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Mise au point -‐ Adjuvants en anesthésie locorégionale péri nerveuse (ALR-‐pn) : que reste-‐t-‐il de nos amours ?
Pour le Comité Douleur -‐ SFAR Michel Carles Pôle Anesthésie Réanimation Centre Hospitalier Universitaire de Nice Université Nice Sophia Antipolis (UNS)
3 octobre 2016
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Les adjuvants en ALR périnerveuse (ALR-‐pn) sont définis comme des molécules dont l’action
est complémentaire de celle des anesthésiques locaux (AL). En effet, les AL ont un mode d’action spécifique, lié à leur affinité pour les canaux sodiques des cellules nerveuses, qu’ils bloquent de façon
réversible. De nombreux éléments, liposolubilité, taux de liaison aux protéines plasmatiques, pH local, voies métaboliques, vont conditionner la pharmacodynamie des AL, telles que la puissance, le délai et la durée d’action. De fait, le recours aux adjuvants, largement expertisé depuis les années 1950, a
pour objectif de moduler ces propriétés : raccourcissement du délai d’action, allongement de la durée d’action, renforcement de l’effet anesthésique (et donc du taux de succès), baisse de la dose totale d’AL et/ou limitation des effets secondaires combinés. Ainsi, avant le recours aux cathéters
périnerveux, le seul moyen de prolonger l’analgésie locorégionale reposait sur les adjuvants, dont l’utilisation (parfois erratique) en ALR-‐pn a été très répandue.
L’avènement des cathéters périnerveux et les incertitudes liées à la toxicité locale des adjuvants ont dans un premier temps minimisé l’intérêt pour ces associations. De plus, le recours aux
cathéters permettant une durée d’analgésie « à la carte », l’allongement aléatoire de l’analgésie par les adjuvants (du fait de la variabilité pharmacodynamique individuelle et d’une efficacité parfois mal documentée) est apparue moins favorable terme de balance bénéfice-‐risque.
Plusieurs éléments récents ont fait reconsidérer l‘intérêt des adjuvants. D’une part dans un
contexte de croissance rapide de la prise en charge ambulatoire pour des chirurgies plus douloureuses, la faisabilité des cathéters à domicile a été remise en cause : si l’efficacité des cathéters n’est pas contestée, les problèmes de sécurité dans la gestion à domicile et de coût global ont été
soulevés [1]. D’autre part les études cliniques démontrant de façon très claire une augmentation de plus de 50% de la durée analgésique de l’ALR-‐pn par l’utilisation de dexaméthasone [2] ont fait entrevoir la possibilité de « concurrencer » les cathéters en termes de contrôle analgésique et à
« moindre coût ». Enfin, le concept d’analgésie multimodale maintenant clairement recommandée, permet un meilleur contrôle de la douleur postopératoire dans lequel la valeur ajoutée d’une analgésie locorégionale très prolongée tend à se réduire [3].
Ainsi, le bénéfice clinique attendu du recours aux adjuvants en ALR-‐pn repose quasi exclusivement sur l’obtention d’un allongement de l’analgésie postopératoire après ALR injection
unique, sans majoration des risques, en particulier sur le nerf. A partir de cette approche, la dizaine d’adjuvants qui ont été proposé ces 50 dernières années peuvent être listés en 2 groupes, en fonction des données disponibles [4] :
Bénéfice c l in ique non démontré et/ou sécurité non assurée
-‐ Adrénaline. Si son efficacité sur la durée d’analgésie en adjuvant des AL de courte durée
d’action est démontrée, son intérêt avec les AL de longue durée d’action n’a pu être établi ; ceci rend son utilisation superflue, les AL de courte durée d’action pouvant être remplacés par
ceux à durée d’action intermédiaire ou longue. Ses propriétés vascoconstrictrices locales recherchées pour limiter la résorption systémique (donc la toxicité) des AL, sont à mettre en balance avec sa neurotoxicité (ischémie neurale et neurotoxicité directe, particulièrement
chez le diabétique) et un risque de passage systémique de l’adrénaline elle-‐même. -‐ Alcalinisation de la solution. De manipulation malaisée (précipitation de l’AL avec formation de
cristaux particulièrement avec les AL de longue durée d’action, utilisation d’un volume de
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solution alcaline de moins de 1 ml) et sans démonstration méthodologiquement recevable de
l’efficacité clinique, cet adjuvant n’a pas d’indication en ALR-‐pn.
-‐ Néostigmine. Les données publiées sont discutables et contradictoires quant aux effets cliniques, avec une sévérité des effets secondaires (cholinergiques) qui induit une balance bénéfice-‐risque défavorable.
-‐ Hyaluronidase. Proposée de longue date comme adjuvant en ALR, ses indications sont validées
à ce jour exclusivement en ophtalmologie. Malgré son efficacité sur le délai d’installation et le succès du bloc moteur des blocs périorbitaires, des complications type de d’allergie (enzyme
d’origine bovine ou ovine), cellulite orbitaire ou pseudotumeur en ont limité l’intérêt. La mise sur le marché en Europe d’une hyaluronidase recombinante ouvre la perspective de sa réintroduction en France pour l’ALR. Son intérêt en ALR-‐pn reste à ce jour non démontré.
-‐ Magnésium. Les études montrant son efficacité comme adjuvant en termes d’allongement de l’analgésie en ALR-‐pn sont hétérogènes, la dose optimale non déterminée (150 mg ?) et la suspicion sur la neurotoxicité n’est pas levée.
-‐ Kétamine. Les données expérimentales suggérant des propriétés « AL-‐like » n’ont pas été confirmées. La suspicion de neurotoxicité (sur modèle cellulaire) et les effets systémiques de la kétamine rendent son utilisation comme adjuvant en ALR-‐pn non appropriée.
-‐ Opioïdes. Les données cliniques n’ont pas permis de valider l’intérêt de la morphine ou des
morphinomimétiques synthétiques, comme adjuvant en ALR-‐pn. Quand un bénéfice est montré, l’hypothèse d’un effet systémique plus que local (souvent associé aux effets secondaires usuels des morphiniques) est suggérée. Concernant le tramadol, les données
cliniques nombreuses, hétérogènes et contradictoires ne démontrent pas de bénéfice clinique, avec une augmentation potentielle des effets systémiques (NVPO). Enfin, seule la buprénorphine (agoniste µ partiel) a permis d’obtenir des résultats cliniques positifs montrant
un effet modéré en termes d’allongement de l’analgésie ; une étude expérimentale propose de plus un mécanisme d’action (blocage des canaux sodiques et du potentiel d’action des fibres-‐C) ; son utilisation reste probablement limitée par un effet modéré et le risque d’effets
secondaires systémiques.
Bénéfice c l in ique démontré
Ces molécules ont un rationnel solide pour leur utilisation clinique, même si les mécanismes d’action sont à ce jour peu ou pas élucidés, et la sécurité d’utilisation incomplètement explorée. Pour
ces trois molécules, l’équivalence entre les voies péri-‐nerveuse et intraveineuse a été documentée.
-‐ Clonidine [5]. Agent α2-‐agoniste dont l’efficacité clinique sur la durée analgésique (allongement moyen de 2 heures) a été confirmée par une méta-‐analyse, à la fois sur les AL de durée intermédiaire et longue. L’effet adjuvant ne semble pas dose-‐dépendant et le risque
significatif d’effet systémique hémodynamique (bradycardie, hypotension) doit faire prendre en compte le terrain et faire privilégier une dose basse, maximale de 0,5 µg/kg et dans tous
les cas inférieure à 150 µg.
-‐ Dexmédétomidine [6]. Agent α2-‐agoniste ayant une affinité 7 fois supérieure à la clonidine pour les récepteurs α2. La littérature très récente concernant cet adjuvant est croissante, confirmant son efficacité clinique qui semble légèrement supérieure à la clonidine. La dose
optimale (0,5 µg/kg ?) reste à déterminer. Il est à noter qu’aucune neurotoxicité (de même que pour la clonidine) n’est mise en évidence. De plus, les effets systémiques semblent limités (sédation, bradycardie < 10% des cas).
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-‐ Dexaméthasone [7]. C’est un stéroïde de synthèse, d’activité anti-‐inflammatoire 25 fois
supérieure à l’hydrocortisone et 5 fois supérieure à la méthylprednisolone (mais sans activité minéralo-‐corticoïde), et de durée d’action de plus de 36h. Deux méta-‐analyses ont établi l’efficacité de la dexaméthasone comme adjuvant en ALR-‐pn, aussi bien avec les AL de durée
intermédiaire ou longue. Le bénéfice attendu est une augmentation moyenne de l’ordre de 50-‐80% de la durée du bloc sensitif pour les AL de longue durée d’action. Cette augmentation se fait au prix d’un allongement subséquent de la durée du bloc moteur [8]. Les voies
d’administration péri nerveuse ou systémique sont proposées sans que les données actuelles ne permettent de trancher : l’équivalence de voies d’administration reste discutée en termes de durée d’analgésie (en faveur de la voie péri nerveuse, plus efficace) mais est à mettre en
balance avec la documentation encore insuffisante sur l’innocuité vis-‐à-‐vis du nerf (en faveur de la voie systémique, plus sûre). Deux arguments supplémentaires sous-‐tendent l’utilisation de la dexaméthasone par voie systémique : son effet antiémétique et ses propriétés
analgésiques systémiques. Outre la voie d’administration, la relation dose-‐efficacité reste à préciser entre des doses faibles de 1 à 2 mg jusqu’à plus de 4 mg.
Synthèse et perspective des adjuvants en ALR-‐pn
De tous les adjuvants proposés en ALR-‐pn, seuls les α2-‐agonistes et la dexaméthasone sont
des candidats potentiels qui ont démontré leur intérêt dans le but d’obtenir un allongement de l’analgésie locorégionale postopératoire. De nombreuses questions restent à éclairer, concernant la toxicité locale et plus globalement la sécurité d’utilisation, la dose et la voie d’administration de
chaque molécule, l’intérêt d’associer ou non ces deux familles d’adjuvants. A ce jour la dexaméthasone est probablement devenu l’adjuvant le plus utilisé en pratique clinique, la place des α2-‐agonistes et en particulier de la dexmédétomidine restant à mieux préciser.
Pour ce qui est des autres adjuvants dont l’intérêt en ALR-‐pn n’a pas été retenu, plusieurs ont
démontré une efficacité analgésique par voie systémique, tels que les opioïdes, la kétamine ou le magnésium, permettant de les positionner dans le cadre plus approprié d’une analgésie multimodale systémique.
Enfin les modalités d’utilisation des adjuvants reposent tout autant sur leurs propriétés
pharmacodynamiques que sur la stratégie globale de prise en charge de la douleur postopératoire, qui intègre de nombreux paramètres (niveau de douleur postopératoire prévisible, prise en charge ambulatoire ou non, recours au cathéter analgésique, etc…). En particulier les cathéters analgésiques
qui permettent de maitriser la durée de l’analgésie locorégionale restent pertinents (chirurgies les plus douloureuses); ainsi la place respective des adjuvants et des cathéters analgésiques, en association ou en alternative, reste à mieux préciser. Enfin, à terme, les nouvelles formes galéniques des AL à
libération prolongée pourraient représenter une alternative aux adjuvants [9].
1. Rawal N. Reg Anesth Pain Med. 2012;37:72-‐8. 2. Cummings KC et al. Br J Anaesth. 2011;107:446-‐53. 3. Chou R et al. J Pain. 2016;17:131-‐57. 4. Kirskey MA et al. PLoS One. 2015;10:e0137312. 5. Popping DM et al. Anesthesiology. 2009;111:406-‐15. 6. Abdallah FW et al. Anesthesiology. 2016;124:683-‐95. 7. Choi S et al. Br J Anaesth. 2014;112:427-‐39. 8. Huynh TM et al. Eur J Anaesthesiol. 2015;32:751-‐8. 9. Ifeld BM et al. Reg Anesth Pain Med. 2015;40:572-‐82.