MILARD-Christianisme et Dignité de la personne humaine
Transcript of MILARD-Christianisme et Dignité de la personne humaine
Campus adventiste du Salève
Faculté adventiste de théologie
Vers une éthique chrétienne
de la dignité de la personne
humaine
Réflexion à travers les racines chrétiennes et théologiques
Mémoire
présenté en vue de l’obtention
du Master en théologie
présenté par
David MILARD
Président du jury : Luca MARULLI
Directeur de recherche : Roland MEYER
Assesseur : Marcel LADISLAS
Collonges-sous-Salève
Juin 2018
Je soussigné ………….…………………………….., auteur du mémoire
Vers une éthique chrétienne de la dignité de la personne humaine, déclare sur
l’honneur que ce mémoire est le fruit d’un travail personnel, que toutes les
sources d’informations utilisées et les citations d’auteurs ont été mentionnées
conformément aux usages en vigueur.
Fait à ………………………………………
Le …………………………………………..
Signature :
Je dédicace ce travail à ma mère pour qui le surpassement de soi était
l’affranchissement de l’âme.
Remerciements
Je remercie l’ensemble des professeurs de la FAT qui m’ont assisté par
leur écoute patiente et diplomatique durant la conception de ce mémoire.
Je remercie particulièrement mon maître de mémoire, Roland Meyer,
d’avoir accepté de me relire dans des conditions moins qu’optimales, et d’avoir
malgré tout trouvé le temps de me conseiller en vue de l’amélioration de ce
travail. Je remercie également le doyen, Gabriel Monet pour son écoute et sa
compréhension devant mes nombreuses hésitations. Je le remercie également
pour avoir gardé sa porte ouverte jusqu’à la fin.
Je remercie les membres de l’église de Thonon-les-Bains pour ces années
de formation pratique passées à leurs côtés ainsi que pour leurs nombreuses
prières.
Je remercie Dieu pour Sa présence ainsi que pour les soutiens familiaux
dont j’ai l’honneur d’être l’heureux bénéficiaire.
Je remercie notamment mon épouse Julie, qui me soutient sans faille
dans ma vocation pastorale depuis nos débuts et qui s’investit à tous les niveaux
pour me permettre de réaliser le meilleur travail possible. Sa présence à mes
côtés, souvent au-dessus de mon épaule, ses corrections, remarques et
encouragements m’ont apporté une présence rassurante de grande valeur. Je
remercie également mon père pour sa confiance indéfectible, mes beaux-parents
Manuella et Fred pour leur soutiens, les relectures et leurs prières.
Merci à tous ceux et celles qui m’ont conseillé et soutenu durant ces cinq
années d’études.
Résumé :
Dans les sociétés du XXIe siècle, la dignité humaine est un principe de
première importance dans les sphères morale, juridique et politique, au point
d’être invoquée de façon routinière dans tous les grands débats de société
(euthanasie, avortement, crises migratoires, corruption). Cela est dû à
l’indissoluble association entre le concept de dignité et celui des droits de l’homme
que nous retrouvons comme fondations et comme motivations principales de la
raison d’être des Nations Unies. Mais la difficulté à définir ce que sont
exactement la dignité et la personne humaine n’en facilite pas l’application
concrète dans un monde multipolaire et multiculturel, où des voix se font
entendre (i.e. Chine) afin de dénoncer ce qu’elles considèrent comme un principe
occidental, inapplicable au niveau universel.
L’Eglise adventiste du 7e jour porte, comme les autres églises chrétiennes,
un message spécifique sur l’humain, sa relation à autrui et à Dieu. Nous
proposons dans ce mémoire une recherche sociologique, historique et théologique
afin de découvrir les racines et les influences chrétiennes du concept de dignité,
et pourquoi la cosmogonie biblique de l’homme créé à l’image de Dieu reste la
seule source d’universel dans un monde en mutation. Nous appréhenderons ainsi
les conséquences éthiques d’une telle vision.
Mots-clés :
Droits de l’homme, dignité, personne humaine, être humain, protection
des populations, christianisme primitif, colonialisme, création, éthique
chrétienne
Table des matières
Table des matières
Introduction ................................................................................................... 1
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine .. 9
I. Vers une définition de la dignité humaine ........................................ 11 A. Introduction aux conceptions de la dignité humaine ......................... 11
1. L’étymologie .................................................................................. 12
a. Dans la langue française ........................................................... 12 b. Dans la langue latine ................................................................. 13 c. Dans la langue grecque ............................................................. 14
2. La conception posturale ................................................................ 15 3. La conception ontologique ............................................................ 16
a. La conception cartésienne ......................................................... 16
b. La conception kantienne ............................................................ 17
4. La conception interactionnelle ...................................................... 18 5. Conclusion .................................................................................... 19
B. Introduction aux conceptions de la personne humaine .................... 20 1. L’étymologie .................................................................................. 20
a. Homme/humain ......................................................................... 20 b. Personne ................................................................................... 22
2. L’anthropologie sociologique ........................................................ 23
3. L’anthropologie philosophique ...................................................... 25 a. L’anthropologie aristotélicienne ................................................. 25
b. L’anthropologie kantienne .......................................................... 26 4. Conclusion .................................................................................... 28
II. Les controverses de la dignité humaine .......................................... 29
A. La dignité et les atteintes à la personne humaine ............................ 29 1. La dimension juridique de la dignité .............................................. 29
a. La force d’un concept juridique .................................................. 29 b. La fragilité d’un concept juridique .............................................. 30
2. La dimension morale de la dignité ................................................ 31 a. Une remise en cause du modèle kantien par l’antispécisme ..... 32
b. Une remise en cause du modèle kantien par l’éthique minimaliste ………………………………………………………………………...32
c. Une remise en cause du modèle kantien par la psychanalyse .. 33 3. La dimension politique de la dignité .............................................. 33
a. La dimension politique de la dignité selon le mandat de l’ONU . 33
b. La dimension politique de la dignité selon l’éthique minimaliste 34 4. Conclusion .................................................................................... 35
B. L’avènement des droits de l’homme ................................................. 36
1. La naissance des droits de l’homme ............................................. 36 2. Le droit national et la dignité humaine .......................................... 37 3. Les droits internationaux des êtres humains................................. 40
a. La Charte des Nations Unies (1945) .......................................... 41
b. Le tribunal militaire américain de Nuremberg (19 août 1947) .... 42 c. La Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, ONU (1948)………………………………………………42
d. La Déclaration universelle des droits de l’homme, ONU (1948) 42 4. Conclusion .................................................................................... 43
Table des matières
III. Synthèse du premier chapitre ........................................................... 44
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité……………………………………………………………..45
I. La dignité humaine au début du christianisme ............................... 48 A. La lutte de l’Église contre les atteintes à la dignité humaine ............ 48
1. L’Église chrétienne et la violence militaire .................................... 49 2. L’Église chrétienne et les violences sociales ................................ 54
a. La discrimination en raison du sexe ........................................... 54
b. Les infanticides .......................................................................... 56 c. Les spectacles sanglants ........................................................... 58
3. L’Église chrétienne et les violences juridiques .............................. 61 4. Conclusion .................................................................................... 62
B. Les moyens de lutte de l’Église contre les atteintes à la dignité humaine…………………………………………………………………...62
1. La sacralité de la personne humaine ............................................ 63 a. La sacralité de l’image de Dieu .................................................. 63
b. De la sacralité à la sainteté de la personne ............................... 65 2. L’Église, une armée d’amour, de paix et de piété ......................... 65
a. La désobéissance comme service rendu à l’Empire .................. 65
b. La piété comme moyen de lutte contre les injustices ................. 66 c. L’humilité volontaire comme moyen de paix .............................. 67
3. Conclusion .................................................................................... 69
II. Les effets de la politisation du christianisme sur la dignité humaine ……………………………………………………………………………….. 70
A. L’officialisation du christianisme au sein de l’Empire ........................ 70
1. De la persécution à la reconnaissance ......................................... 70 a. De la persécution ....................................................................... 70 b. A la reconnaissance ................................................................... 71
2. La politisation de l’Église .............................................................. 72
a. L’influence de Constantin Ier ...................................................... 72 b. L’influence de Théodose Ier ........................................................ 73
3. Conclusion .................................................................................... 74
B. Bilan de la politisation du christianisme sur la dignité humaine ........ 75 1. Le retour à une conception posturale de la dignité humaine......... 75
a. La perte des repères religieux ................................................... 75 b. Le rôle des objecteurs de conscience ........................................ 76
2. Le Colonialisme comme conséquence de la négation des droits de l’homme ....................................................................................... 77
a. L’histoire controversée des premières explorations ................... 77
b. Le rôle déterminant de l’Église dans la colonisation européenne ………………………………………………………………………...78
c. La traite négrière ........................................................................ 79
III. Synthèse du deuxième chapitre ........................................................ 82
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine 83
I. Imago Dei, l’homme à l’image de Dieu ............................................. 86 A. La conception chrétienne de la dignité ............................................. 87
1. Une conception ontologique et posturale ...................................... 88 2. Une conception qui intègre l’inhumain .......................................... 89
B. La conception chrétienne de la personne ......................................... 90
1. Les états d’âme de la personne humaine ..................................... 92
Table des matières
a. L’humain en tant qu’espèce ....................................................... 93
b. L’humain en tant que personne ................................................. 94
2. La mort est l’inverse de la création ............................................... 94 3. « Vous ne mourrez point » ............................................................ 96
II. Vers une éthique chrétienne de la dignité humaine ........................ 97 A. Dieu n’est pas mort, loin de là .......................................................... 97 B. La création comme phare de l’humanité .......................................... 99
1. La cohabitation de la théologie et du darwinisme ....................... 101
2. La folie de la foi ........................................................................... 101 C. Compassion et bienveillance comme clés du respect de la dignité
humaine ......................................................................................... 102 1. Le mal n’est pas une fatalité… .................................................... 102 2. …Dieu nous offre la liberté comme remède ................................ 103
3. La Parole valorisante pour l’humain ............................................ 105 4. La compassion n’est pas qu’un sentiment .................................. 105
III. Synthèse du troisième chapitre ...................................................... 108
Conclusion ................................................................................................ 111
Bibliographie ............................................................................................. 119
I. Sources primaires ............................................................................ 121
II. Instruments de travail ...................................................................... 124
III. Théologie .......................................................................................... 125
IV. Histoire .............................................................................................. 128
V. Philosophie et droit .......................................................................... 132
VI. Sociologie – Anthropologie - Éthique ............................................ 135
VII. Divers ................................................................................................ 139
VIII. Ouvrages consultés ..................................................................... 141
Liste des annexes ..................................................................................... 143
Table des matières
Introduction
____
1
Introduction
Introduction
____
2
Introduction
____
3
Dans les sociétés du XXIe siècle, la dignité humaine est un principe de
première importance dans les sphères morale, juridique et politique, au point
d’être invoquée de façon routinière dans tous les grands débats de société1. Cela
est dû à l’indissoluble association entre le concept de dignité et celui des droits de
l’homme2 que nous retrouvons comme fondations et comme motivations principales
de la raison d’être des Nations Unies. Cette raison d’être se manifeste dans toutes
les déclarations officielles, à commencer par la Charte des Nations Unies (CNU)
ainsi que dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme
(DUDH), qui ont vu le jour sous l’égide des États-Unis au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale et de ses atrocités, plaçant ainsi la question des droits de l’homme
au centre du débat public.
Mais la difficulté à définir ce que sont exactement la dignité et la personne
humaine n’en facilite pas l’application concrète dans un monde multipolaire et
multiculturel. Pour autant, une certaine unité face à ce qui y porte atteinte semble
exister. C’est ce qu’a démontré la réponse internationale à la suite d’une enquête
du Sénat américain en décembre 2014, condamnant les multiples violations des
droits de l’homme des terroristes présumés à Guantanamo3. Outre des pays
occidentaux, comme la France ou le Royaume-Uni, ainsi que des organisations non
gouvernementales comme l’Organisation des Nations Unies (ONU), d’autres pays
à la tradition humaniste moins bien ancrée ont fait entendre leur voix, tels que
l’Afghanistan, à travers son président Ashraf Ghani dénonçant les « actions
inhumaines » des États-Unis. De même, le ministre des Affaires étrangères de la
Chine rappelle « l’opposition de son pays à la torture » et invite « les USA à se
conformer au droit international ». Le chef suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali
1 Jeremy WALDRON, Dignity, Rank, and Rights [en ligne], 21.04.2009, disponible sur
<https://tannerlectures.utah.edu/_documents/a-to-z/w/Waldron_09.pdf>, (consulté le 14 mai 2018).
2 Karsten LEHMKUHLER, « Droits de l’homme », in Dictionnaire encyclopédique d’éthique
chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 1941-1958.
3 US SENATE, Committee Study of the Central Intelligence Agency’s Detention and Interrogation
Program together with Foreword by Chairman Feinstein and Additional and Minority Views [en
ligne], 09.12.2014, disponible sur <https://www.intelligence.senate.gov/study2014/sscistudy1.pdf>,
(consulté le 14 mai 2018).
Introduction
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Khamenei, quant à lui, décrit sur Tweeter les États-Unis comme « un symbole de
tyrannie contre l’humanité » tandis que la Corée du Nord s’exprime sur le double
standard du Conseil de Sécurité4.
Nous le voyons, le concept des droits de l’homme ne laisse personne
indifférent et la notion de dignité humaine sert souvent à justifier « une
protestation d’ordre moral contre un état de choses présent5 » tout en étant
instrumentalisée et mise au profit de causes parfois contradictoires. Le cas de
Vincent Lambert, dans un état végétatif depuis plusieurs années à la suite d’un
accident de la route, illustre ce paradoxe. D’un côté son épouse, certains de ses
frères et sœurs ainsi que son médecin traitant font mention d’une « obstination
déraisonnable6 » et en appel à la dignité humaine afin de militer pour un arrêt des
soins, tandis que de l’autre côté, d’autres proches (dont ses parents) ainsi que
d’autres professionnels médicaux font appel au même concept pour invoquer le
respect de la vie7. Par cet exemple, nous comprenons l’importance de la dimension
subjective du concept de dignité. Ce qui relève de la dignité peut être interprété
différemment selon la finalité que l’on désire. Mais alors, malgré tout, par quel(s)
critère(s) peut-on caractériser la dignité humaine ?
Pour ce faire, l’Église adventiste du septième jour ancre sa réflexion
théologique sur la nécessité de traiter chaque être humain avec dignité et respect
4 Ray SANCHEZ, World reacts to U.S. torture report [en ligne], 11.12.2014, disponible sur
<http://edition.cnn.com/2014/12/10/world/senate-torture-report-world-reaction/index.html>,
(consulté le 14 mai 2018).
5 Marc VIAL, Image de Dieu, dignité et personne humaine. Parcours dans l’Antiquité et le Moyen
Âge, UE7-Ethique fondamentale, Cours 1, Théologie fondamentale, Strasbourg, Université de
Strasbourg, 2016, p. 1.
6 Alexandre BAUDET, Le médecin de Vincent Lambert veut arrêter les traitements face à une
« obstination déraisonnable » [en ligne], 09.04.2018, disponible sur
<https://www.huffingtonpost.fr/2018/04/09/le-medecin-de-vincent-lambert-veut-arreter-les-
traitements-face-a-une-obstination-deraisonnable_a_23406524/>, (consulté le 14 mai 2018).
7 TRIBUNE COLLECTIVE, L'appel de 70 médecins : « Il est manifeste que Vincent Lambert n'est
pas en fin de vie » [en ligne], 20.04.2018, disponible sur
<http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/04/18/31003-20180418ARTFIG00261-l-appel-de-70-
medecins-il-est-manifeste-que-vincent-lambert-n-est-pas-en-fin-de-vie.php>, (consulté le 14 mai
2018).
Introduction
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en tant qu’être créé à l’image de Dieu. C’est ainsi qu’elle accorde une attention
particulière à la dignité humaine8 comme nous pouvons le voir à travers ses
positions historiques contre l’esclavage9 et son attachement à lutter pour la liberté
de l’humain, particulièrement celle touchant sa liberté de conscience et de
religion10. En dépit des nombreuses interrogations éthiques qu’apportent les
récentes évolutions sociétales, cet engagement pour le respect de la dignité
humaine se poursuit notamment par la récente prise de position – certes
controversée – du Comité exécutif de l’Église adventiste sur le transgendérisme au
printemps 201711. Mais face aux sciences humaines teintées de darwinisme,
l’Église peut-elle encore maintenir son éthique12 de la dignité fondée sur l’imago
Dei ?
Cela nous amène à notre problématique, à savoir : en quoi les racines
8 « En dépit de la chute, une certaine dignité humaine subsiste. Bien qu’elle ait été altérée, l’image
de Dieu dans l’homme n’a pas totalement disparu. Malgré la chute, la corruption et le péché,
l’homme demeure le représentant de Dieu sur la terre. Sa nature n’est pas divine, cependant il
conserve une position de dignité en qualité de gestionnaire de la création terrestre. » GENERAL
CONFERENCE OF S.D.A. MINISTERIAL ASSOCIATION, Ce que croient les adventistes... 28
vérités bibliques fondamentales, 2e éd. (1re éd. 2015), Dammarie les Lys, Vie et Santé, 2016, p. 101.
« Le véritable amour du prochain pénètre la couleur de la peau et considère l’humanité de la
personne, il refuse de se cacher derrière le paravent de la caste mais contribue à l’enrichissement
de l’âme, il libère la dignité d’une personne des préjugés déshumanisants ; il libère la destinée
humaine de la philosophie dégradante du matérialisme. En fait, l’amour véritable voit dans chaque
visage l’image de Dieu, potentielle, latente, ou réelle. » Ibid., p. 151.
9 « When the laws of men conflict with the word and the law of God, we are to obey the latter,
whatever the consequences may be. The law of our land requiring us to deliver a slave to his master,
we are not to obey; and we must abide the consequences of violating this law. The slave is not the
property of any man. God is his rightful master, and man has no right to take God’s workmanship
into his hands and claim him as his own. » Ellen WHITE, Testimonies for the Church, vol. 1,
Oakland, Pacific Press Publishing Association, 1855, p. 201-202.
10 C’est la raison pour laquelle l’Église adventiste du septième jour contribue activement à
l’Association internationale pour la défense de la liberté religieuse (AIDLR) ainsi qu’à l’Association
internationale de la liberté religieuse (AILR), deux organisations à la dimension universelle.
11 Statement on transgenderism, 04.11.2017 éd., disponible sur
<https://executivecommittee.adventist.org/wp-content/uploads/2017/04/111G-Statement-on-
Transgenderism.pdf>, (consulté le 14 mai 2018).
12 Dans son acception contemporaine et générale, l’éthique est une « science qui traite des principes
régulateurs de l'action et de la conduite morale » sous-tendant les définitions et les valeurs de notre
société. Éthique [en ligne], disponible sur <http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%89thique>,
(consulté le 14 mai 2018). Dans le cadre de ce travail, nous adopterons la définition donnée par la
commission d’éthique de l’Union Franco-Belge (UFB) qui définit l’éthique comme étant « l'étude
méthodique et générale des raisons des conduites humaines. » L’UFB la considère « comme une
réflexion sur la morale, sur ses fondements et sur ses enjeux. » Commission d’éthique de l’UFB,
Pour une éthique adventiste [en ligne], disponible sur
<http://www.adventiste.org/upload/document/1317889398_01.pdf>, (consulté le 14 mai 2018).
Introduction
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6
théologiques de la dignité humaine ont-elles défini une éthique chrétienne et cette
dernière est-t-elle toujours d’actualité ?
À travers ce travail, nous chercherons à démontrer que l’imago Dei est le
cadre herméneutique par excellence pour un respect durable de la dignité humaine
en identifiant l’apport éthique et théologique du judéo-christianisme aux
fondements qui soutiennent le caractère transcendant et universel de la dignité
humaine.
Bien entendu, au vu de l’étendue, de la complexité du sujet et du cadre
limité de ce mémoire, nous ne pourrons traiter tous les aspects gravitant autour
de la dignité. Parmi les aspects importants que nous n’aborderons pas se trouvent
les notions de droit naturel13, de souffrance, de péché, du mystère du mal, de nature
de l’homme et d’eschatologie. Il sera possible de retrouver en partie ces acceptions
à travers les définitions que nous donnerons de la dignité humaine.
Pour commencer, nous avons choisi de clarifier sur le plan théorique les
différentes acceptions, les évolutions et l’importance du concept de dignité ainsi
que celui de la personne humaine à travers le prisme de l’étymologie, de
l’anthropologie, de la philosophie et du droit. Puis nous étudierons l’importance de
l’influence religieuse et théologique dans la conception moderne de la dignité de la
personne humaine.
Notre deuxième chapitre sera centré sur l’extraction de données
historiques à partir de sources anciennes mettant en lumière la vision et les
pratiques de l’Église des premiers siècles que les théologiens et les Pères de l’Église
13 Le droit naturel a été développée premièrement par les sophistes de la Rome antique puis dans
le Droit Canon de l’Église catholique romaine et enfin, dans une conception plus moderne dans la
philosophie des Lumières par Thomas Hobbes, Montesquieu, John Locke, et Jean-Jacques
Rousseau. Le droit canonique (du grec kanôn signifiant règle ou modèle) est une science sacrée
sujette aux décisions de l’Église et dont l’objectif est de régler son organisation et son activité
interne. Il est d’usage depuis le Concile de Nicée en 325. Stéphane BAUZON, « Droit Canon », in
Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 654-657.
Introduction
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7
de la période apologétique se sont efforcés de transmettre. Notre hypothèse de
travail consistera à admettre que la mentalité et les pratiques véhiculées par ces
textes nous permettent de mieux appréhender le texte biblique et l’éthique judéo-
chrétienne. Nous mettrons ensuite cette éthique en face-à-face avec les
développements historiques de la chrétienté et nous essayerons de comprendre
l’origine des déviances constatées.
Pour finir, nous nous efforcerons d’établir, grâce aux éléments des deux
premiers chapitres, quelques fondements en vue d’une ébauche d’éthique
chrétienne de la dignité de la personne humaine sur la base de la conception
biblique de l’humain en tant qu’être créé à l’image de Dieu.
Introduction
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8
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9
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la
personne humaine
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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10
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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11
Afin de développer notre hypothèse de recherche en retraçant l’apport
incontournable du christianisme à l’acception contemporaine du concept de dignité
humaine, il nous faut dresser l’état de la question concernant les débats actuels
qui entourent la compréhension et l’usage de la dignité de la personne humaine au
XXIe siècle. Pour ce faire, il nous a paru judicieux de procéder en deux étapes.
Premièrement, nous aurons une approche sémantique et conceptuelle cherchant à
définir le concept de dignité et celui de personne humaine. À travers elles, nous
découvrirons que les notions de dignité et de personne ont une riche histoire
conceptuelle qu’il est nécessaire de comprendre afin de mieux en appréhender les
enjeux théologiques. Deuxièmement, nous verrons à travers l’histoire du
développement du droit international que ces concepts dépassent le cadre
théorique et sont d’une importance cruciale pour l’épanouissement social et
ecclésial.
I. Vers une définition de la dignité humaine
A. Introduction aux conceptions de la dignité humaine
De la Procréation Médicalement Assistée (PMA) à l’euthanasie, en passant
par l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), la burqa ou le sadomasochisme14,
la dignité apparaît comme un principe indispensable et incontournable dans toute
discussion relative aux droits fondamentaux de nos démocraties, qu’ils soient
politiques, juridiques, médicaux, philosophiques ou religieux. Selon le spécialiste
de droit public Étienne Picard, l’usage de ces droits fondamentaux comme
argument d’autorité est dangereux car il ne tient pas compte des hiérarchies
internes pouvant exister : « Ainsi compris et détournés de leur sens, les droits
fondamentaux — en particulier le droit à la dignité humaine susceptible de tout
14 Le cas de Laskey, Jaggard et Brown c/ Royaume-Uni, 19 février 1997 est représentatif. Lors
d’une enquête, la police britannique tombe sur des vidéographies à caractère sadomasochiste
consistant en de mauvais traitements des parties génitales (coup, cire chaude, hameçons et
aiguilles). La condamnation de la justice britannique, axée sur l’atteinte à la dignité humaine, fut
renversée par la Cour européenne des droits de l’homme sur le principe du caractère consenti des
pratiques ne remettant pas en cause l’autonomie des participants.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
____
12
recouvrir — pourraient entraîner de graves ravages15. »
Ainsi, l’usage intensif d’un concept, même fondamental, n’est pas sans
conséquence et a tendance à en diluer l’importance, au point que l’on pourrait se
demander s’il ne faut pas en cantonner l’invocation aux champs sémantiques de la
morale, des valeurs et de la religion, considérés aujourd’hui comme appartenant
au domaine subjectif du privé16. De plus, les approches de la dignité humaine sont
aussi diverses que les cultures, les savoirs et les croyances qui nourrissent les
débats, accentuant par là même, l’urgence et la « nécessité d’un accord universel
minimal autour d’un principe commun à toute l’humanité, au sein […] des
conceptions de l’humanité elle-même17 ».
Afin de tendre vers cet accord minimal, il nous paraît pertinent de
commencer par interroger le concept de dignité au niveau de son étymologie, puis
nous verrons qu’il est possible d’en identifier non pas une, mais trois grandes
conceptions : la conception posturale, la conception ontologique et la conception
interactionnelle.
1. L’étymologie
a. Dans la langue française
C’est vers la fin du XIe siècle que le mot dignité émerge du latin dignitas
(ayant pour racine decere : convenir, être convenable) afin de rendre compte de la
fragmentation de la société féodale naissante regroupée autour de trois ordres
hiérarchiques principaux : la noblesse, le clergé et le tiers état. Le champ
sémantique se renforcera aux siècles ultérieurs avec le mot indigne (du latin
indignus) faisant son apparition à la fin du XIIe siècle et le mot indignation au
début du XIIIe siècle18.
15 Étienne PICARD, « L’émergence des droits fondamentaux en France », Actualité juridique du
droit administratif HS (1998/07), p. 7.
16 Muriel FABRE-MAGNAN, « La dignité en Droit : un axiome », Revue interdisciplinaire d'études
juridiques 58 (2007/01), p. 2.
17 Thomas DE KONINCK, Gilbert LAROCHELLE, La dignité humaine, Paris, PUF, 2005, p. 11.
18 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. Précisions sémantiques et conceptuelles à propos de cet impératif catégorique »,
L’information psychiatrique 92 (2016/03), p. 231.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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13
À ses débuts dans la langue française, le mot dignité est employé afin de
désigner un mérite, c’est-à-dire l’ensemble des qualités qui font qu’une personne
est reconnue comme différente des autres. Cette différence permet de faire une
distinction de valeur et rend compte de l’élévation d’une personne, ce qui la
singularise. Ainsi comprise, elle permet de désigner la noblesse et le clergé comme
différents, supérieurs aux autres, et s’oppose donc au concept juridique plus tardif
d’égalité19.
La dignité au sens strict est toujours employée pour désigner ce qui est
singulier et inhabituel et par conséquent digne d’une considération particulière.
Elle est également toujours valorisante pour la personne ou pour la chose à laquelle
elle est attribuée. Et c’est parce qu’elle crée une différence entre ce qui est digne et
ce qui ne l’est pas qu’elle peut devenir dangereuse lorsqu’elle est utilisée dans un
contexte utilitariste20 et qu’elle sert à trier les êtres jugés dignes de ceux qui ne le
seraient pas21.
b. Dans la langue latine
Au niveau littéraire, nous retrouvons sous la plume de l’homme politique,
écrivain et philosophe romain Marcus Tullius Cicero (106-43 BCE), dit Cicéron, les
différentes acceptions du terme dignitas que connaissait le monde latin : valeur,
considération, renommée ou réputation. Dans son traité De l’Invention22, Cicéron
attribue à dignitas tantôt le sens de dignité, tantôt celui de prestige, ou encore celui
de valeur, mais nous comprenons par ses écrits que l’acception majoritaire du
terme dignitas dans l’Antiquité est celle d’une hiérarchisation de la personne, selon
qu’elle est porteuse d’un rang élevé et honorable, soit dans la société, soit dans la
19 Ibid., p. 233.
20 John Stuart Mill et Jeremy Bentham sont considérés comme les pères de l’utilitarisme dont la
philosophie centrale consiste à justifier les moyens, quels qu’ils soient, par la fin vertueuse que l’on
souhaite obtenir. Jeremy Bentham est également le père des prisons modernes dont l’objectif est
d’exercer sur les détenus une pression psychologique forte comme dissuasion aux crimes futurs.
Comme nous allons le voir, l’utilitarisme s’oppose frontalement à la conception kantienne de la
dignité. Hans JOAS, Comment la personne est devenue sacrée, trad. TETAZ Jean-Marc, Genève,
Labor et Fides, 2016, p. 84.
21 Dans ce domaine, l’esclavage colonial ainsi que la politique nazie de l’Aktion T4 nous offrent de
bien sombres exemples.
22 CICÉRON, De l’Invention, trad. ACHARD Guy, Paris, Les Belles Lettres, 1994, p. 223-224.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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nature. Il s’agit d’un prestige lié à une charge ou à une fonction importante, qui est
par conséquent principalement attribué aux personnes politiques23 ayant une
prépondérance particulière liée à leurs fonctions : « Le respect consiste dans les
marques de déférence qu’on témoigne aux hommes supérieurs en mérite et en
dignité24. »
Dans la citation qui suit, Cicéron fait la différence entre d’une part la
personne libre et digne parce qu’inévitablement tenant une position publique
(magistrature), et d’autre part, l’esclave qui ne peut donc être qu’un « simple
particulier », une personne sans dignité, car incapable, du fait de son statut, de
tenir une position publique et donc prestigieuse :
La fortune peut aussi fournir des arguments : on considère alors si l’accusé est, a
été, ou sera esclave ou libre, riche ou pauvre, illustre ou inconnu, heureux ou
malheureux ; si c’est un simple particulier, ou s’il est revêtu de quelque dignité25.
c. Dans la langue grecque
Selon le BDAG26, le mot dignité a pour racine le mot grec semnós (aussi
semnotes : sainteté, probité, équivalent du latin gravitas) qui sert à évoquer le
caractère digne de louange, d’approbation et de respect spécial lorsqu’il sert à
désigner un être humain ; quand il s’agit d’une divinité, il évoque la transcendance,
la révérence ou le caractère auguste. Quant au ISBE27, il renvoie au mot grec doxai
que nous retrouvons dans les textes bibliques (2 P 2.10 ; Jd 8) en référence aux
anges. Nous pouvons également mentionner le mot grec axios28 (ce qui est
convenable, ce qui vaut, ce qui mérite) qui a donné naissance au concept d’axiome.
Or, c’est justement en tant qu’axiome que le droit fait intervenir le concept de
23 Marc VIAL, Image de Dieu, dignité et personne humaine. Parcours dans l’Antiquité et le Moyen
Âge, cours 3, p. 20.
24 CICÉRON, Œuvres complètes de Cicéron LIII [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/invention2.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
25 CICÉRON, Œuvres complètes de Cicéron IX [en ligne], (consulté le 14 mai 2018).
26 Arndt WILLIAM, Frederick DANKER, Walter BAUER et al., A Greek-English Lexicon of the New
Testament and Other Early Christian Literature, 3e éd. (1re éd. 1957), Chicago, University of
Chicago Press, 2000, p. 919.
27 « Dignities, Dignity », in James ORR, John NUELSEN, Edgar MULLINS et al., The International
Standard Bible Encyclopaedia, Chicago, The Howard-Severance Company, 1915, p. 849.
28 Muriel FABRE-MAGNAN, « La dignité en Droit : un axiome », p. 3.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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dignité humaine, car l’« axiome exprime une proposition évidente de soi, échappant
à toute démonstration, et s’imposant par un principe d’évidence ou autrement de
certitude qui entre dans la constitution de l’esprit humain29 ».
Voyons à présent les conséquences d’une telle étymologie sur les
conceptions de la dignité humaine.
2. La conception posturale
La conception dite posturale s’impose d’emblée à travers la définition
étymologique et cicéronienne de la dignité. Cette conception est celle des sociétés
qui valorisent les différences, les affichent et en font des critères méritoires de la
dignité. Dans de telles sociétés, les esclaves, les serfs, les enfants, les femmes ou
les personnes handicapées subissent le questionnement de leur propre mérite et
leurs différences exacerbées nécessitent un jugement, une évaluation pour savoir
comment les traiter :
Quant aux lieux communs, la cause elle-même, si elle est susceptible d’exciter la
pitié ou l’indignation, la nature et l’utilité du droit vous en fourniront un grand
nombre de solides, que vous pourrez, que vous devrez même employer, si la dignité
du sujet vous semble l’exiger30.
Sous l’Ancien Régime, les ordres de la noblesse, du clergé et du tiers état
servaient à catégoriser les individus selon les critères mentionnés ci-dessus, et à
évaluer l’attribution des mérites, des statuts, de la reconnaissance et des
privilèges. C’est contre cet état de fait que la Révolution française du 4 août 1789
va opposer sa conception de la personne sans qualités et introduire dans le droit
français la conception ontologique de la dignité humaine31. La conception
ontologique de la dignité va abolir la conception posturale des noblesses et des rois
de droit divin, en refusant la distinction d’essence et de nature au sein des hommes.
Cependant, cette égalité naturelle32, en partie à l’origine du fameux « les hommes
29 Alain SUPIOT, Homo Juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Paris, Éditions
du Seuil, 2005, p. 37.
30 Cicéron, Œuvres complètes de Cicéron XXIII [en ligne], (consulté le 14 mai 2018).
31 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. », p. 234.
32 Notion qui renvoie au concept de droit naturel abordé en introduction.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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naissent libres et égaux en droits » ne durera pas longtemps. La Terreur et la
bourgeoisie issues de la Révolution vont restituer des distinctions posturales au
sein de la société, à travers le totalitarisme idéologique pour la première et à
travers le totalitarisme économique pour la seconde33.
3. La conception ontologique
Dans la conception ontologique, la dignité est un a priori, un en-soi
indépendant des personnes qui le portent, en opposition avec la conception a
posteriori, du pour-soi qui comprend la dignité comme une valeur méritoire
extérieure, rattachable à la personne. L’homme, dans la conception ontologique
idéale, possède une valeur absolue, inaliénable et indivisible.
