n°30 Le travail qui pèse et qui porte - cdep-asso.org · Avec la sourate “La Fatiha” (P....

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n ° 3 0 ISSN 1969-2137 Janvier - Février - Mars 2016 10 € L e t r a v a i l q u i p è s e e t q u i p o r t e M a î t r e s s e , m o n n o u v e a u m é t i e r L a S o u f f r a n c e a u t r a v a i l J e f a i s l a v a i s s e l l e e t j e t o u r n e e n r o n d J e u n e s e t t r a v a i l , e n I t a l i e D e l e s t i m e d e s o i

Transcript of n°30 Le travail qui pèse et qui porte - cdep-asso.org · Avec la sourate “La Fatiha” (P....

n°30

ISSN

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Le travailqui pèse et qui porte

Maîtresse, mon nouveau métier

La Souffrance au travail

Je fais la vaisselle et je tourne en rond

Jeunes et travail, en Italie

De l’estime de soi

p 01_indica 01/03/2016 08:59 Page1

Site de CdEP : www.cdep-asso.org

Éditorial (M. Nicault) ................................................. p 3“Travaillez, prenez de la peine” (J.-L. Gourdain) ...... p 4

MétierMaîtresse, mon nouveau métier (C. Réalini)............ p 6Le “PAI” : Projet Accueil Individualisé (C. Patry) ....... p 9Ce qui pèse et ce qui porte (B. Lepage) .................. p 10Soutien aux personnels en souffrance(E. Tartar Goddet) ...................................................... p 12Maladie et Éducation nationale (C. de la Ronde) ... p 13En pédagogie, chemin faisant (livre de J. Moll) ...... p 14Pourquoi ? (É. Leclerc) .............................................. p 14…Risques psycho-sociaux à l’université (I. Tellier) .. p 15Éclairage sur la réforme du collège… (C. Réalini) ... p 16

Église et FoiÊtre avec (M. Pagès) ................................................. p 19La Souffrance au travail (M. Nicault) ....................... p 20Danger : Burn-out !!! (D. Moulinet) ........................... p 22

SociétéBurn out : de l’élan à la chute (S. Debord) .............. p 23Ma vie rêvée en open-space à La Défense (E.) ...... p 24Science et foi (B. Petit) .............................................. p 26Tout faux (F. Z.) .......................................................... p 27Perdu d’avance ? (N. Bismuth) ................................. p 28Je fais la vaisselle et je tourne en rond (Gilles) ....... p 29Pourquoi moi ?(F. Dubet, O. Cousin, E. Macé, S. Rui) ...................... p 29

Relecture BibliqueQôhéleth, sage ou cynique ? (Y. Chalvet de Récy) .. p 30

Et ailleurs ?Jeunes et travail, en Italie… (A. Balsamo) ............... p 32L’OIT, seul bouclier face à la loi de la jungle(D. Eloy) ...................................................................... p 34

Avec la sourate “La Fatiha” (P. Fournier) ................. p 38

Vie culturelleLivres .......................................................................... p 39Trepalium (I. Tellier) ................................................... p 40Héraclès : livre jeunesse (J.-L. Gourdain) ................ p 41

Vie de l’associationAdieu à Maurice Montabrut (M.-H. Depardon) ........ p 42Jean Duval ................................................................. p 43École publique, religions et laïcité ........................... p 44De l’estime de soi (M. Lesquoy) ............................... p 45

IconographieUne jeune femme parmiles moissonneurs (S. Ceruti).................................... p 46

Sommaire

2 Lignes de crêtes 2016 - 30

Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans l’En-

seignement Public, résultat de la fu-sion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

Directeur de publication : Michèle Lesquoy - Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 0217 G 81752 du 7 juin 2012Imprimerie Chauveau-Indica, 2 rue 19 Mars 1962 - 28630 Le COUDRAY

Prochain numéro● Prise en compte Intériorité / Estime de soi● Transmettre/Apprendre / Faire ensemble● Appartenances / Engagements

Abonnement à Lignes de crêtesnormal

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de Chrétiens dans l’EnseignementPublic et de l’envoyer à :

Chrétiens dans l’Enseignement Public

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Cotisation minimale annuelle de 40 €Cependant, nous vous proposons de dé-terminer le montant de votre cotisationen fonction de vos possibilités. Vous trou-verez ci-dessous un tableau donnant desindications de montant.

CouverturePage 1 : Catherine Coleman jouant de la flûtePage 4 : Photos d’origines diverses

p 02_Indica 09/03/2016 10:08 Page2

“Actuellement je ne saispas qui croit en nous, àpart les parents et les

élèves, mais l’institution, région etdépartement, je ne sais pas.N’est-on pas aussi une époque im-portante comme au temps deJules Ferry ?” “En élémentaire, laréforme des rythmes a rajouté unpoids à celui de la paperasse. Lesenseignants souffrent de ne plusavoir assez de temps pour mettreen place la pédagogie. Ce qui lessauve, c’est la classe, et les pa-rents quand ils arrivent à créer undialogue”.

Tel est l’origine de ce dossier.Voici quelques paroles derentrée d’équipiers, ou des

blogs du site CdEP : “On envisagesans sourciller des classes de Se-conde à 36 élèves dans un lycéede ZEP classé Prévention violence.D’où vient la décision ? Qui estprêt à expliquer, argumenter, as-sumer ? Aucune réponse sérieuseà notre mobilisation (parents etenseignants), ni celle des collègesvoisins touchés eux aussi. Sensa-tion cuisante d’un profond mépris,d’un désintérêt total pour notreengagement et notre travail”. “Unpoint m’a consternée : la COP1

nous a fait savoir – ceci tardive-ment au conseil, avec 3 mois déjàécoulés, que le jeune X ‘ayant desproblèmes, est à aider et encou-rager’. Lesquels ? Impossible d’enavoir une vague idée pour l’aiderefficacement. Nous ne sommespas jugés dignes de garder le se-cret professionnel !” Nombre d’in-satisfactions sont certes liées aucontexte socio-économique denotre société qui, bien qu’ayantcréé une école enfin ouverte àtous, n’ayant jamais concerné au-tant d’enfants différents depuisune dizaine d’années, reproduitpourtant les inégalités. Les écartsd’intérêts ou culturels entreélèves, enseignants, sont parfoisvécus douloureusement : “Je ne

comprends pas qu’on soit si éloi-gnés…” Les problèmes d’orienta-tion suscitent sentiment dedécalage, frustrations, jusqu’à dis-qualifier COP et enseignants. Der-rière cette remarque d’un ancienélève : “J’ai un travail, je paie mesimpôts, mais ce n’est pas pas-sionnant. De toutes façons, vousnous aviez programmés pour nepas réussir aussi bien que les au-tres”, se cachent deux souf-frances, celle de l’élève et celle del’enseignant qui la reçoit. Et com-ment ne pas focaliser sur ce quiest raté ? Comment savoir travail-ler, vivre avec l’élève viré par leConseil de discipline, l’élève ja-mais entré dans ce qu’on atten-dait de lui, ou de bonne volontémais qu’on n’arrive pas à faire pro-gresser ?

Professionnaliser le métier estbon et nécessaire pour lesenjeux d’aujourd’hui, et nous

tenons à notre responsabilité indi-viduelle. Mais l’échec n’est pastoujours lié à la personne seule, ilfaut savoir aussi déceler la vio-lence institutionnelle analysée àpartir des années 80. Quandl’État, pour raisons économiques,utilise des vacataires, jetables etmaltraités, quand, pendantquelques années, les jeunes en-seignants n’ont eu droit à aucuneformation, il faut alors questionnerl’institution. Je pense égalementaux collègues de collège chargésde transmettre dans leur départe-ment la “bonne parole” sur la ré-forme appliquée à la prochainerentrée, sur quatre niveaux, dansune urgence pédagogique qui sou-lève des doutes. À certains on aminimisé l’ampleur de la tâchepour qu’ils acceptent, alors queles mêmes en assument souventd’autres comme professeur prin-cipal de 3e ou suivi de professeursstagiaires. Il leur arrive dans cetteresponsabilité de transmission dese faire agresser par leurs pairs.

Car le travail est aussi un lieurelationnel, qui peut êtreune grande source de force

et de créativité en équipe, et éga-lement porteur d’amitiés dura-bles. Mais les relations entre pairspeuvent aussi tenir de la violenceinstitutionnelle : par exemple “lescollègues 3 singes2, les profs qui neveulent surtout rien voir-rien-enten-dre-rien dire alors qu’ils savent per-tinemment que l’un des leurs est endifficulté… Ne rions pas trop vite :qui d’entre nous n’a jamais étéainsi, face à un-e collègue ? Quecelui d’entre vous qui n’a jamaispéché… (Jean, 8)”.

3Lignes de crêtes 2016 - 30

Éditorial

Àla rentrée 2014, un ensei-gnant sur quatre avait moinsde 35 ans3. Inscrits pour

trois-quarts d’entre eux sur Face-book, 85 % s’y connectant aumoins une fois par jour, ces jeunesenseignants sont dans le trio detête des salariés français les plusconnectés. Mais si 88 % d’entreeux souhaitent évoluer un jourdans l’Éducation nationale, 47 %seulement estimaient que “tra-vailler, c’est s’épanouir et déve-lopper sa personnalité”. Ensei-gnant, un métier désenchanté, ti-trait un article d’Alternatives Eco-nomiques un an après. Restaurerla conviction qu’on peut changer,qu’on n’est pas nul à vie, redonnerun sentiment de sécurité, d’iden-tité, d’appartenance et de compé-tence, c’est fondamental pournotre jeunesse. Pour ses ensei-gnants aussi ?

Mireille NicaultFévrier 2016

1/ COP Conseiller d’orientation-psy-chologue2/ blog de Sidonie du 26/8/20143/ enquête de la MGEN, Le Monde du16/10/2014

p 03_Indica 01/03/2016 09:50 Page3

Travail, travailler, voici des motsvalorisés à l’extrême dans nos so-ciétés modernes, au point que dutravail semble en grande partiedépendre l’identité de noscontemporains : les chômeurs, pri-vés de ressources souffrent aussidurement d’être privés d’exis-tence sociale ; les retraités, dontje suis, ont tendance à multiplierles besognes bénévoles pourconserver à leurs yeux une justifi-cation à leur existence autrementdésœuvrée.

L’étymologie, pourtant, jette unsombre éclairage sur ces réalités.Travailler remonte, disent les dic-tionnaires, à un verbe latin tardiftripaliare , torturer avec le tripa-lium, un triple pal !

Jusqu’au début du XVIe siècle,travailler c’est tourmenter et souf-frir : nous en avons gardé le “çame travaille” (= ça me tourmente)et le travail de la femme sur lepoint d’accoucher, qui n’est pasune partie de plaisir. Le sens pre-mier du nom travail, d’après Littré,est assez pittoresque pour êtrenoté : “Nom donné à des ma-chines plus ou moins compli-quées, à l’aide desquelles onassujettit les grands animaux, soitpour les ferrer, quand ils sont mé-chants, soit pour pratiquer sur euxdes opérations chirurgicales”. Onest encore tout près de l’instru-ment de torture ! Ce n’est quedans le courant du XVIe siècle quele verbe travailler va remplacer lemot ouvrer, du latin operari, faire

une œuvre, un ouvrage : de cettefamille nous avons gardé œuvrer,ouvrier bien sûr, et nos jours ou-vrables, pendant lesquels on peutœuvrer.

En latin, le mot courant pour dé-signer le travail est labor : la peinequ’on se donne pour faire quelquechose ; travailler c’est laborare,qui a donné notre labourer,puisque jadis le travail était es-sentiellement le travail de la terre,la société médiévale s’organisantautour de trois ordres2 : les labo-ratores (ceux qui travaillent), lesbellatores (ceux qui font la guerre)et les oratores (ceux qui prient).

C’est au XVIIe et surtout au XVIIIe

siècle que la bourgeoisie mon-tante va réhabiliter le travail pro-ductif, en en faisant la raison de la

vie. On se souvient dela Conclusion de Can-dide : “Le travail éloignede nous trois grandsmaux, l’ennui, le vice,et le besoin”.

Dans la société an-tique, le travail, aumoins le travail pro-ductif, l’activité éco-nomique ne bénéfi-cient pas de la mêmeaura que dans lemonde moderne.Faut-il rappeler queles gros travaux sonteffectués par les es-claves et qu’il y a, àRome, dès la fin de laRépublique et sousl’Empire, toute uneplèbe inactive qu’ilfaut nourrir et dis-traire en lui octroyant“du pain et desjeux3” ? Il y aurait

“Travaillez, prenez de la peine1”

4 Lignes de crêtes 2016 - 30

Illustrations des Fables de La Fontaine par Jean-Ignace-Isidore Grandville

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Rencontre NationaleAssemblée Générale de l’Association

Congrégation du Sacré-Cœur - 130 rue Freneuse - 76410 Saint Aubin lès Elbeuf

du samedi 2 avril à 14 h, au dimanche 3 avril 2016 à 16 h 30

sans doute à penser sur le rap-prochement qu’on pourrait faireavec l’état du monde d’au-jourd’hui : une robotisation mas-sive qui engendre la pénurie dutravail salarié, au point que cer-tains en proclament la disparitionà brève échéance ; le rejet de“ces étrangers qui viennent pren-dre le travail des Français”, quin’est pas sans rappeler la xéno-phobie d’un Juvénal fustigeant“une Rome devenue grecque4” ;l’accaparement du “temps de cer-veau disponible” par la télévision,les jeux vidéos, et les réseaux pré-tendument sociaux.

Quelle activité inventer, dans cemonde déshumanisé, qui soitdigne d’un être humain ? Reve-nons à nos Latins ! Au commen-cement était l’otium, le loisir, nonpas l’inaction, mais le temps quel’on se consacre à soi-même. Lenegotium, négation de l’otium,vient ensuite pour désigner l’oc-cupation, le travail, les affaires etnous faire passer de la sphère pri-vée à la sphère publique. Le ne-gotium le plus valorisé sera pourles Romains l’activité politique, au

service de l’État, du moins tantqu’il reste en ce domaine une pos-sibilité véritable d’action, tant quele pouvoir n’est pas devenu tropdictatorial pour laisser un espaceà la liberté politique. Le philo-sophe stoïcien Sénèque, ayantéchoué dans son ambition deconseiller le Prince, Néron, et decanaliser ses débordements, pré-conise avec force l’otium philoso-phique : la reprise de possessionde soi-même pour se consacrer, àtravers l’étude, au soin de sonâme : “Revendique tes droits surtoi-même, écrit-il à son disciple Lu-cilius5, Jusqu‘ici on te prenait tontemps ; on te le dérobait ; ilt’échappait. Recueille ce capital etménage-le”.

Ne pourrions-nous pas au-jourd’hui, dans un monde où ladispersion est souvent la règle,mettre à profit cette injonction ànous réapproprier notre temps,c’est-à-dire notre vie ? Ce disant,je ne souscris nullement à ce quela démarche de Sénèque peutavoir de trop individualiste : il nes’agit pas à mes yeux de prendresoin de son âme en négligeant le

monde et les autres. Il me semblebien plutôt que l’unité d’une viepeut se construire dans une dé-marche collective, pour l’avène-ment d’un monde nouveau6.

Jean-Louis Gourdain,Rouen

1/ La Fontaine, “Le Laboureur et sesenfants”, Fables V, 9.2/ Voir G. Duby, Les trois ordres oul’imaginaire du féodalisme, Paris, Gal-limard, 1978.3/ “Panem et circenses”, Juvénal, Sa-tire X, v. 81.4/ Satire III, v. 60-61 : “Je ne peux sup-porter, Citoyens, une Rome devenuegrecque” ; Juvénal, qui exprime appa-remment le point de vue du Romainpauvre, n’a pas de mots trop durs pourdénoncer cette prétendue invasion deRome par les Grecs et les Orientaux,cette “lie” que l’Oronte déverse dansle Tibre (Satire III, v. 61-65).5/ Sénèque, Lettres à Lucilius, I, 1,traduction H. Noblot, CUF 1945.6/ Dans l’encyclique Laudato Si’, lePape François explique que l’enjeu dela question : “Quel monde allons-nouslaisser à nos enfants” est “notre pro-pre dignité”, “le sens de notre proprepassage sur cette terre” (n°160).

5Lignes de crêtes 2016 - 30

Samedi11 h .......... Accueil

12 h30 ..... Repas14h30 ...... Conférence

18 h ........... Eucharistie

Dimanche9 h ............ Assemblée générale

12 h30 ..... Repas14 h ........... Visite touristique

Attention auchangement

d’adresse

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En tant qu’AVS, j’ai eu la chanceimmense de tomber dans uneécole élémentaire, près de chezmoi, où il y avait une équipe formi-dable ! C’était une école à CLIS(classe pour l’inclusion scolairedes handicapés), devenue ensuiteULIS, où le handicap était un vraisujet de préoccupation, était aucœur même du projet d’école. Lafillette handicapée dont j’étaisl’AVS a pu apprendre à lire, écrire,compter... mais au bout de deuxans ce fut la fin de mon contratd’AVS et j’ai ressenti une grandefrustration de devoir ainsi la lais-ser pour me tourner vers autrechose... La 2e année, j’avais com-mencé aussi à faire des étudessurveillées le soir, toujours en pri-maire. La mairie m’a mise sur unprogramme d’enfants en difficul-tés diverses, et avec l’étude et lesdevoirs du soir, il y avait aussi desjeux, des sorties, de la socialisa-tion... Cela me plaisait beaucoup,même si c’était très prenant. Enparallèle, j’ai aussi effectué del’encadrement scolaire en ZEP, cequi a été pour moi très formateurpour la relation aux “élèves diffi-ciles”. Une amie, professeur defrançais en collège, m’a persua-dée de passer le concours de pro-fesseur des écoles “réservé” auxmères de 3 enfants et plus, pourdevenir enseignante.

Il a fallu qu’on me pousse, qu’onme soutienne, qu’on croie en moi,

parce que moi-même je ne m’encroyais pas capable... Je suis de-venue infographiste en faisant,après la 3e, un CAP de claviste entrois ans, c’est-à-dire que j’ail’équivalent d’un Bac profession-nel aujourd’hui. Je n’ai pas faitd’études, je n’ai pas de diplôme,je ne pensais pas pouvoir devenirprofesseur ! Mais “tu as le profil,tu as le recul, tu as un très boncontact avec les enfants, tu esfaite pour ça !” me disait-on autourde moi... En même temps, ma ré-flexion personnelle m’y poussaitaussi : “que veux-tu faire de tavie ?” me demandais-je, tout ensachant que je ne me voyais pasretourner en entreprise.

En septembre 2014, à 46 ans,je me suis donc inscrite à ceconcours, sans trop y croire. Maisje me suis lancée, soutenue parmon mari, mes enfants, mesamies enseignantes. J’ai réussil’écrit, surtout je crois parce quej’avais un bon niveau de français ;à l’oral j’ai dû présenter un dossierprofessionnel (qui n’a pas été trèsréussi...) et une séance de sportintégrant handicap et gestion declasse : là j’ai fait un bon score, etj’ai été prise. Depuis septembre2015, je suis donc à mi-temps“maîtresse” d’une classe de CE2 ;et à mi-temps à l’ESPÉ en forma-tion de M2 (master 2). Et voilàcomment ma vie de maîtresse acommencé !

J’enseigne dans une toute petiteécole qui comprend 5 classes.Mon début d’année était très com-plexe : d’un côté une binôme (cellequi a l’autre mi-temps du CE2) tou-jours prête à échanger, une autreenseignante qui partage avec moitous ses cours d’histoire, de géo-métrie, de grandeurs et mesures,et de l’autre côté deux collèguesfatiguées du métier et enfin unecinquième qui se tient à distance.Je m’attendais à une autre sorted’accueil... Trois des cinq ensei-gnantes, d’ailleurs, cherchent àchanger de métier, à s’en aller et àfaire autre chose, donc elles necomprenaient pas du tout qu’àmon âge, je veuille, moi, devenirinstitutrice, et que j’en sois heu-reuse, elles qui n’aspirent qu’àsortir de l’Éducation nationale !Les lourdeurs administratives(pour le moindre projet, la moindresortie...) découragent aussi leursbonnes volontés. Au fil des mois,nous avons appris à nous connaî-tre, à nous comprendre et leschoses vont mieux. Nous com-mençons à nous apprécier.

L’autre difficulté de début d’an-née, ce fut la tonne d’informa-tions à intégrer pour l’école(organisation de la classe, del’école, de l’EPS, la couleur descahiers…) et pour l’ESPÉ (l’ins-cription, le campus, les salles, lescours, les TP, TD…).

Maîtresse, mon nouveau métierMétier

6 Lignes de crêtes 2016 - 30

Muriel a aujourd’hui 48 ans, elle a débuté dans la vie professionnelle assez jeune, comme infographisteet a exercé ce métier treize ans. Puis elle s’est arrêtée de travailler à la naissance de son 2e enfant ; d’au-tres sont arrivés, elle en a eu cinq au total (qui ont entre 25 et 9 ans aujourd’hui). Mère au foyer pendant13 ans, elle aspirait à revenir dans la vie professionnelle, pour des questions financières mais aussi pourelle-même. Elle n’a pas pu reprendre en infographie, le métier ayant évolué trop vite, et de toute façon ellen’y tenait plus. Pôle Emploi lui a donc proposé d’être AVS, auxiliaire de vie scolaire pour une petite fille han-dicapée ; elle a tout de suite accepté, et a accompagné cette fillette de deux ans, en CE2 et CM1. Ce futson premier contact professionnel avec le monde de l’école (autre qu’en tant que “parent d’élève”) et de-puis elle y a trouvé sa voie.

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Ma binôme a partagé les ma-tières entre nous : elle m’a donnéà enseigner la géométrie, les gran-deurs et mesures (heure, lon-gueurs, masses...) alors que jen’aimais pas du tout cela à l’écoleet en collège ; elle m’a aussiconfié histoire, histoire des arts,arts visuels, anglais, EPS ; et enmaîtrise de la langue : ortho-graphe, dictée, vocabulaire, litté-rature et production d’écrit... Jeme disais que commeelle avait partagé, ceserait bien et je vou-lais en être contente,même si j’avais l’im-pression de ne pasavoir à enseigner dematières fondamen-tales (la grammaire,la numération, le cal-cul, la lecture com-préhension…). Bref,ce fut difficile pourmoi de bien cerner cequ’il fallait que jefasse, pour d’une partenseigner “correcte-ment” mes matières,et d’autre part ne pasempiéter sur ses ma-tières à elle.

