsmoult avertissements et aprèsavoir tergiversé un moment, carj'avais l'impression que cela allaitmettre le feu aux poudres. Puis uncalme relatif est peu à peu re-venu... Mais au bout de 3/4d'heure, la situation a failli dégé-nérer à nouveau ; cris, bruits, mou-vements... Sentant que toutrisquait de basculer, j'ai fait de-mander si je pouvais "libérer" lesélèves perturbateurs, ou si la CPEou un surveillant pouvait monteren "salle de contrôle" ; la personnequi est venue et qui a finalement"gardé" les 9 récalcitrants dansune autre salle à côté a pu avoirun aperçu du comportement et duniveau des propos de ces élèvesce jour-là...

Cet incident (car après tout, riende vraiment grave ne s'est passé ;les 9 élèves ont été "collés" la se-maine suivante et ont fait un tra-vail qui a permis de compenser lezéro mis ce jour-là) m'a atteinteplus profondément que je ne l'au-rais cru, à ma grande surprise.Sans que je sache trop bien pour-quoi. Mais j'ai ressenti des chosesnouvelles, désagréables et désta-bilisantes. Je me suis sentie "endanger", menacée, fragilisée : de"grands" élèves criaient et gesti-culaient tout près de mon bureau,et à un moment j'ai brièvementpensé «Mais il y en a un qui va medonner une baffe !». Restant der-rière mon bureau comme un déri-soire rempart, j'ai tout fait pour lescalmer et les faire asseoir. Je nevoulais pas céder, pour le principe,et parce que j'avais l'impressiontrès nette que certains avaient"oublié exprès" le livre pour ne pas

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faire le travail prévu (ce que l'unau moins a naïvement reconnuensuite). D'autre part, j'avaishonte d'avoir dû demander del'aide, fait chercher quelqu'un quiest "monté" m'épauler en salle dedevoir ; mais je percevais bien queje ne m'en sortirais pas touteseule. Je me suis sentie impuis-sante, comme devant une ma-chine qui s'emballait.

C'est en rentrant chez moi queje me suis sentie menacée, plusencore que lors de la fugace pen-sée de la "baffe". C'est curieux...Alors que je ne risquais plus rienet que je racontais cette folleaprès-midi à mon mari outré, c'estlà que la sensation d'insécurités'est manifestée le plus fort. Et lesnuits qui ont suivi : j'ai rêvé desélèves (et de tout un tas de sot-tises, comme dans les rêves...).J'appréhendais le fait de les re-trouver en classe après cette ré-bellion : comment allaient-ilsêtre ? m'accueillir ? Qu'allais-jefaire ou dire/déclarer ? Tancés sé-vèrement par la Proviseure-Ad-jointe dès le lendemain, et par macollègue professeur principal, ilsn'ont rien dit ; du coup moi nonplus. Nous avons repris les coursde français dans un malaise pal-pable mais dans le calme.

Peu à peu le trouble et le désar-roi ont enflé pour moi ; je ne mesentais plus légitime dans monrôle d'enseignante. J'étais étonnéede m'être fait ainsi chahuter etmalmener, moi la prof tout demême expérimentée et reconnue.J'étais triste (pourquoi ?), moi detempérament assez gai et quiaime plaisanter, je me sentais la-minée, comme si mes fondationsvacillaient ; pourtant avec mes au-tres classes, ça allait bien ; et aveccelle-là, il n'y a presque pas eud'incident pendant huit jours...J'avais l'impression de marcherdans un terrain boueux, vaseux,d'où mes pieds peinaient à s'extir-

per pour chaque pas. J'étais com-plètement démotivée, et vidée,rincée, après les cours, me traî-nant à la maison, sans énergie etincapable de faire avancer mescopies (heureusement que j'avaisde l'avance pour mes cours !). Jeme disais «Allez, ça va passer... çava passer. C'est débile, tout vabien maintenant», mais je voyaisbien que tout n'allait pas bien.Alors j'ai pris deux décisions :d'abord celle de provoquer uneheure de grande explication aveccette classe. Ensuite celle d'allerconsulter pour 1 séance ou 2, une"psy", histoire de vider mon sac,de vider l'abcès, puisque visible-ment ça "fermentait" en moi,même si je ne comprenais paspourquoi. Il y a eu aussi une réu-nion de tous les parents de laclasse avec tous les professeurs,la CPE, la Proviseure, où j'ai en-tendu que tout n'allait pas pour lemieux, loin de là, dans les autrescours, ce qui m'a paradoxalementrassurée un peu. Des engage-ments ont été pris par l'équipe desprofs, et les parents présents (les3/4) ont approuvé et dit qu'ilsnous soutenaient. Cette réactiond'équipe fut précieuse et a contri-bué à réinstaller un climat de tra-vail dans tous les cours, y comprisle mien.

Quand j'ai décidé de dialogueravec la classe, 10 jours après l'in-cident, je n'avais rien dit à l'avanceaux élèves. Avant le cours, je suisallée dans la salle de classe, qui,par chance, était libre l'heure pré-cédente (comme moi) : j'ai poussétoutes les tables contre les murs,et fait un grand demi-cercle avectoutes les chaises, face au vidéo-projecteur. La veille, ayant soi-gneusement réfléchi à ce que jevoulais afficher, j'avais préparé 3diapos sur PowerPoint. Sur la 1ère,j'ai tapé «Temps de parole,d'écoute et de partage : pourmieux se comprendre ; pour ne

plus se sentir agressé-e- ; pour neplus agresser» suivi de 3 «pour...»avec des points de suspension. Etj'ai commencé par échanger avecles élèves sur ces « pour...» :qu'est-ce que cette heure allaitpouvoir faire, à quoi allait-elle ser-vir, selon eux ? Ils ont été per-plexes. Certains se sont lancés :«Pour dire à la prof de françaistout ce qu'on pense !» (c'était unpeu exprimé façon "règlement decomptes à OK Corral", mais j'aiopiné et quêté du regard d'autresidées) ; «pour qu'il y ait un meilleurclimat dans la classe», «pour qu'onreparle du lundi 7 et de votre rap-port»... ; d'autres phrases encoreont été proposées. J'ai tout ac-cueilli sans commentaire. Certainsm'ont alors demandé ce que moij'attendais de ce "temps de pa-role", je me suis donc lancée, j'aidit que je me sentais "mal" depuisun moment, que je n'allais vrai-ment pas bien, et que je ressen-tais le besoin qu'on parle, qu'ons'explique, qu'on se comprennemieux. Ça les a bien étonnés.

Puis j'ai affiché la 2ème diapo quilistait les «Règles à observer demanière inconditionnelle» ("c'est-à-dire que ce n'est pas négocia-ble", ai-je expliqué) :

«1. parler de soi, de son res-senti, de ses propres pensées, deses impressions personnelles, deses besoins, de ses désirs...». J'aiprécisé : "Donc ça veut dire em-ployer un langage-je et pas un lan-gage-tu ou -vous. Mais vouspouvez me dire “Quand vous ditesou faites ceci, moi je ressens tellechose...”, dit comme ça, là ça va".

«2. Si l'on peut/veut, essayer derépondre aux questions pour ex-pliciter, reformuler, préciser cequ'on a dit sur son ressenti (afinque ce soit clair pour les autres).

«3. Écouter et accueillir ce quel'autre (les autres) a (ont) dit, sansjuger, sans commenter, sans vou-

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autres, de ce qu'onredoutait, et de cequ'on espérait de

ces heures decours passées en-semble. Je leur ai

dit que j'avais besoinde me sentir "bien" et"en confiance" avecune classe, pour bien

exercer mon métier etêtre une "bonne prof", ou

au moins une "pas trop mau-vaise". Ils m'ont dit que ce n'étaitpas que j'étais mauvaise, maisque je ne comprenais pas trop lesjeunes, et un garçon a tenu despropos assez embrouillés et mala-droits d'où il ressortait que, vumon âge et mes cheveux gris,j'étais quand même un peu dé-connectée et loin des jeunes, etque j'avais des exigences (notam-ment en matière de comporte-ment et de discipline) quasimentimpossibles à satisfaire, à leursyeux. Son embarras pour s'expri-mer et son souci de ne pas me

peu au-dessus de ma tête. Sontsortis en vrac : "Le français, en1ère, c'est trop difficile – madame,vous êtes beaucoup trop sévère,trop exigeante côté discipline – ily a des injustices, les profs nousaccusent à tort – ce n'est pas lemême traitement entre garçons etfilles : les profs ne passent rienaux garçons, alors que les fillespapotent en douce – vous avezdes paroles et un ton vexants desfois, on se sent agressés, y'a pasde considération, pas de respect

loir "corriger" ou apporter son"grain de sel"». "Pas de jugementsur ce qui est dit, on écoute et onaccepte, on cherche à compren-dre, d'accord ?" Ils ont opiné.

«Et 4. Le plus important selonmoi : “Réfléchir (sur le champ, ouplus tard...) à tout ce qui a été ditet exprimé"».

Cette diapo des 4 règles est res-tée affichée tout le temps de notreéchange. Ils se sont lancés lespremiers, parlant en regardant un

– vous avez fait votre rapport etprésenté les choses comme çavous arrangeait et on (l'adminis-tration) vous croit, alors que nouson peut rien dire – on travaille eton n'y arrive pas, on n'est pasnotés à notre juste valeur"... J'aitout écouté, et noté (en leur ayantprécisé que c'était pour m'en sou-venir, relire et y réfléchir), sanscommenter, ou en demandantparfois des précisions quand je necomprenais pas.

Au bout d'unmoment, les élèves m'ont de-mandé de partager à mon tour ceque je pensais de ce qui s'étaitpassé. J'ai dit que je ressentaisexactement les mêmes choses demon côté : j'ai expliqué lesquelleset pourquoi, notamment l'agressi-vité, le manque de considération,de respect ; ça les a surpris que jeme sente agressée et pas consi-dérée par eux... J'ai dit que je mesentais très mal, depuis ce fa-meux lundi, et que jusqu'à la veillej'avais longuement hésité à ins-taurer ce "temps de parole".

L'aveu d'un mal-être ou d'une cer-taine fragilité (bien que je n'aiepas employé ce mot) de ma partles a apparemment stupéfiés.Pour eux, comme c'est moi qui ai"le pouvoir" (de les punir, de lescoller, de faire un rapport), je suistoute-puissante, et ils ne s'atten-daient pas à ce que je dise quetout cela m'avait secouée... L'un amême ajouté «Mais on ne voulaitpas vous faire de peine», et à montour j'ai été stupéfaite de cette re-marque faite gentiment, d'un tonpresque désolé. Il y a eu comme

une découvertemutuelle de cequ'on ressentait

les uns et les

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vexer (en parlant de mon âge)m'ont fait rire, et l'atmosphères'est bien détendue. Il y en a quien ont un peu profité pour papo-ter, chahuter en douce, mais lamajorité était attentive. Et l'est res-tée jusqu'au bout.

Quand la sonnerie a retenti, ilsm'ont dit que c'était bien, finale-ment, de chercher à se compren-dre. Je leur ai alors passé ladernière diapo, un immense«merci» sur un fond de fleurs. Jene savais pas que ça allait si bientourner, mais j'avais quand mêmepréparé cette diapo disant "merci",leur faisant somme touteconfiance, et me faisant assezconfiance aussi ; assez pour esti-mer, malgré mes doutes et macrainte, que je n'allais pas me fairedéborder, que ça allait prendre, etqu'on pourrait dialoguer et s'écou-ter, un minimum. C'est allé au-delàde mes espérances.

Ensuite, j'ai évoqué tout celaavec une "psy" et je n'ai pas envied'en parler ici. Si ce n'est pour direque ce fut une aide indéniable.Mais que le vrai déclic de ma "re-montée de pente", ce fut cetteheure de dialogue avec mesélèves ; c'est à partir de ce mo-ment-là que j'ai commencé à allermieux, à relativiser tout ça, et à re-prendre confiance en moi, à re-trouver mon estime de moi. Lavéritable aide, ce sont eux qui mel'ont donnée, par leur écoute etleur attitude ce jour-là.

Depuis, avec cette classe de 1ère

Techno, ça fonctionne vaille quevaille : il y a des hauts et des bas,bien sûr, mais plus du tout cetteagressivité de leur part ; ou entout cas, je devrais dire "je ne res-sens plus leur agressivité, que jesentais si fort" ; et j'espère qu'euxaussi sentent du changement dema part, bien que des remarquestrès négatives me viennent parfoisaux lèvres quand je suis mécon-

tente d'eux [ → pas de livre, pasde matériel pour écrire, élève al-longé sur sa table (et qui dort !),ou qui ne prend aucune note...],ou quand je suis fatiguée (doncplus "agressive"), et sachant qu'onne change pas totalement safaçon d'être et d'enseigner aprèsla cinquantaine (chassez le natu-rel...). J'ai, bien évidemment, com-mis des erreurs, avec cette classeet ces élèves, et j'en fais encore,même en étant beaucoup plus at-tentive à ce que je dis/fais, à la lu-mière de tout ce qu'ils m'ont dit ;ce ne sont pas non plus de "petitsanges", ils ont eux aussi leur partde responsabilité... Mais je sensque nous sommes plus attentifsles uns aux autres ; au ressenti del'autre ; à ne pas "enfoncer" oublesser l'autre. C'est déjà ça...

Et puis, je crois en eux, en leursprogrès, en leur capacité à réaliserdes choses bien, valables (= devaleur), dans ma matière (et ail-leurs aussi, bien sûr). Certain-e-ssont des jeunes gens/filles vrai-ment épatants sur le plan hu-main ! J'ai été étonnée (etcontente !) de voir qu'au dernier"devoir de type Bac", de 4 heures,8 d'entre eux sont restés presquejusqu'au bout, pour "se battre"avec les questions et le texte... Làje les regardais affectueusement,en me disant «Ils font tout ce qu'ilspeuvent, c'est vraiment super devoir ça !», et je croisais les doigtspour que les résultats soient à lahauteur de leur investissement. Ilfaudra que je le leur dise... à larentrée, en mars, pour que dansma matière aussi, ils aient cetteestime d'eux-mêmes, cetteconfiance en soi qui est si néces-saire à chacun d'entre nous,élèves comme professeur.

C. R.Île-de-France

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Rosette Poletti et BarbaraDobbs : Petit cahierd'exercices d'estime desoi (éd. Jouvence, 2015,63 p - 6,90 €)

C'est effectivement uncahier, avec des ques-tions, des tests, et aussisur lequel écrire, colorier,dessiner (mais oui !), pourrendre le lecteur actif. Il ya également des ana-lyses et réflexions géné-rales, mais pas trop... Leslabyrinthes et mandalas,dessins de fleurs (j'aiaimé l'églantine sauvageet sa symbolique ; décou-vrez-la !), les dessins hu-moristiques de JeanAugagneur, le conte du"potier chinois"... sont au-tant de respirations et desourires qui ponctuent lelivre. À la fois profond etamusant, bref et dense,ce Petit cahier m'a plu, etje m'en servirai à l'occa-sion avec des élèves(pourquoi pas ?) en entre-tien personnel. Avec en-fants et petits-enfants,c'est tout à fait adaptéaussi. Il y a d'ailleurs danscette collection une ri-bambelle de "petits ca-hiers d'exercices..." àdécouvrir.

C. R.

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Lors de la session de Rochefortdu Gard, en août 2016 (sessiondes actifs de CdEP), j’ai été invitéeà animer deux séquences de tra-vail sur le thème de l’estime desoi. Mais, au lieu de travailler surles concepts et de faire un exposéclassique, j’ai choisi de mixer l’ap-proche conceptuelle avec l’expéri-mentation. Je soutiens la thèseque l’estime de soi est une com-pétence qui se construit, se déve-loppe, s’entretient dans la relationet l’échange avec d’autres.

Pour Josiane de Saint Paul, au-teur québécoise, "L’estime de soiest l’évaluation positive de soi-même, fondée sur la consciencede sa propre valeur et de son im-portance inaliénable en tantqu’être humain. Une personne quis’estime se traite avec bienveil-lance et se sent digne d’êtreaimée et d’être heureuse. L’es-time de soi est également fondéesur le sentiment de sécurité quedonne la certitude de pouvoir uti-liser son libre arbitre, ses capaci-tés, ses facultés d’apprentissagepour faire face, de façon respon-sable et efficace, aux évènementset aux défis de la vie".

Cette définition contient un cer-tain nombre de concepts impor-tants, qui peuvent, chacun, êtrel’objet d’un travail mental (ques-tionnement, signification, appro-priation) individuel et collectif,puis être reliés les uns aux autres.

Dans l’estime de soi, il y a la di-mension "évaluation positive, ap-préciation, confiance, valeur, sesentir digne d’être aimé, bienveil-lance…". Mais l’estime de soi nese confond ni avec l’amour de soiou narcissisme qui consiste à s’ai-mer tellement que l’on ne voit que

soi, ni avec l’amour propre qui setraduit par l’orgueil, ni avec latoute-puissance qui consiste à sepenser en tous points parfait.

L’estime de soi met en jeu ou enmouvement notre responsabilité etnous engage à répondre de nous-mêmes. Elle est conscience de soiet de son importance incondition-nelle en tant qu’être humain.

Elle est une démarche éthiquequi s’inscrit dans le champ de labientraitance, qui est fondée surl’attention et l’écoute bienveillantede l’autre.

L’estime de soi mobilise les com-pétences, les capacités, le libre ar-bitre ; elle est donc un processuspsychique qui se construit à partirdes organes de la pensée et de laraison, sans oublier les multiplesrencontres avec les autres.

L’estime de soi s’appuie sur l’in-telligence intra personnelle1 pourse développer. Cette intelligence,comme les autres formes (intelli-gence verbale ou logico mathé-matique par exemple), n’est pasinnée mais se construit à partir dudésir, de la rencontre avec les au-tres et grâce à des apprentissagesadéquats.

Enfin l’estime de soi est lacondition ou le fil rouge néces-saire pour développer les compé-tences psychosociales2, oucapacités de la personne à répon-dre avec efficacité aux exigenceset aux épreuves de la vie quoti-dienne, à maintenir un état debien-être physique et mental enadoptant un comportement ap-proprié à l’occasion des relationsentretenues avec les autres, sapropre culture et son environne-ment (Organisation Mondiale de laSanté, charte d’Ottawa, 1986).

Pour une juste appréciation de soiMétier

12 Lignes de crêtes 2017 - 34

Quels pourraient être les ingré-dients nécessaires à la construc-tion de l’estime de soi ?

La structure de l’estime de soiest la rencontre avec la parole(avec un petit et avec un grand P)ou plus précisément la valeur ac-cordée à la Parole, celle qui fondel’humain dans le champ symbo-lique. La Parole est langage maisne se confond pas avec la commu-nication qui informe sur des faits.

Sur cette colonne vertébralequ’est la Parole, la relation à l’au-tre se charge de significations enproduisant des effets de sens.Cette relation prend alors de la va-leur ainsi que les personnes impli-quées dans cette relation.

L’estime de soi se construit sansdoute d’abord grâce au regard età l’amour inconditionnel que d’au-tres nous portent, mais elle peutaussi se construire grâce au re-gard aimant de celui qui nous dit"Tu as du prix à mes yeux…".

Edith Tartar-GoddetPsychosociologue

Présidente de l’ap2e

1/ L’intelligence intra personnelle re-pose sur la conscience d’être aumonde, de ressentir des émotions,sentiments, pensées, d’être capablede les différencier, les identifier, lesexprimer et d’en tirer des ressourcespour agir sur ses comportements.2/ Elles se déclinent en 10 compé-tences présentées en couples : Savoir résoudre des problèmes etsavoir prendre des décisions Avoir une pensée créatrice et avoirune pensée critique Savoir communiquer efficacementet être habile dans les relations inter-personnelles Avoir conscience de soi et avoir del’empathie pour les autres Savoir gérer son stress et savoirgérer ses émotions

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Le théâtre-forumet les animationsC’est un spectacle de théâtre interactif qui permet par

le biais du jeu théâtral de faire émerger la parole.

Dans un premier temps, les comédiens jouent plu-sieurs courtes scènes évoquant des situations quoti-diennes pouvant être vécues comme conflictuelles oubloquées.

Puis ces scènes sont rejouées autant de fois que né-cessaire, de telle sorte que les spectateurs puissentvenir remplacer un personnage sur scène (ou en créerun nouveau) pour essayer de parvenir à une issue plussatisfaisante.

Face aux acteurs et confronté à la scène initiale, lespect-Acteur devra tenter de mettre en place des alter-natives possibles aux difficultés rencontrées.

La représentation est placée sous la responsabilité dela salle. Il ne s’agit pas d’apporter un message ou detrouver la bonne réponse, mais d’expérimenter ensem-ble, sur scène, des solutions possibles.

É. T.- G.

Un drôle deloup

Le loup qui voulait changer de couleurOriane Lallemand et Eléonore Thuillier, ÉditionsAuzou, 2009 - 5,95€.

Un joli petit livre, dans une collection qui encompte déjà beaucoup. Comme souvent, dansles collections contemporaines pour les en-fants, le loup ne fait pas peur, il fait même piè-tre figure. Pauvre loup, on pourrait presque leprendre en pitié.

Il ne s'aime pas, et alors ?

En fait il ne s'aime pas en noir. Qu'à celane tienne, pense-t-il, il suffit de changer decouleur !

Et notre loup d'expérimenter une couleur parjour, bonne occasion de décliner les jours de lasemaine tout en identifiant les couleurs, lundivert, mardi rouge et ainsi de suite. Et chaquetentative de se conclure par la même re-marque : "cela ne va pas du tout". Notre loupne sait toujours pas ce qu'il veut ! Mais, au boutde la semaine, après toutes ces tentatives, il seretrouve lui-même et finit par se plaire...

L'auteure n'a pas caché ses intentions avec,sur la page de dédicace, "Pour les p'tits loupsqui ne se trouvent pas beaux, et qui le sont,tellement".

Une belle histoire, qui plaît aux plus jeunes,et qui peut accrocher aussi les plus grands.

Jacqueline Xhaard-Bourdais

Quelques adresses :

1 - Le théâtre de l’Opprimé utilise cette technique eta produit de nombreux spectacles sur des thèmes di-vers : être citoyen, laïcité, estime de soi…

80 Rue du Charolais, 75012 ParisTéléphone : 01 43 45 81 20Site Internet :http://www.theatredelopprime.com/compagnie/

theatre-forum/

2 - La compagnie Entrée de jeu utilise aussi cettetechnique et produit des spectacles. Elle crée des in-terventions sur mesure.

35 Villa d'Alésia, 75014 ParisTéléphone : 01 45 41 03 43Site internet : http://www.entreesdejeu.com/debat-theatral/

3 - L’association OLYMPIO propose de nombreuxsupports d’animation collective adaptés au mondescolaire en lien avec la scolarité, le vivre ensemble,les relations avec les parents…

24 Rue Gardenat Lapostol, 92150 SuresnesTéléphone : 01 45 06 12 08Site Internet : http://www.olympio.fr

D'autres compagnies ou associations connaissentet pratiquent cette technique y compris en province.

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14 Lignes de crêtes 2017 - 34

Erick Prairat* est professeur desciences de l’Éducation à l’univer-sité de Lorraine, membre de l’Ins-titut Universitaire de France. Sestravaux portent sur la question dela sanction, des normes et sur lesenjeux éthiques et déontologiquesdu travail enseignant.

Lors de la conférence du 17 jan-vier 2017, à l’École Supérieure del’Éducation Nationale, de l’Ensei-gnement Supérieur et de la Re-cherche, dans le cadre de laformation statutaire des inspec-teurs de l’Éducation nationale, il arépondu à la question suivante :Quelle éthique d’enseigne-ment pour fonder l’estime desoi dès l’école maternelle ?

En voici un compte-rendu fait àpartir de notes.

Comme l'estime de soi seconstruit à l'École dans la relationà autrui et à sa propre humanité,une exigence morale pèse sur leprofesseur dans l'exercice de sesfonctions. Cette éthique profes-sionnelle repose sur trois vertus :justice, bienveillance et tact. Il in-siste particulièrement sur la der-nière, de l'ordre du savoir-être etde la personnalité de l'enseignant.

L’enseignement est un moded’intervention marqué par la dis-symétrie et l’éthique du métierconsistera à réguler cette relationenseigné/enseignant.

La notion d’estime de soi a faitson entrée dans les programmes,en particulier dans le domaine"formation de la personne et ducitoyen".

Alors qu’est-ce que cela im-plique pour l’enseignant ?

De l’estime de soi àl’éthique enseignante

Tout d’abord il est utile de défi-nir l’estime de soi.

Paul Ricœur nous dit que "c’estle principe de notre subjectivité etde la reconnaissance d’autrui".

On peut dire aussi "affirmationde soi et reconnaissance d’autrui".

L’estime de soi est liée à notrecapacité d’agir, sur les choses,notre environnement, en un motla vie !

Apprécier nos actes est différentde reconnaître simplement uneforce agissante : on apprécie ennous-même notre propre huma-nité, on estime autrui dans ce par-tage d’humanité.

L’estime de soi est différente de"l’estime de moi" et de l’égoïsme,du narcissisme. C’est l’objet d’unelente et difficile conquête : croireen soi et aussi que quelqu’und’autre croie en nous.

L’estime de soi et le principe denotre subjectivité :

Cela renvoie à l’identité d’unepersonne relative à ses capacités :

• Ce que j’estime en moi-même :ma propre humanité ; dès que jem’estime, j’estime autrui.

• L’estime de soi est uneconquête : alliée de l’éthique.

• Le lieu de la conquête de soiest l’école (cf. Hegel).

En famille, je vaux par ce que jesuis. À l’école, ma valeur est in-dexée sur ce que je fais et ce mé-rite est de l’ordre de l’agir, du faire.

En conséquence les va-leurs morales et éthiquesdu professeur sont :

La vertu de justice qui sup-pose de :

1) respecter la légalité : les rè-gles et le droit.

Le maître juste n’est pas au-des-sus du droit. Il fait vivre la dia-lectique de l’inégalité (dans sesappuis et la différenciation deson enseignement) et de l’éga-lité (dans les perspectives qu’ilouvre aux élèves). L’élève est àla fois sujet de droit et sujet ap-prenant (avec une différence demotivation).

2) avoir le souci de l’équité : ceciconcerne la présence du maîtreet sa manière d’être ("j’assume"est différent de "j’assure"). C’estl’art d’être présent (résonanceavec la classe), l’art d’être auprésent (hic et nunc, être dispo-nible), et l’art du présent (cadeaudu temps, patience, savoir-faire,connaissance).

3) avoir le souci du collectif :dans la mise en œuvre et l’orga-nisation de l’enseignement.

Éthique de l’enseignant

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La vertu de bienveil-lance/sollicitude (qui est diffé-rente de la complaisance). Ellesuppose le souci de la personne,de veiller au bien-être de chaqueélève.

La vertu de tact est une qua-lité étonnamment absente dumonde de l’Éducation. Ce n’estpas de la civilité qui est le respectdes usages et des conventions,mais une intelligence des situa-tions, une sensibilité à autrui (etpas seulement une habileté rela-tionnelle…), une sorte d’éthiquede la parole. On la retrouve dansles métiers du soin et dela santé. Elle concerne lesouci du lien.

Elle est de l’ordre del’exemplarité, dans lesens de la fidélité àquelques grands prin-cipes, et pas seulementdu côté de la perfection,impossible d’après Rousseaupour qui l’éducateur est perçucomme écrasant ; (cf. Émile oul’éducation Livre 4).

C’est, comme l’exprime SimoneWeil, "une fidélité à des principesmoraux" : une sorte de sainteté aucœur de l’école laïque ; c’est cequi rend respectable.

L’éthique professionnelle esttoujours vaillante ou fragile : il fauttoujours refaire. C’est un défi del’usure du temps. Et la questionqui se pose est : comment tenirdans le métier ?

La constance dans l’éthiqueprend appui sur des standardsmoraux définis par la structuremême, dans un cadre déontolo-gique : inventaires, recommanda-tions, usages, normes… auxquels

les professeurs se soumettentpour s’acquitter de leur mission aumieux. Le cadre est cependant ex-térieur et plutôt éloigné de l’idéede déontologie. Il a pour fonction :

• D’être identitaire : il définit uneidentité professionnelle (qu’est-ce qu’enseigner, quel est le sensdu métier ?).

• D’être tourné vers l’action : despoints de repères pour faciliterl’engagement collectif et codifiercertaines pratiques (ce que Bour-dieu appelle la mise en ordrepratique qui amène à une sa-gesse collective).

• De moralisation : normes mo-rales, question de l’éthique.

C’est pourquoi la profession(comme pour l’Ordre des méde-cins) se donne la morale de sa pro-pre pratique, elle ne l’attend pasdes autres. Elle réaffirme le senti-ment d’appartenance à un corpsprofessionnel et donne l’unité ducorps auquel on appartient.

Quelle forme ?

• Nécessité de la sobriété nor-mative (pas trop de normes etde recommandations, aucuneobligation extravagante) : "faire

silence sur la figure du pré-tendu maître idéal", qui est unobstacle à la diffusion debonnes pratiques.

• "Gagner la confiance du pu-blic" est le premier pari de l’insti-tution.

• Une "bonne pratique" estbonne si elle est efficace et sielle est juste, ou encore parta-geable et socialisable. Alors elleréduit l’écart entre les élèves.

• Et le tact ? Est-ce que celas’apprend ? "Ça se rencontre",nous dit Erick Prairat, mais il fautêtre prêt. On peut le montrer

(éloge de l’exemple qui donnedes idées) ; c’est pourtant

une vertu invisible d’ajuste-ment à l’autre. Son versant

pédagogique est la "allge-meine pädagogik" de J-F Her-bart, la pédagogie humaniste

articulée avec la psychologie(cf. les compétences psychoso-

ciales du programme, en par-ticulier dans l’Éducation

Morale et Civique).

Les comportementsmoraux sont dictés par l’émo-

tion et le sentiment est un carbu-rant de l’action. Cette psychologiemorale contemporaine vise le sen-timent d’élévation (à contagion po-sitive !!).

Sylvie PaquetInspectrice de

l’Éducation nationale

* La morale du professeurErick Prairat, PUF, Paris 2013

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Quand on parcourt les pro-grammes et ressources d’accom-pagnement de l’Éducation natio-nale*, l’expression "estime de soi"apparaît assez peu. Cependant, lesouci de faire s’exprimer lesélèves en fonction de leur sensibi-lité, leurs sensations et leurs émo-tions reflète cette attention portéeà la personnalité et à l’affirmationde cette personnalité.

De même, l’évaluation positivequi s’attache à mettre en avant lesréussites en maternelle, les acquisdans les autres cycles, en est lamanifestation tangible.

Savoirs et connaissances seconstruisent dans le respect, labienveillance (pour soi, de soi en-vers les autres), ce qui installe du-rablement l’estime de soi préalableà tout apprentissage. L’enseignantdoit aussi veiller aux besoins psy-chologiques fondamentaux dechaque élève, notamment ceuxdes plus vulnérables : estime, sé-curité, justice, écoute, soutien.

La progressivité de la formationde la personnalité du futur citoyenest visée avant tout en s’appuyantsur les émotions, en développantla sensibilité, pour accéder pro-gressivement aux outils tech-niques qui aideront à former lapensée. La raison n’est plus laseule concernée dans la construc-tion de la pensée et la formationdu citoyen éclairé. En ce sens on aune vraie réforme des pro-grammes, qui montre la prise deconscience de la nécessité deconsidérer la personne dans saglobalité en mobilisant à la foisl’intellectuel et le sensible.

• L’école maternelle, uncycle unique fondamentalpour la réussite de tous :

Dans une école bienveillante,qui donne envie aux enfants d’al-ler à l’école pour apprendre, affir-mer et épanouir leur personnalité,l’enseignant développe la capa-cité des enfants à identifier, expri-mer verbalement leurs émotionset leurs sentiments. Il est attentif àce que tous puissent développerleur estime de soi, s’entraider etpartager avec les autres.

• Au cycle 2 des appren-tissages fondamentaux :

L’Enseignement Moral et Ci-vique affiche de manière claire cesouci d’estime de soi : dans lacomposante "la sensibilité, soi etles autres", l’objectif "s’exprimer etêtre capable d’écoute et d’empa-thie" se décline en objectifs desoin de soi et des autres.

De même, les programmesprécisent que pour penser parsoi-même en exprimant seschoix et un point de vue person-nels, il est nécessaire d’avoir ac-quis la conviction de sa valeurpersonnelle.

Dans le domaine "questionnerle monde", le croisement est pré-conisé entre les enseignementspour permettre aux élèves de"prendre confiance en leur propreintelligence capable d’explorer lemonde".

• Pour les cycles 3, conso-lidation, et 4, approfondisse-ments, les mêmes compétenceset objectifs apparaissent :

L’estime de soi dans les textesofficiels

On continue à développer la sen-sibilité, l’expression de ses émo-tions et de ses goûts. Par dessituations d’apprentissages va-riées, on renforce la confiance ensoi, le respect des autres, le sensde l’engagement et de l’initiative,en visant la formation du jugement.Enfin, la maturité de l’élève et sondéveloppement psychologique etmoral sont au centre des préoccu-pations de l’Éducation Morale et Ci-vique : identifier et exprimer en lesrégulant ses émotions et ses senti-ments, s'estimer et être capabled'écoute et d'empathie.

Lors des trois ans de collège ducycle 4, les élèves, qui sont aussides adolescentes et adolescentsen pleine évolution physique etpsychique, vivent un nouveau rap-port à eux-mêmes, en particulier àleur corps, et de nouvelles rela-tions avec les autres. Et tout aulong du cycle 4, ils seront amenésà conjuguer d'une part un respectde normes qui s'inscrivent dansune culture commune, d'autrepart une pensée personnelle enconstruction, un développementde leurs talents propres, de leursaspirations, tout en s'ouvrant auxautres, à la diversité, à la décou-verte... Se chercher, se construire,se raconter, se représenter contri-buent à l'équilibre physique et psy-chologique, à développer des liensentre rationalité et émotion.

Souhaitons que l’application deces idées, diffuses et parfois peuprésentes dans les traditions en-seignantes, ne reste pas trop ab-sente des programmations etprogressions pédagogiques.

Sylvie Paquet*http://eduscol.education.fr/

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Méditation à partir du psaume 54Après avoir chacune réfléchi sur ce que nous avait apporté cette session, nous avons choisi, en écho à ce quenous avons échangé, des extraits du psaume 54 présent dans nos livrets. Il nous a servi de point de départà la rédaction de notre prière que nous illustrerons avec deux photo-graphies.

17-18. Pour moi, je crie vers Dieu, le Seigneur mesauvera.Le soir, le matin et à midi je me plains, je suis inquiet.

Seigneur, je suis inquiète. J’ai peur de ne pas mener mes élèves là oùje dois les emmener. J’ai peur de retrouver la salle des professeurs.

J’ai peur du regard que les autres portent sur moi, de leur jugement,de même que je redoute le regard que je porte parfois sur les autres.

Je suis inquiète quant à la charge de travail qui m’incombe, j’ai peurde ne pas réussir à tout faire.

J’ai peur de ne pas savoir accompagner, de ne pas réussir et de nepas m’économiser suffisamment en classe pour préserver mon bien-être et celui de mon entourage.

23. Décharge ton fardeau sur le Seigneur,Il prendra soin de toi. Jamais Il ne permettra que le juste s’écroule. Durant cette session j’ai compris que :

• Je ne pouvais pas tout faire. “Ne veuillez pas tout faire mais seulement une seule chose” (St François de Sales).

• Je devais être patiente.

• Je devais apprendre à laisser passer le temps.

• La traversée d’un échec prend du temps.

• Un regard bienveillant est une source de l’estime de soi.

• Dieu me portera quel que soit le résultat de mon travail.“Cachons doucement notre petitesse en sa grandeur” (St François de Sales).

20. Que Dieu entende et qu’Il réponde, qu’Il règne dès l’origine.Seigneur aide moi à lâcher prise, à cultiver la bienveil-lance, envers moi,envers mes collègues, envers mes élèves.

Réveille en moi la joie d’accompagner,d’enseigner, de transmettre.

Apprends-moi à prendre de la distance.

Et surtout, donne-moi la grâce de la fidélité dans la prière.

19. Et Dieu a entendu ma voix ; Ilm’apporte la paix.

S. , M. , C. et É.

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Punir, une passioncontemporaine

Dans son ouvrage Punir, unepassion contemporaine publiéen 2016 aux éditions du Seuil,le sociologue et médecin DidierFassin tente d’appréhenderempiriquement ce qu’il appellele moment punitif, à traversune série d’études sur la po-lice, la justice et la prison. Iladopte aussi une perspectiveplus théorique, de manière à in-terroger les fondements mêmesde l’acte de punir. “Plus on estsévère, plus on est injustepuisqu’on élargit les peines etqu’on punit des plus petits dé-lits”. “Le crime est le problème,le châtiment sa solution. Avecle “moment punitif”, le châti-ment est devenu le problème”.“Le châtiment est une espècede vengeance socialisée”.

B.P.

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Pourquoi poser un lien entrel’échec et la question de l’estimede soi ? Parce que, me semble-t-il,l’expérience de l’échec est une re-mise en cause radicale de l’estimede soi qu’on pouvait avoir. Je vaisme fonder ici sur un ouvrage d’An-selm Grün1, bénédictin de l’abbayebavaroise de Münsterscharzach,qui a une expérience d’auteur spi-rituel et de psychothérapeute.

Comment caractérise-t-il l’échec ?Il reprend la définition qu’en don-nent Gotthard Fuchs et JürgenWerbick2 : “c’est une irruption del’extérieur, un événement sou-dain. Contrairement à la crise,l’échec s’accompagne du senti-ment de n’avoir aucune alterna-tive ni aucune chance de s’ensortir”.

Par ailleurs, de manière évi-dente, échouer veut dire manquerde réussite, ne pas obtenir cequ’on attendait au départ.

L’échecDans son petit livre, A. Grün

évoque plusieurs domainesd’échecs : la vie affective (l’échecdans le couple), la vie profession-nelle, le domaine de la santé, lavie spirituelle, pour les prêtres etreligieux. Dans notre petit entre-tien, nous ne reprendrons pastout, mais nous nous arrêteronsplutôt sur l’échec dans la vie pro-fessionnelle. Les exemples qu’ilprend, à vrai dire, viennent de lavie de l’entreprise ; il nous fautles adapter à notre situationd’enseignants :

• il évoque le cas de l’entrepriseréputée qui fait faillite. Pournous, même s’il ne s’agit pas defaillite économique, on parlebien souvent de la faillite du pro-jet éducatif de l’Éducation na-

tionale. Il souligne comment lesalarié se sent pris lui-mêmedans la déconsidération de l’en-treprise. Quand il y est entré, ilentrait dans une profession quiétait considérée, ce n’est plus lecas aujourd’hui. Cette déconsi-dération rejaillit sur lui, et mêmeà ses propres yeux, il a l’impres-sion d’être dévalué par rapport àce qu’il pensait être.

• Il y a aussi la perte du lien so-cial dans l’entreprise et son en-vironnement. Sans aller jusqu’aulicenciement, qui est quandmême rare dans la fonction pu-blique, il y a bien des cas de mar-ginalisation, parfois pour caused’âge. Le salarié qui s’est totale-ment donné à son travail, pen-dant des années, qui pensaitêtre un élément moteur, se sentmis sur la touche.

• Le salarié investi dans une re-lation de nature sociale, qui aconnu pas mal de réussites, peutse retrouver, du jour au lende-main, en situation d’échec ; ilpeut en concevoir de l’amer-tume, voire même une colère di-rigée contre le monde entier.

• Il y a aussi le cas de la maladiegrave, qui a conduit à prendre uncongé important et, au retour, àse sentir étranger dans unmonde qui, jusque-là, était fami-lier. Pendant l’absence, les col-lègues se sont arrangésautrement, ils ont pris d’autreshabitudes et, au retour, le sala-rié, même guéri physiquement,se sent mis à l’écart.

A. Grün cite deux réactions suc-cessives du salarié en situationd’échec : la rébellion puis la dé-pression, comme une fatigue im-mense après un long combat quia été vain.

La traverséeLa traversée de l’échec s’effec-

tue en plusieurs étapes.

L’acceptation del’échec

Celle-ci ne va pas de soi. Eneffet, cela implique de reconnaî-tre, au fond de nous-mêmes quenous avions imaginé la vie autre-ment et que le rêve s’est brisé.

Il y a plusieurs stratégies pouréviter cette reconnaissance del’échec :

• lister toutes les raisons quiexpliquent l’échec : en fait,cela ne pouvait pas se passerautrement ;

•rechercher les causes del’échec chez les autres : cesont les collègues qui portentla responsabilité de l’échecprofessionnel.

Attention, il y a du vrai dans cesanalyses ; il est clair que les autresportent certainement une part deresponsabilité dans l’échec ; mecroire le seul coupable ne feraitque me conduire à un écrasementde moi-même. Cependant, j’aiaussi ma part de responsabilité.Teilhard de Chardin disait :

Traverser l’échecÉglise et Foi

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“Cette force ennemie qui abatle chrétien et le désagrège, s’ill’accepte avec foi, sans cesser delutter contre elle, elle peut deve-nir pour lui un principe aimant derénovation”3.

Accepter l’échec peut conduireà s’en remettre totalement à lagrâce. Quelque part, celui qui aéchoué n’a plus rien à perdre, iln’a plus besoin de prendre desprécautions, il peut se sentir libérédes attentes, celles des autres etles siennes, ainsi que des juge-ments des autres, il peut tout re-commencer. Il est prêt à recevoirla grâce de Dieu et à commencerune nouvelle vie où il s’en remet-tra à la volonté divine.

Lorsque nous ne possédonsplus rien, nous sommes disponi-bles pour Dieu, qui crée du neuf àpartir du néant, qui réanime ce quiest mort, qui fait de la défaite l’ori-gine de la victoire4.

Donner sa juste place àla culpabilité.

L’échec s’accompagne d’un sen-timent de culpabilité. La culpabi-lité peut paralyser et torturer.Mais, si elle ne dégénère pas enculpabilisation morbide, elle peutaider à faire prendre consciencede la vérité de la condition hu-maine. Nous nous imaginionsqu’une garantie externe pouvaitexister qui laissait penser quenous étions dans la ligne du des-sein de Dieu pour nous. Or l’échecnous montre que nous devons re-mettre sur le métier le sens denotre vie spirituelle.

Cependant le sentiment de cul-pabilité va demeurer, au moinspartiellement. Il faut trouver unjuste milieu entre le refoulementde la culpabilité et la démissiondevant elle, en la laissant s’exa-cerber et prendre toute la place.

Le sentiment de culpabilitén’est pas un lieu où il faut demeu-rer. Ce ne peut être qu’un lieu depassage. Il a simplement pourfonction de nous maintenir éveil-lés sur le chemin qui nous conduità Dieu. Il doit se métamorphoseren sentiment d’ouverture à Dieuqui seul peut combler l’homme.

Le processus de deuilLe processus de deuil passe par

la traversée de plusieurs senti-ments : colère, douleur, tristesse,impuissance. Il arrive que la dou-leur soit plus grande après l’échecqu’au moment même où il s’estproduit, car, sur le coup, nousn’avons pas pris la mesure del’événement5. Les sentimentspeuvent alterner : un jour, c’est latristesse, un autre, c’est la colère ;il peut y avoir des périodes où l’onpense avoir retrouvé la sérénitéalors que la tristesse n’est pas loinet revient facilement. Il faut biencompter un an ou deux avant depouvoir trouver un nouveau che-min où s’engager. Il arrive que desregrets refassent surface.

Prendre congéLe processus de séparation

commence par une phase derefus d’accepter la réalité tellequ’elle est. Nous agissons commesi rien n’avait changé, comme si laséparation ne nous touchait pas.Nous évitons de regarder en ar-rière et nous voulons, pleinsd’élan, aller de l’avant. Mais il estdifficile d’y arriver. La séparationest toujours une perte et elle nepeut être que douloureuse. […]

Aussitôt que nous avons prisconscience de ce que nous avonsperdu, surgit en nous une série desentiments comme l’angoisse dif-fuse, la colère, l’agressivité, ledésir de vengeance, mais aussi laculpabilité, tous désagréables. Ledanger est que nous les écartions.

La colère se transforme alors enjalousie destructrice, nous noussentons offensés et victimes destructures injustes. […] Nous re-foulons les sentiments de culpabi-lité en reportant la faute sur lesautres.

Pour beaucoup, c’est le momentoù l’image de Dieu se brise. Ils de-viennent incapables de prier, en-trer dans une église suscite en euxune violente colère. Ils se rebellentcontre Dieu, un Dieu qu’ils ontservi si longtemps. Ils n’en sontpas encore à entrevoir une nou-velle image de Dieu. Il arrive aussique cette phase s’accompagned’un épuisement général. Cer-tains, ne voyant plus de sens à leurvie, pensent même au suicide.Mais il n’est possible de dépassercette phase qu’en prenant cessentiments au sérieux et qu’en lesregardant en face. Alors seulementnous pourrons aborder la troi-sième phase qui allie recherche,explication et séparation6.

Chaque détachement nouslaisse pressentir la signification del’expression paulinienne : “Notrecité se trouve dans les cieux”(Ph 3,20). Si nous prenons congé,ce n’est pas seulement pour fairedes choses nouvelles, mais aussipour nous tourner de plus en plusvers l’intériorité. Chaque adieu estune invitation à prendre le cheminde l’intériorité. Nous ne pouvonspas laisser à nouveau les rôles so-ciaux prendre la place de la quêtede l’essentiel. Notre patrie setrouve dans les cieux, à l’intérieurde nous-mêmes7.

Tout détachement accompli demanière consciente contribue ànous conduire vers une liberté in-térieure toujours plus grande etvers la révélation que nous n’ap-partenons pas à ce monde, maisque nous sommes nés de Dieu.Dans le détachement, nous nouslibérons des masques sociaux

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pour faire place à une image denous-mêmes voulue par Dieu.Prendre congé signifie donc se li-bérer des attributions extérieurespour découvrir ce que nous repré-sentons aux yeux de Dieu8.

Rituels de séparationA. Grün propose de mettre en

place un rituel de séparation, defaçon à ancrer dans l’âme et dansle corps cette séparation des ex-périences passées pour éviter deretomber dans les schémas pré-cédents. Le rituel d’adieu, quandil est possible de le mettre enplace, se traduit par un bilan équi-libré, avec la reconnaissance dece que cette expérience passée aégalement apporté de positif.

Une vie nouvelleA. Grün invite à retrouver en soi

l’image de l’enfant divin, qui sym-bolise le recommencement, maisun recommencement exposé auxdangers (Moïse ou Jésus). Laisserparler en soi l’enfant divin conduità retrouver confiance en Dieu, àlaisser parler sa propre créativité.

Un homme, après l’épreuve dela maladie, a pu se réapproprier lapart de son intériorité la plus ca-chée, part qu’il avait jusque-là né-gligée. Il choisit un mode de vieplus équilibré et plus sain et ap-prend à mieux écouter les autres.S’il se consacrait auparavant àson seul travail, il a prisconscience qu’il existait deschoses plus importantes dans lavie. La confrontation avec la mala-die l’a amené à s’émerveiller de-vant la beauté du monde et à êtrereconnaissant pour chaque ins-tant vécu9.

Laisser enfin s’exprimer des ta-lents enfouis peut combler de bon-heur un être humain. Mais ilimporte de ne pas jeter par-des-sus bord ce qui a fait notre viejusqu’à présent. Si elle était ré-

duite à une seule de ses dimen-sions, elle n’était pas complète-ment négative pour autant. Et sinous nous contentons des seulesopportunités nouvelles, de nevivre que selon les capacités au-paravant étouffées, nous retom-bons dans l’unidimensionnalité10.

Une spiritualitérenouvelée

A. Grün décrit ainsi l’état d’es-prit de celui qui a traversé l’échec :“Je me mets, désormais, àl’écoute des tonalités les plus sub-tiles de la vie. Au lieu de me préci-piter sur de nouvelles activités, jefais preuve de plus d’attention etde précaution, j’écoute les voix lesplus ténues de mon cœur, je suisplus à l’écoute des gens que jerencontre, je laisse affleurer d’au-tres dimensions de mon intérioritéet l’aspiration à plus de silence. Jen’éprouve plus le besoin de meprécipiter dans le tourbillon de lavie, et je n’ai plus rien à prouver.Je ressens aussi plus de compas-sion et de douceur. L’échec m’arendu clément”11.

C’est aussi le moyen de décou-vrir une nouvelle image de Dieu.

“Les mystiques évoquent lamort du moi. Celui qui échoue tra-verse souvent cette mort du moisans avoir à s’y exercer par la mé-ditation ou l’ascèse. Avec la disso-lution de l’ego, il perd sonassurance et il ne lui reste plusrien. C’est du fond de ce néantqu’il éprouve Dieu d’une manièrenouvelle. Lorsqu’il n’a plus rien destable sur quoi construire, Dieu luiapparaît comme le véritable fon-dement de sa vie. […] Tout lui estôté, il se retrouve complètementdépouillé. Et c’est justement cettenudité qui lui dévoile Dieu commele feu authentique qui embrase lebuisson”12.

Cependant cette redécouvertede Dieu ne s’opère que pour celuiqui accepte ce dépouillement ra-dical, à la suite du Crucifié.

“L’échec détruit le vieil hommequi s’abandonnait à ses illusions etpoursuivait des idoles tout encroyant exaucer la volonté divine. Iln’était, en fait, qu’aveuglé par sespropres désirs et ses chimères.Désormais il est prêt à revêtirl’homme nouveau qui correspondà l’image authentique de Dieu. enfin de compte, c’est le Christ lui-même que nous revêtons. Une foisle vieil homme anéanti, noussommes disposés à accueillir ennous le Christ qui nous conduira ànotre être véritable”13.

Le risque del’inaction

Il ne faut pas sous-estimer lerisque qui existe de ne pas fran-chir la dernière étape et de de-meurer dans le sentiment de sonimpuissance. Décentrons-nous dela considération des difficultés quipeuvent survenir dans notre mé-tier pour écouter quelques extraitsd’un entretien de saint Françoisde Sales aux visitandines sur lagénérosité :

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“L’humilité n’est autre chosequ’une parfaite reconnaissanceque nous ne sommes rien qu’unpur néant, et elle nous fait tenir encette estime de nous-mêmes. […]

L’humilité grandit de ne pouvoirrien, eu égard à la connaissancede notre pauvreté et faiblesse, enconsidérant ce qui vient de nous-mêmes, mais au contraire, la gé-nérosité nous fait dire avec saintPaul : je peux tout en celui qui meconforte. L’humilité nous fait dé-fier de nous-mêmes et la généro-sité nous fait confier en Dieu. Vousvoyez donc que ces deux vertusd’humilité et de générosité sonttellement jointes et unies l’une àl’autre, qu’elles ne sont jamais etne peuvent être séparées.

Il y a des personnes qui s’amu-sent à une fausse et niaise humi-lité qui les empêche de regarderen elles ce que Dieu y a mis debon. Elles ont très grand tort, carles biens que Dieu a mis en nousveulent être reconnus, estimés etgrandement honorés. […]

L’humilité qui ne produit point lagénérosité est indubitablementfausse, car après qu’elle a dit : Jene puis rien, je ne suis rien qu’unpur néant, elle cède tout de suitela place à la générosité de l’esprit,laquelle dit : Il n’y a rien et il n’ypeut rien avoir que je ne puisse,dans la mesure où je mets toutema confiance en Dieu qui peuttout et, en se fondant sur cetteconfiance, elle entreprend coura-geusement de faire tout ce qu’onlui commande”14.

Le danger del’acédie

L’acédie est l’un des péchés ca-pitaux, certainement le plus mé-connu15. Comment la définir ?Bernanos la caractérise ainsi :“Mon démon à moi se nomme ‘àquoi bon’”. C’est un péché multi-forme. Certains le caractérisentcomme paresse, d’autres commesuractivité.

Thomas d’Aquin, d’après PascalIde16, en propose deux approchescomplémentaires.

“L’acédie s’oppose à la joie queprocure dans l’âme la présencede Dieu, le ‘bien divin’”.

Il ajoute une autre définition del’acédie : “le dégoût de l’action.[…] L’acédie n’est pas un simplepassage à vide, un spleen quinous fait soupirer devant les «ga-lères» de cette «chienne de vie» ;c’est, beaucoup plus profondé-ment, un refus de mettre les voilesvers notre port divin, un renonce-ment au bonheur et une absenced’écoute des désirs de son cœurprofond. […] Par notre passivité,nous ne stagnons pas, nous nouslaissons aspirer vers le bas, le trounoir, au lieu de nous élancer versle haut”.

Le principal remède à l’acédiesemble être la persévérance. Alorsque l’acédique serait tenté dechanger continuellement, il fauttrouver en soi la force de persévé-rer là où l’on est, soit dans le lieuoù l’on se trouve, soit dans l’effortque l’on est en train d’entrepren-dre. Il faut retrouver sa vocationd’enfant de Dieu, vivre l’instantprésent, goûter les petits biens del’existence, il faut demeurer fidèleà la prière même si elle semble sedérouler dans une apparente at-mosphère de stérilité, commeThérèse de Lisieux qui a connu lasécheresse dans l’oraison durant

ses neuf années au Carmel. Enface de l’acédie, le Catéchisme del’Église catholique ramène encoresur le chemin de l’humilité : “Quiest humble ne s’étonne pas de samisère, elle le porte à plus deconfiance, à tenir ferme dans laconstance” (n°2733).

L’acédie est la tentation à la-quelle le Christ est confronté àGethsémani. Il est seul, les disci-ples l’ont abandonné, ils dormentprofondément. Jésus vainc la ten-tation, non pas en subissant maisen choisissant d’accomplir la vo-lonté du Père : “Que ce ne soit pasma volonté, mais la tienne qui sefasse” (Lc 22,42).

Daniel MoulinetAumônier national CdEP

1/ Anselm Grün, Ramona Robben,L’échec, une chance. Quand nos pro-jets de vie s’effondrent, Paris, DDB,2004, 135p. (Moulins 248.13 GRU)2/ Gotthard Fuchs et Jürgen Werbick,Scheitern und Glauben. Vom christli-chen Umgang mit Niederlagen(l’échec et la foi, un comportementchrétien face aux échecs), Fribourg,1991.3/ Pierre Teilhard de Chardin, Le mi-lieu divin, cité p. 79.4/ A. Grün, p. 80.5/ A. Grün, p. 90.6/ A. Grün, p. 95-96.7/ A. Grün, p. 97.8/ A. Grün, p. 98.9/ A. Grün, p. 113.10/ A. Grün, p. 114.11/ A. Grün, p. 116.12/ A. Grün, p. 120.13/ A. Grün, p. 12.14/ François de Sales, 5e entretien.De la générosité, dans Les vrais en-tretiens spirituels¸ dans Œuvres com-plètes, tome VI, p. 74-76.15/ Les sept péchés capitaux : or-gueil, gourmandise, luxure, avarice,jalousie, colère, acédie.16/ Pascal Ide, Les sept péchés capi-taux ou ce mal qui nous tient tête,Mame, 2002, p. 197.

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Enfant, j’étais entourée de per-sonnes aimantes et tout particu-lièrement de ma grand-mèreAimée qui me portait de l’affectionet une attention au quotidien. Ellesavait tellement bien valorisermes petites victoires, trouver lesmots d’encouragement, consolermes chagrins. Son regard bien-veillant me permettait d’exprimermes émotions, de m’affirmer.C’était une belle personne ; desvaleurs comme l’amour, la famille,sa grande sensibilité aux besoinsdes autres l’ont accompagnéetout au long de sa vie.

Je pense que s’acquiert la basede nos valeurs pendant notre en-fance. J’avoue que je suistrès sensible aux besoinsdes autres, tout commema grand-mère. En vivanten accord avec mes va-leurs, je progresse dansl’estime de moi-même, jesuis plus sereine.

Je sais que l’estime desoi se construit tout aulong de son existence. J’aisubi des périodes devraie souffrance où je ru-minais des penséestoxiques, je me sentaisnulle, rejetée. Je me sou-viens de mon année enclasse de sixième. Maprofesseure d’anglais nem’appréciait pas et me lefaisait bien sentir.Chaque cours était pour moisource d’angoisse. Je supportaisles critiques, les remarques néga-tives. Et, à onze ans, comment de-mander pourquoi ? Je me rendaismalade, je m’isolais. J’avais unebien faible estime de moi sous unregard aussi dévalorisant.

Dans ma vie professionnelle, j’aidû faire face à des périodes dechômage assez longues. Les pre-miers mois d’inactivité, j’étaisconfiante. Je travaillais depuisplus de quinze ans, j’avais de l’ex-périence et j’étais compétente…Mais au fil des jours, devant les ré-ponses négatives, j’ai commencéà douter de moi. Je me sentais in-capable de faire des choses, demener à bien un projet profes-sionnel, je me faisais des re-proches intérieurs. Si je neretrouvais pas de travail, c’étaitcertainement de ma faute. Je mesentais fragile face aux moindresremarques.

négative sur mes capacités à réus-sir dans un domaine inconnu. Parla suite, j’ai été embauchée. Je disun grand merci à la directrice dufoyer qui m’a fait confiance.

Aujourd’hui, j’accompagne auquotidien des adultes en situationde handicap mental. Les valeursauxquelles je crois : la bienveil-lance, la compassion, l’empathie,le respect me permettent de pro-poser un accompagnement dequalité. Je suis à l’écoute des be-soins et des souhaits des per-sonnes. Des relations deconfiance se créent entre elles etmoi. Cette confiance est la basepour le bien-être physique et psy-

chologique des per-sonnes en situation dehandicap. Bien entendu,certains jours sont com-pliqués. Mais je me sensutile, je suis fière de pou-voir aider ces personnes àdéposer un peu de leurfardeau et de leur appor-ter des petits bonheurs.Un sourire, une main ten-due et ma journée devientbelle.

Vivre et travailler avecmes valeurs me rend heu-reuse et l’estime de moi-même est bien meilleure.Après les épreuves, j’au-rais pu être complète-ment déstabilisée maisaujourd’hui, être recon-

nue dans mon travail et me dire,sans prétention, que ce que je faisest bien m’a permis de retrouverl’estime de moi-même. Ma grand-mère doit être fière de moi et desvaleurs qui me tiennent à cœur.

Annie ChartonAuvergne

Les sources de l’estime de soiSociété

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Enfin l’embellie est arrivée. J’aipostulé pour un remplacementdans le secteur médico-social prèsde chez moi, un secteur d’activitéque je ne connaissais pas du tout.Mon entourage m’a soutenue, en-couragée car j’étais toujours très

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Tania a été abattue en plein ciel,à dix-huit ans. Cassée par uneprépa qu’elle n’a pas supportée.Tous les dons : intelligence,beauté, une belle santé de spor-tive, apaisée et apaisante, disaitGil, son professeur d’histoire. Etces mois d’automne 1997, ses pa-rents vont la voir tous les soirs, enalternance, aux "Iris", le service duprofesseur L., à l’EPSM (Établisse-ment Public de Santé Mentale)d’Armentières. La communicationest réduite à presque rien. Ses pa-rents apprennent qu’on ne discutepas avec le délire, on ne ferait quel’alimenter. (Cependant Tania leurdira plus tard que, tous les soirs,elle les attendait, impatiente, der-rière la porte fermée). Elle s’ensort une première fois. La pre-mière rechute fait mal, on passedu diagnostic "bouffées déli-rantes" à "maladie psychotique",même si le médecin refuse dedonner un nom à son mal : “ce quiimporte c’est que je sache voussoigner”. Tout cela n’empêcherapas Tania de réussir brillammentsa licence de biologie, de faire unDEA. Les circonstances et son pro-jet ancien de devenir journalistescientifique l’amèneront à bifur-quer vers le journalisme où elleentre par la plus petite porte : offi-ciellement correspondante depresse, elle occupera de fait,contre un salaire de misère, unposte de journaliste à plein temps.

Comment a-t-elle tenu, sans cer-titude du lendemain, sans vraiecouverture sociale, dans la ten-sion du journal à boucler chaquejeudi soir ? Sans doute grâce à lareconnaissance sociale qu’elletrouvait dans les rencontres di-verses et les bons retours à cer-tains de ses articles, la certitude

de faire ce qui lui convenait. Un deses collègues mourra bientôt,jeune encore. À peine remised’une rechute, Tania tiendra à as-sister aux funérailles. Un autreaboutira à l’hôpital pour unejambe mal soignée, faute de cou-verture sociale. Après une bril-lante année d’étude à l’ESJ (ÉcoleSupérieure de Journalisme), dansla section "Journalisme scienti-fique", elle enchaînera les CDD,une trentaine en deux ans dansune grande entreprise de presse…

Tania a un projet : briser le si-lence qui accompagne la maladiepsychiatrique, lutter contre la dé-rive sécuritaire qui fait du fou unpestiféré, et même pire… (Il estcertainement plus facile de se direcancéreux ou sidéen, ou dans unautre domaine d’exclusion sociale,homosexuel ; quand quelqu’un esthandicapé, on éprouve souvent le

désir de préciser : handicap phy-sique, pas mental. Ou encore : nesurtout pas dire que l’autisme etl’anorexie sont des maladies men-tales. On pourrait parler longue-ment aussi des dérives sécuritaires.Dans ces “Figures Libres”*, Taniaest d’ailleurs la seule à ne pas êtreappelée par son vrai nom…), cher-cher des pistes pour inclure le tra-vail intellectuel dans la thérapie desmaladies mentales, sous desformes diverses et adaptées. Grâceà un psychologue intelligent, elle aappris à regarder sa maladie passeulement comme une maladie,mais aussi comme une expériencerévélatrice de réalités spirituelles,sociales, politiques.

Marc FarineNord

* Ce texte est extrait du blog de por-traits, intitulé Figures Libres, que MarcFarine publie sur le site CdEP-asso.org

Le courage d'êtreMétier

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relativité d'Einstein a pris la placede la loi de Newton pour rendrecompte de la Gravité). Les "er-reurs", possibles ou observées,sont donc des ingrédients fonda-mentaux de toute théorie et detout progrès scientifique.

Cette séduisante caractérisationde la science (qui a, depuis Pop-per, été précisée et affinée) inter-

L'erreur au cœur de la méthodescientifique

En science, l'esprit de contra-diction est le bienvenu, on ne doitpas avoir peur des erreurs. C'estmême cette capa-cité à s'exposer àla réfutation parl'erreur qui,d'après le philosophe Karl Popper(1902-1994), fait la spécificitédes sciences. Les théories scienti-fiques se caractérisent en effetpar la production d'énoncés uni-versels qui les engagent tout en-tières (par exemple : tout corps estsoumis à la Gravité Universelle),elles peuvent par conséquent êtreréfutées par un seul fait, uneseule observation incompatibleavec ce qu'elles prédisent (l'ob-servation d'un seul corps quiéchapperait à la Gravité la remet-trait entièrement en cause). C'estce qu'on appelle depuis Popper le

question, parce qu'elles ne s'en-gagent totalement sur aucun faitprécis et sont capables "d'expli-

quer" tout et soncontraire -il suf-fit par exemplede penser à l'as-

trologie. À l'inverse de ces chi-mères, une théorie estscientifique parce qu'elle fait desprédictions vérifia-bles, qu'elle s'exposeexplicitement à lacontradiction etqu'une seule erreurla remettrait totale-ment en cause. C'est d'ailleursaussi pour corriger les erreursd'une théorie qu'une nouvelle estamenée à la remplacer (comme la

vient cependant assez peu dans lequotidien des chercheurs. Ce n'estpas tous les jours qu'a lieu une "ré-volution scientifique", c'est-à-direle remplacement d'une théorie parune autre sous l'effet d'observa-tions qui discréditent la premièreau bénéfice de la seconde. L'acti-vité scientifique "normale" con-siste en général plutôt à pousser

dans ses retranchements unethéorie déjà largement connue etacceptée, à explorer toutes sesconséquences possibles sans laremettre pour autant radicale-ment en cause. Mais, même à ceniveau-là, l'erreur joue encore unrôle fondamental. La science pro-gresse rarement en ligne droite :la moindre avancée, le moindre af-finement d'une théorie se paied'années de travail par essais eterreurs. Les acteurs de la re-cherche se confrontent tous trèsfréquemment à l'échec, c'est lequotidien de leur pratique. Expé-rience aux résultats décevants,piste qui se révèle foireuse, voiesans issues, "idée" prometteusequ'il faut finalement abandonner...La réalité des faits s'oppose biensouvent aux intuitions. Je neconnais aucun chercheur, dans au-cune discipline, qui n'ait étéconfronté de manière répétée aucours de sa carrière à ces situa-tions d'échec. Dans ce domaine,les meilleurs sont souvent ceux quiont le plus essayé, qui ont le pluséchoué avant d'arriver quelquepart.

Société

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On ne doit pas avoirpeur des erreurs

Les acteurs de la recherchese confrontent tous trèsfréquemment à l'échec

caractère "réfutable" (ou encore"falsifiable") d'une théorie. Popperaffirme que là réside la différencefondamentale entre la science etles idéologies ou les "pseudo-sciences" qu'aucune observationconcrète ne peut remettre en

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En résumé, faire de la science,c'est à la fois s'exposer le plus pos-sible aux erreurs (pour assurer lecaractère "réfutable" de la théoriequ'on défend) et les éviter et lesdépasser au maximum dans sespropres travaux. C'est une disci-pline, presque une "morale" dureet exigeante. Et, à défaut d'erreur,la moindre approximation, lemoindre défaut de perfor-mance sont impitoyablementtraqués. La notion de "commu-nauté" scientifique prend tout sonsens dans ce contexte. Elle re-groupe l'ensemble des chercheursqui travaillent sur un même sujet,s'intéressent aux mêmes pro-blèmes. La concurrence peut yêtre rude mais elle fait aussi, engénéral, preuve d'une grande soli-darité, parce qu'elle est au final laseule à pouvoir garantir qu'un tra-vail est exempt d'erreurs et aumeilleur niveau mondial. Touteproposition ou tout énoncé qui seveut scientifique doit en effet êtrereproductible et s'accompagnerd'une justification rigoureuse(preuve mathématique, par exem-ple) et/ou d'une évaluation (résul-tat d'une expérience) qui permetles comparaisons. Quand on pré-tend avoir inventé une nouvelleméthode, un nouveau procédé, il

ne suffit pas, pour être publiédans une revue scientifique quicompte, d'être correct (sans er-reur), nouveau, original ou inté-ressant : il faut surtout que laproposition soit à coup sûr meil-leure que la meilleure méthodeconnue, réellement plus efficaceque le procédé actuellement iden-tifié comme le plus efficace, ceque seule une validation collectivepeut garantir. Ce fonctionnementcommunautaire, centré sur la re-productibilité et la validation so-ciale, est une autre spécificité dela science contemporaine. Lachasse à l'erreur et à l'améliora-tion est ainsi un travail collectifdont l'objectif n'est pas la stigma-tisation d'un "fautif" mais le pro-grès de tous.

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Au CADAJ. travaille au Centre d’Ac-

cueil pour Demandeur d’Asile(CADA). Au cours d’une deses conférences, elle nous aexpliqué l’importance de re-donner l’estime d’eux-mêmesaux démandeurs d’asile, pourqu’ils puissent rertouver leurdignité humaine et ainsi trou-ver leur place dans la sociétéfrançaise dans laquelle ilssont accueillis.

De nos jours l’estime de soiest bénéfique pour construirenotre identité mais égalementpour s’insérer dans notre so-ciété. L’estime de soi facilite lastabilité entre l’individu et sonenvironnement exogène. L’es-time de soi se décrit par uneconfiance en soi, qui est unsentiment utile pour vivredans la société. Il permet éga-lement un bien-être mental etphysique. Il nous permet d’al-ler au delà de nos limites, dedévelopper des actions,d’avancer, de regarder versl’avenir. L’environnement per-sonnel et professionnel sontdes facteurs qui peuvent nousépanouir et donc améliorerl’estime de soi mais égale-ment être source de stress etde questionnement qui peu-vent entraver la perception denos compétences.

J.Ile de France

Centre Accueil pourDemandeur d’Asile

L'erreur n'y est pasvue comme une faute

La pratique scientifique est dif-ficile, elle requiert patience, per-sévérance et imagination. C'estune lutte perpétuelle contre l'àpeu près, une course à l'efficacité,et souvent une école de la mo-destie. L'estime de soi peut ainsi yprendre des coups, mais elle secombine aussi à un fort sentimentd'appartenance à une commu-nauté qui "partage ses bénéfices",au sens où ses avancées sont pu-bliques et profitent à tous. L'erreurn'y est pas vue comme une fautemais comme une opportunitéd'amélioration. La traquer sans re-lâche est une méthode, la seulemanière possible de garantir unprogrès universellement reconnu.

Isabelle TellierParis

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Un colloque organisé fin novem-bre au Sénat1 a remis en lumièrele taux élevé de suicides (il seraitde 8 à 10 fois supérieur à lamoyenne constatée dans le restede la Guyane et en métropole...)chez les jeunes Amérindiens, dès14 ans, spécialement dans les po-pulations autochtones, les six peu-ples Premiers qui vivent dans lesud de la Guyane française2.

D’où vient ce manque de consi-dération que ressentent ces ci-toyens de Guyane ?

Les causes sont "multifacto-rielles", précise la sénatrice AlineArchimbaud qui insiste tout parti-culièrement sur le choc découlantde la découverte du monde dit"moderne" : "Des populations vi-vent dans des villages assez loinde la côte et de la ville, qui sontoubliés. Les jeunes se retrouventdéchirés entre deux identités :celle de leur famille, de leur vil-lage, où ils vivent jusqu’à 11 anset auxquels ils sont très attachés,et celle découlant de la décou-verte brutale du monde moderne,qui par certains aspects les sé-duit. Les jeunes Amérindiens nesont pas forcément bien traités enville, on les méprise. De plus, ilsont de grandes difficultés sco-laires, car ils ne parlent pas lamême langue. En définitive, ils ontbeaucoup de mal à se projeterdans l’avenir".

Aline Archimbaud et Marie-AnneChapdeleine détaillent trente-septpropositions dont seize leur pa-raissent primordiales. Il faudraitrenforcer la prise en charge psy-chiatrique, créer de nouvelles infra-structures pour lutter contrel'isolement, réaliser des travauxpour amener l'électricité, l'eau po-

Apporter davantagede considération et d'estime

Une reconversion profes-sionnelle réussie, entretienavec Frédérick Casadesus,journaliste à Réforme.

Frédérick est un journalisteheureux. Il travaille avec bon-heur dans la petite équipe quichaque semaine produit le 1er

journal protestant de France,l’hebdomadaire Réforme. Lejournalisme est son secondmétier. Frédérick a d’abord étéenseignant, professeur d’his-toire et géographie, dans plu-sieurs lycées.

Sa reconversion profession-nelle est un lent processus quis’est déroulé sur plusieurs an-nées. C’est petit à petit que Fré-dérick a changé de métier. Etchose rare, Frédérick doit cettereconversion essentiellement àlui-même. Il a fait des choix etfrappé aux bonnes portes auxbons moments.

Le choix de l’enseignementest à la fois un choix secon-daire et lié au hasard d’unerencontre avec un camaradede l’université.

Au lycée, Frédérick se desti-nait aux carrières du cinéma,côté réalisation et mise enscène. Il passe à 17 ans leconcours de l’IDHEC / institutdes hautes études cinémato-graphiques et fait partie des175 candidats sélectionnéssur 2000 mais n’est pas reçu.Cet échec produit une cassuredans sa vocation. Il choisitalors d’entamer des étudesd’histoire, sans doute pourmieux comprendre sa proprehistoire. À la fin de ses annéesd’études il s’inscrit, à 21 ans,au CAPES et à l’Agrégation

Une reconversion professionnelle réussieSociété

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table, développer les réseaux télé-phoniques et l'Internet, former etsoutenir les agents publics surplace. Malgré les moyens (considé-rables mais inégalement répartis)alloués par la France à ces terri-toires, le taux d'échec scolaire resteélevé, la question avait déjà été évo-quée au début des années 2000.

Jocelyn Thérèse, qui préside leConseil consultatif des popula-tions amérindiennes et bushi-nengues (issues du marronnagedes esclaves) souhaite que le dia-logue avec la France se normalise,que les institutions prennent leursresponsabilités, que les médiasnationaux sensibilisent l’opinioninternationale. Mais l’ethnopsy-chiatre Tobie Nathan analyse "Cen’est pas eux qui ont un problème.C’est la communauté tout entièrequi dit ‘on m’étouffe, on va y pas-ser… On a l’impression que notrejeunesse part en fumée’"3.

Faut-il des mesures d’exceptiondans la France, République indivi-sible ? ! C’est le grand paradoxedes Français – Amérindiens. Unprojet de loi sur l’égalité réelledans les outre-mer ne règlera pastous les problèmes. Mais à l’écoleet aux associations d’apporter da-vantage de considération et d’es-time pour éviter bien des drames.

Benoît PetitToulouse

1/ https://www.senat.fr/colloques/actes_mondialisation_francopho-nie/actes_mondialisation_franco-phonie4.html 2/ Palikur, Arawaks, Wayanas ouTekos…3/ Entretien avec Adrien Rouchaléou,L’Humanité, 3-4/12/2016

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Frédérick les a piochés en grandepartie dans son milieu familial. Ilbaigne, enfant et adolescent,dans un univers de culture et écritbeaucoup y compris durant sesétudes supérieures : poèmes ettextes de chansons, notamment.Et il accorde beaucoup d’impor-tance à la vie familiale. Elle estl’objet d’un investissement fort etlui a donné la volonté de changerde métier.

Les expériences profession-nelles dans le monde de l’éditionet le journalisme s’appuient surson goût pour l’écriture et la mu-sique et aussi sur les liens qu’iltisse ; expériences qu’il mèned’abord de front avec l’enseigne-ment. En 1997, il rencontre unéditeur protestant, ami de sonpère, qui lui confie la directiond’une collection. Il écrit bénévole-ment pour le journal protestant"La voix protestante" une rubriquesur la musique et les livres pourenfants. Il fait de la radio bénévo-lement pour Fréquence protes-tante à 8 heures. À la recherched’expériences nouvelles, il tentebeaucoup de choses en pensantqu’il faut toujours tisser plusieursfils en même temps. Chaque jour iltente quelque chose de nouveau.À partir de 2005 il intègre le jour-nal Réforme comme pigiste puis àplein temps en 2012.

La disponibilité, la réactivité,l’acharnement et le goût du risquesont sans aucun doute des quali-tés importantes dans le parcoursde reconversion professionnellede Frédérick Casadesus.

ÉdithTartar-Goddetaprès entretien avecFrédérick Casadesus

Journaliste à Réforme

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mais échoue à ces deux concours.Un camarade l’encourage alors àremplir un dossier de maître auxi-liaire. Il est nommé en 1982 dansun lycée professionnel de Senlis etse présente à son premier posteen costume-cravate. Cette pre-mière rencontre avec le mondescolaire est un véritable choc cul-turel pour lui, mais aussi une ex-périence fondatrice. L’équipe dedirection l’assure de son soutien."Quoi que vous fassiez, lui dit leproviseur, on vous soutiendra.C’est vous le maître, c’est vous quiallez décider de tout, ce ne sontpas les élèves".

L’année suivante, nommé dansun lycée à Crécy, il décide le matinde la rentrée de prendre son des-tin professionnel en main. Il télé-phone à 50 établissements privéshors contrat de Paris pour décro-cher un poste. Pendant quelquesannées, il passe d’un établisse-ment à l’autre. Puis intègre en1991 l’enseignement privé catho-lique sous contrat d’associationavec l’État. C’est à la fois l’ennuià enseigner (il ne supporte pas derépéter 120 fois son cours sur laguerre de 14 !) et un certain sen-timent de désœuvrement lorsqueles élèves sont en stage et qu'il

Ces paroles lui apportent l’assu-rance nécessaire et la convictionque les élèves ne l’auront pas. Fai-sant le lien avec ses souvenirsd’élève au Lycée Charlemagne deParis, très éloigné du profil desélèves qu’il a sous les yeux, il seremémore cependant les difficul-tés de son professeur de philoso-phie, chahuté par les élèves. Ilprend alors conscience que sa ca-pacité à asseoir son autorité nedépend pas de son statut social.

n’a plus que deux heures decours par semaine, qui le condui-sent à envisager sérieusement sareconversion.

À partir de 1998, il consacreune grande partie de son temps àsa reconversion professionnelle etabandonne l’enseignement seule-ment en 2008.

Le dynamisme et l’énergie pourchercher et trouver par lui-mêmedes voies de reconversion et faireseul les démarches nécessaires,

Une reconversion professionnelle réussie

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Les fruits de mon union ont éga-lement une grande importance.Mes enfants me considèrentcomme infréquentable. Le silenceradio est de rigueur et aucune demes initiatives n’a eu le résultatescompté. Eux-mêmes auront àgérer cette déchirure autrement ets’ils ne le font pas aujourd’hui, ilsseront contraints de le faire de-main. Le juge va bientôt statuer

sur les mesures provisoiresjusqu’au divorce. L’entêtement dema future ex-femme à couper lelien entre mon dernier fils mineuret moi-même est une réalité. Je nepourrai le voir que si elle et lui leveulent bien. J’ai pris la positiond’une présence silencieuse afind’apaiser les souffrances de mesenfants. Mais je ressens cette po-sition comme ma propre négation. 

Lettre à une amieSociété

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Si l’image de soi débute par unebonne identification de ses ra-cines, j’ai passé du temps à dres-ser ma généalogie. Absorbé parma belle-famille, je n’avais guèrevoulu me pencher sur la mienne.Et pourtant mes ancêtres prolé-taires avaient de grandes valeurshumaines et morales. Ils ne méri-taient pas le mépris de ma bellefamille.

En janvier, tu me demandais un écho de la façon dont j’avais affronté l’échec de mon mariage. J'aimeraisdébuter ma réponse avec une strophe extraite du poème de Paul Eluard, "Tout dire" :

“Le tout est de tout dire, et je manque de motsEt je manque de temps, et je manque d'audace

Je rêve et je dévide au hasard mes imagesJ'ai mal vécu et mal appris à parler clair"

Je ne suis pas sûr d’être pertinent mais l’image de soi est un thème qui me tient à cœur. Deux petites saynètes pour situer ce que j’ai vécu :

Un SMS qui tombe malJe suis en cours avec mes étudiants. La promo

est bonne cette année et les étudiants très sympas.Mon téléphone vibre dans ma poche arrière. Un SMS de Madame :Pour info : Tu vas recevoir un courrier de monavocat qui stipule que je l’ai rencontré. Que jesouhaite divorcer. Et qui demandera le nom deton avocat. Ce sera un courrier simple sans A R.

Un étudiant lève la mainLui : monsieur Moi : ouiii (sur un ton désespéré)Lui : bon, si vous ne voulez pas...Moi : si, posez-moi votre questionLui : bon, la question peut attendre.Moi : si, si je vous en prie.Lui : parce que...Moi : allez-y !Lui : comment calcule-t-on cette inertie équiva-lente ?Moi : vous avez l’impression que je ne répondsjamais à vos questions ?Lui : Ben si, justement Moi : reposez alors votre question. J’ai vraimentune promo sympa. 

Sourire de toute la classe...

Un dimanche d’électionVoilà quatre mois de cohabitation dans la même

maison et personne ne m’adresse plus la parole.Tous dans le garage, sur le départ.

Moi : où est-ce que vous allez ?Elle sans voix, le regard colère.Moi : mais où est-ce que vous allez ?Elle : tu m’as répondu, lundi, lorsque je t’ai posédes questions ? Non ! Alors je ne vois pas pour-quoi je te dirais quoi que ce soit.Les trois enfants me regardent, muets.Je passe devant mon fils aîné et lui pose furtive-ment la main sur l’épaule.

Moi : bon courage !Je sors du garage et me plante là à regarder mafamille monter en voiture. D’abord elle et monaîné dans une voiture, puis ma fille et mon filscadet dans une autre.Avant de partir.Ma fille : fais pas cette tête-là !Moi : j’ai juste posé une question : “où est-ceque vous allez ?”Ma fille : réfléchis un peu.Elle monte dans sa voiture et passe devant moi. Je reste là, sans savoir quoi faire...Me mets à marcher, Je vais voter.

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Anecdote significativeL’anecdote que j’utilise désor-

mais pourrait sembler bizarremais elle s’inspire de mon vécu.

Je montais avec ma voiture unepente à 16% dans la forêt deMontmorency et la route étaitétroite. Une autre voiture descen-dait. Je me suis serré le long duhaut trottoir et elle s’est engagéemalgré la chicane qui lui était at-tribuée. Elle me fonçait dessus etj’ai donné un coup de volant pourl’éviter et ainsi, j’ai explosé monpneu. Elle ne s’est même pas ar-rêtée ! J’y étais pour mes frais ...

Et cette anecdote ne s’arrêtepas là. J’ai repris, un autre jour lemême chemin et la situation seretrouva identique, à la voitureprès. Mais mon attitude a été dia-métralement opposée. J’ai oc-cupé toute la route au risque del’accident. Eh bien, l’autre voitures’est arrêtée comme le code de laroute le prévoyait. Je suis passé !Bien sûr, j’ai pris le risque de l’ac-cident mais devant ma détermi-nation, l’autre s’est arrêté. Lasimilitude avec ma situation de-vient évidente. Je désire retrouverma place de père. L’image de soipasse aussi par le courage de seconfronter à la réalité !

CompostelleL’été dernier, les chemins de

Compostelle ont été une étape dema prise de conscience du chan-gement qui affectait ma vie. Leplus déstabilisant a été de fran-chir la grande porte de la cathé-drale du Puy-en-Velay, point dedépart de mon périple. Laisservoiture, ordinateur et tout leconfort habituel et partir sans sa-voir où dormir le soir n’a pas étésimple. Les anciens du caminoavec qui je prenais l’apéritif m’onttellement déstabilisé que j’ai dûsortir de l’annexe de la cathédrale

où se tenait ce moment de convi-vialité. Je venais de prendre pleineconscience du changement quej’allais opérer.

Le chemin offre des situationsde rencontre inédites. Très vite leslieux commun et les banalités lais-sent placent a des rencontres au-thentiques. Ceux qui prennent lechemin ne portent pas que leursac à dos. Autour de la table dudîner où personne ne se connais-sait, cette grand-mère nous par-tage sa souffrance de voir sapetite fille dans le coma depuis unaccident de scooter. Plus tard, unemère de famille voyageant avec safille nous livrait ses graves pro-blèmes de santé et sa joie de par-tager ce bout de chemin avec safille. Le chemin nous transforme.Je me souviens de ce moment oùj’ai livré ma propre souffrance àcette dame charmante rencontréelors d’une fête de village. Etait-ellecroyante ? Je ne sais pas. Elle ajuste accueilli cette parole avecune vraie écoute.

L’image de soi passe vraimentpar cette bienveillance de l’autre,inconnu et si proche.

J’ai pris un risque, celui de faireconfiance.

Un groupe accueillantUn ami prêtre m’a indiqué qu’un

groupe de chrétiens divorcés exis-tait dans le Val d’Oise. J’ai rencon-tré Catherine L qui gérait cegroupe. Catherine était en retard,j’ai failli rater le rendez-vous maisla providence m’a permis de ren-contrer des personnes inconnuesen ce lieu inconnu pour un cheminimprobable. Les paroles simpleséchangées avec ces personnesm’ont permis de prendre patienceet la rencontre a pu se faire.

Les réunions mensuelles de cegroupe sont basées sur la parole :l’aumônier choisit un texte d’évan-

gile. Nous le lisons, puis il nous enfait une exégèse, une explicationqu’il laisse rebondir en nous. Laparole est libre et les expressionsde souffrance ne sont pas rares :pleurs, colères mais aussi justiceet bienveillance nous permettentde reprendre pied. On se sentapaisé et compris. Enfin un fer-ment qui nous fait vivre. L’amourde Dieu comme une image de soi,proche de l’image de Dieu quenous sommes. Du bonheur.

J’aime à reprendre ces parolesde mon ami prêtre Bernard M. quim’écrivait : “la parole, lumière deDieu illumine les ténèbres del’humanité, même celles de ceuxqui veulent l’anéantir”. La grâcen’est pas bien loin, faut-il encorel’accepter.

L’échec de mon mariage est là.Mes enfants me tournent le dos.Je suis honni parmi les miens. Ilfaudra du temps pour que leur re-gard me donne une image de moi-même qui soit apaisée. Mais euxaussi auront besoin de grandir etde prendre en maturité afin d’ac-cepter peut-être cette grâce quileur est offerte.

Je suis désormais sur un autrechemin, inconfortable. Les roismages n’ont-ils pas suivi unautre chemin que celui ordonnépar Hérode pour repartir chezeux ? J’espère être relevé et évitertoutes ces personnes toxiquescomme l’était Hérode.

N’y a-t-il pas que la foi quisauve ? Rien n’est facile mais jene suis plus seul sur le chemin.

Voila un aperçu de ce qui m'apermis de retrouver confiance enmoi et me donne envie de conti-nuer à me battre pour retrouverl'estime de mes enfants.

X, en instance de divorce

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L’histoire de Zachée : l’estime de soi retrouvée ?Relecture Biblique

Jéricho, c’est la cité où, dans l’évangile, sont ras-semblées toutes les misères : c’est sur la route deJéricho qu’est assailli l’homme auquel le bon Sa-maritain portera secours, c’est là aussi que men-die l’aveugle que guérira Jésus. Pourtant, Jésustraverse Jéricho. Il est présent là où les hommessouffrent.

Il y a là un homme à qui tout semble réussir, c’estZachée, le chef des collecteurs d’impôts et il estriche. Il est reconnu dans son métier – c’est lechef –, et il y est efficace puisque, étant payé aupourcentage, il est riche. Pour l’instant, on ne nousdit rien sur ses méthodes, mais le résultat est là.

On sait que Jésus n’est pas tendre pour lesriches. Mais, attention, être riche, c’est avant toutune attitude. C’est mettre sa confiance dans sesbiens, au sens large : l’argent, mais aussi le pou-voir, la considération, les qualités professionnelles,le réseau de relations… C’est penser qu’on peuts’en sortir tout seul, c’est croire qu’avec ses seulesforces, on peut tout ou presque.

Zachée est comme cela. Et pourtant… il y a unefaille cachée en lui. La venue de Jésus dans sa villene le laisse pas indifférent. Il aurait pu se dire : en-core l’un de ces juifs exaltés ! ou bien ne le consi-dérer que d’un point de vue utilitaire : ajouter Jésusà mon réseau de relations, qu’est-ce que cela peutme rapporter ?

Pour quelle motivation veut-il voir Jésus ? L’évan-géliste ne le dit pas. Un simple motif de curiosité ?On dit beaucoup de choses de ce Jésus, on dit qu’ilguérit des malades, qu’il donne une exégèse re-nouvelée de l’Écriture… Je vais aller voir. Peu im-porte, ce qu’on remarque, c’est que dans cette vie,apparemment pleine et réussie, il y a tout de mêmeun manque, peut-être caché, peut-être confus, maisbien réel : Zachée attend quelque chose de ceJésus qui entre dans sa ville.

Mais la foule fait obstacle. Zachée s’y est pris troptard, il arrive bon dernier. La foule est compacte. Etlà, petite humiliation, elle ne s’écarte pas devantlui, à cause de la considération – ou de la crainte –qu’elle devrait lui porter. Après tout, tous sont égaux

Jésus traversait la ville de Jéricho. Or il y

avait un homme du nom de Zachée ; il était le

chef des collecteurs d’impôts, et c’était

quelqu’un de riche. Il cherchait à voir qui était

Jésus, mais il n’y arrivait pas à cause de la

foule, car il était de petite taille. Il courut donc

en avant et grimpa sur un sycomore pour voir

Jésus qui devait passer par là. Arrivé à cet en-

droit, Jésus leva les yeux et l’interpella : "Za-

chée, descends vite : aujourd’hui il faut que

j’aille demeurer chez toi". Vite, il descendit, et

en face de Jésus, il ne fait pas acception des per-sonnes. Zachée se trouve devant un obstacle, de-vant un mur humain.

Qu’à cela ne tienne ! Il va tourner l’obstacle. Il seplace au-dessus de cette foule qui n’a pas voulu luifaire place. L’évangéliste nous dit même : "il couruten avant". Non seulement il est au-dessus, mais ilest le premier.

Mais voici que Jésus s’arrête, le regarde et l’in-terpelle. Lui qui devait traverser la ville décide d’yfaire étape et s’invite chez Zachée. Mais pour qu’ill’accueille, il faut qu’il descende de ce piédestal surlequel il s’est placé, pour se mettre au niveau deJésus qui a choisi, lui, d’être en bas, parmi les pau-vres et les petits de la société.

Nous voici au tournant du texte. Zachée descend,et vite. Il reçoit Jésus avec joie. Il y avait donc bienchez cet homme une ouverture, alors qu’a priori onl’avait défini comme riche, ayant sa suffisance en lui-même. Il espérait un signe du Seigneur dans sa vie.

Mais, en dégringolant de son arbre, il n’a faitqu’entamer la descente. Elle est bien plus rude queprévu. L’opinion se déchaîne, contre Jésus, mais im-plicitement contre lui : c’est chez un pécheur qu’ilva loger ! Zachée, qui pensait avoir parachevé saréussite sociale, découvre soudainement qu’il était

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Lignes de crêtes 2017 - 34 33

Relecture Biblique

méprisé de ses compatriotes. Ils le réduisent à l’unede ses composantes : "c’est un pécheur". La chuteest rude, à la mesure de la déconsidération. Saréussite humaine, qui pouvait faire sa gloire à sespropres yeux, ne comptait en fait pour rien aux yeuxdes autres : pour eux, il n’était qu’un pécheur, vouéà la condamnation divine.

Cela nous interroge sur le jugement humain quiréduit un homme à l’une de ses composantes. Peuimporte l’individu, peu importe sa valeur humaine,peu importe telle ou telle bonne action qu’il a pufaire dans sa vie ; il est intégré dans une catégorie :c’est un pécheur et voilà tout.

Zachée se trouve donc confronté à une perted’estime de soi. Lui qui pensait avoir réussi sa viedécouvre brutalement que l’image qu’on lui renvoiede lui est totalement négative.

Devant ce douloureux constat, qui signifie la fail-lite de sa vie, ou plutôt la faillite de la manière dont,jusqu’ici, il vivait sa vie, il pourrait être anéanti. Maisvoici qu’il se relève, au sens propre comme au sensfiguré. Devant le Seigneur, il est désormais unhomme debout, qui assume un choix de vie, à la lu-mière du Seigneur. Il se place devant Jésus, sousson regard. Mais ce n’est pas un regard de condam-nation. Jusqu’ici, Jésus n’a rien dit de Zachée, en

reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récri-

minaient : "II est allé loger chez un pécheur".

Mais Zachée, s’avançant, dit au Seigneur :

"Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la

moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à

quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus".

Alors Jésus dit à son sujet : "Aujourd’hui, le

salut est arrivé pour cette maison, car lui

aussi est un fils d’Abraham. En effet, le fils de

l’homme est venu chercher et sauver ce qui

était perdu" (Lc 19,1-10).

tout cas, rien de significatif, que l’évangéliste ait re-levé. Jésus a totalement respecté sa liberté de choi-sir. Et c’est lui qui se lève et qui prend la parole :"Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moi-tié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un,je vais lui rendre quatre fois plus".

En donnant à Jésus ce titre de Seigneur, Zachéemarque qu’il choisit de lui obéir, dans une attituded’humilité. Désormais, il ne s’appuiera plus sur sesrichesses, sur son pouvoir, sur la considération so-ciale dont il pensait pouvoir disposer – et qui s’estrévélée n’être qu’une illusion –, il choisit de se re-cevoir de Jésus et de se mettre à son école. Jésus,le Fils de Dieu, revêtu du pouvoir divin, a voulunaître parmi les pauvres, être pauvre lui-même.Zachée va le suivre sur ce chemin.

Il regarde sa richesse d’un autre œil. Jusque-là,ce pouvait être un moyen de domination sur les au-tres hommes, désormais il y voit un instrumentd’aliénation pour lui. Il était prisonnier de sa ri-chesse, prisonnier de la vie qu’il menait, et il ne s’enrendait pas compte. La rencontre du Seigneur lui apermis de faire la lumière en lui. Il effectue un che-min de libération et de conversion : si j’ai fait tort àquelqu’un, je réparerai avec surabondance.

La conclusion de Jésus est, d’abord un hommageà Zachée, mais elle déborde ensuite son cas per-sonnel en révélant le dessein de Dieu. Lui aussi, Za-chée, lui que vous assimiliez à un pécheur, lui quevous condamniez sans l’entendre et de manièreinéluctable, lui aussi est un fils d’Abraham, lui aussiest capable de faire confiance à la parole de Dieu etde partir pour un pays inconnu, sur la foi seule enDieu. Mais, plus encore, Jésus, le fils de Dieu quis’est fait homme, est venu apporter le salut à ce quiétait perdu. Il est venu tendre la main à celui quiétait au fond du trou et il l’a aidé à remonter, maisplus encore, il l’a révélé à lui-même, il l’a fait adve-nir à une identité nouvelle. Cet homme qui étaitriche, qui pensait avoir réussi sa vie mais de ma-nière égoïste, cet homme, pourtant insatisfait delui, a découvert, en face de Jésus, qu’il était en faitun homme de relation, capable de s’accomplir dansle service de son prochain.

Daniel Moulinet

L’histoire de Zachée : l’estime de soi retrouvée ?

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En voyant, dans l’école d’A., en République dominicaine,des adultes heureux qu’on leur donne l’occasion d’ap-prendre enfin à lire, nous lui avons demandé de nous ex-pliquer les conditions de son travail.

De plus, tous ces jeunes, y com-pris les mineurs, travaillent. Environ40 % de cette population se consi-dère comme déjà indépendante aupoint de refuser de vivre en famille,et de payer pour obtenir un espaceprivé où vivre seuls. Ce qui conduitces mineurs à vivre sans aucuntype de contrôle, ni la référence àun adulte ni celle de la famille. Lesétudiants jeunes sont des adoles-cents qui ont abandonné l'école et,malgré leur jeune âge (14 ans),sont scolarisés avec des adultes etvivent des conditions d'adultes. Onvoit aussi le cas de la fille de 12ans qui, bien que mineure, est ma-riée ou vit avec son compagnon.Certaines de ces très jeunes fillesviennent en cours enceintes oumême avec leur bébé. Cela génèredes situations très difficiles au ni-veau des comportements. Cepen-dant, il n'y a ni pères, ni mères, nituteurs qui répondent d'eux oud'elles, sous prétexte qu'ils.elles nevivent pas dans l'espace familial.

En revanche, quand les étu-diants, dans ces conditions, génè-rent des situations conflictuellesou d'agression envers d'autresélèves, immédiatement, la familleapparaît, demandant des explica-tions. Souvent il y a des affronte-ments et des agressions hors ducentre scolaire pour savoir ce quis'est passé avec leur enfant et vé-rifier sa version des faits - c'estl'explication que les parents don-nent. Mais, si le centre demandeaux parents de venir pour coor-donner un processus d'améliora-tion des conditions d'enseigne-ment ou au sujet de comporte-ments litigieux, ceux-ci, comme tu-teurs, se déclarent dans l'incapa-cité de contrôler l’enfant sous leprétexte qu'il ne vit pas avec eux.Dans le cas des étudiants adultes,c'est-à-dire 25 ans et plus, il n'y apas de problème car, en général,ils ont déjà des qualifications im-portantes.

École publique du soirpour jeunes et adultes

Et ailleurs ?

34 Lignes de crêtes 2017 - 34

Enseigner et coordonner uneaction éducative dans des coursdu soir est très important car lesélèves, garçons ou filles, présentsà ces horaires-là sont de condi-tions sociales et éducatives trèsdifférentes de ceux qui partici-pent aux groupes du matin ou del'après-midi. Le niveau d'ensei-gnement correspond aux coursde l'école primaire, de l'alphabé-tisation au 8e grade. Ce derniergrade complète le niveau pri-maire et ne comporte que deuxjours de classe de trois heurespar semaine.

En République dominicaine, cesécoles de jeunes et d'adultes sontnocturnes, très peu fonctionnentle samedi ou le dimanche. Les ca-ractéristiques de ces étudiantssont diverses puisque leur âge neleur permet pas de suivre un cur-sus normal. Il est important decomprendre qu'il s'agit de deuxgroupes d'âges ayant les mêmeshoraires de classe : d'une part desétudiants de plus de 14 ans quisont mineurs et dont le niveauscolaire correspond au premiergrade, certains mêmes étant anal-phabètes ; d'autre part des étu-diants majeurs dont certains ontplus de 60 ans, dans les mêmessituations que les mineurs. Cesconditions d'âges, de réalités per-sonnelles et sociales différentes,se retrouvent à tous les niveaux.

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Lignes de crêtes 2017 - 34

Le problème des jeunes étu-diants vient des années où ilsn'ont pas été scolarisés, ou de leurabandon précoce pour diversesraisons. Surtout, il est souvent en-tendu que les femmes ne vont pasà l'école, que leur fonction offi-cielle est d'élever les enfants, deprendre soin du foyer et, pour lesfilles, d'aider leur mère à la cui-sine ; surtout chez des femmesvenant des zones rurales et desquartiers marginalisés. Beaucoupde femmes vivent en union libreavec leurs conjoints depuis leurplus jeune âge.

Autre élément de réflexion : lesconditions sociales et culturellesque vivent les jeunes étudiants etles adultes de cette école dansleur communauté se reflètentdans le centre éducatif.Ces centres éducatifssont considérés à hautrisque surtout pour lesjeunes vivant dans uneextrême pauvreté et qui,par ailleurs, ont peuaccès aux espaces cultu-rels et éducatifs. Danscertains cas ils sont in-corporés à des gangs,c'est-à-dire des jeunesliés aux trafics dedrogues, des bandes quiattaquent, volent, et vontjusqu'à tuer des personnes dansleurs cambriolages. Dans certainscas, on sort le jeune de prisonsous la condition d'une scolarisa-tion obligatoire. Cela crée une si-tuation difficile, car fréquemmentcette population de jeunes sansaucune pudeur ni peur par rapportaux autres comporte des mem-bres des gangs ou s'en réclamepour faire peur et intimider l'en-seignant. Le but étant de ne pasêtre sanctionné, ou que lesnormes éducatives ne fonction-nent pas parce qu'au fond, cesjeunes vont dans les écoles, sou-vent poussés par leur chef de

bande pour "conquérir" d'autresjeunes. Ce qui est préoccupant,c'est que, presque toujours, ceuxqui les commandent sont des per-sonnes d'ailleurs ou, dans denombreux cas, les parents eux-mêmes ou des membres de la fa-mille vivant près de leur maison.

À partir de ces réalités, nous de-vons faire une expérience d'ensei-gnants et surtout de gestiondirective permettant à l'étudiantde rester dans le centre éducatifsans créer de problème et de met-tre à profit son cursus d'enseigne-ment-apprentissage. Aujourd'hui,c'est chaque fois un défi qui nousquestionne : comment construiredes écoles avec de nouvelles ex-périences et un accompagnementdes étudiants ? Dans le centre où

je travaille, nous avons effectuédes changements qui permettentde continuer à construire desstructures éducatives malgré degrandes difficultés, car les étu-diants continuent d'étudier avecleurs contradictions quant à leurcomportement à l'intérieur ducentre et à l'extérieur. Éduquerdans ces conditions n'est passimple, nous avons besoin d'ou-tils de compréhension sociopoli-tique que nous n'avons pasacquis lors de notre formationacadémique. En référence, je pro-pose cette réflexion de MariaJésus Viviani (2016) :

"Les défis qui visent au succèsd'une école performante, stimu-lante, attractive :

• Un lieu où l'on enseigne auxélèves à être autonomes et à as-sumer leurs responsabilités aulieu de les leur imposer ;

• Un lieu où on ne leur reprochepas leur manque de valeurs, maisoù leur enseigner à les pratiquerfait partie du programme sco-laire ;

• Un lieu d'apprentissage duvivre ensemble et de la résolutiondes conflits par le dialogue et lanégociation.

• Un lieu où le travail en équipe,laissant de côté l'individualisme,soit la manière habituelle d'ap-prendre".

En conclusion, entant qu'enseignanteet membre des Equi-pos docentes*, je visce grand défi danscette école que je di-rige depuis 14 ans :voir clairement dansquelle communautéet quelle société nousdevons éduquer au-jourd'hui. Cependant,si les enseignants etl’équipe dirigeante ne

vont pas dans la même directionavec un projet commun pour faireune seule équipe de travail, c'estdifficile. Actuellement, il existeune véritable communauté d'en-seignants ayant les mêmes vi-sions sociales, la même sensi-bilité et surtout la force que nousdonne la foi dans une vision libé-ratrice où les pauvres aussi ontleur place. Nous travaillons àconstruire cette société.

A.Janvier 2017

Traduction Paulette Molinier

* Équipes Enseignantes

Et ailleurs ?

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Et ailleurs ?

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Lors des journées d’accueil dela première année à l’École Natio-nale des Travailleurs Sociaux Spé-cialisés (ENTSS) de Dakar un destextes récités mettait en scène lestatut des enfants mendiants desrues : les talibés. Dans l’islam, lamendicité est une manière devivre la soumission à Allah. Cettelogique de don / contre-don inciteégalement les donneurs à la gé-nérosité : la zakkat, l’aumône ap-pelle à la solidarité et rappelle quela nourriture comme la vie est undon de Dieu1. Sadaka est un motd’origine arabe qui signifie don decaractère religieux ; il s’agit del’aumône, légale, qui est donnéeaux pauvres.

Au Sénégal, elle n’est pas exclu-sivement faite pour venir en aideaux démunis, elle est aussi unmoyen de conjurer le mauvaissort. L’échec à un examen, l’infor-tune, la maladie, la mort prématu-rée sont autant de situationsauxquelles la Sadaka pourrait per-mettre d’échapper. Quelquefois, etbeaucoup le regrettent, on feintd’être charitable envers les indi-

gents alors qu’on est plus préoc-cupé par la chance qu’on peuts’attirer que par la misère quitouche les indigents. C’est un acterituel propitiatoire, l’essence de Latragédie du mendiant. Si la pau-vreté doit se vivre dans la dignité,l’éducation traditionnelle des tali-bés a pu être dévoyée. Aupara-vant, les enfants élevés dans lesécoles privées (daara) dépendantd’un marabout apprenaient leCoran et devaient réciter la phrasedu jour (et non celle de la veille)afin de recevoir en échange de lanourriture et vivre l’humilité. Lesstatistiques officielles estiment àquelques 80 000 ces "talibés", en-fants mendiants à Dakar et Saint-Louis ; beaucoup viennent descampagnes ou pays limitrophes.La mendicité en argent, pratiquede la mendicité que beaucoup di-sent "dévoyée" est désormais in-terdite par la loi mais reste trèsdifficile à contrôler. Quinze centresd’hébergement sont actuellementannoncés ou à l’étude. Le poèmeci-dessous précise la dimensionculturelle de cette pratique, le rap-port du Sénégalais à l’aumône, les

attitudes, perceptions et repré-sentations dont se nourrit la men-dicité au Sénégal. Dans La grèvedes battù l’auteure, Aminata SowFall2, montre l’angoisse qui a ha-bité un donneur d’aumône quandles mendiants ont décidé de semettre en grève et déserter lesrues de Dakar. Puisqu’il devaitfaire un don, il est allé les trouver,les prier, les supplier de prendreson aumône à laquelle, d’aprèsson marabout, était assujettie sapromotion. Et pourtant, c’est cemême homme qui, quelques joursauparavant, avait activementcontribué à leur retrait des rues,car, avait-il soutenu, l’image qu’ilsdonnaient de la capitale n’étaitpas des meilleures.

Il apparaît ainsi que la Sadakaentretient autant celui qui ladonne que celui qui la reçoit, ou,plus le premier que le second.C’est sans doute la raison qui faitqu’aujourd’hui, malgré la loi sur lamendicité, la main tendue se pra-tique encore.

Benoît PetitToulouse

Indignité ou dignité des mendiantsdes rues au Sénégal ?

La tragédie du mendiantJe suis celui-là, celui-là même,Ce tire au flanc comme on me nomme,Ce parasite comme on me surnomme ;Je suis celui-là qui arpente les rues, démuniCe front confit sur lequel, tantôt et tantôt,Se jettent mépris et sadaka,Pauvres francs propitiatoires !Lorsque se dressent avec hardiesseLes contours aveugles du lendemain,

Je suis celui-là que l'on feint de plaindre,Le loqueteux malandrin même, fripouille,Rebut, escroc, n'importe !Je suis le spectacle qui dérange,Le tableau sombre qui dépare,Que l'autre ne doit pas voir,Et qui pointe sur un fond de misèreLa vulgaire tragédie du mendiant.

Mamadou Ndiaye3

Sénégal

1/ Comme le croyant le répète plusieurs fois par jour : "Au nom de Dieu, celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux Dieuest celui qui entend et qui sait".2/ L’auteure contemporaine réputée, son livre La Grève des bàttu ou les déchets humains lui a valu le Grand prix litté-raire d'Afrique noire 3/ Mamadou Ndiaye Première année-, second cycle-ENTSS

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Académicienne et historienne de laRussie bien connue, Hélène Carrèred'Encausse a réalisé ici une étude trèsdocumentée et passionnante sur cesSix années qui ont changé le monde:1985-1991. L'inimaginable chute del'Empire soviétique, qualifiée de "chan-gement paisible", est due à l'initiativede quelques-uns, remettant en causel'idéologie communiste et le système to-talitaire. Parmi eux, Mikhaïl Gorbatchev,puis Boris Eltsine. En trois étapes, l'au-teur analyse d'abord "la révolution Gor-batchev" : son style nouveau, la fin dumensonge, et l'effort du démantèle-ment du système soviétique. Puis, enmaints endroits du monde, "le triomphedu droit des peuples" : la révolte de cer-taines nations, la fin de l'Empire "exté-rieur", le dernier Congrès du Parti...Enfin, "la mort de l'URSS" en 1991,avec l'ascension de B. Eltsine et la créa-tion de la Communauté des États indé-pendants (CEI), vers une nouvelleRussie (1992-1994).

Parmi ces profonds changementsaprès la chute de l'URSS, celui de la re-lation de l'État à la religion et aux res-ponsables religieux. Événementsignificatif, la rencontre historique deGorbatchev avec le pape Jean-Paul II endécembre 1989 : Gorbatchev venait derétablir la liberté religieuse en Russie etdans les États satellites. L'auteur laisseentrevoir la force, retrouvée ou réaffir-mée, de la foi chrétienne russe. Un re-nouveau s'opère dans la foi orthodoxe :des églises semi-détruites ou à l'aban-don retrouvent leur activité et leur vita-lité, des édifices religieux abîmés par lerégime anticlérical (monastères...) sontrestaurés... Le 10 juillet 1991, à son in-tronisation, Boris Eltsine inaugure unnouveau système politique. "Les dis-cours se réfèrent aux saints patrons de

la Russie... Le patriarche de toutes lesRussies, Alexis II, s'exprime au nom detoutes les religions présentes en Rus-sie. Les cloches des églises de Moscousonnent à toute volée..." (p. 228). Elt-sine, sous les caméras, participe auxfêtes religieuses orthodoxes, donnantainsi l'image d'un responsable politiquese mêlant à la foule, selon une imagepopulaire, au cœur de l'expression del'âme russe profonde. En 1993, la Rus-sie venant au bord de la guerre civile,Alexis II tente une médiation entre Elt-sine et Routskoï (p. 309). Si 1997 estl'année du renouveau russe, c'estqu'Eltsine s'engage fermement face auxproblèmes cruciaux de l'économiqueselon des objectifs précis. Or, "Eltsineavoua avoir été bouleversé par l'homé-lie de Noël du patriarche" (p. 351). Defait, Alexis II avait dénoncé certainespratiques comme péché, dont le non-paiement des salaires... Avant la céré-monie de ses adieux volontaires, le 31décembre 1999, Eltsine est allé s'en-tretenir avec Alexis II (p. 374). Poutineprendra le relais. Dans sa conclusion,H. Carrère d'Encausse remarque queGorbatchev et Eltsine, grands réforma-teurs, sont "souvent encore méconnusou mal aimés" et "le temps est néces-saire pour comprendre une révolutiond'une telle ampleur" (p. 379).

À la fin, une abondante bibliographieest indiquée. De plus, un index de nom-breux noms, sur huit pages, donne à celivre d'être un précieux outil de re-cherche sur les acteurs et les interlocu-teurs de ces "six années qui ontradicalement changé le monde" : surleur personnalité, leur parcours et leurœuvre politique ou sociale.

Père Pierre Fournier

Vie culturelle

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Six années qui ont changé le monde : 1985-1991,la chute de l'Empire soviétique

Hélène Carrère d'Encausse, éd. Fayard, 2015, 418 p. 22 €.

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Patrick Cabanel, FerdinandBuisson, père de l’école laïque,(Histoire), Genève, Labor et Fides,2016, 551p - 29€.

Cet ouvrage s’inscrit dans uneligne de recherches menées de-puis une quinzaine d’années parP. Cabanel, directeur d’études àl’EPHE (École Pratique des HautesÉtudes), sur les liens entre les pro-testants et l’école laïque à sa nais-sance, jalonnées notamment parl’édition d’un choix de confé-rences de Félix Pécaut aux élèvesde l’ENS (École Normale Supé-rieure) de Fontenay-aux-Roses etsurtout par le beau livre : Le Dieude la République ; Aux sourcesprotestantes de la laïcité (1860-1900) (2003). En donnant ici unebiographie de Ferdinand Buisson,c’est l’un des quatre fondateursde l’école laïque (aux côtés deJules Ferry, Paul Bert et JeanMacé) qu’il remet en lumière.

Comme il l’explique au lecteur,F. Buisson a traversé un certain“purgatoire”, en réaction peut-êtreà une (trop) longue longévité sur lascène publique, comme directeurde l’enseignement primaire (pen-dant dix-sept ans), professeur depédagogie en Sorbonne, député etprésident de la Ligue des droits del’homme. En ce dernier lieu, la ri-valité avec son cadet Victor Baschéclate au grand jour, même si legéant (qui recevra le prix Nobel dela paix) apparaît indéboulonnable.

Le personnage, tel qu’il ressortde la lecture de ce livre, passion-nant pour qui s’intéresse à cettepériode et à ces questions, sem-ble bien complexe. Et le moindrede nos étonnements n’est pas dedécouvrir qu’il s’est fabriqué une

biographie, prenant quelques li-bertés avec la vérité historique, aumoins sur quelques points, defaçon à apparaître comme un ré-publicain intransigeant (voir le ta-bleau p. 238-239).

Ses débuts sont assez mo-destes, avec un poste d’ensei-gnant dans une universitédébutante à Neuchâtel, qui luipèse rapidement, et un retour àParis dans un poste encore pluseffacé, un petit orphelinat laïc,dans le quartier des Épinettes, oùil lui faut aller chercher chaquejour, aux Halles, la nourriture desenfants. Mais, dès cette époque, ilfait éclater le cadre, avec desprises de position hardies en fa-veur d’une école strictementlaïque et d’une “Église libérale”dont il se veut le fondateur. L’ap-pui de Jules Simon lui fournit unposte et une interpellation de MgrDupanloup sort de l’ombre cejeune inspecteur primaire accuséd’athéisme. Quand la majorité serenverse et que Ferry accède auministère, Buisson devient direc-teur de l’enseignement primaire,très proche du ministre. C’estaussi l’époque où il élabore le Dic-tionnaire de pédagogie, destiné àdevenir l’encyclopédie des institu-teurs, mais dont on devine que sile livre a obtenu la notoriété, il n’apas eu le succès commercial es-compté. F. Buisson, cependant,est un homme de réseaux ; parmieux, on s’étonnera de l’absenced’interrogation sur ses rapportsavec la franc-maçonnerie, hormisplusieurs conférences données ausiège du Grand-Orient.

Le chapitre-clé de la biographie,c’est probablement celui qui portele titre : “Une laïcité religieuse”.

Mais peut-être en dégageons-nous plus de questions que de ré-ponses. En effet, Buisson sembleavoir varié dans ses convictions.Si, à certains moments, il sembleavoir abandonné toute idée reli-gieuse, à d’autres, il revient àl’Évangile, avant même de perdrecertaines de ses (fortes) préven-tions face au catholicisme, aumoins face au catholicisme de La-mennais. Ses critiques contre lamorale enseignée à l’école sontfortes et embarrassent ses amis,car il lui semble illusoire d’ensei-gner une morale coupée de touteréférence religieuse. Mais com-ment parler d’un fondement reli-gieux sans prononcer le mot“Dieu” et sans se faire récupérer,au moins pour une part, par lesÉglises ? Lichtenberger, doyen dela Faculté de théologie protestantede Paris, à qui il a demandé unrapport (le choix du rapporteur estsignificatif), écrit : “Ferry s’estrendu coupable d’une confusionde langage en parlant de neutra-lité religieuse de l’école là où ilvoulait évidemment dire neutralitéconfessionnelle”.

Les hésitations de F. Buissonsont bien mises en lumière dansce chapitre, et le lecteur d’au-jourd’hui ne peut manquer d’y voirles prodromes des incertitudes ac-tuelles sur la conception de la laï-cité de l’école publique.

Daniel Moulinet

Ferdinand Buisson, père de l’école laïque

Vie culturelle

38 Lignes de crêtes 2017 - 34

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Chaque ouvrage de Boris CyrulnikLes vilains petits canards, Un mer-veilleux malheur, Les nourrituresaffectives, Mourir de dire : Lahonte - Ed Odile Jacob. Psycha-nalyste, il a introduit en France lanotion de résilience. Il dresse desportraits d’enfants ou personnagescélèbres ayant une histoire lourdede violences, de carences affec-tives où l’estime d’eux-mêmes aété abîmée et comment ces en-fants ont réussi à rétablir cette es-time de soi nécessaire à la vie etaux relations avec l’autre.

L’âme du monde de Frédéric Le-noir Ed Nil pocket

P 123 : Un sage prit la parole etdit “Apprenez à accueillir et àaimer vos fragilités. La faille del’être, c’est la béance par laquellela vie nous relie les uns aux autrespar l’amour. Ne nous relions passeulement aux autres par la syner-gie de nos forces et de nos dons,mais aussi et surtout par la com-plémentarité de nos manques etde nos faiblesses… Chaque êtreest doté d’un don qui lui permetd’être un soutien, une consolida-tion, une lumière pour les autres ;mais aussi d’une faille, d’une fê-lure, d’une fragilité, qui réclamel’aide d’autrui”.

L’enfant et la peur d’apprendre deSerge Boimare Ed Dunod

Psychopédagogue, il expliquecomment à travers la culture et lalecture de mythes fondateurs, onpeut rétablir l’estime d’enfants engrande difficultés scolaires. Laconfrontation aux textes fonda-teurs leur permet de mettre desmots sur les émotions fortes qu’ilsont vécues ou qu’ils éprouvent,émotions qui paralysaient tous lesapprentissages.

L’estime de soi, S’aimer pourmieux vivre avec les autres deChristophe André et François Le-lord. Ed Odile Jacob

Christophe André est psycho-thérapeute ou psychanalyste. Lesdeux auteurs nous proposent dechercher quelle est l’estime dulecteur en faisant une sorte detest, de comprendre commentl’estime de soi se construit depuisl’enfance puis influence notre vie.Ils évoquent même quelques solu-tions ou astuces pour vivre en-semble et vivre avec soi-même.

Le cancre, pièce de Daniel Crom-bey, adaptée de deux romans deDaniel Pennac : Chagrin d’écoleet Comme un roman - Festivald’Avignon 2016.

Chagrin d’école est un romanautobiographique sur le parcourspsychologique d’un cancre dans lesystème scolaire. Il décrit l’impor-tance du regard du professeur surl’élève, l’impact sur les domainesqu’un individu va développer ouau contraire abandonner. L’auteur,ancien cancre, devenu ensuiteprofesseur et romancier, ques-tionne sur la pédagogie de notreinstitution. Des éducateurs (pa-rents, profs…) bienveillants ?

Réussir ça s’apprend de Antoinede La Garanderie Ed Bayard

En partant du constat qu’un en-fant veut toujours réussir, Antoinede La Garanderie a élaboré destechniques pour permettre à l’en-fant d’apprendre à apprendre et àconnaître son fonctionnementmental. En mettant en mots lesdifférentes stratégies mentales, ilpermet à chaque enfant de lesutiliser et de réussir, revalorisantainsi l’enfant.

Vie culturelle

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Bibliographie “estime de soi” Christophe André : Imparfaits, li-bres et heureux. Pratiques de l'es-time de soi (éd. Odile Jacob, 2006,"poches", 2009, 470 p - 11 €).

En 46 chapitres associant ana-lyses générales, cas concrets,pensées et réflexions de divers au-teurs (Marc-Aurèle, Jules Renard,Matthieu Ricard...), anecdotes per-sonnelles, ce livre aide le lecteurà construire, réparer ou renforcerl'estime de soi. Tout est dans letitre : s'accepter "imparfait", af-fronter et surmonter les échecs,ne pas faire d'une taupinière unemontagne, rend "libre". Il fautd'abord prendre soin de soi : s'af-franchir de l'image idéale et écra-sante d'un "moi" parfait ; secomporter comme son propremeilleur ami. Puis passer aux re-lations avec les autres : vivre sousleur regard, agir librement, laisserregrets et paralysie au vestiaire.Enfin l'oubli de soi devient laconséquence et le but de ce chan-gement : ne plus scruter indéfini-ment ce qu'on fait / a fait, ce queles autres vont en penser, mais«s'alléger de soi-même» (j'adorecette formule : voilà une cured'amaigrissement utile !) et savoirsavourer le moment présent... Deschapitres à déguster à petite dose,à lire et à relire, pour avancer surle chemin de l'estime de soi.

C. R.

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Édouard l'émeu, écrit parSheena Knowles et illus-tré par Rod Clement, Ka-léidoscope 1999, actuel-lement en rupture destock.

Quand on vit dans unzoo et qu'on est un émeu,on ne se sent pas forcé-ment à la hauteur. Onpourrait plutôt être co-mique comme une otarie,majestueux comme unlion ou encore fascinantcomme un serpent !Édouard, l'émeu insatis-fait, va donc tenter dechanger de vie...

C'est ainsi que débutecette histoire simplecomme bonjour qui rap-pellera à chacun denous ses moments dedoutes ou de jalousie.

Un album accessibledès le plus jeune âge,pour ceux qui ne s'aimentpas et qui pensent que lesautres ont une vie bienplus passionnante que laleur. Grâce à cette petitehistoire illustrée avec drô-lerie, chacun devrait re-trouver sa place et s'ysentir bien. C'est un bondébut pour travailler l'es-time de soi.

Apprendre ? Quel plaisir, texte deBrigitte Weninger, illustrations d'ÊveTharlet, traduction de Julie Duteil,Ricochet 2015, 14,20€.

Un jour, les petits animaux de laforêt décident qu'il est temps poureux d'apprendre à lire et à écrire afinde trouver un bon travail, de rencon-trer des personnes parlant d'autreslangues et de pouvoir découvrir desdizaines de livres. Une école seconstruit donc rapidement sous lesarbres, et le nouveau professeurdonne le premier cours. L'un desélèves propose alors aux autres dedevenir leur professeur de sport. Undeuxième devient maître cuisinier. Etc'est ainsi que, progressivement,chacun prend sa double place d'en-seignant et d'élève. Sauf le petit hé-risson, qui se sent vraimentmisérable de n'avoir rien à proposeraux autres. Va-t-il enfin leur êtreutile ? Vous vous doutez bien queoui, et c'est la morale de cette his-toire : tout le monde peut apporteraux autres des savoirs ou des com-pétences, et partager ce que l'on saitest une façon de se faire plaisir touten prenant conscience de sa valeur.

C'est une fable des plus actuelles(on pense évidemment aux réseauxd'échanges de savoirs mais aussi àl'éducation positive du psychologueSiegel) qui amène les petits et lesgrands à s'affirmer dans leur unicitéet à construire d'eux une image justeet confiante. Les magnifiques des-sins d'Êve Tharlet portent le texte etplairont à tous. Un grand coup decœur pour moi cette année !

Les frères loups, Texte de PascaleChénel, Illustrations de BrittaTeckentrup, Bayard jeunesse "lesbelles histoires", 2013, 5,20€.

Tout-Noir et Tout-Gris les louve-teaux sont jumeaux. À leur nais-sance, Xérox le Féroce, chef de lameute, a décidé que Tout-Noir de-viendrait chasseur et que Tout-Grisserait guetteur. C'est ainsi que pro-gressivement, les deux petits sontamenés à grandir et à s'éloigner : onne leur apprend pas les mêmeschoses et ils ne peuvent plus se blot-tir l'un contre l'autre. Loup-Gris vitd'autant plus mal cette séparationqu'il a l'impression qu'on lui préfèreson frère, qui exerce un métier telle-ment plus prestigieux que celui deguetteur. Alors ça lui fait comme uncreux douloureux dans le ventre...Réussira-t-il à prendre sa place et àdécouvrir à quel point il est aussi ir-remplaçable que son frère ?

Difficile de se sentir aimé quandsoi-même on s'aime mal. On projettesur les autres nos petites (ougrandes) frustrations, jalousies, en-vies, et on en oublie qu'on estunique, compétent dans notre do-maine, et aimable tel que l'on est.

Ce bel album permettra à votre en-fant de découvrir qu'on peut être ab-solument incroyable sans avoirbesoin d'être flamboyant. La discré-tion n'est pas une tare. L'essentielest d'être pleinement présent à ceque l'on fait et à ce que l'on est, etcela, le petit lecteur le comprendsans qu'on ait à le lui formuler. Marie Becker

Vie culturelle

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À l’occasion des élections présidentielle puis légis-latives le CCFD-Terre Solidaire lance une campagnede plaidoyer en s’associant au Secours catholique, àOxfam France et à Peuples Solidaires-Action AidFrance. Cette campagne vise à faire valoir notre ana-lyse et nos demandes pour agir contre les causesstructurelles de la faim, de la pauvreté et des inéga-lités. C’est aussi une occasion de sensibiliser nosconcitoyens sur l’impact de leur choix en matière desolidarité internationale.

Concrètement 15 propositions ont été formuléesà l’attention des candidats. Ces propositions sont ar-ticulées autour de trois grands axes : le partage justedes richesses pour mettre fin à la pauvreté et aux iné-galités, la promotion de la justice climatique et de lasouveraineté alimentaire et le respect des droits hu-mains en France comme dans les pays du Sud.

Partager justement les richessespour mettre fin à la pauvreté et auxinégalités

1. Lutter contre la fraude et l’évasion fiscales

2. Rendre les impôts plus justes

3. Allouer 0,7% du Revenu National Brut à l’aide pu-blique au développement

4. Remettre la finance au service de l’économieréelle

5. Réduire la pauvreté et les inégalités des pays lesplus pauvres

Promouvoir la justice climatique et lasouveraineté alimentaire

6. Sortir des énergies fossiles d’ici à 2050

7. Limiter les agrocarburants

8. Aider les adaptations climatiques des pays pau-vres

9. Préserver la sécurité alimentaire

10. Soutenir l’agro-écologie paysanne

Faire respecter les droitshumains en France comme dansles pays du Sud

11. Solidarité à l’égard des migrants

12. Réviser les politiques migratoires française eteuropéenne

13. Obliger les entreprises multinationales à res-pecter les droits humains

14. Défendre au niveau international un salaire mi-nimum vital

15. Garantir le respect des droits des femmes.

Vie de l’Association

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Prenons le parti de la solidarité !

Membre de la collégialité du CCFD-Terre Solidaire, CdEP relaie cette campagne. En cela nous participons à“retrouver le sens du politique” comme nous y invite le conseil permanent de la Conférence des évêques deFrance dans un récent document : “Pourquoi prendre la parole ? Tout simplement parce que les catholiques,citoyens à part entière […], ne peuvent se désintéresser de tout ce qui touche à la vie en société, la dignitéet l’avenir de l’Homme”.

Pour plus de détails sur cette campagne, consulter le site : http://solidarite2017.org/Évelyne Couteux

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Vie de l’association

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CdEP aux Semaines SocialesL’Éducation est devenue un objet politique, et c’est pourquoi

elle est au cœur du débat en ce moment en France, avec les «pri-maires» organisées par les partis politiques en vue de la prési-dentielle. L’association “Semaines Sociales de France” (un lieude formation, de débat et de proposition sur les grands enjeux desociété) avait centré son questionnement de cette année sur lethème “Ensemble, l’éducation”.

L’éducation n’est plus le pré carré du seul enseignant dans saclasse ; les familles, la société sont partie prenante. C’est ce qui

a été réaffirmé ce week-end à Paris pendant les deux joursd’échanges proposés par les SSF. Près de 1500 personnesétaient réunies au parc de la Villette pour discuter du projet Édu-cation de la nation et transmettre des propositions aux hommespolitiques.

Des sentiments contradictoires nous animent : d’une part noussommes heureux de cet intérêt de tout un chacun pour ce sujet,et en même temps les enjeux qui pèsent sur les enseignants peu-vent apparaître comme écrasants. Je ne peux retransmettre icila totalité de ce riche travail intitulé “livre ouvert des propositionspour l’éducation”, disponible sur le site ou pour la session 2016.En revanche j’ai retenu que l’Éducation était discutée dans sonacception large : éducation non seulement à l’école mais aussitout au long de la vie.

L’école en France n’a pas besoin d’une énième réforme maisd’un changement de mentalités, vers la confiance mutuelledes différents acteurs, coresponsables des finalités éduca-tives. En filigrane l’idée de vivre ensemble dans une sociétéqui se communautarise était porteuse de propositions inno-vantes pour la mixité sociale, l’ouverture au monde... sans ou-blier de faire toute sa place à la spiritualité !

CdEP était présent sur un stand pour la présentation denos activités, et notamment en distribuant un tract pour larencontre de Vichy. L’association avait aussi publié deuxcontributions écrites sur la spiritualité à l'école et une écolepour la réussite de tous. Cette action a mobilisé des énergies

croisées, et nous étions heu-reux de partager avec d’autresmilieux, plutôt éloignés dumonde enseignant, nos convic-tions et ce qui constitue notrequotidien professionnel.

Sylvie Paquet

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Samedi 29 avrilAssemblée Générale

11 h 00 : Accueil12 h 30 : Repas14 h 00 : Lecture des rapports

Pause et mise en formeÉchange, discussion, votes

18 h 30 : Célébration eucharistique19 h 15 : Réunion du nouveau C.A.19 h 30 : Repas20 h 30 : Veillée respiration ;

partage d’expériences

Dimanche 30 avril9 h 00 : Accueil.

Temps de relaxation.Prière

9 h 30 : Intervention de :Mickaël Bellec

Corps et écoleÉchange

11 h 00 : Intervention de :Paul Bony

Quelle place sommes-nousinvités à donner au corps enlisant les textes de la Bible ?

Échange12 h 30 : Repas14 h 15 : Ateliers ou travail degroupe15 h 15 : Table ronde. Vers quellespratiques éducatives ?Quelles conséquences dansnotre enseignement ?Pour quelles manières de vivreen société ?17 h 00 : Fin de la rencontre

Quelques pistesQuel est notre regard sur le corps ? Quelle place lui est donnée dans

l’enseignement, de la maternelle à l’université ? Pour quelles pratiquessociales ?

Manière de se regarder, de se dire bonjour, de s’habiller, de commu-niquer... quoi de plus “naturel”... et pourtant les points de repères sontdifférents.

Prenons le temps d’enparler avec tous ceuxque nous rencontrons.Peut-être serons-nousétonnés de la diversitédes points de vue...Depuis les invitationsconstantes à consom-mer jusqu’à la sugges-tion d’un corps éternel.

Intervenants

Rencontre nationale : 29 - 30 avril 2017

Le corps et l’école

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Mickaël Bellec

Il est conseiller en Éducation Phy-sique et Sportive dans le départementde l’Allier. Il est aussi Référent SûretéDépartemental, et Conseiller de Pré-vention Départemental pour l’ÉducationNationale.

Il nous dit : “Tous les humains sont etse construisent dans la relation socialeet collective. Tous ont en leur sein lescompétences pour apprendre, progres-ser et s’épanouir : l’école, lieu social paressence, lieu “maitrisé”, lieu aménagé,doit aider à les révéler.

Permettre à chaque enfant de seconstruire une image de son corps, luiapprendre à l’utiliser, dans la communi-cation comme dans l’apprentissage,pour préparer l’avenir et construire lasociété de demain. Une des missions del’école peut-elle considérer le corps etle mouvement comme fondateurs desacquisitions de compétences scolaireset sociales ?”

Paul Bony

Il est professeur d’exé-gèse biblique à l’Institutdes sciences et de théolo-gie des religions de Mar-seille. Il est spécialiste desaint Paul, il a contribué autravail inter-religieux à Mar-seille et est engagé dansl’accompagnement pasto-ral en Monde ouvrier. Ilanime un parcours bibliquediocésain.

Il nous dit : “Dans le lan-gage biblique (pauliniensurtout) , le corps n'est pasenvisagé comme une par-tie du composé humain,mais comme la personneen son enracinement so-cial, relationnel, historique,cosmique et, par le faitmême, en état de commu-nication avec autrui”.

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L’histoire européenne et l’actua-lité nous ont inspiré le thème decette Rencontre : “la fraternité, undéfi pour notre temps”. La frater-nité, affichée dans la devise répu-blicaine française, est un principehumaniste. Elle est aussi clef devoûte de la foi chrétienne.

Nous explorerons ce que recou-vre ce concept dans différentes di-mensions :

d’un point de vue théologiquetout d’abord : Que signifie frater-nité dans la philosophie chré-tienne ? Comment l’Église lavit-elle, comment concrètement lavivons-nous aujourd’hui ?

d’un point de vue sociologiqueet politique (au sens nobledu terme) : La fraternitévient à désigner la qua-lité des relationsqu’entretiennent leshommes les uns avecles autres. La sociétéeuropéenne estconfrontée concrète-ment à une situationqui engage ce principe.Une intervention/ débatévoquera la solidarité, en-semble de mécanismes écono-miques et institutionnels, ainsique politiques.

d’un point de vue pédagogique,avec les implications à l’École,dans l’éducation : Comment vivreensemble dans une période tour-mentée ? Comment faire vivre ceprincipe, associé à celui de solida-rité ? Comment dans une sociétélaïque transmettre ces valeurschrétiennes et plus largement hu-

Vie de l’association

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manistes ? La fraternité est-elle ladimension imaginaire ou symbo-lique de la solidarité ?

On ne présente plus Vichy, célè-bre à plusieurs titres. D’abord pourses eaux appréciées par les Ro-mains (aquae calidae), puis par lesfilles de Louis XV, Mme de Sévigné,et Napoléon III qui lui a donné sonessor de “reine des villes d’eaux”.L’histoire a ensuite mis Vichy aucœur de la tourmente pendant laseconde guerre mondiale.

Nous découvrirons les traces dece riche passé historique dans lesvisites prévues pour vous.

bénédictine, ancien château desducs de Bourbon) et à Moulins(capitale ducale, ville préfecturede l’Allier).

L'excursion facultative nousconduira à Moulins, capitale duduché du Bourbonnais. Nous y dé-couvrirons la vieille ville et soncafé "art déco" fréquenté par CocoChanel et le Centre National duCostume de Scène (CNCS) où sontconservés les costumes de la co-médie française et de l'opéra deParis. Sur le chemin du retour,nous sommes attendus pour unconcert à la prieurale de Souvigny,avec l'orgue historique Clicquot.

Nous serons heureux de vousaccueillir pour la 62e Ren-

contre du SIESC-FEECdans cette belle ré-

gion du Bourbonnaisoù nous réfléchi-rons, échangeronssur ce thème etprierons fraternel-lement ensemble.

Wolfgang Rankprésident du SIESC-FEEC

Sylvie Paquetvice-présidente du SIESC-FEEC

Inscriptions et renseignementsChristine Antoine :7 Rue Georges FeydeauF-10300 Sainte-Savine

tel : 03 25 74 50 05 06 16 18 33 76

Thermes de Vichy

Rencontre FEEC-SIESC à Vichydu 24 au 30 juillet 2017

La fraternité, un défi pour notre temps

Le département de l’Allier offreaussi des sites touristiques re-marquables. Son histoire localecroise l’Histoire (avec un grand H),celle de la France. La famille deBourbon qui a donné son nom auBourbonnais a fourni des mo-narques à la France entre 1589 et1830. Nous irons donc à Lapa-lisse, fief des Comtes de Cha-bannes, à Chantelle (abbaye

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RistolasTraditions et modernité

Du dimanche 16 au dimanche 30 juillet 2017Les journées de réflexion au chalet alterneront avec les balades en montagne.

Voici les sujets qui seront présentés par certains participants :

- La Palestine au temps de Jésus,

- Les Évangiles de l’enfance,

- L’incarnation - Témoignage d’un prêtre ouvrier.

- Saint François d’Assise et l’esprit franciscain,

- Tolstoï et le problème de Dieu,

- Les techniques nouvelles et leurs conséquences,

- Le transhumanisme,

Inscriptions et renseignements :

Maurice et Michèle Granchertel 04 74 70 92 39

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Autres sessions d’été 2017Vie de l’association

Retraite de septembre13 - 17 septembre, en l'abbaye de Timadeuc (Morbihan)

Intervenant : le Père Jacques Trublet (s.j.)

Le thème reste à préciser

Contact : Simone Bailly (06 84 87 03 90)

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Franco-allemandeDate : 20-29 juillet 2017

Lieu: Rhénanie Palatinat

Geistliches Zentrum Maria Rosenberg,Rosenbergstr.22/

D 67714 Waldfischbach- Burgalben

Thème: La Forêt

Inscriptions souhaitées avant le 1er avril 2017

Tel : 06 333/923-2 00 

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Une seule femme au milieud’une foule d’hommes, elle n’estpas vraiment heureuse d’être là,elle se tient voûtée, le visage dé-fait et le regard fuyant, un hommela tire par le bras et la désigne desa main droite, elle va sans doutepasser un mauvais quart d’heure.D’ailleurs tous les hommes atten-dent ce moment, et leurs trognesne laissent pas de doute sur leursintentions, les plus jeunes sontdes soldats, des lansquenets, re-connaissables à leurs armures ouleurs casques, l’un est mêmearmé d’une hache, les plus âgésse reconnaissent à leurs barbesblanches et à leurs chapeaux dou-blés contre le froid. Tout ceci faitressortir l’originalité du person-nage central, Jésus, dont le man-teau de pourpre et la robe bleuerappellent l’Antiquité alors que lesautres costumes sont ceux du XVIesiècle allemand. Mais les deuxhommes derrière Jésus sont aussien robe, et ont les pieds nuscomme lui. Seraient-ce des apô-tres accompagnant le maître ?

"Les scribes et les Pharisiensamenèrent alors une femmequ’on avait surprise en adultère etils la placèrent au milieu dugroupe. Maître, lui dirent-ils, cettefemme a été prise en flagrant délitd’adultère" (Jean 8, 3-4).

Voici l’explication de son effroi,elle vient d’être surprise et saisie,montrer son sein nu est un moyenpour le peintre de souligner sonpéché. Elle est amenée de forcepar les hommes menaçants etbien armés que l’on voit à droite.On sent parmi eux une certaine ef-fervescence, ils regardent dans

tous les sens. Le plus âgé, celuiqui a les pieds nus, se tourne verselle, et le doigt levé, il lui fait desreproches.

Le narrateur écrit au v.3 "unefemme qu’on avait surprise enadultère" mais les hommess’adressant directement à Jésusprécisent au v. 4 "en flagrant délitd’adultère". Façon d’en ajouter unpeu ? Mais si c’est vrai, où estl’homme ? "Dans la Loi, Moïsenous a prescrit de lapider cesfemmes-là". Mais dans le Lévi-tique 20, 10 il est dit "L’homme etla femme doivent être mis à mort",et ici il n’y a pas d’homme, l’a-t-onlaissé fuir ?

Reste la lapidation et si notre re-gard se porte sur la partie gauche,on voit que tous sont bien rangéset attendent le signal, déjà deuxhommes préparent les pierresqu’ils veulent lancer, l’un a mêmedemandé à un enfant de lui en ap-porter. La scène est dramatique,partout on voit les taches rougesdu sang, et de la vie qui est encause.

Et c’est à ces hommes qui veu-lent "appliquer la loi" que Jésuss’adresse en la désignant du doigt"Que celui d’entre vous qui n’a ja-mais péché lui jette la premièrepierre". Cette phrase qu’il est entrain de prononcer est écrite en al-lemand en haut du tableau. Jésuss’adresse à des hommes dont lesvisages sont laids comme lepéché, les regards durs et hypo-crites… et on connaît la chute :"Après avoir entendu ces paroles,ils se retirèrent l’un après l’autre,à commencer par les plus âgés".

Il existe de nombreuses pein-tures de Lucas Cranach sur cetexte, mais certaines sont duVieux (1472 – 1553) et d’autresdu Jeune, c'est-à-dire du fils(1515 – 1586), le fils se distin-guant difficilement du père. Toutessont construites sur le même mo-dèle, les différences concernent lafemme qui est plus ou moins dés-habillée, les hommes plus oumoins armés et surtout l’échelledes plans, presque toutes sont surdes plans plus ou moins rappro-chés qui coupent les jambes, etréduisent le nombre des hommesà une dizaine. Celle-ci, qui est trèsgrande, est la seule à montrer unplan d’ensemble, ce qui permetde placer la scène dans unegrande pièce à colonnes, renfor-çant la solennité de la scène.

Ce passage de l’évangile est re-présenté par de très nombreuxpeintres des XVIe et XVIIe siècles.La rencontre forcée entre Jésus etla femme est comme ici assez fré-quente, certains peintres repré-sentent un plan large avec Jésuspenché et écrivant, chez d’autreson voit les hommes s’éloigner etrenoncer à la lapidation, parcontre il est très rare de voir le dé-nouement : "Jésus se redressa etlui dit : "Femme, où sont-ils donc ?Personne ne t’a condamnée ?"Elle répondit : "Personne, Sei-gneur", et Jésus lui dit : "Moi nonplus, je ne te condamne pas : va,et désormais ne pèche plus".

Cette finale semble pourtantêtre le plus important, le jugementmiséricordieux de Jésus, qui ac-corde son pardon à la femme pé-cheresse, ou plutôt qui l’invite à ne

La femme adultère

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plus pécher. Mais je pense que laleçon des tableaux de Cranach estautre. Certes Jésus apparaîtcomme un juge, il est au centre,vêtu de son manteau de pourpre,sa figure est solennelle, cela rap-pelle la mise en scène du juge-ment dernier, et la femme a peurde ce jugement, et les hommesl’attendent avec impatience pouren être les exécuteurs. Mais lasentence écrite au dessus, metl’accent sur autre chose que le ju-gement, elle montre que Jésus nejuge pas mais renvoie à la respon-sabilité de chacun, et le fait d’avoir

rajouté un apôtre qui lui, juge lafemme, renforce par contraste,l’originalité de l’attitude de Jésus.

Nous voici renvoyés à un granddébat du XVIe siècle, celui de lagrâce. Les Cranach sont des pro-testants de Wittenberg, ils adhè-rent complètement aux idées deMartin Luther, qu’ils essaientsouvent de mettre en images.Comme lui, ils dénoncent la peurdu jugement qu’ils accusent lescatholiques d’entretenir, et pro-clament le salut par la grâceseule. Ainsi libérés de la peur du

jugement et du châtiment divin,les hommes sont responsablesdevant eux-mêmes, ils sont appe-lés à se regarder en conscience,comme les Pharisiens, qui, accu-sés par leur propre conscience,se retirent un par un.

L’œuvre est donc un acte mili-tant autant qu’artistique, maispour nous il est aussi d’une ac-tualité bouleversante quand onlit : "Une jeune femme lapidéedans le centre de l’Afghanistanpour adultère" (Le Monde du3/11/2015).

Serge Ceruti

Le Christ et la femme adultère, Lucas Cranach le Jeune, 1549, peinture à l’huile transfé-rée sur toile, Bonnefantenmuseum ou Musée des Bons enfants, Maastricht.

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Collaborateurs :

Comité de Rédaction :

Chrétiens dans l’Enseignement Public - 67 rue du Faubourg Saint-Denis 75010 ParisTél. : 01 43 35 28 50 - site électronique : http://www.cdep-asso.org/ - courriel : [email protected]

Enveloppe de carême

CCFD-Terre Solidaire

jetée dans la revue

Suzanne CahenPierre DarnaudJean-Louis GourdainChantal GuilbaudMonique JudenneAnne-Marie Marty

Serge Ceruti (iconographie)Fliex, G. Million, D. Thibaudeau (dessins)Tcho Picault (secrétariat)Andrée Fabre, Paulette Molinier, Juliette Panek(relecture)

Mireille NicaultBenoît PetitCatherine RéaliniMarie-Inès SilicaniÉdith Tartar GoddetIsabelle TellierJacqueline Xhaard-Bourdais