Si depuis Cicéron (et probablement avant lui) des éthiques religieuses et
philosophiques réfléchissent à la dimension universelle de la dignité humaine, ce
n’est qu’à partir du 18e siècle que ces réflexions vont aboutir à une codification
juridique se voulant normatif pour l’ensemble des citoyens des pays qui les
produisent et au-delà dans une perspective universaliste de la morale34.
La conception ontologique se décline en trois particularités : la conception
cartésienne et la conception kantienne d’une part et la conception chrétienne
d’autre part que nous traiterons dans le troisième chapitre.
a. La conception cartésienne
La conception cartésienne de la dignité se caractérise par l’importance
accordée à la raison et à l’intelligence comme éléments irréductibles de l’humain
sur lesquels repose sa dignité. Elle s’expose à la tentation de la toute-puissance qui
fait la promotion de l’homme en tant que maître et possesseur de la nature, de sa
nature (idéal philosophique des stoïciens). Et puisque l’homme cartésien se croit
au contrôle de tout, y compris de lui-même, il place la valeur ultime de sa personne
dans l’autonomie, l’indépendance, le libre arbitre, et il supporte mal ce qui pourrait
lui échapper : les émotions, les réflexes corporels involontaires (sécrétions ou
excrétions). Toute réduction d’autonomie entraîne une remise en cause de la
33 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. », p. 234.
34 Hans JOAS, Comment la personne est devenue sacrée, p. 10.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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perception de l’humanité qui l’habite, voire qui habite l’autre. Le risque pour la
conception cartésienne est de placer l’intellect (ou l’âme) humain sur un tel
piédestal, qu’il peine à penser l’homme lorsque ce dernier, étant donné ses
limitations corporelles, se différencie trop de la perception qu’il a de son âme35. Dès
lors, il n’est plus tabou de suggérer qu’il soit préférable de mourir dans la dignité,
plutôt que de vivre privé de ses caractéristiques humanisantes.
b. La conception kantienne
La particularité de la conception kantienne de la dignité est sa dimension
ontologique radicale qu’elle applique à la personne humaine, qu’elle se refuse de
définir, et donc de réduire. La personne n’est pas seulement un être hors de prix,
elle est sans prix. Sa dignité ne s’évalue ni ne se mesure, et puisque rien chez
l’humain ne s’offre à la critique de sa dignité, rien chez l’humain ne peut être
relativisé.
Chez Kant, la dignité ne peut pas se perdre puisqu’elle constitue l’essence
même de la personne humaine. Le bourreau comme sa victime restent tous deux
des personnes et donc toutes deux sont et demeurent dignes, quelles que soient les
circonstances, même lorsque l’individu perd le sentiment de sa dignité36. Cette
conception de la dignité est celle qui soutient les déclarations internationales
portant sur les droits de l’homme et qui se rapproche le plus de la conception
chrétienne, dont elle est fortement inspirée.
Elle se heurte cependant à une limite. La conception kantienne de la
dignité s’applique à l’humain en tant que personne et celle-ci doit pouvoir être en
mesure de manifester une conscience de soi, de s’affirmer par un je même pensif.
Autrement dit, la conception kantienne s’applique aux êtres dotés d’une conscience,
35 La difficulté du cartésien est qu’il considère l’âme humaine comme fondamentalement bonne à
la façon de Socrate qui, dans Le Gorgias énonce ce qui lui paraît être une vérité première : « Nul
n’est méchant volontairement ». Cet absolu suppose un individu en pleine possession de ses moyens
intellectuels, capable de se différencier de la bête sauvage ou du légume, termes souvent employés
pour désigner un humain dépossédé de toutes ses facultés intellectuelles et motrices. Pour en
savoir plus sur la pensée de Socrate : Adèle VAN REETH, La méchanceté 1/4 : Socrate. Nul n'est
méchant volontairement [en ligne], 09.06.2014, disponible sur
<https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/la-mechancete-
14-socrate-nul-nest-mechant>, (consulté le 14 mai 2018).
36 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. », p. 235.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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et pourrait exclure les fœtus ou les malades en état végétatif (voir annexe 1).
4. La conception interactionnelle
Cette conception est délicate, car elle fonde sa conception de la dignité sur
le respect autant dans la sphère publique (à l’image de la conception posturale) que
privée. Si la dignité se définit traditionnellement comme une caractéristique
rationnelle (je suis digne parce que je possède une caractéristique posturale ou
ontologique), le respect est un sentiment, un ressenti (je suis digne parce que je me
sens respecté/considéré). Si le respect est une conséquence dans les autres
conceptions de la dignité, la conception interactionnelle définit le respect comme
préalable à la dignité : « Elle est conférée par le regard d’autrui sur moi, celui que
je porte sur lui37 ».
Parce que cette conception de la dignité est dépendante du regard porté,
elle cherche sans arrêt à s’affirmer dans le rapport à l’autre, dans ce qui fait qu’il
nous remarque, donc dans la différenciation et dans l’opposition. Cela en fait une
dignité contextuelle, relationnelle et interactionnelle38. Elle est à la fois passive,
car elle subit le regard de l’autre, mais elle peut également devenir active en
adjugeant l’autre d’un regard selon la hauteur de la dignité qu’on lui octroie. Bien
que cette conception revendique la fraternité, elle oublie que le respect est un
principe à double tranchant : nous pouvons respecter l’un tout en tenant l’autre en
respect.
Chantal Delsol, professeure émérite de philosophie politique de l’université
de Paris-Est, fait remarquer que la conception interactionnelle de la dignité
remplace le caractère ontologique par la sensibilité, qui devient ainsi le seul repère
du bien (le bonheur et le bien-être) et du mal (le malheur et le mal-être) :
À partir du moment où la sensibilité représente le critère du respect, il y a échelle
du mal et échelle du respect au fur et à mesure de l’échelle de la sensibilité. Dès
lors, l’espèce-homme n’est plus la mesure de toute chose, mais l’individu. L’espèce-
homme n’est plus insulaire, séparée, comme elle l’était sous la Chrétienté. Un
37 Ibid.
38 Ibid.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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homme est respectable parce que capable de souffrir, et un homme qui ne souffre
pas perdra ce statut39.
Cette conception de la dignité, populaire dans les idéologies du post-
modernisme et du transhumanisme, est préoccupante, car elle fait dépendre du
subjectif le degré auquel nous considérons l’autre comme digne. Elle crée
également une tension, car si le sujet en souffrance est entouré d’une fraternité
bienveillante, sa souffrance même est assimilée au malheur et donc au mal. Et ce
mal doit être éradiqué. Le surhomme dont rêve le transhumanisme, libéré des
maladies et des contraintes de la souffrance et de sa corporalité, est ainsi plus
enviable, car perçu comme ayant un vécu plus heureux, tandis que l’individu
atteint de trisomie 21 sera considéré comme moins digne parce que vivant une vie
de souffrance difficilement respectable, d’autant plus si elle est jugée inutile, car
évitable grâce aux avancées du diagnostic préimplantatoire40 (DPI). Ce qui n’est
pas sans créer un paradoxe.
5. Conclusion
Nous venons de voir l’étymologie du mot dignité ainsi que ses trois
représentations conceptuelles majeures : posturale, ontologique et
interactionnelle. Nous avons vu les limites de chacune de ces conceptions, et la
possibilité d’une déshumanisation de ceux et de celles qui n’entreraient pas dans
ces définitions. Nous allons à présent nous pencher sur cette distinction qui a été
soulevée entre « l’espèce-homme » et la personne en étudiant les conceptions
possibles de la personne humaine.
39 Chantal DELSOL, Digne parce qu’il souffre [en ligne], 01.2013, disponible sur
<https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2013-1-p-31.htm>, (consulté le 14 mai
2018).
40 La DPI (diagnostic préimplantatoire) est une pratique de plus en plus répandue dans la
biomédecine afin de diagnostiquer chez le fœtus des maladies graves, et dans le cas des FIV, les
embryons jugés viables ou pas. Le biologiste Jean-Marc Bouvet attire notre attention sur les
dangers de dérive de telles pratiques. Jean-Marc BOUVET, Le XXIe siècle sera-t-il eugéniste ? [en
ligne], 02.05.2018, disponible sur <http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-francois-bouvet-le-
xxie-siecle-sera-t-il-eugeniste-02-05-2018-2215083_32.php#xtmc=le-xxie-siecle-sera-t-il-
eugeniste&xtnp=1&xtcr=1>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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B. Introduction aux conceptions de la personne humaine
Si la notion de dignité humaine a démontré son importance,
particulièrement en tant que concept ontologique, nous avons vu qu’elle a révélé la
difficulté à définir ce qu’est l’homme41. Elle a également souligné la distinction
possible entre l’humain, considéré comme un corps42 assimilable par la biologie à
l’espèce humaine, et la personne qui en est le mystère transcendant.
Il existe aujourd’hui plusieurs façons d’appréhender l’être humain. Après
une tentative de définition étymologique, nous étudierons quelques éléments
d’anthropologies sociologique et philosophique.
1. L’étymologie
Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales
(CNRTL)43, le mot humain en tant qu’adjectif peut se référer « à ce qui est formé,
composé d’hommes (le genre humain ; concentration, race, société humaine) » ou
désigner « ce qui appartient à l’homme, qui lui est propre ». Mais quel est justement
le propre de l’homme ? Quels sont ses attributs qui justifient le traitement
particulier dont il est l’objet ?
Le champ lexical permettant de désigner un représentant de l’espèce
humaine est trop large pour que nous puissions en couvrir l’ensemble dans ce
travail. Nous nous focaliserons donc sur les termes les plus fréquemment employés
dans les conceptions de la dignité à savoir les mots homme/humain et personne.
a. Homme/humain
Le mot homme, interchangeable avec le mot humain, dérive de l’ancien
41 Ainsi que l’ensemble des dérivés du champ lexical : l’humain, l’humanité, l’espèce humaine.
42 Longtemps dénigré et oublié par la dissociation entre l’âme et le corps, y compris dans les
représentations philosophiques récentes, le corps revient en force en tant que caractéristique
essentielle de l’humain et se renouvelle au milieu des controverses provoquées par les innovations
de la science médicale, de l’ingénierie génétique, des technologies thérapeutiques et de tous les
autres secteurs touchés par la révolution biologique et technologique. « Au vrai, comme s’il le
suscitait même, le progrès des sciences s’accompagne du retour en force de l’humain, naguère
déclaré "de trop". » in Thomas DE KONINCK, Gilbert LAROCHELLE, La dignité humaine, p. 9.
43 CNRTL, Humain, -aine [en ligne], disponible sur <http://www.cnrtl.fr/definition/humain>,
(consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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21
français home, hom, hume, omme et désigne dans son acception première (autour
du Xe siècle) l’être ou l’individu humain faisant partie de la classification des Homo,
différenciable des animaux44. Ces termes sont eux-mêmes repris du latin. Selon le
CNRTL, c’est à partir du XIe siècle que le mot homme en vient à désigner également
un individu de sexe masculin, en remplacement du latin vir qui a donné les mots :
virile et virilité.
En grec, c’est le mot anthropos qui désigne l’homme dans son acception
générale d’humain, mâle et femelle. Selon le BDAG ce mot désigne une personne
des deux sexes, un être humain, un être différenciable des animaux45. Aristote
reprend cette dernière acception en parlant de l’homme en tant que créature
différenciable des animaux en raison de la noblesse que lui confère la raison46.
Platon attribue à Socrate dans le Gordias47 des principes qui définissent un
anthropos et qui peuvent se résumer par l’exigence de l’homme de se respecter lui-
même et de ne pas s’abaisser à ses propres yeux48, particulièrement à travers
l’avilissement du mal et du mensonge.
La rationalité de l’homme sera le critère principal, du monde gréco-romain
puis du christianisme49, qui le différencie du monde animal et qui lui confère une
44 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. », p. 232 ; Denis MULLER, « Sujet et personne », in Dictionnaire encyclopédique
d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 1941-1958.
45 Arndt WILLIAM, Frederick DANKER, Walter BAUER et al., A Greek-English Lexicon of the New
Testament and Other Early Christian Literature, p. 81.
46 « À première vue, l’homme est naturellement un animal raisonnable en ce que, contrairement au
simple animal qui communique par le cri afin d’assurer sa survie, il communique par le logos pour
vivre mieux. Et pourtant, il est manifeste qu’il existe des usages rhétoriques du langage qui
encouragent l’opinion plutôt que la recherche de la vérité qui, seule, fait de certains hommes doués
du naturel philosophique, des animaux raisonnables. Or ce n’est pas la possession d’un don
exceptionnel mais simplement la maîtrise d’une méthode de recherche de la vérité consistant à
douter des informations sensibles en s’attachant aux intuitions et déductions de la seule raison, qui
fait potentiellement de tout homme un animal raisonnable ». ARISTOTE, La Politique 1253a [en
ligne], trad. SAINT-HILAIRE Jules, disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/tablepolitique.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
47 PLATON, Gorgias ou de la Rhétorique 130a [en ligne], trad. COUSIN Victor, disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/gorgias.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
48 André-Jean FESTUGIÈRE, Grèce Antique (civilisation) – L’homme grec [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/grece-antique-civilisation-l-homme-grec/>, (consulté le 14
mai 2018).
49 Alphonse DE WAELHENS, Homme – La réalité humaine [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/homme-la-realite-humaine/>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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particularité ontologique. L’originalité du christianisme est de lier au concept
d’homme les notions de liberté, d’âme et de responsabilité qui ne jouent pas un rôle
prépondérant dans la pensée grecque50.
b. Personne
Dans le BDAG51, le mot personne est assimilé au mot anthropos que nous
avons vu, mais aussi au mot psychè qui désigne une vie, une âme, un souffle (de
vie) et peut s’appliquer autant à l’humain qu’au animaux. Psychè permet
également de faire la différence entre un être vivant et un être mort.
Selon Nicole Sindzingre, le philosophe Boèce52 (480-524 CE) attribue au
mot latin persona53, dérivé du verbe personare, la signification de résonner, retentir.
Ces termes renvoient au théâtre antique où des masques étaient utilisés pour
servir de porte-voix. La persona est devenue par la suite un signifiant pour un
acteur, un personnage joué, un rôle. On comprend dès lors la transition possible
entre ce personnage joué par un acteur et le rôle social qu’occupent les êtres
humains.
Le rôle social d’un être humain est en effet la première acception du mot
personne dans la vie de tous les jours, renvoyant aux charges, aux responsabilités
et au rang qu’occupaient un homme dans la société romaine. Or, comme nous
l’avons vu, parce que le rang social d’un être est aussi associé à sa dignité, le mot
personne va peu à peu se moraliser afin de désigner la présence ou la conscience
apportée dans l’accomplissement des tâches institutionnelles.
Ce sont les stoïciens qui, les premiers, établiront une éthique de la
personne54 (en grec prosôpon) en lien avec les droits de la personne juridique et
50 Ibid.
51 Arndt WILLIAM, Frederick DANKER, Walter BAUER et al., A Greek-English Lexicon of the New
Testament and Other Early Christian Literature, p. 1098.
52 Boèce est un érudit appartenant à la gens Anicia, l’une des familles aristocratiques les plus
importantes de la fin de l’Antiquité. Il fut consul et maître de palais sous Théodoric. Philosophe de
renom, il introduit la chrétienté du Moyen-Âge à l’exégèse savante des œuvres d’Aristote ainsi qu’à
la scolastique. Nicole SINDZINGRE, Henry DUMÉRY, Personne [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/personne/>, (consulté le 14 mai 2018).
53 Certains chercheurs trouvent cette origine improbable et retracent l’étymologie plutôt à un mot
étrusque phersu qui aurait ensuite donné persuna.
54 Nicole SINDZINGRE, Henry DUMÉRY, Personne [en ligne], (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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morale. Ce concept sera repris par le christianisme qui incorporera également
l’idée néoplatonicienne de la singularité substantielle ou hypostase. Cela fera de la
personne une désignation ontologique et métaphysique, désignant « le principe
ultime d’individuation : à savoir ce qui singularise chacun d’entre nous, ce qui le
singularise non pas accidentellement (par son physique, par sa position dans le
monde), mais substantiellement (comme tel acte d’être, telle position dans
l’être)55. »
Selon Henry Dumery56, bien que les chrétiens n’aient pas inventé le
concept de personne dans son acception transcendantale, ils ont fortement
participé à sa démocratisation et à sa banalisation dans les cultures occidentales
en raison des controverses existantes au sujet de la nature des personnes
Trinitaires. Or, le concept d’imago Dei va permettre au christianisme d’accorder à
tous les hommes la dignité d’un statut de personne qui n’était autrefois réservé
qu’aux élites.
Nous allons à présent passer en revue les anthropologies sociologique et
philosophique afin de voir comment ces compréhensions de l’humain ont été
systématisées par les principaux systèmes de pensées modernes.
2. L’anthropologie sociologique
L’anthropologie sociologique, aujourd’hui fermement ancrée dans la pensée
darwinienne, considère l’humain comme un des chaînons des espèces animales
existantes. Dans cette discipline, il est fait la distinction entre les animaux
humains et les animaux non humains. L’âme humaine, présentée un temps par la
scolastique catholique comme le summum de la création et un don du divin, est
devenue le banal psychique57 des psychologues. Le philosophe américain,
55 Ibid.
56 Professeur de philosophie à l’université Paris-X-Nanterre. Ibid.
57 Banal car partagé avec celui des animaux. La pensée catholique continue à penser l’âme humaine
comme un don de Dieu. La doctrine catholique résout le problème scientifique en distinguant entre
le corps (issue de l’évolution darwinienne) et l’esprit qui est la manifestation de l’âme, implanté par
Dieu au temps opportun. Thierry MAGNIN, Les propos du pape sur le big bang sont-ils
révolutionnaires ? [en ligne], 14.11.2014, disponible sur <https://www.la-
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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24
néopragmatiste athée et militant Richard Rorty, n’hésite pas à comparer les
humains à des « animaux compliqués, sans un extra-ingrédient spécial58 ».
L’anthropologie sociologique recherche l’origine des comportements
humains dans l’évolution biologique et culturelle de tous les êtres vivants. C’est
d’ailleurs en observant les grands singes que des similitudes ont été établies pour
des caractéristiques autrefois considérées comme exclusivement humaines telles
que la morale, la compassion et l’empathie59.
Pour s’assurer de leur supériorité, les hommes ont rabaisse les animaux. On les a
longtemps considérés comme des sortes d’automates vivants, privés de toute
émotion, d’intelligence, de conscience. Cette vision a été mise à mal par les
recherches contemporaines. Dès le début du XXe siècle, les psychologues
américains et allemands ont découvert avec étonnement l’intelligence des
chimpanzés. Puis les études en laboratoire vont révéler l’étendue de l’intelligence
des singes : aptitude a la résolution de problème, a catégoriser, a forger des
représentations mentales, capacités numériques et même existence d’une forme
de conscience de soi60.
Cette vision de l’homme animal humain est de plus en plus répandue et
constitue la base de réflexion des milieux scientifiques, particulièrement chez les
utilitaristes. Le spécialiste des neurosciences et philosophe athée, Sam Harris,
affirme la banalité de l’espèce humaine, condamne le libre arbitre comme étant
une fable, et est devenu une figure polémique en insistant sur les différences
biologiques entre les humains, pouvant amener à une hiérarchisation sur la base
du QI, de la race ou des capacités d’adaptation. Si cette vision de l’homme-animal
est couramment employée pour justifier nos comportements sociaux (mariage,
travail), les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de s’interroger sur le paradoxe
croix.com/Religion/Spiritualite/Les-propos-du-pape-sur-le-big-bang-sont-ils-revolutionnaires-2014-
11-14-1237059>, (consulté le 14 mai 2018).
58 Richard RORTY, « Response to Richard Bernstein », in Herman SAATKAMP (éd.), Rorty and
Pragmatism. The Philosopher Responds to His Critics, Nashville, Vanderbilt University Press,
1995, p. 70.
59 Nicolas JOURNET (dir.), La Morale. Éthique et sciences humaines, Auxerre, Éditions Sciences
Humaines, 2012, p. 27-33.
60 Jean-François DORTIER, L’Homme cet étrange animal. Aux origines du langage, de la culture et
de la pensée, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 2012, p. 15.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
____
25
entre les prédispositions humaines à la violence61 et la nécessité du respect de la
dignité de tous. Claude Lévi-Strauss rappelle que l’inclusion de l’ensemble des
hommes dans nos conceptions contemporaines de l’humanité est récente et encore
fragile. L’histoire humaine est davantage marquée par son tribalisme sanglant :
À tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-
mêmes d’un nom qui signifie "les hommes" (ou parfois — dirons-nous avec plus de
discrétions ? — les "bons", les "excellents", les "complets"), impliquant ainsi que
les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la
nature humaine, mais sont tout au plus composés de "mauvais", de "méchants",
de "singes de terre" ou d’"œuf de poux"62.
Ainsi, si l’anthropologie sociologique s’essaie à expliquer les similitudes
entre les comportements humains et animaux, elle nous semble insuffisante
comme base durable de la dignité humaine. La raison principale étant que de
nature darwinienne, elle considère l’homme d’aujourd’hui comme inachevé, non
abouti et requérant une constante évolution, aidée si nécessaire, par la médecine
d’augmentation. Nous sommes donc loin d’une vision unique, spécifique d’une
humanité « sans commune mesure, parce qu’elle semble être la mesure, le principe
ou la fin que nous cherchons63. »
3. L’anthropologie philosophique
Nous ne pourrons aborder les nombreuses conceptions philosophiques qui
existent, aussi, nous ne nous arrêterons que sur les conceptions aristotélicienne et
kantienne.
a. L’anthropologie aristotélicienne
L’une des premières anthropologies que nous ayons, la conception
aristotélicienne, hiérarchise les êtres en fonction de leur statut et de leur utilité
(dignité posturale). Il en découle que si la nature d’un être change, alors son statut
61 Une des premières études comparatives à propos de la violence chez les animaux et chez les
hommes fut réalisée par Konrad Lorenz, l’un des fondateurs de l’éthologie. Konrad LORENZ,
L’agression. Une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 2010.
62 Claude LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, vol. 2, Kindle éd. (1re éd. 1973), Paris, Plon,
2014, p. 383-384.
63 Tanella BONI, « La dignité de la personne humaine. De l’intégrité du corps et de la lutte pour la
reconnaissance », Diogène 215 (2006/3), p. 66.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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26
change également et vice versa, car « les choses se définissent toujours par leur
fonction et leur potentialité ; quand par suite elles ne sont plus en état d’accomplir
leur travail, il ne faut pas dire que ce sont les mêmes choses, mais seulement
qu’elles ont le même nom64. »
Le danger de cet angle de vue est que la dignité humaine n’est pas un
attribut transcendant, mais une fonction, une potentialité que nous retrouvons
chez l’être doté de raison.
b. L’anthropologie kantienne
Pour le philosophe chrétien Christian Badinga, il est nécessaire d’évoluer
vers une conception de la dignité humaine qui reconnaisse la fragilité de l’humain
(et donc ce qu’il peut perdre) avec la valeur intangible de qui il est et demeure,
même lorsque sa fragilité s’exprime. Badinga65 fait appel à la notion d’ipséité, du
latin ipse, et signifiant moi-même, toi-même :
[…] l’ipséité caractérise l’individu en lui-même. Elle prend toute son importance
dans les doctrines où la nature universelle est première, ce qui pose la question
de l’individuation (scotisme). Elle suppose alors l’haeccéité66, par laquelle un
individu est un "ceci" et non simplement un être de telle ou telle espèce. Dans la
phénoménologie, l’ipséité caractérise le Dasein67 dans son existence ou son être-
au-monde avant la constitution du moi comme sujet68.
Ce à quoi nous pouvons rajouter les propos du philosophe Emmanuel
Housset qui affirme que la difficulté à définir aujourd’hui la personne est due au
fait que nous ayons une trop forte tendance à théoriser la personne plutôt que de
la vivre de façon pragmatique : « On parle ainsi avec la bonne conscience de ceux
64 ARISTOTE, La Politique, p. 30.
65 « Chez Ricœur, l’ipséité désigne la complétude même de l’identité personnelle dans son caractère
d’être soi-même. Elle implique alors à la fois la mêmeté du caractère et l’altérité inhérente au
maintien de soi (le fait de changer tout en restant soi-même) ». Christian BADINGA, Statut de la
personne et dignité humaine : le soi capable [en ligne], disponible sur
<http://www.fondsricoeur.fr/uploads/medias/espace_chercheurs/statut-de-la-personne-et-dignite-
humaine.pdf>, (consulté le 14 mai 2018).
66 « Philosophie, principe de la scolastique caractérisant une essence dans son individuation, utilisé
pour traduire le Dasein (être-là) de l'existentialisme allemand. » Haeccéité [en ligne], disponible sur
<https://www.universalis.fr/dictionnaire/haecceite/>, (consulté le 14 mai 2018).
67 Dasein (être-là) de l’existentialisme allemand.
68 André JACOB, Les Notions philosophiques. Encyclopédie philosophique universelle, vol. 1, Paris,
PUF, 1990, p. 137.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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27
pour qui tout va de soi des droits de la personne, de la dignité de la personne, mais
dans la pure compréhensivité du bavardage qui fait que la personne n’est pas
interrogée69. »
Ainsi pour Emmanuel Housset, la difficulté qu’a notre société à définir
l’humain est significative de sa difficulté à donner du sens aux choses et surtout
aux gens. Notre société réduit la personne humaine à une simple conscience de soi
avec un accent fort sur sa raison et sa capacité d’autonomie. Le bien moral est
conçu comme l’obéissance à la loi de sa raison qui donne la possibilité d’agir en vue
d’une autodétermination du sujet je. Cette conception de la personne, axée sur la
liberté et l’autonomie du sujet, est ce que la conception kantienne appelle de ses
vœux :
L’homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas
simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse être usée à son gré ;
dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que
dans celles qui concernent d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être
considéré en même temps comme une fin [...] Les êtres raisonnables sont appelés
des personnes parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-
à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme
moyen, et qui par suite limite d’autant notre libre arbitre (et est un objet de
respect)70.
Cette vision kantienne de la personne humaine est aujourd’hui la plus
répandue et constitue la base philosophique sur laquelle reposent les droits de
l’homme. En effet, comme nous l’avons présenté précédemment71, la dignité de la
personne est devenue un concept anthropologique, et c’est en partie grâce à
Emmanuel Kant : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta
personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une
fin, et jamais comme un moyen72. » Cependant, comme déjà abordé, un
attachement exclusif à cette conception soulève un problème et peut tendre à
la déshumanisation d’un individu si ce dernier est privé de conscience, de
discernement et/ou de volonté (les malades d’Alzheimer, les personnes en état
69 Emmanuel HOUSSET, La vocation de la personne. L’histoire du concept de personne de sa
naissance augustinienne à sa découverte phénoménologique, Paris, PUF, 2007, p. 14.
70 Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. DELBOS Victor, Paris,
Delagrave, 1999, p. 141-142.
71 Voir supra p. 13.
72 Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, p. 143.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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28
végétatif ou les embryons). L’appel au droit de mourir dans la dignité s’appuie
d’ailleurs le plus souvent sur la perte d’autonomie et de conscience de soi.
4. Conclusion
Nous avons vu dans un premier temps que la notion d’humanité désigne à
travers son champ lexical des êtres vivants dotés de particularités reconnaissables
qui les mettent à part du reste des vivants. Dans un deuxième temps, nous avons
vu que les acceptions majeures des anthropologies sociologique et philosophique
peinent à apporter une réponse pertinente au pourquoi de la dignité face à la
personne humaine en situation de vulnérabilité. Nous verrons à présent que la
mémoire des atrocités durant la Seconde Guerre mondiale et l’actualité des crimes
contre l’humanité, commis encore aujourd’hui, nous imposent un regard qui sort
de l’abstrait pour rejoindre la fragilité humaine et y découvrir sa dignité
inaliénable.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
____
29
II. Les controverses de la dignité humaine
Nous avons établi que la dignité de la personne humaine est un concept
essentiel constituant le fondement de la compréhension moderne de la personne et
de son respect.
Pourtant, la persistance au XXIe siècle des violations des droits de l’homme
et les nouvelles formes de crime contre l’humanité, comme le trafic d’organes,
rendent incontournable une analyse des divergences sur les plans éthico-moral et
sociopolitique, qui affectent l’efficacité de la lutte pour la dignité ontologique et
universelle de l’homme. Ceci est d’autant plus important que nous avons acquis de
nouvelles formes de contrôle de la destinée humaine, de la naissance à la mort,
dont les conséquences pourraient être sinistres.
Nous allons à présent passer en revue quelques-unes des controverses qui
interrogent le concept de dignité de la personne humaine sur les plans juridique,
moral et politique.
A. La dignité et les atteintes à la personne humaine
1. La dimension juridique de la dignité
a. La force d’un concept juridique
Très présente en droit à travers différentes déclarations universelles et
constitutionnelles, la dignité humaine est un principe conducteur cherchant à
réduire, voire à éliminer, les attitudes et les comportements estimés comme
dégradants et/ou portant atteinte à la personne humaine. C’est ainsi qu’en 1966
fut adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies un Pacte international
relatif aux droits civils et politiques dont le but est de donner une force légale à la
Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948. Ce pacte sert de
référence à la jurisprudence internationale ainsi qu’au droit national des pays
signataires et reprend de façon axiomatique le préambule de la DUDH selon lequel
« la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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30
liberté, de la justice et de la paix dans le monde73. »
La particularité du droit moderne est d’attribuer de manière ontologique,
à tout individu, du seul fait qu’il ou elle est humain(e), le degré de dignité réservé
autrefois aux dignitaires. Mais cette évidence, aujourd’hui reconnue, du caractère
anthropologique de la dignité humaine nous impose un comportement, une action,
une considération de cette dignité qui lui donne une dimension éthique, morale. Si
nous reconnaissons la dignité d’une personne, alors nous devons la traiter d’une
façon qui soit en accord avec cette dignité d’où les dimensions éthique et juridique
contemporaines.
b. La fragilité d’un concept juridique
Selon Mireille Delmas-Marty74, la notion d’humanité n’a jamais été définie
autrement que par l’énumération des crimes et des comportements lui portant
atteinte. Elle reprend les considérations d’Hannah Arendt, une politologue et
philosophe juive ayant étudié les régimes totalitaires, qui déclare « l’impossibilité
de durcir en mots l’essence vivante de la personne75. »
Mais c’est justement, en droit, le caractère axiomatique de la dignité
humaine et l’absence d’une définition normative qui font dire à ses détracteurs
qu’elle est un concept creux76. Selon le juriste Oscar Schachter, la signification
intrinsèque de cette notion a été laissée à l’interprétation culturelle et
philosophique de chaque nation77. Stephen Pinker, un professeur de psychologie à
73 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [en ligne], 23.03.1976, disponible sur
<https://treaties.uns.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20999/volume-999-I-14668-French.pdf>,
(consulté le 14 mai 2018).
74 Il s’agit ici d’un entretien avec Mireille Delmas-Marty, juriste française, professeure honoraire
au Collège de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques ainsi que présidente
de l’Observatoire Pharos du pluralisme des cultures et des religions, in Claire AMBROSELLI,
Gérard WORMSER (dir.), Du corps humain à la dignité de la personne humaine. Genèse, débats et
enjeux des lois d’éthique biomédicale, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1999,
p. 32-36.
75 Ibid., p. 32.
76 Mirko BAGARIC, James ALLAN, « The Vacuous Concept of Dignity », Journal of Human Rights
5 (2006/02), p. 259.
77 « We do not find an explicit definition of the expression "dig-nity of the human person" in
international instruments or (as far as I know) in national law. Its intrinsic meaning has been left
to intuitive understanding, conditioned in large measure by cultural factors. » Oscar SCHACHTER,
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
____
31
l’université de Harvard, met en évidence le paradoxe juridique entourant l’usage
du terme dignité, faisant remarquer que, le droit international dénonce
l’immoralité que constitue l’atteinte à la dignité humaine des personnes torturées
ou réduites en esclavage, tout en affirmant le caractère inaliénable et inaltérable
de cette dignité78.
Pour certains critiques79, l’usage de la dignité humaine comme concept
n’est qu’un artifice rétrograde, voire totalitaire, visant à maintenir une morale
dépassée, imprécise et vide de sens. Ils n’y voient plus qu’un épouvantail, une
platitude ou un simple « effet de style décoratif80 ». Pour ces détracteurs, la dignité
humaine ne serait qu’un flambeau moral, un appel du cœur entre les mains de
quelques opportunistes cherchant à bien plaire en dénonçant « ce que notre
subjectivité juge inacceptable81. »
2. La dimension morale de la dignité
Ce sont les domaines de la philosophie morale et de l’éthique qui font ici
autorité82 dans la tentative de définition du concept de dignité. Le modèle kantien,
qui fait référence, est de plus en plus remis en question à cause de ses présupposés
transcendantaux : immortalité de l’âme, reconnaissance d’une nature humaine en
lien avec un ordre naturel. Ces présupposés sont considérés comme étant dépassés
« Human Dignity as a Normative Concept », American Journal of International Law Vol 77
(1983/04), p. 848.
78 Stephen PINKER, The Stupidity of Dignity [en ligne], 28.05.2008, disponible sur
<https://newrepublic.com/article/64674/the-stupidity-dignity>, (consulté le 14 mai 2018).
79 Les philosophes Jean-Marc Ferry (spécialiste de philosophie et des sciences politiques) et Alain
Renaut (spécialiste de la philosophie allemande ainsi que de philosophie politique) en sont des
exemples dans le monde francophone. Au sujet de Jean-Marc Ferry, Paul Ricœur aurait écrit : « Il
est grand temps de dire que le livre de Jean-Marc Ferry, Les Puissances de l’expérience, est l’une
des œuvres les plus importantes récemment publiées dans le champ de la philosophie sociale et
politique. », in Jean-Marc FERRY, Article de Paul Ricœur, La grammaire de Ferry, [en ligne],
12.03.1992, disponible sur <http://users.skynet.be/sky95042/ricoeur.html>, (consulté le 14 mai
2018).
80 Jeremy WALDRON, « Dignity and Rank », Archives Européennes de Sociologie 48 (2007/02),
p. 207.
81 HUMANRIGHTS.CH, La dignité humaine est-elle un vain mot en Suisse ? [en ligne], 11.07.2017,
disponible sur <https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-suisse/interieure/analyses/dignite-
humaine>, (consulté le 14 mai 2018).
82 A travers des penseurs tels qu’Emmanuel Kant, Stephen Darwall, James Griffin ou encore Michel
Foucault.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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sur le plan social (i.e. homosexualité) autant que sur le plan médical (i.e.
biotechnologies : clonage, manipulation génétique). En effet, l’essor des nouvelles
technologies médicales redéfinit les limites de l’intervention sur le corps et sur la
personne.
a. Une remise en cause du modèle kantien par l’antispécisme
Parmi les critiques les plus âpres, nous retrouvons ceux qui contestent le
fait que l’homme jouirait d’une nature spéciale et donc d’une dignité particulière.
Les antispécistes, presque toujours vegans, en sont un exemple criant83. Selon eux,
l’attribution à l’espèce humaine d’une dignité particulière s’apparente à une forme
de racisme appelée spécisme, car elle privilégie les humains au détriment des
autres espèces. Selon eux, la consommation de viande et l’exploitation animale
dans l’industrie alimentaire, du divertissement, de la pharmacologie constituent
un crime universel à l’encontre de la planète.
b. Une remise en cause du modèle kantien par l’éthique minimaliste
D’autres critiques moins extrêmes ne remettent pas en question l’existence
d’une dignité humaine particulière, mais critiquent plutôt la pertinence des
dogmes qui en découlent. Le philosophe et directeur de recherche au CNRS, Ruwen
Ogien84, fait partie de ceux qui défendent une vision dite minimale de la dignité et
qui refusent l’établissement d’une argumentation, d’un dogme qui imposerait une
vision rigide de la dignité aux débats éthiques, et particulièrement bioéthiques.
Cette éthique minimale consiste à restreindre le champ éthique à ce qui est
absolument nécessaire et à soustraire au jugement moral tout ce qui a trait avec
soi-même et qui est perçu par Ogien comme n’affectant pas autrui. Il s’agit du
rapport de l’individu à lui-même et à son corps. Bien entendu, de nombreuses
critiques, particulièrement théologiennes, remettent en cause la possibilité d’une
83 L’attentat de Trèbes nous en propose un exemple : AFP, Attentats/Aude : une militante « vegan »
jugée pour « apologie du terrorisme » [en ligne], 29.03.2018,
disponible sur <http://www.lepoint.fr/societe/attentats-aude-une-militante-vegan-jugee-pour-
apologie-du-terrorisme-29-03-2018-2206542_23.php>, (consulté le 14 mai 2018).
84 Ruwen OGIEN, L’Éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Paris, Gallimard, 2007.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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dimension exclusivement personnelle qui n’affecte en rien celle des autres (fumer,
boire, se vêtir, s’alimenter)85.
L’éthique minimale ne reconnaît pas l’existence d’un bien et d’un mal
objectifs, mais considère les actions en fonction des effets qu’elles peuvent
potentiellement avoir sur autrui. Il n’est donc pas possible de conceptualiser une
dignité humaine objective car les effets dépendent des personnes, des points de vue
et des valeurs personnellement portées (voir annexe 2).
c. Une remise en cause du modèle kantien par la psychanalyse
Du côté de la psychanalyse, le docteur psychiatre Bernard Doray aborde la
dignité comme étant « moins un attribut moral définitivement acquis qu’une
énergie de vie qui s’éprouve dans des situations plus ou moins exigeantes » puis il
ajoute sur sa vision posturale que « la marque de la dignité se reconnaît alors
souvent au premier coup d’œil. La dignité en actes est souvent subversion mais elle
est aussi le grain de la resymbolisation […] Elle en est le levain créatif
élémentaire86». La thèse ici défendue est celle d’une dignité agissante dont l’action
est facteur de changement. Ainsi, pour Bernard Doray, le porteur de dignité est
engagé dans une lutte similaire à ce que fut le combat de l’homme primitif pour le
feu. Cette bataille n’emploie pas des armes physiques, mais elle représente une
guerre idéologique et éthique ayant pour but de mettre l’intelligence humaine face
à la force brute et de dénoncer les hypocrisies institutionnelles qui exploitent la
dignité humaine sous couvert de la protéger.
3. La dimension politique de la dignité
a. La dimension politique de la dignité selon le mandat de l’ONU
Pour le monde romain, la dignité n’est pas l’affaire de tous mais seulement
de la minorité de ceux qui portent les affaires de l’État. La dignité a donc
historiquement une dimension élitaire et elle s’acquiert. Toutefois, l’évolution vers
85 Olivier ABEL, François DERMANGE, Denis MÜLLER et al., (éd.), « L’Éthique minimale.
Dialogues philosophiques et théologiques avec Ruwen Ogien », Revue de Théologie et de Philosophie
140 (2008/2-3), p. 99-279.
86 Bernard DORAY, La dignité. Les debouts de l’utopie, Paris, La dispute, 2006, p. 8.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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une conception ontologique de la dignité a eu comme conséquence éthique
l’émergence d’une dimension démocratique87. C’est ainsi que selon la
compréhension de l’ONU, il en va de la responsabilité des états de garantir les
droits de l’homme par le respect et le maintien de la dignité humaine de tous, sans
discrimination ni distinction88.
b. La dimension politique de la dignité selon l’éthique minimaliste
Pour Ogien, une politique progressive n’a pas besoin du concept de dignité
humaine afin de garantir l’épanouissement de ses citoyens. Les progressistes
doivent leur reconnaissance des droits et des principes à « la longue histoire de leur
reconnaissance en conséquence de luttes politiques et de débats philosophiques89. »
En d’autres termes, c’est en vertu d’une longue tradition de lutte contre les
inégalités que les progressistes cherchent à garantir l’égalité des personnes, et non
pas en vertu d’une valeur transcendante telle que la dignité humaine, qui est
l’apanage des conservateurs, particulièrement religieux, qui recherchent sans
cesse à « réaffirmer l’existence d’un ordre transcendant90. »
Ainsi, toujours selon Ogien, ces mouvements conservateurs, qu’ils soient
politiques ou religieux, cherchent à imposer par l’éthique de la dignité, une vision
particulière de l’homme et à limiter l’avancée de certains droits individuels
(prostitution, sadomasochisme, inceste, homosexualité) au nom d’une conception
de l’humain qui serait universelle, mais qui en réalité cacherait des conceptions
liées aux valeurs.
Si Ogien vise particulièrement l’Église catholique romaine qui, selon lui,
chercherait à masquer sa perte de vitesse dans la société moderne en avançant
l’argument de la dignité humaine, il va de soi que son point de vue reste à ce jour
87 Nous démontrerons en partie B de ce chapitre ainsi qu’au deuxième chapitre de ce mémoire que
l’influence de la pensée chrétienne a été instrumentale dans l’évolution vers la conception
ontologique de la dignité.
88 L’état de droit et les droits de l’homme [en ligne], disponible sur
<https://www.un.org/ruleoflaw/fr/rule-of-law-and-human-rights/>, (consulté le 14 mai 2018).
89 Ruwen OGIEN, L’Éthique aujourd’hui, p. 188.
90 Ibid., p. 189.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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minoritaire91.
4. Conclusion
« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la
dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de
sa vie. » Art. 2, loi 94-653 du 29 juillet 199492.
Pour qu’une loi soit respectée, il faut que ses fondements juridiques,
éthiques et politiques soient suffisamment fermes afin de faire face aux
revendications de toutes sortes. Les remises en cause actuelles semblent surtout
porter sur l’absence d’une définition juridique claire ainsi que sur le caractère
universel du concept de dignité de la personne, qui, dans un monde multiculturel,
pourrait s’appliquer différemment selon les coutumes.
Il nous semble que, bien qu’elle puisse être dangereuse, l’absence d’une
définition claire n’est pas un mal en soi car toute définition restreint et exclut
potentiellement une partie de l’humanité. Cependant, le culturalisme présente
également un danger comme le démontre la Chine qui s’affranchit régulièrement
des traités internationaux en matière de droits de l’homme sous prétexte d’une
interprétation culturelle différente de celle des Occidentaux93.
Afin d’évaluer s’il est encore possible de maintenir le rêve d’universalité
cher aux rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
91 Olivier ABEL, François DERMANGE, Denis MÜLLER et al., (éd.), « L’Éthique minimale »,
p. 279.
92 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain [en ligne], disponible sur
<https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549619>, (consulté le
14 mai 2018).
93 Pour la Chine, les droits de l’homme doivent être fondés sur l’harmonie qui priorise non pas
l’individu mais l’entente sociale, la cohérence et l’ordre public au sein de la communauté. Pour
maintenir ce bien-être social, le gouvernement chinois a choisi de donner la priorité au
développement économique et à sortir ses citoyens de la pauvreté, au prix du respect des droits
civils et politiques. Cette vision chinoise s’oppose à la vision occidentale, basée sur la
reconnaissance de l’universalité de l’homme du fait qu’il soit doté de raison, et que cette dernière
transcende le visible chez l’humain (couleur, religion, culture). Joseph YACOUB, Les droits de
l’homme sont-ils exportables ? Paris, Ellipses, 2004, p. 81 ; Joseph YACOUB, L’humanisme
réinventé, Paris, Cerf, 2012 ; Thierry GARCIN, « Les droits de l’homme à l’épreuve de
l’universalité », Relations internationales 132 (2007/04), p. 49.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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nous allons à présent étudier le contexte de leur apparition.
B. L’avènement des droits de l’homme
Il convient de retracer les étapes clés de l’établissement des droits de
l’homme afin de mieux comprendre l’émergence du concept moderne de dignité
humaine. Bien qu’il soit souvent fait mention d’une opposition entre héritage des
Lumières et religions, nous verrons qu’historiquement ce n’est pas toujours le cas.
Dans un premier temps, nous introduirons quels ont été les éléments clés qui ont
donné naissance aux droits de l’homme, puis à travers l’analyse de textes relatifs
à ces droits, nous repèrerons les éléments fondamentaux qui les relient
directement ou indirectement au domaine de la foi.
1. La naissance des droits de l’homme
Le désir d’établir un ordre politico-juridique garantissant les droits de
l’homme, selon l’acception moderne de dignité ontologique, se manifeste de
manière visible au cours du XVIIIe siècle à travers une codification officielle des
droits durant la révolution américaine de 1776 puis celle de 1789 en France. C’est
à l’échelle nationale que les droits de l’homme, et donc la notion de dignité de la
personne, vont s’enraciner en premier.
Mais c’est après les évènements de la Seconde Guerre mondiale que la
résolution 260 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 9 décembre 194894 va
témoigner de la part de la communauté internationale, la volonté de ne pas laisser
impunies les atteintes à la dignité humaine et aux droits de l’homme.
L’Organisation des Nations Unies reconnaît « […] pour la première fois la nécessité
de créer une cour criminelle internationale afin de poursuivre des crimes comme
le génocide95 », cour dont l’objectif premier est de juger les crimes nazis. Plus tard,
par la signature à Rome de 120 États, cette initiative donnera naissance à la Cour
94 La résolution 260 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 9 décembre 1948 [en ligne],
disponible sur <http://www.un.org/fr/sc/documents/resolutions/1968.shtml>, (consulté le 14 mai
2018).
95 Jean-Paul BAZELAIRE, Thierry CRETIN, La justice pénale internationale, Paris, PUF, 2000,
p. 13.
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pénale internationale (CPI, le 17 juillet 1998) en tant qu’institution permanente96.
Ainsi, nous partageons l’avis d’Hans Joas pour qui « le triomphe des droits de
l’homme représente sans aucun doute l’une des plus grandes réussites dans le
champ des valeurs et des normes97 ».
Ce succès a conduit religions et philosophies, particulièrement les religions
dites du Livre, à puiser dans leurs textes sacrés les références nécessaires à la
revendication d’une tradition ancienne de la défense des droits de l’homme.
Malheureusement, ces traditions ne sont pas exemptes de tout reproche98, ni
d’ailleurs l’humanisme philosophique et scientifique, qui n’ont pas hésité à
promouvoir, un temps, le colonialisme comme moyen d’émancipation et d’éducation
des peuples considérés comme primitifs99. Toutefois, selon Hans Joas et
l’historienne française spécialiste de la liberté religieuse, Valentine Zuber100, le
caractère géographique, historique et culturel des pays ayant codifié en premier
les droits de l’homme dans leur système juridique, démontre l’influence du
christianisme, particulièrement protestant.
2. Le droit national et la dignité humaine
Devançant les déclarations américaine et française, respectivement de
1776 et 1789, la procédure d’habeas corpus ad subjiciendum protège les droits
96 Ibid.
97 Hans JOAS, Comment la personne est devenue sacrée, p. 31.
98 Antisémitisme, croisades, guerres de religions, intolérance religieuse et Inquisition. Il existe
encore des tensions entre les autorités religieuses qui se basent sur la loi morale (révélation divine)
et les autorités qui s’appuient sur la loi civile (droit naturel et consensus démocratique). Jean-Marc
FERRY, « Face à la tension, entre droits de l’homme et religion, quelle éthique universelle ? »,
Recherches de Sciences Religieuse 95 (2007/1), p. 63.
99 En 1880, le journal martiniquais La défense coloniale affirme sur les bases de l’anthropologie
scientifique naissante que « les Noirs sont par nature destinés à la servitude. » Jean-Luc
BONNIOL, La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des Blancs et des
Noirs, Paris, Albin Michel, 1992, p. 91-95. Voir également Gaston PIETRI, Humanisme,
colonisation et évangélisation [en ligne], 19.01.2006, disponible sur <https://www.la-
croix.com/Archives/2006-01-19/Humanisme-colonisation-et-evangelisation-_NP_-2006-01-19-
254457>, (consulté le 14 mai 2018) ; Patrick BRUNETEAUX, Le colonialisme oublié. De la zone
grise plantationnaire aux élites mulâtres à la Martinique, Vulaines-sur-Seine, Éditions du
Croquant, 2013, p. 9-12.
100 Valentine ZUBER, L’origine religieuse des droits de l’homme, Genève, Labor et Fides, 2017,
p. 94-122.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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individuels dans la loi britannique depuis 1679101. Cette procédure établie que ni
le roi ni aucun gouvernement ne peut emprisonner un sujet sans une procédure
judiciaire impliquant un juge en présence de pairs, et elle constitue une première
tentative de garantir les droits du citoyen face au pouvoir du prince. Cependant,
nous nous concentrerons dans ce travail sur l’émergence des droits de l’homme en
France.
Pour ce faire, il est important de rééquilibrer la vision antireligieuse portée
sur la Révolution française ainsi que sur l’une de ses avancées phares : la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC). Cette déclaration fut
adoptée dans les premiers temps de la Révolution alors que son caractère
antireligieux ne s’était pas encore manifesté en réponse aux polémiques
antirévolutionnaires du clergé réactionnaire, des aristocrates et des intellectuels
qui leur étaient alliés102. Selon Marcel Reinhard, « aucune assemblée ne pouvait se
tenir sans que le Ciel fût invoqué, que chaque succès donnait lieu à un Te Deum103,
qu’il fallait bénir chaque symbole qu’on adoptait104 ». Bien que le désamour entre
le politique et le religieux grandît progressivement, la ferveur religieuse au sein
du peuple aurait, quant à elle, connu un fort regain. Selon Timothy Tackett :
La fête par laquelle on célébrait chaque année la prise de la Bastille était encadrée
par un rituel religieux. Les fêtes et les processions catholiques traditionnelles
furent célébrées au moins jusqu’en été 1793, tant à Paris qu’en province, avec une
forte participation. Jusqu’à cette date, les tentatives de certains radicaux pour
empêcher les processions à Paris furent carrément repoussées par la population
elle-même105.
Puisque la DDHC fut promulguée en 1789, il aura fallu attendre quatre
années pour voir les premiers sentiments antireligieux devenir courants dans
101 Il s’agit de la date officielle à laquelle cette politique a été inscrite dans la loi britannique par le
Parlement. Cependant, l’héritage de cette pratique remonte au minimum depuis l’époque anglo-
saxonne et a pour inspiration la Magna Carta (1215).
102 Hans JOAS, Comment la personne est devenue sacrée, p. 35.
103 Le Te Deum fait référence à un hymne latin chrétien dont le début Te Deum laudamus
signifierait « Toi Ô Dieu, nous te louons ». Par extension, le Te Deum peut aussi faire référence à
un service religieux.
104 Marcel REINHARD, Paris pendant la Révolution, in JOAS Hans, Comment la personne est
devenue sacrée, p. 35.
105 Timothy TACKETT, The French Revolution and Religion to 1794, in JOAS Hans, Comment la
personne est devenue sacrée, p. 35.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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39
l’espace public. Selon Alexis De Tocqueville, ce désamour entre les Français et la
religion :
[…] c’est bien moins comme doctrine religieuse que comme institution politique
que le christianisme avait allumé ces furieuses haines ; non parce que les prêtres
prétendaient régler les choses de l’autre monde, mais parce qu’ils étaient
propriétaires, seigneurs, décimateurs, administrateurs dans celui-ci ; non parce
que l’Église ne pouvait prendre place dans la société nouvelle qu’on allait fonder,
mais parce qu’elle occupait alors la place la plus privilégiée et la plus forte dans
cette vieille société qu’il s’agissait de réduire en poudre106.
Cela nous permet donc d’avoir un regard plus nuancé sur le contexte qui a
vu la promulgation de la DDHC dont le préambule (voir annexe 3) insiste sur la
dimension spirituelle lui donnant un cadre. Bien que, l’Être suprême ne soit pas
une référence directe au Dieu chrétien, il nous paraît néanmoins important de
signaler la nature religieuse, déiste, que cette notion véhicule107. De plus, la
mention des droits naturels ainsi que de la sacralité de l’être humain renvoient
également à la théologique chrétienne, particulièrement augustinienne108.
L’intervention du pape Pie VI du 10 mars 1791109, bien qu’ayant en apparence pour
objet de condamner la Révolution française et ses principes revendiqués, incluant
les droits de l’homme, doit être comprise dans le contexte de la lutte des
révolutionnaires pour éliminer toutes traces du religieux de France, ainsi que des
territoires annexes, ceci en représailles contre le clergé ayant refusé de prêter un
serment de loyauté envers le nouveau gouvernement révolutionnaire.
La DDHC deviendra l’un des fondements de la création de plusieurs
mouvements internationaux tels que l’ONU ou le Conseil de l’Europe. Lors de son
adhésion à l’espace économique européen, la Suisse s’est déclarée
106 Alexis DE TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution, in JOAS Hans, Comment la
personne est devenue sacrée, p. 36.
107 Pour en savoir plus sur Robespierre et le culte de l’Être suprême, voir Jean DÉRENS, Être
suprême, culte de l’ [en ligne], disponible sur <https://www.universalis.fr/encyclopedie/culte-de-l-
etre-supreme/>, (consulté le 14 mai 2018) ; François FURET, Mona OZOUF, Dictionnaire critique
de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p. 233.
108 Pour en savoir plus sur la conception augustinienne, consulter Emmanuel HOUSSET, La
vocation de la personne, 2007, p. 63-99.
109 PIE VI, Quod Aliquantum [en ligne], 10.03.1791, disponible sur
<https://bibliothequedecombat.files.wordpress.com/2013/10/1791-pie-vi-bref-quod-
aliquantum.pdf>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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« inébranlablement attachée aux valeurs spirituelles et morales qui sont le
patrimoine commun de leurs peuples110 » reprenant ainsi une phrase essentielle
du préambule du Statut du Conseil de l’Europe : « Inébranlablement attachés aux
valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et
qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de
prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable111 ».
3. Les droits internationaux des êtres humains
Comme développé précédemment, les droits humains et la reconnaissance
d’une dignité de la personne furent exprimés au niveau national avant de
s’internationaliser. Arrêtons-nous donc à présent sur ce phénomène de
mondialisation des droits. Notre intention dans cette partie est de démontrer que
la quasi-totalité des textes internationaux garantissant les droits de la personne
repose sur la notion axiomatique de dignité de la personne humaine et de ses droits
fondamentaux.
D’après l’historienne des droits de l’homme, Valentine Zuber112, la
philosophie sous-jacente aux droits de l’homme et à la dignité humaine en vigueur
dans les différents traités internationaux s’appuie sur le principe supérieur « de
l’égale et l’indivisible dignité de tout homme113 » que cherche à garantir la
communauté internationale au détriment du droit et de la souveraineté des États.
Cette dynamique mondiale, encadrée par la justice internationale, est novatrice et
fut inspirée par la définition qu’en donna le président Franklin D. Roosevelt lors
de son célèbre discours de 1941, définissant les quatre libertés humaines
fondamentales : la liberté d’expression, la liberté de religion, la liberté de vivre à
l’abri de la peur et du besoin114.
110 Michel VIRALLY, La protection des droits de l’homme dans le cadre européen, Genève, 1965,
p. 69.
111 Statut du Conseil de l’Europe [en ligne], 05.05.1949, disponible sur
<https://www.coe.int/en/web/conventions/search-on-treaties/-
/conventions/rms/0900001680306053>, (consulté le 14 mai 2018).
112 Directrice d’études à l’École pratique des hautes études (PSL Research University).
113 Valentine ZUBER, « Petite histoire d’une grande déclaration », Humains mars-avril (2018/04),
p. 18-23.
114 Ibid.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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41
La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) est le résultat
d’un comité de travail d’experts internationaux dirigé par Eleanor Roosevelt et
mandaté par l’ONU. En raison de forts désaccords115, il fut décidé de ne pas
mentionner les fondements théologiques afin de garantir leur application
universelle, quand bien même ces fondements furent omniprésents en arrière-
plan. Bien que l’URSS décidât de ne pas voter le texte, la commission de réflexion
bénéficia de l’apport de personnes aux origines diverses : Peng Chun Chang
(philosophe et défenseur des droits de l’homme chinois), Charles Malik (diplomate
et homme politique libanais), Émile Saint-Lot (avocat haïtien), Alexander E.
Bogomolov (ambassadeur soviétique en France).
a. La Charte des Nations Unies (1945)
Il est important de noter que la Charte des Nations Unies (voir annexe 4)
s’inscrit dans l’héritage direct de la Seconde Guerre mondiale et de ses atrocités.
Nous comptons douze références à l’humanité à travers les mots hommes, nations,
personne humaine, ainsi que huit références à la paix, à la collaboration et à
l’entente entre les nations et les individus. Le tout reposant sur « notre foi dans les
droits fondamentaux de l’homme » et qui sous-tend implicitement la
reconnaissance de la dignité de l’homme dans une dimension universelle.
115 Ibid. Valentine ZUBER nous informe qu’une consultation internationale fut lancée afin de
trouver un compromis permettant de donner au texte une base théologique commune. Face à l’échec
d’une telle consultation, il fut décidé de laïciser le texte afin d’en garantir la neutralité religieuse.
Ceci n’empêcha pas la Déclaration d’être contesté par le bloc soviétique, les pays en cours de
décolonisation, et par les grandes idéologies politiques séculières. L’URSS donna comme raison de
son refus l’article 2 qui garantit l’universalité des droits quel que soit le sexe, la religion, la langue,
ou l’opinion politique. Bien que l’idéal commun derrière le texte connût son apogée durant les
années 1980 et l’affaiblissement du bloc soviétique, il fut observé un regain de tension dans les pays
menant des politiques identitaires, particulièrement en Asie. Ces gouvernements identitaires
défendent leurs valeurs culturelles millénaires au nom générique des valeurs asiatiques. Les
Occidentaux ne sont pas en reste puisque leurs politiques libérales et interventionnistes des années
post 2001 ont mené à de graves violations des droits de l’homme, ironiquement au nom de la lutte
des dits droits ainsi qu’au nom de la démocratie. Selon Teresa Cal (doctorante en philosophie
spécialisée en diversité culturelle et salariée de l’ACAT) : « On peut arriver à une vérité universelle
si on se met d’accord sur le fait que cette vérité est une construction », de plus, « Si l’on essaye de
trouver des textes fondateurs qui s’appliquent au plus grand nombre, le contenu sera réduit à
l’essentiel de ce que les gens partagent, c’est à dire pas grand-chose. On perdrait la richesse d’une
vérité plus large qui, elle, pourrait être partagée par un groupe plus petit de population », in Anna
DEMONTIS, « Les droits de l’homme à l’épreuve des spécificités culturelles », Humains mars-avril
(2018/04), p. 21-23.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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b. Le tribunal militaire américain de Nuremberg (19 août 1947)
Nous constatons dans ce document (voir annexe 5) une emphase portée sur
le consentement du sujet humain par le tribunal chargé de juger les criminels de
guerre nazis, particulièrement ceux responsables de la solution finale. Ce texte
assume la pleine autonomie du sujet et sa capacité de prise de décision.
c. La Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, ONU (1948)
Dans cette convention (voir annexe 6), c’est le terme humanité qui est
récurrent bien qu’aucune définition précise n’existe juridiquement afin de le
définir. A travers l’accent mis sur ce terme, le texte reconnaît l’appartenance à la
famille humaine comme un gage de respect et de dignité.
d. La Déclaration universelle des droits de l’homme, ONU (1948)
La Déclaration universelle des droits de l’homme (voir annexe 7) est le
texte central sur lequel repose l’ensemble des droits de l’homme aujourd’hui. Il
nous semble important de citer, en guise de commentaire, quelques observations
et remarques de René Cassin, qui fut l’un des grands influenceurs de cette
déclaration et qui en finalisa la formulation exacte en vue de son adoption par les
Nations Unies.
La Déclaration universelle a été comparée par nous au vaste portique d’un temple,
dont le parvis est formé par le Préambule affirmant l’unité de la famille humaine
et dont le soubassement, les assises, sont constitués par les principes généraux de
la liberté, d’égalité, de non-discrimination et de fraternité proclamés dans les
articles 1 et 2116.
On ne peut faire plus claire en termes d’usage de la dignité humaine comme
principe axiomatique attribuant aux êtres humains un statut spécial du simple fait
d’une reconnaissance à une seule et unique famille117.
116 Extraits du cours de René Cassin sur « La Déclaration universelle et la mise en œuvre des droits
de l’homme ». René CASSIN, Recueil de cours d’Académie de droit international, in Claire
AMBROSELLI, Gérard WORMSER (dir.), Du corps humain à la dignité de la personne humaine,
p. 17-21. Il est à noter que seuls 58 pays faisaient partie de l’ONU au moment de la signature de la
Déclaration universelle… peut-on dès lors parler d’universalité ?
117 Selon Pierre-Olivier Léchot, historien des idées, enseignant à la Faculté libre de théologie
protestante de Paris et à l’Institut catholique de Paris, certains considèrent que « les droits de
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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4. Conclusion
L’importance de la DUDH est d’avoir permis la reconnaissance à parts
égales des droits économiques, sociaux, civils, politiques ainsi que des droits
culturels. Avec les autres déclarations garantissant ou renforçant les notions de
droits de l’homme ainsi que de dignité de la personne humaine, elle a parachevé la
sacralisation de la personne pour en faire, selon le sociologue Émile Durkheim, une
religion « dont l’homme est à la fois le fidèle et le Dieu118 ».
Parmi ces autres textes nous pouvons mentionner :
• Le Conseil de l’Europe et la Convention européenne des droits de
l’homme (1950)
• La Déclaration d’Helsinki de l’association médicale mondiale (AMM)
au sujet des principes éthiques applicables à la recherche médicale
impliquant des êtres humains (1964)
• Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 7
ONU, 1966)
• La Déclaration initiale de Tokyo de l’AMM contre la torture et les
traitements inhumains (1975). Cette déclaration fut mise à jour en
2005 et en 2006
• La Déclaration d’Alma-Ata, OMS (1978)
• La Charte européenne du malade usager de l’hôpital (1979)
• La Convention contre la torture et autres peines (1984)
• La Convention internationale des droits de l’enfant (1990)
• La Déclaration de Copenhague pour le développement social (1995)
• La Charte de Ljubljana sur la réforme des systèmes de santé par
l’OMS (1996)
l’homme sont le produit d’une culture, d’une histoire particulière, qui est celle de l’Occident, et qu’on
ne peut pas réduire l’intégralité des représentations à travers le monde à la vision occidentale.
Cette altérité irréductible ferait que les droits de l’homme ne seraient pas transposables à d’autres
cultures. », in Anna DEMONTIS, « Les droits de l’homme à l’épreuve des spécificités culturelles »,
p. 21-23.
118 Émile DURKHEIM, « L’individualisme et les intellectuels », Revue bleue 35 (1898/04), p. 7.
Chapitre 1 : État de la question sur la dignité de la personne humaine
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44
III. Synthèse du premier chapitre
Nous avons vu que les concepts de dignité et de la personne humaine
peuvent avoir plusieurs acceptions qui ne sont pas toujours compatibles les unes
avec les autres. Toutefois, il ressort de notre étude que la personne humaine, bien
que faisant débat sur sa véritable définition, est l’objet d’une attention particulière.
D’après Marcel Rémon119, la fragilité de l’homme révèle l’essence humaine
commune, et trouve à travers la protection des droits de l’homme, le nécessaire
permettant aux hommes, particulièrement ceux qui sont vulnérables, de rester
dignes120. C’est en prenant position contre les atteintes à la dignité humaine, en
s’indignant, par exemple, à la vue d’un enfant migrant mort que le relativisme est
combattu et que l’universalité de l’essence humaine est retrouvée.
C’est donc aussi à partir des éléments considérés comme des crimes contre
l’humanité que nous nous efforcerons d’ébaucher une compréhension de ce que
renferme le mot humanité. Ces crimes contre l’humanité expriment des
interdits tels que le meurtre, l’assassinat, l’esclavage, la déportation, le viol, les
persécutions, l’apartheid, qui représentent le fondement individuel et le socle des
droits « indérogeables » des droits de l’homme. À travers cette expression, il y a non
seulement un appel au respect de l’individualité, mais aussi au respect de la
dimension sociale de l’individu et de son groupe d’appartenance. Et ce sont
justement les atteintes à un individu ou à son groupe d’appartenance, à travers
par exemple les crimes de génocide, ou toute autre action visant à nuire ou à
détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, qui
permettent de mettre en lumière l’altérité et la singularité de chaque être humain
« reconnu comme être unique et, en même temps, son égale appartenance à la
communauté humaine121. »
119 Père jésuite et directeur du Centre de recherche et d’action sociale (CERAS).
120 Marcel RÉMON, « L’essence humaine commune se révèle dans la fragilité », Humains mars-
avril (2018/04), p. 20.
121 Mireille DELMAS-MARTY, in Claire AMBROSELLI, Gérard WORMSER (dir.), Du corps
humain à la dignité de la personne humaine, p. 33.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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Chapitre 2 : Étude historique des racines
chrétiennes du concept de dignité
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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Au XXIe siècle, la majorité des religions se déclare pacifiste, prône l’amour
et le respect de chacun en dépit d’une histoire souvent trouble en matière de
considération envers la dignité humaine122. C’est la raison pour laquelle les
suspicions demeurent quant à la sincérité de l’Église chrétienne dans sa lutte en
faveur des droits de l’homme, surtout quand celle-ci semble subordonnée à sa
théologie123. Si les protestants s’efforcent d’affirmer la claritas Scripturae comme
remède infaillible à une tradition parfois désuète, voire égarée, force est de
constater que le problème de l’interprétation des textes bibliques demeure entier
face à leur caractère plastique et malléable. Déjà au XIIe siècle, le philosophe et
théologien, Alain de Lille, faisait remarquer que « l’autorité [la Bible] a un nez de
cire : elle peut être infléchie en sens divers124. » Au XVIe siècle, le franciscain
espagnol François d’Osuna, soutenait que « comme le caméléon, la Bible emprunte
la couleur du milieu ambiant, et comme le miroir elle reflète l’image de tous les
objets qu’on lui présente […] », il en résulte qu’« un même texte s’applique
aisément à des personnes différentes et à des circonstances très diverses125. » Ainsi,
le philosophe et théologien humaniste Érasme de déclarer au sujet de
l’herméneutique : « Chacun sait que les théologiens ont le droit de disposer des
Écritures, d’en étirer ou rétrécir le texte à leur gré comme une peau de chagrin126. »
Cette ambivalence dans l’usage de la Bible nous incite à rechercher le(s)
cadre(s) herméneutique(s) qui prévalait au sein des premières communautés
122 La Rapporteuse spéciale auprès des Nations Unies, Tonya Frichner, chargée de l’étude des
conséquences juridiques de la doctrine de la découverte pour les peuples autochtones, a publié un
rapport dénonçant l’influence encore actuelle de cette doctrine qui consistait à attribuer aux pays
chrétiens le droit de possession des territoires non chrétiens découverts ainsi que leur population
en vue de leur déculturation et de leur mise à disposition, au profit de la chrétienté. Tonya
FRICHNER, Étude préliminaire des conséquences pour les peuples autochtones de la construction
juridique internationale connue sous le nom de doctrine de la découverte [en ligne], 30.04.2010,
disponible sur <http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/E.C.19.2010.13%20FR.pdf>,
(consulté le 21 mai 2018).
123 Certains théologiens chrétiens (Jean Chrysostome, Urbain II, Pierre l’Ermite, Luther)
encouragèrent des atteintes contre les droits de l’homme telles que l’antisémitisme, les croisades,
l’Inquisition ou l’esclavage (i.e. le théologien Jean Bellon de Saint Quentin qui écrit en faveur de
l’esclavage).
124 De fide catholica, I, 30, PL 210, col.333, in Guy BEDOUELLE, Bernard ROUSSEL, Le temps des
réformes et la Bible, Paris, Beauchesne, 1995, p. 100.
125 Francisco DE ROS, in Guy BEDOUELLE, Bernard ROUSSEL, Le temps des réformes et la Bible,
p. 100.
126 ÉRASME, « La philosophie chrétienne », trad. MESNARD Pierre, Revue Philosophique de
Lauvain (1973/10), p. 95.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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chrétiennes. Nous chercherons à mieux comprendre par l’étude historique, à partir
d’une sélection de textes issus de la littérature chrétienne ancienne et patristique,
comment, dans une période de transition entre l’Église primitive et celle du Moyen-
Âge, les penseurs chrétiens, dont les Pères, ont interprété et fait vivre les traditions
reçues par les Apôtres. Par ce biais, nous verrons comment ils ont accompagné la
naissance d’un nouvel univers spirituel qui a placé la dignité de l’homme au cœur
de ses préoccupations et qui constitue à ce titre le terreau ayant permis à la pensée
et à la littérature occidentales de prendre leur essor. Dans un deuxième temps,
nous chercherons à comprendre comment le christianisme a pu avoir une histoire
si troublée à travers l’impact qu’aura la reconnaissance du christianisme en tant
que religion officielle sur la théologie et sur les pratiques des communautés
chrétiennes en matière de dignité de la personne humaine.
I. La dignité humaine au début du christianisme
Dans cette première partie, nous chercherons à mettre en évidence, à partir
d’extraits d’auteurs issus de la littérature chrétienne ancienne, que la dignité de
la personne humaine est un concept historique, central et normatif de la pensée
chrétienne des premiers siècles. Nous démontrerons en deuxième partie que
l’influence de l’Église, dans le domaine des droits de l’homme, s’est manifestée sur
le plan éthique en faveur du respect de la personne humaine dans les domaines
sociaux et politiques.
A. La lutte de l’Église contre les atteintes à la dignité humaine
Nous procèderons à une extraction de données historiques mettant en
lumière la façon dont l’Église des premiers siècles considéra les atteintes aux droits
humains, qui, nous l’avons dit, est révélateur du respect de sa dignité.
Notre étude historique comportera de nombreuses références aux Pères de
l’Église car leur influence, bien que quelque peu réduite dans la tradition
protestante, demeure incontournable pour comprendre les racines de la théologie
chrétienne. Dans un éloge en l’honneur du 16e centenaire de la mort de Basile de
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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49
Césarée127 (330-379 CE), le pape Jean-Paul II dira de ces théologiens de l’Antiquité
qu’ils ont « par la force de leur foi, par l'élévation et la fécondité de leur doctrine »
apporté à l’Église un nouveau souffle et qu’ils « sont vraiment les "Pères" de l'Église
car c'est d'eux, par l'Évangile, qu'elle a reçu la vie. » Jean-Paul II reconnaît
également l’héritage unique que le christianisme doit à ces pionniers qui « sur la
base de l'unique fondement posé par les apôtres […] ont édifié les premières
structures de l'Église de Dieu128. »
1. L’Église chrétienne et la violence militaire
Le recours à la force armée, qu’elle soit militaire ou civile (terrorisme) est
souvent légitimée par les idéologies religieuses ou politiques comme moyen de lutte
légitime. Or cette violence porte souvent atteinte à la dignité humaine à cause des
crimes de guerre / crimes contre l’humanité qui y sont commis. Nous relevons une
réticence de la part des premiers chrétiens à s’engager dans toutes formes de
violence. Cette réticence, entre le IIe et le IVe siècle, est certainement dû à ce que
plusieurs Pères de l’Église dénoncent le métier de soldat ainsi que l’usage de toutes
formes de violences armées licites comme illicites.
Justin de Naplouse (ou Justin Martyr, 100-165 CE), apologète et
philosophe chrétien dans son ouvrage Dialogue avec Tryphon129, trad.
Antoine de Genoude.
Nous qui nous présentions autrefois couverts de meurtres et du sang les uns des
autres ; chargés, en un mot, de toutes sortes d'iniquités, et qui depuis avons brisé,
sur tous les points du globe, les instruments de guerre pour changer le glaive en
soc de charrue, la lance en hoyau, et cultiver la piété, la justice, l'humanité, la foi
127 Successeur d’Eusèbe de Césarée, Basile est reconnu comme un grand théologien qui a œuvré en
faveur de la Trinité contre la doctrine arienne. Il est également perçu comme le fondateur des
traditions monastiques chrétiennes ainsi que de multiples initiatives sociales telles que les
hôpitaux et les hospices. Basile de Césarée est aussi connu pour sa doctrine sociale qui met l’accent
sur l’égalité et la dignité des personnes ainsi que sur le devoir des riches et des puissants de
protéger les plus démunis. Jacques DUBOIS, Basile de Césarée [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/basile-de-cesaree/>, (consulté le 14 mai 2018).
128 Jean-Paul II, in Isabelle JURASZ, Qui sont les Pères de l’Église [en ligne], 01.2005,
<https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Peres-de-l-Église/Qui-sont-les-Peres-de-l-Église>,
(consulté le 14 mai 2018).
129 JUSTIN, Dialogue de Saint Justin avec le juif Tryphon [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/Église/justin/tryphon.htm>, (consulté le 14 mai 2018). C’est nous qui
soulignons.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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50
et cette espérance qui nous vient de Dieu le père par le Dieu crucifié, chacun de
nous se reposant désormais sous sa vigne, c'est-à-dire n'ayant plus qu'une seule
et légitime épouse; et, en effet, dans notre conduite, vous avez sous les yeux la
vérité de cette parole prophétique : « Son épouse est comme une vigne féconde. »
Justin de Naplouse met en évidence l’émergence du concept englobant
d’humanité à partir du moment que les nouveaux croyants acceptent de changer
leurs anciennes voies et de remplacer la violence par la foi en Christ. Loin de n’être
qu’un concept philosophique, Justin de Naplouse propose à ses lecteurs de
constater à travers la communauté chrétienne, l’évidence et le résultat de cette
action, qui fait du respect de la personne et donc de la dignité un concept universel
et égalitaire.
Clément d’Alexandrie (150-211 CE), philosophe chrétien dans son
ouvrage Le Pédagogue130, Livre II, Chapitre 110, trad. Antoine de
Genoude.
Les Chrétiens n'ont qu'un instrument, qui est le Verbe pacifique que nous offrons
à Dieu pour l'honorer, ne nous servant plus de harpe, de trompette, de tambour
et de flûte, comme avaient coutume de le faire les peuples avides de guerre et de
sang, qui méprisèrent la crainte de Dieu et se réunirent en tumultueuses
assemblées, n'épargnant ni soin ni harangues pour exciter leur fureur, ou la
rallumer quand elle s'éteignait.
Une douce bienveillance doit nous animer dans le festin. Si vous aimez le Seigneur
votre Dieu et votre prochain comme vous-mêmes, vous louerez Dieu d'abord, et lui
rendrez des actions de grâces, ensuite vous vous montrerez doux et aimable
envers votre prochain.
Clément d’Alexandrie mentionne les instruments de musique
traditionnellement associés à la guerre dans l’Antiquité et met en lumière le nouvel
instrument de paix qui est le Verbe (Jésus) et dont l’influence bienveillante rejaillit
dans les actions du chrétien envers son prochain. Le vocabulaire employé de
douceur et d’aimabilité131 n’est pas celui généralement associé avec la virilité et la
dignité dans le monde gréco-romain (qui nous l’avons vu au premier chapitre est
130 CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Le divin Maître ou Le Pédagogue [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/Église/clementalexandrie/pedagogue3.htm>, (consulté le 14 mai
2018). C’est nous qui soulignons.
131 Selon le Lexicon de Bernard Taylor, eirinikô peut se décliner en tant que nom sous les sens de
paix, prospérité et/ou de repos éternel. En tant que verbe, il signifie apporter la paix, la garder au
sein de la communauté et/ou réconcilier. Bernard TAYLOR, Analytical Lexicon to the Septuagint,
Expanded éd., Peabody, Hendrickson Publishers, 2010, p. 160.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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51
associée avec la notion de statut et de pouvoir), mais fait plutôt parti du registre
des faibles et des esclaves. De plus, Clément invite ses lecteurs à considérer les
autres humaines comme leurs semblables, leur alter ego. Le respect de la dignité
humaine est indirectement renforcé par ces propos.
Tertullien (160-225 CE), théologien chrétien dans son ouvrage De
l’Idolâtrie132, trad. Antoine de Genoude.
On pourrait, dans ce chapitre, traiter de la milice, qui lie le milieu entre la dignité
et la puissance. Il s'agit en ce moment de savoir si un Chrétien peut servir dans
l'armée ; si un soldat des derniers rangs, qui ne se trouve jamais dans la nécessité
de sacrifier aux dieux, ou de prononcer des peines capitales, peut être admis dans
l'Église. Il n'y a pas de communauté possible entre les serments faits à Dieu et les
serments faits à l'homme ; entre l'étendard du Christ et le drapeau du démon ;
entre le camp de la lumière et le camp des ténèbres ; une seule et même vie ne
peut être duc à deux maîtres, à Dieu et à César. Sans doute Moïse porta une verge
; Aaron ceignit la cuirasse ; Jean revêtit le baudrier ; Jésus, fils de Nave, conduisit
une armée ; le peuple de Dieu lui-même combattit, si vous aimez à disputer. Mais
comment le soldat combattra-t-il, comment même servira-t-il pendant la paix, s'il
n'a pas d'épée ? Or, le Seigneur a brisé l'épée. Il est bien vrai que les soldats se
rendirent auprès de Jean et reçurent de sa bouche la règle qu'il fallait observer ;
il est bien vrai que le centurion eut la foi ; mais toujours est-il que le Seigneur, en
désarmant Pierre, a désarmé tous les soldats. Rien de ce qui sert à un acte illicite
n'est licite chez nous.
Tertullien est également pacifiste. Bien qu’il admette que la Bible contienne
des exemples d’entreprises militaires ordonnées par Dieu ou par des prophètes, il
affirme que sous la nouvelle alliance, la vie de soldat est incompatible avec la vie
de chrétien car Jésus a désarmé tous les soldats et a fait cesser toutes les violences
au nom de Dieu, le seul véritable Seigneur d’un chrétien. La violence et l’épée étant
considéré par Dieu comme des actes illicites, ils ne peuvent donc pas être rendu
licite ni par les hommes, ni par l’Église. Qu’il soit politique ou religieux, aucun
pouvoir humain n’est autorisé à user de la force du glaive, et aucun chrétien n’est
autorisé par Tertullien à être ne serait-ce qu’un associé passif de la violence.
132 TERTULLIEN, De l’Idolâtrie [en ligne], disponible sur
<http://www.tertullian.org/french/g2_08_de_idololatria.htm>, (consulté le 14 mai 2018). C’est nous
qui soulignons.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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Hippolyte de Rome (170-236 CE), exégète et théologien dans son
ouvrage La tradition apostolique (The Apostolic Tradition133).
A soldier, being inferior in rank to God, must not kill anyone. If ordered to, he
must not carry out the order, nor may he take an oath (sacramentum) to do so. If
he does not accept this, let him be dismissed from the church.
Anyone bearing the power of the sword, or any city magistrate, who wears purple,
let him cease from wearing it at once or be dismissed from the church.
Any catechumen or believer who wishes to become a soldier must be dismissed
from the church because they have despised God.
Hippolyte est tout aussi radicalement pacifiste, allant jusqu’à demander
l’exclusion des soldats ou des magistrats s’ils s’obstinent à porter les symboles
impériaux et prennent des vies au nom de l’Empire. Pour lui, ceux qui pratiquent
de telles actions démontrent leur mépris de Dieu.
Origène (185-254 CE), dans son ouvrage Contre Celse, trad. Marcel
Borret134.
A qui nous demande d’où nous venons et quel est notre chef nous répondons : nous
venons, suivant les conseils de Jésus, briser les épées rationnelles de nos
contestations et de nos violences pour en faire des socs de charrue et forger en
faucilles les lances auparavant employées à la lutte. Car nous ne tirons plus l’épée
contre aucun peuple ni ne nous entraînons à faire la guerre : nous sommes
devenus enfants de la paix par Jésus qui est notre chef, au lieu de suivre les
traditions qui nous rendaient "étrangers aux alliances" ;
Pour Origène135 les armées impériales de César ne sont pas compatibles avec
une vie chrétienne caractérisé par le non-conformisme civique, militaire et
politique (ce en quoi consiste l’accusation de Celse). Pour le croyant, l’exemple et le
chef est Jésus qui donnera la victoire à son peuple en vue d’établir un royaume de
paix et d’amour. La force et la radicalité de l’Évangile de Jésus donnent au
133 HIPPOLYTE DE ROME, The Apostolic Tradition, in MACGREGOR Kirk, « Nonviolence in the
Ancient Church and Christian Obedience », Themelios 33 (2008/1), p. 22-23. C’est nous qui
soulignons.
134 ORIGÈNE, Contre Celse 5.33-34, trad. BORRET Marcel, vol. 3, Paris, CERF, 1969, p. 99-100.
135 Origène est un homme de conviction et de zèle qui s’est efforcé de suivre une vie de simplicité et
d’abnégation à l’exemple du Christ au point d’être considéré par Lucy Villey comme faisant partie
des initiateurs des mouvements monastiques chrétiens. Lucile VILLEY, « Origène. Lecteur de
l’Écriture », Cahier Évangile 96 (1996/06), p. 16. Pierre Nautin mentionne la grande admiration
que suscite Origène auprès de ses pairs. NAUTIN Pierre, Origène. Sa vie et son œuvre, Paris,
Bauchesne, 1977, p. 70.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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christianisme la liberté de s’exprimer en dépit des innombrables obstacles que les
autorités mettent sur son chemin. De plus, l’Évangile, déjà à l’œuvre chez les juifs
par « hypothèse » a affranchi d’autant plus les chrétiens qui suivent à présent une
voie supérieure reniant toute forme de violence : « Les chrétiens ne pouvaient se
conformer à la loi de Moïse en massacrant leurs ennemis ou ceux que leurs
transgressions de la loi condamnaient à périr brûlés ou lapidés, puisque même les
Juifs, malgré leur désir, ne pouvaient infliger cette peine ordonnée par la loi [à
cause de l’Évangile]136. »
Arnobe l’Ancien/de Sicca (ou Arnobius, autour de 300 CE), dans son
ouvrage Contre les Heathen, trad. anglaise Hamilton Bryce et Hugh
Campbell137.
For since we, a numerous band of men as we are, have learned from His teaching
and His laws that evil ought not to be requited with evil, that it is better to suffer
wrong than to inflict it, that we should rather shed our own blood
En réponse aux accusations selon lesquelles la foi chrétienne aurait semé le
désordre public et aurait été un élément déclencheur de plusieurs guerres, Arnobe
défend la vision d’un christianisme ayant une influence apaisante sur la violence
humaine « il ne serait pas difficile de démontrer, qu’après que le nom du Christ fut
prêché au monde, non seulement elle n’augmenta pas [la violence] mais qu’elle fut
en grande partie réduite par la restreinte [qu’exerce le nom du Christ] des passions
violentes138. » Il est regrettable qu’Arnobe ait été très tôt marginalisé car ses points
136 Origène propose comme thèse que l’AT et le NT ne se contredisent pas l’un l’autre puisque Dieu
agissait déjà au sein du peuple d’Israël pour réduire la violence et que toutes les lois mosaïques
n’étaient pas appliquées, sauf les plus essentielles à la survie des Israélites en tant que nation.
ORIGÈNE, Contre Celse 7.26, trad. BORRET Marcel, vol. 4, Paris, CERF, 1969, p. 73.
137 ARNOBIUS, « The Seven Books of Arnobius against the Heathen (Adversus Gentes) », in
Alexander ROBERTS, James DONALDSON, A. Cleveland COXE (éd.), Fathers of the Third
Century: Gregory Thaumaturgus, Dionysius the Great, Julius Africanus, Anatolius and Minor
Writers, Methodius, Arnobius, vol. 6 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature
Company, 1886, p. 415. C’est nous qui soulignons.
138 « It would not be difficult to prove, that after the name of Christ was heard in the world, not only
were they not increased, but they were even in great measure diminished by the restraining of
furious passions. » ARNOBIUS, « The Seven Books of Arnobius against the Heathen (Adversus
Gentes) » in Alexander ROBERTS, James DONALDSON, A. Cleveland COXE (éd.), Fathers of the
Third Century: Gregory Thaumaturgus, Dionysius the Great, Julius Africanus, Anatolius and
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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de vue méritent, pour la plupart, d’être plus largement connus.
Nous pouvons également citer Cyprien de Carthage qui félicite dans ses
Lettres, ses compatriotes chrétiens qui font preuve de courage en s’opposant à
l’esprit de violence des hommes sans-Dieu et qui rejoignent librement l’armée du
Christ qui préfère s’armer des armes de la foi, plutôt que des armes du monde139.
Nous venons de voir des textes, allant du IIe au IVe siècle, qui présentent
une pensée de respect et de non-violence universelle radicalement contraire à la
culture de l’Empire romain où les faits d’armes étaient valorisés et où la guerre et
le pillage des ennemis de l’Empire constituaient un passage obligé du cursus
honorum politique et religieux.
2. L’Église chrétienne et les violences sociales
L’Église chrétienne des premiers siècles a fait face à une société très
différente de la nôtre où la violence sociale était omniprésente, que ce soit dans le
cadre privé au sein de la famille, comme par exemple les infanticides, ou que ce
soit dans le cadre public à travers les supplices et les arènes. Nous allons voir
quelles ont été les positions des théologiens chrétiens face à ces pratiques,
aujourd’hui jugées comme déshumanisantes, mais qui étaient la norme dans
l’Antiquité.
a. La discrimination en raison du sexe
Dans un monde gréco-romain souvent décrié comme étant au summum de
l’oppression patriarcale, les propos de Clément d’Alexandrie représentent une
rupture autant pour le monde judaïque dans lequel les exigences religieuses
diffèrent selon les sexes, que pour le monde gréco-romain où les femmes ne sont
Minor Writers, Methodius, Arnobius, vol. 6 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian
Literature Company, 1886, p. 415.
139 CYPRIAN OF CARTHAGE, The Epistles of Cyprian, in Alexander ROBERTS, James
DONALDSON, Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of the Third and Fourth Centuries: Hippolytus,
Cyprian, Novatian, Appendix, vol. 5 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature
Company, 1886, p. 288.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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pas toujours reconnues comme les égales des hommes140. A travers l’égalité des
sexes, c’est la dignité de l’ensemble de l’humanité que l’on reconnaît.
Clément d’Alexandrie (150-211 CE), philosophe chrétien dans son
ouvrage Le Pédagogue141, Chapitre 9, trad. Antoine de Genoude.
Embrassons donc de plus en plus cette obéissance salutaire ; livrons-nous tout
entiers au Seigneur ; attachons-nous fortement aux cordages du vaisseau de la
foi, et soyons bien persuadés que les vertus qu'elle nous ordonne de suivre sont
l'égal apanage de l'homme et de la femme. S'ils ont, en effet, un seul et même
Dieu, ils ont aussi un seul et même Pédagogue, une seule et même Église. La
modération, la tempérance, la pudeur sont des vertus communes aux deux sexes.
Ils se nourrissent des mêmes aliments, ils s'unissent par le mariage ; la
respiration, la vue, l'ouïe, l'intelligence, l'espérance, la disposition à écouter les
commandements de Dieu, la charité, tout leur est commun.
Si l'homme et la femme ont le même genre de vie, ils ont également part aux
mêmes grâces et au même salut. Ils sont aimés de Dieu avec le même amour,
instruits avec les mêmes soins…
Clément d’Alexandrie insiste dans ses écrits sur sa conception du Christ en
tant que Raison universelle, identique à « la Raison déposée par Dieu à l’origine
du monde dans le cosmos et dans l’esprit humain142. » L’universalité de cette
140 « En mainte règle de notre droit, la condition des femmes est pire que celle des hommes » ces
propos sont attribués à Papien, Digeste, 1. 5. 9., in Aurore BIGOT, Le statut juridique des femmes
de l’ordre sénatorial : d’Auguste aux Sévères, [en ligne], 2011, Master 1 d’histoire ancienne,
Université Paris I – Panthéon Sorbonne (dir. François Chausson), disponible sur
<https://journals.openedition.org/genrehistoire/1357>, (consulté le 14 mai 2018). Ce mémoire nous
présente une vision plus équilibrée du statut des femmes dans l’Antiquité, et fait remarquer que le
statut d’une femme de sénateur était certainement plus enviable que celui d’une prostituée, d’un
plébéien ou même d’un chevalier. Sur le rôle politique des femmes romaines voir : Jean-Marie
PAILLER, « Les matrones romaines et les empoisonnements criminels sous la République »,
Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 131 (1987/01), p.111-
128. L’éloge de la matrone inconnue qui endura l’humiliation afin de protéger son époux en exil est
une trace historique révélatrice du rôle financier, politique et familial que pouvait avoir une femme
dans la Rome antique : Augusto FRASCHETTI, Carlo PAVOLINI, Auguste et Rome, suivi de Ostie,
port et porte de Rome, Presses Universitaires Mirail, 2002, p. 31. Sur le rôle de la femme dans
l’Antiquité voir : Paul VEYNE, Sexe et pouvoir à Rome, Paris, Tallandier, 2016 ; Bruce WINTER,
Roman Wives, Roman Widows. The Appearance of New Women and the Pauline Communities,
Grand Rapids, Cambridge, Eerdmans, 2008. Pour finir, notons qu’en 195 BCE, à la suite des
guerres puniques, des femmes romaines menèrent avec succès une campagne politique contre le
Sénat afin d’obtenir la révocation de lois d’austérité leur interdisant une trop grande ostentation
dans les signes extérieurs de richesse.
141 CLEMENT D’ALEXANDRIE, Le divin Maître ou Le Pédagogue [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/Église/clementalexandrie/pedagogue1.htm>, (consulté le 14 mai
2018). C’est nous qui soulignons.
142 Pierre HADOT, Clément d’Alexandrie [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/clement-d-alexandrie/>, (consulté le 14 mai 2018).
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Raison ne fait pas de distinction entre les sexes143, la dignité étant avant tout un
concept postural dans l’Antiquité, homme et femme partagent donc selon Clément,
la même dignité.
b. Les infanticides
Dans l’Antiquité romaine, l’infanticide inclut autant ce que l’on appelle
aujourd’hui l’avortement, que le fait de tuer un enfant à sa naissance (par la
pratique de l’exposition sur les places publiques des enfants non désirés ou non
reconnus dans la culture romaine). Un enfant n’a pas de protection juridique et il
n’est pas considéré comme une personne tant qu’il n’est pas reconnu par le pater
familia et atteint l’âge de la virilité. La sélection de textes chrétiens des premiers
siècles que nous allons voir, dénoncent ces pratiques et défendent la vision
chrétienne de l’imago Dei depuis le ventre maternel. En plus du Didaché, l’un des
premiers écrits dogmatiques chrétiens, des auteurs tels que Tertullien, ou le
philosophe grec chrétien Athénagore d’Athène, dénoncent toutes les formes
d’atteintes à la vie et récusent les accusations de cannibalisme des nouveaux nés
dont font l’objet certaines communautés chrétiennes.
Tertullien exprime une vision similaire quant à l’importance de la Raison : « Avant tout
commencement, Dieu existait seul ; il était à lui-même son univers, son espace et la totalité des
êtres. Il était seul, parce qu’il n’y avait rien en dehors de lui. Mais, dans un certain sens, on pourrait
dire qu’il n’était pas tout à fait seul, car il avait avec lui ce qui était un lui depuis toujours : sa
Raison. En effet, Dieu est rationnel puisque la Raison était en lui auparavant ; c’est pourquoi tout
émane de lui. Or, cette Raison n’est pas autre chose que sa Sagesse. » TERTULLIEN, Contre
Praxéas 5.3, in Oeuvres, vol. 3, trad. DE GENOUDE André, Paris, L. Vivès, 1852, p. 183.
143 L’emploi du mot vertu n’est pas anodin puisqu’il s’agit de la virtus qui dans son contexte latin
renvoie à la qualité propre du vir, c’est-à-dire du mâle. Son acception première désigne le courage
physique que doit manifester le soldat sur le champ de bataille et fut divinisée dans la Rome antique
avec sa consœur fortuna ; ces deux notions étant indispensables à la victoire militaire. La virtus et
la fortuna, (en plus de « honneur et victoire ») eurent chacune un temple dédié à Rome. C’est avec
Cicéron que la virtus désignera un courage d’ordre politique, puis sous les stoïques elle deviendra
un attribut moral passif permettant au sage d’affronter toutes les situations. Clément d’Alexandrie
rejoint ses contemporains chrétiens en utilisant un vocabulaire qui rappelle au croyant qu’il fait
partie d’une armée dont le chef est Jésus et dont l’objectif est de répandre l’amour et la paix sur la
terre. Cette armée ne fait aucune distinction de statut, de sexe ou de race (Ga 3.38). Jean-Paul
BRISSON, Virtus [en ligne], disponible sur <http://www.universalis.fr/encyclopedie/virtus/>,
(consulté le 14 mai 2018) ; Craig TITUS, « Vertus », in Dictionnaire encyclopédique d’éthique
chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 2073-2093.
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Le Didaché144 (entre 70 et le IIe siècle CE)
Deuxième commandement de la doctrine : [2] "Tu ne tueras pas, tu ne seras pas
adultère", tu ne souilleras point de garçons, tu ne commettras ni fornication, "ni
vol", ni incantation, ni empoisonnement ; tu ne tueras point d'enfants, par
avortement ou après la naissance ; "tu ne désireras pas les biens de ton prochain."
[7] Tu ne dois haïr personne ; mais tu dois reprendre les uns, et prier pour eux, et
aimer les autres plus que ta vie.
Le Didaché défend implicitement la notion d’humanité à travers l’exigence
de respect de son alter ego.
Tertullien (160-225 CE), théologien chrétien dans son ouvrage
L’apologétique de Tertullien : apologie du christianisme145, trad. J.P.
Waltzin.
C'est un homicide anticipé que d'empêcher de naître et peu importe qu'on arrache
la vie après la naissance ou qu'on la détruise au moment où elle naît.
Nous voyons ici le terme juridique d’homicide employé pour désigner le
meurtre d’un enfant, quel que soit son appartenance sociale ou raciale. Cela
contraste avec le droit romain dans lequel un enfant, esclave ou libre, est sous la
tutelle juridique du pater familia qui a droit de vie ou de mort, sans que cela ne
soit jugé répréhensible par la loi. L’embryon puis l’enfant se voit attribué par
Tertullien un statut juridique autonome, d’où la reconnaissance d’une dignité
humaine ontologique implicite.
Athénagore d’Athènes (133-190 CE), dans son ouvrage Supplique
au sujet des chrétiens146, trad. Gustave Bardy.
Et nous qui disons que celles qui emploient des moyens pour faire avorter
commettent des meurtres et devront rendre compte de l’avortement à Dieu,
144Le Didaché [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/peresapostoliques/didache.htm> (consulté le 14 mai 2018). C’est nous
qui soulignons.
145TERTULLIEN, L’apologétique de Tertullien : apologie du christianisme [en ligne], p. 38,
disponible sur <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k90980s/f42.item.r=naissance> (consulté le 14
mai 2018).
146 Dans le chapitre 35 dont est issue la citation, l’auteur condamne toutes les formes de violence,
allant du cannibalisme au spectacle des arènes en passant par les infanticides. ATHENAGORE,
Supplique au sujet des chrétiens, trad. BARDY Gustave, Paris/Lyon, CERF/De l’Abeille, 1943,
p. 166-167.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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comment pourrions-nous commettre des meurtres ? On ne peut pas en même
temps penser que ce qui est dans le sein de la mère est un être vivant et que pour
cela Dieu s’en occupe, et d’autre part tuer quelqu’un qui est avancé dans la vie ;
ne pas exposer un enfant venu au monde – car ceux qui exposent les enfants sont
infanticides -, et après cela tuer l’enfant qui a été élevé. Mais nous sommes en
toutes choses semblables et égaux partout ; nous obéissons à la raison et nous ne
lui commandons pas.
Les enfants exposés étaient souvent considérés comme illégitime,
indésirable et donc droit à la vie. Nous trouvons les propos d’Athénagore pertinent
à notre sujet dans le sens où l’enfant se voit attribuer une dignité implicite, sans
que ne soit fait de distinction entre ses statuts (libre/esclave, légitime/illégitime,
handicapé/saint).
Parmi les défenseurs du droit à la vie des nouveaux nés, nous pouvons
également mentionner Justin de Naplouse (100-165 CE), dans son Apologie pour
les chrétiens et l’Épître de Barnabé147 (circa 100-131 CE). Dans leur défense des
plus vulnérables, les chrétiens n’oublient pas également les plus âgés : « A cause
de cela, et selon leur âge, nous regardons les uns comme des fils et des filles, les
autres comme des frères et des sœurs, et à ceux qui ont vieilli nous accordons le
même honneur qu’à nos pères et à nos mères148. » Ici encore, nous comprenons la
reconnaissance de fraternité comme basée sur l’appartenance à la famille humaine
et non pas sur le rang social ou à l’appartenance familiale de sang.
c. Les spectacles sanglants
L’amphithéâtre (ou arène) est, avec les thermes, l’un des édifices les plus
caractéristiques d’une ville gréco-romaine et représente un outil diplomatique
d’influence culturelle. C’est à travers les représentations théâtrales, mais aussi et
surtout par les jeux de l’arène, que le monde romain se reconnaissait et
s’organisait : « Utilisés à des fins publicitaires par les candidats briguant une
charge publique à l'époque républicaine, ils seront donnés ensuite au profit exclusif
147 « Tu ne supprimeras pas l’enfant par avortement et tu ne le feras pas non plus périr après sa
naissance. Tu n’auras pas la main trop légère à l’égard de ton fils ou de ta fille, mais dès leur
enfance, tu leur enseigneras la crainte du Seigneur. » Épître de Barnabé 19.5-6, trad. PRIGENT
Pierre, Paris, CERF, 1971, p. 203. Notons que les exigences de restreinte et d’éducation s’appliquent
indifféremment aux garçons comme aux filles.
148 ATHENAGORE, Supplique au sujet des chrétiens, trad. BARDY Gustave, Paris/Lyon, CERF/De
l’Abeille, 1943, p. 160.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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de l'empereur149. » En plus de représenter le pouvoir et la générosité des
empereurs, les amphithéâtres avaient également un caractère sacré.
Lactance (Lucius Caecilius Firmianus), rhéteur et apologiste
chrétien (250-325 CE) et figure polémique150 dans son ouvrage Institutions
divines151.
For he who reckons it a pleasure, that a man, though justly condemned, should
be slain in his sight, pollutes his conscience as much as if he should become a
spectator and a sharer of a homicide which is secretly committed. And yet they
call these sports in which human blood is shed. So far has the feeling of humanity
departed from the men, that when they destroy the lives of men, they think that
they are amusing themselves with sport, being more guilty than all those whose
blood-shedding they esteem a pleasure.
Lactance dénonce ici le spectacle considéré comme récréatif des jeux
gladiatoriaux. Il fait mention du manque d’humanité de ceux qui prennent plaisir
à voir des hommes, quand bien même ils auraient été jugés coupables, être tués au
nom du sport et du divertissement. Lactance dénonce également le spectacle que
donne ceux qui durcissent leurs cœurs aux tourments des combattants et qui
réclament la mort du perdant lors des jeux, y compris celle des innocents : « Étant
imprégné de cette coutume, ils ont perdu leur humanité152. »
Parmi les autres objecteurs de conscience, nous pouvons également
149 Jean-Claude GOLVIN, Amphithéâtre [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/amphitheatre/>, (consulté le 14 mai 2018).
150 « Témoin du syncrétisme philosophico-religieux de son temps, il développe une théologie
approximative ou archaïque, parfois franchement erronée. Sa célébrité repose surtout sur le
classicisme de son style, son éloquence et son souci apologétique dans la présentation du message
chrétien aux élites cultivées de son temps. » Jean-Jacques ROUCH, « Lactance », in Gérald
REYNAL (éd.), Dictionnaire des théologiens et de la théologie chrétienne, Paris, Bayard, 1998,
p. 266.
151 LACTANTIUS, « The Divine Institutes », in Alexander ROBERTS, James DONALDSON,
Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of the Third and Fourth Centuries: Lactantius, Venantius,
Asterius, Victorinus, Dionysius, Apostolic Teaching and Constitutions, Homily, and Liturgies, vol.
7 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature Company, 1886, p. 186. 152 « Being imbued with this practice, they have lost their humanity. » Lactantius, « The Divine
Institutes », in Alexander ROBERTS, James DONALDSON, Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of
the Third and Fourth Centuries: Lactantius, Venantius, Asterius, Victorinus, Dionysius, Apostolic
Teaching and Constitutions, Homily, and Liturgies, vol. 7 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo,
Christian Literature Company, 1886, p. 187.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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60
mentionner Tatien le Syrien dans son Discours contre les Grecs153 (168 CE) qui
dénonce la soif de sang que manifestent ceux qui fréquentent assidument les
arènes, et qui n’ont jamais assez du sang des animaux ou des hommes. Tertullien
dans son Apologie du Christianisme154 invite les païens à rougir devant les
chrétiens qui s’abstiennent même du sang des animaux en leur préférant des
aliments simples et des occupations saines. Athénagore dans Supplique au sujet
des chrétiens se défend de l’accusation de cannibalisme en insistant sur le dégout
des chrétiens pour le meurtre sous toutes ses formes, y compris celle des arènes155.
Pour finir, Cyprien de Carthage dans son ouvrage Lettres156 dénonce le bain de
sang que représente les jeux de l’arène et la violence licite du monde romain. Il met
en évidence l’hypocrisie de son époque qui dénonce comme étant un crime le
meurtre d’une personne mais se réjouit lors d’un massacre de gladiateur.
Du statut d’égalité de l’homme et de la femme dans la religion (avec ses
répercussions éthiques) à la condamnation des violences sociales, y compris celles
considérées comme licites, des auteurs chrétiens, qu’ils soient évêques ou
philosophes, ont pris une part active dans la lutte contre la déshumanisation des
marginalisés et des plus vulnérables de leur société. Historiquement, le rôle de
l’Église dans l’abolition des infanticides (particulièrement des filles) ainsi que des
jeux gladiatoriaux est universellement reconnu. En luttant contre la
153 TATIEN, Discours contre les Grecs [en ligne], disponible sur
<http://archive.wikiwix.com/cache/?url=https%3A%2F%2Ffr.wikisource.org%2Fwiki%2FLes_P%2
5C3%25A8res_de_l%25E2%2580%2599%25C3%2589glise%2FTome_2%2FDiscours_contre_les_Gr
ecs_(Tatien)> , (consulté le 14 mai 2018). Le texte grec de Tatien nous est parvenu par le codex
d’Aréthas, une source manuscrite du Xe siècle. Hélène DENEUX, « Tatiens, Aux grecs », in Bernard
POUDERON (éd.), Premiers écrits chrétiens : [Textes traduits du grec ancien, du latin, de l’arabe,
de l’arménien, de l’hébreu, du slavon et du syriaque], Paris, Gallimard, 2016, p. 1307.
154 TERTULLIAN, « The Apology », in Alexander ROBERTS, James DONALDSON, Cleveland A.
COXE (éd.), Latin Christianity: Its Founder, Tertullian, vol. 3 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo,
Christian Literature Company, 1886, p. 25. 155 « Mais nous, nous croyons que c’est à peu près la même chose de voir un homme tué et de le tuer,
et nous nous écartons de pareils spectacles. » Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens, trad.
BARDY Gustave, Paris, Lyon, CERF, De l’Abeille, 1943, p. 166.
156 CYPRIAN OF CARTHAGE, « The Epistles of Cyprian », in Alexander ROBERTS, James
DONALDSON, Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of the Third and Fourth Centuries: Hippolytus,
Cyprian, Novatian, Appendix, vol. 5 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature
Company, 1886, p. 277.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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61
déshumanisation des personnes, c’est leur dignité ainsi que celle de l’humanité qui
est implicitement défendue.
3. L’Église chrétienne et les violences juridiques
Aujourd’hui encore, certains gouvernements revendiquent le droit de
mettre à mort leurs citoyens, que ce soit par injection ou par décapitation157. Dans
l’Antiquité romaine, les pratiques de la crucifixion, des arènes et d’autres supplices
étaient monnaie courante158. Des penseurs chrétiens vont se démarquer de leur
culture par une radicalité surprenante. Deux auteurs se distinguent
particulièrement par leurs écrits à travers desquelles nous percevons une
revendication en faveur de la dignité humaine. Il s’agit de Tertullien et de
Lactance.
Tertullien, théologien chrétien (160-225 CE) dans son ouvrage De
la couronne du soldat159, trad. André de Genoude.
Lui sera-t-il permis de vivre l'épée à la main, quand le Seigneur a déclaré que
"quiconque se servait de l'épée, périrait par l’épée ?" Ira-t-il au combat le fils de la
paix, auquel la dispute n'est même pas permise ? Infligera-t-il à autrui les chaînes,
la prison, les tortures et les supplices, lui qui ne sait pas venger ses propres
injures ?
Tertullien poursuit cette déclaration étonnante de modernité, en
interpellant le croyant sur l’incompatibilité entre la mission de paix et d’amour du
Christ, et celle de violence d’un soldat ou d’un garde, chargé de faire respecter
l’ordre par l’épée et par la violence. Cette citation nous semble particulièrement
157 Selon le ministère des affaires étrangères françaises, un tiers des pays dans le monde pratique
encore la peine de mort, tels que les États-Unis ou l’Arabie Saoudite. Carte interactive : la peine de
mort dans le monde [en ligne], 05.2017, disponible sur <https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-
etrangere-de-la-france/droits-de-l-homme/peine-de-mort/la-peine-de-mort-dans-le-monde/>,
(consulté le 20 mai 2018). La peine de mort est considérée comme une atteinte à la dignité humaine
par les principales associations de lutte en faveur des droits de l’homme telles qu’Amnesty
Internationale ou l’ACAT.
158 Denise GRODZYNSKI, « Tortures mortelles et catégories sociales. Les Summa Supplicia dans
le droit romain aux IIIe et IVe siècles », Publications de l'École Française de Rome (1984/79), p. 361-
403.
159 TERTULLIEN, De la couronne du soldat [en ligne], disponible sur
<http://www.tertullian.org/french/g2_04_de_corona_militis.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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pertinente du fait que le théologien ne se contente pas de condamner la mise à
mort d’être humain, mais il condamne également l’ensemble du spectre de
déshumanisation de l’individu comme la torture ou l’emprisonnement.
Lactance (Lucius Caecilius Firmianus - 250-325 CE), rhéteur et
apologiste chrétien dans son ouvrage Institutions divines160.
For when God forbids us to kill, He not only prohibits us from open violence, which
is not even allowed by the public laws, but He warns us against the commission
of those things which are esteemed lawful among men.
Dans ce texte, Lactance ne s’arrête pas à la condamnation des violences de
l’arène, il invite ses lecteurs à s’opposer, au nom du commandement contre le
meurtre, aux actes de violence reconnus licites par les lois. Ainsi, Lactance rejoint
Tertullien dans un appel à la non-violence et à la non-dégradation de l’humain,
dans et par les communautés chrétiennes.
4. Conclusion
Dans cette première partie, nous avons constaté l’émergence dans les
premiers siècles de notre ère et dans la pensée chrétienne, de positions
théologiques, philosophiques et politiques en accord avec l’esprit des droits de
l’homme et de l’acception moderne de la dignité, à savoir que le respect de la vie
humaine est une valeur inaliénable et transcendante de la personne humaine.
B. Les moyens de lutte de l’Église contre les atteintes à la dignité
humaine
Dans cette deuxième partie, nous allons voir par quelle rhétorique et par
quels moyens la littérature de l’Église ancienne encourageait les disciples à
défendre leurs valeurs et les croyances au sein d’une société non chrétienne.
160 LACTANTIUS, « The Divine Institutes », in Alexander ROBERTS, James DONALDSON,
Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of the Third and Fourth Centuries: Lactantius, Venantius,
Asterius, Victorinus, Dionysius, Apostolic Teaching and Constitutions, Homily, and Liturgies, vol.
7 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature Company, 1886, p. 187.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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1. La sacralité de la personne humaine
a. La sacralité de l’image de Dieu
Pour la théologie chrétienne, et ce dès les premiers siècles, la création de
l’homme à l’image de Dieu a pour conséquence la sacralisation de l’individu (Ps 8 ;
Rm 1.18-32 ; Hé 11.3). Cette sacralisation attribue à l’homme une dignité
ontologique et une valeur qu’aucun statut ni aucune fonction ne peuvent diminuer
car cette valeur est garantie par Dieu, pour qui Jésus est venu en démontrer
l’attachement.
Le christianisme a donné une place centrale à la personne en insistant sur
le rapport de foi individuel à entretenir avec Dieu à travers Jésus. Ce faisant, le
christianisme a été un facteur de libération de la personne de la tutelle sociétale161.
Bien entendu, le christianisme ne fait que poursuivre et amplifier une tradition
biblique préexistante, où, dans l’AT, Dieu s’adresse personnellement autant à des
nations qu’à des individus, homme et femme. Là où le christianisme innove, c’est
en faisant tomber les barrières de distinction ontologique entre les sexes, les races
et les statuts sociaux162.
Le chrétien est considéré par les Pères comme ayant prêté serment à Dieu
à travers le baptême, et se doit de démontrer son allégeance en considérant l’être
humain avec la même compassion démontré par Jésus163. Clément d’Alexandrie et
Lactance nous fournissent des citations incontournables au sujet de la personne
humaine comme image sacrée de Dieu.
Selon Clément d’Alexandrie (150-211 CE), philosophe chrétien
dans son ouvrage Discours aux gentils 164, trad. André de Genoude.
Que vous sacrifiiez un homme à Diane, à Jupiter, dans un lieu saint, ou que vous
l'immoliez à la vengeance, à l'avarice, aux démons, sur un autel ou sur un grand
161 René RÉMOND, Le christianisme en accusation, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, p. 137.
162 Ibid., p. 138.
163 Ac 5.29 ; Mt 22.39 ; Mc 12.31.
164 CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Discours aux Gentils [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/Église/clementalexandrie/contrelesgentils.htm>, (consulté le 14 mai
2018). C’est nous qui soulignons.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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chemin, n'appelez pas l'homme assassiné une victime sacrée ; Votre action n'est
pas un sacrifice, c'est un meurtre, un homicide.
Ce à quoi il ajoute165 :
Imaginez-vous que Dieu vous adresse ces paroles : Ne regardez pas la pierre, le
bois, les oiseaux, les serpents, comme des objets plus sacrés que les hommes. Loin
de là, tenez les hommes pour véritablement sacrés ; n'estimez les bêtes que ce
qu'elles sont. Les hommes, en effet, dans le lâche aveuglement de leurs pensées,
croient que Dieu promulgue ses oracles par la voix d'un corbeau ou d'un geai, mais
qu'il garde le silence par la bouche de l'homme. Dès lors ils rendent les honneurs
divins à un misérable oiseau qu'ils transforment en interprète et en messager de
Dieu ; mais l'homme, créature de Dieu, l'homme qui, bien qu'il ne glousse ni ne
croasse, fait au moins entendre le langage de la raison ; l'homme, qui les instruit
avec miséricorde, et les pousse à la pratique de la justice, ils le poursuivent en
barbares ; ils s'efforcent de l'immoler, sans être retenus ni par l'espérance des
bienfaits célestes, ni par la crainte des châtiments.
Selon Lactance (250-325 CE), rhéteur et apologiste chrétien dans
son ouvrage Institutions divines166 :
Ainsi il ne sera pas conforme à la loi pour un homme juste ni de faire la guerre
[…] ni d’accuser quiconque d’un crime capital, car il n’y a aucune différence entre
le fait de condamner un homme à mourir, ou de le tuer soi-même par l’épée,
puisque c’est l’acte lui-même de mettre à mort qui est prohibé. Par conséquent,
aucune exception ne doit être faite à ce commandement de Dieu ; quelques soient
les circonstances, il est toujours illégal de mettre à mort une personne, que Dieu
a voulu être un animal sacré.
La sacralité de la vie humaine comme voulue et instituée par Dieu est
certainement le concept fondamental de la vision chrétienne de la dignité humaine.
La personne humaine est digne parce que créée à l’image de Dieu, et que ce dernier
l’a voulue digne. La citation de Lactance est d’autant plus importante que son
auteur a vécu durant le IVe siècle, qui est pour l’Église autant un siècle de grande
expansion qu’un siècle de transition et de trouble théologique.
165 Ibid. 166 « Thus it will be neither lawful for a just man to engage in warfare […] nor to accuse any one of
a capital charge, because it makes no difference whether you put a man to death by word, or rather
by the sword, since it is the act of putting to death itself which is prohibited. Therefore, with regard
to this precept of God, there ought to be no exception at all; but that it is always unlawful to put to
death a man, whom God willed to be a sacred animal. » Lactantius, « The Divine Institutes », in
Alexander ROBERTS, James DONALDSON, Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of the Third and
Fourth Centuries: Lactantius, Venantius, Asterius, Victorinus, Dionysius, Apostolic Teaching and
Constitutions, Homily, and Liturgies, vol. 7 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian
Literature Company, 1886, p. 187. Traduit par nos soins.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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65
b. De la sacralité à la sainteté de la personne
L’histoire des idées classifie trois grandes attitudes morales applicables à
l’homme : le sage, le héros et le saint167. Pour comprendre les conséquences de la
sacralisation de l’être humain, il est important de noter dans la tradition
chrétienne et biblique l’omniprésence de la notion de sainteté de laquelle la
sacralité est issue. La figure du saint est d’abord celle de Dieu puis des hommes et
des femmes qui lui font confiance et qui forment son peuple (Lv 20.26 ; 1 P 1.16).
Le saint est une figure exclusivement religieuse qui se démarque du sage et du
héros du fait que sa sainteté est une forme de perfection qui se réalise « moins par
recherche de l'intégrité que par amour de Dieu (ou du divin), dans l'ardeur
d'une foi qui pousse au dévouement total et à l'oubli de soi168. » Et c’est parce que
cette sainteté est un don d’amour de Dieu mis à la disposition de tous les hommes,
atteignable par tout homme et ancré en tout homme, que la tradition chrétienne,
représentée par les Pères que nous avons cités, accorde aux hommes une place
spéciale dans la création.
2. L’Église, une armée d’amour, de paix et de piété
a. La désobéissance comme service rendu à l’Empire
Origène, dans son ouvrage Contre Celsus, invite les croyants à se soumettre
aux autorités mais uniquement si cela est dans les intérêts de ces derniers et en
accord avec leur foi. La désobéissance à un ordre donné par ceux au pouvoir peut
être faite dans l’intérêt de la nation, quand les chrétiens choisissent la prière plutôt
que d’obéir aux ordres de violence.
En agissant ainsi, les chrétiens luttent spirituellement dans un combat que
les autorités ignorent mais qui pourtant représente le véritable enjeu de toutes
batailles : « Ainsi, personne ne défend mieux les intérêts de l’empereur que nous.
En effet, nous ne luttons pas sous ses ordres, quand bien même il l’exige ; mais
167 Yves CONGAR, Louis GARDET, Françoise MALLISON et al., Sainteté [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/saintete/>, (consulté le 14 mai 2018). Denis MULLER,
« Sujet et personne », in Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 1941-
1958.
168 Ibid.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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nous luttons pour lui, en formant une force spéciale – une armée de piété – en
offrant nos prières à Dieu169. » Nous rappelons que chez Origène, le croyant est
appelé à lutter pour les causes de sa nation mais par des moyens différents de ceux
utilisés par le pouvoir séculier.
b. La piété comme moyen de lutte contre les injustices
Les Pères de l’Église pré-constantinienne ne se contentent pas d’appeler à
imiter la non-violence et le pacifisme du Christ, ils sont également profondément
militants. Ainsi, Origène, toujours dans son traité Contre Celse170, en plus de faire
l’apologie de la piété comme moyen de lutte en faveur de la société et de l’empereur,
compare les croyants à des prêtres, qui, même dans les religions païennes, ne sont
pas autorisés à être également des combattants car selon lui, le Divin doit être
adoré avec des mains pures. La responsabilité des chrétiens en temps de trouble
et de guerre n’est pas d’aller combattre et de tuer sur les ordres des rois, mais de
prier et d’agir avec droiture afin que le conflit se résolve par la victoire des justes.
Cette position intransigeante de non-violence fera consensus au sein de l’Église
d’Alexandrie jusqu’à l’officialisation du christianisme comme seule religion de
l’État sous l’empereur Théodose. Dans d’autres régions de l’Empire, cette position
aura également des adeptes tels que Lactance à Trèves171 ou encore Clément
d’Alexandrie172.
169 « Accordingly, no one fights better for the emperor than we do. We do not indeed fight under
him, although he requires it; but we fight on his behalf, forming a special army—an army of piety—
by offering our prayers to God. » ORIGEN, « Contra Celsum » in MACGREGOR Kirk, « Nonviolence
in the Ancient Church and Christian Obedience », Themelios 33 (2008/1), p. 24. 170 ORIGEN, « Origen against Celsus », in Alexander ROBERTS, James DONALDSON, Cleveland
A. COXE (éd.), Fathers of the Third Century: Tertullian, Part Fourth; Minucius Felix; Commodian;
Origen, Parts First and Second, vol. 4 de The Ante-Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature
Company, 1885, p. 668.
171 Kirk MACGREGOR, « Nonviolence in the Ancient Church and Christian Obedience », Themelios
33 (2008/1), p. 25.
172 Clément d’Alexandrie présente Jésus comme soufflant un vent de paix aux quatre coins de la
Terre et rassemblant ses soldats de paix par son Évangile, qui est la trompette de la paix et la
marque du royaume des cieux. Clement of Alexandria, « Exhortation to the Heathen », in Alexander
ROBERTS, James DONALDSON, Cleveland A. COXE (éd.), Fathers of the Second Century:
Hermas, Tatian, Athenagoras, Theophilus, and Clement of Alexandria (Entire), vol. 2 de The Ante-
Nicene Fathers, Buffalo, Christian Literature Company, 1885, p. 204.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
____
67
c. L’humilité volontaire comme moyen de paix
La culture gréco-romaine était très stratifiée et chaque individu devait
respecter sa classe sociale, ses droits et ses devoirs. Ce système de classe
encourageait la féodalité, chaque citoyen recherchant la protection et le patronage
des classes supérieures. L’humilité volontaire n’a jamais été considérée comme une
vertu par les philosophes. La dignité étant basée sur le prestige et l’élévation au
rang des dignitaires, l’humilité était vue comme le lot des esclaves, des serviteurs
et des étrangers.
C’est dans ce contexte que les premiers chrétiens placèrent, à la suite du
Christ, la fraternité et l’humilité au centre de leur foi (lavement des pieds) et de
leur rapport à l’autre173, avec pour objectif d’imiter la même bienveillance et la
même impartialité de Dieu, y compris envers les plus démunis, les païens, les
pécheurs, voire même envers les ennemis174.
Cette impartialité de l’accueil de Dieu est sans doute la révolution éthique
la plus importante que l’Église primitive ait apporté au monde. Plutôt que d’entrer
en conflit frontal avec la société de leur époque sur ces questions controversées de
l’esclavage ou du patriarcat, les premiers chrétiens ont préféré mettre l’accent sur
la création d’une communauté parallèle où ces principes de l’émancipation et de
l’égalité étaient vécu sans pour autant casser les codes sociaux et juridiques. Ainsi,
l’Église se faisait force de proposition et présentait une alternative sociale qui
s’établi peu à peu comme la norme175.
Nous avons sélectionné les textes de trois auteurs qui explicitent cette
173 « Tu seras simple de cœur et riche d’esprit […] Tu ne t’élèveras pas toi-même, mais tu seras
humble en toutes circonstances. Tu ne t’arrogeras pas de gloire. Tu ne concevras pas de mauvaises
intentions contre ton prochain. Tu ne t’abandonneras pas à l’arrogances. » Épître de Barnabé 19.2-
4, trad. PRIGENT Pierre, Paris, CERF, 1971, p. 199.
174 Mt 22.16 et Ac 10.34-35.
175 Clément de Rome (30-100 CE ou 70-140 CE) nous offre, parmi d’autres (l’Épître de Barnabé,
l’Épître à Diognète, Tertullien), une incessante invitation à l’amour, à la fraternité et à l’humilité
dans le service de Dieu. Cette invitation à vivre l’amour parfait de Dieu s’associe à une invitation
à mettre de côté l’arrogance et la supériorité du monde qui rabaisse les autres. CLEMENT OF
ROME, First Epistle to the Corinthians [en ligne], disponible sur
<http://www.ewtn.com/library/patristc/anf1-1.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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68
réalité, à savoir l’Épître de Barnabé, Tatien176 et Clément d’Alexandrie :
L’Épitre de Barnabé :
Tu ne seras pas dur en donnant tes ordres à ton serviteur ou à ta servante qui
espèrent dans le même Dieu que toi, de peur qu’ils ne perdent la crainte du Dieu
qui est votre commun maître. Car il est venu non pour appeler ceux que distingue
la qualité de personne, mais (il est venu) vers ceux que l’Esprit a préparés. Tu
partageras tout avec ton prochain sans rien appeler ton bien propre. Car si vous
partagez les biens incorruptibles, à combien plus forte raison devez-vous le faire
pour les biens corruptibles177.
Tatien :
Les riches ne sont pas les seuls à pratiquer notre philosophie mais les pauvres
aussi profitent gratuitement de notre enseignement : ce qui vient de Dieu est bien
trop précieux pour être échangé contre les cadeaux de ce monde. Nous acceptons
tous ceux qui veulent écouter, que ce soient les vieilles femmes ou de jeunes gens,
tous les âges en un mot sont reçus en honneur chez nous ; mais ce qui relève de la
débauche est tenu à bonne distance178.
Clément d’Alexandrie :
Le Verbe n'a jamais été caché pour qui que ce soit. Flambeau universel, il luit
indistinctement « pour tous les hommes, » et devant ses rayons indéfectibles, il
n'y a pas de Cimmérien (5). Hâtons-nous de conquérir le salut par la régénération
I Prenant pour modèle l'unité de l'essence divine, hâtons-nous de nous confondre,
nombreux fidèles, dans l'unité d'un seul et même amour, et, désireux de
contempler l'essence souverainement bonne à la bonté de laquelle nous
participons, marchons également dans l'unité179.
176 « Les apologistes se félicitaient que l’enseignement chrétien fût dispensé sans discrimination,
contrairement aux polémistes païens qui méprisaient l’humble origine et la modeste culture de la
grande majorité des chrétiens. » Bernard POUDERON (éd.), Premiers écrits chrétiens : [Textes
traduits du grec ancien, du latin, de l’arabe, de l’arménien, de l’hébreu, du slavon et du syriaque],
Paris, Gallimard, 2016, p. 1319.
177 Épître de Barnabé 19.7-10, trad. PRIGENT Pierre, Paris, CERF, 1971, p. 205-207. 178 TATIEN, « Aux Grecs, XXXII », trad. DENEUX Hélène, in Bernard POUDERON (éd.), Premiers
écrits chrétiens, p. 618. 179 CLEMENT D’ALEXANDRIE, Discours aux Gentils, IX, 88 [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/Église/clementalexandrie/contrelesgentils.htm>, (consulté le 14 mai
2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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69
3. Conclusion
Nous avons choisi une sélection de théologiens et de philosophes chrétiens
la plus représentative possible des débats théologiques animant l’Église avant
qu’elle ne devienne une religion officielle. Nous avons vu l’accent porté sur le
respect de l’humain en tant que création divine ainsi que sur l’appel à un
changement radical dans les comportements envers autrui. Ces auteurs insistent
sur le fait que Jésus étant le Seigneur du croyant, ce dernier se doit de suivre son
exemple de non-violence. L’existence d’une telle radicalité180 de position au sein de
l’Église dès les premiers siècles (pourtant en pleine persécution) et ce jusqu’à
l’antiquité tardive, est pour nous frappante.
180 Cette radicalité de position est d’autant plus remarquable au vu de la culture martiale romaine
qui accorde de l’importance dans la célébration de Mars, le dieu de la guerre. Pour plus
d’informations sur le contexte historique entourant la naissance de l’éthique chrétienne sur la
dignité humaine voir David GUSHEE, The Sacredness of Human Life. Why an Ancient Biblical
Vision Is Key to the World’s Future, Grand Rapids, William B. Eerdmans Publishing Company,
2013.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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II. Les effets de la politisation du christianisme sur la
dignité humaine
Nous allons voir à présent comment l’influence de la romanisation de
l’Église, à travers la tolérance puis l’officialisation du christianisme en tant que
religion d’État, a impacté sa conception de la dignité de la personne humaine.
Dans un deuxième temps, nous verrons les lourdes conséquences sociales
et éthiques sur la personne humaine qu’ont eu la politisation de l’Église et l’usage
de la force séculière pour stabiliser sa croissance.
A. L’officialisation du christianisme au sein de l’Empire
Notre démarche historique se poursuit par l’étude des facteurs ayant
conduit à la reconnaissance de l’Église en tant que religion d’État et ses effets sur
son respect de la dignité humaine.
1. De la persécution à la reconnaissance
a. De la persécution
La rapide expansion du christianisme fut une menace pour l’ordre établi et
les statu quo de l’Empire romain. Les relations entre l’Église primitive et les
autorités romaines furent ambivalentes et tendues dès le départ. D’abord perçue
comme une secte juive dissidente, le christianisme fut touchée par les mêmes chefs
d’accusations que ceux touchant les Juifs: les délits d’athéisme (à cause de leur
refus de sacrifier aux dieux païens et de leur croyance en un monothéisme),
d’amixia (caractérisant leur volonté de rester séparés du monde et de ne pas se
mélanger à la culture ambiante), de misanthropia (désignant la haine envers
l’humanité) ainsi que l’insistance des Juifs et des premiers chrétiens à ne pas
servir dans les forces militaires de l’Empire181.
Autant les Juifs que les chrétiens étaient perçus comme refusant
obstinément, y compris sous la menace de la question (torture), de participer aux
181 David GUSHEE, The Sacredness of Human Life, p. 134.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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festivals païens et de remettre en question leur conviction et leur loyauté envers
Dieu182. Ce faisant, ils étaient accusés de troubler l’ordre public et d’attiser la colère
des dieux par leur impiété. Mais là où les Juifs, du fait de leur ancienneté
historique étaient tout juste tolérés, ce ne fut pas le cas pour le christianisme dont
les ambitions universelles et planétaires inquiétèrent très vite les autorités
romaines183.
b. A la reconnaissance
En dépit des critiques et des attaques portées à l’encontre des
communautés chrétiennes, les textes gréco-romains démontrent une certaine
forme d’admiration pour leur sens moral, leur cohésion et leur solidarité.
Dans sa lettre à l’empereur Trajan, Pline le Jeune observe que le seul crime
qu’il peut retenir contre les chrétiens, est celui d’être chrétien. Il met en évidence
le pacifisme, les repas en commun hebdomadaires ainsi que leur piété184. Lucien
de Samosate, un poète romain du IIe siècle, s’étonne également de la solidarité
chrétienne, y compris dans le domaine financier, leur loyauté envers le Christ ainsi
que leur courage face aux persécutions et à la mort185. Cette réputation de
bienséance, d’empathie et de générosité186, notamment envers ceux extérieurs aux
182 Voir la Lettre de Pline le Jeune (livre X, lettre 96 [97]) à l’empereur Trajan, vers 111-112 CE, à
propos des persécutions des chrétiens refusant de renoncer à leur foi. PLINE LE JEUNE, Pline à
l’empereur Trajan [en ligne], disponible sur
<http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29833q/f413.texteImage>, (consulté le 14 mai 2018) ; « Pline
le Jeune et Trajan », in Bernard POUDERON (éd.), Premiers écrits chrétiens, p. 1167.
183 La théologie chrétienne naissante, marquée par les enseignements de Jésus ainsi que ceux de
l’apôtre Paul, refusant de s’assimiler à une race ou à une culture préexistante (« ni juif ni grec »)
remit en question les conceptions antiques où les croyances en la supériorité de certaines
races/religions/coutumes étaient largement répandues. Certains Pères de l’Église, dont Tertullien
ou Clément d’Alexandrie, iront jusqu’à qualifier les chrétiens de « Troisième race » au côté des Juifs
et des Grecs, dont les traditions et la religion doivent être respectées au même titre que les autres.
Andrew MCGOWAN, A Third Race, or Not: The Rhetoric of Ethnic Self-Definition in Tertullian [en
ligne], 11.2001, disponible sur
<https://www.academia.edu/336990/A_Third_Race_or_Not_The_Rhetoric_of_Ethnic_Self-
Definition_in_Tertullian>, (consulté le 14 mai 2018).
184 PLINE LE JEUNE, Pline à l’empereur Trajan, livre X, lettre 96 [97] [en ligne], disponible sur
<http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29833q/f413.texteImage>, (consulté le 14 mai 2018).
185 David GUSHEE, The Sacredness of Human Life, p. 135.
186 Selon Tertullien, les Romains étaient admiratifs devant l’amour que se portaient les chrétiens
entre eux qui étaient condamnés à mourir dans les arènes. Waren SMITH, See how these Christians
love one another [en ligne], 2013, disponible sur
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
____
72
communautés chrétiennes, est encore attestée au IVe siècle par l’empereur Julien,
dit l’Apostat187, qui s’offusque du fait que les chrétiens s’occupent non seulement
de leurs pauvres et de leurs morts, mais de ceux des autres.
Selon l’historien et sociologue Rodney Stark, les chrétiens furent reçus
chaleureusement dans les villes où leurs actions en faveur des problèmes sociaux
délaissés par les autorités, leur permirent de rendre la vie au sein de l’Empire,
supportable pour la grande majorité de la population vivant sous le seuil de
pauvreté188.
2. La politisation de l’Église
a. L’influence de Constantin Ier
C’est en raison de la popularité croissante des chrétiens au sein de l’Empire
durant le IIIe siècle, et de la reconnaissance de leurs valeurs morales, que le
christianisme finira par s’imposer comme un mouvement incontournable. C’est la
raison pour laquelle le christianisme connaîtra une dernière vague de persécution,
peut-être la plus sévère sous les règnes des empereurs Dioclétien et Galère, avant
sa reconnaissance en 313 sous le règne de l’empereur Constantin par un édit de
tolérance religieuse.
Selon les estimations de Rodney Stark, le christianisme va croître quarante
pourcents par décennie entre les IIe et IVe siècles pour atteindre dix pourcents de
la population de l’Empire189. Presque quarante ans après la reconnaissance
officielle par l’empereur Constantin et la légitimation du christianisme en 313 par
la Lettre de Milan, la foi chrétienne va atteindre cinquante pourcents de la
population en 350 CE190. Cette rapide croissance religieuse ira de pair avec une
influence croissante de l’Église dans les affaires politiques. Constantin, bien
<https://christianhistoryinstitute.org/magazine/article/see-how-these-christians-love>, (consulté le
14 mai 2018).
187 Philip SCHAFF, History of the Christian Church, vol. 3, 3e éd. (1re éd. 1875), Peabody,
Hendrickson Publishers, 2006, p. 50.
188 Rodney STARK, The Rise of Christianity, New York, Harper Collins, 1997, p. 162-163.
189 Ibid., p. 7.
190 Ibid.
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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73
qu’officiellement neutre religieusement191, favorisera la croissance des chrétiens et
incorporera leur éthique dans ses lois en faisant interdire la crucifixion,
l’infanticide, les combats de gladiateurs ainsi que le marquage au fer rouge sur le
font des criminels au nom de la conception chrétienne de l’humanité en tant
qu’image de Dieu192. Constantin subventionnera également les œuvres de charité
chrétiennes en faveur des plus vulnérables193 et donnera au clergé chrétien des
avantages juridiques et matériels non négligeables194.
A la demande des autorités religieuses chrétiennes, Constantin s’impliquera
également dans les affaires internes de l’Église et arbitrera les disputes195, et ce
dès les débuts de son règne en 314 CE 196. Ainsi, l’influence impériale se fera sentir
dans le christianisme, et sera instrumentalisée par certains chrétiens afin de
résoudre les conflits doctrinaux et ecclésiaux internes. C’est ce précédent qui
marquera un tournant dans l’histoire de l’Église et qui sera lourd de conséquences
dans les siècles qui suivront.
b. L’influence de Théodose Ier
Théodose Ier (346-395) est surnommé Le Grand car il fut le dernier empereur
romain à régner sur l’Empire d’Occident ainsi que sur celui d’Orient de 379 à 395
CE197. Homme militaire d’exception pour son époque, il repousse les invasions
barbares autant par la force des armes que par la diplomatie.
C’est en 380 CE par l’édit de Thessalonique, que le christianisme devient la
seule religion officielle et licite de l’Empire romain, à la suite de la conversion de
Théodose. Il poursuivra les efforts d’unification du christianisme entamée sous le
191 David GUSHEE, The Sacredness of Human Life, p. 149.
192 Robert B. MULLIN, A Short World History of Christianity, Kindle éd., 2e éd. (1re éd. 2008),
Louisville, Westminster John Knox Press, 2014, p. 21.
193 David GUSHEE, The Sacredness of Human Life, p. 150.
194 Parmi ses largesses, Constantin donnera à certains évêques d’anciens palais impériaux comme
demeures, il les exemptera des diverses taxations et leur donnera le pouvoir d’affranchir les
esclaves. Robert B. MULLIN, A Short World History of Christianity, p. 54-55.
195 David GUSHEE, The Sacredness of Human Life, p. 150.
196 À Arles lors de la controverse donatiste. Donatus était un évêque d’Adrique du Nord refusant de
réintégrer au sein de l’Église les chrétiens ayant renoncé à la foi sous les persécutions.
197 Joël SCHMIDT, Théodose Ier Le Grand (346-395) [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/theodose-ier-le-grand/>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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règne de Constantin en donnant le nom catholique au christianisme Nicéen, alors
majoritaire, lors du deuxième grand Concile de l’Église à Constantinople en 381. A
l’occasion de ce concile, Théodose Ier déclarera que ceux qui refusent d’accepter la
foi véritable que le « divin Pierre » a transmis aux Romains, se verront déclarés
mentalement inaptes, se seront frappés en premier de la vengeance divine et en
second de la colère impériale198. Il poussera sa volonté d’obtenir une seule et unique
Église au point de persécuter les minorités religieuses, y compris chrétiennes, en
faisant interdire le manichéisme et l’arianisme. Il attaquera également les païens,
particulièrement ceux encore attachés aux cultes des dieux romains, en détruisant
leurs temples et leurs idoles.
En prenant part aux querelles théologiques, le règne de Théodose Ier est
également annonciateur des luttes du Moyen-Âge entre le pouvoir temporel et le
pouvoir spirituel. A la suite d’un massacre de sept mille personnes dans une arène,
l’évêque Ambroise De Milan199 (339-397 CE) lui impose la repentance, ce à quoi il
concédera200. En effet, dans le christianisme des premiers siècles, les honneurs
concédés à l’empereur ne remettent pas en cause le fait qu’il soit avant tout un
chrétien comme les autres (dignité ontologique), soumis au Christ.
3. Conclusion
De ses débuts fragiles à la conquête pacifique de l’Empire romain, le
christianisme a, en quelques siècles, réalisé ce que personne n’avait réussi
auparavant. Cependant, si les objectifs officiels de l’Église ne changèrent que très
peu après son officialisation en tant que religion d’État, ses moyens de lutte eux
changèrent passant de la prière et de la piété à la force armée de l’Empire. En
198 Robert B. MULLIN, A Short World History of Christianity, p. 54-55.
199 Selon l’évêque Ambroise de Milan, l’Église possède la vérité absolue, ce qui lui permet
d’intervenir dans les affaires politiques lorsque ces dernières menacent la vérité reçue de Dieu.
L’empereur est un membre du corps du Christ comme les autres, il est dans l’Église et non pas au-
dessus de l’Église (Contra Auxentium, 36). Ambroise assimile le christianisme avec l’Empire,
devenant ainsi partie intégrante du royaume de Christ sur terre. C’est le début de l’intolérance
religieuse. Toutefois, Ambroise s’oppose encore à l’usage de la violence et la condamne partout où
elle a lieu, y compris par des prêtres. Pierre HADOT, Ambroise de Milan (339-397) [en ligne],
disponible sur <http://www.universalis.fr/encyclopedie/ambroise-de-milan/>, (consulté le 14 mai
2018).
200 Joël SCHMIDT, Théodose Ier Le Grand (346-395) [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/theodose-ier-le-grand/>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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encourageant l’amalgame entre l’Église et l’Empire, les chrétiens légitimèrent
l’usage de la force, car l’atteinte de l’une de ces entités était devenue l’atteinte de
l’autre. De plus, on peut constater les débuts de la domination papale à travers
l’influence des évêques ayant un rôle important comme porte-parole de la foi
chrétienne. Dans un tel contexte, le respect de la dignité humaine passa au second
plan, derrière les questions de sécurité et de stabilité nationales.
B. Bilan de la politisation du christianisme sur la dignité humaine
Nous verrons dans un premier temps que la conséquence principale de la
romanisation du christianisme est un retour à une conception posturale de la
dignité humaine, puis dans un deuxième temps, nous verrons de manière concrète
ce que cela a signifié en prenant l’exemple du Colonialisme.
1. Le retour à une conception posturale de la dignité
humaine
a. La perte des repères religieux
En s’ouvrant à l’influence romaine, l’Église remet en cause ses avancées
morales pour les siècles qui suivirent. Là où elle avait réussi avec tant de conviction
à se distancer des pressions du pouvoir temporel, elle en devint sa principale
garante. Ainsi elle bénéficie en retour de largesses pécuniaires, agraires et
juridiques qui font du clergé chrétien une caste de privilégiés s’estimant au-dessus
des autres. Ces privilèges et ces richesses transformeront l’Église/communauté en
une Église/institution et attireront des caractères moins disposés à servir qu’à se
servir. Ces derniers imposeront une domination de plus en plus ferme, à mesure
que différence d’opinion s’apparentait à hérésie, qui à son tour se transformait en
menace pour l’Église/institution et l’État.
Les valeurs chères aux Pères de l’Église de la période apologétique (IIe –
VIe siècles) telles que : 1. la conviction qu’en Jésus, Dieu avait réalisé ses
promesses et que l’Église était appelée à devenir, en tant que nouvel Israël, témoin
de la Parole divine, 2. la centralité de l’exemple de Jésus et son message de paix et
d’amour, sa non-violence radicale, ainsi que 3. la protection de leur identité
chrétienne par le refus de se mélanger aux pratiques païennes et de subir leur
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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influence quitte à souffrir la persécution et à être marginalisés, furent remplacées
par les valeurs des Pères de l’Église de la période dogmatique dont la préoccupation
était plus centrée sur l’unité de l’Église à tout prix, y compris au prix de vies
humaines, et le soutien apporté à l’État protecteur de l’Église jusque dans ses
entreprises meurtrières.
b. Le rôle des objecteurs de conscience
Toutefois, même au plus sombre des périodes des croisades, des
persécutions juives, et du colonialisme, des voix se sont élevées, et ce bien avant la
Réforme, afin de servir d’objection de conscience et d’inviter l’Église à revenir aux
sources de sa foi, à savoir une vision christo-centrée de l’humain, créé à l’image de
Dieu pour son service. Parmi ces voix, nous pensons particulièrement aux
différents réveils de la piété influencés par les renouveaux monastiques du Xe
siècle qui serviront d’avant-garde aux réformes grégoriennes du XIe siècle, ainsi
qu’à celle des Cisterciens et des Vaudois au XIIe siècle, des dominicains et des
franciscains au XIIIe siècle.
Le XIVe siècle sera marqué par le Grand Schisme papal201 et la montée du
sentiment laïque appelant à un retour à la simplicité de l’Église primitive. On
retrouve parmi les objecteurs de conscience les voix de Marsile de Padoue (1274-
13342), Guillaume d’Occam, John Wyclif et le Pragois Jan Hus. Quant au XVe
siècle, il verra une tentative de limiter le pouvoir papal en le soumettant au Concile
des évêques et, ce faisant, en restaurant quelque peu une conception démocratique
devenue désuète. Ainsi le Concile de Constance publie en 1415 le décret de
Sacrosancta affirmant qu’il : « tient son pouvoir directement du Christ ; tout
homme, quel que soit son état ou sa dignité, cette dernière fût-elle papale, est tenu
de lui obéir pour tout ce qui touche à la foi et à l’extirpation du schisme susdit,
ainsi qu’à la réforme de la susdite Église de Dieu dans sa tête et dans ses
membres202 ».
201 Patricia BRIEL, Le Christianisme siècle par siècle [en ligne], disponible sur
<https://www.universdelabible.net/bible-et-histoire/histoire-du-christianisme>, (consulté le 14 mai
2018).
202 Jean-Urbain COMBY, Concile de Constance [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/concile-de-constance/>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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77
Les échecs de ces réformes et la décadence de l’Église catholique romaine
susciteront la grande Réforme de Luther au XVIe siècle qui viendra ramener petit
à petit l’Église à ses racines éthiques et religieuses. L’une des principales
conséquences des réformes du protestantisme sera l’abolition de la figure papale
et le retour à une foi centrée non pas sur un homme à la dignité particulière, mais
sur l’ensemble des hommes partageant la même dignité et les mêmes privilèges
devant Dieu. La sacralité papale sera retransmise à l’ensemble des croyants dans
l’esprit du sacerdoce universelle.
Malheureusement, cette universalité ne sera pas encore aussi radicale que
celle des Pères apologètes de l’Église primitive, et l’Église soutiendra encore bien
des crimes contre l’humanité comme nous allons à présent le voir.
2. Le Colonialisme comme conséquence de la négation
des droits de l’homme
a. L’histoire controversée des premières explorations
En 1492, la Reconquista espagnole libérait la dernière forteresse de la
péninsule ibérique de la présence musulmane après 780 ans d’occupation. La
même année, Christophe Colomb était mandaté par la couronne espagnole et
lançait sa première grande expédition à la recherche des épices et de l’or des Indes.
La découverte des Amériques signera le départ d’une colonisation systématique de
nouveaux territoires qui mènera au génocide des populations existantes203. Selon
l’historien Jonathan Phillips, spécialiste de l’histoire des croisades, le journal de
bord de Christophe Colomb rapporte que sa motivation première aurait été de
trouver de l’or afin de pourvoir aider la couronne espagnole à financer une croisade
pour reconquérir Jérusalem204. Cette mission de reconquête était motivée par une
203 Les différentes croisades en terre sainte avaient déjà permis d’inaugurer l’occupation et
l’exploitation de terres éloignées de l’Europe par la force.
204 La question des motivations de Christophe Colomb, 200 ans après la fin de la dernière croisade
en Palestine, crée la polémique au sein des historiens. Certains n’y voient qu’une motivation
pécuniaire et politique, d’autres, principalement ancrés dans la philosophie des Lumières, n’y
voient qu’un esprit curieux, passionné par la découverte. Des historiens post-modernes dénoncent
quant à eux un conquérant sanguinaire. Quelles que soient les motivations réelles, nous pensons
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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vision apocalyptique du retour de Jésus, selon laquelle, le second retour n’aurait
lieu que lorsque Jérusalem serait sous contrôle chrétien. Bien qu’officiellement les
explorateurs contemporains de Christophe Colomb et leurs successeurs auront à
cœur l’évangélisation des terres nouvellement découvertes, l’histoire retiendra
surtout la brutalité avec laquelle, souvent au nom du Christ, ils soumettront les
populations locales à un esclavage cruel.
b. Le rôle déterminant de l’Église dans la colonisation européenne
Christophe Colomb ne fut pas le premier à explorer et à coloniser des
territoires hors d’Europe205. Le Portugal devança de peu l’Espagne et une certaine
compétition émergea entre les deux puissances, ce qui ne tarda pas à créer des
tensions et des troubles politiques. Ces tensions inquiétèrent l’Église catholique
romaine qui promulgua plusieurs édits afin d’arbitrer les répartitions territoriales
de ces nouvelles puissances colonisatrices. Nous pouvons mentionner le Traité
d’Alcaçovas (1479), la bulle papale Aeterni regis (1481) ainsi que les bulles Inter
caetera, Dudum siquiedum (1493), et le Traité de Tordesillas (1494).
La papauté intervint dans les affaires politiques de ces royaumes en
déclarant son autorité sur toutes les nouvelles colonies dont elle confiait la charge
à sa guise à l’Espagne ou au Portugal sans, bien sûr, l’aval des populations
concernées. Ainsi, les conquêtes étaient faites au nom du christianisme et du
pouvoir papal, et à l’instar des armées croisées, c’est sous le signe de la croix que
se battaient les soldats, qu’administraient les gouverneurs et qu’évangélisaient les
prêtres. Il est évident, par le témoignage de Las Casas206, que les autorités
que l’aspect religieux, quand bien même il serait en définitive secondaire, ne peut pas être
complètement écarté, même pour un homme avare de richesse et de popularité, car permettre de
financer une croisade en terre sainte lui aurait apporté une grande renommée. De plus, penser
qu’en 1492, au summum de la ferveur populaire religieuse grâce à la reconquête de l’Espagne,
Christophe Colomb n’ait pas pu avoir une motivation religieuse nous semble incohérent. Jonathan
PHILLIPS, Holy Warriors. A Modern History of the Crusades, Kindle éd. (1re éd. 2009), New York,
Random House, 2012, p. 305.
205 Son rôle en tant que colonisateur est controversé. Son rôle en tant que gouverneur des territoires
du Nouveau Monde sera limité car il se révèlera être un piètre administrateur. Le rôle de Fernando
Cortez dans la colonisation du Mexique fait beaucoup plus l’unanimité. Jonathan PHILLIPS, Holy
Warriors, p. 310.
206 Bartolomé de Las Casas est un colon qui se convertira à la prêtrise dans le Nouveau Monde et
dont la conscience sera éveillée par les sermons de la communauté dominicaine, particulièrement
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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supérieures de l’Église préféraient rester aveugle plutôt que de dénoncer
l’inacceptable, ce qui conduisit à une forme de traite humaine encore plus abjecte.
c. La traite négrière
L’un des plus terribles exemples de totale démission de l’Église face à sa
responsabilité de protection de la personne humaine, de sa dignité et de son
essence, est sa validation du colonialisme et particulièrement de l’esclavage, qui fit
des ravages pendant plus de 300 ans207. Ce système concentrationnaire était une
vaste machine à faire oublier le sens d’être car il déshumanisait les bourreaux
comme les victimes. C’est sur la base des précédents portugais et espagnols que
l’ensemble de l’Europe pratiquera la traite des nègres avec les mêmes pratiques de
violence systématique, justifiées par une mission civilisatrice et évangélisatrice.
Le Code Noir de 1685 signé par Louis XIV cherchera à harmoniser les pratiques
en fondant en droit « le non droit des esclaves noirs dont l’inexistence juridique
constitua la seule et unique définition légale208. » Ce texte servira de modèle aux
autres pays impliqués dans la traite et assignera à l’esclave le statut de bien
ceux d’un dénommé Anton de Montesino qui ira jusqu’à refuser la confession aux propriétaires
d’esclaves. Selon le témoignage de Las Casas, le Dominicain Montesino interpellait ses
contemporains en leur demandant pourquoi ils ne pratiquaient pas les exigences d’amour du
prochain contenues dans la Bible, envers des êtres qui étaient manifestement des personnes
humaines. David GUSHEE, The Sacredness of Human Life, p. 184.
Face à l’hostilité et aux pressions des colons mécontents, le frère Anton de Montesinos récidive et
interpelle ses contemporains sur l’humanité des Indiens. « Ne sont-ils pas des hommes ? N’ont-ils
pas une âme ? » vitupère-t-il. Sur la base du livre de Job, il insiste sur le fait que Dieu prend le
parti des opprimés et non pas des oppresseurs. Michael PRIOR, Bible et Colonialisme. Critique
d’une instrumentalisation du texte sacré, trad. JOUREZ Paul, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 61.
« Cette voix affirme que vous êtes tous en état de péché mortel, que vous y vivez et que vous y
mourrez, à cause de la tyrannie et de la cruauté que vous imposez à un peuple innocent. Dites-moi
de quel droit et au nom de quelle justice vous maintenez ces Indiens en un état d’esclavage aussi
cruel et aussi horrible ? Au nom de quelle autorité avez-vous mené des guerres aussi détestables
contre ces populations qui vivaient sur leurs propres terres, inoffensifs et paisibles, et avez-vous
exterminés un si grand nombre d’entre eux par un massacre sans exemple à ce jour ? Comment
pouvez-vous les maintenir dans un tel état d’oppression et d’abandon, sans nourriture, sans soins,
sous le joug d’un travail forcé dont ils deviennent malades ou meurent au pire, vous les assassinez
pour vous emparer chaque jour de l’or ». Bartolomé de LAS CASAS, Histoire des Indes, vol. 3, trad.
CLÉMENT Jean-Pierre, SAINT-LU Jean-Marie, Kindle éd. (1re éd. 1560), Paris, Le Seuil, 2015,
p. 382.
207 Il s’agit officiellement d’une mission civilisatrice de conversion au christianisme et de faire sortir
les peuples sauvages de l’obscurité.
208 Louis SALA-MOLINS, Code Noir (1685) [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/code-noir/>, (consulté le 14 mai 2018).
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meuble (art. 44) tout en insistant sur l’impératif de sa conversion (art. 2) au
christianisme.
Par ses mots, tirés d’un de ses ouvrages phares Discours sur le
colonialisme, Aimé Césaire209 aborde la question de la déshumanisation de
manière saisissante. Il souligne cette inexorable perte du sens de l’humain dans
toute entreprise colonisatrice :
Car enfin, il faut en prendre son parti et se dire une fois pour toutes, que (toute
classe) est condamnée à être chaque jour plus hargneuse, plus ouvertement féroce,
plus dénuée de pudeur, plus sommairement barbare, que c’est une loi universelle
que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer
complètement, et que c’est la tête enfouie sous le fumier que les sociétés
moribondes poussent leur chant du cygne210.
Dans la préface essai de référence par Victor Schœlcher, Esclavage et
colonisation, Césaire soutient la thèse que la généralisation, pendant des siècles
de l’esclavage dans les Antilles et aux Amériques, est une déshumanisation qui a
préfiguré le nazisme et les camps de concentration : « que l’on se représente (les
camps de concentration) mais à l’échelle immense – celle des siècles, des continents
– l’Amérique transformée en univers concentrationnaire, la tenue rayée imposée à
toute une race211 » S’il n’a aucun droit juridique, l’esclave noir a néanmoins des
devoirs. Le premier d’entre eux est de se convertir et de servir fidèlement jusqu’à
la mort les intérêts de ses maîtres. De triste mémoire, certains représentants de
l’Église n’hésitent pas à jouer leur rôle d’éducateur et à user de violence pour
corriger les âmes dont ils ont la charge. L’atteinte à la dignité humaine étant un
révélateur de cette dignité, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, nous
209 Poète et chantre non seulement de la négritude mais de son thème favori, l’universel. L’année
2018 marque le dixième anniversaire de sa disparition.
210 Aimé CÉSAIRE, Discours sur le colonialisme, 4e éd. (1re éd. 1950), Paris, Éditions Présence
Africaine, 1955, p. 28.
211 Aimé CESAIRE, in Victor SCHŒLCHER, Esclavage et colonisation, (1re éd. 1948), Paris, PUF,
2018, p. 17-18. Victor Schœlcher dénoncera également l’esclavage et le système colonial qui nie
l’humanité de l’esclave. « C’est une partie intégrante du système colonial. Le fouet en est l’agent
principal. Le fouet en est l’âme. Le fouet est la cloche des habitations, il annonce le moment du
réveil, et celui de la retraite. Il marque l’heure de la tâche, le fouet encore marque l’heure du repos
; et c’est au son du fouet qui punit les coupables qu’on rassemble soir et matin le peuple d’une
habitation pour la prière. Le jour de la mort est le seul où le nègre goûte l’oubli de la vie sans le
réveil du fouet. », in Victor SCHOELCHER, Des colonies françaises. Abolition immédiate de
l’esclavage [en ligne], 1842, p. 84, disponible sur
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84499k.texteImage>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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81
avons choisi de reproduire ici un témoignage complet qui rend compte de l’esprit
avec lequel l’esclave était considéré.
Le père Jean Baptiste Labat, missionnaire à la Martinique de 1693 à 1705 nous
a laissé quelques anecdotes à ce sujet. Un matin, le père surprend un Noir d'une
plantation voisine, invoquant une "idole" pour une esclave malade. Quelle fut sa
réaction ? Laissons la parole au saint : "Je fis attacher le sorcier, et je lui fis
distribuer environ 300 coups de fouet qui l'écorchèrent depuis les épaules
jusqu'aux genoux. Il criait comme un désespéré, et nos nègres me demandaient
grâce pour lui, mais je leur disais que les sorciers ne sentaient point le mal, et que
ses cris étaient pour se moquer de moi. Je fis apporter un siège, j'y mis le
marmouset (l'idole) devant lui, et je lui dis de prier le diable de le délivrer de mes
mains ou d'emporter la figure ; et comme il (le diable) ne faisait ni l'un ni l'autre,
je le faisais toujours fouetter à bon compte... (Pour finir) je fis mettre le sorcier
aux fers, après l'avoir fait laver avec une pimentade, c'est-à-dire avec de la
saumure dans laquelle on a écrasé du piment et des petits citrons. Cela cause une
douleur horrible à ceux que le fouet a écorché, mais c'est un remède assuré contre
la gangrène qui ne manquerait pas de venir aux plaies. Je fis aussi étriller tous
ceux qui s'étaient trouvés dans l'assemblée, pour leur apprendre à n'être pas si
curieux une autre fois ; et quand il fît jour, je fis conduire le nègre sorcier à son
maître, à qui j'écrivis ce qui s'est passé, le priant en même temps de lui défendre
de venir sur notre plantation ; il me le promit, me remercia de la peine que je
m'étais donnée et fît encore fouetter son sorcier de la belle manière212.
Si ce témoignage suscite l’indignation, il interroge sur le comment, une
religion basée sur le respect, l’amour et la non-violence a pu dériver si loin et
revendiquer des actes de barbarie dont celle citée est l’une des moins horribles.
Comment, des chrétiens de l’Église primitive soignant et nourrissant leurs
ennemis, leurs persécuteurs et leurs bourreaux, a-t-on pu justifier la
déshumanisation de continents entiers au nom du Christ ?
Nous pouvons également nous demander pourquoi la grande majorité des
philosophes et des penseurs humanistes des Lumières ont gardé le silence sur cette
déshumanisation systématique d’hommes, de femmes et d’enfants ; les premiers
212 Jean-Baptiste LABAT, in Laurent ESTEVE, Montesquieu, Rousseau, Diderot : du genre humain
au bois d’ébène. Les silences du droit naturel [en ligne], 2002, disponible sur
<http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001282/128200f.pdf>, (consulté le 14 mai 2018). Selon
Philippe Delisle, Jean-Baptiste Labat est un dominicain auquel est attribué l’introduction de
l’esclavage à la Martinique. Philippe DELISLE, « Christianisation et sentiment religieux aux
Antilles françaises au XIXe siècle. Assimilation, survivances africaines, créolisation ? », Histoire &
Missions Chrétiennes 5 (2008/Mars), p. 83. Voir également Aurélia MONTEL, Le Père Labat viendra
te prendre…, Paris, Maisonneuve et Larose, 1996, p. 37 ; Élisabeth LÉO, R. P. Jean-Baptiste Labat,
dit « le Père Labat » [en ligne], 2013, disponible sur <https://francearchives.fr/commemo/recueil-
2013/39388>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 2 : Étude historique des racines chrétiennes du concept de dignité
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82
anthropologues allant jusqu’à fournir une justification scientifique niant l’égalité
des races et renforçant la discrimination sur la base des races supérieures et des
races inférieures213. Il faudra attendre les horreurs de l’holocauste nazi et que des
Européens se voient appliquer la même idéologie de races supérieures et de races
inférieures pour que l’idéologie scientifique qui soutient une telle ineptie soit
définitivement dénoncée. Il faudra également attendre les années 2000 et 2001 à
Durban, pour que le Parlement français et la Conférence mondiale contre le
racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance reconnaissent et
déclarent l’esclavage et la traite négrière en tant que crimes contre l’humanité214.
Pour Jean-Michel Devaux, l’esclavage sera enfin reconnu et qualifiés de « la plus
grande tragédie de l’histoire humaine par sa durée et son ampleur215. »
III. Synthèse du deuxième chapitre
Notre saisissons mieux l’importance pour la foi chrétienne de vivre les
principes du Christ pleinement, en trouvant l’équilibre entre la fidélité à la Parole
et la prise en compte des réalités humaines. Les Pères de l’Église ont su accueillir
les traditions des apôtres et les maintenir pertinentes au vu des problématiques
de leurs époques. Face aux persécutions et aux tentatives de déshumanisation, ils
ont su vivre le message de l’Évangile d’une manière désarmante pour leurs
opposants.
Malheureusement, la politisation de l’Évangile et l’alliance entre le
spirituel et le temporel ont permis de museler la dimension humanisant du
christianisme pour en faire un prétexte de soumission des peuples. L’histoire
restera tachée par cette déshumanisation à l’échelle industrielle entreprise au nom
de la croix. Il est cependant nécessaire de souligner le rôle des objecteurs de
conscience qui ont milité pour l’abolition de l’esclavage au nom de la religion ou au
nom des Lumières tels que l’Abbé Grégoire, Lamartine, Diderot et d’Alembert ou
encore Montesquieu.
213 Laurent ESTEVE, Montesquieu, Rousseau, Diderot : du genre humain au bois d’ébène. Les
silences du droit naturel [en ligne], (consulté le 14 mai 2018). Artur Gobineau est considéré comme
le père des théories raciales.
214 Ibid.
215 Ibid.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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Dans notre premier chapitre, nous avons jugé pertinent de faire l’état de la
question des sens possibles que peut véhiculer la notion de dignité de la personne
humaine et de cerner les difficultés conceptuelles touchant autant la notion de
dignité que celle de personne qu’elle est supposée protéger. Nous avons vu que c’est
à cause de terribles atteintes à cette dignité par l’Allemagne nazie et par les
régimes autoritaires du XXe siècle que ce concept est devenu prépondérant dans la
culture et le droit occidentaux, et que les débats, entre les tenants d’une conception
transcendantale et les tenants d’une conception utilitariste quant à la pertinence
de son application, sont loin d’être clos.
Nous avons démontré au deuxième chapitre comment la tradition de
l’Église primitive a pensé l’humain et sa dignité par une surprenante radicalité de
non-violence, et comment les Pères de l’Église pré-constantinienne ont établi les
bases avant-gardistes qui ont formé le terreau à partir duquel, la culture
occidentale a pu faire éclore, des siècles plus tard, les philosophies des Lumières
ainsi que les droits de l’homme.
La redécouverte de ces fondements, ainsi que l’avertissement que
constituent pour nous aujourd’hui les malheureuses conséquences de la
politisation post-constantinienne, nous permettent d’établir dans notre troisième
partie, une analyse théologique personnelle, ancrée dans le cadre de réflexion des
traditions primitives et bibliques, fondant la dignité de l’homme dans sa conception
d’imago Dei.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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I. Imago Dei, l’homme à l’image de Dieu
L’Église se donne pour vocation d’être présente dans la vie de ceux qui
souffrent et d’accompagner ceux qui deviennent vulnérables aux mauvaises
intentions portées à leur encontre ou portées par eux-mêmes. Afin de réaliser cet
accompagnement dans un monde postmoderne et postchrétien, elle doit être en
mesure de porter une espérance claire et respectueuse de la dignité humaine.
Cela est d’autant plus important aujourd’hui que le fait religieux est de
retour dans notre société216 et dans le monde217. En France, l’exorcisme redevient
un phénomène courant218 (une cinquantaine de prêtres rien que pour l’Ile de
France), tandis que l’Islam continue lentement mais sûrement sa marche vers son
statut de première religion d’Europe. Les universitaires219 et les états commencent
à prendre au sérieux cette recrudescence du fait religieux dans notre société
notamment due à la lumière médiatique sur les attentats. Ces derniers ont permis
l’association entre l’Allahu akbar religieux et la violence aveugle, la tristesse et la
perte venant confirmer les stéréotypes de beaucoup sur la nature violente des
religions et leur mépris pour la dignité humaine.
Afin de répondre à ces questions, nous allons présenter la conception
chrétienne de la dignité de la personne humaine. Nous verrons ensuite quel est le
projet de Dieu pour l’humanité, puis nous développerons le sens théologique
qu’apporte la création à la souffrance humaine. Pour finir, nous verrons comment
l’exemple du Christ nous ouvre la voie de la bienveillance, de la compassion et de
la résilience.
216 Jean-Paul WILLAIME, Le retour du religieux dans la sphère publique. Vers une laïcité de
reconnaissance et de dialogue, Éditions Olivétan, 2008.
217 Jean-François DORTIER, Laurent TESTOT, Le retour du religieux, un phénomène mondial [en
ligne], 05.2005, disponible sur <https://www.scienceshumaines.com/le-retour-du-religieux-un-
phenomene-mondial_fr_4912.html>, (consulté le 14 mai 2018).
218 Bruno RIETH, Le retour des exorcistes [en ligne], 16.12.2017, disponible sur
<https://www.marianne.net/societe/le-retour-des-exorcistes>, (consulté le 14 mai 2018) ; Jean-
Marie GUENOIS, En France, le nombre d’exorcismes en nette augmentation [en ligne], 12.06.2017,
disponible sur <http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/06/11/01016-20170611ARTFIG00118-
en-france-le-nombre-d-exorcismes-en-nette-augmentation.php>, (consulté le 14 mai 2018).
219 Abdennour BIDAR, Henri PENA-RUIZ, Jean-Louis SCHLEGEL, Assistons-nous à un retour du
religieux ? table ronde [en ligne], 19.10.2012, disponible sur
<https://www.humanite.fr/debats/assistons-nous-un-retour-du-religieux-table-ronde-506673>,
(consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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A. La conception chrétienne de la dignité
La conception chrétienne de la dignité est ontologique car l’homme est
considéré comme étant un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
L’homme ne peut donc pas être indigne puisqu’il est créé à l’image d’un être digne
et parfait. A l’instar des conceptions cartésienne et kantienne, la conception
chrétienne de la dignité reconnaît à l’homme des caractéristiques uniques (âme,
raison, conscience de soi) ainsi qu’une valeur hors de prix.
Le texte de Genèse 1.26-27 joue un rôle majeur dans la compréhension
chrétienne du concept de dignité. En plus d’être créé à l’image de Dieu, l’homme se
voit attribuer une place prépondérante dans la création, y compris auprès des
autres êtres dotés de sensibilité : « Dieu dit : Faisons les humains à notre image,
selon notre ressemblance, pour qu’ils dominent sur les poissons de la mer, sur les
oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur toutes les bestioles qui
fourmillent sur la terre220. »
Cette prépondérance résulte premièrement de la particularité de sa
création qui fait de l’humain un chef d’œuvre, le seul être pour lequel Dieu
intervient directement. Deuxièmement, parce que cette créature est la seule à être
appelée à dominer le monde et tout ce qui s’y trouve, ce qui renforce son statut
d’exception. Dès le IIe siècle, un des Pères de l’Église du nom de Théophile
d’Antioche, un apologète, établit un lien entre l’image de Dieu et la dignité de
l’homme :
Et voici ce qui touche à la réalisation de l’homme. Il n’y a pas de termes assez
grands à la disposition de l’homme pour exprimer la création qui le concerne ; et
pourtant une brève formule à ce sujet suffit à la Sainte Écriture. Dans ces paroles
de Dieu : "Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance", d’abord elle
montre la dignité de l’homme. Tout l’Univers, Dieu l’avait créé par la parole,
tenant tout cela pour accessoire ; il ne juge digne d’être l’œuvre de ses propres
mains que la création de l’homme. Bien plus ! comme s’il avait besoin d’aide, Dieu
se prend à dire : “Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance”. Il n’a
dit : "Faisons" à personne d’autre qu’à son Verbe et à sa Sagesse221.
Un autre Père de l’Église, Grégoire de Nysse (329-390), de la communauté
220 Gn 1.26-27.
221 THÉOPHILE D’ANTIOCHE, Trois livres à Autolycus, [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/eglise/theophile/autolyque2.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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cappadocienne fera une observation similaire en comparant l’homme à un
instrument créé par Dieu pour une fonction royale et digne des honneurs royaux.
A ce titre, il s’opposera à l’esclavage et invitera ses fidèles à soulager les souffrances
humaines.
Ce caractère royal, en effet, qui l’élève bien au-dessus des conditions privées, l’âme
spontanément le manifeste, par son autonomie et son indépendance et par ce fait
que, dans sa conduite, elle est maîtresse de son propre vouloir. […] Ainsi la nature
humaine, créée pour dominer le monde, à cause de sa ressemblance avec le Roi
Universel, a été faite comme une image vivante qui participe de l’archétype par
la dignité et par le nom222.
1. Une conception ontologique et posturale
La différence de la conception chrétienne réside dans le fait que la dignité
n’est pas un trait inné mais conféré : l’homme ne naît pas digne, il est fait digne.
Et parce que l’essence de cette dignité ne lui appartient pas, seul Dieu étant
intrinsèquement digne223, elle conserve une composante posturale, une possibilité
de degré, gage de sa liberté selon que l’homme fasse le choix d’accueillir en lui cette
image ou de la rejeter.
Mais il ne faut pas voir dans cette composante posturale une possibilité
pour l’humain de perdre sa dignité. En supprimant le concept d’impureté à la
racine de l’indignité anthropologique224, le christianisme enlève au péché son
potentiel de déshumanisation de l’homme et affirme la dimension universelle de
sa dignité : « Il leur dit : Vous savez qu’il est interdit à un Juif de se lier avec un
étranger ou d’entrer chez lui ; mais Dieu m’a montré qu’il ne fallait dire d’aucun
homme qu’il est souillé ou impur225. »
Ainsi, parce que le libre-arbitre est un don226 faisant partie intégrante de
la nature humaine, tout homme peut faire le choix de se tourner ou non vers Dieu,
222 GRÉGOIRE DE NYSSE, La Création de l’homme [en ligne], disponible sur
<http://www.onelittleangel.com/sagesse/citations/saint.asp?mc=206>, (consulté le 14 mai 20218).
223 Roselyne DUPONT-ROC, « Jésus, l’infini respect de Dieu pour tous », Christus, 250 (2016/04),
p. 53-58.
224 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. Précisions sémantiques et conceptuelles à propos de cet impératif catégorique »,
L’information psychiatrique 92 (2016/03), p. 231-240.
225 Ac 10.28.
226 Gn 2.16-17 ; Dt 30.15.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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de corriger ses erreurs et de réconcilier sa conscience avec Dieu227. Le pire criminel
pouvant bénéficier du pardon divin, toute vie est donc une vie potentiellement
sauvée, rachetée par Jésus, le nouvel Adam, qui se porte garant de la dignité
universelle de la personne humaine228.
2. Une conception qui intègre l’inhumain
Face au tueur en série ou face au violeur pervers, face aux génocides ou
face à la torture, les autres conceptions ontologiques auront tendance à parler
d’actes inhumains réalisés par des personnes ayant perdu la raison et faisant ainsi
preuve d’une sauvagerie, d’une barbarie229 qui exclut temporairement ou
perpétuellement l’individu du cercle des hommes. Et puisque l’individu s’est ainsi
exclu de ce que l’on qualifie d’humanité, on l’isole, on le coupe de ses liens, et on lui
fait payer sa dette.
L’approche chrétienne de la dignité permet d’appréhender le mal, la
douleur et la souffrance d’une manière que les autres conceptions ne parviennent
pas à intégrer. Puisqu’il n’existe pas de porte de sortie à la conception de la
personne humaine230, il est nécessaire d’intégrer le fait que certaines personnes se
comportent d’une manière qui fasse insulte à la dignité dont elles sont porteuses,
d’où la composante posturale que l’on retrouve dans le christianisme. Cependant,
parce que l’homme porte en lui un mystère inaliénable, même son inhumanité,
qu’elle soit volontaire ou involontaire231, ne peut remettre en question sa dignité232.
Puisqu’elle est conférée, elle n’est pas sienne à perdre ni à prendre.
Cette irréductibilité de la dignité chrétienne est une invitation à considérer
l’autre comme un frère, même lorsqu’il ne répond plus à mes critères
227 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine. Précisions sémantiques et conceptuelles à propos de cet impératif catégorique »,
L’information psychiatrique 92 (2016/03), p. 231-240.
228 Ga 3.28.
229 Puisque le barbare, l’étranger, celui qu’on ne comprend pas et que l’on ne perçoit pas comme
étant pleinement civilisé et donc comme n’étant pas pleinement humain.
230 Ps 71.6 ; Ps 139.13 ; Je 1.5 : ces passages ont la particularité de faire remonter au ventre de leur
mère la préoccupation de Dieu pour ses créatures.
231 Les malades en phase terminale ou en état végétatif, les fœtus.
232 Mt 5.45.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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d’humanité233. Le nazi reste mon semblable parce qu’il est irréductiblement
humain et « que je suis engagé avec lui dans un rapport de responsabilité,
responsabilité pour autrui, du fait même de ses manques, petitesses, incapacités,
qu’il m’appartient de suppléer234 » autant qu’il supplée aux miennes, dans l’espoir
de retrouver ensemble ce bout d’humanité perdu ainsi qu’une vie « bonne, avec et
pour les autres, dans des institutions justes235 ».
B. La conception chrétienne de la personne
Le Cardinal Francisco Jiménez de Cisneros, dit Ximènes, écrivit au pape
Léon X : « La surabondance et la richesse de l’Écriture sainte sont telles qu’aucune
traduction ne peut, par la simple connexion des mots, faire émerger les mystères
très profonds de la divine sagesse236. » Et aucun mystère ne suscite autant de
débat, ni ne fait couler plus d’ancre que celui de la personne humaine à l’image de
la Trinité divine. Sur les bases du récit de la création, le christianisme verra deux
modèles concurrents s’affronter237.
Le premier modèle voit dans l’image et dans la ressemblance deux notions
différentes qui s’articule entre elles. C’est le cas d’Irénée de Lyon qui voit dans
l’image une donnée ontologique, tandis que la ressemblance serait une donnée
posturale :
Au contraire, Dieu sera glorifié dans l’ouvrage par lui modelé, lorsqu’il l’aura
rendu conforme et semblable à son Fils. Car, par les Mains du Père, c’est-à-dire le
Fils et l’Esprit, c’est l’homme, et non une partie de l’homme, qui devient à l’image
et à la ressemblance de Dieu. […] lorsque cet Esprit, en se mélangeant à l’âme,
s’est uni à l’ouvrage modelé, grâce à cette effusion de l’Esprit se trouve réalisé
l’homme spirituel et parfait, et c’est celui-là même qui a été fait à l’image et à la
ressemblance de Dieu. Quand au contraire l’Esprit fait défaut à l’âme, un tel
homme, restant en toute vérité psychique et charnel, sera imparfait, possédant
233 Mt 18.21-35.
234 Alain VERNET, Cyril BOUTET, Jean-François AUBERT et al., « Le respect de la dignité de la
personne humaine, p. 231-240.
235 Paul RICŒUR, Soi-même comme un autre, Kindle éd. (1re éd. 1990), Paris, Éditions du Seuil,
2015.
236 Codex Complutensis, vol. I, cité par Guy BEDOUELLE, Bernard ROUSSEL, Le temps des
réformes et la Bible, Paris, Beauchesne, 1995, p. 100.
237 Marc VIAL, Image de Dieu, dignité et personne humaine. Parcours dans l’Antiquité et le Moyen
Âge, UE7-Ethique fondamentale, Théologie fondamentale, Strasbourg, Université de Strasbourg,
2016.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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bien l’image de Dieu dans l’ouvrage modelé, mais n’ayant pas reçu la
ressemblance par le moyen de l’Esprit238.
Le deuxième modèle ne fait pas de distinction entre l’image et la
ressemblance mais préfère parler de la capacité qu’a l’âme de se souvenir de ses
véritables racines, c’est-à-dire Dieu. C’est le modèle que défend Saint-Augustin
(354-430) lorsqu’il définit l’homme comme étant capable de Dieu (capax Dei) et
comme participant à l’image de Dieu :
Nous voici maintenant arrivés à cette phase de notre recherche où nous avons
entrepris de considérer, afin d’y découvrir l’image de Dieu, la partie la plus haute
de l’âme humaine : ce par quoi l’âme connaît Dieu ou peut le connaître.
L’âme de l’homme n’est pas de même nature que Dieu, c’est vrai ; pourtant l’image
de cette nature supérieure à toute nature doit être cherchée et trouvée en nous,
en ce que notre nature a de meilleur. Mais ici il faut considérer l’âme elle-même,
avant qu’elle ne soit participante de Dieu, et y découvrir l’image de Dieu. Lors
même que l’âme, disions-nous, se trouve souillée et défigurée par la perte de la
participation divine, elle reste néanmoins image de Dieu ; car ce qui fait qu’elle
est image, c’est qu’elle est capacité de Dieu, qu’elle peut participer à Dieu. Voilà
donc que l’âme se souvient d’elle-même, se comprend et s’aime : si nous voyons
cela, nous voyons une trinité, qui certes n’est pas encore Dieu, mais déjà image de
Dieu239.
Ces distinctions entre l’image et la ressemblance, ou entre l’âme capable
de Dieu et l’âme image de Dieu, se transformeront en une dualité au sein de
l’homme au fur et à mesure que la dualité platonicienne influencera la théologie
chrétienne. Cette influence sera aidée par le fait que dans la LXX240, les mots
« image » et « ressemblance » vont être traduits par eikôn et homoiôsis241. Or, ces
238 IRÉNÉE DE LYON, Contre les hérésies V [en ligne], disponible sur
<http://remacle.org/bloodwolf/eglise/irenee/gnose.htm#LIV5>, (consulté le 14 mai 2018).
239 SAINT AUGUSTIN, De la trinité. Livre XVe [en ligne], disponible sur
<https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_trinit%C3%A9_(Augustin,_%C3%A9d._Raulx)/Livre_15>,
(consulté le 14 mai 2018).
240 Theodex, Septuagin [en ligne], disponible sur
<https://theotex.org/septuaginta/genese/genese_1.html>, (consulté le 14 mai 2018).
241 François BOVON, « Retour de l’âme : immortalité et résurrection dans le christianisme
primitif », Études Théologiques et Religieuses 86 (2011/04), p. 433-453 ;
François-Xavier NGUYEN TIEN DUNG, Marcel NEUSCH, La foi au Dieu des chrétiens, gage d’un
authentique humanisme. Henri de Lubac face à l’humanisme athée, Paris, Desclée De Brouwer,
2010, p. 233 ;
Jean-Pascal PERRENX, l’Évangile de la vie. A la lumière de la foi, vol. 2, Paris, Éditions
Beauchesne, 2000, p. 9.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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mots ont dans la philosophie grecque une connotation platonicienne242 renvoyant
au processus dynamique de contemplation qui élève l’âme vers le divin, voire, dans
les écrits de Prophyre243 (234-310), disciple de Plotin (205-270), vers l’Être suprême
dont le philosophe est le prêtre244.
Afin de pouvoir établir une vision théologique de la personne humaine sans
influence platonicienne, nous allons essayer de comprendre, par une approche
systématique, ce que dit la Bible à propos de l’âme humaine.
1. Les états d’âme de la personne humaine
Dans le livre de la Genèse, le serpent réussit à convaincre Adam et Ève de
manger du fruit de la « connaissance du bien et du mal » censé les élever et leur
donner une intelligence surhumaine. Comment y parvient-il ? Le succès du serpent
consiste à faire croire à Adam et Ève que leur condition est indigne et que Dieu
leur cache leur véritable potentiel : un état de surhumanité qui leur est accessible.
Ève finit par croire qu’elle est immortelle et que Dieu ne peut lui retirer la
vie. « Tu ne mourras pas245 » lui dit le serpent, bien au contraire, si Dieu interdit
la consommation du fruit de l’autosuffisance246, c’est bien parce qu’il sait que « le
jour où tu en mangeras, tes yeux s’ouvriront247 ». C’est ainsi que la majorité des
religions, y compris une partie du christianisme, enseigne que l’homme dispose
d’une âme immortelle qui ne peut mourir et qui subsiste au décès du corps, soit
242 PLATON, Phédon [en ligne], disponible sur <https://beq.ebooksgratuits.com/Philosophie/Platon-
Phedon.pdf>, (consulté le 14 mai 2018).
243 Béatrice FRANCO, « Le traité de Porphyre contre les Chrétiens », Kernos (1991/4), p. 119-138.
244 « Ce culte ne consiste que dans l'offrande d'une pensée purifiée de tout ce qui est visible et
sensible et il conduit à l'union au Dieu transcendant, dès ici-bas en des moments d'extase, puis
définitivement après la mort. » Pierre HADOT, Porphyre [en ligne], disponible sur
<http://www.universalis.fr/encyclopedie/porphyre/>, (consulté le 14 mai 2018).
245 Gn 3.4.
246 « Connaissance du bien et du mal », dans la pensée hébraïque, cette expression signifie quoi que
ce soit, c’est-à-dire qu’on exprime une totalité. Gn 31.24 « Garde toi de dire quoi que ce soit » (litt.
Depuis le bon jusqu’au mauvais). Dans 2 Samuel 14. 17 ; 20 : « …car mon seigneur le roi est comme
un ange de Dieu pour discerner le bien et le mal… » ; « Mais mon seigneur possède la sagesse d’un
ange de Dieu pour connaître tout ce qui se passe dans le pays », voir Pierre FRANCO, Le règne du
vivant. Un parcours biblique, Kindle éd., Paris, BoD, 2016, p. 186.
247 Gn 3.5.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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pour aller à la rencontre de Dieu, soit pour se réincarner de cycle en cycle jusqu’à
obtenir la purification. Pourtant la Bible dit au sujet de Satan : « … il n’y a pas de
vérité en lui. Lorsqu’il profère un mensonge, il parle de son propre fond : car il est
menteur et le père du mensonge248 ».
a. L’humain en tant qu’espèce
Selon notre compréhension biblique, l’homme n’est ni l’addition d’un corps
et d’une âme, ni une âme divisée. L’humain, dans sa globalité, est une âme vivante :
« L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses
narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant249 ». Le terme hébraïque
pour désigner un être vivant est celui de nefesh (être) haya (vivant). Or, c’est ce
terme hébraïque nefesh que l’on traduit également par le mot âme. Il en résulte,
selon le récit de la Genèse, que l’homme, nefesh haya (âme/être vivant), est la
somme de la poussière de la terre et du souffle de vie. L’âme est à la fois ce que
nous sommes (créature vivante) et également ce que nous avons (la vie) : « Mais
s’il y a accident, tu donneras vie pour vie250 ». Dans l’Ancien Testament (AT), l’âme
désigne tout ce qui est d’ordre vital pour l’homme au sens large. Ce terme est
employé pour désigner la vie de l’homme (comme nous l’avons vu plus haut) mais
aussi la vie animale :
• « Dieu dit : Que les eaux grouillent de petites bêtes, d’être vivants, et
que des oiseaux volent au-dessus de la terre, face à la voûte
céleste251 ! » ;
• « Mais de toutes les petites bêtes d’eau, de tout ce qui vit dans l’eau,
soit dans les mers, soit dans les cours d’eau, tout ce qui n’a pas de
nageoires ni d’écailles sera une horreur pour vous252 ».
248 Jn 8.44.
249 Gn 2.7.
250 Ex 21.23.
251 Gn 1.20.
252 Lv 11.10. Voir aussi Gn 9.4-6 ; Lv 17.11, 14 ; Dt 12.23 : C’est par rapport à ces textes que les
Témoins de Jéhovah refusent la transfusion sanguine, car le texte dit que la vie/âme/nefesh est
dans le sang.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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b. L’humain en tant que personne
L’AT parle aussi de nefesh pour désigner une personne dans un cadre
juridique253, ainsi que dans le cadre des recensements254. Aujourd’hui encore, on
parle de la perte de x âmes dans une catastrophe naturelle. L’AT utilise également
le mot nefesh dans un sens similaire à ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui l’ego
ou le moi : c’est-à-dire la personnalité émotionnelle et intellectuelle. L’homme est
invité à aimer Dieu de tout son cœur et de toute son âme/personne/vie/nefesh255.
C’est également dans cette nefesh que se trouve le désire de nourriture256, les désirs
de la chair257 ainsi que la soif de vengeance et de meurtre258. La nefesh, c’est-à-dire
la personne, pleure et peut s’exercer à la patience259. Elle fait preuve de
connaissance, de pensée, d’amour et de souvenirs260. Lorsque la Bible attribue ces
caractéristiques à la nefesh, elle implique la nefesh haya, soit l’être vivant et non
pas une composante immortelle de l’être humain.
2. La mort est l’inverse de la création
La question qui se pose alors est : quel est ce souffle de vie ? Pouvons-nous
considérer qu’il s’agisse de cette fameuse part d’immortalité qui est en nous et qui
subsiste après notre mort ? Celle-là même qui serait véritablement capable de Dieu
et image de Dieu ? Selon la Bible, le souffle de vie est une puissance de vie qui vient
de Dieu et qui permet d’animer la matière autrefois inanimée. En Ecclésiaste 12.7 :
« Avant que la poussière retourne à la terre, comme elle y était, et que l’esprit
retourne à Dieu qui l’a donné ».
Bien que cela soit un peu complexe, la Bible fait une claire distinction entre
l’âme qui n’est autre que l’être vivant, et l’Esprit/Souffle de Dieu qui est une
253 Lv 4.2 ; 5.1-2, 4, 15.
254 Ex 1.5 ; Dt 10.22.
255 Dt 13.3.
256 Dt 12.20-21.
257 Jr 2.24.
258 Ps 27.12.
259 Jb 30.16 ; Ps 119.28 ; Jb 6.11.
260 Ps 139.14 ; 1 S 20.3 ; 1 S 18.1 ; Lm 3.20.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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95
composante de cette être vivant : « Aussi longtemps que j’aurai ma respiration, et
que le souffle de Dieu sera dans mes narines261 ». Dans le langage hébraïque, les
auteurs répètent souvent un concept sous deux formes différentes afin de créer une
emphase et ainsi mieux l’expliquer. Ici, l’auteur fait le lien entre la respiration et
le souffle de Dieu. L’un des termes explique l’autre. Le Souffle de Dieu est donc
notre capacité à respirer, que certes nous prenons comme une simple fonction
naturelle, mais que la Bible décrit comme une faculté venant de Dieu : c’est le
cadeau de Dieu qui, mêlé à la poussière de la terre donne un être vivant.
A la question de savoir si ce souffle est une conscience immortelle, la Bible
nous semble répondre non : « Ne vous confiez pas aux grands, aux fils de l’homme,
qui ne peuvent vous sauver. Leur souffle s’en va, ils rentrent dans la terre, et ce
même jour leurs desseins périssent262 ». Ici, les desseins sont équivalent aux
pensées, par conséquent, le Psalmiste nous dit que lorsqu’un être vivant meurt, ses
pensées meurent avec lui. Cette compréhension est renforcée par l’Ecclésiaste :
« Les vivants, en effet, savent qu’ils mourront ; mais les morts ne savent
rien263 », ainsi que par les Psaumes264 :
• « Ce ne sont pas les morts qui célèbrent l’Éternel, ce n’est aucun de
ceux qui descendent dans le lieu du silence »
• « […] celui qui meurt n’a plus ton souvenir ; qui les louera dans le
séjour des morts ? »
Nous trouvons également dans le texte biblique le fait que la mort est le
salaire du péché, c’est-à-dire de la séparation d’avec Dieu. La mort est donc
l’inverse de la création, c’est une dé-création. La vie humaine est le résultat de
l’intervention de la puissance de vie divine et créatrice. Or, de la même manière
qu’un téléphone portable finira par s’éteindre s’il n’est pas régulièrement alimenté
par une source d’énergie, de même, la vie humaine s’éteint lorsque nous ne sommes
plus connectés à Dieu. L’Esprit/Souffle de Dieu c’est l’énergie qui nous fait vivre.
261 Jb 27.3.
262 Ps 146.3-4.
263 Ec 9.5.
264 Ps 115.17 ; Ps 6.6.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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96
3. « Vous ne mourrez point »
Le mystère humain est illustré par la Genèse par l’équation : Terre +
Souffle = Âme vivante. Ainsi, si nous cherchons à devenir notre propre source
d’énergie et d’alimentation (connaissance du bien et du mal), alors nous nous
éteindrons. Nous sommes invités à rester en contact, en relation avec Dieu, à
reconnaître notre dépendance afin que notre souffle de vie qui vient de lui puisse
rester en nous.
Le mensonge du serpent est de dire que nous ne mourrons pas, mais qu’au
contraire, nous devenons semblables à Dieu, c’est-à-dire indépendant de notre
relation vis-à-vis de lui. Or, l’immortalité de l’âme revient à dire que nous
continuons à exister, quels que soit nos choix (enfer/paradis ; autre plan
d’existence ; réincarnation). Mais si nous continuons à exister éternellement en
dépit de notre déconnexion à Dieu, alors Dieu est un menteur, et effectivement, le
serpent à raison : nous ne mourrons pas… en tout cas pas vraiment.
Il est donc intéressant de constater que la quasi-totalité des religions,
des philosophies religieuses, voire même les scientistes, parlent d’une existence
continue après la mort, soit sous la forme d’une âme immortelle (version la plus
courante dans les religions), soit sous forme d’énergie ou de transcendance (version
plus connue des philosophies spirituelles et de certains scientistes). Ces désirs
d’autonomie, d’illumination, voire de sainteté absolue ne sont que des versions
légèrement modifiées de la tentation du serpent : le pouvoir, la force sont en toi,
soit autonome, soit comme Dieu. Les religions manipulent le sacré, les philosophies
cherchent dans le cœur de l’homme et la science prend possession de la nature,
tous dans l’espoir d’y trouver la connaissance et les moyens de se surpasser et
« d’ouvrir son intelligence265 ». La vérité est que ce n’est ni l’intelligence ni la
connaissance qui s’ouvrirent le jour de la chute, mais la sensation de la nudité et
de la vulnérabilité. On pourrait parler d’un sentiment d’indignité.
Nous avons vu que le récit de la Genèse nous avertit des dangers à
265 Gn 3.6.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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97
rechercher une dignité, une valeur humaine propre, déconnectée de Dieu. Nous
allons voir à présent comment une théologie de la dignité conférée peut s’articuler
dans notre société moderne.
II. Vers une éthique chrétienne de la dignité humaine
A. Dieu n’est pas mort, loin de là
"Dieu est mort (Signé : Nietzsche)." À la célèbre formule du philosophe, tant de
fois répétée depuis un siècle, un anonyme rusé s'est plu à rajouter ce correctif :
"Nietzsche est mort (signé : Dieu)."
Dont acte : l'annonce de la mort de Dieu avait été largement prématurée. On avait
cru, depuis un siècle, que la religion était condamnée par l'histoire. Sociologues,
historiens et philosophes, de Max Weber à Marcel Gauchet s'accordaient sur le
diagnostic de "désenchantement du monde", sur l'éclipse irrévocable de la
présence divine dans le monde contemporain266.
Force est de constater que non seulement notre société postmoderne n’a
pas tué Dieu, mais elle a donné un terreau favorable au retour du spirituel sous
toutes ses déclinaisons. Les spiritualités alternatives ne s’y sont d’ailleurs pas
trompées en cherchant à légitimer leurs croyances et leurs méthodes par la science,
comme le font en ce moment le magnétisme267 et le bouddhisme268. Par ce procédé,
l’on donne des lettres de noblesse à de vieilles idéologies. De l’autre côté, l’Islam ne
s’embarrasse pas des sensibleries occidentales, et apporte à une société de confort,
mais qui perd son lien social269, un sentiment d’appartenance et de responsabilité.
Le catholicisme, bien que très contesté, revient également sur le devant de la
scène270 à travers plusieurs initiatives, y compris politique avec par exemple le
266 Jean-François DORTIER, Laurent TESTOT, Le retour du religieux, un phénomène mondial [en
ligne], 05.2005, disponible sur <https://www.scienceshumaines.com/le-retour-du-religieux-un-
phenomene-mondial_fr_4912.html>, (consulté le 14 mai 2018).
267 Elsa ABDOUN, Magnétisme : ses pouvoirs sur le cerveau démontrés en laboratoire ! [en ligne],
31.10.2017, disponible sur <https://www.science-et-vie.com/le-magazine/magnetisme-ses-pouvoirs-
sur-le-cerveau-demontres-en-laboratoire-9846>, (consulté le 14 mai 2018).
268 Matthieu RICARD, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale (C.I.P.S.) [en ligne],
27.11.2012, disponible sur <http://www.matthieuricard.org/articles/categories/articles-
scientifiques>, (consulté le 14 mai 2018) ;
CNRS, Vers une anthropologie comparée du bouddhisme [en ligne], 5.02.2014, disponible sur
<http://www.cnrs.fr/inshs/recherche/anthropo-bouddhisme.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
269 Boris CYRULNIK, Parler d’amour au bord du gouffre, Paris, O. Jacob, 2004.
270 Le Figaro, Comment expliquer le retour des catholiques sur la scène publique [en ligne],
24.12.2016, disponible sur <http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/12/24/01016-
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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98
mouvement sens commun. Dans ce mouvement de montée en puissance du
religieux, même les protestants ne sont pas en reste puisque l’actuel président de
la République française, Emmanuel Macron leur a adressé une invitation à rester
la « vigie de la République271 ».
Le fait religieux existe bel et bien et il n’est pas nécessaire de s’en excuser.
Cependant, une telle manifestation du religieux dans notre société invite à la
prudence et à la responsabilité. C’est à cause d’un manque de précaution, voire
d’un manque cruel d’égard envers la personne humaine, que le christianisme s’est
décrédibilisé.
Si après l’essor de l’humanisme, le christianisme a perdu pied dans un
monde en mutation auprès duquel l’Église a eu du mal à répondre présente, elle
peut aujourd’hui être fier de voir sa contribution sociale être remise au goût du
jour. Mais ce regain de foi ne suffit pas à donner à son message une clarté
nécessaire pour affronter l’un des plus grands obstacles de son ministère : la
tentation permanente de déshumanisation.
Dans une société en cours de précarisation272, ces questions de la
déshumanisation, de la souffrance et de la dignité reviennent fréquemment comme
une accusation envers les chrétiens dont ni les membres ni le Dieu ne semblent
faire assez pour en limiter, voire en éliminer les effets. Face à cette réalité, il
convient selon nous de rappeler les conséquences éthiques du message biblique sur
la nature de l’homme et sur sa relation avec Dieu. À la question « qu’est-ce que
l’Homme pour que Dieu pense à lui273 ? », les textes fondateurs du christianisme
répondent que l’humain trouve son origine dans un dessein274, dans un projet, dans
un désir d’altérité et de rencontre, tel un couple désirant un enfant dans lequel ils
20161224ARTFIG00014-comment-expliquer-le-retour-des-catholiques-sur-la-scene-
publique.php>, (consulté le 14 mai 2018).
271 Louise COUVELAIRE, Macron « attend beaucoup » des protestants [en ligne], 23.09.2017,
disponible sur <http://www.lemonde.fr/religions/article/2017/09/23/macron-attend-beaucoup-des-
protestants_5190108_1653130.html>, (consulté le 14 mai 2018).
272 L’express, La pauvreté et la précarité en France [en ligne], disponible sur
<https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-pauvrete-et-la-precarite-en-france_1852893.html>,
(consulté le 14 mai 2018).
273 Psaumes 8.4.
274 Genèse 1.26.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
____
99
pourront placer leur affection en vue d’un dépassement d’eux-mêmes275.
« Quiconque connaîtra l'homme verra que c'est un ouvrage de grand dessein qui ne
pouvait être ni conçu ni exécuté que par une sagesse profonde », disait Bossuet
dans son Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même276.
Ce projet d’une humanité à la ressemblance du divin est réitéré à travers
l’ensemble des textes bibliques : Gn 6.6 ; Dt 32.36 ; Ps 8 ; 144.3 ; Jb 7.17 ; He 2.6-
9 ; Ap 4.11 ; ainsi que le désir de Dieu de (re)nouer une relation avec cette création
dont il se considère responsable :
• « Je prendrai plaisir à leur faire du bien, et je planterai
véritablement dans ce pays, de tout mon cœur et de toute mon
âme277 »,
• « Quel Dieu est semblable à toi, qui pardonnes l’iniquité, qui oublies
les péchés du reste de ton héritage ? Il ne garde pas sa colère à
toujours, car il prend plaisir à la miséricorde278 »,
• « Voici, je lui donnerai la guérison et la santé, je les guérirai, et je
leur ouvrirai une source abondante de paix et de fidélité279 ».
Ce projet pour l’humain va de pair avec un appel à reconnaître Dieu comme
responsable, comme garant de notre univers « Le ciel raconte la gloire de Dieu et
l’étendue révèle l’œuvre de ses mains280 », mais cette affirmation n’est plus tenable
dans un monde moderne, surtout si elle est associée à une affirmation d’une
création courte. Et pourtant, c’est bien là qu’il va falloir aller puiser afin d’obtenir
les fondements nécessaires permettant de faire face aux tentatives de
déshumanisation.
B. La création comme phare de l’humanité
Croire en une création parfaite de Dieu c’est accepter l’espoir que l’homme
n’est pas obligé d’être un loup pour l’homme. C’est refuser la fatalité qui nous
entoure où chaque progrès se voit associé un effet secondaire néfaste. C’est refuser
275 Gn 1.27.
276 Jacques BOSSUET, Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même [en ligne], 1670, disponible
sur <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75190p>, (consulté le 14 mai 2018).
277 Jr 32.4.
278 Mi 7.18.
279 Jr 33.6. Voir également Jn 1.12 ; Ga 4.6 ; Phi 2.13 ; He 13.14.
280 Ps 19.2.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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100
que la violence et la mort soient les moteurs de ce progrès.
En effet, si l’on adopte une vision alternative, darwinienne, ne sommes-
nous pas arrivés à la tête de la chaîne alimentaire grâce à notre capacité de survie,
d’être plus violents, plus malins et plus débrouillards que les autres ? N’est-ce pas
sur un principe d’exploitation froid et sans état d’âme d’une espèce sur les autres
que le modèle évolutionniste prend son sens ? Si soudain on devait proclamer la
paix, la tolérance et la bienveillance pour tous, alors comment ne pas craindre une
récession de notre espèce ? Inconsciemment, notre humanité cherche des réponses
à son identité, et après les échecs de l’époque moderne et post-moderne, voici venu
le temps de l’homme transhumain et connecté281 mettant sa confiance en
l’Intelligence Artificielle (IA) pour lui assurer un futur dépourvu d’égoïsme, de
corruption et de promesses non tenues282.
La montée des intégrismes et des nationalismes violents nous montre que
les idéologies philosophiques athées ont échoué à donner une justification du
pourquoi je dois traiter mon frère et ma sœur en humanité au meilleur de mes
capacités. Pourquoi dois-je sacrifier l’avenir de mes enfants pour l’étranger qui ne
paye pas (encore) ses impôts ? Le repli et l’isolationnisme grandissant des grandes
puissances mondiales (États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Japon) à l’heure même
de la mondialisation sont d’autant plus frappants que l’on voit réapparaître des
figures et des idéologies d’extrême droite283 voulant affirmer la supériorité
nationale sur tout le reste (ma tribu contre celle des autres… c’est après tout une
idéologie darwinienne).
281 Amy WANG, Former Facebook VP says social media is destroying society with dopamine-driven
feedback loops [en ligne], 12.12.2017, disponible sur <https://www.washingtonpost.com/news/the-
switch/wp/2017/12/12/former-facebook-vp-says-social-media-is-destroying-society-with-dopamine-
driven-feedback-loops/>, (consulté le 14 mai 2018).
282 Edoardo MAGGIO, Putin believes that whatever country has the best AI will be the ruler of the
world [en ligne], 04.09.2017, disponible sur <http://www.businessinsider.fr/uk/putin-believes-
country-with-best-ai-ruler-of-the-world-2017-9>, (consulté le 14 mai 2018).
283 Blaise GAUQUELIN, En Autriche, droite et extrême droite ont prêté serment [en ligne],
19.12.2017, disponible sur <http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/12/19/en-autriche-droite-et-
extreme-droite-pretent-serment_5231803_3214.html>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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101
1. La cohabitation de la théologie et du darwinisme
La solution visant à faire coexister l’idéologie chrétienne avec une théorie
naturaliste des origines nous semble être problématique. Elle consiste à présenter,
d’une part, un Dieu aimant et qui ne prend pas plaisir au mal, qui est prêt à se
porter au secours de ses enfants, qui est bienveillant, accueillant, et d’autre part,
un Dieu passif pendant des millions d’années face aux souffrances du monde284.
Cela ne semble pas gêner que ce Dieu soit resté les bras croisés durant des
milliards d’années, tandis que des êtres vivants (les animaux sont ainsi considérés
depuis 2015 comme des êtres « doués de sensibilité285 ») souffraient le martyre et
s’entretuaient. Les plus forts ont mangé les plus faibles, les massacres et les
exterminations ethniques, bien avant l’apparition des humains, ne lui ont
apparemment posé aucun souci, jusqu’à son réveil il y a deux millions d’années,
date de l’apparition de l’Homo sapiens. Ainsi, à en croire cette vision de l’humain,
un beau jour, après n’avoir jamais rien fait pour entraver cela (de mémoire
d’homme), il s’est donc réveillé, a décroché son téléphone pour nous informer du
haut du ciel que tout ce bazar était bien dégoutant.
2. La folie de la foi
Nous pensons que la foi chrétienne n’a rien de rationnel. Il n’est pas
rationnel de penser qu’un être transcendant se soit fait homme, soit mort et
ressuscité trois jours plus tard et qu’il agit maintenant de manière mystérieuse à
notre salut. Pourtant, même les chrétiens les plus libéraux ne souhaitent plus
remettre en question la personne de Jésus. Il ne nous semble donc pas beaucoup
plus déraisonnable d’affirmer par la foi (tout en étant clair sur l’irrationalité de
cette croyance), que notre monde a été créé dans un état de perfection par un Dieu
créateur.
284 C’est malheureusement la position catholique qui voit dans le corps le résultat de l’évolution,
tandis que l’âme serait le résultat d’une action divine, surnaturelle, intervenue à un moment T de
l’histoire humaine.
285 Le Monde, Les animaux sont désormais officiellement « doués de sensibilité » [en ligne],
28.01.2015, disponible sur <http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/28/les-animaux-sont-
desormais-officiellement-doues-de-sensibilite_4565410_3244.html>, (consulté le 14 mai 2018).
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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102
La genèse, même lue pour son enseignement et non pour son
renseignement286, ne peut pas, selon nous, enseigner une norme naturelle où entre
autres cruautés, des pélicans se délectent d’oisillons287, des piverts fracassent le
crâne de bébés tourterelles encore en vie pour en manger la cervelle288, et des
dauphins mâles cherchent à tuer la progéniture d’une femelle afin de pouvoir la
violer à tour de rôle289.
Un dieu responsable d’une telle création (des milliards d’années pour en
arriver là…) ne mérite pas selon nous le titre de Dieu et fait insulte aux termes
amour, bonté et bienveillance. À partir du moment où nous pouvons être
moralement meilleurs que le dieu que nous suivons, il est temps pour ce dieu de
disparaître comme l’ont fait les Zeus, Athéna et consorts des temps anciens.
C. Compassion et bienveillance comme clés du respect de la
dignité humaine
1. Le mal n’est pas une fatalité…
L’importance d’une vision créationniste du monde est de pouvoir dire en
toute cohérence que la souffrance n’est ni une fatalité ni une normalité à devoir
accepter. Nous sommes d’accord avec Yvan Bourquin lorsqu’il déclare : « La
souffrance en elle-même n'est qu'absurdité et non-sens290 ». Nous sommes loin ici
de la vision bouddhiste pour qui tout est dukkha c’est-à-dire, « tout est
souffrance291 ».
286 Jean FLORI, Genève ou anti-mythe, Paris, Éditions S.D.T., 1980, p. 50-57.
287 Pelicans eat baby birds [en ligne], 16.04.2010, disponible sur
<https://www.youtube.com/watch?v=o-BjDE5yJi4>, (consulté le 14 mai 2018).
288 Center for Creative Studies, Zombie woodpecker guzzles dove brains [en ligne], 3.05.2015,
disponible sur <https://www.youtube.com/watch?v=W4oEM0W6mhM&t=87s>, (consulté le 14 mai
2018).
289 Melissa HOGENBOOM, The dolphins that kill each other’s young [en ligne], 16.07.2015,
disponible sur <http://www.bbc.com/earth/story/20150716-dolphins-that-kill-their-young>,
(consulté le 14 mai 2018). Ce qui peut aussi arriver entre espèces comme lorsque des otaries de
Kerguelen intimident, harcèlent et violent des manchots (ces derniers peuvent ensuite être tués et
mangés).
290 Yvan BOURQUIN, Quel Dieu pour tant de souffrance ?, Bière, Cabédita, 2013, p. 8.
291 Alexandre JOLLIEN, Vivre sans pourquoi. Itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée, Paris,
Éditions du Seuil, 2015, p. 82.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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103
La création renvoie les créatures au créateur et à l’ordre voulu par lui292.
Elle nous rappelle que nous sommes tous frères et sœurs, et que la violence, la
souffrance, la déchirure n’ont pas leur place dans le royaume des cieux car « Il
essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni
deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu293 » et parce qu’ « Il
anéantit la mort pour toujours ; le Seigneur, l’Éternel, essuie les larmes de tous les
visages, Il fait disparaitre de toute la terre l’opprobre de son peuple ; car l’Éternel
a parlé294 ».
La foi chrétienne affirme et insiste sur le fait que non seulement la mort
n’est pas la norme du royaume de Dieu mais qu’elle est une anomalie qui a un
responsable : « Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, il
y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il anéantit celui qui a la
puissance de la mort, c’est-à-dire, le diable295[…] ». De ce fait, insistant sur la
fraternité qui nous lie, puisque notre sauveur, le Christ, a fait le choix de se joindre
à nous afin de souffrir avec nous et de nous montrer un chemin de compassion,
d’amour et de bienveillance, nous sommes également appelés par ce merveilleux
sermon sur la montagne à nous joindre à son équipe d’aidants et de compatissants
qu’il appelle son Église.
2. …Dieu nous offre la liberté comme remède
Le livre de la Genèse décrit l’humanité comme étant créée à l’image de Dieu
et ayant pour mission d’être son ambassadrice sur terre. En porte-étendard du
Dieu créateur, l’homme et la femme trouvent leur liberté dans l’épanouissement
de leur relation personnelle. C’est parce qu’elle est le reflet de Dieu que l’humanité
se distingue des animaux et qu’elle devient spéciale. S’attaquer à un seul être
292 Cette vision rejoint celle exprimée par Irénée de Lyon, pour qui il faut faire attention à ne pas
se séparer de Dieu en essayant d’interpréter et d’imaginer les origines de la matière et ainsi « rejeter
Dieu qui a fait toutes choses. » IRÉNÉE DE LYON, Traité contre les hérétiques, II, 28, 3, 86 s., SC
294 [en ligne], disponible sur
<https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Pères_de_l’Église/Tome_3/Livre_II/>, (consulté le 14 mai 2018).
293 Ap 21.4.
294 Es 25.8.
295 He 2.14-15.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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104
humain, c’est s’attaquer à l’image de Dieu et donc à Dieu lui-même.
Or, de même que Dieu est libre et n’est l’esclave de personne, de même
l’humanité reçoit le même don de liberté qui lui permet de choisir sa relation avec
Dieu ou non. Ainsi la liberté ne découle pas d’une autonomie propre et innée mais
plutôt d’une théonomie dont nous sommes les bénéficiaires296. C’est la raison pour
laquelle, la tradition biblique associe la liberté à la connaissance de Dieu et
l’esclavage à l’ignorance de Dieu et de sa loi297.
C’est ainsi que le « peuple de Dieu » se meurt faute de connaissance (du
Créateur), et que le cœur de l’homme ne peut atteindre la justice, si ce n’est par la
loi de Dieu gravée dans son cœur. C’est aussi ce concept de « loi naturelle » que Paul
emploie pour dénoncer certaines pratiques sociales de son époque. Il est
intéressant de noter que ce concept d’une loi théonomique est présent également
dans le monde gréco-romain, particulièrement chez les Stoïciens, tels Cicéro et
Épictète298, ainsi que dans le culte romain de Jupiter Libertas, associant la piété
envers le divin à la liberté.
La raison pour laquelle le modèle biblique est le fondement essentiel à
toute liberté est qu’il garantit à tout humain, quelle que soit sa race, ses origines
socio-économiques et ses convictions, la même valeur intrinsèque d’être créé à
l’image de Dieu. La tradition biblique ne présente pas l’égalité des hommes comme
une idéologie mais comme une réalité certaine. Dès lors, nul ne peut discriminer
son prochain pour quelque motif que ce soit (économique : Jc 4.13-5.6 ; spirituel :
Mt 7.2-3, 1 Co 5.12, social : Lv 19.34, Dt 26.11 ; 28.43) car en ce faisant, il porte
atteinte à Dieu.
De même, le don du salut, garantissant la liberté à tous ceux qui le
souhaitent, est offert à tous : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils
afin que quiconque croit ait la vie éternelle299 […] ». Il n’existe aucune autre
idéologie, philosophie ou religion qui puisse offrir une telle base pour la liberté et
l’égalité des hommes.
296 Jn 8.32 : « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »
297 Es 61.1: Rm 7.6 ; 8.13-15, 21 ; 15.1 ; Ga 4.31-5.13 ; 1 Co 6.20 ; Jc 1.25.
298 Stanley F. JONES, article « Freedom », in David N. FREEDMAN (éd.), The Anchor Yale Bible
Dictionary, New York, Doubleday, 1992, p. 856.
299 Jn 3.16.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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105
3. La Parole valorisante pour l’humain
En mentionnant Jésus comme la Parole faite chair (Jean 1) et en renvoyant
le lecteur à la Genèse, la tradition johannique place clairement la parole,
l’expression d’un soi, au centre du cheminement du croyant. Celui qui est sauvé
est celui qui « confesse que Jésus-Christ est Seigneur ». Jésus s’exprime et dialogue
avec les autres, y compris ceux avec qui il n’est pas d’accord. Alors qu’il aurait pu
agir avec violence lors de son arrestation (il dit avoir des légions d’anges à sa
disposition), il fait le choix de la non-violence car les hommes en face de lui sont
ses frères qu’il est venu sauver, et qu’on ne tue pas ceux que l’on cherche à sauver.
Lors de son angoisse à Gethsémané, Jésus s’exprime, parle, demande
même de l’aide à ses disciples (un renversement étonnant de situation que de voir
un Dieu vulnérable en quête de l’homme) et prie son Père. En cela, il anticipe les
découvertes récentes : « l’expérience vient conforter l’intuition selon laquelle toute
peine peut être réconfortée, pour peu que nous acceptions d’exprimer – c’est-à-dire
de sortir de nous – ce qui brûle, ce qui meurtrit, ce qui pèse. Nous pouvons guérir
de nos blessures, oui, à condition que nous lâchions prise, qu’au-delà des
bienséances, des idées reçues, des lieux communs, nous disions le fond véridique
de notre être300. »
C’est exactement ce que Jésus vit à Gethsémané. Il dit le fond de lui, il ose
dire à son Dieu qu’il n’a aucune envie de souffrir ; Voilà qui devrait donner de quoi
réfléchir aux martyrs volontaires !
4. La compassion n’est pas qu’un sentiment
Si la conception ontologique de la dignité ne peut porter atteinte à la
personne, il n’en demeure pas moins que le sentiment de déshumanisation peut
exister et créer une grande détresse. La compassion pour les souffrants ne consiste
pas à les culpabiliser comme les amis de Job. Il ne s’agit pas de les moraliser ou
d’essayer de leur trouver des réponses, mais seulement d’être présent, d’être éveillé
avec eux et pour eux (ce que les disciples ont eu du mal à faire). Nombreux sont
300 Saverio TOMASELLA, Le sentiment d’abandon. Se libérer du passé pour exister par soi-même,
Paris, Eyrolles, 2012, p. 119.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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106
ceux qui cherchaient à spiritualiser les choses, à nier la possibilité pour un croyant
de souffrir, d’avoir des « chutes de foi » comme on aurait une baisse de tension. Être
vulnérable, être à nu n’est pas une position confortable, malheureusement
« exprimer ses fragilités n’est pas à la mode, à une époque où le positivisme forcené
est souvent de rigueur ; même si, dans notre culture, la mort est très fréquemment
passée sous silence301. » Ce silence se vit souvent en éloignant le souffrant des bons
vivants, on l’isole, on l’endort, on l’envoie dans des centres ou des cabinets fermés
à double tour avec un spécialiste qui finira sans doute lui-même par craquer302.
Pour l’Église accompagnante, la tentation d’étouffer l’écho de sa propre
souffrance est grande303, réduisant ainsi sa capacité à être pleinement
bienveillante. Nous pensons qu’Alexandre Jollien à raison de dire que la
spiritualité peut devenir une « fuite pour s’arracher à notre humanité et moins
souffrir304 » et qu’il ne faut pas se contenter de spiritualiser Dieu car comme le dit
une citation de Maître Eckart qu’il nous rapporte : « si nous nous contentons d’aller
vers Dieu en pensée, lorsque nous cessons de penser à Lui, nous nous coupons de
Lui305 ».
Cet oubli de Dieu, cette cassure de Dieu est malheureusement trop
fréquente dans notre société. Dieu, ayant été spiritualisé et intellectualisé à
souhait, nous avons perdu la capacité de le ressentir, souffrant à nos côtés. A
travers le pasteur et le prêtre, l’Église est bien trop souvent reléguée en marqueur
de grands événements. On est content de sa présence pour le mariage, pour
301 Ibid., p. 123.
302 Sophie BERJOT, Noëlle GIRAULT-LIDVAN, François-Xavier LESAGE, Risques Psycho-
Sociaux chez les psychologues Français. Première étude quantitative nationale sur la profession
dans son ensemble [en ligne], 2015, disponible sur <http://istnf.fr/_docs/Fichier/2015/6-
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psychiatrique-2016-8-page-625.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
303 Comment souffrir si Dieu est avec nous, comment être impuissants alors que le Saint-Esprit est
censé faire des miracles ?
304 Alexandre JOLLIEN, Vivre sans pourquoi, p. 248.
305 Maitre ECKHART, Entretiens spirituels, vol. 6, in Alexandre JOLLIEN, Vivre sans pourquoi,
p. 49.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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l’enterrement, mais quand on souffre et que l’on n’est pas encore mort, on la
regarde avec suspicion, avec méfiance, voire avec un regard accusateur.
La bienveillance qui consiste à être présent pour l’autre, avec patience et
sans violence ni accusation (telles les retrouvailles de Jésus avec son disciple Pierre
lors de sa résurrection), n’est pas qu’une simple mode pour le croyant mais son
mode de vie. C’est la reconnaissance de son humanité, quelles que soient les
circonstances qui entourent cette souffrance. Cet exemple de Jésus avec Pierre,
portant probablement une souffrance psychique intense et une lourde culpabilité,
est d’un grand réconfort : je sais que tu souffres et je te donne le temps de guérir,
et quand tu seras prêt, sache que tu as encore de la valeur et que j’ai besoin toi.
Jésus n’est-il pas le plus grand des humanistes ?
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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108
III. Synthèse du troisième chapitre
Maître Eckhart, dans ses Entretiens spirituels, dit : "Comprenons-nous bien : fuir
ceci, rechercher cela, éviter tels endroits ou telles gens, ou telle manière d’être, ou
bien encore la foule ou les œuvres, ce n’est pas là, dans les choses ou les manières
d’être qu’est la cause de tes difficultés. N’accuse que toi-même. C’est toi qui te
comportes mal à leur égard. Commence donc tout d’abord par toi-même et laisse-
toi. En vérité, si tu ne te fuis pas d’abord toi-même, tu auras beau fuir où tu
voudras, tu trouveras des obstacles et de l’inquiétude partout306.
Cette citation peut sembler dure dans le cadre de la thématique de cet
exposé, cependant, nous voyons que la sagesse humaine, même en dehors de la
tradition biblique, débouche sur un constat commun : il n’existe pas de pilule anti-
souffrance, et la conception interactionnelle de la dignité ne suffira pas, par la
victimisation, à rendre à l’humain le sentiment de sa valeur. Quel que soit ce qui
nous arrive, nous sommes ultimement responsables de notre sort et du destin que
nous suivons car nous avons en nous cette foi mystérieuse mais agissante. Nous ne
sommes ni responsables ni coupables de nos accidents de vie, mais nous avons le
pouvoir de devenir acteurs de notre existence et de faire au mieux avec ce qui nous
reste. La tentation de diviser l’humain (et à travers lui les hommes) existe depuis
l’ère platonicienne et sans doute avant. Aujourd’hui, sous couvert de la science,
notre société remet cette idéologie au goût du jour en cherchant à tendre vers un
transhumanisme, où le corps humain pourrait enfin évoluer vers sa destinée grâce
aux puces, aux capteurs et aux manipulations génétiques.
La tradition biblique nous rassure sur le fait que nous avons été créés en
tant qu’êtres de grande valeur merveilleux dans le regard de notre Père. Il ne nous
a pas abandonnés à notre propre sort dans une soupe primordiale, mais il nous a
accompagnés et il nous accompagne encore. Les ouvrages, que nous avons
consultés au cours de ce travail, cherchant à apporter une réponse, voire une voie
de sortie à la souffrance et au sentiment de déshumanisation surtout lorsqu’elle
est auto-infligée, nous paraissent d’une importance capitale. Cependant, aucune
de ces réflexions ne peut exister en pleine cohérence si elle n’est placée dans le
306 Maitre ECKHART, Entretiens spirituels, vol. 3, in Alexandre JOLLIEN, Vivre sans pourquoi,
p. 122.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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cadre d’un Dieu créateur. C’est parce que nous avons été créés à l’image de Dieu
que nous pouvons trouver cette force de résilience qui nous habite afin de résister
au mal qui cherche à nous ronger.
Nous croyons en l’homme et en sa capacité à aller mieux, à vivre mieux
parce que nous portons en nous un soupçon d’éternité. Certes, nous ne pouvons pas
commander cet aller mieux avec une télécommande mais nous pouvons rendre aux
souffrants le sentiment de leur pleine dignité, celle d’enfant de Dieu.
Chapitre 3 : Essai théologique sur la dignité de la personne humaine
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Conclusion
Conclusion
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112
Conclusion
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113
Selon le philosophe Jean-François LYOTARD307, la fin de la modernité
coïncide avec la crise des métarécits308, remplacés par l’ère des nuages de discours
disparates. Or, ces métarécits étaient le socle sur lequel reposait le consensus de
droit et d’humanité. Dès lors, notre monde se retrouve dans une crise de
définitions : qu’est-ce qu’un homme, qu’est-ce que la liberté, qu’est-ce que le
respect ? Les valeurs n’échappent pas à ce tsunami de remises en cause des
fondamentaux : chose/personne, homme/femme, homme/nature, vérité/mensonge.
« Ainsi la condition postmoderne engendre une incertitude anthropologique, un
trouble dans la définition de l’humain309 » et cette incertitude menace les avancées
du droit international en matière de droits de l’homme et donc de dignité de la
personne humaine, concept qui en est le fondement axiomatique.
Ces bouleversements, aussi bien en politique (mariage pour tous), en
bioéthique (PMA) qu’en théologie (adaptation culturelle de la mission), nous ont
conduit à nous interroger sur l’apport que pouvait avoir le christianisme dans les
fondements et la sauvegarde du concept de dignité de la personne, en dépit d’une
conception théologique historique de l’humain à contre-courant de l’anthropologie
sociologique et darwiniste, aujourd’hui majoritairement acceptée. Pourtant,
l’acception contemporaine de la dignité humaine repose sur la conception
kantienne, qui elle-même s’appuie sur un métarécit fondé sur des présupposés
théologiques chrétiens, assumant l’immortalité de l’âme et une nature humaine
voulue par Dieu. N’y a-t-il donc pas un risque de déliter la dignité humaine en
rejetant la cosmogonie judéo-chrétienne ? C’est en raison de cette interrogation que
nous avons posé comme problématique de savoir en quoi les racines théologiques
de la dignité humaine ont eu une influence chrétienne sur le concept de dignité et
si cette influence est encore d’actualité pour l’éthique contemporaine.
Dans un premier temps, il nous a semblé nécessaire de commencer par un
307 Jean-François LYOTARD, La condition postmoderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 8.
308 Ibid., p. 7.
309 Joël MOLINARIO, « L’anthropologie de la catéchèse après la fin du consensus humaniste »,
p. 370.
Conclusion
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114
état de la question des acceptions des concepts de dignité et de personne humaine.
Nous avons pu découvrir l’évolution graduelle de ces concepts d’un sens aléatoire
et variable à un sens ontologique qui reconnaît en chaque entité humaine, un
homme ou une femme qui ne peut être ni acheté(e), ni vendu(e), ni rabaissé(e) en
dessous de leur statut anthropologique.
En effet, au cours de notre étude, nous avons posé les bases d’une
interprétation du concept de dignité humaine en tant qu’interface de trois sphères :
la conception posturale, la conception ontologique et la conception interactionnelle.
Nous avons vu que chacune de ces conceptions présente un risque de
discrimination et d’oubli d’une partie de l’humanité qui ne pourrait correspondre
à la définition qu’elle propose. Effectivement, toute définition totalise et exclut
ceux et celles qui ne peuvent répondre aux critères établis, et c’est la raison pour
laquelle représente un danger pour l’humain et de sa dignité, car si une définition
permet de renforcer certains aspects, elle est excluante de ce qu’elle peine à cerner.
Nous avons également démontré, grâce à l’analyse d’Hans Joas et de Zuber
Valentine, l’apport essentiel du christianisme dans l’élaboration des droits de
l’homme qui ont fourni le précepte d’universalité indispensable à leur pertinence
et que les Lumières ont développé. C’est ainsi que notre premier chapitre apporte
un éclairage sur l’influence chrétienne à l’œuvre dans l’élaboration et dans la mise
en pratique des droits de l’homme.
Dans un deuxième temps, nous avons recherché dans l’histoire du
christianisme les raisons de sa conception universaliste de l’humain et de la dignité
qui lui est rattachée. Pour ce faire, nous avons réalisé une étude indirecte de la
dignité en portant notre regard sur les déclarations, les injonctions et les
recommandations portées par les Pères de l’Eglise ainsi que par des philosophes
chrétiens en matière de violence sociale, juridique et militaire. Ce faisant, nous
avons découvert que la préoccupation pour ce qu’est l’humain n’est pas une mode
récente mais un élément fondateur de la pensée du christianisme, ayant en son
cœur une conception anthropologique de l’imago Dei, c’est-à-dire, de l’humain
comme image et reflet de Dieu.
Cette image a été rendue parfaite par Jésus-Christ, qui, en tant que
Conclusion
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115
Seigneur du croyant, invite à suivre son modèle et à user de paix, de piété,
d’humilité et de non-violence comme outils de conquête de son royaume. Nous
avons vu que ces positions, radicalement « contre-culturelles », n’ont pu résister à
la politisation du christianisme par l’Empire romain et que des compromis ont été
faits des deux côtés : l’Empire devenant moins violent tandis que les chrétiens
goûtaient à la force du pouvoir séculaire. Cette alliance entre l’Eglise et l’Etat aura
de graves conséquences en termes d’atteinte à la dignité humaine comme nous
l’avons vu avec l’exemple du colonialisme. Toutefois, des objecteurs de conscience,
animés par la connaissance des Ecritures, ont interpelé leurs contemporains tel
Anton de Montesino310, interrogeant à ses compatriotes sur leur non-respect des
exigences d’amour du Christ envers les Indiens d’Amérique.
Troisièmement, nous avons vu que l’anthropologique théologique fut
longtemps axée sur la compréhension augustinienne d’un homme composé d’une
chair mortelle et soumise au péché originel tandis que l’âme, don de Dieu insufflé
à l’homme, est appelée à s’élever et à se purifier. Cette âme serait, selon Saint-
Augustin, l’essence même de l’homme, ce qu’il possède de plus précieux, ce qui lui
permet d’être à l’image et à la ressemblance divine en partageant le don de
l’immortalité.
Même si cette question de l’image fait débat depuis l’époque des premiers
chrétiens, nous avons vu la durabilité historique de la croyance en une création de
l’ensemble des humains à l’image de Dieu et de la préoccupation de ce dernier pour
le sort des hommes et des femmes, indépendamment de leur race, de leur culture
ou de leur religion. Cette croyance constitue l’une des thématiques bibliques
récurrentes et l’un des fondements du droit de la tradition judéo-chrétienne.
Sur la base de cette tradition judéo-chrétienne, dont nous avons vu
l’enracinement historique au deuxième chapitre, nous avons pu développer dans
notre troisième chapitre l’enracinement théologique puis, proposer des éléments
de réflexion permettant de reposer les bases d’adhésion à une éthique chrétienne
sans compromis anthropologique, car, puisque l’homme reflète le mystère de Dieu,
310 Supra p. 77.
Conclusion
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116
seul le domaine de la croyance peut lui donner sa pleine et entière dignité.
Afin de résumer l’apport de la théologie à la vision contemporaine de la
dignité humaine, nous utiliserons la pensée du pasteur et théologien protestant
allemand Dietrich Bonhoeffer311. Dietrich Bonhoeffer argumente que la morale
chrétienne, du fait de son accent sur la justice de Dieu, a mis un frein aux actes de
guerre les plus terribles : les belligérants acceptaient de se soumettre à une
autorité divine à qui ils rendraient compte ; tandis que sans l’héritage judéo-
chrétien, les belligérants étaient prêts à tout pour la victoire, y compris les actes
les plus criminels et dégradants pour la dignité humaine. Son œuvre, Éthique312,
qui aurait été achevée en 1941 selon Clifford Green313, est d’autant plus importante
qu’elle a été rédigée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, et qu’elle va
à contre-courant de la pensée nazie qui voit dans l’extermination des hommes
indignes (particulièrement Juifs et Slaves) et dans la négation de leur héritage, un
moyen de parvenir à une fin. Comme l’a écrit Alain Finkielkraut : « Notre
civilisation doit à la Bible et à la philosophie la répudiation de cette évidence et la
contestation de ce partage314. »
Pour finir, nous comprenons les limites, particulièrement scientifiques, de
notre analyse. Nous pensons que puisque l’homme ne peut être réduit à une
définition totalisante, ses croyances ne peuvent pas être réduites et encadrées par
une série de dogmes tout aussi totalisants. Ainsi, si le relativisme peut avoir une
part de bon315 en ce qu’il donne un espace de vie et de pensée à tout à chacun, il
311 Jérôme COTTIN, Dietrich Bonhœffer (1906-1945) [en ligne], (consulté le 14 mai 2018).
312 Dietrich BONHOEFFER, Éthique, 4e éd., trad. JEANNERET Lore, Genève, Labor et Fides,
1997.
313 Clifford GREEN, The Heritage and Decay in Dietrich Bonhoeffer Works, vol. 4, Minneapolis,
Fortress, 2005, p. 103-133.
314 Alain FINKIELKRAUT, L’humanité perdue. Essai sur le XXe siècle, Paris, Éditions du Seuil,
1996, p. 15.
315 « En généralisant le particulier, les tenants d’un relativisme culturel ont contribué à étendre
l’universel, en portant leurs revendications basées sur la troisième génération des droits de
l’homme (droit à l’autodétermination, droit à un environnement sain, droit à la paix, droits des
peuples autochtones, droit au développement, etc.). Cette évolution semble infinie, tant les
possibilités d’interprétations de la DUDH sont nombreuses et ouvrent la voie à un enrichissement
Conclusion
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117
peut néanmoins s’avérer dangereux en ce qu’il participe à la dilution du concept de
dignité, comme nous l’avons vu avec le cas de la Chine. Or la relativisation des
idéaux, encouragée par le post-modernisme, touche à la vérité316 dans laquelle
l’humain s’efforce de vivre ; vérité qui dans sa quête toujours plus ardue pousse
l’homme au dépassement de soi et lui permet de faire la distinction entre le réel et
le virtuel, entre l’important et le secondaire, entre le vital, tel que le respect de la
dignité humaine, et l’accessoire qui relève de l’opinion317.
Ce mémoire nous a permis de mettre en évidence la nécessité d’un travail
en profondeur afin de creuser les nombreux concepts gravitant autour de la dignité
humaine. Nous avons conscience du risque, certainement pas totalement écarté,
d’un trop grand survol de la question. Cependant, nous pensons avoir réussi à
donner les raisons d’un cadre herméneutique propice au développement d’une
éthique chrétienne de la dignité de la personne humaine, fondée sur la croyance en
un Dieu créateur, rendant possible l’émancipation de l’humain de sa violence et de
ses souffrances. Mais en aucun cas, ce cadre ne doit rester figé puisqu’il se doit de
rester dans la démarche éthique de la recherche du meilleur, de la remise en
question permanente, et, dans une démarche croyante, de l’éclairage par l’Esprit.
C’est ainsi que nous n’aurons jamais fini de répondre à cette question « qu’est-ce
que l’homme pour que tu te souviennes ainsi de lui ? » et à travers celle-ci, de
s’émerveiller de ce que l’humain est capable de devenir lorsque sa dignité est
respectée.
perpétuel des droits de l’homme. » Anna DEMONTIS, « Les droits de l’homme à l’épreuve des
spécificités culturelles », p. 21-23.
316 « Si le concept de vérité peut sembler imperméable au droit dans la mesure où le droit est
travaillé par la culture, l’histoire, les mœurs, des systèmes de représentations divers qui
déterminent sa connaissance et sa mise en œuvre, de sorte que l’on pourrait penser au premier
abord qu’il existe autant de vérités que d’individus, les juristes ne peuvent penser sans une certaine
exigence de vérité qui dépasse l’individu, sans quoi le droit serait insaisissable et impraticable. »
Droit et vérité [en ligne], disponible sur <https://www.univ-lyon2.fr/droit-et-verite-
544192.kjsp?RH=WWW>, (consulté le 14 mai 2018).
317 « Il s’agit bien d’une quête ; vérité n’est pas connaissance sûre : elle nous échappe toujours, il
faut la quêter humblement, et la dépasser sans cesse. Elle nous échappe de deux manières : d’abord
parce qu’elle est insondable, ensuite parce qu’elle est évolutive » mais pas relative puisque « La
vérité se distingue de l’illusion, de l’opinion, de l’hypothèse. » DELSOL Chantal, L’idée d’université
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Histoire & Missions Chrétiennes 1 (2007/Mars), p. 31-50.
Liste des annexes
____
143
Liste des annexes
Liste des annexes
____
144
Liste des annexes
____
145
Sommaire des annexes
Annexe n°1 : Emmanuel KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique OGIEN, la dignité humaine en question
Annexe n°2 : Ruwen OGIEN, la dignité humaine en question
Annexe n°3 : Préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
Annexe n°4 : Préambule de la Charte des Nations Unies de 1948
Annexe n°5 : Le Code de Nuremberg de 1947
Annexe n°6 : La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948
Annexe n°7 : La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
Liste des annexes
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146
Annexe n°1 : : Emmanuel KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique
Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les
autres êtres vivants sur la terre. Par-là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience
dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire
un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans
raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il l’a dans
sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à la première personne, doivent penser ce
Je, même si elles ne l’expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est
l’entendement.
Il faut remarquer que l’enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu’assez tard
(peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut
manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence
à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne
faisait que se sentir ; maintenant il se pense318.
Annexe n°2 : Ruwen OGIEN, la dignité humaine en question
"Dignité humaine" signifie des choses assez contradictoires. Dans le débat sur l’euthanasie, par
exemple, l’expression est utilisée par les deux camps pour défendre des opinions complètement
opposées. Lorsque ceux qui excluent catégoriquement toute législation de l’interruption volontaire
de la vie des souffrants incurables font référence à la "dignité humaine", ce qu’ils veulent dire, c’est
que la vie humaine est sacrée et que ce n’est pas à nous de juger de sa valeur et éventuellement
d’y mettre un terme. Lorsque ceux qui militent pour la législation de l’interruption de la vie des
souffrants incurables font référence à la "dignité humaine", ce qu’ils veulent dire, c’est le contraire :
toutes les vies humaines ne se valent pas, seul celui qui vit cette vie est en position de juger de sa
valeur et d’y mettre éventuellement un terme. Autrement dit, dans le premier cas, "dignité
humaine" a un sens paternaliste : l’expression signifie que la vie est sacrée et qu’il ne nous
appartient pas à nous, simples humains, d’en disposer. Dans le second, "dignité humaine" a une
signification non paternaliste. Ces mots disent que notre propre vie n’est pas une valeur qui nous
transcende, et que c’est à nous, personnellement, qu’il appartient de décider si elle vaut la peine
d’être vécue ou pas319.
318 Emmanuel KANT, Anthropologie du point de vue pragmatique [en ligne], date, disponible sur
<https://fr.wikisource.org/wiki/Anthropologie_d%E2%80%99un_point_de_vue_pragmatique>, (consulté le 14 mai
2018).
319 Ruwen OGIEN, L’Éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Paris, Gallimard, 2007, p. 129-130.
Liste des annexes
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147
Annexe n°3 : Préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que
l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics
et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les
droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment
présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ;
afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant
comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les
réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent
toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de
l’Être suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen.
Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l’utilité commune320.
Annexe n°4 : Préambule de la Charte des Nations Unies de 1948 Nous, Peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre
qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances, à
proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la
valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des
nations, grandes et petites, à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect
des obligations nées des traités et autres sources du droit international, à favoriser le progrès social
et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande, [motivations et
intentions]
Et à ces fins à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon
voisinage, à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales, à accepter des
principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes,
sauf dans l’intérêt commun, à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès
économique et social de tous les peuples, [moyens]
Avons décidé d’associer nos efforts pour réaliser ces desseins.
En conséquence, nos gouvernements respectifs, par l’intermédiaire de leurs représentants, réunis
en la ville de San Francisco, et munis de pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, ont
adopté la présente Charte des Nations Unies et établissent par les présentes une organisation
internationale qui prendra le nom de Nations Unies321.
320 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen [en ligne], disponible sur <https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-
francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789> , (consulté le 14 mai 2018).
321 Préambule : Nous, peuples des Nations Unies [en ligne], 26.06.1945, disponible sur
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Liste des annexes
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148
Annexe n°5 : Le Code de Nuremberg de 1947
Le Code de Nuremberg identifie le consentement éclairé comme préalable absolu a la conduite de
recherche mettant en jeu des sujets humains.
1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la
personne intéressée doit jouir de capacité légale totale pour consentir : qu'elle doit être laissée
libre de décider, sans intervention de quelque élément de force de fraude, de contrainte, de
supercherie, de duperie ou d'autres formes de contraintes ou de coercition. Il faut aussi qu'elle
soit suffisamment renseignée, et connaisse toute la portée de l'expérience pratiquée sur elle,
afin d'être capable de mesurer l'effet de sa décision. Avant que le sujet expérimental accepte, il
faut donc le renseigner exactement sur la nature, la durée, et le but de l'expérience, ainsi que
sur les méthodes et moyens employés, les dangers et les risques encourus; et les conséquences
pour sa santé ou sa personne, qui peuvent résulter de sa participation à cette expérience.
L'obligation et la responsabilité d'apprécier les conditions dans lesquelles le sujet donne son
consentement incombent a la personne qui prend l'initiative et la direction de ces expériences
ou qui y travaille. Cette obligation et cette responsabilité s'attachent à cette personne, qui ne
peut les transmettre à nulle autre sans être poursuivie.
2. L'expérience doit avoir des résultats pratiques pour le bien de la société impossibles à obtenir
par d'autres moyens : elle ne doit pas être pratiquée au hasard et sans nécessite.
3. Les fondements de l'expérience doivent résider dans les résultats d'expériences antérieures
faites sur des animaux, et dans la connaissance de la genèse de la maladie ou des questions de
l'étude, de façon à justifier par les résultats attendus l'exécution de l'expériences.
4. L'expérience doit être pratiquée de façon à éviter toute souffrance et out dommage physique et
mental, non nécessaires.
5. L'expérience ne doit pas être tentée lorsqu'il y a une raison a priori de croire qu'elle entrainera
la mort ou l'invalidité du sujet, a l'exception des cas ou les médecins qui font les recherches
servent eux-mêmes de sujets a l'expériences.
6. Les risques encourus ne devront jamais excéder l'importance humanitaire du problème que
doit résoudre l'expérience envisagée.
7. On doit faire en sorte d'écarter du sujet expérimental toute éventualité, si mince soit-elle,
susceptible de provoquer des blessures, l'invalidité ou la mort.
8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes qualifiées. La plus grande
aptitude et une extrême attention sont exigées tout au long de l'expérience, de tous ceux qui la
dirigent où y participent.
9. Le sujet humain doit être libre, pendant l'expérience, de faire interrompre l'expérience, s'il
estime avoir atteint le seuil de résistance, mentale ou physique, au-delà duquel il ne peut aller.
10. Le scientifique charge de l'expérience doit être prêt a l'interrompre a tout moment, s'il a une
raison de croire que sa continuation pourrait entrainer des blessures, l'invalidité ou la mort
pour le sujet expérimental322.
322 Extrait du jugement du TMA, Nuremberg, 1947 (trad. française Florent BAYLE, Croix gammée contre caducée.
Les expériences humaines en Allemagne pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Neustadt, Commission scientifique
des crimes de guerre, 1950. Commission scientifique des crimes de guerre, Le Code de Nuremberg de 1947 [en ligne],
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Liste des annexes
____
149
Annexe n°6 : La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948
Objectifs
Cette Convention, qui est l'un des principaux piliers de l'édification d'un droit humanitaire
international, déclare que le génocide est un crime du droit des gens. Elle condamne ce crime, qu'il
soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, et en donne une définition. En outre, les
peines prévues sont imprescriptibles et ne sont pas assujetties à des limitations de temps et de
lieu.
Dispositions principales
Selon la Convention, le génocide s'entend d'un certain nombre d'actes commis dans l'intention de
détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux tels que : le
meurtre de membres du groupe; l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du
groupe; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle; l'application des mesures visant à entraver les naissances
au sein du groupe; et le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Par ailleurs, la Convention déclare également qu'il n'y a pas d'immunité en matière de génocide.
Les personnes ayant commis ce crime seront punies, qu'elles soient des gouvernants, des
fonctionnaires ou des particuliers.
La Convention stipule que les personnes accusées de génocide seront traduites devant les
tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis ou devant une cour
criminelle internationale qui sera compétente à l'égard des Parties contractantes. Le Statut de
Rome de la Cour pénale internationale adopté le 17 juillet 1998 et qui n'est pas encore entré en
vigueur prévoit que le crime de génocide relève de la compétence de la Cour.
À cela s'ajoute que le génocide ne sera pas considéré comme un crime politique pour ce qui est de
l'extradition. Les Parties contractantes s'engagent en pareil cas à accorder l'extradition.
À la différence d'autres instruments de protection des droits de l'homme, la Convention sur le
génocide ne crée pas d'organe de suivi ou de comité d'experts particulier. Elle stipule que toute
Partie contractante peut saisir les organes compétents de l'Organisation des Nations Unies afin
que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu'ils jugent
appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide. La Cour internationale de
Justice peut donc être saisie et adopter des mesures provisoires de protection. Elle est actuellement
saisie d'un cas de cette nature323.
323 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [en ligne], New-York, 09.12.1948, disponible
sur <http://www.un.org/french/millenaire/law/1.htm>, (consulté le 14 mai 2018).
Liste des annexes
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150
Annexe n°7 : La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice
et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de
barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres
humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé
comme la plus haute aspiration de l’homme.
Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit
pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et
l’oppression.
Considérant qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations.
Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi
dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine,
dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le
progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande.
Considérant que les États Membres se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation
des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés
fondamentales.
Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance
pour remplir pleinement cet engagement.
L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme
l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et
tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par
l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par
des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application
universelles et effectives, tant parmi les populations des États Membres eux-mêmes que parmi
celles des territoires placés sous leur juridiction324.
324 La Déclaration universelle des droits de l'homme [en ligne], 10.12.1948, disponible sur
<http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/>, (consulté le 14 mai 2018).
Liste des annexes
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151
Résumé :
Dans les sociétés du XXIe siècle, la dignité humaine est un principe
de première importance dans les sphères morale, juridique et politique, au
point d’être invoquée de façon routinière dans tous les grands débats de
société (euthanasie, avortement, crises migratoires, corruption). Cela est dû
à l’indissoluble association entre le concept de dignité et celui des droits de
l’homme que nous retrouvons comme fondations et comme motivations
principales de la raison d’être des Nations Unies. Mais la difficulté à définir
ce que sont exactement la dignité et la personne humaine n’en facilite pas
l’application concrète dans un monde multipolaire et multiculturel, où des
voix se font entendre (i.e. Chine) afin de dénoncer ce qu’elles considèrent
comme un principe occidental, inapplicable au niveau universel.
L’Eglise adventiste du 7e jour porte, comme les autres églises
chrétiennes, un message spécifique sur l’humain, sa relation à autrui et à
Dieu. Nous proposons dans ce mémoire une recherche sociologique,
historique et théologique afin de découvrir les racines et les influences
chrétiennes du concept de dignité, et pourquoi la cosmogonie biblique de
l’homme créé à l’image de Dieu reste la seule source d’universel dans un
monde en mutation. Nous appréhenderons ainsi les conséquences éthiques
d’une telle vision.
Mots-clés :
Droits de l’homme, dignité, personne humaine, être humain,
protection des populations, christianisme primitif, colonialisme, création,
éthique chrétienne