De façon paradoxale, j’en suisvenue à aimer la géométrie, àforce de l’enseigner, et surtout deme creuser les méninges pourtrouver comment faire passer telleou telle notion auprès de mesélèves. L’idée d’apprendrequelque chose à des enfants meplaît beaucoup, j’aime leur appor-ter des connaissances, des outils,des clés pour comprendre lemonde, et bien au-delà, leur ap-prendre à être ensemble, à s’ap-précier, à accepter lesdifférences... Pour moi, le cœur demon métier est là, dans l’humain !

Pour en revenir à la géométrie, j’aicherché des outils, j’ai fini par yprendre plaisir, et cela a dû sesentir, parce que lorsque nousavons fini notre séquence sur lecercle, je n’ai pas commencé denouvelle séquence tout de suite,et ce sont les élèves qui ont ré-clamé “Alors, on ne fait plus degéométrie ?” ce qui m’a bien faitsourire.

à porter un regard différent sur ceque je fais, et on me donne aussiune progression très détailléeconcernant les points sur lesquelsil faudrait que je progresse, etcomment. J’apprends le métier !

Ce qui est pesant pour mes col-lègues et moi-même, à l’école, cesont surtout les parents, soit trop“absents”, soit trop intrusifs, qui semêlent de tout ce que nous fai-

sons. C’est difficile desupporter des re-marques ou un regardcritique sur le moindredétail...

Une autre difficulté,ce sont les quelquesenfants du voyage quifréquentent nos clas-ses de façon extrême-ment irrégulière. Ilfaut faire avec leursabsences, et ce n’estpas facile, à leur re-tour, de les réintégrerdans les projets oules séquences encours... Il ne faut pasqu’ils se sentent per-dus ou exclus, maisparfois ils ont man-

qué de étapes importantes, alorsje leur fais faire autre chose. J’aidu mal à les faire avancer dansleurs apprentissages, et cela mecrée des frustrations !

Il faut aussi que fasse attentionà la façon dont je reçois les infor-mations des enfants ; je dois veil-ler à ne pas m’impliquer, à êtreimpartiale, par exemple dans lesanecdotes familiales, ou les pe-tites chamailleries, les disputesentre élèves. Je suis parfois cho-quée de la violence entre eux, decertains gros mots qu’ils utilisentà l’égard des autres...

Métier

7Lignes de crêtes 2016 - 30

Je suis contente aussi de ce quej’apprends à l’ESPÉ : souvent c’esttrès concret et pratique, on tra-vaille en petits groupes ; je trouvela formation de bonne qualité, lesformateurs sont compétents, c’estcomplet et cela m’intéresse. On ala théorie et la pratique (des sé-quences). On est suivi par un tu-teur Éducation nationale, il fait enmoyenne trois visites conseils etune visite évaluation formative.Certes, quand il vient cela génèredu stress, mais c’est aussi très in-téressant car tout ce qu’on fait/ditest décortiqué. Cela m’aide àprendre du recul sur ma pratique,

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Mais, j’aime beaucoup maclasse, je trouve que le CE2, lesélèves de 8-9 ans, c’est la meil-leure classe pour commencerdans le métier : ils sont déjà dansla lecture, l’écriture, ils sont aussicapables d’exprimer ce qu’ils ontà dire, ont une certaine autono-mie. Je les regarde grandir, pro-gresser, j’essaie de ne pas tropgronder, tout en étant très exi-geante au niveau de leurs perfor-mances et de la discipline.J’essaie d’être ferme et rassu-rante, maternelle, de les aider à sepersuader qu’ils peuvent bienfaire, mieux faire. Ma classe acompris ma façon d’être et defonctionner, ils savent très bienquand je ne suis pas contente ouqu’ils doivent se taire, se calmer,et ils le font parce qu’ils savent ceque j’attends. Sans crier. L’autrejour, je complimentais une mamansur son petit garçon, un élève rê-veur, très intelligent mais qui esttoujours un peu “décalé” ; et lamaman à qui je parlais des pro-grès de son fils m’a dit “Vous yêtes pour beaucoup” : c’est un telcadeau de recevoir ce type dephrase ! C’est une belle recon-naissance de mon métier.

Je suis heureuse aussi lorsquedes élèves timides, qui n’osaientpas ou ne voulaient pas participerà quelque chose (par exemple :lire tout haut leur production,après un atelier de réécriture depoème), lèvent finalement le doigtquand je demande “alors, est-ceque tout le monde a lu sonpoème ? Est-ce qu’il y en a encorequi ne l’ont pas fait et veulent ledire ?”. Là je me dis “c’est gagné !”et cela me fait plaisir qu’ils osent.Les enfants sont tous différents,et chacun a un côté attachant,même le plus pénible d’entre eux.

En mars je vais aller trois se-maines dans une autre école, enCE1, pour changer de cycle, carcela fait partie de ma formation.Quand je l’ai dit à mes élèves deCE2, et que je leur ai expliquéqu’ils allaient avoir une rempla-çante, mais que je reviendrais en-suite, la moitié de la classe apleuré ! Cela va faire bizarre, cestrois semaines sans “ma” classe ;j’espère que les choses se passe-ront bien pour eux ... et pour moi,car j’appréhende aussi ma der-nière évaluation qui va avoir lieudans cette nouvelle classe !

Alors que dire de mon nouveaumétier, que je suis en train d’ap-prendre ? C’est une évidence : jene regrette pas mon choix, tout letemps passé (et parfoispris à ma famille :mes enfants ont

Je suis heureuse aussi d’avoirdes “copines” qui ont la moitié demon âge à la Fac, c’est très enri-chissant pour moi de côtoyer ainsides jeunes ! Je suis admirative de-vant eux. Ils finissent leur parcoursd’élèves-étudiants et commencentleur carrière de professeur desécoles. En Master 2, un tiers desétudiants est en reconversion pro-fessionnelle (ingénieurs, surveil-lante en collège, éducateurspécialisé, mère au foyer, assis-tante de DRH…). Chacun a un par-cours différent et tous en arriventfinalement à l’enseignement...

Dans ma prière, surgissent évi-demment les visages de mesélèves : je demande souvent àDieu d’avoir de la patience, de la

sagesse, de me montrer com-ment aider tel ou tel élève. Jeprie pour mes collègues et mes

copines de Fac… Jeremercie aussi pourle soutien de toutesles personnes quiont cru en moi, quim’ont soutenue, ma

famille, mon mari et mes cinq en-fants, mes parents, mais aussides amies enseignantes, desamies chrétiennes, qui ont priépour moi, les encouragements depersonnes de mon Église et toutesles personnes qui prient pour mafamille et moi depuis toujours. J’aivraiment été portée, et je le suisencore, par leurs prières…

Quand je relis mon parcours, jeme dis que je suis arrivée là oùj’espérais être (dans le secret demon cœur) et j’en rends grâce àDieu : ‘Merci Seigneur !’

Propos recueillis par C. RéaliniIle-de-France

Métier

8 Lignes de crêtes 2016 - 30

compris mon choix, mais parfoismal vécu mon année “deconcours”...) ; je ne regrette pasmes doutes, ni mes larmes sur leslivres pour apprendre et pour révi-ser !

Même quand j’ai des journéesprenantes, je me trouve moins fa-tiguée que quand j’étais infogra-phiste, toujours sous la pressionde l’urgence, toujours face à desmachines, à essayer de “traduire”ce que quelqu’un voulait ou deréaliser ce qu’on m’avait de-mandé. Aujourd’hui, je travaillepour et avec des personnes(élèves et collègues). Je réfléchisbeaucoup à mon travail, à la façonde le faire...

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Métier

9Lignes de crêtes 2016 - 30

Les élèvesconcernés

Le PAI concerne les élèves at-teints de maladies chroniques(asthme, diabète…), d’allergies etd’intolérances alimentaires, detroubles d’ordre psychologique oupsychiatrique mais aussi de pro-blèmes transitoires de santé. Illeur permet de suivre une scola-rité normale.

Les objectifsLe PAI est un document qui pré-

cise, pour les temps scolaires etpériscolaires, les traitements mé-dicaux et/ou les régimes alimen-taires spécifiques, mais aussi lesaménagements scolaires en lienavec l’état de santé de l’élève (no-tamment pour des troubles d’ordrepsychologique ou psychiatrique).

Ce document précise égalementcomment, en cas de périodesd’hospitalisation ou de maintien àdomicile, les enseignants del’école veillent à assurer le suivi dela scolarité. Il peut comporter unprotocole d’urgence joint dans sonintégralité au PAI.

La demande de PAI est faite parla famille ou par le directeurd’école, le chef d’établissement,toujours en accord et avec la par-ticipation de la famille. Ce PAI estactualisé si nécessaire à la de-mande de la famille.

Ce que permetle PAI

Il facilite l’accueil de l’enfant oude l’adolescent malade à l’école.Il précise le rôle de chacun dans lecadre de ses compétences. Pource faire, il appartient au médecin

ou à l’infirmière de l’Éducation na-tionale de bien expliquer à tous laprescription et les gestes néces-saires.

Les enseignants sont alors solli-cités pour dispenser certainssoins ou réaliser les gestes néces-saires en cas d’urgence. Le PAIpermet aussi la mise en placed’aménagements spécifiquesdans la classe et en ce quiconcerne la vie scolaire (suppres-sion de certains cours/EPS, allè-gement d’emploi du temps,possibilité de plages de repos àl’infirmerie…).

Deux exemplesFélix a 6 ans, il vient d’être sco-

larisé en CP, il est allergique àl’arachide.

Ses parents s’inquiètent car ildoit déjeuner à la cantine : ils dé-cident de rencontrer dès la ren-trée la directrice de l’école etdemandent que soit mis en placeun PAI. Le médecin de l’EN ren-contre les parents de Félix ; àl’aide des précisions apportéespar le médecin référent de l’en-fant, ils rédigent ensemble le do-cument qui décrit les adaptationsnécessaires :

● régime alimentaire à la cantine ;

● description des mesures àmettre en œuvre en cas d’ur-gence ;

● composition de la trousse d’ur-gence et lieu où elle est entrepo-sée.

Lorsque le PAI est rédigé, la di-rectrice réunit les parents, le mé-decin de l’EN ou l’infirmière, leprofesseur des écoles et les per-sonnels de cantine, ainsi que leresponsable de la mairie. Chacunprend connaissance du documentet des mesures décrites. Le mé-decin de l’EN peut à cette occa-sion faire la démonstration degestes spécifiques (par exempleauto-injection).

Tous signent ce document, quireste, avec la trousse d’urgence,accessible à l’école pour les per-sonnes susceptibles d’intervenir.Ce PAI suivra Félix tout au long desa scolarité tant qu’il en aura be-soin. Ses parents devront informerdes modifications éventuelles.

Anaïs, 15 ans, scolarisée en se-conde, a été hospitalisée dix joursen novembre suite à une tentativede suicide. Elle a encore desconsultations extérieures régu-lières, prend un traitement avec ef-fets secondaires de somnolence etreste très fatiguée. L’infirmière sco-laire propose qu’elle reprenne pro-gressivement sa scolarité enmettant en place des aménage-ments d’emploi du temps dans lecadre d’un PAI sur prescription deson psychiatre. Cette reprise pro-gressive permet à Anaïs de repren-dre confiance en elle et d’avoir descontacts avec ses pairs.

Colombe PatryInfirmière scolaire

Rouen

Le “PAI” : Projet Accueil Individualisé

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On pourrait croire que dansl’Éducation Nationale, le métierd’enseignant suppose chez ceuxqui l’exercent un sens aigu desresponsabilités dans le souci de lamission éducative, donc l’exem-plarité et le partage de certainesvaleurs : la modestie, la solidarité,le sens de l’intérêt commun. Onsait le poids des syndicats censésexprimer et diffuser de telles va-leurs. On connait le caractère vitalde l’entraide et de la solidaritédans certains établissements sen-sibles. On penserait ainsi volon-tiers que le harcèlement,l’esbroufe, la vanité, les rivalitéssont réservés au monde de l’en-treprise associée à la quête du

profit et de l’ambition. Pour avoirvécu une période difficile avecquelques collègues je peux direque le tableau est loin d’être idyl-lique. Toutefois, il faut faire la partdes choses et certains projets par-tagés avec des personnes deconfiance s’avèrent porteurs etépanouissants pour les ensei-gnants comme pour les élèves.

Ce qui pèse : des interdits énu-mérés comme suit et franchis al-lègrement parfois :

● Ne pas entrer dans une salledes professeurs en alpaguant lecollègue dont on vient d’interrogerles élèves à l’occasion d’un bacblanc juste pour lui dire que ses

élèves n’ont pas fait grand-chose.Donc ne pas assimiler les résul-tats des élèves à la compétenceou l’incompétence des collègues.La part du travail de l’enseignantdans la réussite des élèves ou leuréchec est à relativiser.

● En conséquence de quoi : nepas aller dénoncer à la directionqu’au vu de telle ou telle épreuvecommune, tel ou tel enseignant nefait pas bien son travail.

● Respecter le rythme de travailde chacun : travailler en communimplique d’être réglo sur leséchéances nécessaires et d’ac-complir pleinement la part du tra-vail qui nous revient et del’assumer entièrement.

Ce qui pèse et ce qui porteMétier

10 Lignes de crêtes 2016 - 30

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● Donc ne pas revendiquer niimposer à autrui plein de projetssans pouvoir les tenir en laissantaux autres la part de travail qu’onn’aura pas accomplie. C’est sou-vent une politique pour faire croirequ’on bosse et se faire bien voirde la direction. Ce qui pèse c’estde voir l’hypocrisie fonctionner.Rien d’étonnant dans ce métier oùcertains confondent l’estrade dutableau avec la scène de théâtre.Ne pas faire beaucoup mais lefaire bien.

● Refuser de partager lesclasses difficiles ou considéréescomme dévalorisantes. Inutile des’attarder sur ce point dont le co-rollaire est le suivant : sous cou-vert de projets pédagogiquesreconduits d’année en annéeparce qu’ils participent du projetd’établissement ou de sa réputa-tion, se réserver les classes privi-légiées de sa discipline.

● User de mauvaise foi pour sedéfendre d’être en tort, en accu-sant de tous les maux le coordi-nateur de discipline qui tente derépartir équitablement les tâcheset considère de son devoir de rap-peler à l’ordre (pour le bon fonc-tionnement de l’équipe) ceux quine font pas correctement leur tra-vail et par conséquent empê-chent les autres de le fairecorrectement.

Mais fort heureusement, il y a cequi porte : notamment les projetsen équipe, de leur conception àleur réalisation, pourvu que cha-cun soit motivé et respectueux dutravail des autres.

● Porteuses, les réflexions croi-sées qui s’enrichissent, sont mu-tualisées pour produire unedémarche commune. Je travailleactuellement avec une collègueen collège autour de l’œuvre deK. Taylor, Inconnu à cette adresse,qui concerne la période du na-zisme et de l’antisémitisme. Ils’agit d’un échange épistolaireentre deux amis dont l’un rentreen Allemagne et devient membredu parti nazi tandis que l’autre,juif américain, découvre avec stu-peur et tristesse le changementde mentalité de celui qu’il appelaitson frère, et qui coûtera la vie à sasœur. Nous avons décidé de dou-bler les lettres des hommes parcelles des femmes : la femme dudignitaire nazi et la sœur du juifaméricain.

● Porteur, l’intérêt des élèvesqui se piquent merveilleusementau jeu, avides de connaître les let-tres qui leur sont adressées,avides de se glisser dans la peaude personnages imaginaires.

● Porteuse, la dimension péda-gogique du projet qui permet auxélèves de mieux appréhender etcomprendre cette nouvelle épisto-laire dans son déroulement, dansla psychologie des personnages etde s’investir pleinement dans untravail d’écriture qu’ils cherchentà rendre le plus parfait possible(ils savent que leurs lettres serontlues et donc s’appliquent.)

● Dans ce projet donné commeexemple, qui ne remplace pas letravail effectué dans le cadre desprogrammes, ce qui est porteur

c’est le sens qu’il apporte à la for-mation plus classique dont ilmontre la nécessité (beaucoupde questions sur l’accord des par-ticipes passés, sur la façon deprésenter une lettre, pour savoirsi l’on peut dire cela de tel per-sonnage, si l’on peut lui faire tenirtels propos afin de ne pas entreren contradiction avec ce que ditle livre...).

● Un tel travail entre nos deuxétablissements (collège et lycée) apour issue une rencontre entrenos classes. Bien sûr un tel projetne peut être mené à bien qu’avecla pleine confiance accordée aucollègue qui participe à ce projet :se tenir au courant des activités,respecter les délais, être souple...

● Autre élément porteur : le tra-vail en interdisciplinarité qui m’asouvent apporté une grande satis-faction, parce qu’il propose un re-gard croisé sur les élèves. Le faitd’être à plusieurs pour expliquerdes notions perçues et définies dif-féremment d’une matière à l’autres’avère particulièrement payantpour intéresser les élèves et lesfaire évoluer. C’est un travail declarification nécessaire qu’ils n’ontpas conscience de devoir faire,qu’ils revendiquent peu parcequ’ils ne le soupçonnent pas maisqui pourtant les aide à réfléchir enapprenant qu’un objet d’étude,une notion peuvent s’envisagersous des angles différents. Cettediversité est une vraie réussite.

Bernard LepageMaine-et-Loire

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11Lignes de crêtes 2016 - 30

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Le dispositif OPERA (Optimisa-tion des Personnels par la Recon-version et l’Adaptation) prend,dans l’Académie d’Amiens, uneforme spécifique et particulière :le soutien aux professionnels sco-laires en difficulté dans leurclasse et/ou leur établissement.

Il propose, à côté des modulesgénéraux, communs à toutes lesacadémies, un module complé-mentaire intitulé PEEA (Pratiquesd’Enseignement et Élèves d’Au-jourd’hui) qui n’a plus à prouverson efficacité : les enseignants quil’ont suivi une année voire deux sesentent revalorisés, déculpabili-sés, en capacité d’assumer leurcharge et de nouveau enconfiance face aux élèves, dansune classe.

Ces enseignants en difficultéprofessionnelle peuvent s’inscriredans le dispositif par eux-mêmes,ou être conviés à le faire par leurIPR (Inspecteur Pédagogique Ré-gional), leur proviseur ou principal.

Tout au long de leur parcours, ilssont encadrés par l’équipeOPERA qui, inscrite dansune démarche de bienveil-lance, est à leur écoute etconstruit avec chacun unplan de formation indivi-dualisé dont les contenuscorrespondent à son be-soin spécifique.

Le dispositif trouve sonorigine au sein de la loiprogramme n° 85-1371 parue le23 décembre 1985. Cette loi défi-nissait le Plan de Rénovation del’Enseignement Technique et vi-sait à accroître et élargir la qualifi-cation et les compétencesprofessionnelles des enseignants

dans une perspective d’adapta-tion permanente aux évolutionstechniques, économiques et so-ciales en cours.

Préalablement nommé Disposi-tif d’Adaptation et de Reconver-sion des Professeurs del’Enseignement Technique (DAR-PET), il a été rapidement rebaptiséOPERA. Le dispositif a alors élargison champ d’action et s’adressedésormais à l’ensemble des per-sonnels du second degré.

Il concerne les professionnelsqui souhaitent améliorer leurscompétences, s’adapter aux mo-difications d’exercice de leur fonc-tion, élargir leur domained’activité ou se reconvertir, en en-seignant une autre discipline parexemple. En fonction de son pro-jet, le professionnel choisit ladurée de sa formation : l’adapta-tion longue se fait sur une année,l’adaptation courte sur une se-maine, la reconversion sur une ouplusieurs années. Les frais liés austage sont pris en charge.

comprend 23 journées de forma-tion et les personnels bénéficientd’une décharge de service, pou-vant atteindre le mi-temps, poursuivre leur plan de formation.

Les formateurs au nombre dedix, interviennent sur des do-maines très divers : analyse despratiques professionnelles (une di-zaine de séances), l’intercultura-lité, l’utilisation de la voix, lacommunication avec son image, laplace du corps dans l’espace de laclasse.

La formation est interactive ets’appuie sur les témoignages desenseignants présents. Elle donnede la valeur au savoir de l’expé-rience. Elle se penche plus sur laposture de l’enseignant (sousforme de savoirs être et de savoirsfaire) que de savoirs conceptuels.Elle répond à leurs questionsconcrètes. Elle soutient leurs ques-tionnements. Elle dédramatise lesdifficultés vécues car chacun estamené à prendre conscience qu’iln’est pas le seul à vivre les diffi-

cultés qu’il rencontre.

Le groupe d’enseignantsavec lequel je travaille agrandi au cours du temps :9 à 10 au début des an-nées 2000 et 21 en 2015.Cette augmentation de l’ef-fectif ne signifie pas qu’il ya aujourd’hui plus d’ensei-gnants en difficultés dansleurs pratiques mais que ledispositif est valorisé,

mieux connu et accepté par lesprofessionnels.

Édith Tartar GoddetFormatrice à la relation pour

l’Éducation nationale

Soutien aux personnelsen souffrance

Métier

12 Lignes de crêtes 2016 - 30

J’interviens, en tant que psycho-sociologue, dans le cadre du mo-dule complémentaire PEEA depuis15 ans. J’anime trois journées deformation sur la relation avec lesadolescents, la gestion du groupe-classe et les conflits. Ce module

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Tomber gravement maladequand on est à l’Éducation natio-nale, c’est un peu tomber à l’aban-don. Enfin c’est le sentiment quej’ai souvent eu au cours de monexpérience. D’abord il y a le chocd’apprendre qu’on a un cancer,ensuite il faut l’assimiler, com-mencer les traitements, apprivoi-ser les effets secondaires. Avectout cela, on réalise que le tempspasse vite et qu’au bout de troismois, si on ne réagit pas, onpasse à mi-salaire.

je n’ai pas l’énergie que demandecette recherche.

“Heureusement”, je peux comp-ter sur la solidarité des collègueset amies qui ont été confrontées àla même situation. Elles m’indi-quent la procédure à suivre, les pa-piers qu’il faut remplir, les délais àrespecter. Du côté de l’administra-

tion, pas vraiment d’aide, je

pendant un mois parce que l’ar-rêté n’a pas été transmis à temps.Je suis également mise en congélongue durée plus tôt que prévusans être prévenue. Je le décou-vre quand je reçois la lettre quim’apprend que j’ai perdu monposte. Je réalise à ce moment-làqu’après tout l’investissement etla passion que j’ai mis dans mon

métier quand je travail-lais, je n’existe pour l’ins-

titution que comme unpion à déplacer ou à ranger

ou à écarter. Cela à un mo-ment où j’ai bien besoin de me

sentir vivre. Et j’ai la chanced’être entourée, de me sentir

portée par les prières des unset des autres et d’avoir un

moral d’acier.

Je n’ose pas imagi-ner la souffrancede certains col-lègues qui traver-sent cettemaladie plus iso-lés, plus démunismatériellementet mentalementquand ils se trou-vent confrontés

à ce no man’s land d’humanité.Pour être honnête, je dois quandmême dire qu’il m’est arrivé uneou deux fois de tomber sur unepersonne accueillante dans ce la-byrinthe administratif. On peuttoutefois se demander jusqu’àquand une institution qui setargue de travailler à l’éducationde l’humain et à son épanouisse-ment laissera des personnes enplein désarroi face à des situa-tions douloureuses où elles sesentent lâchées par elle.

Chantal de La RondeHauts-de-Seine

Maladie et Éducation nationaleMétier

13Lignes de crêtes 2016 - 30

Et là, je me rends compte que jene sais absolument pas commentfaire (j’ai eu la chance de ne pasm’arrêter une seule fois pendanttoute ma carrière avant ce can-cer). Je me sens complètement li-vrée à moi-même. Je pars à lapêche mais je ne tombe jamaissur le bon bureau, le bon numérode téléphone, la bonne personne.Je m’entends même dire par magestionnaire de personnel quepour elle je suis encore en activité.Il n’apparaît nulle part que je suisarrêtée depuis bientôt trois mois,pourtant j’avais fait le nécessaireauprès de mon inspection. Je nesais vers qui me tourner et surtout

me heurte à des téléphones qu’onne décroche pas, des personnesqui ne sont pas concernées, desboites vocales surchargées et desmails sans réponses.

Bien sûr, je finis par savoir exac-tement à qui m’adresser, repérerles différents organismes (ils n’ontpas tous la même fonction et n’in-terviennent pas au même mo-ment), anticiper les demandes,mais après combien de temps,d’énervement, de lassitude et dedécouragement… J’ai quandmême droit à quelques accidentsde parcours : je n’ai pas de salaire

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Métier

14 Lignes de crêtes 2016 - 30

EN PÉDAGOGIE, CHEMIN FAISANT

Jeanne Moll, Paris, 2015, L’Har-mattan, 290 p, 31 €.

Cet ouvrage est constitué d’unetrentaine d’articles divers deJeanne Moll, souvent publiés dansla revue de l’AGSAS1, “JE est unAutre”, ou venant de conférenceset d’interventions de l’auteure...Ce qui pourrait sembler un obsta-cle à la lecture, (le côté florilège,anthologie ou miscellanées)s’avère en fait un atout, car onpeut grappiller, sauter d’un texte àl’autre, d’un chapitre à l’autre, augré des humeurs, du temps donton dispose, et des thèmes qui in-téressent... Fruit et bilan de touteson expérience d’enseignante(d’allemand), puis de chercheuseen science de l’éducation, de for-matrice à l’IUFM, et enfin de psy-cho-pédagogue à l’AGSAS, le livrede Jeanne Moll nous tire (et noushisse, nous élève) inlassablementdu côté de l’humain.

Elle s’intéresse surtout à la per-sonne de l’élève (et de l’ensei-gnant), aux relations interperson-nelles et subjectives, que le ratio-nalisme qui prévaut au pays deDescartes a tendance à oublier,voire à nier. Qu’est-ce qui, en moi,en l’autre, fait obstacle au proces-sus d’enseignement d’un côté,d’apprentissage de l’autre ? Untexte, entre autres, sur “Penser lesdifficultés et les souffrances desenseignants” fait tout à fait échoau thème de notre numéro... MaisJeanne Moll explore aussi despistes telles que l’enfant et legroupe, le rapport à la langue, ettermine par une partie consacréeà l’éthique de la relation. Elle ba-laie très largement le champ del’Éducation nationale (par exem-ple dans le dernier chapitre surl’éthique, un texte concerne l’en-trée en maternelle, un autre la

façon de “manager” un établisse-ment scolaire) et chacun y trou-vera matière à réfléchir (je nem’étais jamais vraiment mise àpenser la relation “du point de vuede” ma proviseure...).

Précieux par toutes les pistesqu’il ouvre, les réflexions qu’il sus-cite, les références qu’il donnepour approfondir tel ou tel point,les personnes qu’il cite, les ou-vrages auxquels il fait référence,ce livre de Jeanne Moll m’a plu etintéressée, d’autant plus que lesexemples et cas concrets, les “pa-roles” et histoires y sont aussi pré-sents. Loin d’être un “exposéthéorique indigeste”, ce livre estun cheminement (comme l’in-dique le titre), tout au long d’unecarrière, d’une pensée et de ren-contres, un parcours très enrichis-sant pour les enseignantsd’aujourd’hui.

C. RéaliniIle-de-France

1/ AGSAS : Association des Groupesde Soutien Au Soutien, ou “groupesBalint” pour enseignants, fondée parle psychanalyste Jacques Lévine. Trèssommairement : un psy et des ensei-gnants se retrouvent pour analyser lespratiques et difficultés des ensei-gnants, au sein d’un groupe de pa-role, de partage, de soutien et derecherche, de travail. Voir àhttp://agsas.fr/

Pourquoi ?Depuis l’âge de trois ans, jevais à l’école et j’adore ça. Àla Maternelle, j’ai appris enjouant. À l’école élémentaireJacques Prévert, j’ai retrouvédes camarades de la Mater-nelle ; on a appris à lire, àcompter… c’était bien. Main-tenant, je suis au CM1 etj’aime toujours aller à l’école.On apprend beaucoup dechoses en français, en ma-thématiques, en histoire, engéographie, en biologie… L’andernier, on a même observéla naissance d’un papillon. Lamaîtresse nous a emmenés àla miellerie du Gâtinais, on avu un moulin, beaucoup d’éo-liennes. La maîtresse nous aexpliqué pourquoi on en avaitbesoin. On fait aussi du théâ-tre, j’adore ça ! Déjà au CE2on apprenait des sketches,des dialogues à lire et à jouer.

J’ai des copains qui me di-sent : “mais comment tu faispour aimer l’école ? Moi, jepréfère les vacances !”. Je necomprends pas pourquoi ilsn’aiment pas travailler àl’école. La maîtresse est gen-tille et elle donne des exer-cices faciles.

Éloïse Leclerc9 ans

Île-de-France

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L’an dernier, un groupe de travaila mené une enquête à base dequestionnaires et d’entretiens surles risques psycho-sociaux despersonnels de mon université,aussi bien enseignants-cher-cheurs que BIATSS (Bibliothé-caires, Ingénieurs, Administratifs,Techniciens, personnels Sociauxet de Santé). Le point de départ decette enquête est la définition del’ANACT (Agence Nationale pourl’Amélioration de Conditions deTravail), selon laquelle “les trou-bles psycho-sociaux (stress, vio-lence...) apparaissent lorsqu’il y aun déséquilibre dans le systèmeconstitué par l‘individu et son en-vironnement de travail”. Le groupea largement diffusé la synthèse deses travaux, ce qui m’autorise à enreproduire ici les conclusions.

Quatre types de risques ont étéidentifiés comme pouvant particu-lièrement affecter la vie de l’uni-versité :

1) la méconnaissance des acti-vités d’autrui : celle-ci affecteaussi bien les enseignants-cher-cheurs que les personnels admi-nistratifs, entre eux et dans leursrapports réciproques, et entrainede nombreuses difficultés (senti-ment d’un manque de reconnais-sance, conflits inter-personnels etinter-services, problèmes de coor-dination, difficultés à résoudre lesproblèmes). Le sentiment d’unmanque de reconnaissance del’institution en particulier est, sem-ble-t-il, assez largement partagé.Les entretiens ont permis de pré-ciser que, parfois, les personnelsattendent un simple “merci” quitarde à venir.

2) la difficulté de s’intégrer à unposte : elle concerne surtout les

nouveaux arrivants, et tout parti-culièrement lors de la période sen-sible de la rentrée. Mais lesconséquences d’une prise deposte mal négociée se font sentirbien au delà de cette période : per-sonnes (voire l’entité dont ellesdépendent) irrémédiablement dis-créditées, turn-over excessif, sur-croit de travail pour les collèguesqui doivent compenser les mis-sions mal prises en charge.L’arrivée sur un poste enresponsabilité d’encadre-ment soulève des diffi-cultés particulières. Lestechniques de manage-ment n’étant pas in-nées, ces postesnécessitent desformations adap-tées pas toujoursdisponibles.

3) le manque d’anticipationdes tâches, qui contribue directe-ment à créer une surcharge detravail, des conflits, du stress, dutravail de mauvaise qualité. L’an-ticipation est l’affaire des enca-drants, mais pas seulement. Ellepasse au minimum par l’élabora-tion de plannings prévisionnels,mais aussi par la capacité à amor-tir les pics d’activité en deman-dant la participation de tous, uneorganisation ad hoc, de plusfortes coordinations et un meil-leur partage d’informations entreles services.

4) la fragilité des organisations,qui se fait jour lors d’événementscomme les arrêts maladie, les mu-tations, les départs à la retraite.Elle est porteuse de nombreuxrisques : perte de savoir-faire,pertes d’informations, erreurs, ou-blis, surcharge de travail, conflits.

Pour les éviter, il faut veiller à utili-ser et actualiser les fiches depostes et les organigrammes, éta-blir des procédures écrites, utiliserau mieux les outils de partaged’information. Au delà, il faut ad-mettre que plus personne au-jourd’hui ne maitrise l’ensembledes informations nécessaires autravail, comme c’était auparavantle cas avec les “circulaires”. Les

agents eux-mêmes, quel quesoit leur niveau, doivent

être capables de savoiroù chercher ce dont ils

ont besoin et que c’est àeux de le chercher dans

leur domaine de com-pétence.

L’ensemble de cediagnostic m’a sem-

blé très pertinent, et je lemesure d’autant mieux de-

puis que j’ai accepté la res-ponsabilité de “directrice dedépartement” il y a quelques mois.Rien dans ma formation initiale nem’a spécialement préparée à ceposte et à ce titre mais, aux yeuxde mes collègues et des person-nels administratifs, il semble quesa seule magie m’a rendue immé-diatement compétente pour ré-soudre une multitude deproblèmes et répondre à une mul-titude de questions. Les relationshumaines et la gestion de l’infor-mation y sont les ingrédients lesplus sensibles, comme le compterendu le pointe bien. Au delà de lamission d’enseignement dont elleest porteuse, c’est sur ces ingré-dients que repose toute l’organi-sation d’une université.

Isabelle TellierParis

Enquête sur les risques psycho-sociaux à l’université

Métier

15Lignes de crêtes 2016 - 30

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16 Lignes de crêtes 2016 - 30

Puisque l’actuel et contesté pro-jet de réforme du collège présentépar Najat Vallaud-Belkacem tireune bonne partie de ses innova-tions de la “réforme du lycée”,mise en œuvre en son temps parLuc Chatel, ministre de l’Éducationnationale sous Sarkozy, il paraît in-téressant et indispensable deprendre le temps d’évaluer cequ’a apporté ladite réforme dulycée. Cela devrait même tombersous le sens !!!

Mais le bon sens n’est pas lachose du monde la mieux partagée,et ledit bilan ferait peut-être appa-raître des choses que l’on ne veutpas voir... La réforme du lycée acommencé en 2010 en Seconde,elle a donné lieu à une rapide éva-luation (rapport Moisan et Cuisinier,janvier 2012), alors qu’elle était encours d’application en Terminale ;mais on attend toujours le bilan glo-bal que devait / doit toujours établirla DGESCO du Ministère. Il est enchantier (réunions et enquêtes ontcommencé en novembre 2015) etdevrait s’achever en juin 2016, au-tant dire qu’on en aura les résultatsjuste avant ou juste après l’été.Donc une fois que la réforme du col-lège aura été entérinée et lancée...Est-ce un hasard ?

D’autre part, plusieurs organi-sations syndicales contestent lesmodalités de cette évaluation qui“ne remet jamais en cause lesprincipes de la réforme” et se fait“à l’aide de documents prépara-toires bien minces et surtout trèsorientés” (selon le SNES, qui asuspendu sa participation à ceprocessus, ainsi que d’autres syn-dicats, tels la FAEN, FO, CGT,Sud...). J’ai parcouru ces docu-ments, qui ne prévoient notam-

ment aucun bilan sur les innova-tions que constituaient les EE, lesheures d’AP et les TPE... (voir ci-dessous). C’est troublant... voireinquiétant.

Alors, surprise : ce bilan de la ré-forme du lycée, c’est l’enseigne-ment catholique qui s’y est collé !Évidemment, le champ d’enquêteest plus limité : 170 lycées, del’enseignement privé catholique,ce qui n’est pas rien mais biaiseun peu l’enquête (le “profil-type”des élèves est-il bien le même quedans celui des lycées publics ?Vous me direz qu’entre le lycée deTrappes et Louis-le-Grand, le lycéepublic fait le grand écart...certes !). Cependant, les rappor-teurs mêlent chefs d’établisse-ment, professeurs (de SESsurtout), responsables de projetspédagogiques ou éducatifs, pa-rents... de Paris et de province.

Ce Bilan de la réforme du Lycée,État des lieux et prospectives, denovembre 2014, est là :

h t t p : / / d e p a r t e m e n t -education.enseignement-catho-lique.fr/depEduc/IMG/pdf/2014_Bilan_d_etape_Reforme_Lycee.pdf

Pour résumer ce qu’on y lit :

1. sur les EE (enseignementsd’exploration) en vigueur au lycée– qui pourraient préfigurer (toutesproportions gardées) les fameuxEPI (enseignement pratiques inter-disciplinaires) au collège, censésfaire travailler les élèves autre-ment, autour de projets – on litqu’ils alourdissent les emplois dutemps de tous (plusieurs classes“en barrette” pendant 1h30, à di-vers moments, font une véritable“usine à gaz” d’un Emploi du

Temps global déjà très complexeen lycée, vu les diverses filières etles options). Leur organisation esten outre très difficile pour les pro-fesseurs, qui manquent de tempscommun de concertation pourbien les préparer et les faire fonc-tionner, et comme cela relève de labonne volonté des enseignants,“l’offre est très limitée, parmanque de ressources et de com-pétences”. Hé oui, cette façond’enseigner par projets interdisci-plinaires est très chronophage,surtout au début... De plus, celademande de bien s’entendre avecle ou les collègues qui travaillentsur le même projet ; or, certainsenseignants sont des “solitaires”...

2. Pour les fameuses heuresd’AP (accompagnement person-nalisé), censément offertes à rai-son de 2h par semaine à chaqueélève ; déjà ce n’est pas le cas (leplus souvent, il y a bien deux pro-fesseurs qui font chacun uneheure d’AP, mais c’est inscrit àl’Emploi du Temps (AdT) de touteune classe, donc on ne garde enAP que les élèves en ayant “be-soin”)... En outre, l’AP n’est ni del’aide individualisée sur la ma-tière, ni du soutien disciplinaire, nides “modules” en ½ groupe, ni dututorat... Le contenu de cesheures est extrêmement flou, eten pratique, les enseignants enfont ce qu’ils veulent : aide àl’orientation, réflexion sur “le pro-jet” du lycéen, méthodologie gé-nérale (sur le “métier” de lycéen) ;mais d’autres en font des heuresde cours supplémentaires (pour“terminer le programme”!), ou deremise à niveau. C’est extrême-ment variable d’un établissementà l’autre, d’un collègue à l’autre !

Éclairage sur la réforme du collège :quel bilan tirer de celle du lycée ?

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Le rapport préconise qu’aupréalable, les enseignants d’unétablissement décident ensembledu contenu et du fonctionnementde ces heures d’AP ; et que leschefs d’établissement ne se ser-vent pas de ces heures pour ajus-ter les EdT de tel ou tel professeur,mettant ainsi 1 ou 2 heures d’AP àqui n’en demandait pas ou ne saittrop qu’en faire... Selon le rapport,le dispositif d’AP n’a eu aucun im-pact visible, dans un sens ou dansl’autre, sur le “décrochage sco-laire”, ni sur le taux de passage /de redoublement. Un inspecteurnotait, dans le rapport d’étape de2012 de l’Éducation nationale,deux ans après la mise en routede la réforme du lycée, que “l’A.P.est efficace pour les deux tiersdes élèves moyens mais ineffi-cace pour le quart des élèves envraie difficulté”. Or, ajouterai-je,comme c’était là que ses consé-quences devaient le plus se fairesentir, à quoi sert-il ?

3. Il n’y a rien par contre sur lesTPE (travaux personnels enca-drés, 2h par semaine), mini-pro-jet de recherche mené enPremière générale, en petiteéquipe (de deux à quatre élèves),sous l’égide de deux professeursde deux matières différentes ;mais là aussi mon expériencepersonnelle me permet de direque c’est très varié d’un établis-sement à l’autre : le sérieux etl’intérêt des travaux, et donc l’ap-propriation des méthodes de re-cherche par les lycéens dePremière vont du meilleur au pire.Ensuite, les TPE n’ont lieu que surun semestre, de septembre à jan-vier : c’est bien court pour com-prendre ce qui est demandé ets’approprier les savoir-faire né-cessaires. Or les élèves n’en ontpas fait en Seconde, c’est donc la1ère fois qu’ils abordent cette pra-tique... Les TPE sont évalués enmars, note qui compte pour le

Bac, puis abandonnés, il n’y en aplus en Terminale : pourquoi, sic’est si intéressant ? Que n’a-t-onfait le bilan, tiré les leçons decette innovation et de son moded’organisation ?

Tous ces dispositifs prennentdes heures aux disciplines, sansavoir donc d’impact positif réel,mesurable, constatable par tous.Sur le site “le Café pédagogique”,François Jarraud conclut qu’“il estintéressant d’observer que la ré-forme du collège met en place desdispositifs identiques à ceux de laréforme du lycée sans que le mi-nistère ait pris la peine d’une ex-périmentation sérieuse de leurefficacité”. Voilà qui est bien peuscientifique et rationnel, et surtoutbien dommage... Seule une éva-luation sérieuse et indépendantede tous ces dispositifs pourra per-mettre de mettre en avant leursavantages (il y en a), de limiter oucorriger les défauts (il y en a), afinqu’ils répondent à leurs objectifs.

* * *

Du côté de l’actuelle réforme ducollège, outre les EPI (Espaces pé-dagogiques interactifs) et leursprojets, les points de crispation sesituent aussi autour de l’autono-mie accordée aux établissements,certains craignant une concur-rence accrue (elle existe déjà)entre les collèges, 20 % d’autono-mie leur étant laissés ; et autourdes classes bi-langues, qui de-vaient initialement être suppri-mées, puis dont on apprend enjanvier que certaines sont mainte-nues, d’autres pas... Un certainflou entoure les critères de main-tien / suppression de ces classes !Mais ce qui affole les professeursen collège, en ce moment, c’est lamultiplication des réunions impo-sées, le soir ou le mercredi après-midi, pour leur “prêcher la bonneparole”, leur expliquer qu’il leurfaudra “travailler autrement” et

(soyons ambitieux) “réinventer lapédagogie”. C’est ce qu’a entenduune enseignante d’un collège duVal-d’Oise ; très bien mais com-ment ? Là, c’est très flou...

À une réunion avec des inspec-teurs, après des propos très géné-raux, on a voulu mettre lesprofesseurs en ateliers pour qu’ilss’approprient et réinventent denouvelles façons de fonctionner.Ce fut la bronca ! “Pas moyend’avoir des exemples concrets decette “nouvelle pédagogie”, m’adit ma collègue. Vu nos demandespressantes, on nous en a pré-senté deux, qui étaient (à monavis) bien trop ambitieux et com-plexes pour des collégiens. Et lesinspecteurs ont refusé de les dis-tribuer sous forme de polycopiésou de Power Point, pour ne pasque ces “exemples” deviennent“trop normatifs et prescriptifs”,trop “modélisants” ; des collèguesles ont quand même photogra-phiés avec leur téléphone porta-ble pour en garder trace !” Bref, lediscours général était : vous avezcompris l’esprit global de la ré-forme ? Hé bien vous êtes là pourla faire fonctionner, et il va falloirque ça fonctionne. Alors certes,toute liberté est laissée aux pro-fesseurs, mais ceux-ci se sententabandonnés... Les “contenus pé-dagogiques” sont vides, à part degrands titres, déplore ma collègue(par exemple : aucune propositionde liste de livres en français, alorsque les “grands thèmes” sont lesmêmes pour le cycle 3 = CM1,CM2 et 6e et si les élèves étudientdeux fois le même livre ? ) Il y a degrandes intentions et des injonc-tions (“à vous de jouer !”), maisaucune formation digne de cenom.

Les professeurs de collège sontdonc ulcérés qu’on leur demanded’accepter ces divers change-ments, trop vite et tous à la fois !

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Cette réforme devra être mise enœuvre en septembre 2016, doncil faudra que tout soit organisé etbouclé dans chaque collège enjuin 2016, avant les vacances, cen’est plus que dans quatre mois...En outre, alors que la réforme dulycée mise en place en 2010 ga-gnait un niveau chaque année(donc les Premières en 2011, etles Terminales en 2012), que sonapplication fut progressive, cettefois-ci la réforme va toucher lesquatre années de collège enmême temps, à la rentrée 2016 !Pourquoi aller ainsi au pas decharge ? Pourquoi ne pas prendreson temps, et l’appliquer dans unniveau à la fois ? On demande làaux enseignants un énorme travaild’investissement et d’adaptation,qui va leur prendre beaucoup detemps, de cogitation, recherche,réflexion, puisque rien n’est prêtcôté contenus ; puis d’harmonisa-tion entre collègues. Or non seule-ment toutes ces heures deconcertation et de réunions ne se-ront pas rémunérées, mais ellesne sont pas non plus inscritesdans l’EdT des enseignants : à cesderniers de les placer où ils peu-vent. Comme d’autre part il faudraaligner des classes, les “mettre enbarrette”, pour pratiquer les acti-vités transversales (les EPI), l’EdTde chaque professeur risque dedevenir très lourd, avec bien plusd’heures de “trous” qu’aupara-vant. Qui voudra alors rester le soirpour la coordination ? Chaque pro-fesseur, fatigué, sera pressé dequitter le collège sitôt ses heuresde cours finies...

De plus, l’application des nou-veaux programmes de la 6e à la 3e,dès septembre 2016, pose degros problèmes matériels et d’or-ganisation : il va ainsi falloir choisiret commander les nouveaux ma-nuels, dont les spécimens, encours de réalisation précipitée

chez les éditeurs, n’arriveront quetardivement dans les collèges ;Hachette Éducation annonce : “Denombreux spécimens envoyés parles éditeurs scolaires en mai dansvotre établissement : probable-ment 400 ouvrages dans 50 car-tons : une logistique à anticiperdans votre collège”. Les profes-seurs auront-ils assez de temps,de recul, pour bien les lire, lescomparer et en choisir un ? Passûr... Mais là, tout le monde ne sedésole pas : ce “juteux marché”fait tout à fait l’affaire des mai-sons d’édition, qui y voient une oc-casion inespérée de multiplierleurs ventes en 2016 et 2017 !Enfin, si l’argent promis arrive entemps et en heure dans les éta-blissements, évidemment ! Onn’imagine même pas le casse-têtes’il n’y a pas tous les manuelsdans les CDI le 2 septembre... Enattendant, un éditeur signale fiè-rement aux enseignants prescrip-teurs : “des crédits exceptionnelsde l’État pour les manuels sco-laires des collèges ! 150 millionsd’euros en 2016 et 150 millionsen 2017”. Effectivement c’est ceque dit le “Projet de Loi de Fi-nances 2016” qui précise noir surblanc : “À la rentrée 2016, tous lesélèves recevront de nouveaux ma-nuels de français, mathématiqueset histoire-géographie. Les élèvesde 5e auront également un nou-veau manuel de LV2 et les élèvesde 6è un nouveau manuel desciences. Tous les autres manuelsseront fournis à la rentrée 2017”.Si l’on ajoute à cela les 192 M €du “plan numérique pour l’éduca-tion”, avec 40 % des collègesconcernés, on voit que la réformedu collège a des répercussions fi-nancières énormes.

Certains enseignants y voientaussi d’autres enjeux : “À se de-mander, selon la collègue interro-gée, s’il n’y a pas derrière cette

réforme imposée et appliquée à lava-vite, la seule volonté d’affi-chage politique, pour pouvoir direen 2017 ‘Mais nous, la réforme ducollège, on l’a faite !’, en laissantles enseignants se débrouillerseuls... quitte à les accuser en-suite d’y avoir mis de la mauvaisevolonté et de saborder la ré-forme...”. Et de conclure : “Detoute façon même si on s’y metavec toute la bonne volonté possi-ble, chaque collège va bricolerdans son coin, avec les volon-taires (plus ou moins nombreux)et les moyens du bord, et ce serala fin de l’éducation nationale !”Pour qui voudrait des détails, desexplications claires et un compte-rendu assez objectif de tout ceque bouleverse la réforme du col-lège, le site http://www.reforme-ducollege.fr/ est une sourcefiable.

On peut enfin déplorer qu’il n’yait jamais eu de bilan sérieux etdétaillé sur le fonctionnement desIDD (itinéraires de découverte)mis en place au collège à partir de2002, et plus ou moins abandon-nés à partir de 2008 : pourquoi ?Qu’avaient-ils apporté d’intéres-sant ? Qu’est-ce qui n’a pas mar-ché ou posait problème ? On n’ensaura rien... mais avec les EPI, onrelance quelque chose d’appro-chant... sans analyse sur le fond.

En somme, si l’Éducation na-tionale propose régulièrement ré-formes et innovations, elle n’apas la culture du bilan, de l’auditdirait-on en entreprise. On neprend jamais le temps de se pen-cher sérieusement sur l’impact /les effets, de tout ce qui a étémis en place précédemment, auprix, parfois, de conflits épui-sants pour tout le monde... C’estfort regrettable.

C. RéaliniÎle-de-France

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Église et foi

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Mon expérience d’aumônier au qua-trième CHU de France, à Toulouse, deresponsable diocésain des aumôneriesd’établissements de santé et d’aumô-nier national de l’association “Lourdes-cancer-espérance”1, fut une longuehistoire de rencontres...

De multiples manières, ces rencon-tres habitent ma mémoire et ont fa-çonné mon ministère de prêtre. Lamission n’est-elle pas, en son essence,“le mystère de la rencontre”, avec lesautres et avec Dieu ? J’ai la convictionqu’en ces lieux de soins, l’Église n’estcrédible que si elle vit la rencontre despersonnes et des situations, qu’elle as-sume toutes les situations, qu’elle lesaccueille, les partage. On n’est pasdans la mission, “de haut” ou “de loin”.On est dans la mission chrétienne, “deprès” et “de vrai”.

En ces lieux, le malade est toujours lepremier servi et tout est fait pour qu’il lesoit, d’une manière ou d’une autre. Lesaumôniers s’organisent autour de sonattente, de sa demande, de ses ques-tions, de ses besoins humains et exis-tentiels, et c’est une grande grâce quede le vivre. Mais une équipe d’aumô-nerie est là “pour tous” ! Cela veut direqu’elle se met à l’écoute des famillesmais aussi des personnels.

Oui, la connaissance des personnelsest essentielle. Cela neveut pas dire “être uneencyclopédie des ser-vices”. Cela veut direvivre toutes les occa-sions de rencontres, dedemandes, d’attentes,de questions, d’urgences,d’adaptation aux patients... pour seconnaître, là, en situation ! Les occa-sions ne manquent pas, dès lors, pourlégitimement s’observer, se reconnaî-tre, s’interpeller. Les situations provo-

quent parfois une forme de complé-mentarité autour du patient, de ce qu’ilvit ou de ce que vivent “les proches”. Ilarrive qu’on s’aide à vivre cer-tains moments. Il arrive qu’on yrevienne, autour d‘un momentde liberté. Il arrive que “leslangues se délient” et que “lescœurs s’ouvrent” sur telle outelle situation difficile, qui a tou-ché un service. Il arrive qu’un événe-ment douloureux, plus que les autres,nécessite un partage. Il peut arriverqu’une évolution inattendue et heu-reuse soit l’occasion d’un bonheur par-tagé, comme cela est arrivé en unité desoins palliatifs, en pédiatrie ou au cœurd’un service d’oncologie.

Il arrive aussi que l’exigence du tra-vail, sa pression soient occasiond’échange et de connaissance mu-tuelle. Cela peut aller jusqu’à “confier”quelque chose qui pèse et qu’ilfaut pourtant endurer. Il arrivequ’on évoque des notions, qui,quelque part, unissent, comme“la disponibilité”, “la dignité”,“la confidentialité”, “une formede gratuité”... et qu’on en parle.Cela peut aller jusqu’à l’invitation“à l’extérieur”, une demande de rendez-vous “pour parler” ou “pour demanderquelque chose”... et tout cela dans lerespect de “la laïcité”... Le Pape Fran-

çois veut une Églisequi ressemble “à unhôpital de cam-pagne”... ; cela passepar “la rencontre”.

Père Michel PagèsToulouse

1/ Missions exercées durant huit années.Je suis aujourd’hui toujours aumônier na-tional “Lourdes-cancer-espérance” et curéde la Paroisse Saint Joseph de Toulouse.

Être avec

une longuehistoire de

rencontres...

le maladeest toujours lepremier servi

la connaissancedes personnels est

essentielle.

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Un préliminaire tout d’abord :selon les statistiques, la premièrecause de mal-être est quandmême le chômage. Le travail estmalgré tout structurant avantd’être destructeur.

La souffrance au travail peutvenir de conditions très variées :surcharge de travail ; surinvestis-sement ; problèmes relationnels ;problèmes d’organisation ; pro-blèmes éthiques ; harcèlement in-dividuel ou institutionnel (rare-ment local dans ce cas précis) ;problèmes économiques : parexemple effectifs diminués avecpourtant la même charge de tra-vail ; modification de matériel, delogiciel ; accélération due à Inter-net, dont l’afflux de mails.

Peuvent bien sûr s’y ajouter deseffets dus à la vie personnelle, fa-miliale ou sociale.

Dans le burn-out, on rencontresouvent trois phases :

● résistance : on cherche à sesurpasser, à se prouver qu’on peutfaire,

● fatigue, somatisation, pro-blèmes de sommeil, isolement,

● pathologie, personnes vidéesde leur ressort. On se retire :arrêt(s) de travail, voire suicide.

Il existe des problèmes spéci-fiques au monde agricole : parexemple, en exploitation agricole,arrêter, partir ou pas, l’endette-ment, l’isolement, la honte. LaMSA travaille sur une surveillancedes situations à risques, le repé-rage des cotisations non payées.

À l’hôpital il y a des personnels àbout, par exemple des femmesdans la quarantaine, conjuguant

travail avec couple, famille, et mai-son à payer : “Je voulais un travailhumain, et aujourd’hui j’ai le sen-timent d’avoir un travail purementtechnique. On n’a pas le droit dedire qu’on est malade, nos pa-tients sont censés voir des gensqui vont bien”.

Des personnes confrontées à unsuicide professionnel en centralenucléaire ont témoigné de difficul-tés de reconnaissance aussi biend’institutions comme la SécuritéSociale que de l’entreprise, descollègues et de la société.

En PME ou institution, d’autresproblèmes peuvent apparaître liésau management. Il est nécessaired’aider à la préparation aux chan-gements, tels que les fusions d’en-treprises. Parfois des change-ments d’organigrammes sont tropflous et on ne sait plus qui fait

La Souffrance au travailÉglise et foi

20 Lignes de crêtes 2016 - 30

Depuis mars 2015, un groupe de travail lancé par la Pastorale de la Santé du diocèse de Toursprépare une table-ronde prévue pour le 5 mars 2016 sur La souffrance au travail. J’y ai participéen tant que membre de CdEP.

Pourquoi une telle démarche ? Pour la responsable du groupe, c’est être fidèle à la pensée so-ciale de l’Église que de rejoindre les hommes et les femmes dans leurs conditions de vie, quels quesoient leurs modes de vie. Et c’est bien du rôle de la Pastorale de la Santé que d’être attentifs auxpersonnes bien portantes, aux acteurs de santé, aux décideurs, aux lieux de santé, bref à toutesles questions de santé publique. La santé est autant une question sociale que médicale.

Sur le constat qu’on ne parle pratiquement jamais du monde du travail dans les paroisses, noussommes missionnés à alerter des communautés chrétiennes et humaines. On ne peut pas ne ren-voyer qu’à la personne. Il faut rendre visible les conditions de souffrance, et pouvoir aussi renvoyerde l’espérance.

Nous nous sommes donc régulièrement rencontrés pendant un an, pour comprendre un peumieux les enjeux de cette question, et définir l’objectif que nous voulions atteindre. Notre groupe apu rassembler au fil de l’année de travail des personnes venues de lieux d’Église divers : ACO, Cen-tre d’Études et d’Action Sociales, Chrétiens au service du public, Chrétiens engagés en politique,Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens, Pôle Solidarité, Police et Humanisme, ainsi bien sûr queCdEP. Mais certains apportaient également l’avantage de leur qualification professionnelle : chefd’entreprise devenu consultant indépendant, conseiller en risques professionnels auprès d’exploi-tants et d’entreprises agro-alimentaires, directeur de production chargé de commission des risquespsycho-sociaux, médecin du travail… Inutile de dire que cela permis d’enrichir nos échanges dontvoici l’essentiel de ce que j’ai pu noter.

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quoi. Il y a aussi le fait de placerdes gens sur un poste allant au-delà de leurs compétences (leprincipe de Peters). Parce qu’onmanque de confiance en soi,qu’on n’ose pas, ne veut pas délé-guer, on risque de travailler trop,trop tard.

Un travail en mode projet, etdonc en mode collectif, peutaussi soumettre à une forte pres-sion. On a vu ainsi une personneétiquetée ‘maillon faible’ s’en-foncer dans l’alcool. La promo-tion du groupe devient un échecsi on n’a pas senti les faiblesses,les incapacités à s’écouter, secomprendre.

Enfin, il existe des encadrantshyper doués sur le plan technique,mais complètement désarmés surle management humain. L’exem-ple a été donné d’un ex-DRH qui,après avoir passé 1h avec chaquemembre du personnel, avait dé-celé quatre ou cinq risques psy-cho-sociaux là où on n’en voyaitqu’un à la rigueur. Cela a permisde découvrir que deux personnesse comportaient en ‘petits adju-dants’, personnes qui étaient pour-tant des cadres de très hautniveau : celles-ci sont de fait par-ties d’elles-mêmes ensuite. Inver-sement, des cadres intermédiairespris entre deux feux, peuvent cra-quer à filtrer la pression qu’ils re-çoivent, avec le sentiment d’avoirà gérer l’ingérable.

Les médecins du travail aussisont soumis à des pressions.

La prévention doit se situer àtous les échelons.

Les outils de prévention exis-tants sont classés ainsi :

● Tertiaires : le curatif, la répara-tion, le repérage de l’urgence, lacapacité de trouver des réfé-rents. Des grosses sociétés ontrédigé une Charte de civilité.

● Secondaires : prise en chargeen profondeur des risques psy-cho-sociaux par la formation, laréflexion : que met-on par exem-ple sous les mots souffrance,harcèlement ? Cela permet detravailler en amont, de sensibili-ser les décideurs.

● Primaires : cela concerne lerecrutement, les décisions : com-ment éviter de se tromper ? C’estun travail sur le management avecle principe de privilégier plutôtl’Homme que la gestion adminis-trative. Il est souvent plus faciled’avoir des commissions pour vé-rifier la santé financière d’une en-treprise que pour vérifier lesproblèmes humains. La CCI localeoffre une formation sur “commentmanager les jeunes apprentissans les dévaloriser”. Au niveau

des universitaires, on essaie éga-lement de travailler en amont : ilsadmettent souvent une vision tropdémunie pour préparer les Masteret BTS.

Le harcèlement moral a souventlieu dans des lieux petits, sanssyndicat pour protéger les travail-leurs, qui peuvent se retrouvertrès seuls. Mais ce n’est pas né-cessairement plus aisé dans ungrand groupe : la pression au tra-vail, on en a toujours eu, maisquand c’est la personne qui est at-taquée, vers qui se retourner ?

Cependant, il ne faut pas uni-quement voir la question sousl’angle hiérarchique : on ne pensepas assez au soutien – oumanque de soutien – horizontal…

La souffrance qui est tue n’apas de visibilité sociale. On l’assi-mile trop facilement à une simpledépression pour laquelle ondonne un congé maladie commeun autre. La famille et les amis nepeuvent tout porter. À un momentil faut s’en sortir, avec recul parrapport à l’affectif. Pour cela, onest passés dans la prévention del’écoute empathique à l’écoute di-rective, une écoute directionnelle :trouver une stratégie pour aider àprendre des décisions. Un service,Centre de Pathologie Profession-nelle, a été monté au CHU du dé-partement.

“On n’a jamais l’idée quand onest dedans de se dire ‘je ne vaispas bien, vers qui je vais me tour-ner ?’”. Il faut pouvoir en sortirgrandi, plus fort qu’avant.

Mireille NicaultTours

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Un livrerécent, sousla plume duP. PascalIde, prêtre,m é d e c i n ,philosopheet théolo-gien, vientattirer notrea t t e n t i o n

sur le burn-out1. Outre une des-cription de la maladie, il proposeune clé d’interprétation et despistes pour l’éviter. Le sous-titrede l’ouvrage – une maladie dudon – indique que sont prédispo-sées à cette pathologie les per-sonnes généreuses et à hautidéal, donc particulièrement lesenseignants, les soignants, lesprêtres et pasteurs.

C’est dans les années 1960 quela maladie a été décrite pour la pre-mière fois, avec ses trois caracté-ristiques : épuisement émotionnel,désengagement et amenuisementdu sentiment d’accomplissementpersonnel et professionnel.

Alors que la personne accom-plissait son travail avec joie et en-train, elle ne ressent plus ni l’un nil’autre, ce qui se traduit par uneabsence d’énergie au travail, unecarence de motivation avec, auterme, une soudaine incapacité àaccomplir les gestes élémentairesde la vie quotidienne. Pour se pro-téger, elle se tient à distance deses élèves, de ses patients, de sesfidèles, mais aussi de l’institution,ce qui peut aussi s’accompagnerd’une critique systématique. Enfinle malade ressent une forte im-pression d’échec : il croit qu’il n’at-teint plus ses objectifs, il seconvainc de son incompétence etde son inaptitude à répondre à ce

qu’on attend de lui. L’auteur pro-pose une grille d’évaluation desrisques et invite à distinguer leburn-out du stress, de la fatiguechronique et de la dépression.

Constatant que la maladietouche des personnes à motiva-tion initiale élevée, il appelle leburn-out une pathologie de l’idéalet propose d’y voir une forme mo-derne et sécularisée de ce que lesPères de l’Église et les théologiensmédiévaux appelaient l’acédie, latristesse spirituelle du moine danssa relation à Dieu.

Le burn-out vient non pas de ceque la personne se soit donnéeaux autres, ou trop donnée, maisde ce qu’elle se serait mal donnée.Il y a eu dysfonctionnement dans lerythme ternaire qui, selon l’auteur,caractérise le don : réception, ap-propriation, donation.

C’est donc dans cette ligne qu’ilpropose des chemins pour éviterle burn-out. Si on a donné, on n’apas su recevoir ; on n’a pas prissoin de soi-même ; ne voulant pasaccepter ses limites, on a cédé àla tentation de toute-puissance.Mais il ne suffit pas de recevoir, ilfaut aussi garder ce qu’on a reçu,se l’approprier. Il faut pouvoir (etvouloir) garder les paroles valori-santes que l’on reçoit. Ce n’estpas le cas de celui qui annule lesretours : si ses supérieurs lui disent du bien de lui, c’est, ajoute-t-il, “pour me faire plaisir”. Nousavons tous besoin de signes de re-connaissance ; nous n’avons pasà les chercher, mais à les recevoirquand ils sont donnés. Pour cela,il faut passer de la conscience dubien à la reconnaissance pour cebien. L’auteur donne le conseil detenir un journal de gratitude.

Mais il faut aussi apprendre à in-tégrer les échecs : reconnaître qu’ilest inéluctable d’en subir, les re-garder en face, les transformer enoccasions d’apprentissage. L’au-teur invite à pratiquer éventuelle-ment une thérapie comportemen-tale et cognitive pour lutter contreles pensées intérieures – parfoisinconscientes – constamment dé-valorisantes.

Lutter contre une maladie dudon, cela conduirait-il à ne plusdonner ? La réponse est négative.La personne qui sort d’un burn-outdoit réapprendre à donner, mais àle faire autrement. Elle devraabaisser son niveau d’idéalisation,en sortant du perfectionnisme, enconsentant au réel, en tenantcompte de la dimension psycholo-gique des actes, mais sans abais-ser le niveau de son idéal. L’idéalde générosité apostolique peut co-habiter naturellement et normale-ment avec la frustration d’êtredéfaillant. Des indications concrè-tes permettent d’évaluer sa ma-nière de donner : est-ce en vued’un retour, cela obéit-il à des mo-tivations égocentrées ?

L’auteur termine par quelquesconseils pour lutter contre l’acé-die, qui mène à l’amertume vis-à-vis d’un service qui ne rapporterien et au dégoût de la prière. Il estdonc bien fondamental de redé-couvrir la joie de l’Évangile !

D. Moulinet

1/ Pascal IDE, Le burn-out, une mala-die du don. Le comprendre, le recon-naître, le traiter, Paris, ÉditionsEmmanuel – Quasar, 2015, 192 p.

Danger : Burn-out !!!

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Avant l’épuisement, il y a la joieet l’élan de travailler et de bien tra-vailler

Avant l’effondrement, il y al’énergie et l’investissement.

Tout ce qui a été écrit surcette question parle bien sûr etd’abord, d’une charge detravail trop lourde.

On peut alors se de-mander pourquoi cer-tains d’entre nousacceptent cette situa-tion sans prendre immé-diatement conscienceque la tâche est dispro-portionnée et insurmontable.

Les raisons sont nombreuses etcommencent à être bien docu-mentées : celles de l’enthousias-me, de l’envie de bien faire, demontrer qu’on est capable (mêmesi on sait qu’on n’est ni Superwo-man, ni Superman !) comptent. Eneffet, se sentir dynamique, se sen-tir utile, progresser pour le collectifet pour soi-même sont des mo-teurs quasi euphorisants qui sontcomme un brouillard qui masquela réalité. Et il faut du temps pourque les choses apparaissent sousleur vrai jour. Le brouillard s’effi-loche en effet lentement.

Tant que le retour des activitésprofessionnelles est valorisant, lereste est occulté.

En effet, même quand on com-mence à ne plus avoir assez detemps pour rencontrer ses amis,même quand aller à ses activitésde loisir devient une charge,même quand la vie entière n’estplus centrée que sur ce qui estobligatoire : les soins à la familleet le travail, certains d’entre nousne voient rien encore. Mêmequand leur entourage les prévient,

tente de leur montrer qu’ils ne vi-vent plus que dans l’urgence,qu’ils ont de la peine à avoir d’au-tres centres d’intérêts que ceux at-tachés à leur travail, même alors,ils sont tellement pris dans le tour-billon des obligations, de l’impératif,qu’ils sont incapables d’entendrequ’ils vont vers l’abîme.

Pas d’épuisement au travailsans maltraitance.

Pourtant, avec le temps, ils de-viennent moins performants, etalors leur autorité hiérarchique,leurs collègues aussi parfois, laleur font remarquer, les mettenten demeure, les abreuvent de re-proches : il n’y a pas de burn outsans maltraitance. Ces mauvaistraitements étaient là depuis ledébut : en effet, laisser un(e) sub-alterne, un(e) collègue, avec unetâche trop grande, c’est déjà uneforme de maltraitance. Et lui re-procher quand il/elle commence àne plus pouvoir faire face, de neplus être capable de tout faire, dene plus être capable de faire aussibien qu’avant, c’est une forme duharcèlement moral.

Pourtant, trop sou-vent, c’est leur corpsépuisé qui va, seul,pouvoir les arrêter. Cecorps transformé ensorte de machine ensurrégime, en implo-sant, va les contrain-dre de fait à s’arrêter.

Évidemment, les pre-miers signes ne seront

pas pris en compte, lespremières douleurs ne se-ront pas comprises, regar-dées pour ce qu‘elles sont :des signaux d’alarme. Cesont souvent des mauxconnus, de ces petits pro-

blèmes que nous avons tous : lesdouleurs articulaires pour certains,les maux de tête, l’insomnie pourd’autres... C’est alors que le cer-veau s’effondre, envoie des si-gnaux étranges, sortes de bugsinformatiques des connections cé-rébrales qui marquent l’épuise-ment psychique absolu.

Là, la prise de conscience estbrutale, et si elle est accompagnéepar un entourage professionnelchaleureux, compréhensif, le retourvers un temps apaisé est possible :après la tempête sera le calme,après le maelström sera la recons-truction du paysage intérieur.

Toutefois, du fait que la hiérarchieet les pairs ont participé à cet ef-fondrement ou, a minima l’ontlaissé faire, comment penser quecela soit possible ? Il y a ici une pro-blématique complexe qui ne touchepas que la personne concernée, dufait qu’elle serait qui elle est, maisl’ensemble des collectifs de travailet leur organisation.

Sylvie DebordProfesseure lycée agricole public

Militante syndicale

Burn out : de l’élan à la chuteSociété

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E... , la petite trentaine, est in-génieur informaticien dans uneimportante SS2I (société de ser-vice en ingénierie informatique,qui “vend” ses services à d’autressociétés). De sa banlieue, il serend chaque jour de la semainedans l’une des grandes tours deLa Défense où il travaille sur desprojets, des process (programmeou succession de programmes au-tomatisés) et du code.

Que pense-t-il de sa vie au tra-vail ? De son travail lui-même ?Qu’est-ce qui lui plaît, qui le satis-fait, ou qui lui pèse, qui est “lourd”à porter, dans sa vie profession-nelle ?

Mon lieu de travail Je travaille dans un open space,

un demi-étage ouvert, où les bu-reaux et les postes informatiquessont regroupés par six ou huit ;chaque groupe ou box est séparédes autres par une cloison deverre. On entend tout ce qui se dit,sauf si les personnes parlent bas,et il n’y a pas de porte qui sépareces box du couloir. Comme j’aimele calme et avoir de la place, j’aifini par m’installer loin des fenê-tres, ce qui fait que je suis parfoistout seul avec 4-5 bureaux videsautour de moi... Mes collèguespréfèrent travailler près des baiesvitrées, pour avoir la lumière dujour déjà, et pouvoir regarder unpeu autour, en bas, histoire de sechanger les idées. Comme j’enressens moins le besoin, je suistoujours sous les néons, mais encontrepartie je peux parfois“m’étaler” sur 2 ou 3 bureaux, j’aiplus de place pour mes papiers etdossiers, mon coin à thé... Ceuxqui ne travaillent jamais chez les

clients ont des bureaux attitrés etpeuvent y laisser quelques af-faires personnelles, c’est moncas. Les autres, qui ne sont là quede façon intermittente, se casentoù ils peuvent, où c’est libre.

Les cloisons de verre, ça peutêtre sympa (elles laissent passerla lumière du jour, et puis on voitl’ensemble des collègues) ; ellesatténuent un peu le bruit, maisleur fonction n’est pas d’ordreacoustique (d’ailleurs, elles ontdes trous en haut) : c’est surtoutpour permettre le flicage (pas dif-ficile, du coup, de surveiller cequ’il y a sur l’écran d’Untel ou deTruc, des fois qu’il passerait tropde temps sur des sites Internet aulieu de travailler...). Pourtant, àcertains moments, quand un pro-cess tourne, je n’ai rien d’autre àfaire. C’est agréable et tentant dedécompresser en surfant sur leNet, le temps que le programmeque je teste ait fini de tourner... Ce-pendant, c’est mal vu, et je doisrester devant mon moniteurd’ordi, le regard fixe et la tête vide(mais on peut croire que je tra-vaille !) ou alors, discrètement, jeconsulte mon écran de téléphoneportable, en douce.

Mes collègues Mon open space accueille ac-

tuellement 30-35 personnes, avecqui je m’entends bien en général(et surtout les collègues qui tra-vaillent sur le même projet/pro-duit que moi, environ 15). Noussommes tous dans la même ga-lère, il y a une solidarité de corps,de “classe”, qui fait que nous nousentraidons. Nous avons tous lamême formation générale, mais,

au fil de mes missions, je me suispeu à peu spécialisé dans tel do-maine ; et certains collègues sontplus pointus dans un autre...Donc, pas très malin de tirer dansles pattes des autres si un jour ona besoin de leurs lumières sur unpoint qu’on ne maîtrise pas vrai-ment ! Et puis nous nous aidonsmutuellement à supporter la pres-sion, si elle devient trop forte.

Le midi, nous sommesquelques-uns à déjeuner ensem-ble, parce que cela nous prendtrop de temps de descendre de latour, de “grenouiller” sur le Parvisou dans les galeries marchandesde La Défense à la recherche d’uncoin où manger vite et bien (et pastrop cher) ! Les endroits intéres-sants sont loin de notre tour, etpris d’assaut, il faut faire la queue.On est assez libre sur les horaires,et on peut prendre une largepause-déjeuner si l’on veut, maisdu coup cela retarde d’autant lemoment de partir le soir, et j’ai en-viron 1h20 de transport pour ren-trer chez moi. Donc on déjeunevite ; la pause moyenne est de 40-45 mn. Nous apportons chacunnotre “gamelle”, et nous man-geons tous ensemble, dans unepetite salle sans aucun équipe-ment (pas de frigo, ni micro-ondes,ni évier/point d’eau, juste un dis-tributeur de café et un autre de su-creries !) ; on papote, mais c’estrapide. Il y a à peu près un an,nous étions un petit groupe de 5-6personnes qui avaient pris la déci-sion de réaliser à tour de rôle unplat du jour pour le groupe. C’étaitsympathique de cuisiner pour sescollègues de travail ! Et amusantde découvrir leurs talents cachés,leurs plats nationaux ou régio-

Ma vie rêvée en open-spaceà La Défense

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naux... Mais aujourd’hui, de cegroupe il ne reste qu’un collègueet moi, donc nous avons arrêté dele faire. Il y a un gros turnover (re-nouvellement, rotation) du per-sonnel, dans ce type de boîte, lescollègues changent vite !

Ma hiérarchie Dans notre jargon, mon supé-

rieur direct est le N+1, son supé-rieur à lui mon N+2... Je n’ai pasde mauvaises relations avec eux,mais j’ai vite compris que nousavions une logique totalement dif-férente. Moi, j’essaie avant tout derendre du travail bien fait : il fautque mes programmes fonction-nent, le client paye pour cela ! Etpuis quelque part c’est ma fierté.Le souci du N+1, c’est que toutsoit fait dans les temps, donc queje travaille vite ; mais il veut aussique mes process fonctionnent,évidemment, car si ça ne marchepas, cela lui retombe aussi des-sus. À partir du N+2 et au delà, laseule logique qui a cours, c’estcelle de la rentabilité : il faut que“le produit” (ce que je réalise etque ma boîte “vend” aux clients)

coûte le moins cher possible, etrapporte le plus possible. Inévita-blement, ces deux conceptionsentrent en conflit, d’autant queplus on monte dans la hiérarchie,moins on trouve d’informaticiensde terrain (ils connaissent le “pro-duit”, certes, mais peu ou pas dutout comment il est réalisé techni-quement). Ce sont des managers,des commerciaux, des cadres quisont là pour planifier le travail, ré-partir les tâches, motiver lestroupes, et qui passent presquetout leur temps en réunions ! Heu-reusement, ils savent nous félici-ter quand ils ont vu qu’un projetcoinçait, mais que nous avonsmalgré tout terminé à temps.

Motifs desatisfaction ou

causes defrustration, de

stressJe suis content d’aller travailler

quand je n’ai pas la pression dutemps ; quand je sais que je vais

travailler sur un projet intéressant,avec des collègues sympathiques(et compétents !). Je suis satisfaitau travail lorsqu’après avoir biencherché, galéré, j’ai trouvé com-ment résoudre une difficulté tech-nique qui me bloquait ; là je suisfier, c’est presque une satisfactionintellectuelle ! J’aime aussi ap-prendre de nouvelles choses. Jesuis content de sortir du travailquand je me dis que j’ai bienavancé, ou que j’ai fini dans lestemps. Je suis ravi quand j’ai faitvite et bien, plus vite que prévu,que j’ai trouvé une astuce de pro-grammation dont je suis très fier(et que je montre aux collègues...)J’aime mon travail d’informaticien,les “défis” que me lance tel projet,résoudre les difficultés... C’est in-tellectuellement gratifiant.

Je suis furieux quand les com-merciaux de ma boîte ont “vendu”un projet qui va poser de gros pro-blèmes techniques (eux sontcontents d’avoir signé un contrat,la hiérarchie aussi, mais nous, ilva falloir nous colleter à la “mis-sion impossible” ! Et parfois per-sonne ne veut entendre que ce

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sera techniquement impossible,ou très difficile et long à faire). Jesuis stressé lorsque le compte àrebours arrive à son terme, qu’ilfaut rendre le travail “ce soir” (cer-tains soirs, je reste tard pour toutboucler), ou dans 24 h, et qu’il n’apas avancé, que quelque chosecoince. Je suis exaspéré quand lademande du client change inopi-nément (“Ben oui, on vous avaitdemandé ça, mais en fait non, onpréfèrerait que ce soit autre-ment... Ah oui, on avait oublié devous préciser telle chose”), et quece que j’ai fait est bon à jeter.Quand je bloque dans un process,que je ne trouve pas la solutiontechnique, je suis très frustré :c’est mon estime de moi (enfin,une petite part) ou mon amour-propre qui est en jeu, et c’est pé-nible à supporter...

Mes perspectivesd’évolution

Cela fait trois ans que je travailledans cette boîte, et contrairementà des collègues, je n’ai pas du toutenvie de passer N+1 : il me sem-ble que je perdrais tout ce qui faitle sel de mon métier, la satisfac-tion intellectuelle de créer rapide-ment des programmes fiables,pour devoir passer mon temps enréunions et mettre la pression surles autres, ceux qui seraient en-dessous de moi ; très peu pourmoi ! Par contre, j’aimerais bienquitter la SS2I et entrer dans leservice informatique d’une grandeentreprise, pour ne plus avoircette épée de Damoclès qu’est ladate d’échéance du contrat passéavec le client, pour pouvoir gérermieux et autrement mon temps detravail.

E.Île-de-France

Science et foiHenri Durel : Francis Bacon (1561–1626)

et l’affirmation d’une science nouvelle enAngleterre (260 p.) aux Presses Universi-taires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand.

Bacon était contemporain de Galilée et l’ou-vrage identifie les grands facteurs épistémo-logiques de l’histoire des sciences au tournantdes Lumières. Bacon, à l’université de Cam-bridge, étudie la logique formelle d’Aristote. Ilfréquente le botaniste John Gerard et son em-pirisme l’amène à s’intéresser aussi à la phy-sique, la chimie et la pharmacologie. C’est ainsi que sa sciencenouvelle put naviguer entre l’abstraction la plus élevée et les faitsles plus concrets, démarche que chacun reconnaît aujourd’huicomme caractéristique de la science.

La foi chrétienne de Bacon est une foi merveilleusement informée :sa famille et lui-même ont été en rapport avec tous les exégètes etbiblistes de leur temps et cette foi est parfaitement assimilée (il citela Bible au moins 954 fois dans ses écrits). L’auteur remet alors enquestion l’interprétation qui prédomine en France depuis l’Encyclo-pédie. Non, Bacon n’est pas né “au milieu de la nuit la plus pro-fonde”, c’est-à-dire dans un milieu chrétien dont il se seraitheureusement libéré pour parvenir à la lumière de la raison. La foi deBacon est surtout personnelle. Il rencontra sans doute très jeune laVérité, Jésus Christ, probablement dans le verset : “Je suis… la Vé-rité” (Jean 14, 6). Il veut découvrir une science vraie, comme un sa-voir à mettre au service de l’humanité. La foi fournit ainsi ladynamique profonde de sa science.

En 1603 il écrivit le Temporis Partus Masculus, titre cryptique d’unmanuscrit qui s’explique par le fait que Bacon se voit comme un nou-veau Moïse conduisant l’humanité libérée de l’ignorance et de la mi-sère vers une terre ruisselante de science et de techniques. Plustard, dans The Advancement of Learning (1605), il définit les limitesde sa science nouvelle. Elle s’inscrira strictement dans le desseindivin. Elle sera certes autonome, mais bénéficiera de la bénédictionde cette dernière. Elle annonce la “sécularisation” de la foi chré-tienne. Elle ne vend donc pas son âme au diable, comme le Faust dela Renaissance, mais prend explicitement avec elle la Sagesse di-vine, à la différence de la science contemporaine trop souvent sansrepères et devenue comme folle.

Cette réflexion présente, dans l’Angleterre de la Renaissance, leslimites et les finalités de la science mais reste d’actualité en 2016.Avec cet ouvrage, le chrétien peut lire, Bible en main, les trois cha-pitres relatifs à The Advancement of Learning et considérer leur ap-plication à notre temps.

Benoît Petit

Société

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L’idéal serait de considérer hu-mainement les situations au caspar cas pour offrir la mêmechance à tout le monde.

F. Z.Val-de-Marne

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Le travail ne sert pas unique-ment à gagner sa vie pour subve-nir à ses besoins. Il peut être aussiune raison de vivre, un moyen dese réaliser ou encore donner sensà son existence. L’idéal serait detrouver un travail qui réunit ces as-pects… Seulement, le cheminpour trouver ne serait-ce qu’un tra-vail est parfois, voire toujours,semé d’embûches. Ces obstaclespeuvent être d’ordre personnelet/ou externe.

Tout d’abord, être une femmesur le marché du travail, mêmeayant fait des études supérieures,est déjà un “handicap en soi” (dis-criminatoire) du fait de l’existenceflagrante des inégalités entrehommes-femmes bien qu’avec lalégislation, les choses s’amélio-rent. Mais, dans la pratique, sansstéréotyper un emploi quel-conque, à âge égal, diplôme égal,compétence égale, un employeur(homme ou femme) préfère tou-jours embaucher un homme (pourdiverses raisons) pensant peut-être que ce dernier sera totale-ment concentré sur son travail caril ne risque pas de lui créer de pro-blèmes d’absentéisme liés à unegrossesse ou à une maladie quel-conque d’enfant(s)…

Puis, le fait d’avoir une nationa-lité étrangère procure aussi d’au-tres problèmes à trouver dutravail. Selon chaque situation, unemployeur qui prévoit d’embau-cher une personne “étrangère”est en butte à des démarches ad-ministratives et financières plusou moins lourdes. Par exemple,pour embaucher à temps complet,en contrat à durée indéterminée,une jeune femme diplômée etétrangère, donc ayant le statut“d’étudiante”, une entreprise estsoumise à des étapes administra-tives conséquentes (cf. Direction

Départementale du Travail) et doitpayer un certain montant, qui luipermettrait de passer du statut“étudiant” au statut “salarié”.Face à ce constat, même si vousavez le profil, les entreprises pen-seront d’abord en priorité à leursintérêts : payer le moins decharges, mettre en fonction le plusvite possible un poste vacant…

Plus tard, la vie suit son cours…et il se peut que vous vous trou-viez en situation de monoparenta-lité rendant la recherche de travailplus rude encore. En voulant alliervie professionnelle et vie de mèrecélibataire, dès le début de la re-cherche, il faut déjà filtrer les of-fres ne correspondant pas à cettesituation “dualiste”. Ce qui dimi-nue, voire élimine fortement lachance de trouver un travail.

● soit parce que nous n’avonspas trouvé un moyen d’harmoni-ser les horaires de travail si parchance on effectue déjà un travail,à mi-temps, dans une structure.

Il est certain que personne n’ale monopole de la possession desdifficultés à trouver du travail. Ilexiste d’autres complications dis-criminatoires : la timidité, l’aver-sion sociale, les phobies, leshandicaps physiques ou psy-chiques… Cela dit, même sichaque personne a ses propresimperfections ou des incompatibi-lités à des postes particuliers, lesnormes et les préjugés de notresociété, la situation du marché dutravail liée à la hausse du chô-mage, la quête du profit (de l’ar-gent) ne facilitent pas non plus latâche. Il y a de quoi désespérer.

Tout faux

Enfin, si malgré ces épreuves,on décroche un entretien d’em-bauche, il arrive que l’éviction (ladiscrimination) se porte :

● soit sur la couleur de notrepeau, soit sur notre physique,

● soit juste parce qu’on ne saitpas convaincre en débitant uni-quement ce que les recruteursveulent entendre,

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Le plus difficile pour monter unesociété c’est de ne pas avoir peur.Il faut se lancer alors que l’on n’yconnait pas grand-chose.

Le premier conseil que je don-nerais, c’est d’aller à la Chambredes Métiers et de l’Artisanat. etd’assister aux conférences dutype “comment monter une so-ciété ? Que faut-il faire ?” ;c’est complet et cela aidebien. À Pôle Emploi égale-ment, j’ai eu droit à uneréunion là-dessus, maisc’est moins complet et sur-tout les conseillers donnentcertaines informations quine sont pas exactes, ilssont moins fiables. Onpeut aussi trouver toutesles démarches sur Inter-net.

Les difficultés que j’airencontrées :

1/ monter le projet : ilfaut produire un docu-ment complet sur ce pro-jet. Sans aide, c’est trèsdifficile, car il faut un bud-get et un chiffre d’affaireprévisionnel.

2/ établir les statuts ;

3/ trouver une Banque qui croieen nous et accepte de nous ouvrirun compte. C’est aussi très diffi-cile. Je conseillerai la Banque Po-pulaire qui est assez proche despetites entreprises.

Les autres démarches sont fas-tidieuses, mais si on est rigoureux,tout le monde peut y arriver.

Il faut un minimum d’argent, unmontant convenable pour le capi-tal social ; 500 € est trop peu. Ilfaut que les clients puissent avoirconfiance en nous.

Une fois le compte ouvert à laBanque, les statuts déposés à laCMA (Chambre de Métier et del’Artisanat) ou au Tribunal de Com-merce, et signés par le Trésor pu-blic, on reçoit ses statuts et onpeut commencer.

Là, les soucis arrivent : il fauttrouver une clientèle.

Nous nous sommes inscritsdans les pages jaunes sur Inter-net ; nous avons mis un autocol-lant sur la vitre arrière de notrevéhicule, un panneau sur le de-vant de la maison, nous avons im-primé des flyers (on trouve surInternet 10 000 flyers pour 60 €)et nous les avons distribués dansles boîtes aux lettres (ce qui esttrès fatigant). Nous avons aussi eudroit à un article grande pagedans le journal de la ville, et distri-bué des cartes de visite à tout va.

Notre souci : nous avons montéune société de service à la per-sonne. Pour pouvoir travailler “tout

public”, il faut obtenir un agré-ment et donc répondre à 17 pointsbien précis : avoir un local acces-sible aux handicapés, avoir em-bauché trois personnes spécia-lisées (une pour les enfants demoins de trois ans, une pour leshandicapés et une pour les per-sonnes âgées), avoir 30 000 € surle compte de la société, un cahierdes charges… Donc, soit il faut

s’endetter très fortement, soit ilfaut acheter une licence à

une société importante.

Ce n’est pas adapté dutout aux petites sociétéscomme la nôtre. Doncnous sommes obligés derefuser toutes les per-sonnes âgées ayant faitune demande d’APA (Allo-cation Personnalisée d’Au-tonomie) auprès duConseil général . Les au-tres personnes veulenttravailler avec les CESU(chèque emploi serviceuniversel) ; or nous nepouvons pas être payésavec les CESU car cela neconcerne que le paiement

de particuliers, et nous sommesune société. Avec le CESU, les uti-lisateurs ont une aide supplémen-taire de 20 % après 70 ans.

Finalement de tous les côtésnous sommes bloqués. Soit nousne pouvons pas prendre la clien-tèle, soit les clients préfèrentpayer avec des CESU. Nous bais-sons les bras. Je ne sais pas pour-quoi on nous a laissé ouvrir unesociété d’aide à la personnepuisque c’était perdu d’avance.

Nathalie BismuthVal-de-Marne

Perdu d’avance ?Société

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Nathalie et Sylvie ont monté une SARL d’aide à la personne, non sans mal.

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Société

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POURQUOI MOI ? L‘EXPÉRIENCE DES DIS-CRIMINATIONS

François Dubet, avec Olivier Cou-sin, Eric Macé, Sandrine Rui,2013, Essais (H.C.) 384 p.

Dans mon entreprise, beaucoupme connaissent comme potier,mais j’espère y être respectéd’abord comme ingénieur et phy-sicien, puisque ce sont les com-pétences qui me valent un posteet un salaire plus que correct.

Je sais que c’est une chance,d’autant que le travail est souventpassionnant, et que la pressionpsychologique y est légère, aumoins me concernant.

J’ai pris quelques cours de pote-rie à Boulogne-Billancourt, dansune maison de quartier, afin defaire quelque chose de mesmains, d’un peu joli. J’ai fini par yarriver, je crois. Je reste prudentcar on ne doit pas dire du bien desoi. Je fais la vaisselle et je tourneen rond. On prend vite le coup demain, pour tourner rond, avec un

bon tour électrique. Et j’ai remar-qué qu’offrir des assiettes, desbols, des plats, faisait autant plai-sir qu’offrir une tour Eiffel en allu-mettes, une aquarelle ou unbonzaï. Parce que ce sont des ob-jets utiles, faciles à ranger commeà exposer, et qu’on peut refusersans vexer si on ne les aime pas.La vaisselle n’a pas de prétentionartistique.

Pourtant, un vase bien émaillépeut être très beau. Cela, je le dissans hésiter puisque je ne fais pasmes émaux. Je les achète et lesapplique à l’aérographe. L’ensem-ble est une technique, rien deplus, mais une saine occupation(spirituellement parlant car pourles poumons la poussière de terren’est pas idéale). J’y passe unegrande partie de mon temps libre,puisque je m’occupe de la section

céramique du CE (Co-mité d’Entreprise) depuiscinq ans. D’autres fontdu théâtre, du sport, duyoga. Les activités propo-sées par le CE, ou par lesmairies, sont nom-breuses. J’ai choisi la po-terie un peu par hasardet ne le regrette pas. Par-ler d’un second métierest un peu excessif. Di-sons que c’est un boncomplément au métierprincipal.

GillesParis

Je fais la vaisselle etje tourne en rond

Un livre plein de lucidité revigo-rante, faite de vérité, d’espoir etde perspectives ! Et qui pourraitêtre transmise à bien de nos diri-geants politiques. Comment alorsdévelopper un échange fructueuxentre l’individu et les groupes ?

L’intérêt du livre de FrançoisDubet (et al.) est double : il mon-tre la difficulté de lutter contre lesdiscriminations dans le monde dutravail et la manière dont les inté-ressés perçoivent celles-ci (lesplus discriminés ne sont pas né-cessairement ceux qui éprouventles sentiments d’inégalité les plusforts). “La colère, le ghetto, l’écra-sement, la réclusion”, autant deblessures où se lient subjectivitéet objectivité, relégation et repré-sentations multiples. L’enquêtesociologique permet une typologiedes minorités, dans ce qui peutdevenir le cercle vicieux d’uneconcurrence victimaire à traversquatre combinaisons : stigmatisédonc discriminé, stigmatisé maispeu discriminé, discriminé maispeu stigmatisé peu stigmatisé etpeu discriminé. Les discrimina-tions apparaissent comme la fi-gure centrale des injustices. Il estindispensable de voir commentelles sont vécues par celles etceux qui les subissent, de les dé-crire et de les mesurer, afin, peut-être de les atténuer.

Benoît PetitPotier (Calvados) - Roi Dagobert

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Qôhéleth, sage oRelecture Biblique

Exercice difficile que de s’aventurerdans le livre de Qôhéleth ou l’Ecclé-siaste pour aborder le thème du travail.Chacun se souviendra sûrement de lafameuse phrase qui commence et ter-mine l’ouvrage : “Vanité des vanités,tout est vanité”. Mais aussi : “Il y a untemps pour naître et un temps pourmourir, un temps pour planter et untemps pour arracher les plantes, untemps pour démolir et un temps pourconstruire…” (Ecclésiaste 3,1-8). Cer-tains diront que le livre est celui d’unvieillard désabusé, le livre d’un hommeinsatisfait, déçu et même cynique.Mieux vaudrait considérer l’ouvragecomme un recueil de sagesse, d’uneréelle profondeur, révélant en filigranele bilan de la vie d’un homme (Salo-mon ?) qui semble avoir tout essayé,tout tenté, tout possédé, tout entrepris.Écrite dans un hébreu tardif au IIIe siè-cle avant J.C, l’œuvre est un regardsans complaisance sur l’expérience hu-maine, au point même de saper lemoral. Qôhéleth y traite de la science,de la richesse, de l’amour et même dela vie.

A priori, Qôhéleth ne semble ni dansla disette ni affecté par quelque mala-die que ce soit. Désabusé, lui ? Un peutout de même ! Sage, lui ? Un peuquand même ! “Comme il est difficile àl’homme de saisir les desseins deDieu”. On ne peut pas dire que sa pen-sée soit dénuée de bon sens. À regar-der de près, il y a tant de justesse et desagesse dans cet écrit que l’œuvre deQôhéleth peut être considérée commeun des joyaux de la Bible.

Que dit-il du travail ? À l’évidence,Monsieur Qôhéleth est un personnagequi a le don, la passion d’entreprendre.Les versets 4 à 7 du chapitre 2, décri-vent avec précision les travaux entre-pris et leur gestion. Bâtisseur, planteur

et vigneron, paysagiste, foreur et puisa-tier, pépiniériste, propriétaire de bétailet gérant d’une multitude de gens demaison… On a donc affaire à un “nanti”,les yeux pétillant de convoitise, ne se re-fusant rien, amassant or et argent, ac-cumulant plaisirs et chanteurs…

Notre nanti se réjouit de son travail,estimant que ce fut sa part de labeur(2,10). Rien d’étonnant à ce qu’un peuplus loin (5,17.18) il estime que ce quiest acquis avec peine et succès procure

Qôhéleth ou l’Ecclésiaste

2,4 J’ai entrepris de grands travaux : je me suis bâti

des maisons et planté des vignes.

2,5 Je me suis aménagé des jardins et des vergers ;

j’y ai planté toutes sortes d’arbres fruitiers.

2,6 J’ai creusé pour moi des bassins dont les eaux ir-

riguent des pépinières.

2,7 J’ai eu des serviteurs et des servantes, leurs en-

fants nés dans ma maison, ainsi qu’une abondance de

gros et petit bétail, plus que tous mes prédécesseurs à

Jérusalem.

2,8 J’ai encore amassé de l’argent et de l’or, la for-

tune des rois et des États. J’ai eu des chanteurs et des

chanteuses et ce plaisir des fils d’Adam : une com-

pagne, des compagnes…

2,9 Je me suis agrandi, j’ai surpassé tous mes pré-

décesseurs à Jérusalem, et ma sagesse me restait.

2,10 Rien de ce que mes yeux convoitaient, je ne l’ai

refusé. Je n’ai privé mon cœur d’aucune joie ; je me

suis réjoui de tous mes travaux, et ce fut ma part pour

tant de labeur.

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31Lignes de crêtes 2016 - 30

e ou cynique ?Relecture Biblique

un bonheur mérité. Et d’ajouter qu’il yvoit la main et le don de Dieu. Riende surprenant à l’époque que deconsidérer richesse, santé, prospé-rité comme une bénédiction deDieu. Travail, bonheur, biens et ri-chesse sont choses bonnes dont il fautprofiter. Nos contemporains n’hésite-raient pas à coller à Monsieur Qôhélethl’étiquette d’un homme au parfum descandale et réclameraient à Bercy unesérieuse enquête. Pour que toute la lu-mière soit faite !

Si notre auteur, à plusieurs reprises,parle de labeur, des travaux accomplispar ses mains, du coût de ses efforts(2,11), de la peine qu’il se donne sousle soleil pour le succès de ses entre-prises (5,17), il jette néanmoins un re-gard désabusé sur le résultat : “Maisquand j’ai regardé tous les travaux ac-complis par mes mains et ce qu’ilsm’avaient coûté d’efforts, voilà : toutn’était que vanité et poursuite du vent ;rien à gagner sous le soleil”. Et d’ajou-ter qu’il déteste ce travail accomplisous le soleil, et qu’il va falloir laisser àson successeur (2,18). Un peu plusloin, notre auteur, voyant la peine et lesuccès de son travail, réalise que celan’est que jalousie des uns envers lesautres : “c’est encore vanité et pour-suite du vent” (4,4).

Comment ne pas penser immédiate-ment aux paroles de Jésus invitant lessiens à ne pas se laisser gagner par lessoucis (Mt 6,25-34 et Lc 12,22-31) etindiquant à ses disciples les conditionspour le suivre ? “Quel avantagel’homme aura-t-il de gagner le mondeentier s’il le paye de sa vie ?” (Mt16,26).

Pour mieux comprendre la pensée deQôhéleth et ne pas trop rapidement letaxer de vieillard désabusé, il faut ac-cepter de s’aventurer dans son ou-vrage. Chacun pourra découvrir que sesréflexions peuvent avoir un goût d’ac-tualité ! Notre sage, non dénué d’hu-mour, nous invitera-t-il à méditer laboutade (7,29) : “Voici la seule choseque j’ai comprise : Dieu a fait leshommes simples et droits, mais ils onttout compliqué” ?

Yves Chalvet de RécyOblat de Marie Immaculée

Val-de-Marne

2,11 Mais quand j’ai regardé tous les travaux ac-

complis par mes mains et ce qu’ils m’avaient coûté

d’efforts, voilà : tout n’était que vanité et poursuite de

vent ; rien à gagner sous le soleil !

2,18 Je déteste tout ce travail que j’accomplis sous le

soleil et que je vais laisser à mon successeur.

2,24 Rien de bon pour l’homme, sinon manger et

boire, et trouver le bonheur dans son travail. J’ai vu

que cela aussi vient de la main de Dieu.

3,13 Bien plus, pour chacun, manger et boire et trou-

ver le bonheur dans son travail, c’est un don de Dieu.

4,4 J’ai vu aussi que toute la peine, tout le succès

d’un travail, n’est que jalousie des uns envers les au-

tres. C’est encore vanité et poursuite de vent.

5,17 Voilà donc ce que moi j’ai vu : c’est chose belle

et bonne, pour quelqu’un, de manger et de boire, de

trouver son bonheur dans toute la peine qu’il se donne

sous le soleil pendant les jours que Dieu lui accorde.

Telle est la part qui lui revient.

5,18 Si Dieu donne à quelqu’un biens et richesses

avec pouvoir d’en profiter, d’en prendre sa part et de

jouir ainsi de son travail, c’est là un don de Dieu.

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Le chômage croissant desjeunes en Italie et en Europe a ra-mené au centre du débat le thèmede l’éducation en tant que facteurde développement d’un capitalhumain et en tant que réaction àla crise. La littérature scientifiqueet les principaux décideurs publicsitaliens s’orientent progressive-ment vers l’analyse et la mise ensystème de théories, de pratiqueset de modèles qui permettent auxétudiants de connaître le travail etles entreprises dès leur parcoursscolaire : en effet, les donnéesmontrent que presque la moitié duchômage des jeunes Italiens vientd’un manque d’articulation entrel’école et le travail.

En particulier, on voit combienest délicat le passage du diplôme

au premier emploi, la “transitionécole-travail”, qui dans notre payspeut durer de 8 à 12 mois et qui,souvent, est peu cohérente, carfréquemment le travail qu’ontrouve ne correspond pas au par-cours de formation du jeune. Pourune transition rapide et cohérente,l’Europe propose quelques instru-ments : l’alternance école-travail,l’orientation scolaire à l’entrée età la sortie, l’apprentissage et laculture d’entreprise. Quand cesquatre instruments se combinentdans un territoire donné, les tran-sitions s’améliorent : par consé-quent, le taux d’emploi des jeunesaugmente et entre-temps on ga-rantit aux entreprises un capitalhumain qui répond aux demandesde la production.

Dans les dix provinces italiennespremières pour l’emploi desjeunes (données ISTAT) les quatrefacteurs ci-dessus sont tous pré-sents et reliés les uns aux autres.Mais le décalage avec les pro-vinces où ces instruments ne seconcentrent pas et restent des ex-périences isolées, est très mar-qué : c’est le cas de la plupart desterritoires du sud de l’Italie.

Le fort chômage des jeunes et ladifficile transition école-travailsont des problèmes structurauxnon pas causés, mais aggravéspar la crise. Comment les résou-dre ? En redécouvrant les aspectsparticuliers de l’éducation “madein Italy” par un voyage qui part dela tradition de formation de notrepays jusqu’aux perspectives de

Jeunes et travail, en Italie : entreprojets et incertitudes

Et ailleurs ?

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En juillet 2015, la rencontre de la FEEC/SIESC à Rome avait pour thème : “Otium et nego-tium : former des jeunes à la dimension humaine du travail”. Le texte des différentes inter-ventions est disponible sur le site de l’association. La question “Jeunes et travail : entreprojets et incertitudes”a été présentée sous différents angles. Nous avons retenu ce texte quiévoque la situation des jeunes italiens.

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l’Industry 4.01 (ndlr : nouvellefaçon d’organiser les moyens deproduction) ; en conjuguant la tra-dition et l’innovation, les jeunesItaliens et Italiennes peuvent dé-couvrir des opportunités qu’ilsn’imaginaient pas. Une dimensionhumaine du travail 2.02 (ndlr :adaptation du travail au numé-rique) est possible.

Le passé : les mains etl’intelligence en Italie,une grande histoireoubliée

En Italie la formation et le travailont toujours été joints jusqu’auxannées soixante du XXe siècle.Dans la tradition de l’économie ci-vile, à Carrare, naît en 1098 l’Ins-titut de l’apprentissage dans lapériode où apparaissent les pre-mières universités (Bologne1088). Pendant la Renaissance,des apprentis comme Michel-Ange et Raphaël ont complète-ment changé les modèles en“humanisant” les arts et en diffu-sant le principe du “beau et bienfait”. Au XIXe siècle, Don Bosco faitde la formation professionnelle uninstrument de rattrapage des ga-mins des rues et de rachat social.Pendant le boom économique del’après-guerre, le travail manuel etl’esprit d’entrepreneur ont rendu“grand” notre pays en posant lesbases de ce qu’on connaît dans lemonde entier comme “made inItaly”.

Le présent : la réformede l’École et le rôleformateur desentreprises

En Italie, la réforme de l’écoleactuellement en discussion donnebeaucoup de place au rapportentre l’école et le travail. Le textepointe l’importance des modèles

de formation que l’Europe a re-connus comme les plus efficacesdans la lutte contre le chômagedes jeunes, en particulier le mo-dèle de l’alternance école-travailqui se présente comme une mé-thodologie didactique obligatoiredans les écoles secondaires dudeuxième cycle. Cette dispositionprend sa source dans les modèlesde collaboration école-entreprisedéjà expérimentés localement (Fe-dermeccanica, Enel, Confindus-tria) pouvant devenir “unsystème”. Le rapport entre lemonde de la production et lemonde de la formation, le parte-nariat de la formation entre les en-seignants et les entrepreneurs, lesréseaux entre l’école et les entre-prises, en sont les instruments.

L’avenir : l’industry 4.0et les nouvellesprofessions. Laformation appliquéedéjà aujourd’hui

Dans l’actuelle société de laconnaissance, les compétencessont le critère majeur du choixd’un ouvrier dans l’industrie. Pourl’entreprise, un ouvrier robuste etrésistant vaut beaucoup moinsqu’un mince ingénieur informati-cien expert en big-data3. Le rap-port, donc, entre entreprise etformation change selon uneconception d’entreprise formatricequi a été identifiée comme fonda-mentale sur plusieurs fronts et de-puis plusieurs décennies.

Une bonne école et de bonnesnotes ne font pas d’un jeune unexpert dans la gestion de ma-chines complexes connectéesentre elles grâce à ce qu’on peutappeler Internet of Things4. Il estnécessaire de se former sur le ter-rain, de faire l’expérience directede leur fonctionnement. Une ex-périence qui est en même temps

une possibilité d’innovation, unterrain privilégié pour la recherchedans le domaine de la technologieindustrielle. Si la formation et letravail ne se concilient pas, etc’est là d’abord un effort culturel,le démarrage de ce qu’on connaîtdésormais comme “Industry 4.0”est contrarié dès le départ.

La formation est ce qui caracté-rise le parcours de tout travailleur,d’abord à travers les premièresannées scolaires, puis à traversdes expériences vécues pendantla période scolaire et ensuite di-rectement pendant le travail,grâce à la formation continue queles entreprises technologiques sedoivent d’offrir. Les nouvelles pro-fessions pour les jeunes vont s’in-sérer dans le sillon des secteursentraînants de l’industrie ita-lienne : chimique, ITC, pharma-ceutique, métallurgique, métallur-gique et mécanique, gomme,green imprimerie digitale, domo-tique, robotique. Avec ces secteursavancés, il y en a d’autres tradi-tionnels qui, grâce aux technolo-gies, vont revenir à la mode. C’està l’école de former les compé-tences nécessaires à gérer lechangement de la production, etnon pas à le subir.

Dr. Alfonso Balsamo

1/ Industry 4.0 : 4e ‘révolution indus-trielle’ qui voit les technologies numé-riques s’intégrer au cœur desprocessus industriels2/ Travail 2.0 : adaptation du travailau numérique, avec ses consé-quences pour les modes de collabo-ration, le lieu de travail et la vie sociale 3/ Big data : ensemble de donnéesnumériques si massives et hétéro-gènes qu’entreprises et institutionssont confrontées aux nouvelles ques-tions de capture, stockage, rechercheet partage. 4/ Internet of Things : en français, Ob-jets connectés

Et ailleurs ?

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“Pour des millions de travailleursdans le monde, l’OIT reste le seulbouclier face à la loi de la jungle”

Bernard Thibault poursuit au-jourd’hui son engagement syndi-cal à l’Organisation internationaledu travail (OIT), où il siège commeadministrateur au nom du groupedes travailleurs. Il revient sur lestensions qui ont récemment se-coué l’organisation et les me-naces qui pèsent sur elle.

Le 25 février 2015, l’Organisa-tion Internationale du Travail estsortie d’une crise qui avait bloquéson fonctionnement pendant troisans. En cause : la remise en ques-tion du droit de grève par les or-ganisations patronales. Pourriez-vous revenir sur ce conflit ?

Bernard Thibault : L’OIT est néeaprès la Première guerre mon-diale sur un constat simple : laguerre trouve ses origines dans laprécarité sociale et la misère. Lesnations s’étaient alors accordéespour élaborer un corpus de droitmondial pour les travailleurs, danslequel on trouve des textes fonda-mentaux sur la liberté syndicale etle droit de grève. Créée un peuplus tard, la Commission des ex-perts pour l’application desconventions et recommandationsest un comité chargé d’examinerla mise en œuvre des normes parles États et d’émettre des avis.Les États peuvent être ainsi misau banc des accusés pour leurs in-fractions. Or, à compter de 2012,les organisations patronales ontcontesté le fait que ces experts

puissent reconnaître le droit degrève dans des pays où la consti-tution ne le prévoit pas.

Dans une centaine de pays, ledroit de grève est reconnu, que cesoit par la constitution ou par untexte législatif de portée nationale.Dans une cinquantaine d’autres,les choses ne sont pas formali-sées mais la pratique laisse l’exer-cice du droit de grève effectif.C’est le cas des États-Unis, quin’ont toujours pas ratifié laConvention 87. Et, dans une cin-quantaine de pays, comme l’Ara-bie saoudite, la Corée du Nord oule Qatar, il est tout simplement in-terdit. Il faut aussi souligner quemême là où il est reconnu, le droitde grève peut faire l’objet de res-trictions. En Allemagne, la grèvedoit avoir un caractère profession-nel. Impossible de mener unegrève dite politique pour remettreen cause l’élaboration du budgetpar le parlement.

Quel a été l’élément déclen-cheur de la crise en 2012 ?

BT. : Une frange des organisa-tions patronales ne veut tout sim-plement plus entendre parler d’uncode du travail à l’échelle mon-diale. Or, il est d’autant plus cru-cial que la situation ne cesse dese dégrader dans le monde du tra-vail. On dénombre aujourd’hui215 millions de chômeurs. Un tra-vailleur sur deux n’a pas decontrat de travail, un sur quatreseulement est dans une relation

L’OIT,seul bouclier face à la loi de la jungle

Et ailleurs ?

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Fondé en 2005, Altermondes est un média citoyen d'informations générales, devenu Société coopératived’intérêt collectif avec 200 sociétaires en 2014. Composé d’un trimestriel vendu en kiosque, de deux hors-séries par an et d’un site web autonome il s’intéresse aux problématiques internationales sous l’angle de lasolidarité, favorise la compréhension des enjeux, éclaire les mobilisations et les alternatives et promeut descomportements plus justes et plus responsables. www.altermondes.org

Photo : Baptiste de Ville d’Avray

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stable avec un employeur. Cheznous, on dirait en CDI. 21 millionsde personnes subissent letravail forcé. On recensejusqu’à 168 millions d’en-fants au travail. 23 millionsde travailleurs décèdent,chaque année, de mala-dies ou d’accidents liés autravail. Dans une périodeoù il faudrait élever le ni-veau d’exigence dans lerespect des normes, le pa-tronat prend une directionopposée. Il lance une of-fensive au nom de la com-pétitivité économique et vajusqu’à faire des droits fon-damentaux comme la li-berté syndicale unemonnaie d’échange.

Qu’entendez-vous parune offensive du patro-nat ?

BT. : L’OIT est une organi-sation tripartite – la seule– qui fonctionne sur la base duconsensus entre États, organisa-tions patronales et syndicats detravailleurs. Il n’y a certes pas demécanisme de sanction mais, dupoint de vue diplomatique, un rap-port, un avis, une décision, renduspar l’une des instances de l’orga-nisation (le comité de la libertésyndicale ou la commission d’ap-plication des normes, par exem-ple) a un effet assez incitatif et/oudissuasif sur les états fautifs. Or,à compter de 2012, chaque foisque les cas étudiés impliquaient laquestion du droit de grève, quandbien même les faits étaient avé-rés, quand bien même il n’y avaitaucune contestation possible, lesemployeurs refusaient de voterl’avis. Il n’y avait plus d’État mis endemeure pour les infractions rele-vant de la Convention 87 sur ledroit de grève. Or, sans avis, il n’ya plus de rapport officiel. L’infrac-tion n’existe plus.

Certains vous rétorqueront quece droit n’est pas inscrit dans laconvention.

BT. : L’argument est fallacieux,mais c’est lui qui est au cœur dela polémique depuis 2012. Il fautavoir en tête que les employeursparticipent de moins en moins auxnégociations à l’OIT, où ils préfè-rent envoyer leurs avocats. C’estcomme si, dans une entreprisefrançaise, au moment d’une né-gociation salariale, l’employeur en-voyait son avocat. Peut-on encoreparler de dialogue social ? Sur ledroit de grève, les avocats du pa-tronat ont développé l’argumentselon lequel la Convention 87 neprécise pas explicitement – etc’est un fait – que le droit de grèvefait partie des libertés syndicales.Cette argutie ne résiste pas àl’examen de la pratique et de l’his-toire. De tout temps, la grève a faitpartie des moyens des syndicats.

On peut même considérer qu’ellea existé, et existe encore dans cer-

tains pays, avant que nesoient reconnus les syn-dicats. Dans le bras defer qui nous opposait,les organisations patro-nales ont, à un moment,reculé, acceptant de re-connaître le droit degrève, mais seulementdans les pays où laconstitution le prévoit.Ce qui n’a aucun sens.Dans une organisationmondiale, l’objectif n’estpas de prendre acte desdroits qui existent déjàau niveau national ; il estau contraire d’établirdes règles de portée uni-verselle. Après trois ansde blocage, les États, ycompris ceux qui n’ontpas de législation sur ledroit de grève, ont finipar faire une déclaration

reconnaissant que la grève est unmoyen légitime d’action pour lessyndicats. C’était un échec pour lepatronat.

Pourquoi les États n’ont-ils passaisi plus tôt la Cour Internatio-nale de Justice (CIJ) qui a compé-tence pour trancher ce genre dedissensus ?

BT. : Les raisons sont multiples.Les États-Unis, par principe, ne re-connaissent pas les instancesdans lesquelles ils n’ont pas dedroit de veto. Certains États, dontdes pays européens, considé-raient qu’il fallait régler le pro-blème en interne et que recourir àla CIJ revenait à reconnaître uneforme d’impuissance de l’OIT.D’autres craignaient qu’une déci-sion de la Cour puisse remettre encause leur propre législation.Passé un certain temps, les Étatsont cependant fait savoir au pa-tronat que s’ils n’étaient pas favo-rables au recours à la CIJ, la

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Photo : Baptiste de Ville d’Avray

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majorité d’entre eux reconnaissaitque le droit de grève était inatta-quable. S’est alors ouverte une fe-nêtre de négociations entresyndicats et patronat qui a mis unterme au blocage, mais qui ne ré-sout rien. C’est une trêve. Le pro-blème ressurgira.

Le problème est-il circonscrit àla contestation du droit de grève ?

BT. : L’offensive est générale. Lepositionnement de principe desemployeurs – qui est relayé jusquedans les débats nationaux,comme par le Medef en France –consiste à dire qu’il faut moins delois et plus de négociations collec-tives au sein des entreprises. Au-trement dit, moins de règlesapplicables à tous et plus de droitsà la carte. Or, dans la pratique, les

BT. : Cela fait quelques annéesdéjà qu’en Europe, pourtant répu-tée pour avoir des principes forts,on s’absout de règles dites fonda-mentales. Sous couvert de crise etde plan de redressement, les Étatss’affranchissent des normes del’OIT. On l’a vu en Espagne, au Por-tugal et en Grèce. Les accords col-lectifs sont mis entre parenthèses,on n’applique plus les salaires mi-nima ou certains chapitres ducode du travail. Partout le discourssur la compétitivité économiquerevient sur les droits sociaux.

Cette situation ne révèle-t-ellepas aussi la faiblesse des syndi-cats de travailleurs ?

BT. : Le mouvement syndical esten difficulté. Il faut le reconnaître.Il n’y a pas un seul pays dans le

monde où il ne reculepas. Il souffre de la pré-carité de l’emploi etd’une réorganisationdes modes de produc-tion, qui a déstabiliséson propre mode d’or-ganisation. Historique-ment, les syndicats sontnés dans les entre-prises, où des milliersde travailleurs étaientsous les ordres d’unemployeur. Aujourd’hui,dans les usines, les sa-lariés sont embauchéspar une multitude d’em-ployeurs. Prenez une

usine d’automobiles ! Il peut y avoirune trentaine d’employeurs diffé-rents ! Les solidarités ont été for-tement déstabilisées. Lemouvement syndical a du mal àtrouver des réponses pour organi-ser les salariés dans la configura-tion qui est la leur aujourd’hui, àsavoir beaucoup plus précaires etplus mobiles. Sans compter lespouvoirs politiques, qui nient la né-gociation sociale comme facteurde démocratie.

Seuls les États sont redevablesdevant l’OIT. N’est-ce pas ana-chronique ?

BT. : C’est un sujet d’actualitéqui ouvre le débat sur les préroga-tives de l’OIT. Avec d’autres, je mi-lite pour qu’à l’occasion ducentenaire de l’organisation, en2019, on réfléchisse à de nou-veaux outils pour lutter en faveurdu progrès social. Les outils baséssur le consensus sont-ils suffi-sants pour faire évoluer le droit so-cial ? Il serait judicieux que l’OIT,qui surveille l’attitude des États,puisse aussi surveiller l’attitudedes entreprises, et singulièrementdes multinationales qui agissentsur un rayon, par définition, inter-national. D’autant que nombred’entre elles sont beaucoup pluspuissantes que certains États. Sion prend l’effondrement du RanaPlaza au Bangladesh, on peut bienévidemment mettre en cause legouvernement – il est de fait fau-tif sur un certain nombre de points– et lui demander de faire plus etmieux en matière de contrôle deconformité, de formation des fonc-tionnaires, de recrutement d’ins-pecteurs du travail... Mais dès lorsqu’une multinationale se présen-tera pour faire travailler des ou-vriers, il fermera les yeux et, lacorruption aidant, l’entreprisepourra faire ce qu’elle veut. Il fautdonc que les commanditaires as-sument, eux aussi, leur part deresponsabilité quant aux condi-tions dans lesquelles sont fabri-qués les produits qu’ils achètent.En 2016, lors de la conférence an-nuelle de l’OIT, nous avons prévud’avoir une première discussionsur la responsabilité des multina-tionales dans la chaîne de valeur.

L’Europe va-t-elle s’aligner sur lemoins-disant social pour restercompétitive, alors qu’elle devraitaider les autres continents à s’éle-ver sur le plan social ? C’est aussicela qui se joue en ce moment à

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Photo : Baptiste de Ville d’Avray

salariés sont loin de pouvoir négo-cier dans leur entreprise une évo-lution de leurs propres droits. Latraduction, au plan mondial, re-vient à dire qu’il faut arrêter devouloir uniformiser le monde surles questions sociales et accepterque nous soyons dans une écono-mie ouverte et dérégulée.

Votre analyse fait-elle écho à ladégradation de la situation socialeen Europe ?

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l’OIT. Les gouvernementsont une lourde responsabi-lité dans ces évolutions.

BT. : Parfaitement. Je vaisprendre un exemple symp-tomatique. Le Qatar fait de-puis quelques temps la unedes médias du monde en-tier pour ses infractions auxdroits fondamentaux. Lesconditions faites aux travail-leurs, qui sont pour l’essen-tiel des immigrés venusd’Asie, sont innommables.Eh bien, figurez-vous quenous ne sommes pas parve-nus à obtenir que l’OIT y en-voie une mission d’enquête.Certains États ont préféréprendre pour argent comp-tant les déclarations du gouverne-ment qatari, qui affirmait vouloirfaire des efforts. En réalité, beau-coup se sont opposés à la missionparce qu’ils ont bénéficié des lar-gesses financières du Qatar pen-dant des années. Des pays sesont positionnés en fonction deleurs intérêts économiques et po-litiques. Cela porte un préjudicetrès grave à l’organisation elle-même. C’est ce qui me fait direque c’est cette dernière qui est di-rectement menacée.

Pour remporter la bataille, lesorganisations syndicales n’ont-elles pas intérêt à tisser des al-liances plus larges ?

BT. : La première étape consistedéjà à mieux organiser les solida-rités entre salariés d’une mêmechaîne de valeur, du donneur d’or-dres jusqu’aux sous-traitants. Il estimportant que les salariés d’Adi-das connaissent les conditionsdans lesquelles sont fabriqués lesproduits qu’ils vendent. Cela sepratique déjà dans le secteur au-tomobile ou l’industrie. C’est pluscompliqué dans le textile. Dans lecas du Rana Plaza, si les firmesont accepté, la main sur le cœur,

de mettre en place un fonds d’in-demnisation, c’est parce qu’elles yont été poussées par une opinionpublique choquée par la catas-trophe. Au delà de l’entreprise, il ya des associations de consomma-teurs, de défense des enfants…Être capables, avec d’autres, decréer des mouvements d’informa-tion et d’influence qui peuventcontraindre des multinationales àchanger de mode d’organisationfait partie des lignes d’action. Cen’est pas forcément une traditionhistorique du mouvement syndical,mais certaines firmes seront plussensibles à une campagne grandpublic qu’à une pression unique-ment interne. Il faut donc conju-guer les deux.

Pointer les responsabilités estune chose, les faire assumer enest une autre. Ne faudrait-il pasaussi un système plus contrai-gnant ?

BT. : Il n’y a pas de raison qu’iln’y ait qu’en matière de com-merce international que les Étatsréussissent à s’accorder sur desrègles et à les faire respecter. Ilfaut discuter en termes de sanc-tions, car des règles sans sanction

n’ont pas grand sens. Quand vousenfreignez le code de la route,vous êtes passible de sanction,même chose pour le code de l’ur-banisme. Pour quelles raisons,dans le domaine social, l’applica-tion du droit resterait-elle du res-sort du volontariat ? Dans uneéconomie capitaliste, par défini-tion, la logique d’entreprise, c’estde valoriser le capital, pas le so-cial. Sinon, si c’était aussi naturelqu’on veut nous le faire croire, onn’aurait pas eu besoin d’inventerle syndicalisme et les luttes so-ciales. Évidemment, on est encoreloin d’avoir une majorité de paysqui souhaitent aller dans ce sens.Mais il faut ouvrir le débat. Quelsens veut-on donner à la mondia-lisation de demain ? Une jungledésorganisée ou le progrès so-cial ? Il ne faut pas oublier quepour des centaines de millions detravailleurs dans le monde, l’OITreste le seul bouclier face à la loide la jungle.

Par David EloyRédacteur en chef d’Altermondes

Avec l’aimable autorisation d’Alter-mondes

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Cette sourate est la premièredes 114 sourates. La “Fatiha” est“l’ouverture” du Coran, mais aussi“l’ouverture” de toutes les prièresrituelles musulmanes. L’ouverturede la relation à Dieu en assumantnotre cheminement, notre présentet notre avenir. Chaque jour, elleest ainsi la base de la relation d’Al-liance avec Dieu. Elle est pronon-cée, en permanence, par tous lesmusulmans du monde. Pour lesjuifs et les chrétiens, cette souratefondamentale est comparable auPsaume 1, qui est “l’ouverture”des 150 psaumes de la Bible. La“Fatiha” et le Psaume 1 exprimentla confiance en Dieu, le désir de fi-délité à Dieu, la conscience qu’il ya toujours deux voies devant nous,selon notre liberté et notre res-ponsabilité : la voie de l’attache-ment à Dieu, avec son aide, et lavoie qui s’écarte de Dieu.

Connaître cette sourate parcœur, et la prier soi-même, est de

grande importance à l’époque ac-tuelle où la connaissance de l’Is-lam devient indispensable.Universitaire chrétien disciple deCharles de Foucauld, Louis Massi-gnon (1883-1962) a fondé le cou-rant spirituel de la “Badaliya” quipréconise, entre autres, de prier àla fois le “Notre Père” et la “Fa-tiha”, dans un esprit de solidaritécroyante entre chrétiens et musul-mans. En sachant les enjeux théo-logiques du dialogue islamo-chrétien, c’est un engagementconcret. Certains pensent que lePape Paul VI, auteur de l’ency-clique Ecclesiam suam sur le dia-logue interreligieux adhérait à la“Badaliya”. Les moines de Tibhi-rine priaient aussi la Fatiha.

Ce qui peut nous guider pour laméditation de cette prière de laFatiha ? Comme le “Notre Père”,la Fatiha est rythmée, en sept ver-sets, par des invocations delouange et de demandes. C’est

d’abord le “Visage” de Dieu qui sedessine grâce aux noms de Dieuchers aux Juifs, aux Chrétiens, auxMusulmans. Par exemple : Dieumiséricordieux, Dieu Roi du Jourdu Jugement, Dieu le Maître desunivers... L’attitude croyante de-vant Dieu : “Nous T’adorons, nousTe glorifions !...”. Puis la demandedu soutien de Dieu pour avancerdans la fidélité : “Dieu garde-noussur la route droite, et veille à ceque nous n’errions pas loin deToi !”. Autant de repères précieuxqui nourrissent notre vie spirituellepersonnelle et communautairepour “être des priants parmi lespriants”, comme disait le PèreChristian de Chergé. En réciprocitéfraternelle et en prenant le mot“Seigneur” au lieu du mot “Père”,des musulmans peuvent prieravec le “Notre Père”: “Notre Sei-gneur, qui es aux cieux...”.

P. Pierre Fournier

Avec la sourate “La Fatiha”Au nom de Dieu :celui qui fait miséricorde,le Miséricordieux.

Louange à Dieu, Seigneur des mondes :celui qui fait miséricorde,le Miséricordieux,le Roi du Jour du Jugement.

C’est toi que nous adorons, c’est toi dont nous implorons le secours.

Dirige nous dans le chemin droit :le chemin de ceux que tu as comblés de bienfaits ;non pas le chemin de ceux qui encourent ta colèreni celui des égarés.

Traduction Colette Masson Imag

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Vie culturelle

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LE LISEUR DU 6H27Jean-Paul Didierlaurentéd. Au Diable Vauvert, 2014,217 p.ou Gallimard, Folio n° 5981,2015, 192 p.

Derrière ce titre énigmatique(qui fait penser au Liseur deBernhard Schlink, mais se dé-roule dans un contexte beau-coup moins “lourd”) se cache lavie monotone de Guylain Vi-gnolles, que de facétieux ca-marades surnommèrent “VilainGuignol” ! Mais Guylain n’est nivilain ni drôle : il mène une exis-tence bien plate, habite en ban-lieue, est célibataire mais ne vitpas seul : avec Rouget de Lisle,son poisson rouge. Il détesteson travail, car, dans une entre-prise qui collecte, pilonne et dé-truit les livres invendus, ilmanipule un monstre, uneénorme broyeuse... qui lui broieaussi les tripes, car Guylainadore les livres ! Il sauve doncdu néant une page, par-ci, par-là, au hasard, et ces feuilletsépars, venant de livres diffé-rents, il les propose en lectureaux passagers du RER de 6h27qui montent chaque jour dansla même rame que lui, pourleur redonner vie quelques ins-tants... (“Redonner vie à qui ?”– Mais aux feuillets survivantsdes livres détruits, et aux ban-lieusards-zombies qui voyagentavec lui, voyons !) Chaque jourdonc, “Le Liseur” a son quartd’heure de gloire, et lit tout hautces pages à quelques happyfew, des aficionados, un fanclub qui attend avec impatiencesa prestation quotidienne... aucontenu toujours inattendu. Onpourrait croire que c’est tout cequ’il y a d’inattendu dans la viede Guylain, entre ses col-lègues : Yvon qui ne s’exprimequ’en alexandrins (de Racine,Corneille, ou de son cru) ; Brun-ner, jaloux et venimeux ; le

vieux Giuseppe, qui a laissédeux pieds dans la broyeuse ;et le chef hargneux, Kowalski.Où trouver le bonheur, quandon est un trentenaire quasi in-visible et dépressif ? Mais unjour... un jour, deux passagèresfont “une proposition” à Guy-lain... Et un autre jour, il ra-masse une clé USB dans leRER ; elle contient un manus-crit... qu’il lit : c’est la vie palpi-tante... d’une dame-pipi ! Est-ceun roman ? Une histoire vraie ?À partir de là, il devient indé-cent de vous raconter la suite,toute l’enquête de Guylain pourdécouvrir l’auteur... et ce qu’iltrouvera au bout de sa quête.Oscillant entre de banales vies“métro-boulot-dodo” dans desdécors tristement quotidiens, etdes personnages hauts en cou-leurs, des péripéties improba-bles, ce récit vous fera passerun bon moment. Embarquezsans tarder avec Le Liseur du6h27, le trajet sera court et ré-jouissant, entre humour (par-fois trash : si Racine est là,Rabelais aussi), tendresse etpoésie !

C. RéaliniIle-de-France

L'EXTRAORDINAIRE ORIGINALITÉ DUCHRISTIANISME Guillaume Jedrzejczak,éd. Salvator, 2014, 144 p, 15 €.

Ne s’est-on pas trop habitués aumessage des Évangiles, même dansles milieux chrétiens ? L’auteur, moinecistercien trappiste, ancien Père Abbédu Mont-des-Cats, nous interpelle icisur “l’extraordinaire originalité” desÉvangiles, sur l’étonnante modernitédu message du Christ. Spontané-ment, on souligne l’intérêt des Évan-giles en termes de valeurs, de courantde pensée, de convictions. C’est déjàfort appréciable pour nos contempo-rains en quête de spiritualité. Mais lecœur du christianisme va plus loin,vers une vraie et incomparable spiri-tualité. Pour G. Jedrzejczak, les Évan-giles nous ouvrent à un triple trésor :le don de l’altérité (l’ouverture auPère tout-autre et à chacun de nosfrères en particulier), le principe del’incarnation (le Christ Fils de Dieu de-venu homme nous incite à Le rencon-trer dans la vie de chaque jour), et unrapport confiant au temps (voir letemps non pas comme ce qui nous af-faiblit, mais comme le dynamisme duChrist vers la vie ressuscitée et versl’Avenir en plénitude).

Ce petit livre a ainsi le mérite denous “dés-habituer” et de bien nousresituer la “Joie de l’Évangile”, “l’ex-traordinaire originalité du christia-nisme” au sein de l’ensemble desreligions. Il nous aide à (re)lire d’untrait les Évangiles, plus attentivementencore.

P. Pierre Fournier

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Trepalium, la mini-série d’Arte en six épi-sodes diffusée débutfévrier (et déjà disponi-ble en DVD) avait pourthème le travail. Sontitre est une allusion ex-plicite (et explicitée dès le premierépisode) à l’étymologie du terme,qui désigne un instrument de tor-ture. La série imagine une grandeville dans un futur dystopique, oùseule 20 % de la population (les“actifs”) travaille. Ils vivent dansun environnement high tech,hyper normatif, sécurisé et asep-tisé, entouré d’une grande en-ceinte. Les autres (les “zonards”)sont relégués au delà du murdans une espèce de bidonvillegéant.

Le travail, dans cette série, esteffectivement une torture, et ceciaussi bien pour ceux qui en ontque pour ceux qui n’en ont pas. Àl’intérieur de l’enceinte, la concur-rence pour conserver un poste ouobtenir une promotion est féroce :les candidats doivent être prêts àtout (trahir leur meilleur ami, tuerun rival...). La productivité est éva-luée en permanence. Le moindrefaux pas et c’est le licenciement,synonyme d’expulsion derrière lemur. On comprend que ces règlesconditionnent un état d’esprit quidéteint sur l’ensemble des rela-tions sociales. L’éducation est fon-dée sur l’excellence et surl’apprentissage du détachement :les liens sont fragiles (chacun peutêtre brutalement expulsé derrièrele mur), il faut donc s’entraîner àne s’attacher à rien ni personne.Les familles ne sont utiles qu’entant que réseau d’influence pourla carrière, les marques d’affec-tion font défaut.

Côté “zone” (dont la descriptionest nettement moins fouillée), ce

n’est évidem-ment pas mieux.On manque detout, tout letemps. Les distri-butions de ravi-taillement sont

toujours insuffisantes, pour main-tenir dans la dépendance. L’eauest sévèrement rationnée : celledisponible est polluée (et entrainede mystérieuses maladies). Pours’en passer, on peut recourir à unedrogue maison qui fait d’autres ra-vages. Le pillage, le troc, la récup’règnent. Une certaine solidaritéaussi, parfois. Mais les seules per-sonnes que l’on voit “occupées”par une activité régulière sont unprofesseur bénévole dans uneécole de fortune et une prostituée.

À vrai dire, l’histoire contée au fildes épisodes est assez peuconvaincante. Elle comprendquelques incohérences, ses per-sonnages sont trop caricaturauxpour qu’on s’y attache. Qu’im-porte, en l’occurrence c’est sur-tout l’univers imaginé qui retientl’attention. Il pousse à l’extrêmeune situation contemporaine(l’écart de mode de vie entre ceuxqui ont un travail et les autres) etobserve les conséquences qui enrésultent. Cette société est claire-ment fondée sur un apartheid : leterme de “développement séparé”(le sens initial d’apartheid) est em-ployé par les politiciens du cru. Lemur qui matérialise cette sépara-tion fait aussi penser, bien sûr, àcelui qu’Israël a construit pour iso-ler certains territoires palesti-niens, et à ceux que des paysvoudraient bien instaurer pour li-miter l’immigration. Et, sans douteégalement, à ce qui sépare noscentres villes en cours de “boboi-sation” des banlieues déshéritées.Dans ce monde légèrement futu-

Vie culturelle

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riste, le travail définit l’identité desindividus, là où les nationalités etles origines ethniques dominentactuellement. Cet apartheid socialest d’autant plus pervers et totali-taire qu’il est poreux : rien de plusfacile que d’expulser un récalci-trant hors de l’enceinte protégéepar le mur. La peur est donc, na-turellement, le fondement du gou-vernement.

À aucun moment dans la série,le travail n’est montré comme unesource d’épanouissement person-nel, intéressant en soi. Il n’est aumieux que fonctionnel. Les actifsque l’on voit “au travail” sont soitde nouveaux genres d’ouvriersspécialisés (ils tapotent pendantdes heures sur des claviers vir-tuels, donnant l’impression dejouer à de très monotones jeuxvidéo), soit des cadres-surveil-lants, soit des employés de ser-vice (sortes de facteurs apportanttout à domicile), soit encore desmembres de forces de l’ordre. Au-cune culture n’est présente, leséglises semblent s’être transfor-mées en temples de la consom-mation. L’immeuble le plus hautde la ville est un “sexodrome” quigarantit la paix sociale. Les diffé-rences d’habitudes et de modesde vie de part et d’autre du murrendent les échanges quasimentimpossibles.

Comme toutes les dystopies,Trepalium propose un modèle, ennégatif, de l’évolution possible denos sociétés. Est-ce vraiment verscela que nous voulons aller ? Com-ment éviter d’en arriver là ?Comme toutes les dystopies, Tre-palium pose des questions plusqu’il n’offre de réponses...

Isabelle Tellier

Trepalium

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Jacques Cassabois, L’ÉPOPÉE D’HÉRACLÈS,LE HÉROS SANS LIMITESLe Livre de Poche Jeunesse, 2015.

Quel cycle légendaire plus riche quecelui d’Héraclès-Hercule ? Quel hérosplus attachant avec sa force prodi-gieuse bien connue, mais aussi ses fai-blesses, son impulsivité, ses accès defureur qui l’amènent plus d’une fois aumeurtre ?

Jacques Cassabois puise librementdans cette vaste matière tout en res-tant fidèle aux sources antiques et àune bonne documentation énumérée àla fin de l’ouvrage. Il commence sonrécit avec “la triple nuit” d’amour entreZeus, qui a pris les traits du mari Am-phitryon, et la belle Alcmène, sonépouse encore vierge : il s’agit de don-ner naissance à celui qui doit devenirun héros, un modèle pour l’humanité.Dès le berceau, Héraclès manifeste sadivine origine en tuant deux serpentsenvoyés par Héra, que Cassabois pré-sente davantage comme une sorte decollaboratrice de Zeus que comme uneépouse jalouse et vindicative : c’est elleen effet qui, par les épreuves qu’elle luiinflige constamment, va pousser Héra-clès à se révéler. Notre héros bénéficied’une éducation soignée ; il a déjà ac-compli quelques exploits mais il fautqu’Héra le frappe d’une folie qui leconduit à tuer ses propres enfants pourqu’il se décide à obéir aux ordres de laPythie en se mettant au service de soncousin Eurysthée afin accomplir sesdouze fameux travaux, en guise d’ex-piation. Ce faisant, il débarrasse biensûr la terre d’un bon nombre de mons-tres (le lion de Némée, l’Hydre deLerne, les oiseaux du Lac Stymphaleetc.) mais surtout il apprend à se maî-triser, malgré certaines rechutes, à de-venir un héros, c’est à dire un homme

accompli. L’attrait essentiel de l’ou-vrage pour un public d’adolescents estbien d’avoir transformé la narrationd’exploits, dont l’enchaînement pour-rait vite sembler fastidieux, en un véri-table roman de formation. Une foislibéré de ses douze travaux, Héraclès,victime une nouvelle fois de l’ironie dusort et de sa propre impulsivité commetun nouveau meurtre (par accident) quilui vaut une année d’escla-vage auprès d’Omphale, lareine de Lydie, dont il devientvite l’amant. Pour obéir auxcaprices de sa maîtresse (ils’y est engagé solennelle-ment pour expier son crime),il accepte de se vêtir enfemme et de filer la laine tan-dis qu’Omphale revêt la peaudu lion de Némée ! Pour de-venir réellement humain,notre héros doit ainsi faireconnaissance égalementavec sa part féminine. Le der-nier chapitre est consacré àla fin tragique d’Héraclès,dernière épreuve avant qu’ilsoit admis sur l’Olympe aurang des dieux.

Le récit est toujours haletant, on s’in-téresse au sort du héros et on peuts’identifier facilement à sa quêted’identité et d’humanité. Voilà un ou-vrage qu’on pourra conseiller sans ré-serve à un jeune public et que lesprofesseurs de collège pourront utiliserpour démontrer une nouvelle fois la ri-chesse et l’actualité des mythes an-tiques. Des cartes précisant l’empla-cement géographique des différents tra-vaux, des éléments de bibliographie, unindex faciliteront grandement le travail.

Jean-Louis GourdainRouen

Héraclès : un livre pour la jeunesseVie culturelle

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Vie de l’association

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Maurice Montabrut est mort àToulouse, le 27 septembre 2015.Stéphanois d’origine, il s’était de-puis longtemps fixé dans le Sud-Ouest : le monde des facultés yétait le sien, il en aimait la cam-pagne, la Paroisse universitaireétait son église d’élection. Attachéd’abord aux groupes secondaires,il avait tout naturellement mis sesconvictions et ses compétencesau service de ses étudiants et deses collègues, dans le cercle larged’une ville très ouverte. Nousavons été heureux qu’il acceptede la quitter régulièrement poursuccéder à Henri-Bernard Vergoteen 1988, et assure la responsabi-lité de président de la PU jusqu’en1995.

Chaque période de présidence asa couleur. Celle de Maurice étaitla confiance, précise, lucide etassez obstinée.

Il faudrait peut-être dire d’abordque cet intellectuel était avant toutun excellent jardinier, que sa pa-tience portait chaque année desfruits et des légumes admirables,largement partagés, qu’il avaitconfiance dans la terre, dans lessaisons, dans le temps et dans lavigilance.

Ainsi de ses étudiants : il a étéun des tout premiers à nous fairecomprendre le changement radi-cal que représentait l’entrée ennombre des jeunes en faculté, et amultiplié les appels aux initiativespar le biais de la revue ou des li-vraisons d’Aujourd’hui l’Universitéque Pierre Jay dirigeait à l’inten-tion de ses collègues.

L’ouverture, dans ces annéesmoins lointaines qu’il n’y paraît,

avait encore les dimensions del’Europe, où les spécificités del’enseignement public français, etplus encore de la PU, posaientparfois problème : les sessions duSIESC, dont la variété réjouissaitaussi le voyageur qu’il était, devin-rent ses lieux de rencontre habi-tuels, dans une fidélité qu’il apoursuivie, avec Simone, jusqu’àces dernières années.

Ouverture encore que celle quiproduisit de grandes Journées, àReims, Marseille, Troyes, Poitiers,Grenoble, réattaquant sur nou-veaux frais les problèmes de lascience, de la culture ou de la so-ciété ; progrès de l’œcuménisme.Tout cela n’allait pas sans débat,sans “l’affrontement” cher à Mou-nier, son “maître intérieur”, sansdécisions très difficiles à prendreparfois, mais l’idée dominantepour Maurice était que les diffé-rences sont richesses et que l’Es-prit se nourrit de notre espoir et denos vouloirs profonds.

La confiance en Dieu était pourMaurice indéfectible. Il y a puiséses forces en tout moment de savie. Et sa confiance en l’Églisel’était aussi, mais assortie d’une

exigeante lucidité. Spécialiste deNewman, dont Simone et lui onttraduit les sermons, il attendaitd’elle une parole libre, et deman-dait avec insistance qu’elle metteen œuvre le « sacerdoce des bap-tisés » auquel Vatican II l’avait ap-pelée. “Nous entendons simple-ment mais fermement assumernotre responsabilité de baptisésqui ont à vivre de la foi, pourqu’elle éclaire les conduites et il-lumine les intelligences”. (CahiersUniversitaires Catholiques, janvier1989).

Et, par cet engagement même,sa parole nous rappelait que, sichacun doit servir où il est, toutserviteur doit être compétent. Etdonc que pour chacun de nous, ily a un devoir absolu d’intelligencede notre foi. “Faire bien notre tra-vail d’intelligence de la foi” c’étaitpour Maurice la nourriture quoti-dienne et comme l’air qu’il respi-rait. C’est souvent un bonheur,parfois une ascèse, en tout cas undes “talents” qui nous ont étéconfiés.

Marie-Hélène DepardonParis

Adieu à Maurice Montabrut ... ancien président de la Paroisse Universitaire

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“Jean Duval a été un prêtreanimé d’une foi ardente et d’ungrand amour de l’Église qu’il au-rait voulue parfaite, très attachéaux Équipes. Mais son caractèrequi supportait mal la contradictionet sa tendance pessimiste pou-vaient rendre difficiles les rela-tions. Il était parfois maladroitmais toujours prêt à rendre ser-vice”.

Prêtre, il a servi plusieurs com-munautés, paroisses, dans plu-sieurs groupes dont desenseignants de l’École Publiquependant de très nombreuses an-nées… Il a longuement accompa-gné différentes équipes de baseet une équipe régionale, fidèle-ment participé à nos rencontresnationales, aux sessions de retrai-tés, et même au Bureau Interna-tional des Équipes Enseignantesdans le monde.

Nous avons apprécié son sé-rieux, ses exigences, ses scru-pules, sa rigueur, sa manière denous accompagner, la justesse deses propos et l’originalité de sonapproche de la Parole…

Il n’avait pas le goût de “l’à peuprès” et on passait des heures àpréparer dans les plus menus dé-tails le déroulement d’une célé-bration pour la faire correspondreaux attentes du groupe.

Il a vraiment pris au sérieux leConcile Vatican II et a fait vivrecette phrase “la mission est l’af-faire de tous les baptisés, et nonpas seulement des ministres or-donnés”.

Il a connuune der-nière joieavec lepape Fran-çois, dont ilapprécia i tparticulière-ment l’hu-manité et lelangage ré-s o l u m e n tmoderne etaccessible àtous.

Dans lamaison où ila fini sesjours, ceux qui l’ont accompagnéont rencontré un homme d’une Foiprofonde, d’une Foi exigeante quiavait à cœur de la communiquer àceux qu’il rencontrait sur sa route.

Il a été un fils fidèle de l’Église,qui rêvait d’une Église pure, adulteet exclusivement centrée sur l’es-sentiel. Ceci l’amenait à imposerun grand nombre d’exigences quifaisaient dire à certains qu’il étaitrigide et sévère !

Nous pensons même que sesaudaces lui ont valu bien des dé-boires, qu’il a certainement souf-fert de ne pas toujours avoir étécompris comme il l’aurait souhaitémais il a constamment gardé sonoptimisme et conservé une foi to-nique et inébranlable dans l’ave-nir. Il nous invitait en permanenceà découvrir les signes de Dieudans notre vie et à les utiliser pourbâtir nos existences aux couleursde l’Évangile.

“Il nous faut fleurir là où Dieunous a semés” répétait-il à la suitede saint François de Sales.

Jean Duvalaumônier d’équipe

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45 ans avecnotre équipe

Nous avons vieilli ensemble. Ilétait le plus jeune.

Nos réunions avaient lieuchez l’une de nous ou chez lui.Les dernières années, nous al-lions chez la plus âgée et c’étaitlui qui faisait le “ramassage”.

Nous avons travaillé ensem-ble. Il cherchait avec nous ; ilpouvait nous demander de pré-parer avec lui son homélie dudimanche suivant. Chaque réu-nion comportait une célébrationtrès dépouillée, il tenait à l’es-sentiel. On pouvait discuter etmême se “disputer”, il lui estparfois arrivé de quitter une réu-nion, de partir fâché.

Il nous faisait partager sa vie :l’installation de sa maison, de sonjardin. On échangeait des plantes.Je cueille actuellement, avecémotion, des roses issues de bou-tures des rosiers de Ballancourt.

Un groupe de retraitées

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Lors de la vente de la maison dela rue Lacoste, les archives du pèreDuclercq, fondateur des EquipesEnseignantes ont été déposées auxarchives diocésaines de son dio-cèse d’origine, Amiens.

Le 4 décembre 2015, une jour-née d’études intitulée : École pu-blique, religions et laïcité a réunidans cette ville des historiens etd’autres spécialistes de la laïcité.L’annonce de cette rencontre enprécise bien les intentions.

Le projetLes relations entre l’école pu-

blique et la religion se sont ordon-nées autour de la question de lalaïcité qui a pu rendre possible unvivre ensemble dans une sociétédivisée de croyances et où les noncroyances occupent depuis les an-nées 1960 une place de plus enplus grande. Or, la laïcité n’a pastoujours été acceptée facilementpar les églises historiques, notam-ment l’Église catholique, à l’in-verse l’école publique a parfoispeiné à reconnaître à leur justeexistence les différentes croyan-ces religieuses.

Or, cette reconnaissance réci-proque n’a été possible que grâceà l’action d’un certain nombred’acteurs : responsables religieux,responsables syndicaux, respon-sables éducatifs. L’un de ces ac-teurs s’appelle Michel Duclercq,prêtre catholique, né à Amiens en1906 et mort à Paris en 1988, il aété un passeur de laïcité enFrance et en Amérique latine – enfaisant exister celle-ci parmi lesinstituteurs catholiques de l’en-seignement public. On retrouve la

même perspective, chez des ac-teurs syndicaux ou associatifs qui,tout en n’épousant en aucune ma-nière, une foi religieuse se sontmontrés à l’écoute de la dimen-sion spirituelle, ce qui était unemanière de faire vivre la laïcité.

La réflexion sera organisée endeux temps : comment l’école pu-blique, grâce à la laïcité, a peu àpeu pris en compte la question re-ligieuse et comment l’école pu-blique, dans un cadre laïque,aujourd’hui fait face à la questionreligieuse.

On rappellera enfin que les ar-chives de Michel Duclercq, clas-sées et inventoriées, sontlibrement consultables aux ar-chives diocésaines d’Amiens etcomprennent de très nombreuxdocuments sur la question de lalaïcité – en France et en Amériquelatine.

Cette manifestation scientifiquequi donnera lieu à publication estorganisée par le CAREF1 avec lesoutien de l’Université de PicardieJules Verne, de l’UFR de scienceshumaines et sociales, de l’ESPEEde l’académie d’Amiens et del’IEFR.

Les organisateursBruno Poucet2, directeur du

CAREF et Ismail Ferhat, maître deconférences à Amiens.

Les intervenantsHier

Xavier Boniface, professeurd’histoire contemporaine à l’Uni-versité de Picardie (Amiens) : Étatdes lieux dans les années 1930-1950

Bruno Poucet, professeur desuniversités en sciences de l’édu-cation à Amiens, spécialité : his-toire de l’éducation : MichelDuclercq, un itinéraire en laïcité

Julien Cahon Docteur, Universitéde Picardie (Amiens) : Le syndica-lisme enseignant et la laïcité dansles années 1950

Bernard Toulemonde, ancienrecteur : Que dit le droit ?

Aujourd’huiGuy Coq, agrégé de philosophie,

membre de la revue et présidentde l’association des Amis d’Em-manuel Mounier : L’Église catho-lique et la question laïque de1965 à nos jours.

Ismaël Ferhat, maître de confé-rence Université d’Amiens : Del’école privée au voile, le tournantde la laïcité scolaire.

Sarah Croché, maître de confé-rences : Regard à partir del’Afrique noire.

Table rondeBernard Toulemonde, Jérôme

Damblant (lA-IPR d‘histoire-géo-graphie), Paul Oudart (professeurd‘université honoraire de géogra-phie, équipe enseignante, ancienresponsable académique duSGEN), Jacques Estienne (profes-seur certifié honoraire d‘histoire etgéographie).

1/ CAREF : Centre Amiénois de Re-cherche en Éducation et Formation2/ Bruno Poucet a déjà publié unebiographie du père Duclercq, accessi-ble en ligne https://biosoc.univ-paris1.fr/spip.php?article87

École publique, religions et laïcitéun colloque autour des archives de Michel Duclerq

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Voilà le thème que nous avonschoisi d’aborder cette année à lasession proposée aux membresde CdEP en activité qui se dérou-lera du 20 au 24 août au sanc-tuaire de Notre Dame de Grâce àRochefort-du-Gard.

Ce thème de l’estime de sois’est dégagé tout naturellementaprès la relecture de la session deMoulins de 2014 qui a fait état dumanque de reconnaissance et deconfiance ressenti par les ensei-gnants, par les élèves et par lesparents également.

Des questions ont surgi : com-ment regagner de l’estime de soi ?Comment promouvoir l’estime desoi à l’école ? Pour quels enjeux ?et immédiatement nous avons euà l’esprit les paroles d’Isaïe( 43, 1-10) : “Ainsi parle le Seigneur, luiqui a créé, Jacob, et t’a façonné,Israël : Ne crains pas, car je t’ai ra-cheté, je t’ai appelé par ton nom,

tu es à moi. […] Tu as du prix àmes yeux, tu as de la valeur et jet’aime ? […] Ne crains pas car jesuis avec toi. Je ferai revenir tadescendance de l’Orient : de l’oc-cident je te rassemblerai”.

Pour approfondir cette thématiqued’un point de vue psychopédago-gique comme spirituel, nous avonsfait appel à deux intervenants :

● Édith Tartar Goddet, prési-dente de l’ap2e , psychosocio-logue et psychologue clinicienne,auteur de nombreux ouvrages etarticles en lien avec notre thème,qui procédera à une typologie desituations, s’interrogera sur lesattitudes profondes qui sont enjeu et la manière de faire pourles dépasser, montrera que celaconcerne le système de repré-sentation de soi…

● Daniel Moulinet, notre aumô-nier national, qui nous proposera

un temps de réflexionjournalier sur la spiritua-lité de saint François deSales et nous éclairerasur l’estime de soi,amour inconditionnel quel’on se porte parce quel’Autre nous le porte.

Ces temps de ressour-cement intellectuel et spi-rituel alterneront bien sûravec des témoignages,des partages d’expé-rience, des ateliers, destemps de prière, de dé-tente, sans oublier les vi-sites touristiques danscette belle région auriche patrimoine histo-rique. Le sanctuaire deNotre Dame de Grâce,point d’observation des

De l’estime de soi“Tu as du prix à mes yeux … et je t’aime”

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massifs des Préalpes, témoignede la ferveur populaire descroyants provençaux.

Nous vous invitons donc à venirnombreux à cette rencontre de finde vacances qui vous dynamiserapour aborder une nouvelle annéescolaire !

Un tract d’invitation sera pro-chainement diffusé, une fois le dé-roulement de la sessionvéritablement finalisé.

À bientôt donc à Rochefort-du-Gard.

Fraternellement.

Pour l’équipe d’animation

Michèle Lesquoy

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Un simple tableau champêtremais où l’or des blés mûrs, lacouleur chaude des récoltes,occupent l’espace et se reflè-tent sur les hommes, le toutsous un ciel rose. Les ombress’allongent sur le sol, c’est lafin d’une belle journée d’été, letravail a été dur, mais on nesent ni la fatigue des corps, nila sueur sur la peau ou les vêtements, tout respire la dou-ceur d’une campagne magni-fiée.

Et pourtant le travail est par-tout présent. Au fond à gaucheun homme se penche et coupeles blés avec sa faucille, au pre-mier plan un autre, à la peaunoire, est accroupi, il ramasseles javelles pour en faire desbottes. Derrière lui deuxhommes sont debout, l’un com-mande et l’autre lui obéit en fai-sant une sorte de salut militaire.

Au premier plan, une bellejeune femme au teint clair et àla coiffure délicate, sandalesaux pieds, avance vers nous.Elle porte une longue robe griseavec une sorte de châle som-bre, elle tient sur son brasgauche quelques poignéesd’épis de blé. Son mouvementest gracieux mais réservé, elleavance les yeux baissés, regar-dant l’homme qui noue lesgerbes à ses pieds, elle attendqu’il ait fini sa gerbe, pour ra-masser ce qu’il a laissé sur lesol. Ce n’est pas une moisson-neuse, mais une glaneuse, une

femme pauvre qui ramasse cequ’on laisse sur le champ. Maisprendre ainsi les épis avant queles moissonneurs soient partisn’est pas permis. C’est pour-quoi le patron la désigne endonnant des ordres, il pourraitla chasser mais “Booz donnacet ordre à ses domestiques :Même parmi les javelles elleglanera. Vous ne lui ferez pasd’affront. Pour sûr, vous tirerezmême pour elle des épis horsdes brassées et les abandon-nerez : elle les glanera, et vousne lui ferez pas de reproche”.Livre de Ruth 2, 15-16.

Ce Booz est un propriétairejuif de Bethléem et la jeune gla-neuse est Ruth, une Moabite.Son histoire est un peu mouve-mentée. Elle a été mariée à unJuif de Bethléem qui était venuau pays de Moab, avec sa mèreNoémie, pour fuir la famine ;mais l’homme est mort et Noé-mie a décidé de rentrer au pays.Ruth la Moabite a voulu la sui-vre par fidélité, et maintenantqu’elles sont arrivées, il fautmanger. “Ruth la Moabite dit àNoémie : ‘Je voudrais bien alleraux champs glaner des épis,derrière quelqu’un qui meconsidérerait avec faveur’. Ellerépondit : ‘Va, ma fille’. Elle alladonc et entra glaner dans unchamp derrière les moisson-neurs. Sa chance fut de tombersur une parcelle de terre appar-tenant à Booz”, membre éloignéde la famille de son défunt mari(Livre de Ruth, ch. 2, v. 2-3).

Une histoire d’étrangers quipassent d’un pays à l’autrepour chercher du travail… celarejoint l’actualité. Dans cettescène le peintre a introduit unpersonnage qui n’existe pasdans le récit biblique, l’hommenoir. Pourquoi ? Sans doutepour avoir une figure insolite etdeux taches de couleurs nou-velles. Mais pour nous cetteprésence n’est pas sans signi-fication. Au travail libre desmoissonneurs, elle ajoute untravail servile et aliénant, quicontraste avec celui de la jeunefemme.

Ruth est sans emploi, une mi-grante presque clandestine,qui essaie de subsister en fai-sant “un petit boulot”. MaisBooz est généreux, il lui vienten aide sans la connaître, nonpas en lui faisant l’aumône, ouen lui donnant du blé, non, il luipermet seulement de travaillerpour vivre, sans être chassée.Il donne des ordres pour proté-ger la faiblesse de la jeunefemme, il montre sa bontésans malmener les règles de lamoisson.

Au travail servile du serviteurnoir, s’oppose le travail libéra-teur de Ruth, question dechance et de détermination.Car Ruth est déterminée, elle achoisi sa vie, elle a épousé unétranger, puis elle a quitté sonpays pour suivre sa belle-mèreet devenir étrangère à son tour,et maintenant elle va glaner

Une jeune femme parmiles moissonneurs

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sur un champ inconnu, parmides hommes inconnus. Et du-rant la nuit, sur l’aire, Ruthl’étrangère montrera à Booz leJuif, qu’elle désire l’épousermalgré tous les règlementsconcernant les unions entreétrangères et Juifs. De l’enfantqui naîtra surgira une longuedescendance, de gens déter-minés : Jessé, David, Salomonet tout au bout de l’arbre, Jésus(Évangile selon Matthieu ch. 1).

Cette petite peinture deWatts est une œuvre de jeu-nesse, il a moins de vingt anset est étudiant à la Royal Aca-demy. C’est le voyage en Italieaprès 1843 qui changera sapeinture et le rapprochera dumouvement préraphaélite an-glais, mais ici dans les années1830, il utilise une lumièredouce, des couleurs chaudesmais estompées, il donne uneexpression retenue des senti-ments… Mais cette peinture

n’est pas mièvre car il saitaussi traduire la déterminationde ses personnages, et bienqu’il s’agisse d’une rencontrebientôt amoureuse chargée desens, il choisit de peindre deshéros qui ne se regardent pas,chacun restant indépendant etfier de sa volonté. Il exprime unretour à la simplicité de l’ex-pression religieuse en adéqua-tion avec la nature et la viequotidienne.

Serge Ceruti

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Serge Ceruti (iconographie)Georges Million et Dominique Thibaudeau (dessins)Tcho Picault, Françoise Pontuer (secrétariat)Andrée Fabre, Paulette Molinier, Juliette Panek (relecture)

Collaborateurs :

Comité de Rédaction :

Chrétiens dans l’Enseignement Public - 67 rue du Faubourg Saint-Denis 75010 ParisTél. : 01 43 35 28 50 - site électronique : http://www.cdep-asso.org/ - courriel : [email protected]

Enveloppe de carême

CCFD-Terre Solidaire

jetée dans la revue

Mireille NicaultCatherine RéaliniMarie-Inès SilicaniÉdith Tartar GoddetIsabelle Tellier

Suzanne CahenPierre DarnaudJean-Louis GourdainChantal GuilbaudMonique JudenneAnne-Marie Marty

Cueilleuse de thé au Sri-Lanka

Photo S. Cahen classe à Haïti

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Photo Edwardx

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Marché en Tanzanie - Photo Fanny Schertzer